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NOTE D’ANALYSE Militaires occidentaux au Niger : présence contestée, utilité à démontrer Par Georges Berghezan 7 novembre 2016 Résumé En raison de sa situation géostratégique, au carrefour de plusieurs foyers déstabilisateurs, le Niger connaît, depuis quelques années, une multiplication de bases militaires occidentales, principalement françaises et états-uniennes. Le pays est devenu en effet la base arrière de l’opération Barkhane, ainsi qu’une plateforme d’observation des États-Unis dans une région minée par plusieurs insurrections, la plupart à caractère djihadiste. Cependant, ces déploiements passent mal auprès de la population et de l’armée nigériennes, habituées à ne pas déléguer leurs instruments de défense à l’extérieur et attachées à la souveraineté de leur pays. ________________________ Abstract Western troops in Niger: Controversial presence, usefulness still to be demonstrated Because of its geostrategic situation, at the crossroads of several hotbeds of destabilization, Niger has witnessed, for a few years, the multiplication of western military bases, mostly managed by France and the United States. The country indeed has become the rear base of the French Opération Barkhane, as well as an observation post for the United States in a region undermined by several uprisings, most of them with jihadist characteristics. However, these deployments are not well regarded by the Nigerien population and army, accustomed not to abdicate their defence tools to foreigners and attached to the sovereignty of their country. GROUPE DE RECHERCHE ET D’INFORMATION SUR LA PAIX ET LA SÉCURITÉ 467 chaussée de Louvain B – 1030 Bruxelles Tél. : +32 (0)2 241 84 20 Fax : +32 (0)2 245 19 33 Courriel : [email protected] Internet : www.grip.org Twitter : @grip_org Facebook : GRIP.1979 Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) est un centre de recherche indépendant fondé à Bruxelles en 1979. Composé de vingt membres permanents et d’un vaste réseau de chercheurs associés, en Belgique et à l’étranger, le GRIP dispose d’une expertise reconnue sur les questions d’armement et de désarmement (production, législation, contrôle des transferts, non-prolifération), la prévention et la gestion des conflits (en particulier sur le continent africain), l’intégration européenne en matière de défense et de sécurité, et les enjeux stratégiques asiatiques. En tant qu’éditeur, ses nombreuses publications renforcent cette démarche de diffusion de l’information. En 1990, le GRIP a été désigné « Messager de la Paix » par le Secrétaire général de l’ONU, Javier Pérez de Cuéllar, en reconnaissance de « Sa contribution précieuse à l’action menée en faveur de la paix ». Le GRIP bénéficie du soutien du Service de l'Éducation permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles. NOTE D’ANALYSE – 7 novembre 2016 BERGHEZAN Georges. Militaires occidentaux au Niger : présence contestée, utilité à démontrer, Note d’Analyse du GRIP, 7 novembre 2016, Bruxelles. http://www.grip.org/fr/node/2134

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NOTE D’ANALYSE

Militaires occidentaux au Niger :

présence contestée, utilité à démontrer

Par Georges Berghezan

7 novembre 2016

Résumé

En raison de sa situation géostratégique, au carrefour de plusieurs foyers

déstabilisateurs, le Niger connaît, depuis quelques années, une

multiplication de bases militaires occidentales, principalement françaises et

états-uniennes. Le pays est devenu en effet la base arrière de l’opération

Barkhane, ainsi qu’une plateforme d’observation des États-Unis dans une

région minée par plusieurs insurrections, la plupart à caractère djihadiste.

Cependant, ces déploiements passent mal auprès de la population et de

l’armée nigériennes, habituées à ne pas déléguer leurs instruments de

défense à l’extérieur et attachées à la souveraineté de leur pays.

________________________

Abstract

Western troops in Niger: Controversial presence,

usefulness still to be demonstrated

Because of its geostrategic situation, at the crossroads of several hotbeds

of destabilization, Niger has witnessed, for a few years, the multiplication

of western military bases, mostly managed by France and the United

States. The country indeed has become the rear base of the French

Opération Barkhane, as well as an observation post for the United States

in a region undermined by several uprisings, most of them with jihadist

characteristics. However, these deployments are not well regarded by the

Nigerien population and army, accustomed not to abdicate their defence

tools to foreigners and attached to the sovereignty of their country.

GROUPE DE RECHERCHE ET D’INFORMATION SUR LA PAIX ET LA SÉCURITÉ

• 467 chaussée de Louvain B – 1030 Bruxelles Tél. : +32 (0)2 241 84 20 Fax : +32 (0)2 245 19 33 Courriel : [email protected] Internet : www.grip.org Twitter : @grip_org Facebook : GRIP.1979

Le Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité (GRIP) est un centre de recherche indépendant fondé à Bruxelles en 1979.

Composé de vingt membres permanents et d’un vaste réseau de chercheurs associés, en Belgique et à l’étranger, le GRIP dispose d’une expertise reconnue sur les questions d’armement et de désarmement (production, législation, contrôle des transferts, non-prolifération), la prévention et la gestion des conflits (en particulier sur le continent africain), l’intégration européenne en matière de défense et de sécurité, et les enjeux stratégiques asiatiques.

En tant qu’éditeur, ses nombreuses publications renforcent cette démarche de diffusion de l’information. En 1990, le GRIP a été désigné « Messager de la Paix » par le Secrétaire général de l’ONU, Javier Pérez de Cuéllar, en reconnaissance de « Sa contribution précieuse à l’action menée en faveur de la paix ».

Le GRIP bénéficie du soutien du Service de l'Éducation permanente de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

NOTE D’ANALYSE – 7 novembre 2016

BERGHEZAN Georges. Militaires occidentaux au Niger : présence contestée, utilité à démontrer, Note d’Analyse du GRIP, 7 novembre 2016, Bruxelles.

http://www.grip.org/fr/node/2134

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Introduction

Pays sahélien enclavé, le Niger occupe une place inconfortable au regard des problèmes

sécuritaires qui affectent la région depuis une demi-décennie. À l’ouest, il partage une

longue frontière avec le Mali, toujours en proie à l’activité de divers groupes armés ;

au nord-est, il doit compter avec son chaotique voisin libyen ; et, au sud-est, il fait face à

de fréquentes attaques de la milice nigériane Boko Haram.

Pour soutenir les efforts des autorités de Niamey et prévenir la déstabilisation du pays,

des États occidentaux – principalement la France et les États-Unis – ont intensifié leur

coopération militaire ces dernières années. En plus de programmes de formation

s’adressant à tous ses alliés africains et d’une coopération bilatérale, Paris déploie, à partir

du début 2013, des troupes au sol, à la fois dans le nord du pays, pour protéger les sites

d’exploitation d’uranium de la multinationale française Areva, et dans la capitale, afin de

doter son opération Serval de moyens de surveillance aériens. Le dispositif est peu à peu

complété et, un an et demi plus tard, le Niger devient une pièce centrale de l’opération

Barkhane, impliquant directement ce pays et quatre autres du Sahel.

Dans le même temps, les États-Unis qui, depuis les attentats du 11 septembre 2001,

s’intéressent de plus en plus vivement au développement de mouvements djihadistes ou

terroristes dans le Sahel, renforcent leurs programmes de formation dans cette région.

En 2013, pratiquement en même temps que les Français, ils déploient à l’aéroport de

Niamey des drones, ainsi que le personnel associé. Tout comme eux, ils installent ensuite

deux bases discrètes dans le nord du pays. De même, Washington et Paris semblent se

partager le travail dans le développement d’une force aérienne légère nigérienne.

L’irruption de plusieurs centaines de militaires occidentaux n’est pas passée inaperçue

dans le pays. Si les autorités politiques semblent leur dérouler le tapis rouge, des réactions

hostiles sont enregistrées à la fois dans la population et dans l’armée. En outre, malgré le

secret officiel qui entoure leur montant, les dépenses militaires sont en forte

augmentation depuis 20121, au détriment des budgets sociaux et des besoins primaires

de la population.

L’objet de cette note est de rappeler l’origine et présenter le développement de la

coopération militaire de la France et des États-Unis avec le Niger, en l’inscrivant dans un

contexte régional instable et en s’interrogeant sur son impact sur la situation sécuritaire

du pays.

1. L’ancienne puissance coloniale plus présente que jamais

Un accord de défense déséquilibré

Devenu indépendant en 1960, le Niger a conclu, conjointement avec deux autres

anciennes colonies françaises, la Côte d’Ivoire et le Dahomey (actuellement le Bénin),

un accord quadripartite de défense avec la France le 24 avril 1961. Cet accord, signé pour

le Niger par le président Hamani Diori alors que son pays ne disposait pas de forces

armées, reconnaît « à la République française la libre disposition des installations

militaires nécessaires aux besoins de la défense » (article 4) et prévoit que l’importance

1. Georges Berghezan, Dépenses militaires et importations d’armes dans cinq États ouest-africains,

Note d’Analyse du GRIP, 15 juin 2016.

― 3 ―

numérique des troupes françaises déployées dans les trois pays sera déterminée par un «

conseil régional de défense » (article 5), constitué par les chefs d’État des trois pays

africains et le Premier ministre français, ou leurs représentants (article 1er de l’annexe

dudit accord) et disposant d’un secrétariat dirigé par un général français (article 4). En

outre, l’accord s’intéresse aux « matières premières et produits classés stratégiques » des

trois pays, soit les hydrocarbures et les métaux radioactifs, dont l’uranium ; et prévoit

qu’ils « réservent par priorité leur vente à la République française après satisfaction des

besoins de leur consommation intérieure, et s’approvisionnent par priorité auprès

d’elle »2.

Par cet accord, que l’on pourrait qualifier de typiquement néocolonial, la France obtient

donc, non seulement le droit de déployer des troupes et de disposer des installations

militaires nigériennes, mais aussi la mainmise sur les précieuses réserves en uranium du

pays, qui s’avéreront bien utiles pour le développement futur de son arsenal et de ses

centrales nucléaires3.

Le même jour, un accord d’assistance militaire technique est signé par Paris et Niamey.

Il permettra au Niger de créer des forces armées nationales, à partir du personnel nigérien

présent dans l’armée française déployée dans le pays et avec l’assistance, notamment en

matériel, de l’ancienne puissance coloniale.

Durant les premières années, les officiers français sont omniprésents dans les unités des

Forces armées nigériennes (FAN, fondées le 1er août 1961), ainsi que dans la gendarmerie.

Mais, au fil du temps, de nombreux Nigériens acquièrent des formations d’officiers et de

sous-officiers et remplacent leurs homologues français. Cependant, des officiers français

continuent pendant plusieurs années à encadrer l’état-major des FAN4 et des troupes

françaises restent présentes dans le pays, en particulier à Niamey, où 450 hommes étaient

encore stationnés en 19745. Elles interviennent d’ailleurs en décembre 1963 pour sauver

le président Diori d’une mutinerie ourdie par un capitaine des FAN6.

Kountché obtient le départ de l’armée française

Le 15 avril 1974, un groupe de militaires dirigé par Seyni Kountché, commandant en chef

des FAN, renverse Hamani Diori. Le souhait de ce dernier d’obtenir une augmentation des

revenus tirés de l’uranium et son rapprochement avec la Libye expliquent peut-être que,

2. Les accords de 1961, L’accord de défense entre la République de Côte d’Ivoire et la République

de France, Le monde à l'ENVERS (blog).

3. Actuellement, environ un tiers de l’électricité produite en France provient de l’uranium nigérien. Voir Niger : À qui profite l’uranium ?, Oxfam-ROTAB, novembre 2013.

4. Aliou Mahamane, La naissance de l’armée nationale au Niger : 1961-1974, in Armée et Politique au Niger, Conseil pour le développement en sciences sociales en Afrique (CODESRIA), 2008.

5. Rémi Carayol, Niger – Putsch de Seyni Kountché : et si la France n’y était pour rien ?, Jeune Afrique, 22 mai 2015.

6. Claude Raynaut, Trente ans d’indépendance : repères et tendances, dans Le Niger, Chronique d’un État, Politique africaine n° 38, juin 1990 ; Dodo Boukari, Recherche de cohésion entre Forces Armées et Nation : Expérience du Comité Armée et Démocratie au Niger, Communication donnée au cours d’un colloque international sur l’intégration des forces armées et de sécurité dans les sociétés démocratiques, 29 mars au 1er avril 2005, Cotonou ; Niger : un autre maillon faible dans le Sahel ?, Rapport Afrique n° 208, International Crisis Group, 19 septembre 2013.

― 4 ―

cette fois-ci, Paris s’est abstenue d’intervenir pour le sauver. Néanmoins, dès le mois

suivant, Kountché demande la fermeture des bases et le départ des troupes françaises du

Niger7.

Si le nouveau président se révèle moins francophile que son prédécesseur, le Niger

conserve des liens de partenariat extrêmement étroits avec la France. Les deux pays

concluent, le 19 février 1977, un accord de coopération militaire technique, abrogeant et

remplaçant l’accord de 1961 et prévoyant notamment la formation de cadres de l’armée

nigérienne en France et la « mise à disposition de personnels militaires français » au

Niger8. Deux ans plus tard, au moment du vote par le Sénat français du projet de loi

autorisant la ratification de l’accord, 52 « assistants militaires techniques » français

étaient officiellement présents dans le pays9. Cependant, les conditions mises à la

présence militaire française sont plus strictes qu’auparavant : ceux-ci ne peuvent être

associés à des opérations de guerre ou de maintien de l’ordre et ils sont soumis aux règles

existant dans l’armée nigérienne, tenus par exemple de porter une tenue civile ou

l’uniforme militaire nigérien10. Enfin, l’accord soumet à autorisation le survol du territoire

nigérien par des appareils militaires français et une annexe précise les conditions du

soutien logistique français au Niger11.

Kountché reste au pouvoir jusqu’à sa mort, à Paris, en novembre 1987. S’en suit une

période de libéralisation politique qui s’accélère en 1991, alors que vient d’éclater une

première rébellion menée par des Touaregs et d’autres populations nomades au nord du

pays, ainsi qu’au Mali12. Ce processus connaît un coup d’arrêt en 1996, avec la prise du

pouvoir du colonel Ibrahim Baré Maïnassara. Tué lors d’un coup d’État militaire en avril

1999, le troisième en un quart de siècle, sa mort ouvre la voie, six mois plus tard, à des

élections multipartites et un gouvernement civil. Entretemps, la coopération militaire

française avec les pays d’Afrique de l’Ouest et du Sahel, dont le Niger, s’est restructurée

et a acquis la forme qu’elle a encore aujourd’hui.

Les relations militaires entre la France et le Niger comportent trois éléments majeurs :

des programmes de formation et d’entraînement, incluant des exercices communs avec

d’autres armées africaines ; une coopération purement bilatérale incluant des livraisons,

gratuites ou non, d’armement et d’autres équipements militaires ; des forces françaises

déployées dans le pays, actuellement dans le cadre de l’opération Barkhane.

7. Niger : un autre maillon faible dans le Sahel ?, op. cit. ; Rémi Carayol, op. cit. ; Renversement du

président Hamani Diori au Niger, Perspective monde, non daté.

8. Marie-Elisabeth Cousin, Les conventions internationales conclues par la France et publiées au Journal Officiel de la République française en 1980, dans Annuaire français de droit international, vol. 26, 1980, p. 790-808.

9. Rapport fait au nom de la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées ( 1 ) sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'Accord de coopération militaire technique entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Niger, ensemble deux Annexes, signés à Niamey le 19 février 1977, Sénat, Seconde session ordinaire de 1978-1979, Annexe au procès-verbal de la séance du 22 juin 1979.

10. Selon des observateurs sur place, les militaires français continuent à observer cette règle en 2016.

11. Cousin Marie-Elisabeth, op. cit. & Niger : un autre maillon faible dans le Sahel ?, op. cit.

12. Laurent Touchard, Niger : les FDS et la démocratie, Jeune Afrique, 20 février 2014.

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Des programmes de formation labellisés UE ou UA

À partir de 1997, la France réoriente sa coopération militaire africaine en l’inscrivant dans

le concept du « Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix » (RECAMP).

Dès 2002, ce programme de formation et d’entraînement est adossé à l’Architecture

africaine de paix et de sécurité de l’Union africaine (UA). Se voulant dédié à la prévention

des conflits et ayant pour finalité affichée l’« appropriation de la sécurité par les

Africains », il entend répondre aux nouvelles menaces (terrorisme, crime organisé…) en

développant des coopérations structurelles et opérationnelles. Concrètement, RECAMP

organise des formations et des exercices dans divers pays africains, accueille des stagiaires

africains dans des écoles militaires françaises et met à disposition de l’équipement à des

unités africaines engagées dans des opérations de maintien de la paix13. Ainsi, RECAMP a

offert un soutien logistique à un bataillon, composé notamment de Nigériens, déployé en

1999 en Guinée-Bissau, sur mandat de la Communauté économique des États de l’Afrique

de l’Ouest (CEDEAO), afin de mettre un terme à la guerre civile dans ce pays14.

En décembre 2007, l’Union européenne complète le programme par un partenariat

stratégique entre les pays d’Afrique et l’Union européenne, nommé EURORECAMP15.

Les deux programmes sont censés offrir un soutien aux Forces africaines en attente (FAA),

une force de maintien de la paix de l’UA établie en 2002. Elle est cependant encore loin

d’avoir atteint sa « pleine capacité opérationnelle », en particulier en Afrique de l’Ouest16.

Une des réalisations les plus visibles du programme RECAMP est la mise sur pied d’un

réseau de centres de formation, les Écoles nationales à vocation régionale (ENVR),

rassemblant des étudiants de divers pays africains. Au total, dix pays hébergent

17 établissements17, dont un au Niger, l’École des personnels paramédicaux des armées

de Niamey (EPPAN), formant des infirmiers pour les services de santé des armées de près

d’une vingtaine de pays. Alors que le cycle dure trois ans, la moitié des 60 participants est

issu des forces nigériennes18.

Du personnel militaire nigérien est formé dans d’autres ENVR : des officiers reçoivent ainsi

une formation générale à Yaoundé, Libreville et Dakar19. Les instructeurs sont

généralement des militaires provenant de bases françaises en Afrique, mais il est parfois

13. Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, Centre interarmées de concepts,

de doctrines et d’expérimentations, ministère de la Défense et des Anciens combattants, Paris, n° 179/DEF/CICDE/NP du 22 septembre 2011.

14. Tibault Stéphène Possio, Les évolutions récentes de la coopération militaire française en Afrique, Publibook, Paris, 2007, p. 231-232.

15. Renforcement des Capacités africaines de maintien de la paix, op. cit.

16. A Stitch in Time would have saved Nine, Operationalising the African Standby Force, Institute for Security Studies, Pretoria, Policy Brief No 34, septembre 2012 ; Christopher Griffin, Operation Barkhane and Boko Haram: French counterterrorism and military cooperation in the Sahel, Trends Research & Advisory, Abu Dhabi, mai 2015.

17. Christopher Griffin, op. cit.

18. La formation militaire de santé, France Diplomatie, mai 2013 ; L’École des personnels paramédicaux des Armées de Niamey : un modèle régional de coopération de défense, La France au Niger, 22 octobre 2015.

19. Renforcement des Capacités africaines de maintien de la paix, op. cit. ; Les Écoles nationales à vocation régionale, Direction de la coopération de sécurité et de défense, ministère des Affaires étrangères et européennes, Paris.

― 6 ―

recouru à des experts extérieurs, par exemple du personnel de la Croix-Rouge pour les

questions touchant au droit humanitaire20.

Dans le cadre de sa politique de sécurité et de défense commune (PSDC), l’Union

européenne a également développé, depuis 2012, la mission EUCAP Sahel Niger,

un programme de soutien multisectoriel aux autorités nigériennes en matière de lutte

contre le terrorisme et la criminalité organisée. Plusieurs dizaines d’experts

internationaux, dont la majorité est issue des forces de sécurité et des services de justice

européens, sont déployés en permanence à Niamey, chargés de conseiller et de former

des cadres nigériens21.

Appui à la force aérienne

Un aspect majeur de la coopération bilatérale franco-nigérienne semble être l’appui au

développement d’une force aérienne légère. En 2012, Paris offre à Niamey trois

hélicoptères de combat Gazelle et, vers la même époque, fournit des moyens

d’observation sous la forme d’avions ultralégers motorisés (ULM). Du personnel, neuf

pilotes et douze mécaniciens, est également formé, vraisemblablement pour assurer le

pilotage et l’entretien des Gazelle22.

En outre, depuis 2015, dans la zone frontalière avec le Burkina Faso et le Mali, la France a

initié le projet Appui à la coopération transfrontalière au Sahel (ACTS) qui, outre une

composante civile, assure la formation des forces de sécurité. Par ailleurs, afin de lutter

contre le terrorisme, le ministère français des Affaires étrangères dispose d’un Fonds de

solidarité prioritaire (FSP) dont un des objectifs est de renforcer les capacités des services

de sécurité et de renseignement dans les pays du Sahel23.

Enfin, signalons que, apparemment dans le cadre de la coopération bilatérale, des

instructeurs français, faisant partie des Éléments français au Sénégal, dispensent des

formations aux stagiaires de l’École de formation des officiers des forces armées

nigériennes (EFOFAN)24.

Areva et AQMI, les deux justifications du retour français au Niger

Contrairement à d’autres pays africains, notamment le Gabon, la Côte d’Ivoire et le

Sénégal, qui accueillent des forces dites « prépositionnées », la France ne dispose pas, en

théorie, de base permanente au Niger. Comme nous l’avons vu, le président Kountché

avait demandé, dès 1974, le retrait des troupes françaises de son pays. Hormis le passage

d’instructeurs et de conseillers militaires – par exemple, en 2009, une mission

d’évaluation des capacités de l’armée de l’air nigérienne débouche sur le programme

d’instruction évoqué plus haut –, les soldats français ne reviennent au Niger qu’en

20. Du Rwanda à la Misma, la formation des militaires africains en question, RFI, 3 mars 2013.

21. Politique de sécurité et de défense commune, Mission civile EUCAP Sahel Niger, 2 août 2016.

22. Christopher Griffin, op. cit. ; Niger Air Force gets new helicopter hangar, defenceWeb, 22 octobre 2013 ; La coopération dans le Sahel : une approche globale, Partenaires Sécurité Défense, ministère des Affaires étrangères et du Développement international, Paris, n° 275, février 2015.

23. La coopération dans le Sahel : une approche globale, Partenaires Sécurité Défense, op. cit. ; La France et le Niger, France Diplomatie, 20 juin 2016.

24. La coopération opérationnelle française participe à la formation initiale des jeunes officiers des forces armées nigériennes, ActuNiger, 14 juillet 2016.

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septembre 2010, après l’enlèvement de sept employés d’Areva à Arlit25. Le Niger se

trouve à ce moment dans une période de transition, sept mois après un nouveau coup

d’État ayant chassé le président Mamadou Tandja, qui avait décidé de garder son fauteuil

malgré le terme échu de son mandat et six mois avant des élections présidentielles qui

verront la victoire de Mahamadou Issoufou, réélu en mars 2016 pour un second mandat.

Se produisant moins d’un an après la fin de la deuxième rébellion touarègue (2007-2009),

l’enlèvement des employés d’Areva – cinq Français, un Malgache et un Togolais –

est rapidement revendiqué par le groupe armé Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI),

de plus en plus actif dans le Sahara et le Sahel. Il marque un tournant majeur dans la

politique militaire française dans la région : les autorités nigériennes accordent en effet à

Paris le droit d’utiliser librement leur espace aérien et leur territoire, ce qui prend la forme

de l’installation, à Niamey, d’une « base opérationnelle » comptant au moins 80

militaires26, et permet le déploiement d’importants moyens aériens : deux avions de

patrouille Bréguet Atlantique-2, un avion de reconnaissance Falcon-50 et probablement

également des avions de chasse Mirage F1, tous chargés de pister les otages et leurs

ravisseurs sur le territoire du Niger27, mais aussi sur celui du Mali où ceux-ci semblent

avoir été localisés28. Les otages seront ultérieurement libérés, après probable paiement

de rançons, les trois premiers en février 2011 et les quatre autres en octobre 201329.

Entretemps, l’intervention de l’OTAN et le changement de régime en Libye ont

dramatiquement dégradé la situation sécuritaire dans l’ensemble du Sahel. Au début

2012, l’immense Nord-Est malien, frontalier du Niger, passe sous le contrôle de

groupements djihadistes et touareg puisant hommes et armement en Libye. Un an plus

tard, l’armée française offre un soutien massif aux forces maliennes qui tentent de

reconquérir leur territoire : c’est le début de l’opération Serval.

Au Niger, la direction d’Areva qui, depuis l’enlèvement de ses employés, demandait que

la société privée française chargée de sécuriser ses sites d’uranium soit renforcée par des

forces spéciales, obtient finalement gain de cause auprès du nouveau locataire de

l’Élysée, François Hollande : plusieurs dizaines d’hommes du Commandement des

opérations spéciales (COS) – sans doute une soixantaine – sont déployés à Aguelal,

à proximité des sites d’Arlit et d’Akouta30. Ce déploiement ne rencontre aucune résistance

des autorités nigériennes, dont le président est d’ailleurs un ancien cadre de la Société

des mines de l'Aïr, une filiale d’Areva31.

25. Laurent Touchard, Niger : les enjeux de la coopération sécuritaire avec la France, Jeune Afrique,

3 mars 2014.

26. La France envoie 80 militaires pour tenter de retrouver les otages, France 24, 20 octobre 2010.

27. Laurent Touchard, op. cit. ; Chronologie de l’enlèvement des otages français au Niger par Aqmi, RFI, 27 avril 2011.

28. Mali : Les otages français d’AQMI localisés dans le Timétrine, CRIDEM (Nouakchott), 26 septembre 2010.

29. Les quatre otages enlevés au Niger libérés, Le Monde, 29 octobre 2013.

30. Jean Guisnel, Niger : les forces spéciales protégeront les mines d'uranium d'Areva, Le Point, 29 janvier 2013 ; Jean-Dominique Merchet, Que fait le COS dans le nord du Niger ?, Marianne blog, Secret défense, non daté ; Laurent Touchard, op. cit.

31. Niger : Areva entre rêves et revers, L’Express (Paris), 20 avril 2013.

― 8 ―

En outre, les hommes du COS ont pour mission, semble-t-il, d’épauler l’opération Mali-

Béro de contrôle de la frontière libyenne menée par l’armée nigérienne32. Alors que leur

déploiement aurait été décidé après la massive prise d’otages sur le site d’exploitation

gazière d’In Amenas (Algérie), revendiquée par une dissidence d’AQMI33, ils ne tarderont

pas à entrer dans le feu de l’action : lors de la double attaque menée par le Mouvement

pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO, une autre dissidence d’AQMI) le

23 mai 2013, un attentat-suicide sur des installations d’Areva à Arlit et l’assaut d’une

caserne de l’armée nigérienne à Agadez, les tireurs d’élite du COS sont intervenus et

auraient abattu deux preneurs d’otages sur ce second site34.

Quelques semaines plus tôt, vers le 10 janvier 2013, alors que débute l’opération Serval,

deux drones de l’armée française, des Harfang de fabrication euro-israélienne35, mais

également d’autres appareils déployés par les États-Unis (voir plus bas), arrivent à

l’aéroport de Niamey, ainsi que, officiellement, une centaine de militaires français chargés

de leur pilotage et de leur entretien, sans parler d’un nombre indéterminé d’agents du

renseignement qui sillonnent également Agadez et le nord du pays36.

Barkhane, le Niger au cœur du dispositif

On le constate, en quelques années, le contexte sécuritaire a totalement changé en

Afrique du Nord et dans le Sahel. L’effondrement libyen, l’influence croissante du

wahhabisme saoudien sur une partie de la jeunesse et l’évolution des moyens de

transport et de communication ont fortement aiguisé la vulnérabilité des pays de la bande

sahélienne, dont la plupart sont historiquement proches de la France ou participent à ses

intérêts économiques.

En 2014, Paris restructure profondément sa présence militaire dans ces pays en lançant,

le 1er août, l’opération Barkhane, apparemment en concertation et avec le plein soutien

des États-Unis, officiellement afin d’« appuyer les forces armées des pays partenaires (…)

dans leurs actions de lutte contre les groupes armés terroristes » et « contribuer à

empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes dans la région ». Cette nouvelle

opération, qui se déploie dans cinq « pays partenaires », dits du « G-5 Sahel », et implique

au moins trois autres pays africains, notamment pour l’utilisation de leurs installations

portuaires, remplace Serval au Mali, ainsi que l’opération Épervier au Tchad37.

Ces deux pays ont un rôle particulièrement important dans le dispositif. C’est au Mali,

où règne toujours une situation sécuritaire inquiétante, bien que Serval et diverses

armées africaines aient réussi à reprendre le contrôle de la majeure partie du territoire,

que la plupart des opérations militaires de Barkhane sont menées entre 2014 et 2016.

32. Laurent Touchard, op. cit. ; Rémi Carayol, Niger, au milieu du chaos, Jeune Afrique,

24 avril 2013.

33. Laurent Touchard, op. cit.

34. Jean-Dominique Merchet, Niger : deux terroristes abattus par des tireurs d'élite du COS, Marianne blog, Secret défense, non daté ; Niger : un autre maillon faible dans le Sahel ?, op. cit.

35. Rapport d’information sur l’opération Serval au Mali, Assemblée nationale, n° 1288, Paris, 18 juillet 2013 ; Jean-Dominique Merchet, Exclusif : les drones français arrivent au Sahel, Marianne blog, Secret défense, non daté.

36. Rémi Carayol, op. cit. ; Rémi Carayol, Agadez et Arlit : le Mujao frappe le cœur du dispositif de sécurité nigérien, Jeune Afrique, 23 mai 2013.

37. Dossier de presse, Opération Barkhane, ministère de la Défense, Paris, juillet 2016.

― 9 ―

En octobre et novembre 2015, une opération de ratissage des groupes terroristes dans le

nord du Mali, mais aussi dans le nord du Niger, baptisée « Vignemale », mobilise un millier

d’hommes sur les 3 500 affectés à Barkhane38. Quant au Tchad, en raison de la longue

tradition de présence militaire française dans ce pays, champion mondial des

interventions armées françaises à l’étranger, sa capitale N’Djamena a le privilège

d’accueillir notamment le « poste de commandement interarmées de théâtre » (PCIAT)

de l’opération.

Si deux autres pays, le Burkina Faso, avec une base du COS, et surtout la Mauritanie,

semblent tenir un rôle plus périphérique dans Barkhane, le Niger en est une pièce

maîtresse, non seulement à cause de la continuité du nord de son territoire avec le nord

du Mali et de sa frontière commune avec la Libye, mais aussi parce qu’il en représente le

« cœur du dispositif d’acheminement »39. Ainsi, ont transité par Niamey, par la route ou

par air, pas moins de 7 500 militaires et 10 000 tonnes de matériel en 201540, faisant de

cette ville la principale plateforme logistique de l’opération, probablement davantage que

N’Djamena, bien plus excentrée41. En outre, Niamey représente, avec N’Djamena, un de

ses deux principaux « points d’appui aérien » et, avec N’Djamena et Gao, un de ses trois

« points d’appui permanents »42.

Actuellement, la présence française au Niger, affectée à Barkhane, est composée

principalement de :

o Un « pôle de renseignement » à la Base aérienne 101 (BA 101) de Niamey,

consistant notamment en cinq drones non armés, deux Harfang et, depuis janvier

2014 et mai 2015, trois MQ-9 Reaper, de fabrication états-unienne et de meilleure

endurance que les Harfang, ainsi que probablement trois cabines de pilotage43 ;

o Au moins un avion patrouilleur Atlantique-2, ayant la même mission que les drones,

soit recueillir des informations sur les mouvements de groupes armés, également

basé à la BA-101 de Niamey ; cet avion ne semble cependant pas basé en

permanence à Niamey44 ; au plus fort de l’opération Serval, six Atlantique-2 et dix

équipages auraient été déployés à Niamey45 ;

o Quatre avions de combat, deux Mirage 2000C et deux Mirage 2000D, affectés à la

BA-101 ; à noter qu’ils auraient été déployés en Jordanie pendant quelques mois

dans le courant de 2016 afin de participer à des opérations de bombardement

38. Barkhane : Focus sur les moyens terrestres déployés dans l’opération Vignemale, ministère de

la Défense (Paris), 14 décembre 2015. Au départ, Barkhane ne comptait que 3 000 militaires français.

39. Christopher Griffin, op. cit. ; Barkhane : régionalisation des opérations et dispositif logistique, ministère de la Défense, Paris, 23 octobre 2014 ; Opération Barkhane, ministère de la Défense, Paris, 11 août 2016 ; L´opération Barkhane au Sahel, Stratégie militaire, 13 août 2014 ; N° 37. L’opération Serval devenue opération Barkhane au Sahel, Bruxelles2Pro, 19 juin 2016.

40. Angela Merkel en visite à Niamey: les attentes des Nigériens, RFI, 10 octobre 2016.

41. Dossier de presse, Opération Barkhane, op. cit.

42. Dossier de presse, Opération Barkhane, op. cit.

43. Barkhane : Le troisième drone MALE MQ-9 Reaper est arrivé à Niamey, zone militaire opex360.com, 8 mai 2015 ; Les drones MQ-9 Reaper de l'armée de l'air ont accumulé 10 000 heures de vol, Défens’Aéro, 13 juin 2016.

44. Laurent Touchard, op. cit. ; Barkhane : Engagement d’un Atlantique 2 en renfort dans l’opération Vignemale, RP Défense, 23 décembre 2015.

45. Laurent Touchard, op. cit.

― 10 ―

contre l’organisation État islamique dans les pays voisins ; pendant leur absence,

leurs missions ont été assurées par des Rafale basés à N’Djamena46 ;

o La « base avancée temporaire » d’Aguelal (nord-ouest du Niger), occupée

vraisemblablement, depuis début 2013, par une soixantaine d’hommes du COS

(voir ci-dessus) ;

o Une deuxième « base avancée temporaire », celle-ci se situant à Madama (nord-est

du Niger, à proximité des frontières tchadiennes et libyennes), accueillant, depuis

la fin 2014, 200 militaires français et plusieurs hélicoptères, servant à la fois au

transport, à la reconnaissance et au combat ; malgré son caractère officiellement

temporaire, une piste de 1 800 m de long y a été construite, devant permettre

l’atterrissage de gros-porteurs de types Hercules ou Transall47.

Le rôle du Niger dans le dispositif de Barkhane est donc crucial. Si aucune information

officielle n’a filtré sur le nombre de militaires français déployés en permanence dans la pays,

l’Institut international d’études stratégiques l’évalue à 350, soit environ quatre fois moins

qu’au Tchad et cinq fois moins qu’au Mali48. Au vu des nombreuses missions dévolues au

contingent français au Niger, ce nombre peut apparaître comme minimaliste.

46. Barkhane : Les Mirage 2000C et 2000D vont être redéployés à Niamey, au Niger, Défens’Aéro,

22 avril 2016 ; Barkhane : Les Mirage 2000 sont de retour au Niger, zone militaire opex360.com, 29 juillet 2016.

47. Madama, dernière base française avant les camps djihadistes du désert libyen, Le Figaro, 2 janvier 2015 ; Les hélicoptères de l’opération Barkhane ont dépassé les 5.000 heures de vol, zone militaire opex360.com, 30 octobre 2015 ; La force Barkhane accroît ses capacités avec la rénovation de plusieurs pistes d'aviation ; Défens’Aéro, 24 juillet 2016.

48. The Military Balance 2016, The International Institute for Strategic Studies, Londres, février 2016.

Bases militaires occidentales au Niger

Grand drapeau encadré de vert : base opérationnelle ; grand drapeau encadré de pointillés :

base en projet ou en construction ; petit drapeau : autres déploiements ou facilités (source : GRIP)

- Cliquer sur la carte pour l’agrandir -

― 11 ―

Boko Haram, la nouvelle menace

Au départ, le but de Barkhane, et en particulier du dispositif nigérien, était de lutter contre

les groupes armés formés à la suite d’AQMI, ayant directement tiré leurs moyens de

l’effondrement du régime libyen et dont l’action la plus spectaculaire fut de s’emparer,

en 2012, des deux-tiers du territoire malien. Cependant, bien rapidement, une autre

menace devient particulièrement aiguë et bien plus meurtrière que celle d’AQMI et

consorts : celle de Boko Haram qui, aux premiers jours de 2015 s’empare d’une base de

l’armée nigériane et massacre quelque 2 000 civils sur les bords du lac Tchad, partagé par

quatre pays, dont deux pays du G-5 Sahel, le Tchad et le Niger.

Après ce coup de force de Boko Haram près de ses frontières, l’armée tchadienne décide

d’intervenir en territoire nigérian, à partir du nord du Cameroun et du sud-est du Niger.

Elle est soutenue dans cette seconde opération, à partir de février 2015, par l’armée

nigérienne, mais aussi par 15 à 20 hommes des services militaires du renseignement

français qui, à partir de Diffa, à proximité de la frontière nigéro-nigériane, sont chargés de

« faire remonter » de l’information vers la « cellule de coordination et de liaison » (CCL)

de N’Djamena, un des éléments constitutifs de l’opération Barkhane49. La France soutient

également cette offensive par des vols de reconnaissance le long de la frontière nigéro-

nigériane50. En outre, à partir de mai 2015, un « détachement de liaison et d’appui

opérationnel » (DLAO), unité d’une trentaine d’hommes chargée d’accompagner,

conseiller et appuyer les forces nigériennes a rejoint Diffa après avoir séjourné les six mois

précédents à Dirkou (est du pays)51.

En lançant Barkhane, la France paraît avoir pris conscience des enjeux transfrontaliers des

problèmes sécuritaires du Sahel. Cependant, elle ne semble pas avoir autant pris la

mesure des problèmes sociaux et environnementaux qui sont à la source de nombre de

conflits à l’origine de cette insécurité. Par ailleurs, la reconquête du nord du Mali n’a pas

permis la remise en selle d’un État digne de ce nom dans cette région, encore considérée

comme un no man’s land, à l’exception des villes principales. Face à ce qui paraît être un

enlisement de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la

stabilisation au Mali (MINUSMA), Barkhane, comme les forces de sécurité maliennes,

semblent être incapables de garantir la sécurité des populations et des voyageurs au Mali.

Pire encore, les attaques en territoire nigérien en provenance du Mali semblent se

multiplier52.

Le sud-est du pays est lui directement confronté aux attaques de Boko Haram en

provenance du Nigeria. Ainsi, au début juin 2016, des dizaines de soldats ont été tués lors

d’une attaque contre un poste militaire de la localité de Bosso53. Dans cette logique

sécuritaire, le Niger semble donc être réduit à un rôle de zone-tampon chargée de limiter

la contagion du chaos et de base arrière pour les drones et bombardiers français. Comme

cette situation semble devoir perdurer, l’armée française risque de n’apparaître,

49. Boko Haram: une poignée de militaires français détachés au Niger, RFI, 6 février 2015.

50. Boko Haram : la France effectue des vols de reconnaissance près du Nigeria, Le Figaro, 4 février 2015.

51. Barkhane : Fin de mission pour le DLAO 1 à Dirkou, RP Défense, 3 juin 2015.

52. Niger: deux morts dans l’attaque contre un camp de réfugiés maliens, RFI, 11 septembre 2016 ; Niger: l’armée victime d’une attaque jihadiste meurtrière à Tazalit, RFI, 7 octobre 2016.

53. Trente-deux militaires tués dans une attaque de Boko Haram au Niger, Le Monde, 4 juin 2016.

― 12 ―

au mieux, que comme un emplâtre sur une jambe de bois, dont l’efficacité peut

facilement être remise en question par les populations locales, au pire comme une force

hostile dont la présence est une des causes de la profonde crise que traverse la région.

2. L’intérêt grandissant des États-Unis

La coopération militaire entre le Niger et les États-Unis ne date pas non plus d’hier

puisque, le 14 juin 1962, un premier accord est signé, prévoyant la fourniture

d’équipement et de services à Niamey, afin « d’aider à assurer sa sécurité et son

indépendance ». Un nouvel accord est conclu le 8 juin 1980, permettant au Niger de

bénéficier de formations, notamment sur le sol américain, dans le cadre du programme

International Military Education and Training (IMET), dont bénéficient des dizaines

d’autres pays africains54. Durant la décennie suivante, après le fiasco de l’opération de

maintien de la paix de l’ONU en Somalie et les pertes subies par le contingent états-unien

en octobre 1993, l’administration Clinton décide de ne plus participer à des opérations de

ce type sur le continent africain et, en contrepartie, de développer un programme de

formation des armées africaines, incitées ainsi à participer aux opérations de maintien sur

leur propre continent, et de leur fournir du matériel non létal.

C’est ainsi que naît, trois ans plus tard, le programme African Crisis Response Initiative

(ACRI) qui devient, en 2002, l’Africa Contingency Operations Training Assistance (ACOTA),

moins axé sur le maintien de la paix et davantage sur l’entraînement au combat. Le Niger

est ou a été bénéficiaire de l’un et l’autre de ces programmes55. Par exemple, en 2015,

des formateurs de l’ACOTA contribuent à la formation d’un bataillon de l’armée

nigérienne avant son déploiement au sein de la MINUSMA56.

L’aiguillon terroriste

Mais le grand changement survient après la promulgation de la « guerre globale contre le

terrorisme » par l’administration Bush. Inquiète du développement de groupes armés

djihadistes en Afrique de l’Ouest, initialement à partir de l’Algérie, elle met en œuvre,

à partir de novembre 2003, un programme nettement plus offensif, la Pan Sahel Initiative

(PSI) visant à renforcer les compétences locales en matière de lutte contre le terrorisme

et les trafics, à la fois au Mali, en Mauritanie, au Tchad et au Niger57. Cependant,

ce programme ne se limite pas à des formations dispensées généralement par des

membres des forces spéciales, puisque ces dernières mettent parfois directement la main

à la pâte, notamment lors d’affrontements ayant opposé, en mars 2004, le Groupe

salafiste pour la prédication et le combat (GSPC, ancêtre d’AQMI) aux armées nigérienne

54. Laurent Touchard, Niger – États-Unis : une coopération militaire soutenue, Jeune Afrique,

28 mars 2014.

55. Vincent Laborderie, ACRI/ACOTA, Réseau de recherche sur les opérations de paix (ROP), Montréal, non daté ; ACOTA, U.S. Africa Command Fact Sheet, Stuttgart, octobre 2012.

56. UNITAR and ACOTA Co-train Nigerian Battalion for Deployment to the Republic of Mali, UNITAR, 22-26 juin 2015.

57. Stephen Ellis, Briefing: The Pan-Sahel Initiative, African Affairs, 103/412, p. 459-464, Oxford, juillet 2004 ; Antonin Tisseron, Quels enseignements de l’approche américaine au Sahel ?, Fondation Gabriel Péri, décembre 2012.

― 13 ―

et tchadienne, à la frontière entre leurs deux pays. Outre un soutien aérien, des hommes

du 10e Special Forces Group (Airborne) auraient directement participé aux combats58.

La PSI est remplacée par la Trans-Saharan Counterterrorism Initiative (TSCTI) en

janvier 2005 et deviendra dès l’année suivante le Trans-Sahara Counterterrorism

Partnership (TSCTP). L’un et l’autre sont composés d’un volet civil, confié à des agences

comme USAID, et d’un volet militaire, qui comprend notamment l’Operation Enduring

Freedom – Trans Sahara (OEF-TS). Un autre changement important par rapport à la PSI

est l’élargissement du programme à plusieurs autres pays d’Afrique du Nord et de

l’Ouest59. Une de ses réalisations les plus visibles est l’exercice annuel Flintlock,

rassemblant environ un millier de soldats des États-Unis, d’Europe et d’Afrique.

Le premier exercice, dans le cadre de la TSCTI, a lieu en 2005 dans six pays, dont le Niger.

Les suivants se déroulent dans un seul pays du Sahel, celui de 2014 ayant lieu au Niger,

en particulier dans les régions « chaudes » d’Agadez et de Diffa60.

Par ailleurs, le TSCTI/TSCTP, au départ pris en charge par le Commandement des États-

Unis en Europe (EUCOM), tombe, lors de son entrée en fonction en 2008, dans l’escarcelle

du Commandement des États-Unis pour l'Afrique (AFRICOM)61.

Le TSCTI/TSCTP témoigne d’une approche régionale de la sécurité par les États-Unis,

puisqu’il regroupe une dizaine de pays, du Maroc au Nigeria. Cependant, certains d’entre

eux semblent être davantage importants aux yeux de Washington, notamment le Niger

qui aurait été, entre 2005 et 2008, le principal bénéficiaire de l’aide américaine dans le

cadre de ce programme, pour un montant de 44 millions USD62. Notons que les États-Unis

ont brièvement suspendu leurs programmes d’assistance militaire en août 2009 afin de

pousser le président Tandja à quitter le pouvoir et ont repris leur coopération dès son

renversement en février 201063.

Le tournant malien

Le second tournant de la coopération militaire entre les États-Unis et le Niger est

l’invasion du Mali par des groupes djihadistes en 2012 et la riposte de l’année suivante,

encadrée principalement par la France. Or, la réussite de son opération Serval dépend

notamment de moyens aériens pour surveiller les vastes étendues saharo-sahéliennes où

évoluent ses adversaires. Aussi, parallèlement au déploiement de leurs propres drones

Harfang à Niamey, les responsables de l’opération accueillent avec soulagement l’arrivée,

dès février 2013, de drones états-uniens Predator, bien plus efficaces que les premiers,

ainsi que, officiellement, une centaine de militaires chargés d’opérations de

58. Laurent Touchard, op. cit.

59. Laurent Touchard, op. cit. ; Trans Sahara Counterterrorism Partnership (TSCTP), GlobalSecurity.org, non daté ; Operation Enduring Freedom - Trans Sahara (OEF-TS), Operation Juniper Shield, GlobalSecurity.org, non daté ; Lesley Anne Warner, The Trans Sahara Counter Terrorism Partnership, Center for Complex Operations (Washington DC) / CNA Corporation, Arlington (Virginie, USA), mars 2014.

60. Flintlock, GlobalSecurity.org, non daté ; Exercise Flintlock, America's Codebook: Africa, non daté ; African-led Exercise Flintlock Kicks off in Niger, United States Africa Command, 24 février 2014 ; Manoeuvres militaires internationales au Niger pour s’exercer contre le terrorisme, Niamey.com, citant AFP, 20 février 2014.

61. Trans Sahara Counterterrorism Partnership (TSCTP), GlobalSecurity.org, op. cit.

62. Niger : un autre maillon faible dans le Sahel ?, op. cit.

63. Laurent Touchard, op. cit.

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renseignement, notamment pour les partager avec les forces françaises au Mali64.

Cependant, en privé, des diplomates français sur place se disent « agacés » par la

conclusion rapide des négociations entre Washington et Niamey, visiblement le signe de

la volonté des autorités locales de contrebalancer l’influence de l’ancienne puissance

coloniale65. En outre, quelques mois auparavant, Washington a obtenu de Niamey

l’autorisation que leurs Pilatus PC-12, sous leur version militaire U-28A, soient autorisés à

se ravitailler à l’aéroport d’Agadez66. Au moins un avion de ce type est photographié à

l’aéroport de Niamey en décembre 201267. Ces appareils sont généralement utilisés pour

des missions de reconnaissance et de surveillance par le Commandement des opérations

spéciales de l’U.S. Air Force68.

Le nombre de drones déployés n’a jamais été dévoilé, bien que plusieurs observateurs

citent le nombre de trois, des MQ-1 Predator et des MQ-9 Reaper69. En avril 2013,

un Reaper s’écrase dans le nord du Mali, à la suite d’une panne70, et un autre sur une piste

de l’aéroport de Niamey, en octobre 201471.

Une certaine confusion entoure également une éventuelle base de drones à Agadez,

porte d’entrée du Sahara idéalement située dans le centre du pays. Les autorités militaires

états-uniennes annoncent, en septembre 2014, leur intention d’y relocaliser leur base de

Niamey72, tandis que le Pentagone demande, sept mois plus tard, un budget de 50 millions

de dollars afin de bâtir un « aéroport et une base à Agadez… pour soutenir les opérations

en Afrique de l’Ouest », crédit ensuite approuvé par le Congrès73. À l’heure d’écrire ces

lignes, les travaux semblent toujours en cours74. La future base d’Agadez ne devrait pas

se limiter à l’accueil de drones, puisque la piste en construction, d’une longueur de

3 000 m, devrait également permettre l’envol d’avions de surveillance et de

renseignement, ainsi que d’appareils de transport75. Par ailleurs, le budget prévu pour sa

construction, aurait déjà doublé : en y ajoutant des frais « d’opération et de

maintenance », il aurait atteint 100 millions USD, ce qui en ferait « le plus important effort

de construction militaire des États-Unis en Afrique » et devrait renforcer le Niger dans son

rôle de « hub régional clé des opérations militaires des États-Unis »76.

64. Letter from the President -- Concerning Niger, The White House, 22 février 2013 ; New Drone

Base in Niger Builds U.S. Presence in Africa, The New York Times, 22 février 2013.

65. Niger : un autre maillon faible dans le Sahel ?, op. cit.

66. Laurent Touchard, op. cit.

67. Pilatus U-28 Niamey, Wikimedia Commons.

68. U-28A, Military.com, non daté.

69. Laurent Touchard, op. cit.

70. Laurent Touchard, op. cit.

71. US drone crashes at Niger airport, AFP, 20 octobre 2014.

72. US drone crashes at Niger airport, op. cit.

73. Nick Turse, The US Military’s Best-Kept Secret, The Nation, 17 novembre 2015.

74. Des drones US à Agadez ?, Niamey.com, 9 mai 2016.

75. Philippe Chapleau, Reaper, C-17 et avions ISR pourront être déployés par les Américains à Agadez, Ouest France, 9 mai 2016.

76. Nick Turse, U.S. Military is building a $100 million drone base in Africa, The Intercept, 29 septembre 2016.

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Les États-Unis semblent disposer d’une troisième base – particulièrement discrète –

au Niger, à Aguelal, près d’Arlit, où des forces spéciales côtoieraient leurs collègues

français du COS. Les deux unités partageraient la même piste d’atterrissage77. De plus,

il est question du déploiement de drones également à Dirkou78, dont l’aéroport a été

récemment rénové et où des instructeurs états-uniens ont achevé, en juillet 2016,

la formation d’une compagnie logistique nigérienne de 56 hommes, après l’avoir

entièrement équipée79. Les États-Unis disposeraient également de facilités de

ravitaillement en kérosène pour leur jets à l’aéroport de Zinder80. Enfin, une équipe d’une

petite vingtaine d’hommes des Forces spéciales était active en septembre 2015 dans la

région de Diffa. Elle y a notamment organisé, avec les FAN et Spirit of America, une ONG

spécialisée dans le soutien aux forces armées des États-Unis, un « Sommet anti-Boko

Haram » à destination des leaders villageois de la région81.

Quant au nombre de militaires états-uniens déployés au Niger, un communiqué de la

Maison Blanche, datant de décembre 2013, parlait de 200 hommes engagés dans des

opérations de renseignement82, soit le double du nombre annoncé dix mois plus tôt. Selon

l’Institut international d’études stratégiques, ils étaient 250 au début 201683. Mais dès la

fin 2013, certaines sources évoquaient des chiffres bien plus élevés, allant jusqu’à un

millier d’hommes84.

Une « empreinte » discrète mais bien réelle

Cependant, la présence militaire états-unienne au Niger ne se limite pas à la surveillance

aérienne du pays et des régions environnantes. Sur le plan de la formation et de

l’équipement, divers programmes bilatéraux sont en cours. Dans le courant de 2013, sont

offerts aux forces armées nigériennes deux petits avions de transport Cessna 208 Grand

Caravan, ainsi que des pick-up Toyota et des camions citernes, le tout pour une valeur

d’une quinzaine de millions de dollars85. En octobre 2015, deux autres Cessna 208, mais

ceux-ci configurés pour des mission ISR (Intelligence, Surveillance, Reconnaissance), sont

livrés aux FAN, ainsi que 40 véhicules, 250 uniformes, des radios et de l’équipement de

protection86. Une nouvelle livraison de Cessna 208 ISR était prévue en 201687.

77. Nathalie Kosciusko-Morizet, A Aguelal et Madama, 3e jour avec la force Barkhane,

Le Huffington Post, 21 avril 2016.

78. Les drones US pourraient s'installer sur l'aérport de Dirkou dans le nord du Niger, Lignes de défense, Ouest-France, 13 septembre 2014.

79. Fin de formation de la 2e Compagnie logistique de Dirkou: Un fruit de la coopération militaire nigéro-américaine, Tamtam Info, 19 août 2016.

80. U.S. Military Setting Up Shop in Niger, War Is Boring, 29 août 2015.

81. Exclusive: In Niger, U.S. soldiers quietly help build wall against Boko Haram, Reuters, 18 septembre 2015 ; Nick Turse, The US Military’s Best-Kept Secret, The Nation, 17 novembre 2015.

82. Message to the Congress -- Report Consistent with War Powers Resolution, The White House, 13 décembre 2013.

83. The Military Balance, op. cit.

84. Laurent Touchard, op. cit.

85. Laurent Touchard, op. cit.

86. Niger takes delivery of two Cessna 208 ISR aircraft, IHS Jane's Defence Weekly, 23 octobre 2015.

87. Cameroon, Chad and Niger to receive Cessna Caravans for surveillance missions, defenceWeb, 10 mai 2016.

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Notons que, outre les Cessna et les Gazelle reçus l’année précédente, le Niger, qui

disposait depuis quelques années, notamment, de deux hélicoptères de combat Mi-24,

de deux hélicoptères de transport Mi-17 et d’un avion de transport Hercules C-130,

complète son embryon de force aérienne en acquérant au début 2013 deux avions

d’attaque au sol Sukhoi-25, des appareils achetés d’occasion à l’Ukraine et

vraisemblablement pilotés et entretenus par du personnel de ce pays88.

Quant aux États-Unis, en plus des programmes multilatéraux du TSTCP, ils consacrent,

en 2014, 39,5 millions USD à un programme de formation au bénéfice des FAN. Près de

15 millions de cette somme sont alloués à la constitution d’une nouvelle unité

antiterroriste89. Parmi d’autres formations dispensées par des militaires états-uniens,

citons celle de plus d’une centaine de militaires nigériens à Agadez d’octobre à décembre

2015, la plus importante jamais menée par les États-Unis dans le pays90 et celle, achevée

en septembre 2016, d’une unité de police de 250 hommes devant être déployée dans la

région de Diffa afin de surveiller la frontière nigériane91.

Depuis la fin de la Guerre froide et leur débâcle somalienne, les États-Unis ont choisi, dans

leurs relations avec l’Afrique, une stratégie de « l’empreinte légère » (light footprint), se

caractérisant notamment par l’absence officielle de troupes au sol et d’engagement direct

dans des combats, ainsi qu’un leadership en retrait recourant à une combinaison de

soutiens sélectifs aux institutions, à la société civile et aux forces de sécurité (smart

power)92.

Cette stratégie a été quelque peu bousculée par la menace résultant du développement

du terrorisme d’inspiration wahhabite et par les conquêtes territoriales djihadistes,

en particulier en Libye, au Mali et au Nigeria. Si les États-Unis n’ont pas remis en cause

leurs principes de discrétion, voire d’opacité, et d’évitement de victimes dans leurs rangs,

ils ont, particulièrement au Sahel, multiplié leurs « mini-bases », recouru intensivement

aux drones d’observation et déployé des troupes spéciales, dont l’action principale

consiste à former les forces de sécurité locales mais qui pourraient, dans certains cas,

participer à des combats. Étant donné sa situation géographique et à l’examen des

montants dépensés et du nombre de bases (bientôt quatre dans ce seul pays), le Niger

est devenu, en quelques années, un pivot et un exemple-type de cette évolution de la

stratégie des États-Unis.

Enfin, en octobre 2016, on apprend qu’une troisième puissance occidentale, l’Allemagne,

s’apprête à construire une base militaire à Niamey. Il s’agirait d’un « point d’appui au

transport aérien » en soutien à la MINUSMA, à laquelle la Bundeswehr contribue par un

contingent de 850 soldats et par le prochain déploiement de trois drones de fabrication

88. Des SU-25 pour le Niger, Entreprises Defense & Relations Internationales (ENDERI), 24 mai

2013 ; Rémi Carayol, Niger, au milieu du chaos, op. cit. ; Niger Air Force gets new helicopter hangar, defenceWeb, 22 octobre 2013.

89. U.S. Training Elite Antiterror Troops in Four African Nations, The New York Times, 26 mai 2014.

90. Plus de 30 instructeurs militaires américains ont été envoyés au Niger, zone militaire opex360.com, 9 novembre 2015 ; US Training Niger Army to Resist Boko Haram, Voice of America, 28 octobre 2015.

91. Niger: une unité de police formée par les USA déployée contre Boko Haram, RTBF, citant Belga, 5 septembre 2016.

92. Maya Kandel (dir.), La stratégie américaine en Afrique, Étude de l’IRSEM n° 36, décembre 2014.

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israélienne Heron93 à Gao. La visite du 10 octobre 2016 de la chancelière Merkel à Niamey

aurait été principalement justifiée par ce projet94.

3. Une hostilité croissante vis-à-vis

de la présence militaire occidentale

Selon de nombreux observateurs, dont le chercheur Antonin Tisseron95, la présence

militaire de la France et accessoirement celle des États-Unis rencontrent une hostilité

croissante dans de très larges pans de la population nigérienne. Cette hostilité a connu

une expression violente en janvier 2015, lorsque la publication de caricatures du prophète

Mahomet par le journal français Charlie Hebdo a provoqué des émeutes qui ont visé plus

particulièrement des intérêts français et des lieux de culte chrétiens.

Selon Tisseron, cette hostilité dépasse les facteurs religieux ou sociaux, bien qu’elle soit à

la fois entretenue par des prêcheurs fondamentalistes musulmans et par la misère et le

chômage d’une grande partie de la population. Selon nombre de Nigériens, la France ne

penserait qu’à ses propres intérêts, au détriment de la souveraineté du pays et sans

recherche de réciprocité. Son intervention militaire au Sahel ne répondrait pas aux causes

profondes de la déstabilisation de la région et contribuerait à la maintenir dans le sous-

développement. En outre, Français et Américains mentiraient sur les raisons de leur

présence, allant jusqu’à entretenir une violence servant leurs intérêts. Le cas de la Libye,

devenue source de déstabilisation de toute une région après le changement de régime

opéré par les bombardiers de l’OTAN, est bien entendu un argument de poids de cette

théorie, d’autant plus que le colonel Kadhafi était très populaire dans le pays. De même,

Boko Haram et AQMI serviraient à décourager tout investisseur potentiel non états-unien

et non français, notamment dans le domaine de l’exploitation de l’uranium. Enfin, pour

les opposants au régime, la récente réélection de Mahamadou Issoufou lors du scrutin

contesté de mars 2016 s’expliquerait par le soutien français et, plus généralement, par

celui des Occidentaux.

L’étude de Tisseron se fonde essentiellement sur des interviews, des avis et des

manifestations de civils. Nous avons voulu compléter cette étude en nous intéressant à

l’avis des membres des forces armées, une opinion d’autant plus intéressante à sonder

que ceux-ci ont souvent côtoyé du personnel militaire français ou états-unien, par

exemple à l’occasion des nombreux programmes de formation décrits plus haut, que ce

soit RECAMP, ACTS, ACOTA ou TSCTP, pour n’en citer que quelques-uns. Le retour de

militaires français en septembre 2010 et le maintien de leur présence dans le pays, même

après l’abandon de l’option de libération des otages par une action armée, avait suscité

les protestations publiques d’au moins un officier supérieur96.

93. Berlin confirme le déploiement de 3 drones MALE Heron 1 au Mali, zone militaire opex360.com,

23 juillet 2016.

94. Bientôt une base militaire allemande au Niger en appui à la Minusma au Mali, Voice of America Afrique, 5 octobre 2016 ; Mali-Sammler: Deutsche Basis im Niger offiziell angekündigt; erstmals A400M nach Gao, Augen Geradeaus!, 5 octobre 2016 ; Niger – Angela Merkel à Niamey le 10 octobre 2016, Africaposts, 6 octobre 2016.

95. Antonin Tisseron. Quand la France ne fait plus rêver : l’exemple du Niger, Note d’Analyse du GRIP, 14 juillet 2016.

96. Présence française au Niger : Les recommandations d’un officier supérieur des forces armées nigériennes, Niamey.com, 5 juin 2013.

― 18 ―

Cependant, ce genre de prise de position est rare, parmi les militaires nigériens, comme

dans la plupart des armées du monde. Pour en savoir plus, nous avons donc décidé

d’interroger un petit échantillon de membres des forces de sécurité du Niger sur les

sentiments que suscite la présence militaire occidentale dans leur pays.

Cet échantillon est constitué de 20 membres des forces de sécurité, 19 des FAN et 1 de la

Garde nationale du Niger, une unité paramilitaire dépendant du ministère de l’Intérieur

et plus particulièrement chargée du maintien de l’ordre et de la protection des autorités.

Parmi ceux-ci, ont été sondés 4 officiers, 6 sous-officiers et 10 soldats. Les entretiens ont

été réalisés sur une base individuelle par un membre de la société civile nigérienne et

collaborateur du GRIP97, en français, haoussa, zarma ou kanuri.

Les questions posées étaient directement liées au sujet de l’étude, à savoir le sentiment

des répondants face au développement de la présence de militaires de France et des

États-Unis, ainsi qu’aux autres possibles soutiens extérieurs des forces de sécurité

nigériennes.

Les réponses nous ont surpris par leur caractère net et tranché. Concernant la présence

de militaires français, une forte majorité des répondants ont déclaré lui être « très

défavorables » (17) ou « plutôt défavorables » (1). Les autres ont dit avoir un avis

« partagé » à ce sujet (2). Parmi les raisons motivant leur opinion, l’« atteinte à la

souveraineté nationale » a été de loin la plus souvent citée, devant l’« inefficacité de leur

soutien ». En outre, parmi les commentaires émis, nombreux sont ceux qui considèrent

que la France ne pense qu’à ses propres intérêts, tandis que quelques-uns la soupçonnent

de mentir sur ses intentions, voire d’être complice des « terroristes », de contribuer à

l’instabilité ou d’aggraver le conflit (« des pompiers qui viennent arroser le feu avec du

kérosène », selon les dires d’un capitaine). Plusieurs répondants ont regretté qu’elle ne

partage pas les renseignements collectés avec les forces nigériennes ou qu’elle n’apporte

aucun renfort en cas de besoin. Au moins deux répondants ont déclaré, plus ou moins

ouvertement, que la France protège ainsi le régime en place. De manière générale, ce

sont des sentiments de « désarroi », de « déception » et d’« amertume » qui semblent

frapper ces militaires.

Les répondants ont été un peu moins catégoriques à propos de la présence militaire états-

unienne au Niger. Néanmoins, une très large majorité y est « très défavorable » (15) ou

« plutôt défavorable » (1). Trois ont dit avoir des sentiments « partagés » et un seul y est

« plutôt favorable », ce dernier invoquant la « protection de l’intégrité territoriale » pour

justifier son soutien. Quant aux autres, ils reprochent aux militaires américains, à parts

presque égales, l’« atteinte à la souveraineté nationale » et l’« inefficacité de leur

soutien ». Parmi les commentaires émis, nombreux sont ceux à mettre dans le même sac

les militaires de France et des États-Unis (« même pipe, même tabac », selon un autre

capitaine), invoquant des raisons identiques pour justifier leur opinion. Deux répondants

sont d’avis que les seconds ne cessent de lancer de « fausses alertes », tandis qu’un les

considère « moins hautains » que les Français. Un des trois répondants ayant un avis

« partagé » regrette l’opacité de la présence états-unienne.

97. Pour des raisons de sécurité, nous préférons ne pas révéler son nom ici.

― 19 ―

Enfin, en grande majorité, les répondants (18) sont d’avis que la défense du territoire

nigérien et la lutte contre le terrorisme peuvent être assurés uniquement par les forces

nigériennes. Les deux autres considèrent que celles-ci devraient être épaulées par des

armées africaines ou une force de la CEDEAO, en tout cas pas par des États occidentaux.

Bien que ne portant que sur une partie infime des quelque 10 700 membres des forces de

sécurité nigériennes98, ces résultats rejoignent les observations et l’analyse développée

par Antonin Tisseron au niveau la société nigérienne. En outre, ils montrent que, en dépit

de la multiplication des formations et des exercices communs, une profonde défiance

semble prévaloir parmi les militaires nigériens envers leurs collègues occidentaux.

Par ailleurs, ils suggèrent que les actuelles autorités nigériennes sont très isolées dans leur

soutien apparemment enthousiaste à la présence militaire occidentale, comme

l’indiquent à la fois la rapide conclusion des négociations relatives à l’arrivée de personnel

et drones états-uniens à Niamey en 2013 ou le récent plaidoyer du président Issoufou en

faveur d’un renforcement de l’opération Barkhane99. Dans un pays qui a connu quatre

coups d’État militaires depuis son indépendance, ce décalage avec l’opinion

apparemment majoritaire au sein des forces armées devrait interpeller la classe politique

au pouvoir.

Conclusion

Ce ressentiment envers la présence militaire occidentale devrait également inquiéter les

autorités françaises et étasuniennes, que ce soit sur le plan de la sécurité de leur

personnel au Niger ou celui de la pérennité de leur coopération avec ce pays. Qu’ils soient

formateurs, instructeurs, conseillers, opérateurs de drones, pilotes, techniciens,

membres des forces spéciales ou agents du renseignement, ces acteurs d’une

globalisation sans précédent de la lutte contre les groupes armés s’inspirant du

wahhabisme ont fortement modifié le paysage stratégique africain en quelques années.

Cependant, ce changement s’est fait sans l’assentiment des principaux intéressés. Tout

d’abord, le djihadisme n’est peut-être pas nécessairement perçu comme une menace

immédiate par la majorité de la population, qui doit affronter d’autres sources, plus

quotidiennes, d’insécurité100. Par ailleurs, dans un pays qui a vécu la colonisation comme

une humiliation, le retour de centaines de militaires français, après plus de trois décennies

d’absence, et l’arrivée de soldats états-uniens ont profondément choqué de larges

secteurs de l’opinion. Cette partie substantielle de la population considère que cette

présence est une atteinte à la souveraineté de leur pays, motivée par des intérêts qui ne

sont pas ceux du Niger, et ne fait qu’attiser les crises qui secouent la région. L’intervention

en Libye, où la France et les États-Unis ont tenu un rôle prépondérant, fait craindre à

nombre de Nigériens que l’Occident nourrisse le chaos pour asseoir sa domination sur la

région.

98. The Military Balance, op. cit.

99. Le président nigérien demande le renforcement de l'opération Barkhane, RFI, 14 juin 2016.

100. L’insécurité au cœur de l’action, in Allier sécurité et développement, Plaidoyer pour le Sahel, Fondation pour les études et recherches sur le développement international, vol. 1, Clermont-Ferrand, 2016.

― 20 ―

En outre, la situation toujours instable au Mali et la persistance de la menace de

Boko Haram entretiennent des doutes sur l’efficacité de l’opération Barkhane et des

moyens de surveillance et de renseignement déployés par les États-Unis. Depuis le

lancement des programmes antiterroristes de ces derniers dans le Sahel, les groupes

djihadistes n’ont cessé de se multiplier et de gagner en importance, tandis que le Niger

n’avait connu aucune attaque de Boko Haram avant le début de Barkhane.

À moins de résultats rapides et concrets dans la lutte contre les mouvements djihadistes,

cette méfiance persistera et risque d’entraîner des incidents dont feraient les frais les

ressortissants occidentaux, civils et militaires, établis dans le pays. Si une grande partie de

cette hostilité découle de la persistance de rapports inégaux entre le Sud et le Nord,

notamment dans le champ de l’économie, certaines mesures d’ordre militaire pourraient

être prises pour l’atténuer. Par exemple, Paris devrait associer étroitement des militaires

des États du G-5 Sahel au commandement de Barkhane et prouver qu’elle partage le

renseignement collecté par ses agents et moyens d’observation. Elle devrait également

fixer des échéances à cette opération, dont un programme de désengagement, y compris

de ses bases « temporaires ». Les mêmes recommandations pourraient s’adresser

également à Washington, qui devrait, dans un premier temps, également lever le voile

opaque qui couvre l’étendue de ses moyens humains et matériels déployés au Niger.

* * *

L’auteur

Georges Berghezan est chercheur au GRIP. Ses activités portent sur les conflits "post-

Guerre froide", particulièrement en Afrique subsaharienne, et sur les transferts et

les trafics d'armes légères et de petit calibre. Il est également coordonnateur du

réseau RAFAL.

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