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BULLETIN MENSUEL DE L'UNITÉ LOCALE EUROCIRCLE Marseille, 05-2012 nº8 In Other Words NEWS « In Other Words » est un projet de l'Union européenne, soutenu et financé par la Commission des Affaires juridiques Sommaire Editorial L’Observatoire « Autrement dit » en Estonie Extrême droite, une banalisation dangereuse ? Interview d’un journaliste sur le rapport entre les médias et le FN Pour aller plus loin, un point de vue sociologique sur la question Où sortir ? Que voir ? Que lire ? Récapitulatif de l’actualité marseillaise du mois “Milestones” D ifficile d’ignorer la montée en puissance –médiatique en tout cas – du Front National au lendemain du premier tour des élections législatives de juin. En faisant défiler les pages d’accueil des sites Internet des principaux quotidiens français, le nombre d’articles ayant trait au parti et à sa présidente, Marine Le Pen, donnait presque le vertige. Lorsqu’il est question de stratégie dans les rangs de la droite classique, par exemple, il devient presque impossible de ne pas au moins mentionner le Front National. Idem souvent pour les partis d’extrême-gauche, qui auraient perdu le soutien populaire dont ils jouissaient à l’origine au profit de leur opposant d’extrême-droite. L’époque ne semble pourtant pas si lointaine, quand le père de l’actuelle présidente et lui- même ancien président du parti, Jean-Marie Le Pen, criait à un complot ourdi par le monde médiatique à son égard. Sa fille s’aventure parfois dans ce sillon. On ne se hasardera pas ici à tenter d’établir si le parti en lui-même et ses dirigeants ont eux aussi changé, mais une chose en tout cas a bel et bien changé : la représentation et représentativité du Front National dans le paysage médiatique français. Aborder la question du Front National en dehors du simple rapport de résultats électoraux et de déclarations lors des campagnes continue cependant de poser un dilemme presque moral à de nombreux journalistes. Je me rappelle ainsi avoir refusé de réaliser un entretien avec Marine Le Pen pour un magazine en ligne. L’idée aurait été de présenter Marine Le Pen de manière plus incongrue, de lui poser des questions plus personnelles. J’ai trouvé la mission périlleuse, pas tant dans la réalisation que dans la réception du produit fini, c’est à dire la lecture pour le public. Dans un pays démocratique, tout personnage légalement reconnu comme un intervenant politique doit trouver sa place dans le paysage médiatique, et je ne critiquerai jamais un confrère s’aventurant sur le terrain que j’ai personnellement évité. Mais il me reste des doutes quant à l’intérêt final d’une telle entreprise. Dans un travail journalistique, on peut et doit même être amené à rencontrer et échanger avec des personnes de tout bord, dont les idées et convictions sont en contradiction avec les nôtres. Mais il faut avoir confiance dans le travail que l’on réalise. Et je ne l’avais pas dans ce cas. Comme quoi, même banalisé, officiellement aseptisé et démocratisé, rajeuni, politiquement "corrigé", le Front National entretient une relation avec les journalistes qui est encore loin d'être une évidence. Elif KAYI Coordinatrice de l’équipe Editorial 1 Vie de l’équipe ! 2-3 Point presse 4-5 Recadrage 6-7 Pour aller plus loin 8-9 Agenda 10

Newsletter "In Other Words" n.8/Mai

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Aux lendemains des élections présidentielles et législatives, un constat s'impose à nous, au-delà des commentaires purement politiques : la montée en puissance médiatique du Front National et de ses dirigeants. Pourtant, la relation entre le parti et le monde du journalisme reste un terrain miné. L'équipe du projet "In Other Words" a tenté de décrypter les rapports tendus qu'entretiennent les journalistes avec le Front National. Bonne lecture !

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Page 1: Newsletter "In Other Words" n.8/Mai

B U L L E T I N M E N S U E L D E L ' U N I T É L O C A L E E U R O C I R C L E

Marseille, 05-2012 nº8

In Other Words

NEWS

« In Other Words » est un projet de l'Union européenne, soutenu et financé par la Commission des Affaires juridiques

Sommaire

Editorial

• L’Observatoire « Autrement dit » en Estonie

• Extrême droite, une banalisation dangereuse ?

• Interview d’un journaliste sur le rapport entre les médias et le FN

• Pour aller plus loin, un point de vue sociologique sur la question

• Où sortir ? Que voir ? Que lire ? Récapitulatif de l’actualité marseillaise du mois

“Milestones”

D ifficile d’ignorer la montée en

puissance –médiatique en tout cas –

du Front National au lendemain du premier

tour des élections législatives de juin. En

faisant défiler les pages d’accueil des sites

Internet des principaux quotidiens français,

le nombre d’articles ayant trait au parti et à sa

présidente, Marine Le Pen, donnait presque

le vertige.

Lorsqu’il est question de stratégie dans les

rangs de la droite classique, par exemple, il

devient presque impossible de ne pas au

moins mentionner le Front National. Idem

souvent pour les partis d’extrême-gauche, qui

auraient perdu le soutien populaire dont ils

jouissaient à l’origine au profit de leur

opposant d’extrême-droite.

L’époque ne semble pourtant pas si lointaine,

quand le père de l’actuelle présidente et lui-

même ancien président du parti, Jean-Marie

Le Pen, criait à un complot ourdi par le

monde médiatique à son égard. Sa fille

s’aventure parfois dans ce sillon. On ne se

hasardera pas ici à tenter d’établir si le parti

en lui-même et ses dirigeants ont eux aussi

changé, mais une chose en tout cas a bel et

bien changé : la représentation et

représentativité du Front National dans le

paysage médiatique français.

Aborder la question du Front National en

dehors du simple rapport de résultats

électoraux et de déclarations lors des

campagnes continue cependant de poser un

dilemme presque moral à de nombreux

journalistes.

Je me rappelle ainsi avoir refusé de réaliser un

entretien avec Marine Le Pen pour un

magazine en ligne. L’idée aurait été de

présenter Marine Le Pen de manière plus

incongrue, de lui poser des questions plus

personnelles. J’ai trouvé la mission périlleuse,

pas tant dans la réalisation que dans la

réception du produit fini, c’est à dire la

lecture pour le public.

Dans un pays démocratique, tout personnage

légalement reconnu comme un intervenant

politique doit trouver sa place dans le paysage

médiatique, et je ne critiquerai jamais un

confrère s’aventurant sur le terrain que j’ai

personnellement évité. Mais il me reste des

doutes quant à l’intérêt final d’une telle

entreprise. Dans un travail journalistique, on

peut et doit même être amené à rencontrer et

échanger avec des personnes de tout bord,

dont les idées et convictions sont en

contradiction avec les nôtres. Mais il faut

avoir confiance dans le travail que l’on réalise.

Et je ne l’avais pas dans ce cas.

Comme quoi, même banalisé, officiellement

aseptisé et démocratisé, rajeuni,

politiquement "corrigé", le Front National

entretient une relation avec les journalistes

qui est encore loin d'être une évidence.

Elif KAYI

Coordinatrice de l’équipe

Editorial 1

Vie de l’équipe ! 2-3

Point presse 4-5

Recadrage 6-7

Pour aller plus loin

8-9

Agenda 10

Page 2: Newsletter "In Other Words" n.8/Mai

Page 2

In Other Words NEWS

In Other Words

NEWS

Edité mensuellement à

Jaén y Almeria (Espagne),

Mantova (Italie),

Mortagua (Portugal),

Marseille (France),

Timisoara (Roumanie)

et Tallin (Estonie) avec

l'approbation et le soutien

de la Commission des

Affaires Juridiques de

l'Union Européenne.

L'édition française est

assurée par Eurocircle

L'entreprise éditrice ne

peut être tenue responsa-

ble pour les commentaires

de ses collaborateurs

Vie de l’équipe

« Une démocratie est

d’autant plus stable qu’

elle peut supporter un plus

grand volume

d’information de qualité. »

Louis ARMAND

(1905-1971)

L es partenaires du projet européen « In Other Words » se sont réunis

début mai à Tallinn

La troisième rencontre du projet européen

« In Other Words », auquel participe

Eurocircle par la biais de l’Observatoire

« Autrement Dit », réunissant tous les

partenaires des différents pays, a eu lieu les 3

et 4 mai à Tallinn, en Estonie. Toutes les

équipes étaient présentes : l’Estonie, la

Roumanie, l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la

France.

Le séminaire a commencé par une matinée de

conférences concernant des travaux réalisés

autour de la représentation des minorités

dans les médias.

Dans l’ordre chronologique, voici les sujets

qui ont été présentés :

• La présentation des résultats principaux

sur l’analyse des médias en Estonie par

Mari-Liis JAKOBSON, (Politology lecturer,

Institute of Governance and Political

Science, Tallinn University),

• La représentation des minorités dans les

médias par le docteur Myria GEORGIOU

(London School of Economics, Dept. of

Media and Communications)

Front National et médias, une relation complexe

Tallinn, Estonie

• L’image des minorités dans les médias en

France, en Allemagne et au Royaume-Uni

par Claire Frachon, journaliste et

consultante en média

• Pour clôturer la matinée, l’image des

minorités dans les médias estoniens avec

plusieurs représentants d’associations

œuvrant pour lutter contre les

discriminations, entre autres, des LGBT

ou encore des personnes handicapées.

A u lendemain des présidentielles, en

épluchant la presse, un constat est

flagrant, les articles sur le FN sont nombreux.

L’équipe s’interroge et décide de s’intéresser à

la relation entre les médias et le FN. Ce sujet

et la question des discriminations ne sont pas

si éloignés, particulièrement si on s’intéresse

au thème de l’immigration. Pourquoi ce sujet

est-il plus présent dans la presse ? Comment

en parle t’on ? Le point presse de ce mois-ci

réfléchit à ces questions en s’appuyant

directement sur des articles du quotidien La

Provence. Nous avons trouvé judicieux de

compléter ces commentaires en recueillant

l’avis d’un journaliste de ce même quotidien.

Jawad Rhazi, étudiant en journalisme et

nouveau volontaire sur cette newsletter a

cherché à mieux comprendre la position du

journaliste face à ce sujet délicat. Pour aller

plus loin, le point de vue sociologique de

Madalina Stroilescu, étudiante en sciences

humaines, tentera de nous éclairer sur la

relation complexe entre les médias et le Front

National, à travers, notamment, une analyse

chronologique. L’agenda de ce mois-ci sera,

quant à lui, tourné vers l’autre, la culture de

cet « autre », parfois si proche de nous mais

que l’on ne voit pas et ne connaît pas. Vous

trouverez également dans la rubrique « Vie de

l’équipe », la présentation de la troisième

rencontre européenne de l’observatoire

« Autrement dit » qui a eu lieu à Tallinn en

Estonie, début mai.

Nous vous souhaitons à toutes et à tous une

bonne lecture !

Rencontre en Estonie de “In Other Words”

Page 3: Newsletter "In Other Words" n.8/Mai

Page 3

Marseille, 05-2012 nº8

Vie de l’équipe

Il est intéressant ici de souligner qu’une des

conférencières, Claire Frachon, a collaboré à la rédaction

d’une étude, sous la coordination de Virginie Sassoon,

intitulée « Médias et diversité : de la visibilité aux

contenus, Etat des lieux en France, au Royaume-Uni, en

Allemagne et aux Etats-Unis » (Ed. Karthala/Institut

Panos, 2008). Ce livre s’interroge sur la place qu’occupe la

diversité culturelle dans les médias au sein de ces pays et

présente un bilan révélant les liens entre les médias,

l’opinion publique et les institutions privées, durant les

vingt dernières années.

Après cette matinée enrichissante, un point sur le travail

réalisé par chaque partenaire et sur le travail à réaliser pour

les prochains mois a été fait. Chaque partenaire a pu

présenter son équipe de volontaires, sa façon de travailler,

la méthodologie mise en place dans son pays. Certaines se

concentrent sur les médias web, d’autres sur la presse

nationale ou d’autres, comme notre équipe, travaillent sur

la presse locale. A Tallinn, la recherche est menée par

l’Université. La plupart des volontaires sont donc des

étudiants. Le dernier après-midi du séminaire a d’ailleurs

été consacré à une visite de l’Université et une rencontre

avec des volontaires estoniens. D’autres se mettent en lien

avec des associations représentant certaines minorités et

luttant contre les discriminations.

Une des questions centrale du projet « In Other Words »

est la recherche de volontaires. Où trouver les volontaires ?

Qui peut être motivé(e) pour travailler sur ce projet ?

Comment la participation à ce projet peut-elle être

communiquée comme une expérience riche, utile et

valorisante pour les volontaires ? Autant de questions qui,

durant le séminaire, ont nécessité un vrai temps de

réflexion.

L’échange entre partenaires européens est toujours

intéressant, permet d’élargir les points de vue et de croiser

les différentes manières de fonctionner.

Un même sujet pourra être traité différemment en

fonction du contexte socioculturel et politique du pays

concerné. Si on prend le sujet de l’immigration, il est

certain que la manière de l’aborder diffèrera clairement si

celui-ci est étudié, par exemple, en Estonie, en France ou

encore en Roumanie. La problématique ne sera pas la

même et les répercussions dans les médias non plus. Les

discriminations vécues par les personnes immigrées et les

stéréotypes véhiculés ne sont pas identiques et n’ont pas le

même impact, le même poids. L’histoire de la France ou

de l’Estonie en matière d’immigration et le rapport qu’elle

entretient avec elle sont différents. Si l’équipe estonienne

ou française se concentre sur ce sujet dans le cadre du

projet, la méthodologie employée et le travail réalisé ne

pourront être comparables.

A l’échelle européenne, des éléments peuvent cependant

se recouper et chacun peut apporter sa petite pierre à

l’édifice. Ainsi, à titre d’exemple, un glossaire va être

constitué reprenant tous les termes et les définitions

importantes abordées au cours du projet. Des vidéos vont

également être réalisées. A Eurocircle, une vidéo a, par

exemple, été produite sur le sujet de la communication.

Comment parler des minorités dans les médias en restant

objectifs ? Comment un journaliste doit-il œuvrer lorsqu’il

aborde un nouveau sujet ?

Quels paramètres sont à prendre en considération quand

on aborde un thème délicat pour pouvoir communiquer

« efficacement » et de manière équilibrée ? Voici quelques-

unes des questions auxquelles ont répondu dans cette

vidéo Ursula Nagy-Duplantier, journaliste indépendante,

et Adele, membre de SOS Homophobie.

Vous pourrez visionner cette vidéo sur le site européen du

projet « In Other Words » : www.inotherwords-project.eu

La rencontre de clôture du projet aura lieu chez les

partenaires espagnols, à Almeria, en Andalousie, au mois

d’octobre.

Réunion à Tallinn

Présentation de notre travail

Page 4: Newsletter "In Other Words" n.8/Mai

Page 4 Point presse In Other Words NEWS

L a presse parle du Front National (FN).

Normal. Normal ? Alors que ce parti

prône des valeurs plutôt anti-républicaines et

peut aussi se montrer discriminant envers

certaines minorités - les immigrés, au sens

large du terme, pour ne citer qu’eux - une

partie du monde des médias semble s’être

accoutumée à la présentation de cette

idéologie et être moins encline à montrer du

doigt cet aspect, pourtant problématique. Le

Front National est traité comme tout autre

parti. Après tout, nous vivons dans une

démocratie.

La presse participe t’elle à la banalisation de

ce parti en légitimant sa place dans les médias

et en le traitant comme un parti quelconque ?

N’est-il plus « choquant » aujourd’hui de voir

un parti extrémiste appelant à la non-

acceptation de la différence, voire au rejet de

certaines minorités présentes sur le territoire

national, qu’il accuse d’être – tout au moins

en partie - la source de tous les maux des

français ?

En feuilletant la presse locale, on observe, la

plupart du temps, des rapports sur la montée

du Front National, constat peu ou pas

questionné. Est-ce qu’une simple

présentation de ce constat peut amener le

lecteur lambda - averti ou non - à se poser

certaines questions ? En se familiarisant avec

le parti, ne le rend-on pas finalement plus

acceptable, plus proche, plus banal ?

Dans les commentaires suivants, nous nous

concentrerons sur une partie de la couverture

effectuée par le quotidien régional La

Provence.

Le 23 mai dernier, un petit article de La

Provence du 23 mai titrait : « Marine Le Pen

tempérée ». L’article présentait « une Marine »

prête à faire gagner « très

exceptionnellement » (sic !) des candidats des

partis de l’UMP, voire du PS, au second tour,

en fonction de leur « valeur humaine ».

Un autre article du même quotidien

et datant du 4 juin titrait quant à

lui : « Je suis de gauche mais je vote

Front National ». Au vu de ces deux

articles, on ressent une certaine

confusion qui nous amène presque

à nous demander si l’on parle bien

d’un parti d’extrême droite.

Une place non négligeable est

accordée au sujet du Front National.

Toujours dans le quotidien La

Provence, le 28 mai, celui-ci fait la

une : « La grande offensive

provençale du FN ». Les pages deux

et trois sont entièrement consacrées

au parti. Page 2, le sous-

titre indique : « Fort des 23,9 %

obtenus en Paca à la présidentielle,

le FN rêve de faire élire des députés.

Une première depuis 1997 ». Le

lecteur est-il appelé à partager ce

rêve ? Quelques jours plus tard, le 8

juin, nouveau titre : « Le FN fait

monter la tension entre le PS et

l’UMP ».

Au niveau du fond, il est aussi

question du style des candidats :

ceux-ci auraient changé depuis

l’époque de Jean-Marie Le Pen. Le

Front National lui-même aurait

changé et serait « moins agressif ».

Exemples :

« Le look de Paul Cupolati, le

candidat du FN pour ces législatives

de 2012, avec ses cheveux gominés,

son costume anthracite trop large et

sa cravate rose criarde assortie à sa

chemise, c’est plutôt celui d’un

VRP. »

Extrême droite, une banalisation dangereuse ?

Des pages entières consacrées au FN

Suite Page 5...

Page 5: Newsletter "In Other Words" n.8/Mai

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Marseille, 05-2012 nº8

Point presse

« Son style décontract’, sa taille mannequin, sa beauté

timide et diaphane donnent au parti diabolisé un visage

angélique qui intrigue furieusement. Marion Maréchal - Le

Pen repousserait même les avances des télés françaises,

officiellement parce qu’elle refuse de se laisser "pipoliser"

ni de prendre une place qui n’est pas la sienne. La jeune

fille a l’air plutôt discrète mais elle se soigne. » « La voix

qui ne tremble pas, l’œil déterminé, elle a la même

mécanique de mots que sa tante, l’aisance en moins. »

(La Provence, 28 mai, p. 2-3)

L’image qui ressort de cette couverture est celle d’un Front

National fort, légitimé et adouci. Mais qu’en est-il des

valeurs que le parti continue de prôner, et qu’on peut

qualifier d’anti-républicaines, voir sectaires ? Bataille des

dirigeants, espoirs, ambitions du parti sont les points forts

de cette couverture médiatique. Les questions de fond

tournant autour de l’essence même du parti sont absentes.

Une banalisation, une normalisation du parti s’est bien

mise en place.

Quelques exemples de titres...

Page 6: Newsletter "In Other Words" n.8/Mai

Recadrage In Other Words NEWS

Page 6

Propos recueillis par Jawad RHAZI

L es rapports entre le Front national (FN) et les

médias ont souvent été ambigus. Denis Trossero,

chef du service Fait-divers/Justice au quotidien La

Provence a accepté d’éclaircir certaines zones d’ombre

qui planent sur la relation entre le FN et le milieu du

journalisme. Rencontre.

- Les journalistes travaillent-ils différemment lorsqu’ils

évoquent la question du Front National ?

Je ne suis pas journaliste politique, mais j’ai une pratique

du traitement du Front national parce que j’ai souvent

côtoyé ce phénomène. Dans une société démocratique, on

est sensé donner la parole à tous les partis, que l’on

partage ou non leur idéologie. La question du FN est pré-

connotée, il faut être prudent dans le traitement de

l’information relative à ce parti et essayer d’avoir

suffisamment de recul. Le FN représente une partie de la

population, et à ce titre, ces dirigeants ont le droit d’être

entendus même si leur parole est souvent polémique.

« L’analyse du rapport entre journalistes et FN a changé »

Suite Page 7... Denis Trossero, chef du service Fait-divers/Justice au quotidien La Provence

Il faut prendre de grandes précautions pour ne pas dériver

vers une certaine banalisation du calembour, de l’humour

déplacé, des éléments qui peuvent devenir

discriminatoires.

- Le FN a enregistré son meilleur score lors de la dernière

élection présidentielle. Comment expliquez-vous la

percée de ce parti d’extrême-droite ? Les médias y sont-ils

pour quelque chose ?

Comme je l’ai dit tout à l’heure, le Front National

représente une partie non négligeable de la population

française. La question qu’on peut vraiment se poser est la

suivante : est-ce que c’est le citoyen qui fait le pouvoir du

FN ou est-ce que ce sont les médias qui lui donnent une

certaine audience ? Je pense qu’il y a un peu des deux, il ne

faut pas tomber dans la banalisation. Dans une société qui

se revendique démocratique telle que la société française,

c’est difficile de concevoir qu’on parle de François Bayrou,

de François Hollande ou de Nicolas Sarkozy sans évoquer

Marine Le Pen. Quand ce parti a commencé à prendre de

Page 7: Newsletter "In Other Words" n.8/Mai

Page 7

Marseille, 05-2012 nº8

Recadrage

l’ampleur, il y a une dizaine d’années, j’ai eu des

discussions assez tendues avec des confrères qui ne

voulaient pas qu’on aborde le sujet, car c’était le parti

scandaleux. Aujourd’hui, l’analyse du rapport entre le

journaliste et le FN a nettement évolué.

-Le discours frontiste est considéré comme un discours

qui véhicule des valeurs antirépublicaines. De quelle

manière le journaliste peut-il aborder le sujet tout en

conservant la neutralité qu’impose sa déontologie ?

C’est très difficile, ça représente une angoisse pour les

journalistes. Il ne faut pas tomber dans l’agressivité mais

être dans le professionnalisme, c’est-à-dire poser des

questions bien fondées. Ceci n’empêche pas le journaliste

d’être critique, voir pertinent. A titre d’exemple, quand

Marine Le Pen est l’invitée d’une émission de télévision,

elle attend que le présentateur l’attaque. En l’attaquant, le

public va sentir que le journaliste est anti-FN, et de ce fait,

Marine Le Pen va tomber dans la mise en cause

personnelle du journaliste, ce qui légitimera forcément sa

prise de position. Il est plus difficile d’interviewer un

représentant du FN qu’un représentant d’un autre parti

politique.

- Finalement, le FN est-il victime de l’affront

médiatique ? Ou est-ce un rôle joué par ce parti afin

d’entamer un processus de dédiabolisation ?

Je pense que c’est une stratégie. Il ne faut pas oublier que

depuis 20 ans, le discours de Jean-Marie Le Pen est très

complotiste. Il reprochait aux médias de ne pas donner la

parole à son parti. Si le FN ne récoltait pas assez de voix,

s’il n’était pas représenté à l’Assemblée nationale, c’était la

faute des journalistes. La stratégie de sa fille aujourd’hui,

c’est de dédiaboliser. Elle a compris qu’il fallait banaliser

son parti pour gagner des voix. Elle emploie rarement le

terme d’extrême-droite et parle plutôt de droite

nationaliste, mais c’est vrai que les médias sont souvent

tombés dans le panneau du FN, les deux sont mis en

cause.

Jawad RHAZI

Né au Maroc, je me

suis installé en France

il y a trois ans pour

poursuivre mes études

après l’obtention de

mon baccalauréat.

J’ai suivi une formation

en Droit et en Sciences

Politiques à l’Université de Nice Sophia Antipolis avant

d’intégrer l’Ecole de Journalisme et de Communication de

Marseille il y a un an. Durant ma courte période de

formation journalistique, j’ai été amené à rencontrer des

personnes de divers horizons : hommes politiques, artistes,

chefs d’entreprises ou encore journalistes.

C’est par le biais d’une de ces personnes rencontrées, Elif

Kayi, journaliste et membre de l’équipe coordinatrice du

projet européen « In Other Words », que j’ai découvert

l’existence d’un observatoire des médias installé à

Marseille. Ce qui m’a intéressé en premier lieu, ce sont les

causes pour lesquelles se bat « Eurocircle » à travers ses

divers projets. Lutter contre la discrimination sous toutes

ses formes, œuvrer pour l’instauration d’une paix sociale

et répandre les valeurs humaines et démocratiques

représentent mes idéaux.

A travers le projet « In Other Words », j’aurai

l’opportunité d’œuvrer, ne serait ce que partiellement,

pour l’établissement d’une société où tolérance,

mansuétude et cohabitation sont les maîtres mots.

A propos de l’auteur

Page 8: Newsletter "In Other Words" n.8/Mai

Page 8

Marseille, 05-2012 nº8

Pour aller plus loin

La droite radicale a subi une phase de renouvellement

suite à la modernisation sociale et culturelle suivant les

changements après-guerre en Europe. Même si cette

période reste marquante pour le concept de droite

extrême, ceci n'est que vaguement lié aux précédentes

versions d’extrêmes droites fascistes et antisémites. On

peut cependant souligner que le racisme et la xénophobie

ont alimenté le succès électoral en Europe occidentale des

partis national-populistes. Ces derniers ont souvent été

définis à travers leurs positions anti-immigration et ont

généralement été caractérisés comme étant « exclusivistes ».

C’est ainsi que les médias - et pas seulement eux - ont

attribué aux partis d’extrême droite des étiquettes comme

fascistes, racistes ou pétainistes, le modèle normatif des

médias s’inscrivant dans la représentation des « droits de

l’homme ». Le discours destructif et totalitaire était de

moins en moins agréé, voir toléré par le large public.

Le bon camp est devenu celui des « droits de l’homme »,

de la normalité consensuelle démocratique, et le mauvais

celui du totalitarisme et de la haine.

La course électorale fait qu’il faut attirer et maintenir un

maximum d’adhérents et, comme tout parti politique

dépend des votes et des postes, le but repose surtout sur le

succès électoral. A force de vouloir gagner leur électorat

pendant les élections présidentielles, les partis d’extrême

droite, comme le Front National, doivent se rallier aux

règles du jeu politique et médiatique. Comme dans toute

forme de discours politique, il faut enchanter l’électorat et

les militants, l’utilité ultime étant de faire gagner des voix

aux partis représentés. La parole politique télévisée

s’inscrit dans un certain nombre de règles à suivre. De

même, le populisme du Front national, par sa nature,

implique l'ajustement à l'évolution des préoccupations, des

demandes et des besoins du public. Cette « contextualité »

du Front National fait qu’on parle d’un parti qui doit

s’inventer constamment et qui doit s’adapter le plus vite

possible à son public. Dans sa tentative pour rester

contemporain, le Front National a du changer le discours

et s’adapter à l’environnement actuel.

Il est évident que le sujet de l’immigration reste un

élément central du positionnement politique du Front

National. Mais en reliant la question de l'immigration à la

droite radicale, il y a le risque d’exercer un effet négatif sur

la légitimité perçue. Cette légitimité, cependant, est

importante pour les chances électorales du Front National,

surtout que la plupart des électeurs ne sont pas disposés à

adhérer à un parti qui n'est pas favorable à la démocratie

libérale.

Au début de sa carrière politique Jean Marie Le Pen s’est

fait remarquer pour ses propos choquants. Un parti pris

qu’il assume peut-être dans l’esprit qui veut « qu’il n’existe

pas de mauvaise publicité ». En conséquence, certaines

chaînes ont refusé de l’accueillir sur leurs plateaux. Le

paradoxe réside dans le fait que pour avoir du succès

électoral, il faut passer par les médias afin de capter son

public, et aussi pour gagner sa légitimation sur la scène

politique. Pour obtenir ce succès, il est important que les

leaders du Front National apparaissent sur les chaînes de

télévision.

Les médias, alliés et ennemis du Front National

L ’extrême droite est un sujet extrêmement présent

dans la recherche contemporaine, et qui suscite

toujours un questionnement sur la normalité de ce

phénomène. Le processus de « dédiabolisation » du Front

national mis en œuvre par Marine Le Pen s’est avéré un

pari réussi. Cette stratégie s'est réalisée progressivement

dans le temps, tout au long de la trajectoire électorale de

Jean-Marie Le Pen.

Au premier tour des élections présidentielles de 2012,

Marine Le Pen est arrivée en troisième position, réalisant

un score historique pour le Front National avec 17,9 %

des voix. La banalisation du phénomène FN est liée à un

changement structurel sociopolitique car il s’associe à un

retour vers des valeurs plus traditionnelles.

Marine Le Pen

Par Madalina Stroilescu

Page 9: Newsletter "In Other Words" n.8/Mai

Page 9

Marseille, 05-2012 nº8

Pour aller plus loin

Les enjeux sécuritaires des élections de 2002 ont mis au

centre du débat politique des sujets chers à la rhétorique

lepéniste, comme l’insécurité et l’immigration. Les sujets

ont gagné plus de saillance et de visibilité sur la scène

publique. Ce contexte porteur va être invoqué chaque fois

que Jean-Marie le Pen expliquera la modération du Front

National. La modération du discours se fait avec une

certaine légitimation de la part du public et laisse la

possibilité aux leaders frontistes de se positionner comme

des sortes de prophètes visionnaires. Il est évident que le

contexte sociopolitique a mis en avant de la scène

médiatique des sujets galvaudés par le Front National.

Ce qui est intéressant, c’est qu’un discours lepéniste, très

ciblé, très contextuel et très concret au départ, devienne de

plus en plus conceptuel et abstrait. Celui-ci utilise

beaucoup les termes des journalistes ou des académiciens

qui ont étudié le parti, comme dans l’affirmation « vous

êtes victimes de la lepénisation des esprits » (« lepénisation

des esprits : les électorats choisiraient de voter pour le FN

parce qu’ils ont fini par adhérer aux thèses que ce parti et

son leader déclament sur différentes thèses »1). Jacques Le

Bohec remarquait dans son étude de la sociologie du

phénomène Le Pen : « Il faut également tenir compte du

travail de construction symbolique. Les scores électoraux

du FN ne s’expliquent pas uniquement par un dialogue

entre les électeurs et candidats. Les représentations des

réalités font partie intégrante de la réalité.

Elles résultent d’un travail involontaire et non orchestré,

où sont impliqués des agents sociaux en apparence

extérieurs (adversaires, journalistes, savants, etc.). En

reconnaissant le FN comme adversaire à combattre,

comme dangereux pour la démocratie, comme digne

héritier d’un courant politique, ils ont fait grandir ses

dirigeants. En prenant au sérieux ses thèses, ils se sont

placés sur le même terrain et les ont légitimées. »2.

Les leaders du Front National ont intégré dans leur

discours l’étiquetage abstrait fait par les professionnels, ce

qui est devenu une source d’argumentation dans leur

rhétorique. Pour conclure, il faut souligner que la

modération du discours du leader frontiste est le sujet

d’un débat qui s’est imposé depuis une décennie, et que ce

qu’on appelle maintenant la banalisation du Front

National n’est que le résultat d’un processus graduel de

légitimation.

Vous pourrez trouver en ligne le mémoire « Les

métamorphoses du Front National » de Madalina

Stroilescu sur le serveur :

h t t p : / / d l . t r a n s f e r . r o / t r a n s f e r _ r o - 2 5 m a y -

c35f03a391adf2.zip

1 LE BOHEC, Jacques, Sociologie du phénomène Le Pen, Paris, La Découverte, 2005, p.51 2 LE BOHEC, Jacques, Sociologie du phénomène Le Pen, Paris, La Découverte, 2005, p.96

Madalina STROILESCU

J’ai grandi en Roumanie, où

j’ai obtenu mon diplôme à la

Faculté de Sciences Sociales

Babes Bolyai. J’ai ensuite

voyager et je suis partie étudier

à l’étranger, aux Etats-Unis,

puis en France. Après une

licence de Sociologie en tant

qu’étudiante Erasmus à

Nantes, j’ai décidé de continuer mon cursus à Paris. Je suis

actuellement étudiante en Master de Sciences Sociales à la

Sorbonne.

Ma recherche constitue le point de départ d’une étude

portant sur les différentes transformations qui ont eu lieu

au sein du principal parti de droite radicale en France : le

Front National. La caractéristique de mon approche est

d’étudier ce sujet à travers une analyse visuelle parmi les

discours télévisés des leaders frontistes pendant les années

électorales de 2002, 2007 et 2012. Je souhaite surtout

examiner les changements importants qui se sont opérés

dans le discours du Front National au cours de cette

dernière décennie. Je suis passionnée de voyages, j’adore

découvrir des cultures différentes et partager la différence.

La haine de l’autre m’indigne et m’étonne toujours. J’en ai

fait mon sujet d’étude afin de mieux comprendre les

raisons et les sources profondes d’un tel rejet.

A propos de l’auteur

Page 10: Newsletter "In Other Words" n.8/Mai

www.inotherwords-project.eu

Agenda

L’équipe d’Autrement Dit recommande...

E U R O C I R C L E

Eurocircle, 47 rue du Coq

13001 Marseille

Tel: +33-(0)491429475

Fax: +33-(0)491480585

E-Mail : [email protected]

[email protected]

Exposition photo : « Un an de révolutions arabes »

Pour marquer le 1er anniversaire des révolu-

tions arabes, Alain Mingam organise

une exposition qui réunit le travail de plu-

sieurs correspondants. Cette initiative de la région PACA est un hommage à

ceux qui luttent pour leurs droits ainsi qu’aux journalistes, en première

ligne sur l’actualité.

Hôtel de Région

27, place Jules Guesdes

13481 Marseille

Horaires : du lundi au samedi de 9h à 19h (fermeture les jours fériés)

Jusqu’au 28 juin

Renseignements et inscriptions des groupes : 04 91 57 52 78

Pour plus d’infos : www.regionpaca.fr

Exposition photo : « Femmes d’Egypte au cœur de la révolte »

Les photos sont de Rabha Attaf, grand reporter,

spécialiste du monde arabo-musulman. De retour

du Caire où elle a couvert les événements depuis

février 2011, Rabha Attaf présente un choix de

photos prises au jour le jour, au fil des événe-

ments, photos de femmes en hommage à toutes celles qui sont descendues

dans la rue afin de demander le respect des droits humains.

du 7 au 19 juin

Maison d’Amnesty de Marseille

159 bd de la Libération

13001 Marseille

Soirée théâtre "Comment je suis arrivée là !" de Zohra Aït Abbas et Farid Ferragui Samedi 23 juin à 20h30

Dans le cadre du Festival Tamazgha #7, musiques berbères et populaires

d’Afrique du Nord, ce spectacle théâtral, accompagné par la musique de

Farid Ferragui (chant, luth et percussions), met en avant la diversité artisti-

que de la culture kabyle.

Un rendez-vous unique en son genre traversant frontières et générations…

Théâtre de la Sucrière

Parc François Billoux

246 rue de Lyon

13015 Marseille

A voir aussi :

Ces 3 petites vidéos pour lutter contre les idées reçues sur l’immigration sur

le site Médiapart :

http://www.mediapart.fr/content/immigration-trois-films-danimation-contre-les-idees-recues