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Nina Douart Sinnouretty

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Directeur de la publication — Conseil général, J.-F. DuranteConception graphique — Ervé BrisseImpression — IGSCrédits photographiques — Ancrage

FÉVRIER 2014

De quoi les Lot-et-Garonnais sont-ils faits ? De greffes successives de migrants du monde entier venus peupler le Lot-et-Garonne depuis la nuit des temps. Portés par des motifs aussi éloignés que la douceur du climat ou l’enfer des guerres, ces hommes et ces femmes construisirent et construisent encore de nos jours une existence jalonnée d’épreuves et d’espérance, une société en mutation permanente.

À tous ces migrants aux racines multiples, aux cultures différentes, croyants ou non croyants,le département est redevable d’une identité métissée, riche car diversifiée.

Que serait devenu le Lot-et-Garonne sans l’apport massif de ces compatriotes ? Sinon une friche dépeuplée, sans âme, à l’avenir improbable.

Les portraits de cet « album de famille » sont une modeste illustration de cette diversité lot-et-garonnaise. Vingt-cinq hommes et femmes, promus par la magie de l’image, ambassadeurs d’une communauté de plus de trois cent mille âmes aux patronymes qui chantent les musiques du monde. Nul ne peut l’ignorer.

De tous temps, l’apport des nouveaux venus fut déterminant et notamment au siècle dernier, lorsque, saigné par les guerres, le Lot-et-Garonne, à l’image du pays, dut faire appel à de nouveaux bras. En ce début de XXIe siècle, l’immigré demeure tout aussi indispensable à la vitalité du territoire.

Le département vieillit. Le solde naturel naissances-décès, est négatif. Pourtant, depuis le basculement des siècles, la population s’accroît. Une progression démographique due aux migrations.

Les pages suivantes se lisent enfin comme un antidote au danger du repli sur soi et aux préjugés. Sans a priori ni angélisme, elles invitent à la curiosité, au dialogue, à l’échange et au partage. Elles sont un hommage à ces précieux témoins qui ont accepté de recevoir Ancrage pour évoquer cette longue, parfois douloureuse itinérance qui a fait d’eux des Lot-et-Garonnais. Tous ces témoins du bout du monde et des régions voisines sont les meilleurs ambassadeurs d’Ancrage dans sa modeste contribution à la lutte contre le racisme, les discriminations, ces fléaux qui ne cessent de renaître sur le terreau de la bêtise et de la haine.

Ancrage

Terre de refuge, d’accueil et d’espérance, le Lot-et-Garonne est le fruit du sang mêlé de nos parentset grands-parents. Le visage actuel de notre département est le reflet de brassages ethniques et culturels qui ont irrigué les vallées du Lot et de la Garonne dès la plus haute Antiquité.

Situé au carrefour de plusieurs civilisations, baigné par un climat favorable et jouissant d’un terroir généreux, notre territoire fut historiquement une terre promise pour tous les persécutés, tous les apatrides, tous ceux qui nourrissaient l’espoir d’une vie meilleure où la haine et le rejet de l’autre n’auraient plus droit de cité. Et si chaque vague migratoire s’accompagna de son lot de préjugés et de méfiance, la société lot-et-garonnaise s’est toujours enrichie des apports venus de l’extérieur. Cette identité composite a forgéle creuset de ce « vivre ensemble », si caractéristique de notre réputation gasconne.

Avec cet ouvrage, la revue Ancrage nous invite à un voyage vers les origines de notre histoire commune. Les témoignages, souvent poignants, de ces familles venues d’ailleurs démontrent une grandeur d’âme et une volonté indéfectible de s’intégrer à la société qui leur ouvrait les bras. En retour, ces hommes et ces femmes ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour construire et développer ce Lot-et-Garonne qui nous appartient à tous.

À l’heure où notre société doute d’elle-même et où il est si facile de désigner les boucs émissaires de notre prétendu déclin, il est primordial de se souvenir d’où nous venons. Pour continuer d’avancer sur le chemin du progrès, nous avons résolument besoin des autres.

Parce que c’est sa plus grande richesse, je souhaite que notre département reste fidèle aux valeurs de tolérance, de fraternité et d’ouverture au monde qui ont fait sa force au cours des décennies écoulées. Pour y parvenir, nous avons la responsabilité de réinventer un modèle d’ascension sociale et républicaine qui bénéficie au plus grand nombre. C’est un défi majeur pour sauvegarder notre cohésion sociale.

Ce livre magnifique nous invite à le relever ensemble !

Pierre Camani Président du Conseil général Sénateur de Lot-et-Garonne

Un visage aux couleurs du monde

« Quand on raconte sa propre histoire, ce que l’on évoque est parfois faux. On risque d’adopter un ton épique ou de verser dans des histoires misérabilistes. Cependant, il est important de faire le point de sa vie. Même déformé, le témoignage peut être sincère. »

Ainsi s’exprimait Françesc Tosquelles, (1) le père de la psychothérapie institutionnelle, exilé catalan en 1939 et Lot-et-Garonnais d’adoption.

Cette invitation à la modestie doit être présente à l’esprit lorsqu’on découvre les parcours de vie qui nourrissent depuis 2002 le fond mémoriel d’Ancrage. Sans doute imprécis, mais certainement nécessaires, ces retours sur le passé aident à la compréhension du présent et participentà la construction d’un avenir partagé.

Ce passé se perd dans la nuit des temps. Pour l’appréhender, il faut faire appel à l’archéologie, lire, sans naïveté, les auteurs anciens, recueillir les témoignages des immigrés dont les valises sont bourrées de mauvais coups et d’histoires d’amour.

Un chantier inépuisable par conséquent, qui débuta il y a quelque 400 000 ans selon les scientifiques, lorsque l’homo erectus, ce chasseur-cueilleur venu d’Afrique, se fit cultivateur. Notre région, l’Aquitaine, aurait été, dès cette époque, un carrefour de différents courants migratoires. Chez nous, en Lot-et-Garonne, l’illustration de ces mouvements prend le visage des Nitiobroges.

Ces Celtes s’établirent des coteaux nord du Lot à la vallée de la Garonne quelque 3 000 ans avant J.-C.Jules César précise que leur chef, Teutomatos, avait installé son « gouvernement » à Agen. Les Nitiobroges voisinaient, à l’Est, avec les Cadurques, et au Nord avec les Pétrocores.

Les trois siècles qui suivirent l’arrivée des Romains (- 56 avant J.-C.) furent des siècles de prospérité, d’échanges et de sangs mêlés. De la chute de l’Empire romain au Moyen Âge, d’autres courants migratoires, descendant notamment des Pyrénées, irriguèrent le département.

Les persécutions religieuses et les conflits politiques développèrent un nouveau type d’immigration à partir du XVe siècle. L’Inquisition espagnole chassa les juifs d’Espagne en 1492, puis ceux du Portugal au XVIe siècle.

Les courants migratoires s’amplifièrent aux XIXe et XXe siècles. Outre les migrants économiques de la péninsule ibérique, de nouveaux foyers espagnols chassés par les guerres carlistes trouvèrent refuge en Lot-et-Garonne au XIXe. Survinrent ensuite les grands bouleversements du début du XXe.

Saigné à blanc au lendemain de la première guerre mondiale, le Lot-et-Garonne lança une campagne de recrutement massif. Le département devint ainsi, avec 12 000 Italiens, le premier département d’accueil de cette population pour les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées confondues. Un mouvement consolidé par l’arrivée de Suisses et de familles d’autres régions de France : Bretons, Vendéens, Aveyronnais notamment.

À la même époque, le département vit arriver les Européens de l’Est chassés par la révolutionbolchévique (1917). Les Russes blancs apportèrent ainsi leurs bras et leur culte orthodoxe dans le bassin industriel fumélois. À partir des années trente, chassés d’Allemagne, d’Autriche, de Hongrie, de Pologne, de Tchécoslovaquie parmi d’autres pays d’Europe centrale, les juifs menacés par la montée du nazisme trouvèrent refuge en Lot-et-Garonne. La haine antisémite les rattrapa en 1942 lors des rafles conduites par la police française de Vichy. Plusieurs centaines d’entre eux périrent en camp d’extermination. D’autres familles, cachées et sauvées par des autochtones, firent souche. Par ailleurs, la montée du fascisme en Europe, jeta sur les routes de l’exil les démocrates italiens après la prise du pouvoir de Mussolini (1922). Des dizaines de familles espagnoles de républicainstrouvèrent en Lot-et-Garonne une terre d’accueil (1939). S’exilèrent aussi, en 1940, les Alsaciens des zones frontalières contraints d’abandonner leur domicile à l’approche de l’envahisseur allemand. Tous ne réintégrèrent pas leur foyer à la fin des hostilités.

Ces années de guerres, source de drames familiaux, de rupture avec le pays natal, modifièrent en profondeur l’identité du Lot-et-Garonne. Aujourd’hui encore, nombre de nos compatriotes dont les racines s’accrochent à ces terreaux de douleurs et d’épreuves, structurent le socle démographique, la vie politique, culturelle, économique du département.

Après le tourment des guerres mondiales et des révolutions, deux phénomènes importants donnèrent des couleurs supplémentaires à l’identité départementale : l’essor économique des « Trente glorieuses » et la chute de l’empire colonial français.

L’agriculture et l’industrie furent les principaux vecteurs de ces nouveaux apports de population. Tour à tour les Espagnols, les Portugais, les Marocains fournirent une abondante main-d’œuvre agricole et industrielle.

La chute de l’Empire colonial français en Asie (1954) a donné un éclat supplémentaire à l’identité lot-et-garonnaise. Bias et Sainte-Livrade-sur-Lot ont été, en 1956, les deux pôles principaux de l’accueil des Français d’Indochine, Vietnamiens, Laotiens, familles des comptoirs économiques des Indes(Pondichéry).

Le démantèlement de l’Empire en Afrique (1960) ne put empêcher le drame de l’Algérie. L’indépendance du pays provoqua l’arrivée des Pieds-noirs (1962) et des Harkis (1963).

À la fin du siècle dernier, les courants migratoires prirent une autre dimension avec l’émergence de l’immigration « soleil » impulsée par nos voisins d’Europe du Nord sensibles aux charmes climatiques du pays. Le département n’en est pas moins toujours concerné par les drames humains qui secouent la planète. Le conflit ethnique des Balkans dans les années 90, la montée de l’antisémitisme en Russie et en Ouzbékistan, entre autres, ont conduit de nouveaux exilés en Lot-et-Garonne.

De nos jours, il suffit d’interroger les acteurs dévoués des associations pour les droits humains comme la Cimade pour deviner le désarroi de familles venues d’Afrique ou d’Europe, qui rêvent d’une vie meilleure dans nos villes et campagnes.

La plupart parcourent les routes de la clandestinité. Les temps ont changé. Les bras robustes des populations laborieuses recherchés par le passé sont souvent rejetés aujourd’hui. Toutefois, en dépit d’une législation de plus en plus tatillonne, les familles du monde parviennent à valider leur accession à la nationalité française.

L’immigration demeure un vecteur indispensable à l’équilibre démographique d’un département vieillissant.

Ce panorama ne prétend pas répertorier l’ensemble des courants migratoires en Lot-et-Garonne. Bien qu’imparfait, il brosse néanmoins le portrait de ce que nous sommes. Un visage aux couleurs du monde.

Joël Combres

————————————————————————————————————————————1. Francesc (François) Tosquelles, né en 1912 à Reus (Catalogne), mort à Granges-sur-Lot (Lot-et-Garonne) en 1994. Psychiatre catalan de renommée internationale, il fut médecin-chef du centre départemental hospitalier de la Candélie à Foulayronnes.

Claire BallouxLaotienne de Sainte-Livrade-sur-Lot. Elle conserve un souvenir précis des maisons sur pilotis, du temps de la mousson, de la macération des fleurs et des vieux en enfilade tirant sur les bouffardes dans les fumoirs d’opium.

« Ma mère n’a pas eu de chance dans sa vie. J’aurais voulu avoir plein d’argent pour lui payer le voyage. Je ne saurais l’expliquer. Toujours est-il que je reste laotienne. Je ne sais si un jour je pourrai faire le voyage. Si cela m’arrive, je ferai comme le pape. J’embrasserai la terre. »

Catalina Berenguer JolyAuteur, poétesse, demeure à Pujols. Naissance à La Pobla de Montarnès, près de Tarragone (Catalogne). Années 1940-1954. Une enfance en pays franquiste.

« Un jour de l’année 1954, l’ami vieux et malade convoqua mon père à Barcelone. Il est temps de partir, de quitter ce village, celui devenu de tous les dangers pour nous. Un an plus tard, aidé une dernière fois par l’Ami, nous partons en touristes pour la France, pays des droits de l’homme, en n’emportant qu’une petite valise. »

Richard Bogg Officier anglais de l’Otan à Castillonnès. La première fois que Peggy a vu la fermette, elle a dit : « la voilà ! Vingt-quatre heures plus tard on achetait ! » Peggy et Richard Bogg sont devenus lot-et-garonnais et Richard élu président de l’office du tourisme.

« Je n’ai plus eu beaucoup de temps pour d’autres choses. Je me demande parfois si ma retraite a vraiment commencé. La différence, ici, c’est bien sûr le climat. Mais surtout l’amitié. Quand on fait l’effort de s’intégrer, les gens sont accueillants. »

Denise BourgoisNée à Alger, réside à Pont-du-Casse. Vincent, Catherine, les parents, sa sœur Christiane.

« Tandis que je me destinais à une carrière d’assistante sociale, ma sœur devint institutrice à Alger. Elle réalisa ainsi le rêve paternel. Ayant été boursière, je devais dix ans de service à l’administration. J’avais donc demandé à travailler en milieu musulman. L’administration de l’époque m’a presque ri au nez. “ Vous devriez vous faire sœur blanche si vous voulez travailler avec les Arabes”, me suis-je entendu dire. »

Zined Bouzaboun Née en Algérie. Zined, fille de Mohammed et Dahmana, naquit en 1913 dans un oasis de l’Algérois profond. Il lui faudra attendre la quarantaine pour découvrir des visages différents des siens : celui d’un garde forestier européen, le premier étranger à croiser son chemin. Quatre décennies avant de voir que son pays est peuplé d’Européens, d’Arabes, de militaires qui se font la guerre. Zined, mère courage, sauvera ses enfants de la folie des hommes.

« Mais cette guerre, je ne préfère pas te la raconter. »

Josefa Capell MuñozNée en 1915 à Salt (Catalogne), militante des Mujeres Libres, a vécu à Sainte-Livrade-sur-Lot.

« On était jeunes et plein d’espoir, on voulait aussi s’amuser. On organisait des « Charlas » où l’on arborait un drapeau bleu et blanc. Il n’y avait que des femmes. Mais les syndicats nous poussaient à agir. Nous pouvions enfin parler et dire ce quel’on pensait. Notre combat était simple. On voulait être libres, pour le travail, pour la vie, pour tout. On voulait se libérer de la domination des hommes. »

Serge Carvalho Originaire de Caudecoste (Lot-et-Garonne). Né en I949, à Aves, près de Porto, d’un père boulanger et d’une mère exerçant dans le textile. Second garçon d’une fratrie de cinq enfants. Études primaires au Portugal. En trois mois, apprend les rudiments du français. Ferronnier d’art et meilleur ouvrier de France.

« Se mesurer aux autres quand on est tout petit et que l’on est émigré dans un pays où il faut se construire et trouver sa place, est la meilleure des intégrations qui soit. Car, au départ, on a plus de chemin à parcourir. »

Max CwikRésistant, médecin russe juif de Sainte-Livrade-sur-Lot.À droite, son ami Henio Weiskopf.

« Un matin du mois d’octobre 1941, les gendarmes viennent frapper à une quinzaine de portes de cabinets médicaux éparpillés dans le département. Deux à Agen, quatre à Villeneuve, les autres à Mézin, Marmande, Moncrabeau, Port-Sainte-Marie, Houeillès, Tournon-d’Agenais, Sainte-Livrade-sur-Lot. Sur ordre du préfet de Lot-et-Garonne, ils viennent notifier aux médecins qu’il leur est désormais interdit d’exercer. »

Bintou Diallo Sourisseau De Ouagadougou à Monflanquin…

« On a tout ici. Quand on est malade on peut se soigner. Quand on a faim on peut manger. Nous avons l’eau, l’électricité, tout ce qui est nécessaire. Mais les gens n’ont pas le bonheur parce qu’ils n’ont pas la vraie valeur de la vie. Ils sont stressés, se plaignent souvent. C’est très différent de l’Afrique. Quand je suis là-bas je vois des gens qui n’ont rien et qui vivent heureux. Ici, je vois des gens qui ont tout et qui sont malheureux. »

Nina Douart SinnourettyFranco-indo-vietnamienne du Cafi, présidente de la Coordination des Eurasiens de Paris.

« Quand je suis arrivée au lycée, il me fallait expliquer que j’étais eurasienne mais de couleur noire, ou bien bronzée, que mon père était indien, ma mère vietnamienne mais que j’étais tout de même française. C’était d’une complication !Alors, pour ne pas perdre la face devant mes copines qui me demandaient si le Vietnam était un beau pays, je me suis inventé une histoire, pleine de mystère. »

Wafaë Garni Étudiante en langues à la faculté de Bordeaux. Née à Fumel dans une famille originaire du Maroc. Pratique l’arabe, l’anglais, l’espagnol, le français, le latin et l’occitan.

« J’avais 5, 6 ans à l’époque. Ma sœur et moi parlions naturellement le français et l’arabe et notre mère trouvait opportun que nous apprenionsune langue supplémentaire. Elle disait que c’était une bonne gymnastique cérébrale. J’ai donc commencé à étudier l’occitan dès mon entrée à l’école primairebilingue de Monsempron-Libos. »

Rodolphe GrunbergÉvadé de la rafle des juifs à Casseneuil. Demeure à Roquefort (Lot-et-Garonne)

« En Pologne, mon pays natal, le français était la langue diplomatique. J’ai le souvenir de familles solidaires et de parents qui avaient parfois du vague à l’âme. Ils pensaient qu’on vivrait mieux en France. Nous avions pris le train, ma mère, mon frère et moi. Tous les autres membres de la famille, ma tante et mes quatre oncles, sœur et frères de mon père, mes grands-parents sont restés en Pologne. Nous partions en France et on nous enviait un peu d’avoir cette audace. »

Famille Gruppi D’Italie à Villeneuve-sur-Lot. Carlo Fioraventi Gruppi et Adèle Lanzani, son épouse, ont maintenu à Foulon la polyculture importée du pays natal. Carlo Fioraventi savait qu’il n’aurait aucune difficulté à s’adapter, depuis le voyage initiatique effectué seul, sur les rives du Lot, avant le grand départ. Il avait relevé des similitudes dans l’art de cultiver la terre dans les deux pays. Les enfants fréquentèrent l’école Jeanne-d’Arc.

« L’apprentissage du français constituala pierre angulaire de notre intégration. »

Ghada Lacombe Une princesse en Agenais. Originaire d’une prestigieuse lignée turque, Ghada Kamel Ben Nijm Al Din Cheikh Gharib Masri Zadah est devenue, en 1982, Ghada Lacombe.

« Lorsque la famille se déplaçait de Constantinople à Soklut, sa résidence d’été, un âne chargé de sacoches était réquisitionné pour le seul transport des bijoux. Mais cette vie eut une fin. En 1923, Mustafa Kemal Atatürk déposale sultan et fut élu président. Les Princes furent chassés. Mon grand-père se réfugia en Syrie. »

Chris Mc Greggor Saint-Pierre-de-Caubel. Au piano avec le groupe mythique du Blue Note . Chris est décédé en 1990, quelques mois avant la fin de l’ apartheid qu’il avait combattu toute sa vie à la tête de sa « confrérie » de musiciens noirs.

« Quand je jouais dans un café “noir ” avec mes amis, je mettais une grosse casquette et des lunettes sombres pour dissimuler mes cheveuxlisses et mes yeux bleus. À l’inverse, le batteur Louis Moholo se cachait derrière le rideau de scène quand nous jouions dans un club pour blancs. »

Smail MoumenInternational marocain de rugby, figure emblématique du rugby fumélois. Ici avec son fils Karim.

« Je pense avoir inspiré du respect dans ma carrière, mais il y a toujours ce petit truc qui reste. Quand j’ai été désigné capitaine puis entraîneur de l’USFL -à la grande majorité des cadres du club- il y a eu encore “ce petit truc ” qui fera émerger dans les deux cas un vote négatif. J’ai vu le côté raciste de l’affaire après coup. Le racisme c’est difficile d’en parler. J’y ai vu souvent le symbole de la bêtise humaine. »

Rose PérièsNative de Mulhouse (Alsace), réfugiée à Saint-Antoine-de-Ficalba (1939).

« Papa et maman ont été interpellés au travail, ils ont été sommés de rassembler quarante kilos de bagages et une somme d’argent dont je ne me rappelle pas le montant. Ma grand-mère, qui me gardait à la maison, a juste pris le temps d’emporter une boîte de sardines et un flacon d’eau de Cologne ; moi, seulement mon pot de chambre. Les Allemands nous ont conduits à vingt kilomètres de Mulhouse, à l’Institut Saint-André près de Cernay. »

Pierre PolivkaRacines ukrainiennes, né à Paris, demeure à Aiguillon. Professeur d’histoire.

« Mon père exigeait que l’on soit parmi les meilleurs élèves, plus français que les Français, plus républicains que les républicains. S’il me fallait résumer cette période en deux phrases ce serait “attachement intellectuel à la France” et “attachement viscéral à la famille”. L’été, notre foyer parisien accueillait les proches du monde entier. Beaucoup venaient en France. J’avais le sentiment d’une appartenance très forte à une famille universelle. »

Pierre RouyerIngénieur lorrain, doyen de l’usine de Fumel (premier plan au centre).

« En mars 1941, on tirait la langue à Pont-à-Mousson*. Ici on avait tout ce qu’on voulait. À mes yeux, Fumel c’était un paradis par rapport à d’autres régions et puis, surtout, à ce moment-là, il n’y avait pas d’Allemands. Mais j’étais inquiet du sort de mes grands-parents restés à Pont-à-Mousson. Leurs conditions de vie étaient précaires. J’envoyais régulièrement des pruneaux, du tabac à mon grand-père. Plus tard j’ai su que les pruneaux arrivaient, le tabac, jamais. »

* Commune de Meurthe-et-Moselle

Stanislas SwietekFils d’un immigré polonais, mineur de fond. Enseignant, chef d’établissement dans l’Algérie indépendante puis en France. Demeure à Tonneins.

« Mon père avait été victime d’un accident à la mine en 1946. La jambe écrasée, il n’a jamais été véritablement guéri de ses blessures faute d’antibiotiques, d’autant qu’il était aussi rongé par la silicose. Convalescent après six mois d’hospitalisation, il avait été affecté au carreau de surface où il était chargé de la distribution des lampes à ceux qui descendaient. »

François TosquellesPsychiatre, père de la psychothérapie institutionnelle. Né à Reus (Catalogne), a vécu à Grange-sur-Lot.En 1931, participa à la mise en place de la Deuxième République en Espagne et adhéra au Poum (Parti ouvrier d’unification marxiste).

« Quand on raconte sa propre histoire, ce que l’on évoque est parfois faux. On risque d’adopter un ton épique ou de verser dans des histoires misérabilistes. Cependant il est important de faire le point de sa vie. Même déformé,le témoignage peut être sincère. »

Philippe TranNé à Saigon d’un père vietnamien et d’une mère lot-et-garonnaise. Cadre de l’administration du Conseil général. Le Viet-Nâm est un pays envoûtant, aux traditionsbien ancrées, où Philippe a envie de retourner pour mieux le connaître.

« Un pays que mes enfants, qui représentent la troisième génération, ont découvert avec beaucoup de curiosité ; un pays, qui est pour partiele leur, et dont ils sont revenus à regret, mais avec de nombreux et riches souvenirs et une plus grande ouverture au monde. »

Ana Maria Venegas UteauComédienne franco-chilienne. À droite, son amie Anne-Marie Frias.11 septembre 1973 : Ana Maria et ses parents empruntent la rue les ramenant à leur foyer. Des coups de feu éclatent. Des gens crient et courent. Elle n’a que 13 ans. Les images resteront gravées. Pour la première fois de sa vie, l’enfant vit avec la peur. La famille reste calfeutrée à son domicile. Jorge, le père, a l’oreille collée au poste de radio. Dehors, les rafales de mitraillettes déchirent par intermittence le silence.

« Quand j’y pense, c’est comme un temps mort. »

Guillaume et Marianca VlemingsRacines en Hollande. Demeurent à Sainte-Livrade-sur-Lot.

« Nous nous sommes donné une année pour réfléchir, sans abandonner l’idée de revenir en France où nous avions laissé les quelques meubles que nous possédions. De France on pouvait rentrer chez nous en voiture, en train, à pied même ! Mais de Nouvelle-Zélande, c’était autre chose...Et puis, quand on voit toutes les possibilités qu’il y a ici, ça te gratte ! Nous avons mis notre projet à l’épreuve du temps et des conseils de nos proches. »

Famille Wagner(Than, Haut-Rhin)

« En juin 1942 nous avons déposé nos maigres bagages dans une propriété du docteur Fauvel de Sauveterre-la-Lémance. Au cours de l’été, nous avons de nouveau déménagé. Ce fut enfin Blanquefort où M. Dengler, le métallurgiste chez qui notre père avait travaillé, venait d’acheter une propriété. Il avait projeté de ménager des endroits propices aux parachutages des alliés dans le coin. Nous étions métayers. Nous vivions à six dans un deux-pièces de Traban-haut. »