Bryony-1-

Rafaelavaitconnupireavantetconnaîtraitsansdoutepireaprès.Maispeuluiimportait.Ilsavaitdésormaiscommentgérercesgensquinesauraientjamaisqu’iln’avaitpaslemoindresouvenird’eux.

Il balaya du regard la salle de réception, faisant tourner entre ses mains son verre de vin pourcalmersanervositécroissante,toutautantquelaviolenced’unemigrainedevenuesonlotquotidien.

—C’estbon,Rafe, tupeuxarrêter tonnuméro,murmuradanssondosDevonCarter.Unefoisdeplus,ilsn’yontvuquedufeu.

Rafael se retourna et aperçut derrière lui ses trois amis, Devon, Ryan Beardsley et CameronHollingworth,tellelafidèlegarderapprochéequ’ilsétaient.

Depuistoujours.Depuisl’époqueoù,jeunesuniversitaires,chacunpourtantcherchaitàtrouversesmarques.Commelorsqu’ilavaitétéhospitalisé,grièvementblesséetsouffrantd’uneamnésiepartielle.Ilsnel’avaientpasdorloté,loindelà,cedontilleuravaittoujoursétéreconnaissant.—J’ailaréputationd’êtretoujoursparmilesdernierspartis,rétorqua-t-ilenportantleverreàsa

boucheavantdel’écarteraussitôt,écœuréparlebouquetqu’exhalaitladivineboisson.Quenedonnerait-ilpaspourquecessecette fichuedouleur !Maisc’étaitcelaoùaccepterdese

soumettreàunemédicationsusceptibledeluifaireperdretoutcontrôledelui-même.LeslèvresdeCams’étirèrentenunsouriremoqueur.— Tout le monde ici se fiche bien de tes petites habitudes ! En plus, je te rappelle que

c’esttasoiréeetque,situenasenvie,tupeuxbienleurdired’allertousse…Ryanl’interrompitd’ungestepéremptoiredelamain.—Cesontdespartenairesimportants,Cam.Etjeterappellequenousavonsbesoindeleurargent.Rafaelregardasesamis,sentanttoutel’affectionqu’iléprouvaitpoureux.Depuissonaccident,ily

avaitsipeudegensenquiilavaitconfiance!D’ailleursilsétaientlesseulsàsavoirpoursonamnésie.Devonsepenchaverslui.—L’hommequivientversnousestQuentonRamsey,troisièmedunom.Ilestaccompagnédeson

épouse,Marcy.IladéjàconfirmésaparticipationauprojetMoonIsland.Rafael approuva d’un hochement de tête discret et alla à la rencontre du couple, un sourire

chaleureuxaux lèvres. Ilétaitdesondevoirde rassurerses investisseurs,prêtsà investirdessommesmirobolantesdans laconstructiond’uncomplexehôtelierde luxequiverraitbientôt le joursurune îleminusculeaulargedescôtestexanes.Uneîlequiluiappartenaitennompropre.

—Quenton,Marcy,commença-t-il,parfaitementàl’aisedanslerôledel’hôtequiconnaîtchacunde

sesinvités,jesuisvraimentravidevousrevoir.Marcy,permettez-moidevousdireàquelpointvousêtesravissante.Quentonabeaucoupdechance.

Les joues de la vieille dame s’empourprèrent comme celles d’une adolescente lorsqu’il portaélégammentsamainàseslèvres.Ilfeignitdes’intéresseràlaconversation,obsédéparladouleurqui,àprésent,luimartelaitimpitoyablementlestempes.

La tête légèrement inclinée, il semblait boire leurs paroles mais, en fait, il venait d’aviser unefemme qui, à quelquesmètres de là, le fixait d’un regard noir. Pour une raison obscure, il lui trouvaquelque chose d’attirant, lui qui craquait plutôt pour les grandes blondes au teint clair et aux jambesinterminables.

Celle-ci était petite, même perchée sur ses hauts talons, et dotée d’une carnation matequ’accentuaientsesyeuxdebraiseetunecascadedebouclesnoires.

Devantl’insistancedesonregard,ilsedemandas’ill’avaitdéjàrencontrée.Incapabledelesavoir,ilmauditunenouvellefoiscetrounoirquiavaitgommédesamémoirelesquelquessemainesquiavaientprécédélecrashaériendontilavaitétévictimequatremoisplustôt.

Amnésie partielle. C’est ainsi qu’on désignait le mal dont il souffrait. Son médecin imputaitcettepertedemémoireàdescausespsychologiques,hypothèsequ’ilrejetaitdetoutessesforces,refusantdecroirequ’ilétaitlacausemêmedecemal.Non,iln’étaitpasfou.

D’ailleurs,ilsesouvenaittrèsbiendeDev,deCametdeRyan,desévénementsdesdixdernièresannées,desesétudesàl’université,deleurréussitecommuneenaffaires.Ilserappelaitparfaitementlenomdetouteslespersonnesquitravaillaientpourlui.Enfin…presque.

Lafemmelefixaittoujours,maisn’esquissaaucunmouvementpours’approcherdelui.Sonregards’étaitfaitplusduretsamains’étaitcrispéesursonsac.

—Excusez-moi,dit-ilauxRamseyavantdes’éloignerendirectiondelamystérieuseinconnuequi,toujourssansciller,gardaitsonregardrivésurlui.

Ilrestasilencieuxfaceàelleet,toutenscrutantlestraitsdélicatsdesonvisage,sedemandaencoreunefois-cis’ilss’étaientdéjàrencontrés.

—Excusez-moi,nousconnaissons-nous?demanda-t-ildesavoixcharmeusequ’ilsavaitavoiruneffetsurlagentféminine.

Probablementallait-ellementirettenterdeleconvaincrequ’ilsavaientpasséunenuitmerveilleuseensemble,cequ’ilsavaitd’avanceêtrefaux,puisqu’ellen’étaitpasdutoutsontype.

Sonregards’attardanéanmoinssursapoitrinegénéreusequerehaussait ledécolletéempiredesarobenoire.

Laréactiondelajeunefemmenefutpascelleàlaquelleils’attendait.—Tumedemandessinousnousconnaissons?Savoixavaitclaquécommeuncoupdefouet,tandisquesesyeuxlançaientdeséclairs.—Espècede…Sansluilaisserletempsd’anticipersongeste,ellelegiflaviolemment.Iltitubasousl’effetdela

surpriseetplaquasamainsursajouedevenueécarlate.—Espècede…,répéta-t-elle,ivrederage.Iln’eutmêmepasletempsdeluidemandersielleavaitperdul’espritque,déjà,undesesgardesdu

corps officiels s’interposait entre eux et la repoussait sans ménagement. Quand elle posa une mainprotectricesursonventre,ilvitalorsl’évidence.

—Arrêtez,ordonna-t-il tandisque levigile s’apprêtait à lapousserdehors.Ne lui faitespasdemal,elleestenceinte.

Leregardnoir,elletournalestalonsetseruaverslasortie,martelantbruyammentlesolenmarbre

desestalonsaiguilles.Déconcerté,Rafaellasuivitduregardsansesquisserlemoindregesteniarticulerlemoindremot.

Les larmes qu’il avait vues dans ses yeux indiquaient clairement qu’il l’avait blessée d’une façon oud’uneautre.Qu’avait-ilbienpufairepourcela?Dieuseullesavait.

Oubliantmomentanémentladouleurinsupportablequiluivrillaitlestempes,ilseprécipitapourlarattraper. Lorsqu’il atteignit les marches qui donnaient sur la rue, il aperçut une paire de chaussuresétincelantauclairdelune.

Sourcilsfroncés,ilsebaissapourlaramasser.Commentunefemmeenceintepouvait-elleporterdestalonsaussihautsqui risquaientde la fairechuteràchaque instant?Etpourquoi s’était-elleenfuieencourant, comme si elle avait vu le diable en personne ? C’était elle, pourtant, qui avait cherché laconfrontation.Dèslors,pourquoifuirdelasorte?

—Quesepasse-t-il,Rafe?demandaCam,arrivéencourant,rejointparRyanetDevon.Comme à leur habitude, tous trois entourèrent Rafe de leur chaleureuse amitié, sans chercher à

cacherleurinquiétude.Frustré,Rafesoupira,puistenditlapairedechaussuresàRamon,sonchefdelasécurité.—Retrouvez-moilapropriétairedeceschaussures.—Etlorsquejel’aurairetrouvée,quesuis-jecenséfaire?s’enquitRamond’unevoixquilaissaità

penserquelamissionétaitd’unesimplicitéenfantine.Rafesecoualatête.—Rien.Faites-moijusteunrapport,jem’occuperaidureste.—Jen’aimepasçadutout,Rafe,intervintRyan.Çasentlepiège.Iln’estpasimpossiblequ’ilyait

eudes fuitesau sujetde tonamnésieetquecette femmechercheà temanipuler,d’une façonoud’uneautre.

— C’est possible, en effet, répliqua calmement Rafe. Mais quelque chose chez cette femmem’interpelle.

Camhaussalessourcils.—Tul’asreconnue?C’estquelqu’unquetuconnaissais?—Jenesaispas.Enfin,pasencore,parcequej’aibienl’intentiondepercercemystère.

***

BryonyMorgansortitde ladouche,enveloppasescheveuxdansuneserviette-épongeetenfilaunpeignoir.Lalonguedouchechaudequ’ellevenaitdeprendren’avaitpasréussiàcalmerlesbattementsprécipitésdesoncœur.Malgrésesefforts,elleneparvenaitpasàdissiperlacolèrequilasubmergeait.

Nousnousconnaissons?Depuis la secondeoùRafe la lui avait posée, cette question la hantait, décuplant la rage qu’elle

éprouvait.Commentavait-ellepuêtreaussi stupide,ellequin’étaitpourtantpas femmeàperdre la têtedès

qu’ellecroisaitleregardd’unhommeséduisant?Maislorsqu’elleavaitvuRafaelDeLucafoulerlaterredesonîle,elleavaitsuqu’ilseraitàelle.

Archétype même de l’homme d’affaires, il avait, sous son influence, abandonné peu à peu tous lesartificesdel’hommed’affairessérieux,aupointquelorsqu’ilquittal’île,mêmelepilotedesonjetprivénel’avaitpasreconnu.

Ilavaitchangé.Ilétaitamoureux,aussi.

Ellefermalesyeux,s’efforçantderefoulerladouleurquiluiétreignaitlecœur.Non,iln’étaitpasamoureux.Il était venu. Il l’avait vue. Il l’avait conquise.Et elle, pauvrenaïve, était si folle de lui qu’elle

n’avaitpaspercéàjoursesvéritablesintentions.Depuis,elles’étaitjuréqu’ilnes’ensortiraitpasaussifacilement.Peuluiimportaientlesmoyens

qu’illuifaudraitemployer,ellenelelaisseraitcertainementpasdéveloppersursesterrescegigantesquecomplexehôtelier,nitransformersonîlechérieenterraindejeuxpourdesfêtardsoisifsetblasés,tropgâtésparlavie.

Il luiavait fallubeaucoupdecouragepour se lancer,mais lorsqu’elleavait compriscequiavaitmotivécettesoirée—Rafeavaitenfaitréunilàtouslesinvestisseurspotentielspoursonprojet—,elles’étaitsentiegagnéeparunedéterminationinébranlable.EllevoulaitentendredelabouchemêmedeRafelesmensongesqu’ilallaitproférerdevanttoutel’assemblée.

Enrevanche,ellenes’étaitpasattendueàcequ’ilprétendenepaslaconnaître.Elleseseraitsentieautantblessées’ilavaitvoululafairepasserpourl’idioteduvillageoupourunepauvreréac’s’opposantàlamarcheduprogrès.

L’ampleur de cette trahison la heurtait au plus haut point.Elle prit uneprofonde inspirationpourtenterdesecalmeretparvint,peuàpeu,àdétendresesmusclescrispés.

Maisquefaisaitdonc leserviced’étage?sedemanda-t-elle,s’efforçantdepasseràautrechose.Ellemouraitdefaim.

Ellecaressasonventrerond,commepours’excuserauprèsdesonenfantdetoutcestressqu’elleluiimposait. Dans un ultime effort, elle tenta encore une fois d’évacuer la colère et la nervosité qu’elleéprouvaitetdécidad’allersesécherlescheveux.

Ellefinissaitjustelorsqu’onfrappaàsaporte.—Ah,enfin!s’exclama-t-elleenallantouvrir.Maiscen’étaitpas leserviced’étageattendu.Bouchebée,elleaperçutRafaelqui,négligemment

appuyécontrelechambranledelaporte,faisaitdanserauboutdesesdoigtslapaired’escarpinsqu’elleavaitabandonnéepours’enfuirplusvite.

Ellereculapourluiclaquerlaporteaunez,maisill’enempêcha,posantprestementsonpieddansl’entrebâillement.

Ilforçal’ouvertureetseplantadevantelle.Elle se détesta de se sentir aussi faible et vulnérable en sa présence.Pourtant, commeelle avait

aiméseblottircontreluiets’abandonnerentouteconfiance!Dansl’abrirassurantdesesbras,elleavaitl’impressionqu’ilnepourraitrienluiarriverdemal.

—Fichelecampd’icitoutdesuiteouj’appellelasécurité,l’avertit-elled’unevoixmenaçante.—Vouspouveztoujoursessayer,répondit-ild’unevoixcalme.Maiscommejesuislepropriétaire

des lieux, je crains qu’il ne vous faille déployer beaucoup de temps et d’énergie pourme faire jeterdehors.

Ellecilla.D’accord,ilpossédaitl’hôteldanslequelelleavaitchoisideséjourner.Maisquelmalyavait-ilàcela?songea-t-elle,conscientedel’ambivalencedesonchoix.

—Danscecasalors,j’appellerailapolice,carquiquetusois,tun’aspasàforcermaporte.—Eh,ducalme!Jesuisjustevenuvousrapportervoschaussures.Celafait-ildemoiuncriminel?—Çasuffit,Rafael!Arrêtecepetitjeustupide,c’estindignedetoi,ouplutôtçadevraitl’être.Tu

sais,j’aivuclairdanstonpetitjeu.J’ailulatrahisondanstonregarddèsquetuasposélesyeuxsurmoi.Sans compter leminable«nousnous connaissons ?»qui, je te l’avoue, abien faillimecrucifier surplace.

Cesouvenirlasubmergead’uneragenouvelle.Ellefituneffortsurhumainpournepassejetersurluietlefrapperdetoutessesforces.Maisprobablementavait-illudanssespenséescarilreculad’unpas.

—Tusaisquoi?enchaîna-t-elle.Tuasparfaitementbientenutonrôlecar,pasuneseconde,jenet’aiprispourunlâche.Onpeutdirequej’aiétéunesacréegourde!Maisnier,commetulefais,cequiaexistéentrenousmerendvéritablementmalade.

Duboutdel’index,ellesemitàmartelersontorse,commepourponctuerchacunedesesparoles.—Entoutcas,sachebienunechose,RafaelDeLuca.Tupeuxrenonceràtesprojetsgrandioses,car

jamais,tum’entends,jamais,jenetelaisseraisaccagermonîle!Mêmesijedoisylaisserjusqu’àmonderniersou,jemebattraicontretoi.Nousavonspasséunaccordverbalet,crois-moi,tuvast’ytenir!

Sousceflot ininterrompudeparoles, ilcilla,maisgardalesilence.Follederage,ellecroisalesbraspours’empêcherdelerouerdecoups.

—Qu’est-cequetucroyais?poursuivit-elled’unevoixmauvaise.Quetunemereverraisjamais?Que j’allaisme terrer quelque part pour tenter d’oublier que tu nem’as jamais aimée et que tu n’ascouchéavecmoiquepourobtenircequetuvoulais?Ehbien,laisse-moitedirequetut’eslourdementtrompé!

Rafael réagit commesi ellevenaitde legiflerune seconde fois.Sonvisageblêmitet son regarddevintdurcommedelapierre.

—Vousditesquenousavonscouchéensemble?répéta-t-ild’unevoixétrangementcalme.Commentest-cepossible?Jeneconnaismêmepasvotrenom.

Cettenouvellepiqueauraitdûlalaisserdemarbre,puisqu’elleavaitcomprisdepuislongtempslesraisonsquil’avaientpousséàlaséduireetàluimentir.Ilnepouvaitenporterl’entièreresponsabilité,elles’étaitmontréesilégère!

Pourtant,levoirlà,devantelle,allerjusqu’àprétendreignorersonnom,luifitl’effetd’uncoupdepoignarddanslecœur.

—Tudevraispartir,conseilla-t-elled’unevoixqu’ellepeinaitàcontrôler.Ilsebornaàhausserlessourcilsetàinclinerlégèrementlatêtedecôté,commepourmieuxscruter

sonvisage.Puis,àsongranddésarroi, ilessuyad’undoigt légerune larmequivenaitderoulersursajoue.

—Vousêtesbouleversée.Décidément,cethommeétaitstupide.Pourvuqueleurenfanthéritedesesfacultésintellectuellesà

elle plutôt que de celles de son père. Cette pensée incongrue lui tira de la gorge un son étranglé quiressemblaitàunsanglot.Manifestement,elles’étaitmontréeaumoinsaussistupidequeluienluitombantdanslesbras.

—Sors.Toutdesuite.Indifférentàcettenouvelleinjonction,ilpritsonmentonentredeuxdoigtsetrivasonregardausien

avantd’essuyerd’ungesteinfinimenttendreleslarmesqui,àprésent,mouillaientsesjouessansretenue.—Nousnepouvonspasavoircouchéensemble,déclara-t-ilenfin.Car,indépendammentdufaitque

vousn’êtespasmongenre,jen’auraissûrementpasoubliéunechosepareille.Lacolère la submergeadenouveau, lui faisantoublier ses larmes.Ellen’essaieraitplusde faire

sortircegoujatdesachambre.Ilpouvaitbienrester,c’estellequiallaitpartir.ElleresserrasurellelespansdesonpeignoiretpassadevantRafael,latêtefièrementrelevée.Elle

s’apprêtaitàfranchirleseuillorsqu’ill’arrêtaenlasaisissantparlepoignet.C’enétaitassez.Elleouvritlabouchepourcriermais,làencore,ill’enempêchaenl’attirantcontre

luietencouvrantsabouched’unemain.

—Pourl’amourduciel,jenevousveuxaucunmal!déclara-t-ilavecforce.Ill’entraînaàl’intérieur,claqualaportederrièreeuxetlaverrouillaavantderelâchersonemprise.—Tum’asdéjàfaitmal,siffla-t-elleentresesdents.LeregarddeRafe,devenuplusdoux,exprimalaplusgrandeconfusion.—Ilestmanifestequejevousaifaitdutort, finit-ilparadmettre.J’aimeraisbienvousprésenter

desexcuses,maisilfaudraitd’abordquejesachequivousêtesetcequejesuiscensévousavoirfait.Elleledévisagea,incrédule,incapablederetrouverencethommeleRafaelDeLucadontelleétait

tombée follement amoureuse. Elle écarta légèrement les pans de son peignoir pour lui laisser voir lerenflementsoussachemisedenuitdesoie.

—Tuveuxsavoircequetum’asfait?Oh!troisfoisrien!Tum’asjusteséduite,commença-t-elled’unevoixfaussementironique,puistuasfaitensortequejetombeamoureusedetoi.Ensuite,tum’asfait croire que tum’aimais et que tu voulais que nous passions notre vie ensemble. Tu as obtenumasignatureaubasdedocumentsquifontde toi lepropriétaired’uneîleappartenantàmafamilledepuisplusd’unsiècle.Bref,tum’assortilegrandjeu.Maisçan’apassuffi.Pourcouronnerletout,ilafalluquejetombeenceintedetoi.

Cettefois,lecoupporta.Rafedevintlivideenmêmetempsqu’ilétaitsubmergéparunecolèrequ’ilcontenaitdifficilement.

—Vousvoulezdireque,non seulementnous avons couchéensemblemais, qu’enplus, je suis lepèredevotreenfant?

Ellelefixaensilence,conscientequesesproposdéclenchaientenelleundouloureuxpincementaucœur.

—Tun’oserais toutdemêmepas lenier ?Tun’oseraispasprétendreque j’ai inventéde toutespièces les semaines que nous avons passées ensemble ?Ni que tum’as quittée sans unmot, sans unregardenarrière?

Elleespéraquelechagrinquitransparaissaitdanssesmotsn’étaitpastropmanifeste.C’étaitbienassezqu’ill’aittrahie,ellen’avaitpasenvie,enplus,d’êtrehumiliée.

Il tressaillit imperceptiblement et ferma les yeux.Lorsqu’il recula d’un pas, elle crut qu’il allaitenfinpartir.

—Jen’aiaucunsouvenirdevous,dit-ild’unevoixquel’émotionrendaitrauque.Jenemesouviensderien.Nidevous.Nidenous.Deriendetoutça,conclut-ilenagitantlamainverssonventrerebondi.

L’accentdesincéritéqu’elleentenditdanssavoixlastoppanet.Ellecroisalesbrassursonventre.—Tunetesouviensderien,répéta-t-elled’unevoixblanche.Ilpassaunemainnerveusedanssescheveuxtoutenmarmonnantquelquechosed’inaudible.—Ilyaplusieursmoisdecela,j’aieuunaccident,finit-ilpardire.Etsicequevousditesestvrai,

nousnoussommesrencontrésdurantlapériodedontjen’aiaucunsouvenir.

-2-

RafaelvitBryonyblêmir.Ilseprécipitaverselleaussitôtqu’illavitvaciller,maiscettefois,ellenesedébattitpas.Elles’abandonnajusqu’àdevenirentresesbrasaussimollequ’unepoupéedechiffon.

—Venezvousasseoiravantdetomberpourdebon,commanda-t-ilenlafaisantasseoirsursonlit.Livide,ellelevalatêteverslui,incrédule.—Tun’essaiestoutdemêmepasdemefairecroirequetuesdevenuamnésique?lâcha-t-elled’un

tontranchant.Jepenseméritermieuxquecemensongepitoyable.Il comprenait parfaitement sa colère. Si tout ce qu’elle disait était vrai et que les rôles étaient

inversés,ilréagiraitprobablementdelamêmefaçon.—Jeneposepascettequestionpourvousmettreencolère,maispouvez-vousmedirecomment

vousvousappelez?Vouscomprenez,jemesensunpeudésavantagéparrapportàvous.Elle soupira profondément et passa une main dans son opulente chevelure brune. Des mèches

retombèrentlelongdesesjoues.—Ainsi,tuessérieux?murmura-t-ellesansparaîtreconvaincue.Illaissaéchapperunsoupirimpatient.—Jem’appelleBryonyMorgan,répondit-elle,calmementcettefois.Iltenditlamainpourrepousserd’ungestetendreunemèchederrièresonoreille.— Eh bien, il semblerait que vous et moi ayons à tirer tout cela au clair. Comme vous pouvez

l’imaginer,denombreusesquestionsmeviennentàl’esprit.—Amnésique,répéta-t-ellecommepourelle-même.Tut’acharnesdoncàdéfendrecettehypothèse

farfelue?Denouveau, il tentadesemettreàsaplace,mais lescepticismeextrêmedontelle faisaitpreuve

finitparl’agacer,d’autantqu’iln’avaitpasl’habitudequesaparolesoitmiseendoute.—Pensez-vousvraimentquej’aiappréciéd’êtreprisàpartieenpublicparunefemmeclamanthaut

etfortquej’étaislepèredesonenfant,alorsqu’àmaconnaissance,c’étaitlapremièrefoisquenousnousrencontrions?Mettez-vousunesecondeàmaplace.Siunhomme,quevousn’aviezjamaisvuauparavantou dont vous n’aviez aucun souvenir, venait vous trouver pour vous jeter à la face tout ce que vousm’avezdit,pensez-vousquevousn’auriezpasquelquesraisonsd’êtresoupçonneuse?

—Toutecettehistoireestabracadabrante,marmonna-t-elle.—Vous savez, j’ai lespreuvesdeceque j’avance. Jepeuxvousmontrerdes rapportsmédicaux

signésdemédecins aussi éminents que dignes de foi. Je neme souviens pas de vous,Bryony. Je suisvraimentdésoléquecelavousblesse,maisils’agitdel’exactevérité.Alorsexpliquez-moipourquoije

devraisprendrepourargentcomptanttoutcequevousracontez?Elleesquissaunemoueironique.—C’estvrai,j’avaisoublié.Jenesuispasvotregenre.—J’aimeraisquevousmeracontieztout,poursuivit-ilenfeignantd’ignorerlapiquequ’ellevenait

de lui lancer. Si nous commencions par le début ? Vous pourriezme raconter quand et où nous noussommesrencontrés,parexemple.Celaéveilleraitpeut-êtrequelquechoseenmoi.

Descoupsfrappésàlaporteinterrompirentmomentanémentleurdiscussion.—Vousattendezquelqu’un?demanda-t-iltandisqu’elleselevaitpourallerrépondre.—C’estleserviced’étage.Jemeursdefaim,jen’airienavalédelajournée.—Cen’estpastrèsbonpourlebébé.Piquéeparsaremarque,ellechoisitdenepasrépondre.Elleresserraleliendesonpeignoiretalla

ouvrirauserveurquipoussaitdevantluiunchariotchargédemetsodorants.Lorsqu’ilsfurentdenouveauseuls,elleavançalechariotjusqu’àsonlit.—Désolée,mais jen’attendaispasdevisitecesoir,dit-ellecommepour justifier le faitqu’elle

n’avaitcommandéquepourunepersonne.Illevaunsourcilperplexeenlaregardantsouleverlescouverclesdesplats,quicontenaientdequoi

nourrirtoutunrégiment.—Asseyez-vous et détendez-vous, lui dit-il gentiment.Nous pouvons discuter pendant que vous

mangerez.Elle s’installa confortablement dans un fauteuil moelleux et replia les jambes sous elle. Tandis

qu’elletendaitlamainversunplat,ilscrutaattentivementlevisagedecettefemmedontiln’avaitaucunsouvenir.

Elleétaitbelle.C’étaitindéniable.Pourtant,cen’étaitpaslegenredefemmequil’attirait.Elleétaitbeaucoup trop franche et directe à son goût. Ses conquêtes, il les préférait douces et, selon ses amisproches,plutôtsoumises.L’hypothèsequ’ilaitpu tomberamoureuxd’unefemmeaussiéloignéedesesgoûtsluiparaissaitd’autantplusimprobable.

Certes, il avait pu éprouver une attirance physique et, dans la foulée, coucher avec elle. Maistomberamoureux?Enl’espacedequelquessemaines?

N’aurait-ellepasplutôtimaginéuncontedeféesqu’elleavaitdécidédevivre?Certainesfemmesétaientportéessur leromantismeet lasensibilité. Ilétaitdonctrèspossiblequ’elle l’aitcruamoureuxd’elle.D’ailleurs,ilvoyaitbienquesasouffrancen’étaitpasfeinte.

Restaitleproblèmedel’enfant.Seuluntestdepaternitépermettraitdedémêlerlevraidufaux.Il ressentit tout à coup le besoin urgent d’appeler son avocat afin de lui demander quelle

signaturefiguraitsur l’actedeventeconcernant l’îlequ’ilavaitacquisedurant lessemainesoùilavaitdisparu.

—Aquoipenses-tu?luidemanda-t-elleàbrûle-pourpoint.—Toutceciesttellementincroyable…—Aquiledis-tu,marmonna-t-elleentresesdents.Etencore,cen’estpastoileperdant.Tuasfait

unebonneaffairesurmondos.Cen’estpastoiquiasperduuneterremagnifiquequivaêtreprofanéeparunpiègeàtouristes,etcen’estpastoinonplusquiattendsunenfant.

La souffrance qu’il entendait dans sa voix lemit trèsmal à l’aise, et il fut submergé par de laculpabilité.Maispourquoi,puisqueriendetoutcecin’étaitsafaute?

—Commentnoussommes-nousrencontrés?s’enquit-il.J’aibesoindetoutsavoir.Ellejouaaveclanourrituredanssonassiette,tandisquesaboucheesquissaitunemouenostalgique.—Lapremièrefoisquejet’aivu,commença-t-elled’unevoixempreintedemélancolie,tuportais

uncostumed’unecoupeparfaite,deschaussuresquidevaientvaloirunprixexorbitant,ettucachaistonregard derrière des lunettes noires. Comme cela m’ennuyait de ne pas voir tes yeux, j’ai refusé det’adresserlaparolejusqu’àcequeturetiresteslunettes.

—Oùétait-ce?—AMoonIsland.Tuvoulaissavoiràquiappartenaitunimmenseterrainenfrontdemerdisponible

àlavente.C’étaitàmoi,biensûr.J’aibiencomprisquetuétaisundecestypesdelavillevenusaveclafermeintentiondedévelopperl’îleetdesauverlesautochtonesd’uneviequetupensaismisérable.

—Maisceterrainn’étaitpasàvendre?s’étonna-t-il.Pourtant,jeneseraisjamaisallélà-bassiçan’avaitpasétélecas.

Elleacquiesçad’unhochementdetête.—Si, il l’était. Il… fallait que je le vende.Magrand-mère etmoi n’avions plus lesmoyens de

payerlestaxesfoncières.Maisnousétionsd’accordpournejamaislecéderàunpromoteur.C’étaitdéjàassez triste de devoir nous séparer d’un bout de cette terre qui est dans notre famille depuis desgénérations.

Ellesetut,submergéeparl’émotion.— Forte de ce que j’avais pressenti, je t’ai envoyé sur les roses, reprit-elle lorsqu’elle put de

nouveauparlerd’unevoixrelativementassurée.Cesouvenirluitiraunsourire.—Tuétaisencolèreaprèsmoi!poursuivit-elle.Peudetempsaprès,tuasfaitirruptionchezmoi

pourexigerdesexplications.—Celameressembleassez,eneffet,concéda-t-il.— Lorsque je t’ai parlé de la promesse faite à ma grand-mère de ne signer qu’avec quelqu’un

disposéàgarantirqu’ilneferaitpascommercedecetteîle,tuasdemandéàlarencontrer.Ilnereconnutpasenluicettebienveillancequ’elleluiattribuait.Ilétaitplutôtdugenreàpenserque

toutpouvaits’acheteràcoupsdedollars.—Leresteestassezembarrassant,annonça-t-elled’untonfaussementdégagé.Jet’aiprésentéàma

grand-mère,etcommevousvousentendiezbien,ellet’apriéderesterdîner.Ensuite,toietmoisommesallés faire une promenade sur la plage et nous nous sommes embrassés. Puis tu m’as raccompagnéejusquechezmoienmedisantàdemain.

—Etjesuisrevenu?demanda-t-il,sceptique.—Ohoui,dit-elledansunsouffle.Nonseulementlelendemain,maisaussilejourd’aprèsetlejour

d’après.C’estletroisièmejourquej’airéussiàtefairerenonceràtoncostume.Ilfronçalessourcils,deplusenplusdubitatif.—Tun’avaispasl’airdécidéàporterautrechose,mêmesurlaplage.Alors,jet’aiemmenéfaire

lesboutiquespourquetut’achètesunmaillotdebain.Décidément,cettediscussionprenaitdesalluressurréalistes.—Moi?J’aiachetéunmaillotdebain?Elleacquiesça.—Ainsiquedesshorts,desT-shirtsetmêmedestongs.Le médecin qui le suivait avait sans doute raison. Il avait perdu la mémoire parce

qu’ilvoulaitoublier.Commentpouvait-ilimaginerunesecondeavoirportédestongsalorsqu’ilvouaitunamourimmodéréauxmocassinsencuir?

—Etj’aiacceptédeportercet…attirail?— Bien sûr, affirma-t-elle sans l’ombre d’une hésitation. Une fois que tu as été équipé, je t’ai

emmenésurmaplagepréférée.

La version qu’elle lui livrait de lui divergeait tellement de l’homme qu’il était qu’il avaitl’impressiond’entendreparlerdequelqu’und’autre.

—Combiendetempsadurénotrerelation?demanda-t-ilunpeuplussoupçonneux.—Quatre semaines, répondit-elle avecdouceur.Quatremerveilleuses semainesdurant lesquelles

nous étions inséparables. Au bout de huit jours, tu es venu t’installer chez moi. Dans mon lit. Nousfaisionsl’amourlesfenêtresouvertespourentendrelebruitdel’océan.

—Jevois,rétorquaRafaelquinepouvaitimagineravoirvécuuneromanceaussiidyllique.—Tunemecroispas,n’est-cepas?—Bryony,avança-t-ilprudemment.Toutceciesttrèsdifficilepourmoi.Unmoisdemavieaété

effacédemamémoire,ettoutcequeturacontesmeparaîttellementfantasque,siéloignédecequejesuisvraiment,quej’aidumalàlecroire.

Ellesemorditlalèvrepourlesempêcherdetrembler.—Jecomprendsquecelasoitdifficilepour toi.Maisessaiedevoir leschosesdemonpointde

vue, justeun instant. Imagineunpeuque lapersonnedont tu étais amoureuxetdont tupensaisqu’ellet’aimaitnesesouviennesoudainplusdetoi.Imaginelesdoutesquipourraientt’assaillirendécouvrantquetoutcequecettepersonnet’aditn’étaitqu’untissudemensongeset lespromessesfaites,duvent.Commentlevivrais-tu?

Ilplongeadanssonregard,l’estomacsoudainnouéparlevoiledetristessequil’assombrissait.—Jepensequejeseraissacrémentbouleversé.—Ehbien,c’estexactementcequejeressens.Elleselevaetmassamachinalementsanuqueendolorie.— Tout ceci est inutile, décida-t-elle. Et puis, je suis vraiment fatiguée. Tu devrais partir

maintenant.Ilseleva,incrédule.—Tuveuxquejem’enaille?Aprèsm’avoirracontétoutça,aprèsm’avoirapprisquejevaisêtre

père,tuattendsjustedemoiquejem’enaille?—C’estcequetuasfaitlapremièrefois,dit-elled’unairlas.—Comment peux-tu affirmer une chose pareille quandmoi-même, j’ignore ce que j’ai fait ? se

défendit-ilavecvéhémence.S’ilestvraiquenousnousaimions,pourquoit’aurais-jetrahie?J’aieuunaccident,Bryony ! Il y a tantde chosesdont jeneme souvienspas.Peux-tumedirequandnousnoussommesvuspourladernièrefois?T’ai-jeditquejetequittais?

Al’évocationdecesmomentsdouloureux,elleserralespoings.—C’était le lendemainde lasignaturede lavente, répondit-elled’unevoixblanche.Tum’asdit

quetudevaisrentreràNewYorkpourtraiteruneaffaireurgente.Tuasajoutéquecelaneteprendraitqu’unjouroudeux,quetuferaisauplusviteparcequejetemanquaisdéjàetquenousdiscuterionsdel’avenirdel’îleàtonretour.

—Queljourétait-ce,Bryony?insista-t-il.Donne-moiladate,ladateexacte.—C’étaitle3juin.—Lejourdemonaccident,dit-ildansunsouffle.Elleportaunemainàsabouche.Lacroyantsur lepointdedéfaillir, il lasaisitdoucementpar le

poignetetl’obligeaàseréinstallerdanslefauteuil.—Ques’est-ilpasséexactement?demanda-t-elled’unevoixténue.—Monjetprivés’estécrasédansleKentucky.Maisc’esttoutcequejesais.Lorsquejemesuis

réveillé,j’étaisdansunlitd’hôpitalsanslamoindreidéedecequejefaisaislà.—Tunetesouviensvraimentderien?

—Riendesquatresemainesquetuaffirmesquej’aipasséesàMoonIsland.Etsij’aisuquelquechose des circonstances de mon séjour, c’est simplement parce que j’avais le titre de vente en mapossession.

—Enfait,c’estmoiquetuaseffacéedetamémoire,dit-elleavecunrireforcé.—Jecomprendsquec’estdifficileàentendre,maisdis-toibienquej’éprouvelamêmedifficultéà

croirecequetumedis.Jesouffred’amnésiepartielle,Bryonyet,crois-moi,celanemeréjouitpasdetevoirdansunetellesouffrance.

—J’aiessayédet’appeler,poursuivit-ellecommesiellen’avaitpasentendu.Envain.Audébut,jen’arrivaispasàycroire.Jetetrouvaistoutessortesd’excuses.Aprèsuneabsencedequatresemaines,tudevaisêtresubmergédetravail,sollicitédetoutesparts.Mêmelorsquetonentourageafaitbarrage—tuétaisenréunion,sorti,endéjeunerd’affaires—,,j’aicontinuéderefuserl’évidence.

— C’était parce que nous avions décidé de ne pas ébruiter mon amnésie, expliqua-t-il. Nouscraignionsquenosinvestisseursn’aientplusconfianceenmoi.Danscemilieuimpitoyablequ’estceluidesaffaires,lemoindresignedefaiblessepeutsignertaperte.

—Moi,j’avaisl’impressionquetum’avaisbalayéedetavied’unreversdelamain.Puis,letempsapasséetlacompréhensionacédélepasàlacolère.Jet’envoulaisdenepasavoireulecouragedemedireenfacequec’étaitfinientrenous.

—Pourquoias-tuattenduautantdetempsavantdetemanifester?Pourquoiêtrevenueaujourd’hui?Elle le regardaattentivement, cherchant à savoir s’ildoutait encoredesmotivationsqui l’avaient

poussée à le revoir. Ceci dit, elle pouvait comprendre. Pourquoi avait-elle attendu quatremois alorsqu’elleétaitenceinteetdévastéederancœuretdechagrin?

—Jen’aiapprismagrossessequ’aprèshuitsemainesetdemie,répondit-elle.Enoutre,magrand-mèreaeudesproblèmesdesantéquinécessitaientmaprésenceconstanteauprèsd’elle.Jenevoulaispasl’affligerdavantageenluiexposantlesraisonsd’undépartprécipité.Elleauraiteulecœurbrisé.Pasausujet de la vente, ajouta-t-elle à voix basse, mais parce qu’elle savait à quel point je t’aimais. Ellevoulaittantquejesoisheureuse!

Ilsesentitsoudainhonteuxd’avoirtrahiunetelleconfiance.Nerveux,ilsepassalamaindanslescheveux,sedemandantcommentunevieentièrepouvaitbasculerensipeudetemps.

—Ilsemblequenousayonsdesdécisionsàprendre,Bryony,finit-ilpardire.Surprise,elletournalatêteverslui.—Desdécisions?—Tum’asbienditquenousnousaimions,n’est-cepas?Quel’enfantquetuportesestdemoi?

Alors,jevaisprendremesresponsabilités.LesyeuxdeBryonys’agrandirentunpeuplussousl’effetdelasurprise.—Jeveuxquetuviennesavecmoi,dit-il.—Où?—Làoùtoutacommencé.Làoùmavieaprisunnouveauvirage.AMoonIsland.Elleleregardaunlongmomentensilence.—Nousallonsrevivrecessemainesquecetteamnésieagomméesdemamémoire,enchaîna-t-il.

Peut-êtrequemeretrouverlà-basprovoqueraunesorted’électrochocetm’aideraàremplirlesblancs…—Etsicen’estpaslecas?hasarda-t-elle,unpeuangoissée.—Ehbien,nousapprendronsàfaireconnaissance.

-3-

—Tuasperdulatête?lançaRyan.Rafaelcessadefaire lescentpaspourregarder tourà tourchacundesesamisréunisenurgence

danssonbureau.—C’esttoiquimedisça?rétorquaRafaeldutacautac.Toi,quicherchesàrevoirlafemmequi

t’atrompéavectonfrère?Ryanluidécochaunregardnoir,puisdétournalatête,regardantparlafenêtre.—Celas’appelleuncoupbas,murmuraDevon.Rafaelsoupira,exaspéré.Ils’envoulutdes’êtrelaisséalleràunetellebassessecar,quellesque

soientlesmotivationsdeRyan,iln’avaitpasàsecomporterdelasorteaveclui.—Désolé,monvieux,dit-il,sincère.Camsecaladanslefauteuilqu’iloccupaitetposanégligemmentsespiedssurlebureau.—Jepensequevousperdezlatêtetouslesdeux,trancha-t-il.Aucunefemmeaumondeneméritede

provoquerautantderemous.IlcroisalesmainsderrièrelatêteetreportasonattentionsurRafael.—Maistoi,j’avouequetonidéederetourneràMoonIslandmelaissepantois.Qu’espères-tuente

rendantlà-bas?Laquestionétaitsensée,mêmes’iln’étaitpascertaind’enconnaîtrelaréponse.Ilvoulaitrecouvrer

lamémoire, savoircomment ilavaitpudébloqueraupointd’êtreprétendument tombéamoureuxd’unefemmequ’ilavaitmiseenceinteenl’espacedequelquessemaines.Atrente-quatreans,ils’étaitcomportécommeunadolescentvivantsapremièrerelationsexuelle.

—Elleaffirmequenousnousaimions.Lesimplefaitdeprononcercesmotsluifitsentirtoutleridiculedelasituation.Sestroisamisledévisagèrentcommes’ilvenaitd’annoncerqu’ilallaitfairevœudecélibat.Surle

coup,ilstrouvèrentquel’idéen’étaitpassibête.—Elleaffirmeaussiquel’enfantqu’elleporteestdetoi,pointaDevon.Celafaitbeaucouppourun

seulhomme,non?—As-tuparléàtonavocat?enchaînaRyan.J’avouequecettesituationmerendnerveux.Cettefille

pourrait bien faire capoter notre projet si elle rendait publique votre prétendue liaison et lesconséquencesquienontdécoulé.S’illuiprenaitl’enviedetefairepasserpourunparfaitsalaud,celanepourraitquenousnuire.

—Non,grommelaRafael,jen’aipasencoreprévenumonavocat.Jenesaispassitul’asremarqué,maisjen’aipaseuunesecondeàmoidepuisquejesuisrentré.

—Combiendetempscomptes-turestersurcetteîle,àtenterderetrouvertonâmeperdue?ironisaCam.

Lesmainsdanslespoches,Rafaelsemitàarpenterlapiècenerveusement.—Aussilongtempsqu’illefaudra,répondit-ilsèchement.—Cen’estpasquejem’ennuie,niquetoutcecinem’amusepas,maisj’airendez-vous,annonça

Devonaprèsavoirconsultésamontre.—AvecCopeland?letaquinaCam.—Cevieuxgrigouteharcèletoujourspourquetuépousessafille?s’enquitRyan.

—Ils’imaginequ’avecmoi,ellevasestabiliser,réponditDevondansunsoupir.Rafaelgratifiasonamid’unregardemplidecompassion,tandisqueCamhaussaitnégligemmentles

épaules.—Alors,c’estcauseperdue.Mieuxvautluiannoncerqueturenoncesàfusionneravecsaboîte.—C’estunefemmebien,ladéfenditDevon.C’estjustequ’elleestjeuneetexubérante.Jeconnais

untasdefemmesbienpiresqu’elle.—End’autrestermes,insistaRyan,ellearéussil’exploitdetefaireperdrelatête.Pourtouteréponse,Devonfitungestegrossieretsedirigeaverslaporte.Camlaissaretomberlourdementsespiedsparterre,signequ’ils’apprêtaitàluiemboîterlepas.—J’yvaismoi aussi.Tiens-nous au courant lorsque tu serasdécidé àpartir sur les tracesde ta

mémoireperdue.Rafaelgrommelaquelquechosed’inaudibleavantdeselaissertomberdanssonfauteuilredevenu

vacant.—Excuse-moipourlaplaisanteriestupidedetoutàl’heure,dit-ilàRyanquin’avaitpasbougéde

lafenêtre.Tuasfiniparlaretrouver?Ryansecoualatête.—Non.Maisjenerenoncepas.Mêmes’ilnecomprenaitpasladéterminationdesonamiàvouloirrevoirlafemmequil’avaittant

faitsouffrir,Rafaelsegardadetoutcommentaire.—TunetesouviensvraimentpasdeBryony?demandaRyan.—Non.Jenemesouviensderien.Amesyeux,ellen’estqu’uneétrangère.—Ettunetrouvespascelabizarre?Rafaelsoupira.—Biensûrquesi,c’estbizarre.Toutecettesituationestbizarre.Ryans’appuyacontrelafenêtre,examinantsonami.—Situétaistombééperdumentamoureuxdecettefemme,situavaispasséquatresemainesavec

elle sans laquitterune seconde, tune croispasque tu aurais eu aumoinsune impressiondedéjà-vu,lorsquetut’esretrouvéfaceàelle?

Rafaelreposasurlebureaulecrayonqu’iltrituraitnerveusementdepuisunmoment.—Jevoisbienoùtuveuxenvenir,Ryan,etjetesuisreconnaissantdet’inquiéterpourmoi.Mais

quelquechoses’estpassésurcetteîle.J’aivécuunesituationoùBryonytenait lerôleprincipal.C’estpourcelaquejedoisyretourner.Pourenavoirlecœurnet,mêmesiceladoitmeconduireàréfutersesaffirmations.

—Etsitoutcequ’elleditestvrai?insistaRyan.—Danscecas,j’auraibeaucoupdetempsàrattraper,rétorquaRafael,devenupensif.

***

Deboutdevantl’immensebâtimentquiabritaitlesbureauxdeRafaelDeLuca,Bryonyhésitaitàenfranchirleseuil.Lafaçade,toutedeverreetd’acier,étincelaitàlalumièredusoleild’automne.

Unefeuillemordoréevoletadevantsesyeuxettombaàterre,rejoignantlesautres,quirecouvraientletrottoird’unepelliculeflamboyante.

Lavillel’effrayaitetlafascinaitàlafois.Toutallaitsiviteici, lesgensétaientsipressés!Toutn’étaitquevibrations,bruits,lumièresagressives.

Ellesedemandacommentlesgenspouvaientsupporterunetellefrénésiepermanente.Pourtant,par

amourpourRafael,elles’étaitsentieprêteàembrassercettenouvellevie.C’étaitlàqu’ilvivaitetqu’iltravaillait,làoùilétaitdanssonélément.

Ledoutegermaetenfladanssonesprit.N’était-ellepassur lepointdecommettre laplusgrosseerreurdesavie?

Je dois vraiment être folle pour lui faire confiance de nouveau, songea-t-elle. Et s’il disait lavérité?Si l’histoire, aussi farfeluequ’improbablequ’il lui avait servie, étaitvraie?Cela signifieraitqu’ilnel’avaitpastrahie,qu’ilnel’avaitpasquittée,qu’iln’avaitfaitaucunedeschoseshorriblesdontellel’avaitaccusé.

Elleétaittirailléeentrelebesoindelecroireetunscepticismegrandissant.—VousêtesBryony,n’est-cepas?Elletournalatêteverslesdeuxhommesqu’elleavaitaperçusàlasoiréedeRafael.—C’estmoi,eneffet.L’undesdeux,quiavaitdescheveuxchâtainscoupéstrèscourts,luiadressaunsourirechaleureux.

L’autre,dontlescheveuxblondsmi-longsluicaressaientlanuque,lafixad’unregardsoupçonneux.Lepremierluitenditlamain,toujourssouriant.—JesuisDevonCarter,unamideRafael,etvoiciCameronHollingworth.Commecedernierpersistaitàlatoiser,ellepréféral’ignoreretseconcentrersurDevon,mêmesi

ellenesavaittropquoidire.—Raviedefairevotreconnaissance,finit-ellepararticulerplatement.—VousêtesvenuevoirRafe?s’enquitDevon.Elleacquiesça.—Nousseronsravisdevousconduirejusqu’àlui.Ellesecoualatête.—Nevousdonnezpascettepeine,jepensequejesauraimedébrouillertouteseule.Parailleurs,je

neveuxpasvousennuyer.LeregardméprisantqueluilançaCameronluifitredresserfièrementlementonetserrerlespoings.

Elleavaitbeauêtred’unnaturelagréable,elleavaiteusonlotdedésagrémentsdepuisquelquesjoursetsentaitqu’ellepourraitréagirviolemmentàuneultimeprovocation.

—Celanenousennuiepasdutout,réponditDevon.Lemoinsquenouspuissionsfaireestdevousescorterjusqu’àl’ascenseur.

Ellefronçalessourcils,quelquepeuvexéeparsoninsistance.—Vousmepensezincapabledetrouverl’ascenseur?Devonavaitbeaunepassedépartirdesonsourire,ellecompritqu’ilavaitdevinédansquelétatde

nervositéellesetrouvait.—Danscecas,jen’insisteraipasplus,finit-ilpardire.Jevoussouhaiteunetrèsbonnejournée.Elledéglutit,regrettantdes’êtremontréeaussigrossière.Cen’étaitpasdecettefaçonqu’elleallait

rallieràsacauselesamisdeRafael!—Mercibeaucoup,dit-elled’untonradouci.J’aiétéraviedevousrencontrer.Elle avait parlé d’un ton si sincère qu’elle était presqueparvenue à se convaincre de ce qu’elle

venaitdedire.Elleplaquasurseslèvresunsourireforcé,tandisqu’ellelesregardaitsedirigerversunegrosseBMW.

Elle prit une profonde inspiration pour se donner le courage qui luimanquait encore et passa laporteàtambour,lecœurbattantlachamade.Lehalld’entrée,toutdemarbreetdebois,étaitmagnifique.Elleadmiralecontrasteentrel’ancienetlemoderne,quiconféraitàl’ensembleuncaractèrechaleureuxetsobre.

Elle s’arrêtaprèsd’une fontainemonumentale, au centreduhall, et écouta lebruit de l’eau, seulcapabledel’apaiser.L’océanluimanquait.Ellenes’aventuraitpassouventendehorsdesonîle,etilluitardaitmaintenant,aumilieudecebourdonnement incessant,de retrouver lecalmeet la tranquillitédupetitparadisoùelleavaitgrandi.

Sagorgesenouaàl’idéeque,parsafaute,laterrefamilialesetrouvaitaujourd’huientrelesmainsd’unhommesansscrupule,déterminéàyfaireconstruireuncomplexehôtelier,unterraindegolfetDieusaitquoiencore.Nonqu’elletrouvequeleprogrèsétaitunemauvaisechose,niqu’ellesoitopposéeàlalibre entreprise ou au capitalisme. Mais Moon Island était à part. Un territoire intact, préservé del’urbanisme sauvage qui régnait presque partout ailleurs, où vivaient les mêmes familles depuis desgénérations.

Tout lemondeseconnaissait là-bas.Lamoitiédeshabitantsvivaitde lapêche tandisque l’autremoitiéprofitaitd’uneretraitepaisiblebienméritéeaprèstrenteanspassésàtravaillerdurdansdesvillescommeHoustonouDallas.

Ilexistaitunaccordtaciteparmilesrésidents,selonlequell’îledevaitrestertellequ’ilsl’avaienttoujoursconnue.Unhavredepaix,oùlaviesevivaitauralenti.

Voilà qu’à cause d’elle, tout ceci allait changer. Sonparadis allait être investi par une arméedebulldozersauxmâchoiresd’acierqui,impitoyablement,allaitfaçonnerunpaysageauxalluresdeville.

Elle cilla et semordit la lèvrepournepaspleurer.Commeelle avaithontede s’êtremontrée sinaïve!Aujourd’hui,aveclerecul,ellecomprenaitàquelpointelleavaitétéstupide.Mais,alors,ellen’avaitplustoutesaraison.Elleétaitsousl’emprised’unhommedontelleétaitfollementamoureuse.

De nouveau, elle sentit la colère la gagner. Elle appuya rageusement sur le bouton du trente-troisième étage et se recula dans le fond de la cabine pour laisser entrer une foule compacte depersonnes.

Elleavaitbienpenséàfaireajouteruneclauselégaleaucontratmaiselleyavaitrenoncé,craignantde levexeroude l’ameneràpenserqu’ellen’avaitpasconfianceen lui. Il luiavaitprésenté lachosecommeunesorted’agrémentprénuptialetavaitenlevésonconsentementenprétendantqu’iln’essaieraitjamaisdetirerunquelconqueprofitdecetteîle.Saseulesignature,etnoncelledesasociété,figurantaubasducontrat,avaitachevéde la rassurer.Toutcommeelle l’avaitcru lorsqu’il luiavaitassuréqu’ill’aimaitetqu’ilallaitrevenirpourneplusjamaislaquitter.

Après tous ces mois écoulés, elle se sentait encore profondément humiliée. Elle s’empressa dechassercespenséessinistresdesonesprit.

Pourtant,ellenepouvaitempêcherunepetitevoixintérieuredeluisoufflerqu’ildisaitpeut-êtrelavérité.Parceque,sic’étaitlecas,lasituationn’étaitpassiterriblequ’ellelepensait.

La porte de l’ascenseur s’ouvrit sur un bureau d’accueil derrière lequel se trouvait uneréceptionnistesouriante.

—Bonjour,mademoiselle.Avez-vousrendez-vous?Unrendez-vous?IlfallutquelquessecondesàBryonypourrassemblersesespritsetacquiescer.—Rafaelm’attend,annonça-t-elled’unevoixquel’émotionrendaitrauque.—Etes-vousmademoiselleMorgan?Bryonyhochadenouveaulatête.—Sivousvoulezbienmesuivre,ditl’assistante.Désirez-vousduthéouuncafé?proposa-t-elle

encoreavantd’ajouter,aprèsavoirvu leventrearrondideBryony :Nousavonsdudécaféiné,sivouspréférez.

—Rien,merci,réponditBryonyenluiemboîtantlepas.—M.DeLuca,dit-elleaprèsavoirouvertuneporte,MlleMorganestici.

Rafaelselevaetvintàleurrencontre.—Merci,Tamara.—Ya-t-ilautrechosequejepuissefairepourvous?demanda-t-elled’untonprofessionnel.—Veillezàcequenousnesoyonspasdérangés.Tamaraacquiesçad’unsignedetêteetseretiraenrefermantlaportederrièreelle.FaceàRafael,siproched’elle,Bryonyperdittoutesabelleassurance.Ellenesavaitplusquedire

niquefaire.S’ilétaitvraimentamnésique,commentpouvait-elleluienvouloirdeneplusexisteràsesyeux?

Latensionquirégnaitentreeux,presquepalpable,luidonnaenviedes’enfuiràtoutesjambes.Ilssefixaientmutuellement, sans dire unmot, semblant si étrangers l’un à l’autre que personne n’aurait puimaginerqu’ilsavaientfaitunenfantensemble.

—Avantquenousn’allionsplusloin,jedoisabsolumentfaireunechose,annonçasoudainRafael.Ellehaussalessourcils.—Quoidonc?demanda-t-elle.Il prit sonmenton dans sesmains et leva le visage deBryony vers lui, se grisant du parfumqui

l’enveloppait.—T’embrasser.

-4-

Bryonyreculad’unpas,maisellesentitqueRafaeln’avaitpasl’intentiondelalaissers’échapper.Il la prit par l’épaule et l’attira vigoureusement à lui, avant de prendre ses lèvres dans un baiserpassionné.

Enagissantdelasorte,ilnesavaittropàquois’attendre.Acequelamémoireluirevienne,commeparmagie?Aunfeud’artificed’émotionsvives?

Siriendetoutcelaneseproduisit,soncorps,enrevanche,nerestapasdemarbre.Unevaguededésir le submergea, si intense qu’il sentit son sexe devenir dur sous la toile épaisse de son pantalon.Contre toute attente, il la sentit s’abandonner entre sesbras et répondre à sonbaiser avecune ferveurégaleàlasienne.Ellenoualesbrasautourdesanuqueetplaquasoncorpscontrelesien,ondulant,sesformesvoluptueusesépousantparfaitementlessiennes.

Cedésirqu’ellesuscitaitenluietqu’ilnecontrôlaitplusluifitrependrebrusquementsesesprits.Bonsang,maisoùavait-ildonclatête?Ilétaitsurlepointdefairel’amouràunefemmedontiln’avaitpaslemoindresouveniretqui,deplus,portaitsonenfant.

Ils’écartad’elle,lesoufflecourt,et,nerveux,sepassaunemaindanslescheveux.Ellen’étaitpassontype,vraiment?Pourtant,jamaisiln’avaitconnuunetellealchimieavecunefemme,aupointqueleseulfaitdeposerlesyeuxsurelleravivaitinstantanémentsondésir.Ilprituneprofondeinspirationpourretrouverlamaîtrisedelui-mêmeets’empêcherdefinircequ’ilavaitcommencé.

—Jesuisdésolé,dit-il,j’auraisdûsavoir.—Savoirquoi?s’enquit-elle.Commeiltardaitàrépondre,ellecroisalesbrassursapoitrineet,impatiente,tapotalesoldubout

dupied.—Siseulementjepouvaismesouvenirdequelquechose,murmura-t-il,dépité.—Et…?Ilsecoualatête,incapabled’allerauboutdesapensée.—Rien.Elleluilançaunregarddédaigneux,puistournalestalonsets’éloignaàgrandspas.—Hé!Attendsuneminute!cria-t-ilenluicourantaprès.Elles’apprêtaitàfranchirleseuillorsqu’illarattrapa,lasaisissantparlebraspourlaforceràse

tournerverslui.—Oùestleproblème?demanda-t-ild’unevoixoùperçaitl’irritation.— Le problème ? Je ne sais pas. Peut-être que je n’apprécie pas le fait d’être un élément

d’expérimentation.Jecomprendsquetoutceciestdifficilepourtoi,Rafael,maiscelanetedonnepasledroitdetecomporterengoujat.Parailleurs,sachequetun’espasleseulàsouffrirdecettesituation.

—Mais…Ellenel’écoutaitplusmais,cettefois,ilnecherchapasàlaretenir.Aquoibon,puisqu’ilnesaurait

pasquoiluidire,sinonqu’ilneregrettaitpaslebaiserqu’ilsvenaientd’échangeretqueleseulfaitdelatenirdanssesbrasallumaitenluiunepassionardente?Ilsongeaalorsqu’ilyavaitdeforteschancespourqu’ellesoit,eneffet,lamèredesonenfant.

IlretournaàsonbureauetappelaRamondepuissontéléphonefixe.—MlleMorganvient justedequittermonbureau.Veillezàcequ’elleregagnesonhôtelen toute

sécurité,luiordonna-t-il.

***

Bryonyquittal’ascenseur,lesmâchoiresserréesetlesyeuxbrouillésdelarmes.Elleavaitmistantd’espoirsdanscetterencontre!Elleavaitguettélemoindresignequiluiaurait

fait retrouver le Rafael De Luca dont elle était tombée amoureuse. Elle avait espéré que leur baiserrallumerait quelque chose ou que, peut-être, il admettait la possibilité qu’il ait effectivement ressentiquelquechosepourelle,unjour.

Maislorsqu’ils’étaitécartéd’elle,ellen’avaitvudanssonregardquedudésir.Undésirdénuédumoindresentimentamoureux,undésirquen’importequelhommeauraitpuressentir.

L’airfraisducrépusculelafitfrissonner, tandisqu’elledescendait larue,sans tropsavoiroùsespas lamenaient. Autour d’elle, les automobilistes klaxonnaient frénétiquement, et une foule compactepressaitlepaspourregagnerunfoyerdouillet.

Elle,enrevanche,n’étaitpasimpatientederegagnersachambred’hôtel.Encorefurieuseethumiliéepar le comportement de Rafael, elle avait un besoin impérieux de décompresser. Elle s’était sentiecomme…unefemmeobjet,dontilseseraitservipourchercheràsedistraire.

Maisn’était-cepascequ’elleavaitétépourluidepuisledébut?Unesimpledistraction?Elle décida qu’elle ne referait pas lamême erreur une seconde fois.Déterminée, elle allait s’en

teniràsonobjectif,obtenirunegarantieécritedelamaindeRafaelqu’ilneselivreraitpassursonîleàdesconstructionsanarchiques.

Toutàsespensées,ellenevitpasarriverl’hommequilaheurtaviolemment.Marmonnantunevagueexcuse, il agrippa la bandoulière de son sac et tira violemment dessus, s’apprêtant à détaler à toutesjambes. Portée par la colère, elle résista de toutes ses forces, ce qui eut pour effet de redoubler ladétermination du voleur. Il la repoussa violemment d’une main, tandis que l’autre, armée d’un canif,sectionnaitlalanièredecuird’ungestesecetprécis.Sonlarcincommis,ils’enfuitàtoutesjambes,senoyantaussitôtdanslafoulecompacte.

Lascènen’avaitduréquequelquessecondes,maiselleluiavaitparuuneéternité.Souslechoc,ellenereconnutpasl’hommequis’étaitapprochéd’elleetluidemandaitcommentelleallait.Ellel’entenditvaguement aboyer des ordres dans son oreillette mais, toujours choquée, ne comprit pas à qui ils’adressait.

—MademoiselleMorgan,vousm’entendez?s’enquit-ild’unevoixinquiète.Commentvoussentez-vous?

—Comment…commentsavez-vousquijesuis?—M.DeLucam’achargédevotreprotection.Malheureusement,lafoulem’aempêchéd’arriverà

temps.Pouvez-vousmarcher?

Elleacquiesça,plaquantsesdeuxmainssursonventre,enproieàlaplusviveanxiété.—Vousavezmalquelquepart?s’inquiétaRamon.—Je…jenesaispas,répondit-elle,tremblantcommeunefeuille.Jecroissurtoutquej’aieutrès

peur.—Jevousconduissur-le-champàl’hôpital.M.DeLucanousrejoindrasurplace.Elleneprotestapaset,docilement,laissal’hommel’installersurlabanquettearrièred’unevoiture.

Ellesecalacontrelabanquetteetserrasespaumesl’unecontrel’autrepourlesempêcherdetremblerconvulsivement.

—Mercidevotreaide,dit-elleàRamon,unefoisqu’ellesesentitenmesuredeparler.—Vousn’avezpasàmeremercier,déplora-t-il,encolèrecontrelui-même.Jesuisarrivétroptard,

etjen’airienpufairepourempêchercetteorduredevousbrutaliser.— Il avait un couteau, poursuivit-elle en revoyant avec effroi la lame tranchante qu’il aurait

pu retourner contre elle. Comment vous appelez-vous ? demanda-t-elle d’une voix devenue à peineaudible.

—Ramon.JesuislechefdelasécuritédeM.DeLuca.Nevousinquiétezpaspourlebébé,noussommespresquearrivés,mademoiselleMorgan.

En effet, quelquesminutes plus tard, le chauffeur garait son véhicule devant les urgences où desinfirmiers,prévenusdesonarrivéeimminente,attendaientBryonyavecunechaiseroulante.

Ilslaconduisirentimmédiatementdansunesalled’examenoùdeuxinfirmièresluifirentsubirunepremièrevisitedecontrôleaprèsl’avoirallongéesurunlit.

—Unobstétricienvabientôtpasservousvoir,annonçal’uned’elles.Ilveuts’assurerquelebébévabien.

Bryonyétaitunpeuembarrasséed’êtrel’objetd’unetelleattention.Aprèstout,ellen’avaitpasétéblessée,justeunpeusecouée.Pourtant,ellesegardabiendeprotester,tropheureusequ’onluiconfirmequecetépisodetraumatisantn’avaitpasperturbésagrossesse.

Elle avait les yeux fermés lorsque la porte de la salle s’ouvrit à la volée sur Rafael qui,immédiatement, braqua sur elle un regard empli d’inquiétude. Il se précipita à son chevet et lui prittendrementlamain.

—Tuesblessée?Tuasmalquelquepart?s’enquit-ilavantd’ajouterprudemment:Lebébé?Pourtant,ilneluilaissapasletempsderépondre.IltournaversRamonunvisagedur.—Ques’est-ilpassé?demanda-t-ilsèchement.—Rafael,jevaisbien,intervintBryonyquisentaitbienqu’ilrendaitRamonresponsabledecequi

luiétaitarrivé.GrâceàRamonquis’estparfaitementoccupédemoi.— Je n’aurais jamais dû te laisser quitter mon bureau toute seule. Tu étais bouleversée et

certainementpasenétatdesillonnerlesruesàpiedcommetul’asfait.Ilinterrompitsatiradepourapprocherunfauteuildulit.Ils’assitsurl’undesaccoudoirs.—Unmédecinest-ilpassétevoir?reprit-ilsanschercheràcacherl’émotionquilesubmergeait.

Qu’a-t-ilditausujetdubébé?Lesalaudquit’aagresséet’afaitmal?Ellesecoualatêteàchacunedesesinterrogations,découvrantenluiuneagressivitéqu’ellenelui

connaissaitpas.—L’infirmièreaditqu’unobstétricienn’allaitpastarderàpasseret,non,jenesuispasblessée,

répondit-elled’unevoixfortedestinéeàlerassurer.—Iln’estplusquestionquetuarpenteslesruesdeNewYorkseule,décida-t-ilavecfermeté.Etje

n’aimepasnonplusl’idéedetesavoirseuledanscettechambred’hôtel.Cettedernièreremarqueamenaunsourireamusésurseslèvres.

—Jeterappellequejeséjournedanstonhôtel,observa-t-elle,ironique.Remettrais-tuenquestionlasécuritédetesclients?

—Jepréféreraistesavoiravecmoi,làoùilnepourraitrient’arriverdemal,répondit-il,lesdentsserrées.

—Queveux-tudireparlà?—Eh bien, puisque nous partons ensemble dans quelques jours pourMoon Island, pourquoi ne

viendrais-tupast’installeràlamaisonenattendant?Celanouspermettraitderefaireconnaissance.Elleplongeadanssonregard,cherchant…Cherchantquoi,aujuste?Ellel’ignorait,maiselleylut

unefarouchedéterminationàlesprotégerelleetlebébéqu’elleportait.N’était-cepasunbondébut?songea-t-elleavecunecertainesatisfaction.—D’accord,accepta-t-elledansunsouffle.Jeresteraiavectoijusqu’ànotredépart.

-5-

RafaelauraitvolontiersportéBryonyjusquechezluisiellel’yavaitautorisé.Mais,devantceluxedeprécautionsqu’ellejugeaitbieninutiles,elleavaitsimplementlevélesyeuxaucieletl’avaitinforméd’untonironiquequ’ellen’étaitpasensucre.

Une fois qu’ils eurent passé le seuil de son loft, il se sentit un peu pris de court. Elle était lapremièrefemmejamaisautoriséeàpénétrerdanscequ’ilconsidéraitêtresonrefuge,etilnesavaittropcommentgérercettesituation,nouvellepourlui.

— Veux-tu que je commande quelque chose pour le dîner ? demanda-t-il lorsqu’elle futconfortablementinstalléesurlecanapédusalon.

—Volontiers,merci,répondit-elleensecalantcontreledossier.Ilfronçalessourcils,alarméparlalassitudequitiraitsestraits.—Tuasl’airépuisé.—Ilfautdirequecesdeuxderniersjoursn’ontpasétédetoutrepos,répondit-elleavecundemi-

sourire.Denouveau,ilsentitlaculpabilitélegagner.Elleavaitfaitunsilongvoyagepourleretrouveret

puis…etpuistantd’événementss’étaientproduits.Ilsemitàarpenternerveusementlapièce,irritécontrelui-même.Dequoidevait-ildoncsesentir

coupable ? Il ne se souvenait de rien ! Pourtant, Dieu sait s’il s’était donné du mal pour tenter derassemblerlesmorceauxéparsdesavie.Touslessoirs,ilallaitsecoucher,frustré,espérantdetoutsoncœurquelelendemainmatinverraitlesblancsquiponctuaientsamémoireenfinremplis.Maintenant,ilnecessaitdesedemanders’ilavaitfaitunechoseaussiridiculequedeséduireunefemmeetdetomberamoureuxd’elleenl’espacedequelquessemaines.Celaneluiressemblaittellementpas!

Non,décida-t-ilfermement,ilrefusaitdesesentircoupable.Néanmoins,enlalaissantquittersonbureausansesquisserlemoindregestepourlaretenir,ill’avaitexposéeàungranddanger.

Illuijetaunregarddebiaisetsaisitletéléphonepourpassersacommande.—Veux-tuboirequelquechoseenattendantquenoussoyonslivrés?proposa-t-ilens’asseyantà

côtéd’elle.Elles’étiralangoureusementetleregardaàtraverssespaupièresmi-closes.—Jeprendraivolontiersunjusdefruits.J’ailatêtequitourneunpeu.Ilsautasursespieds,affolé.—Pourquoin’as-turienditàl’hôpital?Ellesecontentadehausserlesépaules.— Pour être tout à fait franche, tous ces gens qui s’affairaient autour de moi me rendaient

folle.J’avaisjusteenviedemeretrouverdansunendroitcalmeoùmedétendre.Enpartierassuré, ilallachercherunverrede jusd’orangedans lacuisine.Elle lepritet levida

d’untrait.—Celadevraitallermieuxàprésent.Enfait, ilm’arrivedesouffrird’hypoglycémie,expliqua-t-

elle devant son air perplexe. La grossesse en accentue lesmanifestations, et je dois veiller àmangerrégulièrement,souspeinedem’évanouir.

Iljuraentresesdents,consternédevanttantdenégligence.—Etsicelat’arrivequandtuesseule?

—Eh bien, il faut juste que je veille à ce que cela ne se produise pas, répliqua-t-elle d’un tondésinvolte.

Inquiet,ilconsultasamontre.Cinqminutesàpeines’étaientécouléesdepuisqu’ilavaitappeléletraiteur.

—Jevaisbien,Rafe,dit-elled’unevoixdouce.Magrand-mèreestdiabétiquedepuistoujours,etj’ail’habitudedegérermontauxdeglycémie.

Elleavaitprononcédefaçonsinaturellelesurnomqueseulsluiattribuaientsesprochesqu’ilenfuttroublé.Ilsefrottalanuqueetregardaauloin,semblantchercherlaréponseàlaquestionquiletaraudait.Pourquoineparvenait-ilpasàsesouvenir?Si,commeellelesoutenait,ilavaitvraimentvécuavecelleune liaison romantique — il n’arrivait pas à se résoudre à qualifier ce qu’il avait vécu avec elled’histoired’amour—,pourquoisamémoirerefusait-elledeluiydonneraccès?

Enlavoyantretirerseschaussuresetrepliersesjambessouselle,ilsongeaque,s’ilsavaientforméuncouple,ilseseraitassisprèsd’elleetl’auraittendrementenveloppéedesesbras.Oubien,illuiauraitmassélespieds,peut-êtregonfléscommeilpeutarriveraucoursd’unegrossesse.

Cequileconfortadansl’idéequetomberamoureuxdecettefemmeenl’espacedequatresemainesétaittoutbonnement…ridicule.

Pourtant,lorsqueleursregardssecroisèrent,ilressentituneétrangeimpression.Commeunbesoinirrépressibledelaprotégeretdelaréconforter.

—Rafe,jen’aiplusdesacàmain,luirappela-t-elled’untonsineutrequ’ilendevenaitsuspect.—Qu’est-cequit’inquiète,Bryony?—Ilfautquejefasseoppositionsurmescartesdecrédit,répondit-elle.Seigneur!Iladéjàdûvider

tousmescomptes.Jen’aiplusdepermisdeconduire,plusdepapiersd’identité.Commentvais-jefairepourrentrerchezmoi?Jenepeuxpasvoyagersanspapiersd’identité.

Aufildesmots,sadésinvolturecédalaplaceàuneagitationextrême.Touchéparsavulnérabilité,ils’assitàcôtéd’elleet,dansungesteaussiretenuquemaladroit,passaunbrasautourdesesépaules.

—Iln’yaaucuneraisondepaniquer,dit-ild’untonrassurant.Nousallonspasserquelquescoupsdefiletréglertoutcela.

—Jepeuxrechercherlesnumérosdetéléphonesurinternetsituasunordinateurici.— Si j’ai un ordinateur ici ? répéta-t-il d’un ton ironique. Je n’imagine même pas me trouver

quelquepartsansconnexioninternet.Ellelevalatêteversluietleregardadroitdanslesyeux.—Pourtant,tut’enpassaisfortbiensûrl’île.Uneprofondeincrédulitéselutsursonvisage.—C’estimpossible!J’aiunesociétéàgérer.—Tu n’avais pas coupé le contact, précisa-t-elle. Simplement, tu passais tes coups de fil ou tu

répondaisàtese-mailstôtlematinoutardlesoir.Danslajournée,tulaissaistonSmartphoneàlamaisonpendantquenouspartionsexplorerl’île.

Ilsoupira,sceptique.—Tuvois,c’estpourcelaquejenepeuxpascroireàtonhistoire.Jamaisjeneferaisunechose

pareille,celanemeressemblepas.Illasentitseraidirets’écarterimperceptiblementdelui.Pourrattrapersamaladresse, ilse levaetallacherchersonordinateurportabledanssonattaché-

case.Ilrestaunlongmomentimmobileaumilieudelapièce,ledostourné,poursedonnerletempsdesecomposeruneattitude.

L’und’euxétaitfou,etilneseraitpasditquec’étaitlui.

Ilfinitparlarejoindreetouvritsonordinateurqu’ilplaçasuruncoussinàcôtéd’elle.—Si tuasdesproblèmespour faireoppositionsur tescartesdecrédit, fais-le-moisavoir.Nous

essaieronsdetrouveruneautresolution.—Etmonpermisdeconduire?Commentvais-jerentreràlamaison?D’un geste nerveux, elle repoussa en arrière son épaisse chevelure, mettant en valeur son teint

diaphane.—Jene te laisseraipas tomber,Bryony.Jeneveuxpasque tu t’inquiètes.Pourrais-tuappeler ta

grand-mère afin qu’elleme faxe une copie de ton extrait de naissance ?Tu pourras aumoins prendrel’avion,mêmesituferasl’objetd’unesurveillanceplusétroite.

—Pourquoinepasprendretonjetprivé?suggéra-t-elle.Neserait-cepasplusfacilesanspapiersd’identité?

Ils’éclaircitlagorge,unpeuembarrassé.—Disons que j’ai développé récemment une nouvelle phobie quim’empêche deme déplacer à

borddepetitsavions.—Excuse-moi.Jedoisteparaîtreinsensible.Maisc’estjusteque…quecevoyages’avèreêtreun

échecsurtoutelaligne.—Oui,jesuppose,murmura-t-il.Il s’en voulait tellement de perdre sa belle assurance aussitôt qu’il était en sa présence !Mais

c’étaitsurtoutaprèsluiqu’ilétaitencolère.Pasaprèselle.Contretouteattente,ilétaitdeplusenplusenclinàcroiresonhistoirefantasque.

Sielledisaitlavérité,illuifallaitpensersérieusementàl’avenirqu’ilseréservaitavecunefemmeprétendumentaiméeetàl’enfantqu’elleportait.

Sonenfant.

-6-

—Celamerappelletroplessoiréesquenouspassionschezmoi,ditBryonyavantdeporteràseslèvresuneautrebouchéedepoisson.

Rafael se résigna à l’écouter évoquer cet homme dont le comportement ne trouvait aucunerésonnanceenlui.Maisellen’ajoutarienetcontinuaàmangerensilence,cequipiquasacuriosité.

—Commentsepassaientnosjournées?demanda-t-ild’untonfaussementdésinvolte.Sonregarddevintnostalgique,etelleregardadehors.—Nousavionscoutumededînersurleponton.Notrerepasachevé,jem’allongeaisetjeposaisma

têtesurtesgenoux,puisnouscontemplionsensilencelecielétoiléetnousnouslaissionsbercerparlebruitdesvagues…

Savoixsefitplusbasse,etellepoursuivit.—Puisnousrentrionsetfaisionsl’amour.Dansmachambreoudansdesendroitsplusexotiques.La tristesse qu’il entendit dans sa voix le toucha au plus profond de lui-même, et les images

érotiques suscitées par son récit déclenchèrent en lui un intense désir. Il imagina leurs deux corpsnus,mêlés,ladouceurdesapeausousseslèvresetsesmains,leplaisirréciproquequ’ilssedonnaient.

Il secouadoucement la tête,maudissant intérieurementcettedualitéqui l’habitaitetqui lui faisaitdésirercetteétrangèrealorsquelaraison,elle,luisoufflaitdelafuirauplusvite.

D’ailleursquepouvait-ilbienespérer,alorsqu’illuiavaitclairementlaisséentendrequ’ellen’étaitpourluiqu’unmoyendeparveniràsesfins?

Unmoyendeparveniràsesfins.Enétait-ilsisûr?Qu’enétait-ildecetteattirancepresqueanimalequilespoussaitl’unversl’autre?

Qu’illeveuilleounon,ilexistaitentreeuxunealchimieincontrôlable.Peut-êtreétait-cecettemêmealchimiequiluiavaitfaitperdrelatêteetfairedespromessesqu’iln’étaitplusenmesuredetenir.Dieumerci,illuiétaitrestéassezdebonsenspournepasmettrecespromessesparécrit.

Trop de choses étaient en jeu, trop d’investisseurs avaientmisé sur cette affaire et trop d’argentavait déjà changé de mains pour qu’il se permette de faire échouer ce projet faramineux. Et pour yparvenir,ilavaitbesoindesacollaboration.

Pourtant,malgré cette belle détermination, il se sentitmal à l’aise sous son regard intense. Il luifallutquelquesminutespour retrouversonassuranceet focalisersonattentionsursonvisageaux traitsdélicats.Ilbrûlaitd’effleurerduboutdesdoigtslapeauveloutéedesesjouesetderetrouverladouceurdeseslèvres.

Etait-cecequ’ilavaitressentilorsqu’ill’avaitrencontréepourlapremièrefois?—Pourquoimeregardes-tuainsi?demanda-t-elleàvoixbasse.—Parcequejetetrouvebelle.Saréactionnefutpascelleà laquelle il s’attendait.Elle retroussa lenezd’unedrôledefaçonet

secoualatête,cequifitjolimentdansersesbouclesfolles.—Jecroyaisquejen’étaispastongenredefemme,minauda-t-elle.—Cequej’aivouludire,c’estque,d’habitude,jepréfèredesphysiquesdifférentsdutien.—Cen’estpasdutoutcequetuasdit,insista-t-ellepourletaquiner.Jetecite:«Tun’espasmon

genre.»Cequi,pourmoi,signifieclairementquetunemetrouvespasattirante.—Peu importe ce que j’ai pudire, grommela-t-il. Pour être plus précis, tu n’es pas le genrede

femmeavecquijesorshabituellement.— Avec qui tu as des relations sexuelles, plutôt. Parce que je te rappelle que nous avons fait

l’amourmaintesetmaintesfois.Tuétaisinsatiable.Enfait,àmoinsquetunesoislemeilleuracteuraumonde,aupointdepouvoirsimuleruneérectionetunorgasme,jediraisque,soittuesunmenteur,soittunemontresguèredediscernementdanslechoixdesfemmesavecquitucouches.

Hypnotiséparsabeauté,ilneréagitpasàlapiquequ’ellevenaitdeluilancer.—Vois-tu, poursuivit-elle sur lemême tonprovocateur, le problèmeest que, alors quenous, les

femmes,nouspouvonssimulerleplaisir,lachoseestimpossiblepourvous,leshommes,trahisparvotrepénis.

—Jen’aijamaisprétendunepasêtreattirépartoi,sedéfendit-il.Etquoiquej’aiepupenserdanslepassé,celanes’appliquemanifestementpasàtoi.

L’occasionétaittropbelle.—Ainsi,tupourraisadmettrequetuascouchéavecmoietquel’enfantquejeporteestletien?—Oui,avoua-t-ilentresesdents.Jeconçoisquec’estpossible,maisjenesuispasstupideaupoint

detecroiresurparole.SeuluntestADNpermettraitdelevérifier.Elleesquissaunpetitsouriresatisfait.—C’esttoutcequejevoulaissavoir,dit-elle,visiblementsoulagéed’ungrandpoids.—Temontrais-tutoujoursaussi…charmeuselorsquenousétionstouslesdeux?voulut-ilsavoir.Laquestionlapiquaauvif.—Quesuis-jecenséecomprendre?—Justequej’aitendanceàchoisirdesfemmesunpeuplus…—Stupides?suggéra-t-elleenledéfiantduregard.Oubienfaibles,effacées,soumises?continua-

t-elle.Amoinsquetunepréfèreslespotichesjustebonnesàsatisfairelemoindredetescaprices?Elleinterrompitsatiradepourluilancerlemêmeregardméprisantqu’elleauraitjetéàuninsecte

nuisible.—As-tulamoindreidéedel’épreuvequejesuisentraindetraverser?enchaîna-t-elle,lesyeux

brillants de larmes. Imagines-tu à quel point ilm’est difficile de te revoir,mais de ne pas pouvoir tetoucher, te serrerdansmesbrasni t’embrasser? Jesuisvenue jusqu’ici,pousséepar lebesoindemeconfronteràunhommequim’aarnaquéedelapirefaçonquisoit.Aprèst’avoirrevu,j’étaisrésignéeàtoutoublierdecettehistoire,mais tum’asalorsracontéquetuavaisperdulamémoire,et j’aicaressél’espoirquepeut-être tunemementaispas.Pourtant,unepartiedemoiredoutedetefairedenouveauconfiance,d’êtreunenouvellefoistrahie.Jesuisperdue,Rafael,jenesaisplusoùj’ensuis.

Illaconsidéraensilence,incapabledetrouverlesmotsquil’auraientrassurée.— Je pourrais faire comme toi et sortir à jamais de ta vie,mais je ne peux pasm’empêcher de

penserque tudispeut-être lavérité.Et sidemain lamémoire te revenait etque tu te rappelaisque tum’aimais?Ets’ils’avéraitquetoutcecin’étaitqu’unhorriblemalentenduquinouslaisseraitl’occasionderepartirdezéro?

Ellesetutetrepoussasonassiette,leregardfixésurunpointinvisiblesurlatable.— D’un autre côté, si c’était moi qui avais raison, ajouta-t-elle dans un souffle. Si tu feignais

l’amnésie?Aujourd’hui,j’attendsunenfant,jeluidoisdememontrerprudente.Sansréfléchiràcequ’ilfaisait,illapritdanssesbras,désireuxdeluioffrirunpeuderéconfort.Il

nepouvaitresterinsensibleàlasouffrancequ’ellevenaitd’exprimerniauxlarmesquiperlaientaucoindesesyeux.L’espaced’uninstant,elleseraidit,tellementimmobilequ’ilsedemandasielleneretenaitpassarespiration.

Ilsegrisadesonparfum,déçutoutefoisquecelui-cinedéclenchâtrienenlui.Nerépétait-onpas

pourtantquelesodeursétaientlesstimulantslespluspuissantsdelamémoire?Illasentitsedétendrepeuàpeuentresesbrasetellelaissaallersatêtecontrelui.Ildéposaalors

unbaisersursescheveux,toutens’étonnantd’untelgestedetendresse.C’étaituncontactsipersonnel.Siintime.—Jesuisdésolé,dit-il,sincèrementnavré.— Chut… ne dis rien. Laisse-moi y croire une minute, dit-elle en savourant le bonheur de se

retrouverdanssesbras.Ilobtempéra,s’autorisantsimplementàcaressersesbouclessombres.Ilsrestèrentunlongmoment

ainsienlacés,unmomentsilongquelesilenceluidevintpesant.Tantdequestionsrestaientensuspens!Sonregardseposasursonventre rond,et il sedemandasic’était làsa réalité.Sic’était lecas,

pourquoin’éprouvait-ilaucuneenviedefuir?Alors,ilcomprit:parcequ’iln’étaitpashommeàfuirlesrelationssérieuses,pasplusquesesresponsabilités.C’étaitunhommededécisionsquiavaitl’habitudedeprendredesinitiativessansenréféreràquiconque.

D’ailleurs,cen’étaitpaspourrienqu’ilavaitbâtisapropreaffaire.Ilpassaitleplusclairdesontempsdanssonbureau,seréjouissantdesefrotteràuneconcurrencequiluioffraitdenombreuxdéfisàrelever.Quantàsesloisirs,ilyconsacraittrèspeudetempsetlespartageaitleplussouventavecRyan,DevonetCam.

Si,jusqu’àprésent,iln’avaitvécuquedesaventuressanslendemain,c’étaitparcequ’aucunefemmene lui avaitdonné l’enviede renoncer,mêmepartiellement, à tout cequi faisait savie, cetteviequ’ilaimaittant.Quoiqu’ilensoit,ilavaiténormémentdemalàimaginerrencontrercellequiseraitl’éluedesoncœurettoutabandonnerpourelleenl’espacedequatresemaines.C’étaitlegenrededécisionsqu’onneprenaitpasàlalégère,mêmefouamoureux,etquiméritaitd’êtremûrementréfléchie.

Pourtant,alorsqu’illaregardaitseblottirunpeupluscontrelui,quelquechoseaffleura.Undésirqu’iln’avaitjamaisressentietqui,normalement,auraitdûleterrifier.

Ilsesurpritàsouhaitersesouvenirdetoutcequ’elleluiavaitdécrit,carcemodedevieluiparutsoudainséduisant.

Sicetteperspectiveneluifaisaitpaspeur,alorsriennelepourrait.

-7-

—Rafael!Rafael!Lève-toi!Vite!Rafaelseréveillaensursautetrepoussalescouvertures,prêtàsauterhorsdulit.Deboutprèsdulit,

Bryonyétaittouthabilléeetsautillaitd’unpiedsurl’autrecommeunegaminesurexcitée.—Qu’ya-t-il?demanda-t-ilsanspouvoircachersoninquiétude.C’estlebébé?Tut’esblessée?Ellesecoualatête.—Alors,pourquoicries-tudelasorte?Tuasvul’heure?—Ilneige!s’exclama-t-elleavecunejoieenfantine.Ellesaisitsamainpourletirerhorsdulit,maiss’arrêtanet,commepétrifiée,lesyeuxbaisséssur

sonpénisenérection.D’ungestepudique,ilrabattitvivementlescouverturessurluitandisqu’ellereculait.—Désolée,dit-elle,embarrassée.Jevaisyallertouteseule.Elleavaittournélestalonslorsqu’ilbondithorsdulit,s’enroulantrapidementdansledrap.—Attends-moi!s’écria-t-il.Oùvas-tu?Elleseretournaverslui,lesyeuxbrillantsd’excitation.—Dehors,biensûr!Jetedisqu’ilneige!Il regarda vers la fenêtre, mais son esprit encore embrumé de sommeil ne prit pas vraiment

consciencedelamétéo.—Nemedispasquetun’asjamaisvudeneige?demanda-t-il,sceptique.Ellesecoualatête.—Tuessérieuse?—Je te rappelleque jevis surune île au largedescôtes texanes.Et là-bas,vois-tu, il neneige

jamais.—Maistuasdéjàquittétonîle.Tuauraispuséjournerdansdesrégionsenneigées.—Jenesuispaspartietrèssouvent,répondit-elleenhaussantlégèrementlesépaules.Ellejetaitdefréquentscoupsd’œilendirectiondelafenêtre,commesiellecraignaitquelaneige

disparaisseàtoutinstant.—Jet’accompagne.Donne-moicinqminutes,letempsquejem’habille.Elleluiadressaunsourireradieuxavantdequitterlapièced’unpasdansant,refermantlaportesur

elle.Lentement,illaissaglisserledrapausoletregardasonsexetoujoursenérection.—Espècedetraître,grommela-t-il.

Il alla dans la salle de bains, s’aspergea le visage d’eau et grimaça devant sa barbe naissante.Habituellement, il ne sortait jamais de chez lui avant d’être impeccable. Mais cette fois, il devraitsacrifieràsonrituel:Bryonydevaitprobablementpiétinerd’impatiencedevantlaporte.

Ilpritnéanmoinsletempsdesebrosserlesdentspuisenfilaunpantalonenveloursetungrospulldelainequ’ilassortitd’unpardessus.

IlretrouvaensuiteBryonyqui,lenezcollécontrelavitreetunsourirebéatauxlèvres,ressemblaitàuneenfantémerveilléeparleslumièresscintillantesdeNoël.

—Autantquetuneprennespasfroid.Ilenroulauneécharpeautourdesoncouetajustaunbonnetdelainesursesbouclesfolles.Ilreculapourjugerdel’effetobtenuetlatrouvatoutsimplement…ravissante.Résistant à l’envie de l’embrasser, ce qu’il ne manquerait pas de juger par la suite stupide, il

détournalatêteetfitungestevagueendirectiondelaporte.—Nouspouvonsyaller.Elleleprécédadanslepetit jardinquientourait lapropriété,surprisedeconstaterqu’iln’yavait

personne.Commentpouvait-on resterà l’intérieurparunesibelle journée?Elleoffrit sonvisageauxfloconscotonneuxetéclatad’unrirejoyeuxlorsqu’ilsvinrentfondredoucementsursesjoues.

Elleouvritlesbrasetsemitàtournoyersurelle-même,luioffrantunspectaclecharmantdegrâce.Puis elle courut vers une haie de séparation recouverte d’une couche de neige épaisse et entreprit defaçonnerunebouledontellelemenaçaavecungrandsourirecandide.

—Bryony,l’avertit-ild’unevoixsourde.N’ypensemêmepas.Ilavaitàpeineterminésaphrasequ’ilrecevaitl’obusenpleinvisage.Hilare,elles’empressadeconfectionnerdenouvellesmunitions,maisillapritdecourtenripostant

àsapremièreattaque.—Tuvois,mêmetoitunepeuxpasrésister,dit-elleenesquissantunepetitemouemoqueuse.—Résisteràquoi?—Aujeu.Maisilestvraiquelaneigenousfaitretrouveruneâmed’enfant.—Jene jouaispas, rétorqua-t-ild’un tonfaussementsévère.Jemevengeais.Etmaintenant,nous

ferionsmieuxderentrer.Ilfaitfroid.—C’estnormal,puisqu’ilneige,letaquina-t-elle.Puis,feignantd’ignorersamineexaspérée,elleluilançad’autresboulesdeneige,laissantexploser

sajoie.—Trèsbien,dit-il.Sic’estainsi,laguerreestdéclarée.—J’ensuisravie,répliqua-t-elle.Grâceàmoi,tutelaissesenfinunpeualler.Elleprofitad’unmomentd’inattentiondesapartpourleviserentrelesdeuxyeux.Unefoissacible

atteinte, elle recula lorsqu’elle le vit s’approcher d’elle, faussement menaçant. Malheureusement, lejardinclosdetoutespartsneprésentantaucuneissuepossible,ellerenonçaàfuiretdécidad’affronterledanger,billeentête.

Ellelemitraillasansrelâche,maisendépitdesonénergie,n’arrivapasàrivaliserdevitesseaveclui.Ellelevaalorslesmainsenguisedereddition.

—Pouce!—Jenesaispaspourquoi,maisjen’aiaucuneconfianceentoi,affirma-t-ilsanslalâcherdesyeux

tandisqu’ilgardaitenmainunebouledeneigeprêteàfuserverselle.Elleluiadressaunsourirecandideetlevadenouveaulesmains,lespaumesbienenévidence.—Tuasgagné.Jesuisgelée.Il lâcha son projectile et se dirigea vers elle, un peu méfiant. Comme la première fois qu’ils

s’étaientrencontrés,illajaugeaenconnaisseur,maiscettefois,ellenes’enoffusquapas,carderrièrecetairdeconquérantfierethautain,ellesavaitquesecachaitl’hommeleplusadorableaumonde.

Elle soupira. Pourquoi le destin lui jouait-il un aussi mauvais tour ? Qu’avait-elle fait de sirépréhensiblepourêtrepuniedelasorte?

—Nousferionsmieuxderentrer,répéta-t-ilenlavoyantfrissonner.Tun’aspaslatenueadéquate,etilseraitjudicieuxd’allerfairequelquescourses.

—Ceneserapasnécessaire,objecta-t-elle.Je te rappellequenouspartonspourMoonIslandetque,là-bas,jen’auraipasbesoindevêtementschauds.

—Et,enattendant,jesuiscenséteregardermourirdefroidsansrienfaire?Non,crois-moi,iltefautaumoinsunmanteau.As-tuunepréférencepourlecuir,lafourrure?

—Heu…non.Unmanteautoutsimpleferal’affaire.Ileutungestedelamainquisignifiaitqu’ilrenonçaitàargumenter.—Jevaisarrangerça.—Comme tu voudras, répondit-elle avec un haussement d’épaules. De toute façon, tu n’en fais

toujoursqu’àtatête.— Lorsque le concierge m’a annoncé que tu étais en train de jouer dans la neige, je me suis

demandésitun’étaispassousl’influenced’extraterrestres.BryonyetRafael se tournèrent enmême tempsversDevon,négligemment appuyécontre l’undes

réverbèresquiéclairaientleseuildubâtiment.— Très drôle, marmonna Rafael. Que me vaut l’honneur de ta visite ? ajouta-t-il en prenant

ostensiblementlamaindeBryonydanslasienne.—Jesuisjustevenuvérifierquetoutsepassaitbien.J’aientendudirequ’ilyavaiteudugrabuge,

hier.Parréflexe,Bryonypassaunemainprotectricesursonventre.—Commetupeuxleconstater,ellevabien,réponditRafaelàsaplace.Etmaintenant,si tuveux

biennousexcuser,jeneveuxpasqu’ellerestedanslefroidaussilégèrementvêtue.—Enfait,c’estpourtoiquejem’inquiète, lançaDevon.Bryonymesembleprendreparfaitement

soind’elle-même.Piquée au vif, Bryony se racla la gorge. Devon se fichait pas mal de sa santé ; tout ce qui

l’intéressait, c’était son grand ami Rafael ! Pour lui, elle n’était qu’une intrigante qui cherchait à leprendredanssesfilets!

—Jevaisvous laisserdiscuterentrevous,dit-elleendégageant samain.Tuas fermé laporteàclé?

—Non,maistuaurasbesoindecettecartepourprendrel’ascenseur.Elles’emparaprestementdelacarteetsehâtaversl’entréetoutenadressantàDevonunpetitsigne

delamainquisevoulaitamical.Lesdeuxhommeslaregardèrentdisparaître,puisRafaelpritlaparole.—Qu’est-cequetuesvenufaireici?demanda-t-ild’untonpeuamène.— Comme je te l’ai dit, je m’inquiétais pour toi. Il s’est passé beaucoup de choses ces deux

derniersjours,etjevoulaism’assurerquetuallaisbien.Jevoulaiségalementsavoirsilamémoiret’étaitrevenue.

Pourtouteréponse,Rafaelesquissaunemouedubitativeetdésignalaportedumenton.—Rentrons.Ilfaittropfroidici.Les deux amis s’arrêtèrent dans un petit salon et investirent la table qui se trouvait près de la

cheminée.

—Toutvabien,assuraRafaelunefoisqu’ilsfurentassis.Etjet’interdis,àtoiainsiqu’àRyanetCam,decomploterdansmondospourcequevouspensezêtremonbien.

—MêmesijepensequecetteidéesaugrenuedeterendreàMoonIslandestpurefolie?—Surtoutsic’estcequetupenses.Contrairementà sonhabitude,Devonnecherchapasàargumenter.Plutôtdirect, tranchantetdoté

d’unespritpragmatique,ilsegardapourtantcettefoisdetoutcommentaire.—Tuessûrquec’estcequetuveux,Rafe?avança-t-ilprudemment.Crois-turéellementquec’est

unebonneidéedeterendrelà-basavecunefemmedonttun’asaucunsouveniretquiclamesurtouslestoitsqu’elleporte ton enfant ?Laprudence,me semble-t-il, te commanderait d’appeler ton avocat, depasseruntestdepaternitéetd’attendresagementlesrésultats.

Lèvrespincées,Rafaeljetaunregardsévèreàsonami.—Etpuis?—Commentça,«etpuis»?Toutdépendradesrésultats,voyons!—S’ils’avèrequejesuislepèredecetenfant,sitoutcequeBryonyaffirmeestvrai,alorsj’aurais

déjàperdu tropde temps. Je lui ai déjà fait assezdemal commecela, et jen’ainulle enviequemonavocatinsistepourluifairepasserdestestssommetoutehumiliantspourelle.

—Situasdéjàfaittonchoix,alors…Rafaelsepassalamaindanslescheveux.Soudain,ilsemblaunpeuperdu.— Je ne sais pas où est la vérité, Devon. La raison me souffle que toute cette histoire est

invraisemblable,quejen’aipasputomberamoureuxd’unefemmedansunlapsdetempsaussicourtaupointdevouloirchangerdeviepourelle.Toutcelaparaîtsiridicule!

—Mais…?—Maisjesais,aufonddemoi,queBryonyetmoiavonsvécuquelquechosedefort.Lorsqueje

suis près d’elle, que je la touche… c’est comme si j’étais quelqu’un d’autre, quelqu’un quim’estétranger.Jenesaispascommentl’expliquer,maislorsqu’elleévoquelesmomentsintimesquenousavons partagés, elle parle avec tant de conviction que je ne peux que la croire. Plus que ça, même.Jeveuxlacroire.

Devonlaissaéchapperunsifflementunpeuironique.—Donc,tonopinionestfaite.Rafaelsavaitcequesonamiattendaitdelui.Mais,contretoutelogique,ilréponditcettefoissans

l’ombred’unehésitation.—Oui.

-8-

—Tu te sens suffisamment en forme pour voyager ? demandaRafael d’une voix où pointait unecertaineinquiétude.

Bryonydélaissalesteakénormequ’elleétaitentraindedévoreravecappétitetlevalesyeuxverslui.

—Rafael,jet’assurequetoutvabien.—Peut-êtreserait-ilplusprudentquetuvoiesungynécologueavantquenousnequittionslaville,

insista-t-il.—Siceladoitterassurer,j’irairendrevisiteàmonmédecinaussitôtquenousseronsarrivés.Mais,

jetelerépète,jemesensparfaitementd’attaquepourentreprendrecevoyage.Amoinsquetunepréfèresreporterladatedetondépart?Tupourraismerejoindreplustard,sicelat’arrange.

Rafaelfronçalessourcilsetposasafourchettesurleborddesonassiette.—Nouspartironsensemble,décida-t-ilfermement.Ilesttrèsimportantquenousrépétionslemême

schémaquelorsquejesuisarrivésurl’îlepourlapremièrefois.Elleréfléchitquelquessecondespuisluidemanda:—Qu’enpensetonmédecin?Il remua sur sa chaise,mal à l’aise.Bien qu’installés à une table à l’écart, il jeta néanmoins de

furtifs coups d’œil autour de lui afin de s’assurer qu’aucune oreille indiscrète ne pouvait entendre cequ’ils’apprêtaitàdire.

—Ilpensequecettepertedemémoireestdueàunproblèmed’ordrepsychologique.Maissij’étaissiheureux,siamoureux,pourquoicettevolontéd’oublier?Celan’aaucunsens.

Il remarquaqu’elle s’étaitmiseà tressaillir légèrement tandisque sesdoigts se crispaient sur safourchette.

—Jen’aipasditcelapourteblesser,affirma-t-ild’unevoixdouce.Maisilyatantdechosesquejenecomprendspas!SijetienstellementàretourneràMoonIslandavectoi,c’estparcequejeveuxretrouver l’homme que j’étais lorsque j’étais là-bas. L’homme que tume décris, que tu aimais et quit’aimaitenretour,n’estqu’unétrangerpourmoi.

—Ilsemblequenoussoyonstouslesdeuxdesétrangersl’unpourl’autre,répondit-ellecalmement.C’estvrai,aprèstout,peut-êtrequecethommen’existepas,qu’iln’aexistéquedansmonimagination.

Pourtouteréponse,leregarddeRafaels’attardasursonventrejolimentrebondi.—Aucundenousn’aimaginécetenfant,quejesache.C’estbienleseulélémenttangibledetoute

cettehistoire,d’ailleurs.

UneprofondetristessesepeignitsurlestraitsdeBryonyquirepoussasonassiette,sonbelappétitsubitementenvolé.

—Iln’yapasquelebébé,dit-elle.L’amourquejeteportaisétaitréel,luiaussi.Maisj’imaginequenousne saurons jamaisqui était leRafaeldeMoon Island, celuique j’ai connu, celuique tuniesfarouchementpouvoirêtre.

Ellenouasesmainssursescuissesetsepenchaenavant.—Maisdis-moi,Rafael,quelhommesuis-jecenséecroire,moi?Celuiquisoutientqu’iln’apaspu

tomberamoureuxd’unefemmequin’estpassongenreoul’amantmerveilleuxquipassaittoutessesnuitsavecmoi?Peuimportecedonttutesouviendrasdemainouunjourlointain,ajouta-t-elle,cequejesais,c’estqu’unepartiedetoiserefuseàrevivrecettehistoire.Notrehistoire.

Elle vit qu’elle avait visé juste. Le malaise de Rafael s’accentua, tandis que son visages’assombrissaitetqu’ilouvraitlesmainsdansungesteexprimantuneprofondeimpuissance.

—Bryony,je…—Non,Rafael, l’interrompit-elle avec force.Ne rends pas les choses plus difficiles enniant la

réalité. Je préfère que tu continues à faire preuve d’honnêteté. J’aimerais aussi que tu gardes à lamémoireque,danscettehistoire,tun’espaslaseulevictime.

— Je suis désolé, dit-il avec un accent de sincérité qui ne trompait pas. Je me suis montréextrêmementégoïste,pardonne-moi.

Ellesentitsoncœurseserrer.Toutecettesituationn’étaitqu’unimmensegâchis.Elleseretintavecpeinedenepassejeterdanssesbraspourluimurmureràl’oreillequ’ellel’aimaitencore.Ellebrûlaitde le supplierde lagarderprèsde luipour toujours.Pourtant,ellegarda le silence, le regarddans levide.

—Etsilamémoireneterevientjamais?demanda-t-elleauboutdequelquesinstants,formulantsaplusgrandecrainte.

—Jenesaispas,répondit-ilhonnêtement.J’espèrequecelaneseproduirapas.Elle s’enfonça dans son siège, consciente du poids qui lui écrasait la poitrine et lui nouait

affreusementlagorge.— Qu’as-tu emporté dans ta valise ? enchaîna-t-elle d’un ton léger, désireuse de détendre

l’atmosphèredevenuetroplourde.Uncourtinstant,ilparutdécontenancéparletourqu’ellesemblaitsouhaiterdonneràladiscussion.—Jen’aipasencorepréparémesbagages,avoua-t-ild’untonpiteux.—Maisnouspartonsdemainmatin!Tucomptest’enoccuperàladernièreminute?Ilesquissaunemoued’enfantprissurlefait.—Avraidire,jenesaispastropquoiprendre.Tuasmentionnéunmaillotdebain,destongs…Ellesemitàriredeboncœur,lepoidssursapoitrines’allégeant.—Tu ne penses tout demême pas te baigner !Même s’il fait chaud, la température de l’océan

baisse de façon significative à cette période de l’année.Mais tu pourrais emporter des shorts et deschaussuresconfortables.

—Jetefaisconfiance,marmonna-t-il.Puisqu’ilparaîtquej’aidéjàoséportercegenredechoses…—Ettuvois,tun’enespasmort,letaquina-t-elle.Tut’enesmêmetrouvébeaucoupplusdétendu.—Insinuerais-tuquejesuiscolletmonté?—Absolument.Songeur,ilfittournersonvindanssonverreetfixal’estradeoùseproduisaitungroupedejazz.—Dis-moi,Bryony,est-cequenousdansionsdurantmonséjoursurl’île?Surpriseparsaquestion,ellesecoualatête.Ilselevaetluitenditlamain.

—M’accorderez-vouscettedanse,mademoiselle?demanda-t-ild’untonfaussementobséquieux.Soncœurbattant lachamade,elleglissasamaindanslasienneetselaissaentraînersur lapiste.

Ellefermalesyeuxetlaissaéchapperunsoupird’aise,tandisqu’elleselovaitcontreluietsegrisaitduparfumvirildesapeau.

Comme il lui avait manqué ! Même lorsqu’elle l’avait détesté au plus haut point, qu’elle avaitenvisagélepire,lesouvenirdeleurscorpsmêléslatenaitéveilléedesnuitsentières.

Leurscorpsondulaientaumêmerythme,etillatenaittoutcontrelui,commes’ilvoulaitclameràlafacedumondequ’elleétaitsienne.

—Sais-tuquetuesunevéritableénigme,Bryony?luimurmura-t-ilàl’oreille.—Uneénigme?Vraiment?—Oui.Tufaispartiedesnombreuxélémentsquiperturbentmonexistencedepuispeu.Elleneréponditrien,préférantattendrequ’ildéveloppesapensée.—Jetejurequejenemesouvienspasdetoi,reprit-il.Jeteregarde,maiscelanedéclencherienen

moi.Pourtant,lorsquenoussommesprochescommemaintenant,lorsquejetetouche…Savoixgraveetsensuellelafitfrissonnerdelatêteauxpieds.—C’estcommesi…—Commesi?lepressa-t-elle.Ilneréponditpastoutdesuite,semblantchercherlesmotsjustes.—Commesinousétionsfaitsl’unpourl’autre,admit-ilsimplement.Jen’aipasd’autreexplication,

c’estjustecequejeressensprofondément.Bryony sentit son cœur bondir de joie dans sa poitrine et, pour la première fois, elle se prit à

espérer.Ellehésitaentreseblottircontreluioul’embrasser,aussisecontenta-t-elledeluiadresserunsourirerayonnant,presquetriomphant.

—Jenecomprendspasquecelapuisseterendreaussiheureuse,murmura-t-il,décontenancé.—Comment voudrais-tu qu’il en soit autrement, alors que tu viens d’admettre que nous sommes

faitsl’unpourl’autre?dit-elle,lagorgenouéed’émotion.Mueparunéland’affection,ellesehissasurlapointedespiedseteffleurasajouedeseslèvres.

Peut-êtreétait-ceensouvenirdecequ’ilsavaientpartagéoubienencorepousséepar lebesoinde luiconfirmerqu’ilsétaienteffectivementfaitsl’unpourl’autre.

Ce qui pour elle n’était qu’un geste d’affection fut pour lui un appel à la sensualité. Il posa sabouche contre la sienne et l’embrassa comme s’ils n’avaient jamais été séparés, comme il l’avaitembrasséetantdefois.Avecprofondeur,émotionettendresse.Commesi,àtraverscebaiser,ilcherchaitàsefairepardonnertoutlemalqu’illuiavaitfait.

Un sentimentde tristesse etde joiemêlées la submergea, tandisqu’elle s’abandonnait contre lui.Lorsque,finalement,ils’écartad’elle,sonregardétaitsombreetsoncorpstremblaitlégèrementcontrelesien.

—Unepartiedemoisesouvient,Bryony.Celadoitbiensignifierquelquechose.Elleacquiesça,incapabledeformulerlemoindremottantl’émotionqu’elleéprouvaitétaitforte.—Nousallonsnousretrouver,Rafe,articula-t-ellelorsqu’ellesesentitlaforcedeparler.Et,cette

fois, je ne te laisserai pas m’échapper aussi facilement. Avant, j’étais portée par la colère, maismaintenant que je connais le drame qui nous a séparés, je ne renoncerai pas àme battre. C’est notrebonheuràtouslesdeuxquiestenjeu.

Touchépartantd’amour,ilcaressasajoueavecungested’unetendresseinfinie.—Tuesunefemmeétonnante,Bryony.Etjecommenceàcomprendrecommentj’aipumelaisser

prendreàtoncharmedèsquejet’airencontrée.

Commepourdonnerplusdepoidsàsespropos, il sepenchaverselleet l’embrassadenouveauavecpassion.

—Jeveuxmerappeler,murmura-t-ilaucombledel’émotion.Jet’enprie,Bryony,aide-moiàmerappeler.

—Jevaist’aider,dit-elleavecforce.Ensemble,nousyparviendrons.

-9-

Le vol de retour se déroula dans de bienmeilleures conditions que l’aller, car si Bryony avaiteffectué levoyage jusqu’àNewYorkcoincéeentrecequ’elleaurait juréêtredeux joueursde footballaméricain,ellesetrouvaitpourl’heureenpremièreclasseencompagniedeRafael.

Lorsqu’ils atterrirent àHouston, elle se sentait fraîche et détendue, prête à accomplir le reste dutrajet.

—Mavoitureestlà.Iln’yaaucuneraisonpourquenousnelaprenionspas,déclara-t-elle,tandisqu’ilsattendaientleursbagagesdevantletapisroulant.

—Nousvoyageronsplusconfortablementsitumelaissesfaireleschosesàmaguise,insista-t-ilàsontour,enbonchefd’entreprisequ’ilétait.

—Maisnousauronsbesoind’unevoituresurl’île!Mêmesielleestpetite,nousnepouvonspastoutfaireàpied.

Rafaelsoupira,convaincu.—Très bien,mais je trouve insensé que tu prennes le volant après avoir déjà voyagé toute une

partiedelajournée.Ellelevalesyeuxaucieletsemorditlalèvrepours’empêcherderiposter.Poussantdevanteuxleurchariotsurlequelétaitempiléunnombreimpressionnantdebagages,ilsse

dirigèrentversleparkingdel’aéroport.—Nemedispasquec’esttavoiture?dit-illorsqu’illavits’arrêterdevantuneMiniCooper.—Pourquoi?Quelquechosenevapas?—Peux-tum’expliquercommenttucomptescasertousnosbagagesdanscetteboîteàsardines?—Cessederonchonner,veux-tu?rétorqua-t-elled’unevoixdoucedestinéeàapaisersamauvaise

humeurnaissante.Nousallonsnousdébrouiller.Une fois le coffre plein, ils entassèrent tant bien que mal le reste des valises à l’arrière de la

voiture.—Etvoilà!annonça-t-elletriomphalementenrefermantlaportièresurlabanquettebourréeàbloc.—Malheureusement,nousn’avonspaspenséàpousserlesiègeenarrièrepourmelibérerunpeude

place,grommela-t-ilencoreunefoisassis.Elle rit souscapeen levoyantplier ses longues jambesdumieuxqu’ilpouvaitpour lesbloquer

contreletableaudebord.— Je suis désolée, dit-elle après avoir repris son sérieux. Je n’avais pas pensé à ce genre de

détails.

—Etlebébé?Commentvas-tufairelorsquelebébéseralà?—Lebébé sera installé dansun siège auto, bien sûr, répliqua-t-elle enmanœuvrant prudemment

poursortirdesaplacedeparking.Commetouslesbébés.—Enimaginantquetupuissescaserunsiègeautolà-dedans,tuterendscomptedurisquequetului

feraisprendreencasd’accident?—C’estmavoiture,Rafael,et jen’enaipasd’autre.Etmaintenant,sinouspouvionschangerde

sujet…—Combiendetempsfaut-ilpournousrendreàGalveston?s’enquit-il.—Uneheure.Ensuite,nousprendronsunferrypourMoonIsland.Entout,etsinousnesommespas

prisdansunembouteillage,ilfautcompterencoredeuxheures.Trenteminutes plus tard, ils étaient bloqués sur la I-45, Bryony jurant entre ses dents et Rafael

cherchanttantbienquemalàbougersagrandecarcassepourenapaiserlestensions.—Jesaiscequetuvasdire,anticipa-t-ellelorsqu’ellelevittournerlatêteverselle.Tuasraison,

nousaurionsdûlaissermavoitureàl’aéroport.Ilesquissaunpetitsouriremoqueur.—Enfait,tutetrompes.J’étaisentraindemedirequej’avaisbienfaitd’allerauxtoilettesavant

dequitterl’aéroport.—Imagineunpeulecalvairedesfemmesenceintes,rétorqua-t-elleensoupirant.Ilhaussaunsourcilinquiet.—Veux-tuquejeprennelevolant?—De toute façon, tu ne pourrais jamais conduire avec les genoux coincés sous lementon.Non,

essayonsplutôtdetrouverunsujetdediscussion.Celamedistraira.Ilréfléchituninstant,puisselança.—Tupourraismeracontercequetufaisdanslavie.Jeveuxdire…est-cequetutravailles?Tu

m’asditquetuprenaissoindetagrand-mère,maisjen’aipasbiencomprissicettetâchet’occupaitàpleintemps.

Evoquer sa grand-mère qu’elle aimait tant amena sur les lèvres de Bryony un sourire plein detendresse.

—Non.Mamieestencoreparfaitementautonome.Disonsquenousveillonsmutuellementl’unesurl’autre.Quantàcequiestdegagnermavie, jesuisassezpolyvalente.Tout lemondefaitappelàmoilorsqu’ilyaunproblèmeàrégler.

Illaregardafixement,semblantnepascomprendredequoiils’agissait.—Enfait,précisa-t-elleenriant,j’ailetitrepompeuxdeconsultante,situtiensvraimentàmettre

unmotsurmafonction.—J’avouequetupiquesmacuriosité.Quelgenredeproblèmespeux-turéglerparexemple?—Ehbien,unefoisparsemaine,jegèrelacorrespondancedumaire.Comptetenudesonâge,ilest

unpeufâchéavecl’informatiqueetlesordinateurs.Lui,cequ’ilaime,cesontlesmagazinesimprimés,lesjournauxenpapieretsuivrelesinformationssurlachaînedetélélocaleplutôtqu’ensurfantsurCNN.Voilàlegenredechosesquel’onattenddemoi.

—Commentuntypepareila-t-ilpuêtreélumaire?railla-t-il.—Tu te rendras vite compte qu’une grande partie de la population est comme lui et refuse les

avancées technologiques.Mais ne t’inquiète pas, nous disposons d’internet, de chaînes satellites et detoutcequifaitleconfortmoderne.

Ilsecoualatête,consterné.—At’écouterparler,j’entrembled’avance.Commentpeut-onvivreencoredenosjourscommeau

MoyenAge?—Oh!jet’enprie, lerabroua-t-ellegentiment.Tunet’ensouviensévidemmentpas,maistut’es

passédetonSmartphoneainsiquedetonordinateurpendanttouteunesemaine.Unesemaine,tuterendscompte?

—Sacrérecord,eneffet,marmonna-t-il,semblantdouterdecequ’ellevenaitdedire.—Ah!Çayest!Lacirculationredevientfluide,nouspouvonsenfinavancer.Ellejetauncoupd’œilrapideàsamontreetconstataqu’ilsavaientdéjàperduuneheure.Ilferait

nuitlorsqu’ilsarriveraientsurl’île.Pourtant,cecontretempsnediminuaenriensonexcitation.Cen’étaitpeut-êtrequepurefolie,maisellesouhaitaitdésespérémentrevivreletempspasséavecRafaelsurl’île.Revivrechaqueminutedéjàvécueavecluiauparavant.

Ellevoulaittantqu’ilsesouvienne!Ilfallaitqu’ilsesouvienne.C’étaitsonseulespoirdelevoirretomberamoureuxd’elle.

—Unsoupourvospensées,belledame,plaisanta-t-illorsqu’illadevinaloindelui.Elleeutunemoueenfantine,tandisqu’ellesefaufilaithabilemententredeuxvoitures.—J’aibienpeurquecelan’envaillepaslapeine.—Alors,n’ypensepas.Asagrandesurprise,iltenditlebrasverselleetsemitàluimasserdoucementlanuque.Cegeste

étaitsidoux,sitendrequ’ellefuttentéedefermerlesyeuxetdeselaisserallertotalementàcettecaressesensuelle.

—Jemesensnerveuse,Rafael,finit-elleparavouer.Ellesemorditaussitôtleslèvres,maudissantcettespontanéitéquiluifaisaitsouventdiredeschoses

qu’elleauraitdû taire.Mais telle était sanature.Ellepréférait livrer cequi la tourmentait,quitte à leregretterplus tard.Poursedonner lecouragedepoursuivre,elle se rappela les longuesconversationsqu’ilsaimaientavoir.

—Pourquoi?interrogea-t-ilavecdouceur.—Acausedetoi,demoi,denous.Etsitoutcelaneservaitàrien?J’aitellementpeurquetunete

souviennespas.Celasignifieraquejet’auraisperduàjamais.—Commentpeux-tudirecela?Nousallonsavoirunenfant,Bryony,etjenecomptepasdisparaître

devotreviejusteparcequej’aioubliélesdétailsdelaconception.—Ondiraitquetut’esfaitàl’idéequecetenfantestbienletien,dit-ellelecœuremplid’espoir.—Disonsquej’aichoisidelecroire,rétorqua-t-ilenhaussantlesépaules.—Merci,murmura-t-elle,émue.Jesuissiheureusequetuacceptescetenfantdanstavie.Ilsetut,hésitant,avantd’ajouteravecgravité:—Toiaussi,jet’accepte.Illuiprittendrementlamain.—Jesaisqu’ilyaquelquechoseentrenous,poursuivit-il.Etsi j’accepte l’idéequenousavons

conçuunenfantensemble, jedois forcémentaccepter l’idéequenousnoussommesaimés,que tuétaisquelqu’und’importantdansmavie.

—Jel’espère,dit-elledansunsouffle.—Dis-moi,Bryony.Est-cequetum’aimestoujours?Danssavoixperçaitunevivecuriosité,àlaquellesemêlaitlacrainted’uneréponsenégative.—Cen’estpasjuste,protesta-t-ellefaiblement.Tunepeuxpasattendredemoiquej’admetteaimer

unhommepourquijesuisuneparfaiteétrangère.Touchéparledésarroiqu’elleéprouvait,illuicaressalajouedansungested’uneinfinietendresse.—D’accord.J’attendraidemesouvenir.

-10-

Aprèsuntempsquiluiparutuneéternité,Bryonyimmobilisaenfinsapetitevoituredansleferryetsautaavecimpatiencesurlepont.

—Oùvas-tu?s’enquitRafael.Ellesepenchaparlavitreetluiadressaunsourireradieux.—Admirerlecoucherdesoleil.Viensavecmoi,tuverras,c’estgrandiose.Depuisqu’ilss’étaientretrouvés,ils’étaithabituéàsonexubérance,maisilnotaquesonexcitation

allait croissant depuis qu’ils avaient quitté la ville. Un peu comme si elle trépignait d’impatience decommencerl’expériencequiluirendraitl’hommequ’elleavaitconnu.

Il se surprit à vouloir sincèrement retrouver la mémoire. Non seulement parce qu’il refusait detoutes ses forces ce trou béant qui lui gâchait l’existence, mais parce qu’il sentait poindre l’espoir.L’espoirqueBryonyneluimentaitpas,mêmesicettehypothèsesignifiaitunchangementradicaldanssavie.Iln’étaitpascertaind’êtreprêtàêtrepère,nimêmeàseprojeterdansunerelationsérieuseavecunefemme.Maisl’amour,levrai,celuiqu’évoquaitBryony…cetamour-là l’intriguaitet l’attirait toutà lafois.

Ilsemitàespérerdetoutessesforcesdenepaslablesserdenouveau.Quelemiraclequis’étaitproduitsurcetteîlequatremoisplustôtserenouvelle.

Encoreperdudanssespensées,ilsortitdelavoitureetdégourditavecdélicesoncorpsankylosé.Ilinspiraprofondémentl’airfraisetoffritensouriantsonvisageauxembrunssalés.

Bryony lui prit lamain avec empressement et le conduisit là où une foule compacte s’était déjàrassemblée.Pressécontrelebastingage,chacunattendaitlespectaclemagiquedudisqued’orplongeantpeuàpeudansunhorizonflamboyant.

—C’estbeau,n’est-cepas?—Oui,acquiesça-t-ilsimplement.—Tun’enaspasvubeaucoupdanstavie,n’est-cepas?—Pourquoidis-tucela?—C’est toi qui t’en plaignais lorsque nous allions nous asseoir sur le ponton au crépuscule.Tu

disaisquetufinissaisdetravaillertroptardetquetuétaistoujoursdansl’urgence.Aussi,j’avaisdécidédetefaireprofiterdetoutcequel’îleademeilleurduranttonséjour.Oh!Regarde!Desdauphins!

Il suivit la direction de son doigt et aperçut quatre silhouettes gracieusement arc-boutées sedécouperdanslesoleilcouchantavantdedisparaîtredanslesflots.

— Ils ont l’habitude d’accompagner le ferry sur quelques milles, expliqua-t-elle avec une note

d’excitationdanslavoix.Jelesvoischaquefoisquejefaisletrajet.Fascinéparlabeautéduspectacle,ilsesurpritàcrieràsontourlorsqu’illesvitréapparaître.—Là!Lesvoilàdenouveau!Cettespontanéitépeucoutumièrechezluiamenasurseslèvresunsouriretendre.Ellepassaunbras

souslesienetseblottitcontrelui,commesic’étaitlàlachoselaplusnaturelleaumonde.Ilsrestèrentainsienlacés,silencieux,hypnotisésparlamagiedeceballetnautiquehorsducommun.

Refusantcetaccèsderomantismequ’iltrouvaitabsurde,Rafaelsecoualatête.Commentenétait-ilarrivéàsetrouverunenouvellefoisembarquédanscettegalère,àbordd’unferryquil’emmenaitloindecette civilisation qu’il aimait tant, à contempler niaisement de vulgaires mammifères bondir hors del’eau?

Cen’étaitpasétonnantqueseschersamissefassentautantdesoucipourlui.D’ailleurs,ilétaitfortprobableque,àl’heurequ’ilétait, ilssesoientmisenquêted’uncentrehospitalierquil’accueillerait,dèssonretour,poursoignerladépressionnerveuseàlaquelleiln’échapperaitpas.

IlchassadesonespritcespenséessinistresetcaressatendrementlebrasdeBryony,puisdéposaunpetitbaisersursescheveux.Acceptantsescontradictions,ilsongeaqu’ilétaitimpatientdeseretrouversurMoon Island,nonseulementpourmettre samémoireà l’épreuve,maisaussiparcequ’ilbrûlaitdepasserdutempsavecBryony.

Commesielleavaitludanssespensées,elleenroulaunbrasautourdesatailleetsepressaunpeupluscontrelui.Cetteétreinteréconfortanteluiréchauffalecœuraussisûrementquel’auraitfaitunrayondesoleilenpleinhiver.

Aussiétrangequecelapuisseparaître,ilsesentaitensécuritéàsoncôté.N’était-cepaslàunsignequeluilançaitsonsubconscient?Lesignequ’unjour,ils’étaitdonnécorpsetâmeàcettefemme?

S’il en était ainsi, il l’acceptait ! Il n’essaierait plus de se battre contre une telle évidence ; aucontraire,ilsesentaitprêtàallerdel’avant.D’ailleurs,cen’étaitqu’àceprixqu’ilrecouvreraitenfinlamémoire.

IlaccentuasonétreinteetenfouitsonvisagedanslesbouclesbrunesdeBryony.Puis,dansungestetendreretenu,ileffleuraduboutdesdoigtssonventrerebondi,làoùpalpitaitunepetitevie.Ilsentitalorscoulerenluiunfluidemagique.

Cetenfantànaîtreétaitlesien.Illesavaitauplusprofonddelui-même.Ilallaitêtrepère.Cette certitude le déstabilisait autant qu’elle le remplissait d’un profond respect. Il n’avait pas

prévu d’être père. En fait, il s’était même toujours montré extrêmement prudent, afin d’éviter toutegrossessenondésirée.

Comment les choses s’étaient-elles passées avec Bryony ? Avaient-ils envisagé ensemble laperspectivededevenirparents?Non,biensûr.Ellenel’auraitpasaccusédel’avoirplaquée,enceinte,sitelavaitété lecas.Manifestement,c’étaitquelquechosequeni l’unni l’autren’avaientprévu,mais ilétaittoutaussimanifestequeluin’avaitprisaucuneprécaution.

— Nous allons bientôt arriver, dit-elle en quittant à regret l’abri rassurant de ses bras. Nousdevrionsretourneràlavoiture.

***

Bryonypassaencodes tandisqu’elleamorçait ledernierviragequimenaitaucottage.Ellesentitson cœur cogner dans sa poitrine lorsqu’elle aperçut la voiture du shérif Taylor et celle du maire

stationnéesprèsdel’alléeprincipale.Quevenaient-ilsfaireiciàcetteheuretardive?« Pourvu qu’il ne soit rien arrivé àmamie ! » se dit-elle, affolée. Elle lui avait parlé quelques

heuresplustôtlorsqu’ilsavaientatterriàHouston.Elleavaitparuenpleineformeetn’avaitpascachésonimpatienceàlarevoir.

Lesmainstremblantes,ellesegaraentoutehâteetcoupalemoteur.Dieumerci,ellevitsagrand-mèrepasserleporcheencompagniedesdeuxhommesqui,eux,affichaientunairsoucieux.

Elleseprécipitaversletrio.—Quesepasse-t-il,mamie?Toutvabien?—Oh !Ouima chérie, ne t’inquiète pas.M. lemaire et le shérif Taylor sont passés, car ils se

posentuncertainnombredequestions.Elle s’interrompit pour lancer à Rafael, toujours ratatiné sur le siège passager, un coup d’œil

soupçonneux.—Commenoustous,d’ailleurs,ajouta-t-elleuntonplusbas.—Celanepouvaitpasattendredemain?Nousavonsvoyagétoutelajournée,etnousnoussommes

retrouvésdansunembouteillagemonstresurl’autoroute.Noussommesépuisés!Lemaireentrecroisasesdoigtsetfitcraquersesarticulations,commechaquefoisqu’iléprouvait

unevivecontrariété.—Calme-toi,Rupert,luiconseillaTaylor.Laisse-luiunechancedes’expliquer.—Expliquerquoi?interrogeaBryonyquinevoyaitpasoùlesdeuxhommesvoulaientenvenir.—Pourquoiunferrybourrédematérieldeconstructionadébarquésurnotreîlehieretpourquoides

dizainesd’ouvriersontcommencéàcreuserlesfondationsdecequidoitdeveniruncomplexehôteliersur la terre que tu as cédée à Tripcort Investments, répondit le maire en pointant sur elle un doigtaccusateur.

Bryony,quin’entendaitpasselaisserimpressionner,secouafermementlatête.—Ildoityavoiruneerreur,monsieurlemaire.J’aipassélasemaineàNewYorkenvuederégler

ceproblème.Rafaeln’auraitpasmanquédememettreaucourantsilaconstructiondecethôtelavaitdéjàétéprévue.Parailleurs,jen’aipascédécetteterreàTripcort,maisàRafaelDeLucaenpersonne.

Leshérifesquissaunemouedubitative.—Iln’yaaucuneerreurpossible,Bry.J’aimoi-mêmeinterrogéceshommes,demandéàvoirleur

permis.Toutestlégal.J’aimêmeregardélesplansdeconstruction.Decettebandedeterrevabeletbiensortirunimmensecomplexehôtelier,dotédesonproprehéliport.

Interloquée,livide,BryonysetournaversRafaelquisemblaits’êtreunpeuplustassésursonsiège.—Rafael?demanda-t-elled’unevoixblanche.

-11-

Faceauxquatrepairesd’yeuxaccusateursbraquéssurlui,Rafaelréprimaunjuron.Mais,plusquetout,ilnepouvaitsupporterlatristesseetladéceptionquiassombrissaientlestraitsdeBryony.

—Alors,qu’avez-vousàrépondre?lepressalemaireenfaisantunpasverslui.—C’estuneaffairequineconcernequeBryonyetmoi,répondit-ild’unevoixneutre.Commeelle

vientdevous ledire,noussommesépuisésparune journéedevoyage,et jevous rappellequ’elleestenceinte.Jen’aidoncpasl’intentiond’entameruneconversationavecvousdanscetteallée,àuneheureaussiindue.

—Mais…Outré,lemaires’interrompitpoursetournerverssonamileshérif.—Silas?Tunevastoutdemêmepaslelaissers’entireràsiboncompte?Mal à l’aise, le shérif poussa un profond soupir d’impuissance et réajusta machinalement son

Stetsonsurlesommetdesoncrâne.— Ce qu’il fait n’a rien de répréhensible, Rupert. C’est malhonnête, certes, mais parfaitement

légal.Ilestdésormaispropriétairedeceterrainet,entantquetel,peutl’utilisercommebonluisemble.—Rafael?insistaBryony.As-tuvraimentdonnétonaccordpourlaconstructiondecethôtel?Mueparun instinctdeprotection, sagrand-mère seprécipitaà soncôtépour l’envelopperde sa

chaleurrassurante.—Nousdiscuteronsdetoutcelaenprivé,réponditfermementRafael.—Bry?s’enquitleshérifavecbienveillance.Souhaites-tuvraimentquecethommeresteici?Souslechoc, incapabled’articulerunmot,Bryonyne trouvaquelaforcedemasserdélicatement

ses tempes douloureuses. En quelques secondes à peine s’étaient envolés toute l’énergie positive etl’enthousiasmequ’elleavaitéprouvésdepuisqu’ilsavaientquittéNewYork.Elleétaittoutsimplementvidée.

Conscientdufaitque,s’ilneprenaitpaslecontrôledelasituation,ilrisquaitdepasserlanuitencellule,Rafaelarrachadélicatementlajeunefemmeàl’emprisetendredesagrand-mère.

—Nousparleronsàl’intérieur,répéta-t-ilàvoixbasse.Elleplantasonregarddanslesien,cherchantsursonvisageunindicequiluidiraits’ilmentaitou

non.—Mercidevousinquiéterpourmoi,Silas.Maisilvaresterici,dit-elled’unevoixqu’ellevoulait

dénuéedesentiments.—Etpourlaconstruction?enchaînalemaireenproieàuneagitationredoublée.Quesuis-jecensé

dire à tout lemonde?Cen’estpasmoiqui aivenducette terre,mais jepeuxdire adieuàun secondmandatsicetteconstructionsepoursuit.

—Rupert, taisez-vous, lui ordonna sèchement la grand-mère de Bryony.Ma petite-fille est bienassezbouleverséecommecela,sansquevousenrajoutiezavecvosprojetsdecarrièrepolitique.

—Allons,Rupert,intervintàsontourSilas.Riendebonnesortirad’unediscussiontenuedansunealléeenpleinenuit.Nousauronstoutletempsd’éclaircircelademain,ajouta-t-ilenentraînantlemaireversleursvéhiculesrespectifs.

Lorsqu’ilpassadevantBryony,ilpritcongéeninclinantlégèrementsonchapeausursonfront.—Sivousavezbesoindequoiquecesoit,n’hésitezpasàmelefairesavoir.Bryonyluiadressaunfaiblesourireethochalatête.—Jesuissiheureusequetusoisrentrée!s’exclamasagrand-mèreenlaprenantdanssesbrasdès

qu’ilsfurentseuls.Jem’inquiètetantlorsquetuvoyages,surtoutdansunevillecommeNewYork!SiRafaels’attendaitàsubirlesfoudresdelavieilledame,ilsetrompaitlourdement.Asagrande

surprise,illavitdélaissersapetite-fillepours’approcherdelui,brasécartésdansuneaccoladequisevoulaitcordiale.

— Bienvenue, jeune homme. Je suis ravie que vous ayez retrouvé le chemin qui mène àMoonIsland.

Unefoisceseffusionsachevées,ilentraînadiscrètementBryonyàl’écart,tandisqu’elleempruntaitunepetitealléepavéeconduisantàunjardinattenantausien.

—Tupensesque ça ira ?demanda-t-il avecunepointed’inquiétude.Nousdevrionspeut-être laramenerchezelle.

—C’estvrai,tunet’ensouvienspas,répondit-elleavecimpatience.Ellehabitelà,justeàcôté.Unefoisencore, il ressentitcommeunepointedeculpabilité.Sepouvait-ilque, finalement, ilait

uneconscience,luiqui,dèslorsqu’ils’agissaitd’affaires,enétaittotalementdépourvu?—Allez,viens,luidit-elleavecunepointed’humeur.Nousdevonsporterlesbagagesàl’intérieur.Ill’arrêtad’unemainfermeposéesursonbras.—Non,toiturentrespendantquejem’enoccupe.Etnediscutepas.Vaplutôtterestaurerouboire

quelquechose.Jen’enaipaspourlongtemps.Elle haussa les épaules et se dirigea vers le porche, ignorantRafael qui, immobile dans la nuit,

essayaitvainementdepercerlemystèredecetenvironnementquiluiétaitétranger.C’étaitdonciciqu’ilavaitpassétantdejoursetdenuits!Iciquesavieavaitprisunvirageaussibrutal.Malheureusement,ilneressentitriend’autrequel’impressiondérangeantedesetrouverenterraininconnu.

Illuifallutplusieursallersetretourspourtransportertouslesbagagesdanslesalon.Lorsqu’ileutenfinterminé,ilregardaautourdeluietchercha,làencore,unindicesusceptiblederemettresamémoireen route. En vain. Il tenta alors de s’imprégner le mieux possible de l’atmosphère chaleureuse etconviviale des lieux, bien éloignée de l’ambiance impersonnelle qui se dégageait de son appartementimmaculé.

Bryonyluitournaitledos,perduedanslacontemplationdupontonsurlequelilsavaientpassétantd’heuresàdiscuterdessujetslesplusvariés.Elleavaitenroulésesbrasautourdesataille,commeunebarricadedestinéeàleteniràdistance.

—Tusavaisquelestravauxallaientdémarrersivite?demanda-t-ellesansambages.—Qu’attends-tudemoi,Bryony? répondit-ildansunsoupir.Que je temente? J’ai toujoursété

honnêteavec toi.Alors,oui, c’estmoiqui aiordonné le lancementdes travaux.Maiscomprends-moi,mesinvestisseurssontinquiets;ilsontbesoind’êtrerassurés,devoirquelessommesexorbitantesqu’ilsontinvestiesdansceprojetserventàquelquechose.

—Tuavaispromis,murmura-t-elled’unevoixétranglée.Devanttantd’émotion,ilsepassanerveusementlamaindanssescheveux.Ilauraitaimésetrouver

àdixmillelieuesdelà.—Tusaisbienque jenepeuxpasmerappeler, répliqua-t-il.Toutceque jesais,c’estquecette

terreaétévendueetlemarchéconclu.Monaccidentd’avionn’afaitqueretarderleprocessus.Etpuis,que je sache, rien dans ce contrat ne stipule la façon dont je dois utiliser cette terre. D’ailleurs, jen’auraisjamaismenéàbienunetransactionquim’empêcheraitd’agiràmaguise.Ceterrainnem’estutilequesijepeuxentirerprofit.

Bonsang!semaudit-ilintérieurement.Pourquoicesfichusblancsdanssamémoire?Ilnepouvaitpasavoirfaitunetellepromesse!Unepromessequidéfiaittoutelogique.Ilnepouvaitpasavoiracquisuneterreetpromisdenepasl’exploiter.C’étaittoutbonnementimpossible.

Ignorantlabarrièrequ’elleavaitérigéeautourd’elle,ils’approchaetpassaunbrasautourdesonépaule.Elleessayadesedégager,maisilresserrasonétreinte,biendécidéàplaidersacause.

—Encoreunefois,Bryony,jenefaispascelapourteblesser.Etpuis,jen’aiaucunepreuvedecequetuavances.Laseulepreuvequejepossède,c’esttasignatureaubasdel’actedeventeetl’argentquiaétédébitédemoncompte.

Ellefixasurluiunregardbrouillédelarmes.—J’aipourtantétéclairedèsledébut,rétorqua-t-elled’unevoixtremblanted’émotion.Jamaisje

n’auraisacceptédetevendreunboutdecetteîlesitunem’avaisfaitlapromessedenepaschercheràladévelopper.Biensûrquejesavaisquetuchercheraisàexploitercetteterre,maisjenourrissaisl’espoirquetuauraisàcœurdeconserverl’intégritédenotrecommunauté.C’estdroitdanslesyeux,Rafael,quetum’asjurén’avoiraucunprojetdecetteenvergure.Tum’asmenti.Tuavaisdéjàdesinvestisseurs,desplans,unplanning.Tuviensdetetrahirendisantquetonaccidentn’afaitquedifférertesplans.

Iljuraentresesdents.L’und’euxmentait,c’étaitmanifeste.Maisilnevoulaitpasquecesoitlui,pasplusqu’ilnevoulaitquecesoitelle.

—Bonsang!Bryony.Jerefusedemesentircoupabledequelquechosedontjenemesouvienspas.—Nousferionsmieuxd’allerdormir,répliqua-t-elled’untonmorne.Ilestinutiledediscuteralors

que nous sommes tous les deux fatigués et que je suis bouleversée. Suis-moi, je vais te montrer tachambre.Tutrouverasdanstasalledebainstoutcedonttuaurasbesoin.

Ilinspiraprofondémentpoursedonnerlecouraged’exprimercequ’ils’apprêtaitàdire.— Je vais donner l’ordre arrêter les travaux, annonça-t-il. Et il ne sera pas question de les

reprendre tant que je n’aurai pas recouvré la mémoire. J’irai moi-même sur le chantier demain eninformerlesouvriers.

Ellecilla,tandisquesabouches’arrondissaitsousl’effetdelasurprise.C’étaitbienlàladernièrechoseàlaquelleelles’attendait!

—C’estvrai?Ilhochalatête.—Jeseraisurlechantierdemainmatinàlapremièreheure,confirma-t-ild’unevoixferme.Ivredejoie,ellesejetadanssesbras.—ChaquefoisquejepenseavoirperduleRafaeldontj’étaisamoureuse,tumelefaisretrouver,

murmura-t-elle,aucombledel’émotion.Iln’étaitpassûrd’aimercequ’ilvenaitd’entendreetquidonnaitde lui l’imaged’uneespècede

DocteurJekylletMisterHyde.Maispeut-êtreétait-ilréellementfou?Ilnevoyaitpasd’autreexplicationpossible.

La plupart des hommes en crise s’achetaient des voitures de sport voyantes, prenaient des

maîtressesous’affichaientaubrasdefillesdeuxfoisplusjeunesqu’eux.Luifaisaitdeschosesbizarres,commetomberamoureuxouacheterpourdesmillionsdedollarsuneterrequ’ilvenaitdepromettredenepasexploiter.

C’étaitsûr.Ryan,DevetCamallaientletuer!

-12-

—Tuasfaitquoi?Rafael écarta le téléphone de son oreille pour échapper au chapelet d’injures queDevon hurlait

danslecombiné.— J’arrive immédiatement, l’informa ce dernier. Avec les autres. C’était exactement ce que je

redoutais. Je savais qu’une fois là-bas, tu retomberais dans ses filets ! Je me fiche bien d’avoir lemauvaisrôle,maisjepeuxt’assurerquelestravauxvontcommenceràladateprévue.Nousavonsdéjàprisassezderetardcommecela.

TandisqueBryonyattendaitdanslavoiture,Rafaelarpentaitlechemindeterrequisurplombaitlaplage. Si les ouvriers n’avaient pas été heureux d’apprendre qu’ils devaient cesser le travail sur-le-champ,ilsavaientretrouvélesouriredèsqu’illesavaitinformésqu’ilstoucheraientleursalaireintégralduranttoutletempsquedureraitcechômagepartiel.Ilavaitbieninsistésurcedernierpoint,espérantensonforintérieurqueleproblèmeseraitrégléd’iciquelquesjours.

Evidemment, il se garda bien d’en souffler mot à Devon qui, s’il apprenait que les ouvriersengagés étaient payés pour profiter des joies de la plage, ne manquerait pas de faire une crised’apoplexie.

—TurestesàNewYork,dit-ilàsonamisuruntonquinesouffraitpasladiscussion.Jen’aipasbesoinquetoi,CametRyanveniezmeservirdechaperons.Crois-moi,Devon,tantquejenesauraipascequej’aipromisexactement,attendreestlaseulechoseàfaire.

—EtdepuisquandmonsieurRafaelDeLucaa-t-ildesproblèmesdeconscience?ironisaDevon.Desmillionsdedollarssontenjeu.Ils’agitd’affaires,Rafael,pasd’unproblèmepersonnel!Tudevienssénileavantl’âgeouquoi?

—Arrêtedemefairepasserpourunsalaud.—Maisc’estexactementcequetues.Etjenecomprendspaspourquoitut’encombresavecdetels

scrupules.Bonsang,Rafael!C’estjustementparcequetuastoujourssutemontrerintraitablequetuasréussidanslesaffaires.

DevantlavirulencedesproposdeDevon,ilfronçalessourcils,soucieux.—Ya-t-ilquelquechosedonttuauraisoubliédemeparler,Devon?Sic’estlecas,vas-y,c’estle

momentdecracherlemorceau.Unlongsilences’installa.—Jenesaispascequecettefilletrame,repritDevonauboutdequelquesinstants,maiscequeje

sais,c’estquetuasquittéNewYorkennousassurantquetureviendraisavecunactedeventeconforme

etquepeut’importaientlesmoyenspouryparvenir.—Touché!Maissitucroisquecelavam’aideràyvoirplusclair…—Jemefichequetuyvoiesplusclair!Pourl’heure,laseulechosequicompte,c’estleterrainet

les investisseurs. Et il est extrêmement dommageable que tu te mettes en travers d’un projet aussiprometteur.

Toutenécoutantsonami,RafaelvitBryonydescendredelavoitureets’appuyercontrelaportière.— Tout ce que je peux te dire, rétorqua-t-il, c’est qu’il n’est pas question que je parte d’ici

maintenantetquej’assumel’entièreresponsabilitédemesactes.—J’espèrebien,répliquaDevond’untontranchant.Nousavonstousfaitdessacrifices,Rafael,et

noussommessurlepointd’empocherlepactole.Jeterappellequelaconstructiondecethôtel,combinéeàlafusionavecCopeland,vafairedenouslepremiergroupemondiald’hôtelleriedeluxe.Alors,s’ilteplaît,nefichepastoutenl’air.

Rafael laissa échapper un profond soupir. Devon, qui était sur le point d’épouser la fille deCopeland,avaitraison:touslesquatreétaientsurlepointdeconcrétiserleursrêves,au-delàmêmedeleursespérances.

Cetteprisedeconsciencelemitmalàl’aise.Pourlapremièrefoisdesavie,ileutl’impressiondeperdreunpeudesabelleassurance.

— Fais-moi confiance, Dev, assura-t-il néanmoins. J’ai juste besoin d’un peu de temps,d’accord?Maiscomprendsquedanscetteaffaire,c’estaussimonavenirquejejoue.

Ilentenditsonamisoupirerprofondémentàl’autreboutdelaligne.—Unesemaine,Rafe.Jetedonneunesemaine,etsileprojetn’apascapotéd’icilà,jedébarque

surtonîleencompagniedeRyanetdeCam.Rafael raccrocha et glissa son téléphone dans sa poche. Une semaine. Le délai lui paraissait

ridiculement court pourdéciderde la tournuredéfinitivequ’il allait donner à savie.Trop court aussipourdéciderdel’avenirdeBryonyetdeceluideleurenfant.

Denouveau, il laissaéchapperunlongsoupirets’apprêtaàallerrejoindreBryony.Il ladevinaitépuisée.Sesyeuxcernésdemauvedanssonvisageauxtraitstirésétaientlàpourentémoigner.

Lorsqu’ilfutprèsd’elle,elleremarquaqu’ilavaitl’airencolèreettrèsdéterminé.Lecoupdefilqu’ilvenaitdepassern’avaitpasdûêtreagréable,carmêmeàladistanceoùellesetrouvaitluiétaientparvenusdeséclatsdevoixquiendisaientlongsurlatensiondesdeuxinterlocuteurs.

Depuisque,fidèleàsaparole,ilavaitdonnédesordrespoursuspendrelestravaux,leportabledeBryonyn’avaitcessédesonner.

Rupertavaitétélepremieràappelerpourlaféliciterd’avoirsufaireplierRafaelDeLuca,ignorantqu’ellen’étaitpourriendanssadécision.

CefutensuiteletourdeSilasqui,bienquesoulagé,avaitexpriméunecertaineinquiétudeàsavoirles ouvriers désœuvrés pendant un temps indéterminé. Il avait abordé certaines implications légales,voyantenelle,àjustetitre,l’intermédiairequisauraitapaiserlesespritschagrins.

Sansunmot,Rafaelluiouvritlaportièreetl’invitaàprendreplace,avantdeseglisserderrièrelevolant.

—Toutvabien?demanda-t-elle.—Magnifique,grommela-t-ilentresesdentsalorsqu’ilsreprenaientlaroute.—Quedirais-tud’unbonpetitdéjeuner?proposa-t-elled’untonenjoué.Ellepritpourunouilasortedeborborygmequ’illaissaéchapper.—JeteprépareraidesœufsBénédicte.Cesonttespréférés.—J’imaginequeçaaussi,c’estmoiquitel’aidit,répliqua-t-ilavecirritation.

—Exact.Manifestement,iln’étaitpasd’humeurbavarde.Pourtant,ellegardaitdeluilesouvenird’unhomme

souriantdèslematin.Maisalors,ilsseréveillaienttardaprèsdesnuitspasséesàfairel’amour.Le souvenir de leurs corpsmoitesmêlés lui déclenchades frissons dans tout le corps.Ces nuits

torridesluimanquaienttant!Commecesmatinsoùelleprenaitplaisiràpréparerunpetitdéjeunerqu’ilspartageaientaulitavantderefairel’amour.

L’homme qu’elle connaissait et qu’elle aimait n’avait pas disparu, elle en était convaincue. Ellegardalesilenceetluiserratendrementlamain,dansungestedeconnivence.

—Merci,dit-ellesimplement.Toujoursmurédanssonsilence,ilréponditparunimperceptiblehochementdetête.—Mercid’avoirtenuparole,précisa-t-elle.Celasignifiebeaucouppourmoi,maiségalementpour

tousleshabitantsdel’île.Malàl’aise,ilsortitenfindesonmutisme.—Ilfautquetucomprennesquecetteinterruptionn’estquetemporaire,précisa-t-il.Tucomprends,

j’aidesassociésàquijedoisrendredescomptes,desgensquicomptentsurmoi,quim’ontconfiédessommesénormes.Ceprojetcomptebeaucouppournoustous.

—Biensûrque jecomprends.Maiscequime touche,c’estque tuascomprisque jene t’auraisjamaiscédéceterrainsitunem’avaispasfaitlapromessedenepasl’exploiterdefaçoninconsidérée.

—Et si nous laissions ce sujet de côté pour lemoment ? suggéra-t-il en lui pressant lamain enretour.Detoutefaçon,quejerecouvrelamémoireounon,leproblèmeneserapasfacileàrégler.

Pourlapremièrefois,ellepritconsciencedelapositiondélicatedanslaquelleilsetrouvait.Sitoutce qu’il affirmait était vrai, il avait dû lui en coûter de prendre la décision de suspendre des travauxd’unetelleenvergure.

Emue,ellesepenchaversluieteffleurasajouedeseslèvres.—Celaadûêtretrèsdifficilepourtoi,etnoust’ensommesd’autantplusreconnaissants,déclara-t-

elle. Le maire et le shérif ont été les premiers à m’appeler, mais la journée ne fait quecommencer.Attends-toiàvoirdéfilerlapopulationlocale;chacunvayallerdesesdoléances.

—Sont-ilsencolèreaprèstoi?Lemaireavaitl’airdet’envouloirhiersoir.—Certains blâmentma jeunesse etma prétendue naïveté.D’autresme tiennent pour entièrement

responsabledecequiarrive.—Maistuespropriétairedecetteterre,quejesache.Ilsnepeuventpast’entenirrigueur,même

s’ilsrefusentlemoindrechangementsurleursacro-sainteîle!s’indigna-t-il.—Jene leur enveuxpas. J’aigrandi ici, les anciensmeconsidèrent commeunmembrede leur

familleetestimentquenousdevonstousnousserrerlescoudes.Or,danscecasprécis,ilspensentquejeleuraitournéledos,pire,quejelesaitrahis.Dansunsens,ilsontraisoncarlorsquej’aiprisladécisiondetevendrecetteterre,jem’imaginaisquitterl’îleavectoipuisquetondevoirt’appelaitàNewYork.Maisàcetteépoque,jemefichaiséperdumentdeleursréactions.

La maison en vue, il s’engagea au ralenti dans l’allée puis, une fois la voiture garée, coupa lecontact.Ilrestaunmomentsilencieux,leregardperdudanslevague.

—Tuétaisdoncprêteàtoutquitterpourmoi,finit-ilpardire.—Oui,répondit-ellesanschercheràtricher.Etjenedispascelapourtefaireculpabiliser.C’est

justelavérité.—Jenesaispasquoidire.—Danscecas,nedisrien,répondit-elleavecunsourireindulgent.Allonsplutôtprendrecepetit

déjeunerquejet’aipromis.Ensuite,nouspourrionsallerfairequelquesemplettesetnousinstallersurle

ponton,commenousaimionslefaire,pourprofiterdelajournéequis’offreànous.Contretouteattente,iltrouvacettepropositionréjouissante.Lamatinéeavaitmalcommencé,maisil

sesurpritàvouloirbienlaterminer.

-13-

BryonyentraînaRafaeldansuneséancedeshoppingeffrénée,biendécidéeàluifaireacheterdesvêtementsdécontractésqu’ellejugeaitmieuxadaptésàunendroitcommeMoonIsland.

Dansl’unedesnombreusesboutiquesoùilsentrèrent,ellechoisitpourluiunjeandélavéetunT-shirtblancetlepoussaversl’unedescabinesd’essayage.

Il en sortit quelques minutes plus tard avec réticence, inconscient du pouvoir de séduction quiémanaitdeluietqu’accentuaientencoresesvêtementssimplesquisoulignaientsasilhouetteathlétique.

— Seigneur ! s’extasia la vendeuse Stella Jones en le voyant. Cet homme porte le jean commepersonne!

Bryonysegardabiend’abonderdanssonsens,mêmesi,ensonforintérieur,ellenepouvaitqueluidonnerraison.

—Cesvêtements te conviennent ?demandaRafael en tournant sur lui-même,bras tendusvers leciel.

—Jelestrouveparfaits,approuvaBryony,lesyeuxtoujoursrivéssurlui.Etàmonavis,jeneseraipaslaseule.

—Puis-jevoussuggérerdeprendreunautre jeancommecelui-ci?proposaStella. Ilvousvasibien!

— Bonne idée, renchérit Bryony à sa place. Nous prendrons aussi quelques T-shirtssupplémentaires.Aumoinsdeuxoutroisautresblancs,ainsiqu’unrouge.

—Levertiraittrèsbienaveclacouleurdesesyeuxetdesescheveux,conseillaStella.Rafaellevalesyeuxaucieldevantcequ’ilconsidéraitcommedelafrivolité.—Jevaismechangerpendantquevousdébattezdemonsort.—Non!Non!s’empressadedireBryony.Gardecesvêtementssurtoi, tuserasbeaucoupplusà

l’aise.Jevaisjusteretirerlesétiquettes.—Jeteplaisdonctantqueçadanscettetenue?s’enquit-ilenluiadressantunsourirerenversant.—«Plaire»n’estpasvraimentletermequej’auraisemployé,répondit-elleàvoixbassecomme

pourelle-même.Flattéautantquetouchéparcettedéclarationspontanée,ill’attiracontrelui.—Toiaussi,tuportesbienlejean,luichuchota-t-ilàl’oreilletandisquesesmainsseplaquaient

sursesfessesjolimentrebondies.—Arrête,chuchota-t-elle,émoustillée.Toutel’îlevajaser.Ileutunpetitriremoqueur.

—Parcequetut’imaginesencorequecen’estpasdéjàfait?Personneicin’ignorequejesuislepèredel’enfantquetuportes.Alors,dequoivoudrais-tuqu’ilsparlentàpart,peut-être,dufaitquej’aifaitstopperlestravauxdeconstruction?

—Tuasraison,reconnut-ellesobrement.Commepourponctuercequ’ilvenaitdedire,ilpenchalatêteverselleetl’embrassatendrement.—Sinousrentrionsàprésent?Jepourraismemettreauxfourneauxetnouspréparerunbonrepas.—Tuasuneidéeentête?—Toutdépenddecequetuasenréserve,maisentoutcas,jetiensvraimentàcuisinerpourtoi.Tu

t’eschargéedupetitdéjeunerettum’asescortéenvilletoutelamatinée.Lemoinsquejepuissefaireestdetedorloterunpeu.Tun’aspasmalauxpieds?

Cettegentilleattentionlafitsourire.—Mespiedsvonttrèsbien,maisjenerefuseraispasunpetitmassagesitumeleproposais.—Jepensequecelapeuts’arranger.Emueparsasollicitude,elleenroulasesbrasautourdesatailleetenfouitsonvisageaucreuxde

sonépaule.—Oh!Rafael.Cettejournéeestsiparfaite.Merci.Embarrasséparsonélandespontanéité,ilnesuttropquoirépondre.—J’ignoraisquelesimplefaitdemefaireacheterdesvêtementsterendraitsiheureuse,lataquina-

t-il.Etsinousyallionsmaintenant?Toutceshoppingm’aouvertl’appétit.Ellehochalatêteetentrelaçasesdoigtsauxsiens,raviedecetteintimitésiviteretrouvée.Alaminuteoùilsavaientdébarquésurl’île,elleavaitsentiunchangementenlui.Ilétaitredevenu

l’homme calme et serein dont elle était tombée amoureuse. Elle aimait l’idée que la relation qu’ilsentretenaient avait changé ses priorités. Une nouvelle fois, il avait réussi, semblait-il sans trop dedifficultés,àlaisserdecôtéSmartphoneetordinateurqu’ilneconsultaitqu’enfindejournée.Peut-êtreétait-cepurenaïvetédesapart,maisellenourrissaitlefolespoirqu’ilallaitredécouvrircequil’avaitretenuiciunepremièrefois.

Deretouraucottage,elleluidemandadesegarerdansl’alléequimenaitchezsagrand-mère.— Je voudrais vérifier qu’elle va bien. Je lui ai simplement parlé au téléphone, et je voudrais

m’assurerquetoutestenordre.—Biensûr.Veux-tuquejetelaisseyallerseulependantquejecommenceraiàpréparerlerepas?—Jen’enaipaspourlongtemps.Tupeuxm’accompagnersicelatefaitplaisir.—Volontiers.J’aimeraisbienrenouerlecontact.Est-cequejepassaisbeaucoupdetempsavecelle

avant?Unsourirenostalgiqueflottasurseslèvres.—Vousvousentendiezmerveilleusementbien.Atelpointquetuavaisprisl’habitudedepasserla

voirunjoursurdeux,mêmeseul.Tuadoraislachouchouterettuluiapportaisrégulièrementunbouquetdesesfleurspréféréesainsiquedesfriandisesdechezlepâtissier.

—J’avaisl’air…sympathique,dit-ilcommesicetteidéeluiparaissaitridicule.Elles’apprêtaitàdescendredevoiture,maisellesetournaversluietleregardadroitdanslesyeux.—Tudiscelacommesitunel’étaispas.—Disonsque«salaud»est le termeleplusemployépourmecaractériser.Pasplustardquece

matin, Devon n’a pas manqué de me le rappeler. On dit aussi de moi que je suis impitoyable, dur,ambitieux,maissympathique,çanon,jamais.

—Ehbien,jesuislàpourteconfirmerquetuétaisadorableavecmagrand-mèreetquec’estl’unedesraisonspourlesquellesjet’aimais.Peut-êtrenefréquentes-tupaslesbonnespersonnes,aprèstout?

suggéra-t-elle.Cette remarque,pleinedebonsensmaisquine luiavait jamaiseffleuré l’esprit, le fit éclaterde

rire.—Tuaspeut-êtreraison.L’avenirnousledira.Elleluipritlamainetlapressaaffectueusement,commepourlerassurer.—Necherchepastropàconnaîtrel’hommequetuétais,luiconseilla-t-elle.Aprèstout,personne

n’aditquetudevaisresteràjamaislemême,non?Peut-êtreétais-tuprêtàchangeraumomentoùnousnoussommesrencontrés.Parailleurs,ici,tupeuxêtrequituveux.Aprèstout,personneneteconnaissaitavant!

Ilportasamainàseslèvrespourenembrassertendrementlapaume.—Tuesunefemmevraimentàpart,BryonyMorgan.Elleluisouritdenouveau,puisdescenditdevoitureetadressaunsignedelamainàsagrand-mère

venuelesattendresousleporche.—Bonjour,lesenfants,ditlavieilledamesuruntonjovial.Elle serra sa petite-fille contre elle et fit de même avec Rafael qui se laissa faire, un peu

décontenancéparunaccueilaussichaleureux.—Entrez,entrez.Jeviensjustedepréparerduthé,nouspourrionsleprendresurleponton.Ilfaitsi

beau!L’eauestsicalme!BryonyconduisitRafaeljusqu’àunponton,semblableàceluidesamaison,bienqueleboisfûtplus

patinéparletemps.Avecsesplantesenpotetsesfigurinesdejardindisposéesçàetlàdansunjoyeuxfouillis,ilsedégageaitdel’endroituneatmosphèrechaleureuseetconvivialequireflétaitparfaitementlapersonnalitédesagrand-mère.

— Cet endroit est magnifique, commenta Rafael. C’est si calme, si paisible ! Ce doit êtreextraordinaired’avoirunlieupareiltoutàsoi,non?

Avantderépondre,ellepritletempsdes’installerdansl’unedeschaiseslonguesquisetrouvaientlàetoffritsonvisageàladoucecaressedusoleil.

—Effectivement,çal’est,répondit-elleenfermantlesyeux.Maistoutel’îleestcommecela.C’estlaraisonpourlaquellenoussommessiméfiantsenversledéveloppementtouristique.Noussavonsbien,ettoilepremier,quelorsqueleprogrèsestenmarche,uneffetbouledeneigeestinévitable.Sinousn’yprenonsgarde,notre îlepourraitbiendevenirun lieu touristiquedeplus, regorgeantdegargotes etdeboutiquesdesouvenirs.

—Jecomprendstescraintes,maistupourraisavoirlemeilleurdesdeux.Laplusgrandepartiedel’îlepourrait rester intacte,véritableoasis tellequ’elleestaujourd’hui, tandisqu’une trèspetitepartiepourraitêtredéveloppéeetpermettreàd’autresdeprofiterdetonparadis.

—C’estprécisémentcequenousvoulonséviter,d’ouvrirnotre île«auxautres».Noussommessans doute très égoïstes,mais les endroits où les touristes peuvent profiter du soleil et de lamer nemanquentpas.Nousvoulonsjustequ’onnousfichelapaix.Denombreusespersonnesontchoisidevivreiciuneretraitepaisible,loind’unurbanismesauvage.D’autresn’ontjamaisquittécetteîle,etfairesubirmaintenantàcelle-cidestransformationsseraittropinjuste.

— Un unique petit complexe hôtelier ne gâcherait en rien l’intégrité des lieux, insista-t-il. Aucontraire,cestouristesquevousmépriseztantstimuleraientvotreéconomieenapportantdel’argentfrais.

Ellesouritpatiemment,préférantnepasgâcherunejournéeaussiparfaite.D’ailleurs,laisserlibrecoursàsacolèreneserviraitpassacause.

—Notreéconomieseporte trèsbien,affirma-t-elled’unevoixposée.Laplupartdenosretraitésoccupaientdespostestrèsbienrémunérés.Certainssontd’anciensP.-D.G.quiontvenduleursociétéou

passé les rênes à leurs enfants et sont venus s’installer àMoon Island pour échapper à une trop fortepression.Crois-moi,ilsontplusd’argentqu’ilsnepourrontjamaisendépenser.

—Etlesautres?Ceuxquinesontjamaispartisd’ici?—Ilssontheureux,affirma-t-ellecommesielleénonçaituneévidence.Parmieuxsetrouventdes

pêcheursde crevettesdepuis trois ouquatregénérations,maisnous avons aussi des commerçants, desrestaurateurs,desemployésdebureau.Enfait,chaqueemploirépondàunbesoin.Etpournous,vendredessouvenirsàdes touristesouconstruireunhôtelpour leurs loisirsn’estpas indispensable.Certainsd’entrenousnepossèdentpasgrand-chose,maiscelasuffitàlesrendreheureux.

—Cetendroitestbizarre,ditRafaeld’untonamusé.C’estunpeucommesiletempss’étaitfigé.Pourtant,vousavezl’accèsàinternet,latélévisionparcâbleetdesantennesrelais.

—Nousfaisonsdenotremieuxpourresterdanslecoup,mêmesinousnousfichonsbiendenepasêtre des précurseurs. Il y a un certain je-ne-sais-quoi dans notre façon de vivre. Quelque chosed’indéfinissablequel’onnepeutconnaîtrequ’enenfaisantl’expérience.Commetoilorsquetuaspasséquelquessemainesici.

—Cependant,tuétaisprêteàquittercetteîleetcetteviequetuchéristant.Pourmoi.Al’évocationdecesouvenir,elleseraiditdanssontransat.—Comme je te l’aidit, j’imaginaisque jedevais te suivre.TudirigesunesociétébaséeàNew

York et tu vis là-bas. Je pouvais difficilement attendre de toi que tu abandonnes tout cela pour venirt’installerici.Etpuis,jetrouvaisquetuenvalaislapeine.

—Comptetenudelapassionquetuvouesàcetendroitetàseshabitants,jesuisimpressionnédevaloiruntelsacrifice.

—Quandcesseras-tudetesous-estimerdelasorte,Rafael?Depenserquetunevauxpaslapeinequequelqu’unt’aimeaupointderenonceràtoutpourtesuivre?

Déstabilisé,ilévitasonregardetseperditunmomentdanslacontemplationdesflots.—Sansdouteest-ceparcequepersonnen’ajamaiseuenviederenonceràtoutpourmoi,finit-ilpar

avouer.—Jetelerépète,tufréquenteslesmauvaisespersonnes.Ettunesorspasaveclesfemmesqu’ilte

faudrait.Letontaquinqu’elleavaitemployéamenaunsourireamusésurseslèvres.—Pourquoiai-jelesentimentquej’aiprobablementessayédeteteniràdistancesansyparvenir?—Tutetrompes.Tusemblais…Elles’interrompit,pensive,pourtenterdetrouverlesmotsjustes.—Tusemblaisabsolumentouvertàcequ’ilsepassaitentrenous.Aupointmêmequej’aiputrès

facilementpercerlacarapacedonttuteprotégeais.Ilsecoualatête,décontenancéparcesnouvellesrévélations.—Jecommenceàcroirequejesuisvictimed’undédoublementdepersonnalité,déclara-t-ilsurun

ton faussement badin.Au risque deme répéter, l’homme que tu décris est si éloigné demoi qu’ilmesembleêtreunparfaitétranger.Etsijen’étaispassûrducontraire,jediraisquejesouffraisd’amnésieavantmonarrivéeici.Pasaprès.

—Etaprès?Est-cesiimportant?—Cequejeressensn’estpasfacileàexpliquer,maismets-toiunpeuàmaplace.Tuévoquesence

quimeconcernedeschosesque,danslaviecourante,jenefaisjamais,quinesontpasenphaseavecmapersonnalité. Je pourrais croire que ce sont les autres qui ont perdu l’esprit, pasmoi. Parce que cethomme,cetétrangerquiestenmoi,jenelecomprendspas.

—Peut-êtrequelorsquetuasposélesyeuxsurmoilapremièrefois,tut’esditquetum’auraisou

quetumourrais,suggéra-t-elled’untonespiègle.Ilsepenchaverselle.—Entoutcas,murmura-t-ilcontresabouche,jecomprendspourquoitum’attirescommeunaimant.Ellecomblal’infimedistancequilesséparaitencoreetluioffrittendrementseslèvres.—Voilàlethé,annonçalagrand-mèredeBryony,arrivantavecdeuxtassesfumantes.Maisjevois

quevousêtesoccupés,ajouta-t-elleenriant.Rougissantcommeuneadolescente,Bryonysedégageavivementdel’étreintedeRafael.—Jenerateraitonthépourrienaumonde,mamie.C’estlemeilleurdetoutleSud.—Nemeditespasquejebuvaisduthé,ditRafaelavecunsourireamusé.—Nonseulementvousenbuviez,jeunehomme,l’informalavieilledame,maisvousdisiezqu’il

étaitmeilleurquelemeilleurdesvinsdelaville.Illuiadressaunsourirecharmeurquiauraitfaittournerlatêteàplusd’unefemme.—Sijel’aidit,c’estquecedoitêtrevrai,conclut-ilentrempantavecréticenceseslèvresdanssa

tasse.—Tupeuxyaller,l’encourageaBryony.Iln’estpasempoisonné,tusais.—C’estvraiquec’estbon,concéda-t-ilaprèsavoirbuunegorgée.Flattéeparcequ’elleconsidéraitcommelecomplimentsuprême, lagrand-mèredeBryonyeutun

largesourire.—Assieds-toi,mamie.C’estpourprofiterunpeude toiquenoussommesvenus,paspour rester

seuls.Lavieilledamenesefitpasprier.Ellepritunsiègeets’installaenfaced’eux.—Bryonym’aracontéquevousavezétévictimed’unaccidentd’avion.Celaadûêtreterriblement

traumatisant,non?Ilacquiesça.— Je ne me souviens pas de l’accident, juste que j’ai ressenti un vif soulagement lorsque j’ai

compris que j’étais vivant.Tout le reste demeure très flou, notamment les quelques semaines que j’aipasséesici.

—Jesais.Bryonyétaittellementbouleversée!Elles’imaginaitquevousaviezprofitéd’elleavantdelaplaquer,enceinte,quiplusest!

—Mamie,s’ilteplaît…—Non,Bryony,lacoupaRafael.Laisse-las’exprimer.Aprèstout,elledoitéprouverelleausside

lacolère.Iln’yaaucuneraisonpourqu’ellenedisepascequ’elleasurlecœur.—J’aiaiméenvousl’hommehonnêteetdroitquevousétiez.Etsi jevousaidétesté,maintenant

quevousêtesrevenu,nousallonsdenouveaubiennousentendre.—Jel’espère,madame…Ils’interrompitpourinterrogerBryonyduregard.—Jenemesouvienspasquetum’aiesditsonnom.—C’estparceque,pourtoutlemonde,elleestsimplementmamie,réponditBryonyenriant.—Sivouspréférez,intervintsagrand-mèreavecunepointedecoquetterie,vouspouvezm’appeler

Laura.—Laura…c’estunprénomcharmantpourunecharmantedame.Ilvousvatrèsbien.Amusée, Bryony vit les joues de sa grand-mère s’empourprer, tandis que, contrairement à son

habitude,ellerestaitcoite,unsourirebéatauxlèvrescommesiRafaelvenaitdeluidécrocherlalune.— Tout va bien, mamie ? s’enquit-elle pour la faire revenir sur terre. Veux-tu que nous te

rapportionsquelquechoselorsquenousironsenville?

—Inutile,machérie.Silasestpasséprendremalistedecoursespourladonneràsonneveu.Depuisqu’il a décroché son permis de conduire, celui-ci adore passer ses journées sur les routes et s’estimprovisélivreuràdomicile.

—Penses-tuàbienprendretontraitementtouslesjours,mamie?demandaencoreBryonyavecunepointed’inquiétude.

Unpeuexcédée,lavieilledamelevalesyeuxaucielavantderépondre,s’adressantàRafael:—Ne dirait-on pas que c’estmoi la petite-fille et elle la grand-mère ?Contrairement à toi,ma

chérie,jen’oubliejamaisdeprendremespilules,moi!—Mamie!s’exclamaBryony,offusquée.—Quoi?C’estlavérité,non?—Tuesintenable,aujourd’hui.Sij’avaissu,nousaurionsévitécepetitcrochetparcheztoi.LajouteverbaledesdeuxfemmesamusaitbeaucoupRafaelquiéclataderire.—Vousêtestropdrôles,touteslesdeux!—Biensûr,c’estfacile,maugréaBryony.Cen’estpastoiqu’onaccusedenégligence.—Justement,j’allaisyvenir,repritsagrand-mèred’untonléger.—Amadécharge,jen’enaiaucunsouvenir,plaidaRafaelavecunsourireencoin.—Sicelapeutterafraîchirlamémoire,sachequetonpréservatifs’estpercé,luilançaBryonyd’un

tonamer.—Peuimporte,ajoutalagrand-mèredeBryony.Préservatifoupas,situavaispristapilule,comme

tuauraisdûlefaire,iln’yauraitpaseudeproblème.C’était plus qu’elle ne pouvait en supporter. Bryony tira Rafael par la manche, l’obligeant à se

lever.—J’enaiassezentendupouraujourd’hui ! Jepréfère rentrerà lamaison,d’ailleurs jemeursde

faim.Toujourshilare,Rafaelselevadebonnegrâceetallaplanterdeuxbaiserssonoressurlesjouesde

lavieilledame.—Cefutunplaisirderenoueravecvous,madame,déclara-t-ild’untonfaussementcérémonieux.

-14-

—Tuesbieninstallée?s’enquitRafaeltandisqu’iltapotaitl’oreillerquicalaitledosdeBryony.Enguisederéponse,elleinclinaunpeupluslachaiselongueenosierdanslaquelleellesetrouvait

etlaissaéchapperunprofondsoupird’aise.C’était une de ces magnifiques journées comme seul l’automne pouvait en offrir, encore assez

chaudemaisdénuéedelachaleurhumideetoppressantedel’été.Lecielétaitd’unbleuéclatant,etseuleleurparvenaitladoucemusiquedesvagues.

—Tumegâtes,dit-elleenfin.Mais j’admetsvolontiersquej’adorelorsquetuesauxpetitssoinspourmoi.

Ils’assitauboutdelachaiselongueetpritdélicatementl’undesespiedsdanssesmains.Iljouaquelquessecondesaveclachaînettequiornaitsachevillepuis,duboutdudoigt,dessinalecontourdesavoûteplantaire.

—Tuasdespiedsmagnifiques,dit-il.Elleluijetauncoupd’œildubitatif.—Vraiment?—Vraiment.Tesjambesaussisontsuperbes.—Jenemerappellepasavoir jamaisvécuquelquechosedesemblable.J’ai l’impressiond’être

traitéeenreine.—N’est-cepasainsiqu’unhommedoittraiterlamèredesonenfant?répliqua-t-il,tandisqueson

poucepressaitdélicatementlachairtendredesonpied.Commeunereine?—Dieuquec’estbon!Pourrépondreàtaquestion,c’estbienainsiqueleshommesdevraientagir,

maiscombienlefont-ils?—Jevoudraisquetusachesque,mêmesinousn’avonspasbeaucoupdiscutédecettegrossesse,je

necessed’ypenserjouretnuit.Jerestedesheures,éveillé,àcraindredenepasêtreassezpréparéàmonrôledepèreetpourtant, je trépigned’impatienceà l’idéedeledevenir.Jemedemandesinousallonsavoirunefilleouungarçonetàquiilvaressembler.

Cettemarquedesensibilitéluifitmonterleslarmesauxyeux.—Pourquoipenses-tunepasêtrebienpréparé?luidemanda-t-elleavecinfinimentdedouceur.Ilrefermasesdeuxmainssursonpied,pressantetmassantlavoûteplantaireavantdes’attardersur

sesorteilsgonflés.—Parceque,finit-ilpardire,jusqu’àprésentjen’allaisjamaisnullepartsansemporterdetravail.

ANewYork,ilm’arrivemêmededormiraubureauetlorsquejemerendsàdessoirées,celles-ciont

toujours plus oumoins quelque chose à voir avecmon activité professionnelle. J’ai peur parce qu’unenfant a besoin de toute l’attention de ses parents, comme il a besoin de leur amour et de leursoutien inconditionnels. Moi, j’ai l’impression que la seule chose que je serai capable de fairecorrectement,ceseradesubveniràsesbesoins.

—Tut’inquiètesàtort,carlesparentsontunemerveilleusefacultéd’adaptation.Crois-moi,jenesuis pas plus préparée que toi à devenir parent.D’ailleurs, j’ai toujours pensé que j’aurais un enfantbeaucoupplustard.

Ilfronçalessourcilsd’unefaçonquilafitrire.—Quelâgeas-tuaufait?Tuparlescommesituétaisencoreuneadolescente.— J’ai vingt-cinq ans, répondit-elle. Largement l’âge d’être mère, mais jusqu’à ce que je te

rencontre,jen’avaisjamaiseuderelationsérieuseavecunhomme.Parsérieuse,j’entendsavecmariageàlacléettoutletremblement.

—Ilsemblequelavienousaitréservéunesacréesurpriseàtouslesdeux.—Quipeutdirehonnêtementqu’ilsesentvraimentprêtàendosserlerôledeparent?poursuivit-

elle sur sa lancée. Je crois quemême les gens qui ont planifié l’arrivée d’un enfant dans leur vie nepeuventquesetrouverdémunisfaceauxchangementsquecelaimplique.

—Tuasprobablementraison,etjecroisquetuferasunetrèsbonnemère.Ellerougitsouslecompliment.—Cequetuviensdediresignifiebeaucouppourmoi,Rafael,maisqu’est-cequitefaitpenserune

chosepareille?Cettegrossesseestbienlapreuvequejen’aipassumemontrertrèsresponsable.—Tuastouteslesqualitéspourdevenirunebonnemère.Tudébordesd’amouretd’affection,tues

loyale,généreuse,chaleureuseetspontanée.—Ettoi,veux-tusavoirpourquoijepensequetuserasunbonpère?Sesmains s’immobilisèrent sur son pied tandis qu’il levait la tête vers elle pour l’interroger du

regard.—Parcequetuesconscientdetesdéfauts,poursuivit-elle,etquetusaiscequetudoisamélioreren

toi.Jenedoutedoncpasquetuserastrèsattentifauxbesoinsdenotreenfantetquetut’adapterasàluisansaucunmal.Etjeneseraispasétonnéquecetenfantdeviennetrèsvitetaprioritéabsolue.

—Merci,dit-il,ému.—Rafael,jet’aimeencore.Lesmots avaient glissé de ses lèvres sans qu’elle puisse les retenir. Il y avait aussi cette épine

fichée en plein cœur dont elle devait se débarrasser, car elle était trop douloureuse. Comme à sonhabitude,elleavaitbesoindedirecequ’elleéprouvait.

L’espacedequelquessecondes,leregarddeRafaels’assombritpourretrouvertrèsvitesadouceur.Ilserapprochaetposasonfrontcontrelesien,dansungested’uneinfinietendresse.

—Jen’avaisaucuneidéedelafaçondontjeréagiraislorsquejet’aidemandésitum’aimaisencorehier,dit-il.Jet’aiposécettequestion,piquéparlacuriosité,sansavoirlamoindreidéedel’impactquepourraientavoircesmots.Jenepeuxmêmepasl’expliquer.Commentlepourrais-je?

—Ilfallaitquejeteledise,avoua-t-elledansunsouffle.Jeveuxêtrehonnêteavectoiparcequetulemérites.Tuasfaitl’effortderevenirjusqu’ici,lemoinsquejepuissefaireestdeteretrouveràmi-chemin.Sij’aitumessentimentsjusque-là,c’étaitparfierté,parcequejenevoulaispasmesentirunefoisdeplusenpositiondefaiblesse.

Aucombledel’émotion,ilpritseslèvresdansunbaiserfougueuxetpassionné.Saboucheavaitlegoûtfruitédelalimonadequ’elleavaitbueunpeuplustôtetils’ydésaltéracommeàunesource.

Si, auparavant, il lui avait fait l’amour de façon un peu lisse et mécanique, Bryony décelait

maintenantcommeunesortededésespoirdanschacundescaressesetdesbaisersqu’illuiprodiguait,unpeu comme s’il ne pouvait plus attendre de la toucher, de la posséder.Mais peu lui importaient cesdifférences,ellebrûlaitdesedonnerdenouveauàlui.

—Je tedésirecommeunfou,Bryony,maissinous faisons l’amour, jeveuxquecesoitpour lesbonnesraisons.Pourl’heure,jemefichebiendupassé,decedontjemesouviensoupas.Toutcequejesais,c’estquej’aienviedetoiplusqueden’importequoiaumonde.

Tremblante,ellesedégageadesonétreinteetsetintimmobiledevantlui.—Moiaussijetedésire,dit-ellesimplement.Oh!Rafe!Tum’astellementmanqué.Sesyeuxbrûlantsdedésirrivéssurelle,illuicaressatendrementlajoue.—Soissûred’unechose,Bryony.Situtedonnesàmoiaujourd’hui,oubliéslepasséettoutesles

interrogations.Ceserapourprendreunnouveaudépartet tournerensembleunenouvellepagedenotrevie.

Profondémentémue,ellecaressasamaintoujoursposéesursajoueetfermalesyeux.—J’attendaiscesmotsdepuissilongtemps,Rafael.Il l’enveloppa d’un bras et, ainsi enlacés, ils se hâtèrent vers la porte d’entrée. Ils ignorèrent la

chambred’amisoù il dormait depuis son arrivée et se retrouvèrent dans la chambredeBryonyoù ilsavaientpassétantd’heuresàfairel’amour.

Lorsqu’il referma la porte derrière eux, et qu’elle se retrouva face à cet hommequi lui semblaitdifférent, son aplomb naturel fit place à une certaine timidité.Comment était-ce possible, alors qu’ilsavaientfaitl’amourunnombreincalculabledefoisauparavant?songea-t-elle.

—Puis-jesavoircequitefaitrire?—Lefaitd’avoirl’impressionquec’estlapremièrefois,alorsquejesuisenceintedetoietqueje

connaistoncorpsparcœur.J’ignorepourquoijemesenstellementnerveuse.Ill’attiragentimentàluietlaserracontreluidansungestequisevoulaitrassurant.—Pourmoi,d’unecertainemanière, c’estunpeucommeunepremière fois, dit-il. Il fautque je

retrouve toncorps,que jemeréhabitueà lui.Etpourcela,ajouta-t-ild’unevoixsensuelle, jeveuxenexplorerlamoindreparcelle,savourerchaquesecondejusqu’àlafolie.

Ellesesentitsoudainaussilégèrequ’unebulleetselaissaconduire,euphorique,jusqu’auborddulit.

Sansdireunmot,ildéboutonnalachemisequ’elleportait,enécartalespansetlafitglissersursesépaulesavantdelalaissertomberàsespieds.

—Jolietdélicatàlafois,dit-ilenconnaisseurtandisqu’ilcaressaitladentellefinedesonsoutien-gorge.Commetoi.Lerosetevabien.

Ilaventurasesmainssursesseinsquelagrossesseavaitencoremagnifiésetrepoussaladentellejusqu’àenlibérer lapointedressée.Puis ilentrepritdedéboutonnersonjeanqu’ilbaissapour libérersonventresi jolimentrebondi.Ilsemitensuiteàgenouxetembrassaavecautantdevénérationquededélicatessel’enfantànaître.

Cemomentdetendresseresteraitàjamaisgravédanssamémoire,songea-elle,leslarmesauxyeux.Non, jamais elle n’oublierait l’image de cet homme fier et arrogant, agenouillé devant elle, et que laperspectived’êtrepèrerendaitsensibleetterriblementattendrissant.

L’émotionpassée, il fit lentementroulerson jean le longdeses jambes.Ellefermalesyeuxpourmieux s’abandonner au tourbillon de volupté qui l’envahissait. A la différence de nombre de femmesenceintes, elle adorait ses formes arrondies et ne s’était jamais trouvée aussi belle. Sa peau n’avaitjamaiseuautantd’éclatetsesseinsgonflés la rendaientplus féminineencore.Sûredesonpouvoirdeséduction, elle ne s’était même pas inquiétée de savoir si Rafael ne serait pas rebuté par de tels

changementsphysiques.Manifestement,elleavaiteu raison,àvoir ledésirardentquibrûlaitdanssonregard.

—Tuesbelle,luisusurra-t-il,commes’ilavaitludanssespensées.Il se releva lentement et, tout en plongeant les mains dans sa chevelure luxuriante, l’embrassa

passionnément.Ivrededésir,elleréponditàsonbaiseretsemontraàsontourplusexigeante.Quelquechoseavaitchangédans leurmanièrede faire l’amour.Quelquechosedans le regardde

Rafaelétaitdevenuplusintense,commes’illadévoraitdesyeux,commes’ilvoulaitluifairesavoirqu’iln’avaitjamaisautantdésiréunefemme.

ElleaimaitcenouveauRafaelqu’ellesentaitplusprofond,plusdoux,plusrespectueux.Plusaimantaussi.Dans un geste d’une infinie sensualité qui déclencha une onde de plaisir dans tout son corps, il

dessina du bout de la langue le contour de son oreille avant d’enmordiller le lobe. Chacune de sescaresseslafaisaitvibrerd’undésirinouïquilamenaitauxportesdel’extase.Soncorpssetendittandisqu’elletentaitd’étoufferlespetitsgémissementsdeplaisirquiluimontaientauxlèvres.

Bouchesscelléesetcorpsmêlés,ilsselaissèrenttombersurlelitoùilseplaçad’autoritéentresescuisses.Lesyeuxrivésauxsiens,ilécartadesonvisageunemèchedecheveux,dansungesteaussidouxetlégerquelefroissementd’uneailedepapillon.

Il reprit une fois encore ses lèvres pulpeuses et sensuelles avant de les quitter à regret pour sedéshabiller. Il ôta d’abord sa chemise, libérant d’un coup lesmuscles saillants de son torse et de sesépaules.Puiscefutautourdesonjeanetdesoncaleçonqu’ilretiraenmêmetempsd’unemainfébrile.

Dieuqu’ilétaitsexy!songea-t-elleenleregardant.Tonique.Elancéetathlétique.Undiamantbrut.Elle baissa les yeux sur son sexe en érection et se dressa sur un coude pour mieux profiter du

spectaclequis’offraitàelle.Maisdéjà,ill’avaitrejointe,aussiimpatientqu’elledereprendrelàoùilss’étaientinterrompus.

Ilseplaçaàcalifourchonsurelleet,trèsdélicatement,luiôtasonsoutien-gorgequ’iljetaàterre.Durantunlongmoment,ilcaressasoncorpsduregard.—Jeveuxgravercette imagede toidansmamémoire,dit-ild’unevoix rauqued’émotion.Jene

veuxplusoublier.Ellesentitsoncœurbondirdanssapoitrineenmêmetempsquel’airluimanquaitunpeu.Lorsqu’il

nelatouchaitpasdanssachairparsescaresses,illatouchaitdanssoncœurparsesparoles.—Embrasse-moi,demanda-t-elledansungémissement.—Dèsquej’enauraifiniavecça,dit-ilenexhibantfièrementsapetiteculotterose.Lorsqu’ils furent enfin peau contre peau, ils furent parcourus par une véritable onde de choc.Le

sexe dur de Rafael trouva naturellement sa place entre les cuisses de Bryony, tandis que sa poitrinegénéreuses’écrasaitsursontorseviril.

Leursbouchestoujoursjointes,ilfitcourirsesmainsimpatientessursondos,puissursesfessesetenfin, plus bas, dans la chair moite de son sexe. Elle s’arc-bouta sous ces caresses devenues plusprécises.Ivredevolupté,ellelevoulaitenellesur-le-champ,aprèsavoirétésilongtempsprivéedelui.Elles’agrippapresquedésespérémentàluiets’ouvritunpeupluspourl’encourageràlaprendre.

— Je n’ai pas encore fini,ma chérie,murmura-t-il contre sa bouche. Je veux te rendre folle deplaisiravantdeteposséderdenouveau.Jeveuxt’entendrecriermonnomquandjem’introduiraientoi.

— Je te veux, Rafe, murmura-t-elle, le souffle court. Oh oui, je te veux ! Tu m’as tellementmanqué…fairel’amouravectoim’atellementmanqué.

—Toiaussi,Bryony,tum’asmanqué.C’estquelquechosedontjenemesouvienspas,maisqueje

ressensprofondémentenmoi.Jen’éprouveraispasuntelbonheursinousnenousétionspasintimementconnus avant. Tume corresponds si bien. J’ai l’impression d’avoir ouvert la porte d’un inconnu dontj’aspireàprendrelaplace.

Elleétaitsiémuequ’ellecrutquesoncœurallaitexploserdejoie.—Jeneveuxplusattendre,Rafe.Jeteveuxenmoi.Maintenant.S’ilteplaît…C’étaitlesignalqu’ilattendait.Ilsepenchaverselleetl’enveloppadesoncorpsbrûlant.—Tuescertainequec’estbiencequetuveux?demanda-t-ilenglissantundoigtdanssonvagin

délicieusementtièdeetdoux.Enguisederéponse,ellefermalesyeuxets’agrippasifortàluiquesesarticulationsblanchirent.—Jet’enprie,Rafe…,supplia-t-elledansunsouffle.—Ouvrelesyeux,Bryony.Regarde-moi.Regarde-nous.Elle cilla et plongea dans son regard de braise, l’encourageant à se perdre en elle. Lorsqu’il la

pénétra,elleressentitunetelleplénitude,unetellefélicitéqueleslarmesluimontèrentauxyeux.Sagorgeétaitsinouéequ’elleneputémettrelemoindresonniarticulerlemoindremotcapablede

restituerlebonheurqu’elleéprouvaitàseretrouveraveccethommequ’elleaimaittantaprèsavoircrul’avoirperduàjamais.

Ils se mouvaient en parfaite harmonie, leurs corps enchevêtrés, leurs langues dansant une rondeeffrénée,leurssoufflesemmêlésnefaisantqu’un.

—Jenetefaispasmalaumoins?s’enquit-ilavecunepointed’inquiétude.Jenesuispastroplourdsurtoi?

Commepourlerassurer,elleseplaquaplusétroitementcontreluietlevaseshanchesunpeuplushaut.Puisellesemitàondulerenrythme,leforçantàs’enfoncerplusprofondémentenelle.

—Oui,Bryony,c’estça,guide-moi.Dis-moicommenttefairejouir.— Tu t’y prends parfaitement bien, répondit-elle d’une voix rendue rauque par le plaisir. J’ai

l’impressiondeflotter.Encouragépar sesparoles, sondésiraiguillonné, ilmordilla lapeau finedesoncouavantdese

mettre à la sucer pour y laisser sa marque. Elle frissonna d’excitation à l’idée qu’elle allait garderquelques jours,aussiprécieuxque le seraitun talisman, le signequ’il l’avaitpossédée jusquedanssachair.

—Bryony,jesuisdésolée,jene…Saphrasemourutsurseslèvrestandisqu’unlonggémissementdeplaisirs’enéchappait.Redoublant d’excitation, incapable de se contrôler, elle planta ses ongles entre ses omoplates et

s’arc-boutatandisqu’ellesurfaitsurlesvaguesd’unplaisirindicible.Repus,lesouffleencorecourt,Rafaelseretira,roulasurlecôtéetglissaunemainentresescuisses

humides.Enmêmetempsqu’ilprenaitundesesseinsdanssabouche,ilcaressasonclitorisdesavantespressionsdupouceetintroduisitundoigtdanssonvagin.

Ellecrutdéfaillirdeplaisirtandisquelerestedumondes’estompait.— Rafael ! cria-t-elle alors que, le corps secoué de spasmes, elle jouissait avec une intensité

qu’ellen’avaitjamaisconnue.Mêmeaveclui.Ellesesentaitvulnérable,miseànu.Maisformidablementheureuse.Leurssensmomentanémentassouvis,ilsrestèrentunlongmomentenlacés,blottisl’uncontrel’autre,

reprenantleursouffle.Lorsque lesbattementseffrénésde leurscœurs se furentenfincalmés, ils sombrèrent, combléset

heureux,dansunprofondsommeil.

-15-

Bryonyseréveillaaucontactdebaiserssursesépaulesetdecaressesappuyées.—Mmm,murmura-t-elletandisqu’elles’étiraitlangoureusement.—Enfin,tuouvreslesyeux.J’auraisdétestéabuserd’unefemmeendormie.—Jen’endoutepas,rétorqua-t-elleenriant.—C’estquejedoismerattraper.Commepoursoulignersespropos,ilposaseslèvresàlanaissancedesagorgeetleslaissacourir

jusqu’aucreuxdesesseins.—Vraiment?Ilplongeadansson regardet,duboutde la langue,caressases tétonsdressésavantde les sucer

avecdélicatesse.—Lemoinsquel’onpuissedire,c’estquetum’astellementfaitperdrelatêtequej’aiperdutout

contrôle.J’imaginequec’estunepreuvedugrandégoïsmequim’anime.—Sicelapeutrassurertonego,sachequejen’auraispaspuressentirplusdeplaisirsansrisquer

unmalaisecardiaque.Etpuis,entoutehonnêteté,j’avouequel’idéedetefaireunpeuperdrelaraisonmeflatteénormément.

—Unpeu?Lemotestfaible.Jenemesouvienspasavoirconnuautantdeplaisiravecuneautrefemme.Etait-ceainsientrenous,avant?

—Non,admit-elledansunsouffle.C’était…différent.—C’étaitmieux?—Infinimentmoinsbien.—Ah,jesuissoulagé!Jecraignaisd’êtretrahiparl’inconnuquim’habite.Unisdansunebellecomplicité,ilséclatèrentdumêmerirejoyeux.—J’aifaim.—Moiaussi,répliqua-t-ilenprenantundesesseinsdanssabouche.Elleritdeplusbelleetdéposasursonépauleuntendrebaiser.—Ilest…Quelleheureest-il,aufait?—Jenesaispas,maisnousnoussommesendormistoutdesuiteaprèsl’amour.Ilfautdirequetu

m’asépuisé!—Préparons-nousunplateauquenousapporteronsaulit,suggéra-t-elle,etensuite…—Ensuite?s’enquit-il,vivementintéressé.—Ensuite,nousnousoffrironsunbondessert,répondit-ellemalicieusement.

—Danscecas…Ilrejetaprécipitammentlescouverturesetbondithorsdulit.—Jem’occupeduplateau.Toiturestesici,j’enaipouruneminute.Unsourireamuséaux lèvres,elle le regardaquitter lachambresansmêmeavoirpris lapeinede

couvrirsanudité.Nuldoutequ’ilpossédaitl’assurancedeshommesquisesaventséduisants.Songeuse,elleremontalescouverturesjusquesoussonmentonetenfouitsonvisagedansl’oreiller.

Unquartd’heureplus tard,Rafaelétaitderetouravecdeuxsandwichsaufromageetdeuxverresemplisdejusdecitronsfraîchementpressés.

Elle s’assit, dos bien calé par une pile d’oreillers et contempla ce festin improvisé, l’eau à labouche.

—C’estparfait,lefélicita-t-elle.Exactementcedontj’avaisenvie.—Ravidecomblertesdésirs,machérie,répondit-iltandisqu’ils’asseyaitentailleursurlelit.Ilsmangèrent en silence, tout en se dévorant du regard. Elle était fascinée par cette facette d’un

Rafaeltotalementdétendu,bienplusspontanéquelorsdesonpremierséjour.Siunetellechoseétaitpossible,elleétaitencoreplusamoureusedeluiqu’avant.Elle délaissa la moitié de son sandwich, vida d’un trait son verre de citronnade, puis attendit

patiemmentqu’ilaitterminésonrepas.Alorsqu’il s’apprêtait àposer leplateaupar terre,elle sepenchavers luiet luiplaça lesmains

derrièreledos,luiintimantensilencedenepasbouger.Ellepritseslèvresdansunbaiserfougueuxquiannonçaitclairementletonqu’ellecomptaitdonner

àleursébats.Sans quitter ses lèvres, elle le fit basculer sur le matelas puis elle le chevaucha, telle une

fièreamazone.Ellerivasonregardausienetenveloppad’unemainfermesonsexeenérection.—C’estl’heuredudessertpromis,annonça-t-elled’unevoixsuave.Ivred’excitation,ilselaissafaire,totalementsoumisàladoucetorturequ’elleluiimposait.Encouragéparsonsouffledevenupluscourt,ellesepenchaplusenavantetenroulasalangueautour

desonpénis.—Bryony…,murmura-t-ilens’agrippantpresquedésespérémentàsesépaules.Portéeparleplaisirqu’elleluiprodiguait,ellepritsonsexedanssaboucheenmêmetempsqu’elle

accéléraitleva-et-vientdesesdoigts.Auborddel’orgasme,ilrepoussadélicatementsatêteetlaguidadenouveausurlui.—Prends-moi,dit-ilàsontourd’unevoixsuppliante.Possède-moicommejet’aipossédée.Aucombledel’excitation,ellepritenellesavergedure,pourdémarreravecluiladansesensuelle

quiunittouslesamantsdumonde.C’était la première fois qu’elle prenait ainsi l’initiative. Auparavant, elle le laissait volontiers

guiderleursébats,luidonnerduplaisiravantmêmedepenserausien.Maislà,elledécouvraitunhommequisesoumettaitàelleetjouissaitdufaitquec’étaitellequimenaitladanse.

Cetotalabandonlerendaitplusréel,enmêmetempsqu’il luidonnait,àelle, l’impressiond’êtretoute-puissante. Forte de ce sentiment nouveau, elle poursuivit ses ondulations jusqu’à le mener auxportesdel’extase.

—Maintenant,Bryony,l’implora-t-ildansunsouffle.Jeveuxt’entendrejouiravecmoi.Ellelaissasatêteallerenarrière,accéléralerythme.Toutsoncorpssemitàtremblerlorsqu’une

formidableexplosiondeplaisirlafitretomberenavant.Elleseredressaetplaquasesdeuxmainssursontorse,désireusedeprolongerindéfinimentcettedéferlantedevoluptéquilasubmergeait.

Elles’entenditcrier,sescrissemêlantàceuxdeRafaeldansunparoxysmedeplaisirinouï.

Dansundernierspasme,ellesentitlesbrasdeRafaell’envelopperetlaplaquerétroitementcontrelui,dansungesteviriletpossessif.

Elleavaitconsciencedesoncorpshaletantsurlesien,semblableàceluid’unepoupéedechiffon,maiselles’enfichaitbien.

—C’étaitmerveilleux,dit-illorsqu’ilputdenouveauarticulerunmot.—Mmm,secontenta-t-ellederépondre,n’ayantpastoutàfaitrecouvrésesesprits.Songeur,ilcaressaunlongmomentsonbrasavantdeluilivrersespensées.—Quenousarrive-t-il,Bryony?Ilnes’agitpasquedesexeentrenous,n’est-cepas?—Non,dit-elled’untongrave.Ilnes’agitpasquedesexe.—Alors?insista-t-il.Ellelevabienhautlatêteetleregardadroitdanslesyeux.—Ils’agitaussid’amour,Rafael.Nousnousaimons.Quelquefois,lecœursaitdeschosesquenotre

espritrefused’admettre.—L’idéequej’aipuoublierquelquechosed’aussifabuleuxentrenousm’effraieàunpointquetu

ne peux même pas imaginer, dit-il dans un tel élan de sincérité qu’elle en fut émue aux larmes. Tucomprends,jen’aijamaisaimépersonneavant.

—Jamais?Ilsecoualatête.—Lorsque j’étais enfant, j’ai aimémesparents bien sûr,mais aujourd’hui, sans les détester non

plus,jenepensejamaisàeux;delamêmefaçonqu’ilsnepensentjamaisàmoi.Jelesembarrassaisplusqueceque je leurapportaisdesatisfaction.Pourmoi,cenesontque lesgensquim’ontdonné lavie,voilàtout.Celapeutparaîtred’uneduretéincroyable,maisc’estainsi.Etsijeteracontecela,cen’estpaspourexpliquerunquelconqueproblèmepsychologique,maispourquetusachesquejen’ai jamaisaimé profondément quelqu’un. Alors, comment ai-je pu oublier l’amour que je te portais s’il étaitsemblableàcequejeressenslà?Pourquoioublierçaetpasautrechose?

—Peut-êtrequetutrouvesl’amoursitraumatisantquetupréfèrestefermeràlui?letaquina-t-elle.—Jenepeuxpascroirequetuaieslecœuràplaisanterdansunmomentpareil,ronchonna-t-il.—C’estparcequejepensequ’ilvautmieuxenrire,Rafael.Aieconfiance,jesuiscertainequela

mémoire va te revenir. D’ailleurs, tu es sur la bonne voie. Tu ressens instinctivement les choses. Lapreuve,tunem’asjamaistraitéeenétrangère;etpuis,crois-tuquetuseraislààpartagertessecretslesplusintimesavecmoisitun’étaispasintimementpersuadéquenousavonsdéjàvécuunehistoirefortetouslesdeux?

—Tuasraison,concéda-t-il,soulagé.Ellesepenchaversluipourl’embrasseretposasatêtesursonépaule.—Laissonsfaireletemps,Rafael.Tuverrasquechaquejournousrapprocheraunpeuplusdujour

oùtutesouviendrasdenous.Réconfortépar sesparoles rassurantes, il la serraplusétroitementcontre lui etdéposaunbaiser

tendresursescheveux.—Jenesuispascertaindemériterautantdepatienceetdedouceur,maisentoutcas,jeteremercie

dufondducœurpourtoutlebonheurquetumedonnes.

-16-

Lorsquesontéléphoneportablesonnaàlapremièreheurelelendemain,Rafaelsutquec’étaitCam.Aussisegarda-t-ilbienderépondre.

Devon avait dû l’alerter, et celui-ci cherchait à le joindre, prêt à l’affubler de tous les nomsd’oiseau.

Camétaitdécidémentbienprévisible.Lorsquele téléphonesonnapourladeuxièmefois, ilsepenchapourattrapersonjeansanslâcher

Bryony,pritsonmobiledanssapocheetl’éteignitd’ungesterageur.Ses affaires pouvaient bien se passer de lui pendant quelques jours, tout de même ! Il payait

suffisammentcherpourqu’onleremplaceàlatêtedesasociétésansquecelle-cinecoureàlaruine.Il pensa soudain que, peu de temps auparavant, une telle perspective aurait été parfaitement

inenvisageable.Aujourd’hui,ilseréjouissaitd’avoirunpeudetempslibreetdepouvoirenprofiter.Peut-êtreBryonyavait-elleraison.Ilpouvaitbienavoirchangéetdéfinipourluid’autrespriorités.

Etreprêtàfairedessacrificespoursonenfant,aspireràêtreunpèreprésent.Ilneseraitpascommelesien,quipensaitquesesobligationss’arrêtaientdèslorsquelebien-êtredesafamilleétaitassuré.

Luivoulait assister à toutes les réunions scolaires, partager les jeuxde son fils oude sa fille. Ilseraitlepremieràglisserunepiècedemonnaiesoussonoreillerlorsqu’ilouelleperdraitsapremièredentdelaitetluiraconteraitcommetouslesparentslalégendedelapetitesouris.

Ilsouhaitaitardemmentdevenirpère.Lemeilleurpèreaumonde.IlbaissalesyeuxversBryonydontlatêtereposaittoujoursaucreuxdesonépaule.Lesrayonsdu

soleil qui filtraient par la fenêtre l’auréolaient d’une lumière quasi divine. Elle semblait en paix.Heureuse.Ellesemblait…amoureuse.

Alavoirainsiabandonnéeetvulnérable, ilcompritqu’iln’yavait riend’étonnantàcequ’ilsoittombéamoureuxd’elleauboutdequelquesjoursseulement.

Maisétait-ceaprèsquelquesjoursouétait-celaréponseàcequ’ilsavaientvécuantérieurement?Quoiqu’ilensoit, iln’aurait jamaispenséqu’aimerfûtaussifacile,aussinaturel, luiquitrouvait

déjàcompliquéeslesrelationspourtantsuperficiellesqu’ilavaittoujoursentretenuesaveclesfemmes.Jamais, avec aucune de ses conquêtes, il n’avait même touché du doigt une telle plénitude, un

bonheuraussiparfait.AvecBryony,toutétaitd’unefacilitédéconcertante.Ellepossédaitcedonrarissimedejouerfranc

jeuetdenepastergiversercequi,ducoup,l’incitaitàfairedemême.Lui,d’habitudesiréservé,mêmeavecsesamislespluschers,trouvaittoutnatureldeseconfieràelle.

Elle luidonnait l’enviedefairefaceàsesresponsabilités,d’alleroùildevaitaller.Cettefemmeétait un bijou précieux, un don du ciel qu’un homme se devait de garder s’il avait la chance de larencontrer.Cellequ’ildevaitépouser.

Désormais, elle lui appartenait, et il ne la laisserait pas lui échapper une seconde fois. Et peuimportait si lamémoire ne lui revenait jamais. Il avait désormais rassemblé suffisamment d’élémentspoursavoirqu’ilsformaientlecoupleidéal.

Plus il retournait cespenséesdans sa tête, plus il était convaincude faire lebonchoix.Elle.Lebébé.Ilpouvaittoutavoir.Fonderunefamille.

Uneimagebrutalementsurgiedesamémoirevintternirsesrêvesdebonheur.Laconstructionducomplexehôtelier.Malgré la promesse faite à Bryony, il ne pouvait croire à une pareille aberration. Il n’avait

certainementpasacquiscetteterrepoursonusagepersonnel!Ildevaitbienyavoirunmoyendelaconvaincre,elle,demêmequetousleshabitantsdel’île,qu’un

hôtelnechangeraitpas la facedeMoonIsland.D’ailleursavait-il lechoix?C’étaitcelaou trahirsesassociés, sesamis, ses investisseursquinemanqueraientde lui retirer leuramitié, leur soutienet leurargent.Ilylaisseraitunegrandepartiedesafortune,certes,maispire,ilperdraitsacrédibilitéet,doncdansunavenirproche,sasociété.

Toutcelapourunepromessedontiln’avaitpaslemoindresouvenir.Cespenséessombresformaientcommeunnuagemenaçant.LorsqueBryonys’étiradanssesbras,il

resserrasonétreinte.—Quellejoliefaçondemeréveiller,dit-elleenluisouriant.—C’estexactementcequejepensais,murmura-t-ilàsonoreille.—Quelleheureest-il?—7heures.Ellebâillaetseblottitplusétroitementcontrelui.—Autantdireuneéternité,alors.—Uneéternitépourquoifaire?—Toutou…rien.Tuasuneidéedecequenouspourrionsfaireaujourd’hui?—Oui.J’aimeraisquetumefassesfaireletourdel’île.Quejemerendecompteparmoi-mêmede

cequ’elleadesiparticulier.Etpuis,jenemesouvienspasàquandremonteladernièrefoisoùjemesuisprélassésuruneplage.

—Jetel’aidéjàdit,tutravaillestrop.Jenepeuxm’empêcherdepenserquetonaccidentd’avionaeuuneffetpositifs’iltepermetdeleverunpeulepiedetdeprofiterdecequelavieadebonàoffrir.

— Je ne l’envisage pas vraiment sous cet angle, vois-tu, répliqua-t-il sèchement. Je ne suis pascertainquefrôlerlamortsoit,pourquiconque,ledéclicidéal.

Conscientedel’avoirheurté,elleluicaressatendrementlajoue.—Necrois-tupasquetupenseraisautrementsitun’avaispasvécuunetelletragédie?—Jenesaispas.Peut-êtreest-cetoiledéclic?— J’avoue que cette idée neme déplaît pas, dit-elle avec un brin de coquetterie. En attendant,

ajouta-t-elled’un ton léger, je tesuggèred’allerprendreunedouchependantque jepréparerai lepetitdéjeuner.Ilvafaireunejournéesplendide,nouspourrionsallerpique-niquer.

—J’aiunemeilleureidée.Sinousprenionsnotredoucheensemble?Ensuite,jepourraitedonneruncoupdemainencuisine.

Ellemesuraalorstoutl’amourqu’elleluiportait.—Je t’aime,Rafe. Jeneveuxpas temettremalà l’aiseni tepousseràm’aimeren retour,mais

maintenantquejetel’aiavoué,jenepeuxpasm’empêcherdetelerépéterencoreetencore.Chaquefoisquejeteregarde,moncœurdéborded’amourpourtoi.

Emu,ilpritsamainetlaportaàseslèvres,soncœurcognantdanssapoitrine.—J’aimetel’entendredire,répondit-ild’unevoixémue.Celasignifietantpourmoi!Ilvitalorsdanserdanssesyeuxunelueurdejoieintense.L’aurait-ellevouluqu’ellenepouvaitpas

tricher;sonregardexprimaittropclairementsessentiments,etilluisuffisaitdeplongerdanssonregardpourconnaîtresespensées.

—Sinousallionsprendrecettedouche?proposa-t-elle,faussementmutine.Il la contempla un long moment en silence, s’extasiant intérieurement sur sa beauté de femme

épanouie.C’étaitsafemme.C’étaitsonenfant.Iln’endoutaitplusunesecondeàprésent.—Tuessibelle,dit-ilenfintouthaut.Lesais-tuaumoins?Ellerougitcommeunecollégienne.—Maintenant,oui.

-17-

— Vous avez fait une bonne action, monsieur De Luca, déclara Silas Taylor, alors qu’ils setrouvaientsouslavérandadeLaura.

Celle-ci avait invité tout lemonde à boire une tasse de thé et à déguster ses fameux biscuits aubeurredecacahuète.Partoutlemonde,elleentendaitquiconquepassaitdevantchezelle.

Cette hospitalité hors du commun surprenait Rafael, plus habitué à des listes strictes et à desvérifications d’identité auxquelles il ne fallait pas déroger sous peine de s’attirer les foudres desorganisateurs.

Laura,elle,s’enfichaitéperdument.Enfait,pluselleavaitd’invités,pluselleparaissaitenchantée.Tout au plaisir d’être réunis, les gens discutaient gaiement en petits groupes, de sujets aussi

importantsquelamétéooulasantédesunsetdesautres.—Jecrainsquemesinvestisseursnesoientpasdevotreavis,finitparrépondreRafael.—Ilstrouverontbienunautreprojetdanslequelinvestirleurargent,rétorqualeshérifpourquiune

tellechoseétaitévidente.Cette simplicité d’analyse, pour ne pas dire cette méconnaissance du monde des affaires, fit

sourireRafael.Silasvenaitderéduireàquelquesmotsd’uneingénuité incroyabledesmoisd’analysesfinancières,d’étudesdemarché,derecherchesdefonds,deplansdeconstruction.

—C’est exact, concéda-t-il pourtant.Mais il n’en demeure pasmoins que je vais perdre demacrédibilitéetlerespectquemetémoignaientmespairs.Laprochainefoisquejeferaiappelàeux,ilsyregarderontàdeuxfois,pourfinirprobablementparrefuser.

—Etalors? Il semblequevousavezgagnéplusquevousn’avezperdu,non?soulignaSilasendésignant Bryony d’un geste de la tête. Pensez-y, mon garçon, conclut-il en le gratifiant d’une tapeamicalesurl’épaule.

Unefoisleshérifreparti,Rafaelréfléchitauchoixqu’ilavaitfait.Letempsfilaitàtouteallure,etiln’avaitpasprislapeinedeconsulterlaboîtevocaledesontéléphoneportable,probablementsaturéedemessagesquisevoulaientplusimportantslesunsquelesautres.

Lasemaineprévueallaitbientôt toucheràsa fin,et,avecelle, l’arrivéedeDevon,CametRyan,inquietsdesonsilence.

Ces derniers jours, il avait consacré tout son temps à Bryony. Lorsqu’ils daignaient quitter leurchambre,ilssepromenaientlelongdel’océan,cuisinaientetdiscutaientpendantdesheuresdetoutetderien.

Presséparlepeudetempsqu’illuirestait,ilvivaitdansl’urgence,redoutantdetoutperdre.

Pourtant,ilnepourraitrepousserindéfinimentlesdécisionsqu’ilavaitàprendre,ets’iln’avaitpaslamoindre idéede la suiteàdonnerà savie, il étaitcertaindenepasvouloirperdreBryonypour laconstructiond’unhôtel.Ildécouvraitqu’iln’étaitpasprêtàlasacrifieràsesaffairesniàl’argentqu’ilpouvaitengrangergrâceàceprojetfaramineux.Ilavaitcomprisqu’ill’aimaitplusquetoutaumonde.

—Voulez-vousunpeuplusdethé,Rafael?IlsetournaversLauravenues’assurerqu’ilnemanquaitderien.—Merci,toutvabien,répondit-ilenluirendantsonsourire.Occupez-vousplutôtdevosinvités.—Oh!Ilspeuventbiensepasserdemoicinqminutes.Commentsepassevotreséjour,moncher

Rafael?Enguisederéponse,ilcherchaleregarddeBryonydontlevisages’éclairad’uncoup.—Dumieuxpossible.Jeregrettejustedenepasmerappelerleprécédent.Pensive,Lauralefixaunmomentensilencepuis,dansungestepleindecompassion,luiposaune

mainsurl’épaule.—C’estpeut-êtremieuxainsi,finit-ellepardire.Réfléchissantàcesparolesénigmatiques, il seperditdans lacontemplationde l’océan. Iln’avait

jamaisétéhommeàfuir,maisc’étaitprécisémentcequ’ilétaitentraindefaire.Ici, ilvivaitdansunebulle où le monde extérieur ne pénétrait pas. Plus il évitait l’inévitable, plus il redoutait d’avoir àl’affronter.

—Rafael,toutvabien?LavoixsuavedeBryonyletiraendouceurdesespensées.Ill’attiraàlui,cherchantdanssachaleur

leréconfortdontilavaitbesoin.—Oui.Jeréfléchissais.—Aquoi?—Acequejedoisfaire.Aulieudelepresserd’interrogations,commeils’yattendait,elleluiproposadequitterlafêtepour

allermarcherauborddel’eau.—Mamieneremarqueramêmepasnotreabsence.Elleadoreêtreaucentredel’attention.Incapablede résister,pleindegratitudepourcette femmequi le comprenait sibien, il sepencha

pour l’embrasser. Quel bonheur ce devait être de former encore un couple indissociable après denombreusesannéesdemariage,seplut-ilàimaginer.

Ils’écartad’elleàregretetluipritlamainpourl’entraînersurl’alléepavéequimenaitàlaplage.Maindanslamain,ilss’amusèrentcommedesenfantsàéviterlesvaguelettesvenuesmourirsurlerivageetparvinrentainsi,presquesanss’enrendrecompte,jusqu’auterrainqu’elleluiavaitcédé.

—Jevenaissouventiciavecmonpère,dit-elled’unevoixempreintedenostalgie.Ilavaitcoutumededirequ’iln’yavaitriendemieuxquedepossédersurterreunpetitcoindeparadis.J’ail’impressiondel’avoirtrahi.

Rafael ressentit la pointe de culpabilité désormais familière lui vriller le cœur. Songer quequelqu’und’autre l’aurait faitàsaplace,compte tenudes lourdeschargesauxquelleselleavaitàfaireface,nelesoulageapaspourautant.

«Maistoi,tupeuxluirestituersonbien,situleveux.»L’idéecommençaàgermerdanssonesprit.C’étaitluilepropriétairedeceterrain,passasociété.Il

pouvaitdoncl’utiliseràsaguise.—Jet’aime,luidit-ellecommesielleavaitdevinélestourmentsintérieursquil’agitaient.L’heureétaitvenuedesemontreraussihonnêteenversellequ’ellel’avaitétéaveclui.Sansdétours.Illapritdanssesbrasetinspiraprofondémentl’airmarinpoursedonnerlecouragedeluiavouer

sessentiments.—Jet’aimeaussi,Bryony,dit-ildansunsouffle.Sesyeuxsebrouillèrentdelarmes.—Lamémoiret’estrevenue?murmura-t-elle,souslechoc.—Non.Maispeuimporte.N’est-cepascequejeressensaujourd’huiquicompte?Elleacquiesça,incapabled’articulerunmot.—Quand jepense, enchaîna-t-il dansun sourire, que jenepouvais accepter l’idéed’être tombé

amoureuxdetoienl’espacedequelquessemaines!Etvoilàqu’aujourd’hui, je t’aimeaprèsseulementquelquesjours.

—Tuenesbiensûr?demanda-t-elled’unevoixoùpointaituneprofondeinquiétude.Ellecraignaittantqu’ilchanged’avisouqu’ilnesoitpascertaindesessentiments!Ilpritsonmentonentresesdoigtsetsepenchapourdéposerunbaisersurseslèvresdouces.— Je mesure à quel point je me suis montré maladroit. Mais tu comprends, je n’ai

aucuneexpériencedanscedomaine.C’estlapremièrefoisquejeressenslebesoindedireàunefemmequejel’aime.J’imaginequ’ilyadesfaçonsplusromantiquesdelefaire,maisjenepouvaispasattendrepluslongtemps.

—Oh !Rafe, s’exclama-t-elle.Vivredans l’incertitudem’était insupportable, et voilàque tumerendssiheureuse!

—Jesuisdésolé.Jenevoulaispast’inquiéter.Etjetelerépète,jet’aime.Aucombledelajoie,ellenouasesbrasautourdesanuqueetseblottitcontrelui.—Jet’aimetant,moiaussi.Ilsrestèrentainsienlacésunlongmoment,puisRafaels’écartad’elle,levisagesoucieux.—Jedoispartirdemain,annonça-t-ilavecgravité.Elleblêmit,tandisquesabouches’ouvraitsansqu’aucunsonn’ensorte.—Mais…mais,pourquoi?balbutia-t-elle.— Je dois prévenirmes associés ainsi que les investisseurs. J’ai repoussé autant que je l’ai pu,

maismaintenant jedois faire face àmes responsabilités.C’estpour celaque je tenais à t’avouermessentimentsavantdepartir.Jeneveuxpasquetupensesquetuvasmeperdreunesecondefois.

Malgrécesparolesquisevoulaient rassurantes, ledoutes’infiltradenouveaudanssonesprit,etsonregards’assombrit.

—Tupeuxm’accompagner, si tuveux,proposa-t-il, cherchantpar tous lesmoyens à apaiser sescraintes.Nous ne serions pas absents très longtemps, quelques jours tout au plus. Je sais bien que tun’aimespaspartird’ici,mais…

Ellecherchasamainetlevasurluisonregardlimpide.—C’estdetoiquejen’aimepasêtreéloignée,Rafe.—Danscecas,viensavecmoi.Jenevaispastementir,Bryony.J’ignoretotalementquelletournure

vont prendre les choses. Mais en tout cas, je te promets de faire tout mon possible pour régler ceproblèmeaumieuxdetesintérêts.

—Jetecrois,dit-elledansunsouffle.Touchéparlaconfiancequ’elleluiportait, il l’attiraàluietenfouitsonvisagedanssescheveux.

Grâceàelle,ilavaitenvied’êtrel’hommebonetintègrequ’elleavaitconnu.—Tuviendrasavecmoi?—Oui,Rafe.Jeviendraiavectoi.Ilsreprirentleurmarche,leursdoigtsentremêlés,commepourscellerunepromessed’éternité.—Jet’aime,Bryony,etc’esttoutcequiimportepourmoi.Ilfautquetumecroies.

—Jetecrois,répéta-t-elle,etjesaisque,grâceàtoi,cettehistoireconnaîtraunefinheureuse.Lepoidss’allégeadesesépaules,etileutenfinlesentimentdepouvoirrespirernormalement.La

perspectivededevoiravouersonamouràBryonyl’avaitperturbé,maisàprésentquec’étaitchosefaite,ilcompritqu’ilauraitétéplusdifficileencoredenepas luiouvrir soncœur,mêmesiunepetitevoixinsidieuseluisoufflaitdesemontrerprudent.

Ilavaitpassétoutesavieàsuivrecequeluidictaitlaraison,ilétaitgrandtempsqu’ilapprenneàécoutercequeluidictaitsoncœur.

-18-

LorsqueletéléphonedeBryonysemitàsonnerenpleinenuit,elles’arrachadesbrasdeRafaeletcherchal’appareilàtâtonssurlatabledechevet.

—Allô?dit-ellelecœurbattantd’inquiétude.—Bry,c’estSilas.Ilfautquetuviennesàl’hôpital.C’esttagrand-mère.—Mamie?Qu’est-ilarrivé?—Elle a fait une crise d’hypoglycémie, elle était au bord dumalaise. Dieumerci, elle a eu le

réflexedemetéléphoner,j’aipuvenirlachercherpourlaconduireàl’hôpital.« Pendant queRafael etmoi dormions à poings fermés », se dit-elle, honteuse et ravagée par la

culpabilité.—Pourquoipersonnenem’aprévenueavant?demanda-t-elle,contrariée.—Iln’yavaitaucuneraisonde t’alarmeravantdeconnaître lagravitédesonétat.D’ailleurs, je

pense que ce n’est rien,mais l’infirmière insiste pour que tu viennes signer les papiers administratifsd’usage.Tu sais comment sont les hôpitaux, gronda-t-il, toujours à réclamer de l’argentmême si noussommesàl’articledelamort.

—J’arrivetoutdesuite.Lorsqu’elleraccrocha,elleremarqual’airinquietdeRafaelquiattendaitpatiemment,assisaubord

dulit.—Commentva-t-elle?— Je ne sais pas trop. Bien que diabétique, elle ne prend pas toujours soin d’elle comme il le

faudraitetnégligeparfoisdevérifiersontauxdeglycémie.J’ignoresielleestsurlepointdesombrerdanslecomaousic’estunecrisepassagère.

—Jet’accompagne,décida-t-ilenbondissantsursespieds.Vingtminutesplustard,ilsarrivaientàl’hôpitaloùlesattendaitSilas.— Comment va-t-elle ? s’empressa de demander Bryony sans pouvoir cacher l’angoisse qui la

minait.—Oh!Tuconnaistagrand-mère.L’idéedepasserlanuitàl’hôpitallarendfolle.Ellenevoulait

mêmepasquejel’yconduise.Elles’esttoutdesuitesentiemieuxaprèsquejeluiaiefaitboiredujusd’orange,maisj’aipréférém’assurerquecen’étaitpasgrave.

Bryonysoupiradevantcequ’elleconsidéraitcommeunacteirresponsabledesagrand-mère.—Oùest-elleàprésent?—Elleaquittéleservicedesurgencesetaétéplacéeenobservation.

—Pouvez-vousnousconduireauprèsd’elle?Commel’avaitditSilas,Lauraétaitd’unehumeurmassacranteetécoutaitd’uneoreilledistraitele

médecindegardelasermonnersurl’importancedeprendresesrepasàintervallesréguliers.Sonvisage s’éclaira aussitôt queBryonyetRafael franchirent le seuil de sa chambre.Bryony se

précipitaàsonchevetetl’embrassatendrementsurlajoue.—Mamie,tum’asfaitsipeur!Lavieilledameroulalesyeuxauciel,irritée.—Maisjevaisbien!N’importequelabrutipourraits’enrendrecompte.D’ailleurs,maintenantque

vousêteslà,ilfaudrabienqu’ilsmelaissentsortir.—Heureuxdevoirquevousallezbien,Laura,ditRafaelenl’embrassantàtour.—Merci,jeunehomme.Jesuisvraimentdésoléedevousavoirtirésdulit,mapetite-filleetvous,à

uneheure pareille de la nuit.Les femmes enceintes ont besoin de repos,mais personne ici ne sembles’embarrasserd’unteldétail.

—Peut-elle rentrerà lamaison,docteur?demandaBryonyaumédecinquivenaitd’assisterà lascène,immobileetsilencieux.

Ilacquiesça.—Ellesaitparfaitementcequin’estpasbonpourelle,précisa-t-il.Jedoutequeleluirépéterune

énième fois serveàquelquechose,mais, cecimis àpart, elle seporte àmerveille.Gardez-la à l’œilpendantlesprochainesvingt-quatreheuresetsurveillezsontauxdeglycémietouteslesheures.Etsurtout,assurez-vousqu’ellemangecorrectement.

— Ne vous inquiétez pas, je m’en charge, assura fermement Bryony. Pouvons-nous la ramenermaintenantouvaut-ilmieuxqu’ellepasselanuitici?demanda-t-elleencore.

—Dès lorsquevousaurezsignéunedécharge,ellesera libredequitter l’hôpital.Mettez-vousàl’aise,celarisquedeprendrequelquesminutes.

Aprèsavoirfusillélemédecinduregard,LaurareportasonattentionsurSilasquiattendaittoujoursprèsdelaporte.Ellelecongédiadumêmeregardassassin.

—Quandvas-tucessercepetit jeu,mamie? la rabrouagentimentBryony. Ilest foude toiet toiaussid’ailleurs.Tulesaistrèsbien.

—Quandilcesserademetraitercommeuneenfantirresponsable,incapabledeprendresoind’elle,grommela-t-elle.

— Peut-être te traitera-t-il en adulte lorsque tu lui auras prouvé que tu en es une. Par exemple,lorsquetucesserasdesauterdesrepas,surtoutaprèsavoirpristadosed’insuline.

AfindetempérerlediscoursmoralisateurdeBryony,RafaelpritdanslasiennelamaindeLauraetluisouritgentiment.

—Laura,vousnepouvezpasenvouloiràl’hommequivousaimedes’inquiéterpourvotresanté.Nous,leshommes,éprouvonstoujourslebesoindevousprotégeretdeveilleràvotrebien-être.

Embarrassée,lavieilledames’éclaircitlagorgeavantd’approuverd’untonhésitant.— Je… je suppose que vous avez raison. D’ailleurs, Bryony ne pourra pas s’occuper de moi,

puisquevouspartezdanslamatinée.— Rafael devra se passer de ma compagnie, affirma Bryony d’un ton qu’elle voulait léger. Tu

passes en priorité,mamie. Je ne vais pas te laisser seule après la promesse que je viens de faire aumédecin.

Bienquecontrarié,Rafaeln’enmontrarienetposaunemainsursonépaule.—Bien sûr que tu dois rester. Je ne compte pasm’éterniser en ville et serai très vite de retour

auprèsdesdeuxfemmesquej’aimeleplusaumonde.

—Quelbeauparleurvousfaites!s’exclamaLauraavecunepointed’ironie.Maisçameplaît.Çame plaît beaucoup. Si Silas était comme vous, j’aurais probablement déjà accepté sa demande enmariage.

LanouvellelaissaBryonybouchebée.—Mamie ! s’exclama-t-elle sur un ton de reproche. Tu nem’as jamais dit que Silas souhaitait

t’épouser!Pourquoias-turefusé?— Parce que,mon enfant, c’est le privilège de l’âge que de se faire désirer un peu. Si j’avais

acceptétoutdesuite,jeprenaislerisquequeSilasmeconsidèretrèsvitecommeacquise.Etmoi,jeveuxm’assurerque,touslesjours,ilsachequellechanceiladem’avoir.

Rafaeléclatad’unriresonore.—Vousêteslasagesseenpersonne,Laura.Maisaccordez-moiunefaveur.Nelaissezpasattendre

pluslongtempscepauvreSilasquisedécomposeaufildesjours.—Jevaisysonger,répondit-elleavecunepointedecoquetterie.D’ailleurs,àmonâge,mieuxvaut

nepastropjoueraveclefeu.Ellesetutuninstant,avantdepoursuivred’untonplusgrave:— Je ne veux pas que vous changiez vos plans pourmoi,mes enfants.Vous avez déjà assez de

problèmescommecelasansvouschargerdemoi.Rafaelmitundoigtsursabouchepourlafairetaire.—Laura,vousn’êtesetneserezjamaisunfardeaupournous.Jeseraideretouravantmêmeque

vousnevousenrendiezcompteetalors,Bryonyetmoipourronsfairedesprojetsd’avenir.Bryonysentitlesbattementsdesoncœurs’accélérer.Illuiavaitcertesavouésonamour,maiselle

s’étaitdemandéoùcetamourlesconduirait.Ilyavaitencoretantd’obstaclesàfranchir!Lefaitdel’entendres’engagercommeilvenaitdelefairesuscitaenelleunprofondsoulagement.Une demi-heure plus tard, ils se retrouvaient tous les trois dans la voiture, sur le trajet qui les

ramenaitaucottage.Unefoissagrand-mèrecouchée,BryonyallarejoindreRafaelquil’attendaitdanslesalon.Elleseblottitdanssesbrasetsavouraensilencecemomentdebonheur.

—Jesuisdésoléedenepouvoirt’accompagner,dit-elleens’écartantdelui.Maisjepensequ’ilestplusraisonnablequejeresteavecmamie,mêmesielleaffirmenepasavoirbesoindemoi.

— Bien sûr qu’il faut que tu restes avec elle, approuva-t-il. De toute façon, je t’appellerairégulièrement de New York pour te tenir informée des événements. Et, je te le répète, je n’ai pasl’intentiond’yresterplusdequelquesjours.J’aitropderaisonsdereveniricitrèsvite.

—Vraiment?feignit-elledes’étonner.—Oui.Unecertainejeunefemme,quiportemonenfant,attendmonretouravecimpatience.C’estla

meilleuredesmotivations,non?—Et,cettefois,neprendspasunaviondestinéàs’écraser,déclara-t-elled’untonironiquepour

conjurerlemauvaissort.Jedétesteraisavoirdenouveauàattendredesmoisavantdeterevoir.—Dieumerci,ceschoses-làn’arriventqu’unefoisdansuneexistence.J’aiconsciencedelachance

extraordinairequej’aid’êtreenvie,etj’aibienl’intentiondeleresterencoretrèslongtemps,répliqua-t-ilsurlemêmeton.

Emue,elleselaissadenouveauallercontresontorseetl’enveloppadesesbrasaimants.—Parfait.Parcequej’aidesprojetspourtouteunevie.Elleluidonnaunbaiserdanslequelellemittoutl’amourettoutelatendressequ’elleluiportait.—Tu devrais rentrer à lamaisonmaintenant, prendre une douche et préparer tes bagages. Il va

bientôt faire jour, et il faut que tu ailles jusqu’àGalvestonpour prendre le ferry.N’oublie pas que turisquesd’êtreprisdansunembouteillageàHouston.

—Tuescertainequecelanetedérangepasquejet’empruntetavoiture?s’enquit-il.—SicelaneheurtepastafiertédeconduireuneMiniCooper…,letaquina-t-elle.Sinon,Silaspeut

t’accompagnerjusqu’àGalvestonetensuitetuprendrasunenavettejusqu’àl’aéroport.—Tavoituremeconvientparfaitement.Laseulechosequim’importe,c’estdeterevenirtrèsvite.—Tumemanquesdéjà,Rafe,dit-elleenposantsatêteaucreuxdesonépaule.Avraidire,l’idée

detevoirpartirm’angoisseunpeu.Ilpritsonvisagedanssesmainsetrivasonregardausien.—JereviendraiBryony.Cettefois,jereviendrai.—Jet’aime.—Je t’aimeaussi.Etmaintenant,va te reposer. Je t’appelleraiaussitôtque j’auraiatterriàNew

York.

-19-

—Ilétaittempsquetut’amènes,grondaCam,venulechercheràl’aéroportdeLaGuardia.Devonétaitdéjàd’unehumeurexécrable,maisdepuisquetuasfaitarrêterlestravaux…Copelandletientsoussa coupe avec cette histoire de mariage ; quant à Ryan, il tente désespérément d’empêcher lesinvestisseursderetirerleursbilles.Ettoutçaàcausedecettefille!Maisc’estbienconnu:dèsqu’unenanaestimpliquée,c’estlapagailleassurée.

—Cam,ditRafaeld’untonqu’ils’appliquaàgarderneutre.—Quoi?—Ferme-la!Cam s’installa au volant de son pick-up, ruminant sur les amis que l’on pensait fiables et sur

l’aberrationdemêleramitiéetaffaires.Rafaellevalesyeuxauciel,préférantlaisserpasserl’orage.—Bonsang,Rafael!Qu’est-cequit’apris?Tuaslafrousseouquoi?— Je n’ai pas la frousse, affirma Rafael avec fermeté. J’essaie simplement de réfléchir à une

solutionquinouspermettraitdemenerceprojetàbien,toutenrenonçantauterraindeMoonIsland.Camjuraentresesdentsetsefaufilaadroitementdanslacirculation,denseàcetteheure-là.—Tunetesouvienstoujoursderien?s’enquitCamaprèsunlongmomentdesilence.—Non.Jenemesouviensderien.—Etmalgréça,tulacrois?Tut’entêtesànepasvouloirpasserdetestdepaternité?— Jeme fiche de ce qu’il s’est passé entre nous avant, réponditRafael sans se départir de son

calme.Aujourd’hui,jel’aimesincèrement.Un nouveau silence accueillit cette nouvelle. Un silence pesant qu’interrompaient à intervalles

régulierslescoupsdeKlaxonrageursdeconducteursirascibles.—Commentcomptes-tut’yprendre?finitpardemanderCam.—C’estlaraisondemavenueici.Ildoitbienyavoirunesolution.Il lefaut, toutmonaveniren

dépend.—Comme c’est charmant de t’entendre parler de ton avenir ! le raillaCam.Et le nôtre, tu y as

pensé,Rafe?—Sijemefichaisdevotreavenir,jeneseraispaslà,avectoi,danscettevoiture,monvieux.Je

vousauraisprévenuspartéléphoneetj’auraistoutenvoyéaudiable!Camsecoualatête,consterné.—Tucomprendsàprésentpourquoij’aiunesihauteopiniondesfemmes?Ellesnesontbonnesque

pourlesexe,dèsquelessentimentss’enmêlent,noussommescuits,monvieux!—Tuasdelachancequejesoisdebonnehumeur,sansquoijet’auraisfaitregrettercequetuviens

dedire.—Jenecomprendspascequ’ilyadechangé,Rafe.Ilyaquatremois,tuétaisleroidumonde,tu

transformaisenortoutcequetutouchais,etsubitement,tuesdevenuquelqu’und’autre.—C’estsansdoutequemesprioritésontchangé.Etpuis,quesais-tudecequejevoulaisvraiment

ilyaquatremois?Jenet’aipasvujusqu’àcequejemeréveilledansunlitd’hôpitalaprèslecrashaérien.

—Tum’as appelé la veille de ton départ. Et crois-moi, tu exultais ! Tum’as dit que tu venaisd’enleverlecontratdusiècleetquetut’apprêtaisàprendreunavionpourregagnerNewYork.Etlorsquejet’aidemandésituavaispassédebonnesvacances,tum’asréponduquecertaineschosesvalaientbienquelquessacrifices.

Rafaelécoutait,pétrifié.Ileutsoudainl’impressionqu’ilmanquaitd’air.Sapoitrineseserratandisquelesangluimartelaitlestempes.

—Rafael?Çava,monvieux?demandaCamquivenaitdesegarerdevantsonimmeuble.LesimagessebousculaientdanslatêtedeRafael.Lespiècesmanquantesdupuzzleseremettaient

enplaceàunevitessetellequ’ilfutsaisidevertige.—Rafe,parle-moi,insistaCam,alarméparlesoudainmutismedesonami.Incapabled’articulerunmot,sonné,Rafaelouvritlaportièreettitubapresquesurletrottoir.D’un

gestedelamain,ilrepoussal’aidedeCam,dontl’inquiétuderedoubla.—Jevaisbien.Laisse-moi.Jet’appelleraiplustard.Il se dirigea comme un zombie vers l’ascenseur et, tout aussimachinalement, inséra la carte qui

permettaitàl’appareildemonter.Il se rappelait tout. Dans les moindres détails. Sa première rencontre avec Bryony, les heures

passéesàfairel’amouravecelle,lejouroùilsavaientsignél’actedevente,lejouroùilluiavaitditaurevoir.

Unevaguedenauséelesubmergea,àmesurequelamémoireluirevenait.Lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrirent, il lui fallut une bonne minute pour regagner son

appartement.Illaissasonbagagedansl’entréeetserenditdanslesalonoùilselaissatombersurl’undescanapés,simalade,sidévastéqu’ilauraitvoulumourir.

Latêtedanslesmains,ilpritconsciencedel’ampleurdugâchis.Comment Bryony pourrait-elle lui pardonner quelque chose que lui-même ne se pardonnerait

jamais?

***

—Mamie,penses-tuqueceseraitsiterribles’ilsconstruisaientuncomplexehôtelierici?demandaBryony,alorsquetoutesdeuxétaientinstalléesdansdeschaiseslonguessurleponton.

Lavieilledameposasursapetite-filleunregarddouxemplid’amour.—Tuprendstouttellementàcœur,machérie.Décideseulementdecequiestlemieuxpourtoi.Si

laconstructiondecethôtelposeunproblèmeentreRafaelettoi,alorschoisiscequiestleplusimportantàtesyeux.Est-celebonheurdeshabitantsdecetteîleouletien?

—Leschosesnesontpasaussisimples,réponditBryony,lefrontsoucieux.Beaucoupdegenssesontinvestisdansceprojet:sesamisproches,desinvestisseurs,desassociés.Etpuis,c’estsafaçondegagnersavie.Ai-jeledroitdeluidemanderd’yrenoncerparcequenouscraignonstousquenotrefaçon

devivrenechange?—Toiseulepeuxrépondreàcettequestion. Jusque-là,nousavonseubeaucoupdechanced’être

épargnésparletourismedemasse,maisilfautbiens’attendreàcequecelaprennefinunjouroul’autre.Sicen’estpasRafaelquiconstruituncomplexehôtelier,quelqu’und’autrelefera.Achoisir,mieuxvautquecesoitlui,quiacommencéàtisserdesliensaveclapopulationlocaleetquiconnaîtsesattentes.

—J’aitellementpeurquelesgensmedétestent,confiaBryonyd’unepetitevoix.—Maispersonnenetedétestevoyons!Etpuis,leprincipal,c’estqueRafaeletmoit’aimons,non?Lesparoles rassurantesdesagrand-mère firent leureffet.Bryonysesentit soudainsoulagéed’un

poidsimmense.Ellefermalesyeuxetsefrappalefront,commesiellevenaitd’avoiruneidéelumineuse.— Tu sais quoi, mamie ? Tu as raison. Cette terre m’appartient ou, plutôt, m’appartenait.

Enconséquence,moi seuleai ledroitdedécideràqui jeveux lavendreet ceque l’onpeuten faire.Après tout, si les habitants redoutaient tellement le changement, ils n’avaient qu’à se regrouper pouracquérireux-mêmescetteterre.Onvoitbienquecenesontpaseuxquionttoutescestaxesàpayer!

Lechangementdetondesapetite-fillerassuraLauraenmêmetempsqu’ill’amusa.—C’estça,machérie!Rebelle-toi,envoie-lestouspromener.Tut’estuependanttroplongtemps,il

esttempsquetuvidesunpeutonsac.Lemoralsoudainaubeaufixe,portéeparcesparolesd’encouragement,Bryonypritsagrand-mère

danssesbrasetl’embrassatendrement.—Jet’aimetant,mamie.—Moiaussijet’aime,monbébé.—NecroispasquecesmotsvontmefaireoubliercepauvreSilas,lataquina-t-elle.—Laisse-moim’occuperdeSilas, rétorquaLauraenriant. Ilsaitpertinemmentque jefiniraipar

répondrefavorablementàsademande.Etpuis,jesuisvieille.Laisse-moim’amuserunpeu!—Tun’espasvieille,tuasencoredebellesannéesdevanttoi.C’estsiimportantquetuconnaisses

tonarrière-petit-filsoutonarrière-petite-fille.—Tuparlescommesinousn’allionsplusjamaisnousrevoir.TonRafaelestrichecommeCrésus;

iltepermettrabiendevenirmerendrevisiteaussisouventquetuenaurasenvie.Etmême,pourquoineluidemanderais-tupasunjetprivécommecadeaudemariage?Tupourraisalleretveniràtaguise!

— Excuse-moi, mamie, mais tu sais, je suis comme les gens d’ici, la moindre perspective dechangementmeperturbe.

Laurapressalamaindesapetite-fille,dansungestequisevoulaitrassurant.—Ilnefautpascraindredebousculerlaroutine,affirma-t-elle.C’estcequipermetderesterjeune

etvivant.—Tuasraison.JevaisappelerRafaelet luidirededonnerl’ordredereprendrelestravaux.Ce

serauntelfardeaudemoinspourlui,j’ensuissûre.—Pourquoinesauterais-tupasplutôtdansunavionpourallerlevoiretluiannoncerlanouvelle

toi-même,devivevoix?—Mais,mamie,jenepeuxpastelaisser.J’aipromisaumédecin…—Oh!Bryony,pourl’amourduciel!Jemeportecommeuncharme!Maissicelapeutterassurer,

jevaisdemanderàGladysdes’installericipendanttonabsence.—Promis?—Promis,réponditLauraavecunepointed’exaspération.Etmaintenant,filesurinternetréserverle

premieravionenpartancepourNewYork.

-20-

Bryonys’engouffradansletaxietdonnaauchauffeurl’adressedeRafaelqu’elleavaittrouvéesurl’acte de vente. Jamais elle ne s’était sentie aussi nerveuse.Un horrible pressentiment s’était emparéd’elle,uneimpressiondedéjà-vuqu’ellenevoulaitpasrevivreetqu’ellerepoussaitdetoutessesforces.

Car si, la première fois, Rafael avait eu de bonnes raisons de ne pas être joignable, elle necomprenaitpaspourquoi,depuislaveille,iln’avaitpasréponduauxnombreuxmessageslaisséssursamessagerie.

Il luiétaitdifficiledesedébarrasserdusentimentd’abandonqu’elleavaitdéjàconnumais,biendéterminéeàsemontrerpositiveet,dumêmecoup,àconjurerlesort,elles’efforçaitdepasseroutresaparanoïapourselancermalgrétoutdansl’aventure.

Lorsque le taxi s’arrêta devant le bâtiment qui abritait l’appartement de Rafael, tout comme lapremièrefoisdevantsonbureau,ellerestaunlongmomentàcontempler lafaçadedeverreetd’acier,hésitantàpénétreràl’intérieur.

Lefroidquilafitfrissonnerluifitprendreconsciencequ’elleavaitoubliédeprendreunmanteau.Elle était si pressée de retrouver Rafael qu’elle avait fourré à la hâte quelques affaires de premièrenécessitédanslepremiersacvenu.

Arméedetoutsoncourage,ellesedirigeaitverslaportelorsqu’unhommeladépassaenlaheurtant.Sonvisage lui parut familier.Comment s’appelait-il, déjà ?Ryan.RyanBeardsley.L’undesmeilleursamisdeRafe.Peut-êtreaccepterait-ildelaconduirejusqu’àlui?

—M.Beardsley!s’écria-t-elle.Ryanseretournaetfronçalessourcilslorsqu’ill’aperçut.—Jenesaispassivousvoussouvenezdemoi,commença-t-elle.—Evidemmentque jeme souviensdevous, rétorqua-t-il d’un ton cassant.Quevenez-vous faire

ici?Et,pourl’amourduciel,pourquoineportez-vouspasdemanteauparunfroidpareil?—Ilfaisaitchaudlorsquej’aiquittéleTexas,sejustifia-t-elled’unairpiteux.Jesuisvenuevoir

Rafael.J’aiquelquechosedetrèsimportantàluidire.Celaconcernelecomplexehôtelier.Jevoulaisluidirequejesuisd’accord,maisjen’arrivepasàlejoindreautéléphone.

Faceàun tel flotdeparoles,Ryan laconsidéraensilence,unpeucommes’ilavaitaffaireàunealiénée.

—Vousêtesvenuejusqu’icipourluiannoncerça?demanda-t-il,sceptique.Elleacquiesça.—Savez-vousoùjepeuxletrouver?Jesaisbienqu’ilesttrèspris,maissijepouvaislevoir,ne

serait-cequ’uninstant…—Suivez-moi, lui ordonna-t-il d’un ton toujours aussi peu amène. Justement, j’allais lui rendre

visite.Mesamisetmoinel’avonspasvudepuissonretour.Bryonysesentitsaisiedepanique.—Neme regardez pas de cette façon ! la rabroua-t-il. LorsqueCam l’a déposé devant chez lui

l’autrejour,ilallaitparfaitementbien.Ilavaitprobablementbesoind’unpeudesolitudepourtenterdesesortirdupétrindanslequelils’estfourré.

Puis,sansplusdeménagement,ill’attrapaparlebrasetlaconduisitàl’intérieurdubâtiment.

***

—Maisqu’est-cequetufichesdanscetétat?demandaDevonenesquissantunemouededégoût.Rafaelouvritunœiltorvequ’ilrefermaaussitôtet,d’ungestevague,indiqualaporteàsonami.—Sorsdechezmoitoutdesuite.—Nonmais,tuasvutatête?repritDevon,indifférentàl’ordrequivenaitdeluiêtredonné.Cela

tedérangeraitdemedirecequetufais,alorsquetuescenséessayerdesauverunprojetquetusemblesbiendétermineràvoirfinirauxoubliettes?

—Jemefichedeceprojet.Commedetoi.Commedetoutlemonde.Vaaudiable!Il ouvrit les yeux pour prendre la bouteille qui se trouvait par terre, près du canapé. Elle était

vide.Saboucheétaitpâteuseetuneviolentemigraineluimartelaitlestempes.Ilsentitsoudaindesmainsletirerdesoncanapépuisletraînersurquelquesmètrespourleflanquer

sansménagementdansl’undesfauteuilsquimeublaientlapièce.Ilfituneffortsurhumainpourgarderlesyeuxouvertslorsqu’ilvitlevisagehargneuxdeDevonàquelquescentimètresdusien.

—Tuvasmedirecequisepasseici,exigeaDevon.D’aprèsCam,tuallaisbienlorsqu’ilestvenutechercherà l’aéroport.Depuis,silenceradio, jusqu’àcequeje te trouveici, tellement ivrequetunetiensmêmepasdebout.

LaréalitérattrapabrusquementRafaelquiéprouvalaplusgrandehontedesavie.—Jesuisunsalaud,dit-ild’unevoixrauque.—Tuparlesd’unscoop!Etdepuisquandcelategêne-t-il?Faceà tantdecynisme,RafaelbonditsursespiedsetattrapaviolemmentDevonpar lecoldesa

chemise.— Et si cela me dérangeait,maintenant ? Bon sang, Devon, j’ai recouvré la mémoire ! Je me

souviensdetout,dumoindredétail,etcelamerendtellementmaladequejeneveuxmêmepasypenser.Devonplissalesyeux,maisn’esquissaaucungestepourselibérerdel’emprisedeRafael.—Dequoiparles-tu?Qu’as-tufaitdesirépréhensiblepourtemettredanscetétat?— Jeme suis servi d’elle, réponditRafael d’une voix étonnamment calme. Jeme suis rendu là-

basaveclaseuleintentiond’acquérircetteterreparn’importequelmoyen.Etc’estcequej’aifait.Jel’ai séduite. Je lui ai dit que je l’aimais. Je lui ai promis tout ce qu’elle voulait entendre. Juste pouratteindremonbut.Parceque tout ceque je lui aiditn’étaitqu’un tissudemensonges.Lorsque je l’aiquittée,jesavaisquejenereviendraisjamais.J’avaisobtenucequejevoulais,laventeétaitconclue,lespapierssignés.J’avaisgagné.

Un cri de bête blessée leur parvint, si violent qu’il leur glaça le sang.Rafael se figea sur placelorsqu’ildécouvritBryony,blanchecommeunlinge,soutenueparunRyandevenucompatissant.

— Bryony…, murmura Rafael d’une voix où se mêlaient toute la honte et la culpabilité qui lesubmergeaient.

Ilvivaituncauchemar.Lepirecauchemardesavie.Pourquoise trouvait-elle là?Pourquoiàcemomentprécis?

Bryony,sipâlequ’elledonnaitl’impressionqu’elleallaits’évanouiràtoutmoment,sedégageadesbrasdeRyanetrecula,lesyeuxfixéssurRafael.

—S’ilteplaît,Bryony,écoute-moi.Ellesecouaviolemmentlatête,lesyeuxremplisdelarmes.—Parpitié,supplia-t-elledansunsouffle,nedispasunmotdeplus.J’aitoutentendu.Laisse-moi

aumoinslepeudefiertéqu’ilmereste.Elle tourna les talonsetseprécipitavers l’ascenseur, lebruitdesessanglots résonnantdans tout

l’appartement.Rafaelrestaimmobile,commemort,tandisqu’ilregardaitlafemmequ’ilaimaitfuirloindelui.—Rattrape-la,demanda-t-ild’unevoix rauqueàRyan.S’il teplaît, faisçapourmoi.Assure-toi

qu’ellevabien.Elleneconnaîtpersonneici,jenevoudraispasqu’illuiarrivequelquechose.Ryans’exécuta,tandisqueDevonappelaitleconciergepourluidemanderderetenirBryony.—Pourquoinelarattrapes-tupastoi-même?demanda-t-il.Rafaelselaissatomberdanslefauteuilleplusprocheetpritsatêteentresesmains.— Pour lui dire quoi ? Je lui ai menti, je l’ai manipulée. J’ai fait absolument tout ce qu’elle

redoutait.Devons’assitsurlebrasdufauteuiletregardafixementsonami.—Etmaintenant?—Jel’aime.Savoircequejeluiaifait,cequejeressentais,ouplutôtneressentaispas,pendant

quejelefaisais,merendmaladeau-delàdecequetupeuximaginer.J’aitellementhontedelapersonnequej’étaisquelesimplefaitd’ypensermedonnelanausée.

—Maisaujourd’hui,tun’espluslamêmepersonne,luiexpliquacalmementDevon.Rafaelfermalesyeuxetsecoualatête.—C’estexactementcequemedisaitBryony.—Cettejeunefemmemeparaîtêtrepleinedebonsens,finalement.—Seigneur,Devon!Commentai-jepumecomporterdelasorte?Commentai-jepuluifaireun

salecouppareil?Aelle,laplusbelle,laplusaimante,laplusgénéreusedesfemmesquej’aiejamaisrencontrées?Commentai-jepuluifairecelaàelle,maisdumêmecoupànotreenfant?Jevoulaistantquenousformionsunefamille!Maisellenepourrajamaismepardonner.

—Jen’aipaslesréponsesàtesquestions,admitsimplementDevon.Maiscen’estpasenrestanticique tu les trouveras.Si tu l’aimesvraiment, tuvasdevoir te battrepour la reconquérir et regagner saconfiance.Parcequesiturenonces,celaseralapreuvepourellequetuestoujoursl’hommequetuétaisetquetun’aspaschangé.

Enrelevantlatête,Rafaelressentitunedouleurlancinantedanslapoitrine.—Jenepeuxpas la laisserpartir.J’ignorecomment jedoism’yprendre,mais jenepeuxpasla

laisserpartir.Ilfautqu’ellesachequejenesuispluslesalaudqu’elleaconnu.Jel’aime.Jemériteuneautrechance.Ilfautqu’ellesachequesiellemepardonneellen’auraplusaucuneraisondedouterdemoidenouveau.

—Cen’est pasmoi qu’il faut convaincre, rétorquaDevon.Moi, je suis de ton côté,monvieux.Mêmesitueslepireabrutidetoutel’AmériqueduNord.Etsacheque,quellequesoitl’issuedonnéeànotreprojet, jesuisderrière toiàcentpourcent,d’accord?Etmaintenantcoursaprèselleet tentederecollerlesmorceaux.

-21-

Encore sous le choc, Bryony sortit de l’ascenseur comme un automate. Les mots de Rafael,implacables,accablants,résonnaientenboucledanslatête.

«Jemesuisservid’elle.Jel’aiséduite.»Elletitubaverslaporte,maisseheurtaauportierquil’arrêtad’unemainposéesursonbras.—MademoiselleMorgan,sivousvoulezbienattendreici,s’ilvousplaît.Ellelevaversl’hommeunregardconfus.—Pourquoi?—Attendez,jevousprie,répétal’hommesansluidonnerplusd’explications.Elledégageasonbrasetrepritsamarcheverslaporte,leportiersurlestalons.Une vague de colère la submergea qui se substitua à l’état de choc dans lequel elle se trouvait

quelquessecondesplustôt.—Fichez-moilapaix!cria-t-elleaumomentoùelleseheurtaitàRamon,lechefdelasécuritéde

Rafael.—MademoiselleMorgan,dit-il,visiblementheureuxdelavoir.J’ignoraisquevousétiezenville.

VousauriezdûprévenirM.DeLuca,defaçonàcequejeviennevouschercheràl’aéroport.—Jenerestepas,répondit-elle.Enfait,jem’apprêtemêmeàretourneràl’aéroport.—C’estbon,Ramon, intervintRyanquivenaitd’arriver.Vouspouvezdisposer. Jemechargede

conduireMlleMorganlàoùelleledésire.—Allezaudiable,oui,grommelaBryonyenluitournantledos.Lorsqu’il larattrapa,ellelutsursonvisageunetellecompassionqu’elleeutdenouveauenviede

pleurer.—Laissez-moivousaccompagner,offrit-ild’unevoixétonnammentdouce.Ilfaitfroid,etvousne

savezmêmepasoùaller.Jesupposequevousn’avezpasréservédechambred’hôtel.Jemetrompe?Ellesecoualatête.—JepensaisresteravecRafael,dit-elleenétouffantsessanglots.—Allons,répliqua-t-ild’unevoixquisevoulaitréconfortante.Jevousemmènechezmoi,c’està

deuxpas.Vousdisposerezdelachambred’amis.—Jeveuxretourneràl’aéroport,s’entêta-t-elle.Jen’aiaucuneraisonderesterici.Ilhésitauninstantavantdeplacersamainsoussoncoudeetdelaguideràl’extérieur.—Trèsbien.Danscecas,c’estmoiquivousyconduis.Etiln’estpasquestionquejevousquitte

tantquejeneseraipascertainquevousserezdansunavion.J’imaginequevousn’avezrienmangénonplus?

Ellelevasurluisesyeuxbrouillésdelarmes,surprisepartantdesollicitude.—Pourquoifaites-vouscela?s’enquit-elle.Illaconsidéraunlongmomentensilence.—Parcequejesaiscequec’estquederecevoirlecielsurlatête,répondit-il.Moiaussij’aiconnu

latrahison.Sesépauless’affaissèrent tandisque,dureversdelamain,elleessuyaitses jouesruisselantesde

larmes.—C’estmalin,vousallezmefairepleurerdeplusbelle,dit-elled’unevoixchevrotante.—Pleurezautantquevousvoulez.D’aprèscequejesais,votreétatvouslepermet.

***

—Vouspouvezyaller,maintenant,ditBryonyaprèsavoirenregistrésonbagage.— Vous avez un peu de temps devant vous. Pourquoi ne pas aller manger quelque chose en

attendant?Vousêtestoutepâleetvoustremblezencore.—Jecroisque jenepourrais rienavaler, répliqua-t-elleenplaçantunemainprotectricesurson

ventre.—Uneboisson,alors.Unjusdefruits,tiens.Vaincue,ellelaissaéchapperunprofondsoupir.MieuxvalaitcéderàladéterminationdeRyanque

dechercheràs’yopposer.Quelques minutes plus tard, elle était assise à une petite table ronde, un grand verre de jus

d’orangeplacé devant elle. Elle le contempla fixement pour empêcher les larmes de ruisseler sur sesjoues.

—Ahnon!Vousn’allezpasvousremettreàpleurer,n’est-cepas?larabroua-t-ilgentiment.—C’estparceque…vousêtessigentilavecmoi,hoqueta-t-elle.—Jevousl’aidit.Jecomprendscequevouspouvezressentir.—Quiétait-ce,cettefemmequivousafaittantdemal?—Cellequejedevaisépouser.—Rafaelaumoinsn’estpasalléjusqu’àmeparlermariage.Jedoutequ’iln’yaitpaspensé,maisil

n’apasdûavoirlecouragedepousserlatrahisonjusque-là.Ques’est-ilpassé?Ilrestasilencieuxunsilongmomentqu’ellepensaqu’ilneluirépondraitpas.—Elleacouchéavecmonfrèrequelquessemainesaprèsnosfiançailles.—Ça,c’estunsacrécoupdur.—Etcela résumeassezbienceque jepeux ressentir sur le sujet, conclut-ild’un ton faussement

désinvolte.Elleluiadressaunsourirecompatissantavantdevidersonverred’untrait.—Laissez-moiallervouschercherquelquechoseàmanger,insista-t-il.—Jen’aipasvraimentfaim,maisvousavezraison.Ilfautquejepenseaubébé.Ilselevaetrevintquelquesminutesplustardavecunassortimentdesandwichsetunautreverrede

jusd’orange.Satisfait,illaregardamangerdebonappétit.—Quecomptez-vousfairemaintenant?demanda-t-ilaprèsluiavoirlaisséletempsd’engloutirl’un

dessandwichs.—Rentreràlamaison.Avoirmonbébé.Essayerd’oublier.Bref,reprendrelecoursdemavie.Je

suisbienentouréelà-bas,toutirabien,dit-ellecommepours’enconvaincre.Car,malgréseseffortspourparaîtredésinvolte,elleétaitprofondémenthumiliée,dévastéeparune

colère intense.Mais,plusque tout, elle se sentaitdétruite.Adeux reprises,elleavait laisséRafael lamanipuler, lapousseràretomberamoureusedelui.Pire,ellel’aimaitencoreplusprofondémentquelapremièrefois,aupointqu’elles’apprêtaitàcapituleretàluidonnertoutcequ’ilvoulait.

Unelarmeglissasursajouequ’elles’empressad’essuyerd’ungesterageur.— Je suis désolée pour vous, ditRyan avec un accent de sincérité qui ne trompait pas.Vous ne

méritiezpascela.Rafaelabeauêtremonami,jetrouveque,cettefois,ilestallétroploin.— Je voulais tellement croire à cette histoire, déplora-t-elle d’une voix chevrotante. Je n’aurais

jamaisdûveniràNewYorklapremièrefois.J’auraisdûmefieràmoninstinct.Al’heurequ’ilest,jel’auraisoubliéplutôtquedem’êtrefaitavoirunesecondefois.

—Vousl’aimezencore?demandagentimentRyan.—Jenesaispas…sansdoute.Sinon,jeneseraispaslà,àdesmilliersdekilomètresdechezmoi,

àpleurertoutesleslarmesdemoncorps.—C’estvrai,concéda-t-il.Nousdevrionsyaller,votrevolnevapastarder,ajouta-t-ilaprèsavoir

consultésamontre.Vousêtesprête?Elleacquiesça.—Merci,Ryan.Dufondducœur.Vousêtessigentilavecmoi,alorsquevousn’avezaucuneraison

del’être.Enguisederéponse,illapritparlebrasetl’accompagnajusqu’aucontrôledesécurité.Aumoment

delaquitter,illaserrachaleureusementcontrelui.—Prenezbiensoindevousetdevotrebébé.—Merci,répondit-elle,émue.Elleredressafièrementlesépaulesetfranchitdignementlalignedesécurité.Dansquelquesheures,

elleseraitchezelle.

-22-

Rafaelsetraînasousladoucheettentadedissiperlesvapeursd’alcoolquiluiembrumaientencorel’esprit.Iltermina,dansunesorted’autoflagellation,parquinzeminutesd’eauglacée.

Ilfallaitqu’ilaitl’espritclairpourplaidersacauseauprèsdeBryony,carilsavaitqu’ilallaitjouerlà la plus grosse affaire de sa vie. Désormais, à ses yeux, Bryony et leur enfant étaient bien plusimportantsquen’importequelgrosmarchéqu’ilpourraitremporter.

Lorsqu’ilsortitdeladouche,iln’avaitplusqu’uneidéeentête:regagnerlaconfiancedeBryonyetlarameneraveclui.

Lorsqu’ilrevintdanslesalon,ileutlasurprisedevoirDevonetCamquil’attendaientpatiemment,affalésdansdesfauteuils.

—Depuisquand tune t’étaispasprisunecuitepareille ? ironisaCam.Depuis la fac,peut-être.Personnenet’aprévenuquetuétaistropvieux,désormais,pourcegenredecomportement?

Enguisederéponse,Rafaelmarmonnaquelquechosed’inaudible.—Alors,quellesuitecomptes-tudonnerauxévénements?s’enquitDevon.—Ilfautquejelavoie,répondit-il.Jevaisluidirequejelaissetomberleprojet,l’hôtel,tout.Je

jouemavie,là.C’estlafemmequej’aime,c’estmonenfant.Jenelessacrifieraipasaunomd’unprojetimmobilier,aussiimportantsoit-il.

—Tum’asl’airsérieux,ditCam.—Biensûrquejesuissérieux!rétorquaRafaeld’untontranchant.Jenesuispluslemêmesalaud

prêt à toutpourdécrocheruncontrat.VousavezdesnouvellesdeRyan? Je l’ai appeléplusieurs foismais,chaquefois,jesuistombésursamessagerie.

—Peut-êtreest-ceàtoiqu’ilneveutpasrépondre,suggéraDevontoutencomposantlenumérodeRyan.

Rafael remerciait intérieurement son amipour le réconfort qu’il lui apportait, lorsque lebruit del’ascenseurluifitbrusquementtournerlatête.Bryony,espéra-t-il,lecœurbattant.

Ilnecherchapasàcachersadéceptionlorsqu’ilvitRyanpénétrerdanslapièce.—Bonsang,Ryan!Celafaitdeuxheuresquej’essaiedetejoindre,attaqua-t-ilsanspréambule.Où

étais-tu?Ryanluilançaunregardoùsemêlaientétroitementcolèreetréprobation.— J’essayais de consoler Bryony qui ne cessait de pleurer parce que tu lui as brisé le cœur.

J’espèrepourtoique,aumoins,tuesheureuxd’avoirgâchélaplusbellechosequipouvaitt’arriver.—Cenesontpasnosaffaires,Ryan,intervintDevondésireuxdeprendreladéfensedeleurami.Tu

croisqu’ilnes’estpasassezpunilui-mêmecommecela?—Oùest-elle?demandaRafaeld’unevoixfébrile.Ilfautquejelavoie,Ryan.Jet’enprie,dis-moi

oùelleest.—Al’aéroport.Paniqué,Rafaelsentitlesbattementsdesoncœurs’accélérer.—Al’aéroport?Est-cequej’ailetempsdelarattraperaumoins?Ryansecoualatête.—Jecrainsbienquenon.Al’heurequ’ilest,elleestprobablementdanslesairs.Rafaellaissaéchapperunebordéedejuronsavantdecognerviolemmentlemurdesonpoingfermé.

Toutelarageetlafrustrationqu’ilavaitaccumuléescontreluisedissipèrentd’uncoup.Uneespècedepaixintérieurel’envahit,tandisqu’ildévisageaittouràtourRyan,DevonetCam.Ilsavaitquecequ’ils’apprêtaitàdirepourraitsignerlafindeleuramitié.

—Ilfautquejelaretrouve,annonça-t-ild’unevoixétonnammentcalme.Jevaisannulerceprojetimmobilieretpeuimportecequecelamecoûtera.JevaisrestituersaterreàBryony,carc’estmaseulechancederegagnersaconfiance.

Asagrandesurprise,ilvitsestroisamisacquiescer.—Tuasraison,approuvaCamlepremier.C’estlaseulefaçondeluiprouverquetul’aimes.—Vousn’êtespasencolèrecontremoi?s’étonnaRafael.Pourtant,nousavionstellementmisésur

ceprojet.—Occupe-toide récupérer la femmeque tuaimes,de t’installeravecelleetde lui fairedes tas

d’enfants.Bref,debaignerdanslebonheur,ditàsontourDevon.Demoncôté,jevaisvoircequejepeuxfaire pour tenter de sauver ce qui peut l’être.Amon avis, lemieux serait de trouver un autre lieu oùdéveloppernotreprojet.

—Merci,lesamis,jevousdoisbeaucoup.J’ignoreencorecomment,maisjevousrevaudraiça.—Nousycomptonsbien,répliquaDevondansunsourirebienveillant.—Veux-tuquejeteconduiseàl’aéroport?proposaRyan.Monchauffeurm’attendenbas,jeluiai

ditquejen’enauraispaspourlongtemps.—Volontiers.Laisse-moijusteletempsderécupérermonportefeuille.—Tuneprendsaucunbagage?s’enquitCam.—Non.JecomptesurBryonypourmefaireachetersurplacetoutcedontj’auraibesoin.—Aprèsqu’ellet’auraclaquélaporteaunez,tuveuxdire?plaisantaDevon.—Ellepourrafairetoutcequ’ellevoudrapourvuqu’ellemepardonneetmerevienne.—Seigneur!Tuendevienspathétique,monvieux,répliquaCamengrimaçant.—Ilfautcroirequec’estainsiquel’ondevientlorsqu’onestamoureux,expliquaDevonenriant.

Suismonconseil,faisplutôtunmariagederaison,commemoi.—Jecroissurtoutquelameilleurechoseàfaireestdenejamaissemarier.Celaépargnedesfrais

dedivorce.Rafaelsecoualatête,consternépartantdecynisme.—Quand jepensequec’estmoiquevous traitezde salaud !Allez,viens,Ryan, j’aiunavionà

prendre.

***

—Bryony!Bryony tourna la tête endirectionde sagrand-mèrequi, installée sur le ponton en compagniede

Silas,luifaisaitdegrandssignesdelamain.Celafaisaitdeuxheuresqu’elleétaitlà,auborddel’eau,perduedansdespenséesdeplusenplus

moroses.Elle savaitque tousdeux s’inquiétaientpourelle,mêmesi elle leur avaitdonnéuneversionabrégéeetmoinsdramatiquedecequ’ils’étaitpasséàNewYork.

Elleréponditàleursalut,maisrestaimmobileauborddel’eau,nesouhaitantpasseretrouverfaceàeuxetàleursinterrogationsmuettes.Ellenes’ensentaitnilaforce,nilecourage.Toutceàquoielleaspirait,c’étaitàsecoucheretàdormirvingt-quatreheuresd’affilée,maischaquefoisqu’ellefermaitlesyeux,lesparoleshorriblesdeRafaellahantaient.

Lorsquesontéléphoneportablesonnapourlavingtièmefois,elles’enemparaet,commelesdix-neuffoisprécédentes,appuyasurlatouche«ignorer».

Nullementdécouragé,Rafaellaissaunnouveaumessage.Quepouvait-ilbienavoiràdirepoursadéfense?Qu’ilétaitdésolé?Qu’ilnevoulaitpascequi

étaitarrivé?Iln’avaitaucuneexcuse,jugea-t-elle,empliederageetd’amertume.Etelledétestaaupassagecette

femme cynique qu’elle était devenue à cause de lui. Elle qui, dans un passé si proche, était uneincorrigibleromantique,pourquil’amourétaitsiprécieux!

Cettepenséeladéprima.Ellesesentitlapiredesidiotes.Lorsque l’humidité la transperça, elle se leva enfin.Elle allait embrasser sa grand-mère et Silas

puisrentreraitchezelledormird’untrait,ellel’espérait,jusqu’aulendemainmatin.Tandisqu’elles’approchaitduponton,elleaperçutRafael,maisnulletracedeLauraetSilas.Elle

lemaudit intérieurement de venir la relancer jusque sur son territoire et se fit la promesse de ne pasréagiràsaprésence.Elleneluiferaitpasceplaisir.

Ellepassadevantluitêtehaute,l’ignorantsuperbement,etempruntal’alléequimenaitchezelle.—Bryony,cria-t-ilenluiemboîtantlepas.Attends,s’ilteplaît.Ilfautquenousparlions.Pourtouteréponse,ellepressalepas,désireusederentrerchezelleauplusvite.—Jet’enprie,écoutecequej’aiàtedire,lasupplia-t-ildansunsouffle.Jesaisquejenetemérite

pas,maisjet’aime,Bryony.Acesmots,ellefermalesyeuxtandisquesoncœurseserraitdedouleur.Dieumerci,elleavaitdéjà

troppleuré,ellen’avaitplusdelarmes.—Neparlepasdecequetuneconnaispas,riposta-t-ellesèchement.Tuesunêtrelâche,sansfoini

loi.Ilflanchasousladuretédupropos,maisnesedécourageapaspourautant.—Jenesuispasvenupourtementir,Bryony.Nipourtenterdeminimiserlasituation.—Bravo!Poursoulagertaconscience,peut-être?Oupourobtenirl’absolution?Danscecas,va

voirunprêtreetlaisse-moitranquille,Rafael.Tuaseucequetuvoulais,non?Tudoisêtrecontent,tuvas pouvoir relancer les travaux de ton hôtel. Et maintenant, va-t’en. Je suis épuisée, j’ai besoin dedormir.

—Jet’aime,Bryony,dit-ilsimplement.Etnitoinimoin’ypouvonsrien.Aprésent,vatecoucheretprendsbiensoindetoi.Maissachequejenerenonceraipassifacilement.

Dans un geste d’une infinie tendresse, il lui caressa la joue avant de tourner les talons et derebrousserchemin.

Ellefermalesyeux,dévastée.Elleavaitenviedehurler.Elleavaitenviedepleurer.Maistoutcequ’elleparvintàfairefutderesterimmobile,tandisqu’elleregardaits’éloignerl’hommeàquielleavaittoutdonné.

-23-

—Celafaitunesemaine,seplaignitRafael,d’unevoixfrustrée.Unesemainequ’ellem’ignoreetneprendaucundemesappels.J’ail’impressiondedevenirfou!

IlruminaitsursadéfaitetoutenbuvantunebièreencompagniedeSilas.—Tuasencoredelamargeavantd’enarriverlà,répliquaSilasenhaussantlesépaules.D’ailleurs,

jemedemandeparquelmiracleLaurat’apardonné,allantmêmejusqu’àt’offrirl’hospitalité.— Tant mieux, parce que je compte bien rester ici aussi longtemps qu’il le faudra, déclara

fermementRafael.J’aimeBryony,etjesaisqu’ellem’aimeencore.Pourelle,j’aichoisid’êtreunhommedifférentetjeveuxqu’elleensoitletémoinprivilégié.

Touchéparsasincérité,Silasposasurl’épauledeRafaelunemainpaternelle.—Ilyacheznousundictonquidit:«Situveuxgagner,bats-toiourentrecheztoi.»Danstoncas,

ilvafalloirmettrelepaquet.Rafael,quinevoyaitpasbienoùSilasvoulaitenvenir,fronçalessourcils.—Vousavezuneidée?—TunousaspromisàLauraetàmoiqueturenonçaisàtonprojetimmobilier,maisBryonylesait-

elle?Lesgensdel’îlelesavent-ils?Ilmesemblequetutienslàl’occasionrêvéedeprouverquetuaschangé.Tupourraisorganiseruneréunion.Crois-moi,aprèsvingtanscommeshérif, jepeux t’affirmerqu’ilsvonttousseprécipiterpourécoutercequetuasàdire.

—Peut-être,maisjenevoispasenquoicelapeutfaireavancerleschosesavecBryony.Ellerefusedesortirdechezelle,depeurdemecroiser.

— Pour ça, tu peux compter sur Laura etmoi. En attendant, réfléchis à la façon dont tu vas t’yprendrepourfaireamendehonorable,conclutSilasavecunsourirebienveillant.

***

—Tuesfou?éructaBryony.Pourquoiirai-jeécouterlesbonimentsdecebaratineur?—Jenetesavaispasaussilâche,rétorquaSilasavecunepointed’exaspération.Toutlemondeici

saitcequ’ils’estpassé,etpersonneneteblâmepourautant.—Detoutefaçon,jemefichedecequelesgenspensent,répliqua-t-elleàvoixbasse.—Oùestleproblèmealors?demandaLaura.—Leproblème,c’estquejerefusedelevoir.Pourquoirefusez-vousdelecomprendre?Avez-vous

lamoindreidéedelasouffrancequej’endure,rienqu’àl’idéedelerevoir?

—Lameilleurechoseàfaireestdel’affronterengardantlatêtehaute,conseillaLaura.Riennesertdetoujoursremettreàplustard,Bryony.Tuserasbienobligéedelecroiserunjour.

Vaincue,Bryonysoupiraprofondément.—D’accord, vous avez gagné. J’irai.Mais je veux que vous me promettiez qu’après, vous me

laissereztranquille.Jesaisbienquevousêtesinquiets,maiscen’estpasfacilepourmoi.Commechaquefoisqu’ellelasentaitvulnérable,Lauraserraaffectueusementsapetite-fillecontre

elle.—Tuverras,toutirabeaucoupmieuxaprès.Ellen’enétaittoujourspasconvaincue,lorsqu’elleseretrouvaassiseaupremierrangdanslasalle

deréunion.Fallait-ilqu’ellesoitmasochisteenplusd’êtreidiote!Lorsquelasallefutremplie,Silasselevaetdemandalesilenceafinquelemairepuisseintroduire

ledébat.—Aujourd’hui,annonçaRupertd’untonsolennel,RafaelDeLuca,P.-D.G.delasociétéTripcort

Investmentssouhaitenousparlerduterraindontilarécemmentfaitl’acquisition.Jevousdemandedeluiaccorderuneattentiontouteparticulière.Merci.

L’assembléesemitàchuchoteraupassagedeRafaelremontantl’alléequimenaitàl’estrade.Unefoisfaceàsonauditoire,ils’éclaircitlagorge,cherchantBryonyduregard.

Sonvisagepâleetsesyeuxcernéstrahissaientunegrandefatigue.Ilparaissait…nerveuxetmalàl’aise.

—Jesuisvenusurcette île,commença-t-ilnéanmoinsd’unevoix forte,pouruneseuleetuniqueraison.JevoulaisqueBryonyMorganmecèdeleterrainqu’elleavaitmisenvente.

Desmurmuresindignéss’élevèrent,maisRafaelcontinuasursalancée.—Lorsqu’ilestdevenuévidentqu’ellenemelecéderaitquesouscertainesconditions,j’aidécidé

delaséduireafindelaconvaincrequecesprécautionsétaientinutiles.Pâlecommeun linge,aubordde lanausée,Bryonyauraitquitté lasallesisagrand-mèrene l’en

avaitpasempêchéeenluiagrippantlebrasd’unemainferme.—Resteassise,luiintima-t-elle.Ilfautquetuécoutesjusqu’auboutcequ’ilaàdire.Rafael leva les mains pour demander le silence en même temps qu’il accrochait le regard de

Bryony.—Jenesuisvraimentpasfierdecequej’aifait,maisc’estainsiqu’agissaitl’hommequej’étais

avant. J’ai quitté l’île avec l’intention de ne jamais y revenir jusqu’au moment des travaux.Malheureusement, ou plutôt heureusement, j’ai été victime d’un crash aérien qui m’a fait perdre toutsouvenirdecequej’avaisvécuicisurMoonIsland.Cetaccidentachangémavie.

Un silence sépulcral accueillit cette nouvelle. Chacun se taisait, dans l’attente de ce qui allaitsuivre.

—Si jesuisrevenuiciavecBryony,c’étaitpour tenterderecouvrer lamémoire.Jen’ysuispasparvenu,enrevanche,jesuistombéamoureuxdecetendroitetdeBryony.Pourdebon,cettefois.Et,enmêmetempsquejesuistombéamoureuxd’elle,jesuisdevenuunautrehomme.Unhommedontjesuisfieretdontelleaussipeutêtrefière.

Cettedéclarationd’amourétaitsiinattenduequeleslarmessemirentàcoulersansretenuesurlesjouesdeBryony.Ellecherchaàtâtonslamaindesagrand-mèrequ’elleserratrèsfort.

Rafael, qui avait interrompu sondiscours,descendit l’estradeet sedirigeaversBryonyd’unpasassuré.Lorsqu’ilfutdevantelle,ilmitungenouàterre,pritsamaindanslasienneetentrecroisaleursdoigts,commeill’avaitfaitdescentainesdefoisauparavant.

—Je t’aime,Bryony,dit-ild’unevoix forte.Pardonne-moietacceptedem’épouser. Je te fais le

sermentdepasserlerestedemavieàêtreunhommemeilleur,pourtoietpournotreenfant.Elle éclata en sanglots enmême temps qu’elle se jetait dans ses bras et qu’elle enfouissait son

visageaucreuxdesonépaule.Emuetsoulagé,illaserracontreluietladévoradebaisers.Autourd’eux,cenefurentquesoupirs,exclamationsetapplaudissements.—Jet’enprie,machérie,donne-moitaréponse,murmura-t-ilcontresabouche.Dis-moiquejene

t’aipasperduepourdebon,donne-moiunechance.En guise de réponse, elle prit son visage dans sesmains et l’embrassa passionnément devant la

foule.—Jet’aime,Rafael.Etoui,jeveuxêtretafemme.Ivredejoie,Rafaelbonditsursespiedsetl’entraînadansunerondeeffrénéesouslesacclamations

enthousiastesdelapopulation.Puis,délicatement,illareposaausolmaislagardaenlacéecontrelui.— Je regrette tant ce que j’ai fait, Bryony. J’aimerais pouvoir remonter le temps et réécrire

l’histoire.Notrehistoire.—Jesuiscontenteque tunepuissespas, sansquoi tuneseraispas làaujourd’hui,Rafe.Cequi

importe, désormais,mon amour, c’est lemoment présent, ainsi que tous les jours que nous passeronsensemble.

Elleattenditquelafoulecommenceàsedisperserdiscrètementpourdemander,unpeuinquiète:—Qu’allons-nousfaire,Rafe?SijesuisvenueàNewYork,c’étaitpourtedirequej’acceptaisque

tuconstruisescethôtel.Maissituyrenonces,celapeutnuireàtesaffaires,non?—J’ailesoutienindéfectibledeRyan,deDevonetdeCam,répondit-il.Lorsquejesuisparti,ils

essayaientdetrouverunmoyendesauverleprojet.Maiscequim’importepar-dessustout,c’est toietnotreenfant.

Ilsetutquelquesinstants.—Sinousrentrionsaucottage, reprit-il,pournousreposerunpeu?Jenerêvequed’unechose,

c’estdem’allongeràcôtédetoietdeteserrerdansmesbras.Un sourire aux lèvres, toute trace de tristesse dissipée, elle s’abandonna avec bonheur à cette

étreintesidouce.—Oui,Rafe.Rentronscheznous,dit-elleenrivantsurluiunregardpleindepromesseséternelles.Illuisouritenretour,pritsamainetlaconduisitverslasortie.

Kelly-1-

— Ça donnerait presque envie de croire aux félicités du mariage ! ironisa Ryan Beardsley enobservant son amiRafael deLucadanser avecBryony, la jeune femme radieuse avecqui il venait deconvolerenjustesnoces.

La réception se déroulait dans la petite sallemunicipale deMoon Island. Pas vraiment le genred’endroitoùRyanaurait imaginé l’undesesamisorganisersa réceptiondemariage.Mais,après tout,queRafeetBryonys’unissentsurl’îleoùs’étaitforgéeleuridylleétaitdansl’ordredeschoses.

Lamariéerayonnait,etsonventrerondajoutaitencoreàsabeauté.Lejeunecouplesetrouvaitaucentredelapistededanseimprovisée,Bryonyblottiedansl’étreinteprotectricedeRafe,sonregardrivéau sien, et lemonde extérieur semblait avoir disparu autour d’eux.Rafe semblait comblé, comme s’ilavaitdécrochélalune,cequiétaitpeut-êtrelecas.

—Ilsontl’airtellementheureuxquec’enestécœurant,lançaDevonCarterprèsdelui.Avecunpetitrire,Ryantournalatêteverssonamiquivenaitdelerejoindre,unverredevinàla

main.—Oui,tuasraison.Devon eut une petitemoue irritée, et, de nouveau, Ryan pouffa. Dev, lui aussi, devait semarier

bientôt, ce qui semblait représenter pour lui une source de tracas. Ryan ne résista pas à l’envie del’asticoter.

—Copelandcontinuedetemettrelapression?—Etcomment,grommelaDevon.IlestbiendécidéàmefaireépouserAshley.Ilnechangerapas

d’avissurlecontratàmoinsquej’accepte.Etmaintenantquel’hôtelestimplantéailleurs,jesuisprêtàpasser à l’étape suivante. Jeneveuxpasqu’ilperdeconfianceàcausedecetteopérationannulée.Leproblème,c’estqu’il insistepourqu’Ashleyetmoisortionsensemblependantuncertaintemps.Ilveutqu’ellesesenteà l’aiseavecmoi.Ce typesecroitencoreauXVIIIesiècle,maparole !Quiarrange lemariagedesa filledenos jours?Etpourquoi faired’unmariageuneconditioncommerciale?Çamedépasse!

— Tu aurais pu tomber sur bien pire qu’Ashley, déclara Ryan, songeant que lui-même l’avaitéchappébelle.

Devonluilançaunregardcompatissant.—ToujourspasdenouvellesdeKelly?demanda-t-il.—Non.Maisjecommencetoutjustemesrecherches.Ellevarefairesurface.—Maispourquoitulacherches,monvieux?Pourquoivouloirrevenirsurcettehistoire?Oublie-

la.Tournelapage.Tuesbienmieuxsanselle.Pourquoit’entêterdelasorte?Unlégersourireauxlèvres,Ryandévisageasonami.—Quejesoismieuxsansellenefaitaucundoute.Jenelacherchepaspourlaramenerdansma

vie.—Alorspourquoiengagerundétectivepour la retrouver?Tu feraismieuxdenepas remuer le

passé.EtKellyappartientaupassé.Vadel’avant.Durant un long moment, Ryan resta silencieux. Lui-même ne savait trop comment expliquer son

besoinardentdesavoircequ’étaitdevenueKelly,cequ’ellefaisait,sielleallaitbien.Ilauraitdûs’enmoquer.L’avoiroubliée.Maiscen’étaitpaslecas.

—J’aibesoind’éclaircircertainspoints,finit-ilparmarmonner.Ellen’ajamaisencaissélechèquequejeluiaidonné.J’aimeraisjusteêtresûrqu’ilneluiestrienarrivé.

L’excusesemblaitdouteusemêmeàsespropresoreilles.Devon,quisavouraitsonvin,arquaunsourcil.— Après ce qu’elle a fait, je suppose qu’elle se sent plutôt stupide. A sa place, moi aussi je

préféreraismecacher.—Peut-être,lâchaRyanavecunhaussementd’épaules.Maisilneparvenaitàchasserlesentimentqu’ilyavaitautrechose.Pourquois’inquiétait-ilautant?

Aprèstout,qu’est-ceçapouvaitbienluifaire?Pourquoin’avait-ellepasencaissélechèque?Pourquoin’arrivait-ilpasà lachasserdesonesprit?Elle lehantait.Pendant sixmois, il l’avait

maudite,pendantsesinterminablesnuitsd’insomnie.Ilsedemandaitoùellesetrouvait,sielleétaitensûreté.Ils’envoulaitdesetracasseràcepointpourelle,mêmes’ilsepersuadaitqu’ill’auraitfaitpourn’importequellefemmedansdescirconstancesidentiques.

—Çateregarde,aprèstout,conclutDevon.Tiens,voilàCam.Jen’étaispascertainqueMonsieurleSolitairedaigneraitquittersaforteressepourassisteràcetévénement.

Cameron Hollingsworth se fraya un passage parmi la foule, et les gens s’écartèrent d’instinct.Grand, large d’épaules, il dégageait une puissance et une distinction naturelles qui le différenciait duquidam.Sonallurefroideetdurelerendaitinaccessibleàlaplupart.Ilpouvaitsecomportercommeunvéritablesaletype,maissavaitengénéralsedétendreauprèsdesesamis.

L’ennui,c’étaitquelesseulespersonnesqu’ilconsidéraitcommesesamisétaientRyan,DevonetRafe.Iln’avaitguèredepatienceaveclesautres.

—Désoléd’êtreenretard,dit-ilens’approchantdesdeuxhommes.IlbalayalapistededansedesyeuxetarrêtasonregardsurRafeetBryony.—Comments’estpasséelacérémonie?— Oh, c’étaitmerveilleux, répondit Devon avec emphase. Tout le tralala dont une femme peut

rêver,j’imagine.Rafes’enfichait,dumomentqueBryonyluidisait«oui».Cameroneutunpetitrireamer.—Quelimbécile!Jenesaispassijedoisluiprésentermescondoléancesoumesfélicitations.—Bryonyestunechicfille,intervintRyan.Rafeadelachancedel’avoirrencontrée.Devon acquiesça, et même Cam sourit, si l’on pouvait qualifier de sourire le mouvement

imperceptiblequ’esquissèrentverslehautlescommissuresdeseslèvres.—Ilparaîtquetunevaspastarderàconvolerenjustesnoces,toiaussi?lança-t-ilàDevon,une

lueuramuséedanslesyeux.Devongrommelaunjuronbiensentientresesdents,puisdécidad’éluderlaquestion.—NegâchonspaslemariagedeRafeenparlantdumien.Jesuisbeaucouppluscurieuxdesavoir

si tu as réussi à acquérir le nouvel emplacement de notre hôtel, maintenant que Moon Island estofficiellementunfiasco.

Cameronaffectaunemineoutrée.—Tudoutesdemoi?Sachequenoussommesdésormaislespropriétairesd’unsiteexceptionnel

dedixhectaresenborddemeràStAngelo.Sacheégalementquej’aifaitunesacréebonneaffaire.Enoutre,laconstructiondémarreradèsqu’onpourraenvoyerleséquipes.Sionnelâcherien,onatteindrapresqueladatebutoirinitialequenousnousétionsfixéepourl’inauguration.

Leurs regards se tournèrentaussitôtversRafe,quicontinuaitdedanseravecsonépouse.De fait,leuramiavaitsérieusementcompromisleurprojetcommunlorsqu’ilavaitlaissétomberl’aventureMoonIsland,maisilétaitdifficiledes’enoffusquerenlevoyantsiheureux.

DanslapochedeRyan,sontéléphonevibra.Ilétaitsurlepointderejeterl’appelquandilvitquil’appelait.

Ilfronçalessourcils.—Excusez-moi.Jedoisrépondre.Cameron etDevon acquiescèrent et reprirent leur conversation légère, tandis queRyan sortait en

hâtedubâtiment.Dèsqu’ilfutdehors,labriseébouriffasescheveuxetleseffluvesmarinsemplirentsesnarines.

Il faisaitun tempsdesaison,mais lachaleurétaitsupportable.La journéeétaitaussiparfaitequepossiblepourunmariagesurlaplage.

Letéléphoneàl’oreille,ilsetournaverslesvagues.—Beardsley,dit-ilsuccinctementenguisedesalutation.—Jecroisl’avoirtrouvée,annonçaledétectivesansplusdepréambule.LesdoigtsdeRyansecrispèrentautourdel’appareil.—Oùça?— Je n’ai pas encore eu le temps d’envoyer un demes hommes pour obtenir une confirmation

visuelle. L’information m’est parvenue il y a tout juste quelques minutes. Mais je suis suffisammentcertaindesonidentitépourvousprévenir.J’ensauraidavantagedemain.

—Où?répétaRyan.—AHouston.Elletravailledansuncafé-restaurant.Enfait,ilyaeuuneconfusioninitialeavec

son numéro deSécurité sociale. Son employeur l’avaitmal noté.Quand il l’a corrigé, je l’ai repéréeaussitôt.Jevousauraidesphotosetuncompterenducompletdemainaprès-midi.

Houston.Quelleironie!Direqu’ilavaitétésiproched’elleduranttoutcetempssanslesavoir.—Non,objecta-t-il.J’iraimoi-même.JesuisdéjàauTexas,etjepeuxêtreàHoustondansdeux

heures.Ilyeutunlongsilenceauboutdufil.— Monsieur, ça pourrait ne pas être elle, rétorqua le détective. Je préférerais en avoir la

confirmationpouréviter,lecaséchéant,quevousnevousdéplaciezpourrien.—Vousdisiezquelesprobabilitésétaienttrèsfortes,ripostaRyand’untonimpatient.S’ils’avère

quecen’estpaslecas,jenevousentiendraipaspourresponsable.—Jen’envoiepasmonhomme,alors?Ryanréfléchituninstant,lesdoigtsencorepluscrispéssurletéléphone.— Sic’estKelly, répondit-il enfin, je le saurai.Sinon, jevous ledirai, etvouscontinuerezvos

recherches.Inutiled’envoyerquiquecesoit.J’iraimoi-même.

***

Sousunepluiebattante,Ryanroulaitendirectiond’unecafétériasituéedansl’ouestdeHouston,où,avec unpeude chance,Kelly travaillait comme serveuse.Cequi n’avait rien de surprenant.Quand ill’avaitrencontrée,elleétaitemployéedansuncafébranchédeNewYork.Pourtant, lechèquequ’il luiavait laissé l’auraitmiseà l’abridubesoinpendantunbonmoment.Ilpensaitqu’elleauraitreprissesétudes.Lorsqu’ilss’étaientfiancés,elleavaitmanifestéledésirdeterminersalicence.Bienqu’iln’envîtpasl’intérêt—unepartégoïstedeluilavoulaittotalementdépendantedelui—ilavaitrespectésadécision.

Pourquoin’avait-ellepasencaissélechèque?IlavaitattrapéleferrypourGalvestonaussitôtaprèsavoirsouhaitétoutlebonheurdumondeàRafe

et à Bryony. Il n’avait informé ni Cameron ni Devon qu’il avait retrouvé Kelly, mais s’était borné àprétexteruneurgenceprofessionnelle. Il était déjà très tardquand il était arrivé àHouston, et il avaitpassélanuit,fortmauvaise,dansunhôtelducentre-ville.

Asonréveilcematin,lecielétaitgrisetcouvert,etdepuissondépartdel’hôtel,lapluien’avaitpascessé.Aumoinsletempsavait-ilétémagnifiquepourlemariagedeRafe.Acetteheure, lecoupleradieuxdevaitêtrepartienlunedemiel—quelquepartoùlecielrestaitéternellementbleu.

Uncoupd’œilsursonGPS lui indiquaqu’ilétaitencoreàplusieurs ruesdesadestination.Asagrandefrustration,ilnetombaquesurdesfeuxrougestoutlelongdel’artèrepassablementchargéequ’ilremontait.Pourquoisesentait-ilsiimpatient?D’aprèsledétective,Kellytravaillaitdanscecafédepuisunpetitmomentdéjà.Ellenerisquaitpasdes’envoler.

Unmilliondequestionstournoyaientdanssonesprit,maisilsavaitqueseuleunediscussionfrancheavecKellyluiapporteraitlesréponses.

Quelquesminutesplustard,ilsegaradevantunepetiteéchoppedebeignetsdontl’enseigneétaitdeguingois.Ilcontemplal’établissementavecstupéfaction.Voilàbienledernierendroitoùilauraitimaginélaretrouver.

Encoresouslecoupdelasurprise,ildescenditdesaBMWetsedirigeaversl’entréedumodesteétablissementtoutenremontantsoncolpourseprotégerdelapluie.

Al’intérieurducafé,ilexaminabrièvementleslieuxavantdes’asseoirdansunboxaufond.Uneserveusequin’étaitpasKellys’approchaavecunmenu,qu’elleposasurlatable.

—Justeducafé,murmura-t-il.—Commevousvoudrez,répliqua-t-elleens’éloignantd’unedémarchenonchalante.Elle revint au bout de quelques instants et posa la tasse d’un geste assez brusque, renversant le

breuvagesombresurleFormicausé.Avecunsourired’excuse,elleépongealatableàlava-vite.—Sivousvoulezautrechose,faites-le-moisavoir.Il s’apprêtaità luiposerdesquestionssurKellyquand il remarquaderrièreelleuneserveusede

dos,deboutdevantunetable,àl’autreboutdelasalle.Congédiantlasienned’ungeste,ilobservaplusattentivementlajeunefemme.C’étaitelle.Ilsavait

quec’étaitelle.Sescheveuxcouleurmielétaientpluslongs,ramenésenqueue-de-cheval,maisc’étaitbienelle.Il

n’enavaitpasencoredeconfirmationvisuelle,maisillesentait,et,mêmeaprèstouscesmois,sonpoulss’accéléra.

Quandelleseretourna,présentantsonprofil,ilblêmit.MonDieu,qu’est-ceque…Lacourbedesonventrenelaissaitaucundoute.Elleétaitenceinte.Trèsenceinte.PlusenceinteencorequeBryony,àenjugerparsonapparence.Leurs regards se croisèrent, et le choc agrandit les yeuxbleus deKelly tandis qu’elle le fixait à

traverslasalle.Ellelereconnutsur-le-champ.Aprèstout,pourquoil’aurait-elledavantageoubliéqueluil’avaitoubliée?

Avantqu’ilpuisseréagir,selever,direquoiquecesoit,lafureurtransformasesprunellesbleuesendeuxbillesd’acier.Sestraitsdélicatssedurcirent,etdelàoùilsetrouvait,illavitserrerlesmâchoires.

Qu’est-cequilamettaitautantencolère?Sespoingsseserrèrentlelongdesoncorps,commesielleréprimaituneirrépressibleenviedelui

sauter à la gorge. Puis, sans unmot, elle tourna les talons et disparut derrière la porte battante de lacuisine.

Ryanfronçalessourcils.Leschosesnesedéroulaientpasexactementcommeill’avaitimaginé.Enfait, il ne savait pas vraiment ce qu’il espérait.Qu’elle l’implore de lui pardonner ? le supplie de lareprendre?Entoutcas,ilnes’attendaitpasàlaretrouverenceinte,àservirdansunbougedanslequelonimaginaitdavantageunelycéenneendécrochagescolairequel’étudianteprometteusequ’elleétait.

Enceinte…Ilprituneprofondeinspiration.Enceintedecombien,d’ailleurs?Aumoinsseptmoisàenjugerpar

larondeurproéminentedesonventre.Aubasmot.Uneterribleappréhensionluinoualagorge.Oppressé,ilavaitdumalàrespirer.Sielleétaitenceinte,enceintedeseptmois,ilpouvaits’agirdesonenfant.Ouceluidesonfrère.

***

KellyChristianentraentrombedanslacuisine,tentantfébrilementdedénouersontablier.Ellejuraentre ses dents, bataillant avec les cordons. Ses mains tremblaient tellement qu’elle n’arrivait pas àdéfairelenœud.

Exaspérée, elle tira un grand coup, et le tissu se déchira.D’un geste brusque, elle le jeta sur lapatèreoùlesserveusesaccrochaientleurstabliers.

Qu’est-cequeRyanvenaitfaireici?Certes,ellen’avaitpasàproprementparlercherchéàbrouillersapiste.ElleavaitquittéNewYorksanssavoirsurlemomentoùelleéchouerait.Avraidire,elles’enfichaitcomplètement.Elle n’avait rien fait nonpluspour se cacher.Dès lors, il aurait pu la retrouvern’importequand.Alorspourquoimaintenant?Auboutdesixmois,quelleraisonpouvait-ilbienavoirdelarechercher?

Ilnepouvaits’agird’unecoïncidence.Cecafén’avaitriendugenred’endroitoùRyanBeardsleydébarquerait par hasard. Lui et sa précieuse famille préféreraient mourir plutôt que de s’abaisser àfréquenterlesrestaurantsarborantmoinsdecinqétoiles.

Ellesoupira,furieusederéagiraussiviolemmentàlaprésencedeRyan.—Hé,Kelly,qu’est-cequisepasse?demandaNina.Kellyseretournaverssacollègue,plantéesurleseuildelacuisine,laminepréoccupée.—Entreetfermelaporte,chuchota-t-elle.Ninaobtempéra.—Toutvabien?Tufaisunedrôledetête,Kelly.C’estlebébé?Oh,Seigneur,lebébé.Amoinsd’êtreaveugle,Ryanavaitdûremarquersongrosventre.Elledevait

àtoutprixpartird’ici.Lesnerfsenpelote,ellecherchaunprétexte.—Non,jenemesenspasbiendutout.DisàRalphquejedoispartir.Ninaserenfrogna.— Il ne va pas apprécier. Tu sais comment il réagit quand on lui fait faux bond. Il n’est pas

vraimentdugenrecompréhensif.Amoinsdes’êtrecassélesdeuxjambesoudevomirdusang…—Alorsdis-luiquejedémissionne,lacoupaKellyensehâtantverslasortiedeservice.Elles’arrêtadevantlaporteetseretournapourlancerunregardangoisséàNina.—Rends-moiunservice,tuveuxbien,Nina?C’esttrèsimportant.Siquiquecesoitdanslecafé

medemande—n’importequi—tunesaisrien,d’accord?LesyeuxdeNinas’arrondirent.—Kelly,tuasdesennuis?Kellysecoualatêteavecimpatience.—Non,jen’aipasd’ennuis,jetelejure.C’est…c’estmonex.Unevéritableordure.Jeviensde

levoirdanslasalle.Ninapinçaleslèvresetsesyeuxlancèrentdeséclairsd’indignation.—Vas-y,mapuce.Jem’occupedetoutici.—Tuesunange,murmuraKelly.Elle passa la porte du café-restaurant et remonta la ruelle à toute allure. Son appartement ne se

trouvaitqu’àdeuxrues.Unefoischezelle,elleréfléchiraitàlamarcheàsuivre.Auboutdequelquesmètres, elle ralentit le pas.Pourquoi courait-elle ainsi ?Ellen’avait rien à

cacher.Ellen’avaitrienfaitdemal.Cequ’elleauraitdûfaire,c’étaitfoncertoutdroitversRyanetluiflanquersonpoingsurlenez.Etnonfuiràtoutesjambes…

Ellemontaquatreàquatrel’escalierbranlantquimenaitàsonappartement,audeuxièmeétage.Elleclaqualaporteets’yadossalourdement.

Des larmes lui brûlaient les yeux, ce qui ne fit qu’accroître sa fureur. Non, elle ne voulait pasaffronterRyanBeardsley.Ellenevoulaitplusjamaislerevoir.Nilaisseràquiconquelepouvoirdelablesserautantquelui.Jamais.

D’instinct,sesmainsvinrentseposersursonventre,qu’ellecaressadoucement,sansbiensavoirqui,dubébéoud’elle,elleessayaitderéconforter.

— Quelle idiote j’ai été de l’aimer, murmura-t-elle. J’ai été stupide de penser que sa famillem’accepteraitunjouretquej’ytrouveraismaplace.

Ellesursauta lorsque laportecontresondosvibrasousuncoupfrappéd’unpoingénergique.Lagorgenouée,ellelevaunemaintremblanteàsapoitrineetregardalepanneaudeboismincecommesiellepouvaitvoirautravers.

—Kelly,ouvrecettefichueporte.Jesaisquetueslà.Ryan.MonDieu.Ladernièrepersonneàquielleavaitenvied’ouvrir.Elleplaquasamainsurlebois,sedemandantsielledevaitl’ignorerouluirépondre.Laviolencedusecondcouprésonnacontresapaume,etelleretiravivementsamain.—Va-t’en,finit-elleparcrier.Jen’airienàtedire.Soudain,laportevacillaavantdes’ouvriràlavolée.Kellyreculaprécipitamment,lesbrasautour

desonventredansungestedeprotection.Ryanemplissaitl’encadrement,aussigrandetbeauquedanslepassé.Rienn’avaitchangé,hormis

quelques ridules récentesauxcoinsde saboucheetde sesyeux.Son regard l’enveloppa, transperçanttouteslesbarrièresdedéfensequ’elletentaitdeluiopposer.Ilavaittoujourseuledondeliredanssoncœur.Saufaumomentoùcelaimportaitleplus.

Lechagrinl’envahitdenouveau.Qu’ilailleaudiable!Quecherchait-ilenvenantici?Alablesserdavantage?Ill’avaitdéjàdétruite.

—Sorsd’ici,dit-elle,fièredelafermetéqu’elleentendaitdanssavoix.Sorsd’iciouj’appellelapolice.Jen’airienàtedire.Nimaintenant.Nijamais.

— Dommage, rétorqua Ryan en avançant d’un pas décidé. Parce qu’il y a beaucoup de chosesdontmoi,jeveuxteparler.Acommencerparcebébéquetuportes.Dequiest-il?

-2-

Kellypritsurellepourréprimersacolèreetletoisacalmement,froidement,tandisquelesémotionsbouillonnaientsouslasurfacecommeunvolcansurlepointd’entrerenéruption.

—Çaneteregardepas,répondit-elle.LesnarinesdeRyanfrémirent.—Çameregardes’ilestdemoi.Ellecroisalesbrassursapoitrine.— Ah, et qu’est-ce qui t’amènerait à croire une chose pareille ? répliqua-t-elle d’un ton

sarcastique.Pourunhommesidisposéàcroirequ’ellecouchaitàdroiteetàgauche,levoirdébarquerchezelle

pourluidemandersilebébéétaitdeluisemblaitlecombleduridicule.— Bon sang,Kelly ! Nous étions fiancés. Nous vivions ensemble, avions des rapports sexuels

fréquents.J’aiquandmêmeledroitdesavoirsilebébéquetuportesestdemoi,tunecroispas?Leregardnarquois,ellel’examinapendantunmoment.—Iln’yaaucunmoyende lesavoir.Après tout, j’aicouchéavec tantd’hommes,ycompris ton

frère!Ellehochalesépaulesavecdésinvoltureetpassadanslacuisine.Illuiemboîtalepas,vibrantderage.— Tu n’es qu’une garce, Kelly. Une garce froide et calculatrice. Je t’ai tout donné, et tu l’as

bazardépourunepartiedejambesenl’air!Ellepivotasursestalons,prised’uneenviesiviolentedelefrapperqu’elledutserrerlespoings

pours’enempêcher.—Va-t’en.Sorsd’icietnereviensjamais.LesyeuxdeRyanbrillaientdecolèreautantquedefrustration.—Jen’irainullepart,Kelly,pasavantquetum’aiesditcequejeveuxsavoir.—Cen’estpastonenfant,répliqua-t-elleavecunrictus.Satisfait?Maintenant,fichelecamp.—C’estceluideJarrod,alors?—Pourquoituneluiposespaslaquestion?—Figure-toiquenousévitonsdeparlerdetoi,riposta-t-il.—Ehbien,moi,jen’aienviedeparlernidetoinidelui.Jeveuxquetusortesdechezmoi.Ce

n’estpastonbébé.Sorsdemavie.Pourmapart, j’aifaitcequetum’asdemandé,jesuissortiedelatienne.

—Tunem’aspaslaissélechoix.Elleluijetaunregardméprisant.—Tuparlesdechoix?Jen’aipaslesouvenird’avoireulechoixnonplus.Tuaschoisipournous

deux.Illaregardad’unairincrédule.—Tuesvraimentuncas,Kelly.Toujoursàteposerenmartyre,àcequejevois.Sansrépondre,ellemarchajusqu’àlaported’entrée,l’ouvritetattenditqu’ilsorte.Ilnebougeapas.—Pourquoivis-tucommeça,Kelly?Jen’arrivepasàcomprendre.Jet’auraisdonnétoutcequetu

désirais. La preuve, je t’aimême donné un sacré paquet d’argent lors de notre rupture, parce que jen’aimaispasl’idéequetuenmanques.Etvoilàquejeteretrouveàvivredansdesconditionsmisérablesetàfaireunboulottrèsendessousdetescapacités.

Unevaguedehainelasubmergea.Elleserenditcompteàcetinstantqu’ellel’aimaitetledétestaittoutàlafois.Sapoitrineétaitsidouloureusequ’elleavaitdumalàrespirer.Ellesesouvintdujouroù,devantlui,totalementanéantie,ilavaitgriffonnésasignaturesurunchèqueavantdelepousserverselled’ungestedédaigneux.

Acetinstant,sonregardluiavaitditqu’ilnel’aimaitpas,qu’ilnel’avaitjamaisaimée.Iln’avaitnifoiniconfianceenelle.

Quandelleavaiteuleplusbesoindelui,ill’avaitlaisséetomberettraitéecommeuneprostituée.Jamaiselleneleluipardonnerait.D’unpaslent,elleretournadanslacuisineetouvritletiroiroùelleconservaitl’enveloppefroissée

quicontenaitlechèque.Unrappeldesesrêves,aujourd’huibrisés,etdelatrahisonultimedontelleavaitsouffert. Elle l’avait souvent regardé, mais s’était juré de ne jamais entrer dans une banque pourl’encaisser.

L’enveloppe à lamain, elle s’approcha de Ryan, toujours immobile, l’expression indéchiffrable.Elleenfituneboulequ’elleluilançaàlafigure,quivintl’atteindreàlajoue.

—Levoilà,tonchèque.Reprends-leetsorsdemavie.Il se pencha pour ramasser l’enveloppe, la déplia et en sortit le chèque chiffonné. Les sourcils

froncés,illevalesyeuxverselle.—Jenecomprendspas.—Tun’asjamaiscompris,murmura-t-elle.Etpuisqueturefusesdepartir,c’estmoiquim’envais.Avantqu’ilpuissefaireungeste,ellepassadevantluietclaqualaportederrièreelle.Abasourdi,incapabledeformulersespensées,Ryanconsidéralechèque.Pourquoi?Elleagissait

comme s’il était le plus abject des hommes. Qu’est-ce qu’il avait bien pu lui faire, à part s’assurerqu’ellenemanqueraitderien?

Ilbalayadesyeux lepetit appartement fonctionnel,unstudio,àvraidire, remarquant lemobilierbonmarchéetusé.Deuxportesdeplacards tenaient àpeine sur leurs charnières et il n’y avait rien àl’intérieur.Pasdenourriture.

Grommelantunjuron,ilouvritleréfrigérateur.Presquevide,luiaussi,hormisuncartondelait,unboutdefromageetunpotdebeurredecacahuète.

Il inspecta rapidement le reste de la cuisine, de plus en plus furieux à mesure qu’il découvraitl’absencedenourriture.Commentvivait-elle?Etsurtout,pourquoi?

Une nouvelle fois, il baissa les yeux vers le chèque, hochant la tête. Le montant comportaitsuffisamment de zéros pour permettre à Kelly de mener une existence modeste mais correcte durantplusieursannées.

L’encreavaitcouléàplusieursendroits,etlepapierétaitmaculédetracesdedoigts.Manifestement,elle l’avait touché à de nombreuses reprises. Mais pourquoi ne l’avait-elle pas encaissé ? Tant dequestionstournaientdanssatête;ilneparvenaitpasàtouteslestraiter.

Sesentait-ellecoupabledecequ’elleavaitfait?Avait-elleeuhontedeprendresonargentaprèsl’avoirtrahi?

Unpeutardpoursebâtiruneconscience…Entoutcas,unechoseétaitsûre:ilnepartiraitpas.Sesquestionsexigeaientuneréponse.Pourquoi

vivait-elledanscelieudélabré,àfaireuntravailquidetouteévidenceneluirapportaitpasassezpoursenourrir,encoremoinspourvivreconfortablement?Comments’ensortirait-ellequandlebébéseraitné?Quecesoitlesienounon,ilnepouvaitpass’enallersansrienfaire.Pasalorsqu’elleavaittantcomptépourlui.

Elleneprenaitpassoind’elle.Luiavaittoujoursprissoind’elledanslepassé,etilcontinuerait.Quecelaluiplaiseounon.

***

Kellygagnal’arrièredesonimmeubleparlapetiteruetransversale.Elleneretournapastravailler,même si elle aurait dû. Perdre une journée de salaire n’était pas la fin du monde, mais rater lespourboiresporteraitunsérieuxcoupàsesmaigreséconomies.

Elleavaitbesoindetempspourréfléchir.Pourseressaisir.NuldoutequeRyanretourneraitaucafé-restaurantpourtenterdeluiparlerdenouveau.

La pluie avait cessé, mais de sinistres nuages gris obscurcissaient encore le ciel, annonciateursd’uneautreaverse.

Les larmesmenaçaient autant que ces gros nuages, pourtant elle les ravala, résolue à ne pas selaisseraffecterparsonface-à-faceinattenduavecRyan.

Laminusculeairedejeuxsituéeàtroisruesdesonimmeubleétaitdéserte.Pasunenfantn’yjouait.Lesbalançoiresvidesoscillaientdanslabrise,etlemanègegrinçaitentournantdoucement.

Elleseglissasurunbanc,encoresouslechoc,l’espritassailliparlacolèreetlechagrin.Pourquoiétait-ilvenu?Manifestement,sagrossesseavaitétéuneimmensesurprisepourlui.Danslecafé,sastupéfaction

n’avaitriendefeint.Etleurentrevuen’avaitriendefortuitnonplus.Cesderniersmois,elleavaitbeaucouppenséàleurrelation,quandellenefaisaitpassonpossible

pourl’oublier.Commesielleenétaitcapable…Ellesavaitplusieurschoses.Primo,ilsétaientalléstropvite.Entreleurrencontredanslecaféoù

elletravaillaitcommeserveuseetleursfiançailleshâtives,ellen’avaitpasprisletempsd’êtresûredeRyan.Enrevanche,elleétaittotalementsûred’elle.Elleétaittombéefolleamoureusedeluiaupremierregard. Puis elle s’était laissé entraîner sans résistance dans une histoire avec lui, sans jamaiss’interrogersursonengagementenverselle.Nisonamour.

Al’époque,lesobstaclesavaientparuinsignifiants.Ilétaittropbienpourelle,maisnaïvementelleavaitcruque l’amoursurmonterait tous lesobstaclesetque ladésapprobationdesa familleoudesesamisn’avaitpasd’importance.Elleleurprouveraitàtousqu’elleétaitdignedeluiets’adapteraitàsonmodedevie.

Certes, elle n’avait ni sa fortune, ni ses relations, ni son éducation, ni son héritage.Mais qui sesouciaitdecegenredechosesdenosjours?

Elles’étaitcomportéecommeuneidiote.Elleavaitabandonnésesétudes,dumoinstemporairement,

tantellebrûlaitd’êtrelaparfaitepetiteamie,fiancéepuisépousedeRyanBeardsley.Ellel’avaitlaisséluioffrirdesvêtementsdeprix.Elles’étaitinstalléedanssonappartement.Elles’étaitefforcéedetenirlesbonsproposetd’êtrelecomplémentidéaldesavie.

Onneluiavaitpasdonnélamoindrechance.Quiconque pensait que l’amour guérissait de tout se fourvoyait. Peut-être que s’il l’avait

suffisammentaimée,ouaimée toutcourt, leschosesauraientétédifférentes.Comment l’aurait-ilaiméealorsqu’ill’avaitaccuséedupireàlapremièreoccasion?

Kellyfermalesyeux,s’efforçantderefoulerleslarmesquiluibrûlaientlesyeux.ElleavaitquittéNewYork par le premier vol et atterri ici, àHouston.Où elle s’était construite une nouvelle vie.Cen’étaitcertespasuneviefacile,maisc’étaitlasienne.

Sachant qu’elle ne pourrait retourner à l’université qu’après la naissance de son bébé, elletravaillaitetéconomisait lemoindrecentimedanscetteperspective.Elle logeaitdans l’appartement lemoinscherqu’elleavaittrouvéetmettaitdecôtél’intégralitédesesgainspouraprèslanaissance.Quandle bébé serait là, elle déménagerait dans un appartement plus agréable, où elle élèverait son enfant etcompléteraitlesdeuxsemestresquiluimanquaientpoursondiplôme,afind’offrirunemeilleurevieàsonbébéetàelle-même.SansRyanBeardsley,sonsaleargentetsonignoblefamilleet,surtout,sanstouslessoupçonsetlestrahisonsdontelleavaitfaitl’objet.

Maintenant…maintenant quoi ? PourquoiRyan était-il là ?Et à présent qu’il avait découvert sagrossesse, quelles seraient les conséquences sur son avenir ? ses projets ? sa détermination à ne plusjamaisseretrouverdansunesituationoùellerisquaitdesouffrirautant?

D’unemainlasse,ellefrottasonfrontdouloureux.Ellesesentaitépuisée,brisée, incapabledesedéfendrecontrelesattaqueséventuellesdeRyan,quellesqu’ellessoient.

Lacolèrerepritledessus,etelleserralespoings.Pourquoisecachait-ellesurunbancdansunparcdésert?Ellen’avaitrienfaitdemal.Ryannepouvaitpasluiimposersesquatrevolontés;ilallaitquittersonappartement,ouelledéposeraitunerequêtedemesured’éloignementcontrelui.

Iln’avaitplusaucundroitnipouvoirsurelle.Elleinspiraàfondafindecalmersesnerfsàvif.Enfait,ill’avaitpriseaudépourvu.Ellen’était

pasdutoutpréparéeàlerevoir.Maiscelanesignifiaitpaspourautantqu’elleselaisseraitmarchersurlespieds.

Malgrésarésolution,uneappréhensionluioppressaitlapoitrine.LaréapparitiondeRyandanssaviesemblaitmettreenpérilsesprojetsd’avenir.

S’il sepersuadaitqu’elleportait sonenfant, ilne repartiraitpas.Leproblèmeétaitque,mêmesielle réussissait à le convaincreque cen’était pas le sien, il endéduirait qu’il était de Jarrod.CequifaisaittoujoursdelafamilleBeardsleyunsérieuxobstacleàsonavenir.

—Unechoseàlafois,Kelly,murmura-t-elle.Toutd’abord,elledevaitchasserRyandechezelleetréfléchircalmement.D’accord,ellen’avaitni

argentnirelations,maiscelanevoulaitpasdirequ’elleplieraitaupremiersigned’adversité.Ellesentitunegouttedepluiesursonfrontetsoupira.L’aversereprenait,etsiellenerentraitpasau

plusvite,elleseraitprisesousledélugequin’allaitpastarder.Tandis qu’elle se hâtait en direction de son immeuble, elle se réconforta en imaginant queRyan

auraitquittéleslieux.Qu’ilauraitlaissétombé,décidantqu’ellenevalaitpaslapeinequ’ilsedonnedumalpourelle.Lapenséelafitgrimacer.Ilavaitdéjàréagidelasorte.Qu’illachasseunenouvellefoisdesavien’avaitriend’improbable.

Le temps qu’ellemonte l’escaliermenant à son appartement, elle était trempée jusqu’aux os, lescheveuxruisselants.Ellefrissonnaittoutensedébattantaveclaserrurepourentrer.

EllefutsurprisedeconstaterqueRyann’avaitpasquittésonappartement.Ilfaisaitlescentpasdanslesalonet,enl’entendantentrer,ilsetournaverselle.Elleseraidit.

—Oùétais-tupassé,nomd’unchien?—Çaneteregardepas.—Tuparles!Tun’espasretournéetravailler.Ilpleut,ettuestrempéecommeunesoupe.Tues

folleouquoi?Elleéclatad’unrireamer.—Detouteévidence,oui.Ouplutôt,jel’étais.Maisplusmaintenant.Tun’asaucundroitici.Va-

t’en,Ryan.C’estmonappartement.Tunepeuxpasm’imposertaprésence,nimebrutaliser.S’illefaut,jedéposeraiunerequêted’éloignementcontretoi,jelejure.

Illadévisageaavecsurprise.—Tebrutaliser?Tucroisquejeteferaisdumal?—Physiquement?Non.Ilgrommelaunjuron,puis,nerveux,sepassalamaindanslescheveux.—Il fautque tumanges.Et iln’ya riendanscetappartement.Tu trouvesquec’estunemanière

correctedeprendresoindetoietdubébéalorsquetuesdebouttoutelajournée?Ilestclairquetunemangespasici.Tesplacardssontvides!

—Maismaparole,oncroiraitqueçat’inquiète!Maistoicommemoisavonsquecen’estpasvrai.Celat’esttotalementégal.Netefaispasdesoucipourmoi,Ryan.Jem’occupedemoi,etmonbébévatrèsbien.

Leregardcourroucé,ils’approchad’elleàgrandspas.—Ohsi,biensûrquejem’inquiète,Kelly.Tunepeuxpasm’accuserducontraire.Celanem’est

paségaldutout.Cen’estpasmoiquiaifichuenl’airnotrehistoire.C’esttoi.Elle leva une main pour l’arrêter et recula précipitamment. Ses doigts tremblaient, la tête lui

tournait.—Sorsd’ici,répéta-t-elled’untondéfinitif.Lesnarinesfrémissantes,labouchedure,ilparutsurlepointdelancerunenouvelleoffensive,mais

finitparreculerenpoussantunsoupir.—Jevaism’enaller.Maisjereviendraidemainmatinà9heures.Ellelevaversluiunsourcilinterrogateur.—Tuasrendez-vouschezlemédecin,précisa-t-il.Jet’emmène.Manifestement,iln’avaitpasperdusontempspendantsonabsence.Ryanétaitunhommeefficaceet

rapide.Illuisuffisaitdeprendresontéléphoneetdedonnerdesordres.Ilnemanquaitpasdegenstoutdisposésàlesexécuter.Ellesecoualatête,écœurée.

—Tunesemblespascomprendre,Ryan.Jen’irainullepartavectoi.Nousnesommesplusrienl’unpourl’autre.Tun’espasresponsabledemoi.J’aimonmédecin.Pasquestionquetumetraînesdeforcechezunautre.

—Etquandas-tuvucemédecinpourladernièrefois?rétorqua-t-il.Tuasunemineépouvantable,Kelly.Tuneprendspassoindetoi.C’estmauvaispourtoietpourl’enfantquetuportes.

—Nefaispassemblantd’êtreconcerné,murmura-t-elle.Soisgentil,va-t’en.Denouveau, ilparut sur lepointd’argumenter,maiscette foisencore, il ravala sesparoleset se

dirigeaverslaporte.— 9 heures demainmatin, répéta-t-il en s’en allant. Tu viendras avecmoi,même si je dois te

porter.—C’estça,etilgèlerapeut-êtreenenfer,grommela-t-elletandisqu’ilclaquaitlaporte.

***

Commeàsonhabitude,elleseréveillatôt.Pourtant,uncoupd’œilàsamontreluiindiquaqu’elleavaitdormiunquartd’heuredetrop.Elledevraitsedépêchersiellevoulaitarriveraucafé-restaurantàtempspourprendresonserviceà6heures.Aprèsunedoucherapide,elleenfilasarobeamplepar-dessusunechemiseetsehâtaverslaporte.

Elleretintsonsouffle,s’attendantpresqueà trouverRyansur leseuil.Mais iln’étaitpas là.Elledescenditlesescaliers,s’admonestant.Ryanluibrouillaitlesidéesetlarendaitparanoïaque.Lacertituded’êtreguériedeluietd’avoirtournélapages’étaitenvoléedèsl’instantoùellel’avaitaperçudanslecafé.

Quelquesminutesplustard,elleentradanslasalleoùNinaservaitdéjàlespremiersclientsdupetitdéjeuner.Kellynouasontablier,s’emparadesatablettedecommandeetgagnalestablesquiluiétaientdévolues.

Pendantlapremièreheure,elles’efforçadechasserRyandesonespritetl’appréhensiondelevoirrevenir.Envain,etellemélangealescommandesetrenversaducafésurunclient.Elleseprécipitadanslacuisinepourseressaisir.

Elle achevait de calmer sesmains fébriles et se préparait à regagner la salle quand Ralph, sonpatron,franchitlesportesbattantesentrombe,laminerenfrognée.

—Qu’est-cequetuficheslà?brailla-t-il.—Jetravailleici,non?—Non,tunetravaillesplusici.Tuesvirée.Kellyblêmitetluijetaunregardpaniqué.—Vousmemettezàlaporte?—Hier, tuasquittétonposteaumomentducoupdefeu.Sansunmotd’explication.Tun’espas

revenue.Tut’attendaisàquoi?Quejepassel’éponge?Etcematin,terevoilàcommesiderienn’était,etjemeretrouveavecdesclientsfumassesparcequetuaslatêteàl’envers.

Elleinspiraàfondpourtenterdemaîtrisersesnerfs.—Ralph,j’aibesoindecetravail.Hier…hierj’étaismalade,d’accord?Celanesereproduira

plus.Ileutunegrimacededégoût.— Aucunechancequeça se reproduise.Pourcommencer, jen’aurais jamaisdû t’embaucher.Si

jen’avaispaseubesoinaussirapidementd’uneserveuse,jamaisjen’auraisprisunefemmeenceinte.Seigneur,ellenevoulaitpasserabaisserà lesupplier,maisavait-t-elleseulement lechoix?Les

chancesdetrouverunautreemploiàcestadeavancédegrossesseétaientnulles.Ellenedemandaitquequelques mois supplémentaires, jusqu’à l’arrivée du bébé. A ce moment-là, elle aurait suffisammentd’argentpourarrêterdetravaillerets’occuperdesonenfant.Etpourterminersesétudes.

—S’ilvousplaît,dit-elled’unevoixétranglée.Laissez-moiunechance.Personnenes’estjamaisplaintdemoi.Jen’aijamaisratéuneseulejournéedetravail.Jedoisabsolumentgardercejob.

Sortantuneenveloppedesapoche,illaluitendit.—Voilàtonsoldedetoutcompte,moinslesheuresd’hier.D’unemaintremblante,ellepritlechèque.Ralphtournalestalonsetsortitdelacuisine,ladouble

portebattantdanssondos.Colèreetfrustrationlasubmergèrent.Ryancontinuaitdesaccagersavie,desmoisplustard.Elle

arrachasontablier,lejetaendirectiondelapatèreetquittalerestaurantparlaportedederrière,cillantsouslalumièreaveuglantedusoleil.

Elle se dirigea vers son appartement, regardant l’enveloppe contenant le chèque de salaire. Ledésespoirl’écrasaittantquechaquepasluisemblaitpluslourdqueleprécédent.Fichuefierté.ElleauraitdûprendrelechèquedeRyan.Qu’ilailleaudiableavecsesignoblesaccusations.Cechèquereprésentaitlemoyendeterminersesétudesetdesubvenirauxbesoinsdesonenfant.

Maiselleavaiteutouteslesraisonsdelerefuser.Deledéchirerenmillemorceauxminusculesetdelesluijeteràlafigure.Peut-êtreétait-cepourcelaqu’ellel’avaitconservésilongtemps:unepartied’ellevoulaitavoirlasatisfactiondeluirenvoyercethumiliantboutdepapier.

Elleavait tenuàcequ’ilsachequ’ellen’étaitpasunedépravéequ’onpouvaitacheter,maisqu’yavait-ellegagné?Unjobminablequil’épuisaitchaquejour,etunappartementsordideoùellerefusaitd’éleversonenfant.

Ilétaitgrandtempsqu’ellerenonceàsafiertémalplacée.RyanBeardsleypouvaitalleraudiable.Elleallaitencaissersonchèque.

-3-

Ryan monta l’escalier menant à l’appartement de Kelly. L’absence de rampe et les marchesbranlantesluitirèrentunegrimace.C’étaitunmiraclequ’ellenesoitpasencoretombée.

Ilétaitd’abordpasséparlecafé-restaurant,oùlepatron,fortdésagréable,l’avaitinforméqu’ellen’ytravaillaitplus.Ryann’étaitpassûrdelatrouverchezelle.

Constatantavechumeurquelaporten’étaitpasverrouillée,illapoussa,etdécouvritKellyàquatrepattes,entraind’inspecterlesolsouslefauteuildélabré.Elleeutungrognementagacéetseredressa.

—Maisqu’est-cetufabriques?demanda-t-il.Enentendantsavoix,ellefitimmédiatementvolte-face.—Sorsd’ici!s’écria-t-elle.—Désolédet’avoirfaitpeur.Taporten’étaitpasfermée.—Etdonctut’escrulibred’entrer.Ilnet’estpasvenuàl’espritdefrapper?Tun’asdécidément

riencompris,Ryan.Jeneveuxpasdetoiici.Sansunmotdeplus,ellegagnalecoincuisineetouvritlesplacards,manifestementàlarecherche

dequelquechose.Ilsoupira.Nonqu’ilsesoitattenduàlatrouverplusconcilianteaujourd’hui,maisilavaitespéré

qu’ellesoitunpeumoinsencolère,unefoispassélechocinitialdeleursretrouvailles.Ellerepritsamystérieuseactivitéausol,agenouillée,etRyansentitsonirritationmonterd’uncran.

Iltraversalapièceetsebaissapourl’aideràseremettredebout.—Qu’est-cequetucherches,Kelly?Lescheveuxdanslafigure,ellelerepoussad’uncoupd’épaule.—Lechèque.Jecherchelechèque!—Quelchèque?—Celuiquetum’asfait!Sourcilsfroncés,Ryansortitlemorceaudepapierfroissédesapoche.—Celui-ci?Commeelleallongeaitlebraspours’enemparer,illeleva,lemettanthorsdesaportée.—Oui,répondit-elle.J’aichangéd’avis.Jevaisl’encaisser.Cettenouvellefinitdeledécontenancer.—Assieds-toi,Kelly,etraconte-moicequisepasse.Tuasattendutoutcetempspourmejeterce

chèqueàlafigureetm’envoyeraudiable,etmaintenanttuchangesd’avis?Tuesdevenuefolleouquoi?A sa grande surprise, elle se laissa tomber sur une des deux chaises de la cuisine et enfouit son

visagedanssesmains.Puissesépaulesfurentsecouéesdetremblements,etdessanglotsluiéchappèrent.Unmoment,ilrestaplantélà,nesachantquefaire.Iln’avaitjamaispusupporterdelavoirpleurer.

Malàl’aise,ils’accroupitdevantelleetôtadoucementlesmainsdesonvisage.Elledétournalesyeux,honteusedes’êtrelaisséeallerdevantlui.—Qu’est-cequinevapas,Kelly?demanda-t-ilgentiment.—J’aiperdumonemploi.Acausedetoi.—Acausedemoi?s’exclama-t-ilavecunmouvementderecul.Qu’est-cej’aibienpufaire?Ellerelevalatête,unelueurdecolèredansleregard.—Ah,c’esttoitoutcraché!Qu’est-cequej’aifait?Riendemal,bienentendu.Jesuissûreque

toutestmafaute,commetoutcequiamaltournédansnotrerelation.C’esttoujoursmoilaresponsable.Donne-moicechèqueetva-t’en.Tun’aurasplusjamaisàtesoucierdemoi.

Illadévisagead’unairincrédule.—Tucroisvraimentquejevaism’enallercommeça,maintenant?Lesmâchoirescrispées,ilrempochalechèque.—Jenepartiraipas,poursuivit-ilens’efforçantdemaîtrisersacolère,ettoinonplus,Kelly.Nous

avonsbeaucoupdechosesàrégler.Lapremièreestdetefairefaireunbilancorrectchezunmédecin.Tun’aspasl’airenbonnesanté.Jenepeuxpasêtreplusfrancqueça.

Lentement,elleseleva,puisletoisa.—Jen’irainullepartavectoi.Siturefusesdemedonnercechèque,sorsd’ici.Nousn’avonsplus

rienànousdire.Plusjamais.—Nousdiscuteronsduchèqueaprèsavoirvulemédecin.—Duchantage,àprésent,Ryan?riposta-t-elle,unelueurdeméprisdanslesyeux.—Appelleçacommetuveux,jem’enmoque.Tuvienschezlemédecinavecmoi.S’iltetrouveen

parfaitesanté,jeterendrailechèqueetjem’enirai.Elleplissalesyeux,méfiante.—C’estaussisimplequeça?Il acquiesça. Inutilede luidirequ’aucunmédecinaumondene la trouverait enbonne santé.Elle

tenaitàpeinedebout.Elleétaitpâleetprobablementbeaucouptropmaigre.Kellysemordillaleslèvres,réticente.Ellepoussaunlongsoupir.—D’accord,Ryan.J’accepted’allerchezlemédecinavectoi.Quandilauraconstatéquejesuis

enpleineforme,jeneveuxjamaisterevoir.—S’ilassurequetuvasbien,tonvœuseraexaucé.Elleserassit,visiblementépuisée.Ryanravalaunjuron.Elleétaitaveugleoujusteenpleindéni?

Quelqu’un devait s’occuper d’elle. S’assurer qu’elle prenait trois bons repas par jour. L’obliger à sereposer.

Ilconsultasamontre.— On devrait partir. Tu as rendez-vous dans une demi-heure, et je ne sais pas comment ça va

rouler.Dépitée,Kellyselevaetpritsonsac.Ensemble,ilssortirentdel’appartement.

***

Kellyregardaitparlavitred’unairabsent,tandisqueRyanconduisait,attentifàlacirculation.Leuraffrontementl’avaitvidée.Ellenevoulaitqu’unechose:qu’ils’enaille.Lesimplefaitdeposerlesyeuxsurluiravivaitladouleurjamaiscicatriséedeleurpassécommun.

Il se gara sur le parking d’une clinique du centre-ville et l’entraîna à l’intérieur. Ils prirentl’ascenseurjusqu’auquatrièmeétage,puiselleattendit,hébétée,queRyanseprésenteàlasecrétaire.

Aprèsavoirremplisondossiermédical,onluidemandadeprocéderàuneanalysed’urine.Quandellesortitdestoilettes,uneinfirmièrelaconduisitdansunesalled’examen,oùsetrouvaitdéjàRyan.

Elle s’apprêtait à lui ordonner rageusement de sortir quand il l’arrêta d’un geste, le regardprobablementaussidurquelesien.

—Jeveuxentendremoi-mêmelediagnosticdumédecin,déclara-t-ild’untonquinesouffraitpaslacontestation.

Ellesavaitqu’ilnecéderaitpas,aussiluitourna-t-elleledossansunmot.Ilsuffisaitqu’elleseplieàcetexamen,quelemédecinaffirmeàRyanquetoutallaitbien,ensuite

elleseraitdébarrasséedelui.Auboutdequelquesminutes,unjeunemédecinentra.Avecunsourireengageant,illuiindiquade

s’allongersurlatabled’examen.Aprèsavoirmesurésonventreetécoutélecœurdubébé,ilapprochaunepetitemachinepuisappliquaungelfroidsursonabdomen.

—Qu’est-cequevousfaites?demanda-t-elle.—Jepensaisquevousaimeriezjeteruncoupd’œilàcebébé.Jevaisfaireuneéchographiepour

vérifierquetoutvabien.D’accord?Elleacquiesça, et lemédecin, lentement, commençaàdéplacer l’appareiloptique sur sonventre.

Puisils’arrêtaetpointal’écran.—Voicilatête.Ryansepenchapourmieuxvoir lemoniteur.Commeelle tendait lecoupourobserverpar-dessus

sonépaule,ilglissaunemainsoussanuque,demanièreàcequ’ellepuisseregardertoutàsonaise.Sesyeuxs’embuèrent,etellesourit.

—Elleestmagnifique,murmura-t-elle.—Oui,quellebellepetitefille,renchéritRyan,lavoixrauque.—Oupetitgarçon,corrigea-t-elletrèsvite.—Vousvoulezconnaîtrelesexe?demandalemédecin.—Non…non,jenecroispas,réponditKelly.Jepréfèrequecesoitunesurprise.Une fois l’examen terminé, le médecin lui essuya le ventre. Se levant, il imprima le cliché de

l’échographieetpritquelquesnotes.Illaregardaensuited’unairgrave.—Jesuisinquietàvotresujet,déclara-t-il.Fronçant les sourcils, elle essaya de se redresser. Ryan l’aida à s’asseoir, et elle interrogea le

médecinduregard.—Votretensionestélevée,vosurinescontiennentdestracesdeprotéines,vousavezunimportant

œdèmeauxmainsetauxpieds,etvuvotrepoids,jepariequevousnevousnourrissezpasassez.Vousprésentezdessignesdepré-éclampsie,cequirisqued’avoirdesrépercussionssérieuses.

Abasourdie,Kellyleconsidéraitensilence.—Qu’est-cequelapré-éclampsie?demandaRyan.—Unsyndromeliéàl’augmentationdelatensionetunesurproductiondeprotéinesdansl’urine.Il

semanifesteleplussouventàpartirdelavingtièmesemainedegrossesse.L’évolutionpeutmeneràdescrises,stadeauquelonparled’éclampsie.

IlconsidéraKellyd’unairsévère.—Jesuisàdeuxdoigtsdevousfaireadmettreà l’hôpitalpourquevousyrestiez jusqu’àvotre

accouchement,poursuivit-il.Donc,àmoinsquevotremarietvousmepromettiezquevousévitereztoutestationdeboutetquevousprendrezmieuxsoindevous,jevoushospitalise.

—Cen’estpasmonma…,commença-t-elle.—Vousaveznotrepromesse,l’interrompithabilementRyan.Jeveilleraiàcequ’elleserepose.Je

vousdonnemaparole.—Mais…—Pasdemais,objectalemédecin.Jecroisquevousnemesurezpastoutelagravitédevotreétat.

Sivotresantésedétériore,vousmettezvotrevieendanger.L’éclampsieestlasecondecausedemortalitématernelleauxEtats-Unis,et laprincipalecausedecomplicationsfœtales.Jesuis trèssérieux,etvousdevez prendre toutes les précautions nécessaires pour prévenir une aggravation qui risquerait de vousêtrefatale.

Souslechocdelanouvelle,Kellysesentitblêmir.Ryanaussiétaitpâlecommeunlinge.—Jepeuxvousassurer,docteur,qu’àpartird’aujourd’huiKellyneferariend’autrequesereposer

etmanger,ditRyand’untonferme.Lemédecinopina.—Trèsbien.J’aimeraisvousrevoirdansunesemaine.Etsivotreœdèmeempireousivousavez

defortesnausées,venezimmédiatementàl’hôpital.Aprèsledépartdumédecin,Kellyrestaunmomentsurlatabled’examen,assomméeparlespropos

dupraticien.Ryanluipressagentimentlamain.—Jeneveuxpasquetut’inquiètes,Kelly.Non,vraiment, iln’yavaitpasdequoi !Elle réprimaun rirehystérique.Savieétaitundésastre

complet, et elle ne devait pas s’inquiéter. Elle n’avait qu’une envie, s’enfuir sur-le-champ de cetteclinique.

—Allez,viens,reprit-ild’unevoixdouce.Partonsd’ici.Elleselaissaconduirejusqu’àlavoituresansprotester.Non,c’était impossible,ildevaityavoir

uneerreur.Ellegardalesilencetandisqu’ilsdémarraient,refusantmêmederegarderRyan.Ellen’avaitplusdetravail,etàencroirelemédecin,n’auraitdetoutefaçonpasputravaillersiellen’avaitpasétérenvoyée. Comment allait-elle survivre, sans parler de son enfant ? Ses maigres économies étaientdestinéesàl’arrivéedubébéetàsesétudes.

Unevaguededésespoir la submergea.Elle se sentait si impuissante !Soudain, la sonnerie aiguëd’untéléphoneportablelafitsursauter,etellesetournaversRyan,quileportaàsonoreilletoutensefaufilanthabilementdanslacirculation.Ellel’entenditprononcersonnom.

—NouspassonschezKellyprendresesaffaires.Réservez-nousunvolaudépartdeHouston,etrappelez-moipourmecommuniquerlenuméroetl’heure.Ensuite,demandezaubureauduDrWhitcombsurHillcrestStreetdefaxerledossiermédicaldeKellyauDrBryantàNewYork.Remplacez-moi,etditesàLindad’étudierlescontratsquinécessitentmasignature.Jeseraiaubureaudansquelquesjours.

Ilcoupalacommunicationetreposaletéléphone.—Dequoituparlais?demandaKelly,déroutée.Levisagegrave,illuidécochaunbrefregard.—TurentresavecmoiàNewYork.—Plutôtmourir!Leslèvresserrées,ellecroisalesbrasautourdesonventre.—Tuviensavecmoi,déclara-t-ild’untonsansréplique.Puisqueturefusesdelefairetoi-même,

quelqu’undoits’occuperdetoi.Tuveuxrisquerlasantédubébé?Oulatienne?Donne-moiuneautresolution,Kelly.Prouve-moiquejepeuxtelaissericiconvaincuquetoutirabien.

—Tunecomprendspasquejeneveuxplusrienavoiràfaireavectoi?rétorqua-t-elle,résolue.—Ohsi,tumel’asclairementsignifiéencouchantavecmonfrère.Maisilsetrouvequetuportes

sans doute mon enfant — ou mon neveu ou ma nièce — et dans un cas comme dans l’autre, je nedisparaîtraipas sans savoirquevousêtes tousdeux sainset saufs.Donc, tuprends l’avionpourNewYorkavecmoi,degréoudeforce.

—Cetenfantn’estpasdetoi,asséna-t-elle.—Dequi,alors?—Çaneteregardepas.Ilyeutunlongsilence.—Tuviensavecmoi,reprit-il.Etjenelefaispasuniquementpourunenfantquiestounondemoi.—Pourquoi,alors?Ilfixalaroutedesyeuxsansrépondre,lesdoigtscrispéssurlevolant.Unefoisqu’ilsfurentarrivésàsonimmeuble,Kellydescenditdelavoitureavantqu’ilpuisselui

ouvrirlaportièreetmontal’escalierenhâte.Ellel’entenditluiemboîterlepas,etquandelletentadeluiclaquerlaporteaunez,ilforçalepassage.

—Ilfautquenousparlions,Kelly.Ellepivotasursestalons.—Oui,eneffet.Duchèque.Tumel’asjetéàlafigureenmetraitantdegrue.Désormais,jeleveux,

etjemefichecommed’uneguignedecequetupeuxpenserdufaitquejeleprennemaintenant.—Jenetel’offreplus.—Ah,sympadetapart.—JeveuxqueturentresàNewYorkavecmoi.Uninstant,ellerestabouchebée.—Maistuescinglé!Pourquoiirais-jeoùquecesoitavectoi?—Parcequetuasbesoindemoi.Ladouleurl’atteignitcommeunuppercut,luicoupantlesouffle.—C’estavantquej’avaisbesoindetoi,Ryan.Ellesedétourna,lesmainsprotégeantsonventre,essayantdenepascéderàlapanique.Derrière elle, Ryan resta silencieux. Ce fut un silence long et pénible. Lorsqu’il reprit enfin la

parole,savoixétaittendue,commeétranglée.—Jesorsacheter tesmédicaments.Etquelquechoseàmanger.Amonretour, j’aimeraisquetes

bagagessoientfaits.Ils’éloignad’unpaslourdetrefermadoucementlaportesurlui.Kellys’effondrasurlecanapéuséetsemassalestempes.Deuxjoursplustôt,elleavaitunplan.Un

bonplan.Toutétaitorganisé.Aujourd’hui,ellen’avaitplusdetravail,sasantéétaitenpériletsonex-fiancélaharcelaitpourqu’elleretourneàNewYorkaveclui.

Elleallaitdevoirappelersamère,bienquel’idéeluidonnedesboutons.Elles’étaitjuréautrefoisdene jamais rien luidemander,àmoinsd’êtreà l’articlede lamort.Or,àcet instant,cetteoption luiapparaissaitcommelemoindredesdeuxmaux.

—«Cequinenoustuepasnousrendplusforts»,pasvrai?marmonna-t-elle,peuconvaincue.Elle prit une grande inspiration et composa le dernier numéro qu’elle avait pour sa mère. Il se

pouvaitfortbienqueDeidreneviveplusenFloride.Commentsavoir,avecelle?Elles’étaitdébarrasséedeKellydèsquecelle-ciavaitdécrochésonbac,lamettantcarrémentàla

portede lamaisonafind’emménageravecsonpetitamidumoment.Elleavait informésafillequ’elleavait fait son devoir en consacrant dix-huit des plus belles années de sa vie — années à jamaisperdues—àéleverunenfantqu’ellen’avaitpasdésiré.

Bonnechance,àlaprochaine,nemedemanderiend’autre.

Aprèsplusieurssonneries,Kellyallaitraccrocherquandlavoixdesamèreretentitauboutdufil.—Maman?demanda-t-elled’untonhésitant.Ilyeutunsilence.—Kelly?C’esttoi?— Oui, maman, c’est moi. Ecoute, j’ai besoin de ton aide. D’un endroit où aller. Je… je suis

enceinte.Unnouveausilence,pluslongcettefois.—Etoùestpassétonrichepetitami?—Jenesuisplusaveclui,expliquaKellyd’unevoixsourde.JesuisàHouston.J’aiperdumon

travailetjenevaispasbien.Lemédecins’inquiètepourlebébé.Ilmefautjusteunendroitoùpouvoirresterquelquetemps.Jusqu’àcequejesoisdenouveausurpied.

Samèresoupira.—Jenepeuxpast’aider,Kelly.Richardetmoisommesoccupés,etonn’atoutsimplementpasla

place.Kelly eut un pincement au cœur. Elle savait que sa démarche serait inutile, mais d’une certaine

manière,elleavaitespéré…Sansunmot,ellecoupalacommunication.Qu’aurait-ellepudiredeplus,detoutefaçon?

Samèren’avaitjamaisétéqu’unebaby-sitterrésignée.— Je t’aime,murmura-t-elleencaressant sonventre. Jamaisaucundesmomentsque jepasserai

avectoineteseraaccordéàcontrecœur.Elleselaissaallerdanslecanapé,lesyeuxauplafond,détestantlesentimentd’impuissancequila

tenaillait.Ellefermalesyeux,éreintée.Elle avait dû s’assoupir sansmême s’en rendre compte, car tout d’un coup unemain la secoua.

Ouvrant brutalement les paupières, elle aperçut Ryan debout au-dessus d’elle, un verre d’eau et uneassietteàlamain.

—Jet’airapportédelacuisinethaïe.Sapréférée.Ellefutsurprisequ’ils’ensouvienne.Aprèss’êtreredressée,ellepritleverreetl’assiette,puissemitàmanger.Ryanpritunechaiseet

s’installaenfaced’elle.Gênéeparsonregardinsistant,elleseconcentrasurlanourritureenévitantdeleverlesyeux.

—M’ignorernesimplifierapasleschoses,lança-t-il.Kellymarquauntempsd’arrêtetfinitparreleverlatêteverslui.—Qu’est-cequetuveux,Ryan?Jenecomprendstoujourspaspourquoituesici.Nipourquoitu

souhaites que je rentre à New York avec toi. Ou pourquoi tu te sens concerné, point final. Tu m’asexpriméentermesonnepeutplusclairsquetumevoulaisaussiloindetaviequepossible.

—Tuesenceinte.Ettuasbesoind’aide.Çanesuffitpas?—Non!Sonexpressionsedurcit.—Alors,disons-leautrement,poursuivit-il.Toietmoiavonsun tasdechosesà tirerauclair,y

comprissavoirsil’enfantquetuportesestlemien.Tuasbesoind’aide,etjesuisdisposéàtel’apporter.Quelqu’undoits’occuperdetoi.Iltefautunsuivimédicaldepremierordre.Jepeuxtedonnertoutça.

Passant une main lasse dans ses cheveux, elle s’appuya au dossier du canapé. Aussitôt, ils’agenouilladevantelleeteffleura,hésitant,sonbras.

—Viensavecmoi,Kelly.Ilfautquetupensesaubébé.Furieuse qu’il tente de jouer sur sa culpabilité, elle leva la main, comme pour repousser sa

proposition.Maisiln’étaitpasdisposéàrenonceraussirapidement.— Tun’es pas en état de travailler.Lemédecin t’a ordonné du repos, faute de quoi tumets en

dangerettavieetcelledubébé.Situn’arrivespasàacceptermonaidepourtoi,fais-leaumoinspourtonbébé.Oubientafiertécompte-t-elleplusquelui?

—EtunefoisàNewYork,quesommes-nouscensésfaire,Ryan?—Tutereposeras,etnousdéfinironsensemblenotreavenir.Elleeutunbrusquehaut-le-cœur.Leuravenir.Commes’ilsenavaientun.Elleauraittortd’accepter.Maistoutautantderefuser.Puisqu’elle était prête à ravaler sa fierté et à encaisser le chèque, pourquoi ne pourrait-elle pas

acceptersonaidepourlebiendesonbébé?Pourlebiendeleurbébé?—Kelly?—D’accord,répondit-elleàvoixbasse.Jet’accompagneàNewYork.UnelueurdetriompheéclairalesyeuxdeRyan.—Alors,bouclonstesbagagesetpartonsd’ici.

-4-

LorsqueKellyseréveillalelendemain,illuifallutunmomentpourreconnaîtresonenvironnement.Puisellesesouvint.EllesetrouvaitàNewYork.AvecRyan.

En quelques heures à peine, il l’avait aidée à faire ses bagages, direction l’aéroport. Ils avaientatterriàLaGuardiapeuavantminuit,puiss’étaientengouffrésdansunevoiturequilesattendait.

Letempsd’arriverchezlui,ellenetenaitplussursesjambes.Elleluiavaitreprisdesmainssonuniquesacdevoyageets’étaitaussitôtdirigéeverslachambred’amis.L’appartementfamilier—elleyavait vécu — ravivait en elle des souvenirs douloureux qui menaçaient de la déstabiliser. Elle enreconnaissait jusqu’à l’odeur,masculine, virile, qui lui évoquait tantRyan à l’époque où elle y vivaitqu’ellenel’auraitmasquéepourrienaumonde.

Danslecouloir,elleétaitpasséedevantlachambreoùRyanetelleavaientfaitl’amourunnombreincalculable de fois. C’était là que leur enfant avait été conçu, là où sa vie s’était irrémédiablementtransformée.Denouveau,elles’étaitditqu’ellecommettaituneerreurgrossièreenrevenantici.

Cematin, cependant, elle se résignait à sondestin.Aprèsunedouche rapide, elle s’habilla, puisgagnaàpas feutrés lesalonoùRyanse trouvaitdéjà,à tapotersursonordinateurportable. Il leva lesyeuxenl’entendantentrer.

—Lepetitdéjeunerestprêt,annonça-t-il.Jet’attendaispourmanger.Sansunmot,ellelesuivitdanslacuisine.Unetableétaitdresséepourdeux.Ryansortitunplatdu

fouretleurservitdegénéreusesportionsd’œufsbrouillés,detoastsetdejambon.En s’asseyant, elle songea qu’elle devait bien admettre qu’elle se sentaitmieux qu’au cours des

semainesprécédentes.Acoupsûr,elles’étaitdavantagereposéedurantlesdernièresvingt-quatreheuresqu’ellenel’avaitfaitdepuislongtemps.

—Commentçavacematin?demandaRyan,prenantplaceenfaced’elle.—Bien,marmonna-t-elle,labouchepleine.Sonappétitrevenait,etelleseconcentrasurlanourrituresavoureuse.Toutétaitbizarredanscettesituation.L’extrêmepolitesseentreeux.Lepetitdéjeunerpartagédans

l’intimité.C’étaitsiperturbantqu’elleavaitenviederetournersecoucher.Aprèsunlongsilence,Ryanpritlaparole.—Jemesuisarrangépourtravaillericipourlemoment.Elles’arrêtademanger.—Pourquoi?—Jepensaisquelaréponsetombaitsouslesens.

—Çanefonctionnerapas,Ryan.Jenepeuxpasrestericiavectoisurledostoutelajournée.Vatravailler.Nechangerienàteshabitudesdevieetlaisse-moitranquille.

Leslèvrespincées,ilselevaetquittalapiècesansunmot.Elleregardasonassiette,agacéedelevoirréagirenvictime.Etlafairepasserpouruneingrate.Colèreettristessebataillaientenelle.JamaisellenepourraitpassersurcequeRyanluiavaitfait.

Alorsqu’ilsemblaitnepasvouloir luipardonner sesprétendues fautes, iloubliaitunpeuvitequ’elleétait l’innocentedanscettehistoire sordide.C’est luiqui lui avait tourné ledos.Détailqu’il semblaitrefuserdereconnaître.

Durant quelques instants, elle joua avec le reste de la nourriture dans son assiette, incapabled’avalerunebouchéedeplus,puis,n’ytenantplus,selevaetsortitdetable.

Elle erra sans but jusqu’au salon, où elle se planta devant la vaste baie vitrée offrant une vuesublimedeManhattan.

—Tunedevraispasresterdebout,observaRyanderrièreelle.Avec un soupir, elle se retourna, surprise de l’apercevoir avec pour tout vêtement une simple

serviettenouéeautourdesreins.Ellepivotaimmédiatementsursestalons,maisl’images’étaitimpriméesur sa rétine.Ryanavaituncorpsd’athlète,un torse largeauxmusclesbiendessinés etunventreplatsculptécommeunmarbregrec.Elleavaitpassédesheuresàexplorerlescourbesetlescreuxdececorpsmagnifique.

—Excuse-moisimatenuet’aembarrassée,murmura-t-il.Jen’aipasréfléchi,comptetenudenotrerelationpassée.

Elle fut saisie d’une irrépressible envie de rire. Embarrassée ? La seule gêne provenait de lamanière dont son esprit vagabondait en cet instant très en dessous de la ceinture improvisée de cetteserviette.

Maisbienentendu,dans toute sonarrogance,Ryanestimait, compte tenude la«nature»de leuranciennerelation,qu’ilpouvaitsepromenerpresquenudevantelle.

Elletournaversluiunregardfroidetnarquois.—Situimaginesque,parcequenousavonsétéamants,tupeuxreprendreleschosesoùonlesa

laissées,tutetrompeslourdement.Ilparutd’abordsurpris,puislacolèrepritlerelais.—BonDieu,Kelly!Tuasdoncunesipiètreopiniondemoipourmecroirecapabledeteforcerà

desrelationssexuellesalorsquetuesenceinteetenmauvaisesanté?—Jepréfèrenepasrépondre.Illaissaéchapperunjuron.—Detoutefaçon,poursuivit-il,qu’est-cequitefaitpenserquej’auraisenviedepasseraprèsmon

frère?Sespropos l’atteignirentcommeunegifleet, lespoingsserrésderage,ellerépliquasur lemême

ton:—Mafoi,puisqueçanel’apasdérangé,lui,j’aisupposéquec’étaituntraitdefamille.LesyeuxbleusdeRyanseglacèrent,etunecontractioncompulsiveagitasamâchoire.Ilfitvolte-

faceetdisparutdanssachambreenclaquantlaporteavecunetelleviolencequel’échoserépercutadanstoutl’appartement.

Elle soupira, puis se laissa tomber dans le fauteuil le plus proche. Elle ignorait pourquoi elles’évertuaitainsiàjeterdel’huilesurlefeu.Leurrelationappartenaitaupassé,etilauraitdûlacroireàl’époque.Quandcelafaisaitunedifférence.Ilétaittroptardaujourd’hui.Ledésirqu’illasoutienneetlaprotèges’étaitévaporélorsqu’elles’étaitrenducomptequ’ilneluiavaitjamaisaccordénisonamourni

saconfiance.Seigneur,quefaisait-elleici?Lesimplefaitd’êtreàNewYorkravivaittropdesouvenirsqu’elle

auraitmieuxfaitd’oublier.Lamortdansl’âme, incapablederesterenplace,elleretournadanslacuisineafind’examiner le

contenuduréfrigérateuretdesplacards.Décidantqu’ilyavaittouslesingrédientsnécessairesàl’undesesplatsfavoris,elleentrepritdelesalignersurlecomptoir.Aumoinscelal’occuperait,etledéjeunerseraitprêt.ElleavaittoujoursadorécuisinerpourRyanquandilsvivaientensemble.

— Tu peuxme dire ce que tu fabriques ? demandaRyan, surgi de nulle part, en lui prenant lacasseroledesmains.

D’unepoigneferme,illaramenadanslesalon.—Assieds-toi,ordonna-t-ilunefoisdevantlecanapé.Puisilluisoulevalespieds,plaçauncoussindessousetlesreposadoucement.Illaregarda,toute

tracedesarécentecolèredisparuedesonvisage.— Tu n’as peut-être pas bien compris les consignes du médecin. Tu dois te reposer. Rester

allongée.Ildétachaitsesmotscommes’ils’adressaitàladernièredesabruties.Cequin’étaitpastoutàfait

faux,àvraidire.Elleétaitlaplusgrandeabrutiedumondeàs’êtreainsilaisséembarquerdanscepiège.Ilparaissaitcalme.Ellel’étaitégalement,dumoinspourl’instant.L’heuresemblaitvenuedetirer

leschosesauclair.—Ryan,ilfautquel’onparle.Surprisetunpeuméfiant,ils’assitetlaregarda,sanscachersacuriosité.—D’accord,jet’écoute.—JeveuxsavoirpourquoituesvenuàHouston.S’intimantaucalme,elleattenditsaréponse.Aenjugerparl’expressionapparuesursonvisage, laquestionneluiplaisaitpas.Ildétournales

yeux,fixalemur,lamâchoirecrispée.—Etcommenttuassuoùmetrouver,poursuivit-ellealorsqu’ildemeuraitsilencieux.—J’aiengagéundétective,admit-ilaprèsunmoment.Elleenrestabouchebée.Paslongtemps.Tantpispourlecalme.Elleexplosa.— Pourquoi ? Pour m’accuser encore d’être une traînée ? Pour débarquer dans ma vie et la

chambouler ?Çam’échappe,Ryan. Tume détestes. Je sais ce que tu penses demoi. Tume l’as trèsclairementfaitcomprendreenmechassantdetonexistence.Alorspourquoichercheràremuerlepassé?

—Nomd’unchien,Kelly!répliqua-t-ilsurlemêmeton.Tudisparaissansriendireàpersonne.Tun’encaissespasmonchèque.JepensaisquetuétaisDieusaitoù,blessée,terrifiée,oumorte.

—Dommagepourtoiquecenesoitpaslecas.—Nemefaispascecoup-là,gronda-t-il,ensemaîtrisantàgrand-peine.C’esttoiquim’asflanqué

àlafiguretoutcequenousavions.C’esttoiquiasdécidéquejenetesuffisaispas.Jet’airecherchéeparceque,quelquesoitcequetuavaisfaitouledésirquej’avaisdet’oublier,jenesupportaispasdetesavoirseuleetperduequelquepart.

Ilsetut,détournantlatête.Lorsqu’ilfixadenouveausonregardsurelle,celui-ciétaitvide.—J’airéponduàtesquestions,reprit-ild’untonpluscalme.Atontourderépondreauxmiennes.L’unetl’autresursautèrentaubruitdelaported’entréequis’ouvrait.SouslesyeuxeffarésdeKelly,

Jarrod,lefrèredeRyan,apparutdansl’encadrement.—Salut,Ryan!Leportierm’aapprisquetuétaisrentré…SavoixmourutquandilaperçutKelly.

—Euh…salut,Kelly.RyanvitlestraitsdeKellysefigerdansuneexpressionglaciale.Zut!Elleallaitcroirequ’ilavait

planifiél’arrivéedesonfrère.Etmêmesi toustroisdevaientà toutprixdiscuterdecertainspoints, lemomentétaitmalchoisi.IlselevaetsedirigeaversJarrod.

Il avait fallu desmois à Ryan pour surmonter sa colère et sa jalousie, et réussir à renouer desrelationsnormalesavecsonjeunefrère.Auparavant,ilavaittoujoursencouragéJarrod,quipossédaituneclédel’appartement,àpasseràl’improviste,quandbonluisemblait,etilappréciaitsesvisites.

Maisc’étaitavantqueJarrodnecoucheavecKelly.Avantquelesdeuxêtreslespluschersàsoncœurneletrahissent.Lorsqueenfinils’étaitrésoluàpardonneràJarrodetàl’incluredenouveaudanssavie,ilavaitestiméque,s’ilconsentaitàpardonneràsonfrère,alorsilpourraitretrouverKellyetaumoinsécoutersesexplications.

Leschosesn’étaientpas redevenues idylliquesentreJarrodet lui.Ellesne le seraient sansdoutejamais.Néanmoins,leurrelations’étaitaméliorée,etsonfrèreavaitcommencéàvenirplussouvent,bienqu’ilsemontreplusréservéqueparlepassé.

Maintenant queRyan avait ramenéKelly àNewYork, une confrontation s’avérait inévitable. Si,pour part, il la craignait, il savait aussi qu’il ne serait jamais capable de tourner la page tant qu’ilsn’auraientpascrevél’abcès.Maiscelaseferaitquandilledéciderait,pasavant.KellyetluiavaientdeschosesplusurgentesàrésoudrequelaquestiondesoninfidélitéetdeJarrod.

—Tutombesmal,monvieux,dit-ilàmi-voixenseplantantdevantsonfrère.Jarrod,malàl’aise,jetaunregardnerveuxàKellypar-dessusl’épauledeRyan.—Jevoisça,oui.Bon,jerepasseraiuneautrefois.EnsetournantversKelly,Ryanlavitpâleettremblante,serrantsifortlespoingsqueleursjointures

blanchirent.—Qu’est-cequetuvoulais?demanda-t-il,commeJarrodnesemblaitpasdisposéàs’enaller.— Riend’important. J’étais justepassé te saluer et teprévenir quemamannous invitait à dîner

samedisoir.Celafaitunmomentquejenet’aivu.Jesaisquetuestrèsoccupéavectonaffaired’hôtel.J’espéraisqu’onpourraitseretrouvertouslesdeux,commeaubonvieuxtemps.

Ryansoupira.Jarrodetluiavaienttoujoursétéproches.Jusqu’àKelly.Ildétestaitcettesituation.Ildétestaitqu’unefemmesesoitimmiscéeentreluietlefrèrequ’ilavaitpourainsidireélevéaprèslamortdeleurpère.

— J’appelleraimaman plus tard, d’accord ? Et on passera unmoment tous les deux.Mais pasmaintenant.

—Ouais,jecomprends.Abientôt,alors.Jarrodreculaverslaporte.PuisilchuchotaàRyan,quitenaitlapoignéepourrefermerderrièrelui:—Turenouesavecelleaprèscequis’estpassé?Ryanfronçalessourcils.—Tunet’inquiètespasdufaitqu’ellepourraitportertonenfant?Jarrodblêmitd’uncoup.—Ellet’aditça?Avantderépondre,Ryanétudialaréactiondesonfrèreàlasuggestiondesapaternitééventuelle.—Non,cen’estpascequ’ellem’adit,finit-ilparadmettre.Maistuesbienplacépoursavoirque

c’estpossible.—Non,ilnepeutpasêtredemoi,assuraJarrodensecouanténergiquementlatête.—Situledis.Jarrodfranchitleseuildel’appartement,puis,fourrantlesmainsdanssespoches,seretournavers

Ryan,maissansréellementcroisersonregard.—J’avaismisunpréservatif.Ecoute,désolé.Jesuisconscientdecequelasituationadepénible.

Maiscebébénepeutpasêtredemoi.Lagorgenouée,Ryanlesuivitdesyeuxtandisqu’ilsedirigeaitversl’ascenseur.Puisilrefermala

porte,furieux.FurieuxcontreKelly,contreJarrod,contrelui-même,unefoisdeplus.Donccetenfantétaitlesien,àmoinsque…non,ellen’avaitsûrementpaseud’autrespartenairesenplusdeJarrodetlui.Ilrefusaitd’envisagerpareillehypothèse.

Enrevenantdanslesalon,ilnes’attendaitpasàl’expressiondepurehaineetd’absoluerépulsionqu’illutsurlevisagedeKelly.Avantqu’ilpuisseprononcerlemoindremot,elleledévisagead’unairdontlafroideurleglaçajusqu’auxos.

—Si jamais il remet lespieds ici, jem’envaissur-le-champ.Jerefusedemeretrouverdanslamêmepiècequelui,lança-t-elled’untonsansréplique.

—Tusaisbienqu’ilvienttoutletemps,objectaRyan.—Alorsjeneresteraipasici.Sesdentsétaientserrées,sespoingscrispés.Pourquoiéprouvait-elleunetellerageenversJarrod?

Siquelqu’unavaitledroitd’êtreencolère,c’étaitbiensonfrère,queKellyavaitaccuséd’avoirtentédelavioler.Riennetenaitdeboutdanscettehistoire.Etilétaitfatiguéd’essayerd’endémêlerlesfils.

—Jarrodaffirmeavoirmisunpréservatif,lâcha-t-il.IlguettalesconséquencesdesespropossurKelly.Illavitpâlir,sonvisageaffichantuneexpression

douloureuse.Cen’étaitpaslaréactionqu’ilattendait.—Etbienentendu,tul’ascru,murmura-t-elle,auborddeslarmes.—Tuprétendslecontraire?Tusoutiensquelebébéestdemoi?Jusqu’àcetinstant,Ryannes’étaitpasrenducompteàquelpointilsouhaitaitquecefûtlecas.Illa

suppliaitdesyeuxdeleluiconfirmer.Deluidireque,oui,ilétaitbienlepèredecetenfant.Denouveau,levisagedeKellyprituneexpressionindéchiffrable.—Jeneprétendsrien.Ryan aurait pu hurler, tant la situation lui était insupportable. Kelly s’était refermée comme une

huître, et il ne voyait pas comment l’amener à demeilleures dispositions.De frustration, il eut envied’enfoncersonpoingdanslemur.

—Jesorsunmoment,annonça-t-il.Jerapporteraidequoidéjeuner.Ilquittal’appartementenhâte,avantdeformulerdesproposqu’ilauraitrisquéderegretter.Alorsqu’ildescendaitauparking,lasonneriedesonportableinterrompitbrutalementlecoursde

sespensées.—Oui?aboya-t-ildansl’appareil.—Ryan?Lavoixdesamèredéchiralevoiledesonhumeurmaussade.—Pardon,maman,jenevoulaispasêtredésagréable.Unefoisdanssavoiture,ilsedétenditunpeu,sansmettreimmédiatementlecontact.—Ryan,qu’est-cequinevapas?—Rien,maman.Justeunejournéechargée.Ettoi,quoideneuf?—J’espéraisqueJarrodettoiviendriezdînerdemainsoir.Ryan ferma les yeux, inspiramentalement.Ce qu’il avait à lui dire n’était pas facile, et samère

l’apprendraitbientôt,maintenantqueJarrodétaitpassé.Mieuxvalait lamettreaucourant toutdesuiteafinqu’ellesefasseàl’idée.

—Maman,ilfautquetusaches…Kellyestchezmoi…etelleestenceinte.

Al’autreboutdelaligne,ilyeutunpetithoquetdesurprise,suivid’unsilencepesant.—Jevois,déclara-t-elle.J’imaginedèslorsqu’ilseraitmalvenud’inviterRoberta.Labrusqueriedutondesamèrel’agaça.RobertaMaxwellétaitunefemmequ’ellepoussaitdansles

brasdesonfilsdepuisqueKellyétaitsortiedesavie.Sansjamaisdireouvertementleschoses,samèreavaitfaitensortequ’ilsachecequ’ellepensaitde

toutecettehistoire.Ellel’exprimaitpardesnon-ditsaussiclairsquesielleavaitbrandiunebanderole.Ellen’avait jamaisapprouvéKelly. JamaisappréciéqueRyanveuille l’épouser.Néanmoins,elle

était toujours restée courtoise.Ryan l’avait exigé. Il n’aurait permis à aucunmembrede sa famille demanquerderespectàlafemmequ’ilavaitchoisiedefairesienne.

Après ce qui s’était passé entre Jarrod et Kelly, il pensait voir samère jubiler. Or, elle s’étaitmontrée étrangement compatissante.Cependant, la dernière chose à faire en cemoment était d’amenerKellyàundînerembarrassantpourtoutlemonde,poursamèrequiafficheraitunairpincéetpourJarrodquis’entireraitavecDieusaitquellebêtise.

A maintes reprises au cours des derniers mois, il s’était demandé ce qui arriverait lorsque seproduiraitlaconfrontationavecJarrod.Ilétaitfixédésormais,etriennes’étaitdéroulécommeill’avaitimaginé.

—Jepensequenousviendronsunautresoir,maman.LemomentestmalchoisipourKellyetmoi.Abientôt.

Puisildémarrasurleschapeauxderoue.Ilavaitbesoindesecalmerlesnerfs,deprendreunpeudedistance.

Ilroulaauhasardetarrivadevantl’immeubledesonbureausansmêmes’êtrerenducomptequ’ilavait pris cette direction. D’ordinaire, il s’y rendait avec son chauffeur et n’utilisait sa voiturepersonnellequepourquitterlaville.Maisaujourd’hui,iln’étaitpasd’humeuràattendrequ’onviennelechercher.

Une foisgaré, ilmonta, s’attendant à l’expressionétonnéede sonassistant, Jansen, àqui il avaitannoncélematinmêmequ’ilseraitabsentplusieursjours.

Ecartant Jansend’ungeste, il claqua laportede sonbureauet se laissa tomberdans son fauteuilqu’ilfitpivoterverslabaievitrée.

Letempsétaitgrisetfroid,commesonhumeur.AprèscesquelquesjourspassésauTexas,oùlestempératuresétaientbienplusélevées,mêmeenhiver,illuifallaitunpeudetempspourseréhabituerauclimatdeNewYork.

Son téléphone portable sonna. Il faillit ne pas répondre. C’était Cameron, qui insisterait pourconnaîtrelesraisonsdesondépartprécipitédeMoonIsland.RyanétaitcensérevenirdumariagedanslemêmeavionqueCametDevon,maisils’étaitéclipsésurunevagueexcuse.

Décidantdenepasretarderl’inéluctable,ildécrocha.—Devettoiêtesbienrentrés?demanda-t-il.—Tevoilàenfin!Çafaitvingt-quatreheuresqu’onessaiedetejoindre.Oùétais-tudoncpassé?Aprèsunsoupir,Ryansejetaàl’eau.—Mondétectivem’aappelé.IlaretrouvéKelly.Ilyeutunlourdsilence,etilentenditCams’adresseràquelqu’und’autre.ProbablementDevon.—Et?repritenfinCameron.—ElleétaitàHouston.J’aiquittél’îlepourvérifierqu’ils’agissaitbiend’elle.—Et?répétaCam.—C’étaitelle.Jel’airamenéeàNewYorkavecmoi.—Tuasfaitquoi?Maispourquoi,bonsang?

EnentendantlasurprisedeCam,illevalesyeuxauciel.Puis,éprouvantlebesoindes’expliquer,ilpoursuivit:

—Elleestenceinte,Cam.—OhSeigneur!Qu’est-cequileurprend,àtoutescesfemmes,dedébarquerenceintes?Ehbien,

jevaisteposerlamêmequestionqu’àRafaelquandBryonyasurgidenullepart.Commentsais-tuqu’ilestdetoi?

— Je ne crois pas avoir dit qu’il était demoi, rétorqua Ryan avec douceur. Juste qu’elle étaitenceinte.

— Tiensdonc.Alors tu ramènes simplement tonancienne fiancéeàNewYorkparcequ’elle estenceinted’unautre?

—Nejouepasaucrétin.Cequ’ilya,c’estquecetenfantpourraitêtrelemien.Ouceluidemonfrère.Tusaisismonproblème,maintenant?

—Monvieux,situveuxmonavis,tuesfaceàuntasdeproblèmesquejesuisheureuxdenepasavoir.CommentréagitKellyàtoutça?

—C’estbienlehic.Elleestfurieuse.Contremoi.Ellesecomportecommesijeluiavaisfaitdutort.Jenecomprendspas.Ellen’apasprécisédequiétaitl’enfant.Ellen’apasniéquecesoitlemien,pasplusqu’ellen’aconfirméqu’ill’était.

—Ilnet’estjamaisvenuàl’idéequ’ellel’ignorait?demandasèchementCameron.Ryanserenfrognaaussitôt,malàl’aise.—Désolé,monvieux.Ilfallaitbienquequelqu’unledise,repritCameron.Siellecouchaitavec

toi,avectonfrèreetDieusaitquid’autreencore,ellen’aprobablementpaslamoindreidéedequiestlepère.

—Bonsang,Cam,cessetessarcasmes.Tumedonnesmalaucrâne.Kellyn’estpasunetraînée.—Cen’estpascequej’aidit.—Tul’assous-entendu.— Ecoute, Ryan, tu te braques contre lamauvaise personne. Je voulais juste savoir— en tant

qu’ami—si,toujourstransid’amour,tuavaisperdulatête.Maisbon,detoutefaçon,jetrouvaisidiotdetapartd’engagerundétectivepourlarechercher.Ehbien,maintenantquetul’asretrouvée,tudoisgérerlesconséquences.Encoreunefois,jevaistedonnerlemêmeconseilqu’àRafaelquandils’estheurtéàlamêmeinterrogation:appelletonavocat.Exigeuntestdepaternité.

—Jeneveuxpasenarriverlà,répliquaRyan.Jeveuxjustesavoircequiamaltourné.Ils’interrompit,hochantlatête,accablé.Cettediscussionnemenaitnullepart.Danssesmeilleurs

jours,Cameronétaitunebruteimpitoyable.Dèsqu’ilavaitappriscequ’avaitfaitKelly,ill’avaitrejetéeenbloc.Camétaitunepeaudevache,maisunepeaudevacheloyale.

Aprèsuninstantdesilence,cedernierreprit:—Excuse-moi,monvieux.Jecomprendsquetoutcelat’embrouillel’esprit.Personnellement,jete

conseillerais de sortir boire unverre, de draguer unpeu.Mets enfin un terme à ce célibat que tu t’esimposédepuisquetuasplaquéKelly.Maiscommejesaisquetunem’écouteraspas,j’arrêtelà.

Ryanneputs’empêcherd’éclaterderire.—Devveuttedireunmot,alorsjetelepasse,poursuivitCam.Salut!—Alaprochaine,marmonnaRyandanslevide.Unesecondeaprès,lavoixdeDevonretentitauboutdelaligne.— Jenevais pas répéter le discoursdeCamauquel j’adhère à cent pour cent. Je voulais juste

t’annoncerquejevaisdevoirm’absenterquelquetemps.—Ahbon?EscapadeamoureuseavecAshley?

Devgrommelauneinjonctionpeuflatteuse,etRyangloussa.—Non,ilyaunproblèmeaveclaconstructiondel’hôtel,etonadéjàtellementderetardsurce

projetque jepréfère reprendre leschosesenmain.Jemerendssurplace.Ceseraplus rapideetplusefficacequedetenterderéglerlesproblèmespartéléphone.

—Quandpensais-tupartir?demandaRyan,soudainsérieux.—Après-demain.J’auraispréféréplustôt,maisçam’estimpossible.QuantàCam,ilquittelepays

demain,etjepeuxdifficilementdemanderàRafed’écourtersalunedemiel.—Donc,enfait,vousm’appeliezpoursavoirsijepouvaism’encharger.—Ehbien,oui,maismaintenantquejesaisquetoiaussituastonlotdeproblèmes,jevaisyaller.

Jepeuxm’échapperaprès-demain.Ryans’accordaunpetitmomentderéflexion.—Laissetomber,Dev.J’irai.—Eh,attends,vieux!JecroyaisqueKellyétaitavectoi.Kellyenceinte,par-dessuslemarché.—Oui,maisellem’accompagnera.Ceseraparfait.Çanousdonneradutempsloinde…çanous

donneraunpeudetempsseulspourréglerleschoses.Devonsoupira.—Tutiensvraimentàcequ’ellerenoueavectoi?repritDevon.Aprèstoutcequis’estpassé?Lesdoigtscrispéssurletéléphone,Ryanlaissasonregarderrerparlafenêtre.—Jenesaispasencore,concéda-t-il.J’aibesoinderéponsesavantdeprendreunedécision.Mais

sielleestenceintedemonenfant,jenelalaisseraipasrepartir.—D’accord,c’esttoiquiyvas.Jet’envoieparmaillalistedespointsàréglersurlesite,ettume

tiensaucourant.Jepeuxterejoindreàtoutmoment.—Çamarche.Ecoute,jesaisqueCamettoipensezquejesuiscinglé,jen’enappréciepasmoins

quevoussoyezlà.LaréponsedeDevfusaaussitôt,abrupte.—Oui,tuescinglé.Complètement.Maistantquetuesheureux,monvieux,faiscommetulesens.Puisilsraccrochèrent.RyanfixalonguementletéléphonedesyeuxavantdeconvoquerJansen.Illui

donnauncertainnombred’instructions,àcommencerparun rendez-vous leplusvitepossibleavecunobstétricienpourKelly.Elleauraitbesoindel’accordd’unmédecinpourvoyager,etsiellel’obtenait,ilprojetaitdepasserquelquesjoursentêteàtêteavecelle.Peut-êtreparviendraient- ilsalorsàrecollerlesmorceaux.

Ilsemitàrédigerunelisted’achats,ignorantlagrimacedeJansen.IlfallaithabillerKellydelatêteauxpieds.

-5-

Assiseentailleursursonlit,Kellycontemplaitlachambred’unœilvide.Ellenepouvaitpasresterici.Elleavaitétéstupidedepenserqu’ellepourraitvivredansunenvironnementoùelleseraitexposéeàJarrod.

Gardersonsang-froidluiavaitcoûté.Elles’envoulaitdenepasavoirréagialorsquecetteorduresetenaitdansl’encadrementdelaporte,avecsonairinnocent,maisl’apercevoirl’avaitpétrifiée.

Elledétestaitsesentiraussiimpuissante.Jamais,plusjamaisellenesemontreraitaussipassive!Laprochaine foisqu’ellecroiserait ce sale type,elle lui flanquerait sonpoingdans la figure,enceinteoupas.EtellenemanqueraitpasdedireàRyantoutlemalqu’ellepensaitdesoncherpetitfrère.

CommeellehaïssaitJarrod!EllehaïssaitRyanaussi,deluiavoirtournéledosaumomentoùelleavaiteuleplusbesoindelui.

Non,ellenepouvaitpasrester.Pasuneminutedeplus.Quelles options avait-elle ?Cette fois, elle ne fuyait pas sur un coupde tête, sans se soucier de

savoiroù levent laporterait.Elleallaitmettreaupointunsolidepland’actionet se réfugierdansunendroittranquilleetsûr—unbonendroitpouréleversonenfant.

—Tuvaspartir,n’est-cepas?LavoixdeRyanluiparvintduseuildelapièce.Ellesursautad’unaircoupableavantdeleverles

yeux sur lui. Furieuse d’éprouver ne serait-ce qu’une seconde de mauvaise conscience totalementinjustifiée,elles’efforçadedurcirsonregard.

—Jen’aiaucuneraisonderester.—Viensavecmoidanslesalon,répliqua-t-ilenluitendantlamain.Durantplusieurssecondes,ellesecontentaderegardercettemaintendue.Elleauraitmieuxfaitde

refuser,maisquelquechosedanslavoixdeRyanl’incitaàaccéderàsarequête,etellefinitparglissersamaindanslasienne,bienplusgrande.Ill’aidaàseleverdulitetlaconduisitdanslesalon.

S’asseyantsurlecanapé,ill’attiraàcôtédeluietsepassanerveusementlamaindanslescheveux.—Jemesuisconduitcommeunimbécile,etj’ensuisdésolé.Tun’espasenétatdesupportertant

destressetdepression,etjen’aifaitquerajouteràtonfardeau.Commeelleouvraitlabouchepourparler,ilposaundoigtsurseslèvres.— Laisse-moi terminer. J’aipassé lamatinéeaubureau.Nous rencontronsuncertainnombrede

problèmessurunprojetextrêmementimportant,etmesassociésnepeuvents’enoccuper.Desproblèmesquirequièrentmaprésenceetmonattentionimmédiates.Jeveuxquetum’accompagnes.

Ebahie,elleleconsidéraensilence.Pourquoi?Ellenesaisissaitpas.Pourquoilestorturerainsi?

Pourquois’obstinait-ilautantàranimerleurrelation?C’estluiquiyavaitmisfin,rendantsonjugementetlacondamnantcommesiellen’avaitjamaisriensignifiépourlui.

Elles’apprêtaitàluiposerlaquestionquand,denouveau,ill’intimaausilence.— Laisse-moi m’occuper de toi, Kelly. Oublions pour l’instant les obstacles du passé et

concentrons-noussurleprésent.—Tun’espassérieux.—Jesuistrèssérieux.Jen’ai jamaisétéplussérieuxdemavie.Nousavonsuntasdechosesà

tirerauclair.Etnousn’yarriveronspas sinousne sommespasdisposésàpasserdu tempsensemblepourendiscuter.

Jamais de toute son existence elle n’avait autant eu envie de pleurer. Si seulement il avait étédisposéàl’écouteravant.Siseulementilavaitétédisposéàdiscuter,àcomprendreaumomentoùillefallait. La seule personne entre toutes sur laquelle elle aurait dû pouvoir compter l’avait froidementtraitéedementeuse.Etmaintenant,ilvoulaitl’embrasser,luifairel’amour?

Il lui effleura le visage, et elle fut surprise de constater que sesdoigts tremblaient sous sapeau.Devantsonregardimplorant,ellesesentitprêteàrenoncer.Seigneur,ellen’envisageaittoutdemêmepasdeparticiperàcettefarce?Incapabledeparler,ellefit«non»delatête.

D’unemain posée sur sa joue,Ryan arrêta sonmouvement et semit à effleurer délicatement seslèvres.

—Nipression,nipromesses,niobligations.Rienquetoietmoipourunesemainedereposauborddelamer.C’estundébut.C’esttoutcequejetedemande.Jenetedemanderaiquecequetuveuxbiendonner.

—Maislebébé…—Jamaisjeneferaisquoiquecesoitquilemetteendanger,assura-t-ild’unevoixdouce.Oute

mette toi en danger. Tu devras voir lemédecin afin qu’il te donne l’autorisation de voyager.C’est laconditionsinequanonpourquejet’emmène.

Kellybaissalesyeuxsursesmainsserréesdanssongiron.Lapropositionétaittentante.Tellementtentante.Ildemandait,iln’exigeaitpas,etl’espaced’uninstant,ellefutramenéeàl’époqueoùilsétaientensemble—lorsqu’ilétaitleRyanmerveilleux,tendreetattentifàquielleétaitfiancée.Pourrait-ellelequitterdenouveauaprèsunesemaineensacompagnie?Carellen’avaitaucunaveniraveccethommecapabledebalayerfroidementleurrelationsurlaparoled’unautre.

Lesilences’étiraentreeux, tandisqu’ellebataillaitavecsadécision.Oui,elle l’accompagnerait.Ellenesavaitpastroppourquoi.Rienn’ensortirait,maiselledésiraitcetteparenthèseaveclui,avantderepartiretsuivrelecoursdesavie.Lorsqu’elleacceptasapropositiond’unsignedetête,elleperçutunelueurdesoulagementdansleregarddeRyan.Commeilluiétaitfaciledeprétendrequecelaluitenaitàcœur !Mais ce n’était pas le cas, bien sûr. Sinon, ils seraient encore ensemble,mariés, à attendre lanaissancedeleurpremierenfant.

—Nousironschezlemédecincetaprès-midi.S’ilt’accordesapermission,nousprendronsl’aviondemain.Ilfautdoncquetutereposesaumaximumaujourd’huietcettenuit.Unefoislà-bas,tupourrastedétendre,profiterdelaplage.

—Jeveuxdeschambresséparées,lecoupa-t-elle.—Jenousairéservéunesuite.Ellefronçalessourcils,maisn’argumentapas.—Tuneleregretteraspas,Kell,ajouta-t-il,revenantausurnomqu’illuidonnaitdanslepassé.Uneétrangeenviedefondreenlarmeslasubmergea.Comments’étaient-ilséloignésàcepointdes

projetsqu’ilsformaientàpeinequelquesmoisplustôt?

—Onpeutyarriver,Kell.Onpeuttoutarranger.Elle ferma les yeux.C’était si simple de se laisser séduire par l’intensité qu’ilmettait dans ces

paroles.Maistoutprogrèsserait impossibletantqu’ilsn’auraientpasclarifié leschosesentreeux.Or,ellerefusaitàtoutprixdereveniràcejourfunesteoùsonuniversavaitsibrutalementbasculé.

***

Le médecin approuva pleinement une semaine de repos et de détente pour Kelly, mais luirecommandadeconsultersanstardersisonœdèmeempiraitousielledéveloppaitd’autressymptômes.

Ryanétaitsuspenduauxparolesdupraticien,secomportantcommeunépouxetfuturpèreconcerné.Cequi,aulieudelaréjouir,ladéprimaauplushautpoint:sonattitudenefaisaitquesoulignercombienleursituationétaitsansissue.

Lorsqu’ilsregagnèrentl’appartement,plusieurssacsdegrandsmagasinsétaiententassésprèsdelaporte. Elle les examina d’un œil soupçonneux : ces sacs portaient l’enseigne de magasins de modeféminine.Sauferreurdesapart,l’und’euxprovenaitmêmed’unegrandemarquedelingerie.

ElleinterrogeaRyanduregard.—Ah,parfait,Jansenestpassé,s’exclama-t-il.C’estpourtoi.Pournotrevoyage.Ilsaisitlesnombreuxsacsetlesdéposasurlecanapé,puisl’invitaàlesouvrir.L’esprit un peu confus, elle découvrit des robes bain de soleil pour femme enceinte, d’élégantes

tenues de créateurs, ainsi qu’une panoplie de plage complète, sandales comprises. Comme elle lesoupçonnait,lesacdelingeriecontenaituneséried’ensemblesaffriolants.

—Tun’auraispasdûfaireça,murmura-t-elle.Avec quelle aisance ils avaient repris leurs anciennes habitudes, songea-t-elle, au comble du

malaise.—Cen’estpasmoi,objecta-t-il.J’aienvoyéJansen.Malgréelle,ellesouritenimaginantlemignonassistantdeRyandéambuleraurayonmaternitéd’un

grandmagasinet,plushilarantencore,entrerdansuneboutiquedelingeriepouracheterpetitesculottesetsoutiens-gorge.

—Commentva-t-il,d’ailleurs?demanda-t-elle.—Bien,fidèleàlui-même.—Mercipourtoutça,entoutcas,ajouta-t-elle,ravalantprovisoirementsafiertésacrée.Ryanluiadressaunsouriresincère.— Je t’enprie.Maintenant, va t’allongerunmomentpendantque je faisnosvalises.Ensuiteon

dînera.Avantd’allersecouchertôt,puisqueledépartestprévupourdemainmatin.Elle se leva. Elle s’était radoucie vis-à-vis de lui et s’en voulait. Elle s’en voulait aussi de

souhaiter,neserait-cequ’uninstantfugace,queleschosesredeviennententreeuxtellesqu’ellesl’étaientparlepassé.

Maislaculpabilitén’empêchaitpasledésirardentqu’ellesentaitseranimerauplusprofondd’elle.Brusquementenvahiedetristesse,ellequittalesalonenhâte,afinqueRyannevoiepasseslarmes.

***

Lelendemainmatin,Ryanlasecouaavecdouceur,etelles’étiralangoureusementavantdesortirdulit.Pendantqu’ellesedouchait,ilpréparalepetitdéjeuner.Puisilrassemblaleursbagagesqu’ilportaàlavoiture.

Surlechemindel’aéroport,Kellyrestasilencieuse.Ensonforintérieur,elledevaitbienadmettrequ’elle était, pour part, un peu excitée à la perspective d’une semaine paradisiaque en compagnie deRyan.Maiselle redoutaitaussicette intimité forcée.Elles’était tellement focaliséesursacolèreetsahaine qu’elle était choquée de prendre conscience qu’elle était toujours profondément amoureuse deRyan.Aurait-elledestendancesmasochistesprononcées?

Commentpouvait-elleaimerunhommequide touteévidencenepartageaitpassessentiments,et,quiplusest, l’aimerendépitde la trahisondont ils’était renducoupableàsonégard?Ellesesentaitpitoyable.

Asagrandesurprise,ilsneprenaientpasunvolcommercial.Ryanavaitaffrétéunjetprivépourlesconduiresansescalejusqu’àl’île.

Levolneduraitquequatreheures,mais,àmi-parcours,ellecommençaàremuersursonsiège.Ellesesentaitnerveuse,àcran,etavaitlespiedsankylosés.

—Pourquoinepasinclinertonsiège?suggéraRyanensepenchantpourl’aider.Elleobtempéra.—Allonge-toisurlecôté,quejetemasseledos,poursuivit-il.Tropincommodéepourrepoussersonoffre,ellesemitsurlecôté,faceauhublot.LesdoigtsvigoureuxettendresdeRyanentreprirentalorsunelenteexplorationdesondos,massant

etfrottant lespointssensibles.Ellesoupiraitd’aiseàmesurequelatensiondesesmuscless’atténuait.Ensuite,caléeaumieuxdanssonsiège,elles’abandonnaauxsensationsexquisesqueluiprocuraientlesmainsdeRyan.

L’espaced’uncourt instant,ellechassa lepassédesonespritet se refusaàsongerà l’avenir, seconcentrantuniquementsurlefaitqu’elleétaitavecRyan,etqu’ilsecomportaitaveclamêmetendresseetlemêmeamourquelorsqu’ilsvivaientensemble.

Elles’assoupit,unsourireauxlèvres.Lorsqu’ils furent sur le point d’atterrir, Ryan la réveilla et redressa son siège. Elle se sentait si

détendueetengourdiequ’elleattendittranquillementquel’aviontoucheletarmac.Un quart d’heure plus tard, Ryan la fit descendre, un bras protecteur autour des épaules, puis

l’installadans lavoiturequi les attendait avantdevérifier le chargementdesbagages.Puis lavoituredémarra.

Ilsdescendirentdansunsomptueuxhôtelsurlaplage.Surletondelaplaisanterie,Ryanl’informaquequandl’établissementqu’ilconstruisaitavecsespartenairesseraitachevé,celuioùilsvenaientdeprendreleursquartiersferaitfiguredepensiondefamille!

Kellyeutdumalàlecroireenpénétrantdansla luxueusesuite,vingtfoisplusspacieusequesonappartementàHouston.

Elleselaissatombersurlecanapé,faceauxbaiesvitréesdonnantsuruneterrasseetunaccèsdirectàlaplageprivée.Ryans’agenouilladevantelleetluiôtaseschaussuresafindevérifiersiseschevillesétaientgonflées.Puisilluimassalaplantedespieds,remontantlelongdelacambrureetsouslesorteilsenlentsmouvementsappuyés.Ellelaissaéchapperungémissementdepurplaisir.

—Çafaitdubien?—Oh,oui…Ilcontinuaenl’observantensilence.Elleglissalamainsursonventrearrondietsourittandisquele

bébéroulaitsoussesdoigts.—Ilbouge?demandaRyan.Elleopinasansunmot.—Jepeuxtoucher?

PrenantlamaindeRyan,ellelaposaàl’endroitoùs’étaittrouvéelasienne.Ilsursautadesurpriselorsqu’unebossejaillitsoussapaume,etunestupéfactionémerveilléeselutsursonvisage.

—C’estincroyable.Çanefaitpasmal?—Non,répondit-elleavecunpetitrire.Cen’estpastoujourstrèsconfortable,maisenaucuncas

douloureux.Ilylaissasamainquelquesinstants,puissereleva,unelueurderegretdanslesyeux.—Tupréfèresdînersurlaterrasseoudanslasallederestaurant?proposa-t-ilensuite.—Ici,s’ilteplaît.J’adorelavue,etc’estplusintime.Ilopinaetsedirigeaversletéléphonedelasuitepourcommanderleurrepas.Unedemi-heureplustard,unemployéarrivaitavecunetableroulanteetinstallaitlecouvertsurla

terrasse.Ilsmangèrentensilence,admirantlesoleilcouchant,danslebruitdesvaguesquis’écrasaientsurlerivagetoutproche.

Leur repas terminé,Ryansuggérad’aller secoucher,maisKellyn’étaitpas fatiguée.Avraidire,ellesesentaitmêmeplutôtreposée,etbrillaitd’impatiencededécouvrirleurpetitecriqueisolée.Quandelle exprima le désir de faire une promenade sur la plage, Ryan hésita, puis, devant son insistance,acceptadel’accompagner.

Kellyrespiraitleseffluvesmarins,etlabrisesoulevaitseslongscheveux.Ellesedébarrassadesessandalesetsepenchamaladroitementpourlesramasser.Ryanlapritdevitesseetcoinçaseschaussuressous sonbras.Lesorteils s’enfonçant dans le sable humide, elle s’aventura aubordde l’eau, laissantl’écumeduressacbaignersespieds.

Ryanôtaàsontourseschaussures,roulal’ourletdesonjeanetlarejoignit.Ilpassaunbrasautourdesatailleetl’entraînalelongdelaplage,tandisqu’ellerésistaitàl’enviedeseblottircontrelui.

—Onnedevraitpasallertroploin,dit-il.Tun’espascenséeresteraussilongtempsdebout.J’aipromisaudocteurqueceseraitunséjourdereposcomplet.

— C’estmille fois plus reposant quede travailler debout douzeheures par jour, répliqua-t-elled’untonléger.

LebrasdeRyanseresserraautourdesataille.—Celan’arriveraplus,déclara-t-ild’untongrave.Elle ne répondit pas,mais fit sagement demi-tour en direction de leur suite.Une fois les portes-

fenêtresfranchies,elles’écrouladanslecanapémoelleux.—Tuveuxboirequelquechose?demanda-t-il.—Unjusdefruit,situenas.— Tu devrais aller te coucher maintenant, insista-t-il après lui avoir apporté un verre de jus

d’orange.Tuaurastoutletempsd’explorerlaplageaprèsunebonnenuitdesommeil.Bien qu’elle se sente épuisée, la journée avait été si…parfaite qu’elle rechignait à ymettre fin.

Passer autant de temps avecRyan avait été une expériencedouce-amère, un renvoi à une époqueplusheureuse,quandleschosesétaient…

Elle soupira. Il fallait qu’elle cesse d’égrener les souvenirs. Elle allait passer une semaine encompagniedeRyan.Unesemainedurant laquelle lepassénedevaitpascompter.S’ilétaitcapabledel’oublier,elleaussidevraits’yefforcer.

A grand mal, elle tenta de s’extirper du canapé trop confortable et éclata de rire en constatantqu’elleétaitbeletbiencoincée.Ryanl’aidaàserelever.

Durantunlongmoment,ellesetintdevantlui,caressantduregardleslignesciseléesdesonbeauvisage.C’étaitlapremièrefoisqu’elleselaissaitalleràlecontempler.

—Bonnenuit,Ryan,finit-elleparmurmurer.

Il parut sur le point de l’embrasser, et un instant, elle se demanda comment elle réagirait s’il lefaisait.

—Bonnenuit,Kelly,répondit-il.Dorsbien.Ellesedétournapourgagnersachambre,lecœurtenailléderegret.

-6-

Cettenuit-là,Kellydormitpeu.Cequinelasurpritguère.Allongéetoutéveilléedanssonlit,elleseremémoralepassé.SarencontreavecRyan.Soncoupdefoudreinstantanépourlui,soninvestissementdansunerelationpassionnéeetdévorante…

Dupremiersoiroùill’avaitinvitéeàdîner,ilsnes’étaientpasquittéspendantplusieurssemaines.Dèslafindupremiermois,elles’installaitchezlui,etàlafindusecondmoisdeleuridylleéclair,illuiavaitoffertunebague.

Ellen’avait jamaisbiensupourquoi il l’avaitchoisie.Nonqu’ellesesenteinférieure,maisRyanBeardsleyétaitunhommeextrêmementriche.Ilpouvaitjetersondévolusurn’importequellefemmedesonmilieu.Alorspourquoielle?

Ellen’avaitnirelations,nifortune,niprestigesocial.Ellen’étaitqu’unesimpleétudiantesubsistantavecunsalairedeserveuse.

Jusqu’àRyan.Toutavaitchangépourelle,etpeut-êtres’était-elle retrouvée trophappéepar le tourbillondece

contedeféespours’interrogersurl’essentiel.Parexemple,s’ill’aimaitetluifaisaitconfiance.Commentréagirait-ilaujourd’huisielletentaitdeluiracontercequis’étaitréellementpassélejour

oùill’avaitsortiedesavie?Ilnel’avaitpascruealors.Pourquoienserait-ilautrementaujourd’hui?

***

Kelly contemplait le test degrossesse, le cœurgonflé de joie et d’une légère appréhension.Ellecachaprestementletubedeplastique,puissouritens’imaginantannoncerlanouvelleàRyan.Elledoutaitqu’ilensoitcontrarié.Ilsprévoyaientdesemarierbientôtetavaientsouventévoquéleurdésirdefonderunefamille.

Elleétait impatientede lemettreaucourant.Elleessayade se souvenirde sonprogrammede lajournée. Il n’avait aucune réunion importante et devait passer tout l’après-midi au bureau. Ce quisignifiaitqu’ellepouvaityfaireunsautetluiapprendrelamerveilleusenouvelle.

Toutàsajoie,ellesemitàdanserdansleurchambre.Unbruitdanslesalonl’arrêta.Puisellesouritdenouveau.Oh,voilàquiétaitparfait!Ryanvenaitderentrer.Illuifaisaitparfoislasurprisedepasserdéjeuner.Celanepouvaitpasmieuxtomber.

Ellel’appela,quandJarrodapparutsurleseuildelachambre.Sur le coup, elle resta sans voix. Si Jarrod venait souvent à l’improviste, il le faisait toujours

lorsqueRyanétaitlà.Or,iln’étaitpassanssavoirquesonfrèredevaitsetrouveràsonbureau.—Jarrod,qu’est-cequetufaislà?Ryantravaille.Jenel’attendspasavantcesoir.—Jesuisvenuteparler,répondit-il.—D’accord.Passonsdanslesalon,tuveuxbien?Ill’ignoraetfitunpassupplémentairedanslachambre.Ellesentitunfrissondemalaisecourirdans

sondos.QueluivoulaitJarrod?—Combiendemanderais-tupourquitterRyan?demanda-t-il.Elleouvritdegrandsyeux,certained’avoirmalcompris.—Pardon?— Ne joue pas les idiotes. Tu es une fillemaligne.Combien voudrais-tu pour plaquerRyan et

disparaître?—Pourquimeprends-tu?C’esttamèrequiestderrièretoutça?Vousêtescingléstouslesdeux.

J’aimeRyan.Ilm’aime.Nousallonsnousmarier.Un éclair de ce qui ressemblait à un remords non feint traversa le visage de Jarrod. Il s’agita

nerveusementetrivasonregardausien.—J’espéraisquetusauraisfairepreuved’intelligence.C’estunegrossesommequenoust’offrons.Le«nous»confirma les soupçonsdeKellyquant à l’implicationde lamèredeRyandanscette

sordidehistoire.Elles’apprêtaitàlesenvoyerpromener,Jarrodetelle,entermeschoisis,quandilfitunpasdeplusdanssadirection.Lalueurdanssesyeuxlafitreculerprécipitamment.

—Jecroisquetudevraispartir,dit-elleentendantlamainversletéléphone.MaisJarrodbonditentraversdulit,luiarrachantletéléphoned’unreversdelamain.Tétaniséepar

cetteattaquebrusquequ’ellen’avaitpasanticipée,ellefutincapabledesedéfendre.Alorsillarenversasurlelit,lesmainsparcourantsoncorpsavecbrutalité,écartantsonchemisier,

tirantsursonslip.Ellelevaungenou,essayadel’atteindreaubas-ventre,maisilesquivaetlafitroulersouslui.

Il la malmenait avec une telle violence qu’elle hurla de douleur. Elle était à la fois furieuse etterrifiée.Ilavaitclairementl’intentiondelaviolersurlelitdeRyan.Etait-ildevenufou?Ryanallaitletuer.

La rudesse de ses mains sur sa peau la blessait. Consciente que si elle ne parvenait pas à lerepousser,ill’agresseraitdanssaproprechambre,elleredoubladevigueurpoursedéfendre.

Elle finit par lui porter un coup entre les jambes, et il se courba en deux, ratatiné sur lui-même.Roulantsurlecôté,elletombaparterre,désespérémentagrippéeàsesvêtements.

Unefoisdebout,ellepressalamaincontresagorgemeurtrie.—Iltetuerapourça,haleta-t-elle.Tucroyaisréellementpouvoirt’entirerentouteimpunité?Mon

Dieu,maistuessonfrère!Espèced’enfoiré!Elle sedirigeavers laporte,uneseulepenséeen tête, aller trouverRyan, lorsque lesparolesde

Jarrodl’arrêtèrent.—Ilnetecroirajamais.—Tuesdingue,répliqua-t-elled’unevoixétrangléeenseprécipitantdehors.MaisJarrodavaiteuraison.Ryannel’avaitpascrue.Sonfrèrel’avaitappelésur-le-champ,dèsle

départdeKelly.IlavaitdonnéàRyansapropreversiondesfaits,etlegéniedesonrécitavaitétédeleprévenir précisément de ce que Kelly lui dirait. Sauf que Jarrod avait raconté à Ryan qu’elle étaitl’instigatricedelascène,etquequandill’avaitavertiequ’ilallaitinformerRyanqu’ellel’avaittrompé,Kellyavaitinventécettefaussehistoiredeviol.

Jarrods’étaitmontrétrèsconvaincant,seprétendantvictimedesmensongesetdesmanipulationsde

Kelly.Aussi,lorsqueKellyentraentrombedanslebureaudeRyanetluirelatalesfaitstelsqu’énoncésparJarrod,Ryanentradansunecolèrenoire.

Illuiavaitfaitunchèqueetl’avaitjetéehorsdesavie.

***

Allongée dans son lit,Kelly ressassait ces souvenirs douloureux.Aujourd’hui, sur cette île, elleétaitcenséeoublierlepassé.Tournerlapage.Allerdel’avantetreprendrelàoùRyanetelleenétaientrestés.

Oublierqu’elleavaitététerriblementtrahiepardesgensàquiellefaisaitconfiance…LorsqueRyantoquadoucementàsaporte,elles’extirpadesespensées,accabléequelejoursoit

déjàlevéetqu’elleaitàpeinefermél’œil.Nonsanspeine,ellequittalelit,s’enrouladansunpeignoiretallaouvrir.Ryan se tenait dans l’encadrement, vêtu d’un pantalon droit et d’une chemise unie.Une tenue de

travail,comptetenuducontexte.Ils’apprêtaitvisiblementàpartirpoursonchantier.—Jet’ailaissédequoipetitdéjeunersurlebar.Jedoisfilerréglermesproblèmes.Çameprendra

quelquesheures.Tuvast’ensortirtouteseule?Elleacquiesça,soulagéedenepasseretrouvertoutdesuiteentêteàtêteaveclui.Elleavaitbesoin

detempspourreprendrecontenance.Pourreconstruiresesdéfenses.—Oui,biensûr.Quandseras-tuderetour?Ilconsultasamontre.— Voyons. Il est 8 heures. Je devrais être là vers midi au plus tard. On pourrait déjeuner au

restaurantdel’hôteletensuitefaireunebaladesurlaplage,situveux.N’yvapassansmoi,enrevanche.Çam’inquiéteraitdetesavoirlivréeàtoi-même.

Ellelevalesyeuxauciel.—Jepenseêtrecapabledequitterlachambretouteseule,tusais.—Jelesais,répliqua-t-il.Maisjepréfèreêtreavectoi.Commeellenetrouvaitrienàrépondre,ellehochalatête.—Atoutàl’heure,alors,dit-elle.Ilpritcongéd’unpetitsigne.Avantderefermerlaporte,ellelesuivitquelquesinstantsdesyeux.Journo1delatentativepouroublierlepasséetallerdel’avant.—Commentçasepasse?marmonna-t-elleengagnantlasalledebainsd’unpastraînant.Bienqu’elleaitlafermeintentiondeprofiteraumoinsdelaportiondeplageprivéejusteau-delàde

leurterrasse,elleavaitenvied’ungrandbainchaud.Mêmesicelasignifiaitqu’elledevraitreprendreunedouchequandellerentreraitcouvertedesable.

Elle se plongea avec délice dans l’eaumousseuse, pas trop brûlante, car elle ne comptait pas yresterlongtemps.Ellecomptaitprendreensuiteunbaindesoleil.

Vingtminutesplustard,elleouvritàregretlabondeetsehissahorsdelabaignoire.Sonestomacgargouillait,aussisehâta-t-elledes’habilleretdesemaquillerjusteassezpourêtreprésentable.

Elledévorajusqu’àladernièremiettelebagel,lepetitpainàlacannelleetlesfruitsqueluiavaitlaissésRyan.Ellese lécha lesdoigts,avec l’impressiond’êtreunvéritablepetitcochon,maisunpetitcochontrèscontent.Celafaisaitunboutdetempsqu’ellen’avaitpaseuautantd’appétit,etdessemainesqu’ellen’avaitpasmangéd’aussiboncœur.

Aprèsavoiravaléungrandverredejusd’orange,ellepartitàlarecherched’uneserviettedeplage.Elleavait remarquédesparasolsplantéssur labandedesable réservéeà l’hôteletprévoyaitde

fairebonusagedel’und’euxenattendantleretourdeRyan.Aprèsdesmoisdestationdeboutdurantd’interminablesheuresdetravailingratpourunsalairede

misère,unejournéeànerienfairesurlaplagesemblaitlecombledel’épicurisme.Elleallaitensavourerchaqueminuteàsajustevaleur.

Commeellen’avaitquequelquespasàfaire,ellen’enfilapassessandales.Lesableétaitexquissous ses pieds nus. Si chaud, si doux. Elle soupira de plaisir en se dirigeant vers les parasols toutproches.

Le son de l’océan emplit ses oreilles, magnifique, paisible. Oui, c’était un lieu où elle pourraitoublierlasouffrancedupassé.Unlieud’apaisement.Desvacancespourl’âme.

L’expressionsonnaitunpeuridicule,maiselleluiplaisait,etKellyl’adoptaaussitôtcommeslogandesonséjoursurl’île.

Elleétalalaserviettesurlesable,rectifialapositionduparasolets’allongea,lesgenouxrelevés,leregarddirigéverslesvaguesquiroulaientsurlerivage.

Paupièrescloses,elleinspiraàfondl’airmarin,goûtantlabrisequidansaitsursonvisage.Sanuitblanche la rattrapa rapidement, tandis que ses muscles contractés se relaxaient et que la tension silongtempscontenues’estompaitpeuàpeu.

Bientôt,elleeutdumalàgarderlesyeuxouverts,alorselles’étenditsurlecôté,faceàl’océan.Leparasoll’ombrageaitentièrement.Commentrésisteràunepetitesieste?

Peuaprèsmidi,RyanregagnalasuiteetcherchaKelly.Ill’appela,sansobtenirderéponse.Ilpassadanslachambre,aucasoùelleseseraitassoupie,maisconstataqueleslitsavaientdéjàétéfaits.

Ilsoupira,comprenantqu’elleavaitfaitfidesoninquiétudeetdesesrecommandations.Nonqu’ilcraignequ’illuiarrivequoiquecesoit,niqu’ellesoitincapablederesterseule,maissonétatdesantélepréoccupait. Il semontrait probablement un peu trop protecteur,mais avecKelly, il avait— et avaittoujourseu—tendanceàréagirdemanièreexcessive.

Sortant sur la terrasse, il balaya la plage du regard. Comme il ne l’aperçut pas, il s’avança endirectiondesparasols.

Parvenuautroisième,illavit,allongéesurlecôté,lesyeuxfermés,sibelle—etsivulnérable—quesoncœurseserra.

Ilobservasapoitrines’éleverets’abaisseraurythmepaisibledesarespiration.L’arrondidesonventresaillaitsousletissufleuridusarongquil’enveloppait.Elleavaitlespiedsnus,etilremarquaseschevillesencoreenflées.

L’œdèmeétaitmoinsimportantqu’iln’avaitété,maisl’alarmanéanmoinsbeaucoup.Agenouilléauprèsd’elle,ilcaressasescheveuxblondsetsoyeux.Puisilglissalamainlelongde

sonbras,surlacourbedesahancheetenfinautourdesonventrerebondi.Ellesoupiradanssonsommeil,remuapourserapprocherdelui.L’enviedelaprendredanssesbras

futsoudainsifortequ’ilretirasamainpourseretenirdelefaire.Si au moins il pouvait effacer les six derniers mois ! Hélas, il devait à présent composer non

seulement avec la trahisondeKelly,mais également avec le fait qu’elle portait son enfant.Qu’elle lereconnaisseounon,ilsentaitauplusprofonddeluiqu’ilétaitlepèredecebébé.Ilrefusaitdepenserqu’ilensoitautrement.

Illasecouapourlaréveiller,nevoulantpasqu’ellefûttropexposéeauxrayonsdusoleildemidi,avecousansparasol.Ellefitlentementsurfaceetposasurluiunregardensommeillé.Sondouxsourireravil’emplitdebonheur.

—Quandes-turevenu?demanda-t-elled’unevoixencoreendormie.—Ilyaquelquesminutes,répondit-il.Tuesprêteàallerdéjeuner?

Elle acquiesça et se redressa. Il tendit lamain pour l’aider à semettre debout, et elle accepta,mêlantsesdoigtsauxsiens.Puis,unbrasautourdesesépaules,illaramenadansleursuite,heureuxdecesinstantsd’intimitéquiluiétaientofferts.

Tandisqu’ellesedouchaitetsechangeait,ilappelaDevonpourlemettreaucourantdel’évolutionduchantier.Lesdeuxhommesdiscutèrentplusieursminutes,aucoursdesquellesDevnementionnapasuneseulefoisKelly.Ryanluienfutreconnaissant.

Peuimportaitquesesamisetsafamilleleconsidèrentcommeunfou:ilsavaitcequ’ilavaitàfaire.Jamaisiln’avaitcessédepenseràKellyduranttouscesmoisayantsuivileurrupture.Ilétaitpeut-êtrelepireidiotquelaterreaitporté,maisunidiotdéterminéàtirerleschosesauclairentreeux.Mêmesiceladevaitsesolderparunerupturedéfinitive.

LorsqueKellysortitdesachambre,ilremarqual’éclatdanssesyeux,unéclatqu’iln’avaitpasvudepuis qu’il l’avait retrouvée dans le café-restaurant de Houston. Elle ressemblait terriblement àl’ancienneKelly.LaKellydontilétaitamoureuxfou.Celletoujoursprêteàsourire,àrireetsitendre.

LaKellyréservée,encolère,étaituneinconnuepourlui.Ellesemblaitun tantinetnerveuse, incertaine,et ildétestacettebarrièreentreeux.Dans lepassé,

elleluiauraitsautésanshésiterdanslesbraspourl’embrasseravecfougue.Qu’enétait-ilaujourd’hui?Ilmouraitd’envied’abolircettedistanceentreeux.—Prête?lança-t-ild’untonaussidétachéquepossible.Elleopina.Ilposaunemaindanssondos,remarquantlepandepeauexposéeparlarobebainde

soleil.Jansenavaitbienchoisi.Larobeluiseyaitàmerveille,lamoulantauxbonsendroits.Lehautétaitretenupardesliensnouésderrièrelanuqueetsondosentièrementdénudéjusqu’auxcreuxdesreins.

Sa paume le démangeait. Il brûlait de lui caresser le dos, de lui prouver que leur attiranceréciproqueétaittoujoursvive.

Ils arrivèrent au restaurant qui donnait sur l’océan et furent conduits jusqu’à une alcôve isolée,cernéeparuneimmensebaievitrée,leuroffrantunevueimprenablesurlaplage.

Pendantqu’ilsétudiaientlacarte,RyanobservaKellyàladérobée.Commesiellel’avaitsenti,ellerelevalatêteetluiadressaunsouriretimide.Illuirenditsonsourire,captivéparl’éclatdesesprunellesd’azur.

Elle était… incroyablement belle.Cette fois, dans son regard, il ne vit pas la colère si présentedepuisleursretrouvailles.

Puisuncriaigumitfinàlamagiedecetinstant.—Ryan!Qu’est-cequetufaisici?Lavoixfémininerésonnadanstoutelasalle,lefaisanttressaillir.Kellysursauta.D’uncoupd’œil,

ilreconnutRobertaMaxwellquiseruaitversleurtable.Ilétouffaunjuron.Ilselevaàsonapproche,effleurad’unbrefbaiserpolilajouequ’elleluiprésentait,puistentade

récupérersamainquandelles’yaccrocha.—Jesuislàpourletravail.Lavraiequestionest,qu’est-ceque,toi,tufaisici?Ellelâchaunrirecristallin.—Oh,c’estundemesendroitspréférés!J’adorevenirici.Lanourritureestdivineetleservice

exceptionnel.Ellejetauncoupd’œilendirectiondeKellyquil’observaitd’unœilméfiant.—Quiest-ce,Ryan?CommesiellenesavaitpasquiétaitKelly,etcommesiellesetrouvaitlàparhasard!songea-t-il,

furieux. Il aurait parié queRobertaMaxwell n’avait jamaismis les pieds àStAngelo de sa vie. Sonmensongeétaitcousudefilblanc,etellesemblaits’enmoquercommed’uneguigne.End’autrestermes,

ellen’étaitlàquepourluicauserdesennuis.Toutescesmanigancesportaientlasignaturedesamère,etlacolèreluidonnaenviedetordrelecoumincedeRoberta.Puisceluidesamère.Jamaisiln’auraitdûl’informerdesondépart,etencoremoinsdesadestination.Ilavaitespéré…Bon,peuimportecequ’ilavaitespéré.Robertasetrouvaiticiet,àcoupsûr,cen’étaitpasunecoïncidence.

— Roberta, je te présente Kelly Christian. Kelly, voici une de mes connaissances, RobertaMaxwell.

Unsourireéblouissantauxlèvres,RobertaagitaingénumentlesdoigtsversRyan.—Ohlala,chéri!Jeméritetoutdemêmeplusquelegradedesimpleconnaissance.Kellyplissalesyeux,etRyandécidaquelapolitesseavaitseslimites.—Nousdéjeunonsenprivé,Roberta.Tuveuxbiennousexcuser,s’ilteplaît?Nullementébranlée,Robertaenroulasonbrasautourdusien,avantdesusurrerd’unevoixféline:— Il faudra qu’on passe un moment tous les deux pendant que tu es là. Peut-être même dîner

ensemble.J’aitellementregrettétonabsencel’autresoircheztamère.Jel’adorevraiment,tusais.Ilsedégageadesonétreinteets’écarta.—Jecrainsquemon temps icinesoitdéjà trèspris,déclara-t-ild’un tonferme.Maispeut-être

qu’ànotreretouràNewYorkKellyetmoipourrionsterecevoiràdîner.Ilavaitinsistésur«Kellyetmoi»,mêmes’ildoutaitqueceladissuadeRoberta.Maisaprèstout,ce

n’étaitpassafautesielleétaitbêteàmangerdufoin.Contrariée,lajeunefemmefitlamoue.—Franchement,monchou,quandt’es-tumisentêtedereprendrecettepetiteinfidèle?Kellydevintaussipâlequ’unlinge.Ellejetasaserviettesurlatable,tandisque,d’ungeste,Ryan

intimaitlesilenceàRoberta.—Çasuffitmaintenant.J’enaiassez.Ilesttempsquetupartes.Transmetsmescomplimentsàma

mère,ettantquetuyes,dis-luidemapartderesterendehorsdemesaffaires.Conseilquetuferaisbiendesuivreégalement.

Pressantseslèvresboudeuses,ellefitcourirsesonglesparfaitementmanucuréssurlereversdesaveste.

—Inutiledeprendrelamouche,chéri.Jesaisbienquetudoistemontrercourtoisàsonégard,vuquetuignoresdequiestlebébéqu’elleporte.

Puis,surunsalutdésinvolte,elles’éloignad’unedémarchegracieuse,laissantRyansiivrederagequ’ilavaitenviedejetersachaiseàtraverslasalle.Maissacolèreétaitsanscommunemesureaveclafureurqu’ilvitbrillerdanslesyeuxdeKelly,debout,lespoingsserrés,appuyéeàlatablecommepournepass’effondrer.

-7-

Ryan,nerveux,sepassalamaindanslescheveux.—Jesuisdésolé,Kelly.—J’aiperdumonappétit,répliqua-t-ellefroidementenrepoussantsachaise.—Kelly,s’ilteplaît.Ilfautquetumanges.Nelaissepascetteharpiegâchernotredéjeuner.—Cetteharpieparaîtsacrémentaucourantdenotresituation,tunetrouvespas?Sansunmotdeplus,elle tournalestalonsetgagnaàgrandspasl’entréedurestaurant.Puis,sans

ralentir,ellepritlecouloirmenantàleursuite.Vibrantedecolère,elleinsérad’ungestebrusquelacartedanslaserrure.Jurantparcequelalumièrenepassaitpasaussitôtauvert,ellerecommençal’opérationetpoussalapoignéed’uncoupseclorsqueledéclicretentit.

Unefoisàl’intérieur,elleclaqualaporteetseprécipitadanssachambre.Assisesurlereborddulit,elleentenditfrapperetlavoixirritéedeRyanàtraverslebattant.

Elleétaittropencolèrepours’émouvoirqu’ildoivefairetoutletourafindepouvoirentrerparlaterrasse.

Elleenavaitplusqu’assezdececirquegrotesque…Bonsang,ellenesavaitpluscommentqualifiercetteprétenduetentativederéconciliation!Quoiqu’ilensoit,elleétaitbiendécidéeàymettreuntermesur-le-champ.

AprèsavoirétéhumiliéeparRyanetsonfrère,ilfallaitmaintenantqu’ellesupporteuneidiotequifaisaitdesavancesàRyan?Qu’ilsaillenttousaudiable!

Elletournalatêtequandlaportedesachambres’ouvritàlavoléesurunRyanlividederage.Ehbien, comme ça ils étaient deux, et pour sa part, pas question de céder.Elle se leva et le regarda, lementonrelevédansuneattitudededéfi.

—Qu’est-cequinevapascheztoi,Kelly?Çaneteressemblepasd’enveniràdetelsextrêmes.Tuespéraisquoienm’enfermantdehors?Ignorernosproblèmesnelesferapasdisparaître.

—Commentpeux-tuprétendrequecelanemeressemblepas?rétorqua-t-elle.Ondiraitquetun’asjamaissuquijesuisréellement.

Unelueurdecolèrepassadanssonregard,puisilacquiesça.—Ça,c’estcertain.Furieusedusous-entendu,elleletoisad’unregardglacé.—Jeveuxpartir.Parlepremiervol.Toutceciestridicule.Unepertedetemps.Çanemarchera

jamaisentrenous,Ryan.Ils’avançaetlasaisitparlesépaules.

—Onapasséunaccord.Unesemaineensemble,onoublielepassé.Ellen’encroyaitpassesoreilles.—Tuaspourtantassistéàcettedébâcleaurestaurant,non?Commentcettefilleensauraitautant

surmoietnotrerelationsituneluiavaispastoutraconté?Commentsommes-noussupposésoublierlepasséquandtapetiteallumeuses’empressedemelejeterenpleinefigure?Jen’appréciepasqu’onsemoquedemoi.Etencoremoinsqu’onparledemoidansuneconversationcommesijecomptaispourdesclous.

—Jen’aijamaisdiscutédetoiavecRoberta,affirma-t-ild’untoncatégorique.—Alorscommentensait-elleautantàmonsujet?—Pourquoias-tusipeuconfianceenmoi,Kelly?Cen’estpasmoiquit’aitrahie.Quel que soit le sujet, ils en revenaient toujours au fait qu’il croyait qu’elle l’avait trahi, et il

refusaitd’envisageruneautrepossibilité.Les poings serrés, les paupières closes,Kelly se détourna, luttant contre l’explosion de rage qui

menaçait,lescrisdecolèrequiluimontaientàlagorge.Ryanluifitfairevolte-face,etelleseretrouvafaceàlui.Ilécrasaseslèvressurlessiennesetprit

sonvisageentresesmains.Elle tentade lerepousser,mais il luienserrafermement la tailleet l’attiraplusprès.

Ellegémitdoucementtandisquesonbaisers’adoucissait,quesalangues’aventurait.Il l’allongeasurlelitsanscesserlejeulentdesabouche.

—Parpitié,Kelly,nedisrienpendantunmoment.Pasdeparoles.Onsembleincapablesd’avoiruneconversationsanssefairedumalmutuellement,alors,justeuninstant,communiquonssansparler,tuveuxbien?

Déstabilisée,elleétudiasonexpression.Commentpouvait-elle ledésirerautantalorsqu’ilne luifaisait pas confiance ? De ses doigts, il effleurait délicatement sa joue, et elle ferma les yeux,s’abandonnantsoussapaume.

Siellelelaissaitluifairel’amour,celaviendrait-ilconfirmerlapiètreopinionqu’ilavaitd’elle?Cetteidéefitl’effetd’unedoucheglacée.Ilperçutsonmouvementderecul,carillaconsidérad’un

airperplexe.—Jenepeuxpas,dit-elleenseredressantavecdifficulté.Jenepeuxpasfaireça,sachantcequetu

pensesdemoi.Lesmotss’accrochèrentàseslèvresavantdelesfranchir,dissonants.Enungestedeprotection,elle

serra les bras autour de sa poitrine, recroquevillée sur les couvertures froissées, et le regarda avecméfiance.

—Nemeregardepascommesitupensaisquej’allaismejetersurtoi,déclara-t-il,déçu.Jenesuispasdugenreàforcerunefemme.

Sansunmotdeplus,ilquittalapièceenclaquantlaportederrièrelui.Sesentantplusseuleencorequelorsqu’elleétaitpartielapremièrefois,Kellypassadanslasalle

debainsetaspergeasonvisageenflamméd’eaufraîche.Elleobservasonrefletdans lemiroiret lut ladétressedanssesyeux.Les larmesmontaient.Son

cœursaignait.Soncorpstoutentiersouffrait.Non,cen’étaitpasunevie.PasquestiondesupplierRyandelacroire.Ellel’avaitdéjàfait.Agenoux,quiplusest.Pourquel

résultat? Ilne l’avaitpascru.Ellen’allaitpas l’implorerdenouveau.Leur relationnemèneraitnullepart,saufenenfer.

Les coudesde chaque côtédu lavabo, elle enfouit la tête entre sesmains tandis que les sanglotss’échappaientdesagorge.

Depuisleurrupture,sixmoisavant,savieavaitétédifficile.Amaintesreprises,elles’étaitsentiemalheureuse.Mais aujourd’hui, sa tristesse était mille fois plus profonde. Si ses conditions de vie àHoustonlaissaientfortàdésirer,aumoinsn’avait-ellepasconstammentsouslesyeuxl’hommequ’elleaimaitetquipensaitlepired’elle.

Lesjouesbaignéesdelarmes,elleretournadanslachambrepuisseroulaenboulesur le lit.Lesépaulessecouéesdesanglots,ellepleura,pleuratoutlechagrinqu’elleavaittroplongtempscontenu.

Quelquesminutesplustard,lematelass’enfonçaetRyanposaunemainsursajoue.—Excuse-moi,Kell,murmura-t-ild’unevoixrauque.Arrêtedepleurer.Jet’enprie,nepleurepas.Avecdélicatesse,illapritdanssesbraspuislaberçacontrelui.Elles’agrippaàsesépaules,nicha

levisagedanssoncou,trempantsachemisedelarmes.— Je suis désolé, dit-il. Je ne voulais pas que les choses se passent ainsi. Jamais je n’ai eu

l’intentiondetepeiner.Jetelejure.Savoix, lourdede remords, tremblait sous lecoupde l’émotionqui l’avait saisi, tandisqu’il lui

caressaitdoucementlescheveux.—Robertan’estvenuequepoursemerlazizanieentrenous,ajouta-t-il.Elles’immobilisa,conscientequecequ’elleallait luidirenepourraitque lefâcher,maiselleen

avaitassezdefairedesconcessions.—Es-tuprêtàadmettrequetamèremedétesteetqu’elleferaitn’importequoipoursedébarrasser

demoi?Situn’aspasparlédenousàRoberta,quil’afait,àtonavis?— Je le sais, répondit-il calmement.Mais çanemarcherapas.Dèsquenous serons rentrés, j’y

mettraiunterme.Jenelalaisseraiplustefairedumaldecettemanière.Kellyseblottitcontrelui.Commeelleauraitvoululecroire,cettefois!Ilsemblaitdisposéàouvrir

lesyeux.Finirait-ilparacceptersaversiondecequis’étaitpassésixmoisplustôt?Ildéposaunbaiserausommetdesoncrâne.— Reste avecmoi, Kelly, chuchota-t-il. Nous avons tellement de choses à résoudre. Dieu sait

combiennousavonssoufferttouslesdeux.Maispourcela,j’aibesoinquetusoisici,avecmoi.Pasàdesmilliersdekilomètresdansuncoinperduoùjenepeuxprendresoinnidetoi,nidenotrebébé.

Il l’écartaavecdouceur,puisessuya les tracesde larmes sur ses joues.Son regardétait sombre,intense,emplid’émotion.Ilsemblaitsincèrementaussimalheureuxqu’elle.

Elles’apprêtaitàluidireencoreunefoisqu’iln’étaitpaslepèredel’enfant,maiselleseravisa.Aquoiboncontinueràluimentir?

Ils’attendaitmanifestementàcequ’elleargumente,maisquandlaprotestationnevintpas,unelueurd’espoirilluminasonregard.

— Donne-nousune chance,Kell.Laisse-moim’occuperde toi et dubébé.Quoi que ce soit quiclocheentrenous,onleréglera.

—J’aimeraisavoirtonoptimisme…Comment lui expliquer que leurs problèmes étaient insurmontables, puisqu’il ne lui faisait pas

confiance?Il approcha ses lèvres des siennes et l’embrassa avec tant d’amour qu’elle sentit de nouveau les

larmesluimonterauxyeux.Elleinterrompitleurbaiseretseblottitcontresontorse.C’étaitsibond’êtredenouveaudanssesbras!Mêmeletempsd’unbaiser.Unbaiserpourchasserunpeudecettepeineetdecetterancœurquis’étaitaccumuléeentreeux.

—Kell,reprit-il,encaressantsescheveuxd’unemainhésitante,nousdevonsparlerdubébé.C’estlepremierpointquenousdevonsrégler.

Leventrenoué,ellefermalesyeux.

—Sijetedisquetueslepère,tumecroiras?Ryanrestauninstantsilencieux,puissoufflalonguement.Ilposasagrandemaincontresonvisage,

dansungesteréconfortant,pleindetendresse.—Jetecroirai,Kelly.Ellerectifiasapositionpourleregarderdanslesyeux.Ellenesavaittropquepenser,tirailléeentre

lesoulagementdecetaveuetladouleurqu’ilnel’aitpascruàproposdesonfrère…—Elleestdetoi,affirma-t-elle.Denouveau,unéclairdesatisfactionmâtinédefiertépassadanslesyeuxdeRyan.Ilsepenchapour

prendresaboucheavecfougue.Lorsqu’elle réussit à s’écarter de lui, les lèvres gonflées, son cœur battait à tout rompre. Ils se

fixèrentsansunmot.Pouvait-ellelecroire?luifaireconfiance?Ellesesentaitsiterrifiéeàl’idéequ’illuibrisedenouveaulecœurqu’elleenétaitpresqueparalysée.

—Tumecrois,Ryan?Jedoislesavoir.Nousnepourronspasallerdel’avantsitunemecroispas.

Ilposalamainsursonventrerond,étalantpaumeetdoigtsafind’encouvrirlaplusgrandesurfacepossible.

—Jetecrois,Kelly.Elle semordit la lèvrepour s’empêcherde luidemander s’il la croirait aussi àproposdu reste.

Maisellesavaitquenon.Pourquoileschosesauraient-elleschangé?—Kelly?L’insistancedeRyancoupacourtàsesréflexions.— Je te crois, d’accord ? poursuivit-il en lui caressant la joue. Jarrod a dit qu’il avaitmis un

préservatif, et la période concorde pour toi etmoi. Je suis certain que tu n’as couché avec personned’autre.Iln’yaeuquecetteuniquefoisavecJarrod,n’est-cepas?

Laquestionlaglaçajusqu’auxos.Lasouffranceexplosadanssoncœur—uncœurqu’ellepensaitdéjà irrémédiablement brisé.Elle se trompait.Denouveau,Ryan, par ses questions, lui prouvait qu’ildoutaitd’elle.

—Kell?Pourquoipleures-tu?Dérouté,Ryanessuyalalarmequiroulaitsursajoue.Puiseneffaçalatracedeseslèvres.Ellesentitsesmainssecrisper.Submergéeparlacolèreetunedétresseintensedontlamorsurelui

étaitinsupportable,elledutrassemblertoutessesforcespourgardersoncalmeetréussiràparleralorsqu’ellen’avaitqu’uneenvie,fuir.

—Situveuxquenousayonslamoindrechancedenousentendre,neprononceplusjamaissonnom.C’est toiquiasvouluvenir ici.Unesemaine.Sans lepassé.Oublie lepassé,c’estceque tum’asdit.Alors je teprendsaumot.Nementionneplus jamais ton frère,ou jem’envais.Etencourant,encore.C’estclair?

Savéhémenceparutlechoquer.Ils’apprêtaitàrépliquer,maisellesecoualatêteetsedégageadesonétreinte.Ill’attiradenouveauàlui.

—D’accord.Pasdepassé.Jenel’évoqueraiplus,promis.Turesteras,Kelly?Tuessaieras?Ellerefermalesyeux,baissantlesarmes.Ereintée,ellesentitunedouleuratroceenvahirsoncrâne.Aussitôt, du bout des doigts, Ryan entreprit de lui masser la tête avec douceur. Etait-elle donc

transparenteàcepoint?—Jetienstoujoursàtoi,Kelly.Elleselaissaallercontrelui.Ilinsistait,etc’étaitmalhonnêtedesapart.—J’aipeur,chuchota-t-elle.

—Moiaussi.Surpriseparsonaveu,ellerelevalatête,cherchantlavéritédanssesyeux.—Nemeregardepascommeça.Tun’espaslaseuleàsouffrir.Je…bonsang,j’aipromisdene

pasramenerlepassésurletapis,etjeneleferaipas.Maisiln’yapasquetoiàavoirétéblesséedanscettehistoire.Jetenaisàtoi.Jevoulaist’épouser.Je…

Ils’interrompit,fourrageantsescheveux.Soudain,ilsemblaitluiaussiépuisé,briséparledésarroientreeux.

—Jeveuxtoujourst’épouser,ajouta-t-ilàmi-voix.

-8-

L’aveufutsoudain,desmotslâchésdansunélandefranchiseteintédedouleur.Commesiceconstatnelerendaitpasheureux,maisqu’ilsedevaitdelefaire.IlobservaKellyensilence,avecunembarrascroissant.

Elleluirenditsonregard,déconcertée,incapablederépondre.Il ne l’aimait pas. Ne lui faisait pas confiance. Il croyait le pire sur elle. La seule chose qu’il

semblaitprêtàadmettreétaitquel’enfantfûtdelui—etce,uniquementparcequesonfrèreprétendaitavoirutiliséunpréservatif.

Pourtant,ilvoulaitl’épouser.Elleéclataderire.Unrirehystérique,aigu,désagréable.Ryanfronçalessourcils.—Cen’estpastoutàfaitlaréactionquej’espérais.—Ah,c’étaitunedemandeenmariage?Cettefois,devantsaminesombre,elleréprimalenouveauricanementqu’ellesentaitmonterenelle.Embarrassé,ilsefrottalanuque.—Non,oui,enfin,jen’ensaisrien.J’aimeraisrevenirlàoùnousenétions.Maisilnousresteun

sacrécheminàparcourirpouryarriver.Jevoudrais justequetumedisesquetoutcelacompteencorepourtoi.Assezpourquetuaiesenviederesteretréglernosproblèmes.Onprendranotretemps.Unjouraprèsl’autre.Etjenepermettraiplusqu’unincidentcommeceluidemidisereproduise.

—Ettucomptest’yprendrecomment?demanda-t-elle.Parquelmoyenvas-tuincitertafamilleettes relations à m’accepter ? Parce que ce n’est pas le cas, Ryan. Tu m’as toujours soutenu que jel’imaginais,maissoyonshonnêtes.Tamèrenemesupportaitpas.Tesamisnecomprenaientpascequetumetrouvais.Quantàtonfrère,ilmeprenaitdetouteévidencepourunefemmeinfidèle.Opinionquetuaspartagée.

Ryanselevasibrutalementqu’elleglissadesesgenoux.—Tuasdemandédenepasparlerdupassé.Alorssoitonlefait,soitonnelefaitpas,maischoisis

unefoispourtoutes.Puis il sepencha,unemainenfoncéedans lematelasdepartetd’autred’elle, lesyeuxrivésaux

siens.— Réponds à ma question, Kelly. Est-ce que tu vas rester ? Est-ce que tu es d’accord pour

essayer?Essayerd’arrangerleschosespourqu’onpuissedenouveauêtreheureuxensemble,peut-être?

Il semblait attendreune réponse immédiate.Pourtant, les chosesn’étaientpas si simples.Qu’elleaccepteoupas,ellesouffriraitdetoutefaçon.

Son cœur lui hurlait qu’elle serait stupide de revenir avec lui. Sa tête lui rappelait que, sansconfiance,leurrelationétaitvouéeàl’échec.Or,illuiavaitdéjàprouvéqu’iln’avaitaucuneconfianceenelle.

Souhaitait-elleréellementseremettredansunesituationoùlaparoledupremiervenul’emporteraittoujourssurlasienne?

Maisquelque chosedeplusprofond, sous le chagrin, la colère et la trahison, remuaen elle à lapenséederecommencer,derefaireunboutdecheminaveclui.

Elleseditqu’iln’yavaitriendemalàresteravecluijusqu’àlanaissancedubébé,afind’êtreàl’abri.D’avoiruntoit.Dequoimanger.Unpeudeconfort.Toutcequiluiavaitmanquéaucoursdessixderniersmois.

Mais elle savait aussiqu’ellenepourrait vivre auprèsdeRyan sans engager ses sentiments.Dèslors, ladécisionse résumaitàchoisirdepardonner,oublieret tourner lapageoupréférerune rupturenetteetdéfinitive,etpoursuivresaroutesanslui,aveccequecelaimpliquait.

A moins qu’elle décide de se contenter de quelques moments volés en compagnie d’un hommequ’elleaimaitethaïssaitavecuneintensitéégale.

Plussonsilencedurait,plusl’espoirs’éteignaitdanslesyeuxdeRyan.Ilsemblaitserésigneràsonrefusinévitable,etelleneputs’empêcherdefaireleparallèleentrecetinstantetceluioùellesetenaitdevantlui,sivulnérable,quémandantsaconfiance,sonamour,sonsoutien.

Ellen’étaitpastentéeparlavengeance.Ellen’enrécolteraitquedelatristesse.Nibonheurnipaix.Qu’elleimbécileellefaisait!Etceconstat,luinonplus,n’avaitrienderéconfortant.— Je reste, dit-elle enfin, d’une voix dépourvue de la joie que cette résolution aurait dû lui

conférer.Malgrésonabsenceflagranted’enthousiasme,unelueurd’espoirserallumadansleregarddeRyan.

Illapritdanssesbrasetposaunbaiserd’uneinfinietendressesurseslèvres.Ilmitdanssonbaisertantd’émotionque,pourlapremièrefois,elleserenditcompteàquelpointil

avaitcraintsarebuffade.Ellenecroyaitpas aukarma,mais, l’espaced’un instant, elle sedemanda si cen’était pas là sa

pénitence.Qu’ilressentecequ’elleavaitéprouvédesmoisauparavant.Pourtant,cettepenséeneluiprocuraaucunesatisfactionnonplus.Ellenesouhaitaitàpersonnede

vivrel’enferqu’elleavaitconnusixmoisavant.Ryan s’écarta légèrement et repoussa unemèche de son visage, attardant samain sur son délicat

arrondi.—Passel’après-midiavecmoi,Kell.Ilfautquetumanges.Jenouscommanderaiunpique-nique

quenousprendronssurlaplage.Puisnousregarderonslecoucherdesoleil.Jansent’aachetéunmaillotdebain,situasenviedetebaigner.

Ellepritsamainquis’étaitattardéesursajoueetenroulasesdoigtsautour.—D’accord,finit-ellepardire.Çameferaitplaisir.Ryanetellesedirigèrentvers leparasolsous lequelelleavaitdormiplus tôtdans lamatinée. Il

étalaunegrandecouverture, après avoir forméunpetitdossier avec le sable.Une fois certainqu’elleseraitconfortablementinstallée,ill’aidaàs’asseoir,puisilsdéballèrentlepanierfourniparlerestaurantdel’hôtel.

Kelly contemplait la mer tout en savourant une des délicieuses préparations dont le nom luiéchappait.Unerecetteaufromageetauxcrevettes.Ellen’arrivaitpasàreconnaîtrelesautresingrédients,

maisentoutcas,c’étaitsucculent,etellemouraitdefaim.Lecrépuscules’annonçait.Definesvolutespastelzébraientl’horizon,tandisquelesoleilentamait

sadescente.Ellefermalesyeuxetlaissalabrisetièdeapaisersesnerfsàvif.Elleavaitdépenséplusd’énergieaucoursdesderniersmoisquedurant toutesonexistence.Elle

voulait vivre libérée de toute angoisse. Juste quelque temps. Elle voulait oublier les nuits passées àpleureroucellesoùelleétaitincapabledetrouverlesommeiltantlasouffranceétaitintense.

Ici,elleétaitbien.Ici,ellepouvaitaumoinsfeindrequelessixderniersmoisn’avaientpasexisté.Ceséjourauraitpuêtreleurlunedemiel.Uneparenthèseromantiquesuruneîleenchanteresse.

Ryantenaitparfaitementlerôledumariattentionné.—Aquoipenses-tu?Lentement,elles’arrachaàlacontemplationdel’étenduebleueetsetournaverslui.—Jesongeaisqu’ilétaitfaciledefairesemblantici.LeregardindigodeRyanseferma,devenantplussombrequelesrouleauxléchantlerivage.—Oui,onpourraitfairesemblant,admit-il.Maisriennenousyoblige.—Alors,tuasréglétesproblèmessurlechantier?demanda-t-elle,désireusedechangerdesujet

auplusvite.Ilsétaientconvenusd’oublierlepassé,aumoinspendantcettesemaine,desortequelessujetsde

conversations’entrouvaientrestreints.— Unsimplemalentendu. Jedevrais avoir tout résoludemainmatin. Je réunis lesentrepreneurs

locauxetlechefdechantierquenousavonsembauché.Sitoutsepassebien,toutseraterminéàl’issuedelaréunion,cequinouslaisseraàtouslesdeuxquelquesjoursdeliberté.

—Quanddois-turentreràNewYork?Carellesavaitquecettechimèreprendraitbrutalementfinlorsquecemomentarriverait.—Jenesaispasencore.Jenesuispaspressé,répondit-il,lesyeuxrivéssurelle.Pourl’instant,je

préfèremeconcentrersurletempsquinousestimpartiensemble.Ellehochalatête,plusàl’aised’avoiracceptéàprésentqu’ellesefaisaitpeuàpeuàl’idée.—Est-cequetudormirasavecmoicettenuit,Kelly?Elleouvritdesyeuxronds.— Pardon. C’est sorti tout seul, complètement de travers. J’aimerais que toi et moi dormions

ensemble.Dormirausenspropre.Dans lemême lit.Te tenirdansmesbras.Riendeplus.Laisse-moijustetetenirdansmesbras,commeavant.

Lapenséed’êtrecouchéeentrelesbrasdeRyan,deseblottircontresoncorps,demêlersesjambesauxsiennes…étaitsiirrésistibleque,soudain,Kellynedésiraitriend’autre.

Elleprituneprofondeinspirationetacquiesça.Ryanluipritlamainetlagardadanslasienne,leursdoigtsnoués.Puisils’allongea,appuyésurun

coude,demanièreàcequ’ellepuisseposersatêtesursapoitrine.Ilsrestèrentainsijusqu’àcequelesemployésdel’hôtelviennentallumerlestorcheslelongdela

plage,tandisquelanuittombaitdoucementetquelesétoilesjaillissaientuneàunedansleciel.Unemusiquesuaves’élevad’unbarsituéunpeuplusloinsurlerivage.Lesnotess’harmonisaientà

merveilleaveclechantdesvagues.La tête nichée contre le cou de Ryan, elle laissa son regard flotter rêveusement sur le ciel,

maintenantque leparasolavaitétéreplié.Aprèsavoireffleurésa joued’unlégerbaiser, il levaàsontourlesyeuxverslavoûtecéleste.

—Faisunvœu,murmura-t-elle.—Çayest.Atoi,maintenant.

Elle retint sa respiration,puis,paupièrescloses, formula sonvœuensecret.La tristesse la saisitbrusquement;certainsvœuxneseréalisaientjamais…

Quelquesminutesplustard,Ryanseredressaavecd’infiniesprécautionsetsereleva.Ilsecoualesabledesonjean,puisluitenditlamain.

Croyantqu’ilétaitprêtàregagnerleursuite,Kellyse levaàsontour.Maisau lieudeprendre ladirectiondel’hôtel,ill’entraînaverslerivage.

Le clair de lune éclaboussait d’argent la surface de l’eau. Le ciel s’emplissait d’étoiles,disséminéescommedelapoudredeféesurl’horizon.

Elleétaitbienfantasquecesoir,songea-t-elle.Vœux,poudredeféeetpoussièred’étoiles…Maisce cadre enchanteur l’inspirait. Peut-être se réveillerait-elle demainmatin en constatant que tout celan’avaitétéqu’unrêve.

Ehbien, si c’était lecas, elleétaitdécidéeàvivredans sonmondede rêveaussi longtempsquepossible.

Sansunmot,Ryanlapritdanssesbrasetcommençaàsuivrelesaccentsdelamusiquedistante.Illaserra étroitement contre lui, et, la tête calée sous sonmenton, elle s’abandonna avec lui au rythmedel’océanetdeladoucemélodiequiflottaitdansl’air.

Peu à peu, ils ralentirent le rythme de leur danse, au point d’être presque immobiles.Un infimebalancementdeleurscorpsenlacés.Ellesesentaitensécurité,blottiecontrelui,enparfaiteharmonie.

Lajoueposéesursescheveux,iltournaittrèslentement,sespiedsguidantleurcadence.Puisilss’immobilisèrenttotalementetrestèrentenlacés,tandisquelanuitlesenveloppait.Ryandéposaunlégerbaisersurlesommetdesoncrâne.Ellelevalesyeuxet,danssonregard,lut

dudésir,maisaussidel’espoir.Toutdoucement,ilbaissalatêtejusqu’àcequeleursbouchessoientproches,maisnesetouchent

pas.Lemoments’étira,horsdutemps,leurssoufflesmêlés,leursregardssoudés.Auloin,lamusiques’évanouissait.Ill’embrassa.Cefutlebaiserleplusdélicieuxetleplusromantiquequ’unhommeluiaitjamaisdonné.Unbaiser

quiexprimaitmieuxqu’avecdesmotsquecethommelachérissait.Ladésirait.Qu’illaferaitsienne.Lorsqueenfin il rompit leurbaiser, il l’entouradesesbraset lagardacontre lui,sous la lumière

pâleduclairdelune.

-9-

Aprèsavoirenfilésachemisedenuit,Kellys’examinaavecattentiondanslemiroir.Pasdedoute,levêtementétait ravissant.Unassemblagededentelleetde satinqui tombaitdemanière fluide sur sapeauetsesformes.

Maisellesesentaittrop…exposée.Sesseinsétaientsigros.Sonventre,énorme.Dieumerci,ellenevoyaitpassespieds.

Ellejetauncoupd’œilverslaportedesachambre.ElledevaitrejoindreRyandanslasienneunefoisprête,maiselleneparvenaitpasàfairelesquelquespasnécessaires.

Nonqu’elleseméfiedeRyan.Non,c’étaitd’elledontelleseméfiait.Elles’étaitdéjàbienassezridiculiséevis-à-visdecethomme.Danssesbras,toutcontrelui,ellerisquaitdeperdrelepeudebonsensquiluirestait.

Poussant un soupir, elle s’assit au bord du matelas. Son hésitation n’était qu’une triste preuvesupplémentaire de l’abîme qui existait désormais dans leur relation. Jamais auparavant elle n’avaitmanifestéd’inhibitionenversRyan.

Souvent,alorsqu’ilétaitinstallédanslelitavecsonordinateurportable,concentré,lefrontplissé,elle se glissait près de lui, entièrement nue, et l’asticotait jusqu’à ce qu’ordinateur et travail soientoubliés.

Ildisaiten riantqu’ilévitaitde rapporterdu travailà lamaison,carellene le laissait jamais lefaire.

Or,cesoir,ellen’arrivaitmêmepasàentrerdanssachambre.Uncouprésonnaàsaporte.Ryanpassala têtedansl’entrebâillementets’arrêtaenladécouvrant

assisesurlelit.—Toutvabien?Elleacquiesça.Ilouvritlaporteengrandetentra.Ill’observapendantquelquesinstants,puiss’avançaetpritplace

à côté d’elle sur le lit. Sans unmot, il posa simplement samain, paumevers le haut, sur ses genoux,attendantqu’ellelaprenne.

Auboutdequelques instants, elle saisit samain. Ilmêla leursdoigts, les serrant avec tendresse.Puisill’aidaàselever.

—Noussommes tous lesdeux fatigués,Kelly.Allonsnouscoucher.Demainestunautre jour. Ilserabientempsalorsdenousinquiéterdecequiarrivera.

VoilàquineressemblaitguèreauRyanqu’elleconnaissait,quiaimaittoutprévoirjusquedansles

moindresdétails.Quicumulaitprogrammes,listes,plannings,calendriersets’inquiétaitnonseulementdulendemain,maisdel’annéesuivante.

Aprèsl’avoiremmenéedanssachambre,illalaissasemettreaulit.Ilsetintenretrait,sansdouteparégardpoursagêneévidente.Kellyseglissasouslescouverturesetsetournademanièreànepassetrouverfaceàluiquandillarejoindrait.

Le matelas s’écrasa derrière elle, et aussitôt elle perçut la chaleur de son corps, qui, quelquessecondesplustard,vintsecollerausiendanssondos.

L’enveloppantd’unbras,Ryanl’attiraplusprès,enfouissantsonvisagedanssescheveux.Elleeuttouteslespeinesdumondeànepasfondreenlarmes.Celafaisaitsilongtemps,etc’étaitsi

bon…Commetantd’autresnuitsentresesbras.Illuiavaitmanqué.Aussiincroyablequecelaparaisse,illuiavaitaffreusementmanqué.

—Pasdepassé,murmura-t-ilàsonoreille.Rienquenousdeux.Là,maintenant.Ilsavaienteu tortdenepas revenir sur lepassé. Ilsauraientbeaunepasenparler, leurhistoire

planaitau-dessusd’euxcommeunvoilefuneste.S’insinuaitentreeux,importuneetencombrante.Ledénidanslequelilsétaientn’avaitriendebonetneserévélaitpasvraimentefficace.

Ryan l’embrassa dans le cou, posa tendrement ses mains en coupe autour de son ventre. Maisl’instantavaitungoûtdoux-amer.C’estainsiqueleschosesauraientdûsepasserdepuisledébut.

—Détends-toietdors,Kelly.Jeveuxjustetetenirdansmesbras.Bizarrement,c’esttoutcequ’ellesouhaitaitégalement.

***

LorsqueKellyouvritlesyeux,sapremièresensationfutunesensationdeconfort.Etdechaleur.Puisellepritconsciencequ’elleétaitallongéesurRyan,sajoueécraséecontresonépaule,lefrontpresséaucreuxdesoncou.

C’étaitlapositiondanslaquelleelles’étaitréveilléechaquematinquandilsvivaientensemble.Terriblementgênée,ellevouluts’écarter,Ryanresserrasonbrasautourd’elle.—Reste.C’estbon.Elle leva la têteet le regarda.Manifestement, ilétait réveillédepuisunmoment,et semblait ravi

d’êtreallongéavecelleenrouléeau-dessusdelui.—Unechosen’apaschangé,poursuivit-ilencaressantsajoue.Tuestoujoursaussibellequandtu

teréveilles.Lasincéritédesesparolesluidonnauncoupaucœur.Refusantdecontinueràsetorturerdavantage,

elleapprochaseslèvresdessiennes,leseffleuranttimidement.Ryan parut à la fois surpris et heureux de son initiative,mais la laissa explorer prudemment ses

lèvresfermes.Passantlalanguesurleurcontour,elles’aventuraplusloin,approfondissantsonbaiser.Illasaisitdesesmainsvigoureusestandisqu’ilrépondaitàsonbaiser.Doucementd’abord,comme

s’il cherchait à s’assurer ses faveurs, puisplus fort.La respirationhaletante, il enroula sa langueà lasienne.

Sans presque s’en rendre compte, elle se retrouva étendue sur le dos,Ryan au-dessus d’elle, ungenouentresesjambes,goûtantsaboucheavecgourmandise.

Alternantpassionetsuavité.Hâteetlenteur.D’unemain,ildéfitlesdeuxminusculesboutonsquiretenaientsachemisedenuit.Letissus’écarta,

révélantsonbuste, lesatinfrottantcontresesmamelonsdurcis.Ilrepoussacomplètementletissu,pour

libérerentièrementsesseins.Ilensaisitundélicatementdanssapaume,puisbaissalatêtepourprendreletétondanssabouche.

L’adrénaline fusa dans ses veines, violente, électrisant tout son corps. S’abandonnant à sa doucecaresse,ellesetortillaitsouslui,pendantqu’ilsuçotaitlapointedesonsein.Elleglissalesmainsdanssescheveuxcourts,lemaintenantcontresapoitrine,lesuppliantensilencedecontinuer,d’allerplusloin.

Lorsqu’illevalesyeuxverselle,ellesentitunedoucechaleurdanssonventre.—Jeveuxtefairel’amour,Kell.J’aitellementenviedetoi.Maisjeneleferaipassicelaempire

leschoses.Tudoisledésirerautantquemoi.—Jeledésireplusencore,répondit-elled’unevoixrauque.C’était lavérité.Elle l’avait toujoursdésiréplus.Désiré à enmourir.Dèsqu’il n’était pas avec

elle,illuimanquait.Levoiràprésentallongésurelle,sabouchesursoncorps,ravivalessouvenirsdecetempsheureux

oùtoutétaitparfaitentreeux.Maisn’idéalisait-ellepaslepassé?leurrelation?Ellechassal’ombrequiempoisonnaitcemomentmagiqueettenditlamainpourluicaresserlajoue.—Moiaussi,j’aienviedetoi,Ryan.La passion illumina le regard de Ryan. Une lueur de satisfaction et de triomphe, tandis qu’il

s’emparaitdenouveaudeseslèvres.Avecavidité.Puisilroulasurlecôtéetlapritdanssesbras,latenantcontreluicommesielleétaitunprécieux

objetfragilequ’ilcraignaitdebriser.Durantd’interminablessecondes,illacontempla,semblantrefaireconnaissanceavecelle.Puisilfit

glisser délicatement les bretelles de sa chemise de nuit sur ses épaules, avant de la baisser jusqu’aurenflementde sonventre. Il lui soulevaensuite leshanchespour faireglisser lentement levêtement lelongdesesjambes.

Nuesoussonregard,ellen’enéprouvaitplusaucunegêne.Ryan posa une main juste au-dessus de son sexe et caressa doucement l’arrondi ferme de son

abdomen.—Notrebébé,murmura-t-ild’unevoixémue.Puisilsepenchapourdéposerunbaisertendresursonnombril.Sentantleslarmesmonter,elles’efforçaderavalerlaboulequiluinouaitlagorge.—Commejeregretted’avoirraté toutça,murmura-t-il.Commejeregretteden’avoirpasété là

pourvoirtesformeschanger,tonventregrossiràmesurequ’ellegrandissait.Tuesincroyablementsexy.—Elle?Tucroisquec’estunefille,toiaussi?Ryanluisourit.—Tudistoujours«elle»quandtuenparles.J’aidûenprendrel’habitude,voilàtout.Enfait,je

memoquequecesoitunefilleouungarçon.Jeveuxjustequetousdeuxsoyezenbonnesanté.Latêteluitournaitunpeu,dansunesorted’ivressesansalcool.Les doigts de Ryan descendirent plus bas, vers son pubis. Elle sursauta lorsqu’il effleura son

clitoris,puisgémitquandilécartadélicatementlesreplishumidesdesonsexeetintroduisitl’extrémitédesonindexàl’intérieur.

—J’aimecommentturéagisàmescaresses.J’aitoujoursadoréça.Elleondulait lentementsouslui, tandisqu’ilcontinuaitd’exploreravecdouceursachairbrûlante,

sensible,frémissante.Ilvenaitàpeinedecommenceret,déjà,ellesetrouvaitprochedel’orgasme.Bien qu’impatiente qu’il la pénètre, elle ne voulait pas que l’exquise sensation finisse trop vite.

Aprèstouscesmoissanslui,ellevoulaitsavourerchaquesecondeavecRyan.

—Ouvretesjambespourmoi,murmura-t-il.Elleobtempéra,etilseredressapourvenirs’agenouillerentresescuisses.Le désir embrasait ses yeux. Il la regarda avec convoitise, puis se pencha, écarta davantage ses

cuisses.Kellyinspiraàfondetretintsarespiration.Déjà,ildéposaitdedélicatsbaiserssursonsexe,juste

au-dessusduclitoris.Soussespetitscoupsdelangue,aussilégersqu’uneplume,soncorpss’affola.Ilécartaunpeupluslesreplisdesonsexe,exposantsachairintimeàsabouche,etrecommençaà

lécher le petit bouton gonflé d’excitation. Elle se cambra, mais sa langue poursuivait son inexorableincursion,glissantversl’entréedesagrottesecrète.

Elle ferma les yeux, agrippant les draps, s’abandonnant alors que son corps s’envolait dans unedizainededirections.

C’étaitintense.Merveilleux.Sublime.Comme si quelque chose s’était dissous en elle. Des vagues de plaisir se succédèrent avec une

intensitéinouïe,propageantl’ondedanstoutsoncorps.Haletante, les hanches tremblant encore de l’intensité de son orgasme, elle s’enfonça dans le

matelas.Lorsqu’elle eut unpeu repris ses esprits, elle regardaRyan, qui l’observait, lamine réjouie, ses

yeuxbleusétincelantsdefierté.Unesatisfactionsicrue,sidense,qu’ellefrissonna,commes’ilenvoyaitunmessagemuet:«tum’appartiens.»

Alorsilluisoulevalescuisses.Ellehaletaensentantsonmembredur,chaud,prêtàs’introduireenelle.D’uneseulepoussée,illapénétra.

Denouveau,ellesesentitgagnerparunevagueintenseétourdissantedeplaisir.Lavoluptémontait,montaitenelle,puissante,violente,àmesurequ’ilallaitetvenaitenelle.Arc-boutéeàlui,ellel’étreignitéperdument,s’abandonna,lecorpscolléausien,commepourmieuxsefondreenlui.

Gémissant tous deux sous le concert de sensations qui les parcouraient, il s’enfonça plusprofondémentencoreenelle.

—Jecroisquejenevaispaspouvoirmeretenir,haleta-t-il.C’esttropbon.Çafaittroplongtemps.Pardon,machérie.

Ellelesaisitpar lesépaules, l’attirantplusprès.Maisdésireuxdenepaspesersursonventreetl’écraser,ilpritappuisurlematelasdesesmains.

Ilpoussa,plusfort,plusvite,etellesentitl’orgasmemonterenellependantqu’ils’enfouissaitenfintoutaufonddesonsexebrûlant,oùilresta,désormaisimmobile.

Ill’embrassa.Avecaviditéetpassion.Dansunmélangedefougueetdedésespoirqu’ellen’avaitjamaisconnudesapart.Lesexeavaittoujoursétégénialentreeux,maisjamaisRyann’avaitjouiaussivite.

Elle lui retourna ses baisers avec la même avidité, les mains se promenant le long de son dosmusclé,sursanuque,maintenantsatêtecontrelasienne.

Soudésl’unàl’autre,ilsattendirentqueleurorgasmes’apaise.Heureusedecetteproximité,decetinstantsuspendu,KellyfitroulerRyansurlecôté,sansinterrompreleurmouvement,afinqueleursdeuxcorpsdemeurentsoudés.

Leursjambesmêlées,ilsrestaientagrippésl’unàl’autre,tandisqu’ellesentaitsonsexepalpitertoutaufondd’elle.

Lenezdanssoncou,elleinspirasonodeur,perçutlebattementprécipitédesoncœurcontresajoue.Dansun telmoment,commeilétait faciled’oublier tous leursconflits !Faciled’oublier tousces

mois de souffrance et de solitude. Facile d’imaginer qu’ils n’avaient jamais été séparés et qu’ils se

trouvaientdansleurlit,s’éveillanttoutjustedansl’appartementdeRyan.Leurappartement.Alors,justepourquelquetemps,ellerefusadelaissercemomentdebonheursedissoudresousle

poidsdelaréalité.

-10-

Etenduimmobile,Kellydanslesbras,Ryans’efforçaitdecomprendrecequivenaitdesepasser.Enapparence,celaavaitétéunintermèdesexuel trèsrapideetfabuleusementbon.Undesmeilleursdesavie.

Maisc’étaitautrechose.Ilnes’agissaitpasuniquementdesexe.Sinon,iln’auraitpasl’impressionque son cœur explosait dans sa poitrine. Il ne se sentirait pas aussi ébranlé, au point de ne pouvoirdémêlersessensations.

C’était…plusintensequecelanel’avaitjamaisétéentreeux.Leurviesexuelleavaittoujoursétésensuelle,pleinedefougue,delégèretéetdedrôlerie.Ellesavaitsemontrerprovocante.Ill’aguichait.C’étaitplaisant.Toujoursréussi.

Cette fois pourtant, cela avait été… bouleversant. Il était encore sous le coup de l’émotion quifaisaitbattresoncœurplusfort.

S’efforçantdeladissiper,ilcaressaledosdeKelly,puisdéposaunbaiserdanssescheveux.Ilglissaunemainentreeuxpourl’écarteravecdouceuretlaregarderdanslesyeux.Ledésarroiqu’ily lut luifit l’effetd’uncoupdepoignard.Ellesemblaitsidévastée.Vulnérable.

Fragile.Terrifiée.Totalementterrifiée.Avait-ellepeurdelui?decequivenaitdesepasserentreeux?Ilnesupportaitpasl’idéequ’elle

s’enveuilled’avoircédéàl’irrésistibletensionquis’étaitaccumuléedepuisqu’ill’avaitramenéeàNewYork.

—Aquoipenses-tu?demanda-t-ild’unevoixenrouée.Dis-moiquetuneregrettesrien,Kell.Ellesecoualentementlatête,etilsentitquelquechoseserelâcherenlui.Dusoulagement.Maisce

n’étaitquelapremièreétape.Ilcaressasajoue,sedélectantdesapeausatinée.Ilavaitbeaus’êtreditetrépétéqu’ilétaitmieux

sanselle,qu’ilavaitbienfaitdelaquitter,ilnepouvaitplussementir.Illavoulait.Ilvoulaitqu’ellerevienne,peuimportaientsesagissementspassés.Aprèsavoirrompu

leurs fiançailles et lui avoir ordonné de quitter son appartement— et sa vie— il n’avait pu faireautrementques’interrogersurleurrelation.Peut-êtreavait-ilunepartderesponsabilité.Peut-êtreavait-ilconsacrétropdetempsàsontravail.Peut-êtrel’avait-ilnégligée.

Quoiqu’ilensoit,quelquechoseavaittrèsmaltourné,etilétaitfermementdécidéàentrouverlacauseafinquecelanesereproduiseplus.

Incapablede résisterà la tentation, il luiembrassa le front,puis lespaupières.Puis les joues, labouche,remontantdélicatementjusqu’àsonoreille.

Ilsentitsonsexesedurciraussitôtàl’intérieurdesachairsisoyeuseetsichaude.Ilrapprochasonbassindusien,luiarrachantundouxgémissementtandisqu’elleserraitlesdoigtsautourdesesépaules.Ilsemitàalleretvenirenelle.

—Tuaimescommeça,surlecôté?murmura-t-il.Tuesbien?Outupréfèresvenirsurmoi?Ellerougit,cequilefitsourire,enchantédecettesoudainetimidité.Naguère,ellen’hésitaitjamais

àprendrelesrênes,cequ’ilappréciaittoutparticulièrement.Ileutenviequ’ellelefasse.Sansattendresa réponse, il la fit roulerpour l’assoirsur lui, lesmainssurson torseafinqu’elle

gardel’équilibre.Ellel’enserraitétroitement,brûlanteetmoite,etilfermalesyeux,respirantàpetitscoupspourse

contrôler.Iln’avaitpaspusemaîtriserlapremièrefois.Là,ilvoulaitqueçadure.Les cuisses plaquées contre ses flancs, elle souleva à peine les hanches avant de s’abaisser de

nouveau,l’enveloppantdesreplisdesadoucechaleur,siexquisequesonfrontsecouvritdesueur.Elleparaissaitunpeumalàl’aise,cequ’iltrouvaterriblementtouchant.Pourlarassurer,ilposales

mainssurelle,maisencaressantsoncorpssublime,sonventrerebondi,sesseinssomptueux,iloubliatout,hormisleplaisirdelatoucher.

Ils’attardasursesseinspleinsetronds,auxmamelonsfoncés,pluslarges.Lapenséedelesgoûterluimitl’eauàlabouche.

Ilentitilla lespointesavecdélicatesse, justeassezpourqu’ilsdurcissent.Lesoufflecourt,Kellyremuaautourdesonmembre,etilserralesdentsafinderetarderl’orgasmequimontait.

—J’adoretoncorps.Tuesbelleenceinte,Kelly.Mesmains,mabouche,medémangent…Tumerendsfou.

Elle sourit. Un sourire éclatant, qu’il sentit atteindre son âme. Ses yeux brillaient, et il eutl’impressiond’avoirdéposélaluneaucreuxdesamain.

Bonsang,sicelasuffisaitàlafairesourireainsi,ilnedemandaitqu’àluidireàlongueurdejournéeàquelpointillatrouvaitmagnifique.

—Tumerendsfou,répéta-t-il.Ellesouritdenouveau,satisfaite.La sensation de ses doigts mêlés aux siens le remplit de bonheur. Agrippés l’un à l’autre, elle

commençaàlechevaucherlentement.Leursregardssecroisèrent.Aaucunmoment,ilsnesequittèrentdesyeuxtandisqu’elleluifaisait

l’amour,lemenantpeuàpeuàlajouissance.Sarespirations’accéléraetsefitplusforte.Sonvisages’empourpra,elleseresserraautourdelui.

Elleétaitprochedel’orgasme.Ill’étaitplusencore.Maisilétaitsurtoutdéterminéàluifaireatteindrel’extaselapremière.

Cequiexigea toutesaconcentration.Soncorpsse raidit.Sonsexeenérectionétaitsigonfléquec’en devenait douloureux. Soudain, Kelly frémit, vibra autour de son membre, inondée d’une sèvebouillonnante.Puisfutparcouruedesecoussesviolentes.

Alors il prit le relais, la serrant contre lui, imposant son rythme. Sans cesser de la caresser, del’embrasser,deluimurmurercombienelleétaitbelle.

Tandisquelesdernièresvaguesdeplaisirlatraversaientencore,iljouitàsontour.Duranttoutcetemps,leursdoigtsrestèrententrelacés.

Quandtoutfutterminé,submergéd’unemerveilleusevolupté,ilplaçaleursmains,toujoursjointes,entreeux,surleurscœurs.

Kellys’écroulacontrelui,lenezdanssoncou,lecorpsentièrementrelâché.Ellel’embrassajustesousl’oreille,etilsouritàcegesteaffectueux.

Satendresseluiavaitmanqué.Samanièred’êtretoujoursprêteàoffrirunecaresse,unbaiserouunsimplesourireluiavaitmanqué.

Elleluiavaitmanqué.Désormais, il devait trouver le moyen de s’assurer qu’elle ne reparte pas. D’après lui, le sexe

n’étaitenaucuncaslasolutionauxproblèmesdecouple.Nimêmeunbonpansement.Celan’allaitpasêtrefacile,illesavait.Tropdeméfianceetdeblessureslesdivisaient.Maisd’une

façonoud’uneautre, ilsdevaient revenir enarrière, revenir à leurancienne relation. Ily tenait à toutprix.

Kellyétaitsienne.Elleportaitsonenfant.Leschosesétaientsimples.Elleluiappartenait.Elleavaitbesoindelui.Besoinqu’ils’occuped’elle.Etilsouhaitaitlefaire.

S’ilétaitprêtàoublierlepassé,pourquoineserait-ellepaségalementdisposéeàrecommencer?Cen’estpasluiquil’avaittrahie,aprèstout.

Maisellesemblaitsiencolère.Quelquechoseenelleavaitétébrisé.Celas’était-ilproduitquandill’avaitchasséedechezlui?Maisàquois’attendait-elledonc,aprèsl’avoirtrompé?

Ryansoupira intérieurement, refusantdese laisserentraînerdans lepassé. Il s’étaitpromis—etavait promis à Kelly— de l’oublier. Puisqu’il était disposé à le faire, pourquoi n’en ferait-elle pasautant?

—Qu’est-cequetudiraisd’unpetitdéjeuneraulit?demanda-t-il.—Mmm,bonneidée!Jemesensincapabledebougeretbrusquementtrèsparesseuse.Ilsourit.Rienneluisemblaitmeilleurquedepartageravecelleunrepassouslacouetteentoute

intimité.D’ailleurs,sicelanetenaitqu’àlui,ilsnequitteraientpaslachambredelajournée.—Jevaisappelerleserviced’étage.Nebougepas,mets-toiàl’aise,jerevienstoutdesuite.Aprèsunpetitbaisersurleboutdesonnez,ilsedégageadel’étreintetièdedeleurscorps,l’aidaà

semettresurlecôtépuistiralesdrapsfroisséssurelle.Unefoisassisauborddulit,ilseretournaeteutunpetitrire.Elleavaitaussitôtprispossessiondesonoreiller,fidèleàsonanciennehabitude.

Ilsaisit le téléphonesur la tabledenuit,commanda leurpetitdéjeuner,puiss’étenditdenouveaufaceàelle.

—Tunepeuxpasrécupérertonoreiller,marmonna-t-elle.—Jenevoudraispascontrarierleconfortdemafemme!Arquant un sourcil, Kelly le considéra unmoment. Quelque chose semblait tournicoter dans son

esprit,aussiattendit-ildevoirsielledécidaitdes’enouvriràlui.—Jelesuis?finit-ellepardemander.—Tuesquoi?— A toi. J’ai besoin de savoir ce que cela signifiait, Ryan. Que nous sommes de nouveau

ensemble?J’ignorecequetuespèresdemoi,etjenecomptefaireaucunesupposition.Ryanpritunegrandeinspiration.Ilnevoulaitsurtoutpastoutgâcher,alorsqu’illasentaitsiproche

del’étatd’espritqu’ilespérait.—Çadépenddetoi,répondit-ild’untonprudent.Jepenseavoirétéfrancsurcequejesouhaitais,

surceque j’attendsdenotre relation.Désormais, il est tempsque tudécidessicela teconvient.Si tuveuxêtreavecmoi.Nousn’avonspasàrésoudresur-le-champtousnosdésaccords,maisonpeutpeut-êtrechoisirderenoueretdetenterd’arrangerleschoses.

Elledéglutit,etilremarqua,contrarié,quelapeurétaitrevenuedanssesyeux.Entoutefranchise,ilnecomprenaitpascequil’effrayaitàcepoint.Leprenait-ellepourunmonstre?Pouvait-elleréellementluireprocherouluitenirrigueurdelaréactionqu’ilavaiteueaprèssoninfidélité?

—Maraisonmeditquejesuisuneimbéciledeseulementl’envisager,murmura-t-elle.

—Ettoncœur,qu’est-cequ’iltedit?Ellesoupira,luilançaunregardimpuissant,sesyeuxbleusdébordantsd’émotion.—Moncœurmeditquejelesouhaiteaussi.J’aibeaupensertrèsfortquejenedevraispas,jele

veux.Mais lemoment est peut-êtremal choisi pour discuter de notre relation, quand nos esprits sontbrouillésparlesexe,tunecroispas?

Ileffleuraseslèvres.—Aucontraire,jecroisquelemomentestidéal,parcequenousnesommesplussurladéfensive.

Iln’yaquenous.Sansbarrières.Justenous,etcequenousressentons.—Qu’est-cequeturessens,Ryan?Tuveuxvraimentrecommencerdezéro?—Oui,Kell.Jeleveuxtellementquel’idéequetumequittesmenouelestripes.Sonregards’agrandit.—Maisjenet’aijamaisquitté!—Neparlonspasdeça,d’accord?Quoiqu’ilsesoitpasséauparavant,lefaitestquejeneveux

pasquetupartesmaintenant.Cettepenséem’estinsupportable.—Bien,répliqua-t-elled’unevoixàpeineaudible.D’ungestefermeettendre,illuisoulevalementon.—C’estentendu,alors?—Oui. Jeveuxrester. Jenesaispasdu toutcommentnous réglerons toutça,mais jeveuxbien

essayer.Uneondedesatisfactiondéferlaenlui,sipuissantequ’elleluicoupalesouffle.Ildutcontenirsa

réaction,carilmouraitd’enviedelaserrersifortdanssesbrasquejamaisplusellenes’échappe.—Nousferonsmieuxqu’essayer.Nousyarriverons,Kell,et,cettefois,touts’arrangera.

-11-

—Ellen’abandonne jamais,hein?murmuraKellyenvoyantRoberta s’approcherde leur table,l’airdéterminé.

Ryansuivitsonregardetpoussaungrossoupir,trèsagacéparcetteinterruptionimminente.Aprèslamatinéeetunebonnepartiedel’après-midipasséesaulit, ilsavaientfiniparsortirdîner,etvoilàqueRobertafondaitsureuxtelunaiglesursaproie.

NonqueKellysoitjalouse.Entoutefranchise,Robertan’étaitpasletypedeRyan,encorequesontypeaitpuchangerdepuisleurrupture,supposa-t-elle.

Ce qui la gênait, c’était que leur nouvelle relation semble connue de tous. Preuve qu’elle voyaitjustequandelleaffirmaitquelafamilledeRyancommesesamisluiétaienthostiles.Ryancommençaitenfinàl’admettre.Maisl’admettrenesuffisaitpas.

L’amourétaitpeut-êtreplusfortquetout,maisKellyn’étaitpasnaïveaupointdepenserquelerejetfamilialnecréaitpasdestensionsinsoutenablesauseind’uncouple.Quipouvaitêtreheureuxquand,àlamoindreoccasion,lafamilledevotreamoureuxnesegênaitpaspourmanifestersadésapprobation?

Peut-êtreavaient-ilstouslesdeuxététropnaïfs,lapremièrefois.L’avenirdiraitsiaujourd’huiilspouvaientêtreplusfortsensemble.Maisqu’arriverait-il lorsqueRyan,sice jourvenait,apprendrait lavéritéausujetdeJarrod?Ainsiquelerôledesamèredanstoutel’affaire?

Denouveau,elleseraitencoreunélémentdedivisionentresafamilleetlui.Leurrelationrisqueraitalorsdenepasysurvivre.

Roberta s’arrêta devant la table, puis se pencha pour embrasser Ryan sur la joue. Comme ildétournaitlatête,seslèvresseposèrentsursabouche,laissantuneépaissetracederougeàlèvres.

Kellyreculadanssonsiègeensoupirant,résignéeàunenouvellescènepénible.Desoncôté,Ryansemblait…horsdelui.—Roberta!Quellemouchetepique,bonsang?Cettefois,iln’essayaitmêmepasderesterpoli.— Oh, je suis juste venu te dire au revoir.Mon vol décolle demainmatin, et j’espérais qu’on

pourraitfixerunmomentpourseretrouverquandtuserasrentréàNewYork.Tamèrevoudraitquenousdînionsensemble.

Elle décocha un regard dédaigneux— et provocateur— à Kelly, laquelle affecta en retour unprofond ennui par un bâillement peu discret. Roberta se rembrunit, mais s’empressa de reporter sonattentionsurRyan.

—Disonsceweek-end,parexemple?Jesuissûrequeçan’ennuierapasKelly.Aprèstout,toiet

moisommesdevieuxamis.—Moi,çam’ennuie,répliquaRyand’untonsec.Maintenant,sic’esttout,nousaimerionspouvoir

continuernotrerepas.—Jet’appelle,murmuraRoberta.Ondiscutera…plustard.Sous-entendu,sansKellydanslesparages.Cettefilleétaitcomplètementidioteouquoi?TentéederemettreRobertaàsaplacesansménagement,Kellyseravisapourtant,secontentantde

regarderRobertasefairesignifierunefindenon-recevoir.Celle-cieffleura levisagedeRyand’unemanièrequeKelly trouva répugnante, laissantcourirun

ongleinterminablelelongdesamâchoireavantd’agiterlamainetdedisparaître.—Jesuisdésolé,Kelly,grondaRyan,lesdentsserrées.Sachequejenel’aijamaisencouragée.Ellesouritetluitendituneserviettepourqu’ileffacelatracederougesurseslèvres.— Oui, j’avais saisi. C’est une personne… intéressante. Et incroyablement bouchée. Tu l’as

pourtantenvoyéebaladersansménagement.Cequim’inciteàmedemandercequetamèreluiapromis.Lessourcilsfroncés,Ryans’essuyaleslèvres,puisserenfrognadavantageencoredevantlamarque

grassesurletissu.IlroulalaservietteenbouleetpritlamaindeKelly.—Nelalaissonspasgâchercequiaétéunejournéeextraordinaire.Ellelevalesyeuxauciel.—Tudisçaparcequ’onacouchéensemble.Donnezdusexeàunhomme,etceladevientlaplus

fabuleusejournéedesavie.—Ehbien,ilyadeça,admit-ilavecunlargesourire,maisilnes’agitpassimplementdesexe

avectoi,Kell.C’est…beaucoupplus.Sontonsincèrelafitrougirdeplaisir.Ilarrivaitàluifairecroiretoutessortesdefolies,commepar

exemplequ’ilsparviendraienttousdeuxàsurmonterlacrisedeleurrelation.Ellechangeadesujet.—Alors,qu’est-cequetuveuxfaireaprèsdîner?—Pourquoipasunenouvellebaladesurlaplage?Onpourraits’arrêteraubarpourdanserunpeu.—J’aiadorélafaçondontonadanséhiersoir,reconnut-elled’unevoixrêveuse.Justetoietmoi.

Personneautourdenous.C’étaitmagique.Ill’observalonguement,sanscesserdeluicaresserlesdoigts.Puislesportaàseslèvrespourles

embrasserunàun.—Oui,magique.Demain,j’aipenséqu’onpourraitsortirdel’hôteletfaireunpetittourdansl’île,

siçatedit.Pourt’éviterdemarcher,j’ailouéuncabriolet.Leplandécapotableetcheveuxdanslevent,tuvois.

—Çaprometd’êtreamusant,répondit-elleensouriant.Cela faisait longtemps qu’elle ne s’était pas amusée. A chaque seconde, elle sentait sa poitrine

s’alléger.Impulsivement,elleserralamaindeRyan.—J’aimetevoirsouriredenouveau.Tuessibellequandtusouris.Jeveuxquetusoisheureuse,

Kell.Jeferain’importequoipourterendreheureuse.Cettedéclarationatténuaunpeusadouleuretsacolère.Ellecommençaitàcroireque,peut-être,ils

arriveraientàoublierlepasséetàtournerlapage.Ryanparaissaittellementsincère.Quoiqu’ilaitéprouvéàsonégardsixmoisplustôt,ilsemblait

disposéàtoutrecommencer.Pourquoisedonnerait-ilautantdemals’ilnetenaitpasàelle?—Jeveuxqueçamarche,affirma-t-elle.Pourlapremièrefois,ellelepensaitréellement,sansréserve.Qu’ilsretrouventlecheminl’unvers

l’autreétaitunrêvequasi impossibleà réaliser,quiexigeraitpardonetsacrifice.Maiselle ledésirait

plusquetoutaumonde.

***

—Laisse-moivoirtespieds,ditRyanenprenantplacesurlecanapéauprèsd’elle.Après avoir posé ses jambes sur ses genoux, il les examina avec la précision d’un praticien

chevronné.Puis ilentrepritdemasserdoucement leschevillesencoregonflées, luiarrachantdespetitsfrissonsdeplaisir.

—L’œdèmesembleavoirunpeudiminué.D’ailleurs,tusemblesenbienmeilleureforme,ajouta-t-il.

—Merci.C’estgrâceàtoi.Ryanredevintsérieux.—Tuétaisépuisée,quandjet’airetrouvéeàHouston.—Oui,reconnut-elle.Maisjepréfèrenepasenparler.—Unautresujettabou?Ellehaussalesépaules.—Iln’ensortiraitriendebon.—J’étaisunpeuinquietàl’idéequeturestesautantdeboutcesoir,poursuivit-ilsanscesserses

mouvementsdefriction.Maisj’aiadorédanseravectoisurlaplage.C’étaitunprétextepourtetenirdansmesbras.

Appuyéecontreledossier,ellesourit,savourantlecontactagréabledesesmains,quisepropageaitdanstoutsoncorps.

— Je me sens bien, Ryan. Vraiment bien. Plus du tout aussi fatiguée. Je n’ai jamais eu autantd’énergiedepuisledébutdemagrossesse.Nepasarrêterdelajournée,sansm’asseoir,avaitfiniparmemettreàplat.

Durantunebonneminute,ilgardalesilencetoutenluimassantlavoûteplantaire,puislesorteils.Ilsemblaithésiteràdirequelquechose.Endéfinitive,plantantsonregarddanslesien,ilsejetaàl’eau.

—Pourquoin’as-tupasencaissélechèque,Kelly?Jetel’avaisdonnépourquetusoisàl’abri.Peuimportecequetuavaisfait,macolèreoulasituationentrenous,jetenaisàt’offrirmonassistance.As-tulamoindreidéedecequej’airessentientedécouvrantentraindetravaillerdanscebougeetdevivre,quedis-je,survivredanscetendroitsinistre?Bonsang,tun’avaismêmepasdequoimangerdanslestudio!

—Jemangeaisaucafé-restaurant.Illâchaunsoupirexaspéré.—Commesiçapouvaitmerassurer!Pourquoin’as-tupasutilisél’argent?Tuauraisputerminer

tesétudes.Etvivreencorelongtempssansavoirbesoindetravailler.—J’aimafierté,Ryan.Elleabeauenavoirprisuncoup,elleestintacte.Sijen’avaispastrouvé

detravailetquej’avaisdûchoisirentremourirdefaimettoucherunargentquimedonnaitl’impressiond’êtresale,jesupposequejemeseraisfaituneraison.

—Tumedétestaisàcepoint?demanda-t-ild’unevoixétranglée.Aupointdepréférertravaillerdansdesconditionsaussidéplorablesplutôtqued’accepterquoiquecesoitdemoi?

Ellesoutintsonregard.—Neposepasdequestionsdonttun’espasprêtàentendrelesréponses.—J’imaginequec’estuneréponsesuffisante.—Toiaussi,tumedétestais,observa-t-elle.

Commeilsecouaitlatête,ellereprit,lesyeuxécarquillés:—Non?Ryan, tuasditet faitdeschosesépouvantables.Entreautres,etnondesmoindres,me

jetercefichuchèquesouslenezavecuntelméprisquejemesouviensencoredecequej’airessenti.—Tuespéraisquoi?protesta-t-il.NomdeDieu,Kelly,jevenaisd’apprendrequetuavaiscouché

avecmonfrère.Onétaitfiancés,onprogrammaitnotremariage,ettucouchesavecmonfrère!—Etbienentendu,luiestirréprochabledansl’affaire,riposta-t-elle.Dis-moi,ilt’afallucombien

detempspourluipardonner?Combiendetempspourqu’ilreviennecheztoiquandbonluisembleetquevousalliezdînerenfamillechezvotremère?

Levisageempourpré,ilpassaunemainnerveusedanssescheveux.— Ilm’a fallu un bonmoment, d’accord ? J’étais furieux contre lui— et contre toi. Je devais

décidersicequis’étaitpasséentrevousdétruiraitàjamaisnotrerelationounon.C’estmonfrère,aprèstout.Mafamille.

Oubliantleursermentdenepasparlerdupassépendantcettesemaine,Kellysepenchaenavant,leregarddur.

— Etmoi, j’étais la femme que tu devais épouser,Ryan. Je neméritais donc rien ?Hormis unchèquededédommagementetmevoirchasséedetaviecommeunemalpropre?

— Aujourd’hui je suis là, avec toi. J’étais en colère.Une colère légitime. Je ne vais pasm’enexcuser.Maismaintenant,jeveuxquenoustentionsderecommencer.Nousavonstouslesdeuxcommisdeserreurs.

Elleferaitsansdoutemieuxdechasserlarancœuretlafuriequibouillonnaientenellechaquefoisqu’ils évoquaient le passé.De toute façon, elle n’avait aucune chance de gagner. Leurs efforts étaientvains.

Reprenant saposition initiale, elle remua lepiedafinqu’ilpoursuive sonmassageet changeadesujet.

—Alors,oùallons-nousdemain?Est-cequejedoisporterunfoulardetd’immenseslunettesdesoleilpouravoirl’airchicdanstoncabriolet?

Soulagéparcettediversion,Ryansedétendit.—Metscetterobesupersexyquet’aachetéeJansen.—Laquelle?Ilm’enaachetéplusieurs.—Ah,tun’aspasdûlavoir!Tusauraissinondelaquellejeparle.C’estuneroberouge.Parfaite

pour ta carnation. Sans bretelles, moulante pile aux bons endroits. Prends juste un chapeau pour teprotégerdusoleil.

—Formidable.C’estsiléger,sanssouci,soupira-t-elled’unairbéat.Ellen’avaitrienfaitdelégeretd’insouciantdepuissilongtemps…—J’ail’intentionquetoutsoitdenouveauformidableentrenous,Kell.Commeavant.Nousétions

heureux.Ellenepouvaitquelereconnaître.Ilsl’avaientété.Trèsheureux.Elleacquiesça,etilsourit.—Tuesprêteàalleraulit?—Toutdépenddecequetuasentête,murmura-t-elle.UnelueurcoquineéclairaleregarddeRyan,tandisqu’ilremontaitlesmainslelongdesesjambes,

doucesetcaressantes.—Ehbien,jeneprévoyaispasdedormir.Pastoutdesuite,dumoins.—Encecas,oui,allonsnouscoucher.Ilselevaetlapritdanssesbras.—Ryan,repose-moi!Jesuistroplourde!

D’unbaiser,illafittaire.—Petita:turestesunpetitgabarit.Petitb:es-tuentraindesous-entendrequejenesuispasassez

virilpourportermafemme?Elleéclataderire.—Oubliecequej’aidit.Continuedemeporter,c’estparfait.

-12-

Aucunmotn’auraitsuffiàexprimeràquelpointelleappréhendaitderemonterdansl’avionetderentreràNewYork.Lesdeuxderniersjourss’étaientdérouléscommedansunrêve.Lemeilleuretleplusharmonieuxdesrêves,exemptdumoindreincident.

Aprésent,ilsretournaientàlaréalité.LaGrossePomme,froideetdéprimante.NewYorkneluiavaitpastoujoursinspirécessentiments,maislavillenereprésentaitmaintenant

pourellequedesmauvaissouvenirs.Ellenepartageaitpastoutàfaitl’optimismedeRyanquantàleurcapacitéàrecollerlesmorceauxetàpoursuivreleurrelation,faceàtantd’élémentscontraires.

Commes’ildevinaitsaréticence,Ryanglissaunbrasautourdesatailleetl’aidaàmonteràbord.Unefoisassis,ilbouclasaceinturedesécuritépourelle.

—Toutirabien,Kell.Fais-moiconfiance.Comme elle aurait aimé que les choses soient aussi simples ! Néanmoins, elle le rassura d’un

sourire,avantdes’installeràsonaise.A mesure que le vol approchait de sa fin, Ryan commença cependant à montrer des signes de

nervosité.Ilnecessaitdelatoucher.Audébut,ellecrutquec’étaitpourlatranquilliser,maisellefinitparsedemanders’ilnecherchaitàseréconforterlui-même.

Pensait-ilqu’elleprendraitsesjambesàsoncouaussitôtqu’ilsauraientatterri?Malgrélatentationdelefaire,elleluiavaitdonnésaparoleetlatiendrait.Mêmesielledevaitylaissersapeau.

Ilsn’avaientpasvraimentparlédecequisepasseraitquandilsseraientrevenusàNewYork.Peut-êtreparceque, l’uncomme l’autre, ils étaient résolus ànepasgâcher cettemagnifiqueparenthèse surl’île.

Cettefoisencore,unevoiturelesattendaitsurletarmac.Delaneigefonduetombaitd’uncielgrisetbas.Ryanlapressadeseréfugierdanslachaleurduvéhicule.

Kelly frissonnamalgré lechauffage, tournéaumaximum.Quittersoleiletplagesdesablepour lefroidmordantdeNewYorkconstituaitunsacréchoc.

L’euphoriequiavaitbaignélamajeurepartiedeleurséjoursurl’îles’évanouit,laissantplaceàunepesanteurenaccordavecleclimatlourdetplombédelaville.

Ryanl’attiraàluietl’embrassasurlatempe.—Cesoir,j’aienviequ’onsefasselivreràdîner,demangerdevantlacheminéeetdepassertoute

lanuitàtefairel’amour.Elleseblottitensoupirantcontrelui.D’unemanièreoud’uneautre,ilavaitsutrouverlesbonnes

parolespoursoulagerquelquepeul’angoissequil’oppressait.—J’aipasséunesemainemagnifiqueavectoi,déclara-t-elle.—Tantmieux.Moiaussi.C’étaitcommeavant,mais…enmieux.C’étaitvrai.Plushonnête,aussi.Amoinsqu’ilsn’aienttenuaucunmomentdeceséjourpouracquis.

Aladifférencedupassé.Ilsavaientappréciéetprofitédechaqueinstantensemble.Ils avaient ri, aimé, fait l’amour. Le dernier jour, ils n’avaientmême pas quitté la chambre. Les

repasservissurplace,ilsétaientrestésaulit,n’ensortantquepourpartagerunelonguedouche.Kellyauraittantvouluquecemomentprivilégiédurepluslongtemps.Maistôtoutard,ilfallaitbien

braverlatempête.—J’aidemandéàJansendeteprendrerendez-vouschezlemédecindemain.Jeveuxêtrecertain

quetoutvabienpourtoietlebébé.Soninquiétudelatouchait.Ellesourit.—Partiravectoim’aétéplusbénéfiquequen’importequeltraitementmédical.Ryanparutravidesaréponse,raviqu’ellel’admette.Ill’embrassadenouveautandisquelavoiture

s’arrêtaitdevantsonimmeuble.Il bondit hors de la voiture et se précipita pour l’aider à descendre et à entrer à l’intérieur de

l’immeuble.Unefoisdansl’ascenseur,Kellyserenditcomptecombienelleredoutaitdeseretrouverlà,danscetappartement.Danscetteville.

— Lechauffeurvamonter lesbagages.Allonge-toi sur lecanapé,d’accord? Jevaisallumer lacheminéeetnouspréparerquelquechoseàboire.Tuasfaim?

—Mm,non,répondit-elle.Maisunplatthaïplustardmeferaitplaisir.Pourlemoment,unjusdefruitsuffira.

—Vapourlethaï.Mets-toiàl’aise.Enlèveteschaussuresetrelèvelespieds.Jepariequetuasleschevillesenflées,àforced’êtrerestéesilongtempsassise.

Sontondemèrepoulelafitpouffer,maiselleobtempéraets’installadanslesomptueuxcanapédecuir.Defait,seschevillesprésentaientuneapparenceboursouflée.

Elletiqua.Ryanetlemédecinallaientrouspétertouslesdeux,alorsqu’ellen’avaitfaitquemangersainement,sereposeretsedétendreaucoursdesderniersjours.Qu’est-cequ’ellepouvaitfairedeplus?

Ryan venait de la rejoindre, déposant leurs verres sur la table basse, quand son portable sonna.C’étaitprévisible.Ilavaitétéabsentplusieursjours.Quesontravaill’accaparebeaucoupn’avaitriendenouveau.Parlepassé,pourtant,ellen’hésitaitjamaisàletaquinerouàledistrairedanscesmoments-là.CequiagaçaitRyanautantquecelal’excitait.

Cettefois,cependant,ellesetinttranquilletandisqu’ilsortaitsonBlackBerrydesapoche.Ayantnotéquil’appelait,ilpinçaleslèvresetportal’appareilàsonoreille.—Bonsoir,maman.Kellysoupira.Iln’avaitpasfallulongtemps.Ryann’étaitpasundeceshommespendusauxjupesdeleurmère.Mais,enbonfils,illarespectait

etnevoyaitpastoujourssesdéfauts.Commelaplupartdesenfants,supposait-elle.Ou alors, il refusait de la considérer comme la femme calculatrice et vindicative que Kelly

connaissait.Naturellement,elledevaitavoirsesbonscôtés.Detouteévidence,elleadoraitsesfils.Maiselleneseraitjamaisquelqu’unpourquiKellyseprendraitdesympathie.

— Oui, nous sommes rentrés. Dis-moi, maman, pourquoi as-tu envoyé Roberta là-bas ? Jen’appréciepasdutoutquetutemêlesdemesaffaires.Etjenetoléreraiaucunmanquederespectvis-à-vis deKelly. Tu dois accepter que nous soyons ensemble. Si tu n’y arrives pas, toi etmoi aurons unsérieuxproblème.

LesyeuxdeKellys’arrondirent.LavoixdeRyanétaitempliedecolère,etsonregard,dur.—Onverra,poursuivit-il.Dansl’immédiat,Kellyetmoiavonsbesoind’unpeudetempsànous,

sansingérence,mêmebienintentionnée.Jeterappelleraiquandnousseronsprêtsàtousnousréunirpourundîner.

Misère…Ne pas faire la grimace demanda à Kelly un effort considérable.Mais, après tout, ils’agissaitdelamèredeRyan.Delagrand-mèredesonenfant,quandbienmêmeelleauraitsouhaitéqu’ilensoitautrement.

—Moiaussijet’aime,maman.Jedoisyaller,maintenant.Onvientderentreretonestcrevéstouslesdeux.

Aprèsavoirraccroché,iljetaletéléphonesurlecanapé.Kellyleregardad’unaircurieux.—MamannousprésentesesexcusespourlaconduitedeRoberta.Etlasienne.Ellevoudraitdîner

avecnousunsoir.J’airéponduquejeluidiraiquandonsesentiradisposésàlefaire.N’ytrouvantrienàredire,Kellygardalesilence.Pourmasquerl’embarrasdumoment,ellesirota

sonjusd’orange.Ryanregardasespiedssurélevésetserenfrogna.—Ilssontplutôtgonflés,non?—Oui,hélas.Apparemment,jesuisunebaleinequiretientl’eau.—C’estdouloureux?Tuveuxquejelesmasse?—Non,çava.Ilsfontunpeumal,maispourlemomentjen’aipasenviequ’onytouche.Jevais

resterdanscettepositiontoutelasoiréeetboirebeaucoupd’eau.Lepotassiumdujusd’orangeaidera.Ill’embrassasurlefrontalorsquel’Interphonebourdonnait.—Voilànosbagages.Jereviens.Kellychangeadepositionpoursoulagersondos.Envérité,elleétaitlassed’êtreassiseaprèstoutes

cesheuresdansl’avion.Maispasquestionpourautantdesemettredeboutavecdeschevillesenfléesetendolories.

Décidantenfindecomptedenepass’asseoir,elles’allongeasurlecôté,coinçauncoussinentresesjambes,etsoupirad’aise.

Elleobservalesfloconsdeneigetournoyerderrièrelabaievitrée.Letempssemblaitincapabledesedéciderentrepluieetneigefondue.Pourl’instantdumoins,lesfloconsl’emportaient.

Lesflammesdelacheminéeàgazcréaientdanslesalonuneambiancechaleureuseetdouillette.Lesyeuxsurlefoyer,ellesesentitgagnéepeuàpeuparunedouceléthargie.Elleprit leplaidposésurledossierducanapéets’enenveloppa,heureusedesesentirenfinconfortableaprèsunsilongvoyage.

Sespaupièress’alourdissaient,maiselleneluttapascontrelesommeil.Ryanlaréveilleraitpourledîner.

***

LorsqueRyan revint dans le salon,Kelly dormait à poings fermés, enroulée dans le plaid. Il futfrappéparsonapparencesijeune,siinnocente.Ellen’avaitriend’unegarcequis’évertuaitàmonterunfrèrecontrel’autre.

Avoir de telles pensées alors que tous deux s’efforçaient de surmonter le passé était sans doutemalhonnêtedesapart,maisilneparvenaitpasàluttercontrelespenséessombresquil’assaillaientdetempsàautre.

Quellefauteavait-ilcommisepourqueKellychercheduréconfortauprèsdesonfrère?Etpourquois’évertuer à saboter sa relation avec Jarrod,quandcelui-ci lui avait annoncé son intentiond’avouer à

Ryanqu’ilsavaientcouchéensemble?Ryansesentaitdavantageunpèrequ’unfrèrepourJarrod.Huitanslesséparaient,etàlamortde

leurpère,Ryan,toutjusteadolescent,avaitprislerelais,assumantlerôlepaternelenversJarrod,encorepetitgarçon.

Ilavaitassistéàtoussesmatchsdebase-ball,l’avaitemmenéàdesévénementssportifs.Aucinéma.Ilavaitétéprésentlorsdesaremisedediplômeaulycée.L’avaitaidéàdéménagerquandilétaitpartifaire ses études, puis soutenu quand il avait décidé de rentrer et de poursuivre une carrière dans lafinance.

Riennedevraits’immiscerentredeuxfrères.Etsurtoutpasunefemme.MaisKellyl’avaitfait.NonseulementsarelationavecJarrodenavaiténormémentpâti,maissoncouplen’yavaitpassurvécu.

Uncouplequ’ilavaitpourtantl’intentiondereconstruire.Pouryparvenir,ildevaitd’aborddéterminercequiavaitmaltournéentreeux.Peuimportelapromessequ’ilss’étaientfaitedenepasenparler.S’ilsvoulaientdenouveauêtre

heureux ensemble, ils devraient, à unmoment ou un autre, revenir sur le passé. Ils ne pourraient pasl’ignoreréternellement.

Ryan ramassa son téléphone et, sans bruit, passa dans la pièce voisine pour appeler Devon etCameron.

-13-

Le lendemain,RyanaccompagnaKellychez lemédecin.Elleavait supposéqu’elle irait seule, etqueRyan,aprèspresqueunesemained’absence,seraitretournéaubureau.

Or,nonseulementill’avaitaccompagnée,maisilnel’avaitpasquittéed’unesemelleduranttoutelaconsultation.

Commeelle s’y attendait, lemédecin s’inquiéta de l’œdèmede ses chevilles et constata que sesurinescontenaienttoujoursuntauxélevédeprotéines.Illuiposad’interminablesquestionssursonétat,puislasermonna,insistantsurl’absoluenécessitéqu’ellesereposeaumaximum.

Ryanbutchacunedesesparoles,etquandilspartirent,elleétaitcertainequ’ill’enfermeraitdanssachambreavecinterdictiond’ensortirjusqu’àlanaissancedubébé.

Elle se préparait déjà à tourner comme un lion en cage, mais il ne dit rien. De retour àl’appartement,ilneluiordonnamêmepasdesuréleversesjambes,alorsquec’étaitlapremièrechosequ’ellefaisaitdèsqu’ilspassaientlaporte.

—Amonavis,tantquetunedépassespaslesbornes,riennet’interditdetedéplacerunpeu.Ledocteur est d’accord pour qu’on se contente de surveiller attentivement le moindre changement oumalaise,afind’évitertouteaggravation.

Dieumerci,ilétaitdisposéàsemontrerraisonnable.—Jepensaisqu’onpourraitdînerdehorscesoir,siçatedit,poursuivit-il.Ilfaitfroid,maisils

n’annoncentpasdeneige.Jesaisquetuaimesbiensortir.Touchéequ’ils’ensouvienne—d’ailleurspourquoil’aurait-iloublié?—Kellysouritetacquiesça

avecenthousiasme.ElleadoraitNewYorklanuit.Leslumières,lesrestaurantscosy,lespetitsbistrotsdequartier…

—J’aienvoyéJansent’acheterdesvêtementschaudsetunmanteau.Enattendantquetuaiesenviedefairedushoppingtoi-même.J’iraiavectoiquandtulevoudras.

SachantàquelpointRyandétestaitleshopping,sonoffrel’émutbêtement.—Ondevraitaussienvisagerassezrapidementquelquesemplettespourlebébé,conclutenfinRyan

d’unevoixsoudainenrouée.Surprise,Kellyledévisageauninstant.Puis,baissantlesyeuxsursonventre,elleserenditcompte

qu’il avait raison. Il restait peu de temps avant l’accouchement. Six semaines, peut-être ? Mais lespremiers-néss’annonçaientsouventplustôt.Etellemanquaitterriblementdepréparation.

AHouston,ellevivaitaujourlejour,priantpourque,chaquemois,sonchèquedesalairesuffiseàpayerleloyeretàéconomiserpourlapériodeoùelledevraitarrêterdetravailler,aprèslanaissancedu

bébé.Sansargentàconsacrerauxachatsquetouslesfutursparentsfaisaientenprévisiondelanaissance,ellen’yavaitpasmêmepensé.

Prised’unepaniquesubite,ellejetaàRyanunregardconsterné.—Hé!s’exclama-t-il.Jen’avaispasl’intentiondetemettrelapression.Aucontraire,jecroyais

quel’idéedefairedescoursespourlebébét’exciterait.—Jen’ai rien,avoua-t-elle.Pasde layette.Pasdeberceau.Nidecouches.Seigneur, jenesais

mêmepascequ’ilmefaut.Quandj’étaisàHouston,m’ensortiraujourlejoursuffisaitàmonbonheur.Jeneregardaisjamaisplusloin.C’étaittropangoissant.

Illapritdanssesbrasetluicaressadoucementlescheveux.—Iln’yapasd’urgence,d’accord?J’achèteraidesmagazinesetdes livressur lamaternité,et

pendantlesprochainsjours,tuvastereposer,lespiedssurélevés,etlireautantquetuvoudras.Ensuite,tuétabliras une liste. On regardera tout ça ensemble, ce sera sympa. On a encore plein de temps avantqu’ellen’arrive.

Quelquepeusoulagée,ellel’étreignit.—Merci.Tuviensdem’éviterunebellecrisedenerfs,jecrois.Jemesenstellementnulle.Dire

quejen’aimêmepasunepairedepetitschaussons.Quellemèrejevaisêtre,telquec’estparti?—Tuserasunemamanmerveilleuse.Tuasdûfairefaceàuntasdechoses,Kell.Nesoispastrop

dureavectoi-même.Maintenant,situallaisprendreunlongbainettepréparerpourledîner?Ellesehissasurlapointedespiedspourl’embrasser.Ellefaillitluidire«jet’aime»,maisravala

lesmots,secontentantdel’embrasserdenouveau.Ryanluirenditsonbaiser,s’attardantsurseslèvres,sedélectantdesabouche.Ellen’auraitpasdûêtreaussitristedeconstaterqu’ellel’aimaittoujours.Pourtant,ensedirigeant

verslasalledebains,ellesentitsoudainunpoidssursapoitrine.

***

—J’aieuRafaelautéléphoneaujourd’hui,annonçaRyanaucoursdudîner.—Commentva-t-il?Jen’arrivetoujourspasàcroirequ’ilaiteuunaccidentd’avionetperdula

mémoire,puisqu’ilsoittombéamoureuxd’unefemmequ’ilaescroquéepourduterrain.Ryanserembrunit.—Racontécommeça,celaparaîttrès…—Ignoble?suggéraKelly.Jesaisquec’esttonami,maisjel’aitoujourstrouvéarrogant.Surtout

enverslesfemmes.Ilnem’ajamaisaimée.—Rafeachangé.Çapeutsemblerbizarre,maisaprèssonaccident,ilaeffectuéunvirageàcent

quatre-vingt degrés. En tout cas, Bryony et lui sont rentrés de leur lune demiel, et ils viennent dansquelquesjoursàNewYorkpourmettresonappartementenvente.

—Ildéménage?Kellyn’enrevenaitpas.Rafaelétaituncitadindansl’âme.Iladoraitlaville.Adoraitvoyager.Elle

nel’imaginaitpasvivantailleurs.—Oui,avecBryony,ilsvonts’installersurMoonIsland.—Ehbien!Rafaeldoitêtresacrémentamoureux.— Etonnant ce qu’un homme amoureux est capable de faire pour la femme de sa vie, répondit

doucementRyan.Kelly restaconcentrée sur sa soupe.Bisquedehomard.Après sixmoisdenourriture insipideau

café-restaurant, sespapillesgustatives frisaient l’orgasme,etellesavouraitchaqueplatdesanouvelle

alimentation.Enunesemaine,elleavaitplusmangéqueduranttouscesmoisàHouston.Acerythme,elleallait

enfler comme une montgolfière. Chez le médecin, elle avait même fermé les yeux en montant sur labalance,pournepassavoircombiendekiloselleavaitpris.

—Ilvoudraitquenousnousréunissionstous,repritRyan.Cettefois,ellelevalatête,leregardméfiant.—Précise-moiquiest«nous».—Toi,moi,DevetCam,etbiensûrRafeetBryony.J’aipenséqueceseraitbiend’inviteraussi

maman,lesautresfaisanttamponentreelleettoi.Onferaitd’unepierredeuxcoups.Voilàquipromettaitunesoiréecauchemardesque,mêmesielles’abstintdeleformuleràvoixhaute.

Ellen’imaginaitriendepirequeseretrouveraumilieudesmeilleursamisdeRyan,bienentendutousaucourantqu’ellel’avaittrompéavecJarrod.Lapenséelafitfrémir.Ensuite,laprésencedesachèremère.Pourcompléterletableau,ilnemanquaitplusque…lefrère.

—EtJarrod?demanda-t-elled’untonglacial.—Ilneserapasinvité.Jeneteferaispasunechosepareille,Kell,réponditcalmementRyan.—C’estcensésepasserquand?— En fin de semaine prochaine, a priori.Organiser la vente de l’appartement va beaucoup les

occuper.NousironsdînerchezTony.Tuaimesbiencerestaurant.C’estsympaetdécontracté.Çanouspermettradepartirn’importequand, sansobligationdese rendrechezquiquece soitetdevoir resterjusqu’aubout.

Elle soupira. Il fallait rendre justice àRyan : il faisait sonpossiblepour lui faciliter les choses.Alorslemoinsqu’ellepuissefaireétaitdesemontreraccommodante.Sesamiscomptaientpourlui.Samèreégalement.

—D’accord.Pasdeproblème.Ceserasympaderevoirtoutlemonde,ajouta-t-elleavecunsourireforcé.

Unmensonge qui l’étrangla presque, mais qui en valait la peine, à en juger par le soulagementqu’ellelisaitsurlevisagedeRyan.

Illuipritlesmains.—Onréussiracettefois,Kelly.Tuverras.—Çamerassuredesavoirquetuycrois,avoua-t-elleenmêlantleursdoigts.—Tuendoutes?—Jementiraisenprétendantlecontraire.Jesuismortedepeur.Terrifiéeàl’idéedesortirdechez

toi.Jen’aimepaslapersonnequejesuisdevenue,maisçanechangepaslefaitquejesuistrèsdifférentedelaKellyquetuasconnue.Jesuisplusprudente.Plus…dure.Celanemeplaîtpas,maisj’aiapprisàl’être,parnécessité.

Leregardgrave,ilserrasesmainsentrelessiennes.—Epouse-moi,demanda-t-ildebutenblanc.Stupéfaite,elleledévisagea.—Quoi?—Epouse-moi.Ilsortitunpetitécrindesapocheetl’ouvritd’unepichenette.Unmagnifiquediamantétaitnichéau

creuxduvelours.Comme il lui tendait le bijou, elle releva les yeux vers lui, bouche bée. Il devait avoir perdu

l’esprit.—J’hésitaisentreterendretonanciennebagueouenacheteruneautre.J’aiconservél’ancienne

avecmoipendanttoutletempsoùtuétaispartie.Finalement,j’aidécidéqu’onméritaitderecommencerdezéro.Alorsj’aiachetéunenouvellebaguepourunnouveaudépart.

Bouleversée,ellecontinuaitdeleregardersansmotdire.Ilhochalatêted’unairpiteux.— Je sais que ce n’est pas la plus romantique des demandes en mariage. Ni les meilleures

circonstances.J’avaisl’intentiond’attendrelebonmoment.Quenousayonsréglénosproblèmes.Maisj’étaisimpatient.Deplus,quandmesamisetmafamilletereverront,jeveuxqu’ilscomprennentquenoussommesdenouveauensemble,quetueslafemmequejecompteépouser,etquetuastoutmonsoutien.

Ellesentitsesyeuxs’emplirdelarmesetsoncœursegonflerd’émotion.Ryann’esquissaitpasungestepoursortir labaguedesonécrinet lapasseràsondoigt.Ilsecontentaitdetenir l’écrindanssapaumedemain,lalaissantprendresadécision.

—Mais,Ryan,bredouilla-t-elle.Ilyatellementde…Lepassé…—Chut.Jesaiscequetuvasdire.Ilnousrestebeaucoupdepointsàdiscuter.Arésoudre.Maisje

tenaisàfairecelad’abord,pourquetusachesque,peuimportecequiressortiraquandonreviendraenfinsurlepassé,jeveuxtoujourst’épouser.J’aibesoinquecesoitclairpourtoi.Peut-êtremêmequeçanousaidera. Peut-être qu’on aura moins de mal à parler en sachant que, de toute façon, les choses entrenousaujourd’huinechangerontpas.

Kellyessuyanerveusementsesjoueshumides,résolueànepasgâchercetinstantens’effondrant.—Danscecas,d’accord.J’acceptedet’épouser.Ryanparuttrèsétonné,commes’iln’avaitpasréellementcruqu’elleaccepterait.Puisilsourit,etla

joiequiéclatasursonvisagelalaissasansvoix.Lesyeuxbrillants,illuiécrasalittéralementlamaindebonheur.

Ilôtaalorslabaguedesonécrinetlapassaàsonannulaire,puisl’embrassaavecfouguepar-dessuslatable.

Quandils’écarta,ilsemitbrusquementdeboutetl’aidaàselever.—Allons-y,dit-ild’unevoixrauque.Rentronsàlamaison,oùnousseronsseuls.Jeveuxtegarder

àl’abridurestedumonde.Lovée entre ses bras, ils passèrent devant les autres dîneurs, indifférents aux regards qu’ils

suscitaient.Al’extérieurdurestaurant,ellenesentitpaslabriseglacéequilesenveloppatandisqu’ilsregagnaientlavoituredeRyan.

Pourunefois,elleavaitchauddedans.Après tantde tempsàn’éprouverquefroidetsolitude, lesoleilbrillaitdanssoncœur.

-14-

QuandKellyseréveilla,Ryanavaitquittélelit.Uncoupd’œilauréveilluiexpliquapourquoi.Ilétait9heurespassées,etildevaitêtrepartidepuislongtempsaubureau.

A leur retourdeStAngelo,elle s’était installéedans lachambredeRyan.Cequi s’était fait toutnaturellement. Il avait porté les bagages de Kelly dans sa chambre à lui et, l’heure venue d’aller secoucher,ill’avaitportéeaveclamêmeévidencejusqu’àsonlit.

Elleyétaitrestée.Avecquellefacilitéilsétaientretombésdansleurspetiteshabitudes…Commeavant.Avant,elletenaitleurententepouracquise.Leurconfiancemutuelle.Lafluiditédeleurrelation.A

l’époque,elleignoraitavecquellerapiditéleschosespouvaientsebriser.Cequin’étaitpluslecas.Aujourd’huiencore,ellesedemandaitcommentunetellechoseavaitpuseproduire.Elletrouvaittoujoursuneexcuse,uneraison.Ryannel’aimaitpasassez.Iln’avaitpasconfianceen

elle.Leurrelationétaittroprécentepourrésisteràcegenred’épreuve.Maisquellequesoitlaraison,lerésultatétaitlemême.Lorsquelesdifficultésétaientapparues,tout

cequ’ellecroyaitsolideentreeuxs’étaittransforméensable.Cequin’auguraitriendebonpourleuravenir.Pourtant, elle refusait d’y penser pour l’instant.Bien sûr, elle avait tort de se fier autant àRyan.

Maisl’espoirétaituneforcepuissante.Quiincitaitvolontiersàsevoilerlaface.Ellenecessaitdeserépéterquecettefois,peut-être…Cettefois,peut-êtreparviendraient-ilsàtoutarranger.Quandbienmêmecelasignifiaitsupporterà

jamaislefardeaudesavoirquel’hommequ’elleaimaitétaitpersuadéqu’ellel’avaittrahiavecunautre.Sonproprefrère.

Souvent,ellevoulaitleconfronteràlavérité.Leforceràl’écouter.Al’entendre.Maischaquefois,ellesemordaitleslèvresetsetaisait.Aquoicelaservirait-il?

Ilrisquaitfortdenepaslacroire.Quiplusest,s’illacroyait,est-cequecelachangeraitquoiquecesoitaupassé?Est-cequeçamodifieraitleuravenir?

Est-cequ’ellesesentiraitmieux,aumoins?Passûr.Ryanavaitbeaupenserqu’elleluiavaitmenti,ilsouhaitaittournerlapage.Avait-elletortdevouloirplus?Devouloiràtoutprixqu’ilsachecombienils’étaittrompé?

Cedilemmel’empoisonnaitchaquejourdepuisqu’ilsavaientrenoué.Unepartied’elletenaitàcequ’iladmettesonerreur,s’ilétaitsincèredanssondésirqu’elleleurdonneunenouvellechance.

Uneautreluisoufflaitquesafiertéetsacolèreétaientunebarrièreàsonbonheur,etqu’elleferait

mieuxdelesmettredecôté.Car, en définitive, ne désirait-elle pas avant tout faire sa vie avecRyan ?Au fond, la façon d’y

parvenirimportait-ellevraiment?Allongéedanslelit,elleinterrogeaitleplafond.Oui,celaavaituneimportance.C’étaitmêmeprimordial.Jamaisellenepourraitêtreheureuseavec

luisiellesavaitqueRyandemeuraitconvaincuqu’elleavaitcouchéavecunautrehommealorsqu’elleluiavaitpromisfidélité.

Enfait,ellecraignaitsurtoutqu’ilrejettedenouveausaversiondesfaits.Sicelaarrivait,ellesavaitqu’ellenepourraitpaspassersavieaucôtéd’unhommequineluifaisaitpasconfiance.

Elledevaitpourtantadmettreladurevérité:lapeurlaretenait.Nonlafierté.Niquoiquecesoitd’autre.Si,cettefois,Ryannelacroyaitpas,jamaisilsnepourraientresterensemble.

Refusantdecéderàsesangoisses,elles’efforçadechassersessombresruminationsetsortitdulit.Ellegagnalesalon,etdécouvritavecsurpriseunplateaudepetitdéjeunersurlatable,chargédebagels,defromageetdetoutunassortimentdefruits.

Maiscequiattirasonattentionfutlapairedeminusculeschaussonsjaunes.La gorge nouée, elle prit les adorables petits bottillons duveteux, puis lut la carte qui les

accompagnait.«Parcequetuasditquetun’enavaispasencore.Milletendresses.Ryan.»Elleselaissatombersurunechaise,leslarmesauxyeux.Leschaussonscontresajoue,ellesuivitla

signaturedudoigt.—Jenedevraispast’aimerautant,murmura-t-elle.Pourtant,ellenepouvaitpass’enempêcher.Ellel’aimait,l’adorait,ledésiraitàenmourir.Ilétait

samoitiéd’orange.Sanslui,ellesesentaitincomplète.Ainsidébutaunrituelamoureuxquilatouchaauplushautpoint.Chaquematin,quandellesortaitdulit,unnouveaucadeaudeRyanl’attendait.Il y eut un livre de maternité, abondamment détaillé, qui expliquait tout, de la naissance à la

premièreannée.Unjour,illaissadeuxtenues.Unepourgarçon,l’autrepourfille.«Aucasoù»,avait-ilécrit.Lecinquièmematin,unsimplemotluiindiquaqueleprésentsetrouvaitdanslasecondechambre.Toutexcitée,ellefonçaverslapiècequ’elleoccupaitauparavantetouvritlaporteàlavolée.Iln’y

avaitpasuncadeau,maisunemultituded’objetspourbébé.Unepoussette.Unberceaudéjàmonté.Unpetittransat.Toutessortesdejouets.Unetableàlanger.

Ellen’arrivaitpasàenfaireletour.Ellenesavaitmêmepasàquoitoutservait.Commentavait-ilréussiàintroduirecelaendouce,sansqu’elles’enaperçoive?Etprèsdelafenêtretrônaitunrocking-chairavecunchâleencachemirejaunerepliésurledossier.Emue,Kelly traversa lapiècepourdonneravecvénérationunepetitepousséeaufauteuildebois

patiné,quisebalançadoucementd’avantenarrière.Sespiedssouffraientdéjàdecettestationdeboutprolongée.Aussis’assit-elle,afindecontemplerla

chambreempliedestrésorsdestinésàleurenfant.Elleressentaitdavantagelafatiguecesdernierstemps,maisavaitprissoindenepasalarmerRyan.

Ilsedonnaittantdemalpourfairedechaquejourunjourspécial.Ellesesentaitplusamoureusedeluiquejamais.Le dîner avec samère et ses amis était prévu pour ce soir. Pourtant,même cette perspective ne

parvenaitpasàternirsonexcitationetsonbonheur.D’ailleurs,c’étaitsansdoutel’intentiondeRyanavectouscescadeaux.Unefaçondeluisignifierdenouveauqu’illasoutiendraitcontretouteformedemépris

oud’animosité.Unestratégieefficace,carellenevoyaitpascequelesautrespourraientdireoufairequidissiperait

lepetitnuagesurlequelellemarchait.Ryantenaitàelle.Ilvoulaitl’épouser.N’était-cepaslaseulechosequiimportait?Elle s’accrocha à cette pensée un peu plus tard, quand, devant le placard ouvert, elle tentait de

trouverlatenueparfaitepourledîner.Avant, il ne lui serait jamaisvenuà l’idéequ’une tenuepuisse être trop sexyou suggestive.Son

uniquecritèreétaitqueçaluiaille,etqueçapuisseplaireàRyan.Or,àprésent,ellecraignaitderenforcerlesentimentdéjàexistantqu’elleétaitune…roulure…si

elle portait quelque chose qui ne soit pas archi-classique. Ce qui la rendait furieuse. Elle devrait semoquer de l’opinion de ces gens-là.Mais ce n’était pas si simple. Ils comptaient pourRyan, etRyancomptaitpourelle.

Soudain,degrandesmainschaudesl’enveloppèrent,glissèrentautourdesonventre.Ellefutattiréecontreuntorseviril,tandisquedeslèvressensuellesdévoraientsanuque.

Avecunsoupir,elleselaissaallercontreRyan,lecœurbattantlachamade.— Tuasune raisonparticulièred’êtreplantée là, à regarder tesvêtements ? chuchota-t-il à son

oreille.Elleseretournaetsehissasurlapointedespiedspourl’embrasser,lesbrasnouésautourdeson

cou.—Turentresbientôt.—J’avaishâtedetevoir.Alors,quelestleproblème?Aussitôt,ellefitlamoue.—J’essayaisjustededéciderquoimemettrecesoir.Quelquechosequinemedonnepasl’allure

delaMarie-couche-toi-làpourlaquelleilsmeprennent.L’expressiondeRyans’adoucit,etilluicaressalajoue.Puislafitasseoirsurlelit.—Tuessuperbequoiquetuportes.Cessedetefaireautantdesouci.—Jesais.C’estidiot.Maisjen’ypeuxrien.Çamerendnerveuse.— Kell, je ne veux pas que tu t’inquiètes. Le passé est le passé. Et si je suis capable de te

pardonner,ilsdevraientenêtrecapablesaussi.Ladouleurlatransperçacommeuncoupdepoignard.Ellesefigea.Illuipardonnait.Il lui pardonnait quelque chose qu’elle n’avait pas fait. Quelque chose qu’il refusait de croire

qu’ellen’aitpasfait.Illuifallutrassemblertoutessesforcespournepasréagir,pournepasprotesteravecvéhémence.Il

nel’avaitpasditdansl’intentiondelablesser.Maiss’ilsavaitàquelpointellesaignaitintérieurement…Ilcherchaitàbienfaire.Alamettreàl’aise.Ill’embrassadoucementsurlatempe.— Nousavons tous lesdeuxcommisdes erreurs. Jene suispas irréprochablenonplus.Cequi

compte,c’estquecequis’estpassénesereproduiseplusjamais.Effondrée,elleacquiesça.Sansoserparler.Quedire,detoutefaçon?Lesyeuxfermés,elleselovacontreRyan.Ill’enlaça,frottasondos.Pourlaréconforter.Ilpensait

queledînerl’angoissait.Commentpourrait-ilimaginerqueson«pardon»luidonnaitenviedemourir?Il se leva du lit et s’approcha du placard, en revenant quelques instants plus tard avec une

somptueuserobebleunuit.—Celle-cit’iraitàmerveille,déclara-t-ilensouriant.

Kellyluttapourreprendresesespritsetprétendrequetoutallaitbien.—Elleestterriblement…moulante.Jevaisavoirl’aird’êtreenceintedeonzemoislà-dedans.— J’adore ton ventre, répliqua-t-il d’une voix très sensuelle qui la fit frissonner. Cette robe

montreraàlaterreentièrequetuportesmonenfant,etçameplaît.Tuserassublime.Porte-lapourmoi.Aucune femmeaumonden’auraitpu résisteràpareille requête.Malgrésoncœurenmiettes,elle

acquiesça.Ryanétalalarobesurlelit,puisl’embrassaunefoisdeplus.—Jetelaissetepréparer.Lechauffeurseralàdansuneheure.Elle s’agrippa à lui un peu plus longtemps que nécessaire,mais il ne parut pas s’en formaliser.

Aprèsunultimebaiser,ilsedirigeaverslasalledebains,dénouantsacravate.Kellyregardalarobe.Ils’agissaitd’unmodèledecréateur,splendide.Quimettraitsanscontestesa

grossesseenvaleur,unpointauquelRyansemblaitteniràtoutprix.Illuipardonnait.Seigneur!Elleavaitenviedepleurer.C’estellequidevaitluipardonner.Paslecontraire.

-15-

Enfranchissantlaportedurestaurant,Kellytentadechassersonappréhension.Ryans’adressaaumaîtred’hôtel,quilesconduisitàunetableaufonddelasalle.

UnimmensesourireilluminalevisagedeRyanlorsqu’ilaperçutRafael,assisprèsd’unefemmequeKellysupposaêtresonépouse,Bryony.LamèredeRyansetrouvaitégalementlà,ainsiqueCameronetDevon.Formidable.Arrivésbonsderniers,ilsfaisaientuneentréeremarquée.

EllerestaàcôtédeRyantandisqu’ilsaluaittoutlemonde.— Bien sûr, chacun de vous se souvient de Kelly, poursuivit-il. Sauf toi, Bryony. Kelly, je te

présenteBryonydeLuca,lafemmedeRafe.Bryony,voicimafiancée,KellyChristian.Un lourd silence tomba autour de la table. L’éventail des expressions allait de l’horreur mal

déguiséedesamèreàl’incrédulitéquiselisaitsurlesvisagesdesesamis.Bryonyelle-mêmesemblaitsceptiqueenselevantpourluitendrelamain.Kellyremarquaalorsque

lajeunefemmeétaitelleaussienceinte.—Raviedevousrencontrer,ditBryonyavecunsourireforcé.Pourtant, que pouvait bien savoir Bryony à son sujet ? se demanda-t-elle,mal à l’aise. Cela ne

faisaitpassilongtempsqu’elleavaitintégrélabande.Mais,pasplusquelesautres,elleneluidéroulaitletapisrouge.

Lasoiréerisquaitd’êtrelongue.Ryanlafitasseoirprèsdelui.—Commentvas-tu,Kelly?demandapolimentDevon,installédel’autrecôté.Ilposaitlaquestionparpurecourtoisie,supposa-t-elle.—Bien.Unpeunerveuse,répondit-elleàmi-voix.Safranchiseparut l’étonner.Puis ilse tournavers lerestedesconvives.Ryanbavardaitavecses

amis et sa mère. Kelly observa leurs échanges en silence. Personne ne chercha à l’inclure dans laconversation, et la seule fois où elle fit un commentaire, le silence gêné qui suivit lui apprit tout cequ’elleavaitbesoindesavoir.

Ils la toléraient par égard pour Ryan, mais les regards qu’ils jetaient dans sa direction ne luiéchappaientpas.Desregardsquiexprimaientclairement:«Tuescinglé?»

L’arrivéedesplatslasoulagea.Ellepouvaitaumoinsseconcentrersurquelquechose.Cettesoiréeallaitêtreunedespiresdesavie.Ellenesesentaitpasàsaplace.Tropvisible.Déjà,ellecomptaitlesminutesquilaséparaientdelafindelasoiréeetdumomentoùRyanetellepourraientenfins’échapper.

La nourriture avait un goût de plâtre dans sa bouche. L’estomac noué, elle cessa après quelquesbouchéesdeseforceràmanger.Ellesecontentadesirotersoneau,s’imaginantdenouveausurlaplage

avecRyan,àdansersousleclairdelune.C’étaitlàsonproblème.Ellevivaitdansunmondeimaginaire,fuyantlaréalité.Carlaréalitéétait

nulle.Laréalitéétaitqu’elleétaitassiseàcettetableaumilieudecinqautrespersonnesquilajugeaient.Laréalitéétaitqu’ellevivaitavecunhomme—unhommequ’ellecomptaitépouser—quiéprouvaitlebesoindeluipardonnerdesfautesqu’ellen’avaitpascommises.

Aquelmomentsonexistences’était-ellejouéedelasorte?Levoileselevaitenfin.Stupéfianteprisedeconscience.Pourquoitolérait-elletoutcela?Elles’apprêtaitàmettreuntermeàcettemascaradelorsqu’ellevitJarrods’approcherdelatable.Il

sepenchapourembrassersamère,salualesautresd’unsignedelamainpuistournalesyeuxversRyanetelle.

Un frisson glacé la parcourut. Auprès d’elle, Ryan se figea, tandis que tout le monde devenaitsilencieux.

Commesichacunattendaitl’inévitableexplosion.Le sangbattait à ses tempeset sonventre se crispa.Mortifiée, elle auraitvouludisparaître.Elle

étaitsifurieusequesavuesebrouilla.—Désoléd’êtreenretard,ditJarrod.J’aiétéprisdanslesembouteillages.Ils’installasur lachaise libreàcôtédesamère,etKellysentit labile luimonterà lagorge.Le

cœur en lambeaux, elle se sentait si blessée, si dévastée intérieurement qu’elle avait enviedemourir.EllefuyaitleregarddeRyan.Commentavait-ilpulaisserfaireça?Ellenecroyaitpasunesecondequ’ilait lui-même invité son frère…n’est-ce pas ?Mais pourquoi ne pas avoir dit sans détour que Jarrodn’étaitpaslebienvenu?

Tousl’observaient. Ilspensaientsansdoutequ’ellerécoltaitcequ’elleavaitsemé,enaccumulantainsileshumiliations.Maisellerefusaitdeleuroffrirlasatisfactiondelavoiraussianéantie.

EllerivaalorssonregardsurJarrodBeardsleyetsamère.Commeilsdevaientladétester,l’unetl’autre!LesyeuxfroidsdeRamonaBeardsleydisaient:«Tu

negagnerasjamais;jet’enempêcherai.»Qu’avait-elledoncfait,hormisaimerRyan?Çasuffisaitcommeça,décida-t-elle.Elleméritaitmieux.Lapénitenceavaitassezduré.Ellen’enpouvaitplusd’êtreprisedehaut,jugée,condamnéeetpardonnée.Avecunsourireforcéàl’attentiondeRyan,ellerepoussasachaiseetselevaposément,commesi

ellen’avaitaucunsouciaumonde.ElletoisaJarrodetsamère,laissantéclatertoutelaforcedesahaine.Elle semoquait comme d’une guigne qu’ils ne l’acceptent jamais. Elle ne les acceptait pas non plus.Qu’ilsaillentenenfer,touslesdeux.

Puisellefitfaceàlatabletoutentière.—J’aieumadosecesoir.Vousm’aveztousmanifestévotredésapprobation,sansm’adresserla

parole.MaisencouvrantRyanderegardsapitoyés.Vousm’avezjugée,trouvéepasassezbienpourlui,pourvous.Jemefichedevoustous.

PuisellesetournaversJarrod,lavoixsifflantedecolère.— Et toi, espère d’ordure, tiens-toi aussi éloigné que possible demoi et demon enfant. Si tu

m’approchesencoreunefois,jetecrèvelesyeux,tuentends?CommeRyanfaisaitminedeselever,ellel’arrêtad’ungeste.—Pasquestion,toi,turestes.Ilnefaudraitsurtoutpasquetudéçoivestafamilleettesamis.Surcesmots,etavantqu’ilnepuisseréagir,ellepartitd’unairdigne.

Ledostrèsdroit,ellesortitdurestaurant,frissonnantcarellen’avaitpasprislapeinederécupérersonmanteau.Elleaccueillitavecsoulagementlamorsuredufroidsursonvisage.

Elle avait eu mal à la tête tout l’après-midi, mais au bout d’une heure, les dents serrées et lamâchoirecrispée,lamigraines’étaitmuéeendouleurintenable.

Ellemarchasurplusieursdizainesdemètres,jusqu’àcequelefroidpénètrelesfinesépaisseursdesarobe.Alorsellehélauntaxi,quines’arrêtapas.Deuxtentativessupplémentairesfurentnécessairespourréussiràenattraperun.

Elleeuttouteslespeinesdumondeàindiquerl’adressedeRyanavantdefondreenlarmes.

***

LapremièrepenséedeRyanfutdecourirderrièreKelly,maisilétaitivrederage,etdevaitmettrefinàcettesituationtoutdesuite.IlnepermettraitàpersonnedetraiterKellydecettemanière,deluifaireéprouvercequ’elleavaitdetouteévidenceressenticesoir.Ilbonditsursespieds,plaquaviolemmentlesmainssurlatableetbraquasursonfrèreunregardnoirdanslequelilenglobaitsamère.

—C’étaitquoi,cepiège?LemouvementdereculdeRamonadevantsacolèrenelefitpasfléchir.QuantàJarrod,livide,il

semblaitprisdecourtetterriblementmalàl’aise.MaisRyans’enmoquait.Çasuffisaitmaintenant.Toutceciétaituneénormeerreuret,cettefois, iln’allaitpaslalaisserpasser.D’ailleurs, iln’aurait jamaisriendûlaisserpasser.Niminimiserl’importanceévidentedesdissensionsentreKellyetsafamille.

Leurmèresepenchaenavant,levisagedur.—Netefâchepascontrelui,Ryan.C’estmoiquil’aiinvité.Puisquetut’obstinesàtelieràcette

femme,ilfaudrabienqu’àunmomentdonnéonseréunissetousensemble.Oubienas-tul’intentiondeneplusjamaisvoirtafamille?Ellenenousapascausésuffisammentdesouffrance,tutrouves?

LejuronquelâchaRyanlafitgrimacer.—Ettoi,tuneluiaspasfaitassezdemal?rétorqua-t-il.C’estterminé.Cesoir,c’étaitladernière

fois. J’en ai par-dessus la tête. Par-dessus la tête de faire subir àKelly ton hostilité et tes tentativesflagrantesdenousséparer.

Ensuite,ilsetournaverssesamis.— Rafael, Bryony, c’était bon de vous revoir. J’espère en avoir encore l’occasion avant votre

départ.Iladressaunsignede têteàDevonetàCam,dont lemalaise indiquaitclairementqu’ilsauraient

préférésetrouvern’importeoùailleurscesoir.Ehbien,commeça,ilsétaienttrois.—Navré,monvieux,murmuraDevon.Sansaccorderunregarddeplusàsamèreniàsonfrère,RyanpartitchercherKelly,croisant les

doigtspourqu’ellen’aitpasencorequitté le restaurant. Il la ramènerait à lamaison, s’excuseraitpuispromettraitdeneplusjamaisluiimposerunenouvelleréunionavecsesamisousafamille.

Ilavaiteutortdelefairecesoir,maisilespérait…ilnesavaitpastrèsbiencequ’ilespérait,entoutcas,ilavaitétéunparfaitimbécileetavaitinfligéunesouffranceterribleàKelly.

Enatteignantlevestiaire,ilconstataquelemanteaudeKellyyétaittoujourssuspendu.Alorsilseprécipitaversl’entréedel’établissement,maisilnelavitpas.Uneappréhensionluinoualeventre.

—Auriez-vousvusortirunefemmeenceinte?demanda-t-ilaumaîtred’hôtel.Petite,blonde,vêtued’unerobebleue?

—Oui,monsieur.Ilyaquelquesinstantsàpeine.—Vousavezremarquéladirectionqu’elleaprise?

— Non, désolé.Mais essayez de vous renseigner dehors, si quelqu’un lui a appelé un taxi, parexemple.

Ryansehâtadanslanuitfroide,priantpourqueKellysoitrentrée.Etsicen’étaitpaslecas?Etsi,excédée,elleavaitdécidédelesenvoyeraudiable,luiettouslesautres?

Lorsqu’onluiindiquaavoirvuKellymarcherdanslarue,ilsemitàcourir,prisdepanique.L’idéequ’elle soit seule, bouleversée, sansmanteau et à pied alors qu’elle devait éviter de telles distancesl’emplissaitdecrainte.

Ilbousculaunnombreincalculabledegensavantdel’apercevoirenfin,entraindemonterdansuntaxi, plusieurs dizaines de mètres plus loin. Il cria son nom, mais la portière claqua, et le véhiculedémarra,lelaissantsurletrottoir,lecœurauborddel’explosion.

Asontour,Ryanhélauntaxi,enrageantqu’ilneralentissepas.Lesuivants’arrêta,ilgrimpadedans,jetasonadresseauchauffeur.Duranttoutletrajet,ilpriapourqueKellyfûtàlamaison.

Quandletaxiarrivadevantsonimmeuble,ilseruadanslehalletversleportier.—Est-cequevousavezvuMlleChristian?—Oui,monsieur.Ellevientd’entrer,quelquesminutesavantvous.Le soulagement le fit presque chanceler. Il gagna l’ascenseur et, peu après, pénétra dans

l’appartementd’unpasvif.—Kelly?Kellychérie,oùes-tu?Sansattendrederéponse, il seprécipitadans lachambre.Elleétaitassiseauborddu lit,pâleet

défaite.Ellelevalesyeuxsurlui,etiltressaillitenyvoyantladouleurqu’ilsexprimaient.Elleavaitpleuré.—Jecroyaisenêtrecapable,dit-elled’unevoixblanche,avantqu’ilaitletempsd’implorerson

pardon.Jecroyaispouvoiroublieretaccepterqued’autrespensentlepireàmonsujet,tantquetoietmoiétionsdenouveaubienensemble.Jemesuisrenduunbienmauvaisservice.

—Kelly…Quelquechosedanssonregardlefittaire.Ilrestaenarrière,envahid’unsentimentd’impuissance

croissanttandisqu’elletentaitdeseressaisir.—Cesoir, j’étaisassise là,pendantquetesamiset tamèrem’observaientavecdégoût,pendant

qu’ilsteregardaientavecunmélangedepitiéetd’incrédulité.Toutçaparcequetum’asreprise.Lagarcequit’atrahidelafaçonlaplusignoblepossible.LaMarie-couche-toi-là.Etmoi,jemedisaisquejeneméritaispasça.Jenel’aijamaismérité.J’aidroitàmieux.

Ryanfrémitdevantlasouffranceatrocequ’illisaitsursonvisage.Puiselleéclataderire.Unrirerauque,amer,terrible.

—Plustôtcesoir,tum’aspardonnée,poursuivit-elle.Tutetenaisaumêmeendroitquemaintenant,et tu affirmais que ce qui s’était passé il y a six mois n’avait plus d’importance, parce que tu mepardonnais,etquetuvoulaistournerlapage.

Elleserra lespoings, lesyeuxétincelantsderage.Puisellesemitdebout, le toisantendépitdeslarmesquicoulaientsansdiscontinuersursesjoues.

—Ehbien,moi,jenetepardonnepas,reprit-elle.Commejen’oubliepasquetum’astrahiedelapiremanièredontunhommepeuttrahirlafemmequ’ilestcenséaimeretprotégerpourlavie.

Abasourdiparsabrusquefureur,ilreculad’unpas.—Tunemepardonnespas?Dequoi?Lavoixbriséeparleslarmes,Kellyrépondit:—Jet’aiditlavéritécejour-là.Jet’aisuppliédemecroire.Jemesuismiseàgenouxetjet’ai

supplié,Ryan.Etqu’est-cequetuasfait?Tum’asfaitunchèqueettum’asordonnédem’enaller!Voilà

cequetuasfait!Ilfourrageasescheveux.Quelquechoseclochait.Clochaitaffreusement.Cettejournéedemalheur

restaitconfusedanssonesprit.Ilsesouvenaitpourtantd’elleagenouillée,sonvisagebaignédelarmes,posantlamainsursacuisseetmurmurant:«Jet’enprie,nefaispasça.»

Revivrecequ’il avait ressentià l’époque le rendaitmalade,mais là, c’étaitpresqueencorepluspénible,carcequ’ilpercevaitdanslesyeuxetlavoixdeKellynecollaitpas,l’épouvantaitpresque.

—Tonfrèrem’aagresséesexuellement,reprit-elle.Ilavoulumeprendrede force. Jene l’ainiprovoquéniencouragé.Saviolencem’alaissédesbleuspendantdeuxsemaines.Deuxsemaines,Ryan.J’étais tellementchoquéeparsoncomportementque jen’avaisqu’une idéeen tête,aller te trouver.Tuprendrais les chosesenmain.Tumeprotégerais.Tu t’occuperaisdemoi. Je savaisque tuarrangeraistout,quetoutiraitbien.Jen’avaisqu’unehâte,courirverstoi.EtSeigneur,c’estcequej’aifait,ettoi,tum’asignorée.Rejetée.

LanauséedeRyans’accrut.Sapoitrineétaitsioppresséequ’ilpeinaitàrespirer.—Tuasrefusédem’écouter,conclutKellyenpleurant.Tuasrefuséd’écouterlemoindremot.Tu

avaisdéjàfaittonchoix.Embarrassé, il s’approcha, inquiet qu’elle tombe s’il ne l’obligeait à se rasseoir. Mais elle le

repoussad’ungesteavantdeluitournerledos,lesépaulessecouéesdesanglotssilencieux.—Maintenant,jet’écoute,Kelly.Dis-moicequis’estpassé.Jetecroirai.Jelejure.Mais il lesavait. Il lesavaitdéjà.Unegrandepartiedecette funeste journée repassaitenboucle

danssamémoireet,soudain,ilvitclairementcequ’ilavaitrefusédevoirjusqu’àprésent.C’étaitcommesilecielluitombaitsurlatête.Sonfrèreluiavaitmenti.Plusquementi,ilavaitsisavammentarrangéetfaussélavéritéqueRyan

s’étaitlaisséduper.Kellyluifitface,sesbeauxyeuxhagards.— Que tu me croies n’a plus aucune importance, murmura-t-elle. Tu n’as pas voulu me

croirequandillefallait.Ilaessayédemevioler.Ilm’aagressée.Ilm’atouchée.Ilm’afaitmal.Jemesuisdébattue,etlorsquejeluiaiditquej’allaistoutteraconter,ilm’aassuréqu’ilferaitensortequetunecroiespasunmotdemonhistoire.Et tusais leplusdrôle?J’ai rétorquéqu’il se trompait.Que tum’aimaisetquetuleferaispayerpourm’avoirfaitdumal.

Elles’interrompit,briséeparunnouveausanglot.MonDieu.MonDieu,qu’avait-ilfait?Ilserappelaitlecoupdetéléphonedesonfrèrecommesi

c’étaithier.Ilnel’avaitpascru.Dumoins,audébut.Jusqu’àl’arrivéedeKelly,danstoussesétats,quiluiavaitracontémotpourmotlerécitqueJarrodluiavaitfait.

— Il t’a dit la vérité, en fait, railla Kelly, comme si elle lisait dans ses pensées. Il t’aracontéexactementcequis’estpassé,maisendéclarantqu’ils’agissaitd’unmensonge,quej’avaistoutinventépourquetunesachespaslaprétendueréalité.Ilvoulaitêtrecertainquetunecroiespasunmotdemaversion.Etquelmeilleurmoyenpourcelaqueteprévenirquejeprétendraisavoirétéagressée,quejeprétendraisqu’ilavaittentédemevioler?

Ryanladévisageaitensilence,horrifiéàmesurequ’ilprenaitconsciencedecequiétaitréellementarrivécejour-là.

—Etbiensûr,j’aicourudroitverstoipourt’informerquetoncherpetitfrèrevenaitd’essayerdemevioler,ettoi,tum’asregardéeavecdesyeuxglacésettraitéedementeuse.Toutçaparcequ’ilt’avaitannoncécequej’allaisdire.

— Est-ce que c’est vrai ? demandaRyan d’une voix presque inaudible. Est-ce qu’il t’a violée,Kelly?

—Ilm’a touchée. Ilm’atouchéecommetoiseulavais ledroitdemetoucher.Ilm’abrutalisée.Bousculée, rudoyée. Au point de me laisser des marques. Ça ne suffit pas ? cria-t-elle, proche del’hystérie.L’ironiedanstoutecettehistoire,c’esttoninquiétudequejesoisenceintedelui.Jarrodetmoin’avonsjamaiscouchéensemble,Dieusaitpourtantqu’ilaessayé.

Elle enfouit son visage dans sesmains. Il voulut s’approcher, la prendre dans ses bras, mais ilcraignaitqu’ellelerejette,toutcommeill’avaitrejetéeauparavant.

Puisellerelevalatête,ravagéedechagrin,lemêmechagrinquiledéchiraitintérieurement.—J’auraisdûpouvoirveniràtoi,murmura-t-elle.Detouteslespersonnesaumonde,tuauraisdû

êtreceluiquicroyaitenmoi.Etça,jen’arrivepasàlesurmonter.C’esttoiquiauraisdûmesoutenir,medire que tout irait bien. J’étais tellement excitée ce jour-là ! J’avais appris lematinmêmeque j’étaisenceinte.J’étaisexcitéeetnerveuse.Unpeuinquiètedetaréaction.Maisfolledebonheurdeportertonenfant.

Dessanglotss’échappèrentdesagorge,etellefonditdenouveauenlarmes.—Kelly,jesuisdésolé,situsavais.Jepensais…C’estmonfrère!Jenepouvaispasconcevoir

qu’ilfasseunechosepareille. Iln’a jamaismanifestéd’animositéà tonégard.Il t’a toujoursacceptée.Vous sembliez bien vous entendre tous les deux. Je n’aurais jamais imaginé qu’il fasse quelque chosed’aussiignoble.

Levantlatête,ellelefixad’unregardéteint.—Maismoi,tum’enaspenséecapable.Lebrusquesilencequisuivitétaitaccablant.Pétrifié,illadévisagea.Iln’avaitaucunargumentpour

sa défense.A l’époque, il avait cru Jarrod, point final. Son choix s’était porté sur lui, non surKelly.Mêmequandellel’avaitsupplié.Agenoux.Alorsqu’elleluiavaitditlavérité.Alorsqu’elleétaitvenueréclamer sa protection. Meurtrie, terrifiée. Et il l’avait jetée dehors après l’avoir traitée comme ladernièredesdévergondées.Toutçaparcequ’ilnepouvait imaginerunêtredesonsangcommettreunetelleatrocité.LerécitdeKelly luiavaitsembléprécisémentcequ’enavaitditJarrod:uneaccusationridiculepourdissimilersoninfidélité.

Sesyeuxlebrûlaient.Sagorgeétaitnouée.Pourlapremièrefoisdesavie,ilsetrouvaitconfrontéàunesituationsanssavoirquoifaire.Kellyavaittouslesdroitsdumondedelehaïr.

Elleportaunemainàsonfront,lemassauninstant.Puischancela,sepenchaenavant,commesurlepointdetomber.

—Kelly!Ilseprécipita,maiselleseredressa,lerepoussantd’ungeste.—Net’approchepas,ordonna-t-elled’unevoixbasse,désespérée.—Kelly,jet’enprie.Asontourdelasupplier.EtbonDieu,illeferait.Ilferaitn’importequoipourqu’elleresteassez

longtempsetqu’ilpuisseseracheter.—Jet’aime,Kell.Jen’aijamaiscessédet’aimer.Elleposalesyeuxsurlui,desyeuxpleinsdelarmesetdesouffrance.—Non,cen’estpasça,aimer.L’amourn’estpascenséfairemal.L’amour,c’estfaireconfiance.Ilfitunautrepasenavant,mourantd’enviedelaprendredanssesbras,d’offrirleréconfortqu’il

luiavaitrefuséquandelleavaiteuleplusbesoindelui.Colèreetpeinerivalisaientenlui.Lechagringonflait son cœur au point qu’il le sentait près d’exploser. La rage consumait ses veines comme del’acide.

De nouveau, elle porta lamain à son front, puis s’avança et passa devant lui. Il la saisit par lecoude,tentativefarouchedelaretenir.Ilsavaitqu’elleallaitpartir.Ilneméritaitpasdesecondechance.

Ilneméritaitpassonamour.Pourtant,illevoulait.Illevoulaitplusquesaproprevie.—S’ilteplaît,net’envapas.Lentement,elleseretournaverslui,unetristessesiprofondedansleregardqu’ileutmal.—Maistunevoisdoncpas,Ryan?Toietmoi,çanemarcherajamais.Tun’aspasconfianceen

moi.Tafamilleettesamismedétestent.Quellesorted’existenceceseraitpourmoi?J’aidroitàmieux.Ilm’a fallu du tempspour le comprendre. Je suis revenue, alors que jem’étais juré le contraire. J’aiacceptédet’épouser.Denouveau.Parcequej’étaissiamoureusedetoi,jecroyaisqu’onpourraittournerlapage.Maisj’aiétéstupide.Certainsobstaclessontbeletbieninsurmontables.

Elle ferma les yeux, tandis qu’une grimace de douleur crispait son visage. Puis elle vacilla,s’agrippantàlacommode.

—Kelly,qu’est-cequ’ilya?s’exclama-t-il.Unefoisdeplus,elleportalamainàsonfront,etrouvritlesyeux.Sonregardétaitflou.—Matête…Elleeutunesortedegémissement,etRyancompritquequelquechosen’allaitpas.Quelquechosede

physiologique,quin’avaitrienàvoiravecladétressepsychologiquequ’elleéprouvait.Sonvisageétaitd’unepâleuralarmante.Unéclairdepanique traversasesyeux,qu’elleposaune

fractiondesecondesurlui,commepourchercherdel’aide.Avantqu’ilpuisseréagir,sesgenouxsedérobèrent,etelleglissasansbruitsurlesol.

-16-

—Kelly!Ryansejetaàterre.Sonpremiermouvementfutdelaprendredanssesbras,maiselleétaitprisede

convulsions, lecorps rigide.Elleavait lesmâchoirescrispées, etune légèreécumese formait sur seslèvres.Frénétiquement,ilcherchasontéléphoneetcomposale911.

—Uneambulance,vite!Mafiancée.Elleestenceinte.Jecroisqu’ellefaituneattaque.Ilétaitconscientdesondiscoursdécousu. Ilavaitbeauessayerde restercalme, soncœuret son

espritperdaientlespédales.L’opératriceluiposadesquestions,auxquellesilréponditmécaniquement,penchésurKelly,nesachantcommentl’aider.

Auboutd’unmoment,lecorpsdeKellysedétendit,etsatêteroulasurlecôté.Iltouchaalorssoncou, priant pour y sentir battre un pouls. Puis posa une oreille sur sa poitrine, vérifiant le bonfonctionnementdesespoumons.

—Nemequittepas,Kelly,chuchota-t-il,audésespoir.Tiensbon,jet’ensupplie.Jet’aimetant.Il levasamain toutemolle,cellequiportaitsabague,et lapressacontresa joue. Ilembrassasa

paume, la respirationdifficile,chargéedesanglotssilencieux.Jamais iln’avaitétéaussi terrifiédesavie.

Les minutes paraissaient une éternité. L’opératrice continuait de l’interroger et de prodiguerdesencouragements.MaisKelly restait inconsciente, et plus il la regardait ainsi, immobile sur le sol,plussapaniqueetsonsentimentd’impuissancecroissaient.

Aprèscequiluisemblauneattenteinterminable,ilentenditl’équiped’urgencemédicaleappeleràtraverslaporte.

—Entrez!hurla-t-il.Ilsseruèrentàl’intérieur,l’écartèrentdeKellypuiscommencèrentàadministrerlespremierssoins.

Ryan se tint là, hébété, jusqu’à ce que les urgentistes la hissent sur un brancard et se hâtent versl’ascenseur.

Illessuivit,murmurantdesprières,etmontaprèsd’elledansl’ambulance.Ami-chemin de l’hôpital, il reprit son téléphone, mais ensuite le considéra d’un œil vide. Qui

appeler ? Il n’y avait personne.Une fureur glacée envahit ses veines.Ceux-làmêmes à qui il se fiaitavaientagidemanièreimpardonnable.Particulièrementsonfrère.Jamaisencoreiln’avaitéprouvéunehainesiauthentiqueàl’égarddequiconque.

Levisageentrelesmains, ils’enjoignitànepasperdresonsang-froid.Cen’étaitpaslemoment.Kellyavaitbesoindelui.Il luiavaitfaitfauxbondunepremièrefois.Ilavaitdéjàcommisl’erreurde

l’abandonnerquandelleavaitplusquetoutbesoindesonappui.Aujourd’hui,ilauraitpréférémourirquelalaisserpenseruneseulesecondequ’ellen’étaitpasla

choselaplusimportanteaumondepourlui.

***

LemédecinexpliquaàRyanquel’étatdeKellyétaittrèssérieux.Elleétaitsousperfusiondesulfatedemagnésiumafindefairebaissersatensionetprévenirdenouvellesattaques,maissansaméliorationdanslesprochainesheures,ilfaudraitpratiquerunecésarienne.

—Quelssontlesrisquespourlebébé,demanda-t-ild’unevoixétranglée.C’esttroptôt,non?Lepraticienluiadressaunregardcompatissant.— Nousn’auronspas le choix.Sionne fait rien, lamèrecomme l’enfantpourraientmourir.La

seuleoptionestdesortirlebébé.Noussommesentraindevérifierlamaturitédesespoumons.Atrente-quatresemainesdegestation,l’enfantadegrandeschancesdesurvivresanscomplications.

Atterré,Ryanfermalesyeux.C’étaitsafaute.Kellyauraitdûêtredorlotée,chouchoutéeduranttoutesa grossesse, et lui, aux petits soins pour elle.Au lieu de quoi, elle avait été contrainte d’exercer untravailexigeantsurleplanphysique,soumiseàunstressinimaginable.Etlorsqu’ill’avaitramenée,elleavaitsubilemépris,l’hostilitéetuneincessantedétresseémotionnelle.

Pasétonnantqu’elleveuilleleurtournerledos,àluietàsafamille.—Est-ceque…est-cequeKellyvas’ensortir?Quand sa poitrine commença à le brûler, il se rendit compte qu’il retenait son souffle. Il expira

lentement,s’obligeaàretrouversoncalme.—Cedontellesouffreesttrèsgrave,réponditlemédecin.Satensionestextrêmementélevée.Elle

pourrait convulserdenouveauou refaireuneattaque.Lesdeux sontmauvaispourelle commepour lebébé.Nous faisons notre possible pour diminuer sa tension et surveillons l’enfant sousmonitoring. Sil’état de l’un ou l’autre se détériore, nous sommes prêts à intervenir. Il est essentiel qu’elle restetranquille, qu’on lui épargne toute pression. Même si nous parvenons à faire baisser sa tension et àreporterl’accouchement,elledevragarderlelitjusqu’aubout.

—Jecomprends.Jepeuxlavoir,maintenant?—Oui,vouspouvezentrer,maisneditesrienquipuisselaperturber.IlacquiesçaetsedirigeaverslachambredeKelly.Ils’arrêtaàlaporte,hésitant.Etsisasimple

présencesuffisaitàladéstabiliser?Lamainsurlapoignée,ilfermabrièvementlesyeux,accablédechagrinetderemords—tellement

deremords.Ilfinitparentrer.Lapiècesetrouvaitdanslapénombre,justeéclairéeparunelampedanslasalle

debains.Kellyétaitallongéesurlelit,encadréedechaquecôtéparunimpressionnantmatérielmédical.Ryan s’approcha à petits pas, soucieux de ne pas la déranger. Il examina son visage pâle, ses

paupièrescloses,sessourcilsplissés—dedouleuroud’inquiétude,iln’auraitsudire.Lesdeux,peut-être.

Sapoitrinesesoulevaitàpeine,sousl’effetdesarespirationcourte.Soudain,touslesévénementsdelasoiréeluirevinrentenmasse,dansunedéchirantelamedefond.

Jamaisiln’oublieraitl’expressionravagéedeKellynisonamertumequandelleluiracontaitcequesonfrèreluiavaitfait,cequ’elleavaitenvaintentédeluidiredesmoisplustôt.Maisilnel’avaitpasécoutée,convaincuqu’ellementait.

Ilapprochaunechaisedulitets’assit.Puis,prudemment,ilglissalesdoigtssouslamaindépourvue

deperfusionetlaportaàseslèvres.—Jesuisdésolé,Kelly,murmura-t-ild’unevoixbrisée.Désoléàunpoint,tun’aspasidée.

***

—Ryan.Ryan,monvieux,réveille-toi.Ryanouvritlesyeux,laissantéchapperungrognement.Unmonstrueuxtorticolisluinouaitlanuque.

Lejourpointaitentreleslamellesdustore.Iltressaillit,baissalesyeuxversKelly.Elledormait toujours, la tête aucreuxdesoreillers.Le lit était légèrement surélevé, et le sacde

perfusionavaitvisiblementétéremplacépeudetempsavant.Ilseretourna.Devonsetenaitprèsdusiègeoùils’étaitendormi,laminesombre.—Qu’est-cequis’estpassé?chuchota-t-il.Aussisilencieusementquepossible,RyanselevaetfitsigneàDevondelesuivredanslecouloir.

Là,ildécouvritCameron,adosséaumur,luiaussil’airpréoccupé.—Qu’est-cequevousfaitesici,touslesdeux?demandaRyan,lessourcilsfroncés.—Hier,onaessayédet’appelertoutelasoirée,réponditDev.Impossibledetejoindre.Alorson

estalléscheztoi.LeportiernousaditqueKellyavaitétéemmenéeenambulance,donconestvenusvoirsielleallaitbien.

Labouled’angoisseremontadanslagorgedeRyan,quifermalesyeux.—Hé,fitCam,assieds-toi,monvieux.Tuasmangé?Ryanfitsignequenon.—Tuveuxnousenparler?insistaDevon.Dévisageantsesdeuxamisàtourderôle,Ryanlâchaunrirerauque.—Commentexpliquerquevousavezfaitlaplusgrosseerreurdetoutevotrevieetquevousn’êtes

passûrdepouvoirlaréparerunjour?—C’estàcepoint,hein?observaCameron.—Non,pire.—Kellyvas’entirer?demandaDevon.Etlebébé?—Siseulementjelesavais.Ilsrisquentdedevoirsortir lebébéplus tôtsisa tensionnebaisse

pas.C’estmafaute.Ellegîtsurunlitd’hôpitalparcequejen’étaispaslàpourellenipourmonenfant.Çafaitdemoiunebelleordure,non?

CametDevonéchangèrentdesregards.—Ecoute, répliquacedernier.D’accord, jeneconnaispas toute l’histoire.Maisàmonavis, tu

n’espasleseulàblâmerdansl’affaire.—Monfrèrel’aagressée!ripostaRyan,tandisquelaragelesubmergeaitdenouveau.Ilaessayé

de la violer, et quand elle s’est débattue et enfuie pour venirme trouver, il a pris les devants. Ilm’aappelé etm’a servi uneversion astucieuse. Il a prétenduqu’elle l’avait poursuivi de ses assiduités etqu’ilavaitcédé.Quand,submergéderemords,illuiavaitditqu’ilsn’auraientpasdûcoucherensemble,ilm’aaffirméqu’ellel’avaitalorsmenacédemeraconterqu’ilavaitessayédelavioler.Alorsbiensûr,quandelleestarrivéeunedemi-heureplustarddansmonbureauenmeservantmotpourmotlaversionquemonfrèrem’avaitannoncée,jenel’aipascrue.Parcequejen’imaginaispasmonfrère,lefrèrequej’aiquasimentélevé,faireunechoseaussiabjecte.Et lorsqu’ellem’asupplié, lorsqu’elles’estmiseàgenouxpourmedemanderdelacroire,jeluiaifaitunchèqueetordonnédesortirdemavie.

Stupéfaits,DevonetCameronledévisageaientsansunmot.—Commentvoulez-vousquejepasseau-dessusdeça,reprit-ild’untonféroce.CommentKelly

est-ellecenséepasserau-dessusd’unehorreurpareille?Vous savezquoi?Hier, justeavantdepartirdîner,magnanime,jeluiaiditquejeluipardonnais.Quejevoulaisqu’onoublielepassé,qu’ontournelapage,etquejeluipardonnaisdem’avoirtrompé!

Ileutunrireamer.—Oui.Depuisledébut,jejouelegrandgénéreuxprêtàrepartirdezéroavecelle,alorsquec’est

moiquil’aitraitéedefaçonimpardonnable.Elleestvenueréclamermonaide,maprotection,parcequej’étaislaseulepersonnesurquiellecomptait,etmoi,jel’airepoussée.

Sonvisages’affaissa,et il tourna ledosà sesamis.Des larmesbrûlantes, furieuses, jaillirent. Ilavaitenvied’enfoncersonpoingdanslemur.Enviedehurlerderage.

L’encadrant,CametDevposèrenttousdeuxunemainsursonépaule.—Jenesaispasquoidire,murmuraDevon.Jesaisquetul’aimes.—Oui,jel’aime.Jel’aitoujoursaimée.Jel’aimais,etpourtant,jeluiaifaitça.Commentpourra-

t-ellemerefaireconfianceunjour?—Quelqu’undoitflanqueruneracléeàcepetitfumier,grondaCameron.Leregarddur,Ryanrelevalatête.—Ilnes’approcheraplusjamaisd’elle.Jevaisletuer.—Ecoutemonvieux,tempéraDevon,jecomprendsquetusoisencolère,ettuastouteslesraisons

del’être,maisn’entreprendsriendestupide.Jarrodmériteungrandcoupdepieddanslederrière,maisnefaisrienquit’envoieenprison.Kellyabesoindetoi.Tunel’aideraspasderrièredesbarreaux.

—Pasquestionqu’ils’entireàsiboncompte,objectaRyan.Ill’atripotée.Ill’abrutalisée.Illuiafaitmal.

—Jet’accompagne,déclaraCam.—Non,inutile.—Tun’aspaslechoix.Soitjeviensavectoi,soitj’appellelapolice.Saufquemoi,jetelaisserai

luicasserlafigure.Maispasletuer.Tandisquelapolicenetelaisseramêmepasletoucher.Alors?LeslèvresdeRyanseretroussèrentenunrictussilencieux.— Tu devrais te voir, mon vieux, soupira Devon. Heureusement que Kelly dort. Quoi que tu

veuillesfaire,arrange-toipourquecesoitterminéquandelleseréveillera,afindeluiapporterlesoutiendontelleabesoin.Elleseraitterroriséedevoirtatêteencemoment.

— Devonn’aqu’à rester avec elle, proposaCameron. Je t’accompagnechez Jarrod.Ensuite, tupourrasrevenirici,oùsetrouvetaplace,etlaissertoutecettehistoirederrièretoi,derrièrevous.

Plussimpleàdirequ’àfaire.Kellyrisquaitdenejamaisluipardonner,etilneleluireprocheraitpas.Maissielleluiaccordaitsamiséricorde,sitousdeuxdemeuraientensemble,iljuraitquesafamilleneconstitueraitplusjamaisunproblèmepourelle.

—Tuveuxbien?TuveuxbienresterauprèsdeKelly?Sielleseréveille,tuluiexpliquerasque…—Jem’enoccupe,lecoupaDevon.Vas-y,commeçatuaurasdenouveaulatêtefroide.Etrentre-

luisérieusementdanslechoudemapart.Cetteordurelemérite.

-17-

JarrodaffichauneminerésignéeenouvrantlaporteàRyan.Celui-cineluilaissapasletempsdedireoufairequoiquecesoit.Ilsaisitsonfrèreparlachemiseetleprojetaàl’intérieurdupetitstudioqu’ilhabitait.

—Maisqu’est-cequi…Ryan le fit taire d’un coup de poing. Jarrod s’effondra au sol. Ryan et Cam, à quelques pas,

attendirentqu’ilserelève.Vacillant,Jarrodessuyalesangdesabouche.—Tupeuxm’expliquercequisepasse,Ryan?—Pourquoias-tufaitça?demandaRyand’unevoixfroide.Pourquoi?Une expression de malaise se peignit sur le visage de Jarrod. Sa bouche s’affaissa, son regard

s’éteignit.Aumoinsnefeignait-ilpasd’ignorerdequoiparlaitRyan.Ilpassadenouveaulamainsursabouche.Elleétaitmaculéedesangquandillaportaàsesyeux.

—Jesaisqueçanesertàrien,maisjesuisdésolé.Ryanexplosa.IlluiassénaunautrecoupdepoingquiexpédiadenouveauJarrodausol.Sonfrère

n’essayamêmepasdesedéfendre,etcettefois,neseremitpasdebout.—Désolé?Tuesdésolé?Tuas tentéde lavioler.Tum’asmentiàsonpropos.C’estquoi ton

problème,nomd’unchien?C’était lafemmequej’allaisépouser.Qu’est-cequi t’apousséàfaireunechosepareille?

—Maman,lâchaJarrodd’unevoixdésabusée.Abasourdi,Ryanreculad’unpas.—Maman?Mamant’aordonnéça?Jarrodseredressajusteassezpours’appuyeraumur.Ilfourrageadanssescheveux,l’airabattu.—Oui.ElleavurougeenapprenantquetuavaisdemandéKellyenmariage.Ellerefusaitquetu

épousesunepetitearrivistesanslesou.Cesontsestermes,paslesmiens.Audébut,j’aicruqu’elleétaitfolle. Jeveuxdire, jepensaisqu’ellepiquaitunecriseetqu’elle finiraitpar laisser tomber.Maisellevoulaitquej’achèteKelly.EtsiKellyrejetaitnotreoffre,quejelapiègeavecunefaussehistoiredeviol.Je jureque jene l’auraispasviolée,Ryan.Jecomptais justemonter lecouppourque tupensesqu’onavaitcouchéensemble.

—Seigneur,murmuraCam.C’estcomplètementdingue.Ryann’enrevenaitpas.Pétrifié,muet, ilcherchaitàcomprendre.Sapropremèreavaitconçuune

ignominiepareille?Celasemblaitimpossible.Commentpouvait-onhaïrquelqu’unaupointd’enarriver

àdetellesextrémités?—Hiersoir,c’estellequim’ainvitéàvousrejoindreaurestaurant,poursuivitJarrod.Mais,sur

ma vie,Ryan, ellem’a assuré que tu voulais que je vienne, queKelly et toi vouliez tourner la page,recommencerdezéro.Jen’avaispasenvied’yaller,pouréviterd’indisposerKellyoudetemettreencolère,maisd’aprèsmaman,tuavaisinsistépourquejesoislà.Etj’espérais…j’espéraisqueKellyettoipourriezmepardonner,etqu’onredeviendraitunefamille.Commeautrefois.

Totalementanéanti,Ryanlaissaretombersesbras.Ilnedésiraitqu’unechose,quitter les lieuxauplusvite.

—Tun’esplusmonfrère,déclara-t-il,lamortdansl’âme.Kellyetnotreenfantsontdésormaismaseulefamille.Jeneveuxplusjamais,jamaisterevoirdemavie.Etsitut’approchesdeKelly,jetejurequetuleregretteras.

—Ryan,non.Nefaispasça,jet’enprie,gémitJarrod.Ami-chemindelaporte,Ryanseretournalentement.—Est-cequ’ellet’asuppliécommetumesupplies,Jarrod?Elleaussit’ademandéd’arrêter?Levisage de Jarroddevint écarlate. Il détourna les yeux, incapable de soutenir le regard de son

frère.—Allez,murmuraCameron.Onyva,monvieux.Unefoisdehors,Ryanlepoussaverslavoiture.—Toi,tupars.Jeprendsuntaxi.Jedoispasserchezmamère.Camhésita.—Tuescertainquetuneveuxpasquejet’accompagne?—C’estquelquechosequejedoisfaireseul.

***

Aprèsavoirsonnéàlaportedesamère,Ryandemandad’untonsecàlavoiràladomestiquequivenaitdeluiouvrir.

Uninstantplustard,Ramona,lamineinquiète,entraenhâtedanslepetitsalonoùilfaisaitlescentpas.

—Ryan?Quelquechosenevapas?Tunem’aspasavertiedetavisite.Il l’observa, s’interrogeant sur sonaveuglement à l’égardde la femmequi l’avaitmis aumonde.

Certes, elle avait toujours été égocentrique,mais jamais il ne l’aurait estimée assezmalveillante pournuireàuneinnocente.

Mêmelà,aprèstoutcequis’étaitpassé,ilsetrouvaitàcourtdemots.Commenttraduirel’intensitédesahaine?Ellecoulaitdanssesveinescommeunacide.Safamille.Ceuxsurquiilauraitdûpouvoircompter,coûtequecoûte.Ilsserévélaient…maléfiques.

L’ironielefrappadepleinfouet.Kellyauraitdûpouvoircomptersurlui.Pourtant,toutcommesafamillel’avaittrahi,ilavaittrahiKelly.Peut-êtreétait-ilplussemblableàsonfrèreetàsamèrequ’ilnevoudraitl’admettre.Cettepenséeluidonnalanausée.

—Ryan?Lefrontsoucieux,elleposaunemainsursonbras.Saisid’unbrusquedégoût,ils’écartaetfitunpasenarrière.—Nemetouchepas,lança-t-ilàvoixbasse.Jesaiscequetuasfait.JesaiscequeJarrodettoi

avezfait.Jenevouslepardonneraijamais.Samèreeutuneexpressioncontrariée.Croisantlesbrassursapoitrine,ellesedétourna.

—Cen’estpasunefemmepourtoi,Ryan.Situétaismoinsentichéd’elle,moinségarépar…ledémondelaluxure,tuleverraisaussi.

—Tun’essaiesmêmepasdenier.MonDieu!MaisquelcrimeabienpucommettreKellypourméritercequetuluiasfait?Encemoment,ellesetrouvedansunlitd’hôpital.Elleportemonenfant.Tonpetit-filsoutapetite-fille.ElleétaitenceintequandtuluiasenvoyéJarrod.Quelgenredeperverseilfautêtrepourfaireunechosepareille?

—Jen’aiaucunregretd’avoirtentédeprotégermesfils,riposta-t-elleavecraideur.S’illefaut,jerecommencerai. Tu comprendras quand ton bébé sera né. Tu comprendras pourquoi j’ai agi ainsi. Endevenant parent, on sait qu’on fera absolument n’importe quoi pour ses enfants.Tous lesmoyens sontbonspourlesprotéger.Onnepeutpasresterlesbrasballantsquandsonfilscommetlaplusgrosseerreurdesavie.Reviensm’enparlerdansquelquesannées.Onverrasitumedétestestoujoursautant.

Les arguments qu’elle avançait pour justifier ses actes le sidéraient. Ils n’étaient pas simplementmoralementcondamnables.Ilsétaientcriminels!

—J’espèrequejen’agiraijamaiscommetoi,quejeneblesseraijamaisunejeunefemmeinnocenteuniquementparcequejenelatrouvepasassezbien.Voilàcequetunecomprendspas,maman.Kellyestunepersonnemillefoismeilleurequetuneleserasjamais.Pasassezbien?C’estnousquinesommespasassezbienpourelle.Nousneleseronsjamais.Jenepeuxqu’espérerdetoutemonâmequ’ellemepardonneraendépitdemafamilledétestable.

Unelueurd’indignationbrilladanslesyeuxdeRamonaBeardsley.—Typiqued’unhomme!Tupensesavectonbas-ventre.Aujourd’hui,laconcupiscencet’aveugle,

mais dans quelque temps, tu ne regarderas plus cette fille comme un petit chiot énamouré. Et tu meremercierasd’avoiressayédetepréserver.Tupeuxtrouvermieuxqu’elle,Ryan.Pourquoirefuses-tudel’admettre?

Ryansecoualatête,accablédetristesse.—Non,jeneteremercieraijamais.Tun’esplusrienpourmoi.Jen’exposeraipasmafemmeni

mesenfantsàtonvenin.Ebranlée,elleblêmit.—Tunepensespascequetudis!—Si.Tun’esplusmamère.Jen’aiplusdemère.Jen’aiplusdefamilleendehorsdeKellyetde

notreenfant.Jenetepardonneraijamais,jamaiscequetuasfait.Tiens-toiàl’écartdemoi.Tiens-toiàl’écartdeKelly.Si tu t’avisesde t’approcheràmoinsdecentmètresdemafamille, j’oublieraique tum’asmisaumondeetjeteferaiembarquerlesmenottesauxpoignets.Est-cequec’estbienclair?

Bouchebée,ellelefixadesyeux,faisanttoutàcoupsessoixanteans.Siellenes’étaitpasautantacharnéeàdétruirelafemmequ’ilaimait,Ryanauraitéprouvédelapitié.Maisellenemontraitaucunremords.Aucunregret.

—Jen’aiplusrienàtedire,conclut-ild’untondur.Iltournalestalons,sourdauxcrisdesamèrepourleretenir.Il quitta sa maison sans un regard en arrière. Il monta dans le taxi qui l’attendait, puis donna

l’adressedel’hôpital.Kellyavaitbesoindelui.Leurenfantavaitbesoindelui.Elle risquaitdene jamais luipardonner,mais il feraitensortequ’ellenemanqueplusde rien le

restedesavie.Ils’occuperaitd’elleetdubébé.Ilpasseraitlerestantdesavieàessayerdeseracheter,àconditionqu’elleleluipermette.

***

Kellyseréveilla,baignéedesilence.Elleétaitsisoulagéedeneplusentendre lebourdonnementstrident dans ses oreilles qu’elle en aurait pleuré. L’affreusemigraine avait disparu. Elle n’avait plusl’impressionquesatêteallaitexploser.

Curieusement,elleneressentaitplusaucunedouleur.Illuifallutquelquesinstantspourcomprendrequ’ellesetrouvaitdansunechambred’hôpital.Puislesévénementsayantprécédésonévanouissementluirevinrent.Sesmainsvolèrentd’instinctà

sonventre,maisensentir l’arrondine la rassuraqu’àmoitié.Est-ceque lebébéallaitbien?Etelle-même?

Elles’efforçademieuxdiscernersonenvironnement.Delalumièreprovenaitdelasalledebainsparl’entrebâillementdelaporte.Uncoupd’œilauxstoresluiindiquaqu’ilfaisaitsombredehors.

Ensuite,sonregardtombasurlesiègeprèsdesonlit,etelledécouvritRyan,quil’observaitavecintensité.L’émotionqu’ellevitdanssesprunellesbleueslafittressaillir.

—Salut,murmura-t-il.Commenttutesens?—Engourdie.Unpeuvide.Jen’aiplusmalàlatête.Mespiedssonttoujoursgonflés?D’ungesteprécautionneux,ilsoulevaledrapsursesjambes.—Peut-être,maismoinsqu’avant.Ont’adonnédesmédicamentsetmislebébésousmonitoring.—Commentva-t-elle?demandaKelly,lagorgenouée.— Pour lemoment, elle va bien. Ta tension est stabilisée.Mais si elle remonte, ou si le bébé

montredessignesdedétresse,ilfaudrasansdoutepratiquerunecésarienne.Kellyfermalesyeux,etaussitôtRyanserapprocha,lapritdanssesbras,leslèvrespresséessursa

tempe.—Net’affolepas,monamour.Tuescenséerestercalme.Tureçoislesmeilleurssoinspossibles,

fais-moi confiance. On te surveille vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Et d’après le médecin, lepronosticdubébéàtrente-quatresemainesdegrossesseestexcellent.

Unevaguedesoulagement la submergea,mais la fatigue luiôtait touteénergieautrequecellederemercierlecielquelebébéfûtenbonnesanté.

—Jevaisprendresoindetoi,Kelly,repritRyanàmi-voix,labouchetoujourscontresonfront.Detoietdenotreenfant.Riennetemeurtriraplusjamais.Jetelejure.

Deslarmesluibrûlaientlespaupières.Elleétaitéreintée,tantphysiquementquepsychologiquement,etn’avaitpaslaforcedediscuter.Quelquechoseenelleétaitbrisé,etelleignoraitcommentleréparer.Ellesesentaittellement…déconnectéedetout.

Ryan s’écarta,mais ses yeux brillaient d’inquiétude… et d’amour. Cela suffisait-il pour autant ?Qu’étaitl’amoursansconfiance?Ilvoulaitêtreavecelle.Ilsesentaitcoupable.Cen’étaitpasunsaletype,ilavaitdessentiments.Maintenantqu’ilsavaitlavérité,ildevaitêtreanéanti.Néanmoins,iln’avaitpaseuconfianceenelle,etellen’étaitpascertainequ’ilspuissentforgerunlienconstructifaprèstantdesouffranceetdetrahison.Peut-êtremêmeavaient-ilsétéstupidesd’essayerderecommencer.

—Queva-t-ilsepasser?chuchota-t-elle.Jedoisresterici?Jepeuxrentreràlamaison?Lamaison?Kellysemorditlalèvre,pleined’incertitude.SarelationavecRyanétaitungrandpoint

d’interrogation, mais elle n’avait nulle part où aller, hormis chez lui. Et la santé du bébé passait enpremier.

Illuipritlamain—cellequiportaitsabague.—Turesterasicijusqu’àcequelemédecindécidequetupeuxrentrer.Celadit,ilaprévenuque,

detoutefaçon,mêmeunefoisrentrée,unreposabsoluestindispensable.Tudevrasresterallongéetoutelafindetagrossesse.

Sonexpressionduttrahirsonappréhensionhorrifiée,carRyansepenchapourl’embrasser,touten

serrantsesdoigtsavectendresse.—Chérie,jeneveuxpasquetut’inquiètes,d’accord?Jem’occupedetout.Oniradansunendroit

beauetchaud,oùtutecontenterasd’êtreétenduesurlaplageoudansunfauteuilconfortableenregardantlecoucherdesoleil.J’engageraiunpraticienpersonnelpourassurertonsuivimédical.

Ladouleurrevint,martelantsoncrâne.Ellefronçalessourcils.—Ryan,onnepeuttoutsimplementpaspartirsuruneîleparadisiaque.Ignorernosproblèmesne

lesréglerapas.D’unemaincaressante,ildégageasescheveuxdesonfrontetleslissaenarrière.—Dansl’immédiat,applique-toiseulementàallermieuxetàporternotreenfantlepluslongtemps

possible.Quantàmoi,jevaism’appliqueràt’épargnerleplusdestresspossible.Commeelleouvraitlabouchepourrépondre,illafittaired’unbaiser.—Jesaisqu’onauntasdechosesàrégler,Kell.Jenesaispascombiendefoisjel’aidéjàdit.

Maispourl’instant,mettonsnosdifférendsdecôtéetconcentrons-noussurnotrebébéetsurtasanté.Onestencapables?

LarésistancedeKellys’évanouit.Elleacquiesçaensilence,sansretirersamaindelasienne.Malgrécequis’étaitpassénaguère,ellenedoutaitpasunesecondequeRyantenaiténormémentà

elle ainsi qu’à leurbébé. Il avait raison.Peu importait cequidevait être résolu entre eux, leur enfantpassaitd’abord.

-18-

—LaissersortirMlleChristiannem’emballepas,déclara,laminesévère,lemédecindeKelly.Certes, sonétat s’estnettementamélioré, sa tensionest redevenuenormale.Lebébévabien. Jediraisqu’elleadeforteschancesdeleporterjusqu’aubout.Pourtant,jenecroispasquecesoitunebonneidéedelalaissersortiraussivite.

—Quepuis-jefairepourquecesoitpossible?insistaRyan.Elleestmalheureuse,ici.Ellen’estpaselle-même.

—Oui,c’estjustementlaraisonpourlaquellel’idéequ’elles’enaillem’inquiète.Aumoinsici,jesuissûrdepouvoir luiprodiguer touslessoinsnécessaires.Ellen’apas lemoral,doncsonniveaudestressmepréoccupe.Ilestimpératifdeluiévitertoutesituationsusceptibledelabouleverser.

— Si vous lui donnez la permission de voyager, j’ai l’intention de l’emmener dans un endroitensoleilléoùellen’aurapasàleverlepetitdoigt.Jepeuxaffréterunvolmédicalisépourgagnerl’île,etsur place, avoir un médecin particulier qui la surveille en permanence, ainsi que l’hôpital local aucourantdesonétatetdesesbesoins.

LepraticienréfléchitensilenceàlasuggestiondeRyan.— C’est peut-être lameilleure idée, finit-il par reconnaître.Le temps est froid etmorose en ce

moment.Dusoleiletdelachaleurpourraientluiremonterlemoral,etellereprendraitdesforces.Ceneseraitbonnipourellenipourlebébésielleaccouchaitalorsqu’ellefriseladépression.

A l’idée deKelly triste et déprimée, le cœur deRyan se serra. Il ferait n’importe quoi pour luirendrelesourire.

—Donnez-moivotreaccord,etj’organiseimmédiatementnotredépart.Jeneveuxquesonbonheur,etsuisprêtàfairetoutcequiestenmonpouvoirpourqu’elleaillemieux.

Aprèsl’avoirobservéquelquesinstants,lemédecinrepritlaparole.— Je vous crois,monsieurBeardsley.Ecoutez, communiquez-moi le nomdupraticien que vous

engagerez, ainsiqueceluide l’hôpital, et je leur transmettrai ledossiermédicaldeMlleChristian. Jecontacteraipersonnellement lemédecinpourbienluiexpliquer lagravitéde lasituation.Jeveuxaussim’assurerquel’hôpitalestpréparéàsortirlebébéaumoindresignededétressefœtale.Etqu’ilsonttoutlepersonnelqualifiépourcetypedecas.

—Merci,docteur.Kellyetmoiapprécionsl’attentionquevousaccordezàsondossier.—Faites-ensortedeprendrebiensoind’elle.Jedétestevoircettejeunefemmeaussiabattue.Ryanhochalatête.Luiaussidétestaitcela.Ilprendraitsoind’elle,bienentendu,maisilignoraits’il

parviendraitàlarendredenouveauheureuse.N’empêchequepourrienaumondeiln’auraitbaisséles

bras. Jamais plus il ne commettrait lamême erreur. Jamais plus il ne l’abandonnerait.Même si celadevaitluiprendreuneéternité,ilferaitensortequ’ellesachequ’ellepouvaitcomptersurlui.

***Assisedans le fauteuilprèsde la fenêtredesachambred’hôpital,Kelly regardait les floconsde

neigetomberducielenpetitesspirales.Bienquelapiècefûtbienchauffée,ellefrissonna.—Tuveuxunecouverture?demandaRyan.Surprise, elle tourna la tête.Elle ne s’attendait pas à ce qu’il soit revenu si vite, encore qu’elle

auraitdûsavoirqu’ilneresteraitpaspartibienlongtemps.Aucoursdesderniersjours,ilavaitétéuneprésenceconstante,toujourslà,anticipantsesmoindresbesoins.

—Pardondet’avoirfaitsursauter,reprit-ilàmi-voix.—Non.Simplement,jenet’aipasentenduentrer.Ilvints’appuyersurlereborddelafenêtre.Lesmainsaufonddespoches,illaregardagravement.—Jeviensdediscuteravectonmédecin.Ilestdisposéàtelaisserquitterl’hôpital.Elleouvritdegrandsyeuxétonnés.—Souscertainesconditions,bienentendu.Tasantélepréoccupebeaucoup.Kellyserenfrogna.—Quellesconditions?—J’aidéjàtoutorganisé.Tun’asàt’inquiéterderien.Contente-toid’allermieuxetderecouvrer

tesforces.Ellesecoualatête,cherchantàdissiperleflouquisemblaitembrumerenpermanencesoncerveau

ces temps-ci. Elle vivait dans une sorte de brouillard depuis sonmalaise, et surtout, sa fatigue avaitempiré.Quelquechosel’incitaitnéanmoinsàprotester,maisellen’arrivaitpasàréunirl’énergiementalenécessaire.

Commeellenedisaitrien,Ryancontinua.—NousquittonsNewYork.Uneambulancevatetransporteràl’aéroport,oùuneéquipemédicale

vanousemmeneràSt.Angelo.Denouveau,ellesecoualatêteensignederefus.Puistrouvaenfinl’objectionquiluiéchappait.—Ryan,tunepeuxpaspartircommeça.Ilpeuts’écoulerdessemainesavantquelebébénaisse.

Tunepeuxpast’absenterdetontravailetmecouveraussilongtemps.Tavieestici.Ils’agenouilladevantelleetpritsesmainsdanslessiennes.— Ma vie est avec toi. Notre enfant et toi êtes ma priorité absolue. J’ai des gens plus que

compétents,àmêmedegérer leschosessansmoi.Mespartenairesprofessionnels sont toutdisposésàintervenir à ma place sur les questions qui requièrent mon attention. On sera à quelques minutes duchantierdel’hôtel,doncjepourraifacilementsuperviserlesproblèmeséventuels.

Pasunmotn’avaitétéditdelanuitoùelles’étaiteffondrée.Lesujetavaitétésoigneusementévité,toutcommeceluideleuravenir…etdeJarrod.Siellevoyaitlesuppliceetuneterribleculpabilitédansle regard de Ryan, il n’abordait pas la question, et elle non plus. De toute façon, revenir dessus labouleverserait, or le médecin l’avait mise en garde : elle ne pouvait se permettre un nouveau chocémotionnelcommeceluiquil’avaitconduiteàl’hôpital.

Aussi s’était-elle verrouillée derrière un mur impénétrable d’indifférence glacée. Dès qu’ellesentaitquelquechosel’affecter,ellelebalayaitetn’opposaitaucunerésistance.

Commemaintenant. Son cœur lui disait de refuser, de ne pas laisser Ryan prendre les rênes etl’emmeneroùbon lui semblait.Elleétait lassed’êtresanscessemeurtrie.Simplement, le formuler luidemandaittropd’efforts.Elleétaitàboutdeforces.

—Kelly?Aquoipenses-tu,machérie?

Ilavaitlefrontplisséd’inquiétudeetl’observaitintensément,commes’ilessayaitdeliredanssonesprit.

—Jesuisfatiguée,répondit-elleentoutehonnêteté.Fatiguée et faible. Démoralisée. Pas sûre de ce qu’elle voulait. Bataillant pour savoir ce qui

convenaitlemieuxàsonbébé.Maisc’étaittropcompliqué,tropépuisantàexpliquer.Illuicaressatendrementlajoue.— Je sais que tu l’es,mon cœur. Et bien que je n’aie pas le droit de te le demander, je te le

demandequandmême:fais-moiconfiance.Laisse-moim’occuperdetoi.Laisse-moit’éloignerd’ici.Tuasadorél’îleladernièrefois.

Avec quelle facilité il arrivait à la faire capituler ! Il lui offrait tout ce qu’elle avait toujourssouhaité.Sonamour.Sonattention.Durêve.Illuioffraitunrêve.Maislesrêvesneduraientpas.Etilsavaient déjà vécu celui-ci. Echapper à la réalité pendant quelques jours idylliques sur une île.Maisquandçaavaitprisfin,ilsavaientdûretourneràlafroideréalitédeleursvies.

—Jeveuxresterlà-basjusqu’àlanaissancedubébé.Ellenevoulaitpasqu’ilnaisseici.Ellenevoulaitpasêtreentouréedegensquilaméprisaient.Elle

nevoulaitpasexposersonenfantàl’animositédontelle-mêmeavaitétévictime.—C’estdéjàarrangé,répliquaRyan.Bouchebée,elleledévisagea,lesyeuxronds.—Viensavecmoi,Kell.Fais-moiconfiance.Aumoinspourlemoment.Peut-êtrepourrait-ellerestersurl’îleaprèslanaissance.Aprésent,Ryanvoyaitsûrementqueleur

relationserévélaitimpossible.Maislebébéetellepourraientvivrelà-bas.Ilsn’auraientpasbesoindegrand-chose.Unepetitemaison, voire un appartement.Dès qu’elle serait sur pied, elle chercherait dutravail.Commeserveuse,parexemple.Travaillerdurneluifaisaitpaspeur.

EtquandRyanvoudraitvoirleurenfant,ilpourraitvenirsurl’île.Pourunhommepossédantsonjetpersonneletunhôtelsurplaceenpassed’êtreterminé, luirendresouventvisiteneseraitpaslameràboire.

Encouragéeparlefaitd’avoirunbut,elleacquiesça.LesoulagementdeRyanétaitpalpable. Il sepenchapour l’embrasser,maiselle tourna la têtede

manièreàluioffrirsajoueetnonseslèvres.—Jedois t’abandonnerunpetitmoment,annonça-t-il.Letempsderégler lesderniersdétailsde

notre départ etm’assurer que tu nemanqueras de rien durant le voyage. Je serai de retour le plus tôtpossible.Jepeuxt’apporterquelquechose?

Ellefitsignequenon.Avantdeserelever,ilcaressadenouveausescheveux.—Jeferain’importequoipourterendrelesourire,Kell.Puis,sansluilaisserletempsderépondre,ilquittalachambre,lalaissantregarderparlafenêtrela

neigetomber.

***

Levolpuisletransportjusqu’àlavillasedéroulèrentsansheurts.Ryanavaitfaitensortequetoutlemonde soit aux petits soins pour elle.Durant tout le voyage, elle fut dorlotée et servie commeuneprincesse,età l’arrivéesur l’île, accueillienonseulementpar lemédecinquiprendrait enchargesonsuivimédical,maisparuneinfirmièrepersonnellequirésideraitàlavillaavecRyanetelle.

Le premier regard que Kelly posa sur la splendide propriété lui coupa le souffle. Après avoir

franchiunhautportail, ils suivirentunealléesinueusebordéede fleurs luxuriantes.Pendantuncertaintemps,l’alléelongealaplage,avantd’aboutiràlamaisonprincipale.

Celle-cinesetrouvaitqu’àquelquespasàpeinedusable.L’idéequ’ellepuissesortirpar-derrièreetlefouleraussitôtl’emplitderavissement.

Ryaninsistapourlaporteràl’intérieur.C’estdoncblottiecontreluiqu’ellepassalaported’entrée.Aulieudeluifairevisiter,ill’emmenajusqu’àl’autreextrémitédelavillaetauxportesvitréesqui

donnaient sous la véranda à l’arrière. Comme elle le soupçonnait, seules trois marches de pierresuffisaientàatteindrelaplage.

Dèsqu’elleposalepiedsouslavéranda,labrisemarineébouriffasescheveux.Fermantlesyeux,elleinhalaàfond,goûtantlesembrunssalésetchauds.

—C’estbeau,murmura-t-elle.Ryansourit.—Jesuiscontentqueçateplaise.Parcequec’estàtoi.Elle rivason regardausien.Un longmoment,elle fut tropabasourdiepourarticulerquoiquece

soit.Lorsqu’elleyparvintenfin,savoixressemblaitàuncoassement.—Jenecomprendspas.Ill’aidaàs’asseoirsurlapremièremarche,puiss’installaprèsd’elle.Ensemble,ilscontemplèrent

l’océanétincelant.—Jel’aiachetéepourtoi.Pournous.C’esttamaison.Les mots lui échappaient totalement. L’engourdissement qui l’enveloppait depuis si longtemps

s’évaporaitpeuàpeu.Commesilachaleurdusoleilfaisaitfondrelaganguedeglaceetluiapportaituneconscienceetuneluciditénouvelles.D’uncoup,ellevoyaitleschosesplusclairement.EllevoyaitRyan.Elle levoyait fairedes efforts surhumainspour la rendreheureuse.Pourprendre soind’elle.L’espoirrevintdanssoncœur,maisellelerepoussa,effrayéedeluilaisserlibrecours.Ellen’osaitpasfairedessuppositionsaussifollesquecellesquiseprésentaientsoudain.

—MaisRyan,tuvisàNewYork.Tavieestlà-bas.Tafamilleestlà-bas.Tontravail,tesaffaires,tesamis.Tunepeuxpasdéménagericijusteparcequ’onyaconnuquelquesjoursdebonheur.

—Pourquoipas?Ilnoualeursdoigtsetlesembrassadélicatement.—Tunesaispastout,Kelly.Jen’aipasvoulut’enparlersurlemoment.C’étaitdéjàassezdifficile

pourtoiàl’hôpital.J’aicoupélespontsavecmonfrèreetavecmamère.Définitivement.Ilsnefontpluspartiedemavie.Denotrevie.

—Oh,Ryan…Ses yeux s’emplirent de larmes. Malgré tout le mépris qu’elle leur portait, elle n’avait jamais

souhaitécela.—Net’avisepasdeverseruneseulelarmepoureuxoupourmoi,répliqua-t-ilenessuyantsajoue.

Ilsneleméritentpas.Jeneregrettepasmadécision.Cequejeregrette,c’estd’avoirpermisqu’ils tefassentautantdemaletdenejamaism’enêtrerenducompte.

—Maistunel’auraispasfaitsicen’étaitpaspourmoi.Ilssonttafamille,Ryan.Tuespeut-êtreencolère contre eux aujourd’hui, mais dans un an ? Ou cinq ? Quandm’en voudras-tu d’avoir semé lazizanieentrevous?

—Tun’espasresponsablede leursactes,objecta-t-ild’untonféroce.Cen’estpas toiquinoussépares.C’esteux.Personned’autre.Jeleshaispourcequ’ilsontfait.Ilssontplusqu’ignobles.Ilsneméritent pas ta considération.Ni lamienne. Je refuse d’exposer notre enfant à ce genre de personnestoxiques.C’estmonchoix,Kelly.Tucroisvraimentque je leurpermettraisdeprendre lamoindrepart

dansnosviesaprèsleurcomportementenverstoi?Elleétaitaffligée.Celan’avaitjamaisétésonbut.Quellequesoitsadéterminationàneplusjamais

croiserlefrèreetlamèredeRyan,ladernièrechosequ’ellevoulait,c’étaitcauserdelapeineàl’hommequ’elleaimait.

— Cessonsdeparlerd’eux, reprit-il calmement. Ilsne sontplusunproblème.Parlonsplutôtdenous.Pourras-tumepardonnerunjour,Kelly?Crois-tupossibledem’aimerdenouveau?

Quittantsaplace,ils’agenouilladevantelleetluisaisitlesmains.— Tu t’esmiseune fois àgenouxpourme supplierde te croire.Pourme supplierdenepas te

tournerledos.Amontourdetesupplier,Kelly.Jeneméritepastonpardon.Jenetereprocheraispasdenejamaismepardonner.Maisjet’implorequandmême.Jet’aime.Jeveuxquenousvivionsensemble.Ici.Surcetteîle.Loindetoutlemalheurdupassé.

—Tuveuxqu’onresteici,pourtoujours?demanda-t-elleàmi-voix.Ilacquiesça.Sesmainstremblaientunpeu.—J’aiachetécettemaison.L’hôpitalestprêtà t’accueillir.Jemesuisassuréquenotrebébéait

accès auxmeilleurs soinspossibles. Jeveuxqu’on repartede zéro,qu’on recommencevraiment cettefois.Jetesuppliedenousdonnercettechance,Kelly.Accorde-moilachancedem’aimerencore.

Kellysentitlechagrinquiavaitparalysésonâmeetétouffésoncœurs’évanouircommeparmagie,laissantlaplaceàunespoirnouveau—etàunamourradieux.Cettefois,ellenetentapasdelechasseretlelaissas’épanouir.

Souriante,ellepritlevisagedeRyanentresesmains,étonnéededécouvrirdestracesdelarmessurses joues.Dudécouragement—de lacrainte?—assombrissait son regard tourmenté,maisune lueurd’espoirynaissaitaussi,enréponseausien.

— Je t’aime tant, dit-elle d’une voix vibrante d’émotion. J’ai été si longtemps en colère, àmerépéterquejetedétestais.Lacolèreprenaitlepassurlereste,merendaitmalheureuse.C’étaitunpoidsquim’écrasaitenpermanence.Unpoison.Jenepeuxplusvivredecettemanière.Jeneveuxplusvivredecettemanière.

L’espaced’uninstant,ilfermalesyeux.Lorsqu’illesrouvrit,elleylisaituntelsoulagementetunetellevulnérabilitéqu’ellesutaveccertitudequ’elleavaitfaitlebonchoix.

—Situpeuxmepardonnertoutesleschosesaffreuses,blessantesquejet’aidites,poursuivit-elle,alorsjepeuxtepardonnerden’avoirpaseuconfianceenmoi.

—MonDieu,Kell.Jeméritaistoustesreproches,etdavantageencore.Monattitudeàtonégardestinexcusable.Commentpourrais-tumepardonnersijenemepardonnepasmoi-même?

Elle se pencha pour l’embrasser. Puis elle caressa ses cheveux, ses joues, tout en lui sourianttendrement.

—Onfaitunedrôledepaire,non?Oui,toietmoiavonscommisdeserreurs.Maisj’aimepenserquel’unetl’autreavonstenubon.Etqueçanousapeut-êtrerendusplusforts.Enrevanche,celamefaitdelapeinequetuaiesrenoncéàtantpourmoi.Tafamille.Tesamis.Lavilleoùtuasgrandi.Tuastoutabandonné, achetéunemaisonmagnifiqueque jenepouvaisqu’adorer, tout çaparceque tum’aimais,moi.Si jenetepardonnepas,celasignifieraitquejerefusecetamour.Or, jerefusedevivresans toi,Ryan.Devivre sans tonamour.Cesderniersmoisont été lespiresdemonexistence. Jeneveuxplusjamaisrevivreça.

Il l’enlaça, la serra si fort qu’elle ne pouvait plus respirer. Mais elle s’en moquait. Ils étaientensemble.Enfinunis.Débarrassésdetoutelasouffrancedupassé.Sansbarrières,sansréserve.

Aussitôtaprèsluiavoirditqu’ellel’aimaitetqu’elleluipardonnait,c’étaitcommesilepoidsdumondes’étaitsoulevéd’uncoup.Ellesesentaitlégère,libre.Ellesesentait…heureuse.

Unbonheurjoyeux,étourdissant.— Tu n’as pas idée à quel point je t’aime,Kell, déclaraRyan, la voix rauque. Je t’ai toujours

aimée.Jen’aijamaiscessédet’aimer.Lesoir,enmecouchant,jepensaisàtoi,jem’inquiétais,jemedemandais où tu étais, si tu allais bien. J’ai trouvé toutes sortes d’excuses pour lancer quelqu’un à tarecherche,maislavérité,c’estquejenepouvaispasvivresanstoi.

—Etsionarrêtaitdeseculpabiliseràproposdechosesqu’onnepourrapaschanger,etqu’onconcluaitlepactedes’aimermutuellementjusqu’àlafindenosjours,enétantheureux?proposa-t-elle,toutesouriante.

—Oui.Jesuisd’accord.Puis,lesyeuxétincelants,illuirepritlesmains.—Epouse-moi,Kelly.Toutdesuite.Sansattendreunjourdeplus.Epouse-moiici,surcetteplage.

Notreplage.Rienquetoietmoietnotrebébé.—Notreplage,murmura-t-elle.Çameplaît.Oui,Ryan,jet’épouserai.Aujourd’hui,demain,toute

mavie.Pendantunlong,trèslongmoment,ilsrestèrentassissurlesmarchesquimenaientàleurplage.La

plageoùilsélèveraientleursenfants.Oùilsriraient,s’aimeraient,etsesouviendraients’êtrepromisunamouréterneletdedemeurerensemblemalgrélesépreuvesdelavie.

Ils restèrent là jusqu’à ce que le soleil se couche à l’horizon, que les douces couleurs du soirteintent l’océan. Quand la lune se leva et éclaboussa l’eau d’argent, Ryan porta Kelly dans ses brasjusqu’aurivage,etilsdansèrentausonmélodieuxdesvagues.

Ashley-1-

Il arrive unmoment où, dans sa vie, un homme comprend que, pour lui, les jeuxsontfaits.Contemplantlabagueornéed’unsolitaireétincelantdanssonécrindeveloursnoir,DevonCartersutquecemoment-làétaitvenupour lui.Refermant lecouvercle, ilplaçal’écrindanslapocheintérieuredesonveston.

Deuxpossibilitéss’offraientà lui.Soit ilépousaitAshleyCopelandet réalisaitainsison rêve leplus cher, la fusionde sa société avecCopelandHotels, qui donnerait ainsinaissanceaugroupehôtelierdeluxelepluspuissantdumonde,soitilnel’épousaitpas,auquelcasilperdraittout.

Vuesouscetangle,sasituationétaitclaire:ilneluirestaitqu’àdire«oui».Leconciergedugratte-cieldeManhattanoùsetrouvaitsonappartementseprécipita

pour luiouvrir laporte,etDevonsortitdans la rue,oùsonchauffeur l’attendait. Ilprituneprofondeinspirationavantdeseglissersurlesiègedecuir,etlalimousinedémarraetsemêlaendouceuràlacirculation.

Cette soirée allait sceller son avenir. La cour assidue qu’il lui avait faite — lesinnombrables dîners, les baisers d’abord brefs et légers, puis peu à peu plusappuyés—n’étaitqu’unelonguepréparationenvuedecetinstant.Cesoir,sonentreprisedeséductiond’AshleyCopelandauraitabouti,etilluidemanderaitdel’épouser.

L’absurditéde la situation le frappapour la centième fois, et il secoua lentement latête. Personnellement, il jugeait queWilliamCopeland devait avoir perdu l’esprit pourforcerunhommecommeluiàliersondestinàceluidesafille.Ilavaittoutfaitpourl’endissuader,maislevieilhommen’avaitrienvouluentendre.Iltenaitabsolumentàmariersafille…etàlamarieràlui.

Biensûr,Ashleyétaitunejeunefemmeadorable,maisDevonn’avaitaucundésirdesemarier, ni à elle ni à une autre. Dans cinq ans, peut-être. Alors, il se choisirait uneépouse,concevraitdeuxenfantsetdemicommelerestedelapopulation,ets’installeraitpleinementdanssonnouvelétatconjugal.

Williamavaitd’autresplans.Dèslespremiers instantsdeleurrencontre,sonregard

s’était fait calculateur. Il avait expliqué à Devon que sa fille n’était pas faite pour lesaffaires.Elle était trop douce, trop naïve et, dès lors, incapable d’assumer un rôle actifdans les affaires familiales. Il était convaincu que tout individu qui manifesterait del’intérêtpourelleneleferaitquepoursetaillerunepartdelafortunefamiliale.Williamsouhaitaitlamarieràunhommequis’occuperaitbiend’elleet,pourdesraisonsqu’ilétaitseulàconnaître,ilavaitdécidéqueDevonétaitcethommeprovidentiel.

C’est ainsi qu’il avait fait de cemariage la condition préalable à sa proposition defusion. Condition assortie d’une autre : Ashley ne devait jamais rien soupçonner destermesdecemarché.Levieilhommenevoyaitaucuninconvénientà lier l’avenirdesafilleàunetransactioncommerciale,maisiln’avaitpasdutoutenviequ’ellelesache.Cequi signifiait queDevon se retrouvait obligéde jouer àdes jeux stupides. Il frissonnaitencore au souvenir des propos qu’il lui avait tenus, de la patience qu’il lui avait fallumanifesterenfaisant lacouràAshley. Ilétaitunhommedirectquiaimaitallerdroitaubut,etcettesituationridiculel’insupportaitauplushautpoint.S’ilfallaitvraimentquecemariage fasse partie de leur accord, il aurait préféré que toutes les parties concernéessoientclairementaverties,defaçonàéviterlesmalentendusetlesdéceptionsfuturs.

Ashley s’imaginait faire unmerveilleuxmariage d’amour.C’était une jeune femmeidéaliste au cœur tendre, qui préférait passer son temps auprès des animaux du refugegéré par sa fondation que dans les réunions du conseil d’administration de CopelandHotels.

Sielledécouvraitunjourlavérité,elleseraitfurieuse.Etquipourraitl’enblâmer?Devon lui-même détestait toute forme de manipulation, et il serait fou de rage siquelqu’un s’avisait d’agir avec lui comme il était sur le point de faire avec cette jeunefemme.

—Vieuxfou,marmonna-t-il.Son chauffeur arrêta la voiture devant l’immeuble qui servait de résidence au clan

Copeland. William et son épouse occupaient un immense appartement en terrasse audernierétage,maisAshleyyavaitaussilesien,pluspetit,àunniveauinférieur.D’autresmembresdelafamille—cousins,tantesetoncles—serépartissaientlereste.

PourDevon, la familleCopelandétait une curieusebizarrerie.Depuis l’âgededix-huit ans, lui ne comptait que sur lui-même, et le seul souvenir qu’il avait gardé de sesparentsétaitleurinjonctionoccasionnellede«nepasallersefourrerdanslesennuis».

Ladévotion sans limitesqueWilliamvouait à ses enfants lui semblait étrangeet lemettaitmalàl’aise.EttoutspécialementmaintenantqueWilliamsemblaitdéterminéàletraitercommesonfils,attenduqu’ilallaitépouserAshley.

Devon s’apprêtait à descendre de la voiture lorsqu’il vit Ashley jaillir du hall del’immeuble,unsourirerayonnantauxlèvres.Ilseprécipitaverselle,fronçantlessourcilsd’unairdésapprobateur.

—Ashley,vousauriezdûresteràl’intérieur.Jeseraismontévouschercher.Sonrire,clairetmusical,résonnaparmilesbruitsdelacirculation.Aujourd’hui,ses

longs cheveux blonds, qu’elle attachait habituellement en un chignon lâche, flottaientlibrementsursesépaules.Elleluisaisitlesmains,levantunvisagesouriantverslui.

— Vraiment, Devon, qu’est-ce qui pourrait bien m’arriver ? Alex est là, et il mesurveilleencoreplusquemonpère.

Alex,leportierdel’immeuble,luiadressaunsourireindulgent.Laplupartdesgensqui entouraient la jeune femme arboraient ce même sourire. Patient et quelque peudérouté.Maistousétaientcharmésparsoneffervescenceetsabonnehumeur.

Avecunsoupir,Devonposasesmainssursataillefine.—Vousdevriezm’attendre à l’intérieur oùvous êtes en sécurité et attendre que je

viennevouschercher.Alexnepeutpastoujoursvousprotéger.Ilaaussid’autresdevoirs.Les yeux pétillant d’humour, elle noua ses bras autour de son cou en un élan

d’affectionquilelaissaunenouvellefoistoutétonné.—C’estpourcelaquevousêteslà,grandbêta.Quisongeraitàmefairedumalalors

quevousêtesprèsdemoi?Avant qu’il ne puisse lui répondre, elle l’embrassa avec gourmandise.Décidément,

cettejeunefemmen’avaitaucunsensdesconventions.Voilàqu’elles’offraitenspectacleenl’embrassantàpleinebouchedevantlaportedesonimmeuble!

Pourtant, son propre corps réagit distinctement à l’ardeur de ce baiser, dont ladouceuravaitlegoûtdel’innocence.Soudain,ileutl’impressiond’êtreunogre,etils’envoulutamèrementdelatromperdecettefaçon.

PuisilserappelaqueCopelandHotelsallaitêtreenfinàlui—outoutdumoinssousson contrôle.Cet accord ferait de lui un homme d’affaires influent. Pas tropmal pourquelqu’un à qui on avait répété que sa seule ambition devait être de « ne pas aller sefourrerdanslesennuis».

Il se libéra précautionneusement de l’étreinte de ses bras parfumés et la grondagentiment:

—Allons, Ashley ! Ce n’est pas le lieu approprié. Nous devrions nousmettre enroute.Carlnousattend.

Ellefronçauninstantlessourcils,puistournasonregardversCarlet,unenouvellefois,seprécipita,unsourirerayonnantauxlèvres.

Secouant la tête, il la vit saluer le chauffeur, babillant joyeusement avec de grandsgestes. Et, à sa grande stupéfaction, il vit Carl lui répondre par un sourire. Carlsouriait en l’aidant à s’installer dans la limousine. LorsqueDevon arriva à son tour, ilavaitreprisl’expressionrenfrognéequiluiétaithabituelle.

Devonseglissaprèsd’Ashley sur labanquettearrière, et elle se rapprochaaussitôtpourseblottircontrelui.

—Oùm’emmenez-vousdîner,cesoir?s’enquit-elle.—Jevousaipréparéunesoiréespéciale.Comme il fallait s’y attendre, elle se jeta littéralement sur lui, les yeux brillant

d’excitation.

—Qu’est-cequec’est?—Vousverrez,répondit-ilensouriant.Ill’entenditpousserunsoupird’exaspération,etsonsourires’élargit.L’undestraits

decaractèrequiplaidaientleplusenfaveurd’Ashley,c’étaitqu’ilétaitextraordinairementfacilede lui faireplaisir. Iln’avaitpas l’habitudedes femmesquinefaisaient jamaisdemanières, qui ne boudaient ni se plaignaient pas lorsqu’on ne répondait pas à leursattentes.Or,lesattentesdesfemmesqu’ilfréquentaithabituellementétaientextrêmementélevées.Et incroyablementcoûteuses.Ashley, elle, semblait heureuse quelle que soit lanaturedescadeauxqu’illuifaisait.Ilnefaisaitaucundoutequ’elleapprouveraitlabaguequ’illuiavaitchoisie.

Elle se blottit plus étroitement contre lui et posa sa tête sur son épaule. Sesmanifestations spontanées d’affection le déstabilisaient encore. Il n’avait pas l’habituded’unetelleabsencede…réserve.

William Copeland était persuadé que sa fille avait besoin de quelqu’un quicomprenne et accepte sa nature spéciale.Ce queDevonne comprendrait jamais, c’étaitcomment le vieil homme était parvenu à la conclusion que c’était lui qui répondait lemieuxàcecritère.

Lorsqu’ilsseraientmariés,ils’appliqueraitàmodérerunpeusonenthousiasme.Ellene pouvait tout de même pas traverser toute son existence en arborant ses émotionscommeunebannière,aurisquedesouffrir.

Quelquesminutesplustard,Carls’arrêtaitdevantl’immeubledeDevonetdescendaitpourleurouvrirlaportière.DevonsortitsurletrottoirpuistenditsamainàAshleypourl’aideràdescendreàsontour.

Ellelevalesyeuxverslafaçadedel’immeuble,etunpliperplexeluibarralefront.—Noussommeschezvous,observa-t-elle.—C’estvrai,convint-ilenriant.Venezvite.Notredînernousattend.Ill’entraînaàl’intérieur,versl’ascenseurauxportesouvertes,etlacabinelesdéposa

directementdanslehalldesonappartement.Asagrandesatisfaction,ilconstataquetoutétaitexactementcommeill’avaitplanifié.Lumièrestamiséespourl’ambianceromantique,musiquede jazz jouant en sourdine, et une table serviepourdeuxdevant labaievitréesurplombantlaville.

—Oh!Devon!C’estabsolumentparfait!Une nouvelle fois, elle se précipita dans ses bras et l’étreignit avec une force peu

commune chez une personne de sa taille. D’étranges phénomènes se produisaient aucreuxdesapoitrinechaquefoisqu’elleseserraitainsicontrelui.

S’extrayant avec difficulté de cette étreinte, il la conduisit jusqu’à la table, tiragalammentsachaiseetattenditqu’ellesoitassiseavantdedéboucherunebouteilledevinetremplirleursverres.

—Lesplatssontencorechauds!s’exclama-t-elleen touchant l’assiettedevantelle.Commentavez-vousfait?

—Messuperpouvoirs,peut-être?suggéra-t-il.—Oh!oui!J’adorel’idéed’unhommedotédesuperpouvoirsencuisine.—Enréalité, j’aifaitvenirquelqu’unpendantquej’allaisvouschercherpourvous

conduireici.— Vous êtes terriblement vieux jeu, Devon, déclara-t-elle avec une moue. Vous

n’aviezaucunbesoindevenirmechercherchezmoisinousallionspasserlasoiréedansvotreappartement.J’auraispuprendreuntaxioudemanderauchauffeurdepapademeconduire.

Devonladévisagead’unairébahi.Vieuxjeu?Onluiavaitreprochébiendestravers,maisjamaiscelui-là!

— Un homme se doit de satisfaire tous les besoins de sa femme, déclara-t-il.Absolumenttous.J’aiétéravidepasservouschercher.

Danslalumièredesbougies,illavitrosir,etsesyeuxbrillèrentcommes’ilvenaitdeluitendrelesclésd’unedécapotableneuve.

—Est-cecelaquejesuis?—Quevoulez-vousdire?s’étonna-t-il,reposantsonverre.—Votrefemme.Quelque chose germa alors en lui. Lui qui ne s’était jamais considéré comme un

homme particulièrement possessif découvrait tout à coup, alors qu’il venait d’accepterl’idéedesonprochainmariage,qu’iltenaiténormémentàêtreleseulhommedanslavied’Ashley.

— Oui, répondit-il d’une voix douce. Et, avant que la nuit ne s’achève, vous nedouterezplusquevousm’appartenezcorpsetâme.

Ashley se sentit frissonner de la tête aux pieds. Comment était-elle censée seconcentrer sur leur dîner après une déclaration pareille ? De l’autre côté de la table,Devon lacontemplait fixementcommes’il s’apprêtaitàbondir surelled’unesecondeàl’autre.

Ilavait lesyeuxlesplusextraordinairesdumonde.Pasvraimentbruns,maisd’unechaude teinte d’ambre liquide. Au soleil, ils paraissaient dorés et, dans la lumière desbougies, ils faisaient irrésistiblement songer à ceux d’un puma. Elle avait l’impressiond’êtreuneproie,etcettesensationdélicieuselagrisait.ElleespéraitdepuislongtempsqueDevonsedécideenfinàfranchirleprochainpasdansleurrelation.

Elle avait attendu cet instant avec une impatiencemêlée d’appréhension.Commentpourrait-elle tenirsaplaceauprèsd’unhommecapabledeséduireunefemmed’unseulregard,lafairedéfaillird’unesimplecaresse?

Depuis les débuts de leur relation, son comportement avec elle avait étéirréprochable, digne d’un véritable gentleman. Leurs premiers baisers avaient été trèsdoux et rassurants,mais, avec le temps, ils avaient pris un tour plus passionné, et elleavaitentrevulasensualitétorridequisecachaitsoussonarmureprotectrice.

Elleavaitlesentimentquesouslevernisdecivilisation,ilyavaitunhommeféroce,

possessifet…sauvage.De nouveau, cette pensée la fit frissonner. Le découvrirait-elle ce soir ? Avait-il

décidédelafairesienne?—N’allez-vouspasmanger?remarquaDevon,interrompantsesréflexions.Elle baissa les yeux vers son assiette sans vraiment faire attention à ce qu’elle

contenait, sentant qu’il lui serait difficile d’avaler la moindre bouchée. Elle avait labouchesècheettoutsoncorpstremblaitd’anticipation.

Poursedonnerunecontenance,ellepiquaunecrevetteduboutdesafourchetteetlaportalentementàseslèvres.

—Vousn’êtespasvégétarienne, aumoins ? s’enquit-il avecune inquiétude feinte.Vousmel’auriezdit,n’est-cepas?

Elleportalacrevetteàsaboucheetlacroqua,puisposasamainsurlasienneenungesterassurant.

—Vousvousfaitestropdesoucis.Sij’étaisvégétarienne,jevousauraisaverti,biensûr. Je sais que beaucoup de gens s’imaginent que, parce que je milite pour la causeanimale,jenemangepasdeviande.

L’expression de soulagement sur son visage était si comique qu’elle ne puts’empêcherd’éclaterderire.

—J’aimebienlepoulet,etpratiquementtouslesfruitsdemer,ajouta-t-elle,mêmesijenesuispastrèsportéesurleporcnisurcesautresmetsdeluxetelsqueleveauoulefoiegras.L’idéededévorerlefoied’uncanardmesoulèvelecœur.

—Enfait,c’estdélicieux,assuraDevonenriantavecelle.Enavez-vousdéjàgoûté?— Désolée, répondit-elle, réprimant une grimace. J’ai pour principe de ne jamais

mangerd’abats.—Ah.Pasdelanguedebœufpourvous,alors?—Neprononcezpasmêmecemot-là.Quellehorreur!—Jeprendsnotedevospréférencesculinaires,etjevousprometsdenejamaisvous

servird’abats,déclara-t-ild’untonsolennel.—Voussavez,Devon,vousn’êtespasaussicolletmontéquecertainespersonnesle

prétendent,déclara-t-elleensouriant.Enfait,vousavezunformidablesensdel’humour.—Colletmonté?répéta-t-ild’unairscandalisé.Quiiraitpenserunechosepareille?Comprenantqu’ellevenaitderaterunebonneoccasiondesetaire,Ashleydétourna

lesyeuxetportaunenouvellecrevetteàsabouche.—Personne,marmonna-t-elle,labouchepleine.Oubliezcequej’aidit.—Quelqu’unvousa-t-ilmisengardecontremoi?—Ma famille s’inquiètepourmoi, répondit-elle, conscientede la soudaine tension

danssavoix.Ilssonttrèsprotecteurs.Unpeutrop.—Votrefamillevousamiseengardecontremoi?Le ton de sa voix suggérait que c’était la dernière chose au monde à laquelle il

s’attendait. Etait-il donc si certain que toute sa famille attendait impatiemment leur

mariage?—Non,pasexactement,reconnut-elle.Certainementpaspapa,entoutcas.Ilnetarit

pasd’élogesàvotresujet.Mamanapprouve,maisjesuissûrequec’estpourfairecommelui.Elleauneconfianceaveugleenpapa,et,s’ilvoustrouveparfait,ellenelecontredirapas.

—Qui,alors?insista-t-il,semblantsedétendre.Ashleyhaussalesépaules.—Monfrèrem’inciteàêtreprudente,maisvousdevezcomprendrequ’ila tenu le

mêmediscoursavectouslesgarçonsquej’aifréquentés.Denouveau,ilparutétonnéetportasonverredevinàseslèvres.—Ah?—Oui,voussavez.Vousêtesuncoureurdejupons,unséducteur.Chaquesemaine,

vous avez une nouvelle conquête à votre bras. Vous n’êtes pas sérieux. Vous avezseulementenviedem’attirerdansvotrelit.

Toutàcoup,ellesentitquesesjouesdevenaientbrûlantes,etelledétournaleregard,consternéed’avoirlaissééchapperdesproposaussistupides.

—Uneattitude typiquedegrandfrère, remarquaDevonsanss’émouvoir.Mais ilaraisonsurunpoint.Jeveuxvousattirerdansmonlit.Ladifférence,c’estqu’unefoisquevousyserez,vousallezyrester.

Ilvitseslèvresadorablesformerun«o»parfait,etilesquissaunlentsourire.—Terminez de dîner, Ashley. J’aimerais que vous appréciiez votre repas. Nous…

noustourneronsversd’autresplaisirs…plustard.Elle continua àmastiquermécaniquement, sans sentir le goût de la nourriture.Elle

auraitpuavalerdelalanguedebœufsansmêmes’enapercevoir.Que faisaient les autres femmes dans pareilles situations ? Cet homme était

visiblement déterminé à lui faire l’amour. Etait-elle censée rester calme et détendue ?Passeràl’offensive?Devait-elleoffrirdesedéshabillerdevantlui?

Un rire irrépressiblemonta du fond de sa gorge.Cette fois-ci, elle jouait vraimenthorsdesaligue.

Des mains fermes vinrent se poser sur ses épaules, les serrant en une étreinterassurante, et elle se rendit soudain compte que Devon se tenait juste derrière elle.Commentétait-ilarrivélà?

— Relaxez-vous, Ashley, dit-il d’une voix douce. Vous êtes tendue comme unressort.Venezici.

Lesjambestremblantes,elleselevapourluifaireface.Duboutdudoigt,ileffleurasa joue,puis repoussa tendrementunemèchedecheveuxsur sa tempe.Puis, sondoigttraçalentementlecontourdesaboucheetils’approchaplusprès,soncorpstoutcontrelesien.

Illuienlaçalatailled’unbrastandisquesonautremainseglissaitderrièresanuque.Et, lorsqu’il l’embrassa cette fois-ci, ce fut sans la douceur à laquelle il l’avait habituée

jusque-là.Elleavaitl’impressiond’embrasserunvolcan.Ce fut un baiser incandescent, haletant, mobilisant tous ses sens, totalement

dévastateur.Commentunsimplebaiserpouvait-illuifaireunteleffet?Ellesedétenditdanssesbrasetsedonnatoutentièreàcebaiser.Soncorpsvibrait

dans une harmonie céleste. Son sang battait à ses tempes, et tout son corps exigeaitdavantage.Elle désirait cet homme.C’était comme si elle l’avait attendu toute savie. Ilétait…parfait.

—Devon?murmura-t-elledansunsouffle.Ils’écartadequelquescentimètrespourétudiersonexpression,maissansfairemine

delarelâcher.—Oui,moncœur?—Ilyaunechosequejedoisvousavouer.Unechosequevousdevezsavoir.—Allez-y,l’encouragea-t-il,plongeantsonregardaufonddusien.Vouspouveztout

medire.Ashleyhésita.Ellen’avaitjamaispenséqu’illuiseraitaussidifficiledeprononcerces

mots.Maiscettenuitétaitspéciale,etilavaitledroitdesavoir.— Je… n’ai jamais fait cela, balbutia-t-elle. Je n’ai jamais fait l’amour avec un

homme.Vous…vousserezlepremier.Uneflammesombrebrillaaufonddesesyeux,etilresserrasesmainsautourdesa

taille.Puis,sansunmot,ill’embrassapassionnément.Lorsqu’il s’écarta enfin d’elle, son visage avait une expression de satisfaction

sauvage.—Jem’en réjouis, dit-il d’unevoixhaletante.Après cettenuit,Ashley, vous serez

touteàmoi.Jesuisheureuxd’êtrelepremier.—Moiaussi,dit-elledansunsouffle.Sonexpressions’adoucit,etilsepenchapourdéposerunbaisersursonfront.—Jeneveuxpasquevousayezpeur. Je serai trèsdouxavecvous,moncœur. Je

vaism’assurerquevouséprouviezduplaisiràchaqueseconde.Ellesehaussasurlapointedespiedspournouersesbrasautourdesoncou,avantde

murmurer:— Dans ce cas, faites-moi l’amour, Devon. Voilà très longtemps que je vous

attendais.

-2-

AshleylevalesyeuxversDevon,sedemandantcequ’elleétaitcenséefaireensuite.Lui-mêmenesemblaitpasconnaîtredetelsproblèmes.Déposantunnouveaubaisersursonfront,illasoulevadanssesbrasetlaportajusqu’àlagrandechambresituéedansuncoindel’appartement.

Ellesoupira,reposantsatêtesursalargepoitrine.—J’avaistoujoursrêvéd’êtreportéeainsilorsquelegrandmomentarriverait.C’est

sûrementidiotdemapart.— Jeme réjouis d’avoir réalisé l’un de vos fantasmes avantmême de vous avoir

déshabillée,répondit-il,rianttoutbas.Ellesesentitrougir,alorsqu’unfrissond’excitationlaparcouraittoutentière.L’idée

d’êtredéshabilléeparsesmainsarrivaitensecondeplacedanssesrêvesérotiques.Ayant entendu beaucoup de ses amies se plaindre de la banalité de leur premier

rapport sexuel,Ashley s’était juréque sapropreexpérience seraitdifférente.Dece fait,elle s’était peut-être montrée trop exigeante, mais elle était bien déterminée à choisirl’hommeidéaletlemomentidéal.C’estpourquoi,encetinstant,ellen’étaitpaspeufièred’elle-même,car ilétait impossibled’imaginersensationplusparfaitequecelledesbrasdeDevonCarterautourd’elle.

Il lareposasurlesoldèsqu’ilseurentfranchileseuil,etellejetaunregardinquiettout autour de l’immense chambre. Une personne pouvait se perdre, ici. Et le lit,visiblementunepièceunique,étaitégalementgigantesque.Quiavaitbesoind’unlitaussigrand ? Sauf, peut-être, s’il comptait accueillir dix femmes à la fois pour de grandesorgies.

— Je vais vous déshabiller, mon cœur, dit-il d’une voix un peu rauque. Je vaisprocéder très lentement, et vous m’arrêterez si vous vous sentez gênée le moins dumonde.Nousavonstoutelanuit.Nousnesommespaspressés.

Elle sentit son cœur fondre devant la tendresse qu’exprimait sa voix, son immensepatience.Et,simultanément,uneautrepartied’elle-mêmeluttaitcontrelafrustration,car

soncorpsréclamaitdéjàdavantage.«C’esttapremièrefois.Unmomentuniquedanstavie.»Cettepensées’étaitimposéedanssonespritavecunetelleforcequ’ellecrutpresque

l’avoirexpriméeàvoixhaute.Etc’étaitlavérité.Elleavaittoutletempsdumondepourexplorerladiversitédesplaisirsérotiques.Maisellenevivraitcettenuitqu’uneseulefois,etelleétaitdéterminéeàcequ’ellerestegravéedanssamémoire.

—Retournez-vous.Jevaisdégrafervotrerobe.Ellepivotalentementsurelle-mêmeetfermalesyeuxensentantsesdoigtsrepousser

ses cheveux sur son épaule avant de s’attaquer à la fermetureEclair.Une seconde plustard,sarobeglissasursesépaules,maintenuedansunéquilibreprécaireparl’arrondidesa poitrine. Elle n’eut que le temps de plaquer ses mains sur l’encolure sans bretellesavantqu’ellenes’affaisseàsespieds.

Devonposadoucementsesmainssursesépaulesnuesetdéposaunbaiseraucreuxdesoncou.

—Détendez-vous.Facileàdire.Pourlui,entoutcas.Ilavaitprobablementrépétécesgestesavecune

centainedefemmes.C’étaituneidéeunpeudéprimante,etellesepromitaussitôtdenejamaisluiposercettequestion-là.

Illaretournafaceàlui,etlesourirequ’illuioffritauraitfaitfondren’importequellebanquise.Avec des gestes délicats, il desserra ses doigts crispés sur le tissu, et la robeglissaàsespieds,lalaissantuniquementvêtuedesaculotte.

Ellesesentitdevenirécarlate.Pourquoin’avait-ellepassongéàporteraumoinsunsoutien-gorgesansbretelles?Biensûr,sapoitrinemenuen’enavaitpasvraimentbesoin,et le corsagede sa robe, trèsprèsdu corps suffisait amplement à la contenir.Maisquedevait-ilpenserd’elle?

—Trèssexy,murmura-t-ilenparcourantlentementsoncorpsdesyeux.Parbonheur,elleportaitcejour-làunepetiteculottededentelletrèssexy,etnonpas

l’undesmodèlesdecotonblancbasiquesqu’ellechoisissait lorsqu’ellenesesentaitpasinspiréeoulorsqu’ellesefichaitéperdumentdesonimage.

—Vousêtesbelle,Ashley.Incroyablementbelle.Ellecessaprogressivementdetrembleretplongeasonregarddanslesien.Lesyeux

nemententpaset,dansleursprofondeursdorées,ellelutdudésiretdel’admiration.Il l’attiradoucementà luiet l’embrassadenouveau.Unbaiserbrûlant,dominateur,

tantôtsauvage,tantôtdouxcommelemiel,commes’ildevaitserappelerconstammentdenepaslabrusquer.

Elledésiraitêtrebrusquée.Elleétaitpeut-êtrevierge,maisellen’étaitnullementétrangèreaudésir,etelledésirait

Devonavecune forcequi touchait à l’obsession. Il était lehérosdes rêveries érotiquesquil’avaientempêchéededormirplusd’unenuit.

Et,d’ailleurs,elleavaitdéjàététentée,parlepassé.D’autreshommesluiavaientfait

lacour.Laplupartn’avaientéveilléaucundésirenelle,maiscertainsavaient faitnaîtreune étincelle d’intérêt sexuel, et il lui était arrivé de se demander si elle justifiait des’engagerdavantage.Auboutducompte,ellen’enavaitjamaisétésûre.Et,dansledoute,elles’étaitpromisdenepasfairelegrandsaut.

AvecDevon, toutavaitétédifférent.Al’instantoù ils’étaitprésentéàelle,decettevoixgraveunpeu rauqueet follement sexy,elleavait suqu’elleétaitperdue.Elleavaitpassé cesquelquesdernières semaines à attendre impatiemment cette nuit.Et, à présentqu’elleétaitarrivée,toutsoncorpsréclamaitdouloureusementd’êtreconquis.

Il s’écarta d’elle un instant et, tandis qu’elle le contemplait d’un regard chaviré, iltraçalecontourdesajoueduboutd’undoigt.Puis,ill’embrassaencore.Etencore.

—Vousmerendezfou,gémit-iltoutcontresabouche.Alorsqu’elleesquissaitunsouriredevictoire féminine,émerveilléedeproduireun

tel effet sur cet hommemagnifique, il traça un chemin de baisers sur sa joue et sur sagorge,s’attardantsurlaveinequibattaitàlanaissancedesoncou.

Unfrissondeplaisirlaparcouruttoutentièrealorsqueseslèvrespoursuivaientleurlente descente. Lorsqu’elles arrivèrent à la pointe d’un sein, Devon tomba à genouxdevantelle,etAshleyretintsarespiration,n’osantplusesquisserlemoindremouvement,brûlant de sentir la caresse de ses lèvres sur sa peau ultrasensible, le désirant si fortqu’elleenmourraitcertainements’ilseretiraitmaintenant.

Aulieudecela,ilinclinalatêteetposaseslèvressursonventre,justeau-dessusducreux du nombril, puis sa bouche remonta paresseusement, traçant un chemin de feuentresesseinspourseposerenfinà l’endroitexactoùbattaitsoncœur.Unlentsourireétiraseslèvres,etellelesentitdistinctementtoutcontresapeau.

—Votrecœurbattrèsvite,murmura-t-il.Elle demeura silencieuse. La situation se passait de tout commentaire. Son cœur

battaitsifortqu’illuisemblaitqu’ilallaitexploser.Mais ses mains refusaient de rester immobiles. Elle emmêla ses doigts dans ses

cheveux châtain clair coupés court. Sous une certaine lumière, elle y retrouvait lesnuancesde sesyeux.Ambre.Or.Cebrunchaudaux refletsdorés.Sesdoigtsglissaientfacilement dans les mèches soyeuses. Aucun gel coiffant pour maintenir en place sachevelure toujours un peu en désordre, toujours différente d’un jour sur l’autre. Ilattachait aussi peu d’attention à ses cheveux qu’aux autres détails qu’il jugeait sansimportance.

—Avez-vouspeur?murmura-t-ilenlevantlesyeux.—Jesuisterrifiée,reconnut-elle.Sonregards’adoucit,et il l’entouradesesbraspour l’attirerà lui.Lorsquesapeau

nue entra en contact avec son grand corps encore engoncé dans ses vêtements, elle futparcourued’unlongfrisson.

—Maisj’auraismoinspeursivousétieznu,vousaussi.Il la considéra d’abordd’un air surpris, puis, rejetant la tête en arrière, il éclata de

rire.—Petitecoquine,jeseraienchantédevousfaireceplaisir.La bouche sèche, elle le vit déboutonner sa chemise et s’en débarrasser d’ungeste

nonchalant. Ce qu’elle découvrit la laissa sans voix. Un corps fabuleux, mince etathlétique qui ne devait rien aux stéroïdes, musclé aux bons endroits sans pour autantrappelerunhommedescavernessanscouetauxbicepshypertrophiés.

Unelégèretoisonchâtainclairtourbillonnaitaucentredesontorse,s’amincissantenuneligneétroitequitraversaitsonventreplatpourallerseperdresouslaceinturedesonjean.

Elleavaitenviedeletoucher.Elleenmouraitd’envie.Aprèstout,raisonna-t-elle,laséduction n’avait pas de règles établies. Elle avait le droit de le toucher. Pourquoiresterait-elle passive, comme une statue ou un automate, en le laissant faire tout letravail?Lalenteuravaitsesbonscôtés,biensûr,maiselleétaittropimpatientedevivrecetteexpériencepoursecontenterdurôledesimplespectatrice.Elledésiraitassumerunrôleactif.

Ilvenaitàpeinedecommenceràôtersonpantalonlorsqu’ellefitglissersesmainsdesespectorauxjusqu’àsesépaules.Ilsefigeauninstantetfermalesyeux.

Cette réaction la laissa fascinée. Eprouvait-il autant de plaisir à sentir ses caressesqu’elle les siennes ? A cette idée, un merveilleux sentiment de puissance fémininel’envahit.

Elle s’approchaencore, impatientede sentir sapeaunuecontre la sienne.Brûlante.Lecontactdesesseinscontresonlargetorseluicoupalesouffle,commeunepuissanteonde électrique plus enivrante que le vin. A présent, elle désirait davantage. Biendavantage.

—Quefaites-vous?s’enquit-ild’unevoixrauque.—Jem’amuse.Cetteréponselefitsourire,etildemeurauninstantimmobile,sesmainstoujourssur

laceinturedesonpantalon.Toutetimiditéoubliée,ellefitglissersesmainssursontorsepuissant,explorant lesmuscles parfaitement dessinés, émerveillée par le contraste entreleursdeuxcorps,l’unduretanguleuxetl’autretoutendouceur.

—Enlevez-le,chuchota-t-ellelorsquesesmainsarrivèrentàproximitédessiennes.—Laviergerougissanteseserait-ellemuéeententatrice?Commeilfallaits’yattendre,ellesesentitdevenirécarlate.MaisDevonluisourit,et

sesmainsquittèrentsaceinturepoursesaisirtendrementdesonvisage.—Enlevez-levous-même,murmura-t-iltoutcontresabouche.Luttant contre sa nervosité, elle déboutonna maladroitement son pantalon et le fit

glisser sur ses jambes. Dessous, il portait un boxer-short de coton tout simple. Devonavaitdesgoûtspratiques.Ilportaitdesvêtementscoûteux,maischoisispourleurconfortetnonpourleurélégancetapageuse.

End’autrestermes,DevonCarteravaitgagnébeaucoupd’argent,maisilnetenaitpas

spécialement à étaler sa richesse. Il savait toutefois projeter cette image lorsque c’étaitnécessaire. Elle l’avait déjà vu dans le costume de grande marque du P.-D.G. d’unegrandefirme,avectoutlepolietl’arrogancedecerôle.Maiselleavaitpassébienplusdetemps avec lui dans un cadre privé, lorsqu’il était plus détendu,moins sur ses gardes.C’étaitbienlemot.Enpublic,ilétaitsursesgardesàchaqueinstant.Presquecommes’ilétaitdéterminéànelaisserentrerpersonnedanssonespacepersonnel.Elleéprouvaitunimmenseplaisir à l’idéequ’il lui fasse suffisamment confiancepour lui dévoiler l’autrefacettedesapersonnalité.

— Caressez-moi, dit-il de cette voix de baryton grave qui la faisait littéralementfondre.

Avec des gestes prudents, elle glissa samain sous la ceinture du sous-vêtement etdescenditlentementjusqu’àcequ’ellerencontrelacolonneveloutéedesonérection.LesmainsdeDevonquittèrent sonvisage,et il sedébarrassadesonboxer-shortd’ungesteimpatientpourapparaîtreentièrementnudevantelle,offertàsescaresses.

—Vousme rendez fou,mon amour,murmura-t-il.C’estmoi qui étais censé vousséduire,etjemeretrouvetotalementesclavedevoscaresses.

Ellerositdeplaisir,et,souslefeudeceregardbrûlantd’undésirintense,ellesentituneétrangechaleurserépandredanssonsang.

Ill’embrassadenouveauet,toujoursserrécontreelle,lafitreculerjusqu’aulit.Puis,enlaçantsataille,ill’allongeasurlacouettesomptueuse.Sonvisagepenchéau-dessusdusienarboraituneexpressiongravelorsqu’ilrepoussatendrementunemèchedecheveuxsursonfront.

— Si à quelque moment que ce soit vous vous sentez effrayée, dites-le-moi, etj’arrêterai.Sivoustrouvezsimplementquejevaistropvite,dites-leaussi.

—Oh.C’étaittoutcequesagorgenouéeluipermettaitd’articuler.Elleluitenditlesbraset

l’attiraàellepourl’embrasser.Ellesesentaitaffreusementmaladroite,maisilneparaissaitpass’ensoucier.Elleregrettaden’êtrepasplushabile,plusexpérimentée.Maisoùaurait-elleétécherchécetteexpériencealorsqu’elledésiraitplusquetoutaumondeattendrecetinstantprécis?Aveclui?

— Je vous aime,murmura-t-elle, incapable de retenir plus longtemps lesmots quibouillonnaientdanssoncœur.

Ilsefigea,et,letempsd’uninstant,ellecraignitd’avoirjetéunecouverturemouilléesurlefeu.Elles’écartadeluietscrutasonvisage,cherchantunsigne.Uneréaction.Uneindicationqu’elleavaitfranchiunelignerougeinterdite.

Cela lui ressemblait bien de ruiner ce qui aurait pu être le moment le plusmerveilleux, leplus splendidede toute savie, enparlant à tort et à travers.Ellen’avaitjamaissus’enempêcher.Et,pourtant,elleavaitfaitdesefforts.Laplupartdutemps.

—Devon?Elle reconnutàpeinesaproprevoix,danscetteespècedecroassement.Rougissant

d’embarras,ellecommençaitàs’écarterdeluilorsqu’ilréagit.Maissa réponsenevintpassous formedemots.Dansunpuissantélan, soncorps

vintrecouvrirlesien.Ilpritpossessiondesaboucheetl’embrassaavecunefouguequivalaittouteslesparolesdumonde.

Ashleysentitalorssoncorps revenirà lavie.Ellenouasesbrasautourdesoncoupuissant, cambrant les reins pour aller à sa rencontre tandis qu’il la serrait étroitementcontre lui. Leurs deux corps étaient aussi intimement unis que leurs bouches, et ellesentaitsapassionbrûlanteentresesjambes.

Ses mains, sa bouche, étaient partout à la fois, faisant naître une avalanche desensations dans tout son être. Une pure magie. Elle parvenait à peine à respirer, entreexcitationetdélicieuseappréhension.Lorsqu’ilposaseslèvressurlapointedurciedesonsein,puis semità lamordiller, elleneput reteniruncrideplaisir, et ce simplecontactfaillit lafairedéfaillir.Savisionsebrouillait,etl’airnesemblaitplusarriverjusqu’àsespoumons.Maisellevenaitdetoucherleparadis.Iln’existaitpasdemotspourdécrirelasensationdeceslèvressursonsein.

Puis,ellesentit lamaindeDevonglisserlentementsurladouceurdesonventre,etau-delà.

Lorsquesesdoigtseffleurèrentdélicatementsonsexe, trouvantsachaleurmoite,encaressantlesreplisultrasensibles,ellecessalittéralementderespirer.Ilconnaissaitmieuxqu’elle-même toutes les façons de lui donner du plaisir. Où la toucher. Comment latoucher.Chaquecaressel’emportaitversdeshauteursplusvertigineuses.

C’étaitcommesiunressortsetendaitlentementenelle.Unetensionnéeaucentredeson corps comme la lointaine rumeur annonçant l’explosion prochaine d’un volcan.Ashley n’était pas ignorante au point de n’avoir jamais connu l’orgasme,mais ceci neressemblait à aucune de ses expériences précédentes. Puissant. Interminable. Presqueeffrayantdanssonintensité.

Il retirasesdoigtset luiécartadoucement les jambes,caressantvoluptueusement lapeau délicate de la face interne de ses cuisses, puis il se plaça au-dessus d’elle, et sabouchecessadebutinersapoitrinepourrevenirs’emparerdeseslèvres.

—Serrez-moi fort,ma chérie,murmura-t-il. Caressez-moi. Je vais entrer en vous,maintenant.Jeseraitrèsdoux.Vousnedevezpasavoirpeur.

Elle tremblaitde la têteauxpieds.Maiscen’étaitpasdepeuroud’impatience.Elleétaitsiprochedel’explosionfinalequ’ellecraignaitdesedésintégrerenmillemorceauxdèslepremiercontact.Or,elleauraitvoulufairedureràl’infinicequiallaitsuivre.

—Attendez!dit-elled’unevoixétranglée.Par un effort de volonté visible, il devint parfaitement immobile, son corps à un

centimètredusien.—Toutvabien?murmura-t-il.Vousai-jefaitpeur?—Non, le rassura-t-elle.Pasdu tout.J’avaisseulementbesoind’unesecondepour

mereprendreunpeu.

Ilscrutasonvisageuninstant,puisunsourireétiralentementseslèvres.Unsouriredeloup.

—Lorsquevousserezprête,faites-moisigne.Elle l’attira à elle, explorant du bout de ses doigts lamusculature puissante de ses

épaules. Son regard plongeadans le sien, et elle eut la sensationde se perdre dans cesprofondeursd’ambreliquide.

—Maintenant,dit-elledansunsouffle.Il cessa de sourire. Puis il ferma les yeux. Ses hanches se mirent lentement en

mouvement,etilpénétraavecdélicedanssamoiteurbrûlante,centimètreparcentimètre.Puis il s’immobilisa de nouveau, et elle remua nerveusement tandis qu’un

gémissementdeprotestationmontaitàseslèvres.—Chut!fit-il,déposantunbaiseraucoindesabouche.Accordez-moiuninstant.Je

neveuxpasvousfairemal.Ilvautmieuxquececisepassetrèsvite.Elleacquiesçaduregard,et,aumêmemoment,ils’enfonçaentièrementenelle.Elle ouvrit de grands yeux, et un son étranglé monta de sa gorge alors qu’elle

s’efforçait désespérément de comprendre le flot de sensations contradictoires qui sebousculaientdanssonespritetdanssoncorps.

Il était en elle. Tout en elle. Leurs deux corps n’en formaient plus qu’un, et unebrûlurelancinantepulsaitaucentredesonêtre,sansqu’ellepuissedéciders’ils’agissaitdeplaisiroudedouleur.

Elle savait seulement qu’elle désirait davantage— qu’elle en avait désespérémentbesoin.

Undouxgémissements’échappadeseslèvres,etellesetorditcontrelui,portéeparundésirqu’ellen’auraitsunommer.Elleledésirait,lui.Luitoutentier.

—Doucement,murmura-t-ild’unevoixcaressante.Il posa ses lèvres sur les siennes et l’embrassa.D’abordd’une incroyabledouceur,

son baiser devint bientôt plus profond, plus passionné, et ses hanches reprirent leurmouvementdeva-et-vient.Trèslentement,avecunesortederévérence.

—Toutvabien?—Trèsbien,même,confirma-t-elleensouriant,lespaupièrescloses.—Vous êtes si belle,Ashley, dit-il d’une voix rauque.Tellement belle et tellement

innocente.Vousêtesparfaite,etvousêtesàmoi.Alui.Cetteidéelatransportaitdebonheur,etellesentitunenouvellevaguedeplaisir

déferleràtraverssoncorps.—Oui,murmura-t-elle.Jesuisàvous.—Jesensquejenevaispaspouvoirmecontrôlerbeaucouppluslongtemps.—N’essayezpas,répondit-elled’unevoixtremblante.Tout soncorpsétait tenducommeunarc.Emportéedans le tourbillonde ses sens,

elleétaitàpeineconsciente,ettrèsprèsdeperdrecequiluirestaitdecontrôle.Ilsuffiraitd’unecaresse,d’uneautrecaresse…

Illaserraplusfortdanssesbrasetplongeadenouveauenelleet,àcetinstant,elleperditdéfinitivementtoutenotiondumondeextérieur.

Ellecriasonnom.L’entenditmurmurertoutprèsdesonoreille.Desmotsrassurants.Desmots qui la réconfortaient sans qu’elle en comprenne totalement le sens. Elle étaitemportée dans une spirale de plus en plus rapide, tourbillonnant à l’infini, au pointqu’ellefutobligéedefermerlesyeuxdetoutessesforces.

C’était la sensation la plus spectaculaire, la plus fabuleuse qu’elle puisse imaginer.Elleavaitdésiréquecemomentsoitmerveilleux,maislaréalitéavaitdépassédetrèsloinsesrêveslesplusérotiques.

Lorsqu’elleeutrecouvréaumoinsunepartiedesessens,elles’aperçutqu’elleétaitétroitement blottie dans les bras deDevon, qui déposait une pluie de baisers dans soncou.Elleétaitmêmeallongéesurlui.Ellerelevalatêteetlecontemplauninstantàtraverslabrumedecontentementquibrouillaitencoresonregard.

—Commentsuis-jearrivéeici?Illuioffritunsouriresuave,etsesmainsglissèrentsursoncorpspourvenirs’arrêter

aubasdesondos.— C’est moi qui vous y ai amenée. J’aime que vous soyez allongée sur moi. Je

pourraisfacilementm’yhabituer.—Oh.— Dois-je comprendre que vous êtes à court de paroles ? dit-il, affichant un air

étonné.Vous?Ashley était trop épuiséepour le contredire.D’autant plus que c’était la vérité.Les

motsnepouvaientdécrirecequ’elleressentait.Ill’attiradenouveaucontreluiavecunriresilencieux,etellesedétendittotalement

danssesbras.—Vousai-jefaitmal?L’inquiétudedanssavoixlafitsourire.—Non,répondit-elle.C’étaitparfait,Devon.Tellementparfaitquejenetrouvepas

lesmotspourdécrirecequejeressens.Merci.—Merci?répéta-t-il,repoussanttendrementunemèchesursatempe.Jecroisbien

quec’estlapremièrefoisdemaviequ’unefemmemeremercieaprèsl’amour.— Grâce à vous, ma première fois a été un moment spécial, dit-elle d’une voix

douce.C’étaitparfait.Vousavezétéparfait.—J’ensuisheureux,répondit-il,déposantunbaiserdanssescheveux.Ellebâillacontresontorseetseblottitplusétroitementdanssesbras.—Dormezmurmura-t-il.Jeveuxquevousrestiezicicettenuit.Sespaupières lui semblaient extraordinairement lourdes, et elleglissaitdéjàdans le

sommeillorsquesesparolessefirentunchemindanssaconscience.—Moiaussi,j’aienviederester,marmonna-t-elled’unevoixensommeillée.La main de Devon abandonna ses cheveux pour glisser voluptueusement sur son

corpsenungestedepossession.—C’estparfait,Ashley.Car,désormais,vousdormirezdansmonlittouteslesnuits.

-3-

Devonouvritlesyeuxavecl’étrangesensationd’uncorpsdefemmelovéautourdelui.Surlui.L’entourantdetouscôtés.

Ashleyétaitblottiedanssesbras,sesjambesentremêléesauxsiennes,unbrasétenduentraversdesoncorps,sonvisageenfouiaucreuxdesoncou.

C’était…trèsagréable.Il demeura immobile un long moment à observer les lents mouvements de sa

respiration. Elle était réellement très belle dans sa merveilleuse simplicité, sa bonnehumeur communicative. Sa présence illuminait une pièce lorsqu’elle y entrait, et on lareconnaissait immédiatement aumilieu d’une foule. Elle était extrêmement… naturelle.Peut-êtreuntoutpetitpeutropexubéranteetspontanée,mais,avecletempsetquelquesjudicieuxconseils,elleferaituneexcellenteépouseetuneexcellentemère.

Ileffleuradélicatementsonbrasduboutdesdoigts.Elleétaitpâle.Pasaupointdeparaître en mauvaise santé, mais il était évident qu’elle n’était pas de celles quis’exposaient aumoindre rayondu soleil.Cequ’il préférait chez elle, c’était peut-être lefait qu’elle reste égale à elle-même en toutes circonstances. Même lorsqu’elle semaquillait,cequ’elle faisait lorsqu’ilssortaientenville,ellenese transformaitpaspourautantenunefemmedifférente.

Pour autant qu’il puisse en juger, elle paraissait authentique. Il préférait penserqu’ellen’étaitpascompliceduplanabsurdedesonpère,mêmes’ileûtétépréférable,desonpointdevue,quetouteslespartiesdecetaccordsoientinforméesdesestermes.

Lemonstre égoïste en lui aimait l’idéequ’elle éprouveune réelle affectionpour sapersonne, exempte de tout autre mobile, étrangère à toute machination. Mais, si lesparolesqu’elleluiavaitmurmuréesdurantlanuitn’étaientpassimplementlerésultatdel’égarement de ses sens, le terme « affection » était peut-être faible. Elle lui avait ditqu’ellel’aimait.

Cetaveucompliquaitunpeulasituation,maisildevaitbienadmettrequ’il luiavaitprocuréuneintensesatisfaction.

Mêmesicemariageétaitavanttoutpourluiunenécessitépratique,uneopportunitéde conclure un avantageux accord commercial, l’idée qu’elle ait pu l’accepter pour lesmêmesraisonsledérangeaiténormément.

C’était peut-être hypocrite de sa part, mais il se réjouissait qu’elle envisage del’épouserparcequ’elleéprouvaitdudésirpourlui,voiredel’amour.

Mais, à présent, il s’agissait d’en finir avec les préliminaires. Et, en premier lieu,d’annoncer officiellement leur prochain mariage. Car, même si elle l’ignorait encore,Ashleys’apprêtaitàdevenirMmeDevonCarter.

Il se libéra précautionneusement de l’étreinte de ses bras et de ses jambes.Ashleydormaitàpoingsferméset,pourtouteréaction,ellemarmonnaquelquesmotsindistinctslorsqu’ilquittalelit.

Enfilantsarobedechambre,ilseretournaverselleetdemeurauninstanttransfigurépar l’image qu’elle lui offrait, baignant dans le doux halo du soleil qui filtrait entre lesrideaux.

Sescheveuxblondsétaientétalésendésordreautourdesatêtesurl’oreiller.Ledrapavaitglissésursoncorps,laissantapparaîtredeuxfossettesaubasdesondos.

Elleétaitvraimentravissante.Et,désormais,elleétaitàlui.Ilglissasamaindanslapocheintérieuredesaveste,qu’ilavaitlaisséeaccrochéeau

dossier d’un fauteuil, en retira l’écrin contenant la bague et quitta silencieusement lapièce.Lorsqu’elle se réveilla, il avait déjàmis enmarche la secondepartie de sonplansoigneusementorchestré.

***

Ashley sortit lentementde son sommeil, s’étirant paresseusement, et elle clignadesyeux,éblouieparlesoleil.Ellegardalespaupièresclosesuninstant,savourantladouceuretleconfortdulitsomptueuxoùellereposait.LelitdeDevon.

Elle laissa échapper un soupir de satisfaction. Pour une première expérienceamoureuse, cette nuit méritait de rester dans les annales. Une nuit merveilleuse,inoubliable. Devon qui la fixait de ses yeux fabuleux, qui murmurait qu’elle seraitdésormaistouteàlui.Commentaurait-ellepuespéreruneinitiationplusparfaite?

Puis elle se rendit compte qu’il n’était plus près d’elle dans le lit, et elle ouvritcomplètement les yeux, en proie à une légère inquiétude. C’est alors qu’elle le vit, àl’autreboutdelapièce.Illadévoraitlittéralementdesyeux.

Il était vêtu d’une robe de chambre nouée autour de sa taille et suffisammententrouvertepourluioffrirunevuepartielledesontorsesculptural.Adosséaumurprèsdelaportedelasalledebains,illacontemplaitfixement.Et,pouruneraisonmystérieuse,cespectacledéclenchaundélicieuxfrissondanssondos.

Puis,unéclairdecouleurattirasonregard,et,baissant lesyeux,elledécouvrituneroserougevifposéesurledrapprèsd’elle.Maiscequiluicouparéellementlesouffle,ce

futlapetitecarte…adosséeàunécrindeveloursnoircontenantunebaguedefiançaillessertied’undiamantétincelant.Undiamantd’unetaillespectaculaire.

Le sang aux joues, elle resta un instant à les fixer d’un air abasourdi, puis elle seredressasuruncoudeetramassalabague.Samaintremblaitsifortqu’ellefaillit laisserchoirl’écrindeveloursquilacontenait.

Elle lut la carte qui l’accompagnait, et crut avoir mal compris. Mais elle ne setrompait pas. La parcourant des yeux une seconde fois, elle reconnut son écriture trèsparticulière:

«Ashley,voulez-vousm’épouser?»—OhmonDieu!murmura-t-elle.Ellejetaunnouveaucoupd’œilàlabague,àlacartedanssamain,puisellereleva

lesyeuxverslui,redoutantpresquequ’ilaitdisparu,etquetoutcecin’aitétéqu’unrêve.Maisilétaitencorelà,unsourireindulgentsursonbeauvisage.—Vraiment?demanda-t-elle,n’osantencoreycroire.Ilacquiesça,etsonsourires’élargit.—Vraiment,oui.Lâchant tout ce qu’elle tenait dans sesmains, elle bondit hors du lit et traversa la

chambreencourantpourseprécipiterdanssesbras.Il recula sous le chocen riant, alorsqu’elle couvrait sonvisage, son front, sa joue

puissabouchedebaisers.—Oui!s’écria-t-elle.Oh!monDieu,Devon!Oui!—Voussavez,dit-ilenlaprenantparlataille,lacoutumeveutquevousessayiezla

bague.Elle baissa les yeux vers sa main, puis elle se retourna d’un bloc, scrutant

anxieusementledessusdulit.—Oh!monDieu!Oùest-elle?Devonlasoulevadanssesbraset,laramenantjusqu’aulit,lareposasurleborddu

matelas. Une seconde plus tard, il glissait la bague à son annulaire. Le souffle coupé,Ashleylevalamainpouradmirerlemagnifiquediamantquiscintillaitdemillefeuxdanslesrayonsdusoleil.

—Oh!Devon!dit-elleensejetantdenouveauàsoncou.Elleestmagnifique!Jen’arrivepasàcroirequevousayezorganisétoutceci.Jevousaimetant!

—Jen’aipasenviedefiançaillesinterminables.—Moinonplus!s’écria-t-elle.— Je préférerais même que nous nous mariions immédiatement, ajouta-t-il en la

fixantdroitdanslesyeux.Ellefronçalessourcils,etsemblayréfléchiruninstant,avantderépondre:— Personnellement, je n’y vois aucun inconvénient, mais j’ignore comment ma

famillevaréagir.Mamaninsisterasûrementpourorganiserungrandmariage.Aprèstout,jesuissaseulefille,etellesesentirait terriblementblesséesinousrefusionsdefaireles

chosesàsafaçon.—Jemechargedevotrefamille,assura-t-ileneffleurantsajoued’unecaresse.Vous

etmoiauronsunmariagedontvotremèren’aurapasàrougir.—Jesuisimpatiented’annoncerlanouvelleàtoutlemonde!s’exclama-t-elle.Papa

seraparticulièrementravi, luiquidésespéraitdemevoirrencontrerl’hommedemavie.Etcethomme,c’estvous!

—Voilàcequej’avaisenvied’entendre,murmura-t-ilendéposantunbaisersursonfront.Et,maintenant, si vous alliez prendre un long bainmoussant pour vous remettredesactivitésdelanuitpassée?Ensuite,nousprendronsnotrepetitdéjeunerensemble.

Elle se sentit devenir écarlate, mais elle acquiesça, impatiente de discuter de leuravenir.MmeDevonCarter.Cenomsonnaitsibien…

Elle baissa les yeux vers la bague qui scintillait à son doigt, éblouie par samagnificence.

—Est-elleàvotregoût?s’enquit-ilensouriant.Ellerelevasonregardverslui,sonexpressionsoudainsérieuse.—Jel’adore,Devon.Elleestfabuleuse.Maisvousn’aviezpasbesoindem’offrirun

bijouaussicoûteux.J’auraisaimétoutautantunebagueplusmodeste.—Jesais,convint-ilensouriant.Maisjetenaisbeaucoupàcequ’ellesoitvraiment

spéciale.—Merci,murmura-t-elle,lecœurbattant.Elleestparfaite.Toutestparfait.Il l’embrassa de nouveau, lentement, se délectant du goût de ses lèvres. Lorsqu’il

s’écartad’elle,sesyeuxmi-closbrillaientdedésir.—Allezvitefairecoulervotrebainavantquejen’oublielepetitdéjeunerpourvous

fairel’amourunenouvellefois.—Petitdéjeuner?Avions-nousprévudemanger?—Jeveuxvousévitertoutesouffrance,Ashley.Vousêtesunetentationvivante,jele

reconnais,maisjepréfèreattendrequevoussoyeztotalementremisedelanuitdernière.Etnemeregardezpasaveccetairboudeur,machérie.Cettefois-ci,jenemelaisseraipasattendrir.

—D’accord,d’accord,répondit-elleensoupirant.J’yvais.Elle se leva et se dirigea vers la salle de bains,mais, sur le seuil, une phrase qu’il

avaitprononcéelaveilleluirevintàl’esprit,etelleseretournapourledévisager.— Devon, que vouliez-vous dire, hier soir, lorsque vous disiez que je dormirais

dorénavanticiavecvous?Ilselevaet,resserrantlaceinturedesarobedechambre,luifitface.Unfeuintense

brûlaitdanssonregardd’ambre.—Exactementcequej’aidit.Jedésirequevousemménagiezavecmoiaussiviteque

possible.Vousêtesàmoi,Ashley.Acompterd’aujourd’hui,vousdormirezdansmonlittouteslesnuits.

-4-

—Alors,tut’esenfindécidéàfranchirlepas,remarquaCameronHollingsworth,setournantversungroupedefemmesdanslecoindelapièce,parmilesquellessetrouvaitAshley.

Devonsirotaunegorgéedesonvin.Avraidire,ilétaittropdistraitpourenapprécierle goût,mais il espérait que le vin l’aiderait aumoins à soulager un peu de la tensionnerveusequ’ilressentait.

Dansquelquesinstantsauraitlieul’annonceofficielledeleursfiançailles.Etc’estluiqui la ferait.Lepèred’Ashley avait revendiqué cet honneur,maisDevonpréférait s’encharger.WilliamCopelandn’était déjàque trop intervenudans sa relation avecAshley.Désormais,ilsallaientfaireleschosesàsafaçon.

Bienque tous lesparticipantsde cette soirée sachentparfaitementquec’était àunefête de fiançailles qu’ils allaient assister,Ashley avait insisté pour attendre que tous lesinvitéssoientarrivésavantd’annoncerlanouvelle.

— Des regrets, déjà ? ironisa Cameron. Tu n’as pas dit deux mots depuis monarrivée.

—Non, réponditDevon, réprimantunegrimace.Leprocessusest enclenché. Il esttrop tard pour battre en retraite. Copeland n’a plus qu’à apposer sa signature sur lesdocuments qui finaliseront la fusion entre nos deux entreprises.Après la cérémonie, ilenverraunfax,etl’affaireserafaite.Dèsmonretourdelunedemiel,j’auraibesoinquenousorganisionsunepetiteréunionavecRyanetRafe.

— Lune de miel ? s’étonna Cameron. As-tu vraiment prévu de partir en lune demiel?

—Cemariage fait peut-êtrepartied’unaccordd’affaires,mais celane signifiepasqu’Ashleydoiveêtreprivéed’unvraimariageoud’unelunedemieldignedecenom.

Cameronhaussalesépaules.—Bonneidée,remarqua-t-il.Sielleestheureuse,papaestheureux.Tusaiscequ’on

ditdespetitesfillesàleurpapa.

—Nedispasd’âneries,Cameron,grognaDevon.Elleest…—Elleestquoi?insistasonami.—Ecoute,ellen’aaucuneidéedecequesonpèreatramé.Elleestpersuadéequeje

lui ai fait une cour incroyablement romantique culminant tout naturellement en unedemandeenmariage toutaussi romantique.Si jene l’emmènepasen lunedemiel,elletrouveracelatrèsétrange.

—Toutcela finiramal,déclaraCamerond’unair sombre.Tuverras,monami.Tucourstoutdroitau-devantdesennuis.

—Jevoisquetuestoujoursd’unoptimismeincroyable.— J’essaie seulement de te mettre en garde, se défendit Cameron. Tu devrais lui

avouerlavérité.Aucunefemmen’apprécied’êtretournéeenridicule.—Etcourir le risquequ’ellem’ordonnededisparaîtredesavue,enemportantma

demandeenmariagesouslebras?Devon soupira et secoua lentement la tête. Il savait que son ami avait vécu une

histoiredouloureusedans le passé. Il nepouvait le blâmerde semontrer si pessimiste.Toutefois,encetinstant,iln’étaitpasd’humeuràl’entendre.

—Cetaccordestimportantpournoustous,rappela-t-il.Passeulementpourmoi.Jen’avaispassongéàmemarier,c’estvrai,maisAshleyestunegentillefille.Elleferauneexcellenteépouseetuneexcellentemère.Toutlemondeygagne.Toi,moi,RyanetRafe.EtaussiAshleyetsonpère.Toutlemondeestcontent.

—Fais à taguise,monvieux.Tu saisque tupeuxcompter surmonsoutien.Maissouviens-toidececi:tun’espasobligédetemarierpourquecetteaffairesefasse.Nousnégocieronsavecuneautresociété.Nousavonsdéjàtraversédespassesdifficilespar lepassé.Aucundenousn’attenddetoiquetutesacrifiespourlacause.RafeetRyannagentenpleinbonheurconjugal.Iln’yaaucuneraisonquetoiaussi tunevivespaslamêmechose.Ilsuffitparfoisd’attendre.

—Ne t’inquiètepaspourmoi,Cameron. Iln’yaaucunamoursecretdansmavie,aucune autre femme dans le tableau. Personne que je préférerais épouser. Je serai trèsheureuxavecAshley.

Cameronconsultasamontreavantd’observer:—Tafuturefiancéeregardedetoncôté.Jecroisqu’ilesttempspourtoidemonter

aucréneau.Devon tourna son regard dans la direction d’Ashley, au centre de son groupe de

parents et d’amis. Il ne parvenait jamais à les identifier tous, tant ils étaient nombreux.Elleluisouritetluifitsigned’approcher.

IlconfiasonverreàCameronetsefrayauncheminverselleàtraverslafoule.Cesoir-là,Ashleypétillaitdebonnehumeur.Sonsourirerayonnantsemblaitcaptiver

toutelapièce.Mais,biensûr,lesgensétaienttoujoursattirésverselle.Ellesavaitcharmersesinterlocuteursquelquesoitlesujetdelaconversation.

Sitôt qu’il se trouva à portée, elle fondit littéralement sur lui, le prit par lamain et

l’entraînadanssoncercle.Iladressaunsourireàtouteslesfemmesprésentes,maisleursnomsetleursvisagesseconfondaientdanssonesprit.Auboutd’uninstant,ilsepenchaversl’oreilled’Ashley.

—Jepensequ’ilesttemps,necroyez-vouspas?Tremblante d’excitation, les yeux brillants, elle étreignit sa main et lui sourit. Il

s’excusa auprès des dames et, l’entraînant, il retourna rejoindre Cameron. Il n’y avaitpersonnepourentourersonami.Cameronavaitceteffet-làsurlesgens.C’étaitl’endroitparfaitpourdemanderlesilenceetannoncerleursfiançailles.

—Bonsoir,Cameron, ditAshleyd’un ton joyeux, lâchant samainpour embrassersonami.

—Bonsoir,Ashley,répondit-il,posantunbrefbaisersursajoue.RestezàmoncôtépendantqueDevonsecouvrederidicule.

—Merci,Cameron,grommelaDevon.Tonsoutienm’esttoujoursprécieux.Sonamihaussalesépauleset,portantdeuxdoigtsàseslèvres,ilémitunsifflement

aigu.—Jevousdemandetoutevotreattention,s’ilvousplaît,lança-t-ilàlaronde.Devon

auneannonceàfaire.Devonfitfaceàlasallepleinedesamisd’Ashleyetdetoutesafamille.Tousétaient

tournés vers lui, attendant en silence qu’il parle. Tous désiraient que ce moment soitparfait pour Ashley. Devon avait un peu l’impression de se trouver face à un juryd’examen.Iltoussotapours’éclaircirlavoix,espérantpouvoirterminersondiscourssanscommettredefauxpas.

—Ashleyetmoivousavons invités icicesoirafinquevousvous joigniezànouspourcélébreruneoccasiontrèsspéciale,déclara-t-il.

Il se tournaversAshleyet luisourit tendrementen laprenantpar lamainavantdefairedenouveaufaceàlasalle.

—Ashleya faitdemoi leplusheureuxdeshommesenconsentant àdevenirmonépouse.

L’assistanceexplosaenapplaudissements.Aladroitedelasalle,lesparentsd’Ashleysouriaient, couvant leur fille d’un regard affectueux. William hochait la tête d’un airapprobateur,etsamèresetamponnaitlesyeuxavecunmouchoirbrodé.

—Nousserionshonorésquevousassistieztousànotremariage,quiauralieudansquatre semaines, pour fêter avec nous le début du long voyage que sera notre viecommuneentantquemarietfemme.

Il leva son verre de vin et se tourna de nouveau vers Ashley, qui rayonnaitlittéralementdebonheur.

—AAshley,quiafaitdemoil’hommelepluschanceuxdelaplanète.Touslesverresselevèrent,etlafouleéclatadenouveauenbruyantesacclamations.—Voilàundiscourséloquent,luichuchotaCameronàl’oreille.Oncroiraitpresque

quetuessincère.

Devonl’ignoraet,enlaçantsafiancée,sepréparaàsubirl’avalanchedefélicitationsdesinvitésquiseruaientdéjàverseux.

Cefutundéfiléàluidonnerlevertige—visagessouriants,claquesamicalesdansledos,exhortationsàrendreheureuseleur«petitechérie».ChacundanslafamillesemblaitavoirdesdroitssurAshley.

Elleétait lapetitesœur, lameilleureamie, laprotégéede tous.Mi-étonnémi-agacé,Devonnepouvaitqueconstaterquetoutelafamilled’Ashleysemblaitlacroireincapablede s’occuper d’elle-même. Or, rien dans leur relation ne lui avait suggéré que cetteévaluationsoitjuste.

Certes,elleétaitinsouciante.Et,sansdoute,tropconfiante,voireunpeunaïve.Dansunefamillederequinsde la finance,elleétaitclairementuneanomalie,et ilcomprenaitleurcraintequ’ellesefassedévorer.

Mais cela ne signifiait nullement qu’elle soit une victime sans défense. Elle avaitseulementbesoind’unhommequiveille sur ses intérêts etqui, à l’occasion, laprotègecontreelle-même.Unhommecommelui.

Ilsentitqu’elleeffleuraitsonbrasetsepenchaverselle,comprenantqu’ellevoulaitluidireunmotàl’oreille.

—Nouspouvonspartirdèsquevouslesouhaiterez,chuchota-t-elle.Jesaisquemafamilleestenvahissante.

Il faillit éclater de rire. Pendant qu’il était là à raisonner qu’elle avait besoin de saprotection,ellenesongeaitqu’àleprotéger,lui,contresabouillonnantefamille.

—Toutvabien,assura-t-il.Jeveuxquevousvousamusiez.Cettesoiréeestlavôtre.—Etpaslavôtre?répliqua-t-elle,lefrontbarréd’unpliperplexe.—Si,biensûr.Jevoulaisseulementdirequevousêtesentouréedevotrefamilleet

devosamis,etquejetiensàcequevouspassiezunemerveilleusesoirée.Elleluisouritetsehaussasurlapointedespiedspourdéposerunbaisersursajoue

avantdefairefaceàunenouvelleavalanchedefélicitations.—Ashley!Ashley!Devon se retourna et vit une jeune femme qui se frayait un chemin dans leur

direction, traînant presque un homme souriant derrière elle. Au second regard, ilremarqua sa ressemblance frappante avecAshley, tant dans les traits de sonvisagequedanssesmanières.Probablementl’unedesesnombreusescousines.

—Brooke!s’écriaAshleyalorsquelajeunefemmeseprécipitaitdanssesbras,unsourireradieuxilluminantsonvisage.

—Tunedevinerasjamais!ditBrooked’unevoixexcitée.—Je t’enprie ! protestaAshley.Tu saisque jen’ai jamais été trèsdouéepour les

devinettes.—Jesuisenceinte!Pauletmoiallonsavoirunbébé!Lecriaigud’Ashleyretentitdanstoutelasalle.Réprimantunsursaut,Devonjetaun

regardautourdeluietconstataquetouslesregardsétaientfixéssureux.

—Oh!monDieu,Brooke!Jesuissiexcitéepourtoi!Quandnaîtra-t-il?Oùenes-tudetagrossesse?

—Seulementdixsemaines.Jevoulaistemettreaucourantdèsquejel’aisu,maistuétaistrèsoccupéeavecDevon.Puis,j’aiapprisquevousalliezvousmarier,etj’aipréférévouslaisseràvotreintimité.

—Tuauraisdûaumoinsm’envoyerunmessage!s’exclamaAshley.Oh!Brooke,jesuissiheureusepour toi!Jenepeuxqu’imaginermonproprebonheur lorsquejeseraienceinteàmontour.J’espèrequenosbébésdeviendrontinséparables.

Emportéepar sonexubérancenaturelle,Ashleyparlaitdeplus enplus fort.Autourd’eux, les gens se retournaient avec des sourires indulgents. Son enthousiasme setraduisaitaussipardegrandsgestes,etellefaillitainsirenverser leplateaud’unserveurquipassaitprèsd’eux.CameronetDevonseprécipitèrent,évitantdepeu lacatastrophetandisqu’ellecontinuaitàlaisserlibrecoursàsajoie,inconscienteduchaosqu’elleavaitcrééautourd’elle.

—Monpauvrevieux,tuasdupainsurlaplanche,remarquaCameron.Cettefemmenevapasmanquerdebousculertespetiteshabitudes.

—Pourquoinevas-tupasunpeupluslointorturerquelqu’und’autre?marmonnaDevon.

CameronsetournadenouveauversAshley,etDevonauraitpujurerqu’ilyavaituneaffectionsincèredansleregarddesonami.

—Elleestmignonne,opinaCameronenreposantsonverre.—Mignonne?— Elle est gentille, d’accord ? dit son ami d’un air embarrassé. Elle paraît…

authentique,etonnepeutpasdemanderdavantageàunefemme.Devonledévisagead’unairébahi.—Tuasdel’affectionpourelle!s’exclama-t-ilenriant.Toi,quin’aimespersonne,

ellet’aattendri!—C’estunejeunefemmegentille,grommelaCamerondemauvaisegrâce.—Maistunepensespasquejedevraisl’épouser.—Chut!Ellevat’entendre!MaisAshley s’était déjà éloignée avecBrooke, et leur joie bruyante avait attiré un

cercledeconvives.Laterreauraitputremblersousleurspiedssansqu’elless’enrendentcompte.

—Situpensestantdebiend’elle,pourquoicesgrandsdiscourssurmonsacrificeàlacause?insistaDevon.

—Ecoute,réponditCameronensoupirant.Jedétestel’idéequecettejeunefemmeaitàsouffrir,etc’estexactementcequiarriverasitun’espassincèreavecelle.Lesfemmessententlorsqu’unhommen’estpasamoureuxd’elles.

—Etqu’est-cequitefaitpenserqu’ellemelaisseindifférent?—Essaies-tudemedirequetuéprouvescegenredesentimentspourelle?répliqua

Cameron d’un air dubitatif. En tout cas, tu ne te comportes pas comme un hommeamoureuxdesafutureépouse.

Devon jeta un rapide regard autour de lui pour s’assurer que personne ne lesécoutait, et surtout pas un membre de la famille d’Ashley à l’instinct protecteursurdéveloppé,avantderépondre,baissantlavoix:

— Que veux-tu dire par là ? Rafe, Ryan et toi êtes au courant des véritablescirconstancesdemarelationavecAshley,maispersonned’autrenes’endoute.Ilsn’ontpaslamoindreraisondecroirequejel’épousepourd’autresmotifsqueparcequejelatrouveàmongoût.

— Sans doute, concéda Cameron avec un nouveau haussement d’épaules. Mais,connaissantlesdessousdel’histoire,jevoispeut-êtremieuxqu’euxquetun’espasaussienthousiasteàl’idéedecemariagequel’esttonadorablefutureépouse.

—Audiable tonpessimisme!grognaDevon.Aprésent, jevaisavoir l’impressionquetoutlemondevoitenmoiunmonstreinsensible.

—Oubliecequej’aidit,d’accord?Jesuissûrquetoutsepasserabien,etd’ailleurscelan’estpasmonaffaire.C’estseulementqu’Ashleyestunefillebien,etjedétesteraislavoirsouffrir.

—Jen’aipasl’intentiondelafairesouffrir,répliquaDevonentresesdents.Jevaisl’épouser,etjecomptebienveillersurelle.

—Voilà qu’on te réclame de nouveau, remarquaCameron, indiquantAshley d’ungestedumenton.Jecroisquejevaisrentrer.Jevaist’accompagnerpourféliciterAshleyunedernièrefoisetluidirebonsoir,puisjefileraidiscrètement.

Ils rejoignirentAshley,qui lesprésentaà l’unedeses innombrablescousines.Puis,pendant queCameron prenait congé d’elles,Devon réfléchit à la conversation que sonamietluivenaientd’avoir.Donnait-ilvraimentl’impressiond’abordersonfuturmariageentraînantlespieds?Ilnepouvaitpassepermettredegâcherl’opportunitédesavieparpuremaladresse.

Pasmaintenant,alorsqu’ilétaitsiprèsderéussirenfin.Ilavaittravaillétropdur,troplongtemps,pouréchouersiprèsdubut.Acestade,ilépouseraitlediablelui-mêmepourfaireaboutirsonprojet.

-5-

Chaquefoisqu’AshleyentraitdanslachambredeDevonpoursemettreaulit,ellesesentait trembler de nervosité. Certes, elle ne s’était installée chez lui que depuis unesemaineetellen’avaitpasencoreeuletempsdes’approprierleslieux.

EllepassaitsachemisedenuitdesatinlorsqueleriregravedeDevonrésonnadanslesilencedelapièce.Elleseretournavivementetcroisasonregardpétillant.

—Qu’est-cequivousamusetant?— Vous. Je m’étonne que vous passiez tant de temps chaque soir à revêtir cette

affriolantechemisedenuit,alorsquevoussaveztrèsbienquejevaisvousl’ôterdèsquevousserezcouchée.Pourquoivousdonnercettepeine?

Ashleyrougitviolemment.— Il serait…présomptueuxdemapart de penser quevous allez…quevous avez

envie…—Devousfairel’amour?termina-t-ilàsaplace.Elleacquiesçaensilence,lesjouesbrûlantes.Esquissantunsourire,ill’entraînaverslelit.— Je crois que vous pouvez supposer sans risquer de vous tromper que j’aurai

toujoursenviedevousfairel’amour.Il l’allongea sur les draps frais et se pencha pour l’embrasser lentement,

sensuellement,avantdemurmurer,toutcontreseslèvres:—Amoins,biensûr,quejenesoisàl’hôpital,plâtrédelatêteauxpieds.Et,même

danscecas-là,j’enrêverais.— C’est vrai, alors, ce qu’on raconte ? répliqua-t-elle en riant. Les hommes ne

pensentqu’àcela?—Nouspensonsoccasionnellementàfaireunbonrepas.—Mamanestscandaliséequej’aiepratiquementemménagéchezvous,voussavez.—Pas«pratiquement»,rappela-t-il.Vousvivezréellementiciavecmoi.—En tout cas, elle était dans tous ses états.Papa lui a conseillédenepas se faire

autantdesouci.Il luiarappeléquenousallionsnousmarieretqu’ilétaitnormal,avantde faire legrandsaut,quenouspassionsunpeude tempsensemblepournousassurerquenoussommescompatibles.Eric,lui,désapprouvetotalement.Ilpensequepapadoitêtredevenu foupourpermettre à sa fillede s’installer chezunhommequi a troussé lamoitiédesfillesdelaville.

—Parlez-voustoujoursaussilibrement?Elleleconsidérad’unairperplexe.—Quevoulez-vousdire?—Exprimez-voustoujourstouteslespenséesquivouspassentparlatête?—Jesupposequeoui,répondit-elle,fronçantlessourcils.Jen’yaijamaisvraiment

réfléchi.Monfrèreesttrèsprotecteur,etilatoujoursvud’unmauvaisœillesgarçonsquis’intéressaientàmoi.

—Même luicomprendsûrement ladifférenceentremademandeenmariageet lesattentionsd’untypequelconques’intéressantàvoscharmes.

— Le fait est que je vis avec vous, désormais. Il se doute bien que nous faisonsl’amour,etiln’aimepasl’idéequesapetitesœuraitdesrelationssexuelles.Avecquiquecesoit.

—Jelecomprends,dit-ilenfaisantminedefrissonner.—Ceque je tentais devous expliquer, poursuivit-elle en souriant, c’est qu’Eric se

croittoujoursobligéd’exprimersonopinionsurcegenredesujet.—Pourvotreinformation,jen’aipastroussélamoitiédesfillesdelaville.Ellenouasesbrasautourdesoncouetl’attiraàellepourl’embrasser.—Pourvuquejesoislaseulequevous…enfin,vouscomprenez…dansl’avenir,je

m’encontenterai.Lepassénemepréoccupepasdutout.—L’avenir?biensûr.Maisquefaisons-nousduprésent?Ellesesentitfrissonnerdelatêteauxpiedslorsqu’ill’allongeasurlelit.Unesemaine

plus tôt, elle était encore vierge, mais, depuis, son éducation avait progressé à pas degéant.Touteslesnuits,ill’avaitconduitedansdesuniversdontellenesoupçonnaitmêmepasl’existence.

Si c’était une indicationde ceque serait leur vie de couple, elle serait la femme lapluscombléedumonde.

***

— Ce matin, Ryan Beardsley et Rafael de Luca participeront à notre réunion parvidéoconférence,déclaraDevonalorsquelesvisagesdesesdeuxamisapparaissaientsurl’écranfixéaumur.RyansetrouvesurlesitedenotrechantierdeSt.AngeloIsland,oùnotre complexe touristique est dans les premiers stades de développement. Une foisachevé, ce projet deviendra le modèle de toutes les futures réalisations du groupeCopeland.Bonjour,Ryan.Peut-êtrepourriez-vousnousfaireunrapportsuccinctsur les

progrèsdelaconstruction?DevonsetournaversCameron,avachidanssonfauteuil.Devonétaitparfaitementau

courant des progrès de la construction. Il recevait des rapports quotidiens à ce sujet,quelquefois même d’heure en heure. Ryan dirigeait le chantier, certes, mais il étaitpréoccupé par l’accouchement prochain de sa jeune épouse, qui pouvait survenir d’unjourà l’autre.Devonrestaitdoncencontactconstantaveclecontremaîtreafinderéglerrapidementtouslesproblèmeséventuels.

Cameron ne s’était pas habillé pour l’occasion. Il n’avait jamais tout à fait acceptél’idéequ’enaffaires,l’imageestprimordiale.Certes,ilnes’étaitjamaisbeaucoupsouciédecequelesautrespensaientdelui.Biensûr,c’étaitplusfacilepourlui.Cameronétaitnédanscetunivers,alorsqueDevonavaitdûsebattrepiedàpiedpours’ytailleruneplace.

Cameron avait l’air d’unhommeprojetant d’aller passer la journée sur la plageoutoutsimplementdesedétendreavecunebièrebienfraîcheetunboncigare.Or,Cameronétait non-fumeur et ne buvait jamais d’alcool.Cet homme-là n’avait aucun vice.Mêmesonimperfectionsemblaitavoiruneirritanteperfection…

Lesmembresdel’équipemanagérialedeTricorpécoutaientattentivementlerapportde Ryan. Prenaient des notes. La secrétaire consignait soigneusement lesminutes de laréunion.Unetensionpalpablerégnaitdanslasalledeconférences.Toutlemondesavaitquel’annoncedelafusionn’étaitplusqu’unequestiondetemps.

Devon aurait trouvé plus charitable d’attendre un peu. Peut-être s’amollissait-il envieillissant.Peut-êtreneméritait-ilpasd’êtresurlepointderéaliserleplusgroscoupdesacarrière.Car,alorsmêmequ’ilallaitobtenir toutcequ’ilavait toujoursdésiré, ilétaitallévoirWilliamCopelandpourluisuggérerderetarderleurprojetdesixmois.Iljugeaitqu’il aurait été plus convenable que la fusion ait lieu après lemariage, afin qu’Ashleycontinue à penser que les affaires n’avaient aucun rapport avec son histoire d’amour.MaisWilliamn’avait rien voulu entendre. Il avait insisté pour que leur plan se dérouleexactementcommeprévu.

LevieilhommejugeaitqueDevons’inquiétaittropdel’éventuelleréactiond’Ashley.Ellel’aimait.N’était-cepassuffisant?Apparemment,lemondeentiersavaitdéjàqu’elleétait follement amoureuse de son futur mari, et, pour une raison obscure, Devon enressentaitunpeudehonte.

D’ailleurs, rappelait Copeland, Ashley ne s’intéressait absolument pas aux affairesfamiliales,etleschancesqu’ellecomprennelesimplicationsdeleurmarchéétaientplutôtminces.Sonconseil?Veilleràcequ’ellesoitheureuseetàcequ’elleresteoccupée.

Tout à coup, en pleinmilieu du rapport de Ryan, un son curieux résonna dans lapièce.C’étaitunesonneriedetéléphone,ettoutlemondetournalatêtepourenchercherl’origine. Devon s’aperçut alors avec stupéfaction qu’elle provenait de son propretéléphoneportable.

Cameronricanait.Devontiral’appareildesapoche,jetauncoupd’œilàl’écranlutlenomd’Ashley.

—Excusez-moiun instant,dit-il en se levant. Jevaisprendrecette communicationdehors.

SuiviparleregardgoguenarddeCameron,quisavaittrèsbienquil’appelait,ilquittalasalle.

—Carter,dit-ild’unevoixsèche.Ashleynesemblapasdutoutdéstabiliséeparcetaccueil.—Oh!bonjour,Devon!Commentsepassevotrejournée?—Euh…trèsbien.Ecoutez,avez-vousquelquechosed’importantàmedire?Jesuis

enpleinmilieud’uneréunion.—Oh!riendetrèsimportant,répondit-elled’untonjoyeux.J’aiseulementeuenvie

devousappelerpourvousdirequejevousaime.Unnœudluiserral’estomac.Qu’était-ilcensérépondre?Iltoussotapourgagnerdu

temps,avantderemarquer:—Ashley,est-cevousquiavezchangélasonneriedemontéléphone?—Oui,biensûr.J’aitéléchargélanouvelleafinquevoussachiezquec’estmoiqui

vousappelle.Génial,non?Devonfermalesyeux.Lacascadetintinnabulante,àmi-cheminentrelaféeClochette

etunevalsepourprincesseviennoise,feraitdeluilariséedetoutlebureau.Sansmêmementionner que Cameron se chargerait de le lui rappeler en s’esclaffant durant desdécennies.

—Génial, convint-il sansenthousiasme.Ecoutez, jevousverraice soir,d’accord?Dînerà21heures,commeprévu?

—Oui, c’estparfait. Jevais travailler au refuge jusqu’à20heures, et donc, si celavousconvient,jevousrejoindraidirectementaurestaurant.

Devonfronçalessourcils.—Quivavousyconduire?—Jeprendraiuntaxi.—Jevaisvousenvoyerunevoitureà20heuresprécises,déclara-t-ild’untonsans

réplique.Restezaurefugejusqu’àsonarrivée.Ill’entenditsoupirer,maisellerenonçaàargumenter.—Passezunebonnejournée,Devon.Jesuisimpatiented’êtreàcesoir!—Merci,répondit-il.Bonnejournéeàvousaussi.Maiselleavaitdéjàraccroché.Devonconsidérauninstantletéléphonedanssamain,

puissemitàappuyerfrénétiquementsurtouslesboutons.Commentchangercettefichuesonnerie?Iln’étaitpasquestiondeconservercettehorreurdecontedeféesetl’entendrechaquefoisqu’ellel’appellerait,surtoutsiceladevenaitunehabitude.

***

A son grand embarras, elle l’appela régulièrement tous les jours.De plus, avec un

sensdel’à-proposremarquable,elletéléphonaitinvariablementlorsqu’ilétaitenréunionouenrendez-vous.

Aprèslesecondappel,ilréglasasonnerieenmodevibreur,maisilluiarrivaitencored’oublier, et, en une ou deux occasions, ses réunions furent interrompues par cesclochettesdemalheur.

Auboutdedeux semaines, il commença à surprendredes regards amusés chez lesuns,indulgentsoucompatissantschezlesautres,etdefrancssouriresdesympathiechezles membres féminins de l’équipe. Cameron, lui, ricanait toujours comme l’idiot qu’ilétait.

Ashley l’appelait simplement quand la fantaisie lui enprenait, et,malheureusementpour lui, il était impossible de prévoir à l’avance le moment où cela se produirait.Quelquefois, c’était pour solliciter son avis au sujet de quelque détail de leurmariage.Comme, par exemple, les fleurs. Comment diable aurait-il fait la différence entre unetulipeetungardénia?Ou,alors,c’était laquestiondes invitations.L’idéed’unmariageexpressàLasVegasneluiavaitjamaisparuaussiattrayantequemaintenant.

NiRafaelniRyann’avaienteuàsubiruntelenfer.Ilss’étaienttousdeuxmariésdanslaplusgrandesimplicité.Devonvivaitlepiredescauchemars.UnmariageorganiséparleclanCopelandtoutentier.

Ilétaitàdeuxdoigtsdejetersontéléphoneportabledanslefleuve.

-6-

—Devon?Frictionnantsescheveuxencorehumidesavecuneserviette,Devonsortitdelasalle

debainsetsedirigeavers le lit.Ashleyétaitallongéesur leventre, lespiedsballants, lementondanslesmains.

Un pli presque imperceptible barrait son front charmant, suggérant qu’elle venaitd’avoir une idée. Devon hésitait quelque peu à la questionner, connaissant ses idéesparfoisdéconcertantes.Ils’assitsurleborddumatelaset,caressanttendrementsondos,s’enquitd’unevoixdouce:

—Qu’ya-t-il?—Oùallons-nousvivre ? demanda-t-elle en tournant la tête vers lui. Je veuxdire

aprèslemariage.Nousn’enavonsjamaisvraimentdiscuté.—Jepensaisquenousserionstrèsbienici.—Oh!fit-elled’unairunpeudéçu.—Vousnesemblezpasenthousiasméeparcetteidée,observa-t-il.N’aimez-vouspas

cetappartement? Il estplusgrandque levôtre, et j’ai toutnaturellement supposéqu’ilseraitpluspratiquepournousdeux.

Elleseredressaets’assitentailleurfaceàlui.—Si,biensûr,ilesttrèsbien,assura-t-elle.C’estuntrèsbelappartement,mêmesije

le trouveunpeumasculin.Mais ilmeparaîtmaladaptépour lesenfantset lesanimauxdomestiques.

—Animauxdomestiques?répéta-t-ild’unevoixétranglée.Jenesuispassûrquecesoitunebonneidée.

Ellefronça lessourcils,etDevoneneut lecœurserré.Ashleyperdait rarementsonsourire, et c’étaitunebonnechose, car lorsqu’il lavoyaitmalheureuse iln’avaitplus laforcedeluirésister.

— J’ai toujours rêvé d’unemaison à la campagne, avoua-t-elle.Un endroit où lesenfantsetlesanimauxdecompagniepeuventvivreetjouerlibrement.Lavillen’estpasle

lieuidéalpourfonderunefamille.—Beaucoup de gens élèvent leurs familles àNewYork, souligna-t-il.Vous-même

avezétéélevéeici.—Pas tout à fait, corrigea-t-elle. J’avais déjà dix ans lorsque nous sommes venus

nousinstalleràManhattan.Avantcela,noushabitionsunetrèsjolieferme,oucequiétaitunefermeavantquemonpèrenel’achète.C’étaitunendroitmerveilleux.

— Nous pourrons en discuter le moment venu, promit-il, touché par la note demélancolie dans sa voix. Mon premier souci, aujourd’hui, et de faire de vous monépouse,deprofiteravecvousd’unefabuleusesemainedelunedemielentêteàtête,puisdevousinstallerdanscetappartementdefaçonpermanente.

Elleluisouritetsepenchapoureffleurersajoued’unbaiser.—J’adorelorsquevousparlezdecettefaçon.—Dequellefaçon?— Comme si vous étiez impatient que nous commencions vraiment à vivre

ensemble.Ellepassalesbrasautourdesatailleetseblottittendrementcontrelui.Unenouvelle

fois,Devonfutassailliparuneétrangesensationaucreuxdesapoitrine.Cen’étaitpasunsentiment très rassurant, et il n’était pas très sûr d’y trouver du plaisir,mais, enmêmetemps,iln’auraitvoulupourrienaumondequ’ildisparaisse.

—Nous n’aurons plus longtemps à attendre, assura-t-il. Et, quant au problème denotrefuturlogement,nouspourronstoujoursrouvrirledébatplustard.Pourlemoment,jepréfèrequenousnousconcentrionsl’unsurl’autre.

Elleseserraplusétroitementcontrelui,puislevasesyeuxazuretplongeasonregarddanslesien.

—Puis-jevousposerunequestion?—Biensûr.— Dois-je comprendre que vous préférez attendre un peu avant de fonder une

famille?Jenevousaipascachéquej’adoreraisdevenirmèreleplustôtpossible,maisjenemesouvienspasquevousayezexprimévotreavissurcesujet.

L’image d’uneAshley au ventre rond, toute rayonnante du bonheur de porter sonenfant,surgitdanssonesprit,etilrestatoutétonnédusentimentdesatisfactionquecettevisionéveillaitenlui.

Ilavaittoujoursconsidérélemariage,safutureépouseetlesenfantséventuelsavecun détachement clinique, comme les détails d’une liste de tâches à accomplir.Et c’étaitpeut-êtrecequ’ilsétaient,ausecondrangdesesprioritésaprès lesuccèsprofessionnel.Maisvoilàque,soudain,ilétaitsaisiparundésirdepossessionquilelaissaitstupéfait.

A un moment indéterminé, il avait cessé de considérer son mariage avec Ashleycommeunesimpleobligation.Honnêtement, il auraitpu tombersurbienpire.Elleétaitintelligente,sincère,douceetaffectueuse,avecuncœurquidébordaitde tendresse.Elleseraitunemèreparfaite.Bienmeilleurequesapropremèrenel’avaitété.Mais,lui,serait-

ilunbonpère?—Devon?Ilvitqu’elleledévisageait,unelueurd’inquiétudeaufonddesesbeauxyeux,etson

premierinstinctfutdelarassurer.—Jeréfléchissais,c’esttout,dit-ilendéposantunbaisersursonfront.— S’il est trop tôt pour que nous ayons cette conversation, je vous en demande

pardon.Paparépètetoujoursquejefoncetêtebaisséesansréfléchir,etilaraison.Lefaitestjenepeuxpasm’empêcherdemeprécipitersurtoutcequiéveillemonintérêt.

Il ne put retenir un sourire. C’était une description assez juste d’elle-même. Ellecroquait lavieàpleinesdentsetn’avaitpas l’airde se soucierdesproblèmeséventuelsquipourraientsurgirsursonchemin.Luiarrivait-ilparfoisdesesentirdécouragée?Lesgens comme Ashley étaient un mystère pour lui. Il ne comprenait pas leurfonctionnement.

—Cequejepense,c’estquevousseriezunemèretoutàfaitparfaite,répondit-ilenl’attirant sur ses genoux. Je vous imaginais portantmon enfant, et j’avoue que l’imagem’aénormémentplu.

Ellesoupiraetseblottittendrementdanssesbras.—J’espéraisquevousdiriezcela.Quevousaussisouhaitiezavoirdesenfants.Jene

suispasobligéede tomberenceinte toutdesuite,biensûr.Unepetitepartiedemoisaitqu’il seraitprobablementplus saged’attendreunpeu,mais j’ai toujours rêvéde fonderunegrandefamille,etjeneveuxpasêtredéjàvieillelorsquemesenfantsirontaulycée.

—Vousvousrendezcompte,bienentendu,quenousn’avonsprisaucunemesuredeprotectionpouréviterunegrossesse,observa-t-il.

— Est-ce un problème, pour vous ? s’enquit-elle d’un ton anxieux. Je veux dire,seriez-voustrèscontrariésijetombaisenceinteavantquenoussoyonsmariés?

Devonéclataderire.—Ceseraitlecombledel’hypocrisiedemapartd’êtrecontrariéparunévénement

qu’ilnetenaitqu’àmoid’empêcher.—Jetenaisseulementàenêtresûre.Jeneveuxpasquenousprenionsunmauvais

départ.Toutdoitêtre…parfait.—Est-ilpossiblequevoussoyezdéjàenceinte,Ashley?murmura-t-ileneffleurant

sajoued’unecaresse.Est-celaraisonpourlaquellevousabordezcesujet,cesoir?Vouspouvezmeparlersanscrainte.Jenepourraisjamaisvousenvouloirpourquelquechosequi est surtout dema responsabilité. Vous étiez vierge lorsque je vous ai fait l’amour.C’étaitàmoideprendrelesprécautionsnécessaires.

—Non,répondit-elled’unevoixdouce.Jenesuispasenceinte.Entoutcas,jenelecroispas.

Il posa son front contre le sien un instant, songeant qu’ils se comportaient déjàcomme un couplemarié parfaitement à l’aise dans leur relation. Sans qu’il comprennetroppourquoi,ilavaitconfianceenAshleyetsesentaitbienavecelle.Aprèstout,William

Copelandsavaitpeut-êtrecequ’ilfaisait.—Ehbien,sivousl’êtes,c’estformidable.Vraiment,jeveuxquevousmemettiezau

courant aumoindre soupçon de changement. Et, si par hasard vous n’étiez pas encoreenceinte,noustravailleronsàréparercetoubli.D’accord?

—D’accord,répondit-elleenrougissant.—Et,maintenant,sinousnousmettionsaulit?Ilsepenchapourmordillerdélicatementsonoreille,ajoutantdansunsouffle:— Je vous promets de faire tout mon possible pour que vous soyez rapidement

enceinte.Asagrandesurprise,c’estellequilepoussasurlelit,l’accompagnantdanssachute,

unsouriresensuelauxlèvres.—Jevousaimetant,Devon!Jesuislafemmelapluschanceusedumonde.Enposantseslèvressurlessiennes,Devonsavaitqu’ellesetrompaitdutoutautout.

C’étaitluiquiavaiteubeaucoupdechancedelarencontrer.

-7-

—Ashley, si tune restespas immobileune seconde,nousn’arriverons jamaisà tecoifferniàtemaquillercorrectement,protestaPippad’untonexaspéré.

— Je suis toujours d’avis qu’il aurait été plus facile de faire venir une styliste,intervintSylvia,quisurveillaitlesprogrèsdel’opérationqueTabithas’efforçaitdemeneràbien.

— Tabitha est styliste, rappela Ashley. Elle est même la meilleure, et qui secontenterait demoins le jour de sonmariage ?Et qui connaît lemaquillagemieux queCarly?

—Tuasraison,convintPippa.Absolumentpersonne.—Fermelesyeux,Ashley,ordonnaCarly.Nousallonspasseraumascara.Seulement

unetouchelégère.C’estlejourleplusimportantdetavie.Faisonspreuvedesubtilité.—Jesuisd’accordavectoi,ditAshley.—Chérie,as-tubientôt terminé? lançasamèredepuis leseuil.C’est tontourdans

dixminutes.—Dixminutes ? protestaTabitha. Impossible ! Pouvez-vous les faire patienter un

peu,MmeCopeland?—Iln’estpasquestionquejesoisenretardàmonpropremariage,déclaraAshley

d’untoncatégorique.Accélèreunpeulemouvement,Tabitha.Macoiffureesttrèsbien.Couvresimplementlechignonaveclevoile.

— Couvre le chignon avec le voile, grommela Tabitha. Comme si c’était aussisimple!

Levantlesyeuxaucield’unairexaspéré,Sylviaintervint,fixantrapidementlevoileàl’élégantchignon.

—Voilà,Ashley.Tuesmagnifique.—Unetouchedebrillantàlèvres,etnousauronsterminé,annonçaCarly.Fronceles

lèvres.Ashley obtempéra docilement et, un instant plus tard, Carly recula d’un pas afin

qu’ellepuisses’examinerdanslemiroir.—Oh!fit-elle.Bravo,lesfilles!Lessouriresdesesamiesluirépondirentdanslemiroir.—Tues ravissante,ditPippa, lesyeuxbrillantde larmes.Laplus joliemariéeque

j’aiejamaisvue.—Jesuisabsolumentdesonavis,déclaraTabitha.Les quatre femmes l’entourèrent pour la serrer dans leurs bras.Depuis le seuil, sa

mèremitfinàleurseffusions:—Ilesttempsd’yaller,lesfilles.Vosgarçonsd’honneurvousattendent.Nemettons

paslamariéeenretard.Sesamiesseprécipitèrentendésordrevers laporte, leursbouquetsà lamain,etsa

mères’approchad’elle.—Ton père va venir te chercher dans un instant, dit-elle en souriant à travers ses

larmes.Monbébé,tuasgrandisivite,ettuessibelle!Jesuisfièredetoi.—Nemefaispaspleurer,maman.Tusaisbienquejen’aiaucunevolonté.— Laisse-moi arranger ta robe, dit sa mère en l’aidant à se lever. Ton père doit

tournercommeunlionencagedel’autrecôtédelaporte.Tusaiscombienildétesteêtreenretard.

Elledéfroissaitdesplis imaginairessursa robe lorsqu’ellesentendirent frapperà laporte.

—Cedoitêtrelui.Es-tuprête,chérie?Saisie d’un nouvel accès de nervosité, les paumes moites, Ashley trouva la force

d’acquiescer.Toutceciétait réel, songea-t-elle, luttantcontreunsentimentd’incrédulité.ElleétaitsurlepointdedevenirMmeDevonCarter.

Ellesejetaaucoudesamèreetlaserraàl’étouffer.—Jet’aimetant,maman!—Moi aussi, je t’aime,monbébé, répondit samère en lui rendant son étreinte.A

présent,mettons-nousenrouteavantquetonpèren’explose.ElleprécédaAshleypourluiouvrirlaporte.Del’autrecôté,sonpèrefaisaitlescent

pasdanslecouloir.Ilrelevalesyeuxenlesentendant,etsonexpressions’adoucit.—Jen’arrivepasàcroirequetuvastemarier,dit-ilenluitendantsamaind’unair

ému.Jeterevoisencorecommesic’étaithierentraind’apprendreàmarcheretàparler.Tuestrèsbelle,Ashley.Devonabeaucoupdechance.

—Merci, papa,murmura-t-elle en se penchant pour déposer un baiser sur sa joueridée.Tuestrèséléganttoi-même.

Lacoordinatricedemariagesseprécipitaàleurrencontre,et,avecdesgestesfébriles,leur fit signe d’avancer vers l’entrée conduisant dans la nef, puis elle prit quelquessecondespourréarrangerlatraînedelarobe.

Lamèred’Ashley fut escortée jusqu’à saplace, et la futuremariée resta seule avecsonpère,quiluioffritsonbraspourlaconduireàl’autel.

Auxpremières notes de lamarche nuptiale, les portes s’ouvrirent, et tous les yeuxdans l’église se tournèrentversAshleyalorsqu’elle faisait sespremierspasdans l’alléecentrale. Son bouquet tremblait dans ses mains, et elle espéra que ses jambes ne latrahiraientpas.Sarobesemblaitsoudainpeserunetonneet,bienqu’ilfassefroiddehors,unechaleurdesaunasemblaitrégnerdansl’église.

Mais,aumêmeinstant,elleaperçutTabitha,Carly,SylviaetPippadeboutcôteàcôteaufonddelanef,quiluisouriaientd’unairencourageant.Pippaluiadressaunclind’œiletfitlesignedelavictoireendésignantDevon.

Puis,enfin, son regardseposasurDevon,etelleoublia tout le reste.Sanervosité,tous ses doutes.Elle nepensaplusqu’à lui, qui l’attendait aupiedde l’autel, et au faitque,désormais,elleallaitêtresafemme.

Cetteidéeluiprocuraituneimmensesatisfaction.La seconde suivante, son père confiait samain à celui qui allait devenir sonmari.

Devon lui offrit un sourire rassurant, et ils s’avancèrent vers le prêtre. La cérémoniecommença.

A son grand chagrin, elle devait avouer plus tard qu’elle n’avait gardé aucunsouvenirdelaplusgrandepartiedecesinstants.EllesesouvenaitseulementduregarddeDevonposésurelletandisqu’illuijuraitamour,fidélitéetsoutiensansfaille.Etdubaiserqu’ilsavaientéchangéaprèsavoirétédéclarésmarietfemme.Unbaiserquinecesseraitjamaisdebrûlerdanssamémoire.

Et,toutàcoup,ilsredescendaientl’alléecentraledelanef,cettefois-ciensemble,entant que mari et femme. En attendant les autres, ils se réfugièrent dans une alcôve, etDevonl’attiradanssesbras.

—Tuesabsolumentfabuleuse,murmura-t-il.Il l’embrassadenouveau,unbaiserplus long,plus intense,plus sensuel.Lorsqu’il

s’écartad’elle,Ashleytenaitàpeinesursesjambes,etelleduts’appuyeràsonbraspourmaintenirsonéquilibre.

Mais,déjà,unerumeurjoyeuseannonçaitquelesinvitéssortaientdel’église.— Chérie ? appela sa mère à la porte. On a besoin de vous à l’intérieur pour la

séance de photos. Les garçons et les demoiselles d’honneur sont déjà prêts. Les autresvontserendredirectementàlaréception.Unevoiturevousattendpourvousyconduireaprèslesphotos.

Devon ne semblait pas enchanté par l’idée de devoir poser pour tous cesphotographes, mais, soupirant d’un air résigné, il la prit par la main et ils rentrèrentensembledansl’église.

—Cene serapas long, lui chuchota-t-elleà l’oreille.Ensuite,nouspourronsenfinpartirpournotrelunedemiel.

—C’estcetteidéequivamerendresupportablelesquelquesheuresquivontsuivre,dit-ilenserrant tendrementsamain. Je rêvedéjàde resterenferméavecvousdansunesuited’hôteldurantdesjours.

Elle se sentit rougir à l’image que ces paroles évoquaient, alors qu’un délicieuxfrissonlaparcouruttoutentière.Elleétaitimpatientedeseretrouverseuleaveclui.

Néanmoins, cette journée était la sienne, et elle avait pleinement l’intention d’ensavourer chaque seconde. Ses amies la rejoignirent avec des cris et des rires, et elleesquissaunsourire.Elleétaitentouréed’unemultitudedecousins,d’oncles,detantes,desesparents,desonfrère,deparentséloignés,d’amis.

C’étaitréellementleplusbeaujourdesavie.

***

Devonacceptaunverredevinpendantquelefrèred’Ashleyprenaitsaplacepourlafairedanser.Ilauraitprobablementdûallerinviterl’unedesfemmesdelafamilledesonépouse,maisellesétaientsinombreusesqu’ilneparvenaitpasàserappelerleursnoms.

Cameronlerepéraimmédiatement.Sonamiportaitunsmokingnoirtrèsclassique,etDevonsiffla,admiratif.

— Ne te moque pas, grogna Cameron d’un air sombre. Je ne porterais cedéguisementpourpersonned’autrequetoi.Jenel’aipasfaitpourlemariagedeRafe,etRyanaépouséKellysiprécipitammentquenousavonseudelachanced’enêtreinformésaprèsparuncoupdetéléphone.

—Jem’étonnequetusoisencoreiciavecnous,cesoir.Celaneteressemblepasdet’aventurerhorsdetonantreaussilongtemps.

— Rafe et Ryan m’ont chargé de te féliciter, ou de t’assurer de leur profondesympathie, selon ton choix ou tes besoins. Ils sont désolés de n’avoir pu assister à tonmariage,mais,commeleursépousessonttoutesdeuxsurlepointd’accoucher,ilsonttoutnaturellementpréféréresteravecelles.

—Nesoispasaussipessimiste, le tançagentimentDevon.Monmariagenesignifiepaslafindumonde.Tun’aspaspersécutéRafeetRyandelamêmefaçon.

—Oh!quesi!Maisils leméritaient.Nil’unni l’autrenevalentlacordepourlespendre.

— Alors que toi, avec ta détestation de l’humanité tout entière et des femmes enparticulier,tuesunbrillantexempledechevalerie,n’est-cepas?

Cameronrepritsonsérieux.—Jenedétestepasdutoutlesfemmes,sedéfendit-il.Enréalité,jelesaimepeut-être

trop. La vérité, si tu veux mon avis, c’est qu’elles sont une source de problèmes. Deplus,c’estamusantdetefaireenrager.Jepensequ’Ashleyesttropparfaitepourunvieuxcroûtonrabat-joiecommetoi.

—Cen’estpascequejevoulaisdire,réponditDevond’untonlas.Jesuisseulementun peu tendu. J’ai hâte que tout ceci soit terminé. J’ai vécu dans la crainte qu’elle nedécouvrelavéritéetm’envoieaudiable.JenemesentiraimieuxquelorsquenousseronsenroutepourSt.Angelo.

—Je te souhaitebonnechance,monvieux. Jepenseque tuas commisuneerreurmonumentaleenacceptantdetemarierpourréussiruncoupenaffaires,maisAshleyestunefillecharmante,ettuauraisputombersurbienpire.D’ailleurs,cen’estpaspourtoiquejem’inquiète,maispourelle.

—Mercibeaucoup,grognaDevon.Jesuisvraimentcontentdepouvoircomptersurtonsoutiendanscettesituation.

Camerontournasonregardverslapistededanse,oùAshleytournoyaitdanslesbrasdesonfrère.Elleriait,etsonsourireilluminaittoutelasalle.Al’évidence,ellenageaitenpleinbonheur.

— Au moins, toi, tu n’auras pas le cœur brisé, remarqua Cameron à voix basse.Peux-tuaffirmerqu’Ashleynesouffrirapasnonplus?

— Je ne vais pas lui briser le cœur, bon sang ! Pourrions-nous laisser tomber cesujet?Onpourraitnousentendre.

—Oui,c’estvrai.Jecroisquejevaisallerdanseraveclamariéeavantdemeretirerdanscequetuappellesmonantre.

Devonlesuivitduregardalorsqu’ilsedirigeaitverslapistededansed’unpasléger.Il le vit dire quelques mots au frère d’Ashley, puis prendre sa place pour la dansesuivante.

— Vous avez rendu ma petite fille très heureuse, dit William Copeland en lerejoignant.Bienvenuedanslafamille,fils.

—Merci,monsieur.C’estunhonneur.— Emmenez Ashley avec vous, et amusez-vous bien. Ne vous faites aucun souci

pourlesaffaires.Nousauronstoutletempsd’enparleràvotreretour.—Biensûr.— La limousine vous attend dehors pour vous conduire à l’aéroport. Bien sûr, la

traditionvoudraitquevoustraîniezunpeupourdécouperlegâteau,etautresbêtisesdumêmegenre,mais,sij’étaisvousetsijevenaisd’épouserlaplusbellefilledeNewYork,jesaisbiencequejeferais.Jefileraisàl’anglaise!

—Voilà un excellent plan, reconnut Devon en souriant. Puis-je compter sur vouspourcouvrirnotresortie?

— Pas de problème, fils, répondit William avec un sourire de conspirateur.D’ailleurs,jen’aijamaisconnudejeunemariéquiaimelegâteau.

Riant encore de cette plaisanterie, Devon se fraya un chemin dans la foule pourarracherAshleyauxbrasdeCameron.

-8-

Lesoleils’enfonçaitderrière l’horizonlorsqueDevonfranchit leseuilde leursuite,Ashleydanslesbras.Dèsqu’ill’eutreposéesurlesol,elleseprécipitapourallerouvrirengrand lesportescoulissantesde la terrasseet laisserentrerdans lapièce lescouleurséclatantesduciel.

—Oh!Devon,c’estmerveilleux!Ilarrivaderrièreelle,glissasesbrasautourdesa tailleet l’attira toutcontre lui, lui

mordillantlelobedel’oreille.—Jen’arrivepasàcroirequececiest lepaysagequenousallonsavoirdevant les

yeuxtouteunesemaine,murmura-t-elle.Savez-vousdepuiscombiendetempsjenesuispasalléeàlaplage?Ladernièrefois,j’étaisencoreunepetitefille.

— Comment ? s’exclama-t-il d’un air faussement horrifié. On ne vous emmenaitdoncjamaisàlaplage?

—C’est terrible, n’est-ce pas ? Je ne sais pas pourquoi,maisma famille ne prendjamais ses vacances à l’océan, et la plupart demes amies non plus. Et voilà que noussommesici,devantcespectaclesifabuleuxquejen’aipaslesmotspourledécrire.

— Il me semble au contraire que vous savez tout à fait trouver les mots, fit-ilremarquerenriant.Maisjemeréjouisquecelieuvousplaise.

— Comment avez-vous déniché ce merveilleux endroit ? s’enquit-elle en seretournantfaceàlui.Personnellement,jen’avaisjamaisentenduparlerdeSt.Angelo.

— Nous bâtissons un complexe touristique sur l’île, expliqua-t-il. Nous avonscommencé les travaux il y a quelques semaines. Ryan et Kelly vivent ici, l’aviez-vousoublié?

—Oui, je me souviens que vous m’aviez parlé d’eux, en effet.Mais je ne les aijamaisrencontrés.Cameronestleseuldevosamisquim’aitétéprésenté.

—Nousremédieronsàcettesituationsans tarder.BryonyetKellysont toutesdeuxprèsd’accoucher,etellessetrouventtemporairementdansl’incapacitédevoyager.Nousdînerons avec Ryan et Kelly durant notre séjour ici, et je suis sûr que nous aurons

l’occasionderencontrerRafeetBryonytrèsprochainement.—J’aihâtedelesconnaître.—J’avouequejenepensepasvraimentàeux,encemoment,murmura-t-il.Jesuis

plusimpatientdecommencernotrenuitdenoces.—Jedoisallermechanger,répondit-elle,lesjouesbrûlantes.Jevousaipréparéune

surprise.—Hum!Quellesortedesurprise?— C’est-à-dire… c’était un cadeau de mes amies. Elles m’ont assuré qu’aucun

hommedignedecenomnesauraityrésister.—Rappelez-moidelesremercier,àl’occasion.—Vousnem’avezpasencorevueleporter.—Jesuissûrquecelameplairabeaucoup.Jevousaimeraismêmevêtuedevieux

sacs,etjesuissûrd’appréciercommeilsedoitcequ’ellesvousontoffert,justeavantdevousl’ôterpourmerepaîtredevotrecorpsdélectable.

— D’accord, dit-elle, réprimant à grand-peine son excitation. Attendez-moi ici, etdonnez-moi au moins quinze minutes. Je veux que ce soit absolument parfait. Et nem’espionnezpasparletroudelaserrure!

—Quiiraitfaireunechosepareille?répliqua-t-ild’unairfaussementscandalisé.—Promettez-le-moi.—D’accord,serendit-ilensoupirant.Maisfaitesvite.Entre-temps,jevaisdescendre

nouscommanderunebonnebouteilledevinetnotrepetitdéjeunerpourdemainmatin.Soyezprêteàmonretour.

Ellesehissasurlapointedespiedspourl’embrasser,puisdisparutdanslasuite.Elleattenditque laportede la chambre se soit referméederrière elle,puis seprécipitapourouvrirsavaliseetenretirerunpaquet-cadeaurosevifd’aspecttrèsféminin.

Al’enterrementdesaviedejeunefille,sesamiess’étaientbeaucoupamuséesdesonair effaré devant la montagne de cadeaux qu’elles lui avaient apportés. Les articlesconcernéscouvraienttoutelagammedesstyles,del’élégantclassiquejusqu’auplusosé.

Poursanuitdenoces,elleavaitchoisiunechemisedenuitquireprésentaitunparfaitmélanged’éléganceetdesensualité,sexymaissansexagérationbienquel’idéededevenirlatentatriced’unenuitnesoitpassansmérite,etqu’elleaitbienl’intentiond’essayerdèsqu’elleenauraittrouvélecourage.

Elle se changea rapidement et alla contempler le résultat devant lemiroir dans uncoinde lachambre.Sanouvellechemisedenuitétait ravissante.Elleavait l’impressiond’êtreuneprincesse,etelleaimaitbeaucoupcesentiment.Uneprincessebelleetadulée.

Elledéfit labarrettequi retenait sachevelureet la laissa retomber librementsursesépaules.Puis,ellelafitboufferunpeuetreculapourétudiersonrefletdanslaglace.

Lecorsageétaitdotéd’unprofonddécolletéquioffraitunevuepartielledel’arrondidesapoitrine,Lorsqu’ellesetournaitd’unecertainefaçon,onpouvaitpresqueapercevoirlespointesrosesdesesseins.Presque,maispastoutàfait.

La jupe du vêtement était transparente, et elle scintillait sur ses jambes comme unvoilemagique.Danssaboîte,elleluiavaitparuassezinnocente,mais,surelle…

Pasunmauvaischoixpourunenuitdenoces.Elle sourit à son image et se détourna dumiroir pour virevolter dans la chambre,

commesielledansaitavecunpartenaireimaginaire.Fredonnant un petit air guilleret, elle esquissa quelques pas de valse, un sourire

rêveuraux lèvres, répétant lesgestesqu’elleavaitaccomplisavecDevonsur lapistededanse, à la réception. Son mari était un excellent danseur, même s’il n’était pas unpratiquant assidu. Il évoluait avecaisance,beaucoupdegrâceetunecertainearrogancedominatricequiaffolaitsessens.

Fermant les yeux, elle tourna une nouvelle fois sur elle-même, et samain étendueheurtaunesurfacedure.Unevivedouleurs’irradiadanssonbrasalorsqu’unobjetlourds’écrasaitsurlesol,latirantaussitôtdesarêverie.

L’ordinateur portable deDevon, qui avait été posé sur lemanteau de la cheminéeavecsonportefeuille,sesclésetlecontenudesespoches,gisaitsurlesol,enmorceaux.

Réprimant un gémissement, elle s’agenouilla devant l’appareil. La batterie s’étaitséparée du reste de l’ordinateur. L’avait-elle cassé ? Avait-elle détruit des donnéesirremplaçables ? Si Devon était comme son frère ou son père, le disque dur contenaitprobablementtoutesavie.

Pas de panique, songea-t-elle. Elle n’était pas tout à fait ignorante en matièred’ordinateurs,mêmesiellenepassaitpas,commed’autres,saviedevantunécran.Ellesavaitlesfairefonctionner,suffisammententoutcaspourvérifiersielleavaitcasséceluidesonmari.

Elle replaça la batterie, vérifia qu’il n’y avait pas d’autres dégâts et appuya sur leboutondemiseenroute,priantpourquel’écrans’allume.

Rienneseproduisit.Désespérée,elleappuyasurtouteslestouchesduclavier,espérantencoreobtenirune

réaction — n’importe quelle réaction — de cette satanée machine. Aussitôt, l’écrancommençaàclignoter,etunedouzainedeprogrammess’ouvrirentensuccessionrapide.

Aumoins,l’ordinateurfonctionnait.Consternée,elleentrepritdefermerlesprogrammesl’unaprèsl’autre.Ils’ytrouvait

quantitéde tableauxExcel,d’innombrablesgraphiques incompréhensibles.Maisn’avait-ellepaseffacédesinformationsprécieuses?

Elle détestait l’idée de gâcher ce moment spécial, mais elle allait devoir informerDevondecetincidentetlelaisservérifierlui-mêmel’étenduedesdégâtséventuels.Ainsi,iln’yauraitpasdemauvaisessurpriseslorsqu’ilallumeraitsonordinateurlelendemain.

Elleallaitfermerundernierdocumentlorsqu’unnomsurl’écranattirasonattention.Lesien.Sesdoigtss’immobilisèrentsur leclavier,etellecommençaà lire.C’étaitune-maildesonpère.Elleesquissad’abordunsourire,carill’appelait«sonbébé».Mais,enlisantlasuite,ellesefigea:

«J’aiprisnotedevos réticencesconcernantAshley,et je reconnaisquevoscraintesétaientpeut-êtrejustifiées.Mais,sansvouloirmettreendoute votre intuition, vous devez comprendre que je désire qu’elle soitprotégéeàtoutprix.J’estimecependantqu’iln’estpasnécessairequ’ellesoitinforméedestermesdenotreaccord,mêmesijecomprendsqueceprocédévousmetpeut-êtremalà l’aise.Elleestmonbébé,monuniquefille,etjel’aimedetoutmoncœur.Pourêtrefranc,jepréféreraisqu’ellenesachejamaisquecemariageest l’unedesconditionsdelafusiondenos entreprises. Vous êtes le bienvenu dans notre famille, et je suiscertain que vous vous emploierez toujours à défendre ses intérêts. Etc’estlaraisonpourlaquellejevousconjuredegarderlesecretsurnotrearrangement.»

Abasourdie, Ashley fixa l’écran. Elle devait avoir mal compris. Elle tirait desconclusionshâtives.C’étaitd’ailleursundéfautquesamèreluiavaitsouventreproché.

S’intimant au calme, elle entreprit de relire l’e-mail de son père,mais lesmots sebrouillaientdevantsesyeux.

—Ashley?EllesursautaetrelevalesyeuxalorsqueDevonlarejoignait,ladominantdetoutesa

taille.—Ilesttombédelacheminée,expliqua-t-elled’unevoixétranglée.J’aieupeurqu’il

soitcassé.Labatterieétaittombée.Lorsquejel’airemiseenplaceetquejel’airallumé,touscesprogrammessesontouverts.

Ilsepenchapourrécupérersonordinateur,maiselles’yaccrocha,lesdoigtscrispés.C’est alors qu’il comprit ce qu’elle était en train de lire, et, étouffant un juron, il luiarrachal’ordinateurdesmains.

—Rendez-le-moi,Devon!protesta-t-elle.Jeveuxsavoircequ’ildit!Ilrabattitfermementlecouvercleetglissal’ordinateursoussonbras.—Iln’yarienlàquivousconcerne.—Nemementezpas,Devon,dit-elled’unevoixtendue.Jel’ailupresqueenentier.

Outoutdumoinslespassagesimportants.J’exigedesavoircequetoutcelasignifie.Les lèvres serrées, Devon soutint son regard. En cet instant, il aurait sans doute

préférése trouveràmille lieuesd’ici.Tantpispour luicar,cettefois-ci,ellen’avaitpasl’intentiondecéderd’unpouce.

—Iln’ensortirariendebon,Ashley.N’ypensezplus,d’accord?— Ne plus y penser ? répliqua-t-elle, le dévisageant d’un air incrédule. Vous me

demandezvraimentd’oublierquejeviensdelireune-maildemonpèreoùilreconnaîtqu’ilm’apratiquementachetéunmari ?Ou toutdumoinsqu’il a trouvéunmoyendevousforceràm’épouser?Ceciestmanuitdenoces,Devon.Suis-jecenséeprétendrenepasl’avoirlu?

—Bonsang,Ashley,gronda-t-il,luttantcontrelafrustration.Quelbesoinaviez-vous

d’allumercetordinateur?—Jenel’aipasfaitexprès!Croyez-moi, jedonnerais toutpournepas l’avoirfait

tomber.Mais le fait estquecela s’estproduit, etmaintenant jeveuxconnaître lavérité.Quelgenred’arrangementavez-vousconcluavecmonpère?Dites-moitout,oujevousjurequejepartiraiimmédiatementenvousplantantlà.

— Voilà précisément la raison pour laquelle vous êtes quelquefois votre pireennemie, Ashley. Vous êtes trop impulsive. Vous agissez avant d’avoir réfléchi. Vousvous fourrez constamment dans des situations dont vous sortez blessée. A un certainmomentdansvotrevie,vousallezdevoirapprendreàvouscontrôler.

Elleledévisagea,atterréeparladuretédesesparoles.S’efforçait-ildelafairepasserpourlacoupabledecedésastre?Cen’étaitpasellequiétaitentréedanscemariagepourdefaussesraisons.Devonconnaissaitsessentiments.

Illuitournaledosetallaposerl’ordinateursurledessusdelacommode,puisrestalà un moment sans bouger, le dos tourné. Dans le silence de la pièce, la tension étaitdevenue palpable. Le cœur serré, elle savait qu’elle était sur le point d’apprendre uneterriblenouvelleconcernantsavie.Sonavenir.Sonmariage.

—Devon?murmura-t-elle.Ellesongeaitàleurrelation.Alacourempresséequ’illuiavaitfaite.Soudain,toutse

mettaitenplace.Ellecommençaitàanalyserchaquesoiréeavec lui,chaqueparolequ’illuiavaitdite.Combienétaientdesmensonges?Luiavait-iljamaisditlavérité?

Ellen’avaitpasenviedeluiposerlaquestionquiluibrûlaitleslèvres.Ellen’étaitpassûre de vouloir entendre sa réponse, mais elle savait néanmoins qu’elle n’avait pas lechoix.

Ilse tournafaceàelle, lespaupièresmi-closes, l’expressionimpassible,commes’ilespéraitavoirmisuntermeàladiscussion.

Tout à coup, les circonstances de sonmariage passaient au second plan. Il y avaitplus important, quelque chose qu’elle devait absolument savoir.Celle qui déciderait desonavenir.Deleuravenirensemble,àsupposerqu’ilsenaientun.

—Répondezsimplementàunequestion,Devon,dit-elled’unevoixfaible.M’aimez-vous?

-9-

Lagorgeserrée,Devonfixalevisagepâleetdéfaitd’Ashley,etilcompritquel’heuredelavéritéavaitsonné.Peut-êtreavait-iltoujourssuquecemomentarriverait.Iln’avaitjamais vraiment cru qu’il serait possible d’empêcher Ashley de découvrir la vérité, etd’ailleursl’idéemêmeétaitabsurde.

CevieuxfoudeWilliamCopelandnevoulaitpasquesaprécieusepetitefillesouffre,etpourtantilluiavaitinfligélapiredéceptiondesavie.Maintenant,Devonallaitpasserpourleplusgrandmonstredetouslestemps.

—J’aibeaucoupd’affectionpourvous,dit-ild’unevoixégale.Dansleregarddesanouvelleépouse,ilylisaitcolèreetpeur.Laréponsequ’ilvenait

deluifairesonnaitfauxmêmeàsespropresoreilles,maisilnepouvaitserésoudreàluifaireplusdemalencore.

—Jeveuxlavérité,déclara-t-elled’untonsansréplique.Jen’aibesoinnidevotrecondescendance ni de belles paroles rassurantes. Ma question est simple, Devon.M’aimez-vous?

—Lavérité n’est pas toujours bonne à dire,Ashley.Lavérité n’est pas forcémentbelleàentendre.Ellepeutfaireplusmalquelasimpleignorance.

Elle blêmit. Son regard s’éteignit comme si on venait d’éteindre la flamme del’espérancedanssoncœur.L’espaced’uninstant, ilcrutqu’elleallaitrenoncer,puiselleredressalesépaulesetrépétad’unevoixsanstimbre:

—Lavérité,Devon.Jeveuxl’entendre.J’enaibesoin.Aucombledelafrustration,Devonjuratoutbas.—D’accord,Ashley, répondit-il d’unevoix tendue.La réponse est non. Jene suis

pas amoureux de vous. Je vous estime beaucoup, je vous apprécie et je vous respecte.Maisjenevousaimepas.

Un cri étranglémonta dans sa gorge.Un cri de souffrance.Pourquoi n’avait-il passimplementcontinuéàluimentir?songea-t-il.Parcequ’elleauraitapprislavéritéavecousanslui,biensûr,etparcequ’onluiavaitdéjàsuffisammentmenti.

Désormais,peut-êtrepourraient-ilsavancerentotaletransparencel’unenversl’autre.Elle recula, trébucha et dut s’accrocher au manteau de la cheminée pour ne pas

tomber.Devonseprécipita,lasaisitparlesépaules,laguidajusqu’aulitetl’obligeaàs’yasseoir.

Reculant d’un pas, il prit une profonde inspiration.Mais, avant qu’il commence àparler,elle rivason regardausien,et lavulnérabilitéqu’il lutdanssesyeuxazur lui fitl’effetd’uncoupdepoignardenpleincœur.

—Jemesuiscouvertederidicule,murmura-t-elle.Commej’aiétéstupideetnaïve!Commevousavezdûriredemoi!

—Non,Ashley!Jen’aijamaisridevous!Jamais!— Je vous aimais, poursuivit-elle d’un ton douloureux. Je pensais que vous

m’aimiezaussi.Jepensaisquevousdésiriezm’épouserenraisondecequejesuis,etnonpasàcausedecequemonpèreapuvousoffrir.Combienvousai-jecoûté,Devon?Ou,plutôt,combienmonpèrevousa-t-iloffertpourquevousconsentiezàm’épouser?

Irritédeconstaterladirectionqueprenaitcetteconversation,Devontiralefauteuildesatabledetravail,letournaets’assitfaceàelle.

—Ecoutez-moi,dit-ild’unevoixpressante,iln’yaaucuneraisonpourquenousnesoyonspasheureuxdansnotremariage.Noussommescompatibles,nousnousentendonsàmerveille,nousfaisonsdesétincellesaulit.Troisavantagesdontbeaucoupdecouplesmariésnepeuventsevanter.

Pourtouteréponse,ellefermalesyeux.—Ecoutez-moi,Ashley,jevousenprie!insista-t-il.Cettevéritéestpeut-êtrepénible

àentendre,mais,aumoins, iln’yaplusde secretsentrenous.Vous réagissezde façontropémotionnelle.Peut-êtreest-iltempsdegrandiretd’accepterlefaitquelavien’estpasuncontedefées.Vousêtestropimpulsive,etvousnesongezpasassezàvousprotéger.Vousrisquezd’ensouffriràl’avenir.

—Commentpourrais-jesouffrirdavantagequ’encemoment?répondit-elle,luttantcontre les larmes. Et, vous, comment pouvez-vous rester aussi… aussi froid, aussidétaché,commesicecin’étaitqu’unesimpleréuniond’affairesetquevousm’annonciezdeschiffresdeventes?

Devonsentitsagorgeseserrer.Ilnes’étaitjamaissentiaussiimpuissantdetoutesavie. Ilauraitpu luiconseillerdes’endurcir,denepas laissercettedéception ladétruire,maisàquoicelaaurait-il servi?Ashleyétaitune femmeaucœur tendre,et luiun idiotd’essayerdelaconvaincred’oubliersonchagrinetdecontinueràvivrecommesiderienn’était.

Elle enfouit sonvisagedans sesmains, et il vit sagorge se contracter alorsqu’elles’efforçaitdesangloterensilence.

Ilfuttentédeluicaressersescheveux,maisilyrenonçaetlaissaretombersamainàsoncôté.Ilétaitladernièrepersonneaumondeàpouvoirlaconsoler.Uneautrefemmequ’elleluiauraitdéjàsautéàlagorge,etilsavaitqu’ilméritaittoutcequ’elleauraitpului

faire.—Ashley,murmura-t-il.Nepleurezpas,jevousenprie.Ellelevaversluisesyeuxnoyésdelarmesetécartad’ungestebrusquesescheveux

desonvisage.— Que je ne pleure pas ? rétorqua-t-elle. Que suggérez-vous d’autre ? Comment

avez-vouspumefaireunechosepareille?Etquediredemonpère?Continuez,Devon,dites-moi tout. A quel prix avez-vous estimémon avenir ? Qu’avez-vous obtenu dansl’affaire?

Ilsecontentadeladévisagerensilence,etAshleyinsista:—Dites-le-moi ! Je crois que j’ai le droit de savoir ce que vous avez négocié en

échangedemonbonheur.—Votrepèrem’ademandédevousépousercommeconditionpréalableàlafusion

entreTricorp Investments etCopelandHotels.Voilà.Etes-vous satisfaite ?Pouvez-vousmedirecequevousavezgagnéenlesachant?

—Celanemerendpasheureuse,maisjetenaisabsolumentàsavoirdansquelpiègejesuistombée,ouplutôtceluidanslequelmonpèrem’aprécipitée.Ai-jejamaiseuuneseulechanced’yéchapper?Aviez-vousdéjàréfléchiauxdifférentsmoyensdevousfaireuneplacedansmoncœuravantmêmedemeconnaître?

—Non!s’écria-t-il.J’étaissincère.Jen’aijamaiseubesoindefeindrel’attirancequej’éprouvepourvous.Jen’aipaseubesoindemeforcerpourvousfairelacouret,sijen’avaispasdésirévousépouser,aucuneoffredefusionn’auraitpumeconvaincredelefaire.Jepensetoujoursquenotreunionreposesurdesbasessolides.Pourquoifaudrait-ilquel’amoursoittoutdansunmariage?Lerespectmutueletl’amitiésontbeaucoupplusimportantsdansunerelation.

—Commentpuis-je respecterunhommequinem’aimepas et quim’amanipuléepourmefaireaccepterunmariagefondésurunmensonge?Toutlemondes’imagine-t-ilquejesuisunepetiteoieécerveléequidevraitêtrereconnaissantequ’unhommeoffredes’occuper d’elle ?Si c’est le cas, j’ai une surprise pour vous et pourma famille. Je nem’étaispasencoremariéeparcequec’étaitmonchoix.Jen’avais jamaiseuderelationssexuelles parce que je me respecte suffisamment pour ne pas me laisser imposer unesituationpourlaquellejen’étaispasencoreprête.Jen’aiquevingt-troisansetjen’étaispasencorecondamnéeàrestervieillefille.J’étaisheureuse.J’aimaismavie.

—Ashley,écoutez-moi,dit-ilensepenchantpoursaisirsesmainsdanslessiennes,cherchant son regard. A cet instant précis, vous êtes en colère, et vous souffrez.Maisn’écartezpaslapossibilitéquenouspourrionsvivreunmariageconfortable,unmariagedurable.Evitezdeprendredesdécisionsprécipitéesquevouspourriezregretterplustard.Prenez le temps d’y réfléchir à tête reposée. Vous pourrez alors envisager la situationd’unemanièreplusobjective.

—Allez au diable ! gronda-t-elle. Comment osez-vousme tenir un discours aussicondescendant ?Calme-toi,Ashley.Ne sois pas aussi stupide et naïve.Cesse d’espérer

deschosesaussiridiculesquel’amouretl’affectiondansunmariage.— Je crois que nous devrions remettre cette conversation à plus tard, dit-il d’une

voixtendue.Lorsquevousaurezeuletempsdevouscalmeretderéfléchiràvosparoles.Il se leva. Elle détourna précipitamment le regard, mais il avait eu le temps

d’apercevoirleslarmesquicoulaientsursesjoues.Ilauraittoutdonnépourlaserrerdansses bras et la laisser pleurer sur son épaule, la rassurer, lui promettre que tout allaits’arranger.Maisc’eûtétéridicule,carilétaitl’uniqueresponsabledeceslarmes.

— Je suis désolé,Ashley, dit-il d’une voix rauque. Je sais que vous neme croyezpas,maisjesouffreautantquevous.J’auraisfaitn’importequoipourvousépargnercettedouleur.

—S’ilvousplaît,allez-vous-en.Laissez-moiseule.Ilhésitauneseconde,puispoussaunsoupirrésigné.— Je vais dormir sur le sofa dans le salon.Nous reparlerons de tout cela demain

matin.Ildutpuiserdanssesréservesdevolontépourtrouverlaforcedetournerlestalons

etdesortirdelachambre.Toutsonêtreluicriaitdenepaslalaisserseule.Delaprendredans sesbrasetde l’obligerà l’écouter.Depersister jusqu’àcequ’elle reconnaissequeleurmariagepouvaitfonctionner,pourvuqu’ilsmettentdecôtélavolatilitéémotionnellequisemblaittoujoursaccompagnerlessermentsd’amour.L’exempledesesamisservaitàluiprouver l’inévitablevérité.Leursviesétaient jonchéesdecatastrophesémotionnellesprovoquéesparl’amouravecungrand«A».

Toutecetteangoisse,toutecettesouffranceaunomdel’amour!RafeetRyanavaientpassé une partie de leur vie dans une profonde détresse, parce qu’ils avaient ététotalementanéantis…parl’amour.

Réprimant une grimace, Devon s’affala sur le sofa dans le salon plongé dans lapénombre. Quellemagnifique lune demiel ! Sans doute avait-il toujours su qu’il étaitinévitable qu’elle apprenne la vérité un jour. Comment aurait-elle pu continuer del’ignorer ? Mais il avait espéré que cette découverte surviendrait beaucoup plus tard,lorsqu’ils auraient créédes liensplus forts entre eux.Elle aurait alors comprisque leurmariage n’était pas fondé sur l’amour ou l’émotion, la volatilité des sentiments et lavulnérabilité.

Amitié,soutienmutuel,confiance,respect.C’étaientcesvaleurs-làqu’ilapportaitdansleurmariage.L’amour?Quienavaitbesoin?C’était un sentiment brouillon, douloureux qu’il n’avait absolument pas envie de

connaître.

-10-

Ashleyétaitassisesurlaterrasseprivéedelasuite,leregardperdudansl’immensitéde l’océan où se reflétaient comme dans unmiroir rougeoyant les premiers rayons dusoleil. Elle se sentait vide. Anéantie. Comment avait-elle pu se montrer aussi stupide,aussinaïve?Savie,qu’elleavaitcruesiparfaite,n’étaitqu’unefaçade.

Elle avait passé toute la nuit blottie dans un fauteuil inconfortable, à s’efforcerd’assimiler lefaitqu’onluiavaitmentiàchaqueétape.Ons’étaitservid’elle,onl’avaitmanipulée,etpasseulementDevon,maisaussisonpère.Ettoutcelaaunomdesaffaires.

C’étaittoutbonnementincroyable.Pourquoi ? Pourquoi son père tenait-il tant à cemariage ? La considérait-il si peu

apte à gérer sa vie qu’il se soit cru forcé de lui acheter unmari ? Cette idée la faisaitgrimacer,maiselleétaitassezjuste.Auminimum,elleavaitservidemonnaied’échangeentrelesdeuxhommes.

Sesyeuxlabrûlaient,maisilsétaientsecs.Elleavaitdéjàtroppleuré.Elleneverseraitplusuneseulelarmepoursonmari.

Sonmari,songea-t-elle,laissantéchapperunrireamer.Qu’allait-ellefaireausujetdecemariagequin’étaitqu’unesinistrefarce?

Elle ferma les yeux, luttant contre une nouvelle vague d’humiliation. Elle s’étaitcouvertederidicule.Lorsqu’ellesongeaitàlafaçondontelles’étaitcomportéedepuisunmois,elleavaitenviedemourir.

S’était-ilmoquéd’ellesur toute la ligne?Avait-il fait riresesamisen laprésentantcommeunepetitegourdecrédule?Ellen’aimaitpasimaginerqu’ilaitpusemontreraussicruel, mais l’homme qu’elle avait eu en face d’elle hier soir avait été d’une franchisebrutale,lorsqu’ellel’avaitsommédeluidiretoutelavérité.

L’heureétaitvenued’affronterlafroideréalité.Elleavaitvécudansunfantasme.Elleeffleurasestempesduboutdesesdoigts,sentantrevenirsamigraine.Maiscette

douleurn’étaitrien,comparéeàlasouffrancequiluidéchiraitlecœur.Devait-ellelequitter?Demanderledivorce?Ellepourraitretourners’installerdans

sonappartement.Mettrecettebrève relationaucomptedes leçonsapprisesà ladure. Ilétait peu probable, à ce stade, que son père annule l’accord de fusion qu’ils avaientnégocié, carDevon avait respecté les termes de leurmarché.Ce n’était pasDevon quisouffraitdurésultat.C’étaitelle.Et,àl’évidence,toutlemondeavaitpenséqu’elleétaitladernière personne au monde qu’il convenait de consulter, même s’il s’agissait de sonavenir.

Mais l’idée de divorcer de Devon était aussi peu attrayante que la perspective decontinuer àvivredans ledésert stérile et froidqu’était devenu sonmariage.Elle aimaitDevon de tout son cœur, et l’amour ne pouvait s’allumer ni s’éteindre à volonté. Ellesouffrait,elleétait furieuseetsesentaithorriblement trahie.Maiselle l’aimaitencore,etelleregrettaitletempsoùl’harmonierégnaitentreeux.Letempsoùelleignoraitencorelasordideréalité.

Heureux les ignorants.Cesmotsne lui avaient jamaisparuaussi justes.Elle auraittoutdonnépour redevenir l’innocente jeune femmequicroyait auprincecharmantet àl’amour éternel. Durant un tout petit moment, Devon avait été ce prince. Il avait étéparfait.Elleavaitvuenluiquelqu’unqu’iln’étaitpas.Cen’étaitpassafauteàluisielles’étaitmontréeaussistupide.

Non,décidément,ellenevoulaitpasd’undivorce.Maisellenevoulaitpasnonplusvivresavieauprèsd’unhommequinel’aimaitpas.

Elle se remémora les propos qu’il lui avait tenus la veille. Ses critiques l’avaientpiquéeauvif.Ellen’avaitjamaisimaginéqu’ilpuisselavoirdansuneperspectiveaussinégative.Maisilétaitprobablementdanslevrai.

Elleétaitsansdoutetropimpulsive,tropétourdie,tropexubérante.Peut-êtredevrait-ellesecontrôlerdavantage,devenirplusprudente,apprendreàmieuxseprotéger.

Al’évidence, ilnevoulaitpasde lapersonnequ’elleétait. Iln’aimaitpas laAshleyCopeland impulsive, au cœur tendre et amie des bêtes, qui l’appelait à son travailuniquementpourluidirequ’ellel’aimait.

S’il ne voulait pas de cette personne, s’il ne l’aimait pas, il ne lui restait que deuxoptionspossibles:divorceroudevenirlafemmequ’ilpourraitaimer.

Pouvait-iltomberamoureuxd’elle?Safamillel’avaittoujourstrouvéetropcrédule,tropnaïve.Apparemment,c’étaitlecas.

Laseulepersonneaumondequisemblaitencorecroirequ’AshleyCopelandétaitunepersonnetoutàfaitnormale,c’étaitAshleyelle-même.Or,ilapparaissaitdeplusenplusclairementquesonjugementn’étaitpastrèssûr.

L’heureétaitvenuepourelled’accomplirunetransformationradicale.Mais cette idée ne l’excitait guère et n’insufflait aucun enthousiasme dans sa

morosité.C’étaituneidéedéprimante,etellesedemandasiDevonméritaitdetelsefforts.Son amour serait-il une compensation suffisante pour de tels sacrifices, même en

admettantqu’ellepuisselefairenaître?Unepetitevoixdanssaconscienceluichuchotaitqu’ilétaittempsdegrandir.Etcette

voixressemblaitétrangementàcelledeDevon.Sonpèreétaitvisiblementdumêmeavis.Peut-êtreavaient-ilstousdeuxraison.

Elle se raidit en entendant un bruit de pas sur la terrasse. Elle savait que c’étaitDevon,maisellen’étaitpasencoreprêteàl’affronter.

—Etes-vousrestéeicitoutelanuit?s’enquit-ild’unevoixdouce.Elleacquiesçasansseretourner,leregardtoujoursfixésurl’océan.Devonalla jusqu’à la solidebalustradedepierre entourant la terrasseprivée et, les

mains au fond de ses poches, resta un instant à contempler, comme elle, l’immensitéliquide.Puisilsetournaverselle,s’adossantàlabalustrade.

Il avait l’air au moins aussi fatigué qu’elle, constata-t-elle. Ses cheveux étaient endésordre,etilportaitlesmêmesvêtementsquelaveille.

—Ashley,cessezdevoustorturer.Iln’yaaucuneraisonpourquenousnesoyonspas heureux ensemble, quelles que soient les circonstances dans lesquelles nous noussommesmariés.

Ils’apprêtaitàrépéterlesmêmesargumentsquelaveille,et,pourdirelavérité,ellene supportait pas l’idée de réentendre qu’elle était naïve, impulsive et d’autres chosesencoredontill’accusait.

Elle levaunemainpour l’arrêter, constatant à sa grande irritationqu’elle tremblait.Puis elle se rendit compte qu’elle portait toujours la lingerie ultrasexy dont elle s’étaitparéepoursanuitdenoces.

Unnouveauflotdelarmesmontaquandellesongeaaudésastrequ’avaitétésanuitdenoces.Cequiauraitdûêtrelaplusbellenuitdesavieresteraitquoiqu’iladvienneunesortedetrounoirdanssonsouvenir.

— Je suis d’accord avec vous, coupa-t-elle avant qu’il se lance dans une nouvellelitaniedesesimperfections.

Ilsetutaussitôtetladévisagead’unairperplexe.—Vraiment?—Vousavezabsolumentraison,confirma-t-elle, luttantcontre l’impressionque les

motss’accrochaientdanssagorge,refusaientdefranchirseslèvres.C’était immaturedemapart.Lesespérancesquej’entretenaisn’étaientpasréalistes,et jenedevraispas leurpermettred’interféreravecnotremariage.

Iltressaillit,maisdemeurasilencieux.—J’acceptequenousessayions,aumoins temporairement,de faire fonctionnerce

mariage,enattendantdevoircommentnotresituationprogresse.Cettedéclarationluifitfroncerlessourcils,mais,sansluilaisserletempsd’objecter,

elleluiopposaunregardglacé.—Réjouissez-vousquejenesoispasdéjàdansl’avion,enroutepourconsulterun

avocatdedivorceàNewYork.Ilpoussaunsoupir,puisilhochalentementlatête.—D’accord.Combiendetempscroyez-vousquedureracettepérioded’essai?

—Comment le saurais-je ? répliqua-t-elle avec un haussement d’épaules fataliste.J’ignorecombiendetempsilmefaudrapourrenonceràtoutespoird’êtreheureusedanscemariage.

—Ashley…—Devon, coupa-t-elle, je n’essaie pas de vous punir. Je m’efforce seulement de

conserverlesdernierslambeauxdemadignité.Ilpâlit,etune lueurdouloureuse traversasonregard.Ellen’avaitpaseu l’intention

de le blesser, car cela n’aurait pas résolu leur problème. Cela ne lui rendrait pas sonbonheurperdu,mais,aucontraire,laferaitsesentirencoreplusmalheureuse.

— Vous semblez croire que nous pouvons être heureux dans ce mariage.Personnellement, je n’éprouve aucune joie à l’idée d’être mariée à un homme qui nem’aimepas,maisjesuisprêteàletenter.Vousavezraison,jenedevraispaslaisserunesottisecommel’amourentrerdansl’équation.

—Ashley,j’éprouvedeprofondssentimentspourvous…—Je vous en prie, l’interrompit-elle.Ne dites rien.N’essayez pas dem’amadouer

avec des platitudes. La liste de mes défauts supposés a été pénible à entendre, maisapprécie-t-onjamaisd’entendreunteljugement?Jesuisnéanmoinsprêteàfairedemonmieuxpourréprimermonexubérancenaturelle,monimpulsivitéettoutcequevousavezmentionné.Jem’efforceraid’êtreuneaussibonneépousequepossibleetdenepasvousdécevoir.

Elle l’entendit réprimer un juron, mais elle l’ignora et continua sur sa lancée,craignantdeperdretoutcourage:

—Enéchange,jevousdemanderaiseulementunefaveur,dit-elled’unevoixfaible.Elles’efforçaitvaillammentdenepass’effondrerdenouveaudevantlui.Elles’était

suffisammentridiculiséeàsesyeux.C’étaitapparemmentunehabitudechezelle.Ilserraitleslèvres.Sesyeuxs’étaientassombrissousl’effetd’uneviolenteémotion.

Aumoins,iln’étaitpasindifférentàsadétresse.— Jeme sens immensément humiliée par la situationoù jeme trouve, poursuivit-

elle.Maisjem’efforceraidedeveniruneépousedontvouspuissiezêtrefier.Toutcequeje vous demande, c’est de ne pas m’embarrasser devant ma famille en évoquant nosproblèmesdevantdestiers.Defairesemblantquetoutvapourlemieux,aumoinsdevanteux.

—Bontédivine,Ashley!Vousagissezcommesijen’avaisqueméprispourvous.Jenemepermettraisjamaisdevousembarrasser.

—Ceque jeveuxdire, c’estqu’il ne fautpasqu’ils sachentquevousnem’aimezpas, précisa-t-elle d’une voix étranglée. Si vous pouviez vous comporter… comme unvrai mari en leur présence, je vous en serais reconnaissante. Ne me traitez pas avecindifférence,maintenantquevousn’avezplusbesoindefairesemblantdem’aimer.

A cet instant, une autre idée surgit dans son esprit, et elle fut prise d’une vaguenausée.

—Qu’ya-t-il ? s’enquitDevonen lui lançantun regard scrutateur.Vous avez l’airmalade.

—Ya-t-ilquelqu’und’autredansvotrevie?demanda-t-elled’unevoixtremblante.Aviez-vous jamais envisagé d’être fidèle ? Je ne resterai pasmariée avec vous si vousavezdesmaîtresses.

Jurant de nouveau, Devon s’agenouilla devant le fauteuil où elle était blottie et lasaisitdoucementparlesépaules.

—Arrêtez,Ashley.Vousvous torturez inutilement. Iln’yaaucuneautre femme. Iln’yenaura jamais aucune. Jeprendsmesvœuxdemariage très au sérieux. Il n’y a euaucuneautrefemmedansmavie,etcedepuisbienavantquevousn’apparaissiezdanslepaysage.Jen’aiaucundésird’avoirdesmaîtresses.C’estvousquejedésire.Jesouhaitaisquevoussoyezinforméedelavéritédèsledébut,maisvotrepères’yestopposé.C’estlàmon erreur. J’aurais dû ignorer son opinion et vous mettre au courant. Mais cela nechangerien.Jedésiretoujoursquenousrestionsmariés.

Ellefermalespaupièresd’unairlasetsemassadoucementlestempes.Lesoleilquis’élevaitau-dessusde l’horizonbaignait la terrassedansune lumièrecrue,etchacundesesrayonsblessaitsesyeuxcommeuntraitbrûlant.

—Encore une de vosmigraines ? s’enquit-il d’un ton inquiet. Avez-vous apportévotremédicament?

Elle rouvrit lesyeux,clignantdespaupièrescommesielles’efforçaitdeconcentrersonregard,avantdemurmurer:

—Jeveuxrentrer.—Ne soyez pas déraisonnable, répondit-il d’un air sombre. Vous devriez prendre

votremédicamentetdormirunpeu.Vousvous sentirezmieux lorsquevousvous serezreposéeetlorsquevousaurezmangé.

— Je ne resterai pas ici pour prétendre que tout est normal.Cela n’a pas de sens.Vous avezmême été jusqu’àm’amener dans cette île où vous construisez un complexetouristique,probablementdanslebutdesurveillerlesprogrèsdevotrechantier.Alors,neme dites pas que je suis déraisonnable de vouloirme dispenser de la lune demiel decontedefées.Vousetmoisavonsquetoutcecin’estquecomédie.

Un muscle tressauta dans sa mâchoire, et il se leva de nouveau, détournantbrièvementleregard.Lorsqu’illuifitdenouveauface,unelueurd’irritationbrillaitdanssesyeux.

—Vousinsistiezpourquejesimuledevantvotrefamille.Pourquoirefuserdefairesemblantmaintenant?

— Parce que je me sens malheureuse et qu’il va me falloir du temps pour mereprendre,répliqua-t-elled’untonfroid.Ecoutez,nouspourronsleurexpliquerquejenemesentaispasbien.Oubienvousprétexterezuneurgenceaubureau.Personnedansmafamilledecapitalistesnetiqueraàl’idéequelesaffairespassentavanttout.

—Jevaisallercherchervotremédicament,ditDevond’unevoixradoucie.Ensuite,

jeveuxquevousalliezvousreposer.Si,àvotreréveil,vousinsistezencorepourpartir,jeréserverainotrevolpourNewYork.

-11-

Elledormit,parcequelecompriméqueDevonluiavaitfaitprendreneluiavaitpaslaisséd’autrechoix.Elleavaitrarementrecoursaumédicamentqu’onluiprescrivaitpoursesmigraines,parcequ’illarendaitinsensibleàtout.

Lorsqu’elleouvritlesyeux,elleétaitseuledanslelit,etl’après-miditouchaitàsafin.Lamigraineluitenaillaitencorelestempeset,lorsqu’elleseredressatroprapidementdansle lit, elle fut prise d’une nouvelle nausée. Portant sa main à son front, elle prit uneprofondeinspirationets’efforçadesurmontercetaccèsdefaiblesse.

La chambre était plongéedans la pénombre, les rideaux tirés, les lumières éteintes.Devons’étaitassuréqueriennevienneperturbersatranquillité.

Peu de temps auparavant, elle aurait été touchée par cette sollicitude.Aujourd’hui,ellel’attribuaitàsaculpabilité.

Elle resta un moment assise sur le bord du lit, la tête dans les mains, à tenter deretrouversesrepères.Puis,elleselevaetallad’unpasvacillantjusqu’àsavaliseouvertesurleporte-bagages.

Elleôtarageusementsachemisedenuitdesoiequ’elleavaitenfiléelaveilleavectantd’excitationetlajetadanslacorbeilleàpapier.Ellenevoulaitplusjamaislarevoir.

Ignorantlestenuesélégantes,lesmaillotsdebainetlerestedelalingeriesexyqu’elleavait apportés, elle sortit un jean délavé et un T-shirt. Après une brève hésitation, ellerenonçaauxchaussures.Elleavaitenviedefaireunelonguepromenadesurlaplageafind’essayerdedissipersamigraine,et,pourcela,ellen’enauraitpasbesoin.

Devonn’étaitpaslà,etelleignoraits’ilétaitencoredanslasuite.Elledécidadesortirpar la terrasse. La brise du large fouetta ses cheveux sitôt qu’elle eut franchi les baiesvitrées. Respirant à pleins poumons les effluves marins, elle descendit les marches depierremenantjusqu’àlaplage.

Malgréladouceurdel’air,ellesesentaitglacéejusqu’auxos,etellefrissonnalorsquesespiedsnusfoulèrentlesable.

C’était une soirée parfaite. Le ciel était illuminé comme si desmillions de lucioles

avaientprisleurvolpourdansersurlatoilesombredelavoûtecéleste.Toutauboutdel’horizon, lepâledisquede la lunecommençaitàpeineàs’éleverau-dessusde l’océan,faisantmiroiterlahoulemouvante.

Attirée par ce spectacle fascinant, elle s’aventura tout au bord de l’eau, là où lesvaguesvenaientlécherlesabletoutprèsdesespieds.

Elles’arrêtaetlaissal’eaucaressersesorteils,envelopperseschevilles.Elledemeuraun instant immobile, à rêver face à l’immensité de l’océan, les yeux dans les étoiles,regrettantqu’ilne lui suffisepasde faireunvœupour se sortirde l’impasseoùelle setrouvait.Maisunmilliondevœuxnesuffiraientpasàréparercequiavaitétébrisé.Sanscompterquec’étaitàtroprêverqu’elles’étaitplacéedanscettesituation.

Des rêves stupides.Un idéalisme idiot.Elle avait étébien sotted’attendre l’hommeidéalpourrenonceràsavirginité,deregarderunpeudehautsesamiesquiavaientfaitunautre choix depuis longtemps. Elles, aumoins, avaient choisi en toute connaissance decause.Ellesn’avaientpas fait labêtisede confondre commeelle le sexeet l’amour.Cen’étaitpasellesquipassaientleurlunedemielavecunemigraineatroceetunmariquinelesaimaitpas.

Ellesavaientétébienaviséesdeconsidérertranquillementtouteslesoptions.Ashley,desoncôté,avaittoutdudindondelafarce.

Tirantsontéléphonedesapoche,ellepassaenrevuesonrépertoire.Encet instant,elleauraitbieneubesoinduréconfortd’uneamie,maisellehésitaitencoreàenvoyerunmessage. Elle ne se sentait déjà que trop humiliée. Supporterait-elle d’avouer à sesamies—neserait-cequ’àuneseuled’entreelles—lavéritéausujetdesonmariage?Oubien rentrerait-elle pour vivre un mensonge en espérant que Devon jouerait commeconvenusonrôledeparfaitmari?

Parviendrait-elleunjouràconquérirsoncœur?Lamaintenantletéléphoneretombaàsoncôté,etelleremitl’appareildanssapoche.

Qu’aurait-ellepuleurdire?Mariageraté.Lunedemielratée.Savieserésumaitenquelquescaractères.Ellefourrasesmainsdanslespochesdesonjeanetfermalesyeux,regrettantdene

pouvoir remonter le temps, ne serait-ce qu’une minute. Elle lui aurait posé d’autresquestions. Elle aurait remarqué qu’il ne lui avait jamais dit qu’il l’aimait, alors qu’elle-mêmeleluirépétaitchaquejour.

Elleavaitsupposéqu’ils’agissaitd’uncomportementmasculintypique.Devonétaitunhommeréservé.Unpeuintimidant,même.Maiselleavaitétéfollementséduiteparcesqualités.Elle les trouvait sexy.Elle était convaincue qu’il l’adorait en silence et que lesactesétaientpluséloquentsquelesmots.

Jamaisellen’avait envisagéune seule secondeque sesactionspuissentêtre le fruitd’uncalcul,d’unmensongedestinéàlamanipulerplusfacilement.

Ellefutsaisied’unnouveaufrissonetserralesdents.

—Assez!dit-elleàvoixhaute.Ellen’avaitcessédesetorturercesdernièresvingt-quatreheures,maisc’étaitDevon

quiétait leméchantdanscettehistoire.Paselle.Ellen’avait rienfaitdemal.Lanaïvetén’étaitpasuncrime.Aimern’étaitpasuncrime.Ellenes’excuseraitpasd’avoiroffertsonamour,saconfianceetsafidélitéàunhommequinelesméritaitpas.

C’étaitluiquiavaittort.Paselle.L’uniquefacteurqu’ellepouvaitencoreespérercontrôler,àcestade,étaitcequ’elle

feraitdecettenouvelleréalité.Ilnes’agissaitplusdesavoircequeDevonsouhaitaitounesouhaitaitpas.S’ilpouvaitseconduireenmonstreégoïste,elleavaitaumoinsledroitderéfléchiràcequ’ellepouvaitencoresauverdecefiasco.

Puis elle éclata d’un rire amer, car tout ce qu’elle désirait, c’était justement que cemonstrel’aime.

Non, décidément, elle ne pouvait pas envoyer de message à Sylvia, à Carly ou àTabitha. Encore moins à Pippa, qui la traînerait derechef chez un avocat spécialisé endivorce,avantd’engageruntueuràgagespourfairedisparaîtreDevon.

Deplus,sesamiesluidiraientqu’elleétaitstupidedevouloirresterdanscemariage.C’était peut-être vrai, mais elle n’avait pas envie qu’on le lui rappelle. Elle avait déjàcommis une erreur. Ce ne serait ni la première ni la dernière. Et, si cela aussi devaits’avérer être un échec, elle pourrait au moins plaider l’incompatibilité d’humeur, sansavoir besoin d’avouer à la terre entière que sonmariage s’était désintégré en vol avantmêmed’avoirquittélapiste.

Il lui restait tout justesuffisammentd’orgueilpoursauver laface.Quipourrait l’enblâmer?

Apeine réconfortéepar l’idéede reprendre lecontrôled’unesituationparfaitementincontrôlable,elleretournasursespas.Elleavaitfaim,maislaseuleidéedenourriturelafaisait se sentir nauséeuse, et sa migraine était devenue si forte qu’elle ne pourraitprobablementrienavaler.

Elle était encore àunebonnedistancedesmarches conduisant à la terrassede leursuitelorsqu’elleaperçutDevonquivenaitàsarencontresurlesable.

Après tant de longues heures passées à réfléchir à ce qu’elle devait faire de cettesituation,ellen’était toujourspasprêteà lui faireface.Commentpourrait-ellecontinuercomme si de rien n’était, alors qu’elle venait d’apprendre qu’il n’était pas du toutl’hommequ’elleavaitépousé?Ilsétaientdevenuscommedesétrangersl’unpourl’autre.Desétrangers intimes,quivivraientdésormaissouslemêmetoitetafficheraient l’imaged’uncoupleamoureuxauxyeuxdesobservateursextérieurs.

Elle n’avait aucun manuel pour la guider dans cette situation, personne pour laconseiller. Elle ne jouait pas très bien la comédie et elle détestait mentir. Mais c’étaitpourtant ce qu’elle lui avait demandé de faire. C’était ce qu’elle venait à l’instant dedéciderqu’elleferaitaussi.Devantsesamis.Devantsafamille.Devantlemondeentier.

— Où diable étiez-vous ? demanda Devon en arrivant près d’elle. J’étais fou

d’inquiétude.Jesuisallévoircommentvousalliez,etvousaviezdisparu.Sans lui laisser le temps de répondre, il la saisit par le coude et l’entraîna vers la

lumièredestorchesalluméeslelongdelaplage.—Votremigrainenevousapasquittée,n’est-cepas?observa-t-ilalorsqu’ellecillait

danslalueurdesflammes.Pourtouteréponse,ellesecoualentementlatête.—Bon sang,Ashley,pourquoin’êtes-vouspasvenueme trouver ?Ou, aumoins,

avoirprisunautrecomprimé?Vousdevriezêtreaulit.Deplus,vousn’avezrienmangéaucoursdesdernièresvingt-quatreheures.Vousêtespâlecommelamort,etjevoisbienquevoussouffrez.

Elleseraiditalorsqu’iltendaitdenouveaulamainverselle,mais,encontrasteavecletondesavoix,lecontactdesesdoigtsétaitinfinimentdélicat.Ill’attiraàluiet,unbrasautourdesataille,ilrepritavecellelechemindeleursuite.

Dans un élan irraisonné, elle posa sa tête sur son épaule et ferma les paupières,confiantequ’ilguideraitaumoinssespasdansl’escalier.Ilresserrasonétreinteautourdesataille,puis,àsagrandestupéfaction,illasoulevadanssesbrasetentrepritdelaporterleresteduchemin.

—Posezvotretêtesurmonépaule,dit-ild’untonbourru.Elles’exécutadocilement,sedétendantcontrelui,et,letempsd’uninstant,selaissa

envelopperavecdéliceparladoucechaleurdecetteétreinte.Ilétaitbienagréabledefairesemblantd’aimer.Devon la porta à l’intérieurde la suite et jusquedans la chambre toujoursplongée

dansl’obscurité,puisladéposaavecprécautionsurlelit.—Nevoussentiriez-vouspasplusàl’aisesansvotrejean?Ellen’eut pas le loisir de lui répondre, car, déjà, il s’attaquait aubouton et tirait la

fermetureàglissière.L’instantsuivant,ilfitadroitementglisserlejeansursesjambes,etelleseretrouvauniquementvêtuedesaculotteetdesonT-shirt,satêtesurlafraîcheurdel’oreiller,àsouhaiterdetoutessesforcesquesamigrainedisparaisse.

—Jevaisvousapporterunautrecomprimé,maisjenecroispasqu’ilsoitsagedeleprendresurunestomacvide,murmura-t-ilens’asseyantsurleborddulitpoureffleurertendrement ses cheveuxd’une caresse.Et je vais aussi vous fairemonter une soupedelégumes.Aimeriez-vousquelquechoseàboire?Unjusdefruits,peut-être?

Sous la caresse de ses doigts, elle sentit un flot de larmes brûlantes monter à sespaupières,etellelesrefoulaavecirritation.Cetterelationnefonctionneraitjamaissielleéclatait en sanglots chaque fois qu’il semontrait prévenant ou tout simplement aimableavecelle.

Et,d’ailleurs,ilseconduisaitexactementcommed’habitude.C’étaitl’undestraitsdecaractère qu’elle aimait chez lui, et qui lui avaient fait penser qu’il l’aimait même s’iln’avaitjamaisprononcélesfameuxmots.Ils’étaitmontrési…douxavecelle.Prévenant.Protecteur.Unbrinpossessif.Unhommepouvait-ilfeindretoutcela?

—Lasoupem’iratrèsbien,répondit-elled’unevoixfaible.Ilcontinuaàcaressersescheveuxuninstant,puissamains’immobilisa,etilfronça

lessourcils.—Est-cequejevousdérange?Jen’aipasréfléchiàcequejefaisais.Jesuissûrque

vousdevezêtrehypersensibleàtoutcontactautantqu’aubruit.—C’était…agréable.— Je reviens dans une minute, le temps de commander votre soupe. Vous avez

besoindemangerunpeu.Celacontribuerapeut-êtreaussiàsoulagervotremigraine.Ellefermalesyeuxalorsqu’ilselevaitetsortaitdelachambre.Derrièrelaportedu

salon,savoixluiparvenaitcommeunmurmurealorsqu’ilappelaitleserviced’étage.Uninstantplustard,illarejoignitetposadélicatementsamainsursonfront.

—Lasoupearrivedansquelquesminutes.Jeleuraidemandéd’accélérerleservice.—Merci.Il demeura silencieux quelques secondes avant d’ajouter, d’une voix pleine de

résignation:—Jevaisprendredesdispositionspourquenousreprenionsl’aviondemainmatin.

Vousvoussentirezpeut-êtremieuxdansvotreenvironnementfamilier.Jenevoudraispasque vous souffriez de cette migraine durant toute la semaine que nous étions censéspasser ici. Là-bas, aumoins, vous aurez votre famille et vos amis pour vous entourer,et…vousaideràvoussentirmieux.

Elleacquiesçaensilence,lecœurlourd,déchiréderegrets.Leschosesauraientdûsepasser différemment. Ils auraient dû occuper toute cette semaine à faire l’amour, à rireauxéclats.Chaqueminuteauraitdûêtreconsacréeàsedécouvrirl’unl’autre.

Aulieudecela,ilsrentraientpourfairefaceàunavenirincertain,unmondetoutàcoupétranger,oùilluifaudraitsurveillertoutessesparoles,toutessesactions.

Cette idée l’effrayait. Et si elle échouait ? Et si ces efforts pour le conquérirs’avéraientêtrevains?

«Danscecas,ilneteméritepas»,susurralapetitevoixdesaconscience.Elle le savait déjà.La part intelligente et lucide d’elle-même le savait et l’acceptait.

Mais elle le désirait. Elle avait soif de son amour, de son approbation. Elle désiraitardemmentqu’ilsoitfierd’elle.

Ettantpissicelalafaisaitparaîtreencoreplusstupide.Ellepouvaitvivreaveccetteidée.Cequ’ellenepouvaitaccepter,en revanche,c’étaitde tourner ledosàcemariageavantd’êtrecertainequeriennepouvaitlesauver.

—Toutiramieuxlorsquenousseronsrentrés,murmura-t-elle.Samains’immobilisasursescheveux,etildemeurauninstantsilencieux,semblant

réfléchiràcesparoles.Unetensionpresquepalpableémanaitdesoncorps.Puisonfrappaquelquescoupsdiscretsàlaporte,etilselevadenouveau.—Cedoitêtreleserviced’étage.Nebougezpas,jevaisapprocherlechariot,etvous

pourrezmangeraulit.

Ilrevintmoinsd’uneminuteplustard,poussantunchariotargentéjusqu’aupieddulit. Dès qu’il eut soulevé la cloche qui protégeait le grand bol de soupe, un délicieuxarômeserépanditdanslachambre.Ashleyseredressaets’assitentailleurdanslelit.

— Attention, c’est chaud, prévint Devon en plaçant le plateau devant elle. Voussentez-vousunpeumieux?

Elle acquiesça, puis, portant le bol fumant à ses lèvres, ferma les yeux et inhala lemerveilleux fumet avant de siroter la première gorgée.C’était une sensation divine. Lachaleurdelasoupedescenditjusquedanssonestomacets’yinstallaconfortablement.

—Est-cebon?murmuraDevonens’asseyantprèsd’ellesurlelit.—Merveilleux.Ilrestalààl’observerpendantqu’elleavalaitunebonnepartieduboldesoupe,puis

ilsortitleflacondecomprimésdutiroirdelatabledenuit.—Tenez,prenezcela.Lorsquevousaurez terminé,vouspourrezvousallonger, et,

avecunpeudechance,vousdormirezjusqu’aumatin.Jevousréveilleraiàtempspournepasmanquer notre vol.Ne vous faites aucun souci, jem’occupe de tout. Je vais aussifairevosbagages.Demainmatin,vousn’aurezqu’àvoushabilleretnousseronsprêtsàpartir.

Malgré son désarroi,malgré toute sa colère, elle devait reconnaître qu’ilmettait unpointd’honneuràveillersurelle.Elles’adossaauxoreillers,sonbolentre lesmains,ettournalesyeuxverslui.

—Merci,dit-elled’unevoixdouce.Unéclairdesouffrancetraversasonregardd’ambre.— Je sais qu’à ce stade vous neme croyez probablement pas, murmura-t-il, mais

avecletempsvousverrezpeut-êtreleschosesdifféremment.Jen’aijamaiseul’intentionde vous faire souffrir,Ashley. J’aurais tout donné pour que vous soyez heureuse avecmoi.

Lagorgeserrée,elleportadenouveaulebolàseslèvres.Qu’aurait-ellepurépondreàcela?Ellesavaitqu’iln’étaitpasunhommemalveillant.Siellen’avaitpasdécouvertlavérité touteseule,elleétaitpresquecertainequ’ilauraitgardésonsecretpour lui.Peut-êtrepensait-ilmêmeluirendreserviceenlaprotégeantd’uneréalitépeureluisante.

Illuipritleboldesmains,puisrelevadoucementsonmentonetplongeasonregarddanslesien.

—Vousverrez,Ashley.Nousréussirons.—J’essaierai,Devon,répondit-elled’unevoixfaible.J’essaierai.Ilsepenchaverselleetdéposaunbaisersursonfront.—Reposez-vous.Jeviendraivousréveillerdemainmatin.

-12-

PourAshley,lamatinéedulendemainsedérouladansunesortedebrouillard.Devonla réveilla, et, constatant que sa migraine ne l’avait pas quittée, il commanda un petitdéjeunerlégeretrestaprèsd’ellependantqu’ellel’avalait,aucasoùelleauraiteubesoinde lui. Puis, il l’aida à s’habiller et la porta quasiment jusqu’à la limousine qui lesattendait.

Ilsserendirentàl’aéroport,et,unefoisàborddel’avion,ill’installaàsaplaceetluifit prendre un autre comprimé. Il plaça un oreiller sous sa tête, la recouvrit d’unecouvertureets’assuraquetousleshublotsautourd’elleétaientfermés.

Elleglissadansunebienheureuseinconsciencealorsquel’appareildécollait,laissantderrièreeuxl’îleensoleilléepourretournerverslefroiddeNewYork.

Aprèsl’atterrissage,Devonl’entraînaversuneautrevoiturequilesattendait.Elleserendormit sur la banquette arrière, la tête sur son épaule, et il la réveilla doucementlorsqu’ilss’arrêtèrentdevantleurimmeuble.

—Noussommescheznous,Ashley.Chez nous. Elle apercevait la façade de l’immeuble à travers la vitre embuée. Un

courant d’air froid fit irruption dans l’habitacle lorsque Devon ouvrit sa portière pourdescendre. Iléchangeaquelquesmotsavec leportier,puis il revintvers lavoitureet luitenditsamainpourl’aideràdescendreàsontour.

—Doucement,murmura-t-ilalorsqu’elleposaitlepiedsurletrottoir.Unbrasautourdesataille,illaguidajusqu’àlaportedel’immeuble,quel’employé

leurtenaitouverte.Al’intérieur,ilnerelâchapassonétreinte.Illagardaserréecontreluidans l’ascenseur et jusqu’à ce qu’ils soient entrés dans sonappartement.Leurappartement.Elleavaitencorequelquedifficultéà faire ladistinctiondanssonesprit.

Leurappartementétaitdéjàencombrépartouteslesaffairesqu’elleyavaitapportées.Elle avait fini par s’y installer à demeure avant leur mariage. Devon avait suggéré deprendrelesservicesd’unefemmedeménage,uneclairesuggestionqu’iln’appréciaitpas

sa notion un peu bohème du rangement. Elle soupira. Encore un autre défaut qu’il luifaudraitcorriger.

Danslachambre,Devonsortitd’untiroir l’undesT-shirtsqu’ilportaità lasalledegymetlejetasurlelit.

— Vous devriez ôter ces vêtements de voyage et enfiler quelque chose de plusconfortable.Jevousréveilleraipourledînerafinquevousmangiezunpeu.

—Jepréféreraissimplementm’allongersurlesofa,observa-t-elleenramassantleT-shirt.

Ellevitsonexpressions’assombrir,etellesedemandacequ’elleavaitbienpufairepour s’attirer sa désapprobation. Puis elle comprit dans un éclair qu’il avait supposéqu’ellenedormiraitpasdansson—leur—lit.

C’étaituneéventualitéquinel’avaitmêmepaseffleurée.Danssonesprit,sielleallaitrester avec lui et s’efforcer de faire fonctionner leur mariage, il en découlait toutnaturellementqu’ilsdormiraientensemble.

Maispeut-êtres’était-elleunpeutropavancéeenfaisantcettesupposition.Elles’assitsurleborddumatelas,l’espritencoreengourdiparsonmédicament,etsefrottalesyeuxd’ungestelasavantdeconcentrersonregardsurlui.

—Jevoulaisseulementdireque,lorsquej’ailamigraine,jemesensparfoismieuxsijeresteassiseplutôtqu’allongée,expliqua-t-elle,sesentantsoudaintrèsvulnérable.Pourlereste…j’avaissupposéquenouscontinuerionsàpartagerlemêmelit.Maisj’ignoresic’estcequevousdésirez.

—Vousdormirez dansmon lit toutes les nuits, réponditDevon, s’inclinant devantellepourplacer sesyeuxauniveaudes siens.Quenous faisionsounon l’amour, vousserezprèsdemoi,dansmesbras.

—Trèsbien,alors,murmura-t-elle.—Aprésent,dit-ilenseredressant,sivouspréférezlesofa,enfilezceT-shirt.Jevais

allervouschercherunecouvertureetdesoreillers.Elle acquiesça en silence et le suivit des yeux tandis qu’il s’éloignait.Restée seule,

ellebalayaduregardlapièceencombréedetoutessesaffairesetellesoupira.Sitôtqu’elleseraitdébarrasséedecettemigraine,elleallaitprocéderàungrandnettoyage.Celafaisaitdesjoursqu’ellen’étaitpasretournéetravailleraurefuge,maissesprotégésétaiententrede bonnesmains, et ils pouvaient attendre sans risque qu’elle ait remis un peu d’ordredanslerestedesavie.

Devon retournerait probablement travailler dès le lendemain matin, ce qui luilaisserait tout le tempsnécessairepours’organiser.Ellen’étaitpasfaitepour lasolitude.Elleavait toujoursétéentouréed’une fouledegens.Danssa famille, ilyavait toujoursquelqu’unpourluitenircompagnie.Etpuis,ilyavaitsoncercled’amies,toujoursprêtespourunebonneséancedebavardagesentrefilles.

Maisquepouvait-elle leur raconter ?Que sonmariageétaitmerveilleux?Que sonmarilacomblait?Quesalunedemielavaitétéundésastre?

Son cerveau était trop embrumé pourmême essayer d’analyser la question de sesrelationsàcetinstantprécis.EllesedéshabillaetseglissadansleT-shirtdeDevon,puisportasesvêtementssalesjusqu’àlasalledebainsetlesdéposadanslacorbeilleàlinge.Devonpréféraitpeut-êtrenepasmélanger leursaffaires,maisellen’avait encoreaucunendroitàelle.Unautredétailàajouteràsaliste.

En ressortant dans le salon, elle vit qu’il lui avait préparé des oreillers et unecouverture. Devon sortit de la cuisine alors qu’elle reposait sa tête avec délice sur lesoreillers, et il la recouvrit jusqu’aux épaules avec la couverture. Puis il prit place prèsd’ellesurleborddusofa.

—Voussentez-vousmieux?— Ma migraine est un peu passée, reconnut-elle. Dans quelques heures, elle ne

devraitplusêtrequ’unmauvaissouvenir.J’aiseulementl’espritunpeuembruméàcausedecemédicament.Jen’avaisjamaiseuàprendretroiscomprimésdesuite.

Devon se rembrunit en comprenant la signification de ces paroles— à savoir queleurconfrontationavaitétéàl’originedelapiremigrainedetoutesavie.

—Danscecas,reposez-vousquelquesheures.Jereviendraitoutàl’heurepourvoirsivousavezfaim.Nousdîneronsici,biensûr.Jepeuxcommandercequ’ilvousplairaouvouspréparerquelquechosemoi-même.

Elleacquiesçaensilence.—J’aiquelquescoupsdefilàpasser,ajouta-t-il.Jedoisinformervotrefamilleque

noussommesrentrés,etpourquoi.—Quecomptez-vousleurdire?s’enquit-elle,soudaininquiète.—Quevoussouffriezd’unemauvaisemigraine,etquenousavonspenséquevous

voussentiriezmieuxdansvotreenvironnementfamilier.Soulagéeparcetteréponse,ellesedétendit.— Ils insisteront pour accourir immédiatement ici, observa-t-elle.Maman, en tout

cas.Dites-leurdenepassedéranger,jevousenprie.Ditesàmamèrequejel’appelleraibientôt.

—Biensûr.Aprésent,reposez-vous.Jem’occuperaidudînerplustard.Il déposa un baiser sur son front, remonta la couverture jusqu’à sonmenton, puis

sortit rapidementenéteignant toutes les lumières.Seuledans l’obscurité,elleentendit laportedesonbureauserefermerderrièrelui.

Lorsque Devon rentrait le soir, il s’isolait souvent un moment dans son bureaupendant qu’elle regardait la télévision ou commandait leur dîner. Mais, dans cesoccasions,ellenes’étaitjamaissentieaussiseulequ’aujourd’hui.C’étaitparcequ’ellelesavait tout près, et qu’elle avait théoriquement ledroit d’entrer le rejoindre àn’importequelinstant.Mais,désormais,ungouffrelesséparait,etilauraitpuaussibiens’êtreretirésurlalune.Ellenesesentaitpasledroitdeledéranger.

Auboutdequelquetemps,lebrouillardquiluiobscurcissaitlecerveaucommençaàsedissiper,etellesepréparaauretourinévitabledeladouleur.Maisseulesubsistaitune

pulsationsourdederrièreses tempessignalant lafindelapiremigrainequ’elleaitsubiedepuisaumoinsdeuxans.

Son médecin attribuait ces migraines récurrentes au stress émotionnel. Elle avaitsouffertsespirescrisesàl’époqueoùsesparentss’étaientbrièvementséparésetqu’elleavaitcraintqu’ilsnesongentàdivorcer.

Personne dans sa famille n’avait jamais envisagé qu’ils en viennent à une telleextrémité,carsesparentss’adoraient,c’étaitévident.Laséparationn’avaitd’ailleurspasduré longtemps. Ses parents avaient résolu leurs problèmes, quels qu’ils aient pu être.Sonpèreavaitregagnéledomicileconjugaletilsétaientredevenuslecoupleuniqu’elleavaittoujoursconnu.

Mais, durant toute la période de leur séparation,Ashley s’était sentie affreusementmalheureuse,et,danssonconstantétatdetension,elles’étaitbattueaumoinsunefoisparsemaineavecde terriblesmigraines.Elle s’impliquaitbeaucoup tropdans lemondequil’entourait,ettoutl’affectait.Mais,biensûr,c’étaitsoncaractère,etellenepouvaitrienychanger.

Ellesoupira.Siellesouhaitaitgarderl’espoirdenepaspasserl’annéeàveniraulit,assomméeparlesmédicaments,elleallaitdevoirs’endurcir.Ellenepouvaitpascontinueràtoutabsorbercommeuneépongeetàréagirdefaçonaussiémotionnelleà toutcequil’entourait.

Sonmarine l’aimait pas.Et alors ?Elle allait simplementdevoir trouverune autremanièred’êtreheureuse.Commesamamieaimaitàlerépéter,commeonfaitsonlitonsecouche. Ashley avait accepté ce mariage, et c’était à elle de gérer le désastre qui étaitensuivi.

L’effet dumédicament diminuait rapidement, et il lui était à présent impossible dedormir. La liste de tout ce qui lui restait à faire — et celle de tout ce qu’elle devaitabsolumentéviter—repassaitenboucledanssatête.Etlasecondeétaittoutaussilonguequelapremière.

Apprendre à cuisiner. Cette idée avait surgi spontanément dans son esprit, et ellefronça les sourcils d’un air perplexe.Comment apprenait-on à cuisiner ?MêmeDevonconnaissaitquelquesrudimentsdecuisineetétaitenmesuredepréparerdesplatssimples.Elle-mêmen’étaitpastrèssûredesavoirfairebouillirdel’eauencasdebesoin.

Ce dernier détail pouvait facilement être corrigé. Pippa était une cuisinière de toutpremier ordre, et il lui semblerait tout à fait naturel qu’Ashley souhaite apprendre àcuisinerunfabuleuxrepaspoursonnouveaumari.Ellepourraitexpliquerqu’elledésiraitlesurprendreavecundînerromantiquepourdeux.

Et,d’ailleurs,ilyavaitaussilesémissionsdecuisineàlatélévision.Elleytrouveraitsûrementquelquesidées.

Leménage.Cela,ceseraitfacile.Ellesavaitnettoyerunemaison.Sonseulproblème,c’était qu’elle ne possédait pas les capacités d’organisation nécessaires pour le faireconvenablement.Maisellepouvaitsedébrouiller.Cen’étaitqu’unequestiondediscipline

etdeconcentration.Elle devait aussi apprendre à tenir sa langue et à contrôler ses réactions.Cela, non

plus,nedevraitpass’avérer tropdifficile.Hocher la têteensouriantau lieudepousserdescrisdejoieenbattantdesmains.Samèreétaitexpertedanstouteslesgrâcessociales,mais,biensûr,ellen’avaitpaseulechoix,attenduqu’elleétaitl’organisatricedetouslesévénementsmondainsquifaisaientpartieintégrantedelacarrièredesonmari.

Ashleydisposaitdoncderessourcesconsidérablesdanssonentourage,mêmesiellen’avait jamais particulièrement souhaité ressembler davantage au reste de sa famille. Avrai dire, elle n’avait jamais eu l’impression d’être différente.Et, surtout, elle ne s’étaitjamaiscomparéeàeux.Pourquoil’aurait-ellefait?Néanmoins,ilspouvaientl’aider.Illuisuffiraitdefaireensortequ’ilsnesoupçonnentpaslesmotifsdesatransformation.

Laportedubureaus’ouvritetDevonvintlarejoindre.—Nepouvez-vouspasdormir?murmura-t-il.Avez-vousbesoindequelquechose?—Non,toutvabien,répondit-elleentirantlacouverturejusqu’àsonmenton.Jeme

repose.Ilpritplacedanslefauteuilfaceausofa.Leursregardssecroisèrent,maisellerésista

à son envie de détourner les yeux. Elle ne pouvait tout de même pas continuerindéfinimentàl’ignorer,mêmesil’idéeétaittentante.

Ce n’était pas chose facile, car son sentiment d’humiliation revenait chaque foisqu’elle se retrouvait faceà lui,mais il s’estomperait sûrement avec le temps.Ou, alors,elles’endurciraitaupointqu’ellen’enseraitplusaffectée.Entoutcas,ellel’espérait.

—J’aiparléàvosparents,déclara-t-il.Naturellement,votremèreest inquiètepourvous. Elle aimerait que vous l’appeliez dès que vous vous sentirez mieux. Votre pèresouhaiteme voir demainmatin, et donc, si votre état le permet, jem’absenterai durantquelquesheures.

—Ne vous inquiétez pas, cela ira, répondit-elle d’une voix douce.Mamigraine adisparu.Iln’yaaucuneraisonpourquevousrestieziciàjouerlesgardes-malades.

—Sivousavezbesoindequoiquecesoit,ousivouscommencezàvoussentirmaldenouveau,appelez-moi.Jerentreraiaussitôtàlamaison.

Ilgèleraitenenferavantqu’ellel’appelleaubureaudenouveau,mais,bienentendu,elle se garda bien de lui préciser. Elle se contenta de hocher la tête avec un soupirmélancolique. Voilà donc à quoi était réduit son mariage. Une conversation guindée,embarrassée,entredeuxpersonnesmalàl’aiseenprésencel’unedel’autre.

—Pensez-vouspouvoirgrignoterunpeumaintenant?demandaDevon,rompantlesilencetendu.Qu’est-cequivousplairait?

Décidantd’accepter labranched’olivierqu’il lui tendait,oucréantde toutespiècesune branche d’olivier là où il n’y avait qu’une simple proposition de dîner, elle seredressaenpositionassisesurlesofa.

—Vouspourriezfairelacuisine,sicelanevousdérangepas.Moi, jem’assiéraiaucomptoiretjevousregarderaitravailler.

Ilparutd’abordsurprisparsasuggestion,maissasurprisecédarapidementplaceàdusoulagement.Oneûtpresqueditqu’ilvenaitderetrouverl’espoir.

—C’estunetrèsbonneidée,répondit-il.Etes-vouscertainedepouvoirsupporterlalumièreetlebruit?

Elle se contenta une nouvelle fois de hocher la tête. Elle n’avait pas pratiqué cetteméthode de communication depuis sa plus tendre enfance, lorsqu’elle s’exprimait pargestes plutôt qu’avec les mots. Ses parents aimaient à répéter que si elle était aussibavardeaujourd’hui,c’étaitparcequ’elleavaitmaîtrisélelangageplustardquelesautresenfants,etqu’elles’efforçaitderattraperletempsperdu.

Ilselevaetluitenditlamain.—Dans ce cas, venez.Apportez la couverture avec vous si vous avez froid.Vous

pourrezvousasseoirsurl’undestabouretsdubaretvousenenvelopper.Ashley n’hésita qu’une seconde avant d’accepter sa main tendue, délicieusement

conscientedelachaleurdesapaumetandisqu’ill’aidaitàseleverdusofa.—Pasdesensationdevertige?s’enquit-ild’unevoixdouce.Jenevoudraissurtout

pasquevousvouseffondriezausol.—Toutvabien.Ill’entraînaverslacuisinesanslâchersamain,laguidaversl’undestabouretshauts

etl’aidaàs’yhisseravantdedraperlacouvertureautourdesesépaules.—Qu’est-ce qui vous ferait plaisir, ce soir ? demanda-t-il en ouvrant la porte du

réfrigérateurpourjeteruncoupd’œilàsoncontenu.Preuve éclatante de ses lacunes, elle se rendit compte tout à coup qu’elle n’avait

aucuneidéedecequecontenaitceréfrigérateur.Ellesesentitrougiretdétournaleregard.Dès le lendemain, elle ferait un inventaire completde la cuisine.Après avoirnettoyé lamaisondefondencomble.

—Ashley?— Euh… je n’ai pas vraiment de préférence, répondit-elle en relevant les yeux.

Vraiment,jemecontenteraidecequevouspréparerez.—Parfait.Voilàlongtempsquej’avaisenviedecuisinercettelanguedebœufavant

qu’ellenesoitgâtée.Elle ouvrit de grands yeux, avant de comprendre qu’il la taquinait.Le souvenir de

leur première nuit d’amour resurgit dans sa mémoire. Ce jour-là au dîner, il lui avaitdemandésielleétaitvégétarienne.

Ellesesentitsouriremalgréelle.Illuirenditsonsourireavecunsoulagementvisible.—Alors,c’estnon?—Pasdelanguedebœuf,pourmoi,mercibeaucoup,répondit-elleensedétendant.

Maisjen’airiencontrelesteakoulespartiesplusclassiquesdesonanatomie.—Vousavezdesopinionstrèsconservatricesenmatièreculinaire.Ellesouritplusfranchement,appuyantsescoudessurlecomptoir,lementondansles

mains.C’étaittrèsagréabledefairesemblantd’êtreuncouplenormal.Quelmalyavait-il

àcela?Sielleparvenaiteffectivementàeffacerdesonespritladébâclequ’avaitétésalune

de miel et si elle prenait le temps de travailler à combler ses lacunes, ce qui n’étaitmaintenantquesimulationdeviendraitpeut-êtreuneréalité.Peut-êtrel’aimerait-il.Iltenaitbeaucoup à leur mariage. C’était un premier pas. Il était prévenant, attentionné, et ildétestaitvisiblementlavoirsouffrir.Cen’étaitpasl’attituded’unhommequil’auraiteueenhorreur.Etdonc,s’ilneladétestaitpas,cequinesemblaitpasêtrelecasmêmes’illatrouvaitirritante,iln’étaitpasimpossibleque,peut-être,ilenvienneunjouràl’aimer.

C’étaitunespoirauquelelle s’accrochaitparcequ’ellen’osaitmêmepasconsidérerl’autrepossibilité.Devonnesouhaitaitpasdivorcer,maisellenepouvaitpasrestermariéeàunhommequinepourrait jamaisl’aimer.Siellecessaitd’espérerqu’il luirendraitunjoursessentiments,ceseraitlesignedelafindeleurmariage,qu’ill’accepteounon.

Devonposaunpaquetsurlecomptoiretretournaauréfrigérateurpourenretirerunoignon,despoivronsdecouleursassortiesetunebarquettedechampignons.

—Que diriez-vous d’un sauté de bœuf aux petits légumes ?C’est rapide, facile àpréparer,etj’osemêmediredélicieux.

—J’enaidéjàl’eauàlabouche.Elleobservasesgestesensilence,etbientôt laviandegrésillaitdans lapoêle tandis

qu’ilcoupaitleslégumesavecdesgestessûrs.Ellesongeaqu’ilétaitmagnifiquedanssonrôledechef,lesmanchesretrousséesjusqu’auxcoudes,lecoldechemiseouvert,lefrontplissé de concentration. Efficace.Mais, bien sûr, il semblait efficace dans tout ce qu’ilentreprenait. N’avait-il aucune faiblesse, aucune lacune ? Etait-il une de ces personnescapablesd’apprendren’importequoietd’yexcellerimmédiatement?

—Nommez-moiunsujetquivouséchappe,unechosequevousnesavezpasfaire,s’entendit-elledéclarer.

Elleregrettacesparolessitôtqu’elleleseutprononcées.C’étaitexactementcequ’ellen’étaitpluscenséefaire.Elledevaitfairepreuvededavantagede…contrôle.Dedécorum.Outoutdumoinscesserdebabilleràtoutboutdechampcommeunegamine.

—Pardon?fit-ilenrelevantlesyeux.—Oubliezcequej’aidit,répondit-elled’untonembarrassé.C’étaitstupide.Il reposa soncouteauet jetauncoupd’œil à lapoêleavantde river son regardau

sien.—Pourquoidésirez-vousconnaîtremespointsfaibles?Ellefermalesyeux,souhaitantdetoutessesforcesquelesols’ouvresoussespieds.

Il lui restait encore beaucoup de chemin à faire pour ne plus être… tout ce dont il seplaignaitàsonsujet.

—Ashley?Voyons,nemefaitespaslanguirainsi!—Ecoutez, répondit-elle en soupirant, c’était une question idiote. C’est seulement

que vous semblez être de ces personnes qui excellent dans tout ce qu’elles font. Jemedemandaissiquelquechosevousétaitimpossible.Nousautres,pauvresmortels,devons

biennousaccrocheràunespoir.—J’aiénormémentdelacunes,déclara-t-ilavecunhaussementd’épaules.Jenesuis

certainementpasundecespetitsgéniespolyvalentsqui savent tout fairenaturellement.J’aidûtravaillerdurpourtoutcequej’ai.

—J’aimalchoisimesmots,Devon,d’accord?Oubliezcequej’aidit.Jen’insinuaispasquevousn’ayezpasdû travailler durpour réussir.Le contraire est évident. Je suisvraimentdésolée.

—Danscecas,quevouliez-vousdire?Il n’y avait aucune colère dans sa voix.Aucune irritation.Uniquement une sincère

curiosité.Ellesehasardaàreleverlesyeuxpourétudiersonexpression.—Certainespersonnesontuntalentnaturelpourapprendrepresqueinstantanément,

comme ces enfants qui touchent un ballon pour la première fois et qui deviennent deschampionsenunriendetemps.

— Vous auriez dû me voir jouer au basket-ball, dit-il en levant les yeux au ciel.Rafael,RyanetCameronnecessaientdesemoquerdemoi.

—Etiez-vousvraimentpitoyableaubasket-ball?—Oui,c’estexactementça.—Celatombebien,observa-t-elleensouriant.J’yjouetrèsmal,moiaussi.Il lui rendit son sourire, puis jeta les légumes dans la poêle après en avoir

préalablementretirélaviande.—Danscecas,nouspourronsyjouertrèsmalensemble.—Oui,c’estunebonneidée,murmura-t-elle.Il s’affairadevant les fourneauxet,cinqminutesplus tard,posauneassiettegarnie

devantelle.Ildemeuraderrièrelecomptoir,adosséàl’évier,sonassietteàlamain.—N’allez-vouspasvousasseoir?demanda-t-elle,étonnée.—J’aimevousregarder,répondit-ilendétaillantlentementlestraitsdesonvisage.Je

préfèreresterenfacedevous.Sesentantrougir,ellebaissavivementlesyeuxverssonassiette.Ellen’avaitaucune

réponseàcetteétonnantedéclaration.Mais peut-être faisait-il des efforts. Comme elle s’apprêtait à en faire, dès le

lendemain matin, lorsqu’elle se lancerait systématiquement dans son programmed’améliorationpersonnelle.

-13-

Ashley avait la tête un peu lourde en se réveillant, mais ce n’était guère étonnantaprèsdeuxjoursdecomamédicamenteux.

Aujourd’huicommençaitsatentativedeconquêtedumonde.Enfin,enquelquesorte.Il s’agissait surtout de ne plus le subir.Réserve etprudence étaient ses deux nouveauxalliés.

Plusquestionderesteràs’apitoyersurelle-même.Devon avait quitté l’appartement de bonne heure. La nuit dernière avait été un

véritable cas d’étude d’embarras mutuel. Il s’était allongé près d’elle dans le lit, et ilsétaientrestéslà,sansbougerniparler,jusqu’àcequ’elleglissedansunsommeilagité.Auncertainmomentpendantlanuit,ils’étaitrapprochéd’elle,àmoinsquecenesoitellequi l’ait attaqué en dormant.Quoi qu’il en soit, elle avait fini dans ses bras, et elle nes’étaitréveilléequelorsqu’ils’étaitlevé,tôtcematin,pourprendresadouche.

Ilavaitdéposéunbaisersursonfrontetl’avaitlaisséeseuleenluichuchotantdeserendormir.

—Bienvenuedanstanouvelleréalité,marmonna-t-elleenquittantlelit.Sous la douche, elle ne cessa de se répéter que l’évolution de sa situation ne

dépendaitqued’elle.Ellepouvaitêtrehorrible,maisilnetenaitqu’àelledesauvercequipouvait l’être encore. Tout dépendait de l’effort qu’elle était prête à investir dans sonpropre bonheur. Le problème ainsi posé, elle pouvait difficilement tout abandonner ets’enaller.

Elle tressaillitencontemplantsonrefletdans lemiroir.Elleavait l’airmalenpoint.Pas comme certains jours où elle se plaignait de se trouver affreuse sans vraiment lepenser.Onauraitvéritablementditqu’elleavaitétéeffleuréeparl’ombredelamort.Sesyeuxétaient soulignésdecernes sombres.Elleportait sur sonvisage les stigmatesde lasouffrance, làoù lemondeentierpouvait lesvoir.Ellen’avait jamais sudissimuler sesémotions.Elleétaittotalementtransparente.

Dans de tels instants, elle était immensément reconnaissante àCarly pour sesmille

astucesdemaquillaged’urgence.Aujourd’hui,elleavait réellementbesoindutraitementcomplet.

Lorsqu’elleeutterminédesecoifferetdesemaquiller,elleconstataavecsatisfactionquesonairhagardavaitàpeuprèsdisparu.Elleparaissaitfatiguée,certes,maisunejeunemariéefollementheureusedevaitsûrementpouvoirsouriremalgrélapiredesmigraines.

Sa première visite fut pour sa mère car, si Gloria Copeland n’avait pas eu trèsrapidementdesesnouvelles,elle retournerait toutManhattanpour s’assurerqu’ilne luiétait rien arrivé.Cettemission accomplie, il lui resterait du travail à faire.Beaucoupdetravail.

Elle se rendit en taxi à son ancien immeuble, et elle sourit lorsqu’Alex se précipitapourl’accueillir.

—Comment allez-vous,mademoiselleAshley ?Comment vous habituez-vous à laviedefemmemariée?

C’étaitunequestionstandard,qu’onluiposeraitprobablementcentfoisavantlafindelasemaine.Mais,enpremierlieu,lesgensluidemanderaientpourquoidiableelleétaitrentréedesalunedemielaprèsseulementdeuxnuits.

—Jesuis trèsheureuse,Alex. Jesuisvenue rendrevisiteàmamère.Pouvez-vousm’annoncer,s’ilvousplaît,etl’informerquejemonte?

Quelques instants plus tard, Ashley quittait l’ascenseur pour entrer dansl’appartement qui occupait tout l’étage. Elle y avait passé une grande partie de sonenfance, et elle s’y sentait toujours chez elle bien qu’elle ait déménagé pour s’installerdanssonpropreappartementdepuisquelquetempsdéjà.

—Ashley,ma chérie ! s’écria samère en se précipitant à sa rencontre.Mapauvrepetitefille!Viensetlaisse-moiteregarder.Tamigraineest-ellepassée?Jecraignaisquecemariage, tondéménagement et tous ces autresprojets soient au-dessusde tes forces.Nousaurionsdûmieuxespacerleschoses.

Samèrelaserraunlongmomentdanssesbras,etAshleyselaissaalleràsavourerleréconfortqueseuls lesbrasd’unemèrepeuventoffrir lorsque l’universs’estdésintégréautourdesoi.

—Ashley?ditsamèreenladétaillantd’unairinquiet.Es-tusûrequetoutvabien?Vienst’asseoir.Tun’espastoi-même,aujourd’hui.

Ashleylasuivitdocilementjusqu’auconfortablesofadecuir.Elleretrouvaitl’odeurde la maison. Se pelotonnant dans son coin favori, elle se laissa envelopper parl’ambiancefamilièredeslieux,commedansuneconfortablecouverture.

— Je vais bien, maman, je t’assure. Mais je crois que tu avais raison. C’étaitbeaucoupd’excitation,beaucoupdestress,tantetsibienque,lorsquenoussommesenfinarrivésàSt.Angelo,j’aitoutsimplementcraqué.LepauvreDevonaétécondamnéàmeveillerpendantquejedormais,assomméeparmonmédicament.

—C’estbiennormal,machérie, ilest tonmari. Jesuisheureused’apprendrequ’ils’estbienoccupédemonbébé.Tesens-tumieux,maintenant?Tuespâle,etjevoisdes

cernessombressoustesyeux.— Je vais beaucoupmieux, assura Ashley, déçue de constater que les recettes de

maquillaged’urgencedeCarlyn’avaientpasfonctionné.Jesuisseulementvenuetevoirpourquetunet’inquiètespasinutilement.Jeneresteraipastrèslongtemps.J’aibeaucoupàfairedansnotreappartementpourfinirdem’installer.

—Biensûr,machérie,maisd’abordjevaispréparerduthé.—Auxépices?suggéraAshleyd’untonpleind’espoir.—Etavecunbonbonàlamenthe,confirmasamèreensouriant.Ashleys’adossaauxcoussins,unsourireaux lèvres,et soupirade satisfaction.Elle

étaitraviedeselaisserdorloterunpeuavantd’avoiràretournerdanslemonderéel.Rienneremplacel’amourd’unemère.

Gloriaréapparutquelquesminutesplustard,portantunplateauqu’elledéposasurlatable basse devant sa fille. Elle lui tendit une tasse fumante, puis elle ôta le papierCellophaned’unbonbonqu’Ashleylaissatomberaufonddesatasse.

Bien installée sur le sofa, sa tasse de thé à la main, Ashley considéra sa mère uninstantavantdeluiposerlaquestionquiluibrûlaitleslèvres:

—Dis-moi,maman,ques’est-ilpasséentrepapaettoi?—Queveux-tudire,machérie?s’étonnasamère,reposantsatassesursasoucoupe.—Cette fois-là, lorsque vous vous êtes séparés. Je ne t’ai jamais posé la question

parceque,franchement,j’auraispréférétoutoublierdecela.Maisaujourd’huiquejesuismariée…j’aimeraisseulementsavoircequis’estpassé.Vousdeuxaveztoujourssemblésiamoureuxl’undel’autre!

Leregarddesamères’adoucit,etellesepenchapourreposertasseetsoucoupesurlatablebasse.Puisellesetournaverssafilleetsaisitsamainlibreentrelessiennes.

—Ilesttoutnaturelquetut’inquiètesdeceschoses-làmaintenantquetuesmariéetoi-même.Mais,machérie,évitedetropysonger.

—Jesais,maman,maissicelaapuvousarriver,àpapaetàtoi,celapourraitarriveràn’importequi.Avait-ilunemaîtresse?Luias-tupardonné?

—Dieuduciel,non!s’écriaGloria.Commentas-tupuimaginerunechosepareille?J’étaisseulementdéterminéeànepasvousmêler,vous,lesenfants,ànosproblèmes,etc’est pourquoi j’ai cru préférable de vous protéger de tous les détails. Je constatemaintenantquej’aieutort.

—Ques’est-ilpassé,alors?insistaAshleyd’unevoixdouce.—Aveclepassagedutemps,celasembleparfaitementstupide.Mais,àcetteépoque-

là, j’ai cru quemonmariage avait sombré. Ton père était toujours lemême qu’il avaitété,maistoutàcoup,celanemesuffisaitplus.J’aicommencéàm’inquiéter.Ilestpeut-être normal de traverser une période où l’on s’interroge sur ce que l’on attend d’unerelation,etoùl’ons’inquiètequesonpartenairenevousaimeplusounevousapprécieplusàvotrejustevaleur.Tonpèretravaillaitdelonguesheures.Ilvoyageaitconstamment.Ericettoiétiezadultesetviviezvospropresvies.Et,toutàcoup,jemesuissentieseule

aumonde,inutile.—Oh!maman!murmuraAshley.Sij’avaissu!Tuasdûaffreusementsouffrir.—C’étaitvraiàcemoment-là,maiscen’étaitpasentièrementlafautedetonpère.Il

est tombédesnues en rentrant du travail un jourpourdécouvrir que j’avais déménagétoutessesaffairesetqu’ilallaitdevoir trouverunautre logement. Ilm’asuppliéede luidirecequin’allaitpas,de luiexpliquercequ’ilavait faitdemaletcomment ilpouvaitréparerlasituation.Maislavérité,c’estquejen’enavaisaucuneidéemoi-même.Toutcequejesavais,c’estquej’étaismalheureuseetquejenesavaispluscequej’attendaisdemonmariagenidemonmari.Commentaurait-ilpucomprendre?

—Qu’as-tufait,alors?— J’ai refusé de lui parler durant une semaine.Ce n’était pas parce que j’étais en

colère. Je ne savais simplement pas quoi lui dire. J’ai eu besoin de tout ce tempspourpréparermon discours, et, entre-temps, j’avais compris que ce n’était pas lui qui avaitbesoindechanger.C’étaitmoi.J’avaisbesoindedécouvrircequimerendaitheureuse,etilnepouvaitpaslefaireàmaplace.

Lorsquej’aienfinconsentiàlevoir,lepauvrehommeavaitl’aird’uneâmeenpeine.Jemesentaishorriblementcoupabledel’avoirfaitsouffrirainsi,maisjesavaisquenotremariagenedureraitpasàmoinsquejenemeretrouvemoi-même.Jeluiaidoncproposéunepériodedeséparation.Tonpèreyétaitfarouchementopposé.Cen’estquelorsquejelui ai aimablement rappelé que je n’avais pas besoin de sa permission et que, séparés,nousl’étionsdéjà,qu’ils’estrenduàmesraisons.

—J’aitoujourssupposéquec’étaitpapa…quiavaitprisladécisiondedéménager,remarquaAshley d’un air songeur. Jeme suis toujours demandé s’il y avait une autrefemme.

—Oui,ditsamèreavecunsoupirderegret.C’esthélascequ’Ericpensaitaussi.Ilétaitfurieuxcontrevotrepère.Ilnes’estcalméquelorsquejeluiaitoutexpliqué.Alors,ilm’enavoulupouravoirforcévotrepèreàdéménager.PourEric,toutestblancounoir.

—Oui, jesais,convintAshley,réprimantunegrimace.Alors?Ques’est-ilpassé?Commentas-tudécidédelelaisserrentreràlamaison?

Samèresoupira,etsonregardsefitrêveur.—Nous sommes restés séparés sixmois, et, d’une certaine façon, c’était l’unedes

périodeslesplusheureusesdemavie.—Maman!s’écriaAshley,ouvrantdegrandsyeux.—Jesais,jesais.Maisécoute-moijusqu’aubout.Jeneprétendspasquecelaaitété

facile.Pasdutout.Maiscessixmoism’ontpermisderéfléchiràcequejevoulaisfairedemavie.Etavecquijedésiraislapasser.J’aieudesopportunités,crois-moi.Deshommesflirtaientavecmoietauraientsaisilamoindrechanced’aventure.

Faceauregardincréduledesafille,Gloriaesquissaunsourire.—Machérie,tun’imaginaistoutdemêmepasqueledésirsexueldisparaissaitaprès

trenteans?

—Oh!monDieu!murmuraAshleyd’unevoixéteinte.Dites-moiquejen’entendspasmamèremeparlerdetouslesbeauxmâlesquiluiontfaitlacouralorsqu’ellevivaitséparéedemonpère.

—J’aieudesoccasions,c’estvrai,reconnutsamère.Maisjenel’aijamaisfait.—Parcequetuaimaispapa?—Parcequecelan’auraitpasétéhonorable.Tonpèreneméritaitpascela.Etaussi,

honnêtement,parcequejenedésiraisconnaîtreaucunautrehommequelui.J’aicomprisque je le rendais responsabledemonpropremaldevivre.C’était faciledepenserqu’ilmenégligeaitouqu’ilpassait tropde tempsau travail.Mais, lavérité,c’estque lorsquemesenfantsontgrandietqu’ilsontquittélenid,jenesavaissimplementplusquoifairedemavie.Etj’aidirigémafrustrationcontrelaciblelaplusprocheparcequenevoulaispasaccepterlaresponsabilitédemespropreséchecs.

—Vraiment,jenem’étaisjamaisrenducompte…Samèreluisourit,etelletenditsamainpourluicaresserlajoue.—Que je suis un être humain comme tous les autres ? compléta-t-elle à sa place.

Quetamamann’estpasparfaite?— Euh… oui, je crois, convint Ashley. C’est une découverte complètement

renversante.Quipourraitsurvivreàlachutedesamèredesonpiédestal?—Tuas l’humourde tonpère, remarquasamèreen riant. J’ai toujourspenséque

vousvousressembliezénormément.—Moi?se récriaAshley.Jenesuisenriencommemonpère.Jecroisqu’il serait

horrifiédet’entendredireunechosepareille.Ildésespèredemoiparcequejen’aiaucuntalentniaucunintérêtpourlesaffaires.

—Mais tu as un grand cœur, tout comme lui, répliqua sa mère avec un sourireindulgent.Et, lorsque tuaimes, tuymets toute tonâme.ExactementcommeWilliam. Ilétaitdévastélorsquejeluiaidemandédepartir.Et,mêmesijesavaisqu’ils’agissaitd’unenécessité vitale pour moi, cela reste la décision la plus difficile que j’aie jamais eu àprendrede toutemavie.Notremariagen’enestqueplusépanouiaujourd’hui.Lorsquenous avons repris notre vie commune, j’étais une femme plus forte, plus assurée. Jel’aimais,maisjen’avaisplusbesoindeluipourmesentirentière.

Ashleyreposasatasseetserraaffectueusementsamèredanssesbras.— Je t’aime, maman. Merci de m’avoir parlé. C’était exactement ce dont j’avais

besoinaujourd’hui.—Derienmachérie,réponditsamèreenluicaressantlescheveux.Jet’aimeaussi.

Tusaisquejeseraitoujourslàsituasbesoindemoi.

***

Assis en face de Devon,William Copeland achevait de passer sa commande à laserveuse. Les deux hommes s’étaient retrouvés au restaurant favori de William pour

déjeunerensemble,maisDevonn’avaitpasdutoutfaim.—Vousnemangezpas,fils?s’étonnalevieilhomme.—Jeprendraiseulementunverred’eau.Après ledépartde la serveuse,Williams’adossaà sachaise,considérant son invité

d’unairunpeudéçu.—J’avaisbesoindediscuteravecvousdecertainschangementsdansl’organisation.Une sonnerie d’alarme se déclencha dans la tête de Devon, malgré son début de

migraine. Deux nuits sans sommeil et l’image du visage d’Ashley baigné de larmescommençaientà fairesentir leurseffetssur lui. Ilnemanqueraitplusmaintenantque levieilhommedénonceleuraccord.Neserait-cepaslàlecombledel’ironie?

Williamdutremarquersonmalaise,carils’empressadepoursuivre:—Cen’estpascequevouspensez.Jesouhaitequevousmeremplaciezàlatêtede

Copeland. Je sais que nous étions convenus de conserver le nom de Copeland et queTricorp demeurerait une sorte de partenaire silencieux, mais je suis prêt à prendre maretraite,etjeveuxquevousassumiezmesfonctionsdeP.-D.G.

—Je…necomprendspas,murmuraDevon,secouantlatêted’unairconfus.Williameutunsoupirlas.—Jesuisfatigué,fils.J’aidepetitsproblèmesdesantédepuisquelquetempsdéjà.

Ericn’estpasprêtpouruntelposte,etjenesuismêmepascertainqu’ilsongeàliersonaveniràceluidel’entreprisefamiliale,carsesintérêtssontailleurs.EtAshley…C’estlaraisonpourlaquellej’aipoussépourquecemariagesefasse.Jedésiraisqu’ellesoitunieàunhommeenqui j’aiconfiance,unhommequiveillerabiensurelle.Si lebruitavaitcouruquemasantéestdéfaillante,touslesvautoursauraientfondusurmafille,quiauraitétéuneproiefacile.

—Vosproblèmesdesantésont-ilssérieux?— Je l’ignore encore, réponditWilliam en soupirant. Je n’en aimême pas discuté

avecGloria,carjesaisqu’elleseradanstoussesétats.Mais,rassurez-vous,jen’aiaucuneintention demourir dans un avenir proche. J’aimerais profiter de longues années avecmes enfants etmes éventuels petits-enfants. J’ai travaillé commeun forcenédurant desdécenniespourarriverlàoùjesuis,etmaintenantj’aienviedemeretirerdesaffaires,deconsacrermontempsàmonépouseetderegardergrandirmespetits-enfants.Mais,pourcela,jedoisd’abordm’assurerquemasociétéestentredebonnesmains.JeneveuxpasqueCopelanddisparaisse,etc’estpourquoij’attachaisunetelleimportanceàcettefusion.Je n’avais aucunement l’intention de prendre le contrôle de Tricorp. A vrai dire, jeconnaissaisunebonnedouzained’autressociétéscapablesd’apportertoutautantàlatabledenégociations.Maisj’aichoisiTricorpàcausedevous.C’estvousdontj’aibesoinpourmafilleetpourmasociété.

—Je…jenesaispasquoidire,marmonnaDevon.C’estunevéritablebombequevouslâchezsurmoiaulendemaindemonretourd’unelunedemieldésastreuse.

—Jesaisquevousavezpenséquej’étaisunvieuxfouetunvilmanipulateurpour

avoirexigéqu’Ashleysoit inclusedansnotremarché.Surcedernierpoint,vousn’avezpeut-êtrepasentièrementtort.Jesavaiscombienvousdésiriezcepartenariat.EtaussiquevousaviezbesoindelamarqueCopelandpourvotreprojetdecomplexestouristiquesdestanding.Demon côté, je savais très bien ce que je désirais, et il s’est trouvé que nosintérêtscoïncidaientparfaitement.Ainsi,l’avenirdemesenfantsestassuré.

—Toutlemondeestcontent,àl’exceptiond’Ashley,observaDevond’untonfroid.Williamluidécochaunregardperçant.—Quevoulez-vousdire?— Elle rêvait d’un mari qui l’adore, qui l’aime, qui soit l’incarnation de tous ses

rêves.—Etalors?Pourquoineseriez-vouspascethomme-là?C’était une excellente question, mais à laquelle Devon n’était pas sûr de savoir

répondre.Iléludadonclesujet.—Avez-vousdécidéd’uncalendrierpourtoutceci?— Je souhaite démissionner demon poste dès que possible. Ce ne sera un secret

pourpersonnequec’estvousquej’aichoisicommemonsuccesseur.Levoteneposeradoncaucunproblème.Vousserezlecandidatlepluslogiquepourlepostelorsquejemeserai retiré. J’ai pas mal d’influence sur le conseil. Ils m’écouteront. Je vais prendrerendez-vous chez mon médecin et, ensuite, j’aviserai ma chère et tendre épouse de lasituation.Aprèscela,elleprendrasûrement toutes lesdécisionsàmaplace,et jen’auraimêmeplusledroitdemegrattersansobtenird’abordsapermission.

Cesmots étaient dits d’un ton d’humourmélancolique,mais, à la douceur de sonregard,onvoyaitbienqu’iladoraitsafemmeetqu’ilneregrettaitpasunesecondedeluicéderlecontrôledanssesannéesderetraite.

Levieilhommesemblait totalementenpaixavec lui-mêmeetavecsesdécisions,etDevonsedemandatoutàcoups’ilavaitledroitdeluitenirrigueurd’avoirvoulumettresa familleà l’abridubesoin.Mêmes’il réprouvait sesméthodes.Aurait-il agidemêmepoursonfilsousafille?

Il aimait à penser qu’il leur aurait offert quelque chose de plus substantiel qu’uneoccasionnelleinjonctionà«nepasallersefourrerdanslesennuis».

L’image d’une Ashley resplendissante, portant son enfant, surgit dans son esprit,déclenchantunepuissantevagued’émotion.Ilcompritalorsàcetinstantqu’ilferaittoutcequiétaitensonpouvoirpourprotégersonfilsousafille.

—Prenezsoindevous,dit-ild’untonbourru,soudainanxieuxàl’idéequelaviedecet homme, qui avait été si déterminé à devenir un second père pour lui, puisse êtremenacée.Jecomptesurvouspourgâternosenfants.

—Dois-je comprendre qu’ils sont prévus pour bientôt ? s’enquitWilliam avec unlargesourire.

—Peut-être,réponditDevonenhaussantlesépaules.Celadépendd’Ashley.Moi,jedésirequ’ellesoitheureuse.

Levieilhommehochalentementlatête.—Moiaussi,fils.Moiaussi.Le retour de la serveuse interrompit leur conversation. William mangea quelques

bouchéessansconviction,puisrelevalesyeuxversDevon.—J’aimeraisquevousorganisiezunesoiréecocktail.Ceseral’occasionpourAshley

de s’habituer à son rôle d’hôtesse. Disons dans deux semaines au maximum. J’yannoncerai officiellement que j’ai l’intention de prendre ma retraite et que je vous aichoisicommemonsuccesseur.Ainsi,lafusionapparaîtracommeunesuitelogique.Unerelèvedelagardeavecmabénédiction.

—Nousdevrionspouvoirorganisercela,assuraDevon.Entoutcas,ill’espérait.Acettedate,Ashleyneseraitpeut-êtreplusautantencolère

contre lui.Pour l’heure, iln’eûtpasété raisonnabled’exigerd’ellequ’elleprétendeêtreheureuseduranttouteunesoirée.

—Parfait.Jevousfourniraiunelisted’invités,et,naturellementvousinviterezaussitousvoscollègues.Jeveuxquevoussachiezcombienjesuisheureuxdevousavoirpourgendre.J’aitoujourssuquevousétiezlemeilleur,pourmasociétéetpourmafille.

-14-

En entrant dans son appartement, Devon remarqua immédiatement le changement.Tout était net. Plus aucun magazine ne traînait sur les tables. Plus de chaussureséparpilléesunpeupartout.Plusdesacàmainaccrochéàunepoignéedeporte.Et l’airsentaitleproduitnettoyant.

Ils’aventuraplusloindansl’appartement,lecœurserré,carnonseulementtoutétaitparfaitementrangé,maisiln’yavaitplusaucunetracedelaprésenced’Ashley.Touteslespetiteschosesqu’elleavaitapportéesavecelle,etaveclesquelleselleavaitcomposéunedécorationunpeufantasque,avaientdisparu.

L’appartementavaitreprisexactementl’aspectqu’ilavaitavantsonarrivée.Avait-elledéménagé?Avait-elledécidéqueleurmariageneméritaitpasuneseconde

chance?Unelégèrenauséel’envahit,etundébutdepaniqueluiserralagorge.Ilentenditalorsunsondistantprovenantdelacuisine.Ils’ydirigeaetcompritquela

télévisionétaitrestéeallumée.Al’entréedelacuisine,ilduts’agripperauchambranledelaportepournepastomber.

Uneimmensevaguedesoulagementdéferlasurlui.Elleétaittoujourslà.Ellenel’avaitpasquitté.Ashley était assise au comptoir, concentré, le front plissé, devant une émission de

cuisine.Munied’uncarnetetd’unstylo,elleprenaitdesnotesavecapplication.Il balaya la cuisine du regard, et il comprit soudain qu’elle devait avoir passé la

journée entière à nettoyer l’appartement. Toutes les surfaces étincelaient. Le sol étaitbrillantd’encaustique.Unparfumdecitronflottaitdansl’air.

Elleétaitvêtued’unjeanblanchiparleslavagesetd’unT-shirt.Sescheveuxétaientattachésenunesimplequeue-de-cheval,etelleneportaitaucunmaquillage.

Elleétaitabsolumentravissante.Cependant,elleparaissaitfatiguée.Lescernessoussesyeuxétaientplusprononcés,

etilyavaitdanssestraitsdélicatsunefragilitéquiéveillaitenluiundésirirrépressibledelaprotéger.Hélas,ilétaitmalplacépourcerôle,luiquiétaitàl’originedesasouffrance.

Maisresterpassifluiétaitimpossible.Ilarrivaderrièreelleetdéposaunbaiserdanssoncou.

Ellesefigea,puisseretournavivementverslui.—Bonsoir,dit-elled’untonhésitant.Jenevousattendaispasaussitôt.—Techniquement, jesuisencongé,cettesemaine,expliqua-t-ilens’écartantd’elle.

J’aidéjeunéavecvotrepère,etnousavonsparléaffaires.Majournéeestterminée.Ellehochalatête,maiss’abstintdetoutcommentaire,cedontilluifutreconnaissant.

Lesujetdesonpèreetdesesaffairesétaitunsujetdélicat,illesavait,maisilespéraitqueletempsatténueraitsesblessures.

—Oùsontpassées toutesvosaffaires?s’enquit-ild’un tonfaussementdétachéenouvrantlaporteduréfrigérateur.

— J’ai réorganisé les choses. Je n’avais pas eu le temps de le faire avant notremariage.

—Jevois,murmura-t-il.Ettoutcenettoyage?Etait-cebiensagedepassertouteunejournéeàfaireleménagealorsquevousvousremetteztoutjusted’uneterriblemigraine?

—Jevaisbien,assura-t-elle.Mamigraineestpassée.— Pourquoi n’allez-vous pas vous allonger un moment sur le sofa ? Je vais

m’occuper du dîner, et ensuite nous pourrions regarder la télévision ensemble, ousimplementnousdétendredanslesalon,silebruitvousgêne.

—Non,non,répondit-elleendescendantdutabouret.J’aidéjàtoutorganisépourledîner.Avez-vousfaim?Aquelleheuresouhaitez-vousdîner?

Cettesoudaineagitationlelaissaperplexe.Apparemment,elletentaitd’introduireaumoins un semblant de normalité dans leur vie, et il en fut soulagé. Lorsque cet orageseraitpasséetqu’elleauraiteuletempsderéfléchir,peut-êtrecomprendrait-ellequerienn’avaitchangéentreeux.

Après sa conversation avecWilliamCopeland,Devon savait qu’il était sur le pointd’atteindretouslesbutsqu’ils’étaitfixés,etce,bienenavancesursesprévisionslesplusoptimistes. La chaîne d’hôtels Copeland lui appartiendrait. Son rêve de lancer unenouvelle chaîne de complexes touristiques haut de gamme sous la bannière d’un desnomslesplusancienset lesplusrespectésdelaprofessionallaitseconcrétiser.Ilauraituneépouse.Desenfants.Unefamille.Ilauraittout.

Uneimmensesensationdetriomphel’envahit,enivrantecommeunalcool.—Jenesuispaspressé,assura-t-il.Etsinousnousasseyionsunmomentpourboire

unverre?Qu’avez-vousprévupourdîner?—Jenevaispasfairelacuisine,répondit-elleendevenantécarlate.Toutdumoins,

pas ce soir. Je le ferai une autre fois.Aujourd’hui, je contenterai de commander notredînerchezletraiteur.C’estpresquecommeunrepaspréparéàlamaison,saufqu’onvouslelivrechezvoustoutchaud.

—J’enaidéjàl’eauàlabouche.Merci.Aprèslasemained’enferquenousvenonsde vivre, je pense qu’un bon petit dîner tranquille à lamaison nous fera le plus grandbien.Nous n’avons pas eu l’occasion de passer beaucoup de temps ensemble dans lesjoursprécédantnotremariage.C’estlemomentoujamaisderattraperletempsperdu.

Unéclatdouloureuxpassadanssonregard,maiselledemeurasilencieuse,commesielleassimilaitcesoudainrappeldeleursituation.Devonauraittoutdonnépoureffacercesouvenir de sa mémoire. Avec le temps, il finirait par s’estomper. S’il parvenait à luiprouver qu’il ne tenait qu’à eux de se bâtir une relation confortable, ils retrouveraientl’ancienne camaraderie, confiante et détendue, qui était la leur avant que tout s’écrouleavecfracas.

Elle redressa les épaules et releva lementon, comme si elle venait de prendre unedécision.

— Je vous en prie, asseyez-vous, dit-elle.Désirez-vous un verre de vin ?Oubienpréférez-vousquejevousprépareuncocktail?

Il faillit lui répondre qu’il allait s’en occuper,mais quelque chose dans son regardl’arrêta.Undésespoirtranquille,presquecommesielles’accrochaitdetoutessesforcesàcequiluirestaitdemaîtrised’elle-même.

—Levinseraparfait,assura-t-ild’unevoixdouce.Jevouslaissechoisir.J’aiachetépersonnellementchaquebouteille,etjelesaimetoutes.

Ilressortitdelacuisine,lecœurserré.Lesdeuxprochainessemainesallaientêtreunvéritablechampdemines,tandisquechacund’euxtrouvaitsonchemindanslanouvelleréalité de leur relation.Malgré tout, il restait confiant.Tout finirait par s’arranger. Il luisuffiraitdesemontrerpatient.

Quelquesminutesplustard,Ashleylerejoignitdanslesalon,avecdeuxverresàpiedet une bouteille de vin encore bouchée.Elle posa les verres sur la table basse, le frontbarréd’unplidecontrariété.

—Pourriez-vous déboucher la bouteille, s’il vous plaît ? Je n’ai pas réussi à fairefonctionnerletire-bouchon.

—Détendez-vous,Ashley,dit-ilenluiprenantlabouteilledesmains.Asseyez-vous.Jevaisverserlevin.

Elle recula d’un air hésitant et alla s’asseoir sur le sofa. A vrai dire, elle avaitmauvaisemine,et iln’auraitpasétésurprisd’apprendrequesamigraine la tenaillaitdenouveau.Elle paraissait fatiguée.Un verre de vin l’aiderait peut-être à soulager un peusonétatdetension.

Ildébouchalabouteille,remplitleverred’Ashley,puislesien,etallaprendreplacedanslefauteuilfaceausofa.

—Votrepèreaimeraitquenousorganisionsunesoiréedansunesemaineoudeux,annonça-t-il.

—Nous?répondit-elled’unevoixétranglée.Vousetmoi?Pourquoinecharge-t-ilpasmamande l’organiser?Elleaundonnaturelpour les réceptions.Onn’entendque

deslouangesàsonsujet.Sessoiréessonttoujourslesplusintéressantesdelaville.—IlcompteannoncerbientôtcertainschangementsconcernantlasociétéCopeland,

et c’est sa façon à lui d’introduire l’idée en douceur.Votre père songe à jouer un rôlemoinsactifdansladirectiondel’entreprise.Ilestprêtàprendreuneretraitebienméritéepourseconsacreruniquementàsafamille.

Ashleydemeurasilencieuse,l’airconsterné.—Allons,Ashley,cen’estpasunetâcheau-dessusdenosforces.Nousconnaissons

déjàlaplupartdesgensquiserontinvités.Nouschoisironsunlieuagréable,retiendronslesservicesd’unbontraiteur,etnousengageronsmêmeunorchestre.Ceseraformidable,vousverrez.

Ashleylevaunemainpourl’arrêter.—Jem’encharge,déclara-t-elle.Pasdeproblème.Vousn’avezaucunsouciàvous

faire à ce sujet. J’aurai seulementbesoinde connaître la date exactede l’événement. Jesuis sûre que papa et vous serez très pris par… ce qui vous occupe en ce moment.Mamanorganisaittoujourslesréceptionspourpapa.Iln’yapasderaisonquejenefassepaslamêmechosepourvous.

Ledésarroiqu’ilentendaitdanssavoixluiserralecœur.Onauraitpucroirequ’elles’apprêtaitàorganiserdesfunérailles,maisiln’allaitpasladécourageralorsqu’ellefaisaitdeseffortsaussiméritoires.

—Jesuissûrquenousadoreronstouscequevousnousproposerez,déclara-t-il.Pour toute réponse, elle but une longue gorgée de son vin, terminant presque son

verred’untrait.—Etsinousregardionsunfilm?suggéra-t-il.—D’accord, répondit-elle, reposant son verre sur la table basse. Je vous laisse le

choisir.Ilselevapourramasserlatélécommandedelatélévision,mais,aulieuderetournerà

saplace, il alla s’asseoirprèsd’elle sur le sofa, sonbrasnonchalammentétendusur lescoussinsderrièresatête.

Durantunlongmoment,elledemeurarigideetsilencieuse,commesiellen’étaitpassûre de l’attitude qu’elle devait adopter. Cette soudaine distance entre eux le désolait.Autrefois, ellen’auraitpashésitéà seblottirdans sesbraspendantqu’ils regardaient lefilm.Ellel’auraitembrassé,et,pendanttouteladuréelespectacle,l’auraitenveloppédansledouxcocondesonaffection.

A présent, elle restait assise près de lui, figée dans une immobilité de statue, et ilémanaitd’elleunetensionetunefatiguepalpables.

—Venez ici, murmura-t-il en la serrant dans ses bras. Détendez-vous. Voilà, c’estmieux.

Elle se laissa enfin aller contre lui, posant sa joue contre son torse.Durant le film,aucund’euxneprononçaunseulmot,etcelaluiconvinttrèsbien.Iln’avaitpasgrand-choseàajouter,sinonluirépéterqu’ilétaitdésoléetqu’iln’avaitpaseul’intentiondela

fairesouffrir.Maiscen’étaitpas lefilmquicaptivaitsonattention.Il resta lààs’imprégnerdesa

merveilleusefragrance.Sacheveluresentait toujours lechèvrefeuille.Mêmeaucœurdel’hiver,aucœurdelaville,unsubtilparfumfloralflottaitautourd’elle,légeretélégant.Unparfumquiluiressemblait.

Il adorait la sentir près de lui. Ces derniers jours où, la nuit, une cloison les avaitséparés,ilenavaitprisdouloureusementconscience.

Ileffleurasescheveux,glissantavecdélectationsesdoigtsentrelesbouclessoyeuses.Lorsquelegénériquedefinsedéroulasurl’écran,ileûtétébienincapablederésumerlefilm.Iln’yavaitprêtéaucuneattention.

— Ashley ? murmura-t-il. Et si je sortais moi-même pour commander le dîner ?Ashley?

Ilserenditcomptealorsqu’elleétaitprofondémentendormie,sajouecontrelui.Seslongs cils reposaient délicatement sur ses joues, et elle serrait les lèvres, comme si, endépitdesonétatdesommeil,elleétaittoujoursplongéedansuneprofonderéflexion.

Ilposatendrementseslèvressursonfront,etrestaainsiunlongmoment,savourantladouceurdesapeau.D’unefaçonoud’uneautre,ilrépareraitlemalqu’illuiavaitfait.Ilatteignaitl’apogéedesavieetdesacarrière,et,aumomentoùilallaitenfincueillirlesfruitsdesondurlabeur,iltenaitabsolumentàcequ’ellesoitsareine.

-15-

—Jen’yarriveraijamais,déclaraAshleyd’untondécouragé.Pippaluipassaaffectueusementunbrasautourdesépaules.—Maissi,biensûr,larassura-t-elle.Celaviendra.Tuestropdureavectoi-même.—Aprèstroissemainesd’apprentissage,onpourraits’attendreàcequej’aiesaisiles

rudiments de la cuisine, poursuivit Ashley comme si elle ne l’avait pas entendue.Admettons-le,jesuisunesous-douéeenmatièredecuisine.

— Es-tu sûre que tout va bien, chérie ? Tu parais déprimée, ces temps-ci, et passeulementàproposdelacuisine.Est-cequetoutvabien,cheztoi?

Ashleyredressalesépaulesets’efforçadesourire.—Oui,trèsbien,net’inquiètepas.Lemariageestseulementuntravailépuisant.Qui

l’eûtcru?J’essaieencoredem’habitueràmanouvelleroutine.Jepassemesmatinéesaurefuge, de manière à être de retour à la maison lorsque Devon rentre du travail. Jecontinueàespérerqu’undemesrepasseraréussi,maisjedoisrégulièrementfaireappelauplandesecours.

— Ne sois pas si dure avec toi ! répliqua Pippa en riant. Je ne sais même paspourquoitutedonnestantdemalpourapprendreàcuisiner.Devont’adore,c’estévident,etpeuluiimportequetudeviennesuncordon-bleu.Jesuiscertainequ’ilnes’attendpasàunmiracle.

Ashleysemorditlalèvrepours’empêcherdepleurer.Lavérité,c’étaitqu’elleétaitàbout de forces. L’organisation de ce satané cocktail s’était avérée être unemonstrueusecorvée.Sonorgueilseull’avaitempêchéed’appelersamèreàsonsecours.

L’ancienneAshleyauraitrietjetél’épongeenadmettantquelatâcheétaitau-dessusdeses forces.LanouvelleAshley,elle,allait serrer lesdents, restercalmeet terminer letravail.

—Viendras-tuàmasoirée?demanda-t-elle,craignanttoutàcoupd’êtreuniquemententouréedevisagesd’inconnus.

— Bien sûr, répondit Pippa. Ne te l’avais-je pas promis ? Je sais que tu te sens

nerveuse,maistuastort,jet’assure.Tuserasparfaitementdanstonélément.Tubrillesensociété.Tuescharmanteettoutlemondet’adore.

—Pourquoinemerejoins-tupaschezTabitha,l’après-midiavantlecocktail?Nousnousferonscoifferensemble.J’aimeraisessayerunstyleplussophistiquépourlasoirée.Mariéeetmature,enquelquesorte,paroppositionàjeuneetfrivole.

—Frivole?répétaPippad’untonironique.Ashley rit avec elle,mais elle savait queDevon la considérait comme une gentille

écervelée.—J’auraiaussibesoindestalentsdemaquilleusedeCarly.—Chérie,tun’organisespasunthépourlareined’Angleterre.Ils’agitd’uncocktail

pour des amis et des associés d’affaires. Nous t’aimons déjà. Et les autres t’aimerontaussi.Cessedoncdetetourmenterdecettefaçon.

—C’estseulementquejeneveuxpasmeridiculiser,marmonnaAshley.—Jenesaisvraimentpascequitetracassecestempsderniers,ditPippa,secouantla

têted’unairnavré.Tuesparfaiteet,siquelqu’unditlecontraire,ilauraaffaireàmoi.—Jet’aime,réponditAshley,lagorgeserrée.Pippalaserraénergiquementdanssesbras,puiss’écartad’ellepourladévisager.—Tuneseraispasenceinte,parhasard?Jenet’aijamaisvueaussibouleversée.—Seigneur,non!s’exclamaAshley.Entoutcas,jenelecroispas.Jeveuxdire,ce

n’estpasimpossible,maisj’avouequejen’aipascomptélesjoursdemoncycle.— Peut-être devrais-tu faire un test de grossesse. Tu es à cran, Ashley. C’est

probablementunehistoired’hormones.Ashleyfermalesyeux.Non,c’étaitimpossible,ellenepouvaitpasêtredéjàenceinte.

Ouplutôt,si,maissoudain,elleespéraitdetoutsoncœurquecenesoitpaslecas.Mêmes’ilétaitunpeutardpourypenser.D’ailleurs,quandDevonetelleavaient-ilsfaitl’amourpourladernièrefois?C’étaitavantleurmariage.Maisilétaitencoretroptôtpourenêtresûre.

—Jevais attendre encoreunpeu, déclaraAshleyd’un ton ferme.C’est seulementcettestupidesoiréequimemetdanstousmesétats.J’ail’impressionqu’ils’agitdemonpremier test en tant que Mme Carter. Je ne veux pas m’humilier ou humilier Devondevantunecentainedepersonnes.

—Cessedoncdet’inquiéter,latançagentimentPippa.Tuserasfabuleuse,tuverras.Et,maintenant,siturecommençaiscettesauce?

— Je crois que je devrais faire mes débuts avec une recette plus facile, réponditAshleyensoupirant.Visiblement,lessaucesnesontpasmonfort.

—Trèsbien,essayonsquelquechosededifférent.Penseàunplatquetuadores.— Les lasagnes, répondit Ashley après une seconde de réflexion. Voilà qui serait

délicieux.—Parfait ! Rien de plus facile. Je vais t’enseigner la recette de base. Elle est à la

portéedetoutlemonde.

—Voilàquidevraitconveniràmonniveau,observaAshleyd’untonrésigné.—Danscecas,vavitechercher lessteakshachésdans le réfrigérateur.Cesont les

derniers,etcettefois-citun’aspasledroitàl’erreur.Unedemi-heureplustard,Ashleyrefermaitlaportedufoursurunplatdelasagnes.—Jepourrais facilement le refaire touteseule !s’exclamaAshleyens’essuyant les

mainsavecuntorchondecuisine.C’esttellementexcitant!Danslefond,jenesuispeut-êtrepasuncassidésespéré.

—Toutcedonttuasbesoin,c’estd’unpeudetempsetdepatience,assuraPippa.Tuserasbientôtuncordon-bleurenommédanstoutelaville.

—Merci,Pippa!s’écriaAshleyenserrantsonamiedanssesbras.Jet’aime,tusais.Tueslameilleure.

—Jet’aimeaussi,espècedepetitefolle,réponditPippaensouriant.Aprésent,rentrevitecheztoietpréparedeslasagnesavantleretourdetonmari.Appelle-moidemainpourmeracontercommentcelas’estpassé.Etprocure-toice testdegrossesse!J’aienviedesavoirsijesuissurlepointdedevenirtante!

Levantlesyeuxaucield’unairfaussementexcédé,Ashleysedirigeaitverslaportelorsquesontéléphonesonna,luisignalantqu’elleavaitreçuunmessage.Ellejetauncoupd’œilàl’écranetfronçalessourcils.

—Qu’est-cequec’est?demandaPippa.—Ilyaunproblèmeaurefuge.Mollysembletrèscontrariée,maisellenem’apas

donnédavantaged’informations.Jevaisfaireunsautlà-basavantderentrerchezmoi.Cen’estpasuntrèsgranddétour.Jeteverraivendrediaprès-midichezTabitha.

—D’accord.Soisprudenteetappelle-moidèstonarrivéepourquejesachequetouts’estbienpassé.

—Oui,maman,réponditAshleyd’untonironique.Sourianttoujours,ellequittal’appartementdePippaethélauntaxipourserendreau

refuge.

***

Devon rentra à l’appartement plus tard qu’il ne l’aurait souhaité. Il avait eu unelonguejournée,avecdesréunionsinterminablesentrecoupéesd’innombrablesentretiensavecdesgensdontilavaitoubliéjusqu’aunom.

Ashley était l’uniquepersonne aumondequ’il avait enviedevoir, et il étaitmêmeimpatientdedécouvrirquelnouveaudésastreelleavaitfaitdudîner.

Il souriaitendesserrantsacravate,en routevers lacuisine.Cesdernièressemainesavaientétéhilarantes.Curieusement,lesnombreuxdînerstotalementratésqu’elleluiavaitservisn’avaientjamaisentamésabonnehumeur.Ilenavaitmêmefaitunjeu,s’amusantàdevinercequelesplatsqu’elleluiservaitétaientcensésêtre.

Ilhumal’airenentrantdanslacuisine,et…aulieudel’habituelleodeurdebrûlé,un

délicieuxarômemontaàsesnarines.Fromagegratinéàpointetunetouchedetomate.L’estomaccriant famine, il balaya la cuisinedu regard,maisAshleyne s’y trouvait

pas.Ildécidaalorsqu’ilferaitmieuxdejeteruncoupd’œilàcequ’elleleuravaitpréparéetallaouvrirlaportedufour.

A l’intérieur, il trouvacequiparaissait êtreunplatde lasagnescuit à laperfection.Avecunemanique,ilsortitleplatdufouretleposasurlecomptoirdelacuisine,puissemitenquêted’Ashley.Ilétaitpresquearrivéàlaportedeleurchambrelorsqu’ilentenditlemurmuredesavoix.

Elleétaitplantéefaceà lafenêtredominant laville,etelleparlaitautéléphone.Ellelui tournait ledos,mais il lavitdistinctementessuyerune larmesur sa joue. Il se figeainstantanément,et ildut faireunénormeeffortdevolontépournepasseprécipiter, luiprendreletéléphonedesmainsetexigerdesavoirquidiableosaitl’importuneraupointdelafairepleurer.

—Jevaisvoirceque jepeuxfaire,Molly.Nousnepouvonspaspermettrequ’unechosepareilleseproduise.

Essuyant de nouvelles larmes d’un revers de main, elle coupa la communication.Puis,elleseretournaetaperçutDevon.

—Oh!monDieu!s’écria-t-elle,paniquée.Meslasagnes!Elleseruaverslaporteetdisparutavantqu’iln’aiteuletempsdeluidirequ’ils’en

étaitdéjàoccupé.Lesraisonsquil’avaientfaitpleurerl’inquiétaientbiendavantage.Il la rejoignit dans la cuisine, où elle contemplait son plat de lasagnes d’un air

catastrophé.— Je suis désolée, s’excusa-t-elle. J’avais totalement oublié ces lasagnes. Si vous

n’étiezpasarrivéàtemps,toutauraitétébrûlé.—Allons,toutvabien,larassura-t-il,glissantsonbrasautourdesesépaules.Ilest

bonde les laisser reposerunmomentde toutefaçon.Jevaissortirdesassiettesetnousmettronslatable.Ensuite,vousmeraconterezcequivousatantcontrariée.Quiétaitautéléphone?

Il laguidadoucement jusqu’à la tableet luifitprendreplacesurunechaise,puis ilallachercherlesassiettesetlescouvertsetlesdisposarapidementsurlessets.Cecifait,ilretournachercherleplatfumantetleposaaucentredelatable.

Il s’assit en face d’elle et, s’emparant d’un couteau, il entreprit de découper leslasagnesenpartsenattendantqu’ellerépondeàsaquestion.Asagrandehorreur,illavitenfouirsonvisagedanssesmainsetfondredenouveauenlarmes.

Réprimantunjuron,illâchalecouteau,puisselevavivementetfitletourdelatablepourvenirs’asseoirprèsd’elle.

—Qu’avez-vous?s’enquit-ild’unevoixdouce.Quivousafaitdelapeine?— J’ai eu une journée épouvantable, répondit-elle d’une voix brisée. Et, pourtant,

j’avaistellementenviequetoutsoitparfait!J’avaisenfinapprisàpréparerleslasagnes,etpuisMollym’aappelée,etjesuispasséeaurefuge.Ellem’aapprisunenouvelleterrible,

etjenesaisplusquoifaire.Nousenavonsdiscutétoutelasoirée.—QuiestMolly?s’enquit-ilens’emparantdesesmainspourlesretirerdoucement

desonvisage,exposantsesjouesnoyéesdelarmes.—Mollydurefuge,précisa-t-elle,fronçantlessourcils.Ilscrutaattentivementsonvisage.Al’évidence,ils’agissaitd’unepersonnequ’ilétait

censéconnaître,maisseseffortsdemémoirerestèrentvains.—Elleestmapatronne,aurefuge.—Jecroyaisquec’étaitvousquidirigiezcefameuxrefugepouranimauxmaltraités.—Jem’occupedescampagnesdecollectededonsetdesrelationspubliques,mais

c’estellelaresponsable.—Etqu’avait-elleàdire?insista-t-ilgentiment.—Lasubventionquerecevaitl’associationvaêtresupprimée,et,sanselle,nousne

pourronspascontinueràfonctionner.Nousavonsbesoindecetargentpourlesdépensescourantes, telles que l’électricité, la nourriture des animaux et les honoraires duvétérinaire.Nousnecollectonspassuffisammentdedonspournouspermettrederesteropérationnels.

Sesyeuxs’emplirentdenouveaudelarmes,etelleajoutad’unevoixtremblante:—Sinous fermonsnosportes, lesanimauxdevrontêtre transférésdansun refuge

municipal,etceuxquinesontpasadoptésseronteuthanasiés.Devonsoupira,etilserraprécautionneusementAshleydanssesbras.—Ildoitsûrementexisterunmoyendegarderlerefugeouvert.Avez-vousdemandé

àvotrepèredelesponsoriser?Elles’écartadelui,secouantlatêted’unairdésespéré.—Vousnecomprenezpas!gémit-elle.Papanefonctionnepasdecettefaçon.Ilne

prendjamaisdedécisionsfondéessurdesargumentsémotionnels.Toutcequil’intéresse,c’estsonretoursurinvestissement.Iln’éprouvepasungrandintérêtpourlesanimaux.

—Combiendetempspouvez-voustenirdanslescirconstancesprésentes?— Deux semaines, peut-être trois, répondit-elle en reniflant. Nous sommes au

maximum de notre capacité d’accueil, mais nous avons encore reçu un pauvre jeunechien horriblement maltraité aujourd’hui. Comment les gens peuvent-ils être aussicruels?Feraient-ilscelaàleursenfants?

Ilexistaitaussi,hélas,desgenscapablesde jeterunenfantà la ruesansaucunétatd’âme,maisilsegardabiendeleluirappelerpournepaslabouleverserdavantage.

Ilcaressasajoueduboutdesdoigts,puissepenchapourdéposerunbaisersursonfront.

—Vous devriezmanger un peu, suggéra-t-il. Ces lasagnes semblent délicieuses. Iln’yarienquevouspuissiezfairecesoir.Noustrouveronspeut-êtreunesolutiondemain.

Elle acquiesça d’un air morose, et il retourna à sa place. Reprenant le couteau, ildécoupadespartsbiennettesqu’ilservitdansleursdeuxassiettes.

—Ceslasagnessemblenttrèsréussies,remarqua-t-ild’untonguilleret.

Il désirait lavoir souriredenouveau.Elleparaissait beaucoup trop sérieusedepuisleur retour de lune demiel, et il avait hâte de la voir redevenir la jeune femmegaie etenjouéequ’ilavaitconnue.

Illuitenditsonassiette,puisilpritlasienne.Lorsqu’ilgoûtalapremièrebouchéedefromage fondant et de pâtesal dente nappées d’une sauce tomate savoureuse, il laissaéchapperungémissementdeplaisir.

—Ceciestabsolumentfabuleux,Ashley.Elleluisourit,maissonsouriren’atteignaitpassesyeux.Laprofondetristessequ’il

lisaitdansleursprofondeursazuréesluiserralecœur.Bien que le dîner soit délicieux, il lui tardait qu’il soit terminé. Il éprouvait un

soudain besoin de réconforter Ashley, de soulager sa souffrance. Elle poussaitnégligemment sa nourriture du bout de sa fourchette comme si elle n’éprouvait aucunintérêtpoursondîner.Ilavalarapidementlerestedeseslasagneset,ramassantleursdeuxassiettes,ilallalesplacerdansl’évier.

—Venez,dit-ilenluitendantsamain.Elleglissasamaindanslasienne,etill’aidaàselever.Illaconduisitensuitejusqu’à

lachambre,lafitasseoirsurleborddulitetentrepritdedélacerseschaussures.Toujoursagenouillédevantelle,ilposaalorssesmainssurseshancheset,levantles

yeux vers elle, la fixa d’un regard intense, étonné lui-même de la promesse qu’ils’apprêtaitàluifaire—unepromessequel’hommed’affairesenluiréprouvait,maisquelechagrind’Ashleyrendaitindispensable.

—Ecoutez-moi,murmura-t-il,jevaisvoircequejepeuxfaireausujetdurefuge.Nedésespérezpasencore,d’accord?Nousavonsencorequelquessemainesdevantnous.Jepourraipeut-êtrevousaider.

A sa grande stupéfaction, elle noua ses bras autour de son cou et l’étreignit avecfougue.C’était la premièremanifestation spontanée d’affection à laquelle il ait eu droitdepuislasemaineprécédantleurmariage.

—Oh!Devon,merci!chuchota-t-elleàsonoreille.Vousnepouvezpassavoircequecelareprésentepourmoi.

— Je crois que j’en ai une petite idée, répondit-il en esquissant un souriremélancolique.Vousaimezcesbêtesdavantagequevousn’aimezlesgens.

Elle acquiesça d’un air solennel, assumant ce choix. Puis, elle l’embrassa à pleinebouche.

L’effet fut instantané, comme si elle avait réveillé le lion qui sommeillait en lui. Iln’attenditpasqu’elle se ravisenine lui en laissa l’occasion. Il avait souffert lemartyredurant trois longues semaines à la désirer en silence à chaque secondedu jour et de lanuit,séparéd’elleparunabîmeémotionnel.

Si ceci était sa chancede la ramenerdans son lit, de fairedisparaître cettehorribledistanceentreeux,ilcomptaitbienlasaisiràpleinesmains.

Illuirenditsonbaiser,recueillantsonvisageentresesmains,savourantgoulûmentle

nectardeseslèvres.Ashley resserra son étreinte et se blottit dans ses bras avec un doux soupir qui

réveillainstantanémentenluiundésirsauvage.Ildevaitfaireappelàtouteslesressourcesdesavolontépournepasluiarrachersur-

le-champ ses vêtements, l’allonger sur le lit et lui faire l’amour jusqu’à l’épuisementmutuel.

—Vousêtestrophabillée,murmura-t-il,livrantuncombatfiévreuxauxboutonsdesonchemisierdesoie.

Déjà,ildéfaisaitmaladroitementlepremierboutondesonpantalonetlefaisaitglissersursesjambes,etelleluiapparutdélicateetsibelle,uniquementvêtuedesalingerierosepâle.

C’était le plus beau spectacle qu’il lui ait jamais été donné de contempler. Sescheveux en désordre, décoiffés par sesmains. Ses lèvres gonflées par ses baisers. Sesyeux voilés de désir et non plus de tristesse. Sa peau rayonnante de douceur dans lalumièredelalampedechevet.Sesseinsparfaitssousladentelle.L’harmonieusecourbedeseshanches…

Ilsemitdebout,letempsdesedéshabilleràsontour.Sesgestesneprétendaientpasà l’élégance. Ilsesentaitcommeunadolescentdequinzeansdécouvrant lanuditéd’uncorpsféminin.S’iln’yprenaitgarde,ilseconduiraitdelamêmefaçon.

Ellelevaunregardtimideversluietluioffritunsourireadorable,unsouriredontladouceur lui coupa le souffle. Renonçant instantanément à s’accrocher à l’image del’hommecivilisé,ildonnalibrecoursàunepassionvenuedufonddesâges.

Il lasoulevadanssesbraset l’allongeaaucentredugrandlit, larecouvrantdesoncorps,etils’emparadenouveaudesabouche,lacouvrantdebaisersfiévreux.

—J’adorevotrelingerie,murmura-t-ilcontresabouche.Maisjel’aimeraidavantagelorsquejevousl’auraiôtée.

Ileffleuradeseslèvreslavalléeentresesseins,puisremontalentementsurundouxrenflementtoutenfaisantglisserlesbretellesdusoutien-gorgesursesépaules.

Iladoraitsamerveilleusefragrance.Ilregrettaitlespots-pourrisdefleursséchéesetles bougies parfumées qu’elle disposait autrefois au hasard dans toutes les pièces.Toutl’appartementsentait…commeelle.Frais.Vibrant.Commeunsoleildeprintemps.

Depuisqu’elles’étaitlancéedanssacampagneforcenéedenettoyage,c’étaitcommesielleavaitéradiquétoutetracedesaprésence.

Lebonnetdesonsoutien-gorgedévoilalapointed’unsein,lalivrantauxcaressesdeseslèvres.Illasentitfrissonnersouslui,sarespirationdevenirhaletante.

Il glissa une main derrière son dos, trouva l’agrafe du soutien-gorge et la défitprestement.Une secondeplus tard, il tiraitdélicatement sur la légèredentelle et la jetaitsurletapispourcontemplerlesmerveillesdevantlui.

Elle avait des seins superbes, exactement de la taille qu’il considérait idéale. Lesaréolesétaientpetitesetd’unrosedélicat,etsemblaientappelerlescaressesdeseslèvres.

Illaconnaissaitassezbien,désormais,poursavoirqu’ellesétaientextrêmementsensibles.Etsoncou…Ilconnaissaitunpoint,justesoussonoreille,oùlemoindremordillementlamettaitentranse.

Ce soir, il avait envie de goûter chaque centimètre carré de son corps. Il voulaits’imprégner d’elle, se saturer de son essence. Il voulait s’endormir en rêvant de sonparfum,delasensationdesapeausatinéesurlasienne.

Il recueillit ses seins dans ses paumes et les caressa lentement, s’attardant poureffleurerdesespoucesleurspointes.Puisilpenchalatête,etseslèvresvinrentremplacerses doigts, agaçant, mordillant, les faisant durcir encore davantage, avant de tracer uncheminsinueuxsurladouceurdesonventre.

Il vit distinctement la chair depoule se former sur sa peau, et elle remua sous lui,murmurantdesparolesindistinctes,désirantdéjàdavantage.

Iltrouvalabandeélastiquedesaculottededentelle,qu’ilfitglisserlentementsurseslongues jambes galbées avant de l’envoyer rejoindre le soutien-gorge. Enfin, elle futtotalementnuedevantlui.

Lorsqu’ilposaseslèvressurlesplisdélicatsdesonsexe,ellefutparcourued’unlongfrisson,etellemurmurasonnom.Celafaisaituneéternitéqu’iln’avaitpasentenducettevoix rauqueetdouceà la foisvibrerdeplaisir etd’attente, et il se jura silencieusementqu’avantlafindecettenuit,elleauraitgémisonnomunedizainedefois.Elleatteindraitl’extaseencriantsonnom.Ellesauraitsansconfusionpossiblequiluifaisaitl’amour.

Iltrouvaleminusculeboutonnacréentourédereplissoyeux,sedélectantdechaquetressaillement,dechaquefrissonquisecouaitsoncorpsmince.Elleétaitplusqueprêteàle recevoir, mais il prenait tout son temps, trouvant un plaisir immense dans cetteexplorationdesachairlaplusintime.

Bientôt,ellefutprised’untremblementincontrôlable,etelleemprisonnasatêteentresesjambes.Ildéposaundernierbaisersursachair,puisremontalelongdesoncorpsetseplaçaau-dessusd’elle.

Iltrouvasachaleurbrûlanteetentraenelled’unpuissantcoupdereins.Ellefermalespaupières,etsonvisageprituneexpressionprochedel’agonie.

Ileffleuradeseslèvreslafossettedesonmenton,puisiltraçaunchemindebaiserssurlacolonnedesoncou,jusqu’aucreuxdélicatàlabasedesagorge.Sonpoulsbattaitfollementsouslapeaud’albâtre,etilsentaitsonrythmesaccadétoutcontreseslèvres.

Elle l’enlaça passionnément, et il fut surpris par la force de ses bras minces. Sesongles s’enfoncèrent dans ses épaules comme les griffes d’un chaton, et elle noua sesjambesautourdeseshanches,creusantlesreinspourveniràsarencontre.Puiselleglissasesdoigtsdanssescheveuxetl’attiraàelleavecforce,etilcompritqu’elleexigeaitd’êtreembrassée.

Avec un rire silencieux, il obéit à cet ordre catégorique et posa sa bouche sur lasienne.

Ce fut un baiser interminable, brûlant, passionné. Et, en même temps, d’une

merveilleusedouceur.Soudain,c’étaitellequiprenaitl’initiative,etluin’étaitplusqu’unpauvrehommeperdu,incapablederésisteràsavolonté.

Elle était lovée autour de lui, impatiente, ardente, tendue vers lui pour unir leurscorpsdansun rythmecommun,uneunionparfaiteoù ils ne formaientplusqu’un seulêtre.

Fairel’amourn’avaitjamaisétéuneexpérienceaussi…insurpassable.—N’arrêtezpas,gémit-elle.—Aucunrisque.Il ferma les yeux et pénétra plus profondément en elle, et le va-et-vient de ses

hanchesdevintplusrapide,plusimpatient.Danssondos,lesmainsfinesexécutaientunballet toujours changeant, tantôt douces, tantôt griffant cruellement sa chair. Elle laissaéchapperuncriétranglé,etilsesouvintdelapromessequ’ils’étaitfaiteàlui-même.

—Monnom,murmura-t-ild’unevoixunpeuhaletante.Ditesmonnom.—Devon!Elleatteignitl’orgasmedanssesbras.Autourdelui.Souslui.Jamais,detoutesavie,

iln’avaitconnudeplusgrandbonheurquecefeuliquidequil’entouraitdetoutesparts.—Ashley,murmura-t-ildansunsouffle.MonAshley.Mafemme.Ilatteignità son tour lescimesduplaisirdansunéblouissantéclairde lumière,un

anéantissement vertigineux et sublime.Seshanches convulsaient encore contre le corpsminced’Ashleylorsqu’ilselaissaretombersurelle,tropépuisépoursesouvenirdesonproprenom.Lenomqu’illuiavaitdemandédeprononceràpeineuninstantplustôt.

Devonpritpeuàpeuconsciencede ladoucecaressedesesmainsdanssondos. Ilétaitvaguementconscientqu’ildevaitl’écrasersoussonpoids,maisiln’avaitpaslaforcedebouger.Ilétaitsurelle.Enelle.Safemme.

Il était conscient de vivre un moment unique, fondamental. Quelque chose avaitchangéentreeux.Maisilavaitencorel’esprittropengourdipourensaisirpleinementlesens.Jamaisauparavantilnes’étaitsentiaussibouleverséaprèsavoirfaitl’amouràunefemme.

Ilsesentaitsuprêmementsatisfait.Ettoutaussiterrifié.

-16-

Ashleyobservaitledéfilédesinvitésquiarrivaientdansleluxueuxrestaurantqu’elleavait réservé pour la soirée. La migraine qui couvait derrière ses tempes prenait del’ampleur.Sesnerfsétaienttendusàcraquer.Elledésiraitquetoutsoitparfait.Quecettesoiréesedéroulesansaucunincidentfâcheux.

Elle avait passé l’après-midi chezTabitha, à se faire coiffer etmaquiller.Ses amiess’étaientd’abordmontréessceptiques,concernant lestylequ’elleavaitdécidéd’adopter,mais elles avaient fini par se rendre à ses raisons et s’étaient ensuite accordées à direqu’elleétaitfabuleuse.

Ashley avait choisi… la sophistication. L’opposé d’un style frivole, exubérant ouimpulsif.CettesoiréeétaitsachancedeprouveràDevonqu’elleétaitunehôtesseparfaiteetsoncomplémentidéal.

Sarobe,luiavait-onassuré,étaitcequisefaisaitdemieuxenmatièredepetiterobenoire.Aussiridiculequecelapuisseparaître,c’étaitlapremièrerobenoiredontellefaisaitl’acquisition.Danssonesprit,lenoirétaitassociéauxenterrements.Ilsuggéraitlesilence,lerecueillement,l’humeursombre.Ellepréféraitdeloinlescouleursvivesetgaies.

Ellen’avaitjamaisprêtéunegrandeattentionàsescheveux,et,laplupartdutemps,elle les laissait flotter librement sur ses épaules. Ou, à la rigueur, elle les relevaitsommairementavecunebarrettesansyprêterdavantaged’attention.

MaisTabithaavaitpasséuneheureàcréerunélégantchignonoùpasuncheveunedépassait. Pippa grommelait qu’ainsi, elle paraissait avoir quarante ans. Carly l’avaitlégèrement maquillée, choisissant soigneusement des tons discrets. Au lieu du rosehabituel,Ashleyportaitcejour-làunbrillantàlèvresclair.Lesperlesquesagrand-mèreluiavaitoffertesavantsondécès,deuxansauparavant,accompagnaientàlaperfectionlapetiterobenoire.

Unsimplerangdeperlesautourducouetunegrappeminusculeàchaqueoreille.Ashleyse trouvaitparfaite.Elleespérait seulementque lesautres seraientdumême

avis,etqu’ellenecommettraitpaslamoindrefaussenote.

A l’autre bout de la salle, un ensemble de jazz jouait en sourdine. Des serveurscirculaient entre les tables, offrant des hors-d’œuvre et une sélection de vins blancs etrouges.Deuxbarmenofficiaientderrièrelebarouvert,etunélégantbuffetoccupaittoutlemurdufond.

Desguirlandes lumineusesavaient été tenduesentre les arbustes enpot, créantuneambiancefestivedanslasalle.Aucentredechaquetable,unecompositionfloraleajoutaitunetouchedecouleurdanslalueurvacillantedesbougies.

Ashley avait réglé chaque détail de ces arrangements avec un soin qui frisaitl’obsession, au point qu’elle répétait des listes de menus dans son sommeil. Elle avaitpersonnellementgoûtéunàun tous leshors-d’œuvre,endemandantcependantàPippadelaseconder,carcelle-ciavaitlepalaisplusdélicatetdesgoûtsplusraffinés.

Aprésent,legrandmomentétaitarrivé.Elleavaitbeausedirequetouscesgensnecomptaientpaspourelle,qu’ilsn’étaientquedesassociésd’affairesdeDevonetdesonpère,elleneparvenaitpasàsedéfairedelacraintedecommettreunegrossièreerreuretdelesridiculiser,elleetsonmari,devanttoutlemonde.

—Ah,tevoilà,Ashley!s’écriaPippaenfendantlafouledéjànombreusepourveniràsarencontre.

—Tunepeux imaginercomme jesuisheureusede tevoir, réponditAshley.Mercid’êtrevenue.Mesnerfssontsurlepointdecraquer.

— Tu n’as aucune raison de te faire tant de souci, observa Pippa, fronçant lessourcils. Ce n’est qu’une simple réception. Détends-toi. Amuse-toi. Défais-moi cechignonridicule.

—C’estfacilepour toidedirecela,répliquaAshleyavecunrirenerveux.Cen’estpastoiquidoisfairefaceàunecentainedesplusprochescollaborateursdetonmari.

—Allons,viens,coupaPippa.Cessedetelamenteretallonsplutôtprendreunverre.Ashley se laissa entraîner jusqu’au bar, mais, arrivée là, elle ne commanda qu’un

verred’eau.Pippaluilançaunregardperplexe,etAshleysoupira.—J’airendez-vousdemainchezlemédecin,expliqua-t-elleàvoixbasse.Pasunmot

à qui que ce soit, compris ? Il se pourrait que je sois enceinte,mais je n’en ai encoresoufflé mot à personne. Le test de grossesse acheté en pharmacie n’a pas donné derésultat concluant,mais j’ai du retard.Voilà pourquoi je ne veuxpas toucher à l’alcoolavantd’êtresûre.

—Aquelleheureas-turendez-vous?—10heuresdemainmatin.— Très bien, alors voici ce que nous allons faire. Carly, Tabitha et moi allons

t’attendrechezOscar,et tuviendrasnousyrejoindrepourdéjeunerdèsquetuenaurasterminéavectaconsultation,ettunousraconterascequelemédecint’adit.

— D’accord, répondit Ashley, hochant lentement la tête. De toute façon, j’auraibesoindusoutiendemesamiesquelquesoitlerésultatdecetexamen.Jen’aipasencorevraimentdécidécequejedoispenserdecettesituation.

Pippaladévisagead’unairsurpris.—Veux-tudirequetun’espascertainedevouloirêtreenceinte?—Oui.Non.Peut-être.Jen’ensaisrien,avoua-t-elled’untondécouragé.—Ashley,quesepasse-t-ildanstatête,encemoment?Tuastoujoursdésiréavoir

desenfants.Ashleyallaitrépondrelorsqu’elles’aperçutqueDevonsedirigeaitdroitverselles.—Ecoute,dit-elled’untonpressant,jenepeuxpasteparlermaintenant.Pasunmot

àâmequivive,d’accord?Devonn’estaucourantderiennonplus.Pippaluidécochaunregarddubitatif,maiselles’abstintdetoutcommentairetandis

queDevonlesrejoignait.—Ah,vousvoici!IlserrabrièvementPippadanssesbras,puisilpritlamaind’Ashleyavantd’ajouter:— Avec votre permission, Pippa, je vais vous enlever mon épouse un instant.

J’aimeraislaprésenteràquelquespersonnes.Pippadéposaunbaisersurlajouedesonamie,etelleenprofitapourluichuchoterà

l’oreille:—Prendssoindetoi.Ashleylaremerciad’unsourire,puislaissaDevonl’entraîneraveclui.Durantl’heure

qui suivit, elle sourit et écouta en silence pendant queDevon la présentait à une fouled’inconnus et discutait avec eux de sujets qui la dépassaient complètement. Elle feignitcependant un intérêt sans faille, buvant chacune de ses paroles et hochant la tête auxmomentsappropriés.

Samigraineétaitdescenduelelongdesoncou,quidevenaitdouloureuxaumoindrede sesmouvements.Ses joues l’élançaient à forcede sourire, et elle avait affreusementmalauxpieds.

L’ancienneAshleyseseraitpromptementdébarrasséedesesescarpins,auraitdénouéses cheveux, et serait partie à la recherche d’une personne dont elle comprenait laconversation.Elle n’avait jamais éprouvédedifficulté particulière à communiquer aveclesgens.

LanouvelleAshley,elle,allaitdevoirsurvivreàcettesoirée,quelqu’ensoitleprix.Devon paraissait apprécier ses efforts. Il lui avait dit qu’elle était belle, et lui avait

souventsouritandisqu’ill’emmenaitdegroupeengroupe.C’étaitpeut-êtrel’effetdesonimagination,oud’undésir inconscient,mais il luiavait semblé lirede la fiertédanssesyeuxdorés.

— Ne bougez pas d’ici, dit-il en la laissant sur le bord de la piste de danseimprovisée.Jedoisallerretrouvervotrepère.Ils’apprêteàannoncerofficiellementqu’ilseretiredesaffaires.

Elle acquiesça en silence et attendit docilement à l’endroit où il l’avait laissée, bienque sespieds lui fassent souffrir lemartyre et que samigraine soit devenue si violentequesavuesebrouillait.

Ellecontinuaàsourireenversetcontretout,s’efforçantdedissimuleraumieuxsonmalaise.Poursechangerlesidées,ellesemitàsongeràsapossiblegrossesse.

A dire vrai, elle avait vécu dans le déni total durant toute cette semaine. Elle avaitrefuséd’ypenser,parceque,sielleacceptaitcetteéventualité,illuifaudraitréfléchiràlaréalitédesonmariageetaubien-fondédemettreaumondeunenfantdansunesituationaussiincertaine.

LanuitdernièreavecDevonavaitété…sonsourirevacillasurseslèvres,maisellesereprit rapidement.Elleavaitétémerveilleuse.Maispourquoi,exactement?Lesexe?Ledésir?Onnepouvaitpasdirequ’ilsavaientfaitl’amour,puisqu’ilnel’aimaitpas.

Il lui avait néanmoins manifesté une immense tendresse. Elle se souvenait avecembarrasqu’elleavaittotalementperdulecontrôledesesémotionsetqu’elleavaitpleurédanssesbras.Sepouvait-ilqu’iln’aitfaitl’amouravecellequepourlaréconforter?

Ce matin, il était déjà parti travailler lorsqu’elle s’était réveillée. Elle avait dormitard— une autre raison de soupçonner qu’elle était enceinte. Elle se sentait tellementfatiguéeque,certainsjours,illuiétaitmêmepéniblederesterdebout.Endeuxoccasions,elles’étaitmêmeautorisédessiestesimpromptues,car,autrement,elleseseraiteffondrée.

Il luiavaitdoncété impossiblede jauger sonhumeuraprès leurnuitd’amour.Elleignoraittotalementsileursituations’entrouvaitchangée.Etelledétestaitcetteincertitude.Ellesouffraitdenepasconnaîtresaplacedanscetterelation.

Devon l’avait traitée avecprévenance.Avecdouceur.Mais cen’était pas cequ’elledésirait. Elle ne voulait pas qu’il ait pitié d’elle parce qu’il lui avait brisé le cœur. Cequ’elledésirait,c’étaitsonamour.

Unevagued’anxiété,decolèreetdeconfusiondéferlasurelle,etellesentitsesjouesdevenirbrûlantes,maiselles’efforçadegarderunvisageserein.Ilvalaitpeut-êtremieuxéviterdepenseràsapossiblegrossesse.Elleétaitdéjàsuffisammentnerveuse.

AccompagnédeDevon,sonpèregrimpasurlapetiteestrade.Commetoujours,sonépousesetenaitaussiàsescôtés.MaisDevonn’avaitpassouhaitéqu’Ashleysoitlà-hautaveceux.Ilpréféraitqu’elleresteici,del’autrecôtédelapistededanse.Elleignoraits’illui adressait ainsi unmessage. Son amour-propre était déjà extrêmementmeurtri, aussiévitait-elled’envisagerd’autresscénariosdouloureux.

Sonpèreparlaaumicropendantprèsd’unedemi-heure,évoquantavectendressedevieux souvenirs, remerciant son équipe et sa famille. Elle esquissa un pâle sourirelorsqu’il la cita directement en lui adressant un sourire plein d’indulgence paternelle.Ensuite,ilannonçaqu’ilseretiraitdesaffairesetqueDevonseraitsonsuccesseur.

Ilyeutdesmurmuressurprisdanslasalleetdeshochementsdetêtesatisfaitsdelapartdeceuxquisedoutaientdéjàdecequisepréparait.Mais,surtout,Ashleysentitquede nombreux regards se tournaient vers elle. Elle remarqua des sourires entendus, deshochementsdetêtedanssadirection,deschuchotements.

Sa fragile façade commençait à se fissurer. Son sourire vacillait. C’était comme sitoute l’assistance venait de saisir la situation, et qu’ils se disaient : «Ah, je comprends

tout,maintenant!»Elle jeta un coup d’œil anxieux autour d’elle, cherchant une voie de sortie pour

s’échapper,maiselleétaitentouréed’unefoule.Et touslafixaient.Quelquespersonnes,desfemmessurtout,esquissaientdepetitssouriresironiques.

C’étaitlapiresoiréedetoutesavie.Pireencorequesanuitdenoces.

***

Devon se retrouvaassailli parune fouledegensvenus luioffrir leurs félicitations.Membresdelafamille,collaborateurs,certainsheureuxetd’autresclairementhésitantsetprudents. Mais il s’y attendait. L’annonce de changements générait toujours uneincertitudelégitime.

Cesoir,cependant,Devonfêtaituneautrevictoire.IlavaitprisWilliamàpartavantle début de la soirée pour lui annoncer queCopeland allait sponsoriser le refuge pouranimauxd’Ashley,et,pourcommencer, luioffriruneannéede financementcomplet. Ilétaitdéterminéàfaireensortequ’ellen’aitplusjamaisàverseruneseulelarmepoursescherspensionnaires.

Son beau-père l’avait traité d’idiot sentimental, mais il avait cédé, remarquantqu’aprèslapassationdepouvoirs,ilferaitcequ’illuiplairaitdetoutefaçon.

Maintenant,iln’attendaitplusquelemomentidéalpourannoncerlabonnenouvelleàAshley.Plustard,aprèslafête.Dansleurlit.Ensuite,illuiferaitl’amourlerestedelanuit.

Il en était à ce stade de ses réflexions lorsqu’il aperçut Cameron, qui, fendant lafoule,sedirigeaitverslui.

—Nousavonsréussi!s’exclama-t-ilenassénantuneclaqueamicaledansledosdesonami.Hommedepeudefoi,tun’ycroyaispas,n’est-cepas?

Cameronignorasaplaisanterie.Ilarboraituneexpressionrenfrognée,etsonregardétaitfixésurunpointau-delàdel’épauledeDevon.

—Quediableluias-tufait?gronda-t-il.Devon tourna la tête pour suivre la direction de son regard,mais tout ce qu’il vit,

c’étaitAshley,exactementàlaplaceoùill’avaitlaisséepourluiéviterd’êtreincommodéeparlafoule.

—Queveux-tudire?s’étonna-t-il.Cameronsecoualatêted’unairexcédé.—Tuneremarquesrien,n’est-cepas?Regarde-lamieux.Irrité par cette insistance, Devon s’apprêtait à envoyer son ami au diable

lorsqu’Ashleylevaunemainpourlaporteràsonfront.Cegesteluirévélaenunéclaircequ’ilavaitignoréjusque-là.Cequ’ilignoraitprobablementdepuisquelquetempsdéjà,etqueCameron,lui,avaitremarquéaussitôt.

Elleétaitpâle,lestraitstirés.Elleparaissaitfatiguéeetterriblementfragile.Elleavait

l’air…différent.Adesannées-lumièredelajeunefemmevibrante,pétillante,qu’ilavaitépousée.

—C’estprobablementunedesesmigraines,opina-t-il,fronçantlessourcils.—Tun’esqu’unidiot,répliquaCamerond’unairconsterné.Sansluidonnerletempsderépondre,ilpivotaalorssursestalonsets’éloignaparmi

la foule. Perplexe,Devon le regarda partir, se demandant ce qui avait provoqué un telagacementchezsonami.

Mais il n’avait pas le temps de s’attarder sur cet étrange comportement. Ashleyparaissaitàboutdeforces,lefrontplissésousl’effetdelasouffrance.Probablementuneautremigraine.

Il rejoignit le petit groupe assemblé autour de William et de son fils, Eric, et sepenchaàl’oreilleduvieilhomme.

—JevaisramenerAshleyàlamaison,l’informa-t-il.Voulez-vousm’excuserauprèsdenosinvités?

—Unproblème?s’enquitWilliamenlevantlesyeuxtandisqu’Ericcherchaitdéjàsasœurdanslafouled’unregardinquiet.

—Riendetrèsgrave,lerassuraDevon.Jecroisquesamigraineestrevenue.Ericseretournapourluidécocherunregardnoir.— Elle semble avoir ces migraines plutôt fréquemment, depuis quelque temps,

observa-t-ild’untonpincé.Devonn’avait pas l’intentionde rester là à débattre du sujet. Il saluaWilliamd’un

hochementdetêteetvolaausecoursd’Ashley.Il la trouva en train de bavarder avec deux employés de Tricorp. Ou, plutôt, eux

faisaientlaconversationetAshleysecontentaitdesourireetdehocherlatête.— Veuillez me pardonner, messieurs, dit-il d’un ton affable, mais j’aimerais vous

volermonépousesivouslepermettez.Le soulagement qu’il lut sur son visage lui donna un pincement au cœur. A

l’évidence, elle souffrait le martyre, et il l’avait obligée à attendre ici durant tout lediscoursdesonpère.

Il effaça instantanément de son esprit tous ses plans pour la soirée. Sa premièrepriorité était désormais de la ramener à la maison pour la soigner. La nouvelle dusauvetage de son refuge pour animaux attendrait bien le lendemain. Ils dîneraientensemble — sans doute une autre de ses préparations expérimentales — puis il luiannonceraitquesescherspensionnairesnecouraientplusaucundanger.

Illaserracontrelui,remarquantunenouvellefoislaprofondelassitudedesestraits.Mais, pis encore, on eût dit que la lumière s’était éteinte dans ses yeux d’ordinaire siexpressifs.

— Nous allons partir, murmura-t-il, luttant contre l’impression qu’un étau luicomprimaitlapoitrine.

— Pourquoi ? répondit-elle, levant les yeux vers lui. La soirée va encore se

poursuivrependantdesheures.—Voussouffrez,dit-ild’unevoixdouce.Est-celamigraine?—Jevaisbien,assura-t-elleenrougissant.Vraiment.Vouspouveztoutàfaitrester.

Jepeuxdemanderàpapademeraccompagner,voireprendreuntaxi.—Pasquestiondevouslaisserrentrerentaxi.J’aiterminécequej’avaisàfaireici.

Cette soirée est celle de William. Je ne vais pas vous laisser souffrir alors que vouspourriezêtreaulitàlamaison,àvousreposeraprèsavoirprisvotremédicament.

Ilvitsesépauless’affaisser,etelleacquiesçaensilence.Unemaindanssondos,illaguida vers la sortie sans s’arrêter pour répondre aux félicitations des gens qu’ilscroisaient.Etilremarquaunenouvellefoiscombienellesemblaitfragilesoussesdoigts.Cettesensationétaitindescriptible,maisunevulnérabilitépresquepalpableémanaitd’elle,l’enveloppantcommeunbrouillard.

Elledemeurasilencieusedurant tout le trajetdu retour, lespaupièresclosesdans lapénombrede lavoiture, si immobilequ’il redoutaitde faire lemoindremouvement,depeurdeladéranger.

De retour dans l’appartement, il l’aida à se déshabiller et tira les couvertures pourl’installerdanslelit.Ilsepenchapourdéposerunbaisersursonfront,puisilremontaledrapjusqu’àsonmenton.

—Jevaischerchervotremédicamentetunverred’eau.Asasurprise,ellesecoualatête.— Non, dit-elle d’une voix faible. Je n’en veux pas. Je déteste l’effet de ces

comprimés.J’aiseulementbesoindedormir.J’iraitrèsbiendemainmatin.Il fronça les sourcils, mais n’osa pas la contrarier. Elle avait besoin de ce fichu

médicament.Ellesouffraitvisiblementbeaucoup.Mais,déjà,elleavaitfermélesyeuxetsarespirations’étaitralentiecommesiellese

détendait.Ou,toutdumoins,commesielleessayait.— Très bien, capitula-t-il.Mais, si vous ne vous sentez pas mieux demain matin,

vousprendrezvotremédicament.Elleacquiesçasansouvrirlesyeux.—Promis.

-17-

DevonréveillaAshleylelendemainmatinpours’assurerdesonétat.Elleluiaffirmaqu’elleallaitmieux,bienqu’ellen’aitpasencoresurmontésacolèreetsonhumiliationdelaveille.Enréalité,elleavait seulementenviequ’il la laisseseule.Ladernièrechoseaumondedontelleavaitbesoin,c’étaitcesyeuxdorésfixéssurelleaumomentoùelleétaitsurlepointdecraquer.

Lorsqu’il fut parti travailler, elle se traîna jusqu’à la douche et demeura longtempssous les jets d’eau chaude. Puis elle expédia rapidement le reste de sa toilette. Elle sesécha lescheveuxparcequ’il faisait froidet lesattachaenunesimplequeue-de-cheval.Trop tendue pour songer à se maquiller, elle se contenta d’une touche de crèmehydratantesurlevisage.

Ellesesentaittouràtoureffrayéeetconsternéeparlaperspectivedesagrossesse.Acertains moments, il lui arrivait d’espérer de tout son cœur ne pas être enceinte. Ad’autres,elleétaitprised’unespoirsecretquesagrossesse…lesrapprocherait?Unetellenaïvetéétaitrisible.Aufondd’elle-même,ellesavaitquelavenued’unenfantnepouvaitenaucunemanièresauverunerelationvouéeàl’échec.Cependant,unepartd’elle-mêmeespéraitencorequeDevon,avecletemps,apprendraitàaimerlamèredesonenfant.

Elles’envoulutaussitôtd’avoirpu,neserait-cequ’uninstant,caresséunetelleidée.Pourquoi se contenterait-elle d’unhommequi ne l’aimerait queparce qu’elle portait salignée?

L’amournonpartagéétaitunenfer.Ellepritunpetitdéjeuner légerpourcalmersonestomac.Ellen’aurait sudireavec

certitudesisesnauséesmatinalesétaientlespremierssignesdesagrossesseouunsimpleeffet de sa fragilité émotionnelle des derniers jours. Peut-être désirait-elle si fort êtreenceintequesoncorpsenproduisaitlessymptômes.Unegrossessenerveuse?

Sanervositénefitqu’augmenteralorsqu’ellemontaitdansuntaxipourserendreàsa consultation. La seule personne au monde à savoir ce qu’elle faisait à ce moment,c’était Pippa. Et entre-temps, bien sûr, Tabitha etCarly.MaisAshley comptait sur elles

pourlasoutenirquellequesoitl’issuedurendez-vous.A la clinique, elle remplit tous les formulaires et attendit impatiemment qu’on

l’appelle. Ensuite, elle répondit à mille questions et se soumit à tous les prélèvementsnécessaires,avantderetournerpatienterdanslasalled’attente.

Cefurentlesvingtminuteslespluslonguesdesavie.Elle se tortilla sur son siège, essaya de feuilleter unmagazine. Puis, trop nerveuse,

elleselevaetcommençaàarpenterlasalled’attentetandisqued’autresfemmesàdiversstadesdelagrossessedéfilaientdanslecabinet.

Enfin, l’infirmière appela de nouveau son nom.Ashley se rua vers la porte et futconduitedansunpetitsalonprivéjouxtantl’unedessallesd’examen.

—Alors?demandaAshley,incapabledecontenirsonimpatiencepluslongtemps.L’infirmièreluisourit.—Vousêtesenceinte,MmeCarter.Jediraisenvironsixsemainestoutauplus.Mais

nousvousferonsrevenirpourd’autrestestsafind’avoiruneidéeplusprécise.Ashleysefigea.Unesueurglacéeperlaàsonfrontetsamigrainedevintsiviolente

quesavuesebrouilla.—Voussentez-vousbien,madame?s’enquitl’infirmièred’unevoixdouce.Faisantunviolenteffortpoursereprendre,Ashleyacquiesça.—Toutvabien,assura-t-elle.Jesuisseulementunpeuprisedecourt.Jeveuxdire…

jelesoupçonnais,maispeut-être,toutaufonddemoi,n’ycroyais-jepasvraiment.—Ilfautunpeudetempspoursefaireàl’idée,dit l’infirmièreavecunsourirede

sympathie. Le principal, c’est que vous vous reposiez.Vous avez besoin de tranquillitépour assimiler la réalité de votre nouvel état. Nous allons envoyer vos échantillons aulaboratoire pour nous assurer que tout est normal et nous vous appellerons s’il y a lamoindreinquiétude.Prenezrendez-vousàl’accueilpourvotrepremièrevisite.Cejour-là,nousferonségalementuneéchographie.

Ashley ressortit de la clinique dans un état de choc.Elle n’aurait pas dû être aussisurprise.Après tout,Devonet ellen’avaient jamaispris lamoindreprécautionpour luiéviter de tomber enceinte. En vérité, ils avaient même ouvertement évoqué cettepossibilité, mais c’était elle qui avait abordé ce sujet. Désormais, elle ne pouvaits’empêcher de se demander si une grossesse l’enthousiasmerait autant qu’il l’avaitprétendu.Commentêtresûrequ’iln’avaitpassimplementditcequ’ellevoulaitentendrepourqu’elleacceptedel’épouser?

Découragée, elle s’adossa à la banquette du taxi et ferma les yeux. Elle aurait dûdemanderàl’infirmièresisonmédicamentétaitcompatibleaveclagrossesse.

Le taxi la déposa à quelques centaines de mètres du restaurant où elle devaitretrouver ses amies. Remontant le col de son manteau, elle se mêla à la foule qui sepressait sur les trottoirs et s’engouffra quelques minutes plus tard dans l’entréebrillammentéclairéedupetitrestaurant,cherchantsesamiesdesyeux.Danslecoin,toutaufond,Pippaselevaetluifitdegrandssignes,aussitôtimitéeparTabithaetCarly.

Ashley courut presque jusqu’à elles. Elle avait désespérément besoin de se sentirentouréeduréconfortdesesmeilleuresamies.

—Alors?demandaPippaavantqu’elleaiteuletempsd’ôtersonmanteau.Dis-noustout!

—Es-tuenceinte?s’enquitTabitha.Ashleyselaissatombersurlabanquette,mentalementépuiséeparlesévénementsdes

dernières semaines. A sa grande horreur, elle sentit qu’un flot de larmes montait àsespaupières,commesilebarragequicontenaitsesémotionsfinissaitparcéder.

Souslesyeuxeffarésdesesamies,elleéclataensanglots.—Oh!monDieu,Ashley!s’écriaCarly.Qu’ya-t-il?Chérie,neleprendspasde

cettefaçon.Tuastoutletempspourtomberenceinte.—Maisjesuisenceinte!gémitAshley.Cettedéclaration luivalutdes regardsébahisde lapartde sesamies.Pippaprit les

chosesenmain,s’emparantd’unedesserviettesdetablepoursécherseslarmes.TabithaetCarlyl’entourèrentdeleursbras,luimurmurantdesparolesdeconsolationjusqu’àsessanglotsdésespérésaientcessé,laissantlaplaceàunreniflementoccasionnel.

—Qu’ya-t-il,Ashley?s’enquitPippad’un tonbrusque.Tuasunemineaffreuse.Et, en cemoment, tu n’es plus toi-même.Que signifiait ta tenue d’hier soir, avec cettecoiffure bizarre et ces vêtements que tu n’aurais jamais portés auparavant,même si ont’avaitpayéepourcela?

—Pippa!protestaTabitha.Nevois-tupasqu’elleestbouleversée?—Cequ’elleditestvrai,intervintCarlyd’untongrave.Deplus,noussommesses

amies,etnousl’aimons.Nousavonsledroitdeluidirequ’ellen’apasbonnemine.—Mavieestuntelgâchis!gémitAshley.—Nousavons toute la journée,ditPippad’un ton ferme.Maintenant, tuvasnous

racontercequit’arrive.Ashley leur débita toute l’histoire d’un trait. Chaque détail humiliant, jusqu’au

désastredesanuitdenocesetàsadécisiondeconquérirlecœurdeDevon.Lestroisfemmesladévisagèrentd’unairstupéfait.Puis,uneflammedecolèrebrilla

danslesyeuxdePippa.—Quelsaletype!s’exclama-t-elle.Jeledéteste!—Moiaussi,déclaraTabitha.—Jecroisquejel’auraisgiflé,marmonnaCarly.—J’espèrequetun’aspasl’intentiondelelaissers’entireràsiboncompte,gronda

Pippa.—Jenesaisplusquoifaire,avouaAshleyd’untonlas.—Regarde-moi, chérie ! dit Carly en s’emparant de sesmains. Tu es une femme

ravissante,aimanteetgénéreuse.Tuesparfaitetellequetues.Leseulquidoivechanger,dans cette relation, c’est ce voyou que tu as épousé.Quel culot !Amon avis, il ne teméritepas.

—Jesuisdumêmeavis,déclaraPippa.Tudevraisluidired’alleraudiable.Jevaistetrouverunavocat.

Tabitha pritAshley dans ses bras et la serra à l’étouffer, puis elle s’écarta d’elle etessuyagentimentsesjoueshumidesdelarmes.

— Un homme qui t’aime sincèrement ne te demanderait jamais de changer, machérie.Etceluiquiexigequetuchangescettepartieessentielledetoi-mêmeneméritepasquetuluiaccordesuneseuleminutedetontemps.

—Jevousaime,lesfilles,ditAshleyd’unevoixbrisée.Vousnepouvezpasimagineràquelpointj’avaisbesoindevousdanscettesituation.

—Jeregretteseulementquetunetesoispasconfiéeànousplustôt,déclaraPippa.Aucunefemmenedevraitendureruntelcalvairetouteseule.Aquoiserventlesamies?

Ashleysouritentreseslarmes.—Queferais-jesansvous,lesfilles?—Laquestionneseposemêmepas,répliquaCarly.Parcequenousseronstoujours

avectoi.—Alorsquecomptes-tufaire,maintenant?s’enquitTabithad’unairsoucieux.Ashley prit une profonde inspiration, car, jusqu’à cette seconde précise, elle

l’ignorait. Ou peut-être le savait-elle,mais elle avait refoulé la réponse dans un recoinreculé de sa conscience, incapable d’accepter la décision que son cœur lui avait déjàdictée.

—Jevaisluidirequejenepeuxpascontinuerainsi,déclara-t-elled’unevoixferme.—Voilàquiestparlé!grondaPippa.—As-tul’intentiondelequitter?s’enquitCarly.Ashleysoupiratristement.—Jenepeuxpasresteraveclui.Jeméritemieux.Jemériteunhommequim’aimeet

qui ne désire pasme changer. Je suis lasse d’essayer de devenir ce que je ne suis pas.J’aimaisbienlapersonnequej’étais.Jen’aimepasdutoutcellequejesuisdevenue.

—Maintenant, jetereconnais!s’exclamaTabitha.Etnetefaissurtoutaucunsoucipourlebébé.Tusaisquetesparentstesoutiendrontet,nous,nousseronstoujoursavectoiàchaqueétapeduchemin.Nousseronstesbaby-sitters.Noust’accompagneronschezlemédecinetmêmedanslasalled’accouchement.

—Arrêtez !ditAshleyd’unevoixétrangléed’émotion. Jecroisque jevaisencorepleurer.

— Veux-tu que l’une d’entre nous vienne avec toi ? s’enquit Carly d’une voixanxieuse.Jeneveuxpasquetuaiesàaffrontercettesituationtouteseule.Pippaferaitunealliée formidable.Elle peut semontrer effrayante lorsque quelqu’un fait dumal à ceuxqu’elleaime.

Pippaesquissaunsouriredeloup.—Non, réponditAshley, redressant les épaules. Je dois le faire seule. Il est grand

tempsquejereprennelecontrôledemavieetdemonavenir,quejesembleavoirperdu

depuisqueDevonafaitirruptiondansmonexistence.—Jesuisincroyablementfièredetoi,déclaraTabitha.—Nouslesommestoutes,ajoutaPippad’untonsansréplique.Situasbesoind’un

endroitoùt’installerenattendantd’avoirréglétouslesaspectsdelasituation,n’importelaquelled’entrenousseraheureusedet’accueilliraussilongtempsquetulesouhaiteras.

Ashley contempla ses trois amies, et l’affreuse douleur qui lui déchirait le cœurcommençaàs’atténuerdevantl’amouretlaloyautéqu’ellevoyaitbrillerdansleursyeux.Toutallaits’arranger.Ceseraitdifficiledurantquelquetemps,maiselletraverseraitcettemauvaisepasse.Elleavaitsafamilleetsesamies—lesmeilleuresdesamies—etbientôtunenfant.

A la secondeoù l’infirmière avait confirméqu’elle était enceinte, sonunivers avaitbasculé.Sesprioritésavaientradicalementchangé,etelleavaitsuinstinctivementqu’elledevaitsongerd’abordàl’intérêtdesonenfant.

Celaavaitétéuninstantdeprofondecommunionaveclesforcesdelavie.Soudain,ungrandcalme l’envahit.Ellesouffraitencore,maisellesavaitdésormais

cequ’elleavaitàfaire.Pourunefois,elleallaitsuivresonproprechemin.

-18-

Devon ne parvenait pas à se concentrer sur son travail. Il commettait des erreurs,perdait le fildesesconversationset, lepire,c’étaitqu’il ignorait lacausedececurieuxétat.

Cequiétaitcertain,c’étaitqu’ils’inquiétaitpourAshley.Iln’avaitpaseuenviedelaquitter,cematin,maiselleavaitaffirméqu’elleallaitbeaucoupmieuxetqu’ilnedevaitpas manquer une journée de travail pour elle. Pourtant, il ne parvenait pas à sedébarrasserdel’étrangemalaisequiluicomprimaitlapoitrine.

Quelquechoseclochait.Il s’apprêtait à l’appeler sur sonportable lorsque saporte s’ouvrit. Il releva la tête,

contrariéquesasecrétairen’aitpasannoncécevisiteur.Ilsavaitparfaitementqu’iln’avaitaucunrendez-vousàcetteheure-ci.

A sa grande surprise, il vit entrer Eric Copeland, une expression glacée sur sonvisage.Sonvisiteurvintsecamperdevantsonbureauetposasesmainsàplatsurleboispoli.

—Quediableavez-vousfaitàmasœur?— De quoi parlez-vous ? rétorqua Devon en repoussant son fauteuil pour se

redresser de toute sa taille. Je commence à en avoir assez d’entendre les gens medemander ce que je lui ai fait. Si vous souhaitez savoir pourquoi nous avons quitté lasoirée d’aussi bonne heure, c’est parce qu’elle avait une terriblemigraine et que je nedésiraispasqu’ellesouffreinutilement.Jel’airamenéeàlamaisonetjel’aimiseaulit.

—Vousnelesavezpeut-êtrepas,maisAshleynesouffredecesmigrainesquedansles situations de stress ou lorsqu’elle estmalheureuse, rétorqua Eric. Le fait qu’elle aitinterrompusalunedemielauboutdedeuxjoursàcaused’unemigrainemesembletrèsrévélateur.Sanscompterquecesmigrainesn’ontpratiquementjamaiscessédepuis.

Devon eut l’impression d’avoir reçu un coup à l’estomac. Il s’affaissa dans sonfauteuilsousleregardfuribonddufrèred’Ashley,quiledominaitdetoutesataille.

—Masœurestdésespérémentmalheureuse,poursuivitEric.J’ignorecequisepasse

entrevous,maisjen’aimepasdutoutcela.Elleachangé,etquelquechosemeditqueleresponsable,c’estvous.

— Elle est peut-être en train de devenir enfin adulte, répondit Devon d’une voixtendue.Safamilleneluiapasrenduserviceenlagâtantconstammentetenlaprotégeantdumondeextérieur.

Ericluidécochaunregardfurieux,etsespoingssecrispèrentsurlatable.Devonétaitprêt à se défendre, mais une petite voix tout au fond de sa conscience lui chuchotaitd’écoutercequelefrèred’Ashleyavaitàdire.

— Sa famille l’aime telle qu’elle est, gronda Eric. Nous l’aimons tous et nous lachérissons. Nous l’apprécions parce qu’elle est une personne magnifique, chaleureuse,aimante.Etaucundenousnesongeraitàluidemanderdechanger.Celuiquiessaieraitnelamériteraitpas.

Sansunmotdeplus, il tournales talonsetsedirigeaàgrandspasvers laporte,seretournantunedernièrefoissurleseuilpourfixerDevond’unregarddur.

—J’ignorequellesorted’arrangementvousaveznégociéavecmonpère,maisilaeutort.Ils’esttrompésurtoutelaligne.Vousn’êtespasl’hommequ’ilfallaitàmasœur.Cethomme-là aurait compris que la destinée lui avait fait un cadeau précieux, et il l’auraitappréciéàsajustevaleur.Jeveuxquevoussachiezquejevousaià l’œil.SiAshleyneredevientpasrapidementcellequ’elleétait,jevousgarantisquevousaurezdescomptesàme rendre. Je n’avais pas prévu de prendre la succession de mon père à la tête del’entreprise,mais,silaseuleautreoptionestdevousadmettreauseindelafamillealorsquevousrendezmasœurmalheureuse,jevousdonnemaparolequejeleferai.

Devons’abstintdetoutcommentaireetsecontentadehocherlatêtepourconfirmerqu’ilavaitentendulamenace.

Erics’enalla,nons’enluiavoirlancéundernierregardnoir.Après son départ, Devon resta un longmoment devant la baie vitrée, perdu dans

d’amèresréflexions.Puisilbaissalesyeuxversletéléphone,soudainimpatientdepasserlecoupdefilquiluitenaittantàcœurquelquesminutesàpeineauparavant.

Ilpritconsciencequ’ellene l’avaitplusappeléaubureaudepuisdessemaines.Pasuneseulefois.Plusdesonneriesloufoquesquiamusaienttantsescollègues.Plusunseule-mailsentimental.

Tout d’abord, il n’y avait pas attaché une grande importance. Après lemariage, ilavaiteuénormémentdetravail,entreWilliamquisouhaitaithâtersondépartenretraiteetlaconstructiondunouveaucomplexetouristique.

Ilavaitsimplementcontinuécommeparlepassé,espérantqu’avecletemps,Ashleyseremettraitdesadéceptioninitialeetqu’elleserendraitcomptequerienn’avaitchangéentreeux.Mais,àcetinstant,ilvenaitdecomprendre—vraimentcomprendre—qu’enréalitétoutavaitchangé.Acommencerparelle:elleavaitchangé.

L’Interphonevibra,etDevonrelevalatête,irrité.C’esttoutàl’heure,pourannoncerl’arrivée d’Eric, que sa secrétaire aurait dû l’appeler.Mais il oublia instantanément son

irritationdèsqu’ilentenditcequ’elleavaitàluidire:—M.Carter,votreépouseesticipourvousvoir.Un flot d’adrénaline rugit dans ses veines, et Devon se leva d’un bond. Ashley

n’avaitjamaismislespiedsdanssonbureau.Pasmêmedanslesdébutsdeleurrelation.Elletéléphonait,luienvoyaitdesmessagessursontéléphoneportable,quantitédetendrese-mails,maisellen’avaitjamaispoussélaportedel’immeuble.

—Faites-laentrer.Iltraversaitlebureaupourl’accueillirlorsquelaportes’ouvrit.Ashleyentrad’unpas

hésitant. Il nota aussitôt ses traits tirés, sa pâleur maladive, son regard éteint. Ils’immobilisa,unpressentimentfunesteluiserrantlecœur.

—J’espèrequejen’arrivepasàunmauvaismoment,dit-elled’unevoixdouce.Jevousdérange,peut-être?

—Biensûrquenon,voyons!Venezvousasseoir.Voulez-vousquejevousapporteuneboisson?

Il se sentaitnerveuxcommeunadolescent, et ildétestait cette sensation.Sansqu’ilcomprenne comment c’était arrivé, elle avait bousculé ses certitudes, etmis sa vie sensdessusdessous.

Elle secoua la têtepourdécliner sonoffre, et alla s’asseoir sur lepetit sofadans lecoindesonbureau.

—J’avaisbesoindevousparler,Devon.Touthommeainsi interpelléparsonépouseauraitdebonnesraisonsderedouter la

suite,mais,danslabouched’Ashley,cesmotsprenaientuneconnotationterriblement…définitive.

—D’accord,répondit-ild’unevoixsoigneusementcontrôlée.Jevousécoute.Ilpritplaceenfaced’elle,scrutantattentivementsestraitstirés.Cesyeuxauparavant

si lumineux, si vibrants de vie, étaient comme… éteints. Désespérés. C’était cela, lechangement sur lequel il ne parvenait pas àmettre unnom. Il cessa de respirer, et unemainglacée luiserra lecœur.Ledésespoirse lisait sursonravissantvisage.Or,Ashleyétait avant tout une éternelle optimiste. A sa grande honte, il devait avouer qu’il avaitautrefoisconsidérécetraitdecaractèrecommeundéfaut.Aprésent,ilauraittoutdonnépourlesentirchezelle.

—Jesuisenceinte,déclara-t-elled’unevoixégale,sansémotion.Sansjoieaucune.—C’estmerveilleux, répondit-il, consternépar le tonavec lequelellevenaitde lui

fairepartdecettenouvelle.— Je ne peux plus continuer ainsi, poursuivit-elle, les yeux brillant de larmes

contenues.—Que…voulez-vousdire?Elleseleva,etildutfaireappelàtoutesavolontépournepaslaforceràserasseoir

surcefichusofa,carilavaitsentiqu’elleluiéchappait,etcedemillefaçons.Sesmainstremblaient,maiselleluifitcourageusementface.

—Cemariage,dit-elled’unevoixéteinte.Ilm’afallutoutcetempspourcomprendrequ’iln’avaitaucunechancederéussir.Jeméritedavantage,etvousaussi.Vousméritezdetrouver une femme que vous aimerez sans que quelqu’un ne vous oblige quasiment àl’épouser.Jemériteunhommequim’adoreraetquidésireram’épouserpourmoi-même.Quelqu’unquin’essaierapasdemechanger.Quelqu’unquim’accepteraavec tousmesdéfauts.Quelqu’un qui aimera l’Ashley insouciante, impulsive, et qui ne se sentira pasgênéparsescomportements.

Sesyeuxs’emplissaientdelarmesetsavoixsebrisaitd’émotion,maisellepoursuivitbravement:

—J’aicru…j’aicruquejepourraisvousconvaincredem’aimer,Devon.C’étaituneerreur. La leçon a été dure, mais je sais maintenant que je ne peux pas devenir unepersonneque jene suispas,mêmepour conquérirvotre amour.Parcequecene seraitplusmoiquevousaimeriez.Ceseraitunpersonnagequej’auraisinventé,et,duranttoutcetemps,lavéritableAshleyseraittoujourslà,sanspersonnepourl’aimer.Jenepeuxpasm’infliger cela.Et jenepeuxpas infliger cela àmonenfant. Jedésired’abordêtreunefemmeetunemèredont jepuissemesentirfière.Jedoism’aimermoi-mêmeetêtreenpaixavecmonmoiprofond.Etcelavousétonnerapeut-être,maisc’est lecas. J’aimaisbienlapersonnequej’étais.Etais-jeparfaite?Biensûrquenon.Maisj’étaisheureuseàma façon, etmesamiesm’acceptaient telleque j’étais.Un jour,unhommem’accepteraaussi.Jusque-là,jepréfèreresterseuleetfidèleàmoi-même,plutôtquedevivreavecunhommequiposedesconditionspourm’aimeretm’accepter.

Abasourdiparcettedéclaration,Devonnefitpasungestepourlaretenirlorsqu’ellese dirigea vers la porte. Lorsqu’il prit conscience qu’elle était partie, il se retournaprécipitammentpourl’appeler,maissavoixn’étaitqu’uncroassement.

Laportes’étaitdéjàreferméesansbruitderrièreelle,lelaissantenproieausentimentquelavies’étaitretiréedelui.Ilsesentait…brisé.

Epouvanté, il comprit ce qu’il avait fait. Les jambes tremblantes, il tituba jusqu’ausofaets’ylaissatomber,enfouissantsonvisagedanssesmains.

Ilavaitdétruituntrésorinfinimentprécieux,etilneselepardonneraitjamais.Ilneméritaitaucunpardon.

Etait-cecelaqu’ilavait faitd’elle? songea-t-il, consterné.Elleétaitvenuedanssonbureaupourluiannoncersagrossessed’untonaussidétachéquesielleavaitévoquéunrendez-vouschezledentisteoul’achatd’unenouvellepaired’escarpins.

Ill’avaitvuepousserdegrandscrisettrépignerdejoieàl’annoncedelagrossessedesacousine.Mais,lorsqu’elleluiavaitannoncélasienne,sonregardétaitvideetmorne,lerefletd’unespritbrisé.

Et, le responsable, c’était lui. Personne d’autre que lui. Lui et sa conceptionarrogante, tyrannique, de ce qu’elle aurait dû être, de la façon dont elle aurait dû secomporter.Ilavaittrouvéuntrésoretill’avaitfouléauxpieds.

Ilavaitéteintunrayondesoleil.Etouffélajoieetlaviequ’ilyavaitenelle.

Cameronavaitraison.Ericavaitraison.Ashleyavaitraison.Ilnelaméritaitpas.Ilsavaient tous vu clairement ce qui lui échappait. Et lui, dans son arrogance, avait étépersuadédesavoircequiconvenaitlemieuxàAshley.

Ilavaittentédefaired’ellequelqu’und’autre,alorsqu’elleétaitparfaiteaunaturel.Iln’avait jamais compris jusqu’à cet instant à quel point son tempérament fantaisiste luimanquait.Lesappelsàtouteheureaubureaupourluidirequ’ellel’aimait.Sessoudainsélans d’affection, lorsqu’elle se jetait à son cou. Sa merveilleuse exubérance encompagniedesautres.

Sielleavaitnettoyéleurappartementàfond,effaçant toute tracedesaprésence,cen’était pas parce qu’elle en avait envie, mais parce qu’elle pensait que c’était ce qu’ilattendait d’elle. Elle imaginait lui faire plaisir en devenant une parfaite maîtresse demaison.

Quedire,dès lors,desonapprentissagede lacuisine,deces tentativesdésespéréespour s’attirer ses compliments ? Elle qui était fraîche et douce comme une brise deprintempsn’étaitplusquel’ombrepâled’elle-même.

Elleavaitperdutoutéclat,etcelaparcequ’ilétaitleplusgrandimbécilequelaterreaitjamaisporté.

Lecœurbattantàtoutrompre,saisid’unevaguenausée,ilserenditcomptequecelafaisaituneéternitéqu’elleneluiavaitpasditqu’ellel’aimait.Qu’ellen’avaiteupourluilemoindregesteaffectueux.Ellesecontentaitdesourire.

Des larmes brûlantes montèrent à ses paupières. Il avait tenu un trésor fragile etdélicatentresesmainsetill’avaitbrisé.Ilavaitrejetésonamour.Ill’avaitrepousséealorsqu’elles’offraità lui.Et il l’avaitfaitavecarrogance,commesiellen’étaitpasdignedelui.

Pasdignede lui?songea-t-il, réprimantungémissement.C’était luiquineméritaitpasderespirerlemêmeairqu’elle.

Et, dans un éclair, il comprit soudain qu’il l’aimait, qu’il l’avait toujours aimée,depuisl’instantoùilavaitposélesyeuxsurelle.Ill’aimait,elle,etnonlanouvelleAshleydiscrèteetefficace.Ilaimaitl’Ashleyimpulsive,passionnée,pétillante.Or,ilavaitessayédetuercequ’ilaimaitleplus.

Iln’avaitrienàenvieràRafeetàRyan,s’agissantdeseconduirecommeungoujataveclesfemmesquilesaimaient.Commentpouvait-ilespérerqu’Ashleyluipardonneraitunjour,alorsqu’ilnesepardonneraitjamaislui-même?

Elleportaitsonenfant,etelleallaitlequitter.Ilnelaméritaitpas.Ildevraitlalaisserpartirettrouverunhommequil’adoreetqui

latraitemieuxqu’ilnel’avaitfait.Maisilnepouvaits’yrésoudre.Luil’adorait,etilrépareraitlemalqu’illuiavaitfait,

mêmes’ildevaityconsacrerlerestedesonexistence.Mais,toutd’abord,ildevaits’assurerqu’ellenesortepasdéfinitivementdesavie.

-19-

Resserrantsonmanteauautourd’elle,Ashleydescenditdutaxidevantl’immeubledesesparents.Ellenesesentaitpasvraimentlaforcedeleurfaireface,maiselledevaitenfinir,etelleavaitbesoinduréconfortdesamère.

Devonl’avaitdéjàappeléeunebonnedouzainedefoissursontéléphoneportable,etelle avait fini par l’éteindre pour ne plus l’entendre sonner. Elle s’était attendue à sarésistance.Parbonheur,sonannoncel’avaitpristotalementaudépourvu,etelleavaitpuressortirdubureauenévitantlescrisetlesrécriminations.

Mais,maintenant, il exigerait de lui parler. Probablement pour lui faire la leçon ausujet de son impulsivité et de son irresponsabilité, puis il lui répéterait une fois encorequ’iln’yavaitaucuneraisonqueleurmariagenefonctionnepas.

Maiselledésiraitbiendavantagequ’unmariagequi«fonctionne».Ellevoulaitqu’ilsoit… fabuleux. Elle voulait un homme qui l’aime telle qu’elle était. Elle ne lerencontreraitpeut-êtrejamais,mais,entoutcas,ellen’allaitpassecontenterdequelqu’unquesonpèreavaitdûacheterpourqu’ilconsenteàl’épouser.

C’était l’autreraisonquimotivait lavisiteàsesparents.D’abord,elleordonneraitàsonpèredecesserd’interférerdanssavie.Ensuiteseulement,elleiraitembrassersamère.

Elleentradansl’appartementetôtasonmanteau.—Maman?appela-t-elle.Papa?Samèresortitdelacuisine,unsourireauxlèvres.—Bonjour,machérie.Qu’est-cequit’amène,aujourd’hui?Tuauraisdûtéléphoner.

J’auraispréparélethé.—Oùestpapa?s’enquitAshleyd’unevoixdouce.J’aibesoindeluiparler.Etàtoi

aussi,d’ailleurs.Gloriafronçalessourcils.—Jevaisallerlechercher.Unproblème?—Oui,onpeutledire.—Vat’asseoirdanslesalon,ditsamère,alarmée.Noust’yrejoignonstoutdesuite.

Restée seule,Ashley se dirigea vers le vaste salon et se plaça devant la cheminée,heureusedesentirsadoucechaleur.Ellesesentaitglacéeàl’intérieuretavaitl’impressionquerienneparviendraitplusjamaisàlaréchauffer.

Uninstantplustard,sesparentslarejoignirent,etelleseretournalentementpourleurfaireface.

—Ashley,monbébé,quesepasse-t-il?s’enquitsonpèred’unevoixcoupante.Samèreetsonpèreladévisageaienttousdeuxavecdesminessoucieuses,attendant

saréponse.Ashleyprituneprofondeinspirationetsejetaàl’eau:—J’aiquittéDevonetjesuisenceinte.Gloriaportaunemainàsaboucheetladévisagead’unairhorrifié.Williamvrillason

regarddeglacesurelle.—Quediables’est-ilpassé?—Tuesbienplacépourlesavoir,réponditAshleyd’untonamer.Commentas-tupu

mefairecela,papa?Commentas-tupunousmanipulertouslesdeuxdecettefaçon?Williamréprimaunjuron,etsonvisagedevintcramoisi.—Bonsang!Jeluiavaispourtantordonnédesetaire!—Ilnem’ariendit.Jel’aidécouverttouteseulelesoirdenotrenuitdenoces.Peux-

tuimaginercequej’airessentienapprenantlejourdemonmariagequemonpèreavaitpratiquementachetémonmari?

—William!s’écriasamère.Dequoiparle-t-elle?Ashleysesentitsoulagéed’apprendrequesamère,aumoins,n’étaitpasaucourant

ducomplot.Ellen’auraitpusupporterd’avoirétédoublementtrahie.— Papa m’a incluse dans le contrat Tricorp, expliqua-t-elle, s’efforçant d’afficher

une mine sereine. Il a obligé Devon à m’épouser, sous peine de retirer son offre defusion.

—Cen’estpasdutoutainsiquecelas’estpassé!protestaWilliam.Je…Il s’interrompit et se passa la main dans les cheveux d’un geste las, avant de

poursuivre:—Jenevoulaisque tonbien.J’aipenséqueDevons’occuperaitbiende toi.Qu’il

étaitl’hommequ’iltefallait.— Je suis assez grande pour m’occuper de moi-même. Je n’ai pas besoin d’un

hommepour cela. J’aibesoind’unhommequim’aimepourmoi-même,pasparcequemonpèreagiteunjuteuxcontratdevantsesyeux.

Recouvrantenfinsavoix,Gloriaseprécipitapourserrersafilledanssesbras.—Oh!machérie!Jesuisdésolée!Jen’avaispasidée…Ashleyfermalesyeux,absorbantavecdélectationl’amouretl’acceptationqueDevon

luiavaitrefusés.Auboutd’uninstant,samères’écartad’ellepourluicaresserdoucementlescheveux.

—Tuesdoncenceinte?Quandl’as-tuappris?—Jesuisalléechezlemédecincematin.Ensuite,jesuisalléevoirDevon.

—Ashley, es-tu certaine d’avoir pris la bonne décision ? intervint son père. Je necrois pas une seule seconde queDevon n’éprouve aucun sentiment pour toi. Réfléchisbien,machérie.Veux-tuvraiment toutdétruireàcausede la façondontvousvousêtesrencontrés?Jecomprendstacolèreetj’assumepleinementmaresponsabilité.Devonn’ajamaiseul’intentiondetetromper.C’étaitmonidéedepuisledébut.

—Iln’aimepas la femmeque jesuis, réponditAshley, luttantcontre les larmes. Ilme juge frivole, irresponsable, impulsive, tropconfiante. Ilveutmechangerdu toutautout.Commentpouvez-vouscroirequec’estavecuntelhommequejedésirepassertoutemavie?Commentexpliquerai-jeàmonfilsouàmafillequej’acceptedevivreavecunhommepourquijenesuisrien?Commentpourrai-jeluienseignerlerespectdesoisijenemerespectepasmoi-même?

Serrantdenouveausafilledanssesbras,Gloriafusillasonmariduregard.—Commentas-tupufaireunechosepareille,William?Quelleidéefolleabienpu

tepasserparlatête?Tuauraispuaussibiendireàtafillequ’ellenecomptepasetquesonavisn’aaucuneimportance.Tuasdéjàfaitdesbêtisesdanstavie,maiscelle-cibattouslesrecords.

—Ashley,s’ilteplaît,ditsonpèreensoupirant,nesoispasencolèrecontremoi.Jenevoulaisque tonbonheur.Tuesmonuniquefille,et je tenaisàassurer tonavenir.JepensaisqueDevonettoiferiezuncouplesolide.J’avaistort,etj’ensuisdésoléàunpointquetunepeuximaginer.

—Iln’estpasquestionquetuannulesvotreaccord,ditAshleysanséleverlavoix.Tu ne puniras pas Devon pour son incapacité à m’aimer. Si tu considères qu’il est lemeilleurchoixpourl’entreprise,tantmieux.Maislaisse-moiendehorsdevosaffaires.Al’avenir, j’aimerais être libre de faire mes propres choix sans qu’on tente de memanipuler.

—Jet’aime,machérie,tudoismecroire.Jen’aijamaiseul’intentiondetefairedumal.Devona tentédememettreengarde. Ilnevoulaitpas tementir. Ilestimaitque tuavaisledroitdeconnaîtretoutelavérité.Maisj’étaisaveugléparmescertitudes,etjenel’aipasécouté.J’ensuisprofondémentdésolé.

Ashley sentit un flot de larmesmonter à ses paupières. Qu’aurait pu devenir leurrelation,siseulementonleuravaitlaissélalibertédelavivre?

Williams’approchad’unairhésitantetserrasafilledanssesbras.—Tusaisquetupeuxcomptersurtamèreetmoiquoiqu’ilarrive.Etnousseronslà

aussilorsquelebébéarrivera.— Je sais, murmura Ashley. Et je t’aime aussi, papa. Mais, à l’avenir, laisse-moi

commettremespropreserreurs.Tesintentionsétaientbonnes,maislerésultat,c’estquejesuistombéeamoureused’unhommequinepourrajamaism’aimer.

—Veux-tuquenousenvoyionsquelqu’unchercher tesaffaires?proposasamère.Tusaisquetupeuxt’installericiaussilongtempsqu’ilteplaira.

—Non,merci.Jecroisquejevaisprofiterquelquetempsdel’hospitalitédePippa.

Aumoins jusqu’à ce que j’aie décidé de ce que je vais faire dema vie. J’ai besoin detrouver un emploi car, désormais, je dois penser àmon enfant.Devon a raison sur unpoint.Ilestgrandtempsquejedevienneadulte.

***

Combiendetempss’entêterait-elleencoreàl’éviter?Devon faisait lescentpasdans sonbureau,bienqu’il ait été incapabledumoindre

travailcohérentdepuisqu’Ashleyl’avaitquitté,troisjoursplustôt.Iln’avaitpasdormi.Ilavaitusésontéléphoneàforcedel’appeler.Ilavaittéléphonéàsesamies,àsesparents,àtouslesmembresdesafamilledontilpossédaitlenuméro.

Sesdémarchesavaientétéassezfraîchementaccueillies,cequiétaitcompréhensiblevulescirconstances.

Celaluiétaitbienégal.S’agissantd’Ashley,iln’avaitplusaucunorgueil.Toutcequilui importait, c’était qu’elle revienne. Il aurait tout donné pour revoir ses affaireséparpilléesdans tout l’appartement, pour sentir sonparfum lorsqu’il pénétrait dansunepièce.Ildésiraitlavoirdenouveauheureuse.Ilbrûlaitderevoirsonsourire.

Lorsqu’iln’étaitpasàsonbureau, il l’attendaitdans l’appartement.Maisellen’étaitpas revenue. Pasmême pour récupérer ses affaires. Tous ses vêtements étaient encoresoigneusement accrochés dans le dressing. Ses chaussures—elle possédait un nombreincalculabledepaires—étaientalignéesdansleursboîtessurlesétagères.Ashleyn’allaitjamaisnullepartsanssacollectiondechaussures,et lefaitqu’ellenesoitpasvenuelescherchercommençaitàl’inquiéter.

Siseulementelledécrochaitsonfichutéléphone!Ousiellerépondaitàsescentainesdemessages!Ilavaitbesoindesavoirqu’elleallaitbien.Elleétaitenceinte!Quiveilleraitsurellesiellesouffraitd’uneautredesesmigraines?

D’après Eric, ces migraines revenaient fréquemment lorsqu’elle était malheureuse.Or,Devonluiavaitrendulaviemisérableetsonmédicamentétaitrestéici.Mêmesiellenepouvaitplusleprendreàcausedesagrossesse,ilauraitpuaumoinslaserrerdanssesbras,luimasserlestempes,s’assurerqu’ilfaisaitfraisetsombredanslachambre.

Siseulementelleconsentaitàluiparler,àluilaissersimplementunepetitechancedeluidirecombienill’aimait!Iln’avaitjamaiscomprisàquelpointlemerveilleuxrayondesoleilqu’elleapportaitdanssavieluimanquait,jusqu’àcequ’ilsesoitéteint.Masquéparlesparolesmalencontreusesqu’illuiavaitjetéesauvisage.

Sontéléphoneportablesonna.Ilseprécipita,espérantqueceseraitenfinAshley,etilne put réprimer une grimace de déception en lisant le nom sur l’écran. Ce n’était queRafe.

—Allô?marmonna-t-ilsansenthousiasme.—C’est une fille ! criaRafe d’un ton joyeux.Unemagnifique petite fille de deux

kiloshuitcentsgrammes.Elleestvenueaumondeilyauneheure.

Devon ferma lesyeux, ravalant sonamèredéception.Acet instantprécis, il enviaitterriblementsonami.

—C’estformidable,Rafe.EtcommentvaBryony?— Bien, très bien. Elle a été très courageuse. Bien plus que moi, qui ai failli

m’évanouirdanslasalledetravail.Jesuisfierd’elle.Lebébéestleportraittoutcrachédesamaman.

—Dis-luiquejepensebienàelle,murmuraDevon.Jesuistrèsheureuxpourvousdeux.

—Toutvabien,Devon?Tuasunedrôledevoix.Devon hésita. Il n’avait pas envie de gâcher le bonheur de son ami le jour de la

naissancedesafille,maisilétaitauboutdurouleau,etilavaitbesoindeconseils.—Non,répondit-ilentoutefranchise,celanevapastrèsfort.Ashleyestenceinte,et

ellem’aquitté.—Oh!Attendsuneminute!Bontédivine!Jepensaisqu’elleétaitabsolumentfolle

detoi.Quediables’est-ilpassé?Depuiscombiendetempsest-elleenceinte?—Jen’ensaisrien,convintDevond’untonlas.Enfait,jen’aiabsolumentaucune

idéedecequim’arrive.Elleestapparuedansmonbureau,ilyatroisjoursdecela,pourm’annoncer qu’elle était enceinte.Et, dans la foulée, ellem’a aussi annoncéqu’ellemequittait.

—Aïe!fitRafe.Jenevoudraispasêtreàtaplace.Jesuisvraimentdésolépourtoi,monvieux.Ya-t-ilquelquechosequejepuissefaire?

Devon se cala dans son fauteuil et le fit pivoter pour faire face au spectacle de laneigequitombaitengrosflocons,au-delàdelabaievitrée.

— Oui, peut-être, répondit-il d’un ton hésitant. Tu peux me conseiller. J’aiabsolumentbesoinqu’ellerevienne,Rafe.

Ilyeutunlongsilence,puisRafesoupira.— D’accord. Première question : l’aimes-tu, ou bien veux-tu seulement qu’elle

revienneparcequ’elleportetonenfant?—Jel’aime,réponditDevonsanshésitation.J’aitoutgâchémaisjel’aime,mêmesi

ellerefusede lecroire.Jemesuisvraimentmalconduitavecelle,Rafe.Acôtédemoi,Ryanettoiêtesdevéritablesenfantsdechœur.

—Acepoint-là?Voilàquisemblegrave,trèsgrave.—Cela,jelesavaisdéjà.—Ehbien,monvieux,jenepeuxqueterépétercequem’aditunsagelorsquejeme

morfondais à me demander comment j’allais pouvoir convaincre Bryony de mepardonner:«Sorslegrandjeuourentrecheztoi.»

—Etquesuis-jecensécomprendreparlà?—Cequecelasignifie,c’estqu’ilesttempsdedonnerlagrosseartillerie,defaireun

gestespectaculairepourelle,ungestequ’ellenepourrapasignorer.Supplie-laàgenoux,humilie-toidevantelle.Lapremièrefois,cen’estpastrèsplaisant,mais,sielletereprend,

tupasseraslerestedetaviedanscetteposition,alorsautantt’yhabituertoutdesuite.—Siellemereprend,jepasseraiavecjoiemavieàgenouxdevantelle,marmonna

Devon.—Ecoute,Bryonydortavecnotrefille,etjecroisquejevaisallerlesrejoindre.La

familleestcequ’ilyadeplusbeauaumonde.Faiscequ’ilfautpourretrouverlatienne.—C’estbiencequej’ail’intentiondefaire.Merci,Rafe.Devonglissaletéléphonedanssapoche,réfléchissantauconseildesonami:«Sors

legrandjeuourentrecheztoi.»C’étaitunbonconseil,et ilétaitbiendécidéà lesuivre. Ilnereculeraitdevant rien

pourqu’Ashleyluiaccordeunesecondechance.

-20-

Assise sur le sofa de Pippa, les genoux recouverts d’une couverture moelleuse,Ashley sirotait une tasse de thé en regardant tomber les flocons. Il neigeait sansdiscontinuerdepuisdeuxjours,etlavilledisparaissaitsousunépaismanteaublanc.Elleregrettait le confort de son appartement—ou plutôt, de l’appartement deDevon.Celan’avait jamaisétévraiment lesien.Unsoircommecelui-ci, ilsauraientregardéunfilm,blottisdevantlacheminée.

—Salut,toi!ditPippaenselaissanttombersurlescoussinsprèsd’elle.Commenttesens-tu?Pasdenausées?

C’étaitprobablement lafautedeshormonesde lagrossesse,maisdegrosses larmesperlèrent à ses paupières quand elle pensa à la sollicitude affectueuse dont son amiel’avait entourée depuis son arrivée chez elle. Sans même de vêtements de rechange,puisqu’elleavaitlaissétoutessesaffairesàl’appartementetn’avaitpastrouvélecouragede retourner les chercher. Pippa lui prêtait les siens, mais bientôt — peut-être dès lelendemain—elleallaitrassemblertoutsoncourageetfairefaceàlasituation.

—Oui et non, répondit-elle.Honnêtement, j’ignore si c’est la grossesse oubien lestress,mais jemesensunpeunauséeuse,etaucunenourrituren’estàmongoût.Mêmemesplatspréférésontperdutoutattrait.

—Probablementunpeudesdeux,opinaPippa.As-tudéjàparléavecDevon?— Non, avoua Ashley, reposant sa tasse avec un soupir. Je suis trop lâche pour

l’affronter.—Cen’estpasvrai!grondaPippa.Ilafalluducouragepourentrerdanssonbureau

etluidiresesquatrevéritéscommetul’asfait.Jesuisextrêmementfièredetoi.—MonDieu, comment j’aimerais arrêter de pleurer ainsi à tout bout de champ !

gémit Ashley. Pippa, tu es parfaite. Tu es intelligente, une fabuleuse cuisinière, belle àcouperlesouffle,etlameilleureamiedontonpuisserêver.

— Et, étrangement, je suis encore célibataire, observa Pippa avec un souriremélancolique.

—C’est seulement parce que tu es très sélective, répliqua Ashley, riant entre seslarmes.Ettufaisbien.J’auraisdûm’appliqueràsuivretonexemple.

—Ashley,tuignoresàquelpointtuesspéciale,ditPippaensepenchantverselle,sonexpressionsoudainsérieuse.Lorsquenous toutesenétionsencoreànouschercher,enchaînant les aventures d’un soir et perdant notre temps en compagnie desmauvaisespersonnes, toi, tu étais sereine et lucide. Tu savais exactement qui tu étais et ce que tuattendaisdelavie.Tuterespectaistoi-mêmeettuexigeaislemeilleurchezlesautres.LefaitqueDevonaitcrudevoirtefairechangernesignifiepasquetuaiestort.Tuesunpeuperduepourlemoment,mais,aumoins,tuneluiaspaspermisdefairedetoiquelqu’und’autre.

Ashleysourit,mais,aufondd’elle-même,ellesedemandaitsiPippaavaitvraimentraison.Devonl’avaitchangée.Etmêmedefaçonirréversible.Malgrésarésistance,elleneseraitplusjamaiscellequ’elleétaitavantqu’ilfasseirruptiondanssonexistence.

Mais, c’était peut-être cela, la vie. Les gens et les circonstances changeaient unepersonne.Cequicomptait,c’étaitcequel’onfaisaitdecechangement.

Onsonnaàlaporte,etPipparéprimaunegrimace.—Sic’estunautrevendeurauporte-à-porte,jevaislejeterdehors,grommela-t-elle.

C’estletroisièmecettesemaine.—C’estpeut-êtrelelivreurdel’épicerie.—Non, répondit Pippa d’un air songeur. Je suis presque sûre qu’il ne passe que

demain.Maistuaspeut-êtreraison.Attends-moi,jerevienstoutdesuite.—Resteassise,répliquaAshleyenrepoussantsacouverture.Tuastravaillétoutela

matinée,alorsquejen’aifaitquerestervautréesurlescoussinsàmelamentersurmonsort.

Pippa leva les yeux au ciel, mais elle retomba assise sur le sofa tandis qu’Ashleytrottinait vers l’entrée. Elle ouvrit la porte de l’appartement en rez-de-chaussée etdécouvritDevon,plantésurleseuil,lescheveuxcouvertsd’unefinecouchedeneige.Ilportait unmanteau,mais pas d’écharpe ni de chapeau, et il avait l’air de ne pas avoirdormidelasemaine.

—Bonjour,Ashley,dit-ild’unevoixtranquillemaisdéterminée.Elles’agrippasifortauchambranlequesesjointuresblanchirent,et il luifallutune

secondepoursereprendre.—Euh…bonjour,Devon.Quefaites-vousici?Ilrit,maiscen’étaitqu’unsoncreux,quin’exprimaitaucunejoie,aucunamusement.—Voilàune semainequemonépouseadisparu.Ellene répondpasau téléphone.

Elle ignore mes messages. Je suis fou d’inquiétude de ne pas savoir ce qu’elle estdevenue.Et,lorsquejeparviensenfinàretrouversatrace,ellemedemandecequejefaislà.

— Je comptais passer demain pour récupérer mes affaires, répondit-elle ens’efforçantdecontrôlerletremblementdesavoix.Sivousêtesd’accord,biensûr.

—Jenesuispasd’accord,répondit-il,lesdentsserrées.Alarméeparlavéhémencedesavoix,ellefitunpasenarrière,etilsoupira.—Pourrions-nousallerquelquepartpourparler,Ashley?—Non,répondit-ellesansaucunehésitation.Jenepensepasquecesoitunebonne

idée.—Vousnepensezpasquecesoitunebonneidée,répéta-t-ild’unairlugubre.Vous

êtes enceinte de mon enfant. Nous sommes mariés depuis peu. Et, selon vous, nousn’aurionsrienàrégler?

Ashleyfermalesyeuxetportaunemainàsonfront.—Ashley?appelaPippa.Toutvabien?Unesecondeplustard,ellearrivaitderrièreAshley.—Quiest-ce?—Toutvabien,Pippa.C’estDevon.L’expressiondePippas’assombrit,maisAshleyl’arrêtad’ungestedelamain,etson

amie,demauvaisegrâce,fitdemi-touretretournadanslesalon.—Jesuislàsituasbesoindemoi,lança-t-elleenseretirant.Dèsquesonamieeutdisparu,AshleytournadenouveausonattentionversDevon.—Jesaisquenousavonsbesoindeparler.C’est seulementque jenemesenspas

encoreprête.Mêmesicelavousparaîtdifficileàcroire,toutceciaététrèsdurpourmoi,Devon.

Ilfitunpasenavantetsonexpressions’adoucit.—Jesaisquecelan’estpasfacile,monange.Mais,s’ilvousplaît,j’aitantdechoses

àvousdire!Avousmontrer!Hélas,jenepeuxpaslefairesivousrefusezdemeparler.Accordez-moi cet après-midi. S’il vous plaît ? Si, après cela, vous n’avez toujours paschangé d’avis, je vous conduirai moi-même à l’appartement et je vous aiderai àrassemblervosaffaires.

Elle le dévisagea, stupéfaite par le ton implorant de sa voix.On aurait presque ditqu’ilretenaitsonsouffle,attendantsaréponse.Etcettetristessedanssonregard…

—Je…jevaispassermonmanteau,répondit-elled’untonrésigné.UnsoulagementintenseéclairalevisagedeDevon,etsesyeuxdoréssemblèrenttout

àcoupreveniràlavie.Ilseredressa,lafixantd’unregardbrillantd’espoir.— Et des chaussures, observa-t-il en souriant. Je vous en ai justement rapporté

quelquespairesdel’appartement.—Vousm’avezrapportémeschaussures?répéta-t-elled’untonincrédule.—Sixpaires,confirma-t-ild’unairunpeuembarrassé.Ellessontdanslecoffrede

mavoiture.J’ignoraislesquellesvouspréfériez,alors j’aiprivilégiécellesquipourraientvousprotégerdelaneigeetdufroid.

—C’esttrèsgentil,répondit-elle,sentantquelquechosesedétendreenelle.Donnez-moi le temps de ramasser mon manteau et mon bonnet. Si vous m’avez apporté desbottes,ceseraparfait.

—Jerevienstoutdesuite.Nebougezpasd’ici.Jenevoudraispasquevousglissiezsurleverglas.

Iltournalestalonsetrepartitaupasdecourseversleboutdelarue,oùilavaitgarésa voiture. Ashley resta là un moment à le suivre d’un regard étonné. Devon utilisaitrarement sa voiture personnelle. Lorsqu’ils se déplaçaient ensemble, il faisaitgénéralementappelàsonservicedelimousinesouilshélaientuntaxi.

Elle se rendit soudain comptequ’elle était plantée sur le seuil avec la porte grandeouverte laissant entrer l’air glacé. Elle battit précipitamment en retraite à l’intérieur del’appartement,refermantlaportederrièreelle.

Ellerentraenhâtedanslesalon,et,ramassantunebrossesurlapetitetableauboutdusofa,entrepritdebrosserénergiquementsescheveux.

—Ashley,quesepasse-t-il?s’enquitPippad’untoncirconspect.—Jen’ensuispastoutàfaitsûre,convintAshleyensetournantverssonamie,sa

brosse à la main. Devon désire que nous parlions. Il m’a demandé de lui consacrerl’après-midiet,siàcestadeiln’apasréussiàmeconvaincre,ilproposedemerameneràl’appartement et dem’aider à déménagermes affaires. Il se conduit d’une façon… trèsbizarre.

—Cen’estguèreétonnant,grommelaPippa.Tul’asplaquéaprèsluiavoirannoncéquetuétaisenceintedesonbébé.Ilyadequoifaireréfléchirn’importequi.

—Jesupposequejevaisalleraveclui…pourparler,ditAshley,reposantlabrosseàcheveuxsurlapetitetable.

—Appelle-moiplustard,grognaPippa.Jeveuxunrapportcomplet.Ashleysoufflaunbaiserendirectiondesonamieetallajusqu’auplacarddécrocher

sonmanteau et son écharpe, puis elle glissa ses cheveux sous un bonnet de laine et sedirigeaverslaporte.

Lorsqu’ellel’ouvrit,elletrouvaDevonquil’attendaitsurleseuil,unepairedebottesfourréesàlamain.

—Laissez-moifaire,dit-ilenposantungenouàterre.Jevaisvousaideràlesenfiler.Elle appuya sa main sur sa vigoureuse épaule pour maintenir son équilibre tandis

qu’il luienfilaitsesbottes l’uneaprès l’autre.Puis ilse redressaet luiprit lamainpourl’aider à descendre les marches du perron. Il la guida jusqu’à sa voiture et l’aida às’installersurlesiègepassager.

— Où allons-nous ? s’enquit-elle alors que la voiture démarrait, se mêlant endouceuràlacirculation.

—Vousverrez.Ellesoupira.Devonposaunemainsurlasienne,surlaconsolecentrale,etmêlases

doigtsauxsiens.—Faites-moiconfiance,Ashley.Jesaisquec’estbeaucoupvousdemanderetqueje

neleméritepas,maisayezfoienmoijustecettefois-ci.Ashleynepouvait rester insensibleà lasincéritéqu’elleentendaitdanssavoix. Ily

avaitunevulnérabilitéàfleurdepeaudanschacunedesesparoles,danschacunedesesexpressions. Il avait l’air aussi malheureux qu’elle, comme si sa souffrance intérieureégalaitlasienne.

Cela n’avait aucun sens. Certes, il ne célébrait pas la fin de leur mariage auchampagne,maissonaccordavecWilliamtenaittoujours,etilavaitobtenutoutcequ’ildésiraitsansavoiràs’encombrerd’uneépouseinutile.

Lorsquelavoitures’arrêtadevantlerefugepouranimaux,Ashleydemeurauninstantimmobilesursonsiège,lefrontbarréd’unplideperplexité.

—Quefaisons-nousici,Devon?Devondescenditdelavoitureet,faisantrapidementletourducapot,vintluiouvrir

saportièreetluipritlamainpourl’aideràdescendreàsontour.—Venez.Ilyaquelquechosequejedésirevousmontrer.Elleselaissaentraînerversl’entréeduvieilimmeuble.Dèsqu’ilsfurentàl’intérieur,

les sons et les odeurs familiers des animaux assaillirent ses sens. Elle reconnut avecattendrissement Harry le chat, la mascotte du refuge, paisiblement endormi sur lecomptoirdelaréception.

SasurpriseaugmentaencorelorsqueDevon,latiranttoujoursparlamain,l’entraînadans le couloir bordé de cages métalliques. Il n’était jamais venu ici auparavant.Commentpouvait-ilsavoirprécisémentoùilallait?

Il s’arrêta devant la grande salle qu’ils utilisaient pour permettre aux nouveauxmaîtresetauxanimauxadoptésdesefamiliariser lesunsavec lesautres. Il luioffritunbrefsourireunpeutimide,puisouvritlaporteengrand.Al’intérieur,Mollyetlesautresbénévoles du refuge étaient alignés comme à la parade. Lorsque Devon et Ashleyfranchirentleseuil,ilséclatèrentenbruyantesovations.

—Quesepasse-t-il,ici?balbutiaAshley,effarée.—Ditesbonjouràvotrenouvelleéquipe,dit-il.Vousêtesdésormaisladirectricedes

opérationsdurefugeCopeland.Muette de surprise, Ashley dévisagea Molly et les autres bénévoles souriants l’un

aprèsl’autre.Puis,elletournadenouveausonregardversDevon.—Je…necomprendspas,dit-elled’unevoixfaible.Nousnefermonsdoncplus?—Biensûrquenon!réponditMollyenseprécipitantpourlaserrerdanssesbras.Et

c’est grâce à votremari ! Il nous a procuré les financements qui nousmanquaient nonseulementpour rester solvables,maisaussipourd’importantes rénovationsetpourunecampagne de communication digne de ce nom, nous permettant de placer efficacementnospensionnairesdansdebonsfoyers.

—Vous avez fait cela pourmoi ? s’exclamaAshley, s’extrayant des bras deMollypoursetournerverslui.

—Jel’avaisfaitavantquevousmequittiez,répondit-ild’untonbourru.J’enavaisparlé avec votre père le soir du cocktail. Je l’avais même menacé de refuser de luisuccéders’ilneconsentaitpasàfinancerlerefuge.

Ashleyledévisagea,bouchebée.Elleressentitunsoudainbesoindesejeterdanssesbras,maiselleréprimacetélan,sachantquecen’étaitpascequ’ilattendaitd’elle.Mais,enmêmetemps,ilparaissaitsinerveux,commes’ils’inquiétaitqu’elleresteindifférenteàsongeste…quedevait-ellefaire?

—Jesaiscombienvousaimezcesanimaux,Ashley.Savuesebrouilla.Lecœurserré,ellecompritàquelpointellel’aimait.— Merci, murmura-t-elle. Je ne pourrai jamais vous dire combien je suis

reconnaissantepourcequevousavezfait.—Vousêtestoutpourmoi,répondit-ild’unevoixdouce.Elleledévisageaunlongmoment,lecœurbattantàtoutrompre.Mais,avantqu’elle

n’ait le temps de lui poser lamoindre question, il se tourna vers les autres et annonçad’untonjovial:

— Nous adorerions rester pour fêter ce moment avec vous, mais je dois encoreemmenerAshleyvisiterunautreendroit.

Ils firent leurs adieux, et Devon l’entraîna de nouveau jusqu’à sa voiture. Elle seglissasurlesiègedecuiret,peuàpeu,sentitunvagueespoirnaîtreenelle.Maisl’espoirde quoi ? Elle n’aurait su le dire,mais ce qui était certain, c’était queDevon semblaitdifférent,etsonattitudeallaitau-delàdusimpleregretoudelaculpabilité.

— Devon, murmura-t-elle, que vouliez-vous dire tout à l’heure en affirmant quej’étaistoutpourvous?

Ellevitsesmainssecrispersurlevolant,etunmuscletressautasursajoue.—Exactement cela,Ashley. Il y a aussi beaucoup d’autres choses que je brûle de

vousdire,maisvousallezdevoirfairepreuved’unpeudepatience.Ilm’est impossibled’avoirunetelleconversationavecvousaumilieudelacirculation,àunmomentoùjenepeux ni vous regarder ni vous toucher. Je connais un lieu où nous pourrons parler entoutetranquillité.

Tout à coup, elle avait la bouche sèche. Elle sentait qu’il était tendu à l’extrême,commes’ilredoutaitqu’ellerefuseetexigedeluiqu’illaramèneimmédiatementchezsonamie.Sesentanttenuedelerassurer,elleposadoucementsamainsursongenou.

—D’accord,Devon.Jesuisprêteàvousécouter.

-21-

Devon devait sans cesse se rappeler de lever le pied tandis qu’ils roulaient vers lasortie de la ville. Il était impatient et le temps lui était compté, mais les routes étaientglissantesetilrefusaitdeprendrelemoindrerisqueaveclasécuritédesonépouseetdesonenfant.

Sonépouseetsonenfant.Cesmotsévoquaientunepuissanteimage.Sonépouse.Sonenfant.Lafemmequ’ilaimaitetqu’ilavaitsiterriblementblessée.

L’enfantqu’elleportaitenelle.Leurcréation.Safamille,touteàlui.Que ferait-il si elle refusait de lui accorder une nouvelle chance de se faire

pardonner?Il ne pouvait pasmême envisager cette éventualité— tout son être s’y refusait. Il

deviendraitfou.Ildevaitabsolumenttrouverlemoyendelaconvaincredeluipardonner,outoutdumoinsd’accepterdeluilaisserunedernièrechancederéparerlemalqu’ilavaitfait.

Elle était toujours aussi belle,mais un voile de tristesse semblait être descendu surelle,commeunnuagenoirobscurcissantlesoleil.Ilauraittoutdonnépourlavoirsouriredenouveau.Ildésirait lavoirheureuse.Et,plusquetout, ildésiraitêtrelasourcedecebonheur.Ildésiraitqu’ellesoitheureuseaveclui.

Le trajet jusqu’à Greenwich, au Connecticut, prit plus longtemps qu’il ne l’auraitsouhaité.L’ambianceentreeuxétait tendue,et ils firent levoyagedansunsilencequasicomplet.Ilsétaientaussinerveuxetembarrassésl’unquel’autre.Lorsqu’ils’engageasurla route sinueuse qui les conduirait à la grande propriété qu’il avait l’intention de luimontrer,ilnerestaitplusqu’uneheureavantlatombéedelanuit.

Ilarrêtalavoituredansleviragejusteavantl’alléeprivéeetcoupalemoteur.Ashleyfronçalessourcils,deplusenplusperplexe.

Ilfitletourdelavoiturepourluiouvrirlaportièreetl’aideràdescendre,rajustasonbonnet et son écharpe pour qu’elle n’ait pas froid, puis il l’entraîna par lamain sur la

route bordée de congères de neige. Tout autour d’eux, le paysage était tout blanc,immaculé.Commeelle.Magique.Toutdroitsortid’uncontedefées.

Enunecertaineoccasion, il luiavaitdéclaréquelavien’étaitpasuncontedefées.Maisilavaitchangéd’avis.C’étaitexactementcequ’ilallaitluioffrir.Ettoutdesuite.

—C’estunlieumagnifique,dit-elle,lesoufflecoupé.Elleparcourutlescollinesenvironnantesd’unregardémerveillé,etDevonsentitson

cœur se gonfler d’émotion. C’était ainsi qu’il désirait la voir chaque jour. Heureuse.Rayonnante.Sibellequec’enétaitdouloureux.

Ill’arrêtaalorsqu’ellearrivaitauviragedelaroute.Gardantsamaindanslasienne,illafitpivoterfaceàlui,avecl’impressionquesoncœurallaitéclater.

Leursouffleformaitdesnuagesdansl’airfroid.Laneigeavaitrecommencéàtomberen lentes spirales.Certains flocons s’accrochaient dans ses cheveux.D’autres fondaientdansunrayondesoleild’hiver.

—Ashley…Savoixn’étaitqu’une sortedecroassement, et il toussotapour s’éclaircir lagorge,

préparéàlutterdetoutessesforcespourgarderlafemmequ’ilaimait.—Oui,Devon?Savoixàelleétaitdouceetmusicaledanslesilencedecepaysagehivernal.Toutà

coup,lesmotsluimanquaientpourexprimercequ’ilavaitàluidire.Ilnesavaitplusparoùcommencer.Finalement,safrustrationpritledessus.

— Bon sang, Ashley, je vous aime ! s’écria-t-il d’un ton désespéré. Je suis là àessayerdetrouverlesmotsjustespourvousexpliquercequejeressens,maiscequimevientàl’esprit,cequioccupetoutesmespensées,c’estquejevousaime.Aunpointquejenepeuxplusvivresansvous.Nem’yobligezpas,Ashley,s’ilvousplaît.

Ses yeux expressifs s’écarquillèrent de surprise, et elle secoua la tête en silence,commesiellenesavaitpasquoipenserdecettesoudainedéclaration.

Puisunelueurdesouffrancetraversasonregardausouvenirdesblessuresqu’il luiavaitinfligéesparsesparolesetparsesactes.Ileutsoudainenviedesejeteràsesgenouxpourimplorersonpardon.

—Danscecas,pourquoi?demanda-t-elled’unevoixétranglée.Sivousm’aimiez,sivousm’aimiezvraiment, pourquoi vouloir que je change ?Ce n’est pasmoi que vousaimez.C’estl’imagedel’épouseparfaitequevousavezcrééedansvotreesprit.Aurisquedevousdécevoir,sachezquejenesuispascettefemme-là.Etjeneleseraijamais.

Elleétaitmagnifiquedanssacolère.Sesyeuxétaientrevenusàlavie.Ilsétincelaientd’un feu vengeur, qui semblait vouloir le consumer. Et, ô bonheur, la couleur étaitrevenueàsesjoues.

— Vouloir vous changer a été la plus grande erreur de toute ma vie, Ashley.Commentai-jepuêtreaussistupide?

Ilposasesmainssursesépaulesetplongeasonregardaufonddusien.—Vousêtescequ’ilyadeplusbeau,deplusprécieuxdansmavie.Jenel’avaispas

comprisparcequejenevoulaispaslecomprendre.Lorsquevotrepèreaémisl’idéedecemariage,mapremièreréactionaétélacolère.Jeluienaivoulud’interférerdansmavieprivée.

—Aumoins,noussommesd’accordsurcepoint,marmonnaAshley.—Mais,enréalité,l’idéedevousépousernemedéplaisaitpasdutout.J’avaisbeau

medirequevotrepèreabusaitdelasituation,unepartiedemoienvisageaitavecplaisirl’idéedememarier.Defonderunefamille.Avecvous.

Ilsoupira,avantdepoursuivre:— J’étais idiot, immature. J’avais l’impression d’être poussé de force dans ce

mariageaulieudel’avoirchoisi,et,mêmesil’idéenemedéplaisaitpas,jelarefusaisparprincipe.C’était stupidedemapart.Puis le soirdenotrenuitdenoces,vousavez toutdécouvert,etlemondes’estécrouléautourdemoi,carjenevoulaispourrienaumondevous faire souffrir. Je me suis senti pris au piège. Vous exigiez de connaître messentimentsalorsquejerefusaisencoredemelesavouer.Dansmafrustration,j’aifaitdeschoses idiotes, comme prétendre que nous pouvions nous contenter d’un mariageconfortable.J’auraisvouluquetoutcontinuecommeavant,sansmesentirvulnérabledèsqu’ilétaitquestiond’amour.

Ilpoussaunsoupiret,relâchantsesépaules,ilreculad’unpas,leregardperdudansladistance.

—Toutevotrefamillemedéroute,Ashley.Jenemesenspastoujoursàl’aiseparmieux.Jen’aipasl’habituded’êtreentouréd’unefouledeparentsquis’aimentetquiviventdesviesharmonieuses.Votrepèrem’appelaitconstamment«fils»ettenaitabsolumentàceque jevousépouse.Et,moi, jepensaisseulementque jen’avaispasmaplaceparmivous.Que jenevousméritaispas.Etcettepenséememettaitenragecar,enquittant lamaison de mes parents, je m’étais promis de ne jamais plus me sentir inférieur àquiconque.

Elle ledévisageait toujours,commesiellen’avaitpas lamoindre idéedecequ’elledevaitluirépondre,etilreprit,fixantdenouveausonregardd’ambresurelle:

—Vousmefaisiezpeur,Ashley.Vousavezfaitirruptiondansmavieetl’avezmisesensdessusdessousavecvotrebouillonnantejoiedevivre.Vousétiezl’élémentquejenepouvaispascontrôler,classer.Oh!cen’estpasfauted’avoiressayé.Jedétestaisperdretousmesmoyenslorsquevousentriezdansunepièce.Jepensaisqu’envouscoulantdansun moule qui me convenait, je pourrais au moins cesser d’être au bord de la crisecardiaquechaquefoisquevousmesouriiez.

— Oh ! murmura-t-elle. Je ne sais vraiment pas ce que je dois vous répondre,Devon.Jen’avaispasidéequevouséprouviezcessentimentspourmoi.

—Necomprenez-vouspas,Ashley?gémit-il.Vousêtes lameilleurepartiedemoi-même.Leproblèmedansnotrerelation,celan’ajamaisétévous.C’étaitmoi.

Incapablederéprimercetélanpluslongtemps,ilserapprochadenouveauetlapritdanssesbras.Aprésent,leursvisagesétaienttoutproches,etilsentaitladouceurdeson

soufflesursoncou.—Vousêtescequ’ilyademeilleurdansmonunivers.Vousêtesmavie.Jenepuis

imaginerl’existencesansvous.Cequej’aifaitestimpardonnable,etmaseuleexcuseestla stupidité.Mais je vous promets que, si vousm’admettez de nouveaudans votre vie,vousn’aurezplusjamaisaucuneraisondedouterdemonamour.Jepasseraichaquejourquimeresteàvivreàvousprouverquevousêteslecentreabsoludemonunivers.Vousattendiez l’hommequivousadoreraitau-delàde toute raison,quivousaimeraitpour lapersonne magnifique, la femme ravissante que vous êtes. Ne cherchez pas pluslongtemps, car il se tient devant vous en cet instant pour vous offrir son cœur.Aucunhomme ne pourra vous aimer plus que je vous aime, Ashley. C’est absolumentinconcevable.

Ses yeux étaient devenus immenses. D’un azur profond, brillant comme deuxmagnifiquespierresprécieuses.Unsoupçonderosecoloraitsesjoues,etilvitsagorgesecontracter. Des larmes perlèrent à ses longs cils, scintillant comme des diamants, maiselles ne coulaient pas. Il ne permettrait pas qu’elles coulent, cette fois-ci. S’il pouvaitl’éviter,jamaisplusellenepleurerait.

Lorsqu’elle ouvrit la bouche pour répondre, il posa simplement ses lèvres sur lessiennesetl’embrassa.Cefutunbaiserdouxetlong.Devontremblaitdetoutsoncorpsenlaserrantcontrelui.Depuisunesemainedéjà,ildésespéraitdelasentirdenouveauaussiproche,etàprésentelleétaitlà,toutetièdedanssesbras,précieuse…

— Ne dites rien encore, murmura-t-il tout contre ses lèvres. J’ai encore quelquechoseàvousmontrer.

Ils’écartadoucementd’elleetlapritparlamain.Ellelesuivitavechésitation,dansunétatquasihypnotique.Audétourduvirage,elles’arrêtapourcontemplerd’unregardémerveillé la vastemaison au sommet de la colline. Deux chiens aboyèrent au loin et,alors qu’elle fronçait les sourcils, cherchant desyeux l’originede ces aboiements, deuxgrandsmolossesdévalèrentlacolline,galopanttoutdroitverselle.

—Mac!Paulina!Tombant à genoux, elle accueillit les animaux à bras ouverts. Les deux chiens

poussaienttoujoursdesaboiementsexcitésenluiléchantfrénétiquementlevisage.—MonDieu!Commentêtes-vousarrivésici?Levant les yeux vers le sommet de la colline, Devon aperçut la silhouette de

Cameron,etillevalebrasenunremerciementsilencieuxavantderetournersonattentionversAshleyetlajoiequiilluminaitsesyeux.

Dans son enthousiasme, l’un des chiens la renversa, etAshley roula dans la neigepoudreuse.Devonl’aidaàserelever,écartantlesanimauxquirevenaientjoyeusementàlacharge.

—Ilsfontpartiedelamaison,expliqua-t-il.Commevousêteslanouvelledirectricedurefuge,ilm’aparutoutnaturelquequelques-unsdesanimauxtrouventunfoyerici.

—Est-ce…votremaison ? s’enquit-elle d’un tonhésitant, se tournant de nouveau

verslagrandebâtisse.—Non,corrigea-t-il.C’estlavôtre.Elleseretournapourledévisager,lesyeuxbrillantd’excitation.—Vraiment?Pourquoi?Depuisquand?Ileutunrireindulgent,puis,parcequ’ilnepouvaitpass’enempêcher,illaserrade

nouveaudanssesbras.Ilsrestèrentàcontempler lamaisonensemble, lecœurd’Ashleybattanttrèsfortcontrelesien.

—Vousrêviezd’unfoyerpleind’enfantsetd’animauxdecompagnie.J’ailongtempsignoré ce désir parce que je n’étais pas prêt à changer quoi que ce soit dans ma vie.Monappartementétaitconfortable,etjenevoyaisaucuneraisondevivreailleurs.Mais,la vérité, c’est que je désire seulement vivre près de vous, là où vous serez heureuse.Parcequejeferaisn’importequoipourquevousreveniezdansmavie.

—Oh!Devon!murmura-t-elle.Jenesaispasquoidire.Cesmotssontceuxquej’aitoujoursrêvédevousentendreprononcer.J’aienviedevouscroire.Jeledésireplusquetout.Maisj’aipeur.

—Jevousaime,Ashley,dit-ilenposantsonfrontcontrelesien.Etcelanechangerapas.Jemesuisconduitcommeunidiot.Laissez-moivousprouverdurantlerestedemaviequejevousadore.Vousetnosfutursenfants.

—N’êtes-vouspascontrariéquejesoisenceinte?—Au contraire, je suis foude joie ! Je n’imagine pas de plus grandbonheur que

cettemaisonavecnotrefilsounotrefilleetunedemi-douzained’autresenfantsquenousélèveronsensemble.

—J’adoreraiscela,reconnut-elleavecunsourirelumineux.— Je vous aime, Ashley. Je vous aime comme je n’ai aimé personne avant vous.

Accordez-moiunenouvellechance,etjevousjurequevousn’aurezjamaisplusàdouterdemoi.

—Jevousaimeaussi,Devon,murmura-t-elleenseblottissantcontrelui.Vousavezle pouvoir de me faire souffrir, mais aussi celui de me rendre plus heureuse quen’importequid’autreaumonde.

—Jenedésireriend’autrequevotrebonheur,répondit-il.Jeveuxvousvoirsouriredenouveauetjeferaitoutpourcela.

—Dans ce cas, répliqua-t-elle avec un sourire espiègle, pourquoi nememontrez-vouspasmanouvellemaison?

Il sedétendit toutàcoup,etune immensevaguede soulagementdéferla sur lui, sifortequ’illuifallutquelquesinstantspourrecouvrerl’usagedelaparole:

—Laventen’estpasencoreeffective,maislamaisonestinoccupéedepuissixmoisdéjà,etj’ailesclés.Jeseraiheureuxdevousfairefaireletourdupropriétaire.

— Imaginez seulement nos enfants jouant ici,murmura-t-elle d’un air rêveur alorsqu’ils sedirigeaientvers lamaison,brasdessusbrasdessous.Et les chiens jouant aveceux.

—Tandisque le sourirede leurmère illuminechaque jour leurvieetcellede leurpère,ajoutaDevon.Pourtoutelavie.

Pippa-1-

Pippan’auraitpasdûsesentiraussistressée.Elleétaituneprofessionnelleaccomplie,aprèstout.Pourtant,organisercetteréceptionpourlapendaisondecrémaillèredesonamieAshleyCarterlamettaitdanstoussesétats.

Ilfallaitqu’ellesecalme,etvite.Certes,ellen’ignoraitpasquelesrevenusmensuelsdel’ensembledes convives devaient égaler le montant de la dette nationale. Mais il en fallait davantage pourl’impressionner.Elleétaithabituéeàévoluerdansdesmilieuxaisés.Non,leproblèmevenaitplutôtdufaitqu’elleétaitsurlepointd’ouvrirsapâtisserieetsonservicederestaurationàdomicile.Etqu’elleconcevaitcetteréceptioncommeunmoyendesefaireconnaîtreetd’acquérirunebonneréputation.Voilàpourquoiilétaitsiimportantàsesyeuxquetoutsoitabsolumentparfait.

Accoudée au plan de travail de l’immense cuisine d’Ashley, elle semit à réfléchir à ce qui luirestaitàfaire.Rien.Toutétaitprêt.Maisoùétaientdonclesserveurs?

Alorsmêmequ’elleétaitentraindeseposercettequestion,laportes’ouvritsurungarçonquinedevaitpasavoirplusdevingtans.

—Oùestvotreuniforme?grommela-t-elle,stupéfaite.Illaregardad’unœiléteint.Agacéeparsadésinvolture,ellesoupira.—Chemise blanche ? Pantalon noir ? Chaussures bien cirées ? Et, de préférence, cheveux bien

coiffés?Ilouvritlabouche,larefermaetfinitpardire:—Désolé,madameLaingley.Jesuisremplaçant.Jepensaisquevousmeprêteriezleshabits.—C’estlapremièrefoisquevousfaitescetravail?luidemanda-t-elle,soudainprisedepanique.—Ouais,marmonna-t-il.C’estuncopainquim’aditqueçapayaitbien. Ilnepouvaitpasvenir,

alorsilm’ademandédeprendresaplace.Sentant la colère bouillir en elle, elle inspira profondément. Parfait. Elle ne pourrait même pas

comptersurunvéritableprofessionnel.Unpetitimbécileavaitdécidédeluifairefauxbondetdesefaireremplacer par l’un de ses amis. Lequel, de toute évidence, allait se révéler incapable de gérer lasituation.Cequisignifiaitqu’elleallaitdevoirl’aiderenparticipantauservice.

Elle qui aurait tant aimé se reposer, un verre de vin à lamain, et discuter avec les filles de lanouvellemaisond’Ashley…

Exaspérée,elleattrapalegarçonparlebrasetletiraversl’escalier.—Venez.Onvavoustrouverdesvêtementsplusconvenables.

L’airincrédule,ilselaissatraînerjusqu’àlachambred’AshleyetDevon.Unefoisdanslapièce,PippasemitàfouillerdansledressingdeDevonetfinitpartrouverunetenueappropriée.

—Déshabillez-vous,ordonna-t-elle.Lesjouesdujeunehommedevinrentécarlates.Etcefutàcemoment-làqu’elleentenditquelqu’un

seraclerlagorge.Ilsn’étaientpasseuls.—Jedevraispeut-êtrerevenirplustard.Ausondecettevoixgraveetsuave,ellefermalesyeux,mortedehonte.Elledevaitdésormaisêtre

aussi rouge que le garçon. Prenant son courage à deux mains, elle se retourna lentement. CamHollingsworth,nonchalammentadosséàlaporte,arboraitunairparticulièrementamusé.

—J’ignoraisquetulesprenaisauberceau,Pippa.Encore!Maiscommentétait-cepossible?Elleétaitunefemmed’affairesintelligente,sociableet

sûre d’elle. Elle gérait toute seule son entreprise, ne demandait jamais rien à personne et se laissaitrarement intimider. Et pourtant, chaque fois qu’elle croisait Cam, l’ami de Devon, elle se rendaitcomplètementridicule.

Mais il était hors de question qu’elle laisse la situation tourner à l’humiliation. Luttant pourrecouvrersonsang-froid,ellesedirigeaversCamd’unpasdéterminéetluijetaauvisagelepantalonetlachemise.

—Fais-lerentrerlà-dedans.Jeveuxqu’ilsoitenbasdansdeuxminutes.A sa grande satisfaction, il écarquilla les yeux, l’air franchement surpris. Elle l’avait pris au

dépourvu.—Qu’est-ce qui se passe ? Ce ne sont pas les vêtements de Dev ? s’enquit-il en fronçant les

sourcils.—J’aibesoind’unserveur,luirépondit-ellesèchement.Etjen’aiqueluisouslamain.Jenepeux

paslaissertomberAshley,ettoinonplus.Alorssecoue-toiunpeu.Sans prendre le temps d’observer sa réaction, elle quitta la chambre en claquant la porte et

descenditl’escalieraupasdecourse.Unefoisdanslacuisine,elleentrepritderemplirlesplateaux,toutenselamentantsursonsort.Elle

avait demandé trois serveurs. Et voilà qu’elle se retrouvait avec un lycéen crasseux qui avait besoind’argentdepoche.Quellepoisse!

Uninstantplustard,lejeunehommeenquestionréapparutdanslacuisine.AlagrandesurprisedePippa,ilsemblaitmétamorphosé.Sonpantalonetsachemiseétaientunpeutroplargespoursasilhouettefrêle,maisilavaitl’airprésentable.

Unpeusoulagée,elleluimitunplateaudetartelettesauhomardentrelesmainsetlepoussaverslesalon,oùAshleyétaitentraindebavarderavecsesconvives.Puiselleretournaversleplandetravailetsemitàremplirdesverresdevinetdechampagne.

—Besoind’uncoupdemain?Ellesursauta,etfaillitrenverserlabouteillequ’elleavaitàlamain.—Pardon?Camhochalentementlatête.—Tum’asl’aird’avoirbesoind’aide.Jenevoispascommenttupourraisgérerçatouteseule.Je

medemandebienpourquoiAshleyt’alaisséet’occuperdecetteréception.Detoutesavie,ellen’avaitjamaisentendupropositionplushumiliante,etformuléedemanièresi

irritante.— Je ne voudrais pas que tu salisses tes jolies mains. Et, pour ton information, je maîtrise

parfaitementlasituation.Silesserveursnesontpasvenus,cen’estpasmafaute.Etpuis,sansvouloirmevanter,jedoisdirequelesamuse-bouchessontabsolumentdélicieux.Cequ’ilmefaut,simplement,c’estunmoyensûretefficacedelesfaireatterrirdanslesmainsdesinvités.

—Jenecomprendspaspourquoitutemontresaussidésagréable,aulieud’acceptermonaide,dit-ild’unevoixdure.

Elle fronça les sourcils.Maispourquoidonccethommeétait-il si splendide?N’aurait-ilpaspuêtrelaid?Gras?Ouencorechauve?Pourquoisesentait-elleincapabled’accomplirlesactionslesplussimplesquandelleseretrouvaitfaceàlui?

—Tuesl’invitéd’Ashley,finit-elleparrépondred’untonferme.Etpuis,detoutefaçon,cen’estpastontruc.Tueshabituéàêtreservi,pasàservirlesautres.

—Jenevoispascomment tupourraissavoircequiestmontrucoucequine l’estpas,dit-ilens’emparantdel’undesplateaux.

Netrouvantrienàrépondre,elledutsecontenterdeleregarderquitterlacuisine,leplateauentrelesmains.

Cameron Hollingsworth était renfermé, sombre et arrogant, complètement différent de son typed’homme.Maisilyavaitquelquechoseenluiquilerendaitparticulièrementattirantàsesyeux.

Elle l’avait rencontréplusieurs foisdepuisqu’Ashley s’était fiancéeàDevonCarter.CameronetDevon étaient amis et associés dans la chaîned’hôtels et de complexesde luxequ’ils avaientmontéeensemble. En qualité de meilleure amie d’Ashley, elle s’était souvent retrouvée invitée aux mêmessoiréesqueCameron.Aumariaged’Ashley,onleluiavaitmêmeattribuécommecavalier.Maisils’étaittoujoursmontréparfaitementindifférentàsonégard.

Lasse, elle soupira.Oui, c’était cela qui l’irritait le plus : Cam était un homme on ne peut plusséduisant,etilnesemblaitpass’intéresserlemoinsdumondeàelle.

Peut-êtren’était-elletoutsimplementpassongenre?Leproblème,c’étaitqu’elleignoraitquelétaitsongenre.Ellenel’avaitjamaisvuavecunefemme.Soitilétaitextrêmementsecret,soitiln’avaitpasdeviesexuelle.

Etsic’étaitlecas,elleavaitbienenviedebouleversersonunivers.Neserait-cequepourunenuit.S’apercevant tout à coup qu’elle avait perdu bien assez de temps à penser à lui, elle attrapa un

plateauet,prenantuneprofondeinspiration,sedirigeaversleséjour.Ungrandsourireauxlèvres,elletraversalapièce,etfutsoulagéedeconstaterquelaplupartdes

convivesavaientunverreàlamain.Camavaitfaitdubontravail.—Pippa,maisqu’est-cequetufais?sifflatoutàcoupAshley.Surprise,elleseretournavivement.Sonamieladévisageait,l’airconsterné.—Ash!Alors,commentçasepasse?Toustesinvitéssontarrivés?—Tupeuxmedirepourquoitutecomportescommeuneemployée?Commentsefait-ilquecesoit

toietCamquiserviezlesboissonsetlesamuse-bouches?EtquiestcegaminquiportelesvêtementsdeDevon?

—Net’énervepas,Ash.Cen’estpasbonpourlebébé.Ashleycroisalesbrassursonventrearrondietluijetaunregardfuribond.—Pippa, si je t’ai demandéd’organiser cette soirée, c’était pour t’aider à te faire connaître. Je

veuxquemameilleureamiesoitàmoncôtéencegrandjour.Pasqu’ellemeserve!EllesoupiraettenditàAshleyl’undesdélicieuxpetits-foursquisetrouvaientsurleplateau.—Ecoute,lesserveursm’ontfaitfauxbond.Toutcequ’iltereste,c’estmoi,legaminquiporteles

vêtementsdetonmarietlebeaugossequimefaitchavirerlecœur,là-bas.—Cam?fitAshley,manifestementsidérée.TuesentraindeparlerdeCam?

—Dequiveux-tuquejeparle?Tournantsonregardverslui,elleajouta,d’unevoixplusbasse:—Commej’aimeraispouvoirl’embrasser…Ashleygloussa,puissemitàdévisagerCamd’unœilcurieux.—Arrêtedeleregardercommeça,fitPippa.Tantquetuyes, tun’asqu’àcrierà tout lemonde

qu’onestentraindeparlerdelui.—Alors, réponditAshley,unvague sourire aux lèvres, comment t’y es-tuprisepourobtenir son

aide?Tuasjouédetoncharme?—Pasdu tout.C’est luiqui s’estproposé tout seul. Jeme suisd’ailleursmontréeassez impolie

aveclui.—Toi ? Impolie ? répéta sonamieen ricanant.Bon, il fautque je retourneàmes invités.Mais,

sérieusement,Pippa,cetteréceptionabeauêtreimportanteàmesyeux,jen’aiaucuneenviedevoirmameilleureamieyjouerlesserveuses.Pose-moiceplateauetviensprendreunverreavecnous.

Pippaobservalasalle,bondéed’importantsclientspotentiels.Ashleyluiavaitdonnéunechance,etellen’avaitpasl’intentiondelalaisserpasser.

—Onenreparleraplus tard,Ash.J’aiuneréputationàmefaire.Et tes invitésont l’airmortsdefaim.

Avantque son amien’ait eu le tempsde répondre, elle s’était remise àdéambuler aumilieudesconvives,leplateauàlamain,etunlargesourireauxlèvres.

***

—Tuasperdulatête?Surpris,Cameronseretourna.Devonétaitentraindel’observer,l’airhorrifié.Avecunsourire,il

reposasonplateauvidesurunedesserte.—Cen’estpaslapremièrefoisqu’onmeposelaquestion,cesoir.—Tujoueslesserveurs?luidemandaDevon,toujoursaussimédusé.—Pippaavaitbesoind’aide,répondit-ilenhaussantlesépaules.Ellem’asemblésurlepointde

craquer.J’aijustepenséqueçapourraitrendreserviceàAshley.Devonledévisageapendantunlongmoment.—C’estvraimentn’importequoi.Ilnerelevapas.SonregardvenaitdetombersurPippa,entraindefendrelafoule.Pippa,quise

déplaçait avec une grâce inouïe. Elle était splendide. Complètement fascinante. Captivé, il suivit saprogressiondanslapièce.Elleavançaitensouriantetensaluantlesinvités.Et,toutàcoup,elleéclataderire.Commeilregrettaitd’êtretroploinpourentendrelejolisondesavoix!

Cela faisait desmois qu’il l’observait. Elle avait attiré son attention dès la première fois où ill’avait aperçue. Il lui avait falluattendreunpeupour faire saconnaissance.Eneffet, ilsn’avaient étéofficiellementprésentésqu’àlatroisièmesoiréeàlaquelleilsavaientassistéensemble.Et,àcemoment-là,ils’étaitcomportéavecellecommeilsecomportaitaveclaplupartdesgens.Enfaisantpreuved’unepolitessecordiale.D’undésintérêtfeint.

Maisilétaitenréalitéonnepeutplusintéressé.Ellenes’enétaitpasaperçue,maisill’avaitimmédiatementrepérée.Commeunprédateurrepèresa

proie.Ill’avaitobservéeetavaitpatiemmentattenducemoment.Lemomentopportun.Lemomentquiluipermettraitdelaposséderenfinetdeseperdreaucontactdesapeausatinée.

Ilpouvaitpresquesentirsescheveuxnoirsglissersoussesdoigtsetserépandreencascadeautour

deleursdeuxcorpsmêlés.Sonbustesplendidechevauchantlesien,satêterejetéeenarrière…Remarquantquesoncorpsavaitimmédiatementréagiàsonfantasme,ilmarmonnaunjuron.Ilétaità

unependaisondecrémaillère.Legenred’événementcenséévoquerdes imagesdecouplesheureux,debébés,dechiots…Etnondesscènessensuellesetpassionnées,qui seraientàcoupsûrcensuréesà latélévision.

Ilétaitcertainqu’elleétaitaussiattiréeparluiqu’ilnel’étaitparelle.Souvent,quandellepensaitqu’ilnefaisaitpasattention,ellefixaitsonregardsurluietsesyeuxbrillaientd’unéclattorride.

Ilappréciaitcesinstantsdesincérité.Car,lerestedutemps,elleavaitplutôttendanceàsecacherderrièreunefaçadefroideetarrogante.Maisilétaitabsolumentsûrque,aufondd’elle,elleétaitdouce,passionnéeetsensuelleàl’extrême.Oui,etiln’avaitqu’uneenvie:caresserlescourbesvoluptueusesdesoncorpsetluitirerdesourdsgémissementsdeplaisir.

—Cam?Hého?Ilyaquelqu’un?Surpris,ilclignadesyeuxets’aperçutqueDevonétaittoujourslà.—Tusaisquetuesvraimentpathétique,delasuivrecommeça,danstoutelapièce,fitsonamien

secouantlatête.—Jenevoispasdequoituparles.—Nejouepasàçaavecmoi.Situveuxmonavis,tudevraisyallerfranchement.—Maisc’estbiencequej’ail’intentiondefaire.Devon lui sourit et tourna les talons.Mais il s’aperçut à peine de son départ. Il était bien trop

occupéàregarderPippa.Leplateauqu’elleportaitétaitdésormaisvide.Lessourcilslégèrementfroncés,elle était en train de balayer la pièce du regard, à la recherche de quelque chose. Il fit demême.Legarçonavaitdisparu…

Commeelle sedirigeaitvers la cuisine, il lui emboîta lepas, emportant avec lui leplateauvidequ’ilavaitposéquelquesinstantsplustôt.

Illaretrouvadanslacuisine,entraindemarmonnerdesjuronsquiauraientfaitrougiruncharretier.Il souritquandellemenaçadebotter les fessesde tout serveurquioserait seprésenterdevant ellecesoir-là.

—Oùestlegamin?demanda-t-il.Ellesursauta,manquantderenverserleplateauqu’elleétaitentrainderemplir.—Voudrais-tucesserdefaireça?fit-elleensetournantverslui.Levantlesmainsensignedereddition,ilfitunpasenarrière.—Ils’estsauvé!hurla-t-elle.Iln’amêmepasrendulesvêtementsdeDevon.Maiscommentest-ce

que jevais fairepour lesrembourser?Rienque lachemisevautcertainementpluscherqueceque jevaistouchercesoir.

Instinctivement,ilposasamainsursonbras.Etaussitôt,ilsentitsarespirations’accélérer.Sapeau,ferme,avaitladouceurdusatin.

—JesuissûrqueDevonadestasdechemisesblanchesetdepantalonsnoirs,murmura-t-il.C’estuntypetrèsordonné.Etpastrèsfantaisiste,situvoiscequejeveuxdire.

— Je ne suis pas d’accord, contesta-t-elle fermement. Il a une garde-robe très variée. Casual.Casualchic.Maistoujourstrèscasual.

—Pourtoutdire,répondit-ilenhaussantlesépaules,jen’aijamaismislespiedsdanssondressing.Acesmots,ellesemitàrire.Puiselles’arrêtad’uncoupetleregarda,lesyeuxtoujoursbrillantde

malice.—Raviquetumetrouvessiamusant.—J’étaissimplemententraindet’imaginerfouillerdansledressingdeDevon.Avouequel’image

estplutôtmarrante.Lentement,ilfitglissersonpoucelelongdesonbras.Et,denouveau,cecontactletroubla.—Tupréfèresquej’emportelesamuse-bouchesouquejefasseuneautretournéeaveclevinetle

champagne ? Si tu veuxmon avis, on feraitmieux d’apporter directement les bouteilles et de laisserchacunseservir.Pendantcetemps-là,toietmoi,onpourraitcirculeraveclesamuse-bouchesetregarderlesgenssecuiter.

Elleledévisageapendantuncertaintemps,puisinclinalatêtesurlecôté.—Jenem’étaisjamaisaperçuequetuavaislesensdel’humour.Prisdecourtparsacandeur,ilhaussaunsourcil.Ses joues s’empourprèrent et elle ferma brièvement les paupières.Mais aumomentmême où il

pensaitqu’elleallaitbalbutieruneexcuse,ellerouvritlesyeuxetseremitàlefixer,sansriendire.Ilneputs’empêcherd’éclaterderire.Et,n’ytenantplus,ill’attiraàlui,desortequeleurscorpssetouchentpresque.Oui,presque.Elle

était si près de lui qu’il avait l’impression que son parfum et sa douce chaleur l’enveloppaient et leretenaientcaptif.

D’ungeste tendreetsensuel, ilpassasamainsursa joueetdégageadesonvisageunemèchedecheveux.Aussisoyeusequ’ill’avaitimaginée.

—Voilàcequejetepropose,murmura-t-il.Onfaituneautretournée.Pourquechacunaitdequoiboireetdequoimanger.Etpuisonposelerestedesplateauxdanslasalleetonvachezmoi.

Elleécartaleslèvresetsesyeuxvertd’eaudevinrentplusbrillantsencore.—Est-ceuneproposition?—Atonavis…?Foud’impatience,ilsepenchaverselleetjoignitseslèvresauxsiennes.Avecfougueetpassion,il

prit sonvisage entre sesmains et fit glisser ses doigts dans ses cheveux.Une sensationde chaleur serépanditdanssesveines.Ilavaitenvied’ellecommejamaisiln’avaiteuenvied’unefemme.

Quand,enfin,ils’écartad’elle,ils’aperçutquelarespirationdePippaétaithaletanteetsesyeux,embrumés.

—Jen’aiqu’uneenvie,murmura-t-il,tefairel’amourtoutelanuit.Provocante,ellepassasalanguesurseslèvresdélicieusementpulpeuses.Ilétaitàdeuxdoigtsde

céderàsespulsions.Delaprendreici,maintenant,danslacuisinedesesamis,sanssesoucierdesautresconvives.

—Prendslesamuse-bouches,finit-ilpardired’unevoixtendue.Jem’occupedesboissons.

-2-

Pippaselaissaentraînerjusqu’àlaportedederrière.Maisàpeineavait-ellefaitunpasdehorsqueleventfroiddel’hiversemitàsifflerdanssesoreilles.Acontrecœur,elledutlâcherlamaindeCampour resserrer sonmanteau.Mais il s’empressa de lui reprendre le poignet et de la conduire jusqu’àl’alléeoùétaientgaréeslesvoitures.

Ils’arrêtadevantuneEscaladebleunuit.—Commentes-tuvenue?Tuconduis?Conduire?Ellen’avaitnivoiturenipermis.Cequi représentaitd’ailleursunproblèmepour ses

projetsprofessionnels.—Non,Ashleym’aenvoyésonchauffeur.—Maiscommentas-tu faitpour fairevenir tousces trucsdeNewYork? luidemanda-t-il, l’air

intrigué.Ayant tout à coup l’impression qu’il était en train de la juger, elle sentit le rouge luimonter aux

joues.—J’aifaitlivrerlevin.Etj’aiachetétouslesproduitsici.Ashleyaunecuisinetrèsbienéquipée.Etellesavaitdequoielleparlait,puisquec’étaitellequil’avaitconçue,dusolauplafond.Ashley

n’étaitpastrèsdouéepourlacuisine,aussil’aidait-elledesonmieux.Illuiouvritlaportièrecôtépassageretlapoussalittéralementàl’intérieur.—C’est parfait comme ça. Je demanderai àmon chauffeur de te raccompagner en ville demain

matin.Surcesmots,ilclaqualaportière.Un peu mécontente, elle fronça les sourcils. Avec quel empressement il semblait vouloir se

débarrasserd’elle!Etceavantmêmequ’ilsn’aientcouchéensemble…Brutalement,ilouvritlaportière,s’installaetdémarralavoiture.Ellesavaitqu’ilvivaittoutprès.ElleavaitentenduAshleydirequ’ilsétaientdésormaisvoisins.Lesmainsfermementfixéessurlevolant,ilquittal’alléeetconduisitsurenvironcinqcentsmètres,

avant de s’arrêter devant une immense grille.Un portail s’ouvrit, et il remonta rapidement l’allée quidevaitmeneràsademeure.

La nuit était noire et Pippa avait du mal à accommoder son regard à l’obscurité. Une villa,visiblement peu accueillante, se dressait dans les ténèbres. Elle comprenait mieux pourquoi DevontaquinaitCamausujetdesa«caverne».

Juste avant qu’ils n’arrivent à la demeure, plusieurs lumières s’allumèrent et vinrent illuminer

l’obscurité.Ellesepenchaverslepare-brisepourmieuxvoir,maisdéjàCamrentraitlavoituredanslegarage.

Soucieusedenepasparaîtrevulnérable,ellesortitduvéhiculeetsedirigeaverslaported’unpasdécidé.Unemainappuyéesursanuque,ill’encourageadoucementàentrer.

Un instant plus tard, ils se retrouvèrent dans une immense cuisine, qui la fit pâlir d’envie. Unvéritable paradis pour une femme comme elle. La pièce était si propre et si bien rangée qu’elle sedemandasiquelqu’unl’avaitdéjàutilisée.

Mais,sansluilaisserletempsd’appréhenderdavantageleslieux,ill’entraînaversunvasteséjour,qu’ils traversèrent pour rejoindre l’imposant hall de l’entrée principale, où se dressait un escalier debois. Toujours aussi rapidement, il passa devant elle et entreprit de monter les marches. Il lui fallutpresquelesgravirquatreàquatrepourlesuivre.

Aumomentoùilsarrivèrentdanslaspacieusechambreàcoucher,elleétaitàboutdesouffle.Mais,avantqu’ellen’aiteuletempsdeseremettre,ill’attiraversluietlaserracontresoncorps.Seslèvressejoignirentauxsiennesetlebaiserpassionnéquis’ensuivitébranlatoussessens.

—Tuestellementbelle,murmura-t-ilenfaisantsensuellementglissersaboucheverssonoreille.Tum’asrenducomplètementfou.Toutelasoirée…

Elleneputs’empêcherdesouriredesatisfaction.Quellefemmen’apasenvied’entendrecegenredeproposdanslabouchedesonamant?

Toutàcoup,ill’écartadelui,lesmainsfermementfixéessursesépaules.Sarespirationétaitforte,sesdoigts,brûlants.

—Ilyauneoudeuxchosesquejevoudraistedireavantquenousnepoursuivions.Savoixétaitcalmeetsereine,maissesyeuxbrillaientd’unetellepassionqu’ellefrissonna.Ilavait

envied’elle.C’étaitindubitable.—Jevoudraisqueleschosessoientbienclairesentrenous,poursuivit-il.Perplexe,elles’assitauborddulitetcroisalesjambes.—Vas-y,jet’écoute,répondit-elled’unairsérieux.Il fronça lessourcils,commes’il sedemandaitsiellen’étaitpasen trainde le taquiner−cequi

n’étaitpastoutàfaitfaux.Maisquepouvait-ilyavoirdesiimportantpourqu’ilaitmisuntermeàleurbaisertorride?

—Jenem’engagejamais,dit-ilaprèsunmoment.Jeveuxquetucomprennesque,sinouscouchonsensemble,ceneseraqu’uneaventured’unsoir.Jeneterappelleraipasdemain,jeneterappelleraipasdutout.Jedemanderaiàmonchauffeurdeteramenerenvilledemainmatin.

Souslecoupdelasurprise,elleéclataderire.Ilpritunairébahi.Manifestement,ilnes’étaitpasattenduàcela.Peut-êtrel’imaginait-ildéjàentraindequitterlachambreàgrandesenjambées.

Unsourireauxlèvres,elleselevaetserapprochadelui.Puisellefitsensuellementremontersesdoigtslelongdesontorsepuissant,avantdeprendresonvisageentresesmains.

—Tuesbientropsérieux,Cam,murmura-t-elle.Tusais,jenem’attendaispasàunepropositiondemariage.Si tupensaisque j’allais teharcelerpendantdes joursunefoiscettenuit terminée, tu risquesd’êtredéçu.Cequejeveux,c’estdusexe.Est-cequetupeuxmedonnerça?

Lesoulagementfutvisibledanssesbeauxyeuxbleusetsarespirationredevintplussaccadée.Ilfitminedel’attirerdenouveauverslui,maisellel’enempêchaenposantunemainsursapoitrine.

—Passivite.Moiaussi,j’aiunpointàaborderavectoi.Ilparutunpeudéstabilisé.— J’imagine que tu as des préservatifs, poursuivit-elle. Ou plutôt, je n’imagine rien. Pas de

préservatif,pasdesexe.Jen’aijamaisfaitl’amoursansprotection.

—Net’inquiètepas,j’enai.Acesmots,elles’agrippafermementàsachemiseetl’attiraverselle.—Alorsladiscussionestclose,murmura-t-elle,avantdejoindreseslèvresauxsiennes.

***

La gorge asséchée par le désir, Cameron s’abandonna enfin à l’instant présent. Pippa étaitexactementcommeill’avaitimaginée,etmêmebienmieuxencore.Douce,sensuelle,enthousiaste.

Il se délectait de sa fougue, qui s’exprima pleinement dans l’impatience avec laquelle elle luiarrachasachemise.Aulit,c’étaitgénéralementluileplusentreprenantdesdeux.Maislafaçondirecteetsensuelledontlajeunefemmeexprimaitsesbesoinsavaitquelquechosededélicieusementexcitant.

Quand il sentit sesdoigts glisser le longde sa taille pourouvrir sabraguette, il eut dumal à semaîtriser.Illuifallutprendreuneprofondeinspirationpourcalmerlefeuquibrûlaitdanssesveines.

Maisdèsqu’elleeutrefermésamainsursonérection,leplaisiretlasatisfactionfurentsiintensesqu’ilcraignitdenouveaudeperdrelecontrôle.

Toutenlecaressantlangoureusementdesesmainsdoucesetsoyeuses,ellesehissasurlapointedespiedspourl’embrasser.

—Tusais,murmura-t-elle,jen’aiqu’uneenvie,c’estdememettreàgenouxetdetefairevivrelaplusdélicieuseexpériencequetuaiesjamaisconnue.Maisc’estnotrepremièrefois.Etjesuistoujoursunpeuplusexigeantelapremièrefois.Aussi,j’exigequecesoittoiquimedonnesduplaisirenpremier.

Sicen’étaitpasundéfi,ilnesavaitpascequec’était.Ivrededésir,illapritparlatailleetl’attiravers le lit.Puis il luiôta sa robeavecautantd’impatiencequ’elle enavait elle-mêmemanifesté en ledéshabillantet,uninstantplustard,soncorpssplendidenefutplusrevêtuquedelalingerielaplussexyqu’ilaiteul’occasiondevoir.

Pippaavaittoutd’unesirèneennoir.Cheveuxnoirs,minusculeculottededentellenoireetsoutien-gorgeassorti,quicouvraitàpeinesestétons.Sachevelureétaitdéjàsauvagementdécoiffée.Etsesyeuxbrillaientd’unérotismetorride.Elleétaittoutsimplementmagnifique.Epoustouflante.

Toutenprofitantdecespectacle,ill’allongeadoucementsurlematelasetsedélectaencoredelafaçon dont elle s’étendit, s’offrant totalement à lui. Elle avait le pouvoir de combler tous ses sens. Ilvoulait l’entendre susurrer son nom, écouter ses gémissements sensuels de volupté. Mais surtout, ilvoulaitgoûterchaquecentimètrecarrédesapeau.

Comprenantque,s’ilnes’occupaitpasdespréservatifsmaintenant,iln’auraitpluslatêteàlefaire,ilcherchaàtâtonsdanslatabledechevet,ensortitlaboîteentièreetlaposasurlelit.

Puis il se hâta de se replacer au-dessus de Pippa, capturant sa bouche pulpeuse et sensuelle, etmoulasoncorpssurlesien.

Alors,ileutl’impressionqu’unedéchargeélectriqueluiparcouraitlecorps,contractantchacundesesmuscles. Elle lui rendit un baiser, en tout point aussi passionné que le sien. Sesmains glissaientsensuellement le long de son dos, explorant sa peau, lui procurant encore unemultitude de sensationsvoluptueuses.

Sesouvenanttoutàcoupdufantasmequ’ilavaiteuunpeuplustôtdanslasoirée,ilroulasurlecôtéetl’attiraau-dessusdelui.

Laréalitésurpassadeloinlarêveriequesonfaiblecerveauavaitéchafaudée.L’avoirlà,au-dessusdelui,avecsescuissespresséescontresescôtes,lerendaitfou.

—Déshabille-toi,murmura-t-il.Maintenant,pourquejetevoie.Un sourire coquin se dessina sur ses lèvres pleines. Lentement, elle dégrafa son soutien-gorge.

Mais,aulieudelelaissertomberimmédiatement,elleretintlepetitmorceaudedentellesursapoitrine,puislaissalesbretellesglisserlentementlelongdesesbras,centimètreparcentimètre.

Leplaisirdel’attenteétaitsiintensequ’ilétaitàpeineenmesurederespirer.Enfin,ellelaissatombersonsoutien-gorge,offrantsapoitrineàsonregardimpatient.Sesseinsétaientabsolumentparfaits.Leurforme.Leurtaille.Souples.Fermes.Hautperchés.Des

tétonsdélectablesquisemblaientselanguirdesabouche.— J’aurais besoin de ton aide pour la culotte, susurra-t-elle, plaçant sa magnifique poitrine à

quelquesmillimètresàpeinedesabouche.Sesyeuxbrillaientd’unelueurmalicieuse.Commeellebaissaitlentementsaculotte,illarenversasurlecôtépourluiôtersauvagementcette

finedentellequiluifaisaitperdrelatête.Puis,cédantàsonimpatienceetàsesinstincts,ilseplaçadenouveauau-dessusd’elle,telunprédateuraffamé.

Avecpassionetfougue,ilembrassasagorgeet,impatientdepouvoirenfinlasentirsoussalangueetseslèvres,iltraçaunchemindebaisersjusqu’àsesseins.

Elleétaitabsolumentparfaite.Douce,plantureuse,nitropmincenitropronde.Parfaite.Quandseslèvresserefermèrentenfinsursontétondurci,elleémitunpetitgémissementdeplaisir.

Luis’abandonnatotalementàcecocktailenivrantdefermetéetdedouceur.Absolumentdélicieux.Illesuça doucement, le fit rouler entre ses lèvres. Et, àmaintes reprises, il fit jouer sa langue dessus, lerendantplusdurencore.

Puisilfitsensuellementglissersaboucheentresesseinspours’occuperdel’autretéton.Pendantplusieurs secondes, il joua avec lui, s’abandonnant aux délicieuses sensations qu’il lui procurait.Manifestementtrèssatisfaite,Pippasetortillaitsoussoncorps,sarespirationdevenantdeplusenplusrapide.

—Tues tellementparfaite,murmura-t-il.Plusdélicieuseque tous lesmets lesplusexquisque tupourrasjamaiscuisiner.

Illevalesyeuxverselle.Saboucheformaitunemoueboudeuse.—Tudiscelaparcequetun’asjamaisgoûtéàmacuisine.—C’étaituncompliment,répondit-ilenriant.—Jetrouvequetun’espastrèsdouépourlescompliments.Ilpritsesseinsencoupeentresesmainsetlescaressa.Sestétonssedurcirentdenouveau.—Tuaimesça.Qu’est-cequetuaimesd’autre,Pippa?Dis-moicequiteferaitplaisir.—Tu tedébrouilles trèsbien, jen’aipasàmeplaindre. J’aimequ’unhommeprenneson temps,

sanspenseruniquementàsonpropreplaisir.—Maisjeprendsmoi-mêmebeaucoupdeplaisir.J’aimetetoucher.J’aimet’embrasser.J’aimete

regarder. Tes yeux deviennent plus sombres quand tu es très excitée. Et ce sourire coquin me laissepenserquejevaispasseruntrèsbonmoment.

—Toutbienréfléchi,tun’espassimauvaisqueça,pourlescompliments.—Oùveux-tuquejetecaresse?demanda-t-ild’unevoixrauque.De nouveau, ses yeux s’assombrirent. Sans répondre, elle attrapa doucement samain et la glissa

entresescuisses.Puiselleguidasesdoigtsjusqu’àsonclitorisgonfléparl’excitationetcommençaàsefrotteravec.

Quandilpoursuivitlemouvementqu’elleavaitimprimé,ellelaissaéchapperunsourdgémissementdeplaisir.Oui,elleaimaitça.

Mais il pouvait se montrer aussi passionné qu’elle. Tout en continuant de caresser la douceurveloutéedesonintimité,ilrepritl’undesestétonsentreseslèvres.

Uninstantplustard,desgémissementsplusfortsencores’échappaientdesagorgeetellesecambraviolemment,enenfonçantsesdoigtsdanssescheveux.Ellesavaitcequ’ellevoulait.Ellen’avaitaucuntabou.Etiladoraitcela.

Foud’impatience, ilcaressaunedernièrefoissonsexe, toutenenfilantunpréservatifdesamainlibre.Puisilsepenchapourl’embrasseret,lentement,écartasescuisses.Ilvoulaitprendresontemps,mais il savait aussi qu’ils ne se contenteraient pas de faire l’amour une seule fois, cette nuit-là. Il nepourrait jamaisselasserd’elle,etilcomptaitbienmettreàprofitchaqueminutequ’ilpasseraitauprèsd’elle.

—Tuesprête?murmura-t-ilàsonoreille.Elleréponditenenroulantsesjambesautourdesatailleetencambrantsonbassin.Sonimpatience

lefitsourire.—Guide-moi,Pippa.Montre-moiàquelpointtuenasenvie.Leregardchargédedésir,elletenditlamainverssonmembredurci,qu’elleencercladesesdoigts.

Letempssemblas’arrêter.Unflotdesensationsintensesluitraversalecorps.Lentement,ellepositionnasonsexecontrelesienpuissecambrajusteassezpourqu’ils’yenfonced’unmillimètre.

Ils laissèrent tous deux échapper un gémissement de plaisir, et puis il ne put plus attendre.Lentement,illapénétra.

—Continue,gémit-elle,enfonçantsesonglesdanssesépaules.Ilenavaitbienl’intention.Ivre de plaisir, il embrassa sa bouche sensuelle et commença à imprimer un rythme soutenu et

frénétiqueàleurétreinte.Desmouvementsquin’avaientriendedouxoudemesuré.Loindelà.Leurs ébats furent instinctifs, bestiaux, Pippa répondant à chacun de ses assauts avec autant de

fouguequelui.Elleréclamaitdeluitoutcequ’ilavait,etdavantageencore.Iln’avaitjamaisfaitl’amouràunefemmeaussipassionnée.Etilprenaitsoudainconsciencedetoutcequ’ilavaitmanqué.

Tandis qu’il se faisait ces réflexions, ellemêla sa langue à la sienne.Puis elle fit sensuellementglisser sa bouche le long de sonmenton, avant d’enfoncer ses dents dans son cou. Il allait porter samarquependantdesjours,etsafiertévirilefutuninstantheurtéeparcetteidée.Ilnepourraitpascacherlessignesdesapossession.

Maisellenonplusnes’entireraitpassansmarque.Çanon!—Tuesavecmoi,Pippa?J’aibesoinquetusoisavecmoi.Jeviens.—Jeviensaussi,murmura-t-elleentre sesdents serrées.Continue,Cam.Ne t’arrêtepas. Je t’en

prie,net’arrêtepas.Commes’ilpouvaits’arrêter.Dansungrognementdesatisfaction,ildonnaàsesmouvementsunenouvelleforce.Encetinstant,

plusriend’autrenecomptaitquePippa,ondulantdeplaisirsoussoncorps,l’enveloppantdesadouceur.—Cam,gémit-elle.Lesdoigts agrippés à ses épaules, elle frissonnaviolemment sous soncorps. Il la serradans ses

brasetlaissalui-mêmeéchapperuncrideplaisir,tandisqu’ilss’abandonnaientensembleàuntourbillond’extaseetdevolupté.

L’instantd’après,ilétaitenelle,toutsonpoidspesantsursoncorps.Ildevaitsansdoutel’écraser,mais c’était tellement bon. De toute façon, elle ne se plaignait pas. Et puis, elle était si fermementaccrochéeàluique,l’eût-ilvoulu,iln’auraitpaspubougerd’unmillimètre.

Ilrestaallongéainsiquelquessecondespourreprendresonsouffle.Enfin,ilroulasurlecôtépourlaregarder.

Elleétait allongéesur le litdansunepositiondélicieusement indécente, lesyeuxperdusdans les

brumesdel’extase.—C’étaitincroyable,murmura-t-elle.Quandest-cequ’onremetça?

-3-

LorsquePippas’éveilla,illuifallutunmomentpourprendreconsciencequ’ellesetrouvaitdanslachambredeCam.

Lelitétaitvide.Enfin,presque.Al’autrebout,sesvêtementsavaientétésoigneusementpliés.Unefaçonsubtiledeluirappelerqu’elledevaits’enallerauplusvite.L’espritencoreunpeuembrumé,elletâtalesdraps.Pasdechaleur.Pasd’odeur.Camnes’étaitmanifestementpasattardé.

Dansunsoupir,elles’adossaauxoreillers,toutenmaintenantledrapsursapoitrine.Maiselleeuttôtfaitdeserendrecomptequecegestepudiqueétaitparfaitementinutile.Camavaitététrèsclair.Ilnevoulaitpasderencontremaladroitedulendemainmatin.Ellen’avaitpasàsesoucierqu’ildébarquetoutàcoupdanslachambresansavoirétéannoncé.Et,detoutefaçon,mêmes’ill’avaitfait,cen’étaitpascommes’iln’avaitjamaisvusesseins.

Nonseulementillesavaitvus,maisillesavaitaussiléchés,embrassés,caressés…Unfrissonluiparcourutlecorpsetellesentitsestétonssedurcirausouvenirdesébats,siintenses

etsinombreux,qu’ilsavaienteuslanuitdernière.Elleallaitavoirbiendumalàs’habilleretàquittercettemaison.

Toutàcoup,l’idéedeprendreunebonnedouchechaudeluitraversal’esprit.MaisCamsouhaitaitqu’elleparte,etellenonplusn’avaitpasenviedes’attarder.

Elleregardasamontre,ilétait9heurespassées.Elleauraitdûêtredeboutdepuislongtemps.Maisellen’avaitréussiàs’endormirquetarddanslanuit.

Ilfallaitdirequerienn’avaitétéfaitpourl’yencourager.Quand elle se dressa sur ses jambes, tous ses muscles semblèrent protester. Sa nuit l’avait

décidémentépuisée.Aprèss’êtrehabillée,ellesedirigearapidementverslasalledebainspouressayerd’arrangerun

peu ses cheveux. Elle avait du maquillage dans son sac à main, mais elle n’avait pas l’intention del’utiliser.Ellen’avaitpersonneàimpressionneretellesavaitquelechauffeurladéposeraitjustedevantlaportedesonimmeuble.

Aprèsavoirbrossésescheveux,elleenfitunvaguechignon.Puis, toutenchaussantunepairedelunettesdesoleil,ellejetaunderniercoupd’œildanslemiroir.Leminimumétaitfait.

Prenantsoindenepasfairedebruit,ellesedirigeaversl’escalier.ElleignoraitsiCamétaitencorelà,maisellenesouhaitaitpasattirerl’attentionsurelle.

Une foisarrivéedans lehall, elle futaccueillieparunhommegrandetaustère,dont il auraitétéimpossibled’estimerl’âge.Ilauraitaussibienpuavoirquaranteansquesoixante-dixans.

—Bonjour,mademoiselleLaingley.Lechauffeurvousattendpourvousramenerenville.Ellesentitlerougeluimonterauxjoues.—Jesuisdésolée.J’espèrequ’iln’apasattendulongtemps.Jecrainsd’avoirunpeutropdormi.Soninterlocuteurluiadressaunsourireaimable.—Mais pas du tout. Vous n’avez pas à vous excuser. Venez, je vais vous conduire jusqu’à la

voiture.Gênée,ellesedirigeajusqu’auxmassivesportesdebois,avantdeserendrecomptequ’elleavait

oubliésonmanteau.Elles’arrêtapuisseretourna.L’hommeétaitdéjàentraindeleluitendre.—Merci,balbutia-t-elle.Manifestement, elle n’était pas la première femme à quitter la maison en catimini le matin. Le

majordomesemblaitparfaitementhabituéàcetypedesituation.Tandis qu’elle se hâtait deboutonner sonmanteau, l’homme lui ouvrit la porte.Tout à coup, une

boufféed’airfroids’engouffradanslamaison.Soudainaveuglée,ellefermalesyeux.—Ilneige!s’exclama-t-elle,ravie—Oui.Ilesttombéaumoinshuitcentimètres,d’aprèslamétéo.Elleportaittoujourslesstilettosdelanuitdernière,etceschaussures,quoiquetrèssexy,étaientpeu

appropriées aux conditions climatiques. Pour descendre les marches du perron, elle accepta donc des’appuyeraubrasquelemajordomeluioffrait.

—Bonvoyage,dit-ilenluiouvrantlaportièredelavoiture,quelquessecondesplustard.—Merci.Quand le chauffeur démarra, elle se retourna pour observer la villa qu’elle n’avait pas bien pu

discernerlanuitprécédente.C’étaitunebâtisseimpresionnante,maisellen’étaitpasaussieffrayantequ’elleavaitpulepenser.

Dans la clarté du jour, elle avait l’air parfaitement normale. En harmonie avec les autres villas duquartier.

Elleétait,en revanche,extrêmement isolée,etcernée,de touscôtés,pardehauteshaiesd’arbrestouffus. Il était difficile d’estimer la superficie totale du terrain,mais tout laissait à penser qu’il étaitimmense:avantquelechauffeurneparvienneauportail,elleneréussitàdiscernernimaisonvoisine,nichemin,niroute.

Oui,Camsemblaitbienêtre le loupsolitairequeDevonavaitdécrit.Et,maintenantqu’elleavaitgoûtéàlapassionsombreetmélancoliquequil’habitait,ellesedemandaitcombiendefemmesavaientbienpus’aventurerdanssacaverne.

Soudain, elle faillit éclater de rire. On aurait dit qu’elle voyait en lui la Bête, rôdant dans sonsombrechâteauenattendantlaBelle.SaufqueCamn’avaitriend’unebête.Ilétaitabsolumentsplendide.Parfait.

Etilfaisaitl’amourcommeundieu.Acettepensée,ellesentitunedélicieusesensationdescendrelelongdesondos,envahirsescuisses,etgagnerl’ensembledesoncorps,quiretrouvabrutalementl’étatd’excitationintensedanslequelilavaitétéplongélanuitprécédente.

Quand lavoiture tournaaucoinde l’allée, elle se retournapour jeterunderniercoupd’œilà lavilla.Puis,dansunsoupir,elles’adossaàsonsiègeetfermalesyeux.

***

Depuis la fenêtre de son bureau, Cam regarda la voiture disparaître avec Pippa en direction ducentre-ville.Pendantquelqueslonguessecondes,ilrestaimmobile,leregardperdudanslelointain.

Il n’avait aucune idée de ce qu’il allait faire ensuite. Et cela le dérangeait, l’énervait,même. Ilressentait un élan d’agitation, un besoin impérieux de faire quelque chose.Mais quoi ? Il n’en avaitaucuneidée.Toutcequ’ilsavait,c’étaitqu’êtreici,seuldanssagrandemaisonsilencieuse,luiparaissaitsoudain…insoutenable.

Ses traits se tendirent. C’était cette fichue femme. Pippa. Tout, absolument tout en elle, ledéstabilisait.Elleavaitébranlésonunivers.C’étaitunefemmedéterminéeetsûred’ellequin’avaitpaspeurd’agirpourobtenircequ’ellevoulait.Etcequ’ellevoulait,c’étaitlui.Or,alorsquesonegoauraitdûêtreflatté, ilressentaituncertainmécontentementàcetteidée.Oui,parceque,enquelquesorte, lesrôlesavaientétéinversés.

C’étaitpresquecommesic’étaitellequiavaitdit:«Jeteveux,maisjeneveuxpasd’attache.»Oui,c’étaitellequiavaitprislecontrôledelasituation.

Il s’était conduit comme une bête assoiffée de sexe. Il avait adopté un comportement encontradictiontotaleaveclafaçadecalmeetdominatricequ’ilaimaitafficheràlafacedumonde.

Etcela…ehbien,celaledérangeait.Vraiment.Secouant la tête, il se dirigea vers la chambre, dans laquelle il entra d’un pas hésitant.

Naturellement,cetteprudenceavaitquelquechosed’unpeustupide,puisqu’ilavaitvuPippas’enaller.Mais,d’unefaçonoud’uneautre,laprésencedelajeunefemmeétaittoujoursfermementancréedansleslieux.Ilpouvaitencoresentirsonodeur.

LeregarddeCamseposasurlesdrapsfroissés,lesoreillersécrasés.L’unedescouverturespendaitparterre.

Ilauraitdûl’emmenerdansl’unedeschambresd’amis.D’ordinaire, ilnefaisait jamaisvenirsesconquêtesdanssaproprechambre.Jamais.S’ilavaitétéenmesuredepenserlaveilleausoir,ill’auraitconduite à l’étage supérieur, et elle n’aurait jamais atteint les portes de son espace privé.Mais, à cemoment-là,laseulechosequ’ilavaitàl’espritétaitdelamettredanssonlit.N’importequellit.Etceleplusvitepossible.

Toutensemaudissantintérieurement,ilouvritlaportedelasalledebainsetobservalebazarqu’ilsyavaientlaissé.Laportedeladoucheétaittoujoursouverte.Desserviettestraînaientparterre.Danssonimpatience, il avait balayé d’un revers de main tous les objets posés sur la tablette de marbre, surlaquelleilavaitensuitefaitasseoirPippa.

Ilyavaitaumoinsdeuxpréservatifsusagéssurlesol.Il ramassa celui qui se trouvait devant le lavabo et le jeta à la corbeille.Puis il se penchapour

prendreceluiquiétaitdansladouche.Ilétaitsurlepointdelejeteràsontourquandquelquechoseattirasonattention.

Prisd’unsoudainélandepanique,ilsefigea,incapabled’admettrel’évidencequisetrouvaitsoussesyeux.

Bientôt,unflotd’obscénitésjaillitdesagorge,tandisquesonestomacsecomprimait.Delasueursemitàcoulersursonfront.

Ilfermalesyeux,priantpourquecelanesoitqu’uneillusion,mais,quandillesrouvrit,lapreuveirréfutablesetrouvaittoujoursdanssamaintremblante.

Lepréservatifs’étaitdéchiré.

-4-

Pippaétaittentéedejetersontéléphonedanslarue,maisl’idéededevoirleremplacerl’empêchadecéderàcettepulsion.Elleavaitpasséunejournéeépouvantable.Vraiment,ellenevoyaitpascequipouvaitluiarriverdepire.

Elleavaittrouvéleparfaitlocalpoursapâtisserie.Unfondsdecommercetrèsmignon,déjàpourvudetousleséquipementsdontelleavaitbesoin.Ellen’avaitplusqu’àfaireunpeudedécoration…

Après ces longues semainespassées àorganiserdes réceptionspour sebâtir une réputation, elleétaitenfinprêteàsauterlepas.Apasseràl’étapesuivante.Uneétapequiluipermettraitdetoucherdesrevenusréguliers.Grâceàsespetiteséconomies,elleavaitpuconserversonlogementactuel,maisellesavaitque,siellenecommençaitpasàaugmentersesrevenusdanslessemainesàvenir,elleneseraitbientôtplusenmesuredepayersonloyer.

Elle était certainedepouvoir obtenir unprêt,mais, avant de remplir le dossier, il fallait qu’ellesignelebail.Chosequiétaitprévuepourcejourmême.

Seulementvoilà,l’agentimmobiliervenaitdel’appelerpourluisignalerqu’ilyavaitunproblème,brisant en quelques secondes tous ses rêves de jolis petits cupcakes, de délicieuses pâtisseries, deconfiseriessophistiquéesetdepetitspainsdorés.

Soupirantdanslefroidglacial,ellemontalesmarchesquimenaientàsonappartement.Elleétaitentraindemettrelaclédanslaserrure,quandsontéléphonesonna,cequinefitqueraviversonenviedelebalancercontreunmur.

Fortheureusement,ilfaisaitbeaucouppluschaudchezelle.Aprèsavoirrefermélaported’uncoupdepied,ellejetaunœilàl’écrandesonportable.Lenuméroaffichéneluidisaitrien,mais,commeelleavaittransmislesienàplusieursclientspotentiels,ellenepouvaitpassepermettred’ignorerl’appel.

Dansunsoupir,elledécrocha.—Allô?Elleétaitentraind’essayerderetirersonmanteau,quandellereconnutlavoixdel’hommequine

quittaitpassespensées.—Pippa,c’estCam.Etonnée,elles’immobilisa.—Cam?Quellesurprise!fit-elleenriant.Jecroyaisquetunerappelleraispas.Quemevautcet

honneur?—L’undespréservatifss’estdéchiré,répondit-ild’unevoixmorne.Machinalement,ellefitpasserletéléphoneàsonautreoreillepourpouvoirsedébarrasserdeson

manteau,quitombamollementsurlesolducouloir.—Tupeuxrépéter?Tremblante,ellesedirigeaversleséjourets’affalasurlecanapé.—Lepréservatifqu’onautilisédansladouche.Ils’estdéchiré.Jenem’ensuisaperçuqu’après

tondépart.Commenousétionssousl’eau,jen’avaisrienremarqué.Sentantsoncœurs’emballer,ellefermalesyeux.Ellenonplusn’avaitrienremarqué.Acemoment-

là,lasoliditédupréservatifavaitétélecadetdesessoucis.—Pippa,tueslà?—Oui,répondit-elled’unevoixéteinte.—Ilfautqu’onparle.—Pourquoiest-cequetunem’appellesquemaintenant?Quandl’as-tudécouvert?Ilmituncertaintempsàrépondre:—Hier,aprèstondépart.—Jenecomprendsvraimentpaspourquoituasmisautantdetempsàmecontacter!hurla-t-elle.Si

jel’avaissudèshier,j’auraispeut-êtrepufairequelquechose.Quoi?Ellen’ensavaittroprien.Prendrelapiluledulendemain,peut-être?Quoiqu’ilensoit,si

Cam l’avaitprévenue laveille, elle aurait eu le tempsde fairequelques recherchesetdeprendreunedécisioninformée.

—Calme-toi,Pippa.Lacondescendancedontsavoixétaitempreinteluimitlesnerfsencoreplusàvif.— Je ne te permets pas de me parler comme ça. Ce n’est pas toi qui devras vivre avec les

conséquencesdecepréservatifdéchiré.—Ah oui ? répondit-il sur le ton de l’ironie. Si tu penses qu’une grossesse indésirable ne me

toucheraitpasautantque toi, tu temets ledoigtdans l’œil.Alorsmaintenant,arrêtedecrier,quenouspuissionsdiscutercommedeuxadultesresponsables.

Elledutsemordrelalèvrepourempêchersacolèred’éclaterdenouveau.—Bon,poursuivit-il,vutaréaction,j’imaginequetuneprendspaslapilule.—Quelleperspicacité!—Arrêteça,Pippa.Jecomprendsquetuaiespeuretquetusoispriseaudépourvu.Maiscen’est

pasentemontrantagressiveavecmoiquetuarrangerasleschoses.Cettesituationnem’amusepasplusquetoi.

Ilavaitraison,biensûr,aussisecontenta-t-elledegarderlesilence,lamaintoujoursserréesurletéléphone.Cemaudittéléphone…Commeelleregrettaitdenepasl’avoirjetédanslarue!

—Jecroisquetudevraisemménagerchezmoi,aumoinsjusqu’àcequ’onsachesituesenceinteoupas.

Elleouvritlabouche,incrédule.—Quoi?finit-ellepardire.Denouveau,ilsoupira.—Nousnedevrionspeut-êtrepasdiscuterdecelaautéléphone.Jepeuxvenirtechercherdansune

heure.Fortheureusement,elleréussitàreprendresesespritsàtempspours’exclamer:—Non!—Alors,qu’est-cequetuveuxfaire?demanda-t-ilavecimpatience.Désemparée,elleposasamainsursatempe.—Ecoute,Cam,ilesthorsdequestionquejem’installeavectoi.C’estlachoselaplusabsurdeque

j’aiejamaisentendue.Pourl’instant,jen’aiaucuneenviedetevoir.Jesuissouslechoc.J’aibesoindetempspourréfléchirauxdifférentespossibilitésquiseprésententàmoi.Jen’aipasenviedet’avoirsurledos.S’ils’avéraitquejesoisenceinte,jesauraisoùtetrouveret,crois-moi,jen’hésiteraispasàlefaire.Enattendant,jepréféreraisquetutefassesdiscret.

—Jenesuisabsolumentpasd’accord.Ecoute,Pippa,jeveuxêtresûrquetoietle…bébé…voussoyezbienensécurité.Enfin,sibébéilya.Etlemeilleurmoyend’yparvenirestdetegarderprèsdemoi,quelquepartoùjeseraisûrqueriennepourrat’arriver.

Ilyavaitdanssavoixquelquechosedelointain,untonétrangementdétachéquiluilaissaitentendrequ’iln’étaitpasentraindeseconcentrersurlevéritableproblème.Ilsemblaitavoirl’espritailleurs,cequinefaisaitquel’irriterdavantage.

Ils’inquiétaitdesasécuritéetdecelled’unbébéhypothétique,tandisqu’elles’inquiétaitdesavoirs’ilyavaitounonunbébé!

—Jemefichequetusoisd’accordounon,finit-ellepardired’unevoixcalme,avantderaccrocher.Sesouvenanttoutàcoupqu’ilétaitdugenretenace,elleéteignitsontéléphoneetlelançaàl’autre

boutducanapé.Alors, pendant de longuesminutes, elle resta assise, les yeux perdus dans le vide, à essayer de

cernertouteslesimplicationsdecepréservatifdéchiré.Toutàcoup,uneidéeluitraversal’espritetelleselevad’unbond.Ellesavaitqu’ellenedevaitpas

être loin de sa période d’ovulation,mais il fallait néanmoins qu’elle vérifie.Aussi se précipita-t-elleverssachambrepourconsulterl’agendaoù,commetoutecélibatairesexuellementactivequiserespecte,ellenotaitlesdatesdesesrègles.

Ilneluifallutquequelquessecondespourretrouverladernièreentréeetpourcalculerlenombredejours qui séparaient cette date du week-end dernier. Alors, elle laissa échapper un gémissement. Lemomentn’auraitpaspuêtreplusmalchoisi.Naturellement,elleignoraitàquelledateelleavaitovulé,mais,siellesesituaitdanslamoyennedesfemmes,ilyavaitdeforteschancespourqueceweek-endaitconstituépourellelapériodeidéalepourconcevoirunenfant.

Bien. Une grossesse était donc parfaitement possible. Il lui restait maintenant à déterminer cequ’elleallaitpouvoirfaire.Sitantestqu’elleaitlechoix.

Après être retournée dans le séjour, elle ralluma son téléphone, déclenchant ainsi une véritablerafale de sons signalant des appels manqués, des messages vocaux et des SMS. Elle les ignora. IlsprovenaientprobablementtousdeCam,quidevaitd’ailleursdéjàêtreenroutepoursonappartement.

Priant pour que Carly soit disponible, elle rechercha son numéro. Un instant plus tard, la voixradieusedesonamiesemitàrésonnerdanslecombiné.

—Pippa!Commentvas-tu?Est-cequetesaffairesavancent?Jesuistellementcontentepourtoi.Comments’estpasséelacrémaillèred’Ashley?Commejeregretted’avoirmanquéça.J’espèrequ’ellen’étaitpastropdéçue…

Elleattenditpatiemmentdepouvoirplacerunmot.—Carly,tuesdispo?J’aibesoindetoietdesfilles.C’estuncasd’urgence.—Pippa,toutvabien?Qu’est-cequisepasse?—Je te lediraiquandnousserons toutes réunies.Est-ceque tupeux t’occuperdeconvoquer les

autres?—Biensûr.Al’Oscar’s?Ellehésitaquelquesinstantsavantderépondre:—Oui.Maisréserveunpetitbox.—D’accord.Jem’occupedetout.Tupeuxtoujourscomptersurnous.Tulesais,n’est-cepas?

—Oui.Etc’estpourçaquejevousadore.Toutes.—Jet’envoieuntextodèsqu’onauradéterminél’horairedurendez-vous.Allez,àtoutàl’heure.Soulagée,Pipparaccrocha.Elleavaitlesmeilleuresamiesdumonde.Desamiesintelligentes,qui

seraientparfaitementenmesuredel’aideràgéreraumieuxlasituation.Maisentre-temps,aucasoùCamferaituneapparitionsurprise,ellenedevaitpass’attarderchez

elle.Ladernière chosedont elle avait envie, à cet instant, c’était de se retrouver face aupèrede sonenfantpotentiel.

-5-

Commeelleapprochaitdel’Oscar’s,Pippaaccéléralepas.Lespetitsfloconsdeneigequis’étaientmis à tomber lui picotaient les joues. Elle avait espéré que le froid lui ferait reprendre ses esprits,atténueraitunpeul’effetdechoc.MaisellesesentaittoujoursaussibouleverséeparlecoupdetéléphonedeCam.

Desserrantl’écharpequ’elleavaitenrouléeàlahâteautourdesoncou,elleouvritlaporteducaféetbalayalapièceduregard.Lesoulagementfutimmédiatquandelleaperçutsesamiesinstalléessurlesbanquettesd’unpetitbox.

Emueetapaisée,elleembrassaTabitha,Sylvia,CarlyetAshley,àcôtédelaquelleellepritplace.—Qu’est-cequinevapas,Pippa?demandaAshleysansdétour.—Ilm’estarrivéquelquechosedegraveetj’aivraimentbesoinquevousm’aidiezàévaluerles

différentessolutionsquiseprésententàmoi.—Maisenfin,qu’est-cequisepasse?s’exclamaTabitha.Sylviafronçalessourcils.C’étaitlaplusâgéeetlaplussérieusedugroupe.Elleavaitl’esprittrès

pragmatiqueetétaittoujoursdebonconseil.Pippaprituneprofondeinspiration,avantdedéclarer:— Je suis peut-être enceinte… Enfin, ce n’est qu’une hypothèse, mais c’est parfaitement

envisageable.—Quoi?s’exclamèrentsesquatreamiesàl’unisson.—Qu’est-cequitefaitpenserquetupourraisl’être?s’enquitCarly.—J’aieuuneaventured’unsoirleweek-enddernier.Ellelevalesyeuxverssesamiesetgrimaça,avantd’ajouter:—AvecCam.Aprèsavoirmarquéunepetitepause,ellepoursuivit:—Nous avons quitté la soirée d’Ashley ensemble. Il m’a emmenée chez lui et nous avons fait

l’amour.Toutelanuit.Ashley paraissait sidérée. Sylvia, les sourcils toujours froncés, arborait une expression

désapprobatrice.Uneexpressionqui lui faisaitpenserà la façondontunemèreauraitpu regarder sonenfant.Mêmesisapropremèrenel’avaitjamaisregardéedecettefaçon.

—Jenetesuispas, intervintTabitha.Tuesplutôtdugenreprudenteetresponsable.Alors, jenecomprendspaspourquoitucrainsd’êtreenceinte.

—Parceque l’undespréservatifs s’estdéchiré, répondit-elle, etparcequecela s’estproduit en

pleinmilieudemoncycle.Sesproposfurentsuivisd’unsilencestupéfait,quiluiparutinterminable.Et,toutàcoup,lesmots

jaillirentdesagorge:—Oh!lesfilles,jesuistellementdéstabilisée!Letimingn’auraitpaspuêtrepire.Etpuis,comme

si cela ne suffisait pas, je n’ai pas pu signer le bail demon local commercial. L’affaire a capoté. Etmaintenant,cettehistoiredegrossesse.Jen’arrivepasàmontermonaffaire,jen’aipasdemutuelleetjenemesensabsolumentpaspréparéeàdevenirmère.J’ai justeenviedepleurer,mais jesaisqueçanerésoudrapasmesproblèmes.

—Vas-y,pleure,ditCarlyd’unevoixdéterminée.Çateferadubien.Nous,pendantcetemps,onvaréfléchirauproblème.

—Tu sais que tu peux toujours compter sur nous, ajoutaAshley. Tum’as tellement aidée quandj’avaistouscesproblèmesavecDevon…

MalgréleconseildeCarly,elleluttapourretenirleslarmesqu’ellesentaitmonteràsesyeux.—Jevousadore,lesfilles.—Aquelmomentas-tucouchéaveclui,exactement?demandatoutàcoupSylvia.—Samedisoir.Toutelanuitdusamediaudimanche.—Tudevraisconsultertonmédecinpourluidemanderconseilquantauxdifférentessolutions,lui

ditgentimentSylviaenluiprenantlamain.—Jepaierailesfraismédicaux,ajoutaAshley.Jeteconduiraimoi-mêmeàl’hôpital.Acesmots,ellesentitsoncœurpalpiterdanssapoitrineetperçutunvaguesentimentdemalaise.

C’était ainsi qu’elle se sentait chaque fois qu’elle s’imaginait en train de prendre des mesures pourinterromprelagrossessequiavaitpeut-êtredéjàcommencé.

LavoixdoucedeSylvialaramenabrutalementàlaréalité:—Pippa?Est-cequeçava?—Jemesenstellementstupide,murmura-t-elle.Cen’estpasunedécisionquejepeuxprendreen

quelquessecondes.C’estimpossible.—Bon,intervintCarly,etqu’est-cequetoncœurtedit?Dequoias-tupeur?Est-celagrossesse

elle-mêmequit’effraie?Oul’idéed’êtreunemamancélibataire,incapabledesubveniràsesbesoinsetàceuxdesonbébé?

—Tunerendspasleschosestrèsattrayantes,balbutia-t-elle.—Tu n’es pas obligée de prendre ta décision tout de suite, lui dit doucement Tabitha. Tu peux

parfaitementattendredesavoirsi tuesvraimentenceinteavantdecommenceràétudier lesdifférentesoptions.Lesfemmesdisposentd’unlargeéventaildepossibilités,denosjours,tusais?

Ashleyluipritlamainetladévisagead’unairinterrogateur.— Si tu es vraiment enceinte et que tu veux garder le bébé, je veux que tu saches que nous

t’aiderons.Touteslesquatre.Tuneseraspasseule.Jeveuxsimplementquetufasseslemeilleurchoixpourtoi.Quelquesoitcechoix,sachequetuaurasnotresoutienabsolu.

Alors, elle ne put retenir ses larmes plus longtemps. Elle les sentit rouler sur son visage, tandisqu’elleobservaituneàunesesamies.Lesmeilleuresdumonde.

—Maisnousoublionsunepartimportantedel’équation,fittoutàcoupremarquerSylvia,versquitous les regards se tournèrent. Le père. Bien sûr, nous serons à tes côtés. Mais lui, prendra-t-il sesresponsabilités?

Pippahochalatête.— Oui. Je n’ai aucun doute là-dessus. J’ai même dû lui dire de me laisser tranquille tant que

j’ignorerais si je suis enceinte ou pas. J’ai besoin d’être au calme pour réfléchir à tout cela, vous

comprenez?—Biensûr,réponditgentimentCarly.—Çavapeut-êtrevoussemblerdingue,mais, aumomentoù j’aiprisconsciencequec’étaitune

éventualité, quelque chose enmoi a changé. Jeme suismise à imaginer cette petite vie et…même sij’avaiseulapossibilitédelafairedisparaître…

Ellesecoualatêteetprituneprofondeinspirationavantdeconclure:—…jenesuispassûrequejel’auraisfait.Craignantunpeulafaçondontsesamisallaientréagir,ellelesobservaàtourderôle.Maisellene

perçut ni jugement ni condamnation dans leurs yeux. Tout ce qu’elle voyait était amitié et soutieninébranlables.Détermination.Loyauté.

—Si…S’ils’avéraitquejesoisenceinte,jecroisquejegarderaislebébé.Elledéglutitavecpeine,avantd’ajouter,d’unevoixplusdéterminée:—Jesuissûrequejelegarderais.—Prendsunpeudetempspourt’habitueràcetteidée,luiconseillaSylvia.Riennepresse.Tun’es

pasobligéedetedécideraujourd’hui,nimêmedemain.MaisPippasavaitque,plusletempspasserait,pluselles’accrocheraitàl’idéedemettreaumonde

etdegardercebébé.Sonbébé.Ellesesentaitdéjàtrèsprotectriceenverslui,alorsmêmequ’ellen’étaitpassûredesonexistence.Au-delàduchocetde laconfusion, ilyavaitaufondd’elle lacertitudeabsoluequ’elleneferait

jamais quoi que ce soit pourmettre un terme à cette possible grossesse.Ou pour abandonner l’enfantauquelelledonneraitpeut-êtrenaissance.Lesentimentdepossessivitéetlepuissantéland’amourqu’elleressentaitdéjààl’égarddecebébépotentielétaientbouleversantsd’intensité.

Oui,quoiqu’ilarrive,ellegarderaitcetenfant.EllecontacteraitCamet,ensemble,ilstrouveraientunarrangementàl’amiable.

Peut-êtreétait-ellestupideetnaïve,mais,jusqu’àpreuveducontraire,elleétaitdéterminéeàcroiredetoutsoncœurqu’ilprendraitsesresponsabilités.

—Bien,lesfilles,combiendetempsest-cequ’ondoitattendreavantdefaireuntestdegrossesse?

-6-

Pippa faisait les cent pas dans le séjour.C’était le seulmoyenqu’elle avait trouvé de résister àl’enviederegarderlepetitbâtonnetposésurlatablebasse,àquelquesmètres.

—Encoreuneminute,luiditAshley,quandellelavits’approcherdelatable.—Qu’est-cequec’estlong!Ellenepouvaitpasattendreunesecondedeplus.Lesdeuxsemainesquivenaientdepasseravaient

étémarquéesparunstressinimaginable,Camétanttoujourssursondos,àluidemandertouteslescinqminutes s’il y avait quelque chose de nouveau. La dernière fois qu’il l’avait appelée, elle lui avaitd’ailleurs hurlé de la laisser tranquille.Et elle s’étaitmanifestementmontrée très convaincante, car iln’avaitpascherchéàlacontacterdepuisdeuxjours.

Pourlemeilleuroupourlepire, ilsemblait trèspréoccupéparlasituation.Onauraitditqu’ilsefaisaitundevoirdeveillersurelle.

Cequiavaitledondelarendrecomplètementfolle.—Celanefaitquedeuxminutes,murmuraAshley.Unpeudepatience.Aboutdenerfs,elles’effondrasurlecanapé.—Tuas raison,mais je suis tellement impatiente.De toute façon, je le sens. Je sais que je suis

enceinte.Etnevapasmedirequec’estuntrucpsychologique.Jenesuispasdansmonétatnormal.Messeins sont tendus. J’ai des nausées. Certaines odeurs me donnent envie de vomir, comme celle descupcakes.Tuterendscompte?L’odeurdescupcakes!Maiscommentest-cepossible?

Ashleysourit.—Tuasraisondefaireconfianceàtoninstinct.Maisattendonstoutdemêmelerésultat.O.K.?Toujoursplusàcran,ellefermalesyeux.Lesdeuxsemainesquivenaientdepasseravaientétéun

véritable calvaire.Ellen’avait cesséde changerd’avis.Un jour, l’idéed’avoirunbébé lui paraissaitmerveilleuse.Lelendemain,elleétaitterrifiéeparcettesimpleéventualité.

Etpuis,ellesesentaitunpeustupide.Unegrossesseindésirable?Asonâge?Ellen’étaittoutdemême pas une adolescente stupide qui faisait l’amour sans protection. Elle n’avait jamais commis lamoindreimprudence.Jamais.

Elle ne se considérait pas comme une femme très conventionnelle, mais, néanmoins, elle avaittoujoursimaginéque,siunjourelleavaitdesenfants,celaseferaitdanslecadred’unerelationd’amouretdefidélité.

Lavoixd’Ashleycoupacourtàsesréflexions:—Çayest!Tupeuxregarder.Etsurtoutn’oubliepas:quelquesoitlerésultat,toutirabien.

Pippasentitlesbattementsdesoncœurs’accélérer.—Regarde,toi.Moi,jecroisquejen’yarriveraipas.Ashleyluipritlamainet,lentement,s’emparadubâtonnet.Puis,toutaussilentement,ellelereposa

surlatable,l’airsolennel.—Alors?demandaPippa,incapabled’attendreunesecondedeplus.Jesuisenceinte?—D’aprèsletest,oui,luiréponditdoucementsonamie.Pippaexpiralentementet,ressentantlebesoind’enavoirlaconfirmation,elleattrapaàsontourle

bâtonnet.Lamarqueétaitunpeufloue,maiselleétaitbienlà.Ungrandsigne«plus»,bleuvif,quiavaitl’airdeluicrier:«Oui!Tuesenceinte!»

—Oh!monDieu…,murmura-t-elle.Ashleyl’observait,manifestementmalàl’aise.—Çavaaller?Elle entendait à peine son amie. Soudain, toute la pièce sembla disparaître, s’affadir, devenir un

grandvidedesilenceblanc.Elleétaitenceinte.Del’enfantdeCam.—Maisqu’est-cequejevaisfaire,Ash?marmonna-t-elle,bouleversée.Camvadevenirdingue.Il

m’afaittoutcegranddiscours,pourmedirequ’ilnevoulaitpass’engager,qu’ilnes’agiraitquedesexeentrenous,bla-bla-bla.Unbébé,sicen’estpasunengagement…

—Attendsunjouroudeux.Histoiredeteremettreunpeu.Tuluidirasplustard.—Maisilfautqu’onparle.—Pippa,tuessouslechoc.Ladernièrechoseàfaire,c’estdeteconfronteràCammaintenant.Il

peutêtre…Ilestassezdur,non?Ilvasemontrerimpitoyable.Ilvatebriser.—Jenecroispas.Detoutefaçon,jedoisluidire,maintenant.Aprèsmoi,c’estluiquecettehistoire

toucheleplus.Ilméritedesavoir,pourpouvoircommenceràenvisagerl’avenirenconséquence.Etpuis,celafaitdeuxsemainesqu’ilmeharcèle.Jenevoispasl’intérêtdefairedurerlesuspense.

Ashleysoupira.— Je veux simplement t’éviter de prendre des décisions impulsives. Je le connais bien. Il peut

parfoissemontrertrèsbrutal.Trèségoïste.—Çam’estégal. Jen’aipaspeurde lui.C’estautant sonproblèmeque lemien. Jenevoispas

pourquoijepasseraislasemaineàmelamentertouteseulesurmonsort.Sijesouffre,ilsouffriraavecmoi.

Ashleylaissaéchapperunpetitrire.—D’accord,tuviensdemeconvaincre.—Ets’ils’enprendàmoi,iln’auraplusjamaisàsesoucierd’enfanterdenouveau.Jenesuispas

d’humeuràmemontrercompréhensive.Ashleylapritdanssesbras.—Toutirabien,Pippa.Nousvivronsnosgrossessesensemble.Devonetmoiferonstoutcequiest

ennotrepouvoirpourt’aider.EtpuistuasTabitha,CarlyetSylvia.Etmamère,biensûr.Ellet’atoujoursconsidéréecommesaproprefille.Quandelleapprendraquetuesenceinte,ellevat’enfermerdansunetellebulledetendressequetupourrasàpeinerespirer.

—J’adoretamaman,murmura-t-elleensouriant.—Etellet’adoreaussi.Pippaselevaducanapé.—Jenevoudraispasmemontrer impolie,Ash,mais jedoisparler àCamavantdeperdremon

sang-froid.J’aisimplementenviedemedébarrasserdecelamaintenant.—Metstonmanteau,alors.Jevaisdemanderàmonchauffeurdeteconduireàsesbureaux.Ilme

ramèneraensuite.—Merci,Ash.Pourtout.Pourm’avoirtenulamain.Etrerestéeavecmoi.Nepasm’avoirlaissée

seule.Ashleylapritdenouveaudanssesbras.—Jemesouviensd’untempsoùc’étaitmoiquiavaisbesoindetoi.—Allons-y,répondit-ellesimplement.

***

Assisdevantsonbureau,Camjetaunœilparlafenêtre.Iltombaitunmélangedepluieetdeneigefondue.Etsonhumeurétaitaussigrisequeleciel.

Ces derniers temps, il avait largement ignoré ses obligations professionnelles, bien qu’il se fûtmontréassiduàsonbureau.IlavaitassistéàdesréunionsavecDevonetsesdeuxautresassociés,Rafaelde Luca et Ryan Beardsley. Leur nouvel hôtel, le produit phare de la récente fusion entre Tricorp etCopelandHotels,étaitsurlepointdevoirlejour.Toutmarchaitcommesurdesroulettes.Etilauraitdûêtreheureuxcommeunpape.

Mais les deux semaines passées avaient été un véritable calvaire. Il n’avait cessé de se torturerl’espritàl’idéequePippapuisseêtreenceinte.Al’idéequ’elleneprennepassoind’elle,qu’illuiarrivequelquechose.

L’inquiétudeetl’angoisseprévalaientdésormaissurtoutessesautresémotions,lehantaientjouretnuit.Demêmequelaculpabilité.Cartoutétaitsafaute.Ilauraitdûsemontrerbeaucoupplusattentifàl’égarddelacontraception.EtilauraittoutsimplementdûlaisserPippatranquille.

Ilneseseraitalorspasretrouvélà,rongéparl’angoissedeperdrequelquechosedeprécieux.Pourlasecondefois.

Lefaitdenepasavoireudesesnouvellesauraitdûlerassurer.Car,sielleavaitétéenceinte,ellen’auraitpasmanquédeleluidire.Elleavaitpromisdelefaire,etilavaitentièrementconfianceenellesurcepoint.Pourtant,plusletempspassait,plusilsentaitl’angoisselegagner.

Depuis lanuitqu’ilsavaientpasséeensemble, ilavait repris l’habituded’ouvrir régulièrement letiroirdesonbureauquicontenaitsonprécieuxpetitcadrephoto.Uncadrepliant,surlequelonpouvaitvoirdeuxportraits.

Celuid’EliseetceluideColton.Et,encemomentmême,ilétaitentraindelesregarder,caressantinstinctivementdesesdoigtsles

traitsradieuxduvisaged’Elise.Coltonavaitàpeineunjoursurlaphoto.Ilétaitminuscule.Encoreunpeufripé,unpeurouge.MaisCamn’avaitjamaisrienvud’aussibeaudesavie.

Malgrétoutletempsquiétaitpassé,ilsesentaittoujoursaussiviolemmentémuencontemplantlesvisagesdecesdeuxêtresqu’ilavaitchéris.Etperdus.Pourtoujours.

Non, l’histoirenepouvait pas se répéter.C’était impossible. Il nevoulait pas risquerde revivrecettehorreur.Ilnevoulaitpasseprépareràcela.IlnevoulaitpasquePippasoitenceinte.

Unappeldesasecrétaireletirabrutalementdesespensées.—MonsieurHollingsworth ? Il y a une jeune femme ici qui souhaite vous voir.Elle n’a pas de

rendez-vous.—Sonnom?s’enquit-ilavecimpatience.—PippaLaingley.Ellesemblecertainequevousaccepterezdelavoir.

IlyavaitdanslavoixdeMlleMiltonunenuancedédaigneusequiluilaissaitentendrequ’elleavaitprobablementdéjàessayédesedébarrasserdePippa.

—Faites-laentrertoutdesuite.Ilseleva,tandisquelaportes’ouvraitsurPippa.Tendu comme jamais, il l’observa attentivement, examinant chaque détail de son physique, à la

recherched’unsigneprouvantqu’elleétaitenquelquesorte…différente.Son instinct luidictaitd’allerverselle. Ilavaitenviede laprendredanssesbrasetde laserrer

contrelui.Deluipromettrequetoutiraitbien.Maisilavaitapprisilyabienlongtempsquepersonnenepouvaittenircegenredepromesse.

Luttantpourseressaisir,ill’accueillitaussiaimablementquepossible:—Pippa,assieds-toi,jet’enprie.Tuveuxboirequelquechose?Elles’approcha.Sonvisageétaitpâle.Sestraitstirés.Sesyeuxcernés.Onauraitmêmeditqu’elle

avaitperdudupoids.Sesentantunpeucoupable,ilcompritquelesdeuxsemainespasséesavaientétébienplusstressantespourelleencorequepourlui.

—J’espèrequejen’interrompspasquelquechosed’important,dit-elledoucement.Maisilfallaitquejetevoietoutdesuite.

—Pasdutout,dit-il,lagorgenouée.Jesuistoutàtoi.Dequoivoulais-tumeparler?Pourquoiavait-ilditcela?Ilsavaitdéjàpourquoielleétaitlà.—Jesuisenceinte,finit-elleparannoncerd’unevoixbasse.Désorienté, il avait l’impression qu’une douleur sourde pesait sur sa poitrine. Mais il resta

parfaitement immobile.S’il se risquait à faire lemoindremouvement, il ne tarderait pas à s’effondrerdevantelle.

—Tuenescertaine?demanda-t-ilquandileutrecouvrésavoixetsesesprits.Maisilsavaitbienqu’ellel’était.Ilétaitimpossibledenierlasincéritéquibrillaitdanssesyeux.

Siseulementilavaitpuremonterletemps…—Aussi certaine que je puisse l’être sans confirmation d’un médecin. J’ai acheté un test à la

pharmacie.Cestrucssontcensésêtresûrsà99%,ouquelquechosecommeça.—Ilyadoncpeudechancespourqu’ilyaiterreur,dit-ilaprèss’êtreéclairci lavoix.Detoute

façon,noussavionstousdeuxquec’étaitparfaitementenvisageable.Elleétaitdebout,lesmainsenfoncéesdanslespochesdesonmanteau,etsonmalaiseétaitvisible.—Tuvasbien?Tunetesenspasmalade?Ildétestaitletonfroidqu’ilavaitadopté,mêmes’ilétaitnécessaire.Car,non,ilnevoulaitpasde

cetteintimitéquisecréenaturellemententreunhommeetunefemmequiontconçuunenfantensemble.Il était furieux que Pippa ait catégoriquement refusé la proposition qu’il lui avait faite de venir

s’installeraveclui.Maisilnepouvaitpasleluireprocher.Ilavaitdûpasseràsesyeuxpourungranddéséquilibré. Il luiavaitditqu’ilnevoulaitpass’engageretpuis, toutàcoup, il luiavaitdemandédevenirs’installersoussontoit…

Mais,bienqu’ilnesouhaitâtenaucuncasselaisseralleràlamoindreformed’intimitéavecelle,illuifallaitêtrecertainqu’ellenemanqueraitderien.Qu’ellebénéficieraitdesmeilleurssoinsmédicaux.Ainsiqued’unparfaitsoutienfinancieretémotionnel.Ildevaitfairetoutcequiétaitensonpouvoirpours’assurerquerienn’arriveraitjamaisà…àsonenfant.L’histoirenepouvaitpasserépéter.

Peut-êtreétait-ce lafroideurdesapropositionquiavaitrebutéPippa.Peut-êtrerequerrait-elledeluiunengagement…plusfort.Ilfrémissaitrienqu’àypenser,maislemariage?Sepouvait-ilquecesoitlameilleureoption?C’étaitentoutcasunesolutionpratique.Danslaquelleelletrouveraitcertainementdesavantages.Etquiluipermettrait,àlui,d’obtenircequ’ildésiraitleplus.Asavoir,lapaixdel’esprit.

Pendantquesonespritfonctionnaitainsiàtouteallure,elleavaitréponduàsaquestion:—Non.Jesuisjustefatiguéeetunpeuinquiète.Maisjemesensaussisoulagée.Maintenantqueje

sais,jevaispouvoirprendredesdécisions.Cesmotsdéclenchèrentenluiunbrutalsentimentdepanique.—Desdécisions?Quellesortededécisions?Ellehaussalesépaules.Ilauraitvraimentaiméqu’ellesedébarrassedecefichumanteau,maisil

n’étaitpascertaindesouhaiterlavoirs’attarder.Ilavaitmêmenettementenviequ’elledisparaisse.Dansquelpétrinils’étaitmis!

Résoluàprendreleschosesenmain,ilfitunpasdanssadirection.—Oui,biensûr,dit-ilcalmement,nousallonsavoirbeaucoupdechosesàrégler.Jevaisdemander

àmonavocatdepréparerlespapiers.Etpuisnousdevonsdéjàcommenceràréfléchirauxaccordspourlagarde.

Ellelevaunemainpourl’interrompre.—Jerefused’avoiruneconversationsurmonavenir,letienouceluidubébédanscefichubureau,

oùn’importequipourraitnousentendre.Jesuisencoresouslechoc.Jecroisqu’onferaitmieuxdeparlerdecelaplustard.Quandnousauronstouslesdeuxreprisnosesprits.J’avaisjuste…besoindeteledire.Jenepouvaispasattendre.

—Jenepensepas…Sonregardrencontralesien.Sesyeuxétaientbrillantsdecolère.—Jemefichedecequetupenses.Jem’envais,maintenant.Situveuxdiscuterdecelaplustard,tu

saisoùmetrouver.Enattendant,jevaisdéjeuner.Seule.Jeseraichezmoià18heures.Sielles’étaitjustemontréehargneuseourevêche,ilauraitprobablementeuenviedeluitordrele

cou.Maiscequ’ilvoyaitétaitunefemmequicherchaitvaillammentàgardersonsang-froidetsadignité.Elleétaitbouleversée,aussibouleverséequ’ill’étaitlui-même,etelledonnaitl’impressiondepouvoirs’effondreràtoutinstant.

Ilnepouvaitpaslabousculer.Ilnepouvaitpassemontrerdéraisonnable.Mêmesil’idéedelavoirpartirsansqu’unarrangementn’aitétéfixél’irritaitauplushautpoint.

—D’accord,dit-ildoucement.Jeseraicheztoià18heures.

-7-

Pippan’auraitpasdûêtresurprisedetrouverCamentraindel’attendreenhautdesmarchesdesonimmeuble. Pourtant, quand elle l’aperçut, elle resta unmoment sous le choc.Avait-elle passé plus detempsqu’ellenelepensaitsurlechemin?Elleconsultasamontre.Non,elleétaitmêmeenavance.

Vêtu d’un longmanteau, il ne portait ni chapeau ni écharpe, et ses cheveux étaient humides. Sabouchedessinaitunelignedure,maissonexpressions’adoucitlorsqu’ilcroisasonregard.

—Tuasfaittoutlecheminàpied?luidemanda-t-ilenladévisageantd’unairsoucieux.Sansluirépondre,elleouvritlaporte,entraetselaissaenvelopperparladouceetagréablechaleur

desonappartement.Puisellesedirigeaversleséjour,Camluiemboîtantlepas.—Tuesrentréedemonbureauàpied?insista-t-il.Souslapluie?Ilfaitunfroidglacial…—Non.J’aiprisuntaxipouralleraurestaurantoùj’aidéjeuné.Etjesuisensuiterentréeàpied,

maisc’étaittoutprèsd’ici.Ilconservasonexpressionrenfrognée,maisselaissanonchalammenttomberdansl’undesespetits

fauteuils.Danssonminusculeséjour,ilavaitl’airplusimmensequejamais.Saprésenceétaitécrasante,suffocante,etelleeuttoutàcouplasensationdemanquerd’air.

Ilavaitl’airnerveux,àcran.Etlesremordscommencèrentàlaronger.Commentavait-ellepuluiannoncer la nouvelle de façon aussi brutale, avant de le repousser et de le laisser seul face à sesresponsabilités,danssongrandbureau?Elles’étaitvraimentconduitecommeunegarce.

—Jesuisenavance,dit-ilenpassantnerveusementunemaindanssescheveux.Maistucomprendssansdouteàquelpointj’aihâtederéglercetteaffaire.

—Régler?répéta-t-elleens’asseyantsurlecanapé.Elleauraitdûluiproposerunverre…ouquelquechose.Mais,auvudelasituation,lerespectdes

convenancesluisemblaitêtreunepréoccupationbienfutile.Etelleimaginaitqu’ilenétaitdemêmepourlui.

—Jenepensepasqu’onpuisseréglercelaenunjour.Cen’estd’ailleurspasunechosequipeutêtreréglée.Onparled’unenfant.

Ilsepenchaenavant,manifestementtrèstendu.Ilsemblaitcherchersesmots.—J’aimeraisconnaîtretesprojets,dit-ilenfin.Elleéclataderire,avantdes’apercevoirqu’ellesemontraitdenouveauagressiveaveclui.—J’aibesoind’unpeudetempspourréfléchir,tusais?dit-elleensoupirant.Lanouvellenedate

quedecematin.—Tuveuxgarderlebébé?

—Oui,répondit-elled’untonferme.Ellefitunepauseetrépéta,d’unevoixpluscalme:—Oui.Jen’aipascessédemeposerlaquestiondurantcesdeuxsemaines.Etau-delàduchoc,du

stress,delapanique,del’inquiétude,laseulechosedontjesuiscertaine,c’estquejeveuxcetenfant.UnelueursemitàbrillerdanslesyeuxdeCam.Etait-cedusoulagement?Incapabledetenirenplace,elleselevapourfairequelquespas.—Jen’aipasdeprojet,Cam.Maiscequiestsûr,c’estquejevaisavoirbesoindetonaide.Pour

commencer,jen’aipasdemutuelle.—Tubénéficierasdesmeilleurssoinsmédicaux.—Merci.Jesuisen traind’essayerdemontermonaffaire,et lamutuellefaitpartiedecespetits

détailsquejen’aipasencoreeuletempsderégler.Ilarboraituneexpressionsérieuseetsombre.—Tun’aspasàt’inquiéterdeça.Jeveuxquetoietnotreenfantnemanquiezderien.Aprèstout,cetteconfrontationnesedéroulaitpasaussimalqu’ellenel’avaitcraint.Camparaissait

trèsbienprendreleschoseset,parailleurs,ilsecomportaitdefaçonplutôtaccommodante.— Je ne souhaite pas recevoir ton soutien financier, s’empressa-t-elle d’ajouter. Ta proposition,

pourlamutuelle,estdéjàplusquegénéreuse.J’aidel’argentdecôté.Etildevraitpouvoirmepermettredevivrejusqu’àcequemonaffairesemetteenroute.

Ellenevoulaitsurtoutpasluidonnerl’impressionqu’elles’attendaitqu’ill’entretienneetluioffreuntraindevieluxueuxpourlasimpleetuniqueraisonqu’elleportaitsonenfant.Leschaînesquilaliaientàluiétaientdéjàassezpesantescommecela.

—Jesuiscertainqu’onréussiraàtrouverunarrangementconvenable,répondit-il.Ellelevalatête.Sonregardétaitfixésurelle.—Est-cequetuveux…t’impliquer?demanda-t-elle,hésitante.Jeveuxdire,danslagrossesse.Je

sais qu’il y a certains hommes qui n’en éprouvent pas l’envie.Bref, si tu ne voulais pas assister auxéchographies,ouautresrendez-vousmédicaux,tusais,jecomprendrais…

—Attendsuneminute, l’interrompit-il violemment.Bien sûr, que je veuxm’impliquer dans cettegrossesse.J’enailedroit!

Surprise,elleclignadesyeux.—Trèsbien,d’accord.Maismonintentionn’étaitpasdeterefusercedroit.Jepensaissimplement

quetun’auraispeut-êtrepasenviedel’exercer.Sonexpressionsedurcitencore.—Ehbien,tut’estrompée.—Ecoute,Cam,j’essaiedememontrercoopérative,maisj’aibesoindetonaide.Jenevoispas

pourquoi tu restes là, à me dévisager d’un œil froid et à me répondre aussi sèchement… et je doist’avouerquejesuissurlepointdepéterunplomb.

Lesmotsétaientsortisdesaboucheenunfluxchaotique,etsesmainss’étaientmisesàtrembler.Alors,ildéplialentementsoncorpsdupetitcanapéetsedressadevantelle.—Assieds-toi,s’ilteplaît.Ellehésitaunlongmomentavantdelelaisserlaguiderverslecanapé.Quandellefutinstallée,il

pritplaceàcôtéd’elleetserrasesmainsdanslessiennes.—Voilàcequenousdevrionsfaire:toutd’abord,consulterunmédecin,desortequenoussoyons

sûrsquetuesenbonnesantéetquetagrossessesedéroulebien.Ellehochala tête.Consulterunmédecinétaitunepremièreétapeparfaitement logique.Aumoins,

l’und’entreeuxétaitenmesuredepenserdefaçonrationnelle.

—Ensuite,jepensequenousdevrionsnousmarier.Oupresque.Avantqu’ellen’aiteuletempsdeluidemanders’ilétaitdevenufou,ilplaçaundoigtsurseslèvres.

Puis,ilprituneprofondeinspiration,commes’ilavaitbesoindeseconvaincrelui-même.—Ecoute-moi.Nouspourrionsnousmarieretnousarrangerpourmenernosvieschacundenotre

côté.Mamaisonestassezgrandepourquenouslapartagionssansnousmarchersurlespieds.Tuauraistonespaceàtoi.Tunemanqueraisderien.Et,surtout,j’auraislacertitudequetoietlebébéêtesbienensécurité.

Elleledévisagea,incrédule.—Tuasperdulatête?Ilneréponditpas,secontentantdeplisserlesyeux.D’ungesteimpulsif,elledégageasesmainsdessiennesetselevaducanapé.Lapièceluiparaissait

troppetite.L’ambiance,étouffante.Etelleeuttoutàcouplanetteimpressiond’êtreentraindeperdrelecontrôledesonunivers.

—Soisraisonnable,Pippa.Elleseretournavivementverslui.—Raisonnable?Cam,ilyadeuxsemaines,tum’asexpliquédefaçononnepeutplusclairequetu

nemerappelleraispas,qu’ilnes’agissaitquedesexeentrenousetquetunesouhaitaispast’engager.Or,ilmesemblequelemariageestunengagement.Jediraismêmel’expressionultimedel’engagement.

—Jeneteparlepasd’unmariagedanslecadred’unerelationamoureuse…,répondit-ild’unevoixtendue.

Décidément,leschosesallaientdemalenpis.—Etdequoiparles-tu,alors?— D’une sorte de partenariat, qui bénéficierait à chacun d’entre nous. Toi et notre enfant ne

manqueriezderienet,moi,j’auraisl’esprittranquille.—Et pourquoi aurais-tu besoin d’avoir l’esprit tranquille ? J’ai l’impression que tume caches

quelquechose.Tun’arrêtespasdet’inquiéterausujetdemasécuritéetdecelledubébé.Dufaitquenousnemanquionsderien.Certes,celametouchequetuaiesàcepointchangé.Maispeux-tumediredequoituassipeur,s’ilteplaît?

Sa question ne reçut pas de réponse. Le silence qui s’ensuivit fut si prononcé qu’elle pouvaitentendre la respiration de Cam. Ses yeux parurent s’emplir de chagrin, tandis que sa mâchoire secontractait.

—Celanetesuffitpas?demanda-t-ilsoudain.Quejedécidedem’engager?Quejesouhaitequetoietnotreenfantbénéficiezdelaprotectiondemonnometdetoutcequivaavec?

Lentement,ellesecoualatête.—Non.Celanemesuffitpas.—Pourtant,ilyadeuxsemaines,tuauraistrouvéquec’étaitbientrop.Tunevoulaisriend’autre

qu’une nuit de sexe, toi aussi. Alors, je ne vois pas pourquoi tu cherches àme faire passer pour unégoïste,maintenant.

—Çan’arienàvoiravectoi!Elleavaitpresquecrié.Unpeugênée,ellerestaquelquesinstantsimmobile,lespaupièrescloses,le

soufflecourt.Quandellerouvritlesyeux,Camladévisageait,l’airpréoccupé.—Pippa…—Non,écoute-moi,balbutia-t-elle.Justeuneminute,s’ilteplaît.Tut’esmontrétrèsclairavantque

nousnecouchionsensemble.Tu t’esmontréhonnête. Jeme suismontréehonnête.Mais les chosesontchangé,depuis.Dutoutautout.Cequejevoulaisàcemoment-làn’estpluscequejeveuxmaintenant.Celaétant,jenetedemanderien.Jeveuxquetucomprennescela.C’estmoiquiaichangé.Cesontmesprioritésquiontchangé.

Ellerepritsonsouffleetpoursuivit:—Tuasraison.Cesoir-là,jevoulaissimplementcoucheravectoi.Parcequej’étaisattiréepartoi.

Acetteétapedemavie, jene ressentaisni l’envieni lebesoindeme lancerdansunerelationstable.Maisjesuisenceintemaintenant.Etilesthorsdequestionquejem’abaisseàaccepterunmariagefroidet dépourvu d’amour par simple convenance. Si un jour jememarie, je le ferai avec un homme quej’aime,quim’aimeetquiseradisposéàélevermonenfantavecmoi,àmescôtés.J’aibesoindetoutesceschoses.

—Jenepeuxpast’offrirça,répondit-ild’unevoixmorne.—Jenepeuxpasacceptermoins,murmura-t-elle.Ilselevaducanapéetluitournaledos,lespoingsserréscontresescuisses.—Jamaisjenetelaisseraiépouserunautrehomme,alorsquetuportesmonenfant.Brusquement,ilseretournaverselle.Deséclairsdecolèrebrillaientdanssesyeux.—J’aiundroitàlapaternité,Pippa.Tunepeuxpasmeretirerça.Jenetelaisseraipasfaire.Jeme

battraidetoutesmesforces.Ces mots la touchèrent profondément, balayant en partie le sentiment d’irritation que Cam lui

inspiraitdepuisledébutdelaconversation.Doucement,ellefitunpasversluietluiposalamainsurlebras.Ilyavaitquelquechosedeterribleetdedouloureuxdanssesyeux.Quelquechosedepoignant,quiluidonnaitenvied’apaisersestourments.

—Jeneteretireraipascedroit,Cam.Jecherchesimplementàt’expliquerpourquoijenepourraijamaisaccepterlarelationquetumeproposes.

—Jeveuxquemonenfantsoitensécurité,siffla-t-ilentresesdents.—Maismoiaussi. J’aimedéjàcebébé. Jemeprendssouventà rêverdesonavenir. Jene ferai

jamaisrienquinesoitdanssonintérêt.—Alorslaisse-moiprendresoindevousdeux.Jeneveuxpasqu’il t’arrivequelquechose.Situ

refusesdem’épouser,viensaumoinst’installerchezmoi.Avait-ilconsciencequ’il lasuppliaitpresque? Il semblaitmettreautantdevéhémenceàaffirmer

qu’ilnepourraitjamaisluioffrirlarelationqu’ellesouhaitaitqu’àargumenterpourlaconvaincredeselierfermementàlui.

Ellefitglissersesdoigtslelongdesonbrasetlesentrelaçaauxsiens.—Sij’acceptaistonoffre,jenepourraispasmeregarderdanslemiroirlematin.Tusais,sic’est

unefille, jeveuxluiapprendreànejamaissecontenterd’unsecondchoix,oud’unchoixpardépit.Jeveuxluiapprendreàêtreforte,tenaceetsûred’elle.Etpourcela,ilfautbiensûrquejecommenceparluimontrerl’exemple.

EllesentitlesmusclesdeCamsetendre,commes’ilallaitcontester.Aussiserra-t-elleplusfortsamaindanslasienne.

—Non, écoute, Cam. Ce qui nous arrive, aucun d’entre nous ne l’a ni prévu ni souhaité. Noussommes tous les deux bouleversés, submergés par nos émotions.Ne fais pas quelque chose que nousfinirionsparregrettertouslesdeux.Cediscoursquetum’astenuilyadeuxsemaines,ilétaitonnepeutplusparlant.Iltereprésentait.Tuneveuxpasdemariage,tuneveuxpasdefemmeencombrante.Etpuis,tusaisquoi?Sij’acceptaisdet’épouser,jet’envoudraisunjouroul’autredenepasavoirétécapabledemedonnercequejevoulais.Jefiniraispartedétester,nosrelationsdeviendraientexécrables.Etilest

horsdequestionquenotreenfantgrandissedansuneambiancefamilialeinappropriée.—Très bien, dit-il d’une voix amère. J’abandonne. Pour lemoment, dumoins.Mais il y a des

chosesquejesouhaitemettreenplacepourassurertasécurité.Ettuvasdevoirt’ysoumettre.Ellelevaunsourcilinterrogateur.—Maisd’oùtevientcetteobsessiondelasécurité?Jenepourraipasvivredansuncocon,tusais.

Tunepourraspasmesuivrecommeuneombrependanthuitmois.—Eneffet.—Cam,dequoias-tupeur?C’était la deuxième fois qu’elle lui posait la question et, pendant quelques secondes, elle eut

l’impressionqu’ilallaitluirépondre.—Accepterais-tuaumoinsquejet’installedansunlogementplussûr?Alafoisdéçueetsurprise,elleluijetaunregardincrédule.—Quelestleproblèmeavecmonappartement?—Ildonnesurlarue.Iln’estpaséquipéd’undispositifdesécurité.Etl’escalierestdangereux,en

particulierl’hiver.—Monappartementesttrèsbien,dit-elle,agacée.Etquandmonventreseseraarrondi,l’hiversera

passédepuis longtemps.J’aimecetendroit. J’aimesasituation.C’estdanscequartierque jevoudraisessayerdemontermapâtisserie.Et,deplus,jen’aipaslesmoyensdem’offrirmieux.

—Jemefichecomplètementdecequetupeuxt’offrirounon.—Ehbien,moi,jenem’enfichepas.Jenepeuxpastelaisserm’entreteniretdirigermaviejusqu’à

lanaissancedubébé.Sijetelaissefaire,commentest-cequejevaism’ensortir,après?—Après?s’exclama-t-il,l’airoutragé.Maisjecontinueraidem’occuperdetoi,naturellement!— S’il te plaît, arrête, le supplia-t-elle. Cette conversation ne nous mènera nulle part. Je suis

fatiguée,etstressée.Jen’aiqu’uneenvie,c’estd’allermecoucheretdepleurer.Ilparuthorrifiéparcetteéventualité.Leremordsmarquainstantanémentsonvisage,etellecomprit,

auplusprofondde soncœur,qu’ilsn’étaientpasvraiment lesdeuxpersonnesqui se tenaient là, danscette pièce, furieuses et à cran. Ils avaient été poussés à bout.Les deux semaines passées les avaientplongésdansunesituationdetensionextrême.Quiavaitatteintsonpointculminantdanscettediscussion.

—Jecroisque tudevraisyaller,maintenant,dit-elle.Noussommes tropénervéspouravoiruneconversationsaineet intelligente.Ceshuitmoisquenousallonspasserensemblevontêtre longs.Trèslongs.Nelesentamonspasennousdisputantpourdesbroutilles.

—Jesuisdésolé,répondit-ild’untonbourru.Et,àsagrandesurprise,illapritdanssesbras.Unpeuapaisée,ellefermalesyeux.—Jenevoulaispasque leschosessepassentcommeça,dit-ilàvoixbasse.J’aurais toutdonné

pourquecelaneseproduisepas.Maisc’estdésormaisuneréalité.Uneréalitéquenousdevonstousdeuxaffronter.Commetoi,jeveuxgardercetenfant.Jel’aimedéjà,detoutmoncœur.C’estpourcelaquej’aibesoindem’assurerquevoussoyeztousdeuxensécurité.Tunepeuxpasmelereprocher,toutdemême.

Elleacquiesçacontresapoitrine,avantdesedégagerdesonétreinte.Comme si quelque chose venait tout à coup de lui traverser l’esprit, il baissa les yeux vers sa

montre.—Jesaisquetuesfatiguéeetàcran,maisnouspourrionspeut-êtrecommanderquelquechoseet

dînertranquillementensemble.—Tuseraisvexésijetedisaisquej’aisimplementenviedemevautrerdansmonlitetdedormir?

Jesuismortedefatigue.L’espaced’uneseconde,elleeutl’impressionqu’ilallaitinsister.Maisilsecontentadeluicaresser

tendrementlajoueavantdequitterlapiècesansmotdire.

-8-

—Alors,quandest-cequetucomptaism’annoncerlanouvelle?Surpris,CamrelevalatêteettrouvaDevonsurleseuildesonbureau.Celafaisaituncertaintempsqu’iln’avaitpasvusonami.Sesautresassociésnonplus,d’ailleurs,

mais c’était plus compréhensible : désormais, Rafe et Ryan passaient la plupart de leur temps àsuperviserdesprojetsdepuisleursîlesrespectives,oùilss’étaientinstallésavecleursfemmes.Devon,enrevanche,travaillaittoujoursdanslesmêmeslocauxquelui.MaisCamdevaitadmettrequ’ill’avaitévitédepuislesoiroùilavaitquittélapendaisondecrémaillèred’AshleyaubrasdePippa.Pippaétaittrès amie avecAshley, etAshley était une fille extrêmement loyale envers ses amis. Il était donc fortprobablequ’elleaitprislepartidePippaetbourrélecrânedeDevond’argumentsfallacieuxvisantàlefairepasserpouruneorduredepremière.

Unpeumalàl’aise,ilfitsigneàDevondes’approcher.Celui-cis’affalasurl’unedeschaisesquisetrouvaientdevantsonbureau.

—Alors?—Alorsquoi?Jesuissûrquetuconnaisdéjàtoutel’histoire.Tuensaismêmeprobablementplus

quemoi,vuquecelafaitdesjoursquePippam’évite.Devonhaussaunsourcilmoqueur.—Pippat’évite?Nemedispasquetoncharmeravageurnefaitpluseffet.—Çan’arienàvoir,grogna-t-il.—Ouais,jesais,réponditDevonensoupirant.—Bon,tuesvenulàjustepourmeprendrelatête?Ouest-cequetuasvraimentquelquechoseà

medire?—Enréalité,jemedemandaisjustepourquoimonmeilleuramiavaitomisdemedirequ’ilavait

misenceintelameilleureamiedemafemme.Sentantlacolèremonterenlui,ilgrimaça.—Enfin,Dev!Tucroisvraimentque je l’ai faitexprès?De tous lesgensque jeconnais, tues

sûrementlemieuxplacépoursavoirquec’estladernièrechosequej’auraissouhaitée.—C’estvrai.Etc’estpourçaquejetrouvetoutecettehistoireunpeuétrange.—C’était censéêtreuneaventured’unsoir.Pippaétaitattiréeparmoi,moiparelle. Je l’ai fait

venirchezmoilesoirdetacrémaillère.—Tuasfaitvenirunefemmedanstacaverne?Jesavaisqu’elleteplaisait,maisjenepensaispas

quetuétaissérieuxquandtuparlaisdelaramenercheztoi.

Pourquoi paraissait-il si incrédule ? Ce n’était tout de même pas comme s’il s’agissait d’unedécisionstupéfiante…

—Jenevoispaspourquoijeseraialléchezelleoudansunhôtelenville,alorsquemamaisonsetrouvaitàcinqcentsmètresdelaréception.

—Toujoursaussipragmatique,réponditDevond’unairmoqueur.— Bref, l’important, c’est que rien de tout cela n’était prévu. D’ailleurs, nous avons fait le

nécessaire pour que cela ne se produise pas. Malheureusement, l’un de ces foutus préservatifs s’estdéchiré.Etnousvoilàtouslesdeuxdanscettegalère,aveccebébéenroute.Euh…jedoisêtreentraindetedonnerl’impressionquenousnevoulonspasdecetenfant.Maiscen’estabsolumentpaslecas:nous avonsdécidé ensemblede legarder.Leproblème, c’est quenousne sommespasd’accord…ehbien,engros,surtoutlereste.

—Jesuisvraimentdésoléd’entendreça.Camlevalesyeuxauciel.Acestade,lacompassiondesonamineluiétaitd’aucunsecours.—Est-cequetul’asvue?s’enquit-il.Est-cequ’Ashleyt’aditquelquechoseàsonsujet?Pippa

faittoutpourm’éviteretcelacommencevraimentàm’énerver.—Elleestvenueàlamaison,l’autresoir.Elleestplutôtsurlesnerfs,encemoment.Alertéparcespropos,ilsepenchaenavant.—Acausedesagrossesse?Est-cequ’elleachangéd’avisàproposdubébé?—Non,pasdutout.Pourautantquejesache,Pippal’aparfaitementaccepté,elleaussi.Mais,surle

plandesaffaires, leschosesnesepassentpas trèsbienpourelle.Apparemment,ellen’apas réussiàsignersonbail,etellen’arrivepasàtrouverd’autreslocauxconvenables.Elleaunbudgetplutôtserréet,depuisqu’ellesaitqu’elleestenceinte,ellecommencevraimentàpaniquer.

Furieux,Camlâchaplusieursjurons.—Maistoutcequ’elleavaitàfaire,c’étaitdem’épouser!Oudes’installeravecmoi!Elleavaitle

choix.Elleavaittoutessortesdepossibilités.Devonledévisageaquelquessecondes,l’aircomplètementébahi.—Semarieravectoi?S’installeravectoi?—Jesaiscequetupenses.Oui,jesuisfou.Mais,bonsang,Dev,laseulechoseàlaquellej’arrive

àpenser,c’est…Etsiçaseproduisaitdenouveau?Tusais,unaccident…J’aijustebesoin…—Jesais,luiditdoucementDev.Alors,qu’est-cequetuvasfaire?— Je n’en sais rien. On dirait qu’elle ne veut plus me voir. J’ai pourtant essayé de lui donner

l’espace dont elle semble avoir besoin.Mais je commence àm’impatienter. Je l’ai l’appelée, je l’aiinvitée à dîner. Elle a toujours quelque chose à faire. Elle devaitme donner la date de son prochainrendez-vousmédical,maisellenem’ariendit.J’aivraimentbesoindem’assurerqu’elleprendbiensoind’elle.Maiscommentlepourrais-je,siellerefusedemeparler?

— Tu sais, tu devrais mettre un peu le passé de côté, l’empêcher d’influencer chacune de tesdécisions.Tunepeuxpaschangercequiestarrivé.Maistupeuxmodelertonavenir.

A cesmots,Cam sentit une colère noiremonter en lui, obscurcissant tout, jusqu’à son champdevision. Certes, Dev cherchait à l’aider, mais son ami n’avait aucune idée de la douleur atroce qu’ilressentaitchaquefoisqu’ilpensaitàlafemmeetàl’enfantqu’ilavaitperdus.

— Je suis désolé, finit par dire Devon, la voix lourde de regrets. Naturellement, personne nes’attendquetuoublies.Maisjemedisaissimplementque,àunmomentouàunautre,tudevraisdéciderd’allerdel’avantpourtenterdenouveautachance.

Camhochadoucementlatête.—Ecoute,poursuivitsonami,siçapeutteconsolerunpeu,sachequePippaconsacrelaplupartde

sontempsàessayerdemontersonaffaire.Jedoutequ’ellechercheà t’éviterpersonnellement.Ellesefaitdusouci,parcequedepuisqu’elleestenceintelapressionestencoreplusforte:elleseditqu’elledoitsedépêcherd’ouvrirsoncommercepourpouvoirsubvenirauxbesoinsdesonenfant.

—Ellen’auraitpasàsefairedesouci,sielleacceptaitmonaide,grommela-t-il.—Laluias-tuaumoinsproposée?Jeveuxdire,defaçonraisonnable?—Oui.Et jesuisen traindemedirequec’est làque j’aicommisuneerreur. Ilmesembleque,

quand on leur donne l’occasion de dire non, les femmes le font toujours. Dans le seul but de nouscontredire.Mieuxvautagirdirectement.Tun’espasd’accord?

Devonluijetaunregarddubitatif.—Cesonttesaffaires.Maispersonnellement,jenemerisqueraispasàlabrusquer.—C’estparcequetuesunechochotte,dit-ilavecunsourire.—Peut-être.Mais,tusais,j’aidécouvertilyatrèspeudetempsquelebonheurd’Ashleyavaitun

impactdirectsurlemien.Tandisqu’ilobservaitsonami,Cameutl’impressionqu’uneflècheluitransperçaitlapoitrine.La

jalousie.L’envie.Oui,ilenviaitDevon.Carcelui-ciétaitunhommeheureux,ilvenaitdedécouvrirlesjoies de l’amour et dumariage. Il envisageait la paternité avec toute l’innocence de celui qui ignoreencorelafragilitédubonheur.Deceluiquinesaitpasque,enquelquessecondes,onpeutbasculerduparadisàl’enfer.

—Qu’est-cequetuveux,exactement,Cam?Tudisquetun’aspasenvied’unerelationamoureuse,quetuneveuxpast’engager.Etpourtant,tunecessesdeharcelerPippapourluidemanderprécisémentlecontraire.

Camplissalesyeux.C’étaitunebonnequestion.Unequestionàlaquelleiln’avaitpasderéponsetouteprête.

—JeveuxfairetoutcequiestenmonpouvoirpourquePippaetmonenfantsoientensécuritéetnemanquentderien.

Devonsoupira.—Tunepeuxpaslesprotégerdetout,voyons.C’estimpossible.Ignorant la dernière remarque de son ami, Cam réorienta la conversation sur les affaires.

Néanmoins,Pippaétaittoujourstrèsprésentedanssonespritet,toutendiscutantdesderniersprogrèsducomplexedeSanAngelo,ilréfléchissaitàunmoyendeladompter.

Plusviteilseraitcertaindesonbien-être,plusvitesapropreviereprendraitsoncoursnormal.Etcela,ilfallaitqu’ilcontinuedeselerépéter.Jusqu’àcequ’ilensoitlui-mêmepersuadé.

-9-

Pippaenfonçaplusprofondémentsesmainsdanslespochesdesonmanteau.Laneigetourbillonnaitfurieusementautourd’elle,etlefroidlaglaçaitjusqu’auxos.

Ellevenaitdevivreunenouvellejournéeépouvantable.Et,pourcouronnerletout,elleavaitétéenproieàdesnauséesmatinalesetàunefatigueéreintante.Laquantitédesommeildontelleavaitbesoinpoursesentiràpeuprèsnormalenecessaitdel’étonner.

Entournantaucoind’unerue,ellepoussaunsoupirdesoulagement.Plusquequelquesmètres,etelleseraitchezelle.Danssonappartementdouillet,oùellepourraitsemettreenpyjama,s’allongersursoncanapéavecunetassedechocolatchaudetdormirpendantunebonnedizained’heures.

Jusqu’ici,elleavaittoujoursétéplutôtcouche-tard,noctambule,fêtarde.Pleined’énergieetcapabledefonctionneràpleinrégimeavecquelquesheuresdesommeilseulement.Maislagrossesseavaitfaitd’elleuneloquepathétiqueetamorphe.

Comme elle était plongée dans ses pensées, il lui fallut un certain temps pour se rendre comptequ’unevoiturevenaitdes’arrêteràsoncôté.Lecœurbattantàtoutrompre,elleaccéléralepas.Et,toutàcoup,ellesentitunemainseposersursonépaule.

Uncris’échappadesagorge.Elleseretourna,terrifiée,avantdes’apaiser.—Cam!s’exclama-t-elle.Tum’asfaitunepeurbleue!—Monte!luidit-ild’untonferme.Ilfaitunfroidglacial!—Maisjesuispresquearrivée…Ignorantsesobjections,ill’attiraverslavoitureetluiouvritlaportière.Aussitôt,unevagued’air

chaudluienveloppa levisage.Elleneputs’empêcherdesoupirerdeplaisir.Toutcomptefait, finir lecheminenvoituren’étaitpasunesimauvaiseidée.Convaincue,elleseglissasurlesiège.Camsehâtadeprendreplaceàcôtéd’elleet,aprèsavoirfermélaportière,fitsigneauchauffeurderedémarrer.

—Tun’aspasréponduàmesmessages,dit-ilsurletondureproche.Etpuis,ilsemblequetuaiesun véritable don pour ne pas être chez toi quand je passe dans le quartier. Quant à tes amies, assezbizarrement,ellesnesaventjamaisoùtutetrouves.

Le tonsarcastiquequ’ilavaitadopté la fitgrimacer.Mais les remordsqui s’emparèrentd’elle lablessèrentplusencore.

Toutàcoup,elles’aperçutquelavoitureneralentissaitpasenpassantdevantchezelle.—C’estici!Monappartementestjustelà!cria-t-elleàl’intentionduchauffeur.—Nousn’allonspasàtonappartement,murmuradoucementCam.S’adossantdenouveauàsonsiège,ellelaissaéchapperunlongsoupir.

—Ecoute,dit-elle,exaspérée,jesaisquejet’aiévité,sanstedonnerlamoindreexplication.Maisje n’ai pas envie de parler de cela ce soir. Je suis fatiguée. Je suis d’une humeur massacrante. Unediscussionneferaitqu’empirerleschoses.

Asagrandesurprise,unlargesourirevintilluminerlevisagedeCam.—Aumoins,tuaslemérited’êtrehonnête.Ilétaittellementséduisantquandilsouriait…—Oùallons-nous?demanda-t-elle,d’unevoixirritée.—Dansunendroitquiterendratabonnehumeur.—Necherchepasàjouerlesbeauxténébreux.Elleconstata,avecunecertainedéception,quesonsourires’étaitencoreélargi.Ilavaitenfinréussi

àlacoinceret,cettefois-ci,ilnelalaisseraitpass’échapper.—Quelestleproblème,Pippa?Pourquoiest-cequetunerépondspasàmesappels?Jecroyais

qu’onavaitunaccord.Jeneconnaismêmepasladatedetonrendez-vouschezlemédecin.Amoinsquetun’ysoisdéjàallée.

—Biensûrquenon.Jet’aiditquejetetiendraiaucourantpourquetupuissesm’accompagner.—Tuasaussiditbeaucoupdechosesquetun’aspasfaites,répondit-ild’unairsombre.—Maisjesuisdébordée!Ilfautquejepenseàpleindechoses.Quejeréfléchisseàcequejevais

fairepoursubvenirauxbesoinsdubébé.Jesuisstresséeàunpointquetunepeuxmêmepasimaginer,Cam.Tupeuxdirecequetuveux,mais,aveccetenfant,tavienechangerapasautantquelamienne.

Sesyeuxétaientorageuxetsaboucheformaitunelignedure.Soudainprisederemords,ellecompritqu’elleétaitalléetroploin.Elleavaitenviedesevengersurquelqu’un,etils’étaittrouvéaumauvaisendroitaumauvaismoment.Néanmoins,ellen’étaitpasentièrementresponsable.Acetinstant,elleauraitpu se trouver dans son lit, où elle n’aurait torturé personne d’autre qu’elle-même,mais il avait voulujoueraukidnappeuretàl’inquisiteur.Et,toutcomptefait,ilméritaitbienqu’ellesedéfouleunpeusurlui.

—Tucroisvraimentêtre la seuleàavoirdesproblèmes?Tupensesqueçam’amusedenepassavoircequisepasse?Denepassavoirsituvasbien,silebébévabien,s’ilyatoujoursunbébé?Mets-toiàmaplacedeuxminutes.Çateplairait,devivredanscetétatd’incertitude?

De nouveau, elle sentit une vague de remords s’abattre sur elle. Il n’avait pas mérité sonindifférence.Sielleavaitmisplusdebonnevolontéàl’incluredanssesprojets,peut-êtreauraient-ilspuaffronterleproblèmeensemble?Cequiluiauraitsansdouteévitédes’angoisserensedemandanttouteslescinqminutescommentelleallaitfairepoursedébrouillertouteseule.

—Jesuisdésolée,finit-ellepardire.Instinctivement,ellepassasonbrasautourdeseslargesépaulesetleserracontreelle.Ilseraiditet,

pendantquelquessecondes,semblasedemandercommentildevaitréagiràcegesteimpulsif.Puisilsedétenditpeuàpeuetl’étreignitàsontour.C’étaitsibondepouvoirsereposersurquelqu’undefort.Elleavaittellementbesoindesesentirsoutenue.

—Jesuisdésolée,Cam,répéta-t-elle.Tuneméritespaslafaçondontjet’aitraité.Ils’écartadoucementd’elleetposaundoigtsurseslèvrespourluiintimerlesilence.Sonregard

étaitdouxetsiintensequ’elleeneutdesfrissons.—J’aiunesurprisepour toi.Unesurprisequi, ilmesemble, soulageraenpartie le stressque tu

t’infligesinjustement.Intriguée,ellel’interrogeaduregard,maisilsecontentadesecouerlatêteetdemurmurer:—Onnevapastarderàarriver.Cen’estpastrèsloindetonappartement.Surcettemystérieuseaffirmation,ils’adossadenouveauàsonsiègeetgardalesilence,leregard

tournéverslavitre.Auboutdequelquescentainesdemètres,lechauffeurs’arrêtadevantunpetitgroupedecommerces

deluxe.Camouvritlaportièreetluitenditlamainpourl’aideràsortir.Apeineeut-ellemislepiedsurletrottoirquesonregardfutattiréparladevanturedumagasinqui

setrouvaitàl’angledel’intersection.Rosevif.Flashy.Contemporain.Etgirly!«ChezPippa:Dugoûtetdescouleurs»,annonçaitlatrèschicenseigne.Emerveillée,elle luiprit lamainets’approchapourregarderà travers lavitrine.L’intérieurétait

impeccable.Déjàéquipéd’unesalleàmangersurlagaucheetd’unlargecomptoiréquipédeprésentoirsquiluipermettraientd’exposertouteslesdélicieusespâtisseriesqu’ellecomptaitproposer.

—Cam!Qu’est-cequetuasfait?Ill’observait,unlargesourireauxlèvres.—Tuveuxentrer?Pourvoirsileresteteconvient?luidemanda-t-ilenbrandissantlesclésetles

agitantsoussonnez.—Maisoui!Biensûr!s’exclama-t-elle.L’intérieurétait ravissant.Lesmursavaient étédécorésd’images représentantdescupcakes. Des

cupcakespartout.Commentpouvait-ilsavoirquecelaluiconviendraitsibien?—Ashleym’aaidé,dit-il,commes’ilavaitludanssespensées.—Jen’arrivepasàcroirequetuaiesfaitça,murmura-t-elle.Illuiindiquauneportequisetrouvaitaufonddumagasin.—Tunevaspasvoirlacuisine?Comme dans un rêve, elle se dirigea vers la pièce qu’il venait de lui indiquer. Elle se voyait

tellement bien dans cet endroit. Elle pouvait presque déjà sentir l’odeur alléchante des succulentespâtisseriesqu’elleallaitypréparer.

Elleouvritlaporteets’arrêta,stupéfaite:toutétaitabsolumentparfait.Lesplansdetravailétaientbordésd’appareilsélectriquesultrasophistiqués.Etilyavaitaussides

gazinières à l’ancienne, ainsi que deux immenses réfrigérateurs et un énorme congélateur en acierinoxydable.

Toutcequ’elleavaittoujoursrêvéd’avoirétaitlà,soussesyeux.Danssacuisine.Sapâtisserie.Emueauxlarmes,ellesentitsesgenouxvaciller.Aufondd’elle,ellesavaitqu’ellen’auraitpasdû

accepter.Ellen’avaitpaslesmoyensdes’offrircefondsdecommerce.Ellen’osaitmêmepasimaginerlecoûtduloyer.

Maiselle savait aussiqu’ellenepouvaitpas refuseruncadeau sigénéreux. Il avait certainementfalluàCambeaucoupdetempsetd’énergiepourdénicheretcréercetendroitparfait.Ellenepouvaitpasluijetertoutcelaauvisage.Elleauraitétélaplusgrandegarcedumondesiellel’avaitfait.

—Çateplaît?Letondesavoixétaitsipeuassuréqu’ellesentitsoncœurfondre.Ilétaithorsdequestionqu’elle

refusesonprésent.Qu’ellesecabredenouveau.S’ilymettaitautantdebonnevolonté,ellenepouvaitpasanéantirlefruitdesesefforts.

—Siçameplaît?Cam!J’adore!Pourlasecondefois,ellejetasesbrasautourdesesépaulesetleserradetoutessesforcescontre

elle.Ilfitunpasenarrièrepourreprendresonéquilibreetéclataderireenlaserrantàsontourdanssesbras.

Ravie, elle ferma les yeux, pourmieux savourer la sensationde soulagement qui se répandait enelle.Cecommerce,c’étaitlasolutionàtoussesproblèmes.Elleallaitenfinpouvoirsemettreautravail.

Oudumoins,dèsqu’elleauraitobtenuseslicencesetautresautorisations.Cequiconstituaitnéanmoinslapartielaplusfaciledel’histoire.

—Jevaisréussir,dit-elled’untondéterminé.Jeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourquetoninvestissementtesoitprofitable.

Doucement,ilplaçasesmainssursesépaulesetplongeasonregarddanslesien.—Cen’estpasuninvestissement.C’estuncadeau.Leloyerestprépayépourdeuxans.Cequite

laissetoutletempsdeprendretesmarquesetdecommenceràfairedesbénéfices.—Jen’arrivepasàcroirequetuaiesfaitçapourmoi,dit-elledoucement.Aveclafaçondontjeme

suiscomportée…Jenesaispascommentteremercier.Tunepeuxpast’imagineràquelpointcelamesoulage.

Illuilançaunregardsérieux.—Maismoncadeaun’estpascomplètementdésintéressé.Enéchange,jetedemanderaidemefaire

deuxpromesses.Un:tuarrêtesdem’éviterettumetiensaucourantdetoutcequiconcernetagrossesse.Etdeux:tuengagesassezd’employéspourteménagerdutempsderepos.

Elleneputs’empêcherdesourire.Ilétaittellementcharmantquandilprenaitcetairsévère.—Promis.Detoutefaçon,avecl’argentqu’elleallaitéconomisersurleloyer,elleallaitpouvoirsepermettre

d’engagerdevéritablesemployés!Pendantquelquesinstants,ilsemblahésiter,faisantdoucement,etpresquesensuellement,glisserses

mainslelongdesesbras.—Jenesuispeut-êtrepascapabledetedonnercequetuveuxoucequetumérites,finit-ilpardire,

maistoutcequejesuisenmesuredet’offrirestàtoi,sanscondition.Tuportesmonenfant,etjeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourquevoussoyeztousdeuxheureux.

Commeilsemblaitfaciledetomberamoureusedecethommequidisaitqu’iln’avaitpasd’amouràdonner!Ilparaissaittellementdéterminéàlateniràdistance,et,pourtant,chacundesesgestesrespiraitlatendresse.

Incapablede lui résister, elle se rapprochadenouveaude lui etdéposaunbaiser sur ses lèvres.Aussitôt,elle sentit la respirationdeCams’accéléreret soncorpssedurcircontre le sien.Quoiqu’ilpuissevouloir luifairecroire, ilavaitenvied’elle.Pourtant,malgréla tentationquiétaitforte,ellenedevaitpasutilisercetteattiranceàsonavantage.

—Merci,répéta-t-elle,avantdes’écarterdelui.Ilessayad’attrapersamain,maisneréussitqu’àluiprendreleboutdesdoigts.—Allonsdîner, lui dit-il doucement.Nous avonsbeaucoupde choses à nous dire et j’adorerais

entendretesprojetsconcernantlapâtisserie.Il lui proposait son amitié. Une belle proposition, qui lui réchauffait le cœur, mais lui laissait

égalementl’amèresensationdedevoirrestersursafaim.Ilsauraientpuvivrequelquechosedetellementplusfort.Elleavaittellementbesoindequelquechosedeplusfort.

Maisc’étaitnéanmoinsmieuxquerien.Peut-êtreétait-ced’ailleurstoutcequ’elleobtiendraitjamaisdelui.Faisantdesonmieuxpournepasluimontrersadéception,elleluisourit,entrelaçantsesdoigtsaux

siens.—D’accord,avecplaisir.

-10-

LorsquePippaquittasonappartement,lelendemainmatin,elleaperçutunevoituregaréedevantsonimmeuble.

— Mademoiselle Laingley ? s’enquit le chauffeur en lui ouvrant la portière arrière. M.Hollingsworthm’a demandé de vous conduire à votre magasin, ainsi qu’à tout autre endroit où voussouhaiteriezvousrendredurantlajournée.

Lasse,ellesoupira.Lasituationétaitentraindedégénérer.C’étaitl’escalade!Camluiavaitoffertle fonds de commerce, ce qui constituait déjà un magnifique cadeau. Et voilà que, maintenant, il luifournissait une voiture avec chauffeur, alors qu’elle n’avait que quelques mètres à parcourir… Celacommençaitvraimentàfairebeaucoup.

Commes’ilavaitperçusonhésitation, lechauffeursemità fouillernerveusementdanssapoche,dont il sortit un téléphone.Tout en appuyant sur unbouton, il fit unpas dans sa direction et lui tenditl’appareil.Médusée,elleluilançaunregardinterrogateur.

—M.Hollingsworthm’ademandédel’appelersijesentaisquevouspourriezrefuser,expliqua-t-il.

Elleattrapaletéléphoneàcontrecœuretleplaquaàsonoreille.Aussitôt,elleentenditlavoixgraveetprofondedeCam:

—Prendslavoiture,Pippa.Ilfaitfroid.Ilyaduverglasetilsannoncentdelaneigepourcetaprès-midi.

Elle sourit,malgréelle.Elledevaitadmettrequ’ilyavaitquelquechosed’attendrissantdanssoninquiétudedémesurée.

—Tunepeuxpascontinueràfairedestrucscommeça.—Tiensdonc?Jepensaisquenousavionsconcluunpacte,hiersoir.Tusouhaitesdéjàlerompre?Dieu qu’il était malin ! Avec quelle habileté il avait retourné la situation contre elle ! Si elle

refusait,ceseraitellequipasseraitpourlaméchantedel’histoire.Tandisqueluiassumeraitnoblementlerôledel’hommedévoué,quiessaiesimplementdeprendresoindelamèredesonenfant.

—Bon,d’accord.Maisc’estladernièrefois.Tuenasdéjàbienassezfaitcommecela.—Ilmesemblequec’estàmoid’endécider,répondit-ild’untontaquin.Surcesmots,ilraccrochaetelleseretrouvaavecleportabledanslamain,seulefaceauchauffeur,

quiattendaitmanifestementqu’elleentredanslavoiture.Toutenmaudissantleshommesetleurobstination,elleseglissasurlesiègearrière.Lechauffeur,

poursapart,fitletourdelavoitureet,quandilsefutassisàsaplace,luitenditunecartedevisite.

—Voicimonnumérodetéléphone,luidit-il.Dèsquevousaurezbesoind’allerquelquepart,oùquecesoit,vousdevrezm’appeler.M.Hollingsworthalaissédesordrestrèsclairs.Ilneveutpasvousvoirmarcherdanslefroid.D’autantmoinsque,apparemment,letempsvaencoresegâter.

Ellejetauncoupd’œilàlacarte,avantdes’adosseràsonsiège.—Trèsbien,John.Jeseraiunegentillefille.Carj’imaginequevousavezaussireçul’ordredeme

dénoncersijen’acceptaispasvosservices.Illuijetaunbrefcoupd’œildanslerétroviseur,etileutlebongoûtderougirunpeu.—Oui,Mademoiselle,fit-ild’unairpenaud.Jesuisvraimentnavrée,maisc’estMonsieurquipaie

monsalaire.Jesuiscontraintdeluiobéir.Ellegloussa.—Loindemoil’idéedevousfaireperdrevotreemploi.Jevousprometsdevousappelerchaque

foisquej’auraibesoindemedéplacer.Ilhochalatête,avantdeconcentrersonattentionsurletrafic.Des flocons de neige fondue commençaient à tomber. Il devait faire un froid glacial.Après tout,

l’idée n’était pas si mauvaise. Elle était bien contente de se trouver dans cette voiture, à l’abri desélémentsdéchaînés.

Apeineavait-elleeuletempsdesefairecesréflexionsqueJohns’arrêtaitdevantsonmagasin.—N’oubliezpasdem’appelerquandvousserezprêteàpartir,luidit-il,aprèsluiavoirouvertla

portière.Ellelesaluaetsedirigeaverslaportedelapâtisserie.Laportequi,àsagrandesurprise,n’était

pasferméeàclé.Avait-elleoubliédelaverrouillerquandelleétaitpartie laveilleausoiraubrasdeCam?Soudainprisedepanique,ellesedemandasiquelqu’unn’étaitpasrentrédurantlanuitetsielleallaitretrouverleslieuxtelsqu’ellelesavaitlaissés.

Prenant soncourageàdeuxmains, elleouvrit prudemment laporte, alluma la lumière…et fit unbondquandelleaperçutsesamiessurgirdederrièrelecomptoirencriant:

—Surprise!Stupéfaite,ellelaissaéchapperunpetitcri.—Oh!monDieu,lesfilles!Vousm’avezfaitunedecespeurs!Ashley, Tabitha, Carly et Sylvia se hâtèrent de contourner le comptoir pour l’embrasser et la

prendredansleursbras.—Excuse-nous,luimurmuraCarly.Onvoulaitjustevenirfêterçaavectoi.Encoresouslechoc,Pippaobservaunàunlesvisagesenthousiastesdesesamies.—Maiscommentest-cequevousavezsu?Etcommentavez-vousfaitpourentrer?—Camm’a appelée, répondit Ashley en souriant. Il s’est dit qu’une surprise te ferait sûrement

plaisir.Iladéposélesclésàlamaisoncematin,avantdepartirtravailler.—Cetendroitestvraimentsuper!s’exclamaTabitha.J’imaginedéjàtesclients,assisici,entrain

dedégustertessucculentespâtisseries.DescoupsdeKlaxon insistants interrompirentbrutalement laconversation.Pippaet sesamies se

retournèrentensembleverslarue,intriguées.Un jeune garçon, qui ne devait pas avoir plus de vingt ans, se tenait debout devant la vitrine, et

agitaitfrénétiquementlesbras,cherchantvisiblementàattirerleurattention.—Qu’est-cequisepasse?murmuraPippa.Elle entrouvrit prudemment la porte, tandis que ses amies s’attroupaient derrière elle.Sous leurs

regardsinquiets,lejeunegarçonsouritpuis,sansmotdire,pointadudoigtlarue.—Oh!monDieu!soufflaCarly.

Pippaécarquillalesyeux.Unecamionnettedelivraisonétaitgaréedevantlemagasin.Etelleétaitabsolumentparfaite.Toutcommesurl’enseignedelapâtisserie,lesmots«ChezPippa»avaientétéinscritsenlettres

rosevifsurlacarrosserie.Etdejoliespetitesfleursmauves,jaunesetorangeencadraientlesloganpeintenvertanis:«Dugoûtetdescouleurs».

—Voicilesclés,luiditlejeunehomme,enlesluitendant,ungrandsourireauxlèvres.Emue aux larmes, elle attrapa le trousseau, sans pouvoir détacher son regard de la camionnette.

C’étaittrop.Vraimenttrop.Déjà,sesamieslaprenaientjoyeusementdansleursbras.—Allonsfaireuntour,suggéraTabitha.LesyeuxdeSylvias’illuminèrent.—Ohoui!Allons-y!—Est-cequ’onn’estpascenséavoirunpermiscommercialpourrouleravecça?demandaPippa.Ellesourit,avantd’ajouter:—Ouunpermistoutcourt,d’ailleurs?—Jen’ensaisrien,réponditAshleyengloussant.Jecroisquetuvasdevoirengagerquelqu’unpour

laconduire.Mais,enattendant,ilfautvraimentqu’onl’essaie.Ilyaunparkingdésert,toutprèsd’ici.Pippaselaissagagnerparl’excitationambiante.—O.K.,allons-y.Riantauxéclats,lesfillesseprécipitèrentverslacamionnetteetsautèrentàbord.Emerveillée, Pippa grimpa sur le siège conducteur et inséra la clé de contact. Mais, avant de

démarrer le moteur, elle se tourna vers ses amies, en tâchant, malgré sa joie, d’adopter un air aussisérieuxetintimidantquepossible.

—Sil’uned’entrevousmebalanceàCam,jelatue.Etcelavautsurtoutpourtoi,Ash.Ilseraitverts’ilsavaitquej’aiconduitsanspermis.Etilsevengeraitenmefaisantendurerd’innombrablessermonssurlasécuritéetjenesaisquoiencore.

Ashleypritunairfaussementinnocent.—Cam?JeneconnaispasdeCam.—Allons-y,Pippa!s’impatientaSylvia,quiavaitprisplaceàcôtéd’elle.—Allumelaradio,criaCarly,depuisl’arrière.Mets-nousuntrucbien.—Jem’occupedelaradio,ditSylviaensepenchantversletableaudebord.Toi,tuconduis.Bientôt, lacamionnettesemitàdéambulercalmement.Laradiofonctionnaitàpleinvolumeet les

filles riaient et chantaient en chœur.C’était la chose la plus amusante quePippa ait faite depuis bienlongtemps. Après tout, sa grossesse n’était pas une si mauvaise chose. Avec le recul, rien n’avaitvraimentchangé.Hormislefaitqu’elleallaitdevenirmaman,biensûr.

Comme toujours, elle pouvait compter sur ses amies. Par ailleurs, ses problèmes professionnelsétaientenfinrésolus.Sacarrièrecommençaitàavancer.Etcela,elleledevaitentièrementàCam.

Cam,qui lui avait clairement fait comprendrequ’il n’avait rien à luioffrir.Qu’il nedésirait pass’engager.Qu’ilnelarappelleraitpasetqu’iln’attendaitd’ellequ’unerelationsexuelle.

C’étaitvraimentunhommepleindecontradictions,carsoncomportementdémentaitchaquejoursesparoles.

L’enthousiasmedeTabithamituntermeàsarêverie.—Etsionallaitdéjeuneràl’Oscar’s?proposa-t-elle.C’estmoiquiinvite,aujourd’hui.Etaprès,

onpourraitretourneràlapâtisserieetfairedescupcakes?Pippaadressaàsesamiesunlargesourire.Elleallaitenfinpouvoirpasserunebonnejournée.

ElleaADORE.Bienjoué,Cam.

EnlisantletextoquevenaitdeluienvoyerAshley,Camneputs’empêcherdesourire.Etilsentitsoncœurs’emballer, tandisqu’il imaginait lesyeuxdePippapétillerde joiedevant lacamionnette. Iln’avait aucune peine à se représenter son beau sourire, ainsi que son visage radieux, illuminé par sagrossesse.

Denouveau,unedésagréablesensationvintluiemplirlapoitrineet,instinctivement,ilsepassalamainsurlecœur.

Néanmoins, ilsavaitparfaitementquesongesteétaitvain.Cettesensation, ilnepouvait l’effacer.Pasplusqu’ilnepouvaiteffacerPippadesespensées.Cettefemmeleconsumait,corpsetâme,àchaqueinstantdelajournée.Etiln’yavaitrienqu’ilpuissefairecontrecela.

-11-

Pippaattendait,assisesous leporche.Quand,enfin,elleaperçut lavoituredeCamauboutde larue,ellesehâtadedescendrelesmarches.

Commeilluiouvraitlaportière,elleseglissasurlesiègepassager,enmaintenantsarobelégèrecontresonventrearrondi.Leprintempsétaitenfinarrivé.Letempsétaitencoreunpeufraisetventeux,mais, ce jour-là, la température avait brutalement remonté, et le soleil brillait dans le ciel, telle lapromessed’unavenirradieux.

Lesmoisquiétaientpassésavaientété…agréables.Lemotsemblaittoutsimple,maisilconvenaitpourtant bien à la situation. Accepter l’amitié de Cam avait pourtant été chose difficile. Et ça l’étaittoujours.Ilarrivaitque,malgrésesefforts,ellenepuisses’empêcherdes’imaginerdansunerelationàlongtermeaveclui.Or,dèsqu’ilsserapprochaientl’undel’autre,ils’empressaitd’érigerentreeuxunmurdefroideur.

Maisaujourd’hui?Qu’allait-ilsepasser?Aufondd’elle,ellenepouvaits’empêcherd’espérerqueleurrelations’approfondisseunpeu.Ilétaitd’ailleurs impossiblequ’ilensoitautrement.Aujourd’hui,ilsallaientenfin«rencontrer»leurenfant.Apercevoirpourlapremièrefoislepetitêtrequ’elleportaitenelle.

—Pastropstressée?luidemanda-t-il,enprenantlaroutedelacliniqueoùelleétaitsuivie.—Unpeu,murmura-t-elle.Illuiprittendrementlamain.—Tuestoujoursdécidéeàdemandersic’estunefilleouungarçon?—Oui. J’ai besoin de savoir. J’ai besoin de cela pour consolider nos liens. Pour commencer à

réfléchiràunprénom,àachetersesvêtements,àdécorersachambre.Songeuse,ellelaissasonregardseperdredanslelointain.Et,toutàcoup,elleserenditcompteque

Camétaitentraindeladévisager.—Etqu’est-cequetupréférerais?s’enquit-il.Unefilleouungarçon?—Çadépenddes jours, répondit-elled’unair taquin.Hier, j’étaissûredepréférerungarçon.Et

aujourd’hui,jepencheraisplutôtpourunefille.Ettoi?Ellelevitportersamainàsagorge,commes’ilavaitdumalàdéglutir.Puisilesquissaunsourire,

untrèsvaguesourire.—Jecroisquejepréféreraisunefille,finit-ilparrépondre.—C’estvrai?Jecroyaisqueleshommespréféraienttoujoursavoirdesgarçons.—Non,unefille,ceseraitsuper.Unepetitefillequiteressemblerait,avecdebeauxcheveuxnoirs

etdegrandsyeuxverts.UnepetitePippa.Flattée,ellesentitlerougeluimonterauxjoues.Uninstantplustard,ilss’arrêtaientdansleparkingdelaclinique.—Oh!monDieu!dit-elledansunsouffle.Onvaledécouvrirdansquelquesminutes.Camluiadressaunsourirequiluiparutforcé,avantdeluiprendredenouveaulamain.

***

Sonimaginationluijouaitpeut-êtredestours,maisPippaavaitl’impressionqueCamauraitpréférése trouvern’importeoùplutôtquedanscetteminusculesalled’examen. Ilavait l’air…tourmenté.Sesyeuxétaientbrillantsd’émotionetilnecessaitdejeterdesregardsverslaporte,commes’ilenvisageaitsérieusementlapossibilitédeprendrelafuite.

Bientôt,ilseconcentrasurlesgestesdumédecin,cequilarassuraunpeu.Aucontactdugelglacésursapeau,ellesentitunfrissonluiparcourirlecorps.Lejeunemédecin

plaçal’appareilsursonventreetluisourit.Quand lespremières imagesapparurentà l’écran, la tensionmontaencored’uncran.Etquand le

médecin expliqua que ce qu’ils voyaient était le petit cœur de leur bébé, des larmes affluèrent à sespaupières.Bouleversée,elleserisquaà jeteruncoupd’œilàCam.Ilsemblait toutaussiémuqu’elle.Maisilyavaitunetelletristessedanssonregardqu’ellesedemandavraimentàquoiilpouvaitbienêtreentraindepenser.

Quelqueslonguessecondesplustard,ledocteurbougeadenouveaul’appareil.—Prêtsàsavoirsic’estungarçonouunefille?—Ohoui!murmura-t-elle.— Alors, voyons… On a de la chance, ce n’est pas un timide. Ah ! nous y voilà ! Regardez.

Regardezvotrepetitgars.Stupéfaite,Pippafixasonregardsurlepetitappendicequiétaitapparuàl’écran.—C’estungarçon!Cam,onvaavoirungarçon!Elleseretournaverslui.Mais,quandelleaperçutsonvisage,sonenthousiasmeretombaaussitôt.Il

avait l’air décomposé. Elle resta quelques secondes à le regarder. Et tout à coup, à sa grandeconsternation,ilselevadesachaiseetquittalapiècesansmotdire.Lalaissantseule,àmoitiénuesurlatable,faceàl’imagedeleurfils,toujoursaffichéesurl’écran.

***

Camsortitdubâtimentenpoussantviolemmentlesportes.Ilavaitbesoind’air.Ilsentaitleslarmesluimonter auxyeux, et sa gorge était si serrée qu’il avait dumal à respirer.Le visage tourné vers lesoleil,ilrestaimmobilequelquesinstants,lapoitrinedouloureuse.

Ungarçon.Unautregarçon.Mais pourquoi n’avait-il donc pas conçu de fille ? Une petite fille, qui n’aurait pas menacé la

mémoiredeColton.Etquineluiauraitpasdonnéladésagréableimpressiond’êtreentrainderemplacersonpremierenfantparunautre.Commentallait-ilpouvoirregardercepetitgarçonsanspenserqu’ilenavaitperduunavantlui?

Bouleversé, il composa nerveusement le numéro de son chauffeur et lui intima l’ordre de venirchercherPippaàlaclinique.

Ils’étaitvraimentcomportécommeungoujat,enlalaissantseuleaumomentoùelleavait leplus

besoindelui.Maisilsavaitqu’iln’auraitpaspufairesemblant.Non,iln’auraitpaspusourireetsimulerl’enthousiasme, alors qu’il avait l’impression qu’une partie de lui venait demourir. Il n’avait pas eud’autrechoixquedefuir.

Lentement, il sedirigeavers laplaceoù il avaitgaré savoiture. Il avaitpassé lesdeuxderniersmoisàNewYork,afindesetrouverauplusprèsdePippa.Mais,désormais,iln’avaitplusqu’uneenvie:seretrancherderrièrelesgrandesgrillesdeferdesavilladuConnecticut.

***

—Ilestrepartienvoiture?répétaPippa,médusée.Sanschercheràdissimulersonembarras,Johnluiouvritlaportière.—J’imaginequeMonsieuraeuuneurgence,mademoiselleLaingley.—Commequoi?Jenevoispascequ’ilpeutyavoirdeplusimportantquecela.Etpuis,pourquoi

nem’a-t-ilriendit?Plus elle réfléchissait à la question, plus elle sentait la colère monter en elle. Tout le long du

chemin,ellerevécutlascène.Cemomentauraitdûêtreunevéritablesourcedejoie.Ilsauraientdûêtreentraindecélébrerl’événementensemble.Aulieudecela,elleétaitseuledanscettevoiture,àmaudireCamintérieurement.

Lesdeuxmoisquivenaientdes’écouleravaientétévraimentextraordinaires.Cams’étaitilluminé.Ilavaitunpeubaissélagardeetavaitcessédesecomporterenhommeaustère.Ilsavaientpassédebonsmomentstouslesdeux.Ilsétaientdevenusamis.Et,pourlapremièrefois,elleenétaitvenueàneplusenvisagersonavenirsanslui.

Ettoutcelapourenarriverlà!Maisquelétaitdoncsonproblème?Tout à coup, elle s’aperçut que John venait de s’arrêter devant son appartement.Mais elle resta

assisesurlesiègearrièrependantunlongmoment, indécise.Sourcilsfroncés,ellefinitparsepencherverslechauffeur.

—John,oùCamvousa-t-ilditqu’ilallait?Savez-vousoùilsetrouve?—Jecroisqu’ilestretournéàGreenwich.Chezlui?Danssatanière?Soudaintrèssûred’elle,elles’adossaàsonsiège.—Conduisez-moiàGreenwich,jevousprie,John.Lechauffeurlaregardadanslerétroviseur,l’airéberlué.—Jevousdemandepardon?—Vousm’avezbienentendue.Emmenez-moiàsafichuecaverne.—Peut-êtrevaudrait-ilmieuxquevousl’appeliezavant.M.Hollingsworthn’aimepasêtredérangé

quandilsetrouvedanssarésidence.—JemefichedecequeM.Hollingsworthaimeoun’aimepas,répondit-elled’unevoixcalme.Soit

vousm’yconduisez,soitjeprendsuntaxipourm’yrendre.Aprèsunbrefsoupirderésignation,Johnseréinséradansletrafic.Ellecontinuaderuminerpendanttoutel’heurequisuivitet,quandlavoitures’engageadansl’allée

bordéed’arbresquimenaitàlavilladeCam,elleétaitlittéralementfollederage.Ilavaitvraimenttoutgâché!Etilnes’entireraitpassansluifournird’explication.

ApeineJohns’était-ilarrêtédevantlamaison,qu’ellesortitdelavoiturepourmonterlesmarchesduperronenvitesse.Pendantquelquesinstants,elleenvisageadefrapperàlaporte.Maisellenepouvait

pasluilaisserlapossibilitédel’ignorer.Prenantsoncourageàdeuxmains,elleentra.—Cam!hurla-t-elled’untonbelliqueux,oùest-cequetutecaches?Ellerestaimmobilequelquesinstants,attendantqu’ilfassesonapparition,maisellenefutaccueillie

queparlesilence.—Cam!cria-t-elle,plusfortencore,viensicitoutdesuite!Quelques instants plus tard, des bruits de pas se firent entendre et elle l’aperçut en haut de

l’escalier.Ilarboraitunairparticulièrementrenfrogné.—Pippa?Qu’est-cequetufaislà?Est-cequ’ilyaunproblème?Commentosait-ilsecomportercommesiriennes’étaitpassé?Vraiment,c’enétaittrop.Sicelane

luiavaitpascoûtéautantd’efforts,elleauraitimmédiatementgravilesmarchesquilesséparaientpourlegifler.

—Tuasfichuenl’airlachoselaplusmerveilleusequimesoitjamaisarrivée,ettumedemandess’ilyaunproblème?

Il descendit lesmarches de façon lente etméthodique, le bruit de ses pas résonnant comme unesinistremenacedanslesilence.Quandilarrivaenbas,ilfitencorequelquespasdanssadirection,avantdeluijeterunregardglacial.

Pétrifiée,elleneputs’empêcherdefrissonner.Iln’yavaitplusdechaleurdanssesyeux.Plusriendel’amitiéetdelatendressedontilavaitfaitpreuveaucoursdessemainespassées.

— C’est toi qui as un problème, reprit-elle. Et justement, je voudrais bien savoir quel est ceproblème.

—Tuasfaittoutcecheminpourmedemanderça?Refusantdeselaisserintimiderparletonmenaçantdesavoix,ellefitunpasenavantetlepoussa

detoutessesforces.—Jecroyaisquenousétionsamis.Jecroyaisquetutesouciaisunpeudemoi,ouaumoinsdenotre

enfant.Maisàquoiest-cequetupensais?Tum’aslaisséetouteseule,danscettesalled’examen,ettuasenvoyétonchauffeurmechercher?Jeveuxsavoirquelesttonproblème,Cam.

—Tunepeuxpastoujourstoutrapporteràtoi,Pippa.Letonglacialdesavoixnefitquel’énerverdavantage,d’autantplusqu’ellesavaitqu’ilcherchaità

luidissimulerquelquechose.Oui,ilavaitunproblème,maisiln’avaitpasassezconfianceenellepourluiexpliquerdequoiils’agissait.

Néanmoins,dequeldroitsepermettait-elledel’interroger?Ilsétaientamis,riendeplus.Iln’avaitpasdecomptesàluirendre,etelledevaitaccepterleurrelationtellequ’elleétait.Mêmesicelalafaisaitsouffrir.

—Jepensaisquenousétionsaumoinsamis,murmura-t-elle,lavoixbriséeparl’émotion.Et,toutàcoup,elleluitournaledos.Commeelleavaitétéstupidedevenirici!C’étaitleseulet

uniquelieuoùellen’étaitpaslabienvenue.Oùellen’avaitjamaisétélabienvenue.Aprèslanuitqu’ilsavaientpasséeensemble,ilavaittoutfaitpoursedébarrasserd’elleauplusviteet,depuis,ilnel’avaitjamaisréinvitéechezlui.Ilsserencontraienttoujoursenville.Jamaisici.

Etilfallaitabsolumentqu’ellesesouviennedecela.Pourcesserdefantasmersurlapossibilitédeconstruireunjourunaveniraveclui.

—Netedonnepaslapeinedeveniràlaprochaineconsultation,siffla-t-elle,luitournanttoujoursledos.

D’unpasdécidé,ellesedirigeaverslaporte,etelleétaitsurlepointd’yarriver,quandill’attrapaparlamain.

—Pippa.Cesimplemotcontenaitenluitoutessortesd’émotionsintenses.S’ymêlaient,entreautres,regrets

ettristesse.—Jesuisdésolé,dit-ildoucement.S’ilteplaît,nemelaissepascommeça.Elleseretournavivement,luttantpourcontenirleslarmesdecolèreetdedéceptionqu’ellesentait

monteràsesyeux.—Pourquoi,Cam?Donne-moiunebonneraisonderester.Tuneveuxpasdemoi ici.Jenesais

mêmepaspourquoinousavonsfaitsemblantd’avoirunerelation.Onferaitbiendecouperlespontsdèsmaintenantetdepartirchacundenotrecôté.

—Jen’aimegénéralementpasrecevoirici.Celavautpourtoutlemonde,celan’arienàvoiravectoi.Mais, je t’enprie, reste. Je suisdésoléde la façondont s’estdéroulée laconsultation. Jemesuisconduitcommeunimbécile.J’aitoutfichuenl’air.Jesaisquec’étaitungrandmomentpourtoi.

—Pournous,corrigea-t-elle.C’étaitungrandmomentpournous.Lemomentoùnotreenfantnousaétérévéléànous,sesparents.Unmomentquiauraitdûresteràjamaisgravédansnotremémoire.Mais,entoutehonnêteté,jedoist’avouerquejen’aivraimentaucuneenviedem’ensouvenir.Carjemevoismalentraind’expliqueràmonenfantquesonpèreaquittélapièceaumomentoùonluiannonçaitqu’ilallaitavoirungarçon.

Ilpâlit,lafixantdesesyeuxbleuvif.Etquandilsemitàtremblerdevantelle,leslarmesqu’elleavaittentéderetenirsemirentàroulersursesjoues.L’instantd’après,elleétaitdanssesbras.Alors,illaserracontrelui,sifortqu’elleavaitpeineàrespirer.Ellepouvaitsentirlesbattementsrapidesdesoncœur.

—Ne pleure pas,murmura-t-il. Je suis désolé, Pippa. S’il te plaît, reste. Je suis désolé. Tu neméritaispascela.Excuse-moi,jet’enprie.

A son grand étonnement, il conclut ses propos en déposant sur ses lèvres un baiser. Un baisertorride,passionné,presquedésespéré.Puisilsemitàcaressersoncorps,frénétiquement,commesielleétaitpourluilachoselaplusimportanteaumonde.

Danscesgestes, elle ressentitpleinement sonchagrin, son incertitude.Sondésespoiret sapeine.Sesregrets.Ilyavaittantd’émotionsquisedégageaientdelui…

Sescaressesdevinrentplusdouces,commes’illasuppliaitdenepaslerepousser,deluiluioffrirleréconfortdontilsemblaitavoirtantbesoin.

Bouleversée,elle lui renditsonbaiser,en tâchantdemettredans lesien toutcequ’elleressentaitelle-même en cet instant. Puis elle fit lentement glisser ses paumes contre la peau rugueuse de samâchoireetprit sonvisageentresesmains,enungestesimpled’acceptationetdecompréhension.Depardon.

Alors,commesiellenepesaitpasplus lourdqu’uneplume, il lasoulevadanssesbrasetmontal’escalier.Doucement,ilouvritlaportedesachambreetladéposasurlelit.

Ilsepenchaau-dessusd’elle,leregardbrûlantdepassion.Elleretintsonsoufflequandilapprochason visage du sien, les traits tendus par le désir. Ses lèvres se joignirent de nouveau aux siennes, etplusieurssecondespassèrentavantqu’ellenepuisserespirerdenouveau.

D’ungesteimpatient,ilfitpassersarobepar-dessussatête,avantdelajetersurleplancher.Etilmittoutautantdefougueetdepassionàluiretirersessous-vêtements.

Quand elle fut enfin nue sous ses yeux, l’expression de son visage changea. Une partie de sonténébreux mystère parut disparaître, tandis qu’il la regardait de ses yeux clairs, l’air émerveillé.Doucement,ilfitglissersespaumeslelongdeseshanches,jusqu’àatteindrelelégerrenflementoùétaitnichélebébé.Alors,àsongrandétonnement,ilprittendrementsonventreentresesmainsetsepencha

versluipourydéposerunbaiser.—Jesuisdésolé,murmura-t-ildenouveau.Sa voix était si lourde d’émotion que ses mots en étaient presque inaudibles.Mais ses excuses

sincères la touchèrent. Il était évidentqu’il regrettait sadésertion,de tout soncœur.Et ilvenaitde semettreànudevantelle,deseprésenter,danstoutesafragilitéetsavulnérabilité.

Emue,elleenroulasesbrasautourdesoncouetleserracontreelle.—Çava,murmura-t-elle,avantdel’attirerverssonvisage,pourgoûterdenouveauàseslèvres.Leurs languessemêlèrentsensuellement, jouèrentensemble,puis ilplongeaplusprofondémenten

elle,lasubmergeantdesonessence.Soncorpssemouvaitdefaçonpossessivesurlesien,maisilfaisaittrèsattentionànepasfairepesersonpoidssursonventre.

Lentement, ses lèvresquittèrent les siennes et il semit à lui embrasser le cou, alternant caressesdoucesetsuçonspassionnés,dontellecompritqu’elleporteraitlesmarqueslelendemain.Etilcontinuade lécher etdecaresser sensuellement sapeau, attisant encore sondésir, traçantunchemindebaiserspassionnésverssapoitrine.

Quand il parvint auniveaude ses seins, il sepencha lentementvers l’unde ses tétons, et, tout àcoup,relevalatête.

—Est-cequ’ilssontplussensibles,maintenant?luidemanda-t-ild’unevoixrauque.Il attendit sa réponse en faisant sensuellement glisser ses mains le long du galbe rebondi de sa

poitrine.—Oui,beaucoupplus.—Net’inquiètepas;jeseraitrèsdoux.Avecuneinfinietendresse,ilfitglissersalanguesurl’undesestétonsdressés,avantdeleprendre

délicatement en bouche. Se laissant aller aux délicieuses sensations qui fondirent sur elle par vaguessuccessives,ellesecambradeplaisir.

Beaucoupde temps s’était écoulédepuis cettenuit torridequ’ils avaientpassée ici.Et elle avaitdésespérémentenviedelui.Cesdernièressemainesavaientétéunevéritabletorture.Cams’étaitmontrétellement tendre et prévenant envers elle. Et pourtant, il y avait toujours eu cette barrière, presquetangibleentreeux.

Elle était quasiment certaine que cela ne résoudrait rien,mais elle attendait ce contact physiquedepuistellementlongtempsqu’ellenepouvaityrésister.Elleavaitenviedelui.Besoindelui.

Dansunsoupirdeplaisir,soussescaressesexpertes,ellecapitula.Alors,ilcontinuadedescendre,pritsonventreentresesgrandesmainsetsemitàembrasserchaquecentimètrecarrédesapeautendue,jusqu’àceque,bouleversée,ellesenteleslarmesluimonterauxyeux.

Tandis qu’elle s’abandonnait à ses émotions et ses sensations, il continua de descendre et,doucement,luiécartalescuisses.Quand,enfin,seslèvresseposèrentsensuellementsurladoucechaleurdesonintimité,elleneputs’empêcherdetressailliretdelaisseréchapperunpetitcridevolupté.

Plaçant sesmains sous ses fesses, il lamaintint fermement en place, tout en commençant à fairejouersalanguesursonsexebrûlant.Lesmouvementsqu’ilimprimaitétaientlongs,généreux,sensuels;larugositédesalangue,encontrasteparfaitavecladouceurdesacaresse.

Lesdoigtsenfoncésdanssescheveux,ellesentitqu’elleétaitsurlepointdegoûterauplaisirultime,etellesemitàondulerfrénétiquementdubassin,enrythmeavecsacaresseintime.Unpremierorgasmedéferlasurelle,l’emportantdansunvéritabletourbillondesensationsvoluptueuses.

—Jeveuxtesentirenmoi,maintenant,murmura-t-elleaprèsavoirreprissonsouffle.Ilseredressaet,doucement, l’attiravers lui,desortequesesfessesse trouvent justeauborddu

matelas.

—Enrouletesjambesautourdemoi,ordonna-t-ild’unevoixsensuelle.Elle s’exécuta. Et il se glissa aussitôt en elle, lui arrachant un long gémissement. Ils étaient

désormaispeaucontrepeau.Riennelesséparaitplus.Labarrièreavaitdisparu.Leursrespirations,haletantes,résonnaientdanslesilence.En rythme avec ses va-et-vient langoureux, il se mit à caresser son ventre de ses mains, avec

délicatesse,tendresse.—Dis-moisijetefaismal.Emue,ellel’attiraau-dessusd’elle,afindepouvoirjouirduplaisird’êtreenveloppéeparlachaleur

brûlantedesoncorps.—Jesaisquetunemeferaspasdemal,Cam,murmura-t-elle.Fais-moil’amour.Ellen’avaitjamaisétéaussiprèsdeluirévélersessentimentspourlui,maiselleseretint.Carelle

savaitqu’iln’auraitpasmanquédelarepousser.Denouveau,il joignitseslèvresauxsiennesetl’embrassaavecfougue,passion.Sesmouvements

étaient impétueux, frénétiques. Ses mains étaient partout sur elle. Il ne cessait de la toucher, de lacaresser,commes’ilnepourraitjamaisenavoirassez.Commes’ilvoulaitencorelarapprocherdelui.

Ivrededésir,elleenroulasesjambesautourdesoncorpspuissant,leserrantfermement,tandisqu’ils’enfonçait plus profondément en elle. L’extase ne tarderait pas à arriver.Mais elle ne serait rien encomparaisondel’intimitédecemoment.Unliens’étaitcrééentreeux.

Cen’étaitpasdusexe.C’était…bienplus.S’abandonnanttotalementauplaisir,elleluiembrassalabaseducou,s’empêchantdeprononcerles

motsquisemblaienttantvouloirs’échapperdesabouche.L’extase,quisemitàcoulerdanssesveines, futchaudeetdouce.Saprogressionsuivitune lente

ascension,sansà-coupsviolentsnitumultueusesexplosions.Pippamontadoucementetprogressivementsurl’échelleduplaisir,deplusenplushaut,jusqu’àcequ’ellesentechacundesmusclesdesoncorpssetendred’impatienceetserelâcherdansuntorrentdevolupté.

—Cam!C’étaitunappelàl’aide.Ellelesentitdanschaquepartiedesoncorps.Dur.Etsipuissant.LesmusclesdeCamsetendirentà

leurtouretils’enfonçaprofondémentenelle.Alors,ilmurmurasonnometellesentitqu’ilvenaitenelle.Ilrestaunlongmomentimmobileau-dessusd’elle,àlacontempler,puisillaissadoucementreposer

son corps sur le sien. Tandis qu’elle s’abandonnait au tendre plaisir de sa douce chaleur, il déposaplusieursbaiserssurseslèvres.

—Pippa,murmura-t-il.Etcesimplemotportaitenluidevéritablestrésors.

-12-

Pippaouvritlesyeux,complètementdésorientée.Quand,enfin,ellecompritoùellesetrouvait,ellese tourna brusquement vers le réveil et laissa échapper un soupir de soulagement. Elle n’avait dormiqu’uneheure.

Toutensefrottantlesyeux,elleseredressadanslelitetsondaduregardlapénombre.Camn’étaitpaslà.Cequin’avaitsommetouteriend’étonnant.Ellecommençaitàlesoupçonnerdenepasbeaucoupaimers’attarderaprèslesexe.

Surcetteréflexion,elleselevaetsemitàexaminerlapièceàlarecherchedesesvêtements.C’estalorsqu’elles’aperçutqu’unpeignoiravaitétédéposésurlereborddulit.Aprèstout,iln’étaitpeut-êtrepasaussimuflequ’iln’yparaissait…

Perplexe,elleenfilalevêtementetsedirigeaverslasalledebains.Ellen’auraitsansdoutepasdûcoucheraveclui.Elleétaitcertainequecelanerésoudraitrien.Néanmoins,celanepouvaitpasrendreles choses plus compliquées qu’elles ne l’étaient déjà. Et il était hors de question qu’elle passe lesprochainesheuresàsereprocherd’avoircédéàlatentation.Carlavéritépureetsimpleétaitqu’elleenavaiteuenvie.

Si ses problèmes étaient devenus plus complexes encore, c’était parce qu’elle avait été assezstupidepourtomberamoureusedeCam,alorsqu’iln’avaitaucundésirdeluirendresonamour.Maisilyavaitpisencore:elleportaitsonenfant.Cequisignifiaitqu’elleseraitliéeàluipourtoujours.Mêmes’ildécidaitd’épouseruneautrefemme.

A cette pensée, elle sentit son cœur se serrer, et ferma les yeux sous l’eau chaude.Non, elle nesupportaitpasl’idéequ’uneautrefemmepuisseparticiperàl’éducationdesonenfant.

Maisilfallaitqu’ellearrêtedesongeràtoutcelasiellenevoulaitpasdevenirfolle.Etpuis,pourlemoment, ilyavaitdesquestionspluspressantes.Et,àcesquestions,seulCampouvaitapporterdesréponses.

Quandelleeutterminésadouche,elleprituneprofondeinspiration.Ellen’étaitpasdugenreàselaisser abattre. Et puis, de toute façon, qu’avait-elle à perdre à lui parler ? Il allait probablement sebraquerousemettreencolère,maiscertainementpasaupointdedéciderdecouperdéfinitivementlespontsavecelle.Lamèredesonenfant.

Quelquesminutesplus tard,elle sortaitde lachambred’unpasdéterminéetdescendit l’escalier.ElletrouvaCamdanslebureaudurez-de-chaussée.Ilétaitàlafenêtre,ledostournéàlaporte,leregardplongé dans l’obscurité. Elle resta quelques instants à observer son profil, hésitant à interrompre sarêverie,malgrésafermevolontédeprovoqueruneconfrontation.

Commes’ilavaitperçusaprésence,ilfinitparseretourner.—Tuasfaim?luidemanda-t-ilgentiment.Oui.Maiscen’étaitpasdeceladontelleavaitenviedeparler.—Jevoudraisd’abordqu’ondiscutededeuxoutroischoses,répondit-elled’unevoixégale.Ilsoupira,commes’ilavaitcomprisquecequiallaitsuivreétaitinévitable.Déterminéeànepaslelaissers’entirerunenouvellefois,elleserapprochadelui.—Cam,jeveuxsavoirpourquoil’idéed’avoirungarçontedéplaîttant.Tusemblaisparfaitement

heureuxàlapenséed’avoircebébéet,aumomentoùont’aditqu’ils’agissaitd’ungarçon,tut’esenfuiencourantcommeundératé.

Son visage était pâle et ses yeux devinrent tout à coup ternes et vides. Il ferma les paupières.Pendant de longues secondes, il parut se battre contre lui-même. Elle était certaine qu’il allait larepousser.Ilavaitl’airfurieuxetcomplètementdévasté.

Qu’avait-ilbienpuluiarriver?Quand,enfin,ilrouvritlesyeux,sonvisageétaitimpassible,dépourvud’expression.Etellecomprit

qu’elleavaitenfindecomptegagné.Mais,curieusement,ellenesesentitpasvictorieusepourautant.—Trèsbien.Nousallonsendiscuter.Maisaprèsledîner.Ellen’avaitaucuneenvied’attendre,maisilavaitvisiblementbesoindetempspoursepréparer.Et

cela,ellepouvaitlecomprendre.Aussi se laissa-t-elleconduire jusquedans lacuisine.Après l’avoir invitéeà s’asseoirdevant le

bar, ilouvrit laporteduréfrigérateuretenobserva lecontenupendantquelquessecondes,avantdeseretournerverselle,levisagegrimaçant.

—J’aibienpeurquenoschoixsoientquelquepeulimités.Monmajordomemecongèledesplatsets’occupedegarnirlesplacards,maisjenefaispassouventlacuisine.Jemangegénéralementdehors.

—Net’inquiètepas.Jevaisnouspréparerquelquechoseaveccequetuassouslamain.—Pourquetudisesensuitequejenesaispasrecevoir?murmura-t-ild’unairpenaud.—Maistunesaispasrecevoir!répondit-elleenriant.Allez,assieds-toi.Jevaism’occuperdeça.

Nousparleronsensuite.Avecunsoupir,ilallas’asseoirsurletabouretqu’elleavaitlaissélibre,tandisqu’elleentreprenait

d’inspecterlecontenudesplacards.Ilfallaitqu’ellefassevite.Ellen’avaitpasenviedepassertoutelasoiréeàattendre.Etellenevoulaitpasnonplusluilaissertropdetempspourréfléchiràunmoyendes’entirersansluifournird’explication.

Ellefinitpartombersurdescroissantsfraisetdécidaaussitôtdelesaccommoderavecdufromageetdujambon.Ilyavaitaussiunpaniergarnidetoutesortedefruits.Unebonnesaladedefruitsferaittrèsbienl’affairepourledessert.

—Qu’est-cequ’onboit?luidemanda-t-elleenenfournantlescroissants.Ildescenditdutabouretetsedirigeaversunporte-bouteilles.Maisils’arrêtabrusquement.—Jesupposequetunepeuxpasboiredevin.Qu’est-cequetuprends,généralement?—Del’eau.Duthédéthéiné.Dujusdefruits,maisleplussouvent,del’eau.—Trèsbien.Jevaisenchercher.Ilremplitdeuxverresd’eauet terminademettrelecouvert.Aprèsavoirdéposélescroissantsau

jambondanslesassiettes,ellepritplaceàcôtédelui.—C’estdélicieux,dit-il,quandileutterminésonpremiercroissant.Etçaal’airfacile,aussi.Je

n’auraisjamaispenséàfaireuntruccommeça.—Jesuislareinedel’improvisation,répondit-elleensouriant.Quandj’étaispetite,onnemangeait

quasimentjamaisenfamille.J’aidûapprendretrèstôtàfaireaveccequ’ilyavait.

—Tuneparlespasbeaucoupdetafamille.Ellesursautalégèrement.Elleavaittrèsenviedeluirépondrequeluinonplus,maisseretint.Elle

nevoulaitpasrisquerdefermercetteporteavantmêmedel’avoirouverte.—C’estparcequ’iln’yapasgrand-choseàdire,fit-elle,entâchantd’adopteruntonléger.Illaregardad’unairsuspicieux.—Pourquoiai-jel’impressionquec’esttoutlecontraire?—Aucuneidée.—Oh!allez !Donne-moiquelquechoseàmemettresous ladent.Est-ceque tuvois toujours ta

famille?Ellesoupira.—Oui,ilm’arrivedevoirmamère.Quand,malgrétousmesefforts,jeneréussispasàtrouverde

moyendel’éviter.—Çanem’apasl’airtrèssain,toutça.—Enréalité,c’estbeaucoupplussainquandonnesevoitpas.—Ettonpère?Elle sentit ses épaules s’affaisser. Brutalement déstabilisée, elle reposa son croisant à moitié

entamé.—Ilaquittémamèrequandj’étaispetite.Maisjenepeuxpasleluireprocher.Mamèreestune

femmeplutôtdifficileàvivre.Ilestmortilyaquelquesannéesetc’estgrâceàl’argentqu’ilm’aléguéquej’aipusurvivre,enattendantdemontermoncommerce.

—Tun’esdoncpastrèsprochedetafamille,commenta-t-il,enfronçantlessourcils.—Bingo!répondit-elle,ironique.Jet’aidéjàditquetuétaistrèsperspicace.—Pourquoiest-cequetutecachesderrièretessarcasmes?Parle-moi.—Jetrouvequetuasbeaucoupdeculot,quandmême.Jeterappellequec’estdetoidontonest

censésparler.Tuasdéjàoublié?Ilpritunairrenfrogné.—Çaneserviraàrien.Çanerésoudrarien.—Ahbon?Pourtoi,peut-être.Maislaisse-moitedireunechose:jeportetonenfant,etj’aimerais

savoirsijedoism’attendreàd’autrescrisestellesquecellequis’estproduiteaujourd’hui.Parexemple,àcequetupartesencourantdesongoûterd’anniversaire.Nousdevonsparlerdecela,Cam.Siturefusesdelefairemaintenant,jem’envais.Etjet’assurequejenereviendraijamais.

—Est-ceunemenace?Ellesoutintsonregard,sansciller.—Jenetemenacepas.Jetefaisunepromesse.Brutalement,ilrepoussasonassiettesurlecôtéetseleva.Lesmainsfermementenfoncéesdansses

poches,ilquittalacuisineetsedirigeaversleséjour.Elleluiemboîtalepas,imperturbable,ets’arrêtaàquelquesmètresdelui.Pendantunlongmoment,

ilévitasonregard.Et,brusquement,illevalatêteverselle,lesyeuxbrillantdecolère.—J’aidéjàeuunfils.Ils’appelaitColton.Etmafemmes’appelaitElise.Souslecoupdelasurprise,elleécarquillalesyeux.Ellenes’étaitpasattendueàcela.—D’autresquestions?demanda-t-ilsèchement.Ellejugeapréférabled’ignorerlacolèredeCam.C’étaitsansdouteleseulmoyenqu’illuirestait

degarderlecontrôlesurlui-même.Denepass’effondrer.—Ques’est-ilpassé?dit-elledoucement.—Jelesaiperdus.Touslesdeux.Coltonn’étaitencorequ’unbébé.Leplusmignon,leplusbeau

petit bébédumonde.Elise était…elle étaitmerveilleuse. Jeune, radieuse, tellement pleine de vie.Etc’étaitaussiunemamanmerveilleuse.

Savoixétaitvibrantededouleur;sesyeux,emplisdechagrin.—Jen’avaispasdemalàaccepterl’idéed’avoirunefille,dit-iltoutbas.J’enavaismêmeenvie.

Maisungarçon,non.J’auraisvraimenttropl’impressionderemplacerColton.LecœurdePippamanquaunbattement.Elleavaitenviedecontester.Deluidirequeleurfilsne

remplaceraitjamaissonpremierenfant.Maisellegardalesilence.N’importequiauraitestiméquelescraintesdeCamétaient complètement absurdes.Mais, à en jugerpar le troublequ’elle lisaitdans sesyeux,ilycroyaitdurcommefer.

Commentpouvait-ellecontesterquelquechosedesifermementenracinéenlui?Ellerestaimmobileunlongmoment,àréfléchiràcequ’elleallaitfaire.Puisellebaissalesyeux

verslepetitrenflementdesonventreetsesentittoutàcoupsubmergéeparundésirfarouchedeprotégersonbébé.

Quand elle releva la tête pour plonger son regarddans celui deCam, la colère et la tristesse sebousculaientenelle.Elleétaittristepourlui,àcausedel’horribledramequ’ilavaitvécu.Maisellenevoulaitpasquesonenfantenpaieleprix.C’étaitinjuste.

—Alorstucomptesignorercetenfantquetuaimesparcequ’ilaeul’infortunedenepasêtredubonsexe?

Ellevitsesnarinesfrémir.Sonregardétaitsombre,obscurciparlarage.—Jen’aijamaisditça!cria-t-il,outré.— Mais rien de ce que tu aies pu dire ou faire jusqu’ici ne m’a laissé entendre le contraire,

répondit-elleaussitôt.Ilsepassanerveusementunemaindanslescheveux.—Jefaistoutcequejepeux,Pippa.Vraiment.Ettusaisquejen’aijamaisrienvouludetoutcela.—Oui,jesais.J’aibiencompris.Tut’esmontrétrèsclairàcesujet.Tunevoulaispasdemoi,tu

nevoulaispasdenotreenfant.Mais,tusaisquoi?Iln’apaseulechoix,lui.Cen’estpassafautesisesparents sontdeuxabrutisquin’ontpas été assezmalinspour empêcher sa conception.Et tu saisquoi,encore?Jeneregretterien.

Sentantquesoncœurcommençaitàs’emballer,elles’effondrasuruncanapé.— Je ne regrette rien, répéta-t-elle. Je ne regretterai jamais ce préservatif déchiré. Je veux cet

enfant,notrepetitgarçon.Si tuasenviedevivredans lepasséetdenier lemiracledesaconception,c’esttonproblème.Maisjenemeplieraipasàcessottises.Pasquestion.

Follederage,elletournalestalonsetsedirigeaverslehalld’entrée.EllenesavaitpassiJohnétaitdanslesparages,maispeuimportait.S’illefallait,elleiraitàpiedchezAshley.

—Pippa!Ellesortitdanslapénombreetclaqualaportederrièreelle.Commeelleavaitétéstupide!ElleavaitcraquéetcouchéavecCam.Aprèstoutcequ’illuiavait

fait. Après qu’il l’avait abandonnée dans la salle d’examen. Il s’était pourtantmontré clair depuis ledépart.Alorspourquoiavait-ilfalluqu’elleentretiennecesespoirsinsensés?Qu’est-cequiavaitbienpuluifairecroirequ’elleseraitcellequiréussiraitàlefairechanger?

Déterminée à mettre autant de distance que possible entre elle et l’objet de son erreur, elle sedirigeaverslaroute.

—Pippa!Maisoùest-cequetuvas,enfin?IgnorantleshurlementsdeCam,ellesortitsontéléphone,espérantdetoutsoncœurqu’Ashleyserait

chezellecesoir-là.Danslecascontraire,lanuitallaitêtrebienlonguedanslestransportspublics.

Quandelleatteignit leboutde l’allée,elleseretrouvatoutàcoupdansunfaisceaude lumièreetentenditlebruitd’unmoteurquiserapprochait.Quelquessecondesplustard,Cams’arrêtaitàcôtéd’elleetouvraitlavitredesonSUV.

—Monte.Toutçan’apasdesens.Poursuivantsamarche,elletournasonvisageverslui.—Cequin’auraitpasdesens,ceseraitderestercheztoiuneminutedeplus.JevaischezAshley,

toutirabien.Illaissaéchapperplusieursjuronsquiluiécorchèrentlesoreilles.Puisildescenditdelavoitureet

partitàsarencontre.—Ecoute, laisse-moi aumoins te conduire jusque chezAshley. Je nepeuxpas te laisser y aller

touteseuledanslenoir.—D’accord,maisseulementsituprometsdemeconduiredirectementchezelle.—Monte,grommela-t-il.Elle s’exécutaen silenceet il sehissaaussitôt sur le siègeconducteur.Une secondeplus tard, il

ouvritlabouchepourdirequelquechose.Elleseretournavivementverslui.—Cen’estpaslapeine,Cam.Jeneveuxpast’entendre.Ilcontinuadeconduireensilenceetnetardapasàs’engagerdansl’alléequimenaitàlarésidence

deDevonetAshley.Elledescenditavantmêmequ’ilnesesoitcomplètementarrêté.Sansseretourner,ellesedirigead’unpasdécidéverslamaison.

Ellefrappa.Ashleyluiouvritlaporte.Cenefutqu’àcemoment-làqu’elleentenditleSUVrepartirdansl’allée.

—Pippa?Maisqu’est-cequisepasse?demandasonamie.—J’aibesoind’unendroitoùdormir, ce soir, lui répondit-elleensanglotant.Est-ceque jepeux

resterici?

-13-

Pippas’essuyalevisaged’unreversdemain.—Ecoute,Dev,jesaisquec’esttonami,maisilcommencevraimentàmerendrefolle.L’aircompatissant,Devonluitenditunverredejusdefruits.—C’estunetêtedemule,jesais.Ilatoujoursétécommeça.Ashley la prit dans ses bras, malgré la gêne occasionnée par son ventre immensément gonflé.

Commeelleavaitdelachanced’avoirunmariaimant!Devon,luiaumoins,étaitenchantéàl’idéedelanaissanceimminentedeleurenfant.

Frustrée,Pippareniflaetbutunegorgéedejusdefruits.—Jen’arrivepasàcroirequ’ilsoitsidéçuquecesoitungarçon.Devon leur jeta un coup d’œil gêné. Qui aurait pu le lui reprocher ? Une femme en proie aux

hormonesdelagrossesseétaitdéjàdifficileàgérer.Maisdeux…— Je comprends qu’il soit traumatisé par ce qu’il a vécu, poursuivit-elle. Et je suppose que je

devraisleplaindre,leprendredansmesbras,leconsoler.Mais,vraiment,jenepeuxpasfaireça!—Moi, je pense que tu as bien agi, fit Devon en secouant la tête. Cam n’a pas besoin d’être

confortédanssonmalheur.C’estmonplusvieilami,etjepensequ’ilesttempspourluid’allerdel’avantetdebâtirunenouvellevie.

Elleposasonverresurlatablebasse.—J’ail’impressiondepasserpourquelqu’und’insensible,alorsquecelamebriselecœurdele

voir simalheureux.Mais qu’est-ce que notre enfant va ressentir, quand il apprendra qu’il a été rejetéparcequesonpèrenevoulaitpasavoirlesentimentderemplacersonpremiergarçonparunsecond?

—Tuascherchéàprotégertonbébé,intervintAshley.Ettun’aspasàt’excuserpourcela.Camestunimbécile.

—Jenecroispasquelefaitdepleurerlesgensqu’onaimefassedenousdesimbéciles,répondit-elle.Cequifaitdeluiunimbécile,c’estsonincapacitéàcomprendreque,malgrécethorriblecoupdusort, une seconde chance lui a été accordée. Ce bébé ne remplacera pas Colton, personne ne leremplacera jamais. Jenesaispascomment lui fairecomprendreça. Jenesaismêmepassi j’aienvied’essayer.

Elleessuyaunenouvellelarme,avantdereprendre:—Jesuisfatiguée.Fatiguéedecejeustupide,quinousamèneàfairesemblantdenouscontenterde

cetterelationsuperficielle,d’enêtreheureux.Jenesuispasheureuse,jenepourraijamaisl’êtreavecunhommequinemedonnequ’unepartiedelui-même.Jesuisuneégoïste,jenepeuxpasmecontenterd’une

partie.Jeveuxtout.Devon esquissa un sourire et Ashley la prit de nouveau dans ses bras. Elle resta silencieuse

plusieursminutes,lovéedanslesbrasdesonamie,ypuisanttoutleréconfortqu’ellepouvaitytrouver.Etpuis,toutàcoup,ellemurmura:—Tusais,Ash, j’aiencorecouchéavec lui.Aprèsqu’ilm’a laisséeenplanà laclinique.Tu te

rendscompte?J’aicouchéaveclui.Jecroisqu’ondevraitvraimentmefaireenfermer.Devonseraclalagorge.—Euh… Je crois que je ferais bien de vous laisser seules,maintenant. Si vous avez besoin de

quelquechose…Enleregardantseprécipiterverslaporte,Pippaneputs’empêcherdesourire.Etpuisellelaissa

retombersonfrontsurl’épauledesonamie.—Jenesuisqu’uneimbécile,Ash.Etluiaussiestunimbécile.Etpourtant,jel’aime.Ashleyritdoucement.—Tun’espasuneimbécile.Onnechoisitpaslesgensqu’onaime.Dieusaitqu’ilyadesfoisoù

j’auraissouhaiténepasêtreamoureusedeDevon…—C’estvraiqu’illuiestaussiarrivédemalsecomporter.Etd’ailleurs,jecroisquec’estçaqui

medonneunpeud’espoirvis-à-visdeCam.Jemedisqu’ilfinirapeut-êtreparchanger.Maisjesuisuneidiote,tupeuxledire.

—N’importequoi,murmuraAshley.Tuesintelligente,courageuse,etjet’adore.—Moi aussi, je t’adore, Ash, répondit-elle en souriant. Je suis désolée de t’avoir trempée de

larmesetd’avoirinterromputasoiréeavecDev.—Commesijen’avaisjamaisdébarquécheztoiàl’improvistepoursanglotersurtonépaule!—Oui.Maispour toi, touts’estbien terminé.Et, tusais,çam’étonneraitquecesoit lecaspour

moi.J’ail’impressionqueCamsecomplaîttropdanssonmalheur.—Jen’ensuispassisûre.Jesaisqu’ilaunbonfond.Ettuasfaitcequ’ilfallait.Çavamarcher,

Pippa,tudoisycroire.Camfiniraparchanger.Dèsqu’ilverrasonfils,ildeviendracomplètementgaga.—Puisses-tuavoirraison…

***

Lelendemainmatin,DevonconduisitPippaàsapâtisserie.Legrandjourdel’ouvertureapprochait.Elleavaitterminétouteslesformalitésadministratives.Elleavaitengagéuneserveuse,uncommis

de cuisine et un chauffeur-livreur.Elle avait établi la liste desmets qu’elle allait préparer le premierjour. Elle s’était fait livrer les ingrédients et sa cuisine était remplie d’absolument tout ce dont ellepourraitavoirbesoin.Ilneluirestaitplusqu’à…selancer.

Oui.Elleallaitenfinréalisersonrêve.Etellenes’étaitjamaissentieaussinerveusedesavie.Celafaisaitdesmoisqu’elleytravaillait.Certes,Camluiavaitbeaucoupfacilitélatâche,maiselle

aurait trèsbienpuyparvenir touteseule.Il luiauraitsansdoutefalluquelquessemainesdeplus,maiselleauraitréussi.

Elleétaitentrainderangersesingrédientsquandsontéléphonesemitàsonner.Ellegrimaçaquandellereconnutlasonneriequ’elleavaitattribuéeàsamère.

—Toujoursaumauvaismoment,murmura-t-elle.Pendantquelquesinstants,elleenvisagead’ignorerl’appel.Maiscelaauraitétélâchedesapartet

elleauraitensuitedûécoutersamèreseplaindredufaitqu’ellecherchaittoujoursàl’éviter.Cequiétait

parfaitementvrai.—Bonjour,maman,dit-elleendécrochant,résignée.—Pippa,chérie!Çafaitlongtempsquejen’aipaseudetesnouvelles.Commentçava?Ellesourit.Ellesesentaittoujourscoupabledechercheràl’éviter.Aufonddesoncœur,ellesavait

quesamèrel’aimait.Maiselleétaittellement…spéciale.—Jevaistrèsbien,jeteremercie.Ettoi?CommentçasepasseàParis?—Parisestunevillemerveilleuse,maisnoussommesenGrèce,maintenant.C’estmagnifique.Etil

faittrèsbeau.—EtcommentvaDoug?Pipparetintsonsouffle,regrettantaussitôtsaquestion.Samèreétait-elletoujoursavecDoug?Elle

étaitpartieenvacancesaveclui,maiselleétaittellementimprévisiblequ’ilfallaits’attendreàtoutavecelle.SamèreavaittrèsbienputomberamoureuseàParisetpartirenGrèceavecunautrehomme.Ellechangeaitdepetitamicommeonchangedechemise.

—Trèsbien.Ilesttrèsheureuxd’êtreici.Iltefaitsesamitiés.Denouveau,Pippasourit.Ellenel’avaitjamaisrencontré,etelleétaitquasimentsûrequ’ellenele

rencontreraitjamais.Amoinsd’unmiracle,biensûr…Miranda,samère, luifaisait toujourspenseràunenfantquiauraitreçudescadeauxdeNoëlàne

passavoirquoienfaire.Elleenprenaitun,s’émerveillaitdevantlui,etpuislelaissaitaussitôtdecôtépourenattraperunautre.

—Etquandpenses-turentrer?demanda-t-elleprudemment.Celafaisaitdesmoisqu’ellen’avaitpasparléàsamère,quiignoraittoutdesagrossesse.Devait-

elleluiannoncerlanouvelle?Commentallait-elleréagir?Ilyavaitfortàparierqu’ellelaprendraittrèsmal. Notamment parce qu’elle se considérait comme bien trop jeune et belle pour se faire appeler «mamie».

—Ehbien, jenesaispas.Riennepresse.Etpuis, lavieestcourte.Tun’aspasbesoindemoi,j’espère.Toutvabien?

Le son de sa voix ne laissait aucun doute. Elle espérait de tout cœur qu’elle lui réponde parl’affirmative.

—Biensûr,maman.Passedebonnesvacances.—Jet’aime,machérie.—Jet’aimeaussi.Aprèsavoir raccroché,elle restadeboutdans lacuisinependantun longmoment,commeécrasée

parlepoidsdel’émotion.C’étaittoujoursainsiquandelleparlaitavecsamère.Elleregrettaitdenepasavoirunerelationnormaleavecelle.Elleauraittantaiméavoirunemèrecommecelled’Ashley!

GloriaCopelandoffraitàsesenfantsunamourinconditionnel.Elleétaitunroc,toujoursprésente,toujours prête à offrir son soutien. Quand Ashley avait besoin d’elle, elle était là. Toujours,immanquablement.

Quantàsapropremère,elleavaitbeauêtrepétriedebonnesintentionsetl’aimerdetoutsoncœur,il luimanquait simplement… la fibrematernelle.Un concept qui lui était aussi étranger que celui des’installeravecunhommependantplusdequelquesmois.

Pippaavaittoujoursvusamèrecommeunesortedepapillon,passantd’unechoseàuneautre,nerestantjamaisenplacetrèslongtemps.

Elle,poursapart,étaitplutôtdugenrecasanier.ElleadoraitNewYork,sesamis,saroutine.Celafaisaitpeut-êtred’elleunelâche,quinecherchaitpasàseconfronteraumondeextérieur.Maisaumoins,ellesavaitcequ’ellevoulait.Etquandellevoulaitquelquechose,ellefaisaittoutpourl’obtenir.

Aprèsavoirrangélesderniersingrédients,ellequittalemagasin.Entournantaucoindelarue,elleaperçut lechauffeurdeCamqui l’attendaitdevantsavoiture.John luiouvrit laportièreet lui fitsigned’entrer.Elles’installaensoupirant.Ellen’étaitpasobstinéeaupointderefusercecourttrajetjusqu’àsonappartement.Parailleurs,depuisquesonventre s’étaitmisà s’arrondirde jouren jour, la stationdeboutluiétaitdevenuelégèrementpénible.

Johnladéposadevantchezelleetlapriadeluidonnersonemploidutempspourlelendemain.Elles’exécutaetlesaluaavantdesedirigerversleporchedesonimmeuble.

Soudain,elle s’aperçutquequelquechoseétaitposésur lesmarchesduperron.Ens’approchant,elledistinguaungrandpanierornéd’unrubanbleu.Unpeuperplexe,elle lesoulevapour le regarder.Unepetiteenveloppeàsonnomyétaitaccrochée.Deplusenplusintriguée,ellerentrachezelle,déposalepaniersurlatablebasseets’empressad’ouvrirlalettre.Troismotssedétachaientsurlepapier:

«Pardonne-moi.Cam»Ellesemitàfouillerdanslepanieretydécouvritunminusculepyjamableu.Emueauxlarmes,elle

neputs’empêcherdesourire.C’étaitadorable.Lepremiervêtementdesonenfant.Lepaniercontenaitégalementunoursenpeluche,unepetitecasquettedebase-ball,etdeuxbillets

pourleprochainmatchdesYankees.SiCamavaitétélà,elleseseraitjetéeàsoncouetauraittoutoublié.C’estpourquoielleétaitravie

qu’ilnesoitpaslà.Car elle avait une fâcheuse tendance à semontrer trop indulgente avec lui, trop gentille.Elle ne

pouvaitpascontinuerdesupportersesmonstrueuxchangementsd’humeurà laDocteurJekylletMisterHyde.

Pourtant,l’idéedeluifairedumalluibrisaitlittéralementlecœur.Ilavaitcinqmoispoursedéfairedel’idéequeleurfilsallaitprendrelaplacedel’enfantqu’ilavaitperdu.Celadevraitsuffire.

Ilfaudraitquecelasuffise.—Oh!Cam…,murmura-t-elle.Maisqu’est-cequejevaisfaire?Ellenepouvaitquevivreaujourlejouretespérerqu’ilfinisseparchanger.Pourépargneràson

enfantladouleurd’unpèrequinevoudraitpasdelui.

-14-

Legrandjourétaitenfinarrivé,etPippaétaitplusnerveusequejamais.Elleétaitrestéedebouttoutelanuitàcuisiner,nettoyer,ranger.Ets’angoisser.Heureusement,Carlyl’avaitaidéeetsoutenuejusqu’àl’aube.Ensemble,ellesavaientinsistépourqu’Ashleyrentrechezelleaudébutdelasoirée.Lapauvrepouvaitdésormaisaccoucherd’uneminuteàl’autreetellesemblaitépuisée.

Maistoutlemondeavaitpromisderevenirà9heuresdumatin,pourlagrandeouverturedeChezPippa.

—Tesprésentationssontmagnifiques!lançaCarly.Aquelleheurelesemployésdoivent-ilsarriver?

Pippas’essuyanerveusementlefrontd’unreversdemain.—Sitoutvabien,maintenant.J’auraispulesfairevenirdèshiersoir,maisjepréféraisfaireles

chosesmoi-même.Jevoulaisquetoutsoitimpeccablepourlepremierjour!—Tudevraistereposerunpeu,fitCarlyenriant.Tuasl’airépuisée.—Lerepos,ceneserapaspouraujourd’hui.Jenecomptepasfermerlapâtisserieavantlafinde

l’après-midietj’espèrebienquelasalleserapleineàcraquer.Camadéployébeaucoupdemoyensetd’effortspourassurer lapublicité.Espéronssimplementque jenedécevraipersonneetque lesclientsaimerontmacuisine.

—Jenevoispascommentquelqu’unpourraitnepasaimertacuisine!Laclochettedelaported’entréeretentit.Nerveuse,Pippaseprécipitadanslasalle.Laserveuseet

le commis de cuisine qu’elle avait embauchés venaient d’arriver. Profondément soulagée, elle leurexpliquacequ’ilsavaientàfaireavantl’ouverture.

Unefoisdébarrasséedecepoids,ellesedirigead’unpaslégervers les toilettes,pourserefaireune beauté.Une bonne douche chaude ne lui aurait pas fait demal,mais elle n’avait pas le temps derepasserchezelle.

—Pippa,tueslà?Surprise,elleentrouvritlaporteetaperçutCarlyetTabitha,arméesdetouteunesériedetrousses

detoiletteetautresvanity.—Onvas’occuperdetescheveuxetdetonmaquillage,annonçajoyeusementTabitha.Unsourireauxlèvres,ellepritplacesuruntabouretetlaissasesamiess’affairerautourd’elle.Peu

àpeu, lestresset lapanique laissèrentplaceà laquiétudeet lasérénité.Sonrêveallaitenfindevenirréalité.Leschosesnes’étaientpasdérouléesexactementcommeellel’avaitprévu,maissicelaavaitétéàrefaire,ellen’auraitrienchangé.

Déjà,elleaimaitsonenfant.D’unamoursifortqu’illasurprenaitelle-même.Elleluiparlaittouslesjours,elleluichantaitdeschansonslanuit.Elleluilisaitdeshistoires,lesoirsurlecanapé,aprèsseslonguesjournéespasséesàpréparerl’ouverturedelapâtisserie.

Cet enfant lui avaitdonnéunbutdans lavie.Pour lui, elle était encoreplusdécidéeà réussir, àdevenirunemamandontilpourraitêtrefier.Ellenesouhaitaitsurtoutpasluiinspirerlessentimentsqueluiinspiraitsamère,quisesouciaitplusdesonproprebonheurquedeceluidesonenfant.

Pendant la demi-heure qui suivit, Tabitha et Carly la dorlotèrent et la divertirent en bavardantjoyeusement.Commeelleavaitdelachanced’avoirdesamiesaussimerveilleuses!Ellesfaisaienttoutleurpossiblepoursoulagersanervositéetl’empêcherdetropanticiperlegrandmoment.Etelledevaitadmettrequeleurstratégiefonctionnaitplutôtbien.

AumomentoùCarlyétaitentraind’appliquersursescilsladernièrecouchedemascara,laportes’ouvritsurAshleyetSylvia.

—Pippa,viensvoir!s’exclamaAshleyenl’attrapantparlamainetenlatraînantversl’extérieur.Quandellearrivadanslasalle,Pipparestaunmomentbouchebée,souslechoc.Desclients.Ilyavaitdestasetdestasdeclients!Tousattroupésdevantlavitrine,n’attendantplus

qu’elleouvreetlesaccueille.Encontemplantcespectaclequidépassaitdeloinsesespérances,ellesentitleslarmesluimonter

auxyeux.—Jet’interdisdeficherenl’airmonmascara!murmuraCarlyàsonoreille.Acesmots,elleéclataderireetallaserrerdanssesbraschacunedesesamies.Quelquesminutesplustard,lemagasinouvraitpourlaisserentrersespremiersclients.Et,pendant

lestroisheuresquisuivirent,lapâtisserienedésemplitpas.Il devait être midi quand, en levant les yeux, Pippa vit Cam passer la porte d’entrée. Pendant

quelques secondes, il sembla la chercher dans la foule. Et, tout à coup, il fixa son regard sur elle ets’approchaducomptoird’unpasdécidé.

—Vas-y,luimurmuraAshley.Jem’occupedelacaisse.—Tuessûre?répondit-elle,hésitante.Çafaitlongtempsquetuesdebout.Tudevraisplutôtaller

faireunepause.Ashleysourit.—Premièrement,jem’amusecommeunefolle.Et,deuxièmement,jepeuxmangertouslescupcakes

quejeveux.Jesuisdoncdoublementgagnante.Tupeuxpartirl’esprittranquille.Pippaluiadressaunsouriremalicieux,avantderejoindreCam.—Lesaffairesontl’airdemarcher,luilança-t-ilaussitôt.—Oui!Jen’arrivepasàycroire.Etdirequej’aipassétoutelanuitàm’angoisser…—Pourrais-jeavoiruncaféetquelquesminutesdetontemps?Ellejetauncoupd’œilàsesamies,quisemblaientbiengérerlasituationetqui,toutesensemble,lui

firentsigned’yaller.—O.K.Maisquelquesminutesseulement.Elle versa àCam une tasse de café, qu’elle s’empressa de poser sur un plateau, sur lequel elle

ajoutauncookie,uncroissantetuncupcake.Puiselleleconduisitverslebureauquisetrouvaittoutaufonddumagasin.Aprèsavoirrefermélaportederrièreelle,elles’assitdansl’undesfauteuils.Ouplutôt,s’écrouladansl’undesfauteuils.

—Jecroisquejenevaisjamaisréussiràmerelever,grommela-t-elle.Ilpritunairsoucieux.—Quandas-tudormipourladernièrefois?Tuaspassétoutelanuitici?

—Oui, toute la nuit, répondit-elle d’un air penaud. Et je n’ai pas dormi depuis un bon bout detemps.

—Tudevraistereposer,dit-ilgentiment.Cen’estbonnipourtoinipourlebébé.—Jenetelefaispasdire.C’estpourçaquej’aiprévuderentrerdirectementàlamaisonaprèsla

fermeture,pourpouvoirdormirunebonnedouzained’heuresavantderéattaquer.Il garda le silence quelques minutes. Comme s’il réfléchissait à ce qu’il allait dire. Ses lèvres

étaientcloses;sesmâchoires,serrées.—Jevoulaisvoircommentçasepassait.Mais,surtout,jevoulaisencoretedireàquelpointjesuis

désolédecequis’estpasséàlaclinique.Jefaistoutmonpossible,Pippa.Tunemecroissansdoutepas,maisj’essaiedetoutesmesforcesdesurmonterleproblème.

Son regard troublé laissait entrevoir une telle vulnérabilité que, sentant son cœur fondre, ellepréférachangerdesujet.

—Goûte-moicettemerveille,dit-elleenluitendantlecupcakequisetrouvaitsurleplateau.Ilregardad’unairsuspicieuxlapâtisseriegarniedecrèmerosebonbon.Profitantdecesquelques

secondesd’hésitation,ellesehâtadepasserundoigtdanslacrème,qu’elleétalad’ungestevifsurleslèvrespleinesdeCam.

Sous le coup de la surprise, il eut unmouvement de recul, mais, instinctivement, il se passa lalanguesurleslèvres.Aussitôt,ungrandsouriresedessinasursonvisage.Ilattrapalecupcakeetmorditdedans.

—Eneffet,c’estunemerveille.Est-cequeçaveutdirequejesuispardonné?—Ehbien,toutdépenddel’endroitoùtuvasm’emmenerdînercesoir.Jemeursdefaimetj’aiune

enviefolledemangerunsteak.Jecroisquejesuisentraindefaireuneoverdosedesucre,àforcedegoûtermespâtisseries.Moietlebébéavonstrèsenviedevianderouge.

Ilparutsoulagédelasubtilitéaveclaquelleelleavaitfaitavancerlasituation.—Très bien, répondit-il d’une voix basse. Je vais réserver pour 19 heures, afin que tu puisses

rentrer tôt. Jeviendrai te chercher à la fermeture, je te ramènerai à tonappartement, si tu souhaites techanger,etpuisnousironsdîner.

—Çam’atoutl’aird’unsuperplan,fit-elleensouriant.Ilselevadesonsiègeetluitenditlamainpourl’aideràfairedemême.—Tuasfaitunexcellentboulot,Pippa.Et,àenjugerpartouscesclientsquinecessentd’alleret

venir,jenesuispasleseuldecetavis.Jesuissûrquetuvasréussir.—Mais je te dois beaucoup. Si tu ne m’avais pas déniché cet endroit, je serais probablement

encoreentraindechercherunlocal.—Jesuisravid’avoirput’aider.Tuasunimmensetalentet tuasfaiténormémentd’effortspour

réussir.Leurrelationavaitprisuntournantdifférent.Ilyavaitdésormaisentreeuxcommeunecertainegêne,

une légère maladresse. Et la complicité et l’amitié qu’ils avaient réussi à nouer au cours des moisprécédentsmanquaientàPippa.Oui,cemalaisequ’ilyavaitentreeuxladérangeaitvraiment.

Tâchantdenepasparaîtretropaffectéeparlasituation,ellelepritrapidementdanssesbras,avantdelereconduireverslasalle,oùlesclientscontinuaientdes’amasser.

Devantlecomptoir,ilhésitaquelquesinstants,puisdéposasursajoueuntendrebaiser.—Jeserai làdansquelquesheures,murmura-t-ilà sonoreille.Essaiedenepas trop te fatiguer,

d’accord?Enleregardants’éloigner,elleneputs’empêcherdeposersesdoigtstremblantssursajouequeses

lèvresvenaientd’effleurer.

Lefroidetlechaud.Elle n’arrivait jamais à savoir où il en était, ce qu’il ressentait, et cela commençait vraiment à

l’agacer.La seule chose dont elle était certaine, cependant, c’était qu’elle ne comptait pas l’attendre

éternellement.

-15-

AuvolantdesonEscalade,Camralentitlégèrementenpassantdevantlapâtisserie.Al’intérieur,leslumièrescommençaientàs’éteindre.Lesderniersclientsavaientdûs’enaller.AprèsavoircomposélenumérodePippa,ilbifurquaàgauche.

—J’arrivedansuneminute,déclara-t-elleendécrochant.Lesondesavoix,affaiblieparunefatiguemanifeste,déclenchaenluitoutessortesd’émotions.—Prendstontemps,jefaisletourdupâtédemaison.Jem’arrêteraidevantlemagasinquandjete

verrai.Enfait,ilétaitanxieuxàl’idéedelarevoir.Quelquechosen’allaitpas,lessentimentsqu’ellelui

inspiraitétaienttoujoursaussicontradictoires−etdérangeants.D’uncôté, iln’avaitaucuneenviedese rapprocherd’elle.Elle le rendaitnerveux.Quandelle le

regardait,ilavaitl’impressionqu’ellepouvaitlireenlui,malgrélafaçadequ’ilavaitmistantdetempsàsecomposer.

Mais,enmêmetemps,quandilétaitloind’elle,neserait-cequ’uncourtinstant,ilétaitinquiet.Ilsedemandaitsansarrêtsielleallaitbien,sielleavaittoutcedontelleavaitbesoin,sielleétaitensécurité.Etildevaitadmettrequ’ilressentaittoutsimplementlebesoindelavoir.

Il fallait absolument qu’il fasse quelque chose pour surmonter sa douleur, pour aller de l’avant.Maisquoi?Quelleactionpeut-onentreprendrepourcesserdesouffriretneplusêtreparalyséparlapeurdeperdreunesecondefoisl’êtreaimé?

Ces questions, il n’en connaissait pas les réponses. Et tant qu’il ne les aurait pas résolues, leschosesnepourraientjamaisfonctionnerentrePippaetlui.

Elleavaitbeauméritersesexcuses, iln’aurait jamaisdû les luiprésenter. Ilauraitdû laisser leschosestellesqu’ellesétaient,nepaschercheràapaiserlacolèrequ’illuiavaitinspirée.Oui,celaauraitétébienmieuxainsi,pourluicommepourelle.Unerupturenette,sansremords,sansrécriminations.Sanspossibilitédetoutrecommencerpourtoutdétruiredenouveau.

Maisilavaitenviedelavoir.Ilavaitenvie…ilavaitenvied’elle.C’étaitégoïstedesapart,biensûr,maisilneparvenaitpasàréprimerledésirqu’iléprouvaitpourPippa.Ledésirdelaposséder,maisaussi,toutsimplement,ledésird’êtreensacompagnie.Dèsqu’elleapparaissaitdevantlui,ilsesentaitsubmergéparquelquechosequiressemblaitàunevéritablevaguedebonheur.

Ilralentitdevantlapâtisserie.Ellel’attendaitdevantlaporteetleventsoufflaitdanssescheveuxsombres.Commeelleétaitjeune,radieuse,etbelle!

Elleaccourutvers lavoiture,unemainposéesursonventre.Unefoisà l’intérieur,ellese tourna

verslui,unsouriretoujoursaussiradieuxauxlèvres.—Tunepeuxpast’imaginercommeçafaitdubiendes’asseoir!s’exclama-t-elle.Toutenredémarrant, il l’écoutaparleravecenthousiasmedesa journée,etde l’immensebonheur

qu’elleluiavaitprocuré.Cam sentait son sang bouillir d’un désir intense, profond. Il avait désespérément envie d’elle,

malgrétousleseffortsqu’ildéployaitpoursemontrerindifférent.Toutàcoup,uneidéeluitraversal’esprit.Pourquoipasserdelonguesheuresdansunrestaurant?

C’étaitabsurde:Pippaavaitl’airfatiguée;quantàlui,ilétaitimpatientdel’avoirpourluitoutseul.—Changementdeprogramme, luidit-ilsimplementenbifurquantsur lagauchepourreprendrele

chemindel’appartementdePippa.—Qu’est-cequisepasse?demanda-t-elle,manifestementtrèssurprise.Tumelaissestomber?Ausondesavoix,ilcompritquecetteéventualitéluiparaissaittrèsdécevante.Cequiluitiraun

petitsouriredesatisfaction.—Loindelà.Voilàleplan: jeteramènecheztoi, tumetslespiedssouslatablependantqueje

nouscommandelemeilleursteakdetoutNewYork.Aprèsça,éventuellement,jeteproposeraiunpetitmassage.Etenfin,jeteferail’amourjusqu’àcequetut’endormes.

Ellerestaquelquessecondessansvoix.—D’accord,finit-ellepardire.Satisfait,ilreportasonattentionsurlaroute.Toutétaitabsolumentparfait.

***

Quand Pippa ouvrit la porte de son appartement, l’ambiance était torride, lourde de désir. Ellen’osaitmêmepasleverlesyeuxversCam.Elleavaitlesentimentqu’ilpouvaitlireenellecommedansunlivreouvert.Or,ellesavaitqu’ilétaitopportundetoujoursgarderunepartdemystèreaveclui.

Mais,detouteévidence,cen’étaitpasdemystèredontilavaitenvie.Et,dèslemomentoùilavaitexposésesplanspourlasoirée,elleétaitdevenueunbrasierardent,brûlantdedésiretd’impatience.

Elletraversaleséjour,etconstataquesonpasétaitpluslégerqu’ilnel’avaitétédurantlajournée.Lafatigueavaitdisparuetellesesentaitpleined’énergie.Prête.

Chaquefoisqu’il regardaitdanssadirection,ellesentaitdepetitsfrissons luiparcourir lecorps.Celaluirappelaitsontoutpremierrendez-vous,sontoutpremierbaiser,lapremièrefoisqu’elles’étaitmisenuedevantunhomme.

—Tudevraist’asseoirpourtedétendreunpeu,ditCamd’unevoixdouce.Jevaistéléphonerpourpasserlacommande.Tuveuxboirequelquechose?

Toutescesattentionscommençaientàlaperturbersérieusement.Elleappréciaitvraiment,vraimentbeaucoupcenouveauCam.Etelleavaitpeurdes’yhabituer.

En réalité, cen’étaitpascommes’ilne s’était jamaismontrégénéreuxenverselle.C’étaitmêmeplutôt l’inverse.En règlegénérale, il faisait toutcequ’ilpouvaitpourcombler sesbesoins,mais il lefaisaitdefaçonaussiimpersonnellequepossible.

Or, ce soir-là, ces attentions semblaient extrêmement personnelles. S’agissait-il d’un moyensupplémentaire de la convaincre de se plier à ses projets lascifs ou d’une tentative sincère de serapprocher d’elle ? C’était difficile à dire, car son comportement avait toujours été pour elle unevéritableénigme.

— Je vais prendre un peu d’eau, finit-elle par répondre en s’installant sur le canapé. Il y a unebouteilledansleréfrigérateur.

Elleétenditsesjambes,laissantéchapperunsoupir.Puis,tandisqueCamfuretaitdanslacuisine,ellefermalesyeux.Uninstantplustard,ilrevenaitdansleséjouravecunverred’eau.

—Merci.—Derien,répondit-ilavecunsourire.Tudoisêtrecontentedesoufflerunpeu,aprèscettejournée

couronnéedesuccès!Ils’assitdanslefauteuilquisetrouvaitjusteàcôtéd’elle.—C’estengrandepartieàtoiquejeledois,voireintégralement.—J’aiétéravidetefournirlelocal,dit-ilensecouantlatête,maisc’estàtontalentetàtontravail

quetudoistonsuccès.—Merci,fit-elleenrougissant.Ilplaçanonchalammentsesmainsderrièresanuque.—Est-cequetuasdéjàpenséàcequetuallaisfairequandlebébéseraitné?—Qu’est-cequetuveuxdire,parlà?—Est-ce que tu comptes continuer à travailler ou engager quelqu’un pour te remplacer, afin de

pouvoirt’occuperdenotrefils?Bouleverséeparl’évocationdeleurenfant,Pippamituncertaintempspourrépondre.—Jen’aipasencoreprismadécision.Toutdépendradelafaçondontlesaffairesmarcheront.Je

verraisijepeuxmepermettred’engagerquelqu’unsurlelongterme.Mais,quoiqu’ilensoit,ilfautqueje commence dèsmaintenant àme chercher un remplaçant et à lui apprendremes recettes, pour qu’ilpuisselesréaliserpendantmoncongématernité.Carjen’aiaucuneintentiondefermerlapâtisserieavantouaprèsmonaccouchement.

—Jecomprends.Situmelepermets,jecroispouvoirt’aider.Nousavonsbeaucoupd’excellentschefs pâtissiers dans nos différents hôtels, et je suis sûr que nous pourrions en débaucher un pourquelquessemaines.

Surprise,elleledévisageaquelquesinstants.—Cam,tumeparlesdepâtissierstravaillantdansdeshôtelscinqétoiles.Jen’aiabsolumentpas

lesmoyensd’engagerlestypesquitravaillentpourtoi,neserait-cequepourquelquessemaines.—Allons,ceneseraitquetemporaire.Ellesoupira.— Je ne peux pas toujours m’appuyer sur toi, Cam. Qu’arrivera-t-il, le jour où tu arrêteras de

m’aider?—Maisjenecomptepasm’arrêter,dit-ilenfronçantlessourcils.—Unjouroul’autre,illefaudrabien.Cam,tudoismelaisservolerdemespropresailes…La conversation fut interrompue par un coup de sonnette. L’espace d’un instant, Pippa crut qu’il

allaitprotester,maisilselevasansmotdirepourouvrirlaporte.Ilrevintquelquessecondesplustard,suivi d’un livreur. Celui-ci déposa deux assiettes recouvertes de cloches sur la table basse, avant dequitterl’appartement.

—Çasentdrôlementbon!s’exclamaPippa.Unsourireaux lèvres,Camserapprochade la tableetsouleva lesdeuxcloches.Après luiavoir

verséunverred’eaufraîche,illuitendituncouteauàsteaketunefourchette.—Bonappétit!Ilavaitcommandédufilet,etilsemblaittendrecommedubeurre.Engoûtantlapremièrebouchée,

ellefermalesyeuxdecontentement.—C’estbon?luidemanda-t-il.—Jen’aipasdemotpourledire.Lemeilleursteakquej’aiejamaisgoûté.

Ils mangèrent dans un silence paisible, qui ne fut occasionnellement rompu que par de brefstintementsdecouverts.Cestempsderniers,Pippaavaitl’impressiond’êtredevenueinsatiable.

Lorsqu’ils eurent terminé leurs assiettes, Cam vint s’asseoir à côté d’elle. D’un geste preste, ilattrapasonpiedgauche,dontilsemitàmasserdoucementlaplante.Ellesedétenditaussitôt,etlaissaéchapperunlongsoupirquandellesentitleplaisirserépandreparvaguesdanstoussesmuscles.

—Faisattention,jerisquedeprendregoûtàcemassage,murmura-t-elle.—Tu l’asbienmérité, après la journée éreintanteque tu aspassée.Tu es restéedebout toute la

journée,tudoisavoirmalauxpieds.Elleacquiesça.—Bien,reprit-il.Alors,maintenant,détends-toietlaisse-moiprendresoindetoi.Commentaurait-ellepurefuserunetelleproposition?Elleétaitassisesursoncanapé,aprèsavoir

dégustéundélicieuxsteak,etl’hommeleplusbeaudelaterreétaitentraindeluimasserlespieds.—Tutesouviensdecequejet’aipromis?fit-ild’unevoixrauqueetsensuelle.Ellesecontentadehocherlatête.Alors,unsourireauxlèvres,ilattrapasachevilled’unemainet,

de l’autre, semit à caresser langoureusement sa jambe.Ladouce chaleur qui sedégageait de sapeausembla se répandre lentement dans tout son corps, et elle ferma les yeux pour mieux savourer cettedélicieusesensation.

—Nousironsaulitdèsquetuenaurasenvie,acheva-t-il.Illadévisageaunlongmoment,commepourdéterminersielleétaitprête.Detoutesavie,ellenel’avaitjamaisétéàcepoint.

-16-

QuandCam luiprit lamainpour l’inviterà se lever,Pippa sentit soncœur s’emballer. Il l’attiraprès de lui et, pendant un instant, leurs deux corps se touchèrent. Sa chaleur l’enveloppa tout entière,avant de se déverser en elle en vagues voluptueuses. Alors, doucement, il glissa ses doigts dans sescheveuxetsepenchaversellepourl’embrasser.

Seslèvresnefirentqu’effleurerbrièvementlessiennes,maislesdélicieusessensationsqu’ellesluiprocurèrent se répandirent jusqu’au bout de ses orteils. Puis il s’écarta lentement d’elle, son soufflehaletantrésonnantdanslesilence.

—Oùesttonlit?luidemanda-t-ild’unevoixchaudeetsensuelle.Elle tentadedégager samainde la siennepour leconduirevers lachambre.Mais il resserra sa

poigneet,desonpouce,semitàmassersensuellementlapeausensibledesonpoignet.Lesjambestremblantes,ellemontaavecluilesquelquesmarchesquimenaientàlapetitealcôveoù

setrouvaitsonlit.Puiselles’arrêta,hésitante,sedemandantcequeCamavaitexactemententête.Ilréponditàsesinterrogationssilencieusesenlaprenanttendrementdanssesbrasetenl’asseyant

surlereborddulit,avantd’entreprendrededéboutonnersonhaut.Un instant plus tard, il s’agenouillait devant elle et faisait lentement glisser lesmanches de son

chemisier le longdesesbras,dévoilantsonsoutien-gorgededentelle.Alors,sonregardglissavers lepetit renflement de son ventre et, tout à coup, il s’immobilisa. Elle retint son souffle, craignant unenouvelleréactiondeblocage,mais,àsongrandétonnement,ilappuyadoucementsajouesursonventreettournaseslèvresverssapeautenduepourydéposerundouxbaiser.

Bouleversée,elleprituneprofondeinspiration,avantdefaireglissersesdoigtsdanssachevelure,enungesteaimant.

Lentement,ilseredressaetlasoulevalégèrementdulitpourpouvoirluiretirersonpantalon.—Je t’aipromisunmassage,murmura-t-ild’unevoixsensuelle.Mais jecroisquec’estmoiqui

vaisyprendreleplusdeplaisir.Ellelui jetaunregarddubitatif.Lesimplefaitdesentirsesmainssursoncorpsétaitpourellela

choselaplusdélicieusequipuisseexister.Ill’allongeasurlecôté.Puisildégrafasonsoutien-gorgeetfitlentementglissersaculottelelongdesesjambes,avantdelaluiretirer.

L’espacedequelquessecondes,ils’écartad’ellepoursedéshabiller.Soncorpsétaitmince,maismusclé;sapeau,lisse.Unphysiquejusteassezbrutpourmettretoussessensenémoi.

Ensuite,ils’agenouilladerrièreelle.Etquandellesentitsamainglisserlelongdeseshanchespuiss’attardersursondosetsesépaules,elleneputs’empêcherdefermerlesyeuxetdesoupirerdeplaisir.

Sabouchesuivit,sepressantdélicatementcontresanuqueavantdeglisserlangoureusementlelongdelacourbedesesépaules,luitirantdelongsfrissons.

Ilsemitàluimasserdoucementledos,sensuellement.Lesyeuxtoujoursfermés,ellen’arrivaitplusàpenseràriend’autrequ’auxmerveilleusessensationsqueluiprocuraientsesmainsexpertes.

Iltravaillaméthodiquement,couvrantchaquecentimètrecarrédesapeau.Puisildescenditverssesfesses,dontilmoulasensuellementlesdeuxglobes,avantdeprolongersacaresseverssescuisses.

Alors,illafitdoucementroulersurledosetcommençaàdétendresesmuscles,unàun.Al’aidedemouvementshabiles,experts,ildescenditlentement,trèslentement,jusqu’àseschevilles,etpuissemitàluimasserlepied.

Elleavaitl’impressiondeflotter,d’êtresurunpetitnuage,dansunparadisdesensationschaudesetvoluptueuses. Quand il se mit à embrasser la plante de son pied, elle eut l’impression qu’elle allaitperdrelaraison.C’étaitlasensationlaplusérotiquequ’elleaitjamaisconnue.Cethommesavaitdonneràchacunedesescaressesunaspectincroyablementexcitantetsensuel.

Ilpassaàsonautrejambe,mais,àcemoment-là,elleétaitàpeineconscientedecequisepassait.Elleavaitàsadispositionunhommesplendide,entièrementdévouéàsonplaisir.Laissantéchapperunsoupir de satisfaction, elle s’abandonna complètement au sentiment d’euphorie que lui procurait cetteidée.

QuandCamseredressadevantelle,elleouvrit lesyeuxet l’observa, lecœurbattant.Sonregardazurétaitrivéausien.Doucement,ilécartasescuisseset,avecunvaguesourire,ilsepenchaverssonintimitébrûlantededésir.

Aucontactde ses lèvres, elleneput s’empêcherdegémirdeplaisir. Ivrededésir, elle semit àondulerfrénétiquement.Maisillamaintenaitfermementenplace,lesmainsfixéessurseshanches.Desabouchechaudeetsensuelle,ill’embrassa,lacaressa.Lesmouvementsdesalangueétaientsihabilesetexpertsqu’elleavaitl’impressionqu’elleallaitdéfaillir.

Toutensecambrantdésespérémentfaceàlui,elleenroulasesdoigtsdanssescheveux.Ilenfonçasalangueplusprofondémentenelle, imprimantdesmouvements longset langoureux.Et, toutàcoup,ellesentitl’unedesesmainsquitterseshanchesetsesdoigtss’enfoncerenelle.

C’étaitplusqu’ellen’enpouvaitsupporter.Lecorpscambréàl’extrême,ellesentitsesmusclessetendrejusqu’àendevenirpresquedouloureux.Puisl’extasesemitàjaillirenelle,telleunebrèvemaistumultueuseexplosiondesensations.

Pendantquelesdernièresvaguesdeplaisirsedéversaientenelle,ilembrassatendrementsonsexe,ajoutant encore de la volupté auxmultiples sensations qu’elle goûtait. Sa bouche glissa sensuellementverssonventre, lecouvrantde tendresattentions.Sesmainsmoulèrent lepetit renflement,et ilyavaittellementderespectdanssescaressesque,denouveau,ellesentitsagorgesenouerd’émotion.

Elleavaitenviedecroirequ’ilavaitsurmontésonproblème,sondouloureuxpassé.Maiselleavaitpeurd’aborderlesujet.Ets’illarejetait?Néanmoins,ellenepouvaitpasattendreéternellementqu’ilsedécideàsebattrepourleuravenir.

—Dis-moisijetefaismal,dit-ildesavoixgrave.Pendantqu’elleétaitplongéedanssarêverie,ils’étaitpositionnéentresescuisses.Soucieuxdene

pasfairepesersonpoidssursonventre,ils’appuyasurlematelasetutilisasamainlibrepourguidersonérectionenelle.

Alors, sans cesser de la regarder, il s’enfonça dans son intimité. Toujours sous le coup de sonpremier orgasme, elle tressauta et laissa échapper un gémissement. Tandis qu’il la pénétrait plusprofondémentencore,ellebaissalespaupièresets’accrochainstinctivementàsesépaulesmusclées.

—C’esttrop?demanda-t-il.

Elleouvritlesyeux.Ill’observaittoujours,l’airinquiet.—Non,murmura-t-elle.Pasassez.Encore.Les pupilles de Cam se dilatèrent, ses mâchoires se serrèrent. Comme s’il avait du mal à se

contrôler,ilprituneprofondeinspiration.—Fais-moil’amour,Cam.Neteretienspas.Tunemeferaspasmal.Ill’embrassafougueusement,deseslèvresbrûlantesetavides,toutenimprimantunrythmedouxet

sensuelàleurétreinte,sebalançantcontreelle,l’emplissantdeplaisir.Ilsemontrapatient,lafaisantunenouvellefoislentementgrimpersurl’échelledel’extase.Ellesesentaitlégère,commeenveloppéeparlui.Ellesesentait…aimée.

Elleavaitbeausavoirqu’ilétaitparfaitementstupidedeselaisseralleràdetelssentiments,elleneputs’empêcherdes’immergerdanscemomentunique,oùtoutn’étaitquepureperfection.

Ellesentaitleplaisirmonterenelle,deplusenpluschaud,deplusenplusintense.Et,comprenantquel’extaseétaitàportéedemain,ellesecambraencorepourenréclamerdavantage.

—C’estparfait,chérie,murmura-t-il.J’adorelafaçondontturéagis,donttuesavecmoi…S’il savait. S’il savait à quel point elle était avec lui et avait envie de l’être ! Perdue dans les

brumesduplaisir,elledutsemordre la lèvrepourempêcher lesmots,cesfichusmots,desortirdesabouche.

Jet’aime.Fermantlesyeux,elleenroulasesbrasautourdesoncoupourl’attireràelle,siprèsquesachaleur

l’enveloppaitcomplètement.Toutàcoup,lestraitsdesonvisagesetendirent.Etillaissaéchapperunlongrâle.Submergéepar

unevaguedeplaisirintenseetardent,ellegémitenmurmurantsonnom.Leurscorpsondulèrentencoredansuneharmonieparfaitejusqu’àceque,serréscommejamais,ilsnefassentplusqu’un.

Pendantquelques instants, il restaau-dessusd’elle, sonpoidsne reposantque faiblement sur soncorps,puisilroulasurlecôté,l’emportantaveclui.Ellesentaitsoncœurbattrefrénétiquementcontresapoitrine.

Ilneparlapas,etelle,pasdavantage.Toutcequ’elleauraitpudiren’auraitfaitquebriserlamagiede cet instant unique. Quant à ce que Cam aurait pu dire, elle n’avait probablement pas envie del’entendre.Ilétaitbondelaisserleschosesreposerunpeu.

Ellefermalesyeux,sachantparfaitementque,quandellelesrouvrirait,ilneseraitpluslà.Commelesautresfois.Elleseréveilleraitdansunlitvide,lecœurplusvideencore.

Dans une tentative, qu’elle savait parfaitement vaine, de le garder avec elle aussi longtemps quepossible, elle enroula ses jambesautourde lui.Puiselle seblottit contre soncorpschaudet laissa lesommeillagagner.

***

Camseréveillaensueur,l’horreurdesonrêvetoujoursfermementmarquéedanssonesprit.Ilrestaquelques instants lesyeuxperdusdans lapénombre,à reprendresonsouffle.Cecauchemarsi familieravait,cettenuit-là,revêtuuneformeplusterrifianteencore.

L’accidentquiluiavaitprisColtonetElises’étaitrejouédanssonesprit,auralenti.Comme toujours, il avait éprouvé ce terrible et bouleversant sentiment d’impuissance : il savait

qu’ilnepourraitpaslessauver.Néanmoins,lecœurbattantàtoutrompre,ilavaitcouruverslevéhicule,priantdetoutsoncœurpouravoirletempsdechangerleschoses−deleurépargnerlamort.

Mais cette fois-ci, arrivé à la voiture, il n’avait pas trouvé Colton et Elise. C’était le visage

ensanglantédePippaqu’ilavaitaperçu,lederniercridedouleurdeleurnouveau-néqu’ilavaitentendu.Soudain pris d’un besoin urgent de fuir pour faire disparaître cette horrible vision, il se leva

brusquementdulit.Toujoursassoupie,Pippan’émitqu’unvaguemurmuredeprotestation.Il enfila ses vêtements aussi vite que possible et, dans son empressement,manqua de trébucher.

Enfin,ilseprécipitaverslaported’entrée,haletant,lecœurbattantàtoutrompre,ets’engouffradanslanuit.

Arrivéàsavoiture,ils’installasurlesiègeconducteuretrestaassisplusieursminutes,latêteentrelesmains,àessayerdeseremémorerlestraitsdesonépousebien-aimée.

Mais,chaquefoisqu’ilfermaitlesyeux,unseulvisagesedessinaitdanssonesprit.CeluidePippa.

-17-

Le lendemainmatin, Pippa se réveilla d’une humeurmaussade. Elle aurait pourtant dû se sentireuphorique : l’ouverture de sa pâtisserie avait été un véritable succès. Et elle avait passé unemerveilleusesoirée,etunenuitplusmerveilleuseencoreavecCam.Maisdès lemomentoùelleavaitouvertlesyeux,elleavaitsuqu’ilnesetrouvaitplusàsoncôté,cequil’avaitdéçueetfrustrée.

Quand elle ouvrit la porte de sa boutique, elle se sentait complètement abattue. Son commis decuisinenetardapasàarriver,heureusement,etilssemirentàtravaillerensembleensilence.

Elleavaitbesoindetempspourréfléchir.Elles’étaitmontréetropfaible,unefoisdeplus.Camétaittellementlunatiquequ’ilétaitentraindelarendrefolle.Vraiment,ilsnepouvaientpluscontinuercommeça.

Pourquoiluipardonnait-elletoutetn’importequoi?IlsuffisaitàCamdeluisourire,des’excuser,pourqu’elleretombedanssesbrasetlesuiveaulit.

Ellen’avaitpourtantjamaiseul’impressiondefairepartiedecesfemmesservilesetmanipulablesparleshommes!

Elle avait ouvert la pâtisserie depuis quelquesminutes à peine quand son téléphone sonna. Ellesouritenreconnaissantlamusiquequ’elleavaitattribuéeàAshley.Sonamieavaitvraimentledonpourluiremonterlemoral.

—Tu es bienmatinale, aujourd’hui, dit Pippa en décrochant.C’est le bébé qui t’a empêchée dedormir?

—Bonjour,c’estDevon.Ilavaitl’airpresséetsavoixétaitsitenduequ’ellesesentitaussitôtalarmée.—OùestAshley?— Nous sommes à la maternité, le travail a commencé. Ashley m’a demandé de t’appeler. Je

n’arrive pas à joindre samère et elle commence à paniquer. Je crois qu’elle a besoin de compagnieféminine.Apparemment…jel’énerve.

Ellesourit.—D’accord,Dev.J’arrivetoutdesuite.—Merci,Pippa,fit-il,visiblementsoulagé.Elle raccrocha et s’empressadedonner à ses employésunmaximumd’instructionspour gérer la

boutique durant son absence. Elle n’avait aucune envie de déserter son commerce un jour après sonouverture,maisellenepouvaitpaslaisserAshleyseuleencemomentoùelleavaittantbesoind’elle.

S’étantassuréequesesemployésl’appelleraientsilemoindreproblèmesurvenait,elleseprécipita

dehorsethélauntaxi.Biensûr,elleauraitpuappelerJohn,maisellen’avaitpasenvied’attendre.Elleétait très enthousiaste à l’idée de se trouver au côté d’Ashley en ce grand jour, même si l’idée del’accouchementenlui-mêmeavaittendanceàl’effrayer.

Avraidire,ellenes’étaitpasencorepréparéeàcetaspectdesagrossesse.Elleavaitmêmetoutfait pour rester dans une ignorance aveugle. Quand elle lisait des livres sur lamaternité, elle sautaitvolontairement tous leschapitresqui traitaientde l’accouchement.Elle savait toutdesneufmoisquiyconduisaient,était incollablesurcequiseproduisaitaprès lanaissancede l’enfant.Maiselle ignoraittoutdumomentcrucial.Oui,ilsemblaitbienqu’elleaitfaitunblocagesurcepoint.

Cequin’étaitpastrèsintelligentdesapart,certes.Maislesgensfontparfoisdeschosesétrangespoursedonnerducourage…

Unefoisarrivéeàlaclinique,ellefrappanerveusementàlaportedelachambred’Ashleyqu’onluiavaitindiquée.CefutDevonquiluiouvrit,etilparuttrèssoulagédelavoir.Elleentrad’unpashésitantetfutrassuréedeconstaterqu’Ashleyétaitassisedanssonlit,l’airassezdétendue.Quandellel’aperçut,sonvisages’illumina.

—Pippa!Jesuistellementcontentedetevoir!Elles’approchadulitpourserrersonamiedanssesbras.—Alors?Commentçava?Etcebébé?Quandest-cequ’ilsort?Ashleypritunairrenfrogné.—Cen’estpaspourtoutdesuite.Iln’estpastrèspressé.Jenesuisdilatéequedequatre.—Quatrequoi?demanda-t-elleenfronçantlessourcils.—Quatrecentimètres!—Ah…Ellen’avaitpasvraimentenviedesavoircequecelasignifiaitexactement,d’autantquecelaavait

l’airdouloureux.—Est-cequejepeuxfairequelquechosepourtoi,Ash?—Non,justeresterauprèsdemoi.JesuisentrainderendrecepauvreDevcomplètementfou.Il

faitdesonmieuxpourmefaciliterlatâche,maisjesuistellementdemauvaispoil…—Toi?Demauvaispoil?répéta-t-elleenriant.—Assieds-toi,Pippa,intervintDevonenpoussantunechaisederrièreelle.Ceseramieuxpourtoi

etlebébé.D’autantplusque,commevientdeledireAshley,ilyenapourunbonboutdetemps.Pippapritplaceàcôtédulitdesonamie,tandisqueDevoncontinuaitdefairelescentpasdansla

petitepièce.—Tuashâte?luidemanda-t-elledoucement.—Oui, réponditAshleyen soupirant,mais j’ai surtout la trouille. Je suisdéjàpresséequ’onme

fasselapéridurale.Nesachantquedire,Pippasecontentadelaregarderensouriant.—Etaussidesavoirsic’estungarçonouunefille,poursuivitsonamie.Jemedisaisqueceserait

vraimentsuperd’entendreledocteurdire:«C’estunpetitgarçon»ou«C’estunepetitefille».Maislà,j’avouequejenesuispasdutoutd’humeuràapprécierlessurprises.Quellesqu’ellessoient.

Pippa acquiesça. Naturellement, si elle-même avait choisi de ne pas savoir, Cam ne se seraitprobablementpas effondré commequ’il l’avait fait.Mais les choses auraient sansdoute été pires s’ilavaitdécouvertlesexedesonenfantlejourdesanaissance.Plusilauraitdetempspouraccepterlefaitqu’ilallaitavoirunautregarçon,mieuxceserait.Oudumoins,l’espérait-elle.

Tandis qu’elle songeait à tout cela,Devon était passé de l’autre côté du lit et, tendrement, avaitdéposéunbaisersurlefrontdesafemme.

—Çavaaller,Ash.Tutedébrouillestrèsbien.Ashleyleregardaavecamour,refletparfaitdeceluiquisetrouvaitdansledouxregarddeDevon.

Sentantsagorgeseserrer,Pippadétournalesyeux.Commeellelesenviait!Commeelleenviaitcequ’ilspartageaient ! Cam et elle n’avaient même pas encore discuté de sa présence ou non au moment del’accouchement.Elles’imaginaitbienqu’ilseraitlà,maisavecluiellenepouvaitêtresûrederien.

Sentantleslarmesluimonterauxyeux,elleselevabrutalement.— Je reviens tout de suite. Il faut que je passe un coupde fil, pour vérifier que tout va bien au

magasin.Ellesortitquasimentencourantdelapièceet,aprèsavoirrefermélaportederrièreelle,s’adossa

aumurducouloir,tentantenvaindeclarifiersavisionbrouillée.Auboutdequelquessecondes,ellesedirigead’unpasdéterminéverslasalled’attente.Là,elleseraitsansdouteplusàmêmedeseressaisir.Ilfallait qu’elle le fasse.Oui, il le fallait.Ashley avait besoind’elle, aujourd’hui.Elle se devait d’êtreforte.

***

Tout au long de la journée, les visiteurs allèrent et vinrent. Quelques heures après l’arrivée dePippa,lamèred’Ashleyseprécipitadanslapièce,désoléeetattristéedenepasavoirpuêtrecontactéeplustôt.PippafutraviedevoirMmeCopeland,quiavaitunvéritabledonpourremonter lemoraldesgens.

Tabitha, Carly et Sylvia firent également une apparition, mais ne s’attardèrent pas, l’espacedevenantdeplusenplusétroitàmesurequelesmembresdelafamillearrivaient.D’ailleurs,Pippaelle-même finit par se retrancher dans la salle d’attente, afin de dégager le passage, tout en restant à ladispositiondesonamieaucasoùelleauraitbesoind’elle.

Arrivéedanslehall,elles’installaconfortablementdansunfauteuil,attendantpatiemmentl’arrivéedu bébé. A mesure que les heures passaient, d’autres personnes vinrent se retrancher dans la salled’attente,oùl’ambiancefutrapidementfestiveetjoyeuse.

Ashley avait une famille nombreuse et on aurait dit que chacun de ses membres souhaitait êtreprésentpourl’accouchement.

Enysongeant,Pippaavaitlagorgenouée.Jamaislanaissancedesonenfantneseraitaccueillieparuntelenthousiasme.Commeildevaitêtremerveilleuxd’avoirunefamillesigrandeetsiunie!

Là,danscettepiècerempliedegenssympathiquesetchaleureux,ellenes’étaitjamaissentieaussiseuledesavie.

—Tuasmangéquelquechose,aujourd’hui?BrutalementtiréedesespenséesparlavoixdeCam,ellesursauta.Naturellement,elles’attendait

qu’ilsoitprésentpourlanaissancedufilsdesonmeilleurami,maisill’avaitpriseaudépourvu.Seretournantverslui,ellesecoualatête.—Viens,dit-ilenfronçantlessourcils.Ondescendàlacafétéria.—Ashleyvaaccoucherd’uneminuteàl’autre.Jenepeuxpasmanquerça.Fortheureusement,ilsemblaselaissergagnerparl’impatienceetl’agitationambiantes.—Jevaistechercherquelquechose,fit-ilsansinsister.Ilfautquetumanges.Comme elle haussait les épaules, il tourna les talons et quitta la pièce. Il devait se demander

pourquoielles’étaitmontréesi froide,car il luiparaissaitsansdoute toutàfaitnormalde l’avoirunenouvellefoisabandonnéeaprèsleursébats.Avait-ilseulementconsciencedel’étatd’espritdanslequelellesetrouvait?Unétatdeconfusionextrême,prochedelacrisedenerfs.

Unquartd’heureplus tard, il revenaitavecunebouteilled’eauetuneassietteenplastiquegarnied’uncouvercle.

—Merci,c’estparfait,dit-elle.Ettoi,tunemangespas?—J’aimangéavantdepartir.Ilpritplaceàcôtéd’elle,étendantseslonguesjambestandisqu’elleouvraitleplat.Lesspaghettis

aupainàl’ailn’avaientpasl’airmauvais,maisellen’avaitaucuneenviedemanger.Enfait,elleavaitl’estomacnoué.

Apeineavait-elleavaléquelquesbouchéesqueWilliamCopeland,lepèred’Ashley,arrivaitdanslapièce,unlargesourireauxlèvres.

—C’estunefille!J’aiunepetite-fille!Ces propos furent accueillis par une vague d’excitation et d’acclamations. Pippa se leva pour

rejoindre la troupe, qui convergeait versM.Copeland. Il y avait de grands sourires, de chaleureusesaccolades.Toutcequ’elleauraitaiméavoirpoursonpropreaccouchement.

Quelquesminutesplus tard,Devonapparutà son tour, tenantdans sesbrasunminusculebébé. Ilaffichaitunsouriresilargequ’ildevaitenavoirmalauxjoues.Camsedirigeaverssonami.Cam,qui,àsagrandeconsternation,affichaitunsouriresemblableentoutpointàceluideDevon.

Quandellelevitsepencherau-dessusdubébé,lesyeuxpétillantsdejoie,Pipparestaunmomentsouslechoc.Maislepireétaitàvenir:auboutdequelquessecondes,DevontenditlebébéàCam,quileprittendrementdanssesbrasetsemitroucouleretàluimurmurerdesmotstendres.

Elleavaitcrunepaspouvoirconnaîtreunesouffranceplusgrandequecellequ’elleavaitressentielejourdel’échographie.Mais,enobservant,pétrifiée,l’hommequil’avaitrepoussée,etavaitrepoussésonfils,tendrementpenchéau-dessusdecettetoutepetitefille,elles’aperçutqu’elles’étaittrompée.

Aprèscequi luiparutêtreuneéternité,Camremit lebébédans lesbrasdeDevon,qu’il félicitachaleureusement en lui tapant dans le dos.La pièce résonnait de bavardages joyeux et d’exclamationsadmiratives.Mais l’attention de Pippa était exclusivement concentrée surCam, qui souriait, qui avaitl’airheureux.

Etquiétaitmanifestementcapabled’aimer.Alors,pourquoirefusait-ildeleuroffrir,àelleetsonenfant,l’amourdontilsavaienttantbesoin?

-18-

Commentpouvait-elleresterlà,àfairecommesiderienétait,alorsqu’elleavaitl’impressionquequelquechoseétaitentraindemourirenelle?

Blesséecommejamais,Pippaprofitadel’ambiancesurvoltéepours’éclipserdiscrètement.Alorsqu’elle se dirigeait vers la sortie, elle croisa l’une des cousines d’Ashley, à qui elle demanda del’excuserauprèsde la jeunemaman.Unefoisdans l’ascenseur,ellese tournapour jaugerunedernièrefoisl’atmosphèredejubilationquirégnaitàl’autreboutducouloir.Etellesentitdeslarmesluiemplirlesyeuxquandelleappuyasurleboutondurez-de-chaussée.

Mais aumoment où les portes commençaient à se refermer,Cam leva les yeuxvers elle et leursregards se croisèrent. Le front plissé par l’inquiétude, il se précipita dans sa direction. Trop tard,l’ascenseurentamaitsadescente.

Commeilyavaitdeforteschancespourqu’ilselanceàsapoursuite,elles’empressadesortirdubâtimentettraversalarue,jugeantpréférabledemarcherquelquesminutesavantdehéleruntaxi.

L’airdusoirétaitfrais,bienquel’après-midiaitétéchaudetensoleillé.Oui,unejournéeparfaitepourlanaissancedelapetitefilled’Ashley.Leprintemps.Larenaissance.Unnouveaudépart.Laviequiredémarreaprèsunlonghiver.

Pourtant,danssonesprit,leprintempsétaitdevenusynonymed’agonie,dedésespoir.Peut-être était-elle en train de se montrer un peu trop dramatique, mais la souffrance qu’elle

éprouvaitétaittellequ’ellelaressentaitphysiquement.ElleaimaitCam,malgrésesnombreuxdéfauts.Commeelleauraitvouluqu’illuisourie,àellequi

portaitsonenfant,delafaçondont ilavaitsourià lapetitefilledeDevonetAshley.Elleauraitvouluvoirsonvisages’illuminerdevantlesien.Oui,s’illuminerdebonheur.

Or, jamais ilne s’était comportécommecela faceàelle.Danscette salled’attente, elleavait eul’impressionderegarderuneautrepersonne,unepersonnecomplètementdifférente.Etait-celàlafaçondont il seconduisait avec lesgensqu’il aimaitvraiment?Ashley lui avaitun jourconfiéqu’il s’étaittoujoursmontrétrèsgentil,etmêmetendre,avecelle.

Cequisignifiaitdoncqu’iln’étaitpasdistantavectoutlemondeouincapabled’amour.Toutétaitexactementcommeilleluiavaitexpliqué.Ilnevoulaitpasl’aimer,niaimersonfils.

Unsanglotjaillitdesagorgeaumomentoùellelevaitlamainpourhéleruntaxi.Leconducteurneralentitpas.Ellebaissalebrasetcontinuad’observerlarue.

Deslarmesluiroulaientsurlesjoues,maisellenesedonnapaslapeinedelesessuyer.Aquoibon?

Unautre taxiapprochaet ralentit.Elle indiquaavecpeinesonadresseauchauffeur,qui,avantderedémarrer,luijetauncurieuxregarddanslerétroviseur.

Son téléphone semit à sonner,mais ellene cherchamêmepas à le trouverdans son sac.C’étaitCam,cenepouvaitêtrequelui,etellen’avaitaucuneenviedeluiparler.

Elleapprochaitdesonappartementquandunenouvellesonnerie,celled’Ashley,semitàretentir.Soudaininquiète,elles’empressadedécrocher.

—Ash?—Pippa,c’estDevon.Unpeudéstabilisée,ellegardalesilencependantquelquesinstants.—Est-cequ’Ashleyetlebébévontbien?finit-ellepardemander.—Oui,maisc’estpourtoiquejem’inquiète.—Toutvabien,balbutia-t-elle, lavoixbriséepar l’émotion.Vraiment. J’espèrequ’Ashleyn’est

pastropdéçuequejesoispartie.Jemesuisjusteditqu’elledevaitêtreépuiséeetque,commeilyavaittoutesafamille,j’étaisunpeudetrop.

—Tun’esjamaisdetrop,Pippa,luiditgentimentDevon.On aurait dit qu’il savait exactement ce qu’elle ressentait. Qu’il était devant elle, en train de la

regarderpleurer.—Jevoulaisjustem’assurerquetuallaisbien,poursuivit-il.Jesais…jesaisqueçaadûêtredur,

pourtoi,devoirça.Jeveuxdire,Cam.Oui,Devonavaitparfaitementcernélasituation.Bouleversée,ellefermalesyeuxet,denouveau,

sentitdeslarmesbrûlantesluicoulersurlesjoues.—Jeteremerciedetesoucierdemoi,Dev.Maisjevaisbien,jet’assure.Tudevraisêtreentrain

de t’occuperd’Ashleyetde ta joliepetite fille.Dis àAshque jeviendrai lavoirdemain, sans faute,quandleschosesseserontunpeucalmées.Mais,tuasraison,jenepouvaispasrester.Jenepouvaispasvoirça.Ilfallait…Ilfallaitquejem’enaille.

—Jecomprends.Courage,Pippa.Siçapeutteconsoler,sachequ’àuneépoquej’étaistoutaussistupidequeCam.Etpuis,j’aieuuneillumination.J’aichangé.

—Merci, Dev. Je te laisse avec ta petite famille. Dis à Ash que je l’adore et que je passeraidemain.

—Faisattentionàtoi,Pippa.Situasbesoindenous,tusaisquenoussommeslà.—Jesais.Merci.Commeellearrivaitchezelle,ellepayalechauffeurets’empressadetraverserlaruepourrentrerà

lamaison.Une fois devant la porte, elle jetamachinalement un coupd’œil au téléphonequ’elle avaittoujoursàlamainets’aperçutqu’elleavecreçuplusieurstextos.TousdeCam.

Ledernier?

Pippa,réponds.Qu’est-cequisepasse?Est-cequetuvasbien?

Ellesortitsescléspourouvrirlaporte.Non,ellen’allaitpasbien.Ellen’avaitjamaisétéaussimaldesavie.

***

La journéedu lendemain futunvéritable testd’endurancepourPippa.Ellen’avaitquasimentpasdormi de la nuit, mais elle dut pourtant se lever aux aurores pour préparer ses pâtisseries avant

l’ouverture.Il y eut une fois encore beaucoup de clients, qui parurent tous très satisfaits, et dont certains la

couvrirentmêmed’éloges.Maistoutcelaneréussitpasàluiremonterlemoral.La seule chose qui rendit sa journée supportable fut l’absence de Cam, qui, contrairement à ce

qu’elleavaitcraint,neseprésentapasaumagasin.Aprèslafermeture,ellerentrachezelleetfitunelonguesieste.Oudumoins,essaya,carsonesprit

nes’apaisaitpas.Al’étatdeveilleoudesommeil,elleressassaitlesimagesdelajoieetdusourirequiavaientilluminélevisagedeCamlaveilleausoir.

Elleétaitexténuée,écœurée,àboutdenerfs.Ilétaittempspourelledeprendreunedécision.Ellenepouvaitplusresteràattendre,lesbrascroisés,qu’ilaitundéclic,qu’ilseréveilleetserendeenfincomptequesavien’étaitpasterminée.

Maisavanttoutechose,elleallaitrendrevisiteàAshleyets’excuserauprèsd’ellepoursonattitudedelaveille.Sesamispassaientavanttout.

Espérantquel’airfraisauraitsurelleuneffettoniqueetvivifiant,ellesortitsansmanteauethélauntaxi.Quandellearrivaàl’hôpital,l’heuredesvisitesétaitquasimentterminée.

Ellefrappadoucementàlaportedelachambre.Unesecondeplustard,Devonluiouvrait.—Entre,luidit-ilavecunsoulagementmanifeste.Sansunmot,illapritdanssesbrasetlaserrafortcontrelui.Jusqu’àcetinstant,elleignoraitàquel

pointelleavaitbesoinderéconfort,etelledutsemordrelalèvrepours’empêcherd’éclaterensanglots.Ellenepouvaitpasse laisseraller.Elleétait làpourvoirAshleyet lebébé,paspourpleurersursonépauleoucelledesonmari.

—Merci,murmura-t-ellecontrelapoitrinedeDevon.CommentvaAsh?—Valavoir,luirépondit-ilens’écartantdoucementd’elle.ElleestentraindenourrirKatelynn.Elle traversa lecouloirde lachambre.Alors,brusquement,elles’immobilisa,émerveilléepar la

visionquis’offraitàsesyeux:Ashley,lasijolieAshley,aveccetoutpetitbébéblottidanslesbras.Quandellel’aperçut,sonamieluiadressaunlargesourire.—Pippa!Approche.Vienslavoir.Regardecommeelleestbelle!—Tuluidonneslesein?murmuraPippaens’approchantdulitetenbaissantlesyeuxverslebébé.

C’estdifficile?—Un petit peu, au début, répondit Ashley en souriant,mais les infirmières ont été super. Elles

m’ontbeaucoupaidéeetKatelynnafaitlereste.Maintenant,c’estunevraiechampionne.Devonpoussaunechaiseàcôtédulitetluifitsignedes’asseoir.—Devm’aditqueCams’était encorecomportécommeun imbécile,hier soir,ditAshleyd’une

voixbasse.Pippasoupira.—Parlonsd’autrechose, si tuveuxbien.Cen’estpas lemoment, tuviensd’accoucher.Tuas le

droitdeprofiterdetonbébésansavoiràécouterlesjérémiadesdetacopine.LapetitecessadetéteretAshleysetournaverssonmari.—Tuluifaisfairesonrot?Devonprittendrementlebébédanssesbrasetallas’asseoirdanslefauteuilquisetrouvaitprèsde

lafenêtre.—Bon,ditAshleyencroisantlesbras,ànousdeux,maintenant.Ecoute,tuasuneminehorrible.Je

voisbienquetuesmalheureuse.Pippasentitsagorgesenouer,tandisquesesyeuxs’emplissaientdenouveaudelarmes.—Oui,c’estvrai,maisc’estmafaute.C’estmoiquimesuisfourréetouteseuledanscettesituation,

alorsquej’enconnaissaisparfaitementlestenantsetlesaboutissants.Etmaintenant,j’enpaieleprix.Ilfautquej’ailleluidirecequejeressens,Ash.C’eststupide,maisilfautquejelefasse.

Ashleyluipritgentimentlamainetlaserrafermementdanslasienne.—Qu’est-cequetuvasluidire?Pippaémitunpetitrireironique,dontlesonluiécorchalesoreilles.—Jevaisluidirequejel’aime.Sonamiehochalentementlatête.—Tuestellementpluscourageusequemoi.Tul’astoujoursété.—Peut-être,maistoi,tuesplusintelligente.Alorsonestàégalité.—Cen’estpasvrai.Bon,etquandtuluiaurasditquetul’aimes,àtonavis,qu’est-cequ’ilvase

passer?Ellesoupira.—Rien.Ilferacequ’ilatoujoursfaitetjepourraim’enaller.Mais,cettefois-ci,ceserapourde

bon.Jecroisquejedoisquandmêmeluilaisserunedernièrechance.Oumelaisserunedernièrechanceàmoi, jene saispas.Bref,quoiqu’il en soit, jen’aiqu’uneenvie, c’estd’en finir. Jenepeuxpas lelaissercontinueràsouffler lechaudet le froidcommeça. J’aiouvert lesyeux,hier soir. J’aicomprisqu’ilpouvaitêtreheureuxaveclesautres,maispasavecmoi.Etc’estçaquimefaitleplusdemal.

—Sijepouvaisfaireunsouhait…,ditAshley,lavoixpleinedecompassion.— Je sais, l’interrompit-elle.Mais les souhaits, c’est pour les contes de fées.Camn’est pas un

princecharmant,etnousnevivronspasheureuxavecbeaucoupd’enfants.AshleysemblaitêtreauborddeslarmesetladernièrechosequePippasouhaitaitétaitdetroubler

encoresonamie,àcemomentoùelleauraitdûêtreauxanges.Aussiseleva-t-ellepourlaprendredanssesbras,toutenluttantdetoutessesforcespoursourireetadopteruntonenjoué.

—JevaisvolercebébéàDevpouruneminuteoudeux,etpuisjevaistelaissertereposer.Sur ces mots, Devon lui plaça délicatement la petite dans les bras. Attendrie, elle se pencha

doucementverselle,étudiantminutieusementsestraitspoupins.Ellecaressasesdélicatscheveuxfinsetsoyeux.Puisellefitcourirsesdoigtslelongdesesminusculespaumesetobserva,fascinée,lespetitesmainsdubébéserefermersursonindex.

Et elle se sentit aussitôt conquise. Complètement sous le charme de cette petite fille. Ce qui luirappelalapremièrefoisoùelleavaitvusonfilssurl’écrandel’échographie.Lemomentoùétaitnécetamourinconditionnel,celienquinepourraitjamaisêtrerompu.

UnlienqueCam,quis’étaitenfuiàtoutesjambes,n’avait,hélas!pasréussiàétablir.ElleeffleuradeseslèvreslefrontdeKatelynn,avantdelatendreàAshley.—Elleestabsolumentparfaite,Ash.Tuasfaitdubonboulot.—Çavaaller,Pippa,réponditsonamieavecunsourire.Pippaacquiesça,parcequ’iln’yavaitriend’autreàfaire.—Abientôt,dit-elleentournantlestalons.—N’hésitepasàm’appelersituasbesoindequoiquecesoit,luiditDevon.Avecunhochementdetête,ellesortitdelachambre.Aprèsavoirjetéuncoupd’œilàsamontre,

ellerestaimmobileunlongmoment,adosséeaumurducouloir.Ilétaithorsdequestionqu’elledormecesoir.Pasavantd’avoirmisleschosesaupointavecCam.

Lemomentétaitvenu.Oui,ilfallaitqu’elleenfinisse.

-19-

Convaincre un chauffeur de taxi de l’emmener jusqu’àGreenwich avait été quasi impossible, etPippa savait que la course allait lui coûter une fortune. Le trafic était encore dense, malgré l’heuretardive,etletrajetluiparutinterminable.QuandellearrivaauportaildelavilladeCam,ilétaitminuitpassé.Elle n’étaitmêmepas sûre qu’il soit bien présent,mais elle le soupçonnait fortement de s’êtreretranchélà,danssatanière.Depuisquelquessemaines,ilsemblaitypasserdeplusenplusdetemps.

Commeellesehâtaitdepayerlacourse,Johnluiouvritlaported’entréeetlasalua,l’airsoucieux.—Camestici?demanda-t-elledoucement.—Oui.Ilestrentréilyauneheure,répondit-ilenluifaisantsigned’entrer.—Ilfautquejelevoie.Jevaisl’attendredanssonbureau.SanslaisseràJohnl’occasiondeprotester,elletraversaleséjourpourserendredanslebureau.La

pénombredanslaquellelapièceétaitplongéeavaitquelquechosed’inquiétant.Elle s’arrêta près de la fenêtre pour observer le paysage.Le ciel nocturne était clair, brillant de

milliersd’étoiles.Delapoussièredefée.Unmilliondevœux.Maisiln’yenavaitqu’un,unseul,qu’ellesouhaitaitvoirexaucé.

Soudain,laportes’ouvritderrièreelle.Ellefermalesyeuxpendantunbrefinstant.Quandelleseretourna,Camétaitaumilieudelapièce,deboutdanslenoir.

—Pippa?Il y avait de l’inquiétudeetde l’étonnementdans savoix. Il fit unpasdans sadirection,puis se

baissapourallumerlalampequireposaitsurunepetitetable,entredeuxcanapés.Aveugléeparcettesoudainelumière,elleclignadesyeux,avantdese tournerpudiquementsur le

côté, ne souhaitant pas le laisservoir cequidevait se lirede façon si évidente sur sonvisage.Mais,aussitôt,elleserenditcompteàquelpointcegesteétaitvain.Commentaurait-ellepudissimuleràquelpointelleétaitdévastée?

—Qu’est-cequinevapas,Pippa?Pourquoias-tufaittoutcecheminaumilieudelanuit?Sansplussesoucierdel’imagequ’ellepouvaitrenvoyer,elleseretournabrusquementversluipour

luifaireface.—Cam,jevaisessayerderendreleschosesaussiclairesquepossibles.Jet’aime.Il s’immobilisa, plus pâle que jamais. Sa réaction en disait long sur ce qu’il pensait. Mais

néanmoins,undoutesubsistait.Pippaavaitfaitbeaucoupdechemin,maisilfallaitqu’elleaillejusqu’aubout.Mêmesicettedémarcheneferaitsansdoutequel’humilierdavantage.

—J’aibesoindesavoiràquoijedoism’entenir,dit-elled’unevoixcalme.Tumedonnesparfois

l’impressiond’avoirdessentimentspourmoi.Oui,parfois,tutecomportescommesituétaisamoureuxdemoi.Etlaminuted’après,tutemontresfroidetdistant,ettumetraitescommesij’étaisuneétrangère.

—J’aiétéhonnêteavectoidèsledébut,répondit-ilaussitôt.Ellehochalatête.—Oui,sansaucundoute.Maistum’envoiesdessignauxcontradictoires.Tesactescontredisenttes

paroles.J’aibesoindesavoirsij’aiunechance,Cam.Ilfitminedesedétournerd’elle,cequilarenditfollederage.—Nemetournepasledos!cria-t-elle.Aumoins,accorde-moiça.Dis-moienfacepourquoitune

peuxpast’engager,pourquoitunepeuxpasm’aimer.Jesaisquetuasperdudesgensquetuaimais.Jecomprendstadouleur.Maisilest tempspourtoid’allerdel’avant.Tuvasavoirunenfant,unfils,quiaurabesoindetoi.

Ellefitunepauseetajouta,d’unevoixtremblante:—J’aibesoindetoi.Ilseretournaverselle,lesyeuxbrillantsdecolère.—Tucomprendsmadouleur?Jedoisallerdel’avant?Non,Pippa,tunecomprendspas.Tucrois

vraimentquejepeuxt’offrircedontturêves,unevieheureuseavecbeaucoupd’enfants?—Jetrouvesimplementridiculequetutesoisferméàl’amour,aprèscequetuasvécu.Ilserralesdents.Sonregardétaitplusglacialquejamais.— Il ne s’agit pas de cela, répondit-il d’une voixmorne. Je ne fais pas partie de ces gens qui

pensentqu’onnepeutvivrequ’unseulamour.Elleouvritlabouche,stupéfaite.Elles’étaitattendueàtout,saufàcela.—Alors,pourquoi?murmura-t-elle.Pourquoinepeux-tupasnousaimer,moietlebébé?Iltapadupoingsurlebureauetluijetaunregardsisombreetmauvaisqu’ellesentitunfrissonlui

parcourirledos.—Cen’estpasquejenepeuxpas,c’estquejeneveuxpas.Tum’entends,Pippa?Jeneveuxpas

t’aimer.Pendant quelques instants, elle resta immobile, pétrifiée par ce qu’elle venait d’entendre. Puis,

blessée jusqu’au plus profond de son âme, elle enroula ses bras autour de son ventre et fit un pas enarrière.

Lesmotsqu’ilprononçaensuiteétaientemplisdecolèreetdefrustration.—Sijenet’aimepas,jenesouffriraipass’ilt’arrivaitquelquechose.Sijenet’aimepas,riende

cequetupourraisdireoufairenemetouchera.Jeneveuxplusjamaisressentircequej’airessentiàlamortdeColtonetd’Elise.Tunepeuxpascomprendreça,etj’espèresincèrementpourtoiquetun’aurasjamaisàlecomprendre.

Elle resserra ses bras autour de son ventre, comme si elle pouvait ainsi atténuer l’insupportabledouleurquevenaitdeprovoquerenellecerejetprofond.

—Alors,tunousrepousses,moietnotreenfant,parcequetuaspeurdeprendreunrisque?dit-elled’unevoixdure.Tun’esqu’unmonstreinsensible.

— Exactement, répondit-il en pointant un doigt dans sa direction. Insensible. Je ne veux rienressentir.

Lafureurs’emparadePippa.C’enétaittrop.—Tun’esqu’unégoïste,unmanipulateurfroidetsanscœur.Maisqu’est-cequetuasfaitaucours

decesderniersmois?Situétaissidéterminéànepast’engagerdansunerelation,pourquoiest-cequetuascontinuédefairel’amouravecmoi?

Ilpritsubitementunaircoupable.Cequin’empêchanéanmoinspasPippadepoursuivre:

—Etjedevraisêtredésoléepourtoi?Jedevraiscompatiretessayerdepanserlesplaiesdetonpauvrepetit cœurbrisé, justeparcequequelquechosed’horrible t’estarrivédans lepassé? J’aiunenouvellepourtoi,Cam.Lavieestdure.Lavien’estparfaitepourpersonneettunefaispasexception.Ilpeutarriverdesdramesdanslaviedetoutlemonde,maislaplupartdesgenss’enrelèventetcontinuentdevivre,sanspourautantpiétinerleurentourage.

—Çasuffit!siffla-t-il.—Non.Visiblement,çanetesuffitpasettuvasécoutertoutcequej’aiàtedire.Tumedoisbien

cela.Unjour,tuleregretteras.Turegretterasdenousavoirtournéledos,àmoietaubébé.Tutrouverasquelqu’unquetuvoudrasépouserettuterappellerasquetuasunfilsquin’ajamaiseudepère,parcequetut’esmontrétroplâchepouraccepterlaréalité.

—Jenecroispasquema future femmese soucieradu faitque j’aipuavoirunemaîtresseetunenfantillégitime,répondit-ilsèchement.

Cesparolesluifirentl’effetd’unegifle.Souslechoc,ellerecula.LevisagedeCamdevintgris,et,commes’ilavaitcomprisqu’ilétaitallétroploin,ilavançavers

elle.Maiselle levaunemainpour l’arrêter.Elleétait sur lepointdecraquer. Iln’yavaitplusquesafiertéqui l’empêchaitde le faire.Etpuis, toutcelaétait tellementvain.Aquoibonéchangerdesmotshaineux,alorsquetoutcelanerésoudraitrien?

—C’estfini,dit-elled’unevoixfroide.Jeneveuxplusrienavoiràfaireavectoi,Cam.Jeneveuxnidetonsoutiennidetonargent.Etsurtoutpasdetaprésence.Jeneveuxpastesavoirprèsdemoioudemonenfant.Oui,carils’agitbiendemonenfant:situneveuxpasdenous,sachequenousn’avonspasbesoindetoi.

—Pippa…Ellesecoualatête.—Jeneveuxrienentendre,maisjevaistedireunedernièrechose.Lejouroùtuterendrascompte

quetuascommisuneterribleerreur,ehbien,jeneseraipluslà.Elleposasesmainssursonventreetpoursuivit:—Nousneseronspluslà.Carjeméritemieuxquecela.Jemériteunhommequimedonneratoutce

qu’ila,etpasseulementsonargentousaprotection.Etsurtout,monenfantméritemieux,bienmieux.Ilmériteunpèrequil’aimed’unamourinconditionnel.Quisedonneàfondpourlui,touslesjours.

S’arrêtantsur lepasde laporte,elleseretournapour lui jeterunderniercoupd’œil, ignorant laprofondetristessequ’ellelisaitdanssesyeux.

—Je t’aime,Cam. Jene t’ai jamais riendemandé, c’estvrai.Toutcomme il estvraique tu t’esmontré très clair depuis le début, et que c’estmoi qui ai changé les règles.Nous partageons donc laresponsabilitédecettedébâcle.Maiscen’estpasparcequej’aicommisuneerreurquejevaismepunirpourlerestantdemesjoursetenfairesouffrirmonenfant.Tusais,tupourraisavoirunetrèsjolievie,maistutecomplaistropdanstonmalheur.

Elle sortit et claqua la porte derrière elle. Arrivée à l’extérieur, elle se souvint qu’elle avaitdemandéauchauffeurdetaxidenepasl’attendre.Encoreunefois,elleseretrouvaitpiégéedanscettemonstrueusemaison.

—MademoiselleLaingley,puis-jemepermettredevousraccompagnerchezvous?Elleseretourna.Johnlaregardait,lesyeuxpleinsdecompassion.Fondantenlarmes,elleselaissa

guiderverslavoiture.

-20-

Cams’effondrasurlachaisedesonbureauetenfouitsatêteentresesmains.IlavaitsuiviPippadehorsetentenduJohnluiproposerdelaraccompagner.Etilavaitregardéla

voitureparcourirl’allée,jusqu’àcequesespharesdisparaissentdanslelointain.Combiende tempsétait-il resté là, abasourdi ? Il l’ignorait.Tout à coup, il s’était aperçuque la

porteétait toujoursouverteetquelevents’engouffraitdanslamaison.Unfrissonluiavaitparcourulecorps,maisl’airn’étaitpasfroid.Lefroidétaitenlui.Lamort.Ilrespiraittoujours,pourtantilétaitmortàl’intérieur.Etcedepuisbienlongtemps.

Aprésent,ilavaitdumalàrespirer,commesiunlourdpoidspesaitsursapoitrine.Ilsesentaitmal,cequin’auraitpasdûêtrelecas.Toutétaitfini,iln’yavaitplusdepossibilitédemalentendu.

Unerupturenette.Ilavaitfaitexactementcequ’ilauraitdûfairedepuisledébut.Alors,pourquoisesentait-ilaussiabattu?Aussidéprimé?Ilauraitdûsesentirsoulagé,ilallaitenfinpouvoirreveniràsonexistencedépourvued’émotions,oùiln’avaitpasàressentirdedouleur.

Saufqueriendetoutcelan’étaitvrai.Ilavaitmal,simalqu’ilavaitpeineàrespirer.IlavaitperduPippa.Etilressentaitactuellementl’émotionmêmedontilavaitlepluscherchéàseprotéger.Ladouleur

delaperte.Ladéceptionet lafrustrationquel’onéprouvelorsquel’onn’apasréussiàgarderunêtrecher.Oui,c’étaitcequ’ilétaitentraindevivredenouveau.Icietmaintenant.

IlavaitperduPippa.Ilavaitperdusonfils.Sonfils.Une petite vie innocente et précieuse.Un enfant quiméritait d’avoir lemonde à ses pieds, deux

parentsquil’aimaient,unpèrequileprotégeraitdetouteslesblessuresetdetouteslesdéceptionsdelavie.

Pippaavaitraison:ilétaitunvéritablemonstre,unmonstreinsensible.Enfin,passiinsensiblequecela,auvudecequ’ilressentaitencemomentmême.

QuandilavaitdécouvertcombienPippaétaitdévastée,combienilluiavaitfaitdumal,ilavaiteuenviedemourir.Elleétaitvenueàlui,lesyeuxemplisdedouleur,ets’étaitmiseànu.Elleavaittentésachance, tentédetoutremettreàplat,et ils’étaitmontréviolentavecelle,simplementparcequ’ilavaitpeur.

Commeilétaithumiliantdeconstateràquelpointilavaitétélâche!Ilavaitreçuquelquechosequelaplupartdesgensnereçoiventjamais.Unechosedontd’autresrêvent,pourlaquellecertainstueraient,même.

Unesecondechance.Unesecondechancedebâtirquelquechosedespécialetdemerveilleux.Pippaavaitétéuneboufféed’airfraisdansuneviequ’ilavaitcessédevivre.Certes, ilselevait

touslesmatins,respirait,maisilavaitcessédevivreilyabienlongtemps.EtPippaavait toutchangé.Dèslemomentoùil l’avaitaperçue,elleavait illuminésonexistence.

Grâceàsonsourire,sonrire,saforcedecaractère,sonassurance,sabeautéintérieure.Etsoncourage.Ensongeantàtoutcequ’elleavaitdûendurerseuleaucoursdecesderniersmois,ilsentitsoncœur

se serrer encore.Elle était jeune, elle avait desprojets : elle aurait pu avoirn’importequi,mais ellel’avait choisi, lui. Il l’avait mise enceinte, et elle avait tout assumé, tirant le meilleur parti de cettesituationdifficile.Elles’étaitbattuefarouchement,etcontinuaitdesebattrefarouchementpoursonfils.

Iléprouvaittellementd’admirationpourelleetsesentaitsihonteuxqu’ilnepouvaitmêmepasensupporterl’idée.Elleavaitraison.Ilnelaméritaitpas.

Pourtant,ilvoulaitgarderPippaauprèsdelui.Ilavaitétéridiculedes’imaginerneserait-cequ’uneseulesecondeque,enrefusantdes’engagerdansunerelationavecelle,ilpourraits’épargnertouteformedesouffranceémotionnelle.Ilavaittellementeupeurdelaperdrequesespirescraintesavaientfiniparseréaliser.Asapropreinstigation!Commeilavaitétéstupide!Etencore,lemotétaitfaible.

Ilselevabrusquementdesonfauteuil,frappéparl’évidence.Ilétaitamoureuxd’elle.Oui,ill’aimait.Illuiavaitmentietils’étaitmentiàlui-même.Ilavaitinventétoutessortesd’argumentsfallacieux

pourseconvaincreducontraire,carilnevoulaitpasl’aimer.MaisilaimaitbeletbienPippa,etilnepouvaitpasluttercontrecela.

Dèslors,ilneluirestaitplusqu’unechoseàfaire:s’excuser,lasupplieràgenouxdeluiaccorderunedernièrechance.

D’unpasprécipité,ilsortitdesonbureau,traversalacuisineetouvritlaportedugarage.Sanssesoucierdesonaspectphysiqueoudesvêtementsqu’ilportait,ilpritplacedanssonEscalade.

Ilallaitchezelle,ilallaitlaretrouver.Etilsemoquaitbienqu’ilfûtquatreheuresdumatin.Celanepouvaitpasattendre.Ill’avaitdéjàassezfaitattendrecommecela.

Ilavait falluuncourage incommensurableàPippapourvenirchez lui l’affronter, luidirequ’ellel’aimait,luiprésentersoncœurànu.

Etilsedevaitdeluirendrelapareille.Celaallaitêtrelachoselaplusdifficileàfaire,etenmêmetempslaplusfacile.Carilnepouvait

envisagerl’autreoption,celledevivrelerestantdesesjourssansPippaetsanssonfils…

***

Ereintée,Pippapoussalaportedesonappartement.Elleavaitmalàlatêteàforced’avoirpleuré.Sespaupièreslabrûlaient,sapoitrineétaitdouloureuse,etelleétaitengourdiedelatêteauxpieds.

Elle se sentait… perdue. Oui, elle ignorait tout de ce qui allait se passer désormais. SaconfrontationavecCamavaitrevêtuuncaractèresidéfinitif…Quedevait-ellefaire,maintenant?

Lasse,elleselaissatombersurlecanapéetfermalesyeux.Elleavaitbesoindedormir.Siaucunrêvenevenaitlatourmenter,ellepourraitpeut-êtres’évaderquelquetemps.

Entre l’ouverture de la pâtisserie, la naissance du bébé d’Ashley et toute la colère que lui avaitinspiréeCam,elleneserappelaitmêmeplusladernièrefoisoùelleavaitpasséunebonnenuit.

Poussantunprofondsoupir,elleétenditsesjambes,puisjetaunœilàl’écrandesontéléphone.Aïe!Ilfallaitqu’ellesoitdeboutdansdeuxheures.Laissantéchapperunnouveausoupir,elleréglal’alarme

etreposal’appareilsurlatablebasse.Puisellefermalesyeuxetlaissalesommeill’emporter.

***

Cenefutpas l’alarmedu téléphonequi tiraPippadusommeilprofondqui l’avaitgagnée.Quandelle ouvrit les yeux, il faisait une chaleur horrible et l’air était saturé de fumée. Désorientée par lapénombre et l’âcre odeur de brûlé, elle tenta de clarifier ses pensées avant de se lever d’un bond,horrifiée.

Elleétaitencercléeparlefeu,etilrégnaitdanslapièceunechaleurétouffante.Partoutautourd’ellesedressaientdehautsmursdeflammesorangéesetd’épaissefumée.Sidensequ’ellen’avaitplusaucuneidéedel’endroitoùellesetrouvait,nideladirectionàemprunterpoursortir,sitantestqu’ilyeûtunmoyendes’échapper.

Comme elle prenait une profonde inspiration, elle fut secouée par une horrible quinte de toux.Prenant toute lamesurede l’horribledangerqui lamenaçait, elle se laissagagnerparunsentimentdepanique.

Posantsesmainssursonventreenungesteprotecteur,ellesemitàlongerlecanapéenscrutantlesflammesetlafuméepourtenterdetrouveruneissue.

Et, tout à coup, elle se souvintd’avoir entendudireque, en casd’incendie, lameilleure chose àfaireétaitdesepositionneraussiprèsdusolquepossible.Alors,elles’accroupitetretirasonchemisierpoursecouvrirlenezetlabouche.

Sontéléphone?Oùétaitsontéléphone?Elleseretournad’ungestevif,maislecanapéavaitdéjàdisparudesonchampdevision,enveloppé

d’épais nuages de fumée. Si elle ne faisait pas quelque chose tout de suite, elle allait périr dans lesflammes.

Luttantdetoutessesforcespourapaisersescraintes,elleessayadesereprésentermentalementleplandelapièce.Elleconnaissaitchaquecoinetrecoindesonappartement.

Ilfallaitqu’ellesauvesonbébé.Ilfallaitqu’ellesauvesapeau.Résolue,ellesemitàramperendirectiondelaported’entrée.Au-dessusd’elle,dehautesflammes

léchaient leplafond,etde lafuméesedégageaitde tous lescoins.Elleavaitdeplusenplusdemalàrespirer et elle était morte d’inquiétude en pensant aux effets que la fumée et le manque d’oxygènepourraientavoirsurlebébé.

Sonbébé.Ilfallaitqu’ellesorte,quoiqu’illuiencoûte.Contournant un tas de décombres noirs et brûlants, elle finit par arriver dans le hall. Plus que

quelquesmètres.Ilnesemblaitpasyavoirbeaucoupdefuméeprèsdelaporte,etelleseprécipitadanscettedirection,ignorantlescoupuresetlesbrûluresquiluipiquaientlesmainsetlesgenoux.

Ellen’étaitplusqu’àunmètreoudeuxdelaportequandcelle-cis’ouvritsubitement,dansungrandcraquement. Un épais nuage de fumée s’engouffra dans l’ouverture et l’enveloppa complètement,obstruantsonchampdevision.Soudain,elleentendituncrietsentitdesmainspuissantesl’agripper.

L’hommequivenaitdelaprendredanssesbrasluifitpasserlaported’entréeetelleretrouvaavecsoulagement l’air frais de la nuit. Autour d’elle, le monde était baigné par la lumière orange desgyropharesetdesimmensesflammesquis’élançaientverslecielétoilé.

—Ilyaquelqu’und’autre,dansl’appartement?luicriatoutàcoupl’hommequilatenaitdanssesbras.

Elleobservasoncasquedepompieretsecoualatête.—Non,répondit-elle,étonnéeparlesondesaproprevoix,ungrognementàpeineaudible.Illaconduisitdevantuneambulance,oùunautrehommel’allongeasurunbrancard.—Lebébé,balbutia-t-elle.Jesuisenceinte.Unmasqueàoxygènevintluicouvrirlevisage,annihilanttoutetentatived’endiredavantage.Une

seconde plus tard, le brancard était poussé au fond de l’ambulance et deux infirmiers s’agitèrentanxieusementau-dessusd’elle.

Ellesentitqu’onluipiquaitlamain,tandisqu’onluiposaitdesquestions.Elleessayaderépondrequ’elleallaitbien,maisellen’arrivaitpasàparlerà travers lemasqueet,de toutefaçon,sagorgeluifaisaittropmal.

Ellerestaimmobile,lecorpsengourdi,choquée,essayantdecomprendrecequivenaitdesepasser.Lapénombrecommençaàenveloppersonchampdevisionetelleentenditquelqu’unluihurlerderesteréveiller.

—Toutvabien,jevousassure,tenta-t-ellededire.Maisaucunsonnesortitdesabouche.Elleclignadesyeuxdeuxfois.Etlemondealentourdevintcomplètementnoir.

-21-

QuandCam arriva au coin de la rue où vivait Pippa, il sentit son estomac se nouer.Horrifié, ils’accrochaauvolantdetoutessesforces,toutenappuyantfermementsurl’accélérateur.

Larueétaitenvahiedegyrophares.Voituresdepolice,ambulances,camionsdepompiers.L’odeurdelafuméeétaitforteetleciel,puissammentéclairépardegrandesflammesorange.

Prisdepanique,ils’arrêtadevantlebarragedepolice,sortitdesonvéhiculecommeunfoupourseprécipiterversl’appartementdePippa.Toutlequartierétaitenfeu,etdesdizainesdepompiersétaientoccupésàdirigerdesjetsd’eaudansdemultiplesdirections.

—Hé!Vousnepouvezpaspasserlà!Nepensantqu’àPippa, il ignoracette injonction.Non,c’était impossible.Celanepouvaitpasse

reproduire.Ilnepouvaitpaslaperdre.Un sanglot jaillit de sa gorge, tandis qu’il arrivait au niveau des camions de pompiers et des

ambulances.Ettoutàcoup,sentantquelquechoses’abattresursoncrâne,ils’effondradetoutsonpoidssurlesol.Levantlesyeux,ilaperçutunofficierdepolice,quiluicriaitquelquechosequ’ilnepouvaitnientendrenicomprendre.

Quelquessecondesplustard,unautreofficiersejoignaitaupremieretl’aidaitàlemaintenirausol.—Laissez-moi!cria-t-ilrageusement.Ilfautquej’aillelachercher.Pippa!Elleestenceinte!Il

fautquej’aillelasauver.—Vousn’ireznullepart,réponditlepremierofficierd’unevoixcalme,toutenexerçantdavantage

de pression sur sa nuque. Ne faites pas l’imbécile, voyons. Tout le quartier est en flammes. Vous neréussiriezqu’àvoustuer.

—Sivousopposezunequelconque résistance,onvousarrête,menaça l’autre. Jecomprendsquevous soyez inquiet, mais les pompiers font le maximum pour s’assurer que tout le monde s’en sorte.Laissez-lesfaireleurboulot,ilsontdéjàassezdegensàsauvercommeça.

—Laissez-moimerelever, lessupplia-t-il.Ilfautquejesachesiellevabien.Est-cequ’ilsl’ontdéjàévacuée?

Lentement,lepremierofficierrelâchalapressionautourdesagorgepuis,assistédesoncollègue,l’aidaàserelever,sanscesserdel’observerd’unœilprudent.

—Pasdemouvementbrusque,luidit-ilsèchement.Camlevalesmainset,lecœurbattantàtoutrompre,observaledésastre.Sonpirecauchemarvenait

dese répéter.Ledestin luiavaitenvoyéunnouveaucoupdur,dont ilnepourraitsansdoute jamaisserelever.

Ledestin?Non.Cen’étaitpasledestin.Ilauraitpuempêchertoutcela.Iln’auraitjamaisdûlaisserpartir Pippa. Oh ! si seulement il avait accepté de saisir la nouvelle chance qu’elle lui avait sicourageusementofferte…

Oui, tout était sa faute. S’il arrivait quelque chose à Pippa et à leur enfant, il ne pourrait pas lesupporter.Savies’achèveraitici.Danslarue.Faceàcesimmensesflammes.

—Pippa,marmonna-t-il.PippaLaingley.Ilpointadudoigtsonappartement,lamaintremblante,lavoixbriséeparlaterreur.—Ellehabiteici.Elleadûrentrerchezelleilyaàpeineuneheureoudeux.Elleétaittrèsfatiguée.

Est-cequevouspouvezmedires’ilsl’ontévacuée?L’officierleregarda,l’airgrave.—Restezlà.Jevaisvoirsijepeuxmerenseigner.Ilfitsigneàsoncollèguederesteraveclui.Impuissant,Camle regardasedirigervers lespompierset lesambulanciers.C’était toutcequ’il

pouvaitfaire,tandisquesoncœurdépérissaitunpeuplusàchacunedesesrespirations.L’officierquiétaitrestéavecluil’observaitd’unœilcompatissant.— Ils en ont déjà sorti plusieurs, dit-il d’une voix basse. Ils l’ont peut-être déjà emmenée à

l’hôpital.Quelques instants plus tard, le premier officier revint, un grand sourire aux lèvres. Bouillant

d’impatience,Camfitunpasdanssadirection.—Elle est partie en ambulance il y a environ une demi-heure. Elle faisait partie des premières

victimesquiontétéévacuées. Jen’aipasd’autredétail ; ils sontunpeudébordés.Mais ilsm’ontditqu’elleétaitconscienteetqu’ellen’avaitpasl’aird’êtreblessée.

Ilsentitsesgenouxvacilleretdutfaireuneffortsurhumainpournepass’effondrer.Puis il laissaéchapperunprofondsoupirdesoulagement.

—Ducalme,monvieux.Vousvoulezvousasseoir?Ilsecoualatête.—Non.Ilfautquej’yaille.Oùl’ont-ilsemmenée?Ilétaitdéjàentraindecourirverssonvéhiculequandl’officier luicrialenomdel’hôpital.Plus

presséqu’ilnel’avaitjamaisété,ilsautadanssonSUVets’éloignaduchaos.IlavaitenviederejoindrePippaaussivitequepossible.Ilfallaitqu’illavoie,qu’ilsachesielle

allaitbien.Qu’illuidisetoutcequ’ilavaitsurlecœur,toutcequ’ilavaitététropstupideettropobstinépourluiconfier.

Ilespéraitsimplementqu’ellel’écouterait.

***

Etenduedansunlitinconfortable,Pippaobservaitlesinfirmièresalleretvenir.L’horriblesentimentde panique s’était un peu atténué depuis qu’un médecin l’avait assurée que le bébé allait bien. Ellen’avaitpasétéexposéeà la fuméeassez longtempspourqu’il encoure lemoindre risquede subirdesdommagesàlongterme.Parailleurs,elleavaitpasséuneéchographieetconstatédesesyeuxquelebébéétaittoujourslà,etqu’ilparaissaitenpleinesanté.

Mais elle ne pouvait s’empêcher de penser à ce qui aurait pu arriver. Et si elle ne s’était pasréveillée à temps ?Et si elle n’avait pas réussi à sortir aussi vite ?Elle n’arrivait pas à chasser ceshorriblesimagesdesonesprit.

Instinctivement,ellecaressasonventre.Lebébésemitaussitôtàbouger.Soulagée,elleesquissaun

vague sourire. L’heure qui venait de passer avait été éreintante. On l’avait tâtée, secouée, retournée,examinée.Ellesentaitencorelafumée,elleavaituneminehorrible,maisellenes’ensouciaitguère.Laseulechosequiimportaitétaitlasantédesonenfant.

Toutàcoup, laportes’ouvrit.Etonnée,elle reconnutDevon.Maisellen’étaitpasauboutdesessurprises.Brusquement,lasilhouetted’Ashleyapparutàcôtédecelledesonmarietlajeunemamanseprécipitasonchevet.

—Pippa!s’exclama-t-elle,enjetantsesbrasautourdesoncou.Stupéfaite,ellerestaunmomentsansvoix.—Mais,réussit-elleàbalbutier,Ashley,qu’est-cequetufaislà?Tuviensd’accoucher!Tudevrais

êtrealitée!Devonvintseplacerdel’autrecôtédesonlitetdéposaunbaisersursonfront.—Nousétionstrèsinquiets,Pippa.Quandnousavonsappris,Ashleyavouluvenirtoutdesuite.Je

n’aipasréussiàl’enempêcher.Ellefronçalessourcils.—Ehbien,tuauraisdû.OùestKatelynn?Ash,est-cequetuvasbien?Ashleylaserracontreellepuisrecula,lesyeuxbrillantsdelarmes.—Jevaistrèsbien,netefaispasdesouci.Commej’aiaccouchéparlesvoiesnaturelles,j’aile

droitdemarcher.Katelynnestà lanursery.Maisc’estpour toique jem’inquiète : raconte-moicequis’estpassé!

Surcesmots,ellevints’asseoirauborddulit,etluiserradoucementlamain.Cefutlagoutted’eauquifitdéborderlevase,etPippaéclataensanglots.

—Oh!Ashley!Çaaétéunenuittellementhorrible.—Attends, est-ce que tu es allée voirCam? s’enquit son amie.Ohnon ! ajouta-t-elle, les yeux

ronds.Qu’est-cequis’estpassé?—C’est fini, réponditPippa,d’unevoixcasséepar la tensionémotionnelleet leseffets toujours

actifsdelafumée.Jesuisalléechezlui,luidirequejel’aime,etmaintenantc’estfini.—Jecroisquejevaisvouslaisserentrefilles,murmuraDevon,visiblementmalàl’aise.Sivous

avezbesoindequoiquecesoit,jeseraijustederrièrelaporte.Ill’embrassatendrementsurlajoueettournalestalons.—Raconte-moitout,ditAshley.Acommencerparcequelemédecint’adit.Jeveuxsavoirsituvas

bien,etensuitejeveuxsavoircequis’estpasséchezCam.—Lemédecinaditquelebébéetmoiétionsenbonnesanté.Jemesuisendormiesurmoncanapé

et, quand j’ai ouvert les yeux, tout l’appartement était en feu.Mais jeme suis réveillée avant d’avoirinhalé trop de fumée. J’ai eu de la chance. J’ai quelques égratignures, mais je vais bien. Je devraispouvoirrentrerchezmoicetaprès-midi…

S’apercevanttoutàcoupqu’ellen’avaitplusdechezelle,elles’interrompit.Etdenouvelleslarmessemirentàroulersursesjoues.

—Çavaaller,Pippa,murmuraAshley.Jetelepromets.Jeneveuxpasquetut’inquiètes.Mamanvapasserenfindematinée.Tusaisqu’elleteconsidèrecommesaproprefille.Elleadéjàdansl’idéedeteramenerchezellepourprendresoindetoi.

Pippaesquissaunvaguesourire.—Tunet’imaginesmêmepasàquelpointj’aibesoind’elle.Jedevraisêtresoulagée:j’aiprisma

décision, j’ai rompu avec Cam. Et je sais que j’ai bien fait.Mais je me sens tellement mal. Je suisamoureusedecetégoïsteetjenepeuxrienfairecontreça.

—Jecomprends,luiditdoucementAshley.

Elleregardamachinalementsesmainset,unefoisencore,sentitlechagrinetl’humiliationdéferlersurelle.

—Ilm’aditqu’ilnevoulaitpasnousaimer,nimoini lebébé.Pasqu’ilnepouvaitpasouqu’ilpensaitqu’ilnepourrait jamais retrouver l’amour.Simplementqu’ilnevoulaitpasnousaimer. Il s’estmontrétellement…froid.

—Jeledéteste,commentaAshleyengrimaçant.JemefichequecesoitlemeilleuramideDev.Jevoudraislevoirtomberd’unarbre,ensecognantlatêtesurchaquebranche.

Pippaessayaderire,maisfutprised’unequintedetoux.—Reprendstonsouffle,luiditAshley.Tuastraversébeaucoupd’épreuves,cesoir.—Çameparaîttellementirréel,murmura-t-elle.Ashleyluiserradenouveaulesmains.—Jeneveuxpasquetutefassestropdesouci.Jesaisqueçaal’airfacileàdire.Lesolvientdese

dérobersoustespiedset,maintenant,tudoisavoirl’impressionquetonuniversestentraindes’écrouler.Maisçavaaller,jet’assure.Jesuislà.Ilyamaman,etpuisSylvia,CarlyetTabitha.Tun’espastouteseule. Ne te rends pasmalade d’inquiétude. Pour lemoment, la seule chose que tu as à faire est deprendresoindetoietdubébé,etdet’assurerquevoussoyeztousdeuxenbonnesanté.

Pippaluisourit.—Merci.Jet’adore,Ashley.Jenesaispascequejeferaissanstoi.—Jeveuxquetutereposes,maintenant,d’accord?C’estbientôtl’heuredelatétéedeKatelynn,il

fautquej’yaille,maisj’enverraiDevprendredetesnouvelles.Mamanvaaussipasserpourt’apporterdesvêtements.Etfais-moisavoiràquelmomenttupourraspartir.Moiaussi,normalement,jedoisrentreraujourd’hui,alorsonpourraitfaireletrajetensemble.

Pippaserralamaindesonamie.—Merci,Ash,tueslameilleure.Embrasselebébépourmoi.Ashleyredressasonoreilleretbordasesdraps,avantdesedirigerverslaporte.Apeineétait-ellesortiequePippafermalesyeux.Elleétaitexténuée.Elleavaitétépousséeaubout

detoutesseslimitesetsesentaitphysiquementetémotionnellementusée.Elleavait l’impressiondeneplusrienavoirenelle,endehorsd’unvastevideetd’uneimmensepeinedecœur.

-22-

Arrivéàl’hôpital,Camseprécipitaàl’accueilpourdemanderoùétaitPippa.Jugeantpréférabledementir,ilaffirmaqu’ilétaitsonmari.L’unedesinfirmièresluifitpasserunesériedeportes,avantdeluidésignerlachambren°7.

Dans le couloir, il aperçut Devon. Cam était sur le point de l’interpeller quand la porte de lachambredePippas’ouvritsurAshley.

Toutàcoup,aumêmemoment,sesamislevèrentlesyeuxverslui.Ilnes’étaitpasattenduàtrouverenAshleybeaucoupdecompassionpourlui,maislacolèrequise

dégageaitdel’expressiontenduedeDevonlesurprit.—Commentva-t-elle?luidemanda-t-il.Commesonamineluirépondaitpas,ilfitmined’ouvrirlaportedelachambre.Aussitôt,Ashley

plaçasamainsursonbras.—Cam,s’ilteplaît,luidit-elledoucement,laisse-latranquille.Ilsepassanerveusementlamaindanslescheveux.—Lalaissertranquille?Maisj’aibesoindelavoir.J’aibesoindem’assurerqu’ellevabien.Tu

nepeuxpasimaginercequej’aivécuquandjesuisarrivédevantsonappartementetquej’aicruqu’elleétaitpiégéedanscetenfer.

Ilétaitmaladerienqu’àyrepenser.Etilsavaitquec’étaituneimagequiallaitcontinuerdelehanterpendanttrès,trèslongtemps.

— Elle est épuisée, répliqua Ashley. Elle a besoin de se reposer. Et puis, elle est tellement…fragilisée.

Ladescriptionhésitantede la jeune femmene fitque renforcer sadéterminationà rentrerdans lachambre.

Unefoisdeplus,Ashleyluiattrapalebras.—Laisse-lasereposer.Tuenasassezfaitpourcesoir.Tunepeuxpasdébarquericimaintenant,

aprèsl’enferqu’elleavécu.Ellenesaitpasquec’esttoiquinousasappelés.Ellenenousamêmepasdemandécommentnousavionsapprisqu’elleétaitici.

Ilfermalesyeuxpourmieuxréfléchiràlasituation.—Ellemedéteste,finit-ilpardire.—Non,ellet’aime,luiréponditdoucementAshley.Etc’estça,leproblème.C’estpourçaquetune

peux pas aller la voir maintenant. Tu n’as pas le droit de tirer parti de sa détresse et de son étatd’épuisement.Situneluilaissespasunpeudetempspourdormir,tusais,jenetelepardonneraijamais.

Elleaunemineterrible,Cam,etc’estengrandepartietafaute.—Nevaspas l’énerver, intervintDevon,Ashleyaraison.Pippaestextrêmementfragile,pour le

moment.Cen’estpasentejetantsurellepoursoulagertaculpabilitéquetuvasarrangerleschoses.Pourunefois,essaiedepenseràquelqu’und’autrequ’àtoi-même.

Ilfutsurprisparlacolèrequisedégageaitdesparolesdesonami.—Çan’arienàvoiraveclaculpabilité!cria-t-il.Jel’aime,ilfautquejeleluidise.Jenepeux

paslaisserleschosesseterminercommeça.Devonplaçasamainsursonépaule.—Situl’aimes,çaattendra.Nebousculepasleschoses.Jet’assurequeçan’arrangerarien.Elle

estàboutdenerfs.—Jenem’eniraipas,dit-ild’untonferme.—Personnenetedemandedepartir,luiréponditDevon.Camsentitsesépauless’affaisser.—Trèsbien.Il ne pouvait pas supporter l’idée de savoir Pippa épuisée, choquée, affaiblie. Il n’avait qu’une

envie:laprendredanssesbras,laserrercontrelui,luimurmurerqu’ill’aimaitetquetoutiraitbien.Il n’avait pas été présent pour elle jusqu’ici, mais il était hors de question qu’il la délaisse

maintenant.Sonregardcroisaceluid’Ashley.Sesgrandsyeuxbleusétaientemplisd’impatience,maisausside

défiance.—Essaiedeterattraper.Tunepeuxpasrisquerdeluifairedenouveaudumal.—Jepasserailerestedemavieàl’aimeretàlaprotéger.Siellem’autoriseàlefaire.—Ça,c’est lagrandequestion,eneffet, intervintDevon.Jenesuispassûrqu’elle te laisse t’en

tireràsiboncompte.Biensûr,ilavaitraison.—Jereviendraiplustardpourprendredesesnouvelles,ajoutaDevon.Cequilaissaitentendrequ’illuienvoudraitàmorts’illaretrouvaitenétatdechoc.Camhochalatêtepourluisignalerqu’ilavaitcomprislemessage,puisregardasonamis’enaller

aubrasd’Ashley.Quandilseurentdisparudesonchampdevision,ilrestaquelquesinstantsàobserverlaporteclose.

IlauraittoutdonnépourêtreauprèsdePippa,pourpouvoirlatoucher.D’unpaslent,ilallachercherunechaise,puisils’installadevantlaportedelachambredePippaetcommençasagarde.

Ilavaitprissadécision:ilnepartiraitpas.Alorsqu’ilétaitassisdepuisquelquesinstants,uneinfirmièreentradanslachambreenluijetantun

regardcurieux.Quandelleressortit,ilselevad’unbond.—Commentva-t-elle?luidemanda-t-ild’unevoixtremblante.Elleledévisageapendantquelquesinstants,sourcilsfroncés.—Jesuisdésolée.Jen’aipasledroitdevousfournirlamoindreinformation.— Je suis son mari, répondit-il, avant de se rendre compte du manque de crédibilité de son

mensonge.S’ilsétaientmariés,iln’avaitqu’àentrerdanslapiècepourprendredesesnouvelles.Maisàquoi

pensait-ildonc?—Jevoulais juste la laisser se reposer, enchaîna-t-il. Je suis tellement inquiet.Enentrant, jene

feraisqu’accentuersonstress.L’expressionduvisagedel’infirmières’adoucit.

—Elledort,profondément.Ellen’apasbougéd’unpoucequandjesuisvenuevérifiersesfonctionsvitales.

Ilhochalatêteetlaremercia.Commel’infirmièrepoursuivaitsontrajet,ilselevaetouvritlaported’ungestehésitant,soucieuxdefairelemoinsdebruitpossible.

SiPippaétaitendormie,ellenesauraitpasqu’ilétaitvenu.Ilpourraitl’observerpendantquelquetempsetvérifierqu’elleallaitbien.

Lentement,ilpassalaporteets’avança,lacherchantduregarddanslapénombredelapièce.Elleétaitallongéesurunlitétroit,ledoslégèrementsurélevé.«Fragile»auraitétéunbonmotpour

ladécrire.Elleparaissaitsipetitedansce lit.Sescheveuxétaientemmêlés,etdégageaientencoreunelégèreodeurdefumée.

Elleétaitpâleetsonvisagesemblaitplusanguleuxqu’àl’accoutumée.Ilyavaitdescernessombressous ses yeux. Et il fronça les sourcils quand il aperçut ses mains, marquées par de nombreuseségratignures.

Elleavaitl’airusée.Aboutdenerfs,commel’avaitditDevon.Ettoutcelaétaitsafaute.Incapable de résister au besoin impérieux qu’il éprouvait, il caressa son visage et dégagea

doucementunemèchedecheveuxquireposaitàcôtédesajoliebouche.Puisilsebaissaetluiembrassadoucementlefront.Lesyeuxfermés,illaissaseslèvress’attarder

sursapeaudoucependantuncourtinstant.—Jet’aime,murmura-t-il.

***

Pippaseréveillaavecladésagréableimpressiond’avoirmanquéquelquechose.Elleavaitfaitunrêveétrange,danslequelCametuneinfinietendresseétaientvenusremplacerlesflammes,lafuméeetlaterreur.Unrêveagréable,maiscurieux.

Iln’yavaitpasdependuledanssachambreet,siellen’avaitpasvulesrayonsdusoleilfiltrerparlapetitefenêtre,elleauraitétéincapablededires’ilfaisaitjourounuit.

Instinctivement,ellepassasesmainssursonventre.Lebébés’agita.Ellesourit,soulagée.Elleetlebébén’avaientrien!

Uninstantplustard,laportes’ouvraitsurMmeCopeland,quientrad’unpasdécidé,l’airgrave.—Monpauvrebébé,fit-elleenlaprenantdanssesbras.Est-cequetuvasbien?Devonm’aditque

çaallait,maisj’étaistoutdemêmetrèsinquiète.Sansqu’ellepuissel’empêcher,Pippaseremitàpleurer.Cestempsderniers,leslarmesluivenaient

sifacilementauxyeuxquecelaendevenaitridicule.—Ne pleure pas, ma chérie, lui dit Mme C. Tu vas rester avec moi. Je t’ai déjà préparé une

chambre à lamaison, juste à côtéde l’anciennechambred’Ashley. J’espèrequeKatelynnet ellevontresterquelques jours.Ceseraitcommeaubonvieux temps.Çameferait tellementplaisird’avoirmesfillesautourdemoi!Jepourraisprendresoindevous.

—Jevousadore,madameC.,murmura-t-elleenreniflant.Lamère d’Ashley dégagea doucement unemèche de cheveux de son visage et l’embrassa sur le

front.—Jet’adoreaussi,machérie.Toutvabiensepasser,jetelepromets.Çaasûrementl’airterrible,

aujourd’hui,maisonvateremettresurpiedenunriendetemps.PippaserralamaindeMmeC.—J’aitellementdechance,devousavoir,vousetAshley.Vousêtesmaseulefamille.

Oui.Saseulefamille.Ellesavaitquec’étaitsamèrequiluiavaitdonnénaissance,maisellesavaitaussi que la famille n’est pas une affaire de liens de sang, mais de liens d’amour et de soutieninconditionnels.Ycomprisdanslesmomentslesplusdifficiles.

Et c’était ce type de liens qu’elle voulait tisser avec son enfant. C’était cela qu’elle voulait luioffrir.Quelqu’ensoitleprix.

MmeC.lapritunenouvellefoisdanssesbras,etPippas’ensentitimmédiatementapaisée.—Jevaistedirecequ’onvafaire,luichuchotaMmeC.Jet’emmènechezmoiettuvastereposer.

Ensuite,dèsquetuaurasretrouvélaforme,onirapasserunejournéeauspa.OndiraàAshleydevenir,aussi.

Pippasourit.Unejournéeentrefilles,avecAshleyetsamère.L’idéeluisemblaittoutsimplement…merveilleuse.

—Tuvois?Tusourisdéjà,poursuivitMmeC.Tusais,machérie, tun’asaucunsouciàtefaire.J’ai demandé àWilliam de régler les frais d’hôpitaux. Tu resteras avec nous jusqu’à la naissance dubébé. Il est hors de question que tu t’embêtes à essayer de trouver un nouvel appartement, au lieu det’occuperdetoietdubébé.Onvabiens’amuser,tuvasvoir.

Même si elle l’avait voulu, Pippa n’aurait pas pu refuser l’hospitalité deMme C. Personne nepouvaits’opposeràGloriaCopeland.C’étaituneforcedelanature,etc’étaitpourcetteraisonqu’ellel’appréciaittant.

Mais,alorsqu’ellesefaisaitcetteréflexion,laréalitérepritbrutalementsesdroits.—Etmapâtisserie?Jenepeuxpaslaissertomber!—Biensûrquenon.Onvagérerça.Tuasdesemployésquipeuvents’occuperdetoutpendantque

tutereposes.Après,ontrouverabienunmoyendet’yconduirelematin.JesuissûrequeWilliamseratoutcontentdejouerleschauffeurs.

—Merci.Sérieusement,jenesaispascequejeferaissansvous,AshleyetM.C.—Williamseraitravid’entendreça.Tusaisqu’ilt’aimetoutautantquemoi,mêmes’illuiarrive

parfoisdeseconduirecommeunours.Pippaneputs’empêcherderire.—Maintenant,poursuivitMmeC.,jevaismerenseignerpoursavoiràquelleheureilscomptentte

laissersortir.Plusvitetuserasàlamaison,mieuxcesera.LorsqueMmeCopelandeutdisparu,Pippas’adossaàsonoreiller.Leschosescommençaientdéjàà

s’arranger.Avecl’aidedesesamis,ellenetarderaitpasàsurmontercesépreuves.Quelquesminutesplustard,MmeC.étaitderetour,l’airsoucieux.—Qu’est-cequ’aditlemédecin?luidemandaPippa,soudaininquiète.—Euh…jenel’aipasvu,maisj’aiparléàuneinfirmière.Ellem’aditquetupourraisrentreràla

maisondansdeuxheures.Unétrangepressentiments’emparadePippa.Lamèred’Ashleyétaitentraindeluicacherquelque

chose.—Qu’est-cequinevapas?MmeC.levalesyeuxverselle,puissoupira.—Detoutefaçon, tufinirasbienpar lesavoir :Camestderrière laporte.Ondiraitbienqu’ila

passélanuitici.Ilrefusedebouger.Ilestassissurunechaise,latêteentrelesmains.Ilcomptaitrentrer,maisjenel’aipaslaisséfaire.Jenevoulaispasqu’iltedérange.

Pippasentitsoncœurs’emballer.—Jeneveuxpaslevoir,murmura-t-elle.MmeC.laserracontreelle.

—Ettuenasparfaitementledroit,machérie.Jevoulaisjusteteprévenir,pourquetunesoispaschoquéeenlevoyant,quandtusortiras.

—Mercidem’avoirprévenue.Maisjen’aiplusrienàluidire.MmeC.resserrasonétreinte.—Ashleyvapouvoirsortir,elleaussi,etelleemmèneKatelynnàlamaison.Onpartirachezmoi

toutesensemble.L’esprittoujoursfixésurCam,Pippaacquiesçamollement.Ellen’avaitjamaisétélâche,maiselle

n’avaitaucuneenviedeseretrouverdenouveauconfrontéeàlui.Ill’avaitprofondémentblessée,etellesavaitqu’elleneseremettraitpasdecetteblessureenunjour.Nimêmeenunesemaine.

Mais,àunmomentouunautre,leschosesfiniraientbienpars’arranger.Oui.Ilfallaitqu’elleycroie.

-23-

Camfaisait lescentpasdevant lachambredePippa,sedemandantpourquoi iln’étaitpasencoreentré.MaisDevonetAshleyavaientraison:cen’étaitnilelieunilemoment.Pippaétaitàboutdenerfsetmortedefatigue.Ilnedevaitpasvenirlaperturber.

IlaperçutsoudainDevon,quiarrivait.—Tuesallélavoir?luidemandasonami.—Lamèred’Ashleyestavecelle,répondit-ilensecouantlatête.Ellenem’apaslaisséentrer.Où

sonttafemmeetKatelynn?—Danslavoiture.Jemesuisgarédevantlasortie.Lepèred’Ashleyestavecelles.Ilvaramener

PippaetGloriachezlui.Camsepassanerveusementlamaindanslescheveux.Pippan’avaitplusd’endroitoùaller.Mais

c’étaitchezluiqu’elleauraitdûserendre.Danssamaison,qu’ellen’auraitd’ailleursjamaisdûquitter,cesderniersmois.

Troublé,illaissaéchapperunsoupir.Ilétaitindécis,etc’étaitunsentimentauqueliln’arrivaitpasàs’habituer.D’ordinaire, il était toujours très sûr de lui,mêmedans les situations les plus délicates. Iln’avaitjamaisdemalàtrouversesmots,mêmefaceauxinterlocuteurslesplusrusés.Maisàcemomentprécis,iln’avaitaucuneidéedecequ’ildevaitfaireoudire.

Toutàcoup,laportedelachambres’ouvritsurPippa.Elleparaissaitpâleetamaigrie,etsesyeuxétaientombrésdelargescernes.Sescheveuxavaientétésommairementrelevésenqueue-de-chevaletsespommettesétaientplussaillantesquejamais.Sesbrasparaissaientfrêles.Laseulepartiedesoncorpsquin’avaitpaschangéétaitlerenflementdesonventre,oùreposaitleurenfant.

Leurfils.—Pippa,dit-ild’unevoixbasseetmalassurée.Dieumerci,tuvasbien.Commepour s’assurer qu’elle était réellement là, deboutdevant lui, il s’approchad’ellepour la

toucher.Maiselleeutunmouvementdereculetsedétournadelui.Commeellecommençaitàavancer,illasuivit.Ilnepouvaitpaslalaisserpartir.Pascettefois-ci.—Pippa,attends.S’ilteplaît.Elles’immobilisapendantunlongmoment,ledostournéàlui.Puis,lentement,ellefitvolte-face.

Sesyeuxétaientmornes,vides,commedépourvusdevie.—Attendez-moidehors,dit-elleàl’intentiondeDevonetdeMmeCopeland.Jen’enaiquepour

uneminute.Lamèred’Ashleyeutl’airdevouloirprotester,maissaboucherestaétroitementfermée.

—Jepréfèret’attendredanslehall,réponditDevon.EllehochalatêteetseretrouvabientôtseuleavecCam.Incapablederésisteràsonenviedelatoucher,illuipritdoucementlamainetl’attiraprèsdelui.

Assez près pour sentir les battements rassurants de son cœur contre sa poitrine. Et, tout à coup, elles’effondra contre lui enpoussantunprofond soupir.Un soupir de lassitude et de tristesse, qui laissaitentendrequ’elleétaitàboutsurleplanphysiqueetémotionnel.

Ellefermalesyeuxet,pendantuncourtinstant,blottitsatêteaucreuxdesoncou.Puis,levisagetoujoursaussiinexpressif,elles’écartadeluietmurmura:

—Ilfautquej’yaille.Ilsm’attendent.—Tupeuxrentreràlamaisonavecmoi,répondit-ilaussitôt.Jeprendraisoindetoi.Nousavons

beaucoupdechosesànousdire.J’aibeaucoupdechosesàtedire.Maismaprioriténuméroun,c’esttoiettasanté.

—Non.Il ne s’attendait pas à si peu. Il aurait voulu entendre un argument, quelque chosequ’il aurait pu

contrer.Pasunsimple«non»accompagnéd’unregardvide.C’étaitbienpisquecequ’ilavaitpuimaginer.Brusquement,touteslesémotionsqu’ilavaitcherché

à retenirdepuis laveilleausoirsemblèrent jailliren lui,pourvenirsebloqueraumilieudesagorgeserrée.

Tendrement,ilpassalamainsurlevisagedePippa.—MonDieu,quandj’aivutoutescesflammesettouscescamionsdepompiers,j’aicruquej’allais

teperdre.Les yeuxvides qui le contemplaient lui faisaient froid dans le dos.Cen’était pas laPippaqu’il

connaissait,c’étaitquelqu’undecomplètementdifférent.Unefemmequ’ilavaitlui-mêmeconvaincue,parsonindifférenceetsadétermination,denepass’engagerdansunerelationémotionnelleaveclui.

—Jesavaisquecelafiniraitpararriver,luidit-il.Jesavaisqu’ilallaitvousarriverquelquechoseetquejevousperdraistouslesdeux.Etc’estcettecrainte,cetteterreur,quiaprisledessussurmoi.Jet’aifaitsouffriretjeleregrette,

—Aucasoùtunel’auraispasremarqué,jenesuispasmortedanscetincendie!Mais,enrevanche,tu nous as bel et bien perdus,moi et notre enfant, et cela bien avant cet incident.A force de vouloirt’épargnerlamoindresouffrance,tuasfaitsouffrirceuxquit’aimentleplus.Maintenant,situveuxbien,jevoudraisrentrerchezmoietallermecoucher.

Cesmots lui firent l’effet d’un coup de poignard porté en plein cœur.D’autant plus qu’il savaitqu’elleavaitraison.

Ill’avaitperdue.Illaregardas’éloigner,pétrifié,leslarmesauxyeux.LesparolesdePippaavaientpénétrélesmurs

quiprotégeaientsoncœur,ceuxqu’ilavaitérigésaprèsledécèsd’EliseetdeColton.Cesmurs, elle lesavait faitvolerenéclatsdès lapremière foisoùelleétait apparuedevant lui.

Faceàelle, iln’avait jamaiseu lemoindremoyendedéfense.Non, ilnepouvaitplussementirà lui-même.

Ill’aimait.Ill’aimaitdepuisledébut.Dèslepremierjour,ilavaitcomprisqu’ellereprésentaitpourluiunemenace,et ilavaitessayéde larepousser. Ilavait fait toutcequiétaitensonpouvoirpour luifairecomprendrequ’ilnel’aimaitpas,qu’ilnevoulaitpasl’aimer.

Maisill’aimait.Etilvoulaitl’aimerplusqu’ilnevoulaitvivre.Malheureusement,ilavaitlaissépassersachance.C’étaittroptard.C’étaitfini.Soudain,unemainseposasursonépaule.Devonétaitrevenu.

—Jecroisqu’ilesttempsquenousayonsensemblelegenredediscussionquej’aieueavecRafequandj’aifaillitoutficherenl’airavecAshley.

Plusdésespéréquejamais,Camselaissaconduireparsonamijusqu’àlasortie,puisilmontadanslavoituredeDevon.

—Bien, lui dit celui-ci quand il eut démarré. Tu as deux solutions : soit tu relances, soit tu tecouches.

Agacé,Camsecoualatête.—Arrêtetesmétaphores.Dis-moicequetuasàmedire.—C’estcequejefais.Soitturelancesettutentestachance,soittutecouchesettuabandonnesla

partie.C’estaussisimplequeça.Ecoute,turisquesgros.Tonavenir,celuidetonfils.Maistunepeuxpasbaisserlesbras.C’esttadernièrechance,tun’enauraspasd’autre.Tudoistenterlecoup.VavoirPippa,mets-toiàgenouxdevantelle.Rampeàsespieds,s’illefaut.

—J’aiditdeschosesimpardonnables.— Impardonnable, çaneveut riendire, lui réponditDevenhaussant les épaules.Tupourras les

jugerimpardonnablessiellerefusedetepardonner.—Jeneluienvoudraispassiellechoisissaitdeneplusjamaism’adresserlaparole.—Moinonplus.Maistucomptesvraimentjeterl’éponge?Justeparcequetuaseulemalheurdete

comportercommeunabruti?Hé!ona tousfaitdesconneries!Rafe,Ryan,moietmaintenant toi.Ondiraitqu’onaledondesecomportercommelesplusgrandscrétinsdelaterrequandils’agitdesfemmesqu’on aime. Mais tu sais quoi ? Bryony a pardonné à Rafe. Kelly a pardonné à Ryan. Ashley m’apardonnéetPippatepardonnera.Iltesuffitdeluienfournirl’occasionetdeluidonnerunebonneraisondelefaire.

—Jel’aime.—Jelesaistrèsbien.Etc’estbienparcequetuasmisdutempsàt’enrendrecomptequetuesun

abruti.—Jen’arrivepasàcroireàcequej’aifait.J’aiessayédel’ignorer,ainsiquemonproprefils!Je

nevoisvraimentpascommentjepourraismefairepardonner.—Dis-luiqueturegrettes,quetut’escomportécommeunimbécile,maisquetuasenfincompriset

quetuaschangé.Camsoupira.—J’espèrejustequ’ellevoudrabienm’écouter.—Tut’arrangeraspour.Siellesignifiequelquechoseàtesyeux,jesuissûrquetun’abandonneras

passifacilement.SiPippasignifiaitquelquechoseàsesyeux?Elleétaittoutsonunivers.Elleetleurfils.Devavait

raison.Ilfallaitqu’ilrelancelejeu.En lui dévoilant ses cartes, il risquait de la perdrepour toujours.Comme il avait perduElise et

Colton.Mais il avait aussi des chances de gagner. Gagner gros. Une longue vie de bonheur et de rires.

D’autresenfants.L’amouretlesouriredePippa.Alors,pourquoinepasprendrelerisque?

-24-

—Pippachérie,Camestvenutevoir.Etilajurédecamperdevantnotreportejusqu’àcequetuacceptesdeluiparler.

PipparegardaMmeCoplandquelquessecondes,interdite.—C’estvrai?—J’enaibienpeur.Etilal’airdéterminé.Ilaapportéunsacdecouchage.—Iln’abandonneradoncjamais,murmuraPippa.Au cours des deux jours qui avaient passé,Camavait hanté son existence. Il avait essayé de lui

téléphoner, était venu frapper chezMme C. Il était passé à la pâtisserie, et avait rodé dans tous lesendroitspossiblesetimaginablesoùelleavaitplusoumoinsdechancesdesetrouver.

Mais,commeriendetoutcelan’avaitfonctionné,ilétaitrevenuàlastratégiedesSMSenflammés,etdesfleurs.Illuiavaitenvoyédestonnesdefleurs,accompagnéesdecartesseterminanttoutesparlesmots«Jet’aime».

Lesraresfoisoùils’étaitretrouvéfaceàelle,ilétaitrestéimmobile,visiblementaussitroubléquedéterminé.Elleavaitl’impressiond’êtreharcelée,maispasmenacée.Elleétaitdéroutéeparsaténacité,décontenancéeparsesmessages.

Après s’être accrochéependantdesmois àun espoir vain, elle avait pris la décisiondifficile etdouloureuse de couper les ponts avec lui. Or, c’était ce moment précis qu’il avait choisi pour luiréclamertoutcequelui-mêmeavaitjurédenejamaisluioffrir.

C’étaitcomplètementabsurde.Ellen’avaitaucuneenviedejouerà«Suis-moi,jetefuis;fuis-moi,jetesuis».

Hélas!ellesavaitàquelpointilpouvaitsemontrerobstiné.—Qu’est-cequejedoisfaire?demanda-t-elleanxieusement.Elle n’avait aucune envie d’occasionner une quelconque gêne pour les Copeland, qui s’étaient

montréssigentilsetsigénéreuxenverselle.Mme C. lui adressa un sourire indulgent et vint doucement s’asseoir sur le rebord de son lit.

Tendrement,ellelapritdanssesbras.—Faiscequetuasenviedefaire,machérie.Situveuxluiparler,jelefaisentrer.Situneveux

pas,j’appellelesagentsdesécurité.C’estaussisimplequeça.—Jevousadore,MmeC.J’auraisaimé…Ellesoupira.—Quoidonc,machérie?

—J’auraisaiméavoirunemamancommevous,répondit-elleenluiadressantunsourire.MmeC.sepenchadenouveauversellepourlaprendredanssesbras.—Tusaisquetuescommeunefillepourmoi.Ettusaisaussiquetamamant’aime.Asafaçon.Pippaprituneprofondeinspiration.—Voussavezquoi?Jenemesenspasprêteà levoir.Pasencore.Etpuis ilm’agace.Quandje

décideraideluiparler,etsijedécidedeluiparler,ceseraselonmesconditions,paslessiennes.—Tuesmonportraittoutcraché.Bien,j’appellelasécuritédel’immeuble.Net’inquiètepas,tout

seferadanslecalmeetladiscrétion.Pipparamenasesgenouxcontresapoitrine,tandisqueMmeC.quittaitlapiècepourpasserlecoup

detéléphone.Ellenecherchaitpasàsevenger.Ellenecherchaitriendutout.ElleavaitditàCamcequ’elleavait

àluidire,etn’avaitrienàajouter.

***

Relancerousecoucher?LesjoursquivenaientdepasseravaientétélesplusdécevantsdetoutelaviedeCam.Ilavaittout

essayépourconvaincrePippad’accepterdeluiparler.Etsadernièretentativevenaitdesesolderparunéchecmajeur et, qui plus est, humiliant : les agentsde sécuritéde l’immeubledesCopeland l’avaientlittéralementjetédehors.

Pourtant,larésistancedePippanefaisaitquerenforcersadétermination.Iln’abandonneraitjamais.Ilfallaitqu’ilréussisse,coûtequecoûte.Quelquesoitletempsquecelaluiprendrait.

Etc’estainsiqu’ilseretrouvaàl’accueilduspalepluschicetleplusféminindelaville.Unsalondebeautébondédefemmesdetoutestaillesetdetousâges,attendantdesefairedorloteretpomponner.

Quelquepart, dans l’unedes cabines, se trouvait sa femme.Sa femmeà lui.Etquoiqu’il puissearriver,aujourd’hui,elleallaitécoutercequ’ilavaitàluidire.S’ilfallaitpourcelaqu’ilmettesoncœurànudevantdesdizainesd’étrangers,ouplutôtd’étrangères, il leferait.Sonamour-proprepasseraitensecond.LaseulechosequiimportaitétaitsonamourpourPippa.

Maisavantcela,ilallaitdevoirvaincrelegranddragonquiservaitdevigile,etquibarraitl’accèsmenantauxcabines.

Sadécisionétaitprise,ilallaitjouerlacartedelasincérité.Mêmelesfemmeslesplusendurciesonttendanceàfondredevantunhommequiremuecieletterrepourreconquérirlecœurdelafemmequ’ilaime.Lasincérité,oui,c’étaitsansdoutelameilleuretactiqueàadopter.

Ilavançaversledragon.Lajeunefemmecroisalesbrasetleregardadroitdanslesyeux.L’affaireétaitloind’êtregagnée.

***

Pippaavait leventreet levisagecouvertsd’unesortede substanceboueuse,ouplutôtcrémeuse.Maisellenevoyaitlàaucuneraisondeseplaindre.C’étaitmêmetrèsagréable.Ellecommençaitenfinàsedétendre.

Quelqu’un semit à luimasser les pieds. Elle soupira de bonheur et ferma les yeux.Ce fut à cemomentmêmequ’uneautrepersonneluidéposadesrondellesdeconcombrefraîchessurlespaupières.

Aquoipouvait-ellebienressembler?UnchouàlacrèmeenBikiniavecdeslunettesenconcombre.Ellefaillitéclaterderireàcetteidée,maisseretint.Detoutefaçon,peuimportait,elleétaitauparadis.

Alorsqu’ellesefaisaitcetteréflexion,lesmainsquilamassaientquittèrentsubitementsespieds,etelleétaitsurlepointdeprotesterquanduneautrepairedemains,plusfermes,pluslarges,maisunpeumoinsdoucesquelespremières,serefermèrentsurseschevillesetsemirentàlacaresser.

Aussitôt,unesensationdechaleurserépanditdanssesjambesetellelaissaéchapperunsoupirdeplaisir.

Cesmains-ciétaientplusagréables.Pasaussiexpertesquelespremières,maisplusintuitives,plussensibles.Ellessemblaientconnaîtrelesendroitsqu’ilfallaittoucher.

Lesmainsremontèrentlentementlelongdesajambe,appliquantjustecequ’ilfallaitdepression.Ellelessentaitcourirsurelle,lacaresser,lamasser,couvrirchaquepartiedesapeautoutenpoursuivantleurascensionverssescuisses.

L’idée de protester contre la familiarité avec laquelle on la caressait lui traversa brièvementl’esprit.Maisc’étaitbientropagréable,bientropbon.Ellen’avaitaucuneenviequecelas’arrête.

Néanmoins, toutes les bonnes choses ont une fin. Les mains finirent par quitter son corps. Uneseconde plus tard, elle sentait une serviette chaude et humide glisser doucement sur son ventre pournettoyerlemélangecrémeuxdeDieusaitquoi.

Puis,àsonplusgrandplaisir,lesmerveilleusesmainsseposèrentdenouveausursapeau.Quandellesprirentdoucementencoupelerenflementdesonventre,ellelaissaéchapperunnouveausoupirdebien-être.Maislorsqu’ellesentitdeslèvressepressersursapeautendue,elleredressabrusquementlatête,horrifiée.Lesrondellesdeconcombretombèrentdesesyeux.

Camétaitdevantelle,sesmainsposéessursonventre.Biensûr,c’étaientseslèvresquivenaientdesepressersursapeau.

—Depuiscombiendetempsest-cequetueslà?siffla-t-elle,furieuse.Oùestmonmasseur?—Je suis venum’offrir à toi,memettre à ta disposition. Je suis à ton service pour exaucer tes

moindressouhaitsetdésirs.Elleétaitsiconsternéequ’ellerestasansvoix.Ilavaitl’air…brisé.Pleind’espoiretenmêmetempsdésespéré.Ilsemblaitfatigué,usé,inquiet.

Maissurtout, ilsemblaitdéterminé.Ilyavaitdanssesyeuxunelueurquiparaissait indiquerque,cettefois-ci,ilneferaitpasmarchearrière.

—JenepeuxpasdiscuterdecelaenBikini,avectoutescessaletéssurmonvisage,finit-ellepardire.

Acesmots,ilsepenchaverselle,pritsonvisageentresesmainsetl’embrassaavecpassion.Quandses lèvres quittèrent les siennes, il y avait autant de crème sur son visage que sur le sien. Et il avaitl’air…ridicule.

Elleneputs’empêcherdesourire.Etmêmederire.—Jemefichedecequetuassurlevisage,dit-ild’unevoixbasse.Amesyeux,tuserastoujoursla

plusbellefemmedumonde.Ellesoupira,tentantd’ignorerlepincementaucœurquecesmotsvenaientdeluiprocurer.—Qu’est-cequetufaislà,Cam?Qu’est-cequetuveux?Nousnoussommesdittoutcequenous

avionsànousdire.C’estfini.Sesyeuxsemirentàbrillerd’unelueurintenseetmystérieuse.—Non,cen’estqueledébut.J’aiencorepleindechosesà tedireet jeveuxquetu lesécoutes,

Pippa.Surpriseparlavéhémencedesespropos,elleclignadesyeux.Bien,ellenepourraitmanifestement

rienfairepouréchapperàcetteconfrontation.Maisilétaithorsdequestionqu’elleresteallongée.Ellen’avaitaucuneenviedesesentirenpositiond’infériorité.

—Aide-moiàmerelever,s’ilteplaît.S’ilfautvraimentqu’onparle,jepréféreraisqu’onaitl’aird’autrechosequedechouxàlacrème.

Ill’aidaàseredresseretelledescenditdelatabledemassage.Aprèsquoi,ellesedirigeaverslelavabo pour débarrasser son visage des dernières traces demasque. Puis elle attrapa une serviette etentrepritdedébarbouillerceluideCam.

Ilrestacomplètementimmobile,tandisqu’ellel’essuyaitdoucementaveclelingehumide,maissesyeuxnelaquittaientjamais.Sonregardétaitsitroublantque,quandelleeutessuyéladernièretracedemasque, elle fut prise d’un besoin soudain de s’éloigner de lui pour ne pas se laisser happer par lesémotionsintensesquil’assaillaient.

Détournantsonregarddusien,elleenfilaunpeignoir,dontellenouafermementlaceinturesursonventregonflé.

Cam continuait de la regarder, immobile, imperturbable. Et tout à coup, comme s’il ne pouvaitattendreunesecondedeplus,illapritdanssesbrasetplaquasabouchecontrelasienne.

Illaserraitfermementcontresoncorps,latenantsiprèsdeluiqu’elleavaitpeineàrespirer.Seslèvresétaientdouces…Avides.Passionnées.Désespérées.

Quand,enfin, il s’écartad’elle,elleconstatadenouveauàquelpoint ilavait l’air torturé–celuid’unhommequivientdetoutperdre.

—Jenepeuxpasvivresanstoi,Pippa,murmura-t-il.Nemedemandepasdevivresanstoietsansnotrefils.Jevousaimetrop.Çamerongedel’intérieur.Jemeréveilleenpensantàvous,jem’inquiètepour vous toute la journée, jeme couche en rêvant de te tenir dansmes bras. La vie sans toi est unvéritablecalvaire.Tuestoutpourmoi.Tout.

Elle avala sa salive avec peine, tentant de contrôler ses émotions.Elle avait envie de l’attaquerverbalement,maisellesavaitquecelanerésoudraitrien.Néanmoins,elleavaittoujoursàlamémoirelesmotsqu’illuiavaitditslesoirdel’incendie.Desmotsqu’ilnepouvaiteffacer,etquiavaientouvertenelleuneblessureprofondeetdouloureuse.

—Envoilàunbeaucliché!dit-elle,ironique.Unaccidentamenacédem’emporter,et,toutàcoup,tuaseuuneillumination:tut’esrenducomptequetunepouvaispasvivresansmoi.

—Tu te trompes, répondit-il d’un ton ferme. Je le savais déjà. Jeme suis battu contre,mais jet’aimais déjà. Je n’ai jamais dit que je ne t’aimais pas, Pippa. Jamais. J’ai dit que je ne voulais past’aimer.Etcen’estpasl’incendiequim’afaitprendreconsciencedemonamourpourtoi.Naturellement,j’aieutrèspeurpourtoi.Jen’aipasdormidelanuitàt’imaginerdanscetappartement.Maisj’étaisvenutecherchercesoir-là.Commentcrois-tuquej’aisuquetuétaisàl’hôpital?Demande-le-moi.Jevaisteledire.

—Jeteledemande,dit-elled’unevoixtremblante,leregardplongédanslesien.—Si je l’ai su, c’est parce que j’avais pris la voiture pour aller te retrouver. J’ai compris que

j’avaiscommislaplusgrosseerreurdemavieentelaissantpartir.J’étaiscomplètementabattu,maisjesavaisque,sijefinissaispartedirecequejeressentaisvraiment,jeréussiraisàrecollerlesmorceaux.Etpuisjesuisarrivédanstarueetj’aivutouscesgyrophares,toutescesflammesettoutecettefumée.

Ilmarquaunsilenceavantdepoursuivre:—J’aieuenviedemourir,parcequejemesuisditquelesortavaitencorefrappé,maisque,cette

fois-ci,j’auraispul’enempêcher.Simplemententedisantcequej’avaissurlecœur,enfaisantunpeud’effortspoursurmontermapeur.

Elleécarquillalesyeux,choquéeparlavéhémencedesespropos.—Biensûrquej’étaisterrifiéàl’idéedet’avoirperdue.Maiscen’estpaspourçaquejesuislà.

Cen’estpaspourçaquejememetsàgenoudevanttoi,dansl’espoirquetudaignesm’accorderuneautre

chance.Je t’aime,Pippa.Je t’aiaiméedès le jouroù je t’ai rencontrée,mais jen’aipasvoulu laisserlibrecoursàmessentiments.Je lesaicombattus.Mais ilyadeschosesqu’onnepeutpascombattre.Parmilesquellesmonamourpourtoietpournotrefils.

Elleouvritlabouchepourluirépondre,maisilserapprochad’elleetposadoucementsonindexsurseslèvres.

—Laisse-moifinir,jet’enprie.J’aitantdechosesàtedire,tantdechosesàmefairepardonner.Ellehochalentementlatête.Alors, ilprit sonvisageentresesmains. Ilyavaitdanssonregardun troublesiprofondqu’il la

touchaauplusprofonddesonêtre.—Jesuisfatiguédemebattrecontremoi-même.Jeveuxvivreavectoietavecnotreenfant.Jesuis

fatigué de m’attendre toujours au pire, d’essayer d’oublier la douleur du deuil, d’anticiper descatastrophes. Si je pouvais vivre rien qu’une année avec toi, je serais heureuxpour le restant demesjours.

Cesmots,sitristes,sinaturelsetsiprofondslatouchèrentdroitaucœur.Ellen’avaitaucundoutesursasincérité.Lavéritéétaitlà,danslesyeuxdeCam.

Il fit glisser ses pouces le long de ses pommettes. Sesmains étaient douces sur sa peau et il laregardaitavectellementd’amourquedeslarmesvinrentbientôtluibrûlerlespaupières.

— Je me suis tellement mal comporté avec toi, poursuivit-il. J’ai tout fait pour t’aliéner. Je neméritepascetteautrechance,maisjetesuppliedemel’accorder.Jememettraiàgenoux,jeferaitoutcequetumedemanderas.Tusais,jenesuispascethommequetuasconnu.Jesuismieuxqueça,jeveuxêtremieuxqueça.Situacceptesdesupportermacompagnie,jepasseraitoutemavieàteprouverquetupeuxcomptersurmoi.

—Cam,dit-elle,bouleversée,si tuveuxmegarder, il fautquetucessesdet’attendretoujoursaupire.Jenetequitteraijamais,siçapeutt’aider.Moietlebébé,noust’aimeronsetnousresteronsavectoi.Toujours.

Elleluicaressadoucementlajoueetpoursuivit:—Jesuis tellement tristedecequi t’estarrivé.Mais tuasreçuuneautrechance, tunepeuxpas

ignorercecadeau.Illuipritlamainetembrassatendrementsapaume.—Oui, un cadeau. Tu es le plus beau cadeau qu’un homme puisse recevoir, Pippa. Je n’aurais

jamaisimaginérencontrerquelqu’uncommetoi.Etpuismaintenant,ilyanotrefils…Ilrepritsonsouffleetluiembrassadenouveaulamain.—Jet’aime.S’ilteplaît,pardonne-moi.Lecœurbattantàtoutrompre,elleseblottitdanssesbras.—Jetepardonne,murmura-t-elle.Jet’aime,Cam.Jet’aimeplusfortquetout.Ilsrestèrentquelquesinstantsimmobiles,serrésl’uncontrel’autre.Et,toutàcoup,ilsentendirentderrièreeuxdesacclamationsetdesapplaudissements.Surpris,ilsse

retournèrentetaperçurent,dansl’encadrementdelaporte,MmeC.etAshley,quilesobservaientdepuislecouloir.

Surleursvisages,ilyavaitdessouriresetdeslarmes.—Bienjoué,mongars!s’exclamaMmeC.,enlevantsesdeuxpouces.Cam lui sourit et serraPippaunpeuplus fort contre lui.Ce fut à cemoment-làqu’elle se rendit

comptequ’iltremblait.Enfait,ilsemblaitsurlepointdes’effondrer.Elleluiprittendrementlamain,entrelaçasesdoigtsauxsiensetl’attiraversuneportequidonnait

surunpetitjardinprivatif.

Lejardinétaitdésert.Leseulsonquel’onentendaitétaitceluidel’eauquis’écoulaitd’unejoliefontaine.L’airembaumaitleparfumdesfleursd’été,dontlescouleursvivesilluminaientlepetitespace.

—Assieds-toi,luiordonna-t-elle.Sans lui lâcher lamain, il s’effondra sur lebanc situé à côtéde la fontaine.Etpuis, comme s’il

craignaitqu’ellenedécidetoutàcoupdepartir,ill’attiraprèsdelui.—Je t’aime, luimurmura-t-il.Dis-leencore,Pippa.Dis-moiencoreque tum’aimesetque tume

pardonnesdem’êtreconduitcommeunimbécile.J’aibesoindetel’entendredire.Attendrie,ellesouritetvintseposterentreses jambes.Aussitôt, ilenroulasesbrasautourdesa

taille et laissa sa joue reposer sur son ventre, tandis qu’elle lui passait doucement la main dans lescheveux.

—Jet’aime,Cam.Etjetepardonne.Dansunsoupirdesoulagement,ilresserrasonétreinte.—Rentronsàlamaison,Pippa.Resteavecmoi,jeneveuxpaspasseruneminutedeplussanstoi.—Moinonplus,jeneveuxpaspasseruneminutedeplussanstoi,répondit-elle,folledebonheur.—Veux-tum’épouser?Jesaisquecen’estpasunesuperproposition,maisjeferaileschosesdans

lesrèglesdel’art,jetelepromets.Jet’offriraiunebague,jememettraiàgenoux.Jeferaitoutpourterendreheureuse.

—Cequimerendheureuse,c’estdesavoirquetum’aimes.—Alors tu seras laplusheureusede toutes les femmes.Car je comptebien t’aimerde toutmon

cœur,àchaquesecondedechaqueminutedechaquejourquipassera,jusqu’àcequelamortnoussépare.

Epilogue

Leséjourétaitaniméderiresetdeconversationsjoyeuses.LavilladeCamneressemblaitplusàune sombre caverne ; elle était lumineuse et aérée. C’était une maison pleine de vie, d’amour et debonheur.

Assisesurlecanapé,PippaobservaittendrementCametsesamis,occupésàs’extasierdevantuneribambelledebébés.

Rafael de Luca, son épouse Bryony et leur fille Amy étaient arrivés deux jours plus tôt. RyanBeardsleyetsafemmeKellylesavaientprécédésdequelquesheures.LeurfilleEmmaavaitquasimentlemêmeâgequ’Amy.Lesdeuxbébésétaientnésàquelquessemainesd’intervalle.

Ilavaitététrèsdifficilederassemblertoutcepetitmonde,maisPippasavaitqueCamaurait toutdonnépour luioffrir l’accouchementde ses rêves.Unmoment fort, oùelle serait entouréede toute safamilleetdetoussesamis,dansuneambiancejoyeuse.

Enplus de tout l’amour et de toute l’attentiondont il la couvrait chaque fois qu’uneoccasion seprésentait, il avait pris desmesures concrètes pour assurer son bien-être, notamment en engageant dupersonnelpourquesapâtisseriepuissecontinuerdefonctionnersanselleaucoursdesonderniermoisdegrossesseetpendantlestroismoisquisuivraientlanaissancedubébé.

Ellevivaitenfinlecontedeféesqu’elleavaittantrêvédevivre.Etc’étaitsimerveilleuxqu’elleavaitdumalàycroire.

ElleappréciaitbeaucouplesamisdeCam,quin’étaientpasdutoutcommeellelesavaitaudépartimaginés. En effet, ils ne ressemblaient en rien à l’ancien Cam et n’étaient ni réservés ni distants.C’étaient,bienaucontraire,desgenschaleureux,ouvertsetextravertis.ElleavaitfaitleurconnaissancelejourdesonmariageavecCam.Ungrandmomentdebonheur,maisunepetiteréception.Cametelles’étaient tous lesdeuxmisd’accordpourun rassemblementdiscret, avecdes invités triés sur levoletuniquementchoisisauseindelafamilleetducercledeleursamislesplusproches.

Kelly était probablement la femme laplusdiscrètedugroupe,maisPippa l’appréciait beaucoup.Elleavaitunsouriredouxetonvoyaitqu’elleadoraitsafille.Sonmari,Ryan,nes’éloignaitjamaisdesesdeuxpetitesfemmes.

Plongée dans ses pensées, elle se tendit brusquement quand elle sentit arriver une nouvellecontraction.Néanmoins,ladouleurcessarapidementetelleseremitàobserversonmarid’unairserein.

Debout à côtédeRafael etdeRyan,Cam tenaitEmmadans sesbras.Les trois amisbavardaientjoyeusement.Maiscequ’ilyavaitd’intéressant,c’étaitqu’ilsn’étaientpasen traindeparleraffaires.Non,RafaeletRyanéchangeaientdeshistoiresdebébés,chacuncherchantàdémontrerpourquoisafille

étaitplusintelligenteetplusmignonnequetoutautrebébéaumonde.L’air agacé, Bryony roula des yeux et prit place à côté d’elle. Ashley s’installa de l’autre côté,

tandisqueKellyvenaits’asseoirdanslefauteuilsituéàcôtéducanapé.—JesuisépoustoufléeparlechangementquetuasréussiàopérerchezCam,déclaradoucement

Bryony. Il a l’air tellement…heureux. Il n’a plus rien de l’homme triste et sombre demes souvenirs.D’ailleurs,jecroisquejenel’avaisjamaisentendurirejusqu’ici.Tuasaccompliunmiracle,Pippa.

— Il est super, répondit-elle en souriant. Il semontre toujours un peu trop protecteur et il peutdevenir agaçant quand il pense que quelque chose pourrait m’arriver, mais il a vraiment appris à sedétendreetàportersurleschosesdelavieunpointdevueplusoptimiste.

Ashleyluipritlamainetlaserradoucementdanslasienne.—Ilt’aime,Pippa.Tuluiasfaittellementdebien.Tul’assauvé.Uneautrecontractionsurvintetelledutseretenirdecrier.—Çava?demandaKellyenfronçantlessourcils.—Chut!IlnefautpasqueCamnousentende.Ilvapaniquer.—Alorsdis-nouscequ’ilya,chuchotaAshley.Tuasdescontractions?Ellerepritsonsouffleavantderépondre:—Depuisunbonmomentdéjà.—Quoi?s’exclamaBryony.Maispourquoiest-cequetun’asriendit?— Je ne veux pas queCam s’inquiète plus longtemps que nécessaire. Et, de toute façon, il faut

attendrequ’ilyenaittouteslesdeuxminutesavantdeserendreàlaclinique.—Euh,tusais,jesuispresquesûrequ’ilfautyalleravantqu’ellesnesoientaussirapprochéesque

ça,ditAshley.— Mon médecin m’avait dit qu’il fallait s’y rendre quand les contractions se produisaient

régulièrementtouteslescinqminutesetduraientaumoinsuneminutechacune,intervintKelly.Bryonyseconcentraquelquesinstantsetajouta:—Jecroisquelemienm’avaitditcinqàseptminutesd’intervalle,etrégulières.Pipparavalasasaliveavecpeineetposaunemainsursonventre.—Alors?luidemandaAshley.Ellessontespacéesdecombien?—Plusprochesdecinqminutesquedesept,répondit-elletoutbas.Jesaisquej’ailuquelquepart

quejedevaisattendrequ’ellessoientespacéesdedeuxminutes.—Jenesaispasoùtuasvuça,luiditAshley,enluijetantunregardexaspéré.C’esttoi-mêmequi

m’asditquetun’avaisrienvoululiresurlederniermoisdegrossesseetl’accouchement.MaisPippan’eutpasletempsderépondre.Bryonyétaitdéjàdeboutettiraitsursonbras.—Cam!IlfautemmenerPippaàlamaternité.Les troishommes se retournèrent enmême temps, l’air surpris.MaisquandCamsemblaprendre

consciencedecequecesmotssignifiaient,sonvisagedevintpâleetsesyeux,brillantsd’inquiétude.IlremitEmmadanslesbrasdeRyanetseprécipitaversPippa.—C’estlemoment,chérie?—Lemomentestlargementpassé,intervintAshley.Elledevraityêtredepuisdesheures.LeregarddeCamglissad’AshleyàPippa.—Pourquoidit-ellecela?—J’aipeut-êtremalcomprisàquelmomentjedevaisyaller,murmura-t-elle.Ellegrimaça,alorsqu’unenouvellecontractiondébutaitlentementdanssondos.—Onyva,ditCamenlaprenantparlatailleetensedirigeantverslegarageàgrandesenjambées.Elleritetseblottitcontrelui,tandisquelesautres,dansunjoyeuxbazar,rassemblaientnacelleset

sacsàlangerpourrejoindreleurspropresvéhicules.Camluiouvrit laportièreet luiattachaprudemmentsaceinture.Quand ileutdémarré,elleplaça

affectueusementsamainsursajoueetluimurmura:—Hé!çavaaller!Toutvabiensepasser.Ill’embrassatendrement,puislaissasesdoigtss’attardersursonvisage.—Jesais.Maintenant,directionlamaternité.J’aitellementhâtedevoirnotrefils.

***

—Poussez,Pippa !Çavient.Maintenant, respirez.O.K., respirez encoreune fois profondément.Retenez!Maintenant,poussezetcomptezjusqu’àdix.

Dieuquec’étaitdifficile.Pippaessayadetoutessesforcesderetenirsonsouffle,mais,aumomentoùellearrivaitàcinq,elle

neputs’empêcherd’expirer.S’il n’y avait pas eu la péridurale, elle aurait jeté l’éponge depuis longtemps et demandé à

quelqu’undel’assommer.—Tutedébrouillestrèsbien,chérie.LavoixdeCam,douceetrassurante,luiprocuraunbiennécessaireregaind’énergie.Ilavaitpassé

son bras derrière son dos et respirait avec elle à chaque contraction. Ses doigts étaient étroitemententrelacésauxsienset,entredeuxtendresbaisers,illuimurmuraitàl’oreilledetendresencouragements.

—Maisquandest-cequ’ilvasortir?gémit-elle.Lasage-femmesourit.—Unedernièrepousséeetonalatête,ditlemédecin.Concentrez-vousetmettezlepaquetsurla

prochainecontraction.Ouf!C’étaitpresquefini.Aumomentoù lacontractiondébutait, elle ressentitunbesoin impérieuxeturgentdepousser.Un

peucomme si son corps avait pris le contrôle sur son esprit. Instinctivement, elle retint son souffle etfermalesyeux.

—Pousse,chérie,pousse,necessaitdeluimurmurerCam.Tupeuxlefaire.Onyestpresque.—Latêteestsortie.Détendez-vousjusqu’àlaprochainecontraction.Ilvousresteencoreunpetit

effortàfaire,maislapartielaplusdifficileestterminée.—C’estvousquiledites,murmura-t-elle.Un instant plus tard, le médecin lui demandait de nouveau de pousser et, tout à coup, elle eut

l’impressionquesonventres’effondrait.Lebébéétaitsorti.Troublée,elleprituneprofondeinspirationetentenditunpetitcriretentirdanslapièce.—Oh!monDieu!murmura-t-elle.—Prêteàrencontrervotrebébé,Pippa?luidemandalemédecin.Ilne fallutquequelques instantsaux infirmièrespouracheverde lenettoyeret l’envelopperdans

unecouverture.Alors,ellesleplacèrentdanssesbras.EtquandPippabaissalesyeuxverslepetitvisagedesonenfant,ellesentitdeslarmesluibrûlerlespaupières.

Aprèsavoirpasséplusieurssecondesàl’observerensilence,submergéeparl’émotion,ellerelevalesyeuxversCametluitenditdoucementlepetitêtre.

Affichantuneexpressiondebéatitudetotale,ilpritdélicatementlebébédanssesbras.Alors,ungrandsouriresedessinasurseslèvres.

Lesourireleplusbeauetleplussincèrequ’elleaitjamaisvu.Ilyavaittellementdejoiedanssonexpressionqu’elleenfutbouleversée.

—Ilestmagnifique,murmura-t-il.Ettoutàcoup,àsaplusgrandesurprise,ellevitunelarmeroulersursajoue.Etpuisuneautre.Et

encoreuneautre.Sesmains tremblèrentquand il se rapprochad’elle etplaça lebébéentre leursdeuxcorps. Il se

penchadoucementverselleetlaissareposersonfrontsurlesien.—Jet’aime.Merci,Pippa.Mercipournotrefils.Ilteressembletellement.Ilestparfait,vraiment

parfait.Asontour,ellesemitàpleurer.Ellen’avaitjamaisrienvécud’aussibeau,d’aussifort.Cetinstant

resteraitgravédanssamémoirepourtoujours.—Commentva-t-onl’appeler?murmura-t-elle.Ilremitdélicatementlebébédanssesbras,avantdesepencherversluipourpouvoircontinuerà

l’observer.—PourquoipasMaverick?suggéra-t-il.MaverickHollingsworth?—NotrepetitMav,répondit-elleensouriant.J’aimebien.Iljoignitseslèvresauxsiennes,tandisquelebébés’endormaitdoucementdanssesbras.Quandil

s’écartad’elle,ilcaressasonvisagedesesdoigtstremblants.—Jevaist’aimeretaimerMaverickdetoutmoncœur,pourlerestantdemesjours.Malgrélafatigue,elleluioffritunsourireradieux.—Jen’endoutepas,Cam.Moiaussi,jevaist’aimerdetoutmoncœurpourlerestantdemesjours.

Et j’aidans l’idéedevivre très, très longtemps.Et tu saisquoi ?Quand j’auraisquatre-vingts ans, jeserai la plus grande enquiquineuse que tu auras jamais connue. Et je ne te laisserai pas une secondetranquille.

Iléclataderire.Sesyeuxbrillaientdejoie.Unepuéricultrice,venuepourluidonnerquelquesconseils,interrompitleurconversation.— Pourquoi est-ce que tu n’emmènerais pasMav dans la salle d’attente pour le présenter à sa

famille?ElleétaitcertainequelesfillesetlesCopelandétaientarrivés,etellesavaitquelesamisdeCam

étaientrestésàlamaternitépendanttouteladuréedutravail.

***

CamselevaetpritMaverickdesbrasdesonépouse.Sonépouse.Ilneselassaitpasdecemot.Pippaneluiavaitjamaisparuaussibellequ’encetinstant.

Fatiguée,forte,etsicourageuse.—Onrevientdansquelquesminutes,luidit-ilenluiembrassantlefront.Elleluiréponditparunsourirelasetunregardsipleind’amourqu’ilsentitsoncœurseserrer.Ilquittalachambre,serranttendrementsonfilsdanssesbrasprotecteurs.Sonfils.Sonmiracle.Sadeuxièmechancedevivre.D’êtreheureux.D’êtrepère.Quandilarrivadanslasalled’attente,lesyeuxembuésdelarmes,touteslestêtessetournèrentvers

lui.Iladressaàsesamis,àsafamille,ungrandsourire.Lesouriredeceluiquiretrouvelesoleilaprèsunlongséjourdanslesténèbres.

—Jevousprésentemonfils.