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1 Tableau 1 Scène 1 (Quatre adolescents entrent en discutant vivement dans une pièce.) A (essayant d’attraper un bout de papier que brandit B) : C’est complètement ridicule ! Tu penses qu’on va gober ça ! Hier, c’était une histoire d’OVNI à Rochechouart et, aujourd’hui, un complot international contre le prof de Maths ! B (agitant son papier) : Je vous jure que c’est la vérité, il l’a fait tomber à côté de moi ! C (ricanant) : Elle est bien bonne, celle-là ! Il ne t’aurait pas, non plus, donné le corrigé du devoir maison, puisque vous êtes devenus si intimes ! D (soupirant) : Calmez-vous, les garçons, mes parents vont finir par vous interdire de venir à la maison. Asseyons-nous et reprenons tout à zéro. C (sarcastique) : Avoue que ton histoire de prof de Maths que tu aurais croisé, ce matin, dans les couloirs du collège à 7H20, alors que ni lui, ni toi, n’étiez censés y être, est des plus incroyables ! A : Néanmoins, un fait est certain : le prof était absent aujourd’hui. D (avec autorité) : Récapitulons. Tu arrives à 7H15 au collège, avant tout le monde, tu te glisses par le soupirail de la chaufferie pour accéder aux divers panneaux d’affichage. Tu veux coller des affiches annonçant qu’en raison d’un risque d’épidémie, les cours sont annulés… C (l’interrompant) : Elle est nulle ton histoire ! Tant de risques pour que l’affiche soit enlevée par la Vie Scolaire. B (vexé) : En tout cas, cela aurait pu semer la pagaille, j’avais mis le tampon officiel du collège… C’est peut-être nul, mais c’est vrai. Tout comme il est vrai que j’ai vu Gallilestein sortir de la salle des profs accompagné de deux hommes, genre les méchants dans les films américains. J’essaie de me cacher. Impossible ! Et là, je me dis que c’est l’exclusion qui m’attend. A (sceptique) : Et au lieu de ça, Gallilestein te sourit et te salue…A mon avis, il n’était pas dans son état normal ! B (haussant le ton) : Non, ce n’est pas tout à fait ainsi. Il s’avance en compagnie de ses deux gorilles. Il me tapote l’épaule et me dit en souriant : « Vous voici donc, monsieur B, pour votre cours de mathématiques, mais je suis désolé, aujourd’hui, je ne puis vous recevoir.» D (pouffant de rire) : Il avait dû confondre le café et le whisky au petit déjeuner…ou pire… Toi, des cours supplémentaires, alors que tu as déjà du mal à apprendre ceux qui sont obligatoires ! Ou alors, c’est toi qui es tombé sur la tête ! Fais donc voir ce papier. B (agitant le morceau de papier) : Attends un peu. Je vous jure qu’en me croisant il m’a tapé sur l’épaule et que ce bout de papier est tombé de sa main. (Il le donne à D.)

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Tableau 1Scène 1

(Quatre adolescents entrent en discutant vivement dans une pièce.)

A (essayant d’attraper un bout de papier que brandit B) : C’est complètement ridicule ! Tupenses qu’on va gober ça ! Hier, c’était une histoire d’OVNI à Rochechouart et, aujourd’hui,un complot international contre le prof de Maths !

B (agitant son papier) : Je vous jure que c’est la vérité, il l’a fait tomber à côté de moi !

C (ricanant) : Elle est bien bonne, celle-là ! Il ne t’aurait pas, non plus, donné le corrigé dudevoir maison, puisque vous êtes devenus si intimes !

D (soupirant) : Calmez-vous, les garçons, mes parents vont finir par vous interdire de venir àla maison. Asseyons-nous et reprenons tout à zéro.

C (sarcastique) : Avoue que ton histoire de prof de Maths que tu aurais croisé, ce matin, dansles couloirs du collège à 7H20, alors que ni lui, ni toi, n’étiez censés y être, est des plusincroyables !

A : Néanmoins, un fait est certain : le prof était absent aujourd’hui.

D (avec autorité) : Récapitulons. Tu arrives à 7H15 au collège, avant tout le monde, tu teglisses par le soupirail de la chaufferie pour accéder aux divers panneaux d’affichage. Tuveux coller des affiches annonçant qu’en raison d’un risque d’épidémie, les cours sontannulés…

C (l’interrompant) : Elle est nulle ton histoire ! Tant de risques pour que l’affiche soit enlevéepar la Vie Scolaire.

B (vexé) : En tout cas, cela aurait pu semer la pagaille, j’avais mis le tampon officiel ducollège… C’est peut-être nul, mais c’est vrai. Tout comme il est vrai que j’ai vu Gallilesteinsortir de la salle des profs accompagné de deux hommes, genre les méchants dans les filmsaméricains. J’essaie de me cacher. Impossible ! Et là, je me dis que c’est l’exclusion quim’attend.

A (sceptique) : Et au lieu de ça, Gallilestein te sourit et te salue…A mon avis, il n’était pasdans son état normal !

B (haussant le ton) : Non, ce n’est pas tout à fait ainsi. Il s’avance en compagnie de ses deuxgorilles. Il me tapote l’épaule et me dit en souriant : « Vous voici donc, monsieur B, pourvotre cours de mathématiques, mais je suis désolé, aujourd’hui, je ne puis vous recevoir.»

D (pouffant de rire) : Il avait dû confondre le café et le whisky au petit déjeuner…ou pire…Toi, des cours supplémentaires, alors que tu as déjà du mal à apprendre ceux qui sontobligatoires ! Ou alors, c’est toi qui es tombé sur la tête ! Fais donc voir ce papier.

B (agitant le morceau de papier) : Attends un peu. Je vous jure qu’en me croisant il m’a tapésur l’épaule et que ce bout de papier est tombé de sa main. (Il le donne à D.)

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C (s’approchant) : Fais voir ! (Il lit sur l’épaule de D). Site Géniedesmaths.com., mot depasse : calame.

A (s’impatientant) : Bon alors, on l’allume, cet ordinateur ?

Scène 2(Les mêmes, dans la pièce, devant l’ordinateur)

D : Ils ne se sont pas fatigués, pour la page d’accueil ! Juste « Bonjour ! ». J’essaie le mot depasse. C’est quoi déjà ? Calamité ? Calme ?

B (lisant les mots sur le papier) : CALAME…

D (d’un ton docte) : Le calame était un outil utilisé dans l’antiquité pour représenter lesnombres sous forme d’encoches. D’ailleurs, ce mot signifie « stylo » ou « stylet », en arabe.(Tous la regardent avec stupéfaction. Moment de silence). Mon père est un fan de motscroisés. (Soulagement général.)

C : Dépêche-toi de taper. Mais que se passe-t-il ? L’écran devient noir…

A : …Une pluie d’étoiles… regardez, elles se regroupent pour former des mots…

B (l’air concentré, lit au fur et à mesure que se forment les mots) : « Visiteur, puisque tu es là,tu sais déjà. »

D (étonnée) : Qu’est-on censé savoir ? Nos leçons ?

C : Arrêtez de plaisanter, c’est plutôt inquiétant, non ? Regardez, il faut cliquer sur le lien« savoir ». (D. s’exécute.)

A (déchiffrant les mots sur l’écran) : « JE suis la Science, JE suis celle qui multiplie lesrécoltes, qui partage les richesses, qui additionne les espérances et soustrait les souffrances.J’ai la solution... »

D : L’écran se brouille ! Je clique à droite sur cette icône ; on verra bien. Vite B, prends desnotes ! On va tout perdre ! « Trouvez…Nomb…Crypto…Abondants…3 » Ça y est, l’écranest noir.

B : Non, regarde ! Trois tirets apparaissent ! Il faut écrire quelque chose.

C : Je flippe, là, j’ai l’impression d’être en interro. Du Français et des Maths mélangés…L’horreur !

A (concentré, les yeux fixés sur la feuille de papier) : Je crois que j’ai trouvé. « Crypto… »,c’est pour « Cryptogramme » ; les trois tirets, c’est pour les trois nombres ; ensuite, il nousreste « abondant ». Il nous faut donc trouver trois nombres abondants.

B : C’est quoi un nombre abondant ? Le plus grand des nombres ? Mais c’est impossible !(Inspiré) J’imagine un nombre abondant comme un torrent charriant des chiffres, projetant surles berges une écume d’additions et…

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D (l’interrompant avec quelque impatience) : Tais-toi donc, le poète ! Si tu écoutais en coursde Maths au lieu de dessiner en rêvant, tu saurais qu’un nombre abondant est un nombreinférieur à la somme de ses diviseurs. (B et C avec un air de fatalité exaspérée.)

C (soupirant) : En clair, qu’est-ce que ça signifie ?

A : Prends 12, par exemple, ses parties, ou bien ses diviseurs stricts, sont 1, 2, 3, 4 et 6. Tuadditionnes 1, 2, 3, 4 et 6 et tu obtiens 16. Or 12 est plus petit que 16. C’est donc un nombreabondant.

B : Il faut en trouver trois. On y va !

D : 18 (faire faire la démonstration aux élèves.)

B : (enthousiaste) : Euh, 20 ? Car … (élèves).

A : Bravo, le génie ! (À D) Tape les nombres. (D s’exécute.)

D : L’écran s’illumine ! Oh ! Une cascade de chiffres et de fleurs qui s’échappent d’une corned’abondance !

B (avec affectation) : Qu’avais-je dit initialement...

C (commençant à lire le message) : « Bravo… » (Voix off soudaine, tonitruante. Tout lemonde sursaute) « Bravo ! Une mission titanesque vous échoit maintenant : sauverGallilestein et le monde. Vous êtes les Indiana Jones de LA MATHÉMATIQUE. Traversezl’histoire du nombre, pourfendez les énigmes, trouvez le Graal de la solution et la véritétriomphera. » (Tous se regardent, effrayés.)

L e r i d e a u t o m b e : p o è m e

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Tableau 2

(Le groupe de collégiens, regroupé devant l’ordinateur, est éclairé.)

A : Attention, encore une pluie d’étoiles …des mots s’affichent à nouveau : « JE suis lenombril du nombre et le berceau de l’humanité. J’ai inventé la roue, l’irrigation, le tour dupotier, la charrue et les Mathématiques… »

B : Je ne sais pas qui c’est, mais il ne se prend pas pour rien celui-là….Moi, je serais à saplace, je ne me vanterais pas tant ; c’est comme celui qui a inventé l’école…Franchement, ilsauraient mieux fait de rester couchés ce jour-là….

C : Qui te dit que c’est une personne ? Regarde, il faut activer le lien ici… Mon nom signifie« entre les deux fleuves » en grec….

A : Alors là, on est bien avancé….C’est vrai qu’on parle tous couramment le grec….

D : Mais si !

A : Quoi ! Tu parles les langues mortes toi maintenant ?

D : Non, mais je me souviens : il s’agit de la civilisation sumérienne qui vivait au sud de laMésopotamie, au IVème siècle avant JC. Vous ne vous rappelez pas des cours d’histoire de6ème ? C’est grâce à cette civilisation et son invention de l’écriture que l’humanité est passéede la préhistoire à l’histoire !

A : Aucun souvenir ! Mais s’ils ont juste découvert les mathématiques, on a peut-être noschances pour l’énigme….Moi aussi, j’ai découvert les mathématiques ….en CP !

(Les collégiens sont maintenant dans l’ombre. L’éclairage met en avant deux grandspropriétaires terriens, Elim et Elam, qui discutent vivement au centre de la scène. Ondistingue derrière eux un groupe d’esclaves.)

Elim : Je suis plus puissant que toi ! J’ai plus de moutons et plus de vaches que toi…….C’estpour ça que si on s’installe ici, j’ai besoin de plus de terres que toi !

Elam : Ça, c’est ce que tu dis : moi, je suis sûr que mes troupeaux et mes semences sont plusimportants que les tiens…Tu as peut être plus de moutons que moi, mais ils ne sont pas enforme, je ne leur donne pas beaucoup de temps avant qu’ils crèvent.

Esclave 1 (en aparté aux autres esclaves) : Ça y est, ils recommencent leur petit jeu, je vousparie qu’ils vont vouloir encore qu’on les compte.

Elim (autoritaire) : Esclaves, venez ici ! Monsieur prétend qu’il a plus de bêtes que moi !Monsieur prétend qu’il a donc besoin de plus de terre que moi …Et comme Monsieur refusede me croire, je vous prierais de bien vouloir, sur le champ, faire les derniers comptes de nostroupeaux …

Esclave 1 (se retournant vers les autres esclaves) : Qu’est-ce que je vous avais dit ! C’estfacile de donner des ordres…On voit bien que ce n’est pas eux qui travaillent ….

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Esclave 2 : C’est sûr, et comme les nombres n’existent pas encore, il va falloir se taper lacorvée de faire passer tous les animaux par les deux entrées de la grotte et de voir qui a fini lepremier.

Esclave 3 : C’est bien pénible… surtout que ça change tout le temps : entre les bêtes quicrèvent, les naissances, celles qui se perdent ou qui sont volées….on n’est jamais tranquille.

Esclave 4 : Il faudrait qu’on invente un truc pour se faciliter la tâche.

Esclave 5 : Bien sûr, monsieur le gros malin, je te signale qu’on vit au IVème siècle avant JC,on n’a pas encore inventé les nombres, ni le stylo ….

Esclave 6 : On pourrait peut-être marquer des traces quelque part, sur la paroi de la grotte parexemple.

Esclave 7 : Bonne idée, mais avec quoi on pourrait le faire, on n’a pas un surligneur fluo ?(Tous le regardent d’un air atterré.) Non, je plaisantais… On pourrait prendre … (Il regardeautour de lui) de l’argile, c’est pas ce qui manque ici….

Esclave 8 : T’as raison, on n’a qu’à en modeler autant qu’il y a de bêtes dans le troupeau….

Esclave 9 : Géniale ton idée, je sens qu’on est en train de préparer l’invention du siècle …

(Tous les esclaves se mettent au travail : ils utilisent un seau d’argile et se mettent chacun àmodeler des boules…)

Esclave 1 : Bon, vous avez les boules ?

Esclave 2 : Oui, ça c’est sûr, j’ai les boules de faire des boules : franchement, on se croirait enmaternelle au XXIème siècle.

Esclave 3 : C’est sûr, c’est un peu long et un peu fastidieux, mais vous verrez, vous serezcontents quand on aura fini. (Ils se remettent au travail.)

Esclave 4 : Quand même, on pourrait peut-être optimiser : ça fait encore beaucoup de travailet regardez toutes ces boules, c’est pas vraiment pratique (Il regarde les billes placées devantlui et se met à compter sur ses doigts). J’ai une idée : au lieu de ne faire que des petitesboules, on en fait des plus grosses pour représenter notre nombre de doigts.

Esclave 5 : Je n’ai pas tout compris mais si ça nous évite du travail, je suis d’accord !

Esclave 6, 7, 8 : Moi aussi, ça va bien un moment l’exploitation par les patrons….(Ils se remettent au travail.)

Esclave 4 : Regardez, c’est magique : Elim possède donc l’équivalent de ces grosses bouleset de celles-ci, plus petites, en moutons, et de celles-là, en vaches. (Il désigne successivementles boules.) Quant à Elam, il en a le même nombre mais c’est l’inverse : il a plus de vachesque de moutons.

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Esclave 5 : Trop fort, viens, on va annoncer les résultats à nos maîtres… (Ils se mettent àl'écart en emportant dans leurs mains, le nombre de bêtes des différents troupeaux et lesautres esclaves les suivent. Peu de temps après, arrivent Elim et Elam qui se chamaillenttoujours).

Elim : Je te dis que tes vaches sont un peu dérangées…

Elam : Vas-y, dis qu’elles sont folles tant que t’y es….

Esclave 5 : Très chers maîtres, nous avons la grande joie de vous annoncer que nous avonsinventé, avec une ingéniosité extraordinaire, un nouveau moyen pour compter vos troupeauxet que nous venons vous le présenter en exclusivité.

Esclave 4 (timidement) : Vous serez heureux de constater que vous aviez raison tous les deuxcar vous avez chacun plus de bêtes d’une certaine race, mais qu’au total, vous avez le mêmenombre de têtes…

Elim : Vous vous moquez de nous : nos troupeaux sont immenses ! Je vois pas comment ilspourraient tenir dans vos mains !

Esclave 5 : C’est très simple : Chaque bille représente le nombre de doigts d’une main, etchaque cône représente un doigt seul : c’est pour cela qu’on n’a pas besoin du même nombrede boules que d’animaux ….

Elam : Magnifique ! Avec très peu d’objets, vous avez réussi à représenter un grand nombrede bêtes. Vos mains emprisonnant les objets, cela me donne une idée : je vais fabriquer deuxbourses en argile creuses. Avant de les fermer, je mettrai dans la première les objets quireprésentent le nombre de moutons et, dans la deuxième, ceux qui représentent le nombre devaches. Quand mes acheteurs viendront, vous les leur remettrez. En brisant les bourses, ilspourront vérifier qu’ils ont bien reçu le nombre d’animaux prévu.

Elim : Trop drôle, je ne savais pas que c’était toi qui avais inventé le principe de la tirelire enforme de cochon qu’on casse pour connaître sa fortune et la dépenser….En attendant, on n’apas résolu notre problème : comment on fait pour se répartir le terrain équitablement ? Je terappelle que grâce à la superbe invention de tes esclaves, on a le même nombre de bêtes doncil faut partager le terrain en deux, et on veut tous les deux être au bord de l’Euphrate et ne pasprendre les endroits où il y a trop de papyrus….

Elam : Tu me fatigues à la fin, tu veux toujours tout comme moi, je te préviens : moi, je neveux pas que tes vaches qui divaguent paissent à côté des miennes…..

Esclave 1 : Et ça y est : ils recommencent : on est peut-être le berceau de l’humanité mais jesens qu’on n’a pas encore enterré la bêtise….

Esclave 2 : Ils me fatiguent, ces maîtres….S’ils savaient comme ils me fatiguent !

Esclave 3 : Moi aussi, et on a beau avoir trouvé comment compter les troupeaux, on n’a pasencore inventé l’équerre…. Comment va-t-on faire pour les satisfaire, ces maîtres jamaiscontents ?

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Esclave 4 : Que c’est dur d’être un esclave ! Si ça continue comme ça, je préfère aller mependre !

Esclave 5 : Ah oui, ça serait une bonne idée … (Tous les autres esclaves le regardent d’un airétonné). Je voulais dire : Tu l’as toujours, ta corde ?

Esclave 6 : Ben oui, ça fait plusieurs fois qu’il repousse son suicide…..

Esclave 5 : Elle a toujours des nœuds toutes les coudées ?

Esclave 4 : Oui, pourquoi tu me demandes ça ?

Esclave 5 : A vrai dire, c’est un peu long à expliquer mais j’ai remarqué qu’une corde à 12nœuds régulièrement espacés permet d’obtenir un angle droit : on la tend de manière à formerun triangle de côtés de 3, 4 et 5 nœuds…

(Eclairage sur les collégiens)

A : Vous avez entendu ? Ça vous rappelle pas la dernière interro de Gallilestein ?

B : Quoi, Gallilestein a essayé de se pendre ?

C : Mais non, je te parle du triangle à angle droit avec le théorème de Pythagore !

D : Il a tout faux le prof, il nous a dit que Pythagore était grec ! Mais d’après ce qu’on nousmontre ici, ce n’est pas un Grec qui l’a découvert, c’est un Sumérien !

A : C’est vrai, ça ne sera pas la première fois qu’un inventeur se fait voler son invention :regardez moi par exemple, j’ai bien découvert les mathématiques…..

B : En CP, oui, tu nous l’as déjà dit….En attendant, il faut donc qu’on comprenne commentl’esclave a fait pour séparer le terrain des deux maîtres en créant des espaces triangulaires lelong de l’Euphrate….

C et D se mettent à réciter le théorème de Pythagore et font la démonstration de son utilitépour le problème posé par les maîtres Elim et Elam. (A faire écrire par les élèves.)

A : Bravo ! Les efforts de Gallilestein pour nous faire apprendre ce théorème n’auront pas étévains ! (A l’élève B) : Essaie de taper les mots « théorème de Pythagore », pour voir…. (Bs’exécute.)

Voix off : Vous avez donc compris ce que les jardiniers, maçons et autres artisans du mondeutilisent depuis des millénaires … Je vous félicite, je vais vous demander maintenant quevous avez découvert le nombril du monde et le berceau de l’humanité de vous pencher surl’infiniment petit……

(Eclairage sur les esclaves.)

Esclave 7 : Génial, on va peut-être pouvoir avoir quelques moments de tranquillitémaintenant !

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(Elim revient avec Elam, ils traversent la scène en continuant à se chamailler) : Et mesmoutons, je les mets où ? Parce que, je te préviens, j’en ai plus que toi …

Elam : Tu te moques de moi ?...

RIDEAU

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Tableau 3 Scène 1

(Le groupe de collégiens, regroupé devant l’ordinateur, est éclairé).

B (accablé par l’effort) : J’espère que cela ne va pas durer trop longtemps, j’ai déjà le cerveauen bouillie !

D : Moi, je trouve ça plutôt amusant, c’est comme un jeu de devinettes.

C (perplexe) : C’est ça, des devinettes ! Et bien moi, je préfère celles des carambars ! Là, c’estfranchement intello !

A : Arrête de geindre et regarde plutôt l’écran. Allez, de nouveau les étoiles… Mais quel estce paysage ? C’est la pointe d’un continent…

B (il récite) : Les continents sont l’Amérique, l’Europe, l’Afri…, oui, la pointe sud del’Afrique !

D : Peut-être, mais l’image se rapproche. On voit des gens sur la rive d’un fleuve très large.Certains se baignent.

A : L’image devient plus nette. Des femmes se trouvent sur la rive. Elles portent de longuesrobes aux couleurs chatoyantes et des voiles vaporeux. Regardez, on en voit une en gros plan,elle a un point rouge sur le front. Là-bas, se trouve un charmeur de serpents !

C (la voix peu assurée) : On serait donc en … (public) …Inde, et ce grand fleuve pourraitêtre le Gange. Les habits des femmes sont des saris. (Ses camarades le dévisagent,interloqués. C les regarde à son tour, un peu gêné)…J’aime bien l’histoire et la géo, c’esttout !

B (très sérieusement) : Je me suis toujours demandé si les indiennes naissaient avec un pointrouge au milieu du front, genre troisième œil ou tache de naissance.

D : Quel idiot tu fais ! (B lui jette un regard mi ironique, mi candide.) Ce point rouge est unsigne religieux, celui de l’hindouisme, tout comme les catholiques ont la croix et lesmusulmans la main de Fatma…

A (l’interrompant) : On s’en fiche un peu de tout ça, je vous rappelle que l’on est censé mettreen œuvre un savoir mathématique !

C (se redressant, l’air solennel) : Le savoir, mes enfants, est une locomotive qui nous guidedans l’existence ; l’école en est la première gare, elle nous met sur les rails de la connaissance.Passez quelques tunnels et enfin tout finit par s’éclairer. Ainsi cheminons-nous…

A, B, D (en chœur) : Assez !!! Pas Monsieur Delarègle ! Tu l’imiteras un autre jour.Concentrons-nous, maintenant.

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Scène 2(Sur les bords du Gange, un homme richement vêtu est allongé sur des coussins épais, leregard perdu dans le vide. Il soupire bruyamment.)

Le roi Belkib (marmonnant) : Qu’est-ce que je peux faire ? Qu’est-ce que je peux doncfaire ? Même dans ma résidence d’été je m’ennuie. Comme c’est exténuant de diriger unpays ! Amaraviti, Amaraviti, approche donc !

Amaraviti : Oui, mon bien aimé souverain, qu’y a-t-il pour ton service ?

Belkib (boudeur) : Je m’ennuie…Je pourrais rendre la justice et recevoir les doléances de messujets, mais, le plus souvent, ce ne sont que des questions d’argent ou de propriétés, et puis, jepaie des juges pour cela. Pour les comptes de l’état et du trésor royal, ce sont mes comptablesqui s’en chargent ! J’ai des cuisiniers, des jardiniers, des serruriers, des serveurs, desbalayeurs, des amuseurs… Ah, ce que je m’ennuie !

Amaraviti : Veux-tu que l’on fasse venir tes danseuses, ou bien tes éléphants dressés ?

Belkib (soupirant) : Va pour les danseuses. (Courte danse. Le roi fait signe aux danseuses dese retirer.) Ce que je peux m’ennuyer !

Amaraviti : Je comprends, mon bon maître, mais les consoles de jeux n’existent pas encore ;la télévision, l’ordinateur, le MP3, ne sont pas encore inventés, les avions, pour passer d’uncontinent à l’autre, ne seront créés que dans plus de 4000 ans et, en plus, on n’a pas découvertencore tous les continents.

Belkib : Que puis-je donc faire ?

Amaraviti : Maître, faisons venir le sage Sissa, son cerveau bouillonne toujours d’idéesnouvelles. En attendant, repose-toi. (Amaraviti sort et le roi ferme les yeux.)

Scène 3(Le sage Sissa entre ; il tousse, le roi ouvre les yeux.)

Sissa : Que puis-je faire pour vous servir, votre grandeur ?

Belkib (baillant) : Tout, mon brave Sissa, et surtout m’ôter cette langueur déprimante quiéteint en moi toute vie.

Sissa : Votre grandeur, tant de tâches vous attendent : rénover l’agriculture car le peuple afaim, réformer les impôts, réorganiser l’armée…

Belkib (agacé et balayant de la main ces perspectives) : Combien tout cela est fatigant !Trouve-moi plutôt quelque chose de drôle et de nouveau.

Sissa (à part) : Quel égoïste et quel paresseux ! Donnons-lui une bonne leçon. (À Belkib.)Mon seigneur…

Belkib (sèchement) : Votre grandeur !

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Sissa : …Votre grandeur, j’ai imaginé hier un jeu fort amusant qui n’exige aucun effortphysique et qui, par conséquent, ne saurait vous fatiguer.

Belkib (avec lassitude) : Vas-y, explique-moi.

Sissa (avec un bâton, il trace un carré sur le sable) : Je trace un grand carré que je partage enpetits carrés. J’en dessine ainsi 64. On dispose des cailloux blancs de plusieurs formes d’uncôté, et des cailloux noirs de l’autre. On répartit ces cailloux en fous, roi, dame, cavaliers,tours et pions. Une bataille s’engage alors entre le camp des blancs et le camp des noirs. Levainqueur est celui qui capture le roi du camp opposé.

Belkib (enthousiaste) : C’est génial. C’est comme une guerre sans le bruit du combat et sansla fatigue des déplacements ! Mettre KO le roi, me dérange un peu… et si on tuait plutôt lespions ; ils représentent le peuple, non ? Allez, on verra plus tard, on joue maintenant! Va mechercher des cailloux, vite !

Sissa : Mais votre grandeur, il faut que je vous explique les règles du jeu !

Belkib (impatient) : Qu’importe les règles, les lois, ce qu’il faut apprendre. L’important est dedégommer le roi ennemi, non !

Sissa (à voix basse) : Encore un échec pédagogique…

Belkib : À propos, comment s’appelle ton jeu ?

Sissa (soupirant) : Le… (Il réfléchit.) Les …échecs.

Belkib : Curieux nom… Mais pour te remercier, je vais te faire un cadeau. Que préfères-tu ?Une terre ? Des esclaves ? Une parure d’or sertie diamants et de rubis ?

Sissa (un instant silencieux, puis à part) : Voilà l’occasion de me moquer de cet incapable.(ÀBelkib) Votre grandeur, le jeu m’importe plus que tout, aussi je vous en propose un nouveau.Vous déposez un grain de blé sur la première case, deux sur le seconde, puis vous doublez àchaque fois la mise, et je remporterai le total.

Belkib (méprisant) : Quel idiot tu fais ! Je t’offre des richesses et tu n’exiges que du blé. Tumériterais que je te mette à mort pour tant de sottise !

Sissa (avec douceur) : Réfléchissez, monseigneur, avant de passer le contrat ; les petitsruisseaux font les grandes rivières et je risque fort de vous ruiner.

Belkib (éclatant de rire) : Avec du blé ! Tu es encore plus stupide que je ne le pensais, et onte nomme le Sage Sissa ! Prends exemple sur ma grandeur : sans rien faire, uniquement parceque je suis le plus grand, je fais prospérer mes richesses.

Sissa (toujours doucement) : Soit, mais le peuple s’appauvrit… et en travaillant, lui…Réfléchissez bien.

Belkib (geste d’impatience) : Bah ! J’accède à ta demande : tu auras ton blé.

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D (surgissant de l’ombre) : Quel imbécile ! Il vient de signer là sa propre déchéance !

B : Pourquoi ? Je sens bien qu’il y a là un piège, mais lequel ?

C : De toute façon, il est tellement odieux qu’il n’a que ce qu’il mérite ! (Il chante.) Ah ça ira,ça ira, les aristocrates à la lanterne …

A (l’interrompant) : Bien sûr que c‘est un idiot. S’il double la mise à chaque fois, il aura surla troisième case, 2 puissance 2, soit quatre grains. (Ils retournent dans l'ombre.)

Belkib : Sur la quatrième, je pose donc 2 puissance 3, soit 8 grains ; sur la cinquième, 2puissance 4, soit 16 grains … (Il commence à comprendre) et sur la sixième, (Il demande aupublic) 2 puissance 5 , soit (demander au public) …32 et sur la septième…Oh, par Shiva, quefais-je donc là ?

Sissa : Oui, votre ex grandeur, les récoltes de l’année n’y suffiront pas car, sur la dernièrecase, il faudra déposer (au public) 2 puissance 63, soit 9 223 372 036 854 775 808 : plus deneuf milliards de milliards de grains.

A (surgissant de l’ombre) : …Et comme il faut ajouter…

B (sortant de l’ombre à son tour) : … Les acquis des 62 cases…

C (même jeu) : … Précédentes. Le Sage Sissa obtiendra donc…

D (même jeu) : …18 446 744 073 709 551 615 grains soit plus de 18 milliards de milliards degrains !

Belkib (l’air égaré) : Mais…mais…c’est impossible ! Je n’ai pas cette récolte dans monroyaume !

Sissa (avec douceur) : Votre grandeur, je vous avais dit de réfléchir. À quoi servent les leçonsde vos précepteurs. Dès le début, vous auriez dû calculer 2 puissance 63 et prévoir la quasiincommensurabilité du nombre. Et comme dira, dans quelques milliers d’années, le sagefabuliste français Jean de La Fontaine : « En toute chose, il faut considérer la fin. »

Belkib (en colère) : Sissa, je vais te punir pour ton maudit jeu et ton insolence !

Sissa : Si je puis me permettre, votre grandeur, seuls votre précipitation et vos caprices sontsources de votre ruine. Les règles vous auraient permis de goûter au plaisir du jeu etd’éloigner l’ennui.

Belkib : (se lève comme pour frapper Sissa, s’immobilise puis se met à sourire) : Soit, je vaisme ruiner à te pourvoir en grains de blé, mais nos sorts seront liés jusqu’à la mort. Tu as faitpreuve de ruse et d’intelligence, mais tu ne vaux pas mieux que moi car tu as ruiné tout unroyaume. Aussi ton châtiment sera exemplaire, tu… (Les personnages se figent, soudainmuets. Les adolescents sortent de l’ombre.)

C : Je crois qu’on nous demande de trouver « ce châtiment exemplaire ».

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B : Des coups de fouets ! J’ai vu ça dans les films ! … (Faire trouver des châtimentspossibles par le public.)

A : Ne soyons pas idiots, la solution a forcément un rapport avec les maths et les grains deblé.

C : Les manger tous ?

D : Pas mal comme réponse, mais le sage mourra vite d’indigestion.

B : J’ai trouvé ! Les compter ! Sissa doit compter les grains et ce sera l’enfer, genre Sisyphe !(Tous le regardent avec incompréhension et stupéfaction.) Oui, le type qui, dans lamythologie, devait déplacer un tonneau jusqu’au sommet d’une montagne. Arrivé en haut, letonneau roulait jusqu’au bas de la montagne et Sisyphe devait recommencer… jusqu’à la findes temps.

Voix off : Réponse juste. Le châtiment est bien de compter les grains de blé, mais il aurait puêtre de les produire. Prenez la production mondiale de blé en 2005 : elle était de 500 000 000de tonnes. Combien faudra-t-il d’années pour produire 2 puissance 63 grains de blé ? A votreavis ? 10 ans, 100 ans 10 000 ans ou 10 000 000 d’années ? (Le public doit trouver uneréponse qui sera validée par B. Réponse : 10 000 000 d’années .)

Voix off : Bravo les enfants ! Votre épreuve est réussie et vous allez pouvoir passer à lasuivante.

B et C (en chœur) : Yes ! Nous sommes géniaux ! (A et D soupirent en haussant les épaules.)

Rideau + poème

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Tableau 4

(Le rideau s’ouvre sur les élèves qui regardent l’écran).A : Vous avez vu, le répit est de courte durée, une pluie d’étoiles s’affiche à nouveau. Encoreune énigme à l’horizon…

B : Regardez, la carte géographique … Le point est situé tout près d’un pays en forme debotte…

C : ça, au moins, c’est facile, c’est donc près de l’Italie !

D : L’énigme apparaît. (Il lit) « Je suis un nombre qui n’existe pas et à cause de moi, denombreuses personnes se tueront. Qui suis-je ? »

A : Quelle joyeuse devinette… Franchement, vous trouvez pas que ça devient n’importequoi ? Si quelque chose n’existe pas, je ne vois pas comment elle pourrait provoquer la mortde nombreuses personnes…

(Les élèves sont à nouveau dans l’ombre. On voit maintenant la scène coupée par un rideau :d’un côté Pythagore, de l’autre ses disciples.)

Pythagore : Je vais maintenant vous révéler ma découverte qui va entraîner une nouvelleconception du monde : « Toute chose connue a un nombre ; c’est pourquoi il est impossiblequ’une chose sans nombre puisse être conçue ou connue ».

Disciple 1 : Tu es vraiment sûr de toi ? Tu veux dire par là que tout ce qui nous entoure estpossible à transcrire en nombre, que ce soit la politique, les arts ou même la musique ?

Pythagore: Oui, oui. D’ailleurs, c’est précisément dans la musique que j’ai déniché lesnombres pour la première fois et je vais vous en faire la démonstration sur le champ : Qu’onm’apporte quatre vases identiques, une baguette et de l’eau, s’il vous plaît ! (Il laisse vide lepremier, remplit à moitié le second, à un quart le troisième, à un tiers le quatrième ; ils’asseoit ensuite en tailleur et donne un léger coup de baguette sur le vase vide, puis un autresur le vase à moitié plein, cela fait deux sons. Puis il frappe simultanément sur les deuxvases : cela fait un seul son.) Accord d’octave !(Il frappe ensuite simultanément sur le vase vide et sur celui au tiers rempli.) Accord dequinte !(Il frappe ensuite simultanément sur le vase vide et sur celui au quart rempli.) Accord dequarte !

Disciple 2 : Je ne comprends pas vraiment, maître Pythagore…Vous pourriez être plus clairs’il vous plaît ?

Pythagore : C’est pourtant simple : un intervalle musical est un rapport de deux nombres !L’intervalle d’octave, produit par le vase vide, s’exprime par le rapport _, celui de la quintepar 2/3, celui de la quarte par 3 / 4 !

Disciple 2 : Ah d’accord ! Ainsi des rapports numériques se révèlent capables de rendrecompte des harmonies musicales !

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Disciple 3 : Donc, l’Harmonie elle-même est la mise en sons de rapports numériques ! Lamusique est mathématique !

Disciple 1 : C’est formidable ! A mon avis, si nous parvenons à découvrir les lois numériquesqui gouvernent le monde, nous pourrons accéder au divin et à l’immortalité !

Pythagore : Tu as tout compris ! Il y a donc du travail. On va déjà commencer par étudier lesnombres eux-mêmes, les classer pour mieux comprendre leur fonctionnement.

(Faire baisser la lumière puis éclairer à nouveau les élèves.)

B : Vous avez vu comme moi ou j’ai rêvé : Pythagore se cache derrière un rideau pour fairecours à ses élèves…

C : Vous imaginez si Gallilestein faisait pareil… ça serait un beau cirque !

D : Alors que là, les élèves ont l’air très attentifs…Quand même, ça ne doit pas être évidentde comprendre un cours sans le voir…

A : Ne rien voir, écouter et la boucler, ça, c’est un programme… J’aurais adoré l’écolepythagoricienne…

B : Je crois bien que la prof de français nous en avait parlé l’année dernière pour expliquerdes mots dont je ne me souviens plus… ça vous dit rien ? Elle avait parlé d’une salle avec unrideau et quand on le traversait, c’est qu’on avait passé avec succès les épreuves… En fait, çame revient : les membres de l’Ecole étaient répartis en deux catégories suivant le côté durideau où ils se trouvaient. Seuls, ceux qui étaient à l’intérieur pouvaient entendre leur maîtreET le voir et on les appelait les … les… un mot qui se finit par « ique ».

C : Barbituriques ?

D : Pronostique ?

A : Je me souviens : ESOTERIQUE ! C’est vrai, la prof nous avait dit que le mot signifiaitréservé aux initiés, et donc obscur, difficile à comprendre…

C : Ben moi, je trouve que les mathémaTIQUES sont ésotérIQUES… Comme dirait la grandeClaudine Desmarteau… « dans matheux, il y a « eux » et pas « moi » !...

B : Allons, allons, pas de découragement… N’oubliez pas que nous devons nous mobiliserpour sauver notre prof…Voyons plutôt où en sont les disciples de Pythagore dans leurclassement des nombres !

(La lumière est à nouveau projetée sur les disciples de Pythagore.Disciple 3 parcourt la scène dans tous les sens, en s’arrachant les cheveux et en faisant degrands mouvements de bras. Il voit arriver disciple 4. Il le regarde un moment, réfléchit puisse dirige vers lui en vérifiant auparavant qu’ils sont bien seuls dans la salle. Il lui soufflealors à l’oreille une nouvelle qui l’atterre. Disciple 4 porte la main à son cœur et cherche às’asseoir, dans un premier temps. Il reprend ensuite peu à peu ses esprits pendant quedisciple 3 semble désemparé.)

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Disciple 4 : Mais ce n’est pas possible ce que tu dis là… Tu en es sûr ?

Disciple 3 : Je te promets que j’ai vérifié plus d’une fois. J’ai eu le temps car depuis que jem’en suis rendu compte, je ne dors plus…

Disciple 4 : Mais c’est horrible ! Tu te rends compte ! Si ce que tu dis est vrai, tous nosespoirs s’évanouissent !

Disciple 3 : J’en suis bien conscient : si tu veux, nous allons en parler à notre maître, il nousdira ce qu’il en pense. (Ils sortent et rentrent avec Pythagore lui exposant le problème.)

Disciple 3 : Maître, je crains fort d’avoir trouvé un nombre qu’on ne peut pas mesurer… Jevous explique : je prends le carré le plus simple, celui de côté 1. Quelle est la longueur de sadiagonale ?(La démonstration se fait par diaporama en même temps que les répliques du disciple.)Coupons-le en deux, on obtient deux triangles rectangles isocèles égaux. L’hypoténusecommune des triangles est la diagonale du carré. Selon votre théorème, le carré del’hypoténuse est égal à la somme des carrés des deux autres côtés. Si l’on se souvient que 1 aucarré est égal à 1, la formule donne : carré de l’hypoténuse, c’est-à-dire carré de la diagonale,égale 12+12=2. Voilà l’information capitale : la longueur de la diagonale est un nombre dontle carré est deux !

Disciple 4 : Mais quel est ce nombre ? Aucun nombre ne convient ! Aucun entier ! Aucunefraction ! Mais ce nombre existe-t-il ? Et s’il n’existe pas, comment s’en assurer ? Il va falloirprouver que cette chose n’existe pas !

Disciple 5 : Regardez la figure. Voit-on que la diagonale et le côté sont incommensurables ?Non ! On ne décèle aucun indice qui pourrait nous mettre la puce à l’oreille. Rien de cetteimpossibilité ne transpire. Rien n’est visible ! La figure est muette ; seul le travail de la penséepeut la révéler.

Disciple 6 : Adieu le lien entre le nombre et la nature !

(Interruption et annonce de trois versions possibles selon les différentes légendes.)

Version 1 :Disciple 4 : Et que fait-on maintenant avec cette sombre découverte ?

Disciple 5 : Tu veux dire : que dit-on aux autres ?

Disciple 4 : Ben oui, vous imaginez les répercussions : toutes nos belles théoriess’écroulent…

Disciple 3 : Moi, je serais d’avis de cacher toute cette histoire…

Disciple 2 : Tu crois que c’est possible ?

Disciple 1 : Mais évidemment : tu en connais beaucoup, toi, des gens qui cherchent unnombre qui n’existe pas ?…

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Disciple 5 : Alors d’accord : on fait semblant de ne pas avoir trouvé cette bizarrerie et,comme ça, on sera plus tranquille…

(Les disciples se regroupent en cercle et se superposent les mains en déclamantsolennellement : « Pythagorois , Pythagorère, si on parle , on va en enfer… »)

Version 2 :Disciple 1 : Vous ne vous rendez pas compte de ce que vous avancez là, c’est plus que grave.Cela chamboule toutes nos découvertes. Moi, je vous propose de garder secrète cette horreur.Sinon on va passer pour quoi ?

Disciple 2 : Moi, je suis d’accord et, d’ailleurs, je vous propose, pour être sûr que le secretsoit bien gardé, de s’assurer que Kipas ne va pas faire son malin en s’amusant à le répéter…Que diriez-vous qu’on lui propose une petite promenade en bateau et que, par hasard, il senoie ?...

Disciple 4 : C’est une bonne idée… Il sera comme son nombre : inexistant…C’est celui qui ledit qui y est …

Disciple 5 : Bien fait pour lui, il n’avait pas à chercher des problèmes comme ça… (VoyantKipas arriver et changeant soudain de tête.) Oh Kipas, comment ça va ? On était justement entrain de parler de toi et de dire qu’on pourrait se faire une petite sortie en mer pour te changerles idées…

Kipas (disciple 3) : Ah, c’est gentil ! J’avoue que ce n’est pas de refus….Merci les amis, çame fait du bien de me sentir soutenu…

(Ils quittent ensemble la salle.)

Version 3 :(Les cinq disciples sont assis autour d'une table. Disciple 1 verse le contenu d'une fiole dansle verre de chacun).

Disciple 1 : Quand même, je ne pensais pas en arriver là…

Disciple 2 : Moi non plus: avaler la cigüe à cause des mathématiques, c'est bien triste mais jene vois plus aucun sens à ma vie…

Disciple 3 : Comment vivre dans un monde qui n’est plus rationnel ?

Disciple 4 : On ne découvrira jamais les lois numériques qui gouvernent le monde !

Disciple 5 : Vous n’avez pas une cigarette ?

NOIR puis lumière sur les élèves.

A : Eh bien, ils ne plaisantaient pas les Grecs !

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B : Vous vous rendez compte : se suicider pour un problème de maths ! Pour une histoire decœur, passe encore, mais alors là … un suicide, collectif en plus !

C : Et alors, c’est quoi l’énigme ?

D : A mon avis, il va falloir prouver que racine de deux n’est pas rationnel !

A : Eh bien, M.Gallilestein n’est pas encore libéré… (Les élèves se mettent au travail ; lalumière s’assombrit et s’éclaire à nouveau. Un élève passe avec un panneau « une heure plustard… ».)

B : Je crois que Gallilestein va être fier de nous. (Ils font la démonstration de « l’inexistencede racine de deux ».)

La voix : Bravo, vous vous en sortez très bien …

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Tableau 5Scène 1

(Assis à des tables, quelques hommes copient, très concentrés. Sur la table s’étale unemultitude de papyrus, tablettes. Le silence est absolu. Deux hommes entrent en discutant à

voix basse.)

Muhammad : Mon cher Omar, le problème est épineux. Sa première apparition remonte àplusieurs millénaires, mais les mathématiciens ne s’en servaient pas comme chiffre dans lescalculs.

Omar : Cher Muhammad, si je comprends bien, ton problème est de trouver un nom et unenotation pour cet élément. Pourquoi t’en faire ? Nomme-le à ta guise ?

Muhammad (sursautant) : C’est impossible ! Le devin du Calife a prédit que lestranscriptions et les synthèses que nous faisons là (Il désigne les personnes qui copient) aurontd’énormes répercussions sur les sciences occidentales. Je dois trouver un nom qui a du sens etnon quelque chose qui me plaît.

Omar (hésitant) : Ce ne sera peut-être pas un nombre, comme le montrent certains destravaux que nous traduisons. J’en parlais hier avec Abbou, lors d’une promenade sur les bordsdu Tigre. Tu sais qu’il est spécialisé dans la traduction des travaux grecs et égyptiens et luiaussi, il cale sur ce point. Quant à Ali, il rencontre le même problème pour traduire lestravaux chinois et indiens.

(Éclairage sur A, B ,C, D)

A : Où sommes-nous donc tombés ? Il faut le déterminer pour savoir de quoi ils parlent.

B (enthousiaste) : Le Tigre, Rome, Romulus et Rémus !

C (irrité) : Tu as déjà fait la faute en interro ! En Italie, c’est le Tibbbre ! B comme baskets,boule, bille, balançoire ! Le Tibre coule à Rome et là, on te parle du Tigggre comme le fauve,l’animal de cirque que l’on dompte. C’est au Moyen-Orient.

B (vexé) : Tout le monde peut se tromper ! Tu confonds bien homonyme et synonyme !

C : Toi aussi, d’ailleurs.

B : N’empêche…

A (les interrompant) : ça suffit les disputes ! On a mieux à faire. Le Tigre, Muhammad,Omar, voici des indications. Muhammad a parlé de transcriptions qui feraient du bruit enoccident et ça parle de maths. (Il réfléchit.) D’autre part, nous sommes dans une sorte debibliothèque.

D (avec douceur) : C’est un pays arabe et on sait que nous comptons avec des chiffres arabes,mais trouver le pays sera difficile. Cherchons sur internet.

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C (radieux) : Bonne idée ! Cherche un truc du genre « célèbres bibliothèques de l’Antiquitéau Moyen-Orient. » (B s’exécute.)

B : Euh… Il y 13 600 réponses. Comment va-t-on faire ?

D : On va raisonner et procéder par élimination. Tu as quoi ?

B : Alexandrie, Babylone, Le Caire, Antiquités grecques, et ainsi de suite…

A : Alexandrie et le Caire sont à éliminer en raison de la référence au Tigre. La Grèce aussi,en raison du Tigre et du nom des personnages. On va voir Babylone.

B (il lit) : Babylone… Tigre et Euphrate… 4000 avant Jésus-Christ… Mésopotamie.

C : ça pourrait le faire, sauf que les supports pour l’écriture, dans cette bibliothèque (ildésigne les personnages) ont l’air plus récents.

B (s’exclamant) : J’ai trouvé un lien avec Bagdad et les maisons du Savoir. (Il lit)Bagdad…situé entre le Tigre et L’Euphrate…capitale… 1 million 500 mille habitants…richesses culturelles et commerciales entre le VIIIème et le XIIIème siècle…. Les Califessuccessifs… Maisons des savoirs… De nombreux savants… En Mathématiques, synthèse etcopie des connaissances des grecs, des indiens, des chinois… C’est bon, je crois.

D : De toute façon, on ne risque pas grand’chose, à part la vie de Gallilestein.

C : Et avant que Delarègle lui trouve un remplaçant, on prendra du bon temps…

Scène 2(Muhammad est assis devant une table couverte de documents divers. Il réfléchit à voix

haute.)

Muhammad : …C’était un marqueur de position pour les chinois. Il notait les dizaines, lescentaines. De même à Babylone. Il n’existait pas chez les romains. Mais comment l’appeler ?

Abbou (entrant sur scène et s’installant à côté de Muhammad) : Toujours sur ton fameuxnombre qui n’en est peut-être pas un ?

Muhammad : Je suis sûr que c’est un nombre, mais aucune idée pour le nommer !

Abbou (malicieux) : Si c’est du rien, du vide, du nul, appelle-le comme ça.

Muhammad : Euréka ! Tu sais que tu n’es pas bête, toi ! La solution était tellement évidenteque je ne l’ai même pas entr’aperçue ! Je vais le nommer « shifr », ce qui signifie « vide » et« grain ». Ce sera le point, le marqueur vide, la quantité nulle ! (Comme illuminé.) Plus tard,grâce à Fibonaci, on l’appellera le … (Demander au public. Si besoin, rappeler lescaractéristiques en insistant sur « quantité nulle ».)

Le public : Le zéro !

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Voix off : Bien, très bien ! Ce mot arabe, « shifr » est la racine des mots « chiffres » et« zéro ». Pour « chiffre », on comprend, mais pourquoi « zéro » ?

A (sortant de l’ombre) : L’Italien Fibonaci, au XIIIème siècle, traduit « shifr » par« zephirus ».

B : À partir duquel il a formé le nom « zevero » qui a donné « zéro ».

C : La graphie du zéro fut d’abord un cercle –bien avant Fibonaci- inspiré par lareprésentation de la voûte céleste.

D : Il a conservé son rôle de marqueur pour les dizaines, centaines, milliers. Si on écrit 32, onsait que 3 désigne les dizaines et 2 les unités. Mais comment écrire « trente » ? Il fallait 3 etquelque chose. Ce fut donc le « zéro » qui servit, et sert encore, à montrer l’absence d’unités.

B : C’est l’invention du zéro qui a permis de penser les nombres négatifs.

C : Il sert partout : en géométrie, la dimension d’un point est zéro ; en algèbre....

A (lui coupant la parole) : Pour noter les températures, le passage de l’eau de l’état liquide àl’état solide.

B : Pour noter les dictées et les exercices de maths…(Pendant les trois dernières répliques, les collégiens parlent de plus en plus doucement etretournent dans l’ombre)

Scène 3(Même décor. Groupe de copistes au travail.)

D (amère) : Une fois de plus, il n’y a que des hommes.

B : Dans la plupart des civilisations, peut-être même toutes, à cette époque, les femmesn’avaient pas souvent accès au savoir.

C : Et tu remarqueras que presque jusqu’au début du XXème siècle, les avancées scientifiquessont le fait des hommes.

A : Peut-être connaîtrions-nous plus de choses si les femmes s’en étaient mêlées, mais peut-être pas…Nous ne le saurons jamais. (Les personnages retournent dans l’ombre.)

Karim (relevant la tête) : Il nous faut mettre de la logique dans nos chiffres arabes. Je suis sûrque notre système de graphie a un bel avenir car il favorisera le commerce.

Abdel (rêveur) : Lier l’algèbre et la géométrie. Faire la synthèse de toutes les connaissancesmathématiques, y apporter notre touche et diffuser ce savoir.

Youssef (bougon) : Quelle ambition ! Notre boulot est de copier, un point c’est tout, alors,copions sans nous poser de question !

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Saïd (d’un ton vif) : Parle pour toi, moi, j’ai besoin de créer, d’imaginer une logique quidonnerait du sens au monde et à ses réalités, de trouver une raison, la perfection !

Youssef : Pffff.

Abdel : J’ai trouvé un truc rigolo avec les nombres et les triangles.

Youssef (marmonnant) : Lui, quand il trouve, c’est toujours du travail en plus. Et en plus, ils’amuse ! Je changerai bien de boulot, mais avec tout ce chômage…

Abdel (il se dirige vers un tableau et prends une craie) : Négligeons d’abord l’anachronismedu tableau et de la craie…

Voix de B, inquiète : Un ana… quoi ? C’est un virus ? Un monstre ? Une démonstrationgéométrique ?

Voix de A : Un anachronisme, c’est lorsque tu introduis dans une période historique un motou un objet qui n’est pas encore inventé. Par exemple, un avion au Moyen-Âge. Ou untableau noir au VIIIème siècle.

Abdel (reprenant son discours) : Je suis arrivé à représenter des suites de nombres sous formede triangles équilatéraux.

Youssef (grincheux) : Comme si ce n’était pas déjà suffisamment compliqué comme ça !

Abdel (il fait la démonstration sur le tableau) : On part de 1. (Il dessine un point). Ce n’estpas un nombre triangulaire, mais il faut bien partir de quelque part. Je cherche ensuite àreprésenter le nombre triangulaire suivant (Il dessine deux points sous le premier point.) _

_ _Trois est donc un nombre triangulaire puisqu’on peut le représenter sous la forme d’untriangle.

Saïd : Pour quatre, c’est impossible, c’est un carré _ _. Pour cinq, de même. __ _ _ _

(Il dessine pour le montrer). _ _Le suivant est 6 (Il dessine.) _

_ _ _ _ _

Karim : On peut même trouver les suivants sans dessiner. Regardez. (Youssef souffle, maisregarde tout de même.) On a 1, 3, 6 ; 3 = 1 + 2 ; 6 = 1 + 2 +3 . Vérifions si en ajoutant 1 +2 + 3 +… (Demande au public) 4, on trouve un nombre triangulaire. C’est donc égal à 10. (Ildessine.)

_ _ _

_ _ _ _ _ _ _

10 ! Oui, ça marche !

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Youssef (se piquant au jeu) : Le suivant sera donc 1 + 2 + 3 + 4 +… (au public.) + 5, ce quiest égal à 15. (Il dessine.)

Saïd (s’adressant au public) : Et le suivant ? (Le public doit trouver.) 1 + 2 + 3 + 4 + 5 + 6 =21. Le suivant ? 28.

Abdel (pontifiant) : Nous avons donc une suite de nombres : 1, 3, 6, 10, 15, 21, 28, 36, 45…Que constatez-vous en additionnant deux nombres triangulaires consécutifs ? (Silence. Tout lemonde réfléchit.)

Youssef (de nouveau morose) : Ben, rien. On ne peut pas continuer le jeu précédent ? (Encoreun moment de silence. Lumière sur les collégiens.)

B : Et zut ! C’est encore à nous ! Moi, je suis d’accord avec Youssef, on continue le trucd’avant. (Clin d’œil entre B et Youssef.)

C : Dès que c’est difficile, c’est soit nous, soit le public qui devons trouver. C’est injuste !

B : C’est pareil en cours : on passe notre temps à essayer de trouver quelque chose.

A : La somme de deux nombres triangulaires consécutifs … (Il écrit en colonne.)1 + 3 = 43 + 6 = 96 + 10 = 1610 + 15 = 25(Silence.)

D (très concentrée. Regards de ses camarades et des copistes tournés vers elle. Elle sursauteet s’exclame) : Mais bien sûr ! On a comme résultats 4, 9, 16, 25, 36 … Et ça ne vous ditrien ?

Les collégiens (en chœur) : Non, et alors ?

D : 4 = 2 au carré, 9 = 3 au carré, 16 = (au public) 4 au carré, 25 = (public) 5 au carré et ainside suite.

(Lumière sur les copistes)

Karim : On peut donc en déduire que la somme de deux nombres triangulaires consécutifsest un nombre au carré, et que ces nombres au carré forment une suite. En conséquence, après36, le nombre suivant sera 7 au carré, soit 49 qui est égal à 21 + 28 et le suivant (au public.)64 = 8 au carré = 28 + 36.

Saïd : Et ce, parce qu’un carré peut être schématisé par deux triangles juxtaposés. (Il dessine.)

___3 ___ 6 ___

(La lumière s’éteint progressivement.)

Voix off : Bravo à tous ! Mission mathématique accomplie.

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(Les copistes ont l’air satisfaits. Saïd, Karim et Abdel se mettent à jouer aux dés.)

Youssef : Et moi, je fais quoi ?

Les autres copistes : Et bien tu copies tout cela pour la postérité. Nous sommes des copistes.

(Youssef soupire et se met à copier. Pénombre grandissante.)

Youssef (toujours copiant) : En vous voyant jouer aux dés, il me vient une idée. Je suis sûrqu’il existe des nombres carrés. Ainsi, un nombre entier strictement positif…

Les collégiens (l’interrompant) : Ah non !!!(La voix off rit)

Rideau + poème

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Tableau 6Scène 1

(Un groupe de jeunes gens joue à Colin-Maillard. Deux personnes s’entraînent au combat àl’épée. Un groupe est assis, écoutant un troubadour déclamer.)

Troubadour : « Frères humains qui après nous vivezN’ayez les cœurs contre nous endurciz,Car, se pitié de nous pouvez avez,Dieu en aura plus tost de vous mercis.

(Agitation dans l’assemblée des spectateurs. Murmures d’indignation.)Vous nous voyez ci attachez, cinq, six,Quant de la chair que trop avons nourrie,Elle est pieça, dévorée, pourrie,Et nous les os, devenons cendre et poudre. »

(Émoi grandissant dans l’assemblée. Plusieurs femmes se lèvent, l’air indigné.)

Une femme : C’est inadmissible, sordide ! Que la poésie nous épargne au moins les trivialeshorreurs de la réalité !

Une autre femme (elle aussi scandalisée) : J’en conviens. Ces vers sont d’un certain Villon,un chenapan, je crois. J’irai demain proposer au Dauphin, qui a quelque influence sur cesparents, la création d’un Comité de Surveillance des Arts, un C.S.A. Imaginez nos enfantsouïr de tels vers à une heure de grande écoute.

Première femme : Et pourtant, on dit que les mœurs s’adoucissent. Moins de guerres entreseigneurs, plus de raffinement dans les relations, les loisirs et le mode de vie, même si l’onmange encore avec les doigts.

Seconde femme : Il faut encore attendre quelques années et La Renaissance pour voirfourchettes fleurir sur nos tables.

Première femme : Quelle époque, mon amie, quelle époque !

(Une dame, richement vêtue, s’approche.)

La Dame : Je vois avec regret vos visages fort contrariés. Comment puis-je y remédier ? Nepassez-vous pas là un moment divertissant ?

Seconde femme : Nous évoquions, en le regrettant, le temps jadis où trouvères et troubadoursnous contaient les exploits des preux chevaliers de la Table Ronde.

Première femme : Où l’homme célébrait en vers la beauté de la femme, lui faisant don de sapersonne et combattant sous ses couleurs.

Seconde femme : Nous regrettons les charmants :« Hiver, vous n’êtes qu’un vilain,Été est plaisant et gentilEn témoin de Mai et d’AvrilQui l’accompagnent soir et matin. »

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La Dame : Charles d’Orléans, Marie de France, Chrétien de Troyes, Bernard de Ventadour…,assurément cet art est noble et il est très doux, mais l’art peut être pur tout en peignant lacruauté du réel.

B (sortant de l’ombre) : Là, on ne va pas rigoler ! Poésie, culture, philo ! On n’était pas censéjouer avec les Maths ?

A (sortant de l’ombre à son tour) : Au moins l’époque est facile à trouver. C’est… (aupublic)…le Moyen-Âge, en France.

D : On est chez une dame cultivée de la noblesse.

C (moqueur) : C’est sûr qu’on n’est pas chez des paysans. Quand ils cultivaient toute lajournée les pommes de terre du seigneur, ou qu’ils entretenaient ses forêts pour qu’il puissechasser, ils n’avaient pas le temps de se demander s’ils préféraient « Friends », « la Star Ac »ou « Koh –Lanta ».

A (ironique) : C’est pas vraiment ce que j’appellerais de l’art.

B : Et puis, la pomme de terre, c’est un ana…, anaconda. Elle n’a été introduite en France queplus tard. (Tous le regardent, surpris.)

D : Tu veux dire un anachronisme. L’anaconda est…

B (l’interrompant, vexé) : C’est bon ! Tout le monde peut se tromper.

(Tous retournent dans l’ombre)

Scène 2(La Dame entre dans une pièce remplie d’hommes et de femmes disposés comme pour assisterà un spectacle. Bruissement de conversations diverses. La Dame s’assoit à côté d’un homme.)

La Dame (inquiète, s’adresse en murmurant à l’homme) : Je ne sais pas si mes invités vontapprécier le spectacle. Ces dames veulent de l’amour et des exploits, alors, les nombres !

L’homme : Ne soyez pas inquiète, gente dame, il y aura de l’amour. D’ailleurs, il y en a déjà.(Ton très doux) Jamais d’amour je ne pourrai plus vivre si je ne jouis de cet amour si proche.(Il essaie de lui prendre la main ; elle la retire.) Car de femme plus noble et meilleure, je n’enconnais en nul endroit. (Même jeu avec les mains.) Si pur et si parfait est son mérite que pourses beaux yeux, là-bas, au pays des Sarrasins, je voudrais pouvoir être captif.

La Dame (rougissante) : Je ne peux que vous refuser ce que j’aimerais vous donner. Ceserait-là fol engagement. Je n’ai pas le cœur si vil à vous promettre don d’amour tandis qu’auloin combat mon promis.

(L’homme soupire et s’éloigne un peu de la Dame. Entrent des acteurs habillés de couleursvives.)

Un acteur (s’avançant au milieu de la scène) : Savez-vous, noble assemblée, qu’il en est desnombres comme des gens. Ils sont doués de qualités. Les uns sont aimables ou amicaux,

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d’autres parfaits ou déficients ; certains sont imaginaires, d’autres ronds ou sacrés. Nousallons vous les faire vivre. (Il se retire. Deux acteurs s’avancent se tenant par les épaules.L’un porte un habit où est inscrit 220 et l’autre, un habit où est noté 284.)

220 : Bonjour, je m’appelle 220 et lui, (Il désigne son compagnon.), c’est 284. C’est mon potepour la vie.

284 (lui tapant dans la main) : Yé, mec ! Voici ma bande de diviseurs propres. (Entrent lesdiviseurs 1, 2, 4, 71, 142 vêtus de survêtements à capuche ou de casquettes. Ils s’alignent àcôté de 284, l’air menaçant.)

220 : Et voici les miens. (Entrent 1, 2, 4, 5, 10, 11, 20, 22, 44, 55, 110, même accoutrementque les précédents, mais d’une couleur différente.) Certes, ils sont plus nombreux, maiscertains sont moins costauds.

284 : Quiconque touche à ma bande de diviseurs élimine 220. (Entre un groupe de jeunes quise bagarrent avec les diviseurs. Ces derniers tombent. 220 chancelle et s’écroule.)

220 (il a du mal à parler) : Si… on élimine mes diviseurs…on fait du mal à 284… Ilpeut…en mourir… (Un groupe de jeunes entrent sur scène, se battent avec les diviseurs de220. Ces derniers sont vaincus et 284 s’effondre. Les groupes de bagarreurs sortent descène.)

284 : Mon sort est lié à celui de 220. Nous sommes des nombres amiables ou amicaux. (220 et284, ainsi que leurs diviseurs, se relèvent et reprennent leur position initiale.)

220 et 284 (en chœur) : Mais pourquoi donc sommes-nous des nombres amicaux ?

(Le public du Moyen-Âge se concerte. Murmure, rires étouffés.)

Un chevalier : Parce que vous avez quelques diviseurs en commun. Vous êtes demi-frères, enquelque sorte.

220 : Non.

Une dame : Parce que vous êtes pairs et que l’on dit « une paire d’amis ».

284 : Non. Un indice ?

(Le public du Moyen-Âge et les collégiens, en voix off) : Oui !

284 : Il faut effectuer des additions. (Les diviseurs sortent et vont chercher des pancartesnotées + et =. Ils se rangent pour faire une somme.) À vous de jouer !

C (sortant de l’ombre, accompagné des autres collégiens) : ça m’aurait étonné qu’on nouslaisse tranquilles.

A : Arrête de râler, cela ne doit pas être trop difficile.

D : J’ai compris, mais je vérifie dans ma tête.

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B : Moi aussi. (Il se tourne vers le vrai public.) Et vous ? (Attendre une réponse.)

Une personne du public du Moyen-Âge : Je sais ce qu’il faut faire. C’est d’une extrêmesimplicité.

Une femme : Et bien moi, non. Hormis la broderie et la lyre, je n’ai guère étudié. Pourquoides Mathématiques ? Un conte m’aurait ravie.

D : Il suffit d’additionner les diviseurs. Par exemple, les diviseurs de 284 : 1 + 2 + 4 + 71 +142 = 220.

B : La somme des diviseurs de 220 est… (au public)…égale à 284.

A : On peut donc dire que des nombres amicaux ou amiables, sont des entiers naturelsformant une paire telle que…

C : …Chacun d’eux est égal à la somme des diviseurs propres de l’autre.

Femme du Moyen-Âge : J’ai compris, mais lorsqu’on prononce vite la définition, je trouvecela obscur.

Voix off : Bien joué ! 1180 et 1210 sont aussi des nombres amicaux ; 5020 et 5564, aussi.Allez, encore une autre devinette !

(Deux filles, habillées et coiffées de manière identique entre sur scène en chantant : « Noussommes deux sœurs jumelles // Nées sous le signe des gémeaux ». Elles traversent la scène etsortent. Entrent ensuite 3 et 5, collés l’un à l’autre, puis 5 et 7, 11 et 13, 17 et 19 dans lamême position. Tous les nombres chantent.)

Les nombres (en chœur) : « Nous sommes des nombres jumeaux Nés sous le signe des matheux, Nous sommes vraiment les plus beaux, Nous promenant ainsi par deux. »

Pourquoi ?

(Le public du Moyen-Âge se concerte. Petits rires et chuchotements. Des doigts se lèvent.)

B (surgissant sur scène) : Nous aussi on sait !

Voix off : Bien, vous êtes tous des rapides. Et le public ? (Voir réactions)

Une personne du public du Moyen-Âge (se levant) : La différence entre 3 et 5, 5 et 7, 11 et13 …

B (lui coupant la parole) : …Entre 17 et 19 est de deux.

C : Des nombres jumeaux sont donc deux nombres premiers différents entre eux de deuxunités.

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Voix off : Bien ! Et on continue !

(Entre le nombre 6, très digne)Nombre 6 : Gentes dames, gentils damoiseaux, grands seigneurs, j’étais jadis un nombrecomme les autres, banal, anonyme dans la foule des autres nombres. Je traversais la viemathématique accompagné de mes camarades, 5 et 7. Parfois, pour passer le temps, nousnous multipliions. Avec 5, nous produisîmes 30 petites unités, avec 7, nous enconfectionnâmes 42. Ainsi allait ma vie, sereine et légère.

Nombre 28 (entrant sur scène) : Il en fut de même pour moi. J’étais plus costaud que 6, plusenveloppé, mais tout aussi obscur. Qui se souvient de 28. On aime 20 : avoir 20 ans, avoir20/20. On peut détester 0. Mais 28, qui se souvient de 28 ? C’est insignifiant, 28 ! Un jourdonc, un mathématicien arabe nous repéra, 6 et moi-même. C’était un dénommé Thabit IbnQurra.

Nombre 6 : Il me coucha sur son papier, me disséqua, me tortura. Il me divisa par 1, par 2,par 3, et fit bien d’autres expériences traumatisantes.

Nombre 28 : Moi qui n’aimais que me multiplier pour avoir des tonnes d’amis, je fus aussiamputé, divisé. Il extrayit de mon sang 1, 2, 4, 7 et 14.

Nombre 6 : Thabit Ibn Qurra en ressentit une joie extrême. Il m’exhiba fièrement devant tousles autres mathématiciens de son temps. Tout le monde applaudit à son expérience. On nousbaptisa, avec d’autres, nombres parfaits.

Nombre 28 : Finies les promenades tranquilles avec mes amis. J’étais sous les lumières desprojecteurs. Les paparazzi mathématiciens nous traquaient, quoi que nous fassions : additions,soustractions, multiplications, divisions. Plus aucune intimité !

Nombre 6 : Et me voici devant vous, nimbé de cette perfection qui me colle à la peau, le plussouvent accompagné de mes diviseurs, qui sont mes plus grands fans.

Nombre 28 : Las ! Las ! Je suis fatigué de tant d’excellence ! Oui, 6 et moi-même sommesdes modèles et, néanmoins, nous errons, l’âme en peine. (Ils baissent tous deux la tête,affligés).

(Dans le public du Moyen-Âge, certaines dames essuient une larme, d’autres se concertent,l’air grave.)

Une dame (à sa voisine) : Mon neveu, c’est pareil. Il joua formidablement le rôle du roiArthur lors d’une représentation à la cour et depuis, toutes les adolescentes du palais sepâment devant lui. Il a été obligé de fuir en Angleterre.

Une autre dame : Ne m’en parlez pas. Mon voisin le comte de…, mais je tairai son nom, pardiscrétion, a baptisé son fils Merlin. En grandissant, l’enfant se découvrit une vocation dechanteur. Il devint troubadour. Tout le monde réclamait Merlin Le Chanteur, mais les gens leconfondirent vite avec Merlin L’Enchanteur. Il fut réellement traqué : on lui réclamait despotions, des tours de magie. Certains lui envoyaient des lettres de menaces l’accusant desorcellerie. Sa vie fut un enfer. Il a été obligé de changer de nom.

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Nombre 6 et nombre 28 (excédés) : Bon ! Et nous alors ! Pourquoi sommes-nous parfaits ?

A (sortant de l’ombre) : Ils ont insisté sur leurs diviseurs. (À B qui sort de l’ombre à sontour.) Écris-les.

B (notant 28) : 1, 2, 4, 6 et 14.

Voix off (scandalisée) : Oh !

(Les collégiens se regardent, étonnés, puis observent les chiffres. Ils ricanent.)

C (narquois) : Tu ne t’arranges pas !

B : Ben quoi ? (Il regarde les chiffres.) Ah oui ! (Il efface 6 et écrit 7.)

D : Ecris. Diviseurs de 6 : 1, 2 et 3.

(Silence. Les regards sont rivés sur les chiffres.)

A : J’ai trouvé !

B et C (en même temps) : Moi aussi !

D (perplexe) : Je crois que moi aussi, mais c’est trop simple. (Au public.) Et vous ? (Voirréactions du public.)

A : Un nombre parfait est un nombre qui est égal à la somme de ses diviseurs.

B : 1 + 2 + 4 + 7 + 14 qui sont les diviseurs de 28 …

C : … Est égal à 28.

Voix off : C’est excellent ! Vous vous en tirez fort bien.

Un homme du public du Moyen-Âge : Nous n’avons pas pu répondre car nous n’avons paseu la parole ! Dans une joute, les chevaliers combattent à égalité !

B (l’apostrophant) : Oui, mais nous, mon vieux, on doit sauver notre prof de Maths retenuprisonnier par des méchants.

L’homme du Moyen-Âge : Que fait donc la police secrète du roi ? Ce n’est pas à toi de t’enoccuper. Tu n’es même pas page ou écuyer.

C : Il est collégien.

L’homme du Moyen-Âge : Ce petit morveux aurait quelque fonction sacrée ?!

D (gentiment) : Collégien, au sens du XXIème siècle. Il étudie dans un collège, une écoledestinée aux enfants de 11 à 15 ans, environ.

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B (bougonnant) : Mais j’ai peut-être aussi des fonctions sacrées !

L’homme du Moyen-Âge : Oui, j’ai entendu parler de ce collège fondé par Robert de Sorbonen 1257 et que l’on appelle communément La Sorbonne. Il est bien jeune pour faire ses étudesde théologie !

B : Théo…, quoi ? Je ne suis qu’en 4ème !

A (s’adressant à B) : La théologie, c’est l’étude des religions à partir des textes sacrés.

B (se redressant) : Je suis dans une école laïque. !

C : Au Moyen-Âge, cela n’existait pas ; l’enseignement était religieux.

D (à l’homme du Moyen-Âge) : Aujourd’hui, la Sorbonne est une université et on y entreaprès le Bac.

L’homme du Moyen-Âge (marmonnant) : Quel charabia ! Les jeunes ne savent plus quoiinventer !

Voix off : Que vous êtes bavards dans cette période historique ! On se tait, maintenant !

(Les acteurs du Moyen-Âge entrent tous sur scène portant chacun un nombre de 0 à 9.)

Le zéro (s’avançant) : Les nombres ont une vie, les nombres sont poésie.

Le un (s’avançant à son tour) : Ils ont leur dictionnaire et invitent à l’imaginaire.

Le deux (même jeu) : Ils sont pairs, impairs, pairement pairs ou pairement impairs, parfoisfractionnaires. C’est vrai que l’on s’y perd.

Le trois (même jeu) : Ils sont pentagonaux, polygonaux, cardinaux, sexagésimaux… et jepasse bien d’autres mots.

Le quatre (même jeu) : Ils sont aussi carrés, entiers, concrets, abstraits, imparfaits ou parfaits,voire sacrés. De quoi méditer et calculer.

Le cinq (même jeu) : Vous en trouvez des algébriques, des cubiques et des planiques. Il fautles apprendre, voilà le hic.

Le six (même jeu) : Prenez aussi le transcendant, le nombre plan, le déficient et l’abondant.De quoi écrire pendant des ans.

Le sept (même jeu) : Que dire des relatifs et des positifs, des infinis ou des transfinis, desronds et des quaternions ? Des esprits vifs s’épuiseront en réflexions.

Le huit (même jeu) : Prenez un nombre, prenez-en deux, Faites additions et soustractions, Votre cerveau pétri de feu Voit l’univers en création.

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Le neuf (même jeu) : Nombres jouant avec les mots, Sont Prométhée ou bien Protée. Formant le monde des idées. Ils mènent l’homme instruit aux cieux, Très haut, dans le berceau des dieux.(Les nombres font la révérence. Applaudissements du public du Moyen-Âge et des collégiens.)

Rideau

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Tableau 7 (A s’étire et baille ; B se frotte les yeux ; C soupire et D est assise, l’air absent.)

A : J’espère que c ’est la dernière énigme. Regardez, il y a des filles avec des portables…Visiblement, ça se passe à notre époque... B : Oui, mais qu’est-ce qu’elles font ? On a l’impression qu’elles copient un texte… ça serait pas des copistes par hasard, parce qu’on a déjà donné ?… C : Non, elles ont plutôt l’air de répondre à des questions…Si elles copient, c’est surtout sur leurs voisines… D : Et si vous vous taisiez ? On pourrait peut-être comprendre de quoi elles parlent… (Eclairage sur les jeunes filles.) Mannequin 1 : Et toi, tu mets quoi pour la question sur les yeux ? Tu les trouves comment les miens ? Ils ont les paupières tombantes ou ils sont globuleux ? Mannequin 2 : Je ne sais pas, je préfère mettre « en amande » même si ce n’est pas tout à fait vrai. Comme ça, je pense que j’ai toutes mes chances. Mannequin 3 : Et la question 7 : ...Vous croyez que j’ai le nez fin, droit, épaté, busqué, c rochu, aquilin ou en trompette ?… Mannequin 4 : Je serais toi, je mentirais pas trop là -dessus parce que c’est l e genre de détail qui se voit… comme le nez au milieu de la figure ! (Toutes se mettent à rire, sauf mannequin 3.) (Mme de Fontenay arrive. Elle donne un coup d’œil aux fiches et regarde, intriguée, le visage du mannequin 2.) Mme de Fontenay : Mesdemoiselles, je vous rappelle que le test de beauté que vous remplissez permet d’opérer une première sélection. Il est donc capital. Il serait fort fâcheux que vous dissimuliez des disgrâces physiques que le jury, à l’œil averti , ne saurait oublier. Mannequin 3 : Si je puis me permettre , Mme de Fontenay , je souhaitais vous demander à quoi correspond le nombre d’or ? Je veux bien calculer le rapport entre mon tour de poitrine et mon tour de taille, mais je dois trouver quoi comme nombre pour avoir mes chances de correspondre aux critères de beauté ? Mme de Fontenay ( indignée) : Mais vous vous permett ez beaucoup trop mademoiselle ! C e critère fait ju stement partie intégrante du test. En vous posant cette question, nous cherchons à vérifier le niveau de votre culture générale , qui importe autant que votre beauté physique. Lorsqu’on prétend atteindre le niveau de miss France, il convient de connaître ce qui , depuis l’Antiquité, a permis de construire l’Harmonie, en d’autres termes, le nombre d’or… La voix : Chers élèves, vous n’allez pas, bien sûr, laisser ces demoiselles dans l’ignorance ! Vous comprenez donc qu’il vous échoit maintenant de vous renseigner rapidement sur ce nombre d’or… A : Jamais entendu parler ! B : Moi, non plus. Vous croyez que notre ami google peut nous aider ?

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Tableau 8(Les collégiens s’affairent devant l’ordinateur, buvant chacun un verre de limonade.)

A : Ouf ! (À C) As-tu rentré toutes les données ?

C : Oui, c’est bon, mais je vérifie tout de même.

B : Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? On valide ? Et si on a sauté une étape, que va-t-il sepasser ?

D : Pas grand’chose, hormis pour Monsieur Gallilestein.

C : Et c’est parti ! Je valide.

A (scrutant l’ordinateur) : Pourquoi ne se passe-t-il rien ?

B : Ne sois pas impatient, l’ordinateur télécharge un truc.

D : Des ballons multicolores et une tête de clown ! C’est encore un jeu ?

Voix off : Vous avez 100% de réussite et le savant Eugène Génie pourra reprendre sestravaux sur la production de l’eau en zone désertique et sa répartition équitable.

C (soufflant) : On s’en moque d’Eugène Génie ! On ne le connaît même pas. Ce qu’on veut,c’est Gallilestein !

B : Quand tu dis « on veut », c’est plutôt exagéré. On veut bien le sauver, mais il faudraitqu’il puisse se reposer une petite quinzaine après ce traumatisme. Il sera peut-être amnésiqueet aura oublié qu’il est prof. De Maths…

A : Arrête de rêver et d’imaginer des aventures !

D (s’exclamant) : Le clown se transforme, mais…mais…c’est la tête de Gallilestein !

Gallilestein : Bravo les enfants ! Vous avez remarquablement assuré. C’était super.

Les collégiens (en chœur) : Hourra ! Vous êtes libre et sain et sauf.

Gallilestein (riant) Oui, vous m’avez sauvé la vie… enfin, presque. (Deux visages souriantsapparaissent à ses côtés.)

B (hurlant) : Ce sont les deux types qui l’ont enlevé ce matin ! Attention, Monsieur !

Gallilestein (toujours jovial) : Ne t’inquiète pas, ce sont mes amis.

(Les collégiens restent bouche bée.)

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Gallilestein : Oui, tout cela était une ruse pour vous faire tester un nouveau jeu éducatif quenous avons mis au point.

B (froissé) : Pourquoi toute cette mise en scène ? Il suffisait de demander.

Gallilestein : Qui aurait accepté si j’avais demandé « Je souhaiterais quelques volontairespour passer l’après-midi à tester un jeu mathématique ? »…

D (doucement) : Moi, j’aurais accepté.

Gallilestein : Toi, peut-être, mais il me fallait une équipe.

B : Comment avez-vous fait ce matin ? À 7H15, je n’étais pas censé être au collège.

Gallilestein : Je t’ai vu arriver. Tu étais si peu discret ! J’étais moi-même venu plus tôt pourdonner à mes collaborateurs un document que j’avais oublié dans mon casier. J’ai tout desuite imaginé une supercherie. (Au fur et à mesure du discours de Gallilestein, le visage de Bse renfrogne.)

D : Vous preniez un risque.

Gallilestein : B est espiègle, mais c’est aussi un rêveur futé plein d’imagination.

B (toujours maussade) : Je prends cela pour un compliment ou une critique.

Gallilestein : Un compliment, mon enfant. De plus, tu es loyal et généreux. (B commence àfaire le fier.) Tu as réellement voulu me sauver, même après tes deux « 5 » aux contrôles. Etje savais que tu serais secondé par tes copains.

B : D’ailleurs, à propos de mes « 5 », on pourrait négocier… (Gallilestein rit.)

C : On aurait pu refuser et vous laisser mourir.

Gallilestein : Mais vous ne l’avez pas fait !

A : Bon, ce point est réglé. Qu’avez-vous retiré de cette expérience ?

Gallilestein : Je dois améliorer le jeu, le rendre plus convivial, plus interactif. J’ai encore dutravail.

D : C’est plutôt rigolo comme jeu, mais qui va acheter un jeu de mathématiques ? Nous, onétait motivé par votre sort.

Gallilestein : Tu sais, entre les CDI, les profs de maths, les parents anxieux du devenirscolaire de leurs enfants, les cadeaux de Noël et la publicité.

B : Admettons. N’empêche que vous n’auriez pas dû agir comme cela. C’est abuser !

Gallilestein : Je peux toujours noter vos exploits.

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C : Ah oui, combien ? Ça mérite bien 20 ;

Gallilestein : Vous verrez, ce sera la surprise en fin de trimestre. À propos, vous voussouvenez que vous avez un contrôle de géométrie, demain…

Les collégiens (en chœur) : Ah non !

Gallilestein : Je vous laisse donc réviser et je vous remercie encore. Je crois bien que je vaisvous associer au jeu. Comme personnages… ou comme testeurs…On en reparlera. À demain.

A (éteignant l’ordinateur) : J’ai l’impression que quelque part, on a été trompé, par excès denaïveté.

B : C’est vrai, mais on ne s’est pas ennuyé. C’était plutôt drôle.

C : J’ai bien aimé les personnages du jeu et puis, on va peut-être devenir célèbre. (Coupsfrappés à la porte de la chambre.)

D (levant les yeux au ciel) : Entrez ! (Une femme entre.)

La femme (s’adressant à D) : Je m’inquiétais, ma chérie. J’ai eu une panne de voiture et je nesuis pas arrivée à te joindre, ni à la maison, ni sur ton portable.

D (très posément) : Je rechargeais mon portable et nous n’avons pas entendu le téléphone.Nous révisions le contrôle de Maths.

La femme : En tout cas, j’espère que vous n’êtes pas restés deux heures devant l’ordinateur.

Les collégiens (en chœur) : Bien sûr que non, nous révisions.

La femme : Bien. Alors je vous laisse continuer. On mange dans une heure. (Aux enfants.)Restez, si vous voulez, mais prévenez vos parents. (Elle sort.)

A : Bien. Il nous reste une heure pour les devoirs.

B : Je ne savais même pas qu’on avait un contrôle de maths.

C : Moi, je n’ai rien compris au cours…

D : Et en plus, on a une interro d’Anglais sur les verbes irréguliers !

A : Allez ! On se met au travail.(Les collégiens sortent leurs livres et leurs cahiers ; ils s’installent pour travailler.)

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