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LA NEWSLETTER dc La lettre d’information de la l d cà Tanger n° 9 – mars 2014 Paraît chaque mois & www.librairie-des-colonnes.com & la sélection de livres du mois Littérature, essais… Alaa El Aswany, Roberto Arlt, Assia Belhabib… Édito Quand le printemps revient... Il est des printemps qui tardent à venir. Ici, à Tanger, le soleil revient alors que nous bouclons à peine le prochain numéro de Nejma, la revue de la librairie, consacré cette fois à Ahmed Bouanani… et qui a un peu retardé la rédac- tion de notre newsletter de mars. Il est également des printemps dont on ne sait comment ils vont se terminer, ni quelle forme ils peuvent prendre. C’est de ceux-ci qu’il sera grandement question dans ces pages. C’est le rôle des intellectuels au Maroc, notamment depuis 2011, qui est interrogé d’abord et l’un d’entre eux, Ali Benmakhlouf, a bien voulu répondre à notre question- naire sur la lecture. C’est aussi l’Égypte qui est scrutée ici, à travers deux livres : le nouveau roman d’Alaa el Aswany et un livre de photographie, signé Denis Dailleux, hommage aux martyrs de la révolution… « Le printemps aura toujours le même hiver à vaincre », disait le philosophe Alain. P. 2 Coup de cœur L E MÉTIER DINTELLECTUEL DIALOGUES AVEC QUINZE PENSEURS DU MAROC P OUR EN FINIR AVEC E DDY B ELLEGUEULE D éDOUARD LOUIS Premières lignes P. 7 É GYPTE . L ES MARTYRS DE LA RÉVOLUTION DE DENIS DAILLEUX Photographie P. 3 Quel lecteur êtes-vous ? E NTRETIEN AVEC ALI BENMAKHLOUF P. 4

Newsletter n°9 mars 2014

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Neuvième numéro de la Newsletter de la Librairie des Colonnes à Tanger.

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Page 1: Newsletter n°9 mars 2014

l a n e w s l e t t e r dcLa lettre d’information de la l d c à Tanger

n° 9 – mars 2014

Paraît chaque mois

&www.librairie-des-colonnes.com

& la sélection de livres du mois Littérature, essais…

Alaa El Aswany, Roberto Arlt, Assia Belhabib…

Édito

Quand le printemps revient...Il est des printemps qui tardent à venir. Ici, à Tanger, le soleil revient alors que nous bouclons à peine le prochain numéro de Nejma, la revue de la librairie, consacré cette fois à Ahmed Bouanani… et qui a un peu retardé la rédac-tion de notre newsletter de mars.Il est également des printemps dont on ne sait comment ils vont se terminer, ni quelle forme ils peuvent prendre. C’est de ceux-ci qu’il sera grandement question dans ces pages. C’est le rôle des intellectuels au Maroc, notamment depuis 2011, qui est interrogé d’abord et l’un d’entre eux, Ali Benmakhlouf, a bien voulu répondre à notre question-naire sur la lecture. C’est aussi l’Égypte qui est scrutée ici, à travers deux livres : le nouveau roman d’Alaa el Aswany et un livre de photographie, signé Denis Dailleux, hommage aux martyrs de la révolution… « Le printemps aura toujours le même hiver à vaincre », disait le philosophe Alain.

P.2Coup de cœur

le Métier d’intellectuelDialogues avec quinze penseurs Du Maroc

Pour en finir avec eddy Bellegueule

D’édouard louis

Premières l ignes

P.7

égyPte. les Martyrs de la révolution

De denis dailleux

Photographie

P.3

Quel lecteur êtes-vous ?entretien avec

ali BenMaKHlouF P.4

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Dr i s s Ks i K e s e t Fa D M a aï t Mo u s o n t r a s s e M B l é D a n s l e M ê M e vo lu M e D e s e n t r e t i e n s av e c qu i n z e D e s p lu s g r a n D s pe n s e u r s M a ro c a i n s. cH ac u n à s a M a n i è r e, i l s l i v r e n t D e s c l é s pe r M e t ta n t D e co M p r e n D r e l e p r é s e n t, e t pe u t-ê t r e D’ag i r s u r l’av e n i r. un l i v r e é v é n e M e n t.

Voix lumineusesL’Université citoyenne, portée par HEM (Institut des Hautes Études de Management), vise depuis 18 ans à « enrichir l’esprit d’ouverture, à développer la culture de pluralité, de débat et de citoyenneté active ». Le Métier d’intellectuel, premier livre de la maison d’édition née dans son sillage, participe de la même ambition, du même désir d’établir des ponts entre la recherche et le grand public, de la même volnté de porter une parole neuve et informée dans la cité. Composé de quinze entretiens il offre un panorama de la connaissance contemporaine engagée dans les débats du moment.

La plupart des quinze hommes et femmes interrogés par Driss Ksikes et Fadma Aït Mous sont inconnus du grand public. Ils comptent pourtant parmi les plus grands intellectuels du Maroc contemporain et, à travers les portraits de chacun des intervenants, les analyses fournies, c’est tout un pan de l’histoire du Maroc qui se trouve éclairé d’un jour nouveau. Mais le propos du livre va bien au-delà, et lire aujourd’hui ces entretiens, réalisés entre 2011 et 2014, permet sans nul doute de participer plus activement à l’intelligence de la situation actuelle.

C’est dans les temps troubles que le besoin de repères intellectuels se fait le plus sentir et que la défiance envers ceux qui pourraient apporter des pistes de réflexion pertinentes est la plus forte. C’est à point nommé donc que paraît cet ouvrage ouvrant lui-même sur tout un ensemble de nouvelles lectures, et peut-être sur des actions sur la société elle-même.

le M é t i e r d’i n t e l l e c t u e lDe D. KsiKes

& F. aït Mous

Coup de cœur

page 2

+R Certains des entretiens publiés dans ce livre ont d’abord paru dans Economia, « plateforme du CESEM », comme ceux avec Mohamed Chafik, Abdellah Laroui ou Ali Benmakhlouf, toujours disponibles en ligne.

Fadma aït mous & driss KsiKes (d ir.),

LE MétiEr d’intELLECtuEL, En toutes let tres,

380 pages, 95 dh.

Au sommaire : Mohamed Chafik (« Un chantre de la diversité »), abdellah laroui (« Sub-jectivités d’un rationaliste »), Fatéma Mernissi (« Rêves d’un islam cosmique »), abdelfattah Kilito (« Les mille et une langues de l’écrivain »), abdessalam Benabdelali (« Bribes de mytho-logies «), ali Benmakhlouf (« Au chevet de la cité »), Halima Ferhat (« Les Lumières du Moyen Âge maghrébin »), abdelahad sebti (« Historien du temps présent »), Mohammed ennaji (« Dans les arcanes de la servitude »), Mohamed Tozy (« Compagnonnage et relève en sciences sociales «), rahma Bourqia (« L’éthique d’une professeure citoyenne »), Hassan rachik (« La juste distance de l’anthropologue »), abdelhay Moudden (« Un politologue esthète »), abdel-lah saaf (« L’informel et le stratégique »), driss Khrouz (« Éloge de la culture »).

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égyPte, les Martyrs de la révolutionD e denis dailleux

Photographie

page 3

denis dai l leux (photogra-ph ies), abdellah taïa &

mahmoud Farag (textes), égyptE, LEs MArtyrs dE LA révoLution, postface d’Amnesty

international, Le Bec en l’air,

140 pages, 350 dh.

Fi n j a n v i e r 2011, u n e r é vo lu t i o n é c l at e e n ég y p t e. la p o l i c e e t l e s pa r-t i s a n s a r M é s D u p r é s i D e n t Mo u B a r a K F o n t u n M i l l i e r D e M o rts. il s D e-v i e n n e n t l e s M a rt y r s D e c e s o u l è v e M e n t s a n s p r é c é D e n t D o n t l e p H oto-g r a p H e De n i s Da i l l e u x H o n o r e au j o u r D’H u i l a M é M o i r e.

Au cœur de l’HistoireChaque fois trois photos : un quartier du Caire, des parents face à l’objec-tif et une image du disparu, accrochée à un mur du logement familial, posée sur un petit guéridon ou imprimée sur une tasse.Cette image du quartier que nous voyons d’abord, c’est celle que voyait la victime depuis sa fenêtre…

Chaque fois, le tryptique est accompagné d’un texte, d’une grande sobriété, expliquant ce qui s’est passé, qui était celui ou celle qui est tombé(e) alors que le tyran était renversé.

Denis Dailleux vit au Caire depuis plusieurs années et photographie depuis longtemps cette capitale fourmillante et agitée. C’est cependant la première fois qu’il s’attaque à un projet aussi politique, bouleversé par une révolution dont il a été un témoin privilégié. Assisté de Mahmoud Farag, vidéaste égyptien, il a entrepris de rencontrer des familles de « mar-tyrs », comme le peuple égyptien les appelle lui-même. Il est entré dans ces intérieurs modestes, a écouté le récit de la tragédie qui s’est abattue sur la famille.

Il donne ainsi à voir une vision intime de ce grand bouleversement collectif, l’Égypte telle qu’on l’a rarement vue. Trois ans après ces événe-ments retentissants les plaies sont encore vives et ce travail vient rendre un nouvel hommage à des hommes, et deux jeunes femmes, tous morts le 28 janvier 2011, dans leur quartier, en plein basculement de l’histoire du pays.

▲ Lamai et Samira, coptes, vivant dans le quar t ier de Zaouïa alHamra ont perdu leur f i ls Guirguis, âgé de 30 ans.

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Ali Benkhlouf est sans doute un des philosophes marocains contemporains les plus connus et dont le rayonnement international est le plus important. Spécialiste dans des domaines où bien peu d’entre nous s’aventurent : la philo-sophie de la science, du langage et de la connaissance ou bien la logique, il n’est cependant pas de ceux qui, reclus, vivent satisfaits dans le ciel des Idées. Passeur autant que penseur, c’est un enthousiaste, pleinement impliqué dans les débats de notre temps.

Une grande partie de son œuvre a, de ce fait, été consacrée à faire découvrir ou à rendre accessible à un public plus large que ses seuls pairs des philosophes importants, et souvent difficiles : Bertrand Russell, Gottlob Frege, Averroès ou Montaigne.

Passeur, il est encore lorsqu’il fait dialoguer Ibn Khaldoun et Michel Foucault, le Moyen Âge et notre époque contemporaine, le monde arabe et l’Occident (Ibn Khaldun Michel Foucault : le cas, l’exemple, le modèle, Le Fennec, 2010). Également lorsqu’il traduit en français (en collaboration avec Stéphane Diebler) le Commentaire moyen sur le De Interpretatione d’Aristote d’Averroès (Librairie philosophique J. Vrin, 2000).

Au-delà de ces travaux universitaire, Ali Benmakhlouf s’impliquent également dans les questions qui tra-vaillent nos sociétés, aussi bien en France où il enseigne, qu’au Maroc où il vient régulièrement, notamment pour son cycle annuel de conférences à la Villa des arts de Casablanca, institué en 2006 et cette année consacré à l’His-toire ; façon encore d’aller au débat, de faire parvenir la philosophie à la citoyenneté.Il faudrait dire aussi, sans doute, qu’Ali Benmakhlouf est expert auprès de l’Unesco pour mener le dialogue entre les mondes asiatique et arabe depuis 2004, correspondant de la convention entre le Collège international de philosophie et la Fondation du roi Abdulaziz al-Saoud de Casablanca… mais, on l’aura suffisamment compris, travailleur infatigable, il est surtout de ceux qui aiment aller à la rencontre du monde et du public, cherchant à faire partager un activité de pensée plus que jamais nécessaire, un homme d’engagements en somme.

al iBenMaKHlouF

Quel lecteur êtes-vous ?

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Un(e) auteur(e) nous parle de la façon dont il, ou elle, lit, des ouvrages qui ont marqué sa vie et peut-être scellé une vocation. Ali Benmakhlouf, philosophe, a bien voulu répondre ce mois-ci à notre petit questionnaire.

Enfant ou adolescent, quel est le premier livre qui vous a marqué ?

ali Benmakhlouf : L’Homme qui rit de Victor Hugo. Quelles sont les œuvres qui vous ont poussé à devenir écrivain ?

Gilles Deleuze, Différence et répétition, Gottlob Frege, Sens et dénotation, Bertrand Russell, Problèmes de philosophie, Averroès, Le Discours décisif.

Quel est votre livre préféré ?

Celui que je relis dès que j’ai terminé de le lire : Mon-taigne, Les Essais.

Y a t-il des auteur-e-s qui vous accompagnent lorsque vous écrivez ?

Montaigne, Russell, Averroès, Wittgenstein.

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Un livre incontournable pour vous.

Les Essais, de Montaigne.

Quel grand classique n’avez-vous jamais fini ?

Cervantes, Don Quichotte. Que lisez-vous en ce moment ?

La correspondance de Flaubert, les années 1871 (la Commune et la guerre entre la France et l’Allemagne).

al

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Quel lecteur êtes-vo

us ?

BiBLiogrAPhie sÉLeCTive

Bertrand russell : l’Atomisme logique, PUF, « Phiosophie », 1996.

gottlob Frege : logicien philsophe, PUF, « Phiosophie », 1997.

vocabulaire de Frege, ellipses, 2001.

Averroès, Belles-Lettres, « Figures du savoir », 2003.

russell, Belles-Lettres, « Figures du savoir », 2004.

Al Farabi, Bagdad au xe siècle, introduction et notes d’Ali Ben-makhlouf, seuil, « Points », 2007.

Montaigne, Belles-Lettres, « Figures du savoir », 2008.

Ali Benmakhlouf (dir.), pauvreté et richesse. perspectives historiques et philosophiques, Le Fennec, 2010.

C’est de l’art, DK éditions, 2011.

droit de savoir & désir de connaître, DK éditions, 2012.

voix philosophiques, DK éditions, 2012.

vous reprendrez bien un peu de philosophie, DK éditions, 2011.

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alaa el aswany, AutoMoBiLE CLuB

d’égyptE,Actes Sud,

544 pages, 196 dh.

au to M o B i l e clu B d’ég y P t e D’alaa el aswany

Lit térature

page 6

au to M o B i l e clu B d’ég y P t e n o u s Fa i t r e t ro u v e r l e ta l e n t D e p o rt r a i t i s t e D u p lu s c é l è B r e e t D u p lu s lu D e s au t e u r s é g y p t i e n s co n t e M p o r a i n s. un ro M a n c H o r a l D a n s l e qu e l, co M M e D a n s to u s l e s l i v r e s D’el as wa n y, p l a i-s i r D e r aco n t e r e t r é F l e x i o n s o c i a l e o u p o l i t i qu e s o n t i n t i M e M e n t M ê l é s.

Nous sommes en Égypte, au Caire, à la fin des années 1940. L’Automobile Club existe depuis une vingtaine d’années. C’est le lieu de rendez-vous de l’élite. Diplomates, colons anglais et aristocrates locaux se retrouvent dans ce lieu quelque peu hors du monde. Le roi Farouk lui-même vient de temps à autre. C’est cet endroit et cette époque, qu’Alaa El Aswany a choisi de nous raconter dans ce nouveau roman qui, s’il semble délaisser le présent, n’en est pas moins un livre invitant à la réflexion sur l’Égypte contemporaine. À travers une galerie de portraits dont il est devenu un des maîtres incon-testés, il nous fait voir maîtres et serviteurs, oppresseurs et opprimés se côtoyant et formant une longue chaîne de domination et de soumission.Suivant les parcours constrastés de plusieurs protagonistes, enfants d’un domestique de l’Automobile Club, on découvre alors un monde finissant mais conservant encore toute son arrogance et la misère d’un peuple qui peu à peu s’éveille au nationalisme. La colère gronde et Nasser n’est pas très loin de renverser la monarchie. L’équilibre incertain qui s’est instauré dans ce club fermé vacille déjà et Alaa El Aswany réussit comme il l’avait déjà fait magistralement dans l’Immeuble Yacoubian, à créer une grande fresque populaire et engagée. « Il y a deux genres de romans, disait l’auteur dans une interview, les romans morts et les romans vivants. » Vous devine-rez sans mal de quelle espèce est celui-ci.

+R un entretien en vidéo avec Alaa El Aswany (8 min environ) à propos de L’Automoblie club d’Égypte a été mise en ligne par son éditeur, Actes Sud.R Également mis en ligne par Actes Sud, des lectures, en français et en arabe, d’extraits du livre.

« Ma femme comprit que j’avais besoin de solitude. Je lui laissai la grande voiture et le chauffeur pour ses déplacements avec les enfants et je partis au volant de la petite voiture jusqu’à la villa que nous pos-sédons sur la côte nord. Pendant trois heures, je fus seul avec mes pensées et la voix d’Oum Kalsoum que diffusait le lecteur de CD. Avant de passer le portail du village, le garde de sécurité vérifia minutieu-sement mes papiers. Pendant l’hiver, l’Administration double les mesures de précaution pour éviter les vols. La fraîcheur revigorante de l’air de la mer me cingla. Le village, complètement vide, ressemblait à une cité enchantée abandonnée par ses habitants. Les villas étaient fermées et dans les rues il n’y avait d’autre présence que celle des réverbères. » [Extrait] ► Continuer la lecture des premières pages

Égypte, à l ’aube d’une autre révolution

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page 7

Premières l ignes

Pour en finir avec eddy BellegueuleD’édouard louis

Un livre nouveau se découvre, chaque mois, à travers ses premières lignes. Ce mois-ci, c’est un premier roman, d’Édouard Louis, pour en finir avec Eddy Bellegueule.

Rencontre

De mon enfance je n’ai aucun souvenir heureux. Je ne veux pas dire que jamais, durant ces années, je n’ai éprouvé de sentiment de bonheur ou de joie. Simplement la souffrance est totalitaire : tout ce qui n’entre pas dans son système, elle le fait disparaître. Dans le couloir sont apparus deux garçons, le premier, grand, aux cheveux roux, et l’autre, petit, au dos voûté. Le grand aux cheveux roux a craché Prends ça dans ta gueule.

Le crachat s’est écoulé lentement sur mon visage, jaune et épais, comme ces glaires sonores qui obstruent la gorge des personnes âgées ou des gens malades, à l’odeur forte et nauséabonde. Les rires aigus, stridents, des deux garçons Regarde il en a plein la gueule ce fils de pute. Il s’écoule de mon œil jusqu’à mes lèvres, jusqu’à entrer dans ma bouche. Je n’ose pas l’essuyer. Je pourrais le faire, il suffirait d’un revers de manche. Il suffirait d’une fraction de seconde, d’un geste minuscule pour que le crachat n’entre pas en contact avec mes lèvres, mais je ne le fais pas, de peur qu’ils se sentent offensés, de peur qu’ils s’énervent encore un peu plus.

Je n’imaginais pas qu’ils le feraient. La violence ne m’était pourtant pas étrangère,

loin de là. J’avais depuis toujours, aussi loin que remontent mes souvenirs, vu mon père ivre se battre à la sortie du café contre d’autres hommes ivres, leur casser le nez ou les dents. Des hommes qui avaient regardé ma mère avec trop d’insistance et mon père, sous l’emprise de l’alcool, qui fulminait Tu te prends pour qui à regarder ma femme comme ça sale bâtard. Ma mère qui essayait de le calmer Calme-toi chéri, calme-toi mais dont les protestations étaient ignorées. Les copains de mon père, qui à un moment finissaient forcément par intervenir, c’était la règle, c’était ça aussi être un vrai ami, un bon copain, se jeter dans la bataille pour séparer mon père et l’autre, la victime de sa saoulerie au visage désormais couvert de plaies. Je voyais mon père, lorsqu’un de nos chats mettait au monde des petits, glisser les chatons tout juste nés dans un sac plastique de super-marché et claquer le sac contre une bordure de béton jusqu’à ce que le sac se remplisse de sang et que les miaulements cessent. Je l’avais vu égorger des co-chons dans le jardin, boire le sang encore chaud qu’il extrayait pour en faire du boudin (le sang sur ses lèvres, son menton, son tee-shirt) C’est ça qu’est le meilleur, c’est le sang quand il vient juste de sortir de la bête qui crève. Les cris du cochon agonisant quand mon père sectionnait sa trachée-artère étaient audibles dans tout le village.

► édouard louis, pour En Finir AvEC Eddy BELLEguEuLE, Seuil, 219 pages, 213 dh.

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Le temps de la réflexion« De la Tunisie où le brasier s’est enflammé, en passant par l’Egypte et la Lybie qui ont également radié leurs dirigeants de la carte géopolitique, ce qu’il est convenu d’appeler le “Printemps arabe”, né à l’hiver 2010-2011, ne cesse d’étonner par son ampleur et par les conséquences politico-so-ciales qu’il continue d’engendrer. Un temps pour la surprise du nouvel ordre mondial et une pause pour la réflexion que propose ce collectif où plusieurs voix d’écrivains et d’intellectuels d’horizons géographiques divers s’emparent des mots pour questionner une réalité qui désormais fait partie du paysage intellectuel au moins autant que des enjeux stra-tégiques de pouvoir. Il faut ouvrir Quand le printemps est arabe comme une action plurielle qui engage sur la voie du commentaire et du récit pour rendre un peu du vœu de préserver le droit inaliénable de la liberté d’expression. » [Présentation de l’éditeur]Contributions de : Abdallah Bensmaïn, Caya Makhélé, Daniel Soil, Djilali Bencheikh, Eugène Ebodé, Françoise Lalande, Hanane El Ma-jidi, Jean Zaganiaris, Justin Bisanwa, Kébir Ammi, Mohamed Nedali, Mustapha Bencheikh, Rita El Khayat, Mohamed Hmoudane…

Qu a n d l e P r i n t e M P s e s t a r a B es o u s l a D i r e c t i o n D’assia BelHaBiB

Essai

assia belhab ib (d ir.), QuAnd LE printEMps Est ArABE, édit ions La Croisée des chemins, 214 pages, 80 dh.

Buenos Aires, années 30 : instantanés.« Écrites entre 1928 et 1933, ces chroniques sont autant d’instantanés de la capitale argentine, de ses habitants, de ses coutumes et de son art de vivre. Car il y a bien une faune et une flore particulières à l’endroit : ses jeunes oisifs plantés devant chez eux, ses chantiers de construction pil-lés de leurs briques, ses maisons de tôle ondulée aux couleurs passées… Chaque curiosité fait l’objet d’une eau-forte, petit bijou littéraire savam-ment rythmé par un auteur qui n’a peur ni des écarts de langage ni des mélanges peu ortho doxes. Il en ressort un tableau vivant et mouvant de la ville, une œuvre urbaine et moderne.Roberto Arlt est une grande figure de la littérature argentine. Il est no-tamment connu pour son roman Le Jouet enragé qui marque la naissance de la littérature urbaine argentine comme un genre à part entière. Écri-vain de la ville mais aussi des marginaux, des délaissés (Les Sept Fous, Les Lance-flammes), Arlt manie à merveille une langue hybride, faite d’espa-gnol traditionnel et d’argot de Buenos Aires. »[Présentation de l’éditeur]

eaux-fortes de Buenos airesde roBerTo arlT

Lit térature

roberto arlt, EAux-FortEs dE BuEnos AirEs, Asphalte, 224 pages, 225 dh.

page 8

Page 9: Newsletter n°9 mars 2014

driss C. Jaydane,divAn MAroCAin,

Le Fennec, 128 pages, 85 dh.

Sélection

Li t térature

Li t térature

Li teratura

Li t térature

Li t térature

Li t térature

n o u v e a u t é sen Bref

page 9

abdelá taia, inFiELEs,

Cabaret Voltaire, 220 pages, 225 dh.

granD ForMatpocHe

tahar ben Jel loun, LE BonhEur ConjugAL,

Folio, Gall imard, 384 pages,

93 dh.

haruKi muraKami, undErground,

10/18, 550 pages,

114 dh.

mohamed hmoudane, LE CiEL, hAssAn i i

Et MAMAn FrAnCE, Le Fennec, 208 pages,

25 dh.

Kebir m. ammi, un géniAL iMpostEur,

Mercure de France, 256 pages,

119 dh.

Page 10: Newsletter n°9 mars 2014

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