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Pierre-Yves Lambert Centre National de la Recherche Scientifique (CRBC Brest) et École Pratique des Hautes Études, Section des Sciences historiques et philologiques – Paris Le “nemeton” gaulois, et les lieux consacrés connus à travers l’épigraphie gauloise. La définition du nemeton gaulois rencontre beaucoup de difficultés. Les documents épigraphiques sont limités: une dédicace à Vaison-la- Romaine, une autre (connue seulement par une copie) à Villelaure. Des gloses tardives nous permettent d’assimiler le nemeton à un bois sacré; ce qui paraît en accord avec l’existence d’un composé galate dru-nemeton (avec premier élément étymologiquement apparenté au nom du “chêne”), ainsi qu’avec un toponyme tardif, la forêt du Nevet (Armorique). Cependant, le correspondant irlandais nemed a subi une évolution sémantique importante (“asile” > “privilège” > “privilégié”). On s’attachera principalement à l’élucidation des deux inscriptions citées, ainsi qu’à celle de Vercelli, où est employé un autre mot (lu atom ou atos). Concernant cette dernière inscription, Michel Lejeune avait lancé l’hypothèse selon laquelle les “quattuor lapides” délimiteraient un sacellum, un lucus sanctuarisé à l’intérieur du bois, nemus. Cette conception paraît en accord avec les descriptions des sanctuaires gaulois (Viereckschanzen) et même, dans certains cas, gallo-romains. Dans deux des trois inscriptions, le dédicant donne sa provenance géographique ou/et peut-être sa fonction. Cela impliquerait qu’il n’est pas exactement chez lui, et cependant qu’il intervient à titre public. Il s’agirait donc de sanctuaires possiblement communs à plusieurs cités, et peut-être destinés à matérialiser des relations pacifiques entre cités voisines. On opposera le témoignage des sanctuaires de Picardie, qui sont plutôt des sanctuaires de frontières, voués au culte d’un dieu de la guerre auquel on sacrifiait certainement des prisonniers, un dieu qui correspondrait assez bien au sanglant Teutates dont parlent les Scholies de Berne.

Nemeton Gaulois P.Y. Lambert

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Page 1: Nemeton Gaulois P.Y. Lambert

Pierre-Yves Lambert Centre National de la Recherche Scientifique (CRBC Brest) et École Pratique des Hautes Études, Section des Sciences historiques et philologiques – Paris Le “nemeton” gaulois, et les lieux consacrés connus à travers l’épigraphie gauloise. La définition du nemeton gaulois rencontre beaucoup de difficultés. Les documents épigraphiques sont limités: une dédicace à Vaison-la-Romaine, une autre (connue seulement par une copie) à Villelaure. Des gloses tardives nous permettent d’assimiler le nemeton à un bois sacré; ce qui paraît en accord avec l’existence d’un composé galate dru-nemeton (avec premier élément étymologiquement apparenté au nom du “chêne”), ainsi qu’avec un toponyme tardif, la forêt du Nevet (Armorique). Cependant, le correspondant irlandais nemed a subi une évolution sémantique importante (“asile” > “privilège” > “privilégié”). On s’attachera principalement à l’élucidation des deux inscriptions citées, ainsi qu’à celle de Vercelli, où est employé un autre mot (lu atom ou atos). Concernant cette dernière inscription, Michel Lejeune avait lancé l’hypothèse selon laquelle les “quattuor lapides” délimiteraient un sacellum, un lucus sanctuarisé à l’intérieur du bois, nemus. Cette conception paraît en accord avec les descriptions des sanctuaires gaulois (Viereckschanzen) et même, dans certains cas, gallo-romains. Dans deux des trois inscriptions, le dédicant donne sa provenance géographique ou/et peut-être sa fonction. Cela impliquerait qu’il n’est pas exactement chez lui, et cependant qu’il intervient à titre public. Il s’agirait donc de sanctuaires possiblement communs à plusieurs cités, et peut-être destinés à matérialiser des relations pacifiques entre cités voisines. On opposera le témoignage des sanctuaires de Picardie, qui sont plutôt des sanctuaires de frontières, voués au culte d’un dieu de la guerre auquel on sacrifiait certainement des prisonniers, un dieu qui correspondrait assez bien au sanglant Teutates dont parlent les Scholies de Berne.

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On rappellera enfin la célèbre comparaison faite par Marie-Louise Sjoestedt entre l’expression Teutates “Dieu de la teuta”, et le serment des guerriers irlandais, qui jurent “par le dieu de (ma) tuath”, avec toutes les conséquences qui en découlent pour l’historien des religions. Les dédicaces gallo-romaines “au dieu d’Alise” ou “au dieu de Brescia” sont des formes tardives de la même dévotion.