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Notes de lecture de Georges Leroy, de janvier 2015 – Aller => au dossier d’origine => à l’accueil du Réseau-regain 1/20 À nos enfants HHHII Bruno Le Maire Gallimard, 130 p., 9 €. Après nous avoir offert une im- mersion dans le monde politique dans Jours de pouvoir (Gallimard), c’est à la génération à venir qu’a choisi de s’adresser Bruno Le Maire dans son nouveau livre. Le député de l’Eure entend redorer le blason tricolore en évoquant la France telle qu’il la voit. Reprenant une formule qui n’est pas sans rappeler celle d’un certain général De Gaulle dont Bruno Le Maire se revendique, l’ancien mi- nistre entend dire dans cette lettre à nos enfants "ce que la France est pour lui". Évoquant ses rencontres avec les Français "pleins d’ingéniosité, de sa- voir-faire, de créativité, et qui de- mandent seulement la valorisation de leur talent", Bruno Le Maire ré- affirme "[s]on espoir et [s]a volonté de les voir reconnus" : "Dans cette lettre, je dis une chose simple : je suis un Français de la vieille France qui veut en inventer une nouvelle. Dans mes racines autant que dans mes rencontres, je puise la force de ce défi. Je veux le relever pour mes enfants, avec tous ceux qui croient encore dans notre pays." Si le dis- cours général semble intéressant et enthousiasmant, l’auteur, bizarre- ment, pense que toutes les unions sont légitimes. Une partie du chemin reste à faire donc ! Énarque, normalien et agrégé de lettres, l’auteur fut directeur de ca- binet de Dominique de Villepin et député de l'Eure, avant d’être nommé en 2009, ministre de l'Alimentation, de l'Agriculture et de la Pêche Valère Novarina, les mots éclaireurs HHHII Philipe Barthelet PG de Roux, 90 p., 18 €. Valère Novarina est l’un des au- teurs français les plus joués au mon- de. On pourrait définir son théâtre comme l’aventure de l’esprit à travers les mots. De par-delà le nihilisme de la mort de l’homme et de la fin de tout, à quoi nous avaient habitués, non sans complaisance, le théâtre de l’absurde et ses innombrables successeurs, Novarina nous rapporte l’étonnante nouvelle de sa décou- verte : on s’est fait un peu trop tôt à l’idée de la mort de l’homme, car l’homme n’est pas mort : il parle, c’est le langage qui le définit comme “animal parlant” et l’empêche d’être aboli. Dum spiro, spero : “tant que je respire, j’espère” : la devise latine pourrait résumer cet effort d’explo- ration que représentent ses livres, où alternent pièces et courts essais théoriques : l’espérance est chevillée au corps, garantie par lui, la respira- tion n’est que sa forme physiologique – et c’est ainsi que Novarina retrouve et réinvente l’incarnation, notre bien le plus précieux : l’homme est un verbe incarné. Le drame de la langue française, le drame de la « présence réelle » ou de l’action du verbe dont on cesse trop souvent de contempler les merveilles… Car ce sont les mots qui nous précèdent et nous éclai- rent… Au fil de cette joyeuse réin- vention de l’esprit novarinien, d’autres présences se nomment et se joignent au jeu: Wittgenstein, Or- well, Joseph de Maistre, Cingria et Notes de lectures de Georges Leroy janvier 2015 H pas d’intérêt, HH peu d’intérêt, HHH un certain intérêt, HHHH un grand intérêt, HHHHH un intérêt exceptionnel. L’attribution des étoiles est relative, et peut comporter des aspects négatifs… le diable porte pierre. Si l’appréciation privilégie le fond à la forme, elle n’en constitue pas moins un jugement de synthèse avec sa part de subjectivité… mais non de relativisme. Note : La qualité de ce document permet l’impression sur une imprimante de bureau.

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Notes de lecture de Georges Leroy, de janvier 2015 – Aller => au dossier d’origine => à l’accueil du Réseau-regain 1/20

À nos enfants

HHHII

Bruno Le Maire

Gallimard, 130 p., 9 €.

Après nous avoir offert une im-mersion dans le monde politiquedans Jours de pouvoir (Gallimard),c’est à la génération à venir qu’achoisi de s’adresser Bruno Le Mairedans son nouveau livre. Le députéde l’Eure entend redorer le blasontricolore en évoquant la France tellequ’il la voit.

Reprenant une formule qui n’estpas sans rappeler celle d’un certaingénéral De Gaulle dont Bruno LeMaire se revendique, l’ancien mi-nistre entend dire dans cette lettre ànos enfants "ce que la France estpour lui".

Évoquant ses rencontres avec lesFrançais "pleins d’ingéniosité, de sa-voir-faire, de créativité, et qui de-mandent seulement la valorisationde leur talent", Bruno Le Maire ré-affirme "[s]on espoir et [s]a volontéde les voir reconnus" : "Dans cette

lettre, je dis une chose simple : jesuis un Français de la vieille Francequi veut en inventer une nouvelle.Dans mes racines autant que dansmes rencontres, je puise la force dece défi. Je veux le relever pour mesenfants, avec tous ceux qui croientencore dans notre pays." Si le dis-cours général semble intéressant etenthousiasmant, l’auteur, bizarre-ment, pense que toutes les unionssont légitimes. Une partie du cheminreste à faire donc!

Énarque, normalien et agrégé delettres, l’auteur fut directeur de ca-binet de Dominique de Villepin etdéputé de l'Eure, avant d’être nomméen 2009, ministre de l'Alimentation,

de l'Agriculture et de la Pêche

Valère Novarina,les mots éclaireurs

HHHII

Philipe Barthelet PG de Roux, 90 p., 18 €.

Valère Novarina est l’un des au-teurs français les plus joués au mon-

de. On pourrait définir son théâtrecomme l’aventure de l’esprit à traversles mots. De par-delà le nihilismede la mort de l’homme et de la finde tout, à quoi nous avaient habitués,non sans complaisance, le théâtrede l’absurde et ses innombrablessuccesseurs, Novarina nous rapportel’étonnante nouvelle de sa décou-verte : on s’est fait un peu trop tôt àl’idée de la mort de l’homme, carl’homme n’est pas mort : il parle,c’est le langage qui le définit comme“animal parlant” et l’empêche d’êtreaboli. Dum spiro, spero : “tant queje respire, j’espère” : la devise latinepourrait résumer cet effort d’explo-ration que représentent ses livres,où alternent pièces et courts essaisthéoriques : l’espérance est chevilléeau corps, garantie par lui, la respira-tion n’est que sa forme physiologique– et c’est ainsi que Novarina retrouveet réinvente l’incarnation, notre bienle plus précieux : l’homme est unverbe incarné.

Le drame de la langue française,le drame de la «présence réelle»ou de l’action du verbe dont oncesse trop souvent de contemplerles merveilles… Car ce sont les motsqui nous précèdent et nous éclai-rent… Au fil de cette joyeuse réin-vention de l’esprit novarinien,d’autres présences se nomment etse joignent au jeu : Wittgenstein, Or-well, Joseph de Maistre, Cingria et

Notes de lectures de Georges L e r oyj a nv i e r 2015

H pas d’intérêt, HH peu d’intérêt, HHH un certain intérêt, HHHH un grand intérêt, HHHHH un intérêt exceptionnel.

L’attribution des étoiles est relative, et peut comporter des aspects négatifs… le diable porte pierre. Si l’appréciationprivilégie le fond à la forme, elle n’en constitue pas moins un jugement de synthèse avec sa part de subjectivité…mais non de relativisme. Note : La qualité de ce document permet l’impression sur une imprimante de bureau.

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tant d’autres. Étymologie, chant sacréet célébration… c’est, de nouveau,en poète, souffleur de feu et defluides, que Philippe Barthelet honoreet dialogue avec l’homme dont lethéâtre est d’abord langage.

C’est cette vérité expérimentaleque dans ce court essai kaléidosco-pique, Philippe Barthelet voudraitcerner, éclairer sous toutes ses fa-cettes, en suivant le fil d’Ariane dulangage, le langage salvateur, carles mots en savent plus que noussur nous-mêmes: ils nous précèdent,nous éclairent, ils sont les gardiensde notre trésor – notre incarnation –,et par eux la grammaire retrouveson rôle de servante de la métaphy-sique.

Le trône d’adoulis

HHHII

Glen Bowersock Albin Michel, 230 p., 15 €.

Voici un livre révolutionnaire. Ilnous révèle un monde que nousn’avions même pas imaginé. Auxconfins de l’ancien monde, des chefsde guerre chrétiens et conquérantsd’Éthiopie ont combattu un royaumearabe juif du Yémen afin de prendrele contrôle de l’Arabie du Sud. Decette confrontation s’est formé lecreuset dans lequel est né l’Islam.Seul un savant comme Bowersockpouvait faire renaître, à travers l’exa-

men méticuleux d’inscriptions rareset mystérieuses, des horizons aussivastes que cruciaux et palpitants.

À la veille de la naissance deMuhammad, l’Arabie du Sud futplongée dans un violent conflit entreles chrétiens d’Éthiopie et le royaumearabe d’Himyar (Yémen actuel)converti au judaïsme (vers 380). Sielle est peu connue aujourd’hui,cette guerre impliqua à la fois l’Em-pire byzantin, qui, au nom de laChrétienté, porta secours aux Éthio-piens et l’Empire perse sassanide,qui soutenait les Juifs dans ce quidevint une guerre par procurationcontre son ennemi de toujours, By-zance.

Ce que nous savons de cet évé-nement provient très largement d’untrône de marbre situé dans la villeportuaire d’Adoulis en Éthiopie. Àl’aide des récits de voyage de Cosmas(un marchand chrétien) et d’autressources historiques et archéologiques,l’éminent historien Glen W. Bower-sock reconstruit méticuleusement cechapitre fondamental de l’Arabiepréislamique.

Selon Bowersock, le point dedépart de la guerre fut, en 523, lemassacre de centaines de chrétiensvivant à Najran par le monarque duHimyar, Yusuf. Kaleb, le négus chré-tien d’Éthiopie, poussé par l’empereurbyzantin Justin, mena 120 000hommes à travers la mer Rouge afind’écraser Yusuf. Mais quand le vic-torieux Kaleb (dont on disait qu’ils’était retiré dans un monastère)laissa derrière lui des dirigeantsfaibles en Éthiopie comme à Himyar,les empires byzantin et perse éten-dirent leur activité sur le territoirearabe. Au milieu de ce conflit reli-

gieux et politique naquit l’islam quiallait susciter une résolution totale-ment inattendue à la lutte pour lepouvoir en Arabie.

Le Trône d’Adoulis nous trans-porte dans le monde composite etpeu connu de la mer Rouge de lafin de l’Antiquité (Ve-VIe siècles) etfait voyager le lecteur dans uneépoque éloignée mais cruciale : cellede la chute de l’Empire perse et del’émergence de l’islam. L’éruditionde Glen Bowersock nous fait dé-couvrir toute la complexité de cettepériode, véritable charnière dansl’histoire de l’humanité. Une chro-nologie et des cartes permettent desuivre cette enquête «géopolitique»dont la science de l’épigraphie deGlen Bowersock tient les clés.

1715la France et le monde

HHHII

Thierry Sarmant Perrin, 400 p., 24 €.

Versailles, 1er septembre 1715.Après une longue agonie, Louis XIVs’éteint “comme une chandelle quel’on souffle”. Ainsi finit le “GrandSiècle” et commence le “siècle desLumières”. À ces expressions estd’ordinaire attachée l’idée d’uneprépondérance française, politiqueet militaire d’abord, culturelle et in-

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tellectuelle ensuite. Qu’en est-il réel-lement ?

En observant les relations quetisse la France avec le monde, enquestionnant sa place et son rôleautour de l’année charnière 1715,l’auteur éclaire l’un des phénomènesles plus saisissants de l’histoire hu-maine : l’essor de l’Occident versune hégémonie mondiale. Alorsqu’actuellement la question du déclinde la France et de l’Europe est om-niprésente, quoi de plus pertinentque de s’interroger sur les ressortscachés de l’expansion et du déclin ?

Cette étude d’histoire globaleanalyse les équilibres mondiaux àla mort de Louis XIV en 1715, et lesraisons de la perception par les his-toriens de cette année comme unpivot entre les XVIIe et XVIIIe siècles.C’est le pari de ce livre, qui entraînele lecteur de Versailles à Moscou,d’Istanbul à Stockholm et de Pékinà Delhi. Un pari réussi et un trèsbeau voyage.

Les villes méditerranéennesau Moyen Âge

HHHII

Élisabeth Malamut PU Provence, 350 p., 22 €.

Cet ouvrage est consacré auxvilles méditerranéennes à l’époquemédiévale, de Cordoue jusqu’à Fa-

magouste en passant par Pechina,Aix, Marseille, Avignon, Naples, Pa-lerme, Thessalonique, Constantinopleet Fustat. Ces villes, qui ont le plussouvent hérité d’un long passé en-raciné dans l’Antiquité, sont parfoisdes créations de l’époque médiévale.Certaines ont bénéficié de leur si-tuation au croisement des routesmaritimes, d’autres se sont hisséesau rang de capitale royale ou impé-riale, d’autres encore se sont épa-nouies grâce à l’afflux de populationsréfugiées, d’autres, enfin, ont eu unrayonnement religieux inégalé àmoins qu’elles aient connu l’en-semble de ces faveurs. Multiples fa-cettes d’un monde méditerranéenurbain souvent troublé mais qui pré-sente des caractères communs au-delà de la diversité : capitales où ré-sident les souverains ; villes qui ébau-chent un système communal oujouissent d’une organisation muni-cipale développée ; cités où le passégréco-romain s’estompe dans le tracéurbain au fil des constructions mé-diévales et du développement del’urbanisation ; ports où les mar-chands s’affairent, où des populationsd’origines diverses se croisent, oùl’industrie et la construction se dé-veloppent au rythme des échanges ;villes en effervescence culturelle etartistique alimentée par le mouve-ment continu des voyageurs, am-bassadeurs et missionnaires entrel’Orient et l’Occident ; villes en de-venir ou en passe d’être frappéespar les armes ; villes dynamiquesparfois secouées par des crises vio-lentes dues à un essor trop rapide, àl’inégalité sociale, l’angoisse des po-pulations à l’aube de l’un des plusgrands bouleversements géopoli-tiques de l’histoire méditerranéen-

ne… Telles sont les villes que nousfont découvrir les vingt-deux contri-butions de cet ouvrage.

L’acte créateur

HHHII

Pierre Emanuel L’âge d’homme, 240 p., 23 €.

Les échanges entre l’écriture poé-tique, la lecture des poètes et la ré-flexion sur la poésie sont permanentschez Pierre Emmanuel, qui associedès ses débuts écriture poétique etréflexion critique. Cette anthologieréunit deux essais plus généraux surla poésie et les principales étudesque Pierre Emmanuel a consacréesà des poètes. On y trouvera desanalyses sur Villon, Agrippa d’Aubi-gné, Hölderlin, Baudelaire, Péguy,Segalen, Breton et le surréalisme,Éluard, Claudel, Saint-John Perse etJouve.

Publiés entre 1943 et 1979, pourla plupart repris du vivant de leurauteur, mais disséminés au fil del’œuvre, ces textes acquièrent iciune visibilité et une lisibilité nou-velles.

Cet ensemble participe pleine-ment d’une «histoire littéraire desécrivains» qui a, ces dernières an-nées, suscité des travaux d’envergure,et il offre un point de vue particuliè-rement riche sur la seconde moitiédu XX° siècle. Homme public, Pierre

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Emmanuel s’est exprimé sur la sociétéde son temps et ses évolutions. Poète,ses analyses – dont la valeur critiqueintrinsèque est à souligner –, éclai-rent, par les choix et les lecturesqu’elles opèrent, un pan de la créa-tion et de la vie littéraires du seconddemi-siècle.

Le panorama critique que PierreEmmanuel élabore est celui d’unécrivain guidé par des affinités etdes divergences, appliqué autant àsaisir la singularité de l’œuvre d’unautre qu’à y reconnaître la sienneou à l’y rechercher en miroir. L’«his-toire littéraire» de Pierre Emmanuelest celle qui le mène à sa propreœuvre.

L’amour des longs détours

HHHII

Christophe Langlois Gallimard, 120 p., 15,50 €.

Homère, Dante, Roublev, l’enfantTörless, la vierge déterrée à Saint-Germain-des-Prés, le monde alentour,l’or des bibliothèques, nombreuxsont les détours qu’il faut faire pourentrer dans le mystère des choses etdes êtres. Pour répondre aux ques-tions que le silence pose aux cœursen attente, et pour atteindre à cetétat de présence à soi-même quiconduit à l’autre et au monde.

Ce premier ensemble de poèmesfait entendre une voix juste et exi-

geante qui invite au calme et à la

méditation.

Saint Grégoire le Grand

HHHHI

Mgr Claude Dagens

Le Cerf, 590 p., 29 €.

Le subtil passage entre l’Antiquité

et le Moyen Âge en Occident n’est

pas sans rappeler le tumulte de notre

époque de profondes mutations.

Quiconque s’intéresse à cette pé-

riode, le Haut Moyen Âge, pour

connaître le passé ou comprendre

le présent, rencontre la figure capitale

de Grégoire le Grand. Son œuvre

littéraire, son action politique, son

pontificat (590-604) constituent les

points de repères éclairant la fin de

l’ère patristique et l’émergence de

la chrétienté.

Ce moine devenu diacre, puis

évêque de Rome en 590, n’a pas

cessé de méditer la Parole de Dieu,

et en particulier le Livre de Job, ce

païen de l’Ancien Testament, pour

comprendre comment s’accomplit

le cheminement des hommes vers

le Dieu vivant. Ce mystique est aussi

un éducateur : il ne renonce jamais

à guider le peuple des croyants, à

soutenir la foi des faibles et à an-

noncer l’Évangile aux peuples nou-

veaux qui constituent l’Europe du

haut Moyen Âge.

L’auteur rend bien le génie spiri-tuel du pape et le contexte historiquede violence et de menaces du débutdu VIIe siècle s’apparentant fort àcelui de notre temps. Serviteur desserviteurs de Dieu, comme on l’avaitappelé, Grégoire a mérité son nomde veilleur : il regarde au loin, il res-semble à ces prophètes de l’AncienTestament, Ézéchiel ou Jérémie, qu’ilaimait commenter, ces hommes ef-frayés comme lui par les violencesque subissent leurs peuples, vaincusà vue humaine par des pesanteurshistoriques plus fortes qu’eux, maisjamais las d’ouvrir des chemins defoi et d’espérance, parfois contretoute espérance.

Qui sont les cathosaujourd’hui?

HHHII

Yann Raison du Cleuziou DDB, 240 p., 19 €.

Cet ouvrage présente un pano-rama de la manière dont les catho-liques vivent et analysent la criseque traverse aujourd’hui en Francel’Église catholique et les propositionsqu’ils formulent pour en sortir.

La crise de l’Église catholique deFrance est devenue un lieu communsociologique. L’architecture de sta-tistiques qui permet d’établir sonconstat est bien connue et les en-quêtes régulières qui l’étayent chaque

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année sont sans surprise: aujourd’hui,environ 65 % des Français se disentencore catholiques, et seulement4,5 % assistent à la messe chaquesemaine. Et ce, contre 24 % des Ita-liens et 13 % des Espagnols. En Eu-rope, la France est aujourd’hui lepays de culture catholique où l’ob-servance religieuse est la plus faible.Ses difficultés sont la plupart dutemps décrites à travers des chiffres :déclin des baptêmes, des ordinations,du nombre de pratiquants. Mais quel-le interprétation en donner? Le choixdes auteurs a été de s’intéresser ici àla manière dont les catholiques sereprésentent et pensent les évolutionsde leur Église, ce qu’elles leur fontet ce qu’ils en font. Une enquête degrande ampleur a été réalisée à cettefin sous le patronage de Confronta-tions, association d’intellectuels chré-tiens. Toutefois, notons que sur les 9jeunes (entre 10 et 19 ans) interrogés7 sont engagés chez les Scouts deFrance et aucun n’est scout d’Europe!La représentativité semble un élémentdans la méthodologie qui n’a pasété respectée au mieux.

Certains dénoncent le manquedu «sens du sacré» chez les prêtres,d’autres n’aiment pas les règles quel’Église donne au quotidien. D’autresencore, un manque de contre-pouvoiret un déclin intellectuel. Il y a lesblessés de l’institution qui se sontauto-exclus de l’Église. Il y a aussiceux qui croient que la notion de«peuple de Dieu» est mise de côtéau profit de la hiérarchie de l’institu-tion. Ces catholiques-là souhaitentque l’on revoie la place de la femmedans l’Église. Et pour finir, il y a ceuxqui pensent que l’effondrement dela société ne trouvera de solutionque dans les valeurs de la foi.

Le catholicisme français apparaîtainsi sous un jour nouveau : la «cri-se» de l’Église dépend moins desévolutions que les statistiques don-nent à voir, que des diagnostics quisont établis à partir d’elles. La crisede l’Église se traduit donc avant toutpar un conflit d’interprétation sur laqualification de ce qui est en criseet sur les remèdes à adopter. Cetouvrage propose donc un panorama,sans donner de proportions malheu-reusement, de la manière dont lescatholiques vivent et analysent cecontexte de crise et les propositionsqu’ils formulent pour en sortir. Infine, c’est à une véritable explorationdes multiples sensibilités de l’archipelcatholique que les auteurs nousconvient. Le livre analyse en toutdouze catégories de catholiques.Mais donner des estimations quantau poids numérique et an poidsd’influence auraient été les bienve-nus. La seconde partie de l’ouvrageaborde la façon dont ces catholiquesvivent leur foi.

À distance

HHHII

Henri Michaux Poésie Gallimard, 150 p., 8 €.

Au fil des pages, une trajectoirese dessine qui conduit des annéesvingt aux années quatre-vingt en ba-layant l’ensemble de l’œuvre. Les

lecteurs les plus assidus de Michauxretrouvent ainsi sans peine des pé-riodes ou des arêtes significatives,marquées par une thématique oupar des formes spécifiques : l’inven-tion verbale («Rencontre dans la fo-rêt», «Parlant population»), l’épreuveet l’exorcisme de la guerre (« In Me-moriam »), la souffrance du brascassé («Portes donnant sur le feu»),une écriture de traits («Univers dedessins»), des créatures imaginaires(Tchimbou, Oulouba, Aribar, Mulal,Téké…) etc. Tous ces poèmes sontvigoureusement déterminés par lemême constant souci d’approcher« le problème d’être» ; ils répondentà de successives poussées d’écriturevenues de « l’espace du dedans».

Ce livre venu par-delà la tombe,à la façon d’une anthologie posthu-me, est l’œuvre de son œuvre dontse propagent les échos, se poursui-vent les chemins et se rouvrent lesmanuscrits raturés. Que certainespages demeurent d’une lecture peusûre avec des corrections et parfoisdes lacunes, voilà l’occasion d’uneaccession plus intime au travailmême de l’écriture et à sa multipli-cation de passages en tous sens. Cerecueil donne à entendre la fébrilitéinterrogative qui questionne et pro-teste dans l’ensemble de l’œuvre deMichaux. Par sa pente et sa logiquepropre, celle-ci se prête à l’antholo-gie, non comme collection de texteschoisis mais comme diversité d’ap-proches.

Seul importe au poète de persé-vérer par l’écriture dans l’interlocu-tion du contradictoire et de l’incer-tain, et d’accéder quand il le peut àquelque position d’équilibre. La poé-tique de la distance, subie ou cultivée

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dans les fictions agressives ou lesglossolalies des textes les plus an-ciens, se convertit peu à peu enpoétique du retrait autorisant en-semble apesanteur et proximité dansles poèmes les plus tardifs.

Brouillons d’un baiser

HHHII

James Joyce Gallimard, 140 p., 15 €.

Avec la découverte récente dequelques pages de brouillons égarées,c’est le chaînon manquant entreUlysse et Finnegans Wake qui a étémis au jour.

Pour se relancer alors qu’il tra-versait une période d’incertitude,Joyce s’est mis à écrire de curieusesvignettes sur des thèmes irlandais.Ces petits textes, apparemment sim-plistes, sont les germes de ce quideviendra le plus complexe deschefs-d’œuvre du XX°siècle.

Ici est donc publié pour la pre-mière fois, dans la langue originaleet en traduction française, le cœurde cet ensemble qui s’organise autourde la légende de Tristan et Iseult etnotamment du premier baiser desdeux amants. Joyce s’efforce de dé-crire, dans une veine tantôt grotesque,tantôt lyrique, ce baiser, présentéaussi bien comme un événementcosmique que comme un flirt sordi-de. L’étreinte se déroule sous le

regard de quatre personnes âgées,dont les divagations donneront leton et fixeront le style de FinnegansWake.

Ces textes nous révèlent un aspectinattendu de la démarche créativede Joyce et offrent une voie d’accèsà qui voudrait commencer à s’aven-turer dans l’univers si intimidant desa dernière œuvre.

Apostrophes vol. 2

HHHII

Coffret de 6 Dvd Ed. Montparnasse, 40 €.

Durant 15 ans, Apostrophes s’estimposé comme le magazine littérairede référence s’organisant autour d’undébat, ponctué de lectures. Danschaque émission, Bernard Pivot reçoitses invités et permet à quelquesgrands noms de la littérature, de laphilosophie, de l’Histoire ou du ci-néma de s’exprimer librement, parfoisau risque du direct. Ce deuxièmevolume vous permettra de retrouver,entre autres personnalités, RomainGary, Roland Barthes, Françoise Sa-gan, Roman Polanski, Éric Orsenna,Jean-Claude Carrière, Hélie Denoixde Saint Marc autour de thèmes fortstels que :

A quoi servent les philosophes?Quelles valeurs pour demain? Laguerre, François Mitterrand, Pourquoiécrivez-vous? La vie des paysans…

Le chemin des forçats

HHHII

Alexandre Soljenitsyne Fayard, 280 p., 20 €.

Figure emblématique de la dis-sidence sous le régime soviétique,Prix Nobel de littérature en 1970,Alexandre Soljénitsyne (1918-2008)est l’auteur d’une œuvre considé-rable, dont l’Archipel du Goulagécrit dans la clandestinité, tout com-me ce Chemin des forçats composédurant ses années de bagne. Contraintde s’exiler vingt ans aux États-Unis,il y poursuivit son grand œuvre surla genèse de la révolution d’Octobre,la Roue rouge. Il regagna sa Russienatale en 1994.

Composé au bagne entre 1948et 1952 ce long poème autobiogra-phique constitue une étape essentielledans l’édification de l’œuvre enprose qu’entreprendra Soljénitsyneune fois libéré. À l’origine, la formeversifiée était destinée à favoriser lamémorisation: le texte sitôt composéétait appris par cœur, puis détruit.Le poème suit le «chemin» empruntépar son jeune héros : son enfance àRostov-sur-le-Don dans une famillepauvre et persécutée, sa «doublefoi», chrétienne par tradition fami-liale, communiste par éducation etconviction et, surtout, son engage-ment dans les combats de la SecondeGuerre mondiale, jusqu’à son arres-

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tation. Cette suite de portraits et descènes décrivant une Russie stali-nienne déchirée est aussi l’amorcede la quête historique, culturelle,morale, spirituelle que poursuivra,sa vie durant, l’auteur de l’Archipel

du Goulag.

Caroline, Bonaparte

HHHII

Florence de Baudus Perrin, 400 p., 24 €.

Caroline Bonaparte, née en 1782,la plus jeune sœur de Napoléon,épouse Murat en 1800 et partageson destin. Grande duchesse de Bergen 1806, puis reine de Naples deuxans plus tard, elle joue un rôle actifaux côtés de son mari. Lorsque ce-lui-ci va se battre en Russie en 1812,elle occupe la régence. Après le dé-part de Murat qui tente de rallierl’Empereur au moment des Cent-Jours, elle fait tout pour se maintenirau pouvoir mais est finalementcontrainte à l’exil par les alliés. Ellemeurt à Florence en 1839.

La postérité a été cruelle avecelle, et la plupart des historiens l’ontdépeinte comme ambitieuse, égoïste,méchante même. Certains, aveugléspar le soleil impérial, simplifient lesconflits familiaux pour mieux servirleur idole, Napoléon. D’autres selaissent tromper par les mémorialistescontemporains, en particulier les

femmes, qui accumulent les contre-vérités souvent calomnieuses. Il s’en-suit des ouvrages souvent peu ri-goureux et partisans. Se gardant detout jugement, comme de toute ré-ponse romanesque aux obscuritésde l’histoire, l’auteur nous guidedans l’ascension vertigineuse de Ca-roline et de sa famille, puis de leurchute tout aussi fulgurante. À la dif-férence de ses frères et sœurs, Caro-line a fait un vrai mariage d’amourqui, malgré les orages, ne s’est jamaisrompu. Douée d’une réelle intelli-gence politique, c’est elle qui res-semblait le plus à Napoléon, raisonpour laquelle elle a fini par s’opposerà lui. Oui, elle a voulu être reine etle rester – et pourquoi dans cecontexte incomparable ne l’aurait-elle pas voulu? – et elle l’a été,parfois seule quand Murat était encampagne militaire, avec une sagesse,un sérieux, une autorité que n’ontjamais eu ses frères. Douée d’ungoût inné pour les arts, elle a su em-bellir les palais qu’elle habitait. Ellea conduit avec maîtrise les fouillesde Pompéi, protégé les peintres, ar-chitectes, musiciens et sculpteurs.Après la perte de son royaume etl’exécution de son mari, elle a vécuencore vingt-quatre ans, dans la dis-crétion la plus totale, se soumettantau vainqueur autrichien, mais sebattant pour sauvegarder l’héritagede ses quatre enfants. S’ouvre alorsune période peu connue : la relationde Caroline avec sa famille, leursproblèmes d’héritages, la persécutiondes souverains napolitains, françaiset espagnols qui l’empêchaient decirculer librement en Europe, sesangoisses de mère sachant ses filsloin et capables de sottises. Enfin,dans la maladie qui la fit longtemps

souffrir avant de l’emmener à lamort, elle s’est montrée d’un courageexemplaire, tenant sous son charmela société florentine qui se pressaitdans son salon.

Conversationssur le christianisme

HHHII

Napoléon Bonaparte Le Rocher, 140 p., 10 €.

Aujourd’hui encore, aussi para-doxale que cela puisse paraître, Na-poléon reste une sorte de mystère.Les historiens ont pourtant creusésa vie, exploré sa politique, dissertésur sa stratégie, décrit ses passionsou se sont interrogés sur sa philoso-phie. Les travaux d’historiens commeJean Tulard ou Thierry Lentz ont per-mis de mieux cerner l’énigmatiquecorse devenu empereur des Français.Mais sa religion?

Les hommes de gouvernementont-ils toujours une relation ambiguëà la foi ? Très souvent, sans manquerforcément de sincérité, la foi sereplie chez nos hommes politiquesdans le domaine de l’intime et n’éclotpas dans le champ de l’action pu-blique. Celui-ci n’est-il pas pourtantselon Pie XI celui de la «charité po-litique» ?

On sait peu de chose du rapportintime de Napoléon avec Dieu.

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Certes, l’empereur a tenu à se fairesacrer par Pie VII… pour se poserlui-même la couronne sur la tête.Certes, il a conclu un concordatavec l’Église, mais au prix de lafourberie des Articles organiques im-posés unilatéralement et jamais re-connus par le Saint-Siège. Certes,encore, restaura-t-il la hiérarchie ca-tholique mais en obtenant du papela démission des évêques réfractaireset en concevant l’épiscopat commeune préfecture en violet. On pourraitmultiplier les exemples du rétablis-sement calculé du catholicisme parNapoléon sans jamais pourtant n’yrien trouver quant à sa foi person-nelle.

Un petit livre vient de paraîtrequi apporte quelques éléments à cesujet. Sous le titre de Conversationssur le christianisme, il rapporte desextraits d’un ouvrage publié en 1843par le chevalier de Beauterne, por-te-arquebuse de l’empereur. Cestextes sont censés retranscrire despropos de Napoléon sur la religion,exprimés à la fin de sa vie. Son tes-tament lui-même clame son adhésionà la religion de ses pères : « Je meursdans la religion apostolique et ro-maine dans le sein de laquelle jesuis né il y a plus de cinquante ans».Mais comme l’écrit Jean Tulard danssa préface: «En apparence Beauterneest documenté et exact. Mais sa dé-monstration nous révélant un Na-poléon chrétien, peut-elle emporterl’adhésion?»

Le même homme, pourtant, necache pas qu’il a joué comme em-pereur du rôle fonctionnel de la re-ligion. Beauterne cite ce court proposde Napoléon : « Je disais : la religionest une force, un rouage de ma po-

litique». Toujours selon Beauterne,il ne fait pas de doute que Napoléoncroyait au Dieu chrétien. Montholonle lui confirme en ces termes dansune lettre publiée à la fin de l’ou-vrage : «Comme homme, Napoléoncroyait. Comme roi, il jugeait la re-ligion une nécessité, un moyen puis-sant pour gouverner.»

Assise

HHHHI

François Cheng Albin Michel, 70 p., 10 €.

Dans ce très court texte, l’aca-démicien François Cheng expliquequ’il a eu le privilège, au momentde sa naturalisation, de choisir sonprénom. Certes, celui-ci fut élu parlui pour sa signification (« français»),mais aussi pour sa rencontre avec lepoverello d’Assise qu’il avait décou-vert en se rendant dans ce haut-lieuitalien dix ans auparavant. Commetous ceux qui, depuis la plaine del’Ombrie, voient Assise pour la pre-mière fois, l’auteur a été saisi, ensortant de la gare, par son apparitiondans la clarté d’été, par la vision decette blanche cité perchée à flancde colline, suspendue entre terre etciel, étendant largement ses brasdans un geste d’accueil. Cette visitefut pour lui une véritable initiation :«Figé sur place, j’eus le brusquepressentiment que mon voyage ne

serait pas que touristique, qu’il consti-tuerait un moment décisif de mavie. Je me surpris à m’exclamer enmoi-même: «Ah, c’est là le lieu,mon lieu ! C’est là que mon exil vaprendre fin !» Le récit est suivi duCantique des créatures que Françoisd’Assise se mit à chanter à l’approchede la mort.

La compagnie des anges

HHHHI

Laurent Dandrieu Le Cerf, 100 p., 10 €.

Que sait-on de la vie de Fra An-gelico, le peintre unanimement cé-lébré des fresques du couvent SanMarco et l’un des plus grands maîtresde la Renaissance italienne? Fortpeu de choses en réalité. Mais toutce qu’on en connaît confirme quece moine dominicain, qui vécut sousle nom de Fra Giovanni, a mérité auplus haut point le surnom qui lui futdonné peu après sa mort d’ ”angé-lique”. Il avait choisi le silence et lacontemplation pour mieux entendrele chœur des anges et entrevoir lalumière céleste qu’il s’efforçait deretranscrire. Talentueux à l’extrême,il avait préféré l’anonymat du mo-nastère aux gloires mondaines de lacité des peintres, la Florence desMédicis. Il avait œuvré sur les mursdes cellules de San Marco, prodi-guant à ses frères les trésors de sa

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prière et le fruit de son habileté, enpeignant pour chacun d’eux unescène de la vie du Christ.

En premier lieu, bien sûr, parceque toute sa peinture semble vouloireffacer la frontière qui existe entrela Terre et le Ciel pour nous rappelernotre dimension spirituelle.

Mais aussi, parce que ce moineconnu pour sa douceur, sa pitié, safoi exigeante et agissante, qui nepouvait peindre, dit-on, une cruci-fixion sans avoir les yeux baignésde larmes, s’efforça de vivre, ici-bas, comme s’il faisait déjà partiede la compagnie des anges. Ce n’estpas seulement un grand peintre spi-rituel, donc, que Jean-Paul II honoraen le béatifiant, mais aussi un maîtrede vie. Un ouvrage virtuose, quiconjugue aux bonheurs du récitl’élégance de l’écriture et la profon-deur des intuitions, et atteint à l’exactéquilibre entre la pesanteur et lagrâce, à la lisière du ciel et de laterre.

L’ange gardien

HHHII

Jérôme Leroy Gallimard, 330 p., 19 €.

L’auteur se consacre désormaisexclusivement au roman noir et à lapoésie. Un bon polar entre deux re-cueils de vers est la cadence qu’ils’est imposée pour trouver le moyen

de désespérer jusqu’au bout de laviolence, de la bêtise et de la laideurde notre époque. Trois ans après LeBloc, une fiction politique aux alluresde dissection à vif du grand corpsmalade de la France, voici L’Angegardien, une façon de suite contem-poraine à l’Histoire des Treize d’Ho-noré de Balzac. Au cœur de l’intrigue,l’Unité, une police parallèle devenueun véritable État dans l’État à lafaveur du pourrissement de l’espritpublic. Le roman s’ouvre dans lespas de Berthet, un des meilleursmembres de cette officine chargéedes basses œuvres. Il se poursuitdans ceux de Martin Joubert, unécrivain au bord de la crise de nerfs,et se termine dans le sillage de Kar-diatou Diop, une jeune femme d’ori-gine africaine née dans un milieupopulaire, qui deviendra ministreau terme d’un long parcours.

Mû par des passions très an-ciennes, Berthet ce cousin du Sa-mouraï de Melville (même élégance,même mutisme, même inquiétanteétrangeté) s’est entiché de KardiatouDiop et a décidé de devenir son«ange gardien» en la préservant deses ennemis pour assurer son par-cours jusqu’aux sommets de l’État.Au sommet de l’Unité, sa fantaisiedéplaît. On veut le tuer.

Ainsi l’écrivain délivre ses sorti-lèges au rythme impeccable d’unechasse à l’homme. Mais ce romantranchant comme l’épée ne seraitpas si réussi s’il ne comportait pasune forte dose d’angoisse comique.Leroy est excellent lorsqu’il met enscène Martin Joubert, l’écrivain ratéqui rend publics les lourds secretsqui lui ont été confiés sur le fonc-tionnement de l’Unité ; et divinement

inspiré lorsqu’il clôt son roman noirle jour des morts.

Enfant de Balzac par le goût ducomplot, de Chardonne par la déli-catesse de ses portraits féminins etde Manchette par sa connaissanceencyclopédique des armes à feu,l’auteur a l’art d’associer trois destinscontrastés pour nous révéler deschoses extrêmement désagréablessur l’état de corruption avancée denotre société.

De chez nous

HHHHI

Christian Authier Stock, 180 p., 14 €.

Christian Authier qui vit et travailleà Toulouse, où il est né en 1969, estl’auteur d’une quinzaine d’ouvrages.Il a publié l’essentiel de ses romanschez Stock sous la houlette de sonami Jean-Marc Roberts, depuis En-terrement de vie de garçon en 2004,jusqu’à Une certaine fatigue en 2012.

Qu’est-ce donc être Français ?Dans un style sec et sans fioritures,il ranime des hommes et des femmestrop vite oubliés par l’histoire. Ils sesont tous battus pour une certaineidée de la France. Celle d’un payslibre et non soumis à l’occupant.

Notes de lecture de Georges Leroy, décembre 2014 – Aller => au dossier d’origine => à l’accueil du Réseau-regain 9/20

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Dans ce livre au style épuré, ilévoque une question qui nous pré-occupe tous : la France. Son histoire,sa langue, ses frontières mouvantes,ses héros et ses salauds, d’hier etd’aujourd’hui. Parler de la France,c’est aussi raconter l’amitié etl’amour, le football et le vin, fairejouer notre mémoire et célébrer nosmorts. C’est fustiger une modernitédéshumanisante et mercantile etlouer l’esprit de résistance. Au chevetde notre cher et vieux pays, de plusen plus à la dérive, le nouveau PrixRenaudot essai se veut malgré toutoptimiste : « Je crois aux miracles età la résurrection. J’espère qu’un jourles vivants et les morts seront réunis,que nous marcherons ensemble,dans un songe ou dans une rue,entre la présence et l’absence». Enattendant, ne jamais baisser la garde,refuser le « spectacle de la bêtiseconquérante, de la laideur généra-lisée, des vaines ambitions, de lacupidité, du mensonge». Et répétercette phrase de Bernanos : « Jamais,jamais, nous ne nous lasserons d’of-fenser les imbéciles».

Cet essai romanesque, résolumenttrès personnel, n’est pas qu’un simplehommage à ces personnages du pas-sé. L’auteur, tel un nouveau Blondin,nous invite à revivre de longues soi-rées d’ivresse en compagnie de sescopains, comme il aime les appeler.Mais attention, pour être de leurbande, mieux vaut ne jurer que parle vin naturel et ne pas avoir froidaux yeux.

S’y mêle une nostalgie pour uneépoque où les iPhone n’étaient pasencore greffés aux mains des Français,où le football n’était pas gangrenépar l’argent et où les bureaux de

poste n’étaient pas encore des bou-tiques fourre-tout, ce qui fait penserà Duteurtre.

Discours de réceptionà l’Académie française

HHHII

Amin Maalouf Grasset, 110 p., 13 €.

«Quand on a le privilège d’êtrereçu au sein d’une famille commela vôtre, on n’arrive pas les mainsvides. Et si on est l’invité levantinque je suis, on arrive même les braschargés. Par gratitude envers la Francecomme envers le Liban, j’apporteraiavec moi tout ce que mes deux pa-tries m’ont donné : mes origines,mes langues, mon accent, mesconvictions, mes doutes, et plus quetout peut-être mes rêves d’harmonie,de progrès et de coexistence.

Ces rêves sont aujourd’hui mal-menés. Un mur s’élève en Méditer-ranée entre les univers culturels dontje me réclame. Ce mur de la détes-tation – entre Européens et Africains,entre Occident et Islam, entre Juifset Arabes –, mon ambition est de lesaper, et de contribuer à le démolir.Telle a toujours été ma raison devivre, ma raison d’écrire. Sousl’ombre protectrice de nos aînés.Sous le regard lucide de ClaudeLévi-Strauss».

Ce volume reprend le discoursde réception à l’Académie françaised’Amin Maalouf, prononcé le 14 juin2012, suivi de la réponse de MonsieurJean-Christophe Rufin. Comme leveut la tradition, ces deux textes sontsuivis du discours de remise de l’épée,prononcé par Jean d’Ormesson.

Dostoïevski

HHHII

DVD Ed. Montparnasse, 25 €.

Saint-Pétersbourg, le 22 décembre1849. Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevs-ki est sur le point de mourir sansavoir écrit une ligne de L’Idiot ou desFrères Karamazov. Condamné à lapeine capitale pour avoir frayé avecles milieux progressistes, le jeunehomme subit un très crédible simu-lacre d’exécution, avant d’être graciéet déporté en Sibérie. Traumatique(«le tourment le plus incroyable, c’estde ne jamais être seul, même pasune minute»), l’expérience du bagnele métamorphose au lieu de le briser.Il y trempe son âme d’écrivain, s’yrapproche du peuple russe, revendi-quera plus tard le droit de parler enson nom. Libéré en 1854, il se lieavec le procureur Vrangel, ferventadmirateur de ses écrits. Revenu à lavie «normale», Dostoïevski s’éprendde Maria Dmitrievna Issaïeva, belleet phtisique. Il n’entend pas renoncerà cette passion…

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Production de prestige pour latélévision russe, diffusée par Arte,Dostoïevski balaie une trentained’années de la vie du grand homme,observée à travers le double prismede ses amours (tumultueuses) et deses activités littéraires et politiques,assez chaotiques elles aussi. Les per-sonnages, incarnés par de grandscomédiens, portent la même fièvreque ceux des romans de Dostoïevskiet méritent à eux seuls qu’on regardecette série.

Figures publiques

HHHII

Antoine Lilti Fayard, 430 p., 24 €.

Les candidats au quart d’heurewarholien se bousculent au portillonde tous les carrés VIP de la planète.Chacun voudrait apparaître sur leselfie de l’époque. Les célébritésnous obsèdent. On les traque, onen rêve, on leur écrit, on ne vitparfois que pour elles seules. Lerègne de la visibilité, de la starifica-tion, de l’exploration de leur intimitéqualifie la culture de masse duXXe siècle et du XXIe naissant.

La célébrité est une catégorieancienne dont l’origine remonte auXVIIIe siècle. S’attachant à quelques-unes de ces figures célèbres, parfoisoubliées, l’historien propose une en-quête généalogique qui déstabilise

nos repères habituels sur la question,et identifie les origines et les modesde production de cette “topique dela célébrité”. À la faveur de la trans-formation de l’espace public, d’unenouvelle conception du moi, despremiers développements de la pu-blicité et de la commercialisationdes loisirs, la célébrité s’impose com-me modèle social constitué entre1750 et 1850.

Bien avant le cinéma, la presseà scandale et la télévision, les mé-canismes de la célébrité se sont dé-veloppés dans l’Europe des Lumières,puis épanouis à l’époque romantiquesur les deux rives de l’Atlantique.Des écrivains comme Voltaire, descomédiens comme Garrick, des mu-siciens comme Liszt furent de véri-tables célébrités, suscitant la curiositéet l’attachement passionné de leurs« fans». À Paris comme à Londres,puis à Berlin et New York, l’essor dela presse, les nouvelles techniquespublicitaires et la commercialisationdes loisirs entraînèrent une profondetransformation de la visibilité despersonnes célèbres. On pouvait dé-sormais acheter le portrait de chan-teurs d’opéra et la biographie decourtisanes, dont les vies privéesdevenaient un spectacle public. Lapolitique ne resta pas à l’écart de cebouleversement culturel : Marie-An-toinette comme George Washingtonou Napoléon furent les témoins d’unmonde politique transformé par lesnouvelles exigences de la célébrité.Lorsque le peuple surgit sur la scènerévolutionnaire, il ne suffit plus d’êtrelégitime, il importe désormais d’êtrepopulaire.

À travers cette histoire de la cé-lébrité, l’auteur retrace les profondes

mutations de la société des Lumièreset révèle les ambivalences de l’espacepublic. La trajectoire de Jean-JacquesRousseau en témoigne de façonexemplaire. Écrivain célèbre et adulé,celui-ci finit pourtant par maudireles effets de sa « funeste célébrité»,miné par le sentiment d’être devenuune figure publique que chacunpouvait façonner à sa guise. À lafois désirée et dénoncée, la célébritéapparaît comme la forme modernedu prestige personnel, adaptée auxsociétés démocratiques et média-tiques, comme la gloire était celledes sociétés aristocratiques. C’estpourtant une grandeur toujourscontestée, dont l’histoire éclaire lescontradictions de notre modernité.

De la bonne société

HHHII

Sylvie Courine-Denamy Le Cerf, 320 p., 24 €.

De la bonne société : serait-ceun nouveau guide de savoir vivre ?Ce livre serait plutôt une manièrede répondre à la question: Où qu’estla bonne Pauline? (Ouk Elabon Polin).Ce livre est consacré au vivre en-semble, à la polis. Prendront-ils laville ?

En tout cas, cet ouvrage analyseet réfléchit à un retour du politiqueen philosophie. En ce terrible

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XXe siècle, celui du nihilisme achevé,du déferlement technique, des tota-litarismes, de la Shoah, se soucierdu monde, c’est nécessairement setrouver confronté à la question dupolitique dans toute sa radicalité.Comment penser ou refonder dansl’immanence une communauté po-litique et cosmopolitique, une « so-ciété bonne», dont l’unité et la co-hérence demeurent respectueusesde la pluralité ? C’est en confrontantles regards et les interrogations detrois protagonistes principaux quiappartiennent à la même généra-tion – Hannah Arendt, Léo Strauss,Éric –-, que l’auteur tire et renoueles fils de leurs dialogues respectifs,souvent tendus ou conflictuels, autourde la question : «Qu’est-ce que lapolitique?»

Si en France on connaît H. Arendtet L Strauss, il est peut-être intéressantde préciser la pensée de E Voegelin.Sa thèse principale est que la mo-dernité s’enracine dans la tentativepolitique violente de faire descendrele paradis sur terre et de faire del’accès aux moyens du bonheur ici-bas la fin ultime de toute politique.Cette immanentisation du réel et dela vie spirituelle est à l’origine de ceque l’Europe va connaître en matièrede mouvements sociaux révolution-naires, mouvements dont le caractèreest la fermeture à l’Autre, à l’Altérité,et l’oubli des fondements de la viepolitique.

Voegelin va chercher chez Joa-chim de Flore (1130-1202) lessources de ce qu’il nomme la «Gno-se» (qu’il ne faut pas confondreavec l’ancienne gnose de l’antiquité,qui prend racine dans les courantshermétiques du néo-platonisme aux-

quels ressortit la gnose moderned’après Voegelin). Ce terme désigneles idéologies politiques traduites enreligions séculières, qui vont culminerdans ce que Voegelin dénonce chezHegel, c’est-à-dire la « révolte égo-phanique». La Gnose se transformeen philosophie de l’histoire et atteintson point culminant avec le savoirabsolu hégélien et l’idée que l’hom-me est devenu Dieu. L’homme perdcontact avec la réalité et, pour dé-tourner une formule aristotélicienne,«s’enfuit dans les mots» : la crise dela modernité est une crise des idées,mais c’est surtout une crise du lan-gage.

Pour autant, le diagnostic de Voe-gelin sur la «modernité» du monde,s’articule sur une généalogie dessources du positivisme d’un AugusteComte, de la révolte spirituelle deHegel contre Dieu et de l’idéologierévolutionnaire de Karl Marx ; l’unet l’autre prendraient leurs sourcesdans la sécularisation de thématiqueschrétiennes pour se retourner enidéologies antichrétiennes, telles quefinalement elles apparaissent parexemple dans le communisme, lenational-socialisme et d’autres formesde totalitarisme.

Pris dans « l’étau théologico-po-litique», les trois auteurs étudiés sesont attachés à dénouer puis à re-problématiser, dans l’horizon de lavie bonne et de la question du bon-heur, les liens complexes entre ju-daïsme et histoire, religions et poli-tiques. Puissent leurs « réponses»croisées, souvent désabusées et tou-jours contextualisées, ouvrir quelquespistes en ce début d’un nouveausiècle qui connaît la surenchère detous les fondamentalistes.

Guizot

HHHII

Laurent Theis CNRS éditions, 200 p., 20 €.

Guizot politique, historien, di-plomate, journaliste a marqué sonsiècle d’une empreinte encore visiblesur nos institutions et notre systèmeéducatif. Plusieurs fois ministre puisprésident du Conseil sous la monar-chie de Juillet, cet homme, qui a vude ses yeux la Terreur en 1794 et laCommune en 1871, a fasciné bonnombre de ses contemporains.

Lorsqu’en 1805, à dix-huit ans,François Guizot entre dans le monde,il se fait aussitôt remarquer pour lefeu de son regard, le timbre de savoix et la vigueur de son esprit.Quand il le quitte en 1874, il est lemême, sauf les années. Entre-temps,il a tenu sans désemparer le devantde la scène nationale et européenne,occupant divers emplois mais nejouant jamais qu’un seul rôle, celuide M. Guizot. À la Sorbonne, à laChambre des députés, dans les mi-nistères, les salons, les ambassadeset les académies, les spectateurs fu-rent nombreux et souvent enthou-siastes, surtout les spectatrices. Àl’histoire, celle de la civilisation, àla politique conservatrice, à la religionprotestante, il donna un lustre etdes accents éclatants. Ses livres secomptent par dizaines, ses lecteurs

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par centaines de milliers. Il réservason cœur à la famille, à l’amour et àl’amitié. Sa correspondance, immen-se, est un enchantement. Attaché àla liberté et à la paix, il gouverna laFrance et les Parisiens, en 1848, lechassèrent. Mais sa prodigieuse vi-talité le releva de tout. Méridionalacclimaté Normand, il aimait les su-creries, les fleurs et les romans an-glais.

L’auteur explore la philosophiepolitique de ce grand serviteur del’État ; son idéal d’un gouvernementdes esprits par la souveraineté de laraison; son protestantisme dépourvude mysticisme ; sa conception del’histoire fondée sur l’évolution dela civilisation européenne conduisantà l’avènement des classes moyenneset au système représentatif.

Entreprise :la grande déformation

HHHII

Olivier Favereau Parole et Silence, 160 p., 15 €.

L’entreprise, non seulement entant que collectivité humaine maisen tant que moteur de nos écono-mies, va mal, très mal même. C’estessentiellement le résultat de la phasede financiarisation débridée que lemonde a connue, et connaît encore,depuis le tournant néolibéral desannées 1970-1980. Un postulat s’est

alors imposé sans discussion, selonlequel les entreprises seraient la pro-priété de leurs actionnaires. La criseoblige à une réflexion fondamentaleurgente sur l’entreprise, plus indis-pensable que jamais pour l’emploiet la compétitivité et pourtant malaimée des salariés qui s’en détour-nent, écœurés par les excès de la fi-nance et les comportements de cer-tains employeurs, épuisés aussi parles contraintes du stress au travail.Un travail d’analyse approfondi etaccessible qui apporte un nouveléclairage.

Évoquer l’entreprise dans la pers-pective de la personne n’est pasanodin. C’est d’abord une manièrede rappeler que l’entreprise est uneaffaire d’hommes et des femmes quis’y unissent pour travailler à un projetcommun. Des hommes qui lui ap-portent du capital, c’est-à-dire lefruit du travail accumulé par leshommes, et qui bénéficient des ser-vices ou des produits de l’entreprise.L’entreprise devient alors un lieu decoopération qui suppose une multi-plicité d’acteurs, engagés librementdans un ensemble de relations or-donné à l’obtention d’une fin com-mune. La manière de concevoir l’en-treprise et celle de concevoir l’hom-me, les motivations de sa liberté etla place des relations, ne peuventêtre indépendantes.

L’originalité de cet ouvrage reposesur la proposition fondamentale, to-talement à rebours de l’opinionreçue, que les actionnaires ne sontpas propriétaires de l’entreprise. Ils’agit d’un travail authentiquementinterdisciplinaire qui croise de ma-nière inhabituelle anthropologie,droit, économie et gestion. Il est

montré à travers un panorama ex-ceptionnellement large que toutesles dimensions de cette institutioncapitale en sont affectées : des plushumaines aux plus économiques.En révélant la multiplicité des aspectsde cette “grande déformation“, l’ou-vrage dessine, en filigrane, la cartedes voies à emprunter pour inverserla tendance - et fonder l’entreprisedu XXIe siècle.

Hérétiques au Moyen Âge

HHHII

André Vauchez CNRS ed, 380 p., 25 €.

André Vauchez est connu pourson travail sur la sainteté au MoyenÂge, puis à la vie religieuse ou spi-rituelle de cette période. Au fil despages l’auteur montre ce que leshérésies nous disent de l’Église etdes mentalités médiévales.

An mil : les hérésies ne touchentqu’un nombre limité de personnes,appartenant à l’élite culturelle et so-ciale. Deux siècles plus tard, ellessont devenues de puissants mouve-ments contestataires qui remettenten cause l’emprise du clergé catho-lique. De l’Allemagne rhénane àl’Italie centrale et à l’Espagne duNord en passant par le Languedoc,de nombreuses régions de la chré-tienté sont alors «gangrenées» –pour reprendre le vocabulaire des

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textes pontificaux de l’époque – pardiverses formes de dissidence reli-gieuse: Cathares, Vaudois, Patarins…Un défi lancé à la papauté qui lescondamne comme des hérésies etles combat par l’intermédiaire del’Inquisition et des ordres mendiants(Dominicains et Franciscains) à partirde 1231. L’auteur présente d’ailleursune position équilibrée et dépas-sionnée quant à l’inquisition.

Aux XIV° et XV° siècles, les ac-cusations d’hérésie se multiplient etvisent désormais tous ceux qui déso-béissent à l’Église ou s’opposent àson autorité, y compris dans le do-maine temporel. Le cercle des pour-suites ne cesse de s’élargir et l’onfinit par considérer comme des hé-rétiques des hommes et des femmesdont le seul tort était de dénoncerpubliquement les abus du clergé etles dérives autoritaires de la hiérarchieecclésiastique. On retient aussi decet ouvrage que le religieux (ou lespirituel) influence la société. Uneplongée au cœur du Moyen Âge.

Il est grand temps

HHHII

Pierre Emmanuel L’âge d’homme, 540 p., 39 €.

«La première chose qu’il fautcomprendre lorsqu’il s’agit d’uneœuvre», affirmait Pierre Emmanuel(1916-1984) à la fin de sa vie, «c’est

qu’elle est d’abord l’œuvre d’un au-teur. Il y a quelqu’un là derrière ;nous avons tendance, trop souvent,à l’oublier. » Trente ans après samort, il est urgent de redécouvrirl’auteur de ces propos. Le présentouvrage y contribue éminemment.Ces Autobiographies comportent troislivres : Qui est cet homme? (1947)et  L’ouvrier de la onzième heure(1953) avaient été réunis par PierreEmmanuel lui-même en 1970 ; ilssont suivis d’un inédit passionnant, Ilest grand temps, Emmanuel, de re-venir à la maison du Père…, rédigédans les années 1975. Ces trois livresparticipent étroitement du mêmeprojet : mener à bien une quête iden-titaire qui unifie l’homme et le poète,tirer au clair l’histoire individuelleen l’inscrivant dans l’histoire col-lective. L’homme livre son histoireet, inséparablement, l’auteur construitson mythe : la naissance à soi parsoi-même.

Dans Il est grand temps… PierreEmmanuel, de son vrai nom NoëlMathieu, met au jour les blessuresde son enfance, la découverte dePierre Jean Jouve et la naissancede sa vocation à la poésie, son en-gagement dans la Résistance, larupture avec Aragon dans les pre-mières années de l’après-guerre,les différents combats d’un hommeépris de liberté et attentif à la dignitéde la personne humaine et aux exi-gences de son époque. Sa présence,en somme, dans un XX° siècle trou-blé par la guerre et les totalitarismes.Mais Pierre Emmanuel s’interrogeaussi sur la relation entre l’hommeet la femme, l’amour et la passion,l’enfance et le monde de l’adulte,l’athée et le croyant en lui-mêmeet autour de lui.

Témoignage unique de l’un despoètes les plus puissants du XX°siècle,  Il est grand temps…, rédigédans une prose étincelante, dontl’acuité constante s’accommode detous les registres, révèle la dimensionprophétique d’une pensée originalequi s’interroge toujours, à partir dusingulier, sur l’universel en l’homme,ses rêves et ses peurs, ses faiblesseset ses grandeurs. Il est la voix d’unhomme qui prend chaque mot danssa plénitude, qui met sa vie dansses mots et ses mots dans sa vie.

Indulgences

HHHII

Jean-Pierre Bours Ed. HC, 420 p., 22 €.

Dans une Allemagne entreMoyen Âge et Renaissance, dansun monde que se disputent la pesteet la lèpre, la famine et la guerre,deux femmes se battent pour ac-complir leur destin. Au crépusculedu Moyen Âge, au cœur de la forêtsaxonne, une jeune femme aban-donne son enfant avant d’être rat-trapée par les gardes du seigneurde Magdeburg qui l’accuse de sor-cellerie. Depuis la “Hexenturm” etses fantômes avilissants, elle va choi-sir d’assurer seule sa défense. Quinzeans plus tard, alors que les premiersfeux de la Renaissance et de la Ré-forme commencent à briller sur Wit-

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tenberg, Gretchen – qu’immortaliseraGoethe trois siècles plus tard – nesait pas encore que la quête de sonidentité l’amènera à croiser ceuxqui sont en train d’écrire l’histoire,qu’il s’agisse de Luther, Cranach oudu très mystérieux docteur Faust.Quel lien unit ces deux femmes ?Quel secret les rapproche? La Re-naissance que découvre Gretchenet le Moyen Âge, dans lequel se dé-bat Eva, sont-elles des périodes sidistinctes ? La lumière a-t-elle vrai-ment succédé à l’ombre ? Et le bienau mal ? Le lecteur appréciera lesnotes de l’auteur à la fin qui ont ex-pliqué ses choix, qui ont démêlé levrai du faux, l’historique de la fiction.

L’internationaledes francs-tireurs

HHHHI

Bruno de Cessole L’Éditeur, 540 p., 22 €.

Franc-tireur : soldat qui ne faitpas partie de l’armée régulière. Deces irréguliers de la littérature, l’auteura composé une troupe sortie toutdroit de son anthologie personnelle.Les francs-tireurs haïssent les sectesdes puissants qui se réunissent parcequ’ils n’ont aucun talent, hormiscelui de vouloir passer la tête deson semblable sous le robinet. Denous jours les écrivaillons ont pignonsur rue comme les conseillers des

présidents. Il faut du monde pouractionner le tourniquet du m’as-tu-vu. Ce recueil présente une cin-quantaine d’écrivains, de Jane Austenà Virginia Woolf, en passant parBorges, Jünger et Orwell.

Transgressive, frondeuse, en mar-ge des codes de la bonne sociétédes Lettres, cette internationale desfrancs-tireurs revendique son insou-mission à tous les conformismes.Après le succès du Défilé des ré-fractaires (2011), l’auteur convoquele panthéon mondial des écrivainscontestataires. Cette galerie de por-traits met en relief auteurs connusou méconnus, et acquitte une dette,celle contractée par l’auteur enversles écrivains qui l’ont nourri, éclairéou encouragé. De Thomas Bernhardà Virginia Woolf, ces écrivains duXVIIIe siècle à nos jours sont les in-vités d’honneur de ce banquet du«gai savoir». Un exercice d’admi-ration, preuve d’amour pour la litté-rature, qui invite à la découverte ouà la relecture. Comme son titre l’in-dique, il n’y a pas de Français danscette sublime confrérie de rebelles.Bruno de Cessole, lui, est un serviteurde la langue française. À l’ancienne,tendance Pascal Pia et Kléber Hae-dens. Ses notules oscillent entre labiographie de l’auteur choisi sousson rayon X et la substantifiquemoelle de l’œuvre traitée.

En cas de perte de mémoire, ilsuffira de lire ces deux grandes né-cropoles de géants de la littératurepour retrouver de véritables amis :des gens qui ne marchent pas dansla combine, des gens qui cherchentla vérité ou leur vérité, des gens quiveulent vraiment vivre et ne pasfaire semblant, des gens qui ne tri-

chent pas, des gens qui fuient la bê-tise et le mensonge, des gens quiveulent vivre dans la grandeur d’âme,des gens qui sont morts en refusantle monde minable qu’on leur pro-posait. Des gens qui aimaient la lit-térature comme s’il s’agissait d’unepersonne. Des gens qui passaientleur temps à vivre dans le pays desécrivains. Un pays sans carte d’iden-tité. Sans monnaie. Sans dirigeant.

Louis XIII, 2 tomes

HHHHI

Jean-Christian Petitfils Tempus, 600 p., 12 €.

Au regard de l’Histoire, LouisXIII est un roi oublié. Éclipsé par lepanache de son père Henri IV, oc-culté par l’éblouissante renomméede son fils Louis XIV, il laisse l’im-pression d’un monarque mélanco-lique, sans personnalité, fuyant sonmal-être dans la chasse, dominé parson Premier ministre, le tout-puissantcardinal de Richelieu. Erreur ! Cen’est pas parce qu’il choisit un mi-nistre d’une envergure exceptionnellequ’il renonce pour autant à gouverneret à être pleinement roi.

Renversant les idées reçues, l’au-teur redonne ici toute sa place à cesouverain méconnu, à la personnalitédéroutante, à la fois artiste, musicien,guerrier impétueux, extrêmement ja-loux de son autorité, animé par la

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passion de la gloire et de la grandeurde la France. Sous son impulsion etcelle du cardinal, le royaume semodernise. La monarchie dite “ab-solue” s’édifie. Son règne, traversépar une suite invraisemblabled’épreuves – lutte contre le partiprotestant, conspirations des Grands,révoltes populaires, guerre contre laMaison d’Autriche –, prépare et an-nonce plus qu’on ne le croit celuide Louis XIV.

Sans négliger les faiblesses del’homme, ses défauts, trop souventexagérés, cet ouvrage se veut uneréhabilitation. Par un subtil art de lareconstitution, l’historien redonne àLouis XIII toute son importance, celled’un grand roi.

Louis XIV

HHHHI

Jean-Christian Petitfils Perrin, 780 p., 30 €.

Ce nouveau Louis XIV se trouveêtre aussi un Louis XIV nouveau,loin des célébrations délirantes com-me de leur inverse, loin des anec-dotes infatigablement répétées, desbanalités convenues et jamais re-pensées. On ne peut s’empêcher dese réjouir de voir secouer de tempsà autre quelque cocotier académique.

Cette biographie offre une réelleoriginalité et une conception dyna-mique et neuve. En effet, si le portrait

psychologique du Roi-Soleil (1638-1715) est particulièrement fouillé,si ses actes et ses comportementssont soigneusement décrits et sou-pesés, ce livre est bien plus qu’unebiographie classique. C’est tout lerègne qu’il embrasse dans une visiongénérale de la société du GrandSiècle, renouvelant le sujet, mettantà mal bien des clichés et des vieilleslunes grâce à une documentationconsidérable, dont de nombreusesétudes étrangères, grâce tout autantà une analyse remarquable, originale,juste, du pouvoir, de ses serviteurs,de ses moyens d’action et de propa-gande, de sa grandeur, mais ausside ses limites et de ses contradictions.

Alliant l’intelligence de la ré-flexion, la clarté et la qualité dustyle et de l’expression, l’auteur aécrit un riche et grand Louis XIV quia reçu le grand prix de la biographie(histoire) de l’Académie française.À l’instar de celle de M. Bluche,une très belle biographie pour célé-brer le tricentenaire de la mort dece grand roi.

Œuvres

HHHHI

Aristote La Pléiade, 1660 p., 69 €.

À sa mort, en 322 av. J. C., Aris-tote laisse une œuvre savante auxproportions gigantesques et qui de-

meure aujourd’hui très vaste, mêmesi une grande partie en a été perdue.Fondements de la philosophie et dela science occidentales, les nombreuxtraités dans lesquels il scrute et pensele monde sous ses aspects les plusdivers ont fait longtemps considérerleur auteur, selon le mot de Dante,comme « le maître de ceux qui sa-vent». Ces traités ont laissé une em-preinte profonde dans la conceptionmême que nous nous faisons dessciences et de la connaissance. Sil’image dogmatique qui a été assi-gnée a posteriori à la scolastique etqui lui ferait encore tort, elle nerésiste pourtant pas à la lecture destextes. Aristote se réclame d’unedouble originalité : celle de pouvoirtrancher, mieux que d’autres, desquestions controversées, et celle depouvoir engager de manière assuréele savoir sur de nouvelles pistes.Pour ce faire, il prête la plus grandeattention aux opinions d’autrui, cellesdu plus grand nombre comme cellesdes spécialistes. C’est pour lui unprincipe de méthode, maintes foisrappelé. L’immense contribution ausavoir universel que forme son œuvredemeure irremplaçable, sinon parson contenu doctrinal, du moins parles procédures qu’elle instaure etpar les questions qu’elle pose.

Le présent volume est composéde l’Ethiques, politique, Rhétorique,Poétique et Métaphysique. DepuisBoèce jusqu’à nos jours, chaque tra-duction d’Aristote est l’occasiond’une nouvelle interprétation et unepossibilité de redécouverte. Les traitésréunis dans ce volume sont tous (àune exception près, l’Éthique à Ni-comaque, dont la version françaisea été révisée par son auteur, RichardBodéüs) proposés dans des traduc-

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tions inédites et accompagnés d’unappareil critique qui, tout en profitantde la littérature savante, spécialisée,ne s’y substitue pas : il vise « simple-ment» à rendre l’œuvre d’Aristoteaccessible au lecteur d’aujourd’hui.

L’ordre des choses

HHHII

Michel MaffesoliCNRS éditions, 260 p., 20 €.

Contre le rationalisme désuet,l’économicisme triomphant, le pro-gressisme incantatoire et l’inauthen-ticité de ses formules creuses, MichelMaffesoli chante l’infinie tendressedu monde et nous rappelle que lesentiment tragique de la vie s’accordeà l’ordre des choses.

Dans ce nouvel essai destiné àdevenir un classique, l’un des théo-riciens de la postmodernité arpenteavec bonheur la pensée sociologique,scrute les vibrations du vivre-en-semble et insiste sur l’oppositionentre la puissance horizontale se-crétée par la sagesse populaire et larigidité du pouvoir vertical, venantde Dieu ou des idoles philoso-phiques. La postmodernité en ges-tation se situe résolument à l’ombrede Dionysos, divinité de la nature etdes effervescences collectives. Com-ment comprendre cette irruption dela passion dans la vie quotidienne?Comment donner sa place à ce

retour de l’idéal communautaire ?Quelle méthode suivre pour com-prendre ce changement de paradig-me? Un antidote philosophique aupessimisme ambiant.

L’auteur dit être aux antipodesdes positions d’Éric Zemmour, car iln’est pas fasciné par le passé et laconservation du modèle de la mo-dernité, mais préoccupé de la com-préhension du monde contemporain,ici et maintenant. Effectivement, ilpeut y avoir de la “res publica”,c’est-à-dire de la chose publique,en dehors du modèle “dit républi-cain”, inventé dans ce tout petit can-ton du monde que constitua l’Europedes 19ème et XXe siècles. De grandescivilisations ont existé, de grandescivilisations se sont éteintes, de nou-velles civilisations, ni meilleures, nipires, se sont constituées sur lesdébris des anciennes. Comme le di-sait Anaximandre de Millet : “Genesiskai phtora”, genèse et déclin, éternelrecommencement des choses. (et letemps fléché?).

Comme toute configuration so-ciale, notre société produit le pire,mais aussi le meilleur. Bien sûr onpeut déplorer cet “ensauvagementdu monde”, quoique l’époque pré-cédente n’ait pas été avare en géno-cides et autres catastrophes provo-quées par l’homme et son appétitde pouvoir. L’ensauvagement dumonde, c’est aussi la prise en comptepar les humains de leur part animale.Or si l’on chasse l’animalité dansl’humain, l’on est vite submergé parla bestialité ! Qui fait l’ange fait labête.

Selon l’auteur, il faut arrêter lesincantations rassurantes pour décrireplus précisément ce monde qui se

construit sous nos yeux. Au triptyquede la modernité (individualisme, ra-tionalisme, progressisme) on pourraitopposer ce que l’auteur appelle le“néotribalisme”, la raison sensibleet la progressivité. Le néotribalisme,c’est-à-dire les identifications mul-tiples d’une personne à différentescommunautés, de loisirs partagés,de passions communes, de rencontreséphémères ou de solidarités territo-riales. La raison sensible, c’est cetteforme de compréhension du monde,attentive non pas à faire rendre raisonaux phénomènes, mais à les com-prendre (les appréhender ensemble)dans l’entièreté de leur être et deleur environnement. Quant à la pro-gressivité, elle se distingue du pro-gressisme, en ce qu’elle avance enintégrant le passé (la tradition) et enoffrant un présent, ici et maintenant,gros du futur. La postmodernité estprésentéiste, mais non pas un présentqui “dépasse” l’avenir, mais un pré-sent qui l’intègre et qui porte en lui-même, immédiatement son futur.

Il est vrai que nos sociétés ontbesoin de formaliser un nouvel ordreinterne. Il faut réinventer des règlescommunes du vivre ensemble, quine soient pas par exemple commele “care” des catégories importées,mais qui au contraire émanent del’intérieur de la société.

De multiples phénomènes col-lectifs, de protestation, de solidarité,de fête tout simplement, nous mon-trent qu’il s’agit là d’une attente desjeunes générations. Un nouvel ordredes choses est en gestation. Lescontours du vivre ensemble post-moderne s’érigent sous nos yeux,sachons le voir sans a priori, sanslunettes déformantes.

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Rien ne sert de pleurer un mondequi disparaît, il n’y a ni à en pleurer,ni à en rire, il s’agit tout simplementde voir et de comprendre.

Minus, lapsus, mordicus

HHHII

Henriette Walter R Laffont, 300 p., 22 €.

L’auteur nous invite à nous lancerdans une passionnante odyssée éty-mologique en mêlant érudition, jeuxet humour, et nous prouve que lelatin est une langue encore bien vi-vante.

C’est tout naturellement que nousemployons tous les jours et sans ypenser des mots comme lavabo,agenda, quiproquo ou constat, quiont l’air tellement français, mais quisont en réalité du latin, au mêmetitre que consensus, olibrius, placebo,a priori, vice versa, minus, lapsusou référendum… Mais que dire demotus et de rasibus ? Ne serait-cepas plutôt du « latin de cuisine», cepseudo-latin inventé par des éruditsfacétieux, toujours prêts à jouer avecles mots ?

La réponse à cette question et àbeaucoup d’autres interrogations surle paradoxe de cette langue jugéemorte, vous la trouverez dans cetouvrage ludique et surprenant sur lapersistance du latin dans le monded’aujourd’hui.

En passant allègrement du latinde l’Église à celui des tribunaux, dulatin des naturalistes à celui d’Astérix,l’auteur propose un nouveau regardsur ce latin encore bien vivant dansles usages du XXIe siècle, une languepleine de ressources, que l’on s’esttrop vite empressé d’enterrer.

Orient Occident

HHHII

Collectif Le Cerf, 590 p., 49 €.

Martin Bodmer (1899-1971), avaitun projet fou: réunir les témoignagesécrits les plus significatifs de l’histoirepolitique, religieuse et artistique del’humanité pour donner à voir, par-delà les siècles et les cultures, « lechemin de l’homme vers lui-même».

Parmi les 160000 pièces patiem-ment réunies par Martin Bodmer,les auteurs du présent livre ont sé-lectionné une centaine d’objets in-estimables pour évoquer vingt-cinqsiècles d’histoire spirituelle et reli-gieuse. Du «Livre des morts des an-ciens Égyptiens» à la Controversede Valladolid (1552), du plus ancienÉvangile entier connu (II° siècle) auCoran de Soliman le Magnifique(XVI° siècle), 72 spécialistes comptantparmi les plus reconnus du mondefrancophone livrent leurs visionsd’un texte ou d’un phénomène spi-rituel majeur, des origines à la Re-

naissance, regroupées en 4 parties :antiquité, judaïsme, christianisme,islam.

Chaque texte est précédé d’unephotographie de l’objet (papyrus,manuscrit ou imprimé) et d’une pho-tographie d’un lieu significatif. Desrives de l’Euphrate à celles du Gua-dalquivir, une perspective inédites’ouvre sur notre histoire commune.Par-delà les conflits passés et présents,«Orient-Occident» se veut une ré-flexion constructive sur nos racinescommunes visant à une meilleurecompréhension de ce qui nous unitet nous sépare.

Ménageant de vastes espaces deréflexion aux chercheurs et aux di-gnitaires religieux, l’ouvrage se veutune contribution importante au dia-logue des cultures que Martin Bod-mer appelait de ses vœux, et unemise en valeur inédite d’un patri-moine unique au monde. Les textesenvisagent les phénomènes en jeudans un langage accessible à unlarge public, mais les considèrentdans toute leur richesse et leur com-plexité. Les photographies, toutesinédites, prises pour la plupart à lachambre grand format, donnent vieà un projet singulier : les pierres, leslivres et les hommes entrent en ré-sonance dans un dialogue vivantentre le présent et l’histoire.

Ces œuvres ouvrent une pers-pective originale sur les relationsentre les cultures juives, chrétienneset musulmanes dans l’espace euro-méditerranéen. Par-delà le donné ré-vélé et les corpus sacrés, inconci-liables, et malgré les conflits inces-sants, les trois cultures ont partagéles héritages philosophiques gréco-latins, qu’ils se sont transmis et dont

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ils ont poursuivi le développementdans le cadre théologique qui leurétait propre. Cette communauté d’hé-ritage impliquait une communautéde références textuelles, de concepts,et de finalité : produire un discoursthéologique rationnel. Une démarchesouvent combattue au sein de cha-cune de nos traditions, mais à la-quelle chacune souscrivit à des de-grés divers et selon des modalitésqui lui étaient propres. La Translatiostudiorum et la rationalisation dudonné révélé devinrent très tôt dansl’histoire de chacune des trois reli-gions, un enjeu majeur ; et par lejeu complexe des transmissions etdes réappropriations, la philosophiegréco-latine a bien été – et demeure –un patrimoine commun, une racinecommune.

Pie XII

HHHII

Pierre Milza Fayard, 470 p., 24 €.

C’est en 1963 que la pièce del’Allemand Rolf Hochhuth, Le Vicaire,a incriminé Pie XII d’être resté indif-férent, pendant la guerre, au sorttragique subi par les juifs d’Europe.Depuis cinquante ans, ce procès ré-trospectif, repris en 2002 par Amen,le film de Costa-Gavras, se nourrittoujours des mêmes arguments, sansque des éléments nouveaux, histo-

riquement établis, viennent étayerle réquisitoire. Du côté de l’accusa-tion, donc, rien de neuf. Du côté dela défense, en revanche, le dossiers’étoffe. Chaque année des docu-ments sortent, des témoignages ap-paraissent et des livres sont publiésqui, sans verser forcément dans l’ha-giographie, s’inscrivent en faux contrel’idée que le pape de la SecondeGuerre mondiale aurait failli à samission.

Pie XII déchaîne donc les pas-sions. Il est accusé d’avoir laissé ac-complir la Shoah sans intervenir,d’avoir été un anticommuniste vis-céral et d’avoir couvert la fuite descriminels nazis. C’est que le mêmepersonnage a couvert le sauvetagede juifs pourchassés à l’heure dugénocide, a choisi de rester à Romequand la ville était menacée par lesbombardements pour partager le sortde ses fidèles et a replacé le Vaticanau cœur de la vie internationale.

Biographe de Mussolini et deGaribaldi, Pierre Milza n’est pasfamilier de l’histoire de l’Église.Mais d’être un spécialiste de l’Italiel’a mené au cas Pie XII. C’est pour-quoi il publie une biographie decelui qui fut typiquement un paperomain. Le livre a donc pour mérited’exposer tout le parcours d’EugenioPacelli, de l’enfance heureuse (PieXII était né en 1876) à la mort dansd’atroces souffrances en 1958. L’au-teur met en lumière l’attachementdu prélat à la Ville éternelle, sesgoûts d’ascète, son mysticisme. Ilmontre encore que Pie XII, diplo-mate de formation, est resté toutesa vie un diplomate, et que saconduite pendant la guerre doitêtre jaugée à cette aune. Sur le

sujet qui fait polémique, on auraitaimé que l’auteur fût plus incisif,dès lors que les faits sont là. Faceau drame, Pie XII a peu parlé, maisil a agi. Un renfort dans une balanceque le discours médiatique désé-quilibre systématiquement. Cettebiographie retrace l’étonnante tra-jectoire spirituelle et géopolitique.

La polis parallèle

HHHHI

Vaclav Benda DDB, 2620 p., 18,50 €.

En Tchécoslovaquie en 1976,des individus venus d'horizons dif-férents se réunissent pour protestercontre l'attitude répressive du gou-vernement communiste de GustávHusák contre le groupe rock un-derground The Plastic People ofthe Universe.

Ils rappellent publiquement augouvernement son engagementconcernant le respect des Droits del'homme signé en 1975 à la Confé-rence d'Helsinki. En décembre1976, une pétition intitulée « Charte77 », commence à circuler et à êtresignée par des personnalités dumonde des arts, des citoyenslambda, des professeurs d'univer-sité…, qui exige du gouvernementde respecter ses engagements pu-bliés au Journal Officiel. Les au-teurs et premiers signataires de laCharte 77 sont l'auteur dramatiqueet futur président Václav Havel, lephilosophe Jan Patočka, ZdeněkMlynář, le diplomate et ancien mi-

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nistre des affaires étrangères JiříHájek et l'écrivain Pavel Kohout. LaCharte 77 réunit 242 signataires aumoment où la répression à leur en-contre commence. Elle continuenéanmoins de circuler. Le nombredes signataires est en soi négli-geable, cependant la Charte 77 estconsidérée comme un moment clédans le mouvement de résistanceau régime communiste totalitairealors que la « normalisation » batson plein après le Printemps dePrague de 1968.

À l'inverse de Solidarność quinait trois ans plus tard en Pologneet qui devient un mouvement demasse sur une base syndicale etchrétienne, la Charte 77 reste limi-tée aux cercles intellectuels tché-coslovaques mais elle n'en a pasmoins, tout comme Solidarność,contribué de façon directe, à lachute du communisme en 1989.

Recueil d'essais écrits et diffu-sés clandestinement entre 1978 et1989, ce volume présente l'idéeclef d'une des figures charisma-tiques de la dissidence tchécoslo-vaque des années 1970 et 1980,le penseur catholique conserva-teur Václav Benda. La « cité paral-lèle », dont il prône ici la mise enplace, renonce à « réformer » cequi ne peut pas l'être, pour édifierplutôt, en marge des institutionsofficielles, une autre vie politique,destinée à suppléer aux carencesde l'État et à permettre à la sociétéde se reconstruire. Il s'agit de re-penser, à travers la praxisconcrète de tous les jours dans lesdomaines de l'enseignement, dela culture, de la justice, de l'écono-mie, etc., des structures qui repré-sentent la manifestation la plusarticulée de la «  vie dans la vé-rité », familière aux lecteurs de Vá-clav Havel et de Jan Patocka.Édifier la cité parallèle n'est pas unrêve propre à quelques illuminésqui rechercheraient leur confortpersonnel. Il s'agit, au contraire,du redressement de la res publica

qui est pour l’auteur le devoir detout homme, devoir que le lecteurcontemporain trouvera d'une sur-prenante actualité. Un livre inté-ressant et utile par les questions etles réponses apportées quant à laréflexion sur l’avenir de la Manifpour tous.

Noël était venusans rien dire à personne

HHHHI

Roger Bichelberger Albin Michel, 250 p., 18 €.

Mineur, menuisier, maçon oupaysan, la plupart des personnagesde ces nouvelles vivent dans cetteLorraine traversée par les guerres,tantôt française, tantôt allemande.Mis à l’épreuve par la vie et parl’Histoire, ils ont pourtant gardé leurinnocence.

Dans ces cinq nouvelles, l’écri-vain revient à ce qui est le terreaude son œuvre, cette Lorraine ouvrièreet paysanne, traversée par les guerreset toujours renaissante. Un jeunemineur descend à la mine, commeson père avant lui, sans se douterqu’il n’en remontera pas. Un vieuxmineur fête Noël seul devant laphoto de sa femme et de ses troisenfants : les deux garçons sont morts,l’un, enrôlé par les Allemands comme«Malgré nous», en 1944, l’autre ducôté des Aurès, et la fille vit enItalie. Au XVIIe siècle, un frère convers

menuisier de son état sculpte lessantons de la crèche après l’incendiede son abbaye par les Suédois.«L’homme qui parlait aux tourne-sols», figure de l’Innocent que l’onretrouve dans de nombreux romansde l’auteur. «Le secret du Ligori»,l’histoire à forte connotation auto-biographique d’un homme dont lepère était maçon et dont, plus jeune,il avait honte.

Comme dans ses précédents ou-vrages l’auteur déploie un mondequi lui est propre, réaliste mais aussiintérieur, où l’amour, la foi et la viesimple exorcisent les drames del’existence.

Promesse, fous rireset feux de veillées

HHHII

Virginie Aladjidi Mame, 100 p., 15 €.

Un beau livre, complet, avec despages de documentaires et de tech-niques (plantes, animaux, techniquesde camping, chants et jeux), ainsique des pages à personnaliser. C’estun très bon complément, très bienillustré, au livret officiel de progres-sion des louveteaux ou louvettes.Ce livre a été pensé par une équiped’anciens scouts (auteurs, illustrateurs,éditeurs). Un cadeau idéal pour unanniversaire, ou une promesse lou-veteau.

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