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IL A DÉBUTÉ LA SAISON SOUS LE MAILLOT DE COGNAC EN FÉDÉRALE 1 APRÈS AVOIR CONNU LE CENTRE DE FORMATION DU RACINGMETRO OU L’ANONYMAT DU PRO D2 À ALBI… LE CENTRE OU AILIER NICOLAS KRASKA (25 ANS) EST AUJOURD’HUI JOUEUR DES TOSHIBA BRAVE LUPUS À FUCHU, DANS LA BANLIEUE DE TOKYO, OÙ IL VA CÔTOYER FRANÇOIS STEYN, RICHARD KAHUI OU TANERAU LATIMER. TOUT ÇA GRÂCE À UNE MÈRE THAÏLANDAISE ET UN NOUVEAU RÈGLEMENT DE WORLD RUGBY. Du cognac au saké PAR JÉRÉMY FADAT, À TOKYO C’était courant mars. Nicolas Kraska et sa compagne, Laure, débarquaient à Tokyo. Début de l’aventure. Aux frontières du réel… « On arrive à l’aéroport d’Haneda et tous les panneaux étaient en kanji (les caractères japonais, NDLR), racontetil. On était perdus, alors on suivait le monde. Puis on fait la queue pour entrer sur le territoire. Les officiers de douane ne parlaient presque que japonais, nous ont fait changer de file trois fois, ont regardé à la loupe les passeports. Et moi, ils m’ont fait entrer dans une petite pièce. J’ai cru que j’avais fait une bêtise. Je ne comprenais rien et je pensais qu’ils allaient me renvoyer en France. Finalement, ils ont validé : « Merci, au revoir ! » Mais ça a duré une heure… Au tapis, il n’y avait plus que nos valises. Il était minuit, on était crevés. Direction l’hôtel… Là, tu vois que tu as débarqué dans un autre monde. C’est le dépaysement complet dès l’arrivée. » ASIATIQUE NON JAPONAIS… En réalité, les prémices de cette improbable histoire, qui fait de Kraska le deuxième Français à évoluer en Top league japonaise, remontent à l’année dernière, quand il effectuait sa troisième saison à Albi, en Pro D2. « Ça ne se passait plus trop bien pour moi. Je me suis interrogé :

Nicolas Kraska au Japon

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IL A DÉBUTÉ LA SAISON SOUS LE MAILLOT DE COGNAC EN FÉDÉRALE 1APRÈS AVOIR CONNU LE CENTRE DE FORMATION DU RACINGMETRO OUL’ANONYMAT DU PRO D2 À ALBI… LE CENTRE OU AILIER NICOLAS KRASKA(25 ANS) EST AUJOURD’HUI JOUEUR DES TOSHIBA BRAVE LUPUS À FUCHU,DANS LA BANLIEUE DE TOKYO, OÙ IL VA CÔTOYER FRANÇOIS STEYN,RICHARD KAHUI OU TANERAU LATIMER. TOUT ÇA GRÂCE À UNE MÈRETHAÏLANDAISE ET UN NOUVEAU RÈGLEMENT DE WORLD RUGBY.

Du cognac au sakéPAR JÉRÉMY FADAT, À TOKYO

C’était courant mars. Nicolas Kraska et sa compagne,Laure, débarquaient à Tokyo. Début de l’aventure. Auxfrontières du réel… « On arrive à l’aéroport d’Haneda ettous les panneaux étaient en kanji (les caractèresjaponais, NDLR), racontetil. On était perdus, alors onsuivait le monde. Puis on fait la queue pour entrer sur leterritoire. Les officiers de douane ne parlaient presqueque japonais, nous ont fait changer de file trois fois, ontregardé à la loupe les passeports. Et moi, ils m’ont faitentrer dans une petite pièce. J’ai cru que j’avais fait unebêtise. Je ne comprenais rien et je pensais qu’ils allaientme renvoyer en France. Finalement, ils ont validé : «Merci, au revoir ! » Mais ça a duré une heure… Au tapis,il n’y avait plus que nos valises. Il était minuit, on étaitcrevés. Direction l’hôtel… Là, tu vois que tu as débarquédans un autre monde. C’est le dépaysement complet dèsl’arrivée. »

ASIATIQUE NON JAPONAIS…En réalité, les prémices de cette improbable histoire, quifait de Kraska le deuxième Français à évoluer en Topleague japonaise, remontent à l’année dernière, quand ileffectuait sa troisième saison à Albi, en Pro D2. « Ça nese passait plus trop bien pour moi. Je me suis interrogé :

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« Estce que le rugby s’arrête là ? Estce que je signe enFédérale et je trouve un travail ? Estce que je reprendsmes études ? » Et un soir, ça m’est apparu comme uneévidence. Je ne me voyais pas arrêter le rugby pro. Ilfallait que je trouve un moyen de continuer. J’avais priscontact avec le Canada et HongKong sur Internet. Enmilieu de saison, mon agent m’a proposé l’idée du Japon.J’ai dit : « J’ai 25 ans, je n’ai pas connu Erasmus. Je doisle faire maintenant. » Pas vraiment un choix au hasard.Né de père français mais de mère thaïlandaise, l’intéressé possède la double nationalité. Sésamede rêve pour rejoindre le championnat nippon. « Ici, les quotas sont très stricts et il n’y a que uneplace par club pour un Asiatique non Japonais, explique Kraska. Alors, j’ai tâché de remplir toutesles caractéristiques administratives pour obtenir les papiers à présenter à la Fédération. »

Aussi surprenant que cela puisse paraître, il restera comme l’un des premiers à avoir bénéficiédes nouveaux règlements de World Rugby sur l’assouplissement du changement de sélection. Envue des jeux Olympiques, l’instance internationale permet désormais à un rugbyman qui comptedes sélections avec un pays de passer par le VII pour devenir international sous un autre maillot.On a parlé des frères Armitage ou de Tulou… C’est finalement Kraska, international français à VIIen 20102011, qui en profitera. « Je suis reconnu comme thaïlandais grâce à cette nouvelle loi etj’ai été éligible pour obtenir un passeport. Je vais jouer avec la Thaïlande, d’abord à VII, puis à XV.J’avais déjà rencontré l’équipe, les entraîneurs. » Une aubaine ? Certes, mais lui dément le simpleopportunisme : « Attention, ils ne m’ont pas juste fait une fleur. J’y suis allé et j’ai bien l’intention deréaliser les choses correctement. Ma mère est thaïlandaise, toute ma famille de son côté vit làbas. J’y vais depuis que je suis gamin. J’y ai amené ma copine trois fois. Représenter le pays dema mère, c’est fort pour moi. Ce ne sont pas juste des papiers. »

« J’AI CHERCHÉ LES CONTACTS SUR LINKEDIN »Avant même de dénicher un point de chute au Japon, les choses ont traîné… Trop. Alors NicolasKraska a forcé son destin. Devant son ordinateur. « J’ai été sur Linkedin (réseau socialprofessionnel, NDLR) et j’ai cherché tous les contacts que je pouvais trouver au niveau du rugbyjaponais. J’ai eu beaucoup de réponses négatives mais aussi une positive de Joe Barakat, l’anciencoentraîneur de Toshiba. Il m’a demandé ce que je faisais durant l’été. Par chance, avec Laure,on partait en vacances à Tokyo. Il m’a dit : « Prends tes crampons, tu viendras faire unentraînement. » Tout s’est bien passé, ils ont voulu me faire signer. Sauf qu’il y a eu desproblèmes de papiers. Cela a tout retardé mais les dirigeants m’ont demandé de ne pas lâcherl’affaire et m’ont assuré qu’ils feraient le nécessaire pour que je vienne. » Première douche froide.Et si le rêve nippon s’envolait ? En attendant, il fallait rebondir. Direction la Fédérale 1 et Cognac,où il a débuté la saison en cours, en espérant secrètement un dénouement heureux. Du mondeamateur français à la Top league, il n’y avait qu’une marche… Franchie en fin d’année 2014. « J’aiobtenu les papiers en septembre et reçu un appel dans la foulée de Joe pour me dire que Toshibaétait au courant. Il m’a certifié qu’ils négociaient pour que j’obtienne un contrat en 2015. » Leprécontrat arrive finalement entre ses mains en décembre. « J’ai signé les yeux fermés. C’était

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l’opportunité de ma vie. J’en ai parlé avec le président de Cognac d’abord, qui m’a soutenu etassuré qu’il n’y avait aucun problème. Il m’a juste demandé : « Tu termines par le match contreVannes et on te laisse partir. » » Adieux soldés, pour l’anecdote, par une défaite. « Mais laFédérale 1 et l’arbitrage, c’est une histoire d’amour très complexe », souritil.

« MÊME POUR TROUVER IKEA, C’ÉTAIT FACILE »Le parcours rocambolesque, ou comment Kraska est sorti de l’anonymat des pelousesd’Angoulême ou de Rodez, lequel se refermait sur sa carrière, pour s’offrir un rebond inespéré. À10 000 km de chez lui. « Je n’aurais jamais pu l’imaginer il y a quelques années. J’ai commencé lerugby à Courbevoie, en banlieue parisienne, et je ne m’étais pas dit que je le ferais pour gagnerma vie. C’était juste le mercredi et le samedi avec les potes. Puis cela m’a amené au Racingpendant cinq ans où j’ai découvert le centre de formation, le monde professionnel, la Pro D2.Quand le club était en Top 14, je me suis toujours entraîné avec le groupe. Là, je comprenais quej’allais peutêtre réussir à vivre de ma passion mais pas partir à 10 000 km. Je me disais : « Aupire, j’irai à Massy si le club monte en Pro D2. » Même quitter Paris était inimaginable au début. »

Ses sélections à VII lui ont offert de nouveaux horizons : la Tunisie, l’Afrique du Sud, le tournoi deDubaï. Cette exposition l’a porté d’Albi à la banlieue de Tokyo. « C’est fou, rigole Kraska. On avaitenvie de quitter la France, avec Laure. Ça s’est emboîté… Peutêtre que c’est encore l’euphoriemais on se sent bien ici. » Aussi parce que le club a tout mis en place pour les accompagner dèsleurs premiers pas. « Pour l’administratif, le téléphone, l’installation. Même pour trouver un ikea,c’était facile du coup. Une fois dans le magasin, ce sont les mêmes meubles que chez nous (rires).Puis avec les premiers cours de japonais, Laure et moi avons commencé à comprendre quelquestrucs. » Ça ne suffit pas toujours… « Dans l’appartement, tout est écrit en japonais. La premièrefois que Nico a essayé d’ouvrir la porte à l’interphone, il a appuyé sur un bouton au hasard,raconte Laure. C’était celui d’urgence et ça a déclenché l’alarme… »

« STEYN DOIT CROIRE QUE JE M’APPELLE JACKY »Lui reste désormais à découvrir la compétition nippone. Laquelle ne débutera qu’après la Coupedu monde. Et c’est un autre rugby qui l’attend… « Dans le discours des coachs, j’ai vite comprisque pour eux, je ne suis pas là pour faire des rucks ou mettre des grandes chandelles. Ils veulentque j’aie un rôle de finisseur, que je sois capable de suivre une action de cent mètres, d’être ausoutien, de pouvoir faire des offload. Ils m’ont dit : « Nous, on copie le Super Rugby ». En France,on aime le combat, la conquête. Les entraîneurs m’ont répété : « Ici, les rucks, c’est un ou deuxjoueurs maximum et hop, on veut jouer. On n’a pas peur de relancer dans nos cinq mètres. Çaapporte plus de plaisir aux spectateurs. Le rugby, c’est le jeu. » J’ai répondu : « Ok, ça me va. » Jesuis excité et j’ai hâte de voir la différence sur le terrain. Jusquelà, le rugby japonais, je ne l’ai vuque sur Youtube. »

Pour l’instant, Nicolas n’a visité que la salle de muscu et le terrain d’entraînement. « Je suis ensession de rattrapage physique, comme si je n’avais pas eu 10 au bac, pour que j’atteigne leniveau de l’été. Tous les matins, rendezvous à 9 heures au club et faceàface avec lepréparateur. J’en bave… » Seul ou presque, quand les joueurs japonais sont au boulot. « Euxviennent vers 6 heures pour le rugby puis ils travaillent la journée pour Toshiba. C’est une autre

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culture. Si je devais me lever à 5 heures pour aller courir, je pense que je tirerais un peu la gueule(rires). » Eux, simplement, ne sont pas professionnels comme lui mais considérés commepluriactifs pour le mastodonte japonais du matériel électronique et informatique. « Ici, tu fais partiede l’entreprise. À Toshiba, j’ai ma carte d’entrée avec nom et prénom. Tous les matins, je pointeau siège, là où il y a les chaînes de construction. C’est un parc immense. J’entre avec les autresemployés, je montre mon badge et au lieu de les suivre, je tourne à droite pour aller vers le terrainde rugby. Dans la charte, tu représentes l’image du club, donc de l’entreprise. Les autres joueursm’ont dit que les premiers supporters du club étaient les ouvriers de Toshiba. »

Parmi ses « collègues » se trouvent également des vedettes internationales qui le rejoindront dansles semaines à venir. En quelques mois, il passera des partenaires amateurs de Cognac auSpringbok François Steyn ou aux All Blacks Richard Kahui et Tanerau Latimer. « C’est dingue, cesont des monstres du rugby. Steyn et Kahui sont quand même champions du monde. Evolueravec eux est un rêve de gosse. Quand j’étais au Racing, je me disais : « C’est cool, je vaism’entraîner avec lui ou lui. » Mais là, ça va vraiment être mes potes, mes coéquipiers. Je vais allerboire un verre ou manger avec eux après l’entraînement. »

L’ancien colocataire d’Henry Chavancy a déjà côtoyé François Steyn au Racing, justement. Il semarre : « J’étais en centre de formation. Je m’entraînais avec lui mais c’étaient deux mondesdifférents. Il a une stature, un charisme… Bon, c’était la star. Quand il me verra, je ne suis mêmepas sûr qu’il se rappellera de moi. À l’époque, les Sudistes m’appelaient Jacky, en référence àJacky Chan. Donc s’il me reconnaît, il croira que je m’appelle Jacky. »