nº18-SAÏD-Le père mytique-ment, une construction freudienne

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    LE PRE MYTHIQUE-MENT, UNE CONSTRUCTION FREUDIENNEChristelle SadERES | Analyse Freudienne Presse

    2011/1 - n18

    pages 175 186

    ISSN 1253-1472

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-analyse-freudienne-presse-2011-1-page-175.htm

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    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Sad Christelle, Le pre mythique-ment, une construction freudienne ,

    Analyse Freudienne Presse, 2011/1 n18, p. 175-186. DOI : 10.3917/afp.018.0175

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    Intervenir aujourdhui confronte une position parti-culire qui implique une certaine responsabilit. Il sagit detransmettre un public quelque chose de la psychanalyse,tche que jai toujours trouve trs difficile. Il nous est sifacile duvrer insidieusement, au cur mme de nos faonsde dire, teindre le gnie de la dcouverte freudienne.

    En arrire-plan, une autre question, celle de nos pres :que nous ont-ils transmis ? Que nous ont-ils lgu ? Et quenfaisons-nous ? Bien sr nous ne sommes pas sans savoir que lapsychanalyse ne se transmet pas de pre en fils, il nempcheque nous ne pouvons pas faire fi des psychanalystes qui nousont prcds, de leurs avances, de leurs impasses, de leurslaborations Freud lui-mme nous y invite : Ce que tu ashrit de tes pres, acquire-le pour le possder1.

    Il sagit donc de sapproprier un hritage, hritagedcrits, de textes, alors on sy emptre, on sy englue, on ypatauge, a fait des nuds. Une invitation donc risquer

    1. S. Freud, Totem et tabou, Paris, Payot, 2001, p. 222.

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    une parole, la prendre notre compte, du point o nous ensommes, avec les moyens qui nous sont propres, les moyensdu bord. chacun sa porte dentre.

    Jai pris le parti dexposer les errances dune rechercheen train de se faire : explorer des chemins et leurs impasses,quitte marquer une pause ou rebrousser chemin. Cequon ne peut atteindre dun coup daile il faut latteindre en

    boitillant. Ceci mamne au titre.Il y eut ce moment du temps venu de proposer

    un titre ; il mest venu ce moment-l, sorte darrt surimage, le mythe tait mit , formule emprunte BernardBremond.

    Ensuite une question : quest-ce qui avait pu amenerFreud construire ce mythe du pre de la horde primitive ?

    En cho avec ce que Lacan nous indique en 1963 dansIntroduction aux noms du pre,que cest, pour navoir pasos sur cette question aller plus loin que Freud, que toutela thorie et la praxis de la psychanalyse nous apparaissentaujourdhui comme en panne (p. 85). Lenjeu est donc detaille et la question invitable.

    Au commencement, je me demandais par quel bord jal-

    lais apprhender le thme de ces journes sur le symptmeCette interrogation, je la tranais bien avant cette invitation intervenir. Il y avait l quelque chose de symptomatique. Ilsagissait de trouver une porte dentre.

    La nuit mme je fis un rve : cest le jour de la journedtude. Mon intervention passe, des collgues dAnalyseFreudienne viennent me dire de ne pas oublier de parlerdune troisime chose : Le pre a invent le pre.

    Je me retrouve au rveil avec cette curieuse et mystrieuseformule Le pre a invent le pre. Le pre est au centre, ilest question dorigine, dauto engendrement, mais o est lepre ?

    Me vient alors que le pre de la psychanalyse a invent lepre de la horde originaire. Cela me renvoie un passage de la

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    fin du Sminaire sur lidentification, o Lacan invite iden-tifier le legs de Freud, (mme) si ctait son uvre quildevait se limiter, au Totem et tabou . uvre, dit Lacan,qui est pour Freud, Die sache selbst, la chose mmeluvre cest en somme tout ce qui justifie, tout ce en quoimrite de subsister ce sujet qui ne fut, qui ne vcut2.

    Lacan est aussi amen dire que Totem et tabou serait

    un produit nvrotique , un mythe dobsessionnel, sanspour autant remettre en cause la vrit de la construction et, dit-il, cest mme en cela quelle est tmoignage de lavrit, on ne psychanalyse pas une uvre et encore moinscelle de Freud quune autre, on la critique3.

    Nous avons, l, tous les ingrdients qui vont orienter cetravail.

    Le legs de Freud, Totem et tabou,qui est pour celui-ci la

    chose elle-mme, un mythe, un symptme, une constructionqui viendrait tmoigner de la vrit.

    Donc le meurtre du pre se trouve au centre de ladoctrine de Freud, mais cest en 1900 quil apparat pour lapremire fois dans Linterprtation des rves, il apparat sousforme dun souhait qui surgit juste aprs la mort de son preJacob Freud en octobre 1896 : Le roi dipe qui a abattu

    son pre Laos et pous sa mre Jocaste nest que laccom-plissement de souhait de notre enfance4. Selon Lacan le complexe ddipe, cest le rve de

    Freud5 et il est interprter comme tel. Conrad Stein dansson article Le pre mortel et le pre immortel (Linconscientn 5), linterprtera comme un dni de la castration, unedngation de la mort au nom de la toute-puissance .

    2. J. Lacan, Le Sminaire, Livre IX, Lidentification, Leon du 20 juin 1962.3.J. Lacan, Le Sminaire, Livre XVIII, Dun discours qui ne serait pas du semblant,Paris, Le Seuil, 2006, p. 161.4. S. Freud, Linterprtation des rves, uvres compltes IV, 1899-1900, Paris,PUF, 2004, p. 303.5. J. Lacan, Le Sminaire, Livre XVIII, Lenvers de la psychanalyse, Paris, Le Seuil,1991, p. 159.

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    Lacan va proposer une autre lecture possible des souhaitsde mort. Ceux-ci seraient lis notre ignorance, limpossi-bilit mme de concevoir cette chose quest la mort. La mortest une ralit qui nous chappe et il est indispensable lavie que quelque chose ne se sache pas6.

    Apparat lide dune ignorance, dun non-savoir, dunmanque, dun trou, dun vide, dune bance, propre

    lhomme, cet tre de langage.dipe, dabord rve de Freud, puis revisit en 1912-1913 avec Totem et tabou, o il remonte aux origines versun dipe primitif. Pour Lacan, dipe, Totem et tabou etMose et le Monothisme,cest lvolution de la constructionfreudienne mettant jour le meurtre du pre, linscrivantainsi dans lhistoire mme.

    Totem et tabou sinscrit comme un acte incontournable

    qui mettra fin aux relations entre Freud et Jung. Il y auraitbeaucoup dire, mais revenons au pre de la horde primi-tive de Totem et tabou, sa place dans luvre de Freud. Dequoi sagit-il ? Dune nouvelle version du mythe dipien ? partir de donnes anthropologiques, ethnologiques, clairespar la psychanalyse, Freud construit un mythe en rponse la question nigmatique de lorigine. Une scne originaire,

    primitive, lorigine de nos socits, de la loi et de la religion.Freud a constamment poursuivi lvnement historique trau-matique, dterminant pour lavenir, il le cherchait dj danslhistoire des hystriques. Une vritable passion des origines.

    Un vnement historique, un crime qui se voudrait rel,cependant improbable et fantaisiste, contribuant dit-il nous rapprocher dune ralit disparue si difficile recons-tituer7 . Plus loin il crit que ltablissement de ltat

    primitif reste ainsi toujours une affaire de construction .Une ide mettre en parallle avec ce quil dveloppera en1938 dans son texte Constructions dans lanalyse : Leffet

    6. J. Lacan, ibid., p. 142.7. S. Freud, Totem et tabou, op. cit., p. 7.

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    de notre construction nest d quau fait quelle nous rendun morceau perdu de lhistoire vcue8. Freud attribue auxconstructions la mme valeur quaux souvenirs. Ce nest pastant lhistoricit de lacte qui importerait, mais leffet de lavrit dune construction sur lorigine dont on ne sait plusrien, rien que lon puisse affirmer comme dfinitif.

    Freud part de la thorie de Darwin et sinscrit de ce fait

    dans le cadre des sciences naturelles. Il avance la situationsuivante, suppose pour navoir pas t observe, savoirque le pre de la horde est : Un pre violent, jaloux gardantpour lui toutes les femelles et chassant ses fils mesure quilsgrandissaient9.

    Voici lhistoire : Un jour les frres se sont runis, onttu et mang le pre , pour sidentifier lui et sapproprierune partie de sa puissance. Tout en le hassant et le redou-

    tant, ils lenviaient et le vnraient. Aprs le meurtre clatentde graves discordes, une lutte de succession entre les fils quise conclut par une sorte de contrat social : ils renoncent prendre la place du pre et possder les femmes.

    Freud fait lhypothse dun droit maternel n de cettesituation jusqu lorganisation de la famille patriarcale. Unesorte dentre-deux o la mre faisait la loi. La mise en place

    des deux tabous du totmisme, linterdit de linceste et dumeurtre, viendrait se confondre avec les deux dsirs rprimsdu complexe ddipe. Mais un sentiment de culpabilit semanifesta : Le mort devenait plus puissant quil ne lavaitjamais t10. Un animal Totem devient le substitut du preet cest par rapport lui que lambivalence des sentimentsenvers le pre pourra se rpter. Selon Freud, linvention dutotem serait une tentative dtouffer le sentiment de culpabi-

    lit et dobtenir une rconciliation. Le totmisme devient lapremire religion de lhumanit.

    8. S. Freud, Construction dans lanalyse, p. 382.9. S. Freud, Totem et tabou, op. cit., p. 199.10. S. Freud, ibid., p. 201.

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    Et cest dans Lenvers de la psychanalyseque Lacan sin-surge contre les psychanalystes qui considrent la mort dupre comme, le point vif de tout ce qui snonce et de toutce quoi affaire la psychanalyse11, eh bien non, affirme-t-il, il nen est rien . La place du pre mort est mythique, unmythe est un contenu manifeste quil faut mettre lpreuve,il sagit dabandonner le sens vident de la lecture du mythe

    pour le sens obscur (qui) est celui de la vrit12

    , mais lavrit ne pouvant que se mi-dire, le mythe viendrait incarnerce mi-dire.

    Alors Lacan nhsite pas qualifier la composition deTotem et tabou dtre une chose la plus tordue quon puisseimaginer , une histoire dormir debout , une pitreriedarwinienne13 , une assertion ridicule qui nous obligerait voir comme rel ce qui est invraisemblable. Il ajoute quon a

    vu des orangs-outangs, mais pas de pre de la horde humaine .Le pre mythiquement est un animal, quelque chose davantlavnement de la culture, davant la loi du langage. Toutdmarre du fait que Freud tient ce que a se soit rellementpass ; et cest l que Lacan sinterroge. Cest la raison dtre decette histoire tordue que Lacan va traquer : quelle raison a bienpu amener Freud inventer une histoire pareille ?

    Lacan va donc mettre lpreuve, pour ne pas dire la question, le mythe de Freud. Il va faire apparatre touteltranget, la bizarrerie de la construction. Aveugl, fascin,personne naurait vu que les deux mythes dbouchent sur desrsultats contraires.

    Dans le mythe ddipe cest la loi qui est lorigine dela jouissance, dans le mythe du pre de la horde, cest lin-verse, cest la jouissance qui est lorigine de la loi.

    Contrairement au mythe ddipe, le meurtre du predans Totem et tabou, meurtre collectif, ne permet aucune

    11. J. Lacan, Le Sminaire, Livre XVII, Lenvers de la psychanalyse, op. cit.,p. 138.12. Ibid., p. 57.13. J. Lacan, Leon du 11 mars 1970.

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    libration sexuelle, bien au contraire. Pour avoir tu le pre,ils se dcouvrent frres et dcident de linterdit des femmes.Alors que rien nest dit sur la jouissance du pre dans dipe,[] la mort de Laos permet la jouissance, mais linsu dumeurtrier : ni Laos ni dipe ne savaient qui ils avaient faire. Le pre ne reconnat pas son fils et le fils ne peut pasreconnatre le pre, il en a un autre. En fin de compte, ce qui

    fait problme pour Lacan, cest la place du gniteur.Alors, peut-on dire que la jouissance est due une trans-gression ? Lacan avance lide que cest davoir su rpondre lnigme du sphinx, davoir trouv la vrit, qudipea conquis le trne de Thbes, ce qui na pas empch lasurvenue de la peste. On ne peut que mi-dire la vrit, et force de regarder le soleil en face on devient aveugle. Larecherche de la vrit ne peut que mener fatalement la

    tragdie. Vrit dont Lacan nous dit qu avec elle pas decontrat , pas de piti , pas damour possible14.

    Lorigine de la loi ne serait pas la loi dite de lincestematernel , dit Lacan15. Aprs avoir tu et mang le prele contrat social tabli par les fils est de ne pas toucher auxfemmes du pre, il nest jamais question de la mre, Freudnen parle pas ; linceste maternel ne serait pas justifi par le

    mythe selon Lacan, ce qui le questionne cest que Freud nesen soit pas aperu. Pourquoi ? Parce quil parlerait de lui, ilarticulerait quelque chose de lui. En tmoigne cette formulesurprenante dans la confrence sur la fminit, o il critque seul le rapport au fils apporte la mre une satisfactionillimite, la plus facilement libre dambivalence de toutes lesrelations humaines16.Une relation idyllique. Aveugl, (parquoi ?), Freud ne voit pas le dsir criminel de la mre, cette

    bouche de crocodile dans laquelle vous tes17 et qui peut se

    14. Radiophonie.15. J. Lacan, Le Sminaire, Livre XVIII, Dun discours qui ne serait pas dusemblant, op. cit., p. 159.16. Ibid.,p. 179.17. J. Lacan, Le Sminaire, Livre XVII, Lenvers dela psychanalyse,p. 129.

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    refermer nimporte quel moment. Lacan va insister sur cedsir de la mre.

    Alors, lorigine de la loi do vient-elle ? Linterdic-tion des femmes viendrait viter la disparition de lespce : Chacun voulant possder tout seul lhritage, mais unmoment vint ou ils comprirent le danger et linutilit de cesluttes il en sortit une premire forme dorganisation sociale

    avec renoncement aux instincts18

    . Autre paradoxe que Lacan repre dans le texte de Freud :celui-ci rfre la fonction du pre une jouissance originellede toutes les femmes. Lacan trs ironiquement prcise quunpre suffit tout juste une , alors, toutes tient de lim-possibilit. Ce que Freud chercherait prserver serait lide dun pre tout amour19.Cest parce que les fils sont privsdes femmes quils aiment le pre.

    Le pre tyrannique devient le pre qui attire lamour.Une dfense selon Lacan, comme une vrit qui dissimuleque ds lorigine le pre est castr (p. 115). Le pre dela horde chapperait la castration sil ntait mort et donctotalement chtr.

    Une question se pose : et les femmes dans tout cela ? Freuden dit peu de chose, elles sont pourtant prsentes dans le fond

    du tableau, quel est leur rle ? Pourquoi les femmes nont-elles pas tu le pre ? Une question que Lou Andra Salomposa Freud. Serge Andr en dira un peu plus sur leur rle.Les femmes, dit-il, sont possession du pre primitif, objetsde convoitise, certes, mais aussi bien instigatrices, (ou inspi-ratrices), et finalement vritables dtentrices du pouvoir20.Cest pour elles que le pre est tu. Cest une hypothse quefait Freud, quune organisation matriarcale aurait exist entre

    le temps de la horde primitive et le patriarcat. Les femmes,somme toute, auraient eu le pouvoir.

    18. S. Freud, Mose et le monothisme, p. 111.19. J. Lacan, Sminaire, Lenvers de la psychanalyse, op. cit., p. 114.20. S. Andr, Devenir psychanalyste et le rester, Lige, ditions Luc Pire, 2003,p. 223.

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    Lacan reconnat dans la jouissance absolue du pre de lahorde, le phallus, la totalit, dit-il, de ce qui fmininementpeut tre sujet la jouissance21, une indication qu traversle pre de la horde circule ou se perptue une puissancematernelle ou fminine. Freud en fera abstraction et Lacanlui reprochera davoir voulu tout prix sauver le pre.

    Un passage dans Prface Lveil au printemps [] retient

    toute notre attention : Le pre lui-mme, notre pre ternel tous, nest que nom entre autres de la desse blanche. Cellequi se perd dans la nuit des temps tre diffrente, lautre jamais dans sa jouissance22. Cette desse blanche, Lacanla emprunte Robert Graves dans son ouvrage Les mythesceltes, 1948(C. Demoulin dans son livre Se passer du pre vasarrter sur les socits sans pre et dveloppera davantage).

    R. Graves fait lhypothse quil aurait exist un lien entre

    les anciennes religions britanniques, grecques et hbraques,des liens entre les mythes primitifs-des-Hbreux, des Grecset des Celtes. Il dmontre quils taient civiliss par le mmepeuple gen qui suivait la tradition religieuse mre-fils, ouune desse mre tait adule, la desse blanche. Un passagedont sinspire Graves concernant ce que dit la desse blanchedelle-mme, qui se trouve dans Lne dor dApule, peut

    nous intresser : Je suis celle qui est la mre naturelle de toute chose,matresse gouvernante de tous les lments, origine desmondes, dtentrice des pouvoirs divins, reine de tous leshabitants des enfers, souveraine de ceux qui vivent dans leciel, manifestation absolue, sous forme unique, de tous lesdieux et desses. Ma volont dispose des plantes du ciel, delensemble des vents, des mers et du lugubre silence des enfers.

    Mon nom, ma divinit, sont adors travers lunivers de millefaons, en mille coutumes et sous bien des noms23.

    21. J. Lacan, Le Sminaire, Livre XVIII, Dun discours qui ne serait pas dusemblant, op. cit., p. 159.22. Autres crits , Prface Lveil au printemps, p. 563.23. R. Graves, Lesmythes celtes, Monaco, ditions du Rocher, 2007, p. 80

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    La desse ne serait pas seulement la mre primordialeselon Demoulin, elle serait aussi La femme, avec un L majus-cule au sens de Lacan. La desse blanche comme autre nomdu pre, pre, dit Lacan, qui nest quun masque qui ex-siste la place du vide ou je mets la femme (prface lveil auprintemps). Il est question donc de cette jouissance infinie quifait dfaut au sexe, jouissance fminine, jouissance Autre.

    Dans Lenvers de la psychanalyse, Lacan donne un sensau mythe, celui dun nonc de limpossible . Que le premort soit la jouissance, Lacan y reconnat une fiction mettanten scne le point impossible de la structure. Le rel cestlimpossible24.

    Le pre du mythe viendrait donc la place de limpos-sible de la jouissance absolue, en suivant Lacan, le pre dumythe viendrait reprsenter la perte de la jouissance lie au

    langage, le pre ny est pour rien dans lentre du sujet dansle langage. La castration tient la disjonction du dsir et dela jouissance. La castration nest pas un mythe mais un os ,dit Lacan.

    Le pre primitif de Totem et tabouserait un mixte, jem-prunte cette paternit, Freud rassemble en une seule entit :le pre, nom du pre selon Lacan, et lanctre filiation et

    origine.Lacan va dissocier la paternit du rle du gniteur. Lepre est une construction langagire, un effet du langage ;inconcevable pour la science ou seul le spermatozode est lepre rel. Rien voir avec la fonction du pre.

    Il y a cette distinction que fait Lacan du pre mortmythique en tant quil reprsente la jouissance absoluecomme impossible et le pre rel de lenfant, agent de la

    castration. Dans Lacte analytique, il indique que : dipeest venu sur la scne pour quon ne voie pas que son rleconomique dans la psychanalyse est ailleurs, savoir cette

    24. J. Lacan, Le Sminaire, Livre XVII, Lenvers de la psychanalyse, p. 143.

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    mise en suspens des ples ennemis de la jouissance, de lajouissance mle et de la jouissance femme.

    Le mythe du pre primitif ne rsoudrait rien de lnigmede lorigine comme Freud le pensait, mais viendrait tmoi-gner que sa construction concerne la vrit : le mythe commecriture scrit la place de limpossible crire du rapportsexuel et le mythe du pre originaire comme supplance

    limpossible du rapport sexuel.Totem et tabou,mythe dobsessionnel selon Lacan, sansremettre en cause sa construction, viendrait localiser cequelque chose que Freud ignorait, son rapport son propredsir, (sauver le pre). Lacan voit le mythe comme le lieuo Freud situe son dsir : L derrire se profile tout ce quincessite Freud trouver dans les mythes de la mort du prela rgulation de son dsir25.

    lorigine de la psychanalyse, il y a Freud ? Mais pour-quoi Freud est-il devenu psychanalyste ? Et quen est-il dudsir danalyste ? De son origine ?

    Lacan est rest sur cette question : quest ce qui se passedans la boulede quelquun pour dsirer venir occuper cettefonction danalyste ? Question qui reste ouverte depuis sadisparition. Il a tent de formuler linformulable en utili-

    sant la linguistique, la topologie, les nuds borromens,il a invent des dispositifs, et avec la passe, il pensait enfinattraper ce moment particulier de ce passage du dsir dtreanalyste, qui serait plutt du ct dun symptme dune rsis-tance lanalyse, au dsir danalyste.

    Le pre primitif ne nous conduirait-il pas au point dori-gine du dsir danalyste ?

    Ce que propose Lacan, cest quil y a du ct de lanalyste

    quelque chose qui nest pas comme tout le monde.Et il nous semble que la thorie ne soit pas reste enpanne depuis la disparition de Lacan, en tmoigne lhypo-

    25. J. Lacan, Le Sminaire, Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de lapsychanalyse, Paris, Le Seuil, 1973, p. 35.

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    thse avance sur ce point dorigine du dsir danalyste, et quimrite toute notre attention : dansLinvention du psychana-lyste,Claude Dumzil fait lhypothse :

    Que le dsir danalyste pose une question spcifique destructure, pourquoi pas psychopathologique, celle sans doutequi amena Freud dcouvrir la psychanalyse, dsir danalystenon comme un achvement, mais comme point de dpart

    dun parcours dans la structure26

    . Dans ce mme ouvrage, Bernard Bremond propose de

    reprer le dsir danalyste comme possibilit de traiter unsavoir et une question ne pouvant pas tre traits autrement, lorigine un traumatisme issu dun acte venu obturerde faon sidrante une demande de savoir, o lagent de lacastration, laissant tomber le manteau de No, sest fait

    son insu ? complice dune offre de jouissance en lieu et placede castration27.Ce qui nest pas sans nous faire penser quele manteau du pre de Freud tombait souvent, et que ce preressemblait trangement au pre de la horde28.

    Voila donc la question rouverte sur ce point doriginedu dsir danalyste. Tout a commenc avec ce mythenous dit Lacan, tous nos emmerdements, y compris dtreanalyste29.

    26. C. Dumezil et B. Bremond, Linvention du psychanalyste, Toulouse, rs,2010, p. 211.27. Idem,p. 209.28. Cf. la lettre 120 Fliess du 8 fvrier 1897, dans S. Freud, Lettres WilhelmFliess 1887-1904, dition complte, Paris, PUF, 2edition 2007, p. 294.29. J. Lacan, Le Sminaire, Livre XVII, Lenvers de la psychanalyse, p. 130.

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