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Comment les structures de jobcoaching ont-elles préparé la phase de déconfinement avec les personnes accompagnées et quels outils et pratiques souhaitent-elles voir perdurer ? (p. 1 et 2)
Quelles compétences les jobcoach ont-ils sollicité voire développé ? (p. 3) Comment créer, développer, consolider le lien à l’entreprise dans cette période et
quelles perspectives pour le marché de l’emploi ? (p. 4-5-6) Life First ? Le regard du Professeur Jean Naudin (p. 7-8)
Des outils conçus par et
pour les personnes accompagnées
-La pair-émulation : Il s’agit notamment de connecter
des personnes accompagnées entre elles afin de
faciliter le transfert de compétence et développer le soutien entre pair. Ainsi, en Bretagne un graphiste est
mis en relation avec un musicien souhaitant réaliser
sa pochette d’album ;
-Les tutoriels à distance : comme en Gironde où un jobcoach cuisinier dans une autre vie coache à
distance un apprenti chef tous les soirs pour la
préparation du repas en intégrant la planification du menu du lendemain avec liste des courses et des
ustensiles nécessaires ;
-Les sites web, blogs, ou pages de réseaux sociaux
communautaires : alimentés aussi bien par les personnes que par les jobcoachs, ils ont pour objectif
de partager des informations sur l’emploi, la
formation professionnelle, la culture, la santé, le quotidien mais aussi de diffuser les initiatives
personnelles telles que des photos, des poèmes, des recettes de cuisine, des œuvres artistiques, des jeux
etc…:https://lesressourcesdeladapt35.wordpress.com/category/emploiformation/
http://devoilonsnostalents.over-blog.com/
-Les enquêtes professionnelles à distance : permettant de maintenir la personne en action dans la période de
confinement, elles s’avèrent utiles pour les personnes
rétives à des premières rencontres physiques
France-Mai 2020 Pendant la huitième semaine de confinement, des services d’emploi accompagné, conventionnés ou non, tous formés à la méthodologie Individual Placement and Support et la mettant en œuvre sur le territoire français, se sont à nouveau télé-réunis. Il s’agissait de préparer la phase de déconfinement en mutualisant les bonnes pratiques, notamment autour de la participation des personnes et du lien avec les entreprises. Cette newsletter présente le résultat de ces échanges.
RÉTABLISSEMENT ET EMPLOI AUX TEMPS DU COVID 19
DU CÔTÉ DES PERSONNES, LE POIDS DE L’INCERTITUDE « On ne sait pas quand, on ne sait pas comment », avancent de nombreuses personnes accompagnées à l’évocation de la fin du confinement. Ces déclarations résument le sentiment d’incertitude généralisée qui prévaut pour la plupart de ces personnes qui vivent avec des troubles psychiques sévères.
Dans l’ensemble, le processus de déconfinement leur apparaît complexe et comme vecteur de stress et d’angoisses, du fait du climat incertain généré par des informations contradictoires. Ces perceptions influencent les comportements, car si les personnes au chômage partiel souhaitent très majoritairement reprendre le travail dans les plus brefs délais, d’autres en recherche d’emploi évoquent leur circonspection quant à la possibilité de trouver un emploi, certaines souhaitant remettre leur projet « à plus tard », une fois la situation sanitaire clarifiée et le marché de l’emploi réactivé (voir encadré page 4 et 5).
Des jobcoach mettent en avant que la période de confinement pourrait négativement impacter l’estime de soi, élément déterminant dans l’accès à l’emploi et au-delà, dans le développement du pouvoir d’agir promu par les dispositifs.
Enfin, les personnes ne sont guère enthousiastes à l’idée de se rendre dans les bureaux des dispositifs de jobcoaching par crainte des contaminations.
Newsletter Mai 2020
2 http://workingfirst.fr
Newsletter Mai 2020
Cette première phase de déconfinement n’est donc pas synonyme de retour à la normale pour les services qui doivent s’adapter aux nouvelles règles sanitaires, à l’atonie du marché du travail, ainsi qu’à l’inquiétude des personnes quant à la circulation du virus. Les échanges à ce sujet ont fait ressortir la volonté de co-construire les nouveaux modes d’organisation avec les personnes accompagnées, en partant de leurs préférences, comme le prône le modèle IPS.
Dans ce cadre, c’est la question des lieux de rendez-vous qui a émergé au premier chef. En effet, les jobcoachs IPS interviennent habituellement « dans la communauté », c’est-à-dire dans l’environnement des personnes, ou dans des tiers-lieux, médiathèques, cafés, cités des métiers, soit des lieux proposant des ressources liées à l’emploi et favorisant l’horizontalité entre jobcoach et personne accompagnée. La situation actuelle ne permettant pas les visites à domicile et laissant la plupart de ces espaces clos, il s’agit de se réinventer en partant des suggestions des personnes. Ainsi, les bancs publics sont unanimement plébiscités, comme les places, les parcs, les entrées d’immeubles ou les rendez-vous debout voire mobiles, menés au gré d’une promenade commune. Certains ont pu négocier avec des établissements de restauration le prêt d’un morceau de terrasse tandis que d’autres œuvrant en zone rurale tendent à privilégier la pleine nature en s’équipant de mobilier de camping. Que ce soit en ville ou à la campagne, se pose néanmoins la question de la mobilité devant laquelle les personnes sont inégales en temps normal, mais d’autant plus lorsque les transports en commun sont susceptibles d’être vecteurs de diffusion du COVID 19. Ce facteur risque semble pousser les personnes à privilégier le travail à distance avec leurs jobcoachs. En effet, ce sont les échanges par téléphone et dans une moindre mesure par mail et en visio-conférence qui constituent encore l’essentiel de l’activité. Si le phénomène correspond à ce que vivent une large part des salariés français, il met en évidence les inégalités numériques qui touchent les usagers des services de jobcoaching et constitue un point de vigilance majeur pour les équipes afin d’assurer une égalité de services rendus.
Au-delà de ces aspects purement pratiques, les échanges entre jobcoachs ont fait émerger la nécessité de consulter les personnes accompagnées quant à de nouvelles actions à développer. Certains dispositifs envisagent ainsi de proposer à leur public des enquêtes de satisfaction sur la qualité des services de jobcoaching afin de se baser sur les résultats pour ajuster leur accompagnement. D’autres comptent soumettre aux personnes des questionnaires sur leur vécu du confinement, outils visant d’une part à évaluer les dispositions dans lesquelles elles se trouvent au moment d’entrer dans une nouvelle phase, et d’autre part à identifier avec les personnes les ressources et compétences qu’elles ont mobilisé voire développé. Ces enquêtes seront complétées par des « plans de rétablissements » qui permettront de poser les objectifs et actions à poser dans les semaines à venir tout en situant précisément le rôle que joue l’emploi dans leur rétablissement.
AU NIVEAU DES SERVICES DE JOBCOACHING : UNE RÉORGANISATION PENSÉE AVEC LES PERSONNES
Le témoignage de Stéphanie BENARD-CHAUVET,
Directrice de la Cité des Métiers de Marseille et de PACA.
La Cité des Métiers de Marseille et de Provence-Alpes-Côte a réouvert ses portes d’Azur le lundi 18 Mai après 2 mois de
fermeture liée à l’épidémie du COVID-19. C’est notre volonté ainsi que celle de nos financeurs et partenaires, en particulier la
Ville de Marseille, d’accueillir des personnes n’ayant pas accès à internet chez elles afin qu’elles puissent se renseigner et
surtout postuler sur des offres d’emploi. On le sait : une grande partie du marché passe par ce biais !
Dans cette perspective, nous avons mis en place de nouvelles mesures pour protéger au mieux la santé des utilisateur.rice.s et
de nos salalrié.e.s : des horaires d’ouverture aménagées (10h – 13h), distanciation et marquage au sol, protection des bureaux
d’accueil, prise de température systématique de toutes les personnes, mise à disposition de gel hydro-alcoolique dans les
parties communes, port du masque obligatoire… Un ordinateur sur deux est mis en service, ce qui permet à 8 personnes au
maximum simultanément d’accéder au cyberespace, et les claviers et souris seront désinfectés après chaque utilisation.
Les permanences conseils, les ateliers et infos-métiers sont proposés à distance jusqu’à la fin du mois de mai au minimum. Une
agenda complet est disponible en ligne sur notre site web. Cette offre dématérialisée avait déjà été initiée dès début Avril
pendant le confinement. Elle a rencontré un vif succès !!
Des initiatives amenées
à perdurer dans les services
-Le télétravail : il est plébiscité par les
jobcoachs car il permet de « réduire les temps de transport », ou encore de «
travailler plus au calme pour se concentrer ». Cependant les limites de cette pratique
ont clairement émergé des échanges entre
jobcoachs qui insistent pour qu’elle soit combinée de façon équilibrée avec des
temps collectifs en présentiel favorisant l’émulation collective via les échanges
entre collègues.
-Le recours à de nouveaux outils de
communication interne :
• Les applications de communication
de groupe permettant à l’information
de circuler rapidement
• Les outils bureautiques partagés
offrant la possibilité de contribuer
simultanément et de suivre les
évolutions en temps réel ;
▪ Les « cafés des confinés » ou café
virtuel hebdomadaire : pour
maintenir du lien social et échanger
de façon plus informelle
• Les visio-conférences du début de
journée, équivalent numérique des
« réunions debout », consacrées aux
temps d’échange journaliers en
équipe. Elles permettent de rester
« dynamiques et mobilisés » de faire
face aux imprévus et de ne pas perdre
le fil dans des équipes œuvrant pour
la plupart en multi-référence.
3 http://workingfirst.fr
Newsletter Mai 2020
Les compétences du jobcoach Par Marie-Gaelle Marec, Psychologue clinicienne, Doctorante à L'Université de Paris Diderot
La période de confinement puis de déconfinement que nous vivons a
mobilisé une forte réflexion de la part des jobcoachs pour s’adapter
à ce nouveau contexte et pour innover dans leur pratique
d’accompagnement. Elle permet aussi le développement de
nouveaux outils qui élargiront encore la palette dont disposent les
jobcoachs pour soutenir au plus près les besoins et les projets
singuliers des personnes accompagnées. Cet élan illustre (à
nouveau) les processus d’ajustement dont relèvent cette pratique.
Parmi les grandes catégories des compétences et attitudes des
jobcoach1, certaines d’entre elles sont fortement mobilisées durant la
période de crise sanitaire actuelle.
Pour maintenir « la proximité avec le client » (outreach), les
jobcoach savent faire preuve de créativité et d’inventivité pour
réduire les barrières physiques les séparant des personnes
accompagnées, dans un contexte d’isolement imposé. De
nombreuses stratégies sont utilisées, notamment à l’aide d’outils
informatiques pour des entretiens vidéo par exemple, ou encore des
simulations d’entretiens d’embauche. L’apprentissage des
« stratégies de recherche d’emploi » est ainsi maintenu.
Pour la période de déconfinement, là aussi de nouvelles stratégies
sont développées pour aller à la rencontre des personnes. Les
jobcoach reprennent les entretiens en présentiel quand ils sont
possibles, pour les personnes prêtes à sortir de chez elle. Ils
proposent leurs services de soutien en dehors du bureau et des
domiciles. Certaines personnes pourraient vivre de manière intrusive
la visite de leur jobcoach à domicile, ou anxiogène (crainte de
contamination, etc.). On observe durant cette période une forte
augmentation des visites « dans le cadre naturel
communautaire », pratique encouragée quelque que soit le contexte
par la méthodologie IPS. Pour se faire, les jobcoach proposent, par
exemple, des rendez-vous sur des bancs publics, en ville, dans des
bibliothèques, dans des parcs ou en campagne (bords de rivières,
champs, etc.), plus généralement à l’endroit qui conviendra le mieux
et le plus adapté à chaque personne.
Ici encore, les jobcoach font preuve d’adaptabilité pour aménager les
rencontres avec les personnes accompagnées.
Deux autres catégories de compétences sont aussi particulièrement
mobilisées en cette période, « comportements sociaux et style de
vie sain » ainsi que « relations avec les professionnels de santé »1.
Pour les personnes qui le nécessitent, la plupart des jobcoach
soutiennent un « petit plan de rétablissement coronavirus ». Ils
peuvent alors se vêtir de différentes casquettes du coach sportif au
coach nutritionnel. De nouveaux espaces d’échanges virtuels entre
les personnes accompagnées d’un même dispositif ont pu aussi voir
le jour, permettant ainsi le partage d’expériences, de productions
artistiques ou culturelles. Les liens avec les professionnels de santé
et les services sociaux sont aussi renforcés pour prévenir ou
remédier à des débordements psychiques liés au contexte anxiogène.
Quand bien même l’activité économique a été ralentie par la crise,
les relations avec les entreprises n’ont pas été interrompues pour
autant.
Les jobcoach maintiennent leurs liens avec les managers et les
référents handicap des entreprises. Certains salariés sont davantage
disponibles pour répondre aux « enquêtes métiers ». Pour dynamiser
certaines personnes et pour les personnes introverties, cette nouvelle
configuration d’enquêtes métiers par vidéo peut aider la mise en
contact avec les entreprises.
Certaines expériences de bénévolat permettent aux personnes de se
réassurer en gagnant la conviction d’être capable de faire quelque
chose d’utile pour la société. Les personnes découvrent de nouvelles
compétences transférables à l’avenir pour leur recherche d’un
emploi compétitif (compétences de démarchage par exemple). De
nouvelles collaborations ont pu aussi voir le jour entre personnes
accompagnées d’un même dispositif, au service d’un projet
commun. Tout d’abord mises en relation par leurs jobcoach, elles
sont ensuite amenées à s’autonomiser pour la réussite de leur projet
commun.
Cette période est donc aussi propice au soutien d’autres projets que
la mise en emploi direct, à l’empowerment des personnes de
manière plus globale, philosophie de la méthodologie IPS. Avec
l’acquisition de nouvelles compétences transférables, on peut
l’espérer, ces expériences pourront porter leurs fruits pour leur
future (ré)insertion professionnelle.
1 En référence à l’échelle Behaviors, Attitudes and Knowledge of Employment Specialists (BAKES),
élaborée par Marc Corbière et ses collaborateurs (Corbière, Brouwers et al, 2014).
1 Ibid.
“Capacités d’innovation et
d’adaptabilité accrues dans
un contexte exceptionnel »
”
4 http://workingfirst.fr
Newsletter Mai 2020
LE LIEN AVEC LES ENTREPRISES, VERS UN CHANGEMENT DE REGARD SUR LA SANTÉ MENTALE ?
Si d’une manière générale, le lien avec les entreprises a pu être quelque peu distendu pendant la période, il n’en a pas moins perduré. Dans le nouveau contexte qui se présente, l’objectif général est d’identifier les besoins individuels de chaque employeur et d’adapter les interventions dédiées « au cas par cas ». Les échanges entre dispositifs ont fait apparaître que le contexte actuel pourrait porter certains changements notamment sur le regard porté sur la santé mentale et sur l’association du jobcoach aux métiers du « care ».
- Libérer la parole sur la santé mentale en entreprise et ainsi réduire les freins
psychologiques au recrutement des personnes en situation de handicap ?
Tandis qu’une étude d’Opinion Way montre que 44 % des salariés connaîtraient une situation de détresse psychologique pendant le confinement, une autre menée par QAPA fin mars indique que 57 % se montraient favorables à un accompagnement psychologique par la suite. Les remontées de terrain semblent confirmer ces chiffres, puisque nombreux sont les témoignages d’employeurs exprimant leurs difficultés et leurs besoins d’écoute auprès des jobcoachs. « Ils sont impactés par ce qui s’est passé, les nouvelles façons de travailler, le lien parfois perdu avec leurs salariés, la remise en cause de leur management, la nouvelle organisation de leur vie personnelle ».
Ainsi, le confinement pourrait contribuer à déstigmatiser les troubles psychiques, la question de la santé mentale se retrouvant à nouveau sur le devant de la scène, deux ans après la proposition de loi sur l’épuisement professionnel à l’Assemblée nationale. « Enfermés chez soi », la question du bien-être psychique devient en effet centrale. Les jobcoachs relèvent qu’auparavant devant l’affirmation « on est tous concernés par la santé mentale » il y avait un « oui dans l’absolu ». A la sortie du confinement, il semble y avoir une « prise de conscience générale », « les troubles psychiques, ca peut concerner tout le monde, cela peut être temporaire ». Cette « expérience commune » permettrait d’apporter plus de compréhension et d’empathie envers les personnes concernées. Cette période peut être donc propice à délier la parole en entreprise avec les salariés en proposant d’intervenir sur ces sujets via des questionnaires d’évaluation, des sensibilisations auprès des managers et des équipes et pourrait réduire les freins psychologiques liés au recrutement de personnes en situation de handicap psychique.
- La valorisation du métier du jobcoaching associé aux métiers du « care »
Par ailleurs La crise due au coronavirus a mis en lumière les activités du soin et du service à l’autre Au-delà du rituel fédérateur de 20 h, tous ces métiers font l’objet d’une reconnaissance accrue. Dans le regard de certains employeurs, le métier de jobcoaching peut être désormais associé au métier de soignant et semble bénéficier de leur nouvelle aura. « Nous avons été applaudi comme des soignants » témoignent certaines structures, « On nous a demandé des conseils sur certaines mesures sanitaires prises en entreprise ».
Des stratégies variables et progressives
pour créer, développer, consolider
le lien avec les employeurs
- Envoyer des questionnaires aux
entreprises du réseau afin de
connaitre l’état de l’activité et des
besoins ;
- Organiser des petits-déjeuners à
distance sur des sujets précis, ayant
pour objectif de « rendre service » aux
entreprises : par exemple informer
sur les aides exceptionnelles données
par le FIPH ou l’Agefiph ;
- Organiser des « Trio Day » dans
l’esprit des Duo Day pilotés par le
Secrétariat d’Etat en charge des
Personnes handicapées. Il s’agit ainsi
de développer de nouvelles synergies
entre personnes accompagnées,
structures et entreprises ;
- Proposer des webinaires sur des
questions des risques psychosociaux,
de santé mentale au travail etc.
5 http://workingfirst.fr
Newsletter Mai 2020
Comment le confinement a-t-il impacté votre activité ?
Concernant la vente directe, les marchés ont été annulés, les saisonniers
marocains que nous recrutons habituellement n’ont plus pu se déplacer en France, un de mes salariés s’est mis en arrêt de travail.
Comment vous êtes-vous organisé ?
Face à cette pénurie de main d’œuvre, nous avons fait appel au Pole
emploi mais les profils ne correspondaient pas à nos besoins. Heureusement, nous avons pu compter sur de nombreux bénévoles, qui
ont été mobilisés par l’intermédiaire des AMAPS. La SAPUMM nous a
également soutenu dans nos recherches de salariés. Nous avons réorganisé la distribution de nos produits : les clients des marchés nous ont contactés
et sont venus directement sur nos points de distribution. Notre production s’est vendue principalement sous forme de paniers via les AMAPS mais
aussi dans des magasins de producteurs qui se sont chargés d’assurer la livraison des paniers. Nous avons ainsi dû changer nos modes de
distribution afin de respecter les règles sanitaires. Ainsi, les « amapiens »
n’ont plus pu se servir directement, nous avons dû nous procurer des gants et des masques pour servir les personnes, mettre en place des plages
horaire pour récupérer les paniers, afin d’éviter que les personnes soient trop nombreuses. Nous avons donné nos invendus à des associations.
Quel regard portez-vous sur la sortie du confinement ?
Nous espérons que le « retour à la normale » nous permettra de retrouver
du personnel qualifié. Nous avons fait appel à une entreprise pour recruter de la main d’œuvre espagnole.
Pendant le confinement, nous avons tout fait pour maintenir notre activité
afin que les personnes puissent avoir de beaux fruits et légumes de saison dans leurs assiettes, nous espérons que les clients continueront à acheter
local et à se servir chez nous.
ZOOM SUR LE MARCHÉ DE L’EMPLOI
Les intentions d’embauche recensées par Pôle Emploi qui s’annonçaient des plus prometteuses pour l’année 2020 sont aujourd’hui largement revues à la baisse du fait d’un ralentissement de l’activité économique évalué par l’INSEE à 33 % par semaine pendant la durée du confinement. De plus, le nombre de salariés au chômage partiel au 11 mai (12 millions de personnes), comme les prospectives de la Banque de France, montrent que la reprise se fait de façon progressive et qu’un retour « à la normale » ne serait envisageable que pour le mois de juillet.
De prime abord, la période actuelle ne semble donc guère propice à l’accès à l’emploi pour les personnes accompagnées par les dispositifs de jobcoaching, notamment sur des secteurs traditionnellement dynamiques comme l’hôtellerie-restauration qui restent dans la plus grande incertitude, ou le BTP très affecté par la baisse de la commande publique due au report des élections municipales et les nouvelles règles sanitaires. Pourtant, une analyse sectorielle de la situation permet d’identifier certaines branches potentiellement pourvoyeuses d’opportunités.
C’est d’abord le cas des activités faiblement impactées, voire stimulées par la crise qui poursuivent leurs recrutements. Il s’agit notamment des services aux entreprises, telle la comptabilité, les services d’information, la programmation, l’ingénierie ou le conseil, dont les acteurs peuvent fonctionner en télétravail. On songe également aux métiers de la propreté et de l’hygiène qui ont un rôle majeur à jouer dans la réouverture des lieux de travail et dont l’activité est susceptible de s’accroître, nouvelles contraintes sanitaires obligent. (suite page 5)
Interview de Bruno Knipping,
Earl Knipping et Fils
Entreprise familiale, maraicher bio en
vente directe sur 8 hectares plein champs et
abri froid à Aubagne
6 http://workingfirst.fr
Newsletter Mai 2020
ZOOM SUR LE MARCHÉ DE L’EMPLOI (SUITE)
Par ailleurs, les services à la personne (voir interview ci-contre), dont la nécessité est apparue aux yeux de tous, devraient poursuivre leurs campagnes de recrutement. De même, la circulation des personnes restant limitée, le secteur agricole se trouve dépourvu de sa traditionnelle main d’œuvre saisonnière étrangère et devrait donc être amené à recruter local (voir interview ci-dessus). De son côté, le secteur logistique devrait continuer à recruter au vu du boom connu par les achats en ligne et la livraison à domicile et au dernier kilomètre. Ainsi, ce type de missions devrait perdurer dans un contexte où le commerce de détail risque d’être fortement impacté.
En s’engageant sur les tortueux chemins de la prospective économique, on peut également envisager certains secteurs « porteurs », à moyen terme. Ainsi, le manque de trésorerie qui risque d’affecter le petit commerce non alimentaire et la restauration pourrait entraîner une concentration des activités concernées sur les chaînes de groupes d’envergure à trésorerie plus solide. Or, ce sont les principaux pourvoyeurs d’emploi des travailleurs handicapés qui pourraient donc bénéficier de ce phénomène.
Certaines initiatives politiques, engagées à la faveur de la crise, pourraient également être porteuses d’espoir. En effet, les régions Grand-Est et Occitanie ont choisi de lancer des « Pacte de relocalisation ». Par ce biais, elles encouragent les entreprises à rapatrier leurs unités de production avec, en point de mire, la sécurisation des chaînes de valeurs et la stimulation du marché de l’emploi industriel, notamment dans les secteurs pharmaceutiques et agro-alimentaires. Aux niveau national et européen, les plans de relance qui sont annoncés pourraient favoriser des secteurs à forte utilité sociale et environnementale dans le cadre du Green deal européen ou de la loi française relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Lagec). C’est par exemple le cas du marché du réemploi et de la réparation dont les acteurs estiment le potentiel de création d’emplois, à 600 000 postes en 3 ans.
Interview de Mme Bordas,
Directrice départementale 13 –
O2 Care Services
Comment vos services ont-ils vécu cette période de confinement ?
Nous avons poursuivi notre activité, avec une baisse au niveau des gardes d’enfants en périscolaires en lien avec la fermeture des écoles bien
que nous ayons mis en place pour les familles, un relais à domicile afin
d’apporter notre aide aux parents en télétravail. Notre service d’entretien du domicile a été également moins sollicité, nous avons concentré notre
activité sur les publics fragiles et dépendants pour lesquels la demande
était forte.
Avez-vous reçu du soutien des autorités pour assurer la poursuite de vos activités ?
Le Conseil Départemental des Bouches du Rhône a été très présent à nos côtés. D’une part, il nous a fournis en matériel de protection, ce qui nous
a permis de compléter nos propres achats et d’être en mesure d’assurer
une continuité de nos services dans le respect des règles d’hygiène et de sécurité. D’autre part, nous avons bénéficié d’informations régulières,
nous permettant d’avoir plus de repères dans les démarches administratives permettant une meilleure organisation sur nos
interventions.
Que change le contexte sanitaire à votre activité ?
Nous avons ajusté et mis en place de nouveaux process que ce soit au
niveau de l’application des gestes barrières, des techniques de désinfection mais aussi de l’organisation du travail. Nous priorisons nos
interventions afin de limiter les contacts des salariés qui interviennent auprès de public fragile. L’accueil dans les agences se fait prioritairement
sur rendez-vous et le nombre de personnes accueillis est limités. Nous
avons également adapté notre offre afin d’aller encore plus loin dans la personnalisation de nos services pour les ajuster à la disparité des
situations familiales et professionnelles engendrée par le contexte.
La revalorisation des métiers du soin a beaucoup été évoquée, ressentez-vous déjà
un impact de ces constats ?
Nos métiers ont une grande valeur et sont essentiels, cependant à date
nous ne percevons pas les retombées de ce phénomène.
Enfin, qu’en est-il de votre politique de recrutement dans ce contexte particulier ?
Nous n’avons effectué que très peu d’embauche pendant la période de
confinement, les absences de nos salariés, ont été compensés par la baisse de notre activité. Avec la reprise totale de notre activité et
l’accroissement des demandes, nous allons avoir rapidement de nouveaux besoins. De fait, nous reprenons de manière plus régulière nos
sessions recrutement en nous adaptant à la situation, dans le respect des
gestes barrières.
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Newsletter Mai 2020
Le Regard de Jean Naudin
Professeur de psychiatrie, enseignant chercheur, docteur en philosophie
LE TEMPS SUSPENDU
Le 15 mars 2020, l’annonce du confinement a imposé à tous une forme radicale de doute, que beaucoup d’entre nous n’ont pas immédiatement acceptée. Entre le 15 et le 16 mars, certains s’obstinent à faire la fête, comme si c’était pour la dernière fois, d’autres depuis plus d’un mois sont déjà inquiets, beaucoup sont sidérés, ils obtempèrent. Face à la peur, la question de ce qu’il est
normal de faire, ou pas, se pose à tous sans exception. Nous vivons désormais un état d’exception, marqué par la suspension du temps présent, une sorte de doute radical. Beaucoup de journaux titrent « le temps suspendu », mais il est bien loin de nous le lac de Lamartine (souvenons-nous… O temps suspends ton vol), nous sommes devenus un peuple pragmatique où des économistes, fussent-ils de la santé, et des psychologues, fussent-ils du travail, des directeurs des ressources humaines osent nous parler du temps vécu. Ceux qui croyaient pouvoir prévoir et administrer l’hôpital et les lieux du commerce et du travail suivant des règles financières se révèlent aux yeux de tous avoir confondu les lois de la nature (celles qui font de chacun de nous des corps vivants et de petites unités autonomes) et les lois du marché, pour certains sans jamais tenir compte de la subjectivité et du monde vivant. Il y aura pourtant avec le COVID un monde d’avant et un monde d’après.
Le temps suspendu est le temps du monde, du commerce et du travail. Toutes nos activités : entre parenthèses, nos visages : masqués, nos liens : interrompus, abandonnés : nos projets de voyage, notre corps : absent de nos échanges qui se font désormais sans caresse, sans bises ni café commun, sans toucher, sans sourire, sans vivre ensemble, manger et boire. Comment peut-on encore accompagner, s’accompagner mutuellement si l’on ne peut plus partager le pain et les vivres, ce qui nous apparait en disparaissant avoir été un véritable banquet ? Beaucoup de gens attachés au vivant, à l’humain dans l’homme, s’organisent, spontanément, et beaucoup s’entraident. Le monde nous apparait dans le paradoxe de son retrait momentané comme un tissu vivant, dont nous espérons sauver la continuité en nous réunissant sur le réseau, en inventant au-delà des gestes-barrière des procédures et des dispositifs, ce qui peut se faire virtuellement et artisanalement. Chacun se jette sur les espaces virtuels et y passe tout le temps qu’il aurait passé au travail ou aux échanges dans la rue. Chacun revient quand il le peut et comme il peut à son savoir-faire artisan. Si la direction de la santé n’a pas pensé pour nous à conserver et entretenir un stock de masques nous les faisons nous-mêmes en tissu. Nous apprenons à le faire en suivant des tutoriaux sur internet, à fabriquer du gel, à nous organiser pour distribuer des vivres, des livres ou de la nourriture, ce qu’ont compris quelques directeurs dans l’administration pour laquelle je travaille, l’APHM, qui s’est sincèrement immédiatement mobilisée pour les plus démunis et les sans domicile
Cela, le sens même de la générosité qui est à la racine de l’accompagnement, beaucoup d’entreprises l’ont compris qui, quand elles ne donnent pas aux associations d’entraide encore actives et ouvertes sur le terrain, donnent aux services hospitaliers de quoi améliorer le quotidien. Il y a à l’hôpital pour les soignants chaque jour des arrivages, parfois heureusement surprenants, de barres chocolatées, de cacahouètes et de raisins secs, de boissons, de crèmes pour les mains et les pieds, des parfums de couturiers.
Curieusement alors que l’anxiété est générale, le monde psychiatrique, peu contaminé et qui a eu le temps de se préparer et d’organiser sa collaboration avec les services de médecine somatique, ne prend conscience de sa gravité qu’avec un peu de retard. C’est seulement fin mars que l’on commence à dire que le virus est cause d’anxiété, à signaler dans les journaux
médicaux l’existence de formes graves où se perçoit et se communique directement une anxiété massive, qui accompagne la détresse respiratoire et peut être liée à une encéphalite. C’est aussi fin mars que l’on mesure les effets dévastateurs du virus sur l’état de santé des personnes âgées. Début avril que l’on constate avec effroi la mortalité dans les EHPAD, et l’abandon dans lequel étaient laissées la plupart des personnes qui y résident. On y meurt seul. Plus de visites autorisées, plus d’obsèques solennelles. Si l’on parle déjà beaucoup des mérites des soignants, que l’on applaudit chaque soir à vingt heures, on n’a pas encore vraiment perçu toute l’anxiété et le désarroi que déclenchent la maladie et la solitude que les soignants partagent avec les malades en partageant avec eux leur temps vécu. On parle partout du télétravail, du chômage partiel, des licenciements et des faillites probables. On fait des consultations télévisées. Parler sans que soient présents (en dehors du timbre et des fluctuations de la voix) les corps vivants des personnes est épuisant. Pour beaucoup, soignants, soignés, travailleurs, personnes sans emploi, malades sans soins (car une immensité de gens ne peuvent plus être soignés comme ils le sont d’habitude), personnes sans domicile ni papiers, tous ceux qui se sentent précaires, sensibles à l’abandon (qui ne l’est pas ?), le moral chute et le temps se distends, dans un même jour tantôt qui se contracte et ralentit, tantôt qui se dilate et s’accélère. L’anxiété entretient un souci permanent, pour tout, la santé, le travail, l’argent, la famille, pour tous, pour le monde dans sa globalité, l’anxiété généralisée et les attaques de panique sont légion, l’écologie avait déjà le vent en poupe, il est temps de la mettre en pratique. L’humeur est profondément liée au vécu de l’espace et du temps. Des troubles de l’humeur, parfois chez des personnes jusque-là indemnes, se déclenchent. Il y a des tentatives de suicide comme lors du Krach en 1929. Le monde pour certains s’écroule tandis que d’autres apprennent à le préserver ou paradoxalement le retrouvent. La croissance, sur le plan économique, s’arrête net. Le confinement convient à certains qui déjà depuis longtemps se sentaient confinés, socialement en repli et volontairement enfermés dans leurs
carapaces, ou bien déjà laissés pour compte, en burnout. Une décélération est en cours, comme si le virus prenait le sens d’une vengeance de la nature sur un monde économique qui depuis longtemps nous l’a faite abandonner, épuiser, mépriser et abîmer sans retour. Tous les phénomènes que je viens d’énoncer sont entrelacés, ils apparaissent en se déployant comme ayant été déjà liés les uns aux autres dans le monde d’avant et ce sont ces liens qui nous paraissent avoir été vivants et devoir être repris dans le monde d’après. (suite page 8)
« Ce que le confinement nous aura appris en
perturbant notre espace, notre temps et notre
humeur : que seul le vivant compte. Life First. »
« soignez-vous d’abord pour devenir comme
les autres et on verra bien si vous êtes prêts à ce qu’on vous aide », privilégier le vivant
dans la vie, qui suppose qu’on le prenne suffisamment au sérieux pour que ses
besoins soient remplis avant même de
rétablir la norme. Merci aux entreprises, aux coachs, aux travailleurs sociaux, aux soignés
et aux soignants qui en ont fait le pari. Ce que le confinement nous aura appris en
perturbant notre espace, notre temps et notre humeur : que seul le vivant compte.
Life First.
Veillons à ne garder que le vivant. Le confinement effectif dans l’espace de nos maisons et le temps de nos névroses apparait au grand jour. Nous
voulons d’un monde différent, plus respectueux des êtres vivants et de la
terre, des animaux qu’il vaudrait mieux renoncer à manger si c’est la seule culture qui nous y pousse comme on le fait des ragondins et des
chauvesouris. Le temps du confinement nous impose une réflexion profondément philosophique quant à la signification passée et à venir de
notre monde et à l’authenticité des liens qu’il avait créés et crée encore entre les gens. Il nous pose aussi question quant à ce que les hommes appellent la
nature. Le monde, celui du paysage, à l’ère de la décélération, revit. Le ciel
est plus bleu, plus transparent, plus belles les couleurs et les parfums, plus beaux les nuages, les fleurs et les animaux s’approprient les rues désertes des
villes. On voyait à Paris près de la rue de Rivoli passer des canards en famille. J’ai vu à Marseille des perruches et des mouettes se baigner
ensemble avec délectation dans la piscine des grands hôtels déserts du Vieux-Port. La nature reprend ses droits et les humains doivent faire comme
elle, reprendre leurs droits pour refuser l’aliénation aux objets que
l’accélération du monde nous impose. Ce qui fait la dimension humaine et
vivante de l’habitat et du travail, les bâtisseurs de projets associatifs comme
Housing ou Working First en avaient compris l’urgence avant l’heure, urgence qui doit faire démarrer et progresser ensemble le temps de
l’accompagnement (social, soignant), le temps du logement et le temps du
travail. Plutôt que de privilégier la norme des vieilles années, qui dit
Cette Newsletter a été réalisée avec la contribution des structures suivantes
Professeur Jean Naudin
Newsletter Mai 2020