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Notes du mont Royal Cette œuvre est hébergée sur « No- tes du mont Royal » dans le cadre d’un exposé gratuit sur la littérature. SOURCE DES IMAGES Google Livres www.notesdumontroyal.com

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Notes du mont Royal

Cette œuvre est hébergée sur « No­tes du mont Royal » dans le cadre d’un

exposé gratuit sur la littérature.SOURCE DES IMAGES

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OEUVRES COMPLETES

D’HOMERE.

TOME IV.

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OEUVRES COMPLETES.

D’H O M E R E,

TRADUCTION NOUVELLE,

DÉDIÉE AU ROI;

Avec des notes littérales, historiques et géographiques;

suivies des imitations des poètes anciens et modernes.

PAR M. GIN,CONSEILLER AU GRANDvCONSEIL.

TOME QUATRIEME.

A PARIS,DE L’IMPRIMEBIE DE DIDOT L’AÎNÉ.

M. DCC. LXXXVIII.

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L’I L I A D E.

CHANT XIX.

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ARGUMENT.T H ÉT x s apporte à Achille les armes forgées par Vulcain. Le fils de

Pélée assemble les Grecs, et met un terme à son courroux. Il accepte

les dons d’Agamemnon : mais il ne peut être persuadé de prendre de

la nourriture , qu’il n’ait tiré vengeance de la mort de Patrocle. Il

s’arme , et guide l’armée au combat. Xanthus , l’un de ses coursiers ,

lui prédit la mort qui le menace. Achille n’en est pas effrayé.

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a. p..

f

,L’I L 1’ A DE

CHANT XIX..Aclzille appaise son courroux, et se prépare à secourir

les Grecs. i

.L L’AUEORE au voile pourpré, s’élevant des pro-

fondeurs de l’océan , apportoitla lumiere aux dieux

etaux hommes , quand Thétis arriva aux vaisseauxdes Grecs , chargée des superbes présents de Vul-

’ ’cain. La déesse voit Achille , ce fils si cher à son

cœur, étendu sur le corps de Patrocle, versantdes larmes ameres; ses nombreux compagnons

. pleurent autour de lui. Thétis s’approche, colleses levrès sur les ’mains de son fils, et lui parleamsr:

Ta douleur est juste, ô mon fils : je la partageavec toi. Patrocle est tombé sous leshcoups d’un

dieu; il a subi sa destinée. Songeons à le venger.Reçois les belles armes que je t’apporte, ouvragede Vulcain; aucun mortel n’en vêtit de semblables.

Ainsi parlé la déesse , et elle place les armes de.

vaut Achille : le bruit des métaux retentit au loin ;

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8 L’ILIADE,’les Thessaliens tremblent ; leurs yeux éblouisne peuvent soutenir l’éclat de la brillante armuredu fils de Pélée; ils reculent effrayés. Le désir de

la vengeance augmente dans l’ame d’Achille; ses

yeux brillent comme des lampes ardentes , sous sesnoirs sourcils; la joie a accès dans son ame , à la vuede l’armure que Vulcain a forgée pour lui; le fils

de Pélée la manie, la considere avec admiration.Adressant la parole à sa mere z

Ma mere, lui dit-il , un dieu m’a donné ces armes;

aucun homme n’en eût forgé de semblables , car

les ouvrages des hommes ne peuvent’être compa-rés à ceux des immortels : je me hâte de vêtir cette

éclatante armure. Mais un autre soin m’agite etm’inquiete ; je crains que , pendant mon absence ,les mouches ne s’introduisent dans les blessuresde Patrocle , qu’elles n’engendrent des vers, quele long temps qui s’est écoulé depuis que l’airain a

frappé mon fidele compagnon , ne livre ses chairsà une indigne flétrissure, qui sbuille sa dépouille

mortelle.Ô mon fils , lui répond Thétis , que ce soin ne

porte pas le trouble dans ton ame : j’écarterai lesprofanes essaims qui s’attachent aux restes deshéros tombés sous les coups de l’homicide Mars.

Patrocle dût-il demeurer dans’ta tente pendant un

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CHANT x1x. 9an entier , je rendrois sa chair incorruptible , tu laretrouverois plus pure qu’elle n’étoit. Empresse-

toi, ô mon fils , d’assembler les enfants de la Grece ,

de leur annoncer que la haine que tu portois à Aga-memnon , le pasteur des peuples , est appaisée;revêts les armes immortelles que je t’apporte; rap-

pelle ta force premiere.Ainsi parle la fille du vieux Nérée , et elle souffle

dans l’ame d’Achille un intrépide courage. Em-

plissant les narines de Patrocle d’un mélange de

nectar rouge et d’ambrosie, elle rend sa chair in-corruptible. Achille, marchant à grands pas sur lerivage de la mer, appelle à haute voix les héros dela Grece. A la vue du fils de Pélée , qui, absent des

combats depuis long-temps , se réveille de ce long- sommeil, les pilotes, ceux qui tiennent dans leursmains le gouvernail des navires,les intendants des

- vivres, tous ceux à qui d’antiques usages donnentle droit de siéger dans le conseil de la nation , ac-

; courent en foule. Deux serviteurs de Mars arriventen boitant, s’appuyant sur leurs javelots , le fils deTydée et le divin Ulysse; car la blessure qu’ils ont

reçue n’est point encore guérie : assis au premier

rang , ils occupent une place distinguée dans leconseil. Le roi des hommes , Agamemnon , arrivele dernier; car il ressent des douleurs cruelles de

4» 2

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1. L’ILIADE,la blessure que lui fit la pointe aiguë du javelot deCoon, fils d’Anténor. Quand tous les Grecs sontréunis , le léger Achille se levez adressant la parole

à Agamemnon :Fils d’Atrée, lui dit-il, il eûtété plus avantageux

pour toi et pour moi, que, le jour auquel j’enlevaiBriséis dans le sac de la ville de Lyrnesse , Artémise

eût percé de ses fleches cette belle captive , objetdes haines qui nous divisent depuis silong-temps,qui coû terent la vie à tant de héros , lorsque je con-

servois un courroux utile à Hector et aux Troyens,dont les enfants de la Grece garderont un longsouvenir. Mais oublions le passé , quelque doulou-reux qu’il soit à nos cœurs; une impérieuse né-

cessité nous y contraint. Je mets un terme à mahaine ; elle ne devoit pas être éternelle. Ordonneaux Grecs de prendre les armes, de se préparer aucombat; éprouvons si, me voyant marcher con-tre eux, les Troyens demeureront nuit et jour sousla pouppe de nos navires. Nous verrons bientôtleurs genoux fléchir; heureux celui qui échappera

par la fuite aux coups de mon javelot!Il dit; l’aine des Grecs est réjouie , apprenant

que l’invincible fils de Pélée a mis un terme à son

courroux. Le roi des hommes, Agamemnon, leuradresse la parole, sans quitter le trône sur lequel il

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CHANT XIX. ’ 11est assis; car la blessure qu’il a reçue ne lui permetpas de se tenir debout, au milieu de l’assemblée.

Héros de la Grece, serviteurs de Mars , si chers àmon cœur, dit-il, faites cesser ce tumulte; l’homme

le plus éloquent auroit peine à se faire entendreparmi les éclats de cette joie bruyante. Prêtez-moiune oreille attentive. C’est au fils de Pélée quej’adresse la parole : mais je vous prends tous à té-

moins, enfants de la Grece; car chacun de vousconnoît la vérité de ce que je vais dire. Plusieurs

fois vous me fîtes de durs reproches; plusieurs foisvous vous élevâtes contre moi, m’accusant d’être le

premier auteur de vos maux. Je n’en fus pas la cause

premiere ; mais Jupiter, mais le Destin, et la plusterrible des Furies , l’Injure, qui eut accès dansmon ame , le jour de cette fatale assemblée , source

de nos cruelles divisions , après laquelle je ravis la’ captive que les Grecs avoient donnée à Achille,

juste récompense de ses travaux. Pouvois-je résis-ter à la fille aînée de Jupiter , à la dé tes table Inj ure,

qui blesse tous les hommes PSes pieds ne touchentpas à terre , elle marche sur les têtes des mortels ,frappe de tous côtés , choisit au moins une victimeentre ceux qu’elle entraîne dans ses filets. Elle osa

attenter sur Jupiter même , le pere des dieux etdes hommes. Son épouse, Junon, le fit tomber

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12 L’ILIADE,’dans le piégé qu’elle lui avoit tendu, quand Alc-

mene mit au monde, dans la puissante ville deThebes, le grand Hercule. Fier d’annoncer auximmortels les hautes destinées de son fils , Jupiterleur parle ainsi me Dieux et déesses, écoutez ce(ç que mon esprit me suggere de vousdire. Aujour-(c d’hui llithye , qui préside aux accouchements,

cc montrera à la terre un enfant de ma race, né(c de mon sang; il régnera sur tous ses voisins. a)-(c Non, tu n’accompliras pas une telle. promesse,(c lui répond Junon méditant ses ruses. Dieu de(c l’Olympe, jure , par ce serment qui ne trompea jamais, que le premier enfant de ta race, né de(c ton sang , qui naîtra en ce jour , régnera sur tous

(c ses voisins a). Elle dit. Jupiter, ne prévoyant pas

le piege qui lui est tendu , prononce le redoutableserment. Il en fut la premiere victime. S’élançant

du sommet de l’Olympe ,Junon arrive dans Argos ,yla ville des Achéens. Instruite- que la généreuseépouse de Sthénélus , fils de Persée , est enceinte

de sept mois, elle hâte ses couches , suspend cellesd’Alcmene, appaise ses douleurs, repousse les Ili-thyes, et remonte sur l’Olympe, pour annoncercctévénement au fils de Saturne : cc toi qui lances(c la foudre, lui dit-elle , accomplis ta promesse: un(c enfant est né, Eurysthée, fils de Sthénélus qui

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CHANT XIX.’ 13cc eut Persée pour pere : il estde ton sang; il ré-ac gnera dans Argos a). Elle dit : le cœur de Jupiterest brisé par la douleur. Saisissant l’implacable Fa.

rie par la vaste chevelure qui couvre sa tête altiere,il prononce l’irrévocable serment , que jamais la

cruelle Injure, qui blesse et les hommes et lesdieux, ne rentrera dans le céleste palais, qu’ellen’habitera plus sur l’Olympe. Il dit, et la précipite

sur la terre , où elle infecte de son souffle impur lesactions des hommes. Jupiter en gémit le premier,voyant Hercule, ce fils cher à son cœur, soumisà Eurysthée , qui l’épuisa par d’indignes travaux.

Ainsi , lorsque le grand Hector donnoit la mort àtant de héros sous les pouppes de nos navires, jerappellois dans mon esprit le triste souvenir de lafaute où m’entraîna l’implacable Furie que je re- t

cueillis dans mon sein. Elle fut grande; Jupiterégara ma raison : mais je réparerai mes torts; je rad

cheterai mon crime par une immense rançon.Marche au combat, ô Achille : que ton exempleenflamme le courage des Grecs; je te donneraitout ce qu’Ulysse te promit hier par mes ordres. Situ doutes de l’exécution de mes prOmesses, susa

pends ton ardeur martiale; attends que mes es-claves portent dans ta tente ces dons , que tu lesvoies de tes yeux.

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14 L’I L I A D E,Fils d’Atrée, roi des hommes, Agamemnon , lui

répond Achille , ces dons sont une juste satis-faction que tu me dois , et toutefois il est en tonpouvoir de les retenir. Ne songeons en ce momentqu’à combatre; ménageons un temps précieux : le

grand ouvrage que j’entreprends n’est pas même

commencé. Le fils de Priam verra Achille , à latête des Grecs , disperser les phalanges troyennessous les coups de son javelot; que chacun de vouscombatte avec la même ardeur l’ennemi qui lui

sera opposé. ’Le prudent Ulysse , prenant la parole : DivinAchille , lui dit-il, quelle que soit ton impatience ,ne contrains pas les enfants de la Grece de marcherà l’ennemi en ce moment. Je prévois un combat

long et sanglant, lorsque les phalanges seront con-fondues, qu’un dieu soufflera dans tous les cœurs

la fureur du carnage. Ordonne aux enfants de laGrece de se retirer dans leurs tentes, de réparer ,par les dons de Cérèset de Bacchus , leurs forcesabattues; la force de l’homme en est plus grande,son courage plus intrépide. Quelle que soit la cons-tance du héros , quelque ardeur qui l’enflamme, il

n’est pas au pouvoir des mortels de combattre àjeun depuis le lever de l’aurore jusqu’au coucher

du soleil; la faim, la soif, les épuisent, appesan-z

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CHANT XIX. 15tissent leurs membres, font fléchir leurs genoux:la nourriture rétablit le ressort, le vin soutientle Courage; échauffé par les dons de Bacchus, seconfiant en lui-même, le héros tient ferme , et ’n’éprouve la fatigue d’une pénible journée que

lorsqu’il a rompu et mis en fuite les phalanges en-

nemies. Que les Grecs rentrent dans leurs tentes,qu’ils préparent le repas du matin, tandis que le

roi des hommes, Agamemnon, fera apporter, à lavue de tous , les présents qu’il te destine, qu’ils por-I

teront la joie dans ton ame. Debout, à la face desGrecs , Agamemnon attestera , avec serment, quejamais il n’abusa de sa puissance pour contraindreta captive de consentir à ses, désirs , que jamais lafille de Brisès ne fut reçue dans son lit. Appaise toncourroux, ô Achille. Fils d’Atrée , que ton orgueil

fléchisse; invite Achille à un festin solemnel dansta tente; qu’aucune trace des dissensions passées

ne subsiste entre vous. Sois plus juste une autrefois, ô Agamemnon : la puissance royale fléchitsans honte devant celui dont elle a provoqué le

courroux. qFils de Laërte, répond le roi des hommes , Agao

memnon, ta franchise me plaît; tes conseils sontsages. Ce que tu as dit, je le confirmerai par la re-ligion du serment; je prendrai Jupiter à témoin ,

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16 L’ILIADE,et ne serai point parjure. Qu’Achille modere son

ardeur impatiente de combattre z attendez tousdans ma tente l’arrivée des présents; soyez témoins

de la paix cimentée entre nous par le sang des vic-times. Exécute mes ordres , ô Ulysse ; ordonne àl’élite de notre jeunesse d’aller promptement à

mon vaisseau, d’amener les femmes captives , d’ap-

porter ici les dons que nous promîmes hier au filsde Pélée z que Talthybius invite l’armée à un fes-

tin solemnel; qu’ un porc engraissé soit immolé par

mes mains à Jupiter et au Soleil.Illustre fils d’Atrée, roi des hommes, Agamem.

non, répond le divin fils de Pélée, remets à d’au-

tres temps, et tes dons, et ces sacrifices; attendsque je sois vengé , que ma douleur ait reçu quel-v

que soulagement. Ceux qu’Hector immola à safureur, privés de sépulture, sont maintenant éten-

dus sur la p0ussiere; le fils de Priam s’enorgueillitde notre défaite; Jupiter lui donna la victoire z etvous me proposez de goûter les douceurs du festin!Que ni la fatigue ni les besoins de la nature ne nousarrêtent; marchons à jeun au combat: vainqueurs,au soleil couchant, ayant lavé notre honte dans lesang de l’ennemi, nous réparerons nos forces abat,

tues. Patrocle est mort percé de l’airain étincelant;

il est étendu à l’entrée de ma tente : mes COIÏIPa:

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CHANT XIX. 17gnons pleurent autour de son lit funebre. Je neboirai ni ne mangerai qu’il ne soit vengé. Le meur-

tre, le sang, les longs gémissements, sontles objetsdont mon ame est occupée; aucun autre soin ne

peut m’en distraire. .Ô Achille fils de Pélée, le plus redoutable desGrecs, répond Ulysse, tu l’emportes ’sur moi dans

les combats; ta force est supérieure à la mienne:mais la prudence est mon partage;l’âge m’a donné

sur toi l’avantage d’une longue expérience; suis

mes conseils. Les hommes les plus intrépides sontbientôt rassasiés de sang et de carnage. Quand Ju-piter, l’arbitre des combats, incline la fatale ba?lance, ils tombent comme les épis au temps de lamoisson; à peine quelques tiges éparses échappent

à la faux du moissonneur. Ce n’est point par desjeûnes que l’aHliction des enfants de la Grece doit

se manifester: grand nombre de nos compagnonstombent tous les jours sous les traits de l’ennemi.S’il en étoit ainsi, qui pourroit obtenir quelquesoulagement à ses travaux? Pleurons Patrocle pen-dant un jour entier; rendons-lui les honneurs fu-nebres z mais ne nous laissons pas abattre par ladouleur. Que tous ceux qui ont survécu à cetteguerre affreuse, réparent maintenant par la nour-riture leurs forces abattues, et combattent ensuite

4. 3

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18 L’ILIADE,’sans relâche, couverts de l’airain étincelant; que

tous prennent les armes, sans attendre de nou«veaux ordres; que la honte soit le partage du lâchequi restera dans sa tente; que nos phalanges ser-rrées accablent les Troyens : renouvellons un san«glant combat.

Il dit, et choisit d’illustres compagnons, les deuxfils de Nestor, Mégès fils de Phylée, Thoas, Mé--

rion, Lycomede fils de Créon, et Mélanippe, etmarche avec eux vers la tente du fils d’Atrée ;.Ulysse ordonne, et est obéi. On apporte les pré-sents que le roi des rois promit au fils de Pélée:sept trépieds, vingtvases d’airain , douze coursiers ,.

sept captives d’une grande beauté , instruites danstous les arts de leur sexe : Briséis les suit, et l’em-

porte sur toutes en graces, en majesté. Ulysse pré-cede les députés; une balance est dans ses mains :2

il pese à la vue de tous les dix talents d’or. Dejeunes héros l’accompagnent, portantles présents;

ils les déposent au milieu de l’assemblée. Aga-

memnon se leve : Talthybius, dont la voix sonoreégale celle des immortels , amene au pasteur despeuples un porc engraissé; le fils d’Atrée saisit un

glaive pur, qu’il porte suspendu à son baudrierprès de son épée, détache des poils de la tête de

la victime; élevant les mains et les yeux au ciel, il

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CHANT XIX. .9invoque le dieu qui lance le tonnerre, et lui con-sacre ces prémices; les Grecs attentifs l’écoutent

en silence. Jupiter, dit-il, le plus grand, le meil-leur des immortels, et vous, Terre, Soleil, divi-nités infernales, Furies vengeresses des parjures,je vous prends à témoins que jamais je ne portaiune main téméraire sur la fille de Brisès, pour la

contraindre de céder à mes désirs, que jamais jene lui fis injure, qu’elle fut honorée dans ma tentecomme l’épouse d’un héros. Que tous les maux .

dont les dieux punissent les parjures, fondent surma tête, si mes paroles ne sont conformes à lavérité!

Il dit; et enfonçant le couteau sacré dans leflanc de la victime, il la livre à Talthybius, qui lajette dans les profonds abymes de la mer pour êtrela pâture des poissons. Achille se leve : adressant

la parole aux Grecs : *ÔJupiter , dit-il , de quels fléaux tu accables lesmortels l jamais le fils d’Atrée n’eût excité ma ven-

geance , jamais il ne m’eût ravi ma captive , si teséternels décrets n’eussent résolu la mort d’un

grand nombre de Grecs. Goûtez maintenant lesdouceurs du festin ; livrons-nous ensuite aux fu-reurs de Mars.

Il dit, et rompt l’assemblée: les Grecs se dis-

persent. Les Thessaliensltransportent les magnie

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20 L’ILIADE;fiques présents dans le vaisseau et la tente du filsde Pélée z les belles captives sont conduites pareux dans le logement qui leur est destiné; les es-claves renferment les coursiers dans les vastes écu«ries d’Achille. A la vue du corps de Patrocle , quel’airain homicide a précipité dans le tombeau , lafille de Brisès , dont la beauté égale celle de Vénus,

embrasse cette chére dépouille , pousse des crisperçants, flétrit ses appas, meurtritses joues , etson sein d’albâtre : versant des larmes ameres , elles’écrie :

Chef d’un grand peuple , Patrocle , si cher à mon

cœur , je te laissai vivant quand je sortis de cettetente, et je te trouve, à mon retour, étendu sur celit funebre! Que je suis malheureuse l les mauxs’enchaînent l’un l’autre sur ma tête. Mon pere,

ma respectable mere , me donnerent à un hommecourageux ; je le vis percé par le javelot homicide,sous les murs de ma patrie. J’eus trois fieres : unmême sein nous conçut; liés l’un à l’autre par les

nœuds de l’amitié la plus tendre , tous sont morts

le même jour qui vit tomber mon époux sous lescoups de l’invincible fils de Pélée , lorsqu’il dé-

vasta la grande cité du divin Mynétès. Toi seul,

ô Patrocle , par ton inexprimable douceur suscalmer mes ennuis : tu me fis entrevoir l’espérancede devenir l’épouse d’Achille, d’être conduite par

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CHANT XIX. 21lui dans Phthie , sa terre natale, où mes nocesseroient célébrées aux yeux de l’assemblée nom-

breuse des Thessaliens. Tels furent tes bienfaits ,telles furent tes promesses : elles sont évanouiesavec ta vie; il ne me reste qu’un deuil affreux.

Elle parle ainsi, versant des larmes ameres. Lesautres captives confondent leurs sanglots avec lessiens; elles feignent de pleurer Patrocle : maiselles s’affligent de leurs propres infortunes. Cepen-

dant les chefs de la nation environnent le fils dePélée , ils l’invitent à prendre quelque nourriture.

Tout entier à sa douleur , Achille les refuse avecpersévérance.

Cessez, leur dit-il , cessez, ô mes chers compa-gnons , de me fatiguer par d’inutiles instances.Quelque besoin que j’aie de réparer mes forces af-

faissées sous le poids de la douleur , je supporteraiavec constance la faim et la soif jusqu’au coucherdu soleil.

Il dit : les rois se retirent en silence. Les deuxfils d’Atrée , le divin Ulysse , Nestor, Idoménée ,

le vieux Phénix , demeurent seuls dans la tented’Achille , font effort pour calmer sa tristesse pro-Q

fonde : il rejette toute consolation, ne respire quemeurtres et combats. Au seul nom de Patrocle ,’de longs sanglots s’exhalent de son cœur accablé :

’ Ô mon infortuné compagnon, dit-il, avec quel

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22 L’ILIADE,soin , avec quelle activité tu pourvoyois à tousmes besoins! avec quel zele tu préparois le fes-tin , quand les Grecs se disposoient à livrer aux 1Troyens un sanglant combat! maintenant tu n’esplus. Ma constance sera inébranlable; je ne boisrai ni ne mangerai que tu ne sois vengé. Ni l’af-

freuse nouvelle de la mort de mon pere, que seslarmes consument en l’absence d’un fils, l’objet

de ses plus tendrestaffections, engagé dans cetteguerre, loin de sa patrie , par le crime de l’odieuseHélene, ni la mort de mon fils Néoptoleme, ce’fils

cher à mon cœur, qu’on forme maintenant auxvertus dans Scyros, ne me seroient plus sensibles.Hélas! peut-être il n’est plus , ce fils dont la beauté

égaloit celle des immortels. J’avois espéré , ô Pa-

trocle, que , succombant seul à ma destinée , sousles murs de Troie , loin de la fertile Argos, tu iroisà Scyros avec mes vaisseaux, que tu rameneroismon fils dans Phthie, que tu remettrois en sesmains et mes belles captives, et les immenses tré-sors que j’ai acquis par mes travaux , que tu l’éta«

blirois dans mon palais; car sans doute Pélée estmort, ou succombera dans peu sous le poids desans et de l’affliction qui l’accable , attendant tous

les jours la nouvelle de mon trépas que les dieux

lui ont prédit. ’Tels sont ses cris douloureux, qu’interrompent

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CHANT XIX. 23de profonds soupirs. Des larmes abondantes cou-lent des yeux des héros qui l’environnent : ils rap-

pellent à leurs esprits les objets les plus chers queChacun d’eux laissa dans son palais en partant pour

cette guerre affreuse. Le fils de Saturne voit cedeuil : il en a compassion. Adressant la parole àMinerve :

Ô ma fille, lui dit-il, as-tu oublié un héros que

tu protégeois autrefois? Achille ne te paroit-il plusdigne de tes soins? Assis à la pouppe de son vais-seau, la mort de son fidele compagnon lui fait ver-ser des larmes ameres. Les enfants de la Greceréparent leurs forces abattues , pour se préparerau combat z le seul Achille refuse toute nourriture,toute consolation. Vole à son aide, ô ma fille; versedans son sein le nectar et l’ambrosie; empêcheque la faim ne le consume.

Il dit : docile à des ordres si chers à Son cœur,Minerve parcourt les vastes plaines de l’air avecla rapidité et les sifflements aigus de l’épervier,

dont elle a pris la ressemblance. Cependant lesGrecs s’arment en diligence. Minerve, dans la.crainte que la faim n’épuise les forces d’Achille,

verse dans son sein le nectar et l’ambrosie, et re-monte dans le brillantpalais de son pere. Les Grecsse hâtent de sortir de leurs vaisseaux. Aussi nom-breux que les neiges que l’impétueux Borée pré-

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24 L’ILIADE;cipite sur, la. terre, dont la blanche lumiere s’élevejusqu’à la, voûte éthérée, tels reluisent dans leurs

mains etsur leurs larges épaules leurs casques étin-celants, leurs cuirasses, leurs javelots armés d’ai-«

rain, dont les éclairs percent la nue; la terreré-sonne sous leurs pas. Achille au milieu d’eux revêt

sa brillante armure. La douleur est dans son ame;ses dents claquent; ses yeux brillent comme deslampes ardentes. Il endosse les présents du dieudes arts, les armes divines que,Vulcain forgea pourlui : des agraffes d’argent lient à ses jambes , à ses

cuisses , les brodequins flexibles; il revêt sakbrilnlan te cuirasse, suspend à son épaule sa redoutableépée, prend en main son vaste et épais bouclier,dont l’éclat égale la splendeur de la lune. Sembla-

ble à ces feux qui s’allument aux sommets déserts

des montagnes, qui brillent pendant l’obscuritél de la nuit sur la surface de l’onde écumeuse , éga-

rent le pilote qui s’y confie, etl’entraînent loin de

ses amis, loin de sa terre natale, sur le vaste desmers, le livrant aux fureurs de l’humide élément;

tel reluit le bouclier d’Achille. Un casque pesant,que surmonte un superbe panache de crins de che.val, couvre son front auguste.Les mobiles aigrettesd’or dont le divin artiste orna ce casque, brillentdans l’air comme une comete menaçante. Le filsde Pelée essaie son éclatante armure; il l’agite, la

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CHANT XIX. 25;manie, dans la crainte qu’elle ne retarde ses mou-vements : semblable à des ailes, elle le porte dansles combats. Il tire de l’arche qui le renferme, lelong, le pesant, le formidable javelot que lui donnaPélée, que seul entre tous les Grecs il sait et ma-nier et lancer. Chiron coupa pour Pélée, au som-met ombragé du Pélion , le bois épais dont il forma

cette arme terrible, funeste à tant de héros. Auto-médon et Alcime attellent à son char les immor-tels COursiers : de superbes courroies les unissent;le mors blanchit dans leurs bouches écumantes ;les guides ajustées avec art les dirigent. Automé-don s’élance sur le char, tenant en main un fouetléger, souple, brillant. Couvert de l’armure di-vine, qui brille comme le soleil, le fils de Péléeprend place derriere son fidele écuyer. Adressantla parole aux immortels coursiers que lui donnaPélée son pere :

Xanthus et Balius, leur dit-il, illustres enfantsde Podargé, nous marchons au combat. Quandvotre maître et votre guide se seront rassasiés decarnage , songez à les dérober à la fureur desTroyens. Craignez de les laisser étendus sur l’a-rene, comme vous y avez laissé Patrocle qui a suc-combé sous les coups de l’ennemi.

Le rapide Xanthus, entendant ces paroles , in-

4- 4

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26 L’ILIADE, CHANT XIX.cline sa tête altiere, développe sa vaste crinierequi couvre le joug, et s’étend jusqu’à terre; Junon

lui communique le don de la parole zValeureux fils de Pélée, dit-il, nous sauverons

en ce jour et toi et ton écuyer : mais le glaive de la

mort est suspendu sur ta tête; ne nous imputepoint ton trépas, mais à Jupiter, à l’inexorabledestinée. Ni le courage, ni la légèreté ne nous

manquèrent, quand les Troyens ravirent à Patro-cle ton armure. Le zéphyr, qu’on dit le plus léger

des vents, n’égale pas la rapidité de notre course.

Mais un dieu plus puissant, le fils de Latone , Apol-lon, à la blonde chevelure, perça Patrocle quicombattoit hors des rangs, parmi les héros de laGrece, et en attribua la gloire à Hector. Ainsi undieu et un mortel réunis l’emporteront sur toi. Telest l’ordre du destin.

Il dit, et les Furies étouffent sa voix.Pourquoi me prédire le trépas, ô Xanthus? ré-

pond le fils de Pélée , poussant un profond soupir.Dévoué à la mort, loin de mon pere, loin de mamère, loin de ma terre natale, le Destin a marqué,

dans les plaines de Troie, le terme de ma vie : jele sais; et cependant je ne cesserai, jusqu’à mondernier soupir , de poursuivre les Troyens.

Il dit; et appellant ses compagnons, il marcheau combat.

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L’I L 1 A DE.

CHANT XX.’

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ARGUMENT.J urus a permet aux immortels de se confondre dans la mêlée :

Junon , Minerve , Neptune , Vulcain et Mercure , secourent lesGrecs ; Vénus, Apollon, Diane, Latone, Mars, le Scamandre, pro-tegent les Troyens. Énée entreprend de combattre Achille : Neptunel’enveloppe d’un nuage épais , pour le dérober à la fureur du fils de

Pélée. Apollon protege la fuite d’Hector. Achille poursuit lesTroyens

jusques sous leurs murs.

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L’ILIADE.

CHANT xx.Dispute entre les immortels. Jupiter protege les Grecs;

TANDIS que les Grecs, insatiables de combats,se préparent à marcher sous tes ordres , ô Achille;que d’autre part les Troyens rangent leur arméeen bataille au-dessus d’une éminenCe : assis sur la

cime la plus élevée de l’Olympe au double som-

met, Jupiter ordonne à Thémis d’assembler lesimmortels. Parcourant l’univers d’un vol rapide,

la déesse de la justice ordonne à tous les dieux dese rendre dans le palais du fils de Saturne. Toutesles divinités de la mer, toutes les nymphes desfleuves, des fontaines et des bois, se réunissentdansl’enceinte sacrée. Le seul Océan garde ses retraites

profondes. Parvenus dans le palais éclatantdu dieuqui assemble les nuées, les dieux et les déessesprennent place sous les vastes portiques que Vul-cain construisit suivant le modele qu’il conçutdans sa tête savante; ils emplissent cette enceinteimmense. Docile à la voix de Thémis, Neptunelui-même abandonne ses humides’demeures, pour

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3o L’ILIADE,venir occuper, dans l’assemblée des dieux, le trône

qui lui appartient, au centre du sacré palais. Adres-sant la parole à Jupiter:

Ô toi, dit-il, dont la main puissante est arméede la foudre, qui effraies les mortels par les éclatsde ton tonnerre, quel motif te détermine à convo-quer l’assemblée des dieux? Un sanglant combatest prêtât s’engager entre les Troyens et les Grecs;

as-tu dessein de nous dévoiler tes éternels dé-

crets?Tu prévois mes conseils , ô Neptune , lui ré-

pond Jupiter; tel est le sujet de cette assemblée.Les hommes sontl’obj et de mes plus tendres soins,même lorsqu’ils touchent à leur heure derniere.Assis sur le sommet le plus élevé de l’Olympe , je

demeurerai spectateur du combat. Vous tous,dieux et déesses , descendez sur le champ de ba-taille : que chacun , suivant les mouvements deson cœur, porte secours aux Troyens ou auxGrecs; car le seul Achille , combattant contre lesTroyens, suffiroit pour, dissiper leur armée. Sesseuls regards ont imprimé la terreur dans leursames : je craindrois qu’impatient de venger lamort de son fidele compagnon , il ne détruisît dèsce jour , contre l’ordre du Destin , les murs sacrésd’Ilion.

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CHANT XX. 31Ainsi parle le fils de Saturne , et il semé la dis-

corde parmi les habitants de l’Olympe. Les dieux

se partagent pour marcher au combat. Junon, Mi-nerve , Neptune qui ébranle la terre et l’enveloppe

de ses ondes, le dieu du commerce, l’utile Mer-cure , descendent dans le camp des Grecs. Leboiteux Vulcain les suit de loin ; ses genoux flé-chissent sous le poids de son corps, ses yeux fa-rouches roulent sous ses noirs sourcils. L’homi-Cide Mars, Apollon dont le front brille d’une éter-

nelle jeunesse , la chasseresse Diane , Latone , leXanthe , et Vénus la déesse des jeux. et des ris , sedispersent dans l’armée des Troyens.

Avant que les dieux se confondissent parmi lesmortels, une joie superbe éclatoit dans les yeuxdes enfants de la Grèce; car Achille, long-tempsabsent des combats, s’étoit montré. A la vue du

terrible fils de Pélée couvert de sa brillante ar-mure, semblable à l’homicide Mars, les Troyensfrémissent,leurs membres sont agités: mais quandles habitants de l’Olympe se sont dispersés dansle camp des Grecs et dans l’armée des Troyens,

un terrible combat s’engage. Ce fut le salut desTroyens. Du sommet de la haute muraille , du re-vers du fossé qui la borde , des rives sonores de laplaine liquide, Minerve appelle les Grecs. D’autre

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32 ’ L’ILIADE,part, semblable à l’obscu’re tempête , du haut de

la citadelle d’Ilion , et des rives fleuries du Simoïs,

l’homicide Mars donne ses ordres aux Troyens: la

voix puissante du dieu de la guerre retentit sur lesriants côteaux qui bordent cette vaste plaine. Lesdieux marchent contré les dieux, et soutiennentle courage des leurs. La Discorde, versant ses poi-sons , parcourt d’un vol rapide le champ de ba-taille. Le pere des dieux et des hommes , Jupiter,donne par un coup de tonnerre le signal du car-nage. Neptune frappe la terre de son trident; l’hor-rible secousse s’étend du fond des abymes jus-qu’aux Cimes les plus élevées des montagnes : l’Ida

est ébranlé dans ses fondements ; ses sommetssourcilleux sont agités, ses sources nombreusestroublées; la ville de Troie, la vaste plaine que

’ cOuvrent les vaisseaux des Grecs, tremblent. Leroi des ombres effrayé s’élance de son trône, jette

un cri perçant: il craint que la terre n’écroule sous

les coups du dieu de la mer, que l’abyme entr’ou-

vert ne découvre aux’dieux et aux hommes cesvastes et lugubres demeures que redoutent les im-mortels eux-mêmes; tant est grand le fracas, signalde ce combat! Armé de ses fleches invincibles ,Apollon marche contre Neptune, Minerve contreMars, Junon contre la chasseresse Artémise, sœur

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CHANT xx a,du dieu qui lance au loin ses inévitablesrtraits ,l’utile Mercure contre Latone; le fleuve profondque les dieux nomment le Xanthe, les mortels leScamandre , est aux prises avec le boiteuxVulcain.Les dieux provoquent les dieux au combat : maisAchille Cherche Hector dans la foule des Troyens;c’est du sang d’Hector qu’il brûle de rassasier l’ho-

micide Mars. Apollon, le sauveur des peuples ,suscite contre l’intrépide fils de Pélée le courage

moins impétueux du fils d’Anchise. Ayant pris la

ressemblance et la voix de Lycaon fils de Priam , iladresse la parole à Énée:

Conseil des Troyens, sage Énée, lui dit-il, que

sont devenues ces promesses que tu fis, au milieudes festins sacrés , à Priam et à ses fils, de combat-tre seul le fils de Pélée?

Lycaon , répond Énée, pourquoi me contrain-

dre à provoquer au combat l’invincible Achille?Commis àqla garde de nos bœufs qui paissoient surl’Ida, ce héros fondit sur mes troupeaux. J’osai

marcher contre lui; une fuite précipitée put àpeine

me dérober à ses coups. Achille me chassa del’Ida, s’empara de mes bœufs, dévasta Lyrnesse et

Pédasus.Pour me soustraire à l’impétuosité de son

javelot, Jupiter accrut la souplesse de mes jarrets.Sans le puissant secours du maître des dieux,

4. 5

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5:4 ’L’ILIADE,j’eusse suCcombé sous les coups d’Achille et de.

Minerve , qui marchoit devant lui, qui éclairoitson courage, qui lui ordonnoit de précipiter dansles sombres demeures et Léleges et Troyens. Iln’est pas au pouvoir des mortels de résister à l’in-

vincible Achille. Toujours quelque divinité dé-tourne les coups qu’on essaie de lui porter, etdirige son arme meurtrière. Si Jupiter n’inclinoiten sa faveur ces éternelles balances qui décidentdu sort des mortels, malgré cette armure divinedont il se glorifie, Achille ne remporteroit pas surmoi une facile victoire.

’ Fils d’AnChise et de Vénus, lui répond Apol-

lon, souviens-toi de ton illustre origine. La mered’Achille est fille d’un dieu marin, du vieux Né-

rée : le pur sang du dieu qui lance le tonnerrecoule dans tes veines. Adresse tes vœux aux im-mortels, et lance ton javelot sur le fils de Pélée;que d’impuissantes menaces ne t’effraient point.

Il dit, et souffle l’ardeur du combat dans l’ame

du pasteur des peuples. Couvert de l’airain étince-

lant, Énée sort des rangs, provoque’Achille au

combat. Junon , qui ne perd point de vue le fils dePélée, appelle à grands cris les dieux protecteurs

des enfants de la Grece. . VÔ Neptune, ô Minerve, délibérons sur le parti

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CHANT XX. 35le plus convenable dans les Circonstances présen-tes. Je vois Énée, couvert de l’airain étincelant,

marcher contre Achille. Apollon l’envoie. Forçons

le fils d’Anchise de se confondre dans la fouledes siens; que quelqu’un de nous protégé Achille

dans ce périlleux combat, et accroisse sa vigueur;qu’AChille sache que les plus puissantes divinités

veillent sur ses jours, que de vains fantômes ontfait jusqu’ici et font encore d’inutiles efforts pour

éloigner d’Ilion la guerre et le carnage. N’est-ce

pas pour défendre Achille contre les efforts desTroyens , qu’abandonnant l’Olympe , nous sommes

descendus sur ces rives? Demain il subira le sortque les Parques lui ont filé au moment de sa nais-sance, quand sa mere le mit au monde : mais s’iln’apprenoit, de la bouche même des immortels ,que nous veillons sur ses jours , son courage pourroitêtre ébranlé, lorsque l’une des divinités protec-

trices de Troie viendroit se montrer à lui dans lecombat; car les hommes ont peine à soutenir l’é-

clat de la majesté divine, quand elle se manifesteà leurs yeux dans toute sa splendeur.

Dissipe ces vaines alarmes, ô Junon, répond ledieu qui ébranle la terre : il n’est ni nécessaire, ni

convenable, que nous engagions les dieux protec-teurs de Troie dans un combat trop inégal..Plaeés.

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3-5 L’ IL 1 A D E,sur un lieu élevé , près de la route battue, laissons

les hommes vuider leurs querelles : si Mars ouApollon nous provoquent, s’ils s’opposent à l’im-

pétuosité du fils de Pélée, s’ils détournent les

coups de son javelot, nous combattrons pour lui;nous contraindrons les divinités protectrices desTroyens de remonter sur l’Olympe , de se confon-dre dans la foule des autres immortels.

Ainsi parle Neptune à la verte chevelure , et ilconduit Junon sur le tertre d’Hercule, ce tertreque les Troyens éleverent par le conseil de Mi-nerve, pour soustraire le fils de Jupiter à la fureurdu monstre marin qui le poursuivoit dans la plaine.Environnés d’une nue impénétrable aux regards

des mortels, Neptune, Junon, et les autres divi-nités protectrices des enfants de la Grece, pren«nent place sur ce rempart. Les dieux protecteursdes Troyens, assis sur les riants côteaux qui bor-dent le Simoïs, tiennent conseil avec Apollon etMars, le destructeur des Cités. Tous évitent des’engager dans un périlleux combat; mais Jupiterl’ordonne du haut des nues.

Cependant la plaine est couverte de guerriers :l’airain brille, la terre tremble sous les pas deshommes et des coursiers. Deux héros, supérieursen force et en courage à tous les autres , Énée fils

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CHANT xx æd’Anchise, et le divin Achille, s’avancent l’un con-

tre l’autre dans l’espace qui sépare les deux armées.

Le panache d’Énée flotte sur son casque pesant;

couvert de son vaste bouclier, agitant son javelot,il menace le fils de Pélée qui marche à sa rencon-

tre , semblable à un lion que provoque un peuplede chasseurs. Le roi des forêts s’avance à paslents,

et semble mépriser l’ennemi : mais à peine un ja-

velot lancé par un bras nerveux l’a-t-il atteint dansle flanc , qu’il s’agite avec d’affreux rugissements;

l’écume découle de ses mâchoires; son œil s’en«

flamme; il bat ses flancs, s’excite au combat, im-

patient de donner la mort ou de tomber sous lescoups de la troupe nombreuse qui l’environne.Telle l’intrépide valeur d’AChille s’enflamme à la

vue du grand Énée qui marche à sa rencontre. Par-

venu à la portée du trait, il adresse le premier laparole au fils d’AnChise :

Ô Énée, lui dit-il , qui t’engage à sortir des rangs

pour m’exciter à combattre contre toi? Esperes-tu ,

si tu me donnes la mort, régner sur les Troyens,occuper le trône de Priam? Ce roi sage, constantdans ses desseins, ne paieroit pas ta victoire d’untel prix; le sceptre appartient à ses enfants. LesTroyens t’ont-ils promis une terre grasse, fertileen bleds, fertile en vins? Un tel succès sera diffi-

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38 L’ILIADE,Cile à obtenir. Qu’il te souvienne que nous mesu-erâmes nos forces dans les vallées de l’Ida, quand tu

veillois à la garde de tes bœufs. Tu ne trouvas desalut que dans la fuite : tremblant, n’osant te re-tourner, tu courus cacher ta honte dans Lyrnesse.Aidé de Minerve et de Jupiter, je dévastai cettegrande Cité, j’emmenai ses femmes captives, les

dieux seuls te dérobèrent à mes coups. Ton anar(lace téméraire se flatte aujourd’hui de la même

protection; tu ne l’obtiendras point. Cesse de pro-voquer ma vengeance; recule , confonds-toi dans lafoule des tiens z celui-là est insensé qui ne saitprévoir le malheur avant qu’il arrive.

Fils de Pélée, lui répond le fils d’AnChise, n’esw

pere pas m’in timider par de vaines menaces, comme

un enfant. Il me seroit facile de te rendre injurepour injure. Tu n’as pointvu ceux qui m’ont donné

l’être, je n’ai vu ni ton père ni ta mere, et Cepen-g

dant nous nous connoissons l’un l’autre; car les

actions des dieux et celles des héros sont célebrespar toute la terre. On te dit fils de l’irréprochablePélée et de Thétis, l’une des nymphes de la mer:

je me glorifie d’être fils d’Anchise et de Vénus.

Aujourd’hui Thétis ou Vénus, Pélée ou Anchise ,

pleureront leur fils; car ce combat ne se réduirapas à de vaines menaces comme des jeux d’enfants.

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CHANT xx. 39Si tu desires connoître les auteurs de ma race, lesfaits que je vais te Citer sont célebres par toute laterre. Dardanus fut fils du dieu qui assemble lesnuées. Ce héros fonda l’antique Dardanie, avant

que la sainte cité d’llion fût habitée par les mor-

tels. Dans ces temps reculés, Dardanus et sonpeuple occupoient les vallées de l’Ida au double

sommet. Il eut un fils, le roi Erichthon, qui devintle plus riche des mortels: trois mille cavales et leurs

I poulains cueilloient pour lui l’herbe tendre desvallées de l’Ida. Borée devint amoureux de plu-

sieurs; il les saillit sous la forme d’un superbeétalon à criniere flottante : douze poulines en na-quirent, si légeres, que, volant dans la plaine,leurs pieds s’élevoient au-dessus de l’extrémité la

plus déliée des épis sans les courber, que s’élan-

çant sur le dos de la mer écumeuse, àpeine elleseffleuroient la surface de l’onde. Tros, qui régna

sur les Troyens, et qui leur donna son nom, futfils d’EriChthon. Il eut trois enfants illustres, Ilus,

Assaracus, et le divin Ganymede , le plus beau desmortels. Les dieux enleverent Ganyniede, à causede sa beauté; il assiste maintenant aux festins sa-crés, et versexle nectar dans la coupe de Jupiter.Ilus eut un fils ,- le grand Laomédon. De Laomédon

sont issus Tithonus, Priam, Lampus, Clytius, et

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4o L’ILIADE,Hicétaon, rejeton de Mars. D’Assaracus naquit

Capys; Anchise, fils de Capys, est mon pere : dePriam naquit le divin Hector. Tel est mon sang,telle est la tige illustre de ma race. Jupiter accroîtou diminue à son gré la force des mortels ; il leurdonne ou leur refuse la victoire; car sa puissanceest sans bornes. Mais terminons ces vains propos ,marchons au combat. Il est facile de repousser lesinjures par des injures : la volubilité de la langueégale la légère té d’un vaisseau de cent rameurs; les

discours sont interminables. Ce que l’un dit, il l’en«

tend de son ennemi. Les combats de parole nesont pas faits pour nous : c’est ainsi que les femmes

exhalent leur colere dans la place publique; le vrai,le faux, les servent également. Tu t’efforces en vain

de me dissuader de mesurer nos forces; le javelotdécidera notre querelle. Croisons nos armes; atta-quons-nous , repoussons avec vigueur les coups-que nous nous porterons l’un à l’autre.

Il dit, et lance son javelot dans le bouclier d’A-,Chille , qui rend un son éclatant; la pointe aiguëest émoussée : cependant la violence du coup esttelle que le fils de Pélée ébranlé fait effort pour

éloigner de lui son bouclier , dans la crainte quele javelot d’Énée ne l’ait pénétré. Insensé! il ou-

blie que les [présents des dieux sont à l’abri des

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CHANT xx.’ 411atteintes des mortels. L’adroit boiteux forma cetimpénétrable bouclier de cinq lames de métal,deux d’airain, une d’or au centre, deux d’étain en

dedans ; la lame d’or repousse l’arme meurtriere.’

Achille lance son long, son pesant javelot : le frênedu Pélion atteint et pénetre le bouclier du filsd’AnChise, dans le cercle extérieur où l’airain est

moins épais , les cuirs moins solides; il le brise avecfracas. Les genoux d’Énée fléchissent; il se courbe ,t

s’assied sur la terre pour parer le coup mortel; lejavelot d’AChille rase son dos et s’enfonce dans l’a-

rené. La terreur s’empare de l’ame du descendant

de Dardanus , un nuage épais de douleur s’étend

sur ses yeux : Achille, tirant sa redoutable épée;fond sur lui avec de grands cris. Le fils d’Anchisese releve , saisit une pierre énorme que deux hom-mes , tels qu’ils sont aujourd’hui, souleveroient

avec peine : seul il la manie et la lanœ avec faci-lité. Vains tentative! aucune force humaine nepeut rompre ni le Casque pesant ni le solide bou-clier d’AChille. Le fils de Pélée s’élançant de nou-

veau eût précipité son ennemi dans les sombres

demeures, si Neptune, le voyant en ce pressantdanger, n’eût adressé la parole aux immortels.’

Habitants de l’Olympe , leur dit-il , mon ameest émue du péril dans lequel les conseils du dieu

,4. .6

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42 L’ILIADE,qui lance au loin ses fleches ont engagé le grandÉnée. Insensé! il a provoqué Achille au combat,

et maintenant il touche aux portes de la mort.Apollon ne lui sera d’aucun secours : l’innocent

périt pour le coupable ; le pieux Énée , qui offrit

tant de victimes aux immortels, souffre des dou-leurs aiguës. Volons à son aide; repoussons loinde lui le trépas : car je craindrois que la mort dece héros, s’il succomboit sous les coups d’Achille,

n’excitât le courroux du fils de Saturne; l’ordre du

Destin n’est pas qu’Énée périsse dans cette guerre

cruelle , que la race de Dardanus , que Jupiter aimapar-dessus tous les autres enfants qu’il eut des filles

des hommes , soit anéantie, que son nom soit efofacé de dessus la terre. Les enfants de Priam ontattiré sur eux la haine du dieu qui lance le ton-nerre; il transporte à la branche d’Énée le sceptre

d’Ilion : le fils d’Anchise et sa postérité régneront

sur les Troyens dans les siecles à venir.Ô Neptune qui enveloppes la terre de tes

ondes , lui répond l’inflexible Junon, prends leparti qui te paroitrale plus digne de ta sagesse; tireÉnée de ce pressant danger, ou souffre qu’il pé-

risse parles mains d’AChille : ni Pallas, ni moi, nevolerons à son aide ; car nous avons juré plusieurs

- I fois, à la face de. tous les immortels, de ne répons:

La

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C H A N T. X X. 43’set dans aucun temps lamort de dessus la têtedes Troyens, pas même lorsque leur cité aura été

réduite en cendres par les enfants de la Grece.Instruit des conseils de Junon , Neptune s’éa

lance sur le champ de bataille au milieu des jave-lots , au milieu du tumulte des armes : parvenu surla sanglante arène où Achille et le fils d’AnChise Se

disputent la victoire, il étend un nuage épais surles yeux d’Achille , arrache le pesant javelot dubouclier d’Énée , le dépose aux pieds d’Achille ,

saisit d’un bras nerveux le fils d’AnChise , l’éleve

au-dessus des bandes armées , au-dessus des cour-siers , au-dessus des chars , fend avec lui le vaguede l’air , le transporte à l’extrémité de cette plaine

sanglante, au lieu où les braves Cauconiens s’ar-ment pour marcher au combat. Se manifestant àses yeux, il lui parle ainsi :

Fils d’AnChise , quelle divinité t’a engagé dans

ce téméraire combat contre Achille, plus fort quetoi, plus chéri des immortels? Recule devant cehéros; ne t’expose plus à son ardeur indomtable ,

si tu ne veux descendre avant le temps , contrel’ordre du Destin , dans les sombres demeures. At-tends, pour combattre hors des rangs, qu’Achilleait subi son destin, que la Parque ait tranché le filde ses jours. Prends confiance alors : aucun autredes Grecs ne te donnera la mort.

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14 L’I L I A D E,Ayant ainsi dévoilé au fils d’Anchise sa destinée;

Neptune l’abandonne , dissipe le nuage qu’il arépandu sur les yeux d’Achille. Le fils de Pélée,

promenant autour de lui ses regards étonnés ,pousse un profond soupir :

Ô dieux! se dit-il à lui-même, un grand prodiges’offre à ma vue : mon javelot est à mes pieds; et

mes yeux ne peuvent découvrir le mortel que jebrûlois de précipiter dans le tombeau. Je pensoisqu’Enée s’attribuoit une vaine gloire, quand il se

vantoit de la protection des dieux; elle est mani-feste. Qu’il fuie, qu’il échappe au trépas; sans

doute il ne tentera plus de me provoquer au com-bat; je cours soutenir l’ardeur des Grecs : assezd’autres victimes parmi les Troyens s’offriront à

mes coups.Il dit ; et volant de rang en rang , il adresse la

parole à chacun des Grecs zDivins enfants de la Grece , serrez de près l’en-

nemi, que chacun de vous mesure ses forces con-tre le Troyen qu’il verra devant lui. Quel que soitmon courage, quelle que soit ma constance, seulje ne pourrois et combattre, et poursuivre cettemultitude d’ennemis. Quoiqu’immortels, Mars et

Minerve auroient peine à suffire à tant de travaux.’

Ne craignez pas toutefois que mon ardeur se ra:

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CHANT xx. 45lentisse; j’emploierai toute ma force, toute monintrépidité, toute ma-légèreté, pour enfoncer les

bandés troyennes : malheur à quiconque tenterade me résister l

Achille exhorte ainsi les siens. De son côté;Hector appelle les Troyens; il leur déclare qu’ilmarche contre le fils de Pélée :7

Valeureux Troyens, leur dit-il, qu’Achille nevous effraie point. Je pourrois, à son exemple, dé-fier les immortels eux-mêmes : cependant je n’es-

saierois pas de lutter contre les dieux; car leurforce l’emporte sur celle des hommes. Achillen’exécute pas tout ce qu’il projette; il met à fin

une entreprise , en abandonne une autre , et la laisseimparfaite. Je cours le provoquer au combat : saforce, son ardeur égalassent-elles l’impétuosité de

la flamme, fût-il d’acier, je ne le craindrois point;

Hector enflamme ainsi le courage des siens. LesTroyens marchent contre les Grecs; les phalanges

. se confondent : l’air retentit des cris des deux are’mées. Apollon, s’approchant du fils de Priam:

Hector, lui dit-il, ne hasarde pas de combattrele fils de Pélée. Demeure confondu dans la foulene t’offre pas à lavue perçante d’Achille; crains les

coups de son javelot, crains sa redoutable épée.AinSi parle le dieu. Hector frémit, recule jus:

es...

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46 L’ILIADE,qu’au centre de la phalange. Cependant Achillefond sur les Troyens avec de grands cris. Le braveIphition, fils d’Otryntès, chef d’un grand peuple,

tombe le premier sous ses coups. Ce héros naquitdans la puissante ville d’Ida, au pied du montTmolus couvert de neiges; il fut le fruit du com-merce secret d’Otryntès avec une nymphe deseaux. Iphition est prêt à s’élancer sur le fils de Pée

lée; Achille le prévient, décharge sur sa tête son

pesant javelot : les os du crâne sont brisés, la tête

partagée en deux portions égales; il tombe avecfracas. Achille triomphe : ’

Fils d’Otryntès, dit-il, le plus fier des mortels,

qui naquis dans les marais Gygée, au centre desriches possessions de ton pere, près du poisson-neux Hyllus et de l’ombragé Hermus, tombe et

meurs aux champs troyens. .Il dit; et les ombres de la mort s’étendent sur les

yeux d’Iphition : les coursiers des Grecs le foulent

aux pieds, les roues de leurs chars broient ses os.Le valeureux fils d’Anténor, Démoléon, s’avance

pour le venger: sa témérité est punie; le javelotdu fils de Pélée l’atteint dans la tempe, la pointe

aiguë perce le casque d’airain trop foible pour ledéfendre; l’os est brisé, la surface intérieure du

casque souillée. Non loin de ce héros, Hippoda,

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CHANT Xx ’ wmas s’élance de son char, et..fuit devant Achille;le javelot du fils de Pélée l’atteint : il expire pous-

sant des cris aussi affreux que les mugissementsd’un taureau que; de jeunes hommes entraînent àl’autel du dieu qu’on adore dans Hélicé; Neptune

se plaît à contempler sa victime-z aussi effrayants

sont les cris d’Hippodamas expirant; son ames’exhale dans les airs. Près de lui, Polydore tombe

sous le javelot d’AChille, Polydore le plus jeune,le plus tendrement aimé des fils du vieux Priam,

qui l’emporte sur tous ses frères’par la légèreté de

sa course. Les ordres de son pere le tinrent jus-qu’à ce jour éloigné de la sanglante arène : le feu

de la jeunesse, une ardeur téméraire, le desir demontrer sa force et sa légèreté, l’entraînerent dans

la mêlée; il combat jusqu’à la mort parmi les plus

intrépides. Achille le voit poursuivre les Grecsavec ardeur: plus léger que lui, il s’élance, le frappe I

par derriere , à l’endroit que défendent les anneaux

d’or du baudrier, où la cuirasse est double; lapointe aiguë pénetre et sort par le nombril; iltombe sur ses genoux, poussant de profonds sou-pirs ; les ombres de la mort l’environnent; ses mains

défaillantes s’efforcent en vain de retenir ses en-trailles. A la vue de son frère étendu sur la pous-siere, dont les. mains glacées soutiennent ses en-

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’48 L’ILIADE,trailles fumantes, un nuage épais de douleur s’é«

tend sur les yeux du vaillant Hector; il ne peutdemeurer plus long-temps confondu dans la foule:agitant son javelot, il s’élance sur Achille avec la

rapidité de la flamme. Le fils de Pélée le voit;joyeux, il s’écrie :

Celui que j’attendais avec impatience, le meure

trier de mon cher compagnon , qui porta à monCœur le coup le plus sensible , marche contre moi:nous ne nous fatiguerons plus, lui à fuir, moi alepoursuivre dans les sentiers raboteuxde cette plainesanglante.

Il dit, et lançant sur Hector un regard furieux:’Approche, lui dit-il ; que ta mort satisfasse mavengeance.

Fils de Pélée, lui répond l’intrépide Hector,

n’espere pas m’effrayer par de vaines menaces

comme un enfant. Je pourrois repousser tes inju,res par des injures : mais je rends justice à ton cousrage, et me reconnois inférieur à toi; cependantle sort des combats repose dans le secret des dieux.Quoique plus foible, je peux te percer de monjavelot; il est armé comme le tien d’une pointe

aiguë. aIl dit; et imprimant à son javelot, par des sonpousses réitérées, un mouvement rapide, il le

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CHANT XX.’ 49lance sur Achille. Le souffle de Minerve le dé-tourne, le repousse surle héros qui l’a lancé; l’arme

meurtriere tombe aux pieds du divin Hector.Achille s’élance, fait effort pour le percer : maisApollon, étendant sur sesiyeux une nue épaisse ,idérobe Hector à ses coups. Effet de la puissancedivine! Trois fois le léger Achille s’élance sur le

fils de Priam; trois fois son javelot ne perce qu’un

vain nuage : furieux, il redouble; ses efforts sontinutiles; son courroux s’exhale en ces terriblesmenaces :

F uis maintenant, échappe à la faux de la mort:Apollon , que tu invoques avant le combat, te sous-trait à ma vengeance; une autre fois si quelque di-vinité daigne me secourir, tu ne me provoqueraspas impunément : je marche contre les tiens quifuient devant moi; malheur àcelui que je renconv-trerai!

Il dit , et lance son javelot sur Dryops , l’atteintau sommet de l’échine ,’ le renverse à ses pieds ,*

l’abandonne , court réprimer l’impétuosité de Dé-

muchus , fils de Philétor , valeureux combattant,d’une taille gigantesque : la pointe aiguë s’enfonce

dans son genou ; Achille le perce de sa redoutableépée; son ame s’exhale dans les airs. Laogonus et

4: 7

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5o L’ILIADE,Dardanus , deux fils de Bias , fuient, précipités deleurs chars : le avelot d’Achille atteint l’un au loin,

tandis que l’autre tombe à ses pieds sous les coups

de son glaive. Le fils d’Alastor embrasse ses gednoux; il le conjure de lui laisser la vie : Je suis , luidit-il , du même âge que toi; renvoie-moi vivant àceux qui m’ontdonné l’être. Insensé ! il ne connaît

pas l’inflexibilité du fils de Pélée : en vain il fait ef--

fort pour l’émouvoir, en vain il serre de ses mains

tremblantes les mains victorieuses d’AChille; lefils de Pélée les retire avec effort, enfonce le glaive

dans son cœur :-le sang emplit la vaste cavité desa poitrine, les ombres de la mort s’étendent surses yeux , son aine s’exhale dans les airs. Armé:du javelot, Achille s’élance sur Mulius; la’pointe

aiguë pénetre l’une et l’autre oreille. De sa lourde

épée il fend le crâne d’EchéClus , fils d’Agenor;

un sang noir fume sur le glaive. Echéclus subit sadestinée, ses yeux se ferment à la lumière. Le jave-

lot du fils de Pélée atteint au coude Deucalion,à l’endroit où les muscles et les tendons se réu-nissent; l’arme meurtriere pénetre jusqu’à la main z

immobile , la main pendante, l’infortuné Deuca-

lion attend le coup mortel. Achille éleve songlaive , fait voler sur la poussiere cette tête enne-

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CHANT XX. 51mie et le casque qui la couvre; la moëlle jaillit àgros bouillons des vertebres , le tronc sans vie de-meure étendu sur l’arène. Le fils de Pélée l’aban-

donne , marche çontre Rhigmus , vaillant fils dePirée, nouvellement’arrivé de la Thrace sa patrie;

le javelot d’AChille l’atteint dans le flanc , le ren-

verse de son Char. Son écuyer Aréithoüs détourne

ses coursiers : le fils de Pélée redouble , l’écuyer

tombe , les coursiers fuient effrayés. Tel un vasteincendie allumé dans une immense forêt, poussépar les souffles impétueux des vents , s’étend du

sommet desséché des montagnes dans la valléequ’il couvre de tourbillons de flamme, et des flotsd’une épaisse fumée qui s’élevent jusqu’aux nues:

ainsi Achille, semblable à un dieu, armé du re-doutable javelot, parcourt cette plaine sanglante ,poursuivant les Troyens , portant de tous côtés lecarnage et la mort. Avec autant de célérité que

les graines sontréduites en poudre par la meulepesante , qu’entraînent dans une aire spacieusedeux vigoureux taureaux attelés au même joug zainsi les cadavres sanglants, les casques, les hou»cliers, les javelots, sont brisés par les coursiersd’Achille. L’aissieu de son Char est teint de sang;

le sang jaillit de dessous les pas de ses coursiers ;

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52 L’ILIADE,CHANT XX.’l’orbite des roues de son char, le siege , les par-nties les plus élevées en sont couvertes. La sueurdécoule de tous ses membres , le sang souille sesinvincibles mains :v la soif de la gloire vit au fondde son cœur.

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L’I L I A D E.

CHANT XXI.

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ARGUMENT.Les Troyens poursuivis par Achille se partagent en deux bandes;

l’une fuit vers la ville , l’autre se cache dans les rochers qui bordent

le Scamandre. Douze captifs sont destinés par Achille à être immolés

sur le bûcher de Patrocle. Mort de Lycaon et d’Astéropée, débor-

dement du fleuve , incendie des forêts voisines; le dieu du feu con-

traint ce fleuve orgueilleux de se renfermer dans ses rives; combatentre les dieux. Apollon , sous la forme d’Agenor qu’Achille pour:

suit avec ardeur, égare le vainqueur : les Troyens profitent de l’é-

loignement d’Achille pour rentrer dans la ville,

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ne la”

si?

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-L’I L11 A D E.

CHANT XXI.Combat d’Aclzille près des rives du fleuve.

REPOUssEs sur les rives du grand fleuve , duXanthe tortueux , né de Jupiter, les Troyens separtagent. Le fils de Pélée poursuit les uns us-qu’aux murs de la grande cité. Tremblants, en dé-

sordre , ils fuient par ce même chemin qui , le jourprécédent, fut le théâtre des fureurs d’Hector. Pour

les livrer au fils de Pélée, et les empêcher de trou-

ver un asyle dans leurs murs, Junon étend sur eux’ une nue obscure. D’autres sont précipités avec .frae.

cas dans le fleuve qui roule ses flots argentés sur un

sable mobile : les gouffres profonds , les rives so-nores du Scamandre’retentissent du bruit de leurchûte, de leurs cris douloureux, de leurs longsgémissements. Ils nagent çà et là emportés par

les courants , semblables à des sauterelles qui par-courent le vague de l’air, dispersées par les feux al-

lumés dans la plaine; le tonnerre gronde, la foudreéclate , elles tombent englouties dans le fleuve:

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56 L’ILIADE;ainsi, sous les coups d’Achille, les hommes et leschevaux arrêtent les courants du profond , du ra-pide , du tortueux Xanthe; ses rives retentissentdes cris des mourants. Déposant son javelot sousdes bruyeres, l’épée à la main, semblable à undieu , le fils de Pelée s’élance dans le fleuve , frappe

de toutes parts; de longs gémissements se font en-.tendre , l’onde est teinte de sang. Tels les poissons

fuient devant le dauphin; tremblants ils se cachentdans les humides retraites de la plaine liquide; lemonstre les poursuit dans cet asyle ténébreux , Idévore tous ceux qu’il peut atteindre : ainsi lesTroyens , entraînés par les courants, emplissentles

antres escarpés des roches voisines du Xanthe,Las enfin de carnage, le fils de Pélée Choisit douze

jeunes hommes de race illustre, dont le sang doitcouler sur le bûcher du fils de Ménétius , pour ap-

paiser les mânes de son fidele compagnon. Tremp-blants comme des faons timides, Achille les saisit,se sert de leurs riches baudriers pour leur lier lesmains derriere le dos , les entraîne par les plisde leurs tuniques, les livre à ses compagnons quiles conduisent aux vaisseaux : furieux il s’élance

de nouveau, recommence le carnage. Le Darda-nien Lycaon, fils de Priam , fuit en nageant dans lefleuve; il s’offre le premier à sa vue. Il fut naguere

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CHANT xxr. 57son prisonnier. Achille ayant pénétré, pendant la

nuit, dans un enclos du vieux Priam, l’y trouva oc-cupé à couper les branches d’un figuier sauvagequ’il destinoit à former les jantes des roues de sonchar; il l’emmena captif, l’embarqua sur ses vais-

seaux, le transporta à Lemnos, le vendit au fils deJason. L’Imbrien Éétion , lié par les nœuds de

l’hospitalité avec Priam, paya sa rançon, l’envoya

à Arisbé : échappé furtivement, il est rentré dans

le palais de son pere. Depuis onze jours il célébroit

avec ses amis dans les jeux, dans les fêtes, dans lesfestins, sa sortie de Lemnos; le douzième il tombeentre les mains d’Achille , qui le précipitera dans

les sombres demeures. Il est sans casque , sansbouclier, sans javelot, ayant quitté ses armes pourfuir avec plus de rapidité à travers le fleuve. Le filsde Pélée le reconnoît, malgré la sueur qui découle

de tous ses membres, malgré la fatigue qui l’é-puise; Achille furieux s’écrie g

.Ô dieux! un grand prodige s’offre à ma vue. Sans

doute les Troyens ont le privilège de renaître après

leur mort, d’échapper à la nuit du tombeau. Cet.homme fut vendu par moi dans Lemnos: l’espace

immense des mers , barriere insurmontable auxefforts des mortels , n’a pu l’arrêter. Il tombera

sous les coups de mon javelot : essayons s’il par:

4. 8

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58 L’ILIADE,viendra a se délivrer des portes de l’enfer, si la terre,qui arrê tel’impétuosité de tous les mortels , pourra-Y

le fixer.Tandis qu’il s’occupe de ces pensées, LycaonE

tremblant approche; il le conjure de lui conserverla vie. Déja Achille leve le*terrible javelot. Profonwdément incliné, le triste Lycaon d’une main em-

brasse ses genoux, arrête de l’autre l’arme meure:

trière, dont la pointe demeure enfoncée dans la:terre.

Divin Achille , lui dit-il , je t’aborde en suppliant;

respecte mon infortune. Le jour que tu me fis ton--captif dans le domaine de mon pers, je partageai:avec toi les dons de Cérès. Tu m’entraîna-s dans»

Lemnos, loin de ma terre natale, et me vendis lesprix (le cent bœufs. Tu en obtiendras trois: fois au-:-tant si tu me conserves la vie. La douzième auroreluit à peine depuis mon arrivée dans Troie, ayantbeaucoup souffert. Objet de la haine de Jupiter,ma cruelle destinée me remet en tes mains. Sans:doute ma mere Laothée , fille du vieux Altée, qui.rogne dans la han te cité de Pédasus , près des rives-

du Satnios, sur les Léleges savants dans la marine,..

mc donna une vie de courte durée. Priam choisit.Laothée entre les filles de ce roi; il l’épousa, en"eut deux fils, destinés à tomber l’un et l’autre sous.»

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C H A N T X X L 59"Tes coups. Le divin Polydore mon frere, combat-tant à pied hors des rangs, fut précipité par toidans les sombres demeures. Le même sort m’estréservé, puisque le Destin me livre en tes mainspour la seconde fois; ta pitié seule peut me pré-server dutrépas. Écoute ce que e vais dire; grave-le"

dans .ta mémoire. Accorde-moi la vie; je n’euspas la même more qu’Hector qui te ravit ton fi-dèle compagnon, dont la bonté égaloit l’intrépide

valeur. ’Le fils de Priam implore ainsi la Clémence d’A-ë

rChille. Il en reçoit cette terrible réponse :

Insensé! ne me parle plus de rançon; mets fin à.d’inutiles harangues. Avant que Patrocle succom-bât à sa cruelle destinée, je me plaisois à épargner

les Troyens. Réduits en captivité par les Ioix de

la guerre, je les vendois, et leur permettois de seracheter. Maintenant aucun d’eux, sur-tout aucundes fils de Priam qu’un dieu livrera entre mesmains sous les murs d’llion, n’échappera au trépas:

cesse de me fatiguer par tes larmes. Celui que j’ai-mois , Patrocle est mort, Patrocle qui valoit beau-coup mieux que toi. Tu vois quel je suis; tu con-nois la gloire de mon pere; une déesse me conçutdans son sein; mon courage, la majesté qui m’en;

vironne, se manifestent à tes yeux : et cependant

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66 ’L’ILIAD’E,le glaive de la mort est suspendu sur ma tête. Des.main, ce soir, peut-être en ce moment, un Troyen’

me percera de son javelot, un traître décocherasur moi une fleche meurtrière.

Il dit. Les genoux de Lycaon ne peuvent le sou«tenir; son cœur est abattu : le javelot du filsde Pé-lée échappe de sa. main, il tombe les bras élevés

vers le ciel. Achille, tirant sa redoutable épée, lefrappe dans la gorge cru-dessus de la clavicule, l’é-.

tend sur la terre couvert d’une profonde pouswsiere qu’il imbibe de son sang. Le prenant par lespieds , Achille l’éleve, le précipite dans le fleuve ,.

insulte à son malheur:Que l’humide élément, séjour des poissons, soit

ton tombeau, dit-il. Ils boiront ton sang : tavmerene te placera. point sur le lit funebre; ta cendre nesera point arrosée de ses larmes. Le Scamandre ,roulant ton corps dans ses flots tortueux, te poretera au sein des mers; les poissons, déchirant tesmembres délicats, bondirontà lansurface de l’onde.

En vain , ô Troyens, vous essayez m’échapper par

une fuite honteuse : je vole sur vos pas; vous rom.berez sous les coups-de mon javelot z la terre seraimbibée de votre sang, jusqu’à ce que nous ayons

réduit en cendres la grande cité d’llion. Ni la lar-

geur de votre fleuve, ni ses circuits tortueux,.ni la

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CHANT xxr. 61-profondeur de son onde. argentée, ni les taureauxque vous immolez sur ses rives, ni les coursiersque vous précipitez vivants dans ses ondes, nevous déroberont à ma haine; vous périrez tous.Ainsi sera vengée la mort de Patrocle , et celle detant de héros dont vous avez versé le sang sous les

pouppes de nos vaisseaux, tandis que mon fatalcourroux me tenoit éloigné de ces combats meuretrière.-

Il dit. Le dieu du fleuve, irrité , médite en lui-

même par quels moyens il pourra écarter de sesrives le divin fils de Pélée, et porter secours auxTroyens. Armé du redoutable javelot, Achille s’é:

lance sur Astéropée fils de Pélégonus , que le grand

fleuve Axius eut d’un commerce secret avec Périabée, l’aînée des filles d’Acessamene. Achille a vu

ce héros s’élancer hors du fleuve; il le poursuitdans la plaine. Astéropée s’arrête; deux javelots

sont dans ses mains. Indigné de cette multitude deTroyens que l’implacable vengeance du fils dePélée précipite dans ses ondes, lesdieu du Xanthe’

souffle le courage dans l’ame du fils de Pélégonus.

Le javelot tendu, l’œil en feu, les deux héros s’aa

vancent l’un sur l’autre. Adressant le premier la

parole à son ennemi :Ô toidont la témérité me provoque au com-bat;

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.62 "L’ILIAD’E,s’écrie Achille, qui es-tu? Quelle est ton origine"?

Malheureux sont les peres dont les fils affrontentmon courroux!

Achille, répond Astéropée, que t’importe de

connaître mon origine? Je naquis loin de ces rivesdans la riche Péonie; je commande aux valeureuxPéoniens : les flambeaux de l’aurore ont éclairé

onze fois la terre, depuis que je suis arrivé au se:cours d’llion. Le vaste Axius, qui surpasse tous lesfleuves par la limpidité de ses ondes, est mon aïeul.

Pélégonus son fils me donna le jour. Combattonsmaintenant, illustre fils de Pélée.

Irrité de son orgueil, Achille élevé l’arme meure

triere. Astéropée lance dans le même instant sesdeux javelots; car il se servoit également des deuxmains. L’un atteint le bouclier d’AChille, présent

des dieux, et s’arrête dans la lame d’or de ce solide

bouclier; la pointe aiguë est émoussée : l’autre ef-

fleure la main droite du fils de Pélée; un sang noircoule de la plaie; l’arme meurtriere vole et s’en,-

fonce dans la terre. Impatient de frapper, Achillelance le pesant javelot; il s’égare, s’enfonce pro-.

fondément dans la rive escarpée. Le fils de Pelé,

gonus fait effort pour s’en saisir; trois fois il l’agite

puissamment et ne peut le détacher. Tandis qu’il

tente un quatrieme effort, Achille plonge son glaive

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C H A N T x x I; ce"dans le flanc de son ennemi. Les entrailles déchiarées tombent à terre , les ombres de la mort s’étend

dentsur ses yeux,son ame s’exhale dans les airs. Lefils (le Pélée s’empare de ses armes, et triomphe:

Meurs, lui dit-il; apprends qu’il est dangereuxaux enfants des fleuves de se mesurer contre les"descendants du fils de Saturne". Tu te vantes d’être"issu d’un grand fleuve : je me glorifie d’être de laîr

race de Jupiter; Eacus mon aïeul, le pur sang deJupiter, régna sur les nombreux Thessaliens; il?donna le jour à Pélée mon pere’. Autant Jupiter

l’emporte sur les divinités des fleuves dont les:ondes se perdent dans le Vaste des mers ,au tant la?race du fils de Saturne l’emporte sur celle des des-i.

cendants des fleuves. Que le Xanthe, sur les riVesï-duquel tu as combattu , essaie de te venger; ou plu;tôt qu’il redoute de s’engager dans un périlleux.

combat contre le fils de Saturne. Quand le tonnerregronde, que la foudre éclate, le roi des fleuVes,’l’Achéloiis lui-même frémit, I’Océan tremble ,.

l’OCéan dont tous les fleuves , dont toutes les sour-’

ces , dont tous les lacs tirent leur origine.-Il dit; et arrachant sans peine son javelot en-

fiancé dans la berge, il laisse le corps sanglant d’As-’

téropée étendu sur le sable : l’onde baigne sa plaie ;.«

les poissons nagent alentour; ils s’abreuventdeï

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64 L’IL IAADE,’son sang, se nourrissent de sa chair. Le fils de Pép.lée s’élance sur les valeureux Péoniens. Ils ont vu

tomber leur roi; effrayés, ils parcourent dans leurfuite précipitée les bords tortueux du Xanthe.Achille les poursuit; Thersiloque, Mydon, Asty-pyle , Mnésus , Thrasius , Anius et Ophéleste ,tombent sous ses coups. Grand nombre d’autreseussent mordu la poussiere, si la voix du Xan theirrité ne se, fût fait entendre de ses profonds aby-mes: CruelAchille! tu abuses de taforce , tu abusesde la protection des dieux. Si le fils de Saturne t’alivré tous les Troyens , si aucun d’eux ne doitéchapper à ta fureur, repousse-les dans la plaine;épargne à mes yeux cet horrible spectacle. Mononde paisible, mes bords riants sont couverts decadavres: cette digue affreuse arrête le cours demes flots et m’empêche de porter à la mer le tri»

but de mes ondes. Fils de Pelée, insatiable desang, aucun n’échappe à ta vengeance; je ne peux

te regarder sans horreur. Roi d’un grand peuple,mets un terme à ton courroux.

Divin Scamandre, lui répond Achille, un jourviendra que tes desirs seront satisfaits. En ce mo-ment je ne cesserai de répandre le sang, que je n’aie

repoussé lesTroyens dans leurs murs, que je n’aiemesuré mes forces contre Hector, qu’il n’ait versé

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CHANT XXI. 65:mon ’sang:ou que je ne l’aie abattu. à mes pieds.

Il dit; et, semblable à un dieu, il s’élance sur les

Troyens. Le fleuve profondadressant la parole à

Apollon: . ’Ô toi, dit-il, que ton arc d’argent distingue entre

tous les immortels , fils de Jupiter, es t-ce ainsi quetu exécutes les ordres de ton pere? Le fils de Sa-turne te chargea de porter secours aux Troyens,jusqu’à ce que le soleil plengeât dans l’Océan , que

la nuit étendît ses voiles sur la terre.

Il parloit encore , quand , du sommet’de la rive ,

Achille , agitant son pesant javelot , se précipitedans les flots. A cette vue le Xanthe se trouble :ses ondes amoncelées-repoussent sur leurs rives

. cette foule de morts que le fils de Pelée a immolés

. àsa vengeance. Mugissant comme un taureau enfureur, le fleuve s’empresse de cacher les Troyens

dans les antres qui enVironnent ses gouffres tor-tueux;il en dérobe un grand nombre au trépas.L’onde écumeuse enve10ppe Achille , se brise con-

s tre son bouclier, s’amoncelle, retombe, l’ébranle.

Un peuplier élevoit sa tête altiere au-desSus desrives du fleuve; Achille s’en saisit, s’attache à ses

. branches , l’entraîne avec ses racines et la berge- sur laquelle il a crû : son épais feuillage, son tronc,.- sa tige élevée, son vaste branchage arrêtent l’im-

4- 9

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66 L’ILIADE’,’pétuosité du Xanthe; le fils de Pélée s’en sert

comme d’un pont pour traverser , non sans effroi,l’onde écumeuse. Le rapide Xanthe le poursuit;il s’élance de ses gouffres profonds, se précipite du

sommet des montagnes pour protéger les Troyens.L’impétueux Achille franchit d’un saut léger au-

tant d’espace qu’en parcourt un javelot lancé par

un bras nerveux; ses yeux sont aussi perçants , sonvol aussi rapide que celui de l’aigle, le plus léger,

le plus fort des oiseaux de proie; l’airain résonne

sur son corps. Il combat contre le fleuve qui l’en-traîne, fait effort pour gagner la plaine; le Xanthele poursuit avec un horrible fracas : ainsi l’on voitdans les jardins l’eau d’un étang qu’une pente har-

die favorise surmonter les obstacles que les sillonslui opposent, et prévenir l’actif cultivateur qui, la

bonde à la main , dirige son cours pour abreuverles fleurs et les fruits que l’ardeur du soleil a dessé»

chés; les cailloux agités murmurent : telle l’onde

écumeuse poursuit et atteint le léger Achille; car

les dieux sont plus forts que les mortels. Quandle fils de Pélée tente de résister à l’impétuosité des

torrents, afin d’éprouver si quelque divinité ne

viendra point à son aide, si tous les habitants duvaste Olympe ont résolu son trépas , les flots écu-

.meux du fleuve issu de Jupiter s’amoncellent sur

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C H A N T X X I. 67ses épaules. Lorsqu’épuisé de fatigue il rassemble

ses forces pour s’élever à la surface de l’onde, le

fond lui manque, le fleuve lui opposeun obs-tacle qu’il ne peut surmonter. Elevant les yeux auciel , poussant de profonds soupirs: ’

Ô Jupiter, dit-il, aucun des immortels ne pren-dra-t-il pitié de moi, ne me protégera-t-il contrece fleuve irrité? Je me soumets à tous les travauxque les dieux voudront m’imposer. Aucun desimmortels ne me trompa aussi cruellement quema mere : cc Ta vie sera courte, me disoit Thétis;(c Apollon te percera de ses fleches sous les murscc de Troie a). Que n’ai-je succombé sous les coups

d’Hector, le plus courageux des Troyens! Un hé-ros m’eût précipité dans les sombres demeures,

un héros eût recueilli ma dépouille mortelle. Main-

tenant, englouti sous les ondes du Scamandre, jepéris sans gloire comme un vil pâtre, en traînédans

la saison des pluies par un torrent qu’il ne peutfranchir.

Il dit. Sous la forme de deux mortels, Neptuneet Minerve s’approchent, le soulevent dans leursbras, raniment son courage. Le dieu qui ébranlela terre, Neptune, lui adressant la parole :

Fils de Pelée, lui dit-il , que l’impétuosité de ce

fleuve ne porte pas le trouble dans ton ame : deux

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68 . L’ILI-ADE,"divinités volent à ton aide; Jupiter approuve nosprojets. Prends confiance: je suis Neptune; Mi-.nerve m’accompagne. Ce n’est pas dans les ondes

du Xanthe. que le Destin a fixé le terme de ta vie:

tu ne tarderas pas à voir la fureur de ce fleuve seCalmer, ses eaux s’écouler. Grave mes conseils dans

ta mémoire. Ne cesse de poursuivre l’ennemi quetu n’aies versé le sang d’Hector, et forcé ceux des

Troyens qui échapperont au trépas de chercher un

:5er dans leurs murs : ne retourne aux vaisseaux;que couvert de la gloire immortelle dont nous au-rons comblé tes vœux. ’

Ainsi parlent Neptune et Minerve , et ils disPa-roissent pour se confondre parmi les dieux protec-teurs des Grecs. Affermi par cet oracle favorable,le fils de Pelée s’éleve au-dessus de la surfaCe de

l’onde, et s’élance dans la plaine. Le Scamandre

débordé, roulant dans ses flots les armes ,les corps

Sangla’nts des Troyens, le couvre de ses ondes : nila rapidité, ni l’énorme largeur de ce fleuve, ne

peuvent l’arrêter; Minerve accroît ses forces. La

résistance ajoute à la fureur du Xanthe; ses flotss’amoncellen t: élevant la voix , il appelle le Simoïs:

Ô mon frere, lui dit-il, réunissons nos’forcespour contenir ce héros audacieux, le fléau desTroyens trop faibles pour lui résister z bientôt .iI-

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CHANT: ’ 69réduiroit en’Cendres la ville de Priam. Viens à mon

aide, ô mon frere! Que les eaux de toutes les sour-ces qui nous apportent leurs. tributs se confon-.dent : rompons leurs digues , épuisonsles ruis-seaux, tarissons les fontaines; qu’elles emplissent.nos vastes canaux, que nos flots accùmulés débor-g

dent avec un horrible fracas; déracinons les arbres",en traînons etleurs troncs et les rochers; réprimons

l’orgueil de ce mortel qui marche contre Troieavec la fierté d’un dieu. Ni sa beauté, ni sa force.

invincible , ni sa brillante armure , ne le déroberontà l’impétuosité de nos ondes réunies; je-le couvri-

rai-de mes sables; les Grecs ne pourront rassem-bler ses os surchargés de mon épais limon. Telestle tr0phée que je "lui prépare (au lieu .du superbe

monument que les enfants de la Grece lui eussent

élevé. ’ . . .Il dit. Les ondesécumeuses et sanglantes, rou-*lant les cadavres dans leurs flots azurés, fondent.sur Achille avec un bruit affreux , s’élevent au-dessus de sa tête, le couvrent en entier. Junon fré-mit dans la crainte que. la; rapidité du fleuve nel’entraîne; la déesse jette un cri perçant. Adressant

la parole à son fils Vulcain : l t i, pu Boiteux Vulcain, mon cher fils, dit-.elle,’leve-toi : réprime la fiJreur’du: tortueux Xanthe; que des

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7o L’ILIADE,’torrents de flamme sechent ses flots. J ’exciteraiune violente tempête: à ma voix le vent d’est, l’im-

pétueux vent du midi, accourant du sein des mers ,porteront les feux sur la tête des Troyens, consu-meront leurs corps et leurs armes. Qu’un vaste in-cendie s’étende dans les forêts voisines des rives

de ce fleuve; ne te laisse fléchir ni par prieres nipar douces paroles , que tu n’aies rappellé dans leur

lit les flots tumultueux: attends, pour éteindre tesfeux, les ordres que je te donnerai du sommet desmontagnes.

Elle dit. Vulcain allume un vaste incendie z destourbillons de flammes fondent dans la vallée, etconsument cette foule de Troyens qu’Achille a pré-

cipi tés dans la nuit du tombeau. La plaine est dessé-

chée; les ondes du fleuve, rappellées dans leur lit,

reprennent leur limpidité. Tel, dans la saison del’automne, le souffle impétueux de Borée desse-

che un fertile verger que les orages avoient inondé ,et porte la joie dans l’ame du cultivateur: telle est

cette vaste plaine que couvroient les eaux duXanthe.Vulcain , lançant ses feux sur la surface del’onde, consume les ormes , les saules, les bruyeres ,

les lotos, les cyprès, les joncs marécageux qui bor-

dent les rives fleuries du Xanthe; les poissons, lesfolâtres anguilles , qui bondissoient à la surface de

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CHANT xxr. 7:l’onde, dans les" replis de ce fleuve tortueux, lan-guissent et meurent. Épuisé par la flamme dévo-rante de Vulcain , le dieu du fleuve s’écrie:

Ô Vulcain , aucun des immortels ne résiste à ta

puissance. Je ne combattrai pas contre tes feux;appaise ton courroux: que le divin Achille chassedès ce jour les Troyens de leur puissante cité , jecesse de les défendre ; j’abandonne un combattrop inégal.

Ainsi parle ce fleuve consumé par les feux deVulcain. Ses ondes bouillonnent comme la graissed’un porc enfermée dans un vase d’airain qu’enveè

loppe la flamme d’un brasier entretenu par uneimmense quantité de bois sec ; telles brûlent lesrives du Xanthe , telle son onde frémit et bOUIlî’

lonne. Son cours est ralenti: pénétrées par la force

indomtable du feu, ses eaux s’exhalent en vapeurs;

Il adresse à Junon cette humble priere z ÏÔ Junon , quel forfait m’a attiré la haine de ton

fils? qui l’engage à suspendre le cours de mes’

ondes? Mon crime est-il plus grand que celui desautres divinités protectrices des Troyens? Je lesabandonne puisque tu l’exiges : que Vulcain cesse

de me poursuivre; je te promets avec serment quemes utiles secours ne déroberont plus les Troyensau trépas, lors même que les enfants de la Grece

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72 L’I’LIADE,réduiront en cendres la puissante cité d’Ilion;

[Il dit. Se confiant aux promesses du [dieu dufleuve , J unon’ aux mains-d’albâtre , adresse la parole

à son fils :

Ô Vulcain , généreux enfant auquel j’ai donné

le jour , arrête : un dieu ne doit pas être tourmenté

ainsi pour des mortels.fr . Elle dit. Vulcain éteintses feux : le fleuve res-serré dans son lit parcourt en paix ses rives brilv.lantes. Junon, ayant domté l’impétuosité du Xan-

the, cimente, malgré la haine qu’elle porte auxTroyens , un heureux accord entre ce dieu et son

fils Vulcain. ’ ’Cependant l’affreuse Discorde regne parmi les

habitants de l’Olympe. Les deux bandes des divi-nités protectrices des Grecs , protectriées desTroyens, se levent avec précipitation, marchentl’une contre l’autre : la terre gémit sous leurs pas;

le son éclatant de la trompette retentit sur la voûteéthérée. Assis au sommet dell’Olympe , Jupiter

entend ce bruit affreux; la division quiregne entreles immortels porte la joie dans son ame. Un court

l espace sépare les deux partis. Mars, dont le brasd’airain brise les boucliers, donne le premierle

’ signal du combat. Le javelot tendu, il s’élance4’ sur Minerve, adressant à la déesse ces reproches

amers: 7

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CHANT xxr. 7.3-- Audacieuse’divinité , qui semes la discorde parmi

les dieux, est-ce par de tels exploits que tu pré-tends signaler ton courage? Qu’il te souvienne desconseils-impies que tu donnas à Diomede fils deTydée. Ton bras dirigea le javelot qu’il lança sur

moi. J’ai cetteconfiance que tu porteras en cemoment la peine due à tes forfaits.

Ildit, et’ s’efforcede percer la terribleégide-

qu’environnent des franges innombrables, quel-a.foudre. même de Jupiter ne peut pénétrer. La.déesse ébranlée recule, saisit d’un, bras nerveux

une. roche noire, raboteuse,.d’un poids énorme,enfoncée profondément dans la terre, borne an.-»

i tique des héritages; lançant ce roc avec force , elleatteint dans l’échine le dieu de la» guerre : il tombe

renversé; son corps couvre sept arpents, sa vaste.chevelure est souillée, l’horrible fracas de ses.armes retentit au loin. Minerve triomphe :

Insensé, dit-elle, reconnais enfin la supériorité

de mes forces. Telle est la peine .que t’imposent-les furies vengeresses que ta mere invoqua dans sa’colere , le jour qu’abandonnant le parti des Grecs,

tu secourus les perfides Troyens.Elle dit, et détourne ses yeux étincelants de

fureur. Vénus, la fille de Jupiter, s’approche del’homicide Mars qui apeine à respirer: lui tendant-I

4. . 10

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74 L’ILIADE,la main, elle rappelle ses esprits, le releve, l’em-mene. Junon les voit fuir; adressant la parole àMinerve:

Fille du dieu qui lance le tonnerre, lui dit-elle,l’adultere Vénus soustrait l’homicide Mars au tu-

multe des armes; poursuis-les, ô ma fille!Elle dit: la joie éclate dans les yeux de la déesse

de la sagesse; elle vole sur les pas de Vénus et deMars , comprime de sa main puissante le sein de ladéesse de la beauté : les genoux de Vénus flé-chissent, elle tombe évanouie, et Marsà ses côtés,

étendus l’un et l’autre sur la terre nourrice des

mortels.Que tous les dieux protecteurs des Troyens,

qui combattent contre les magnanimes enfants dela Grece , s’écrie la superbe Minerve, ne sont-ilsaussi .courageux, aussi patients qu’Aphrodite, qui,

bravant mon courroux, est accourue au secours deMars l Depuis long-temps nous eussions ravagé lagrande cité d’Ilion et mis fin à cette guerre.

Elle dit : la déesse aux bras d’albâtre, Junon,

sourit. Neptune qui ébranle la terre, adressant la

parole à Apollon : .Apollon, lui dit-il, demeurerons-nous specta-

teurs oisifs de ces combats? Il seroit honteux pour anous de remonter-dans le palais d’airain de Jupiter,

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CHANT XXI. 75sans y avoir pris part; Commence; car tues leplus jeune. Ayant sur toi l’avantage d’une longue

expérience, la victoire seroit peu glorieuse, si jelançois le premier mon javelot. Insensé l ne te.souvient-il plus des maux que seuls entre tous lesimmortels nous souffrîmes dans cette cité per-fide? Exilés de l’Olympe par l’ordre de Jupiter ,

nous fûmes contraints de louer nos services pourune année à l’injuste Laomédon. Nous convînmes

de prix avec lui. Soumis aux ordres de ce mortel,je lui bâtis la ville qu’il fondoit, j’élevai ses rem-

parts, mes mains construisirent la haute muraillequi l’environne, je la rendis inexpugnable, tandisque, sous l’habit d’un vil pâtre, tu veillois à la

garde de ses bœufs dans les profondes vallées etles vastes forêts de l’Ida. Quand les saisons , lesmois ,’ les heures furent révolues, que l’époque

de notre paiement fut arrivée , le perfide Laomé-don nous refusa le salaire qui nous étoit dû, nouschassa de sa présence, osa te menacer de resserrertes pieds et tes mains en d’indignes fers, de tevendre comme un vil esclave dans une terre étran-gere, de nous mutiler ignominieusement l’un etl’autre. Enflammés d’un juste courroux, privés du

salaire qui nous fut promis, une fuite honteuse futnotre récompense ; et maintenant tu protégés ce

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76 L’ILIADE,peuple; et refuses de te joindre à nous pour exter; ’

miner les perfides Troyens , leurs femmes , leurs 1’

enfants!Ô Neptune, répond le dieu qui lance au loin ï

ses invincibles traits; je ne serois pas sage à tes: ’yeux, si-l’intérêt de vils mortels, qui, semblables "j

aux feuilles des arbres, brillent d’un éclat passa-i.ger, se nourrissent un jour des dons de Cérès, se ï’

flétrissent le lendemain et disParoissent de dessusla. terre , m’engageoit dans un périlleux "combat

contre toi: terminons ces débats, souffrons que ’les hommes se détruisent sans nous mêler de leurs ’

querelles,Il dit, et reprend le siege qu’il a quitté; car il

craint de lutter contre son oncle Neptune. Sa sœurlarchasseresse Artémise lui adresse ces reproches

amers: ’ ’Tu fuis, ô Apollon, abandonnant à Neptuneune trop facile victoire! le dieu de la mer triomphede toi sans combat! Lâche! quitte cet arc,’brise-

ces fleches inutilesdans tes mains; cesse de te rvanter, comme tu faisois autrefois dans le palaisde notre’pere, en présence de tous les immortels,

de combattre seul le dieu de la mer, de réprimerses: fiireurs.

Elledit. Apollon fuit sans lui répondre.

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CHANT XXI. 77.respectable épouse de Jupiter, que ce discoursirrite, adresse à la chasseresse Artémise ces dures

paroles: I p hAudacieuse déesse , qui oses lever contre moi ’l’étendard de la révolte , ni ton arc ni tes fleches ne I,

pourront te soustraire à ma vengeance. Si Jupiterte donna’la force du lion, poursuis au semmet desmontagnes les cerfs, les daims timides; précipite-les mortels dans les sombres demeures ;" telles sontles limites de ton peuvoir: mais ’n’entreprends pas

de disputer la victoire à des divinités plus puis?sautes que toi. Que dis-je? ose l’essayer, Ose me-

surer tes forces. contre les miennes. . VElle dit; et saisissant d’une seule main les deux I

mains de la déesse, de la droite elle la contient, ide la’gau’che elle détache son carquois, meurtrit.

ses joues, l’outrage avec un rire moqueur. Les He:-

ches de Diane tombent éparses sur la terre; elle!fuit versant des larmes ameres: telle une timide tcolombe fuit à l’aspect de l’épervier, heureuse de

trouver, quand son heure fatale n’est point arrivée, ’

un aser dans l’antre obscur d’une roche pro- Hfonde; ainsi fuit Artémise éplorée, abandonnant

son arc et ses fléchés. ATémoin de ce cémbat,’ le messager. des dieux;

Mercure, adresse la parole à Latone :

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73 L’ILIADE,Latone,.lui dit-il , je n’essaierai pas de lutter

contre toi; il est dangereux de disputer la victoireaux épouses du dieu qui assemble les nues. Deretour sur l’Olympe , vante-toi, si tu veux, à laface des immortels, que ton bras a triomphé demon courage.

Il dit. Latone, rassemblant dans la poussiereles fleches de sa fille que le vent a dispersées, lesreplace dans le carquois, suit sa fille sur l’Olympedans le palais d’airain de Jupiter. Honteuse, dé-sespérée, Artémise embrasse les genoux de son

perezdes larmes ameres coulent de ses yeux; sesfréquents soupirs agitent le voile immortel qui lacouvre. Son pere, le fils de Saturne , la serrantdans ses bras, l’interroge avec un doux sourire:

Ma chere fille, lui dit-il, lequel des habitantsde l’Olympe a osé t’outrager, comme si tu avois

. commis quelque éclatant forfait?Ton épouse , ô Jupiter, lui répond la chasseresse

Artémise,’Junon aux mains d’albâtre, qui seme la

discorde entre les dieux.Tels sont leurs entretiens dans le palais de J u-

piter. Cependant Apollon pénétré dans Ilion; car

il craint que dès ce jour, contre l’ordre du Destin,

les Grecs ne renversent la haute muraille de Troie.Les autres divinités remontent sur l’Olympe: les

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CHANT xx1.i ’ 79unes irritées et confuses , les autres triomphantes;toutes prennent place autour du trône du dieu quilance le tonnerre.

Mais Achille poursuit les Troyens dans la plaine:hommes et chevaux tombent sous ses coups. Sem-blables aux tourbillons de filmée qui s’élevent dans

le vague de l’air, de l’incendie d’une grande cité,

effet terrible du courroux des dieux; tels, sous lesbras d’Achille, les travaux, les douleurs accablentles Troyens. Du sommet de la haute tour d’Ilion ,le vieux Priam voit l’indom table fils de Pélée qui

poursuit les siens dans la plaine : aucune forcehumaine ne peut le repousser. Effrayés, ils se pré-

cipitent en foule sur les portes , cherchant un asyledans leurs murs. Priam, poussant de profonds sou-pirs , se hâte de descendre de la tour pour donnerses ordres aux gardes des portes.

Tenez, leur dit-il, les portes ouvertes, jusqu’àce que l’armée que le fils de Pélée resserre sous

nos remparts, soità l’abri de nos murailles; car je

prévois un affreux carnage. Quand les Troyenségarés, poursuivis par Achille, commenceront à

resPirer, fermez les portes, abaissez les leviers;ajoutez à leur solidité, dans la crainte que ce ter-rible ennemi ne les brise.. Il dit. Les gardes relâchent les leviers, les portes

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89 .L’IL.IA.DE,’’IS’ouvrent. Ce fut’le salut des Troyens. Apollon

vole à leur aide. Accablés de poussiere , essoufflés,

haletants, dévorés d’une soif ardente, ils fuient:

Achille les poursuit le javelot tendu , la fureur dansl’amé. Dès ce jour les Grecs se fussent emparés de

la ville de Priam , si le dieu qui lance au loin sesfleches invincibles n’eût suscité contre eux le filsd’Anténor, le vaillant Agénor. Appuyé contre le

grand chêne, couvert d’une nuée épaisse, Apollonsouffle dans l’ame de ce héros un intrépide couÏ-

rage; il est à ses côtés , repousse les coups que lesmains pesantes d’Achille s’efforcent de lui porter.

A la vue du fils de Pelée, le destructeur des cités,le fils d’An ténor s’arrête : diverses pensées sembla-r

bles aux flots de la mer se combattent dans son,esprit ;’il soupire: ’ i

Malheureux! se dit-il à lui-même , si je m’efforce.

de fuir par cette route que couvre un. peuple im-mense de Troyens effrayés, le fils de Pélée m’at-

teindra ; il me percera de son javelot sans éprouver.

de résistance; ma mort sera honteuse. Si, me sévparant de la foule , j’abandonne les murailles deTroie, traversant la plaine d’une course rapide ,cherchant un asyle dans nos sombres vallées, dans .les sentiers tortueux de l’Ida, j’étancherai ma soif ,

dans le fleuve, et rentrerai dans la ville quand la

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’ CHANT XXI. 81inuit couvrira le ciel de son «ombre. De quelles pen-sées s’occupe mon esprit ! Achille me verroit fuir;

il fondroit surmoi, m’atteindroit par la rapidité de

sa course: je ne pourrois échapper aujtrépas; car ilest le plus léger, le plus fort des mortels. Qu’armé

du pesant javelot, j’ose marcher contre lui scus’le’s

murs de ma patrie, je pourrai le prévenir. En cemoment Jupiter lui derme la victoire: mais il n’aqu’une vie; on dit qu’il est mortel comme n0us.

Il dit; et se retournant, il attend Achille de piedferme. Son courage s’enflamme: combattre Achille,

vaincre ou mourir, est l’objet de ses vœux. Telle ,au fond d’un bois épais, une. panthere furieuse, gintrépide, s’élance sur une troupe de chasseurs; les

fléchés, les longs épieux, les pesants javelots, fon-

dent sur elle; ses blessures accroissent sa fureur;de toutes parts elle présente aux ennemis et des

’ ongles crochus et une gueule enflammée, usqu’à ce

’ qu’enveloppée elle tombe sous leurs coups:ainsi le

valeureux fils d’Anténo’r, le javelot tendu, couvert

de son vaste bouclier, tient ferme, impatient decombattre Achille. Élevant la voix, il l’appelle:

o Achille, lui deum te flattes du vain es-poir de dévaster en ce jour la puissante cité desTroyens. Insensé ! des maux que tu ne prévois pas

t t’attendent dans ces murs; des peuples nombreux,

4. . 11

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32 L’ILIADE,CHANT xxr.de vaillants guerriers combattront soirs les yeux deleurs femmes, de leurs enfants, dont le désespoiraccroîtra la fureur : malgré ton intrépidité , tu

trouveras la mort sous nos remparts.Il dit; et lançant le pesant javelot, il atteint

Achille à la jambe au-dessous du genou; la pointeaiguë heurte avec fracas l’étain solide des immor-

tels brodequins: mais les présents des dieux lui ré-

sistent. Achille fond sur le divin Agénor. Apollonne souffre pas qu’il remporte la victoire ; envelop-pant d’un nuage épais le fils d’Anténor, il le dépose

dans un asyle sûr, loin des fureurs de la guerre, etécarte , par un adroit stratagème, le fils de Pelée

des murs de Troie. Prenant la forme , la taille, lestraits, la ressemblance d’Agénor, le dieu qui lance

au loin ses fléchés fuit à travers la plaine : Achille

poursuit l’image trompeuse de son ennemi. Apol-lon hâte ou ralentit sa course , suivant qu’il le ugeconvenable pour fortifier l’espoir du fils de Pélée ,

accroître son ardeur, le fatiguer dans les contoursdu tortueux Scamandre. Cependant les Troyenseffrayés se précipitent en foule dans la ville; la ter.

reur ne leur permet ni de s’attendre, ni de se re-connoître: tous ceux que la fuite a dérobés au tré-

pas, saisissent avec transport la voie de salut quileur est offerte; ils se répandent dans la grandecité d’Ilion.

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L’I L I A, D E.

CHANT XXII.

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ARGUMENT.La seul Hector demeure hors des murs de Troie. Priam et Hécube

font de vains ciriers pour lui persuader de rentrer dans.la ville. Il at-tend Achille de pied ferme : mais bientôt mis en. fuite par le fils dePélée, il est contraint de parcourir jusqu’à trois fois toute l’enceinte

extérieure des murailles desa patrie...lupi1er suspend ses éternellesbalances; le destin d’Hector se précipite : le dieu qui regne sur l’O-

lympe ordonne à Apollon d’abandonner la sanglante arene. Minerve:r

sous la forme. de Déiphobus, frere d’Hector , lui persuade de provo-

quer Achille au combat; et aussitôt la déesse l’abandonnepour se-

courir Achille. Mort d’Hector : Achille le traîne autour des murs de

Troie , et de là dans le camp des Grecs. Deuil affreux dans Troie:

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ME;L’ILIADE.

CHANT XX’II.

Hector poursuivi par Achille fait [rois fois le tour des

murs de Troie, et tombe sous les coups du fils de

Pelée. I ’TANDIS’ que les Troyens fuient comme des faons

timides; que, resserrés dans leurs murs, défenduspar leurs remparts, ils étanchent leur sueur, ap-»paisent leur soif ardente: les. Grecs ,. portant leursboucliers. sur leurs épaules ,”marchent à grands pas

contre Troie; déja ils sont aux pieds des rempartsaHector seul, enchaîné par son. funeste destin , de-meure hors. des. murs , devant la porte Scée. En cet:instant Apollon se découvre à. Achille.

Fils de Pelée, lui dit-il, quelle aveugle con»fiance dans la rapidité de ta course t’attache surmes pas? Je suis un dieu : j’ai dérobé ma divinité à;

ta vue mortelle pour donner le change à ta fureur.Les Troyens , qui. fuyoient devant toi, sont main:tenant en. sûreté dans leurs murailles. Cesse de te;

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86 L’ I L I A D E ,flatter d’un vain espoir: la mort n’a point de prise

sur moi. ,Divinité cruelle entre tous les immortels, ré-

pond le léger Achille poussant un profond soupir,ô Apollon qui lances au loin tes invincibles traits ,si cette fatale erreur ne m’eût écarté des remparts,

grand nombre de Troyens eussent mordu la pousvsiere avant de se renfermer dans leurs murs. Tum’enleves une gloire immortelle; à l’abri du dan-

ger, tu remportes sur moi une facile victoire : jeme vengerois s’il étoit en mon pouvoir.

Il dit; et méditant de grands projets , il volecontre Troie avec autant de rapidité qu’un cour-

sier vigoureux, vainqueur dans les combats du cir-que, s’élanceso us le char qu’il entraîne : tel Achille

développe avec souplesse et légèreté ses jarrets

nerveux. Le vieux Priam l’apperçoit le premierdans la plaine. L’éclat qui l’environne le fait aisé-

ment reconnoître : ainsi brille sur la voûte éthérée,

pendant les nuits d’automne, l’astre brûlant qu’on

nomme le chien d’Orion ; les rayons qu’il dardeeffacent la splendeur des étoiles , sinistre présagedes feux de l’été, des fléaux prêts à fondre sur les

malheureux mortels: tel l’airain dont le fils dePélée est couvert brille pendant cette course ra-pide. A cette vue le vieux Priam meurtrit ses joues,

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CHANT xxrr. 87pousse de profonds soupirs, éleve ses mains auciel, appelle son fils , le vaillant Hector, qui, im- -patient de se mesurer contre Achille , se tient de-vant la porte Scée. Étendant vers Hector ses brasdéfaillants , Priam lui parle ainsi:

Hector, mon cher fils, n’entreprends pas seul,séparé des tiens, de combattre Achille. La mortseroit la peine de ta témérité ; car le fils de Pelée

est plus fort que toi. Si les dieux conspiroient avecma haine, bientôt nous le verrions , étendu surl’areue , devenir la proie des vautours: mon cœurseroit soulagé du poids énorme qui l’accable. Le

cruel! il me ravit tous mes valeureux enfants, versale sang des uns, vendit les autres dans une terreétrangère. En ce moment mes regards ne peuvent

découvrir parmi les Troyens errants dans cettevaste cité deux de mes fils, Lycaon et Polydore,que j’eus de Laothée, la plus belle des femmes.

S’ils existent captifs dans le camp des Grecs, jen’épargnerai ni l’or ni l’airain pour les racheter;

car les immenses trésors que l’illustre Altée donna

à sa fille sont renfermés dans mon palais. S’ils ha-

bitent les sombres demeures , leur mort sera pourmoi, pour leur tendre mere, une source éternellede larmes, moins funeste toutefois , moins dou-loureuse aux Troyens que la tienne , ô mon fils

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88 . L’ILIADE’,’HectOr, si tu tombois Sous le’javelot d’Achille:

Rentre dans nos murs; défends les Troyens etleurs chastes épouses; redoute le terrible javelotdu fils de Pelée, ne souffre pas qu’il remporte une

telle victoire. Prends pitié de ton malheureux perec0urbé sous le poids des ans, que le fils de Saturneprécipitera bientôt dans la nuit du tombeau. Danspeu la Parque cruelle tranchera le fil de mes jours;épargne à mes yeux l’affreux spectacle de la mort

de mes fils, de la captivité de mes filles, de noslits profanés , des fils de mes enfants écrasés contre

la pierre dans ce carnage affreux, des épouses demes fils réduites à l’esclavage, entraînées avec vio-

lence par les enfants de la Grece; tandis que ,percé d’un javelot ou d’une fleche homicide, ex-

pirant dans l’enceinte de mon palais, les chiensque je nourris de ma table, qui veillent à l’entrée

de l’auguste demeure des rois, dontla soif assouvie

de mon sang accroîtra la rage , rassasiés de mesmembres qu’ils auront déchirés , dormiront en

paix aux portes de mon palais. La mort est glo-rieuse pour un jeune héros qui balance la victoiredans un sanglant combat, et succombe sous le ja-velot de l’ennemi. Que lui importe que sa dé-pouille mortelle demeure sur le champ de bataille?tout est honorable pour lui. Mais un vieillard in-

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c H A N T x x11. 89’fortuné, à qui il reste à peine quelques cheveux

blanchis par les ans, dont le menton porte desmarques trop senSibles de l’injure du temps, tom-bant sans défense sous l’airain meurtrier, traîné

sur la poussière , déchiré par les chiens qu’il a

nourris , est un spectacle affreux, hOrrible imagedes maux les plus "cruels qui accablent les hu-mains.

Il dit, arrache ses cheveux épars , et ne peutébranler l’intrépide Hector. Sa mere déchire ses

vé temen ts, verse des larmes abondantes, lui montre

le sein qui l’a nourri. .Hector, mon cher fils, lui dit-elle, que. cet

affreux et trop véritable tableau des maux prêts-à fondre sur nos têtes fasse impression sur ton-esprit. Prends pitié de moi qui te nourris de monl’ait, qui éloignai la douleur de ton berceau. Be-

connoissant des soins que je pris de ton enfance,rentre dans nos murs, protege nos remparts; n’en-treprends pas Seul, sans secours , de provoquer aucombat ce redoutable ennemi. Cruel Hector! si.Achille te donne la mort, ni ta mere qui te cençutdans son sein, ni ta tendre épouse qui t’appOrtaune riche dot, n’arroseront de leurs larmes ton litfunebre. Loin de nos murs, dans les vaisseaux des

4. 12

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9° L’ILIADE,Grecs, ton corps sera la proie des chiens et des

vautours. ,Ainsi Hécube sa mere , ainsi le vieux Priam ,versent des larmes ameres, le conjurant de rentrerdans Troie. Leurs efforts sont inutiles; ils ne peu-vent le fléchir. Seul devant la porte Scée, il attend.l’invincible fils de Pelée, qui déja est près de lui.

Tel, à l’entrée de son antre, un énorme dragon ,

repu des plantes vénéneuses , lançant de terribles

regards, étale les contours tortueux de sa queueimmense aux yeux du laboureur qui se di3pose à lepercer; tel Hector, couvert de son vaste et écla-tant bouclier, intrépide , impatient de combattre ,appuyé contre la haute tour d’Ilion, tient ferme,attend le fils de Pelée. Poussant de profonds gé-missements, il se dit à lui-même:

Ô dieux! quelles affreuses alternatives s’offrent

à ma pensée! Si, rentrant dans la ville, je me metsà l’abri de nos remparts, je crains les justes repro-

ches de Polydamas, qui me conseilla de profiter,pour ramener les Troyens dansleur ville , des 0mmbres de cette nuit affreuse pendant laquelle ledivin Achille s’est réveillé. Je fus sourd aux con-

seils de Polydamas; mon imprudence fut la causedu carnage des Troyens; ils me feront des repro-ches , hélas! trop mérités. Je redoute les larmes de

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CHANT xxrr. 9.tant de veüves désolées. Le plus vil des Troyenss’élèvera contre moi, insultera à ma témérité :

cc Hector, dira-t-il, se confiant dans ses forces, ace causé la ruine d’un: grand peuple. a: Ils parleront

ainsi. Combattre Achille, mourir avec gloire de lamain de ce héros, défendant ma patrie, ou rentrervainqueur dans nos murs, ayant délivré la grandecité de Troie , ce parti est sans doute préférable.

Suspendant, mon inutile bouclier, déposant cecasque pesant, ayant appuyé mon javelot contrela muraille , irai-je au-devant d’Achille lui pro-mettre de rendre au fils d’Atrée Hélène et les tré-

sors que les vaisseaux de Pâris apportèrent dansTroie, première cause de cette guerre cruelle?m’engagerai-je à partager avec les Grecs toutes les

richesses renfermées dans les murs de cette grandecité? contraindrai-je nos vieillards d’assurer avec

serment qu’aucune portion de ce riche butin n’aété détournée? Mais pourquoi m’occuper de ces

vaines pensées? Hector aborder Achille en sup-pliant! Le mépris que je lui inspirerois étoufferoit

la pitié dans son ame. Sans attendre que je mecouvrisse de mes armes, il me perceroit de. sonjavelot comme une femme craintive. Ce n’est plusle temps de parler de paix, de s’entretenir sous lechêne ou sur la pierre, comme un jeune berger et

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92 L’ r L I A D E,sa timide compagne: marchons au combat; éprou-vous auquel des deux le dieu qui regne surl’Olympe

accordera la victoire. ITandis que ces pensées se succedent dans son

esprit, Achille approche , semblable à l’homicide

Mars , agitant le terrible javelot du Pélion z sonvaste bouclier brille autour de lui comme un feuardent, ou comme les rayons du soleil levant. A lavue du fils de Pélée , la terreur s’empare de l’ame

d’HeCtor; il n’ose demeurer dans le poste qu’il a

Choisi , près des portes de la grande cité: effrayé ,

il fiiit. Achille se confiant dans sa légèreté, dans la

souplesse de ses jarrets, le poursuit avec ardeur.Tel, au sommet des montagnes , l’épervier, le plus

vite des oiseaux, se précipite sur une foi’ble co-lombe; avec une égale rapidité Achille pourSui-vant Hector parcourt toute la vaste enceinte. desmurailles de Troie. S’élançant dans la route frayée

par les chars, au-dessous de la colline couverte "defiguiers sauvages qui joint les murs d’Ilion , lieupropre à une embuscade, les deux héros parvieng

rient au tertre qui domine sur la ville, au grand-chêne, au superbe aqueduc qui porte les eaux dufleuve dans cette grande Cité. où deux rameaux.émanés du Scamandre tortueux emplissent deuxfontaines: l’une d’eau chaude; une noire fumée

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CHANT XXII. 93l’environne , semblable à celle qui s’éleve à gros

bouillons d’une fournaise ardente: une onde aussilimpide, aussi froide que la grêle, la neige ou laglace, s’écoule par l’autre soûrce. De vastes et su-

perbes’bassins de marbre reçoivent ces eaux: les

filles, les épouses des Troyens y lavoient dans letemps de la paix, avant l’arrivée des Grecs , lessuperbes vêtements de leurs peres , de leurs époux.

Achille poursuivant Hector , qui fuit devant luid’une course rapide, parvienten ce lieu: un hérosfuit devant un héros plus léger, plus intrépide. Cen’est point à de vils trophées qu’ils aspirent; une

victime destinée aux sacrifiées , une ample peau de

bœuf, prix ordinaire des courses dans les combatsdu cirque, ne sont pas les objets de leur vaine am-bition : le fils de Priam défend sa vie con tre l’impé«

tueux fils de Pelée. De même que, dans ces luttescélebres par lesquelles on honore les funéraillesdes héros, de vigoureux coursiers, vainqueurs dansun grand nombre de combats, parcourent avec ra-. "pidité la carriere tracée; un trépied d’or, une belle

captive attendent dans l’arene l’écuyer le plus

adroit, le coureur le plus léger; de même AchilleV et Hector font trois fois , avec une incroyable ra-

pidité , le tour de la vaste enceinte d’llion. Assis au

sommet de l’Olympe, les, immortels contemplent

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94 L’ILIADE,cette lutte dangereuse. Le pere des dieux et deshommes leur adresse la parole:

Divinités qui assistez à mes conseils , dit- il , jevois fuir un héros cher à mon cœur. Je plains lemalheur d’Hector qui brûla sur mes autels lescuisses de tant de victimes, tantôt au sommet es-carpé de l’Ida, tantôt dans l’enceinte de ce temple

qui m’est consacré dans la citadelle d’Ilion. Le

divin Achille le poursuit; il parcourt avec lui lesmurs de la ville de Priam. Dieux de l’Olympe ,aidez-moi de vos conseils : lui prêterai-je le se.-cours de mon bras pour qu’il échappe à la mort?

souffrirai-je que son intrépidité soit domtée parAchille ?

Ô mon pere , qui manies la foudre et assemblesles nues, quelle parole est sortie de ta bouche!répond Minerve: tu sauverois du trépas un morteldévoué à la mort depuis long- temps, dont l’heure

fatale est arrivée !Que tes volontés suprêmes aient

leur exécution: mais n’espere pas faire approuver

tes projets par les autres immortels!Rassure-toi , ô Minerve , fille chére à mon cœur,

lui répond Jupiter: telle n’est pas ma pensée; tecomplaire est mon seul désir: hâte-toi d’exécuter.

ce que ton esPrit te suggere.Il dit, et accroît l’impatience de la déesse qui.

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CHANT XXII. ’95se précipite du sommet: de l’Olympe. Cependant

Achille poursuit Hector; il le presse; il est prèsdel’atteindre. Tel, au sommet des montagnes, unlimier vigoureux poursuit dans la profondeur de lavallée, dans les défilés tortueux d’une vaste forêt,

un faon timide qu’il a lancé, qui s’efforce en vain

de se cacher dans un épais taillis ; le limier furieuxsuit ses voies , le contraint d’abandonner l’asyle-où

il s’est réfugié : aussi vains sont les efforts d’Hec-

tor pour échapper à la poursuite du fils de Pelée.

Autant de fois que, protégé par les fleches et les

javelots que les Troyens lancent du sommet deleurs tours, le fils de Priam essaie d’approcher desportes d’Ilion , autant de fois Achille, bordant lesremparts, l’éloigne des murs de sa patrie, le re-

pousse dans la plaine. Telles fuient devant nousces images trompeuses que les songes offrent ànotre pensée pendantle silence de la nuit; en vainnous faisons effort pour les saisir, elles s’envolent:ainsi Hector fuit devant Achille; le fils de Pélée nepeut l’atteindre; et cependant il n’eût pas échappé.

long- temps au trépas , si Apollon ne fût venu à

son aide pour la derniere fois. Ce dieu ne quittepoint Hector : pour précipiter sa fuite et accroître

le [ressort de ses jarrets, tantôt il le précede ettantôt il le suit. A la vue de cette course rapide,

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sa a L’ 1 L 1 A D E,l’armée des Grecs n’ose lancer sur Hector ni ne-

Ches ni javelots. Jaloux de porter les premiers’coups, le divin fils de Pélée les contient par ses

regards. Trôis fois les deux héros ont parcOuriila vaste enceinte des murs d’Ilion; ils atteignentde nouveau l’aqueduc et les fontaines. En ce ino-

ment le pere des dieux et des hommes suspendces balances d’Or qui décident de la vie ou dela mort des humains. Soutenant dans un parfaitéquilibre le fléau de l’éternelle balance, il place

dans l’un! des bassins la destinée d’AChille , dans

l’autre la destinée du vaillant Hector; le destind’Achille s’éleve jusqu’aux nues , celui d’Hector

Se précipite dans les enfers. Apollon l’abandonne.Minerve s’approchant d’Achille lui parle ainsi:

Fils de Pélée , chéri de Jupiter, conçois un juste

espoir de retourner triomphant dans les vaisseauxdes Grecs, ayant vaincu cet Hector qui ne pou-voit se rassasier de combats. En vain Apollon seprosterne aux pieds du dieu qui porte l’égide ,Hector n’échappera pas à nos coups. Suspends ,

pour prendre haleine, ta course rapide: je m’ap-procherai d’Hector; je lui inspirerai la téméraire

pensée de te provoquer au combat.’ Ainsi parle Minerve: Achille obéit. Joyeux de

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CHANT xx11. 97se mesurer contre Hector, ils’arrête appuyé sur

sa lance. .ç Prenant la .forme et la voix de Déiphobus, ladéesse s’approche du fils de Priam:

Mon respectable frere, lui dit-elle, le légerAchille a épuisé ses forces à te poursuivre autour

de nos remparts : osons le combattre; nous noussoutiendrons l’un l’autre. H

Déiphobus, répond le grand Hector, de tousmes freres, enfants d’Hécube et de Priam, tu fus

dans tous les temps le plus cher à mon cœur: main-

tenant je conçois pour toi une nouvelle estime.Tandis que les autres, renfermés dans nos murs ,.ni’abandonnent, tu vois le péril, et oses sortir de

nos remparts pour voler à mon aide.Ô mon cher frere ! répond Minerve , mon pere,’

ma respectable mère, mes compagnons , embras-soient mes genoux, s’efforçant de me retenir; cartous frémissent à la vue du fils de Pélée : mais ,

éloigné de toi, mon ame étoit accablée de dou-

leur. Marchons à l’ennemi; combattons ensemvble , que nos javelots fondent sur Achille ; éprou-vous si, nous donnant la mort à l’un et à l’autre ,;

il emportera dans ses vaisseaux nos dépouillessanglantes, ou s’il. tombera lui-même sous tes

coups. .4. 13

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98 L’ILIADE,Ainsi parle Minerve; et pour l’entraîner plus

sûrement dans le piege qu’elle lui tend, elle mar-

che contre Achille. Adressant la parole au fils dePélée :

Achille , lui dit Hector, trois fois tu m’as vu’ parcourir la vaste enceinte de la ville de Priam;mondessein est changé: ce n’est point dans lafuite que je cherche mon salut; combattons; quel’un de nous deux périsse. Mais prenons les dieux r

à témoins de notre traité; ils veillent sur nos ac-tions et punissent les parjures. Si Jupiter m’ac-corde la victoire, si je te donne la mort, je m’ab-stiendrai de mutiler ton corps; je m’emparerai de

tes armes, et rendrai ta dépouille mortelle auxenfants de la Grece z promets d’en agir de même

envers moi.j Achille le regardant avec fierté : Hector, luidit-il ,l il n’est plus temps de rappeller nos ancienstraités. Les lions n’en font point avec les hommes,

les loups avec les agneaux; furieux, ils s’élancent

sur eux et les déchirent : ainsi point d’accord ,.point de traité entre nous ; que l’homicide Mars

se rassasie du sang du vaincu. Rappelle ton an-cienne valeur; c’est en ce moment que tu dois temontrer un héros: déploie toute la vigueur deton bras; il n’est plus pour toi de salut dans la

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CHANT XXII. 99fuite. Puisse Minerve diriger les. coups de monjavelot ! puisses-tu subir enfin la peine due à tesforfaits ! Ainsi seront vengés tant de valeureuxcompagnons que tu m’as ravis, dont la perte affligemon cœur.

Il dit, et imprimant à son javelot un mouve,-ment rapide , il le lance : le grand Hector prévoitle coup, se courbe et l’évite ; la pointe aiguë , vo-

lant au-dessus de sa tête , s’enfonce dans la terre.

Invisible au fils de Priam, Minerve arrache le ja-velot, le remet aux mains d’Achille. Hector luiadressant la parole :

Divin Achille, lui dit-il, ton javelot s’est égaré :

Jupiter ne t’avoit pas dévoilé ma destinée. Quand

ta bouche m’annonçoit le trépas, c’étoit un piege

adroit: tu avois dessein de m’effrayer par de vaines

menaces pour me faire oublier mes forces et mepercer par derriere. N ’espere pas me voir fuir de-

vant toi. Frappe-moi dans la poitrine, si un dieudirige ton javelot: mais pare d’abord le coup queje vais te porter. Fléau de ma patrie , puisse monarme s’enfoncer dans ton cœur! Ta mort allége-

roit pour les Troyens le pesant fardeau de cetteguerre.

Il dit; et agitant son javelot, il le lance avecforce. L’arme meurtriere vole sans s’égarer, atteint

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(100 L’ILIAD’E,le centre du bouclier d’AchilIe; mais repousSéepar l’immortel bouclier, elle recule d’un espace

proportionné au mouvement quilui est imprimé.Furieux de l’inutilité du coup qu’il a porté, con-

fus , les yeux baissés, Hector s’arrête : il n’a point

d’autre javelot. Appellant Déiphobus : Ô mon

frere, lui dit-il, donne-moi ton javelot. Mais lefaux Déiphobus a disparu. Reconnoissant le piegedans lequel il est enveloppé , il s’écrie :1 I

Ô Dieux, c’est maintenant qu’il est manifeste

que vous m’abandonnez , que vous m’appellezdans les sombres demeures. Déiphobus , que jecroyois- près de moi, est enfermé dans nos murs :Minerve m’a induit en erreur. La mort est à mescôtés , je ne peux l’éviter : ainsi l’ordonnerent ,

dans les temps les plus reculés, Jupiter et Apollonaux fléchés lège-res , à qui je fus cher autrefois,qui voloient d’eux-mêmes à mon aide, qui écar-

toient la faux de la mort suspendue sur ma tête.Maintenant le Destin me poursuit; mon heurefatale est arrivée; je le sais: mais je ne périraipas sans gloire; je ferai en mourant de grandeschoses; la Renommée les transmettra aux races

futures. ’Il dit, et tirant la longue et pesante épée qu’il

porte suspendue à son baudrier, il s’élance sur

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CHANT XXII. l0!Achille : tel un aigle fond, du sein d’une nue obs-

cure , sur un foible agneau ou sur un lievre timidequ’il emporte dans ses serres crochues ; ainsi Hec-tor, armé du glaive étincelant, fond sur Achille.Furieux, la rage dans le cœur, le fils de Pelée re-cule, se couvre de son impénétrable bouclier ,ouvrage de Vulcain : son casque d’airain, à quatre

pans, agité par les mouvements alternatifs de satête, répand au loin une éclatante lumiere; lesuperbe panache qui le surmonte, les aigrettesd’or dont le divin artiste l’a orné, flottent au gré

des vents. Balancée par ses mains nerveuses, lapointe aiguë répand au loin une lumière aussi viveque celle de l’étoile du soir, le plus éclatant des

astres qui brillent sur l’horizon pendant le calmede la nuit. Méditant la mort de son ennemi,Achille parcourt d’un œil avide de sang toutel’étendue du corps d’Hector, cherchant un foible

intervalle où l’arme meurtriere puisse pénétrer;

car la solide armure qu’Hector a ravie au fils deMénétius le couvre en entier. Apperceviant unfoible vuide, à l’endroit oille casque s’unit à la

cuirasse , .au-dessus de la clavicule, où la bles-sure est plus dangereuse, la mort plus prompte,furieux, il s’élance , frappe Hector en cet endroit.

La pointe aiguë pénetre; et cependant le canal

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102 A L’ILIADE,de la voix n’est pas intercepté. Le fils de Priamtombe étendu sur la poussière. Achille triompheet s’écrie:

Ô Hector, mon fatal courroux t’a induit en er-reur: tu te flattois que Patrocle n’aurait point devengeur. Insensé! il étoit dans les vaisseaux des

Grecs un bras plus puissant que le tien, sous lescoups duquel tu succombes maintenant. Les Grecsferont aux mânes de mon compagnon de superbesobseques; ton corps sera la proie des chiens et desvautours.

Je leve vers toi mes mains" défaillantes , lui ré-

pond d’une voix faible , entrecoupée , le vaillant

Hector; je te conjure, par ton ame généreuse ,par ton pere, par la déesse ta mere , de ne pas per-

mettre que mon corps soit, dans les vaisseaux desGrecs, livré aux chiens et aux vautours. Reçoisl’or, l’airain, immense rançon dont mon pere et

ma respectable mere racheteront ma dépouillemortelle ; rends-leur ce corps sanglant; ne m’envie

pas les honneurs que me rendront les Troyens etleurs chastes épouses.

Jetant sur lui un regard furieux : Perfide , luirépond Achille , n’espere pas m’émouvoir par de

vaines prieres; en vain tu rappelles à mon espritle souvenir de ceux qui me sont les plus chers:

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CHANT xxn. les:puissé-je, pour te punir des maux que tu m’asfaits, pour assouvir ma vengeance, dévorer moi-même tes entrailles ! N’espere pas qu’une main

secourable écarte les animaux carnassiers qui dé-

chireront tes membres. Quand ceux à qui tu doisle jour m’offriroient dix et vingt rançons, quandils me promettroient d’immenses trésors, tout l’or

du Dardanien Priam ne suffiroit pas pour te ra-cheter. Jamais ta tendre mere n’arrosera de seslarmes ton lit funèbre : les chiens et les-vautoursse partageront ta dépouille mortelle.

Je te connois, ô Achille , lui répond Hectormourant, et ne m’étois pas flatté du succès de mes

vœux , car ton cœur est d’acier: mais crains d’atti-

rer sur toi le courroux des dieux. Un jour viendraqu’une fleche meurtrière , décochée par Pâris, di-

rigée par Apollon , te perçant sous la porte Scée,réprimera ta fougue impétueuse.

Ayant ainsi parlé , les ombres de la mort s’éten-

dent sur ses yeux; son ame , abandonnant ses mem-bres , pénétré dans le royaume de Pluton , murmu-

rant contre l’ordre du Destin qui la sépare d’unhéros, dans la force de l’âge , brillant de toutl’éclat

de la jeunesse.Meurs , s’écrie le divin Achille témoin de son

dernier soupir, meurs; et que la’Parque tranche le

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.104 . L’ILIADE,fil de mes jours, quand Jupiter et les autres divi-

.nités l’ordonneront: je me soumets sans regret à

leurs éternels décrets. .Il dit; et arrachant son javelot, il entraîne le

corps d’Hector vers l’armée des Grecs, et il dé tache

l’armure sanglante qui couvre les épaules du fils

de Priam. Les Grecs accourent en foule , admirant.la beauté , l’air martial empreint sur le front d’Hec-

tor; il n’est aucun d’eux qui ne lui fasse quelque

blessure. IÔ mes amis, se disent-ils l’un à l’autre, nous

abordons maintenant avec moins de danger cetHector qui porta la flamme dans nos vaisseaux.

Ils parlent ainsi, e t enfoncent leurs javelots dansson corps. Le léger, le divin Achille reprend l’im-

mortelle armure. Debout au milieu des bandesnombreuses des enfants de la Grece , il s’écrie:

Ô mes amis, chefs et conseils de la nation desGrecs, puisque les dieux ont livré en nos mainsce héros, qui seul accabla les Grecs de plus demaux que tous les Troyens ensemble, couverts denos armes, donnons dès ce moment l’assaut à la

ville de Priam; essayons si les Troyens oserontnous résister, ou si, n’ayant plus Hector à leur

tête , ils abandonneront leurs remparts. Mais-de quelles pensées s’occupe mon e3prit? Étendu

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CHAN.T XXII. 105. dans ma tente, un héros est privé de la sépulture.

Patrocle, dont l’image vivra dans mon cœur tantque j’existerai parmi les mortels,tant que mon ainerégira mes organes , Patrôcle dont le souvenir m’ac-

compagnera dans les sombres demeures, n’a pointencore reçu le tribut de nos larmes. Empresso’ns-

nous de rendre à mon fidele compagnon les hon-neurs qui lui sont dûs. Enfants de la Grece, chan-tez ma victoire, retoumons à nos vaisseaux, re-portant au camp le corps d’Hector: a: Une gloire«immortelle nous est assurée; le divin Hectorle est tombé sous ’nos coups , Hector, à qui lesce Troyens adressoient leurs vœux comme à un

a: die-u. a) ’ lIl dit; et exerçant sur le fils de Priam une in-digne vengeance , il lui fait une large et profondeplaie , qui s’étend depuis la cheville jusqu’au talon ,

ç sépare les nerfs et les tendons, y introduit de so-lides courroies, à l’aide desquelles il le suspend àl’aissieu de son char. La tête d’HBCtor est impré-

gnée de poussière. Achille s’élance sur son char;

d’une main il soutient et éleve la brillante armure,

de l’autre il anime ses coursiers avec le fouet: do-ciles à la main qui les guide, ils traînent le corpsd’Hector autour des remparts de Troie. Sa têteroule sur la terre, sa noire chevelure est éparse;

4. a 14

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106 L’ILIADE,ce front, autrefois plein de graces et de majesté,est couvert de poussiere; Jupiter l’a livré à ses en-

nemis pour qu’il éprouvât cet indigne traitement

dans sa terre natale: ses joues sont meurtries, satête est empreinte dans la fange. .

Témoin de ces outrages, la mere d’Hector,Hécube , arrache ses cheveux ; jetant des cris per-çants, elle repousse loin d’elle le voile éclatantqui la couvre. Priam désolé fait entendre au loin

ses sanglots lamentables. Les peuples accourenten foule , versant des larmes ameres; leurs crisdouloureux retentissent dans la grande cité d’I-

lion , comme si un vaste incendie, allumé dansla citadelle de Troie, réduisoit en cendre cettegrande ville. Les peuples s’empressent autour duvieux Priam , font effort pour contenir les mouve-ments impétueux de sa douleur. Il veut sortirpour implorer la pitié d’Achille; il se roule dansla poussiere, adressant d’humbles prieres à chacun

de ceux qui s’opposent à son passage: Arrêtez, ômes amis, leur dit-il ; cessez de m’objecter ce que ’

je dois à ma gloire, ce que je dois à ma sûreté.Souffrez que je pénétré seul dans le camp desGrecs, que j’eSSaie d’émouvoir ce terrible vain-

queur: peut-être il respectera mes cheveux blancs;peut-être aura- t-il compassion de ma vieillesse.

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CHANT xxu. M7Achille a un pere. Le vieux Pelée prit soin de sonenfance; il l’éleva pour le malheur des Troyens ,

et sur- tout pour le mien. Le cruel! il a comblé lamesure de mes maux. Il m’a ravi mes fils ; tous, aà la fleur de l’âge, sont tombés sous ses coups.

Mais la douleur que me cause la perte de tous lesautres n’égale pas l’affliction dont m’accable la

mort du seul Hector; elle me suivra jusques dansles demeures de Pluton. Que n’a-t-il succombéentre nos bras! nous eussions arrosé de nos larmes,sa dépouille mortelle; nous nous fussions rassasiés

de nos pleurs , sa mere et moi, sa mere qui le mitau monde pour le malheur.

Il parle ainsi, versant des larmes ameres. LesTroyens pleurent au tour de lui; les échos répetentleurs longs gémissements. Hécube , environnée

des femmes troyennes , ouvre un deuil affreux:Quel est l’excès de mon malheur, dit-elle.

Ô mon cher fils , que me sert la vie après t’avoir

perdu? Hector, que je me glorifiois nuit et jourd’avoir mis au monde; Hector, le rempart deTroie , le puissant protecteur des Troyens et desTroyennes , qui t’honoroient comme un dieuquand ils te voyoient revenir du combat; Hector,fila gloire de ton pays , tu succombes sous ta cruelledestinée !

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108 L’ILIADE,’Elle parle ainsi, versant’un torrent de larmes."

V L’affreuse nouvelle n’est point encore parvenue

aux oreilles de la veuve d’Hector: aucun n’est en-

tré dans son palais pour lui faire un récit, hélas!trop véritable; elle ignore que l’intrépide courage.

de son époux l’a retenu hors des portes de la ville.

Retirée au fond de sa demeure, occupée à tresser

un grand voile dont elle nuance avec art les cou-leurs, la triste Andromaque ordonne en ce mo-ment aux femmes captives de placer sur le feu un,grand trépied , de préparer un bain chaud pourHector, quand il reviendra du combat. Infortu-née! elle ne prévoit pas l’inutilité de ses soin-s;

elle ne sait pas que Minerve a percé son épouxpar les mains d’AchilIe. Les cris des Troyens, letumulte qui regne sur la tour, parviennent enfin ases oreilles : ses genoux fléchissent, les fuseaux.tombent de ses mains; elle appelle ses femmes:

mes compagnes , leur dit-elle, que deux!d’entre vous me suivent: je cours découvrir lacause de cet affreux tumulte. La voix de ma res-pectable belle-mere est parvenue jusqu’à moi;mon cœur en a tressailli ; mes genoux ont fléchi: ..sans doute quelque nouvelle calamité accable lesfils de Priam. Dieux, détournez ce funeste pré-’-

sage l je tremble qu’Achille, interceptant à l’in-

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CHANT XX’II. 109trépide Hector le chemin de la ville, ne l’aitpoursuivi hors de nos murs, qu’il ne l’ait atteint,qu’Hector ne se soit engagé dans un périlleux

combat contre le fils de Pélée , que la fougue im-pétueuse de mon époux n’ait été réprimée : car

Hector ne fut jamais confondu dans la foule; ils’élançoit hors des rangs; auCun ne pouvoit lui

être comparé. IElle dit, et furieuse , palpitante, elle se hâte desortir du palais; ses femmes la Suivent. Elle percela foule , monte sur la haute tour d’Ilion : planegeant sur la plaine, elle voit Hector que les cour-siers d’Achille entraînent aux vaisseaux des Grecs,

l’ayant roulé dans la poussiere autoûr des rem-

parts de Troie. A cette vue un épais nuage dedouleur s’étend sur ses yeux; elle tombe renver-

sée, expirante. Les réseaux, les bandelettes quiparent son front, cette tresse brillante qui noue sachevelure , ce voile éclatant que lui donna Vénus ,le jour que , vainqueur de ses rivaux, Hector l’em-

A mena du palais de son pere , comblée de richesprésents, sont emportés loin d’elle; ses compa-

gnes, ses sœurs , les filles, les épouses des fils dePriam l’environnent, la soutiennent dans leursbras: la mort est l’objet de Ses vœux. Rappellant

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no ’L’ILIADE,enfin ses esprits, un faible souffle s’exhale de Seslevres par sanglots entrecoupés :

Hector, dit-elle, malheureuse ! une même des-tinée présida à notre naissance : à la tienne dans

Troie, dans le palais de Priam ; à la mienne dansThebes, dans l’ombragée Hypoplacie, dans le pa-lais d’Éétion qui éleva mon enfance. Pere infor-

tuné d’une fille plus malheureuse, falloit-il medonner le jour! O mon cher Hector ! dévouésl’un et l’autre à l’infortune , tu descends dans les

sombres demeures , et me laisses veuve dans cepalais et un fils au berceau ,1 unique fruit de notrehymen. Hector est mort; il ne sera plus ton dé-fenseur , ô mon fils ! Quand tu échapperois à la,cruauté des Grecs, à l’affreux carnage de cetteguerre , source de tant de larmes , tu ne seras pointl’appui de la vieillesse de ton pere. Les travaux, lesdouleurs t’attendent; d’injustes ravisseurs s’empa-

reront de tes biens; tel est le sort d’un malheureuxorphelin. Ses compagnons , ses égaux le mépri-sent: baissant les yeux, les joues baignées de lar-mes , il aborde en tremblant les amis, les compa-gnons de son pere ; tire l’un par le manteau , l’autre

par la tunique. Celui-ci , touché d’une stérile pitié,

approche la coupe de ses levres , verse dans sa.

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CHANT XXII. inbouche une goutte de liqueur qui les baigne, sansarroser son palais. Celui-là, fier de l’appui des au-

teurs de ses jours, le repousse avec mépris, le.meurtrit de coups , l’accable d’injures: a: Retire-

(c toi, lui dit-il, ton pere ne partage plus nos fes-a: tins a). Ce malheureux enfant se retire en silence;Versant des larmes , il se jette dans les bras de samere , veuve d’un héros. Ô Astyanax! assis sur les

genoux de ton pere, tu te nourrissois de la moellela plus pure ; tu te rassasiois de la graisse desagneaux. Lorsque, fatigué de tes jeux enfantins ,le sommeil fermoit tes paupieres, tu reposois surun duvet moëlleux, dans les bras de ta nourrice;ton cœur nageoit dans la joie : maintenant, privéde ton invincible pere , les douleurs seront tonpartage. Astyanax ! les Troyens te donnerent cenom; car le seul Hector repoussoit l’ennemi decette grande Cité. Ô mon cher Hector! une affreuse

nudité est maintenant tout ce qui te reste dans lesvaisseaux des Grecs, loin de ton pere, loin de tarespectable mere. Quand les chiens et les vautoursse seront rassasiés de ton corps sanglant, tes mem-bres épars seront la pâture des vers, tandis que debelles tuniques, de superbes vêtements , de somp-tueux tapis , ouvrage des femmes , t’attendoient

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.112 L’ILIADE,’ CHANT XXII.dans ton palais. Inutiles maintenant, puisqu’ils neserviront pas à te délasser de tes travaux, je leslivrerai aux flammes , à la vue des Troyens et desTroyennes; ils orneront levain simulacre de ta

pompe funebre. ’ iElle parle ainsi, versant des larmes ameres: ses

femmes pleurent autour d’elle.

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L’ILIADE.

CHANT XXIII.

15

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ARGUMENTAcnrtu fait à Patrocle de superbes obseques. Il immole sur le

bûcher les douze jeunes hommes qu’il a dévoués aux mânes de son

compagnon ;. il y joint des chevaux, des chiens, de nombreusesvictimes. Les obseques achevées , il ouvre les jeux funebres. Dio-

mede est vainqueur dans la course des chars, Ulysse à la courselégere, d’autres héros en divers genres d’escrime. Ayant rempli avec

exactitude les rits accoutumés, il dissout l’assemblée.

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L’ILIADE.

CHANT XXIII.

Funérailles de Patrocle ,iterminées par les combats

du cirque. Prix distribués aux vainqueurs parAchille.

C E deuil affreux rogne dans Troie: cependantl’armée des Grecs approche du camp et des rivesde l’Hellespont; les enfants de la Grece se répan-

dent dans leurs tentes et dans leurs vaisseaux. MaisAchille ne souffre pas que les Thessaliens se dis-persent: adressant la parole à ses compagnons:

Valeureux Thessaliens , mes chers compagnons ,leur dit-il , ne détachons pas nos coursiers ; qu’at-

telés à nos chars , ils ornent la pompe funebre dePatrocle; car telle est la gloire des morts. Nous

i étant acquittés de ce triste devoir, nous goûterons

tous les douceurs du festin.Il dit. Les Thessaliens arrivent en foule , pous-

sant de profonds gémissements: Achille présidela pompe funebre. Montés sur leurs chars, ils font

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116 L’ILIAD’E,trois fois le tour de la tente du fils de Pélée où re-pose le corps de Patrocle : Thétis, au milieu d’eux ,

les anime par ses lugubres accents; des larmesabondantes coulent de leurs yeux; le sable en estimbibé , leurs armes en sont inondées; ils pleurent

le grand Patrocle , artisan de terreur. Ètendant sesmains victorieuses sur le corps de son fidele com-pagnon, le fils de Pélée lui adresse le premier cesplaintives paroles z

Ô mon cher Patrocle , j’ai accompli tout ce que

je te promis; que ton ame en ressente quelqueconsolation dans les sombres demeures. Je traîneà tes pieds le corps d’Hector destiné à repaître les

chiens et les vautours: douze enfants des Troyensque j’ai fait mes captifs , dévoués à la mort pour

venger ton trépas , seront immolés par mes mains

sur ton bûcher. . iIl dit; et méditant les affronts qu’il prépare à la

dépouille mortelle du grand Hector, il le laisseétendu sur la poussiere , au pied du lit funebre deson fidele compagnon. Les nombreux Thessaliensdépouillent leurs brillantes armures d’airain, dé-

tellent leurs coursiers : assis à l’entrée de la tente

et du vaisseau du léger descendant d’Éacus, ilspréparent le repas funebre. Des bœufs d’une écla-

tante blancheur tombent en mugissant sous le fer

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CHANT.XXHL 1Vmeurtrier: des moutons bêlants , des chevres plain-lives, des porcs engraissés, sont offerts aux mânes

de Patrocle; les soies des porcs craquent sous laflamme de Vulcain; le sang ruisselle autour du litfunebre. Cependant les rois , chefs de l’armée desGrecs , environnent Achille , l’entraînent à la tente

d’Agamemnon , malgré la tristesse qui l’accable.

Le roi des hommes, Agamemnon, ordonne auxhérauts de placer sur le feu un immense trépiedet son vase : tous s’efforcent d’engager Achille à

laver dans le bain le sang desséché qui souille son

corps , ses armes , ses vêtements; il les refuse avecconstance , et joint à ce refus la religion du ser-

ment: i. Que Jupiter, dit-il , le plus grand , le meilleurdes dieux , soit témoin de mes promesses. Je n’ac-

cepterai point en ce moment vos soins officieux,je ne me permettrai pas de purifier mon corpspar le bain, que je n’aie placé sur le bûcher la dé-

pouille de Patrocle, que je n’aie élevé un menu?

ment à sa gloire, que coupant mes cheveux, je neles aie consacrés aux mânes de mon fidele compa-

gnon : car jamais, tant que j’existerai sur la terre,une égale douleur ne percera. mon cœur de sespointes aiguës. Réparons maintenant par la nour-riture nos forces abattues; préparons le repas du

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118 - L’ILIADE,soir: que demain, au lever de l’aurore , le roi deshommes , Agamemnon , ordonne à l’armée d’aller

dans la forêt couper et transporter au camp le boisnécessaire au bûcher qui consumera les déplora-

bles restes de Patrocle, et le précipitant loin denos yeux dans l’éternelle nuit, lui ouvrira le séjour

des ombres. Acquittés de ce triste devoir, les peu-ples reprendront leurs travaux accoutumés.

Il dit. Tous obéissent; ils s’empressent de ré-

parer par la nourriture leurs forces abattues: laconcorde , la douce égalité regne dans ce festin.Quand le besoin du boire et du manger est ap«paisé , ils se séparent pour se renfermer dans leurstentes. Le fils de Pélée, poussant de profonds gé-

missements, demeure étendu sur le rivage de lamer, à l’endroit où le sable est lavé par les flots.

Une troupe nombreuse de Thessaliens l’envietonne. Épuisé par la course rapide qu’il a faire en

poursuivant Hector autour des murs de Troie, ledoux sommeil, qui calme’les douleurs de tous les

mortels, vient enfin fermer ses paupieres. En cemoment l’ombre de l’infortuné Patrocle s’offre à

sa vue : ce sont ses yeux, sa taille, le son de sa voix,sa tunique , les vêtements qu’il portoit pendant savie. S’arrêtant sur la tête d’Achille, l’image de Pav

trocle lui parle ainsi:

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CHANT X’XIII. 119Tu dors, fils de Pélée, et m’oublies! tu me pro-

diguois tes soins qûand j’existois parmi les mor-tels, tu me négliges après mon trépas. Hâte- toi

d’enfermer mon corps dans la tombe pour medonner accès dans le palais de Pluton; car desSpectres affreux, de pâles ombres, me repoussentdes rives du Styx, ne souffrant pas que je traverseavec elles le fleuve des enfers. Donne-moi ta main ,que je l’arrose de mes larmes. Quand la flamme-aura consumé ce qui reste de môrtel en moi, il neme sera plus permis de sortir du séjour des morts.Assis sur un tendre gazon ou dans l’intérieur de ta

tente, nous ne tiendrons plus ces conseils secretsdans lesquels, hors de la’présence de nos cherscompagnons, nous jouissions d’une mutuelle con-fiance. Le cruel destin qui présida à ma naissancem’accable maintenant. La même destinée »t’at-

tend, ô Achille; tu mourras comme moi sous lesmurs’de Troie. Mais écoute ce que je Vais dire;

satisfais le vœu le plus cher à mon cœur: quemes os ne Soient pas séparés des tiens. Ensemblenous fûmes élevés dans ton palais; nous ne nousquittâmes point depuis le jour que Ménétius m’a-

mena à Phthie, dans ma tendre jeunesse, fuyantOpunte , ma patrie , à cause du meurtre involon-taire du fils d’Amphidamas, que je’commis dans

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120 ’ L’ILIADE,les jeux de l’enfance. Pélée me reçut avec bonté,

m’éleva avec soin, m’attacha à ton service. Qu’une

même urne renferme et nos cendres et nos os ,cette urne d’or que te donna ta respectable mere.

Qu’étoit-il besoin, ô mon Cher compagnon, lui

répond le valeureux fils de Pélée, qu’abandonnant

le séjour des morts, tu vinsses m’apporter ces or-

(ires? ils seront pleinement exécutés: repose- toi .

sur ma vigilance. Mais arrête quelques instants;prends place à côté de moi, ne te dérobe pas à

mes embrassements : goûtons la triste consolation-

de confondre nos larmes. IIl dit, et s’efforce de le serrer dans ses bras:

mais il ne peut le saisir; semblable à la fumée ,l’ombre s’échappe et rentre dans la terre avec des

sifflements affreux. Achille effrayé se leve avecprécipitation z frappant des mains , versant deslarmes ameres, il s’écrie: t

Ô mes amis! ainsi donc , quand l’esprit del’homme est réuni à l’éternelle substance, son

ame survit au trépas : de vaines images des mon»tels habitent le palais de Pluton. L’ombre plain-tive du malheureux Patrocle s’est offerte à mesyeux, pendant lersilence de la nuit: je l’ai vu tel:qu’il fut pendant sa vie ; il m’a donné ses ordres;

je me hâte de les exécuter.

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CHANT XXIII. 121Il dit. Les larmes coulent de leurs yeux en

abondance : leurs cris, leurs sanglots retentissentau loin. Ils pleuroient encore le malheureux Patro-cle, quand l’Aurore aux doigts de rose se montrasur l’horizon. Cependant le roi des hommes , Aga-

memnon, parcourt les tentes des Grecs , presseledépart des mules et de leurs conducteurs , or-donne d’aller à la forêt, d’abattre, de transporter

les arbres nécessaires à la construction du bûcher.Un héros est à leur tête, Mérion, l’écuyer du ma-

gnanime Idoménée. Ils partent, armés de cognées

tranchantes, propres à abattre et à fendre le bois,pourvus de forts cordages artistement ployés. Lesmules les précedent, marchant d’un pas ferme et

lent, grimpant, descendant, gravissant les sentiersraboteux de la forêt. Parvenus au sommet de l’Ida,

les cimes élevées des chênes tombent sous lescoups des haches; la terre retentit de leur chûtepesante: dispersés dans la forêt, ils lient sur ledos des mules et les branches et la tige épaisse deschênes. Chargées de ce lourd fardeau , les mules

font effort pour percer les buissons , et affermirleurs pas dans ces routes escarpées; les travail-leurs portent les souches: ainsi l’ordonne Mé-

i. rion, l’écuyer du magnanime Idoménée. Bangés

par ordre sur le rivage de la mer, au lieu qu’Achille

4. 16

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r22 L’ILIADE,a destiné au superbe monument qui doit renfer-merles cendres de Patrocle et les siennes , ils dé-.chargent les mules , entassent le bois et s’éloi-

gnent, serrant les files. Achille ordonne à sesThessaliens d’atteler leurs coursiers, de vêtir l’ai-

rain étincelant. Obéissants aux ordres du fils dePélée , les Thessaliens s’empressent de se couvrir

de leurs armures, de se ranger en ordre de ba-taille. Montés sur leurs chars, les héros et leursécuyers précedent la pompe funebre; une nuéede guerriers les suit à pied. Au centre de l’épaisse

phalange ,. les compagnons d’Achille transportent

le corps de Patrocle. Détachant les tresses nom-breuses de leurs cheveux, ils en couvrent la dé-pouille mortelle du fils de Ménétius. Le divinAchille marche après eux, soutenant de ses mainsvictorieuses la tête de son compagnon. Arrivésau lieu qu’Achille a choisi, ils y déposent le corps

de Patrocle. L’immense quantité de bois que lesmules. et les travailleurs ont apportée est entasséepar leurs mains. Mais Achille s’occupe d’autres

pensées : debout devant le corps. de son chercompagnon, il coupe cette brillante chevelureque son pere dévoua autrefois au fleuve Sper-chius. Poussant de profonds soupirs, portant detristes regards sur la plaine liquide : Ô Sperchius,

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CHANT XXIII. 123dit-il , en un autre temps Pélée mon pere te con-

sacra mes cheveux. Il te promit, à mon retourdans ma patrie, de les couper en ton honneur.Une sainte hécatombe t’étoit destinée ; cinquante

moutons, l’élite de nos troupeaux, auroient été

immolés par ses mains aux nymphes des fontaines,

sur ces autels qui fument en ton honneur d’unencens éternel. Tels furent les vœux du vieuxPélée : tu ne les as point exaucés. Puisque l’ordre

du Destin ne permet pas que je revoie ma terrenatale , je livre ma chevelure à Patrocle , monfidele compagnon; qu’il l’emporte dans le palais

de Pluton. ’Il dit, et couvre de ses cheveux les mains gla-cées de son compagnon. Un deuil affreux s’étend

sur toute l’armée; ils pleurent, ils gémissent, leurs

cris douloureux retentissent dans l’air: le soleileût achevé sa carriere avant que leurs larmes eus-sent tari , si Achille, s’approchant d’Agamemnon ,

ne lui eût parlé ainsi :

Fils d’Atrée , tous les Grecs t’obéissent : assez

nous nous sommes rassasiés de nos larmes. Or-donne aux tiens de s’éloigner du bûcher, de pré-

parer le repas du matin ; que les chefs demeurentseuls près de toi: achevons les obseques d’un hé-

ros si cher à nos cœurs.

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.24 L’ILIADE,. Le roi des hommes , Agamemnon , ayant en-

, tendu ces paroles , donne l’ordre aux troupes-dese séparer. Versant des larmes ameres, les minis-tres des funérailles enlevent le corps de Patrocle ,le déposent sur le lit funebre, arrangent le bois ,en forment un vaste bûcher’de cent pieds enquarré , immolent de nombreux troupeaux demoutons et de bœufs noirs aux cornes mena-çantes , les dépouillent, les préparent : Achille

assemble leur graisse , en couvre le corps de Pa:trocle depuis les pieds jusqu’à la tête. Les corpsdes animaux immolés, dépouillés de leurs cuirs ,sont placés par ses mains à l’extrémité du bûcher:

s’inclinant avec respect, il verSe l’huile et le miel

enfermés en de grandes urnes; son cœur pousse.de profonds gémissements. Il immole et place Sur

le bûcher quatre coursiers agiles à criniere flot-tante. De neuf chiens qu’il chérissoit par-dessus

tous les autres, qu’il nourrissoit de sa table , il enprend deux , les immole, les dépouille, jette leurscorps palpitants sur le bûcher de son fidele com-pagnon. Furieux , respirant le carnage, poussantde longs gémissements , appellant à grands cris,son fidele compagnon , il s’élance sur les douze

valeureux enfants des plus illustres d’entre lesTroyens qu’il a dévoués à Patrocle ; il les perce

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CHANT xan’ lede son glaive , place leurs corps sur le bûcher ,livre aux flammes et la dépouille. mortelle du filsde Ménétius, et. tous les dons qu’il lui a consa-

s crés:

Reçois mes adieux , ô mon cher Patrocle, dit-il, et conserve jusques dans l’empire des mortsun long souvenir de ton ami. J’ai accompli tout ceque je te promis. La flamme qui consumera ta dé-pouille mortelle , dévorera les corps tsanglants dedouze illustres enfants des magnanimes Troyens:mais le corps de l’homicide Hector ne sera paslivré aux flammes; il sera la proie des chiens et

des vautours. .Son courroux s’exhale en ces vaines menaces.

Cependant les chiens ne souillent point le corpsd’Hector. La fille de Jupiter, Vénus , veille nuitet jour autour de cette précieuse dépouille; unehuile de rose et d’ambrosie, répandue par lesmains de la déesse sur le corps du fils de Priam ,le défend des outrages qu’Achille lui prépare. Du

sommet de la voûte éthérée, une nue épaisse et

humide , envoyée par Apollon , couvre tout lechamp sur lequel repose le corps d’Hector, amor-tit l’activité des rayons du soleil, empêche qu’il

ne se desseche.Le bûcher de Patrocle tarde à s’enflammer.

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:i-26 ’ L’ILI’ADE,Debout devant l’immense forêt qu’il a entassée,

Achille, levant les yeux au ciel, appelle à hautevoix le vent d’ouest et l’impétueux Borée: une

coupe d’or est dans ses mains; il verse à grandsflots les libations , promettant aux deux vents depompeux sacrifices , si, précipitant leurs rapideshaleines, ils pénetrent l’immense bûcher et exci-

tent une flamme ardente qui consume prompte-ment le corps de son cher compagnon. La légereIris l’entend; elle se hâte de descendre de la voûte

azurée , pour porter aux deux vents les vœux dufils de Pelée. Les enfants d’Éole goûtoient, dans

l’antre du zéphyr, les douceurs d’un festin solem»

nel: Iris s’arrête sur le seuil de marbre du palaisdes vents ; tous se levent à son aspect; ils l’abor-dent , l’invitent à prendre part au festin. La déesse

les refuse: ’Je ne peux m’arrêter, dit-elle; je m’empresse de

parvenir aux confins de l’Océan , au pays des Éthio

piens qui offrent en ce moment de saintes héca-tombes aux immortels; j’ai promis de participer àleurs fêtes. Vent d’ouest, vent du nord , Achillevous appelle à grands cris; il vous promet de pom-peux sacrifices, si vos souffles bienfaisants enflam-ment le bûcher de son fidele compagnon , Patrovcle, que tous les Grecs pleurent amèrement.

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CHANT XXIII. :27Ainsi parle la déesse, et elle disparoît. Se levant

avec un bruit affreux , chassant devant eux lesnues qu’ils assemblent par leur choc, les deuxvents s’étendent sur la plaine liquide , la boule-versent de leurs souffles impétueux. Parvenus auxchamps Troyens , ils pénetrent le bûcher, déve-eloppent la flamme qui éclate avec fracas. Le légervent d’ouest, le rapide Borée ne cessent de souf-

fler, pendant toute cette, nuit, autour du bûcherdu fils de Ménétius : les tourbillons de flamme etde fumée s’élevent dans l’air à replis ondoyants;

d’horribles sifflements se font entendre. Deboutprès du bûcher de Patrocle, Achille puise sanscesse le vin dans une coupe d’or à deux fonds;il le verse à grands flots sur le bûcher, appellantà haute voix son malheureux compagnon: la terreest imbibée de ses firéquentes libations. Sa tris-tesse est aussi profonde que celle d’un pere quiplace sur le bûcher le corps d’un fils cher à soncœur, nouvel époux, que le fer de l’ennemi amoissonné , objet des tendres regrets de ceux quilui ont donné l’être; aussi abondantes sont les

larmes qui inondent, pendant toute cette nuit, al’auguste visage du fils de Pélée. Poussant de pro-

fonds gémissements , se roulant sur la terre, er-rant autour du bûcher de son fidele compagnon,

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128- ’L’ILIADE,"il attend que l’étoile du’matin ,courriere du jour,

se montre sur l’horizon , que la divine Auroreétende son veile de pourpre sur la terre. En cemoment le feu languit, la flamme s’éteint, lesvents fuient’dans leurs antres profonds, boulever-

sant sur leur passage la mer de Thrace. a’ Épuisé de fatigue , Achille s’éloigne tristement

du bûcher. Séparé de la foule, il se couche sur la

terre, le sommeil commençoit à fermer ses pau-pieres,’ quand la marche bruyante et les mouve-ments rapides des Grecs qui s’assemblent autourde la tente d’Agarnemnon , l’éveillent. Assis sur la

glebe, il adresse ces paroles aux rois , aux chefs dela nation :

Fils d’Atrée, et vous héros de la Grece , versez

du vin sur ces cendres brûlantes , éteignez lesrestes du feu qui a consumé la dépouille mortellede Patrocle; séparons ses os de ceux desvictimes.Il vous sera facile de les distinguer, cal-11e corpsde mon compagnon fut placé au centre du bû-cher; les hommes et les chevaux furent jetés pêle-mêle aux extrémités. Enfermons dans une urned’or les précieux restes du fils de Ménétius; cou-

vrons-les d’une double surface de graisse; qu’ils

demeurenten cet état, jusqu’à ce que je rejoigne

mon fidele compagnon dans le séjour des ombres:

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CHANT XXIII. .29bernez-vous main tenant a marquer le lieu de notretombeau. Un jour viendra, ô Grecs , qu’ayant élevé b

à notre gloire un superbe monument, vous re-monterez sur vos vaisseaux, laissant sur ces rives

. nos cendres réunies.

Il dit. Tous accompagnent le fils de Pélée. Ils

éteignent avec le vin les cendres fumantes, quis’affaissent n’étant plus soutenues par la flamme.

Blanchis par le feu , les os du compagnon d’A-chille, qui fut pendant sa vie un modelé de bonté,

sont recueillis dans une urne d’or. Versant deslarmes ameres, ils étendent pardessus une doublesurface de graisse; l’urne funebre , couverte d’un

voile de lin d’une (éclatante blancheur, est dé-posée parleurs mains dans la tente d’Achille. Ils

amoncellent les terres, décrivent un cercle, po,sent les fondements d’un magnifique tombeaudans le lieu où fut élevé le bûcher de Patrocle , et

se disposent à se séparer. Achille les arrête; il or-donne d’assembler l’armée , d’annoncer les jeux

et les combats. ’Apportés de ses vaisseaux, les prix sont ex-

posés à la vue de tous , des vases d’airain , destrépieds , des chevaux , des mules , des bœufs auxcornes élevées , de l’acier poli, de belles cap.

tives...

4, 17

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130 a L’ILIADE; ôLes premiers, les plus distingués , sont destinés

pour la course des chars. Une superbe captive’ instruite dans tous les arts de son sexe , un tré-

pied, un vase d’airain à deux anses, de vingt me-

sures , seront la récompense du vainqueur; celuiqui l’approchera de plus près, obtiendra une ca-vale indomtée de six ans qui porte dans ses flancsun mulet de race illustre; le troisieme , un vase dequatre mesures que la flamme n’a point encoreatteint; le quatrieme, deux talents d’or; le cin-quieme , une large coupe d’argent battu a froid.

Debout au milieu de l’assemblée, Achille adres-

sant la parole à Agamemnon:Fils d’Atrée , dit-il, et vous , valeureux enfants

de la Grece, j’ai exposé dans l’arene les prix que

je destine à ceux qui s’exercent dans l’art de sou-

mettre au frein des coursiers indomtés. Si moncher Patrocle n’était l’objet de ces jeux , j’entre-

rois en lice, et j’ai cette confiance que j’emporte-

rois le premier prix; car la légèreté , la souplesse

et la force de mes immortels coursiers vous sontconnues: Neptune en fit don à Pélée mon pere;Pélée me les donna. Mais ni moi ni mes cour-siers ne concourront. Ils ont perdu leur vaillantconducteur qui les traitoit avec douceur , qui leslavoit dans l’onde pure des fleuves , dont la main

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CHANT’XXIII. 131répandoit une huile brillante sur leurs vastes crinieres. Immobiles maintenant, la tête baissée , ilspleurent ce héros ; leurs crins flottent dans lapoussiere. Que ceux d’entre les Grecs qui se con-fient dans la solidité de leurs chars , dans la légè-

reté de leurs coursiers ,v disputent les prix que je.propose.V Ainsi parle le fils de Pélée. Les légers athlètes

s’assemblent. Le roi des hommes, Eumélus , filsd’Admete, célèbre dans l’art de manier de vigou-

reux coursiers, se présente avant tous les autres.Le fils de Tydée , Diomede , amené les coursiersde Tros attelés à un même joug, ces coursiersqu’il ravit à Énée, quand Apollon déroba le fils

d’Anchise aux coups qu’il lui portoit. Ménélas ,

fils d’Atrée , attelle à son char l’Agamemnonienne

Éthée , et Podargès qui lui appartient. Le fils d’Anv

chise , Èchépolus , donna Éthée à Agamemnon

pour s’exempter de le suivre à la guerre ; il obtint

à ce prix de jouir en paix des richesses immensesque J upiter lui avoit données dans la vaste Sicyonequ’il habitoit. Telle est la cavale vigoureuse , im»

patiente de montrer sa légèreté et sa force dansles combats du cirque, que Ménélas attelle au.même joug que Podargès. Le descendant de N é-.-lée , le vaillant fils du grand Nestor, Antiloque ,

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132 L’ILIADE,attelle à son char d’agiles coursiers pyliens d’une

grande beauté. Pour l’aider de ses sages conseils ,

son pere Nestor s’avance vers lui:

Antiloque, lui dit-il, dès tes plus jeunes ans,Jupiter et Neptune t’aimerent par-dessus tous lesautres mortels; ils prirent soin de te former eux- .mêmes dans l’art de soumettre au frein des cour-

siers indociles : ainsi mes conseils sont Superflus ;nul ne maniera ses chevaux avec plus de déxté-rité ; tu sais d’une main légere- et sûre ployer rapi-

dement autour de la borne qui termine la carrière.Mais tes coursiers sont moins agiles que ceux detes rivaux; c’est. le sujet de mes craintes. Suis mes

conseils, ô mon fils; rappelle dans ton esprit lesleçons de tes maîtres immortels , afin que le prixne puisse t’échapper. L’habile artiste asservit le

chêne , moins par sa force que par son adresse;c’est l’art qui dirige un vaisseau sur le vague des

mers, au sein des tempêtes excitées par les ter-ribles combats des vents : ainsi l’habile écuyer

l’emporte sur ses rivaux. Celui-ci, se confiantdans la légèreté de ses coursiers, les laisse vaguer

imprudemment dans l’arene; celui-là, avec deschevaux moins vîtes , les yeux fixés sur la borne ,

tourne avec justesse et rapidité , hâte , ralentit, di-

rige , assouplit les mouvements de ses coursiers,

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CHANT XXIII. 133et laisse loin derriere lui son rival. Je t’indiqueraile but si clairement, qu’il te sera impossible de leméconnoître. A l’endroit où tu vois deux routes

se croiser, s’éleve , à la hauteur d’une coudée,

au-dessus de la surface de la terre, le tronc d’unvieux chêne desséché, vainqueur des saisons , des

frimas et des tempêtes : deux pierres blanches lesoutiennent, un espace vuide l’environne , tom-beau de quelques uns des anciens héros, ou mo-nument érigé par les premiers hommes pour leurs

courses et leurs jeux; tel est le but qu’Achille achoisi. Parvenu à l’extrémité de la carriere , de-

bout sur ton char, maniant tes coursiers avec dex-térité, tourne rapidement, rasant la borne. Sou-viens-toi de soutenir le coursier placé sous larêne droite, de le contenir de la voix et du fouet,ployant l’autre avec souplesse: rends la main ; di-rige tes mouvements avec tant de justesse, que lemoyeu de la roue rase la borne sans la toucher,dans la crainte que ton char brisé, tes chevauxblessés n’excitent le rire des Spectateurs et net’attirent une défaite honteuse. Prends ces précau-

tions, ô mon fils; tourne autour de la borne avecrapidité , l’évitant avec adresse : c’est ainsi que tu

devanceras tes rivaux; aucun n’atteindra la bar-riere avant toi, quand même l’agile Arion, le léger

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134 L’ILIADE,coursier d’Adraste , dont la race est divine, vo-leroit sur tes pas, quand ton rival manieroit lesvigoureux coursiers élevés sur ces rives dans lesharas de Laomédon.

Ainsi parle Nestor; et il reprend le trône qu’ilU a quitté. Mérion paroit le cinquieme , attelant sesgénéreux coursiers. Les athletes montent sur leurs

chars , tirent les rangs au sort: Achille agite lesbillets dans un casque. Le nom d’Antiloque, filsde Nestor, sort le premier ; après lui le nom d’Eu-.mélus; Ménélas , fils d’Atrée , est le troisième;

Mérion , le quatrieme : le sort n’assigne que laderniere place au fils de Tydée, le plus valeu-reux, le plus savant dans l’art de guider de légers

coursiers. Ainsi rangés , Achille leur montre lacarriere et la borne , à l’extrémité d’une plaine

vaste et unie. Témoin irréprochable de leur légè-

reté et de leur adresse , chargé de lui faire unfidele rapport, le vieux Phénix, l’écuyer de sonpere, est place par ses ordres à l’extrémité de la

carriere. Tous les fouets sont levés, tous abaissés

au même instant. Animant leurs coursiers et dufouet et de la voix, ils abandonnent les vaisseaux ,traversent la plaine avec rapidité : une poussieresemblable au nuage épais qu’éleve une violente

tempête , souille les larges poitrails de leurs che-

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CHANT XXIII. 135vaux; leurs crinières flottent au gré des vents:tantôt ils rasent la terre avec les chars; tantôt ilss’élancent et franchissent Un long’espace, sans

ébranler leurs hardis conducteurs dont l’ameflotte entre. l’espérance .et la crainte. Appellantleurs coursiers par leurs noms pour accroître leurardeur, ils volent, couVerts de l’immense pous«siere qui s’éleVe de dessous leurs pas. Déja ils se

reploient sur le rivage de la mer écumeuse: leurstraits sont tendus, leur course précipitée, les inatervalles plus marqués. Les légers coursiers duroi de Phérès devancent tous les autres. Lesagiles coursiers de Tros , qUe dirige le fils de Ty-dée , semblent s’élancer sur le char d’Eumélus.

Le souffle brûlant qui s’exhale de leurs narineséchauffe les larges épaules des coursiers du roide Phérès; leurs têtes posent sur la croupe descoursiers d’Eumélus : le fils de Tydée eût de-

vancé son riVal, ou laissé la victoire incertaine, siApollon irrité n’eût arraché le fouet de sa main.

Une vive douleur s’empare de l’ame du vaillantDiomede à la vue du char de son rival qui s’élance

d’un vol rapide , sans qu’il puisse hâter ses légers

coursiers; des larmes coulent de ses yeux. Mai-sla ruse d’Apollon n’échappe pas aux regards de

Minerve; volant avec une, incroyable rapidité au

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136 ’ L’ILIADE,secours du pasteur des peuples ,gelle remet lefouet aux mains de Diomede , accroît de sonsouffle divin l’ardeur de ses coursiers , brise dans-

sa fureur le joug qui attache au char les chevaux-du fils d’Admete. Égarés, ils bondissent dans la

’ plaine; le timon brisé tombe à terre; renversé

sous les roues de son char, son bras, son coude,sa bouche, ses narines sont meurtris ; une longueplaie s’étend depuis son front jusqu’à ses épais

sourcils ; ses yeux s’emplissent de pleurs ; àpeineun foible soupir s’exhale de sa poitrine oppressée.

Les agiles coursiers du fils de Tydée précedenttous les autres ; car Minerve leur destine le prix.La déesse soutient et accroît leur ardeur. Ménée

las le suit de près , fait effort pour l’atteindre. Anw

tiloque adressant la parole aux coursiers de son

pere : sVolez, leur dit-il, développez vos jarrets; dis-putez la victoire, non aux coursiers du fils deTydée , car Minerve , qui leur destine le premierprix, accroît leur légèreté; mais à ceux du filsd’Atrée : hâtez-vous de les devancer. Quelle honte

pour vous, si la cavale Éthée vous surpassoit! Quivous retient? Si, par votre lâcheté , je n’obtiens

que le seul prix qu’on accorde à la pitié pour le

vaincu , je vous prédis le sort qui vous attend; le

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CHANT XXIII. 1.37pasteur des peuples, Nestor,.ne prendra plus soinde vous; il vous percera de son glaive. Élancez-vous dans la carriere; la ruse suppléera a la forcedans ce défilé étroit.

Il dit. Redoutant la colere de leur maître , leschevaux de Nestor courent avec rapidité. Le va» ’

leureux Antiloque voit Ménélas engagé dans une

route difficile, profonde ravine que les eaux del’hiver ont creusée. Agité de la crainte de heurter

contre le char de son rival, le fils .d’Atrée retient

ses coursiers. Le fils de Nestor , ployant avecadresse , incline sur la berge, fait effort pour le

deVancer. AÔ Antiloque , s’écrie Ménélas effrayé , je ne re-

connois pas ta prudence. Ralentis ta course rawpide; échappé à ce défilé dangereux, nous nous

disputerons la victoire.Il dit: mais sourd à ses cris, le fils de Nestor,

maniant le fouet avec dextérité , appuie ses cour,siers ; ils franchissent d’un seul saut tout l’espace

que parcourt un disque lancé par un bras ner-veux qui essaie ses forces. Les agiles coursiersdu fils d’Atrée reculent; Ménélas n’ose les ap-

puyer, dans la crainte qu’ils ne s’abattent dans le

choc des chars , qu’essayant de l’emporter sur son

4. - 18

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138 L’ILIADE,’concurrent, ils ne tombent l’un et l’autre dans la

poussiere.Fils de Nestor, lui dit-il, le plus dangereux des

rivaux, tu transgresses les loix du cirque , et dé-mens la réputation que ta vertu t’avoit acquise :hâte ta course rapide; mais n’espère pas obtenirle prix sans un parjure. 0

Adressant la parole a ses légers coursiers : Vo-lez , leur dit-il; que ce foible avantage, remportépar un perfide rival , ne ralentisse pas votre ar-deur: bientôt, essoufflés, abattus, les vieux che-vaux de Nestor seront contraints de vous céder lavictoire.

A la voix de leur maître , les rapides coursierss’élancent sur le char d’Antiloque.

Cependant, les yeux fixés sur l’arene, les Grecs,

assis à la barriere, s’efforcent de percer l’épais

nuage de poussiere qui enveloppe les coursiers etles chars.

Le roi des Crétois , Idoménée, est assis hors de

l’enceinte sur une éminence d’où la vue s’étend

au loin. La voix de celui des athletes qui est leplus proche parvient à ses oreilles. L’un des cour-

siers du vainqueur estiremarquable par la couleurde son poil: bai par tout le corps, il porte sur lefront une marque blanche, aussi ronde que la

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CHANT XXIII. 1:39lune en son plein. Le fils de Deucalion se levedu trône où il est assis ; adressant la parole aux

Grecs: .Ô mes amis , chefs et conseils de la nation desGrecs, dit-il , jugez vous-mêmes si ma vue m’in-duit en erreur. La face de la lice me semble chan-gée. De quelque côté que je promené mes regards

sur la vaste plaine des Troyens , mes yeux ne dé-couvrent ni le Char, ni les coursiers , ni l’athletequi m’avoit paru jusqu’ici l’emporter sur tous les

. autres. Quelque accident a sans doute ralenti levol rapide de cet athlete. J’ai vu ses coursierss’élancer sur la borne. Peut-être les guides ont.elles échappé de ses mains; peut-être, tournant laborne, n’a-t-il pu modérer l’ardeur de ses coup

siers, les manier avec assez d’adresse; il seratombé , son char aura été brisé: ses légers cour-

siers bondissent en ce moment dans la plaine;d’aùtres les remplacent. Efforcez-Vous de les dis»

tinguer; car ils me sont inconnus : mais leur consducteur ressemble à ce .valeureux Étolien que sesexploits ont rendu célebre entre tous les Grecs , àce Diomede , fils de Tydée , savant dans l’art d’as-

souplir des coursiers indomtés.A ces mots, un violent courroux s’empare de

l’amie du léger fils d’Oïlée. Idoménée , ton juge;

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1’40 L’ I L I A D E;ment est précipité , dit-il. L’arene fuit sous les

pas de ces coursiers aussi vîtes que les vents ; ilss’avancent vers nous avec rapidité. Tu n’es pas le

plus jeune des Grecs , ta vue commence à foiblir;et cependant tu te plais à discourir au hasard. Queservent ces vaines disputes? Bientôt de meilleursjuges décideront notre querelle. Ces Chevaux sontceux d’Euméluîs. Je vois le fils d’Admete sur son

char, tenant les guides dans ses mains..-Fils d’Oilée , lui répond le roi des Crétois irrité,

tu n’es pas le plus redoutable des Grecs dans les

Combats : mais tu aimes la dispute; ton espritest intraitable. Gageons un trépied et son vased’airain. Prenons pour arbitre Agamemnon , fils

d’Atrée. iIl dit. Ému d’une violente coIere , le léger Ajax

se leve avec précipitation :. l’injure est sur ses le-vres.

Ô Ajax, ô Idoménée , s’écrie" Achille, cessez de

vous provoquer par de dures paroles: ces vainesdisputes sont peu convenables ; vous les blâme-riez dans tout autre. Reprenez les trônes que vousavez quittés; portez vos regards sur l’arene. Ri-vaux de gloire, ces athletes s’avancent vers nousd’une course rapide. Quand ils auront atteint labarriere , il nous sera facile de décider quels cou-r-

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CHANT XXIII. r41’siers ont été les plus légers, à qui le premier prix

est dû, à qui le second. rIl dit; et déja le fils de Tydée touche la bar-t

’riere. Ses coursiers bondissent sous les coupsredoublés du fouet qui retentit sur leurs largesépaules; leurs Sauts légers font jaillir la poussïiereSur l’athlète qui les dirige ; l’or, l’étain , pompeux

ornements du char de Diomede, en sont ternis:ils volent aVec une telle rapidité, que la trace desroues est a peine imprimée sur le sable. Parvenu à.l’extrémité de la carriere, le fils de Tydée les ars

tête : la sueur inonde leurs poitrails, imbibe leursVastes encolures. S’élançant du char éclatant, le

fils de Tydée incline son fouet sur le joug; le vaiLlant Sthénélus s’empare du prix , remet la belle

captive et le trépied aux mains de ses compagnons,dételle les coursiers.

S’efforçant de soutenir l’ardeur des vieux chea

vaux de Nestor, le descendant de Nélée, Anti-loque, arrive :isa ruse adroite, non- la rapidité desa Course , lui a donné la victoire sur Ménélas.Écarté d’abord de toute la portée d’un jet de dis-

que ,. le fils d’Atrée ne laisse plus: entre lui et son

rival- que le court espaCe qui sépare un char enmouvement dont les traits sont tendus, du cour-sier qui l’entraîne , dont les crins atteignent l’orbite

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r49. ’ L’ILIADE,des roues , tant l’ardeur de l’AgamemnonienneÉthée croît avec l’espace qui lui reste à parcourir.

Si la Carrière eût été plus longue , Ménélas eût de-

vancé son rival, et n’eût pas même laissé la victoire

incertaine,Moins accoutumé aux combats du cirque ,

l’écuyer d’Idoménée. Mérion, le suit avec des

coursiers plus tardifs.Eumélus , fils d’Admete, arrive le dernier, chas.

sant devant lui ses chevaux qui traînent son char

brisé. -Sensible à son malheur, debout au milieu ducirque , le divin Achille adressant la parole auxhéros de la ’Grece:

Celui à qui son art, à qui la légèreté de ses cour.

siers sembloient assurer la victoire , est maintenantle dernier, dit-i1; récompensons sa vertu commeil convient; qu’il obtienne le second prix, car lepremier est dû au fils de Tydée.

Ildit; tous applaudissent. Eumélus eût obtenula cavale indomtée , si le fils du grand Nestor,Antiloque, n’eût réclamé ses droits.

. Achille, dit-il, ta proposition blesse ma gloireet m’irrite. Je rends à Eumélus la justice qui lui

est due: aucun ne sait mieux que lui guider descoursiers agiles. Mais son Char a été brisé , ses cher.

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CHANT XXIII. 143vaux se sont égarés : est-ce une raison pour mepriver du prix qui m’appartient? Que le roi dePhérès n’a-t-il , avant de s’élancer dans la carrière,

adressé ses vœux aux immortels? nous ne le ver--rions pas maintenant arriver le dernier, chassantses Chevaux devant lui. Si tu plains soninfortune ,s’il est cher a ton cœur, une immense quantitéd’or, d’airain , de bestiaux , de belles Captives ,

de chevaux vigoureux, sont renfermés dans testentes : récompense sa vertu par un don magni-fique, plus précieux même que le prix qui m’ap-I

partient; les Grecs applaudiront à ta générosité:

mais je ne cede à personne la récompense que j’ai

acquise. Si quelqu’un entreprend de me la dispue-ter, qu’il se prépare à me la ravir les armes à la

main.Il dit. Le divin Achille sourit de la fierté du fils

de Nestor, car il l’aimoit tendrement.o Antiloque, fils de Nestor, lui dit-il, jé suivrai

ton conseil. Les prix seront aux vainqueurs: unerécompense tirée de mes vaisseaux consolera Eu-mélus. Je lui donne la cuirasse que j’enlevai àAstéropée; elle est d’airain . couverte d’un étain

brillant, d’un travail exquis. Le roi de Phérèstiendra sa vertu dignement récompensée par untel don.

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1’44 ’ L’ILIADE,Il dit, et ordonne à Automédon d’apporter la

brillante cuirasse; Docile aux ordres de son chercompagnon, Automédon vole à la tente d’Achille,’

apporte la cuirasse d’Astéropée , la remet auxmains d’Eumélus , qui ressent de la joie du donpar lequel le fils de Pélée console son infortune.

- Courroucé de la victoire que le fils de Nestora remportée sur lui, Ménélas se lève. Un héraut

met le sceptre en ses mains; il ordonne aux Grecsde faire silence. Semblable à un dieu, adressant laparole à Antiloque:

Fils de Nestor, lui dit-il, renommé jusqu’icipar ta sagesse, comment t’es-tu permis une ruse ’indigne de toi? Enviant la gloire qui m’étoit due,tu t’es élancé sur mes coursiers avec des chevaux

moins agiles, et les as blessés. Chefs et conseilsde la nation des Grecs, que le prix demeure endépôt; rendez justice à l’un et à l’autre ; que la

faveur n’ait point de part dans votre jugement;qu’aucun ne dise : ce Ménélas a été injuste envers

«Antiloque ;. il a employé le mensonge pour le«priver de la récompense qui lui étoit due. Les«coursiers de Ménélas étoient plus légers: mais

c; le fils de Nestor est plus adroit, plus vigoureux a».

Ou plutôt je me juge moi-même , et ne pense pasqu’aucun des enfants de la Grece rejette mon

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CHANT xan injugement; car il est conforme à’l’équité. Descen-

dant de Jupiter, valeureux Antiloque ,À emmenélascavale’: mais comparois au milieu de l’arène,

comme la" justice l’exige. La, devant ton char, àla tête de tes coursiers, les touchant de ce mêmefouet avec lequel tu excitois leur ardeur, jure parNeptune qui environne la terre de ses ondes, quetu n’as point employé la ruse pour retarder macourse rapide, et m’empêcher de parvenir avanttoi à la barrière.

Ô Ménélas , roi des hommes, répond le ver-

tueux Antiloque, plus âgé, plus sage que moi, tun’ignores pas ce que peut la passion de la gloiresur un jeune courage : les conseils de la prudencesont tardifs. Modéré ton courroux; que ton cœurpardonne à l’imprudence du moment. Je remetsen tes mains la cavale, prix du vainqueur; j’ajou-terai de ce qui est à moi ce que tu exigeras pourcompléter la satisfaction qui t’est due : je me sou-

mets à tout, plutôt que de déchoir dans ton esprit

de la réputation que je me suis acquise , et mesouiller par un parjure.

Ainsi parle le magnanime fils de Nestor; etil remet la cavale aux mains de son rival. Tellequ’une abondante rosée réjouitet humecte la terre

cotrverte de gerbes nombreuses, prémices d’une:

,4. 19

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146’ L’ILIADE, triche récolte; ainsi la joie a accès dans ton ame, ôMénélas.

An tiloque, dit-i1, ma colère est appaisée. Nousavions jusqu’ici admiré ta sagesse; tu fus impru-

dent un moment: mais la raison a triomphé del’impétuosité de l’âge. Il eût été plus sage de ne

point employer l’artifice pour me ravir une gloirequi m’étoit due : un autre ne m’appaiseroit pas

avec cette facilité; mais je dois cette récompenseà tes travaux , à ceux du sage Nestor, à ceux deton valeureux frere , pendant tout le cours decette guerre entreprise pour venger mon injure.J’accepte la satisfaction que tu m’as faite et terends la cavale , quoiqu’elle soit à moi; afin quetous apprennent que mon cœur n’est ni superbeni cruel.

Il dit, et remet la cavale aux mains de Noé-mon , l’écuyer d’Antiloque , et prend pour lui le

vase d’airain. Mérion eut les deux talents d’or;

car son char étoit parvenu le quatrième à la bar-riere.

Il restoit un cinquieme prix , la coupe à deuxfonds: Achille perce la foule, traverse le Cirquepour l’offrir à Nestor: V ’

Ô vieillard, lui dit-il, conserve cette coupe enmémoire des funérailles de Patrocle que tu ne

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CHANT xan inreverras plus parmi les Grecs. Elle fut destinée auxathlètes: mais la vieillesse qui t’accable maintenant

. ne te permet d’entrer en lice ni dans les combatsdu ceste, ni dans ceux de la lutte, du javelot, del’arc ou de la course légere.

Il dit, et donne la coupe au fils de Nélée, quijoyeux la reçoit de la main d’AChille.

Tu as parlé convenablement, ô mon cher fils,lui dit-il: mes jarrets ont perdu leur légèreté etleur souplesse; mes mains, mes épaules n’ont plus

la même vigueur. Si je revenois au temps de majeunesse, si mes forces étoient entieres, tellesqu’elles étoient quand les Épéens firent dans Bu-

prasium les funérailles de leur roi AmaryncéeLes fils de ce roi ouvrirent une lice brillante. Au-cun des Êpéens, aucun des Argiens, des Pyliens,des magnanimes Étoliens , ne m’égala dans tous

les genres d’escrime. Je vainquis dans les combatsdu ceste Clytomede, fils d’Énopus; je l’emportai

à la lutte sur Ancée de Pleurone; le léger IphiClus.

osa me disputer le prix de la course légère , etm’avoua-son vainqueur; je surpassai Phylée etPolydore dans l’art de lancer le javelot: les deuxfils d’Actor me devancerent seuls dans la coursedes chars , le dernier des combats , dont les prix

f étoient magnifiques. Fiers de leur nombre, jaloux

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148 - L’ILIADE,de ma gloire , ils se réunirent contre moi : l’untenoit les guides, l’autre hâtoit ses coursiers et du

fouet et de la voix. Tel je fus autrefois. Que deplus jeunes athletes entrent en lice maintenant:cédons à la vieillesse. Continue , ô Achille , d’ho-

norer par le pompeux appareil de ces jeux les ob-seques de ton compagnon. J’accepte le don quetu me fais , comme un gage du souvenir que tuconserves de notre ancienne amitié ;utile exempleque tu donnes à l’armée des Grecs, de l’honneur

qu’ils doivent à ma vieillesse, à ma longue expé-

rience. Mon ame en est réjouie. Que les dieux terécompensent, et exaucent les vœux les plus Chersà ton cœur l

Il dit. Animé par les louanges qu’il a’reçues

du fils de N élée, Achille s’avance dans le cirque ,

expose, aux yeux’de tous, les prix qu’il destine

aux athlètes dans le périlleux combat du ceste.Une mule de six ans , vigoureuse, infatigable , dif-ficile à domter, est attachée par son ordre dansl’arene, prix du vainqueur : une coupe à deuxfonds consolera le vaincu. Debout au milieu ducirque , le fils de Pélée adressant la parole auxGrecs:

Fils d’Atrée , leur dit-il , et vous tous, valeureux

enfants de la Grece , que deux athlètes courageux

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CHANT xxr11. 149se di3putent la victoire dans le périlleux combatdu ceste. Celui dont la constance triomphera, aujugement’des Grecs, emmènera dans sa tente cette

g mule infatigable : le vaincu obtiendra la coupe àdeux fonds.

Il dit. Un homme nerVeux, d’uneihaute taille , ,

savant dans les combats du ceste, Épéus, fils dePanope , se lève. Saisissant la mule infatigable :

Que celui qui desire la coupe à deux fonds semontre, dit-il. Quant à la mule, je ne pense pasqu’un autre que moi l’obtienne; aucun ne l’em-

portera sur moi dans ce périlleux exercice. Ne -vous suffit-i1 pas , enfants de la Grèce, que je vousCède la gloire qu’on acquiert dans les autres com-

bats? Être savant dans tous les arts, propre à tous.les travaux , est un effort au-dessus de l’humanité.

Voici ce que je prédis à celui qui osera me disputer

la victoire : je meurtrirai sa chair; je briserai sesos: que ceux qui s’intéressent à son sort s’empres-

sent autour de lui ; ils ne tarderont pas à l’emporter

couvert de blessures.Il dit. Tous gardent le silence: le seulEuryale,

mortel égal aux dieux , se lève , Euryale , fils deMécistée, l’illustre descendant du roi Talaïon , qui

combattit autrefois dans Thebes aux funéraillesd’OEdipe , et vainquit tous les .Cadméens. Le va-

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150 L’ILIADE,leureux fils de Tydée prend un vif intérêt à sagloire : il s’empresse autour de lui, l’encourage

par ses paroles , le ceint de ses propres mains, luidonne de solides gantelets de plusieurs bandes de’cuirs de taureau sauvage étroitement enlacées.Les deux athlètes, ceints de larges courroies , s’amvancent dans l’arène , élèvent leurs bras nerveux,

fondent l’un sur l’autre : leurs mains se confon-

dent, tant les coups qu’ils se portent sont serrés.Le bruit de leurs’dents brisées, de leurs mâchoires

fracassées , retentit au loin; la sueur découle detous leurs membres. Le divin Épéus saisit l’ins-

tant auquel Euryale, prêt à frapper, jette de touscôtés des regards inquiets; il lui porte dans la

»mâchoire un coup si rude, que ses genoux fléç

chissent : il tombe. Avec autant de rapidité quele timide poisson , couvert de l’onde noire, estpoussé par le flot sur la rive argilleuse , quand lesouffle de Borée ride la surface de la plaine liquide;

ainsi le malheureux Euryale est abattu sous lescoups du fils de Panope. Son rival magnanime, leprenant par les deux mains , le releve : ses cherscompagnons accourent en foule, l’environnent ,l’entraînent hors de l’espace mesuré; ses jambes

ne peuvent le porter, un sang noir et épais coulede sa bouche , sa tête chancelle sur ses épaules ,

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CHANT XXIII., 151son esprit est égaré. Ayant reçu la coupe des mains

d’Achille , ses compagnons le transportent avecpeine dans sa tente, le font asseoir sur un trône

au milieu d’eux. .Ces combats terminés, Achille propose le pé-

nible exercice de la lutte. Les prix sont exposésdans l’arène ; le fils de Pélée les montre aux Grecs.

Le vainqueur obtiendra un grand trépied que laflamme n’a point noirci, estimé le prix de douze

bœufs; le vaincu une belle captive, savante danstousles arts de son sexe , de la valeur de quatrebœufs. Debout au milieu de l’assemblée, Achille

parle ainsi ::Paroissez, vous , qu’une noble ardeur engage

à faire l’épreuve de vos forces dans ce pénible

exercice.Il dit. Ajax fils de Télamon et l’industrieux

Ulysse se levent , se ceignent , marchent l’uncontre l’autre, se serrent de leurs bras nerveux;leurs muscles s’emboîtent aussi étroitement que

les poutres d’un palais qu’un habile artiste affermit

contre les vents et les tempêtes ; leurs vertèbrescraquent sous leurs doigts , des ruisseaux de sueurdécoulent de leurs vastes échines; les gouttes desang qui s’exhalent de tous leurs pores, teignentde pourpre et leurs muscles et leurs épaules: ils

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1’52 L’ILIADE;se disputent ,dans une lutte égale , le Superbe tre-opied. Ni Ulysse ne peut renverser Ajax, ni Ajax lecourageux fils de Laërte ; leurs efforts impuissantsfatiguent les Grecs.

Divin fils de Laërte, industrieux Ulysse, s’écrie

le fils de Télamon; enlève-moi ou je t’enleverai;

que J upiter soit l’arbitre du combat.Il dit; et saisissant son rival, il l’enlève. Fidèle

à ses ruses , Ulysse se courbe , lui porte un coupsi rude sur le jarret, qu’il l’oblige de ployer : Ajax

est renversé; Ulysse tombe sur lui, comprimantsa poitrine du poids énorme de son corps; l’arçmée firémit. Le patient, le divin Ulysse se relève;

il ébranle son rival, mais ne peut l’enlever : Ajaxlui serre le genou si étroitement, qu’il le renverseet tombe à ses Côtés. Souillés de poussière l’un-

et l’autre , ils eussent lutté une troisieme fois , si

Achille, se levant avec précipitation, ne les eûtséparés.

Cessez , leur dit-il , cette lutte dangereuse ; quede vains travaux n’épuisent pas vos forces. TousdeÛX vous avez remporté la victoire ; recevez desprix égaux, abandonnez l’arene à d’autres combats

tants.Il dit. Les deux héros secouent la poussière qui».

les couvre, et reprennent leurs tuniques,

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CHANT XXIII. 153;Achille propose les prix qu’il destine aux athle tes

dans la course légère. Une urne d’argent de six

mesures, célebre par sa beau té par toute la terre,l’ouvrage des industrieux Sidoniens: desPhéni:

I ciens, traversant les mers, l’apporterent à Lemnos,en firent don à Thoas qui les avoit reçus dans sesports ; Eunéus, fils de Jason , la donna à Patroclepour la rançon de Lycaon, fils de Priam. Dans cesjeux qu’AChille Célèbrehpour honorer les obseques

de son compagnon , elle sera la récompense del’athlete qui devancera ses rivaux dans la courselégère; un taureau engraissé, d’une haute taille,

est le second prix; le troisième un demi-talentd’or. Debout au milieu du cirque: Levez-vous ,dit le fils de Pélée , éprouvez vos forces dans cenoble exercice. Il dit. Le léger Ajax fils d’Oilée,

l’industrieux Ulysse, et Antiloque fils de Nestor,.qui l’emporte sur tous ceux de son âge par larapidité et la souplesse de Ses mouvements , selèvent. Rangés sur une même ligne, ils attendentle signal. Le fils de Pélée leur ouvre la carriere ,leur en montre les limites : tous s’élancent enmême temps. Le léger fils d’Oïlée l’emporte sur

ses rivaux. Ulysse le suit de près: la navette qu’une

femme industrieuse fait voler sur la trame ne serrepas plus étroitement les laines qu’elle parcourt

a. » 20

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x54 ’L’ILIADE,pour les lustrer; les vastes poitrines des deuxhéros se touchent; les pas d’Ulysse s’impriment

sur les pas d’Ajax ; un même tourbillon de pous-siere les couvre : l’haleine du fils de Laërte estimprégnée sur la tête du fils d’Oïlée; tant ils cou-

rent avec rapidité. Les applaudissements desGrecs excitent en eux une noble émulation. Déjails touchent la barriere. Ulysse adresse dans soncœur à Minerve cette humble priere : Déesse , ma

puissante protectrice , exauce mes vœux; vole àmon aide.

Il dit. Minerve l’entend , accroît la vigueur de

ses jarrets, rend ses membres plus souples; frap-pant le fils d’Oïlée , elle lui enleve une victoirequ’il regardoit comme assurée. A l’instant qu’il

touche la barrière , que s’élançant sur le prix, il-fait

effort pour s’affermir sur un sol que le sang et lafiente des bœufs immolés par Achille sur le bû-

cher de Patrocle , a rendu glissant, il tombe; lesang et la poussière emplissent sa bouche et sesnarines. Le fils de Laërte le prévient, s’empare de

l’urne ; le fier taureau sera la récompense du filsd’Oïlée. Repoussant la fange de sa bouche, il com-

prime les cornes du bœuf sauvage, et s’écrie :

Ô mes amis, la déesse qui protège Ulysse,comme une mere tendre veille sur un fils, objet

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CHANT XXIII. 155de ses soins empressés, Minerve m’a ravi la vio-

t01re. - . -Il dit. Le sang et la fange qui le défigurent exci-

tent le rire des Grecs. Antiloque atteint le dernierla barrière. Adressant, avec un rire moqueur, laparole aux enfants de la Grèce:

On voit, dit-il, par cet exemple, que les im-mortels favorisent les vieillards. Ajax est de peumon aîné : mais Ulysse seroit mon pere ’; il égale

en force , en légèreté les anciens héros; le seul

Achille pourroit lui disputer la victoire.Il parle ainsi, relevant la gloire du léger fils de

Pélée.

Antiloque, lui répond Achille, tu seras récom-

pensé de ta louange adroite : j’ajoute un demi--talent à celui qui t’est dû.

Il dit, et remet le prix aux mains du fils deNestor qui le reçoit avec joie.

Plaçant dans l’arène le long javelot, le bouclier,

le casque que Patrocle enleva à Sarpédon , Achille

propose aux plus valeureux guerriers de se couvrirde l’airain étincelant, de s’armer du javelot, de

montrer leur adresse dans les combats. Celui quitirera une goutte de sang du corps de son adver-saire , je lui donnerai le glaive de Thrace orné de.clous d’argent que j’enlevai à Astéropée ; les armes

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156 »L’ILIADE,de Sarpédon seront partagées entre les deux athlè-

tes; je célébrerai leur gloire dans ma tente par un

festin solemnel.Il dit. Le grand Ajax fils de Télamon, et l’in-r

trépide fils de Tydée, sortent des rangs, revêtentleurs armures, s’avancent dans l’arène ; impatients

de se disputer la victoire, ils se provoquent par deterribles menaces: les Grecs frémissent. Parvenusà la portée du javelot, trois fois ils s’élanCent, trois

fois ils reculent. Ajax lance le premier son javelot,perce le bouclier du fils de Tydée : mais la p67saute cuirasse de Diomede repousse l’arme meur-triere ; sa peau n’est pas même effleurée. Appuyant

son javelot au-dessus du vaste bouclier d’Ajax, le

fils de Tydée lui porte dans la gorge des coupsredoublés , fait effort pour percer l’armure qui le

couvre. ’ . .Alarmés du péril auquel la vie du grand Ajax

est exposée , les Grecs adjugent aux deux cham-pions des prix égaux, leur ordonnant de se sépa-rer : mais le fils de Télamon fait don à son rival du

glaive superbe, du fourreau , du baudrier, prix du

vamqueur. .Achille place lui-même au milieu du cirque

une lourde masse de fer brut, disque énorme ,que lançoit l’indomtable Èétion, quand le fils de

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CHANT XXIII. 157Pélée le précipita dans les sombres demeures.Possesseur des trésors de ce roi, Achille trans-porta ce disque dans ses vaisseaux avec les autresdépouilles du vaincu. Debout, au milieu de l’arène,

il adresse la parole aux enfants de la Grece: iFaites encore essai de vos forces dans ce genre

d’escrime, dit-il. Ce disque sera la récompense del’athlète qui le lancera le plus loin. Celui qui l’ob-

tiendra sera pourvu abondamment de fer pendantcinq années; cultivât-il des Champs immenses , à

une grande distance des cités, ni ses laboureurs ,ni ses pâtres, ne seront obligés d’aller acheter du

fer à la ville.Il dit. L’invincible Polypétès, le robuste Léon-

tée , Ajax fils de Télamon, et Épéus , se levent ,

s’approchent de la barriere , se rangent sur unemême ligne. Épéus leve le disque, lui imprime unmouvement rapide par les cercles qu’il lui fait dé-

crire, le lance avec force; les Grecs poussent descris de joie. Léontée , rejeton de Mars, le lanceaprès lui. Ajax fils de Télamon le relève , le lance

I d’un bras nerveux, passe tous les signes. L’invin-

cible Polypétès s’en empare le dernier. Autant la

houlette qu’un pasteur jette à ses bœufs pour lesarrêter, parcourt, en tournant dans l’air, d’espace

au-dessus de la tête du troupeau, autan-t l’énorme

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158 L’ILIADE,’disque en parcourt au-delà des signes de tous sesrivaux. Les Grecs poussent des cris d’admiration:

,les compagnons de Polypétès transportent le dis-.que dans leurs vaisseaux, trophée de la victoire de

leur roi. IL’acier poli sera la récompense des athlètessavants dans l’art de décocher la flèche légère.

Achille ouvre la lice. Dix haches à deux tran-chants , dix demi-haches sont placées dans l’arene.

On dresse un mât au milieu du cirque, à unegrande distance , sur le sable qui couvre les rivesde la mer: un foible lien resserre le pied d’unetimide colombe attachée au sommet de ce mât:tel est le but proposé par Achille. Celui dont laflèche percera la colombe , emportera dans sa tentetoutes les haches. Celui qui n’atteindra que le lien,emportera les demi-haches; car il n’est pas aussiadroit archer.

Il dit. Le valeureux Teucer et Mérion , l’écuyer I

d’Idoménée, se présentent. Deux billets sont jetés

dans un casque : le nom de Teucer sort le preamier. Mais il oublie de promettre à Apollon unsacrifice des premiers nés de ses agneaux: le dieuqui lance au loin ses invincibles traits lui enviela victoire ; la flèche s’égare , n’atteint que le lien

qu’elle sépare du mât ; l’oiseau fendantl’air d’un vol

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CHANT XXIII. ’ 159rapide, s’élève jusqu’aux nues, emportant la moi-

tié du lien; l’autre moitié incline vers la terre. Les

.Grecs poussent des cris de joie. Mérion voit fuirla colombe ; il arracheil’arc de la main de Teucer,voue les prémices de ses agneaux au dieu qui lance

au loin ses invincibles traits, place sur le nerf uneflèche qu’il tient depuis long-temps, vise l’oiseau

dans la nue, l’atteint dans l’aile au moment qu’il

commence à planer: la fleche se précipite auxpieds du vainqueur: la colombe s’abat sur le mât,

fait effort pour se soutenir, étend le cou, étendles ailes , tombe loin de la main qui l’a frappée.L’écuyer d’Idoménée emporte les dix haches aux

yeux des spectateurs étonnés de son adresse ;Teucer n’obtient que le second prix. ’

Le fils de Pélée dépose dans l’arène un long

javelot et un vase d’airain orné de fleurs, artiste-ment ciselées , du prix d’un bœuf; la flamme n’a

point noirci ce vase. Le fils de Pélée le destineaux athlètes adroits à lancer le javelot. Le roi deshommes, le puissant Agamemnon, et Mérion ,l’ecuyer d’Idoménée, se lèvent. Le divin Achille

prenant la parole:Fils d’Atrée, dit-il, ta force et ton adresse sont

connues; tu l’emportes sur tous : accepte ce vaseque ma main te présente , et retourne à tes vais-

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160 L’ILIADE, CHANT XXIII.seaux ; souffre que nous donnions le javelot à Mé-rion. Si mon conseil t’agrée, daigne le suivre,

Il dit. Le roi des hommes ,. Agamemnon, selaisse persuader; il donne à Mérion le javelotarmé d’airain , prend pour lui le vase qu’il remet

aux;mains du héraut Talthybius.

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L’ILIADE.

CHANT XXIV.

21

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ARGUMENT.J U? 1 TER , qui prend soin d’Hector, envoie Thétis à Achille pour

lui ordonner de rendre le corps du. fils de Priam. Dans le mêmetemps le maître des dieux députe Iris à Priam pour lui enjoindred’aller dans le camp des Grecs racheter le corps de son fils : Mercureest son guide. Le vieux Priam fléchit le courroux d’Achille ; il reporte

dans Troie le corps d’Hector. F unérailles de ce héros. ’ ’

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’L’I L I A DE.

CHANT xx1v.Priam paie à Achille une riche rançon et obtient le

corps d’Hector.

Les combats du cirque sont finis; les Grecs ,1dispérsés dans leurs tentes, goûtent les douceursd’un agréable festin; le sommeil verse ses-pavots

sur leurs yeux: mais Achille pleure sen cher com- .pagnon. Le sommeil, vainqueur des mortels, neSoulage point ses ennuis; il se tourne de touscôtés, rappellant dans son esprit la force indom-table de Patrocle , son généreux courage , les fusreurs de Mars qu’il affronta sous ses ordres , sestravaux qu’il partagea, les mers qu’il parcourut

avec lui. Ce triste souvenir lui arrache des larmes:tantôt il s’étend sur un côté , tantôt. sur l’autre ;

quelquefois il s’assied; souvent il s’élance de son

lit. Les premiers rayons de l’aurore le surprennenterrant sur le rivage que baigne l’onde écumeuse;

il attelle ses rapides cotirsiers, suspend à son Charle corps d’Hector avec de fortes courroies , le

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164 L’ILIADE,traîne par trois fois autour du tombeau du fils deMénétius. Ayant rendu ce triste hommage auxmânes de son fidele compagnon, il arrête ses cour-siers, retourne au camp, délie la dépouille mor-telle du fils de Priam, l’abandonne à l’entrée de

sa tente, le front collé sur la poussiere. Mais, in-digné de ces outrages, Apollon ne souffre pas queles traits du grand Hector soient altérés : toutmort qu’il est, son front imprime le respect. Ledieu de la lumiere le couvre de son égide d’orpour empêcher qu’il ne soit déchiré par les vio-

lentes secousses que le fils de Pélée lui fait es-suyer, le traînant tous les jours autour du tom-beau de Patrocle. Les heureux immortels, por-’tant leurs regards sur le camp des Grecs, sontémus d’une tendre pitié ;Iils s’efforcent d’engager

l’adroit meurtrier d’Argus à dérober à la fureur

d’Achille les précieux restes du fils de Priam. Ce

conseil agrée à tous les dieux, hors à Junon , àNeptune et àMinerv’e; car ces trois divinités-ontjuré’une haine implacable à la sain te cité d’llion , à

Priam, àson peuple belliqueux. C’est ainsi qu’elles

punissent le mépris que le berger Pâris fit de labeauté des deux déesses , le jour qu’elles honore-

rent sa cabane de leur présence : c’est ainsi que

Junon et Minerve se vengent du jugement que

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CHANT XXIV. 165Cythérée obtint du léger Pâris, séduit par les char-

mes de la déesse de la beauté qui l’entraînerent

dans le fatal adultere, source de tant de. maux.- Déj ala douzieme aurore s’éleve sur l’horizon, quand

Apollon adresse la parole à tous les immortels:Cruelles et ingrates divinités, leur dit- il , avez-

vous oublié combien Hector vous immola de vic-times; de combien de bœufs, de combien de che-vres grasses il fit couler le sang sur vos autels? Ilest mort; et vous refusez de soustraire son corpsaux outrages que lui fait Achille l vous refusez à laveuve d’Hector , à sa mere , à son fils , au vieuxPriam son pere, la triste consolation d’arroser deleurs larmes, de placer sur le bûcher, de verserdes libations sur la dépouille mortelle de cehéros ! vous favorisez les outrages que lui fait l’in-

juste et cruel fils devPélée dont le courroux égare

laraison. Tel-un lion furieux, se confiant dans sesforces, fier de sa victoire, s’élance sur de timidesagneauxqu’il dévore; tel le fils de Pélée , insen-

sible à la pitié , au respect dû à l’opinion des

hommes, présents que les dieux firent aux mor-tels pour modérer les transports effrénés de leur j

cœur, se livre tout entier à sa vengeance. Leslarmes qu’on répand sur le tombeau des objets lesplus chers , d’un pere , d’un fils tendrement aimé,

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166 ÎL’ILIADE, Ïontiun terme chez tous les autres hommes: ledestin leur a donné un cœur patient dans le mal-heur; le temps dissipe les chagrins les plus cui-sants. Depuis que celui-ci s’est vengé par la mort

du divin Hector, il le suspend tous les jours à sonchar, etl’entraîne autour du tombeau de son fidele

compagnon. Divinités injustes et cruelles ! votrecourroux ne s’enflammera- t-il pas à la vue des in-

dignes traitements qu’Achille fait éprouver à la’ dépouille mortelle d’un homme vertueux, à la

vue de cette honteuse et inutile vengeance qu’ilexerce sur une terre insensible?

Ô Apollon à l’arc d’argent, répond Junon irri-

tée, considere les suites de tes pernicieux conseils.Ainsi, dieux de l’Olympe , vous souffririez que lecorps d’Hector fils de Priam, qui naquit mortel,qu’une mortelle nourrit de son lait, obtînt les mê-

mes honneurs qu’on rendra à l’invincible Achille

.quand il aura subi son destin, à Achille fils d’unedéesse qui suça mon lait, dont je pris soin dès sesplus jeunes ans, que j’unis par les nœuds de l’hy-

men à un mortel, le grand Pélée, chéri de tousles dieux. Toutes les divinités de l’Olympe hono-’

rerent ces noces de leur présence. Ingrat et perfide;Apollon ! tu partageois’avec ces augustes épouxle festin nuptial; tu pinçois, aux noces de Pelée ,..

l’harmonieuse cithare. l

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CHANT xx1v. 167a Junon, répond le dieu qui assemble les nues;

ne suppose pas à tous les immortels des projetsindignes de la majesté suprême. Les mêmes hon-neurs ne seront pas rendus aux mânes d’Hectoret à ceux du fils de Pelée: mais de tous les Troyens

Hector fut le plus cher à mon cœur; il fut chéride tous les dieux qu’il combla d’offrandes. Jamais

d’aussi pompeux sacrifices ne fumerent sur mesautels; jamais d’aussi fréquentes libations ne les

arroserent , seuls honneurs que de foibles mor-tels puissent rendre aux heureux habitants del’Olympe. N’essayons pas d’enlever secrètement

à Achille le corps d’Hector: nous le tenterions envain; la mere d’Achille veille nuit et jour à lagarde de ce trésor. Que l’un de nous ordonne àThétis de monter au sommet de l’Olympe pour y

recevoir mes ordres; qu’Achille accepte les donsmagnifiques que Priam lui offrira pour la rançondu corps de son fils.

Il dit. Iris, courriere aussi rapide que la tem-pête, fendant la nue d’un vol léger, se précipite

du sommet de l’Olympe entre Samos et la pier-reuse Imbrum ; l’onde mugit sous le poids de ladéesse qui plonge dans l’humide élément avec la

- rapidité du plomb attaché à la ligne du pêcheur,qui cache, sous la corne d’un bœuf sauvage, le

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168 , L’ILIADE,perfide appât, fléau des poissons. Parvenue aupalais de Thétis, la messagere des dieux voit lamere d’Achille assise au milieu de ses nymphes,le visage baigné de pleurs , présageant la destinée

de son valeureux fils , condamné à périr aux champs

troyens, loin de sa terre natale. La légere Iris ap-proche , lui parle ainsi:

Leve- toi, ô Thétis z Jupiter t’appelle, Jupiter

dont les conseils sont éternels.

Que me veut le maître des dieux, répond ladéesse aux pieds d’argent: dans la douleur quim’accable , suis-je en état d’assister aux festins

sacrés? J’irai cependant; car les ordres du filsde Saturne ne doivent être ni transgressés niéludés,

Ainsi parle la plus belle des nymphes ;tet secouvrant d’un voile noir, immense, dont rienn’égale l’obscurité et le deuil, elle s’élance de l’hu-

mide palais. La légere Iris la précede et la guide.Les gouffres profonds de la mer se fendent à l’as-

pect des deux déesses : elles gravissent la rive es-carpée, et parviennent au sommet de l’Olympe ,

où les immortels, assis sur leurs trônes , environ-nent le dieu dont la vue perçante s’étend sur la

nature entiere. Thétis aborde le dieu qui lance letonnerre, et s’assied près de lui; car Minerve lui

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CHANT xx1v. 169céda le trône qu’elle occupoit. Junon s’efforce de

Calmer par ses paroles les douleurs de la fille duvieux N érée ; une coupe d’or lui est offerte par les

mains de la reine des dieux. Thétis la vuide et larend à l’épouse de Jupiter. Le pere des dieux etdes hommes prenant la parole z

ç Thétis, lui dit-il , tu arrives sur l’Olympe,l’aine accablée d’une douleur profonde; des soucis

dévorants déchirent ton cœur, je le sais, et m’em-

presse de te dévoiler le puissant motif pour lequelje t’ai fait appeller. Depuis neuf jours une vio-lente querelle s’estémue parmi les habitants del’Olympe : Hector, dont la destinée est remplie ,

et Achille , le destructeùr des cités , en sont lesobjets.Tous les dieux sollicitent l’adroit meurtrierd’Argus d’enlever à Achille les restes du fils dePriam. Mais, fidele à l’alliance que j’ai contractée

avec toi, fidele à l’amour que tu m’as inspiré, je

me suis opposé jusqu’ici à leurs projets; car lagloire doit être le partage de ton fils.Vole à l’armée

des Grecs, porte mes ordres à Achille, dis-lui queles dieux sont irrités, et moi plus que tous les au-tres, des outrages qu’il fait essuyer dans sa fureurà la dépouille mortelle d’Hector, qu’il retient dans

ses vaisseaux, refusant de la rendre aux Troyens.Si la crainte du pere des dieux et des hommes est

4. 22

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170 ’L’VILIADE,dans son cœur, qu’il leur livre les restes d’Hector.

J’enverrai Iris ordonner au magnanime Priamd’aller au Camp des Grecs racheter le corps deson fils , d’apporter à Achille une immense rançon

dont il sera satisfait.Il dit. Docile aux ordres de Jupiter, Thétis se

précipite du sommet de l’Olympe , arrive à la tente

de son fils. Consterné , immobile , Achille poussede profonds gémissements, ses fideles compa-gnons, empressés autour de lui, s’efforcent dedissiper sa morne tristesse : un mouton engraissé ,chargé d’une épaisse toison, vient d’être immolé ;

ils préparent le repas du matin. La respectablemere d’Achille s’approche , s’assied près de son

fils, lui prodigue de tendres caresses.Ô mon fils, lui dit-elle, mets un terme à ton

deuil, chasse les soucis dévorants qui te consu-ment. Tu ne bois ni ne manges ; le sommeil neferme point tes paupieres; tu n’es plus sensibleaux plaisirs de l’amour, le charme des maux lesplus cuisants qu’éprouve la race des mortels : ce-

pendant l’heure de ta mort approche. Dans peula Parque inexorable tranchera le fil de tes jours.Suis mes conseils : Jupiter me députe vers toi. Ildit que tous les dieux sont irrités, et lui plus quetous les autres, des outrages que tu fais essuyer

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CHUANT x’xrv. 17.dans ta fureur à la dépouille mortelle d’Hector,

que tu retiens dans tes vaisseaux, refusant de larendre aux Troyens. Rendsleur, ô mon fils, cetteprécieuse dépouille , objet de leurs vœux; accepte

en échange une immense rançon. ’Qu’on m’apporte cette rançon, répond Achille,

que les Troyens enlevent le corps d’Hector , puis-

que telle est la volonté du dieu qui regne surl’Olympe.

Ayant ainsi exécuté les ordres du maître des

dieux, Thétis se livre aux tendres mouvements del’amour maternel ; les paroles volent dans leursmutuels entretiens. Cependant Jupiter députe Irisvers la sainte cité d’Ilion z Légere Iris, lui dit-i1,

abandonne le céleste palais ; hâte - toi de porterdans Troie mes ordres à Priam. Qu’il pénetre dans

le camp des Grecs, pour racheter le corps de son fils,et payer à Achille une immense rançon dont soncœur soit satisfait. Qu’il parte seul, sans autre cor-tege que le plus vieux de ses hérauts pour conduire

son char, diriger ses mules et reporter dans Troiela dépouille mortelle d’Hector précipité dans les

sombres demeures par les mains du fils de Pélée.Que la crainte de la mort n’occupe point l’a pensée

du pere d’Hector; qu’elle ne l’arrête pas : le puis-

sant meurtrier d’Argus l’escortera jusqu’à la tente

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172 L’ILIADE,d’Achille. Le fils de Pélée le traitera avec huma-

nité; il contiendra tous les autres: car il n’est ni

insensé , ni imprudent, ni impie; il respecte lesdroits de l’hospitalité : Priam trouvera grace auprès

d’Achille; il lui inspirera une tendre pitié.

Il dit. Aussi rapide que la tempête, Iris, s’élan-

çant du sommet de l’Olympe , parvient au palais

de Priam. Un deuil affreux regne dans la vaste en-ceinte de l’auguste demeure des rois; les pleurs ,

les sanglots retentissent de toutes parts : les filsde Priam environnent leur pere ; leurs vêtementssont mouillés de leurs larmes: au milieu d’eux ,

le vieux Priam , enveloppé dans son manteau , seroule sur la poussiere; la cendre souille ses che-veux blancs: ses filles, les épouses de ses fils,pleurent à ses côtés , rappellant à leurs pensées

tous les héros que les enfants de la Grece ont pré-

cipités dans les sombres demeures. La courrierede Jupiter, Iris, approche; d’une voix affoiblie parl’effroi que lui cause cet affreux spectacle , elleadresse la parole à Priam:

Prends confiance , Dardanien Priam , lui dit-elle; que ma présence ne porte point le trouble

dans ton ame : je viens soulager tes ennuis , nonles accroître. Le dieu qui regne sur l’Olympe,qui, du sommet de la voûte éthérée , veille sur

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CHANTgFXXIV. 173toi, a pris compassion de tes maux : Jupiter t’or-donne de racheter la dépouille mortelle de tonfils, de porter à Achille une riche rançon dontson cœur soit satisfait. Pénetre seul dans le campdes Grecs, sans autre cortege que le plus vieux detes hérauts, pour conduire ton char, diriger tesmules, et reporter dans Troie le corps d’Hector’qu’Achille a précipité dans les sombres demeures.

Que la crainte de la mort ne t’arrête pas; qu’ellen’occupe point ta pensée : l’adroit meurtrier. d’Ar-

gus, Mercure , t’escortera jusqu’à la tente d’A-

chille. Le fils de Pélée te traitera avec humanité ,

et contiendra tous les autres: car il n’est ni in-sensé , ni imprudent, ni impie; il respecte lesdroits de l’hOSpitalité. Aborde-le en suppliant; tu

trouveras grace devant lui; il aura compassion detes infortunes.

Ayant ainsi parlé , la légere Iris disparoît. Priam

ordonne d’atteler ses mules à son char, d’y placer

un grand coffre. Il dit, et monte dans l’apparte-ment parfumé, de bois de cedre , dont le toit est »d’une grande élévation, où sont renfermés ses tré-

sors les plus précieux. Appellant Hécube sa tendreépouse :

Mere affligée , lui dit-il , un messager du dieuqui regne sur l’Olympe m’ordonne de pénétrer

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174 L’ I L I A D E ,dans le camp des Grecs pour racheter mon fils,pour remettre aux mains d’Achille une richerançon, dont son cœur soit satisfait. Explique-moi ta pensée; quel te paroît être ce message? J’ai

un désir ardent d’obéir, d’aller au camp des Grecs,

de racheter les précieux restes d’Hector.

Il dit. Des larmes abondantes baignent lesjoues de sa tendre épouse; elle s’écrie: Infortuné!

qu’est devenue cette sagesse ustement respectée

de tes sujets, célebre autrefois parmi les nationsétrangeres? Tu conçois le périlleux projet d’aller

seul aux vaisseaux des Grecs, d’aborder un homme

cruel, le meurtrier de tes valeureux enfants , dontle cœur est d’acier. A peine t’aura-t-il apperçu,

qu’il te traitera en captif. Ne te flatte pas que lefils de Pélée , perfide , avide de sang, respecte tes

cheveux blancs. Renfermés dans ce palais, loind’une foule importune, pleurons la mort de monfils, abandonnant sa dépouille mortelle à la trameaffreuse que les Parques lui ont filée à l’instant de

sa naissance , quand je le mis au monde: que lecorps d’Hector soit , puisqu’il le faut, la pâture

des chiens et des vautours, loin des. siens , dansla tente de cet homme cruel dont je ne puniroisdignement les forfaits qu’en dévorant son cœur,qu’en déchirant ses entrailles. Ainsi seroit vengé

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CHANT xx1v, 175mon fils , le grand Hector, qu’il a percé sous les

murs de sa patrie, aux yeux des Troyens et des iTroyennes défendus par son intrépide valeur.

Ô ma chere épouse , répond le vieux Priamdont la majesté égalé celle des immortels , n’es-

saie pas de me détourner de la résolution que j’ai

prise: ne porte point l’effroi dans mon palais parde sinistres présages; tu ne me persuaderois point.Si quelque mortel, soit devin, soit pontife ou sa-crificateur, m’eût donné cet ordre , je le croirois:

menteur et refuserois d’y obéir: mais une divinité

est descendue de l’Olympe; je l’ai vue de mes

yeux. Docile aux ordres des immortels, je, pars.I’uissé-je mourir dans les vaisseaux des Grecs;qu’Achille me perce de son javelot sur le corpsde mon malheureux fils , le serrant dans mesbras , rassasié de mes larmes l c’est l’objet de mes

vœux! lIl dit; et ouvrant les arches solides qui renfer-ment ses trésors, il en tire douze manteaux d’une

grande beauté , douze voiles très fins , autant de

tapis, autant de superbes tuniques, dix talentsd’or, deux trépieds éclatants , quatre vases d’ai-

rain, une coupe d’une grande valeur, présent que

lui firent les Thraces, quand il fut envoyé danscette contrée , porteur de paroles de paix. Cette

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176 L’I L I A D E ,coupe est d’or, d’un travail exquis. Le vieux Priam

la gardoit avec soin dans son palais. Il la consacreà la rançon de son fils ; car la dépouille d’Hector

est d’un prix inestimable à ses yeux. Tous lesTroyens s’empressent autofir de lui, font effortpour l’arrêter; il les repousse avec de dures pa-

roles: ’Lâches, leur dit-il, dignes’de toutes sortes d’op-

probres, retournez dans vos maisons pleurer lespertes que vous avez faites. Cessez de me fatiguerpar de vaines instances; n’ajoutez pas aux mauxdont le fils de Saturne m’a accablé, m’ayant ravi

le plus courageux de mes fils. Vous sentirez unjour le besoin que vous aviez de son bras. Privésde ce héros, les Grecs triompheront aisémentd’une multitude impuissante. Puissé-je descendre

dans les sombres demeures , avant de voir cettegrande cité dévastée, réduite en cendres par les

enfants de la Grece! eIl dit, et les écarte avec son sceptre. Respec-

tant la douleur du vieux monarque , ils s’éloignent.

Neuf de sesfils , les seuls qui lui restent, Hélénus,

Paris, le divin Agathon , Pammon , Antiphonus ,le valeureux Polytès, Déiphobus , Hippothoüs et

le divin Agauus, s’empressent autour de lui. Levieillard leur adresse ces durs reproches:

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CHANT xx1v. ’ 1’77Enfants pervers , l’opprobre de ma race , hâtez-

vous d’obéir à mes ordres; votre vie ne peut me

consoler de la perte du seul Hector. Infortuné !j’eus des enfants valeureux , le divin Mestor ,Troïlus qui se plaisoit à combattre de dessus sonchar, Hector qui sembloit un dieu descendu surla terre, digne d’être le fils d’un dieu plutôt que

d’un mortel. La guerre les a tous moissonnés. Ilne me reste que des fils dont je rougis d’être pere,

parjures, légers, qui languissent dans une molleoisiveté , qui ne se plaisent que dans les festins ,sang-sues de mon peuple, qui dévorent ses agneauxet ses chevres. Hâtez-vous de préparer mon char,d’y placer cette précieuse rançon pour que j’ac-

complisse le voyage que les dieux m’ont prescrit.Il dit. Ses fils respectueux, craignant d’irriter

un pere qu’ils chérissent, s’empressent de pré-

parer le char solide , formé de planches nouvelle-ment assemblées, à quatre roues , propre à être ’

traîné par des mules; ils y attachent, à l’aide de

forts cordages, le coffre destiné à contenir la ran-çon d-’ Hector. Le joug de bois, orné de bossettes

et d’anneaux, est détaché de la muraille z ils lefixent à l’extrémité du timon. Des rênes de neuf

coudées y sont suspendues ; les fils de Priam lespassent par trois fois dans l’anneau , les unissent

4. I 23

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178 - ..L’ILIADE,par un nœud sous l’angle du joug , les y fixent avec

solidité , apportent la riche rançon, la placent dans

le char, attellent les mules vigoureuses , infatiga-bles, superbe présent que les Mysiens firent au-trefois à Priam. Des coursiers légers , destinés auchar du monarque , sont tirés de ses vastes écuries

où il les nourrit avec soin. Occupé de sages pen-sées, le Dardanien Priam et son héraut les attel-lent eux-mêmes sous le portique du palais.Tenantdans ses mains une coupe d’or, pleine d’un vinaussi doux que le miel, Hécube désolée approche:

elle se place à la tête des coursiers, et ne souffrepas que Priam et son héraut partent avant d’avoir

offert aux dieux de saintes libations. Présentant lacoupe à son époux: Puisque, malgré mes efforts,lui dit-elle, tu as formé le périlleux projet de pé-

nétrer dans le camp des Grecs, offre avant tout desain tes libations au pere des dieux et des hommes ,pour qu’il te préserve du javelot de l’ennemi. et

te ramene dans ton palais. Adresse tes humblesvœux au fils de Saturne, qui, du sommet de l’Ida ,veille sur Ilion ; demande-lui d’affermir- ton cou-rage par un augure favorable, de faire voler sur ladroite cet oiseau qu’il chérit par-dessus tous lesautres , le plus léger, le plus fort des habitants del’air, que tu le voiesde tes yeux; qu’il t’in3pire

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CHANT xx1v. .79une juste Confiance de’réu’ssir dans cette péril-

leuse tentative. Si le dieu dont l’œil perçant em-

brasse la nature entiere ,.te refiise cet augure fa-vorable, arrête tes coursiers; ne hasarde point,malgré ton impatience, d’approcher du camp des

Grecs. ’Femme , lui répond le divin Priam, je ne merefuserai pas à tes pieuses instances: il est bond’élever ses mains suppliantes vers le dieu qui

lance le tonnerre. iIl dit, et ordonne à une adroite captive de verser

de l’eau sur ses mains. L’esclave cellériere , por-

tant une aiguiere d’or sur un bassin d’argent , ré-

pand une onde pure sur les mains du monarque.Prenant la coupe de celles de son épouSe, de-bout au milieu de la’vaste enceinte de son palais ,les yeux élevés vers le ciel, le vieux Priam faitdes libations à Jupiter, lui adresse cette fervente

priere: ,Pere des dieux et des hommes, qui dominessur l’Ida, dont la puissance égale la bonté, ac-corde-moi de pénétrer jusqu’à la tente d’Achille ,

de trouver grace devant ce héros , d’émouvoir sa

pitié. Affermis mon courage par un augure favo-rable; fais voler sur la droite cet oiseau que tuchéris par- dessus les autres, messager rapide de

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180 L’ILIADE,tes ordres suprêmes , le plus fort des oiseaux; queje le voie de mes yeux, qu’il m’inspire une juste

confiance de parvenir en sûreté aux vaisseaux des

Grecs;Ainsi parle le vieux Priam, et ses vœux sont

exaucés. Le dieu qui lance le tonnerre lui envoiele plus certain des augures , "cet oiseau de proiedont les plumes sont d’un or foncé , qu’ils nom-

ment le grand aigle; ses ailes étendues couvrenttout l’espace qu’occupe le portique élevé de la

maison d’un homme riche. Il vole sur la droiteet parcourt la vaste enceinte de Troie: tous levoient; leurs ames sont réjouies, leurs espérancesranimées. Priam se hâte de monter sur son char;le portique sonore retentit du bruit du départ; lesmules légeres précedent, dirigées par Idée; elles

traînent le char à quatre roues qui renferme la.rançon d’Hector. Priam suit, monté sur son char

qu’enlevent de rapides coursiers; le fouet, manié.avec art, hâte et ralentit leur marche impétueuse.

Suivi de ses enfants, de ses gendres , d’un peuple

immense qui l’adore, le vieux’Priam traverse la.

vaste cité de Troie: tous pleurent, tous gémis-sent, comme s’il alloit à la mort. Parvenus auxportes de la ville, à la route qui conduit au campdes Grecs, ses fils, ses gendres , contraints de

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CHANT XXIV. 4.181l’abandonner, retournent tristement dans fleurspalais. Le dieu dont l’œil perçant s’étend sur la

nature entiere , voit Priam traverser la plaine ,précédé de son héraut: ému d’une tendre pitié, il

adresse la parole à Mercure son cher fils:Ô Mercure, lui dit-il , aucun:des dieux ne se

plaît plus que toi parmi les mortels; tu protegescelui qui t’est agréable. Vole au secours de Priam

qui marche vers le camp des Grecs; sois son guide,ô mon fils: qu’aucun des enfants de la Grece nele reconnoisse , avant qu’il soit parvenu à la tente

d’Achille. .Il dit. Docile aux ordres de Jupiter, le message]:des dieux, l’adroit meurtrier d’Argus, attache ces

brillantes talonnieres d’or qui le portent sur laterre et sur l’onde avec la rapidité des vents , prend

j en main cette verge miraculeuse avec laquelle ilferme, quand il lui plaît, les yeux des mortels, et,quand il. lui plaît, les rappelle à la vie. Armé de

cette verge puissante, Mercure se précipite dusommet de l’Olympe , vole avec rapidité vers leschamps troyens,’parvient aux rives de l’Helles-

pont, sous la forme d’un jeune guerrier dont unléger duvet couvre le menton. Le vieux Priam etson héraut ont passé l’antique tombeau d’Ilus:

leur course rapide est suspendue; les coursiers et

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182 L’ILIADE,’les mules étanchent leur soif dans l’onde limpidedu Xanthe; les voiles de la nuit s’étendent sur laterre. Idée apperçoit près de lui un jeune hommedans la fleur de l’âge. Adressant la parole au m0.

narque:Fils de Dardanus, lui dit-il, prends conseil de

ta sagesse. Un guerrier est près de nous ; notreperte est certaine. Fuyons, ou embrassons ses ge-noux; peut-être aura-t-il pitié de notre infortune.

Il dit. La terreur s’empare du vieux monarque;

ses cheveux, blanchis par les ans, se dressent sursa tête; il tremble de tous ses membres. Mercureapproche; lui prenant la main :

Ô mon pere , lui dit-il, où vas-tu avec ces che-vaux et ces mules , par une nuit obscure , quandtous les autres mortels sont plongés dans lesommeil? Ne redoutes-tu point le courroux desGrecs? Des ennemis implacables sont près de toi.Si quelqu’un d’eux te voyoit emporter ces trésors,

quel seroit ton espoir? Tu n’es plus jeune, et toncompagnon est vieux; esperes-tu, avec une telleescorte, repousser l’ennemi? Ne redoute aucunmal de ma part: je te défendrai; car je t’honore àl’égal d’un pere.

Mon cher fils, lui répond Priam dont la ma-jesté égale celle des dieux , je connois tous les

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CHANT XXIV. 183périls qui m’environnent: mais quelque dieu meprotege, puisqu’il m’envoie un tel’guide. Ren-

contre fortunée! j’admire ta beauté, la majesté de

ton port, la sagesse de tes conseils; tues sansdoute de la race des heureux habitants de l’O-lympe.

Ta sagesse, ô vieillard, éclate dans tes paroles,reprend l’adroit meurtrier d’Argus. Mais parle--

moi avec sincérité: transportes-tu dans une terre;étrangere ces trésors, débris de ta fortune? tous

les Troyens, dans la frayeur que les Grecs leur,inspirent, ont-ils formé le projet d’abandonner lagrande cité d’Ilion , ayant perdurleur valeureux dé-

fenseur, ton fils , qui les menoit au combat, quine le cédoit à aucun des héros de la Grece?

Ô toi, qui rends justice aux vertus de mon»fils et prends part à la douleur qui m’accable, ré-

pond le vieux Priam , qui es- tù? quelle est ton:

origine? 1 iTu veux m’éprouver, ô vieillard , répond Mer-

cure, pour que je te parle de ton fils , le divin.Hector. Je l’ai vu dans les combats , dans les pénis

bles travaux de la guerre, portant la flamme et lecarnage dans les vaisseaux des Grecs. Oisifs alors ,.nous admirions ses exploits; car Achille, irritécontre le fils d’Atrée ,,ne-.nous permettoit pas de

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184 L’ I L I A D E ,combattre. Je suis l’un des Thessaliens; Achilleest mon roi; un même vaisseau nous apporta auxchamps troyens. L’opulent Polyctor mon pere ,courbé maintenant, comme toi, sous le poids desans, eut sept enfants; je suis le dernier. Nousagitâmes des billets dans un casque: le sort décida

’ lequel d’entre nous accompagneroit le fils de Pélée

aux champs troyens; le sort tomba sur moi. Je mesuis éloigné du camp des Grecs dans le dessein.d’épier vos mouvements. Au lever de l’aurore, les

enfants de la Grece, qui s’ennuient de ce longrepos, donneront l’assaut à la grande cité d’Ilion;

car les rois ne peuvent contenir leur ardeur.Puisqu’Achille, fils de Pélée , est ton maître ,

répond le vieux Priam dont la majesté égale celle

des dieux, parle-moi avec vérité. Le corps de mon

malheureux fils est-il encore dans les vaisseauxdes Grecs? Achille a-t- il livré à ses chiens la dé-

pouille mortelle de mon fils?i Ni les chiens ni les oiseaux du ciel n’ont dé-chiré le corps de ton fils, répond l’adroit meur-

trier d’Argus. Il repose sans gloire depuis, douzejours à l’entrée de la tente d’Achille; et cependant

sa chair n’est point flétrie: les vers, la corruption ,

qui souillent les victimes de Mars, ont respectéle corps d’Hector. Tous les jours , au lever. de

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CHANT XXIV. ’ .185l’aurore, Achille l’attache à son char, l’entraîne

autour du tombeau de son cher compagnon, etne lui fait point d’autre outrage. Le voyant, tuadmireras sa fraîcheur et sa beauté: ses traits nesont point altérés ; le sang noir et livide qui lecouvroit a été purifié : les plaies nombreuses que

lui firent les enfants de la Grece, le perçant deleurs javelots, sont maintenant fermées; il semblerespirer; tant est grand le soin que les immortelsont pris de ton fils depuis son trépas, car Hectorleur fut cher dans tous les temps.

Ce récit adoucit la tristesse mortel-le du vieuxPriam. Ainsi, dit-il, les dieux se plaisentâ récom- a

penser ceux qui leur rendent un culte religieux. IlJamais Hector (hélas l il n’est plus!) n’oublia dans

mon palais les heureux habitants de l’Olympe ; ilsne l’oublient point après son trépas, lorsqu’il a

succombé à sa destinée. Reçois , ô mon fils, cette

belle coupe que ma main te présente; daigne meprotéger,’daigne guider mes pas afin que je par-vienne, avec l’aide des dieux, jusqu’à la tente dufils de Pélée.

Tu tends des pieges à ma jeunesse, ô vieillard,lui répond l’adroit messager de Jupiter, me pros ’

posant d’accepter tes dons, à l’insu du fils de Pé-

lée. Le respect que je porte à ce héros ne me

4. 24

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186 L’ILIADE,permet pas de recevoir une coupe qui lui futdestinée. Achille m’en puniroit. Mais, fallût-il te

conduire dans Argos, parcourir avec toi et la terreet la mer, je guiderai tes pas; avec une telle es-corte, ne crains point qu’aucun mortel soit asseztéméraire pour te provoquer au combat.

Ainsi parle Mercure; et s’élançant sur le char,

il prend en main le fouet et lesguides, et accroîtl’ardeur des coursiers et des mules. Parvenus aufossé et aux tours qui bordent la haute muraille ,ils trouvent les gardes avancées, qui goûtent lesdouceurs du repas du soir. L’adroit Mercure ré-

pand sur leurs paupieres les pavots du sommeil;poussant les leviers, il contraint les portes des’ouvrir. Les deux chars entrent dans le camp;ils parviennent ainsi à la tente du fils de Pélée ,superbe demeure que les Thessaliens éleverent à

leur roi, de planches de sapin artistement ajus-tées , que recouvrent des joncs flexibles. Unevaste enceinte , d’immenses parvis la précedent etl’environnent; une porte les ferme à l’aide d’un

seul levier si pesant, que trois hommes ont peineà le mettre en mouvement; et cependant le fils dePélée fait seul tourner cette porte sur ses gonds.L’utile Mercure l’ouvre au vieillard, l’introduitdans’la tente d’Achille, lui et la riche rançon qu’il

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CHANT xxrv. 187apporte. Descendu du char, il adresse la paroleau vieux Priam:v Je suis Mercure, lui dit-il, l’un des habitantsde l’Olympe. Mon pere, le grand Jupiter, m’aordonné de t’escorter; je remonte dans le célestepalais , car je ne dois pas m’offrir aux yeux d’Achille.

La majesté divine seroit blessée, si je m’abaissois

’ jusqu’à implorer un mortel. Pénetre seul dans la

tente d’Achille, embrasse ses genoux , adresse-luites humbles vœux; rappelle à son esprit , pour flé-

chir son courroux, le souvenir de son pere, de ladéesse sa mere, d’un fils cher à son cœur. i

Ainsi parle Mercure, et il remonte surl’Olympe.

Priam descend du char, ordonnant à Idée deveiller à. la garde des courSiers et des mules. Ilpénétré seul dans la tente d’Achille, voit le fils de

Pélée assis sur son trône, loin de ses compagnons,

plongé dans une affreuse tristesse. Ses fidelescompagnons, respectant sa douleur, n’osent l’ap-

procher. Deux seuls , Automédon et Alcime, re-jetons de Mars, sont près de lui pour le servir.Ils achevent le repas du soir; la table est encoredressée. Priam est entré sans être vu: il s’approche

d’Achille, embrasse ses genoux, colle ses levressur ces mains homicides qui lui ravirent tant demagnanimes enfants. Le fils de Pélée fiémit à t

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g les . «L71 LUI A D r1,, v cette .vue.: ses compagnons se regardent l’un l’au-

t

tre, saisis d’une terreur égale à celle qu’inspire un;

meurtrier qui, contraint d’abandonner sa patrie,fuyant la vengeance des parents du mort, pénetredans la maison d’un homme riche où il chercheun asyle. Rompant enfin ce long silence, le pered’Hector adresse à Achille cette humble priere r

. Ô: Achille, la vivante image des dieux, sou-viens-toi de .ton pere. Courbé comme moi sousle .poids des ans , peu t-êtreen. ce moment, accablé

par des voisins puissants, il cherche un défenseurqui repousse les maux prêts à fondre sur sa tête.

Cependant son ame est en paix, sachant que tuvis, espérant te revoiridans sonpalais, à ton re-tour de Troie. Mon malheur ne reçoit aucuneconsolation. J’eus, dans la grande cité d’Ilion,;de

valeureux enfants ;.il me semble que je reste seul,privé de tous. Cinquante fils. naquirent dans mon

palais. Telle étoit ma nombreusepostérité, quand

les enfantsde la Grece aborderent auxchampstroyens. La seule Hécube m’en donna. dix-neuf,d’autres épouses un plus grand nombre. Aucundes fils d’Hécube n’existe maintenant; le cruel

dieude la guerre les a tous précipités dans lessombres demeures. Un seul merestoit, le rem-part de. Troie, le défenseur de mon. peuple, mon:

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CHANT xxrv. .39cher Hector; il vient de tomber sous tes coups,en défendant la cité qui l’a vu naître. Tel est le

sujet qui me conduit dans le camp des Grecs,et m’enhardit jusqu’à pénétrer dans ta tente , ô

i. Achille, pour y racheter la dépouille mortelle demon fils. J’apporte une immense rançon. Fils dePélée, respecte les dieux, prends pitié de mon

infortune. souviens-toi de ton pere; je suis plusdigne de compassion; contraint, par une douleurqui n’eut point d’exemple sur la terre, de coller

mes levres , d’arroser de mes larmes les mainshomicides du héros qui donnaila mort à tous les

miens. i i i iIl dit. Le souvenir de son pere excite dansl’âme d’Achille une douleur profonde : il pleure,

gémit, verse des larmes ameres, repousse douce-ment le vieux Priam, qui, prosterné à ses pieds,

i frémit à la vue du meurtrier de son fils. La piété

filiale , le souvenir de Patrocle se combattent dansl’ame d’Achille , et lui arrachent deslarmes; lei1rs

sanglots, leurs profonds gémissements. retentis»sent dans. la vaste enceinte de la tente du fils dePélée. Lorsque le besoin de pleurer est appaiSé ,qu’Achille s’est rassasié de ses larmes, respectant

les cheveux blancs, respectant le menton blanchipar les-années du vieux. Priam, il se leve du trône

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190 L’ I L I A D E ,où il est assis, souleve doucement le vieillard , lui

tendant la main: ’Infortuné, dit-il, ta constance a été éprouvée

par de cruelles douleurs. Assez courageux pouroser seul, sans escorte, pénétrer dans le camp desGrecs, implorer la clémence de celui qui t’a privé

du plus grand nombre de tes fils; ton cœur estd’acier. Prends place sur ce trône. Suspends l’ex-

pression de la douleur qui nous accable l’un etl’autre : un deuil éternel ne remédieroit point à

nos maux. A l’abri des soins qui nous agitent, lesheureux immortels ont fait des douleurs le partagede l’humanité. Passer leurs jours dans la tristesse,

c’est le destin des hommes. Deux urnes profondessont placées dans le palais de Jupiter, l’une desbiens, l’autre des maux; la vie de celui sur lequelle dieu qui manie la foudre puise et verse alterna-tivement la liqueur enfermée dans ces urnes, estmélangée de bien et de mal. Celui-là est éternel-

lement malheureux, sur lequel Jupiter puise etverse sans cesse de l’urne des maux: une affreuseindigence le contraint d’errer sur la terre, objetdu mépris des dieux et des hommes. Dès ses plusjeunes ans, Pélée fut comblé de biens : roi des-

Thessaliens, son bonheur, ses richesses, surpas-soient celles de tous les autres humains. Quoique

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CHANT XXIV. 191mortel, les dieux l’unirent , par les nœuds de l’hy-

men , à une divinité. Le destin ennemi lui envoyale malheur; il ne permit pas qu’une nombreusepostérité, élevée dans son palais, consolât sa vieil-

lesse : Thétis n’eut qu’un fils. Détenu loin de ma

terre natale, dans les champs troyens, pour tonmalheur, ô vieillard! pour le malheur de tes en-fants, privé de la douce consolation de prodiguermes tendres soins à Pélée-mon pere, ma vies’écoulera comme un songe. Et toi, Priam , lebruit de ta félicité parvint jusqu’à nous. Lesbos

où régna Macar au midi, la Phrygie à l’orient, les

rives de l’Hellespont au nord, fiirent renfermées

dans les limites de ton empire. Possesseur d’im-menses trésors, de nombreux enfants fleurissoientdans ton palais, quand les habitants de la voûteéthérée firent fondre le malheur sur ta tête; des

combats sanglants sous les murs de ta ville, desmeurtres, des homicides; tel est maintenant tondestin. Supporte tes maux avec patience; qu’unedouleur éternelle ne consume pas ta vieillesse:l’aflliction dont t’accable la perte de ton fils nele rendra pas à la vie; crains d’accroître ton infor-

tune.Divin fils de Pélée , lui répond le vieux Priam ,

tu me proposes de prendre place sur un trône ,

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192 L’ILIADE,tandis que la pouSSiere de ta tente souille le corpsd’Hector! Accepte la rançon que je t’apporte ;

rends-moi le corps d’Hector, que je le voie de mesyeux. M’ayant ainsi rappellé à la vie, à la lumiere

du soleil, daigne le ciel, mettant un terme à testravaux, te ramener dans ta terre natale!

Ne m’irrite point, ô vieillard, répond Achille

jetant sur lui un regard furieux. J’ai dessein de terendre Hector: ma mere , la fille du vieux Nérée,

est venue m’apporter les ordres de Jupiter. Jen’ignore pas que l’un des habitants de l’Olympe

t’a guidé dans le camp des Grecs. Sans ce puissantsecours, quel mortel, même dans la force de l’âge,

eût surmonté tant d’obstacles, trompé les senti-

nelles, abaissé les leviers de nos portes, percé unearmée en tiere? Et toutefois n’accrois pas ma dou-

leur; crains que, malgré les ordres de Jupiter,malgré le respect dû à un suppliant malheureux,je ne te permette pas même d’errer dans ma tente.

Il dit. Le vieux Priam sort en tremblant. Suivi.du héros Automédon et d’Alcime , ses fidelescompagnons , qu’il honore par-dessus tous les au-tres depuis la mort de Patrocle, le fils de Péléesemblable à un lion, franchit la vaste enceinte desa tente. Alcime et Automédon détellent les che-vaux et les mules, emmenant Idée, le héraut du

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CHANT xxrv. 193viéux Priam, lui ordonnent de veiller sur’le char. .Cependant ils s’emparent au nom de leur maîtrede l’immense rançon, ne laissant dans le char que

deux voiles et une tunique destinés à couvrir lecorps d’Hector, quand le vieux monarque et sonhéraut le transporteront dans Troie. Achille or-donne aux femmes captives de purifier la dépouillemortelle d’Hector, de l’arroser d’huile parfumée:

Faites, leur dit-il, ces apprêts dans un lieu écarté,

de peur que Priam, ne pouvant contenir l’expres-sion de sa douleur, à la vue du corps sans vie deson fils, n’excite mon courroux, que je ne luidonne la mort malgré les ordres de Jupiter.

A l’instant les femmes captives purifient par lebain la dépouille mortelle d’Hector , versent sur

son corps une huile parfumée, le couvrent de la.tunique et du voile précieux réservés pour cetusage. Le fils de Pélée s’empare du corps d’Hec- A

tor, l’éleve, le place lui-même sur le lit funebre

que ses compagnons ont posé sur le char.Adressant la parole aux mânes de Patrocle: .Ô mon fidele compagnon, dit-il , ne t’irrite pas,

quand tu apprendras, dans le séjour des ombres,que j’ai rendu à son pere le divin Hector. Priama racheté d’une rançon digne de nous les précieux

4. 25

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194 - V L’ILIADE,restes de son fils. Je l’emploierai à accroître leshonneurs dus à tes mânes.

Il dit; et rentrant dans sa tente, il reprend letrône qu’il a quitté, adossé à la muraille opposée

au trône sur lequel il a fait asseoir le vieux Priam.Adressant la parole à ce pere affligé : Ton fils t’est

’ rendu, ô vieillard , lui dit-il; il repose en ce mo-ment sur ton char. Demain, au. lever de l’aurore ,

tu le verras et le reporteras dans Troie. Coûtemaintenant les douceurs du festin, malgré la dou-leur qui t’accable. Ainsi la triste Niobé se nourrit

d’un pain arrosé de ses larmes, pleurant la mort

de douze enfants immolés dans son palais , sixfilles d’une grande beauté , six héros dans la fleurde l’âge. Apollon à l’arc d’argent perça les mâles

de ses fleches invincibles; les filles tomberentsous les coups de la chasseresse Artémise : car lesdeux enfants de Latone se réunirent pour vengerl’injure que l’orgueilleuse Niobé avoit faite à leur

mere, osant comparer sa fécondité à celle de ladéesse, se vantant que douze enfants étoient sortis

de son sein, tandis que Latone n’en avoit eu quedeux. Mais les deux enfants de la déesse donne-rent la mort à tous ceux de la superbe Niobé.Pendant neuf jours, Apollon et Diane les poursui-virent, et personne ne se trouva pour leur rendre

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CHANT xxrv. .95les honneurs funebres; car Jupiter avoit endurcile cœur de ce peuple: le dixieme jour, les dieux,habitants de l’Olympe, les ensevelirent. Épuisée

par ses larmes, la triste Niobé rétablit, par la nour-

riture, ses forces abattues. Maintenant encoredans Sipyle, sur des roches escarpées, sur desmontagnes désertes , où l’on dit qu’est placé le pa-

lais des nymphes dont les,chants harmonieux etles danses légeres retentissent sur les rives del’Achéloüs, le roc dans lequel la triste Niobé a

été métamorphosée, s’amollit des pleurs de cette

mere désolée. Ô vieillard, que les douceurs du.festin rappellent tes. esprits affaissés sous le poidsde la douleur. Demain, au lever de l’aurore, tu re-.

meneras ton fils. dans Troie; il sera honoré de tes,larmes: car ta douleur est juste; la mort’d’Hector

est un digne sujet de deuil.Il dit; et s’élançant de son trône, il immole un

mouton couvert d’une toison argentée. Ses com-pagnons le dépouillent, le préparent, le coupenten morceaux qu’ils percent avec des broches; ils

les placent sur un feu ardent, les assaisonnentconvenablement, les retirent du feu. Automédondistribue le pain en de belles corbeilles, Achillepartage les chairs; ils portent leurs mains sur lesmets qui leur sont offerts. Quand le desir du boires

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196 - L’ILIADE,et du manger estappaisé, le Dardanien Priam ad-mire la force, la beauté, la majesté du fils de Pé-lée, égale-à celle des immortels. Avec non moinsde surprise et d’admiration , le fils de Pélée consi-

dère le front auguste , plein de bonté, du Darda»

nien Priam; les discours remplis de sagesse duvieux monarque s’offrent à sa pensée : leur pro-

fonde tristesse reçoit quelque soulagement. Aprèsquelques moments de silence , le vieux Priam pre-nant la parole r

Divin Achille, dit-il , retirons-nous : permetsque je goûte quelque repos; car depuis le jourque mon malheureux fils tomba sous tes coups ,l’excès de ma douleur, mes éternels sanglots ,n’ont pas permis que le sommeil fermât mes pau-

pieres. Benfermé au fond de mon palais, je meroulois sur la poussiere. Aujourd’hui, pour la pre-miere fois , les dons de Cérès ont réparé mes forces

abattues; pour la premiere fois le vin a humecté:mon palais. ’

Il dit. Achille ordonne à ses compagnons etaux femmes captives de préparer des lits sous leportique, de les couvrir de superbes tapis de pour-pre, de fines couvertures, de voiles précieux: lesfemmes esclaves sortent de la tente d’Achille , te-

nant dans leurs mains des torches ardentes; elles

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CHANT XXIV. 197se hâtent de dresser deux lits sous le portique.Affectant une fausse terreur, le fils de Pélée adresse

la parole à Priam:. Vieillard , que je chéris et révere, lui dit-il, j’ai

fait dresser ton. lit sous le portique, dans la crainteque quelqu’un des héros de la Grèce , qui vien-

nent sans cesse dans ma tente pour tenir conseil,comme la justice l’exige, ne te reconnût, qu’il

n’avertît Agamemnon, le pasteur des peuples;que ton départ ne fût différé, que tu ne pusses

reporter dans Troie le corps de ton fils. Maisparle-moi avec sincérité z combien de jours as-tudessein d’employer aux funérailles d’Hector? Je

m’abstiendrai de combattre pendant tout ce temps,et contiendrai l’impatience des Grecs.- Ô Achille, répond Priam, la treve que tu m’ac-

cordes pour célébrer les funérailles de mon fils

adoucit mes ennuis. Tu sais que, renfermés dansnos murs, loin de la forêt, nous sommes contraintsde voiturer le bois par des sentiers difficiles, surdes monts escarpés; tu n’ignores pas que la terreur

est répandue parmi les Troyens. Pendant neufjours, nous pleurerons Hector dans le palais: ledixieme nous le pleurerons sur le bûcher; le peu-.ple assistera au festin funebre: le onzieme nous lui .élèverons un tombeau: quand la douzième aurore

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198 L’ILIADE,éclairera l’horizon, nous combattrons, puisque lanécessité nous y contraint.

Il en sera comme tu l’ordonnes, ô vieillard, ré-

pond Achille; pendant tout ce temps, je suspen-drai les hostilités.

Il dit; et, pour gage de sa foi, pour dissiper lafrayeur dont l’ame du vieux monarque est saisie , il111i présente la main , reçoit la sienne et la serre.

Épuisés de fatigue et de douleur, le vieux Priam

et son héraut dorment sous le portique : le fils deAPélée repose dans un réduit obscur; la belle Brieséis est à ses côtés.

Le sommeil verse ses pavots sur tous les dieux,sur tous les hommes: mais l’utile Mercure ne dortpas; il médite en lui-même comment il remenera-Priam dans la grande cité de Troie, à travers l’ar-

mée des Grecs, trompant les sentinelles qui veil-lent aux portes de la haute muraille. S’éla-nçant du

sOmmet de l’Olympe, il s’arrête sur la tête du

vieux Priam, et lui parle ainsi :Seul, au milieu de tes ennemis, tu dors, ô vieil-

lard, et ne songes pas aux périls qui t’environnent!Tu as fléchi l’ame indomtable du fils de Pélée; il

t’a rendu ton fils; il a reçu la riche rançon dont tu

as racheté la dépouille mortelle d’Hector: les e11-

fànts qui te restent en donneroient trois fois au-

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CHANT xxr’v. 199tant, si le fils d’Atrée et les autres Grecs te surpre-

noient vivant dans le camp.Il dit; le vieillard tremblant éveille son héraut.

Mercure attelle lui-même les coursiers et les mu-les. Ils traversent avec rapidité l’armée des Grecs,

sans que personne les reconnoisse. Parvenus augué du large fleuve, du tortueux Xanthe qui tiresa source de Jupiter, Mercure disparoît, et re-monte sur l’Olympe.

En ce moment, l’aurore étend son voile depourpre sur la terre : Priam et Idée, les yeux bai-gués de larmes, poussant de profônds gémisse.

ments, traversent la plaine sur leurs chars; lesmules légeres reportent dans Troie le corps dumalheureux Hector. Aucun des Troyens, aucunedes Troyennes ne les a encore apperçus : maisCassandre, dont la beauté égale celle de Vénus ,a devancé l’aurore pour monter sur la haute tourd’Ilion; elle reconnoît son père, que précede le

- .héraut Idée; elle reconnoît les mules vigoureuses

qui transportent sur un brancard funebre la dé-pouille mortelle de son frere Hector; ses cris re-tentissent dans la vaste cité d’Ilion:

Troyens et Troyennes, dit- elle, portez vos re-gards sur la plaine; hâtez-vous d’aller au-devantd’Hector qui vous est rendu. Vous, dont le cœur

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zoo L’ILIADE,tressailloit, quand il revenoit triomphant de cescombats meurtriers , ayant protégé ses conci-toyens, empressez-vous de le recevoir en ce tristeappareil.

Elle dit. La ville est déserte, tant est grande ladésolation. Ils se pressent autour des portes, en-tourent le char qui renferme les précieux restesd’Hector. Sa tendre épouse, sa respectable mere

accourent les premières; arrachant leurs cheveux,meurtrissant leurs joues, se précipitant sous lesroues du char, elles font effort pour toucher cettetête qui leur fut si chére : un peuple immense lesenvironne, versant des larmes amères. Le soleileût plongé dans l’Océan, le jour eût fait place à la

nuit, avant que leurs larmes se fussent taries, si,du haut de son char, le vieux Priam n’eût contenu

ces transports. VCessez de me fermer le passage, leur dit-il,souffrez que les mules reportent au palais les pré-cieux restes d’Hector. C’est en ce lieu que vous

lui paierez le tribut de vos larmes.Il dit. Tous s’éloignent. Le char parcourt lente-

ment la route frayée, et parvient au superbe palaisde Priam. Les restes d’Hector sont placés sur un

lit pompeux; les chants funebres commencent.Les larmes , les sanglots les interrompent ; les

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CHANT XXIV. ’201femmes, les divins chanteurs fent retentir le pa-lais de leurs cris douloureux.

Andromaque aux bras d’albâtre s’avance la pre?

miere. Pressant de ses mains la tête d’Hector:

Ô mon époux, dit-elle, tu meurs dans la fleurde l’âge , et me laisses veuve, dans ce palais , et un

fils au berceau, fruit d’un mutuel amour; hélas!

trop malheureux. Jamais mon fils ne sera ton ven-geur. Dans peu la puissante cité d’Ilion tombera

anéantie. Tu veillois sur ses remparts; tu proté-geois les épouses des Troyens ; tu défendois leurs

tendres enfants , que bientôt les Grecs emmene-ront captifs dans leurs vaisseaux, et moi avec eux.Tu nous suivras , ô mon fils, condamné à d’indi-

gnes travaux sous un maître cruel, si, avant cetemps, quelqu’un des enfants de la Grèce ne t’ar-

rache de mes bras pour te précipiter du sommetde nos tours, vengeant par ta mort un frère, unpere, un fils , tant de héros qui mordirent la pous-siere sous les coups d’Hector; car ton père fut ter-

rible dans le combat. Ta mort, ô mon cher Hector,porte la désolation dans cette grande cité, dansl’ame de ton père, dans l’ame de ta respectable

mere; mais sur-tout dans l’ame de ta veuve , quetu laisses en proie à de cruelles douleurs. Hélas!je n’ai pas eu la triste consolation de te voir tendre

4. 26

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2’02 L’I’LIADE,vers moi tes bras défaillants, me donner tes der;niers ordres pleins de sagesse, dont le souvenirn’eût sorti de ma mémoire ni le jour ni la nuit,tant que le destin m’eût conservé une vie dévouée

maintenant à d’éternelles douleurs.

Elle dit, et verse un torrent de larmes; les fem-mes du palais répondent à ses lugubres accents.

Ô toi, celui de tous mes fils le plus cher à moncœur, Hector! s’écrie la triste Hécube, les dieux

t’aimerent; ils récompensent ta piété , même dans

le palais de Pluton, où ta cruelle destinée t’a con-

duit. Captifs entre les mains d’Achille, tous mes.autres enfants furent vendus par lui au-delà desmers, dans Samos, dans Imbrun ,dans la nébu-leuse Lemnos. Pour venger son fidele compagnon,le cruel Achille a percé ton flanc; il t’a traîné au-

tour du tombeau de Patrocle. Vain trophée quin’a pas rappellé à la vie son cher compagnon l Ce-

pendant, vainqueurs du temps , vainqueurs desefforts du fils de Pélée, tes traits, ô mon cherHector, n’ont point été altérés; tu reposes sur ce

lit, semblable à un mortel qu’Apollon a percé de

ses fleches bénignes.

Elle dit, et inonde de ses larmes le visage deson fils. Les Troyennes lui répondent par de pro-fonds gémissements.

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CHANT XXIV. ’203Hélene ferme la pompe funebre : Ô Hector! de

tous les enfants de Priam le plus cher à mon cœur,dit-elle. Ô mon frere; puisque les nœuds de l’hy-men me lient à Pâris, dont la beauté égale celle

des immortels. ’Plût aux dieux que ma mort et lasienne eussent prévenu ce fatal hymenée ! Déja la

vingtieme année s’écoule depuis le jour que, ravie

à ma terre natale , je fus entraînée sur ces rives.Pendant tout ce temps, je n’entendis sortir de tabouche ni plainte ni injure. Jamais tu ne m’im-putas le malheur de ta patrie. Quand les filles dePriam, quand les épouses de ses fils, quand mesbeaux-freres , quand Hécube elle-même, m’acca-

bloient de reproches (car Priam fut toujours pourmoi un pere tendre), tu les contenois par tes pa-roles, par ton inépuisable bonté. Éternel objet de

mes larmes , je les répands et sur toi et sur moi.Aucun ne me traita avec tant de douceur. Il neme reste plus d’amis dans la vaste cité d’Ilion; tous v

m’ont en horreur.’

Elle dit, et verse un torrent de larmes : un peu-ple immense lui répond par ses cris douloureux.Le vieux Priam prenant la parole:

Partez, leur dit-il , transportez de la forêt le boisnécessaire au bûcher. Ne redoutez aucune em-bûche de la part des Grecs; Achille, me renvoyant,

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204 L’ILIADE, CHANT XXIV.m’a promis de suspendre les hostilités jusqu’à la

douzieme aurore : le fils de Pélée m’en a donné sa

foi dans sa tente.Il dit; les Troyens attellent les bœufs et les

mules. Neuf jours sont employés à assembler, de-vant les portes , le bois nécessaire au bûcher. Apeine la dixieme. aurore a rallumé son flambeau ,qu’ils placent, en pleurant, le corps d’Hector sur

ce vaste bûcher. La flamme consume la précieusedépouille d’Hector. Quand la fille de l’air, l’Aurore

aux doigts de rose, se montre pour la onzieme foissur l’horizon, ils versent sur les cendres d’abon-

dantes libations de vin pour éteindre les restes dela flamme. Les larmes qui coulent de leurs yeuxbaignent leurs joues. Les os d’Hector, blanchispar le feu, sont déposés dans une’urne d’or. Ils la

couvrent de voiles de pourpre d’une finesse ex-trême, et descendent l’urne funèbre dans la tombe

. de ses peres, sur laquelle ils élevent une immensecolonne de marbre. Des sentinelles sont placées àl’entour, pour la défendre des injures des Grecs.

Ces travaux achevés, ils se réunissent dans le pa-

lais de leur roi, le vieux Priam, nourrisson de J u-piter, et célebrent le festin funebre. Ainsi sontachevées les obseques de l’intrépide Hector.

FIN DE L’ILIADE.

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NOTESDE L’ILIADE.

TOME QUATRIEME.

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NOTESLITTÉRALES ET HISTORIQUES.

ILIADE.CHANT XIX..

(PAGE 9. Emplissant les narines de Patrocle......’

elle rend sa chair incorruptible.)Thétis représente le sel marin, dont la nature est de préserver

les corps de la corruption. Tel est le caractere de la poésie épique :

La pour nous enchanter tout est mis en usage;Tout prend un corps , une ame , un esprit, un visage.

Boileau.

(Page 10. Le léger Achille se leve.)J’ai cru devoir conserver ici I’épithete qu’Homere donne à Achille,

«éclat; (Indre, aux pieds légers, parcequ’elle fait contraste avec la

démarche pesante des héros blessés.

(Page 11. L’homme le plus éloquent auroit,peine à’se faire entendre.)

M. Bitaubé traduit: «Amis , héros de la Grece, enfants de Mars,

(c vous devriez, me voyant debout, suspendre vos éclats de joie , et

r: ne pas m’interrompre» , etc. Ce qui renferme une contradiction

avec ce qu’Homere vient de dire, qu’Agamemnon parla sans se

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208 nous EI’TTEnALEslever, à cause de sa blessure; car les rois mêmes se levoient pourharanguer, soit dans le conseil, soit dans l’assemblée de la nation.

J’ai suivi la leçon de madame Dacier, qui corrige , d’après Eustathe,

écraôroç, debout, et lit écœurée , tranquillement.

(Page 12. La détestable Injure, qui blesse tousles hommes, etc.)

Le poète personnifie ici l’Injure, comme il l’a fait au neuvieme

chant, dans le discours de Phénix.

(Ibid. Elle osa attenter sur Jupiter même, etc.)Le grec porte : Elle blessa Jupiter même , qu’on dit être le meil-

leur des dieux et des hommes.

(Page 13. Eurysthée, fils de Sthénélus , etc.)Les poëtes postérieurs à Homere font Eurysthée fils d’Alcmene

et d’Amphitryon , tous deux jumeaux ; Junon retarda , selon eux , lanaissance d’Hercule, en sorte que le fils d’Amphitryon précéda le

fils de Jupiter.Voyez la note relative à cette fable dans le onzieme chant de

l’Odyssée. ’

(’Ibid. Saisissant l’implacable Furie, etc.)

Ce vers est susceptible de deux sens; car on peut rapporter cesmots imprime limaçonloxdnow, à Jupiter, ou à l’Injure; maisils semblent mieux convenir à la chevelure de la Discorde qu’àcelle de Jupiter. La tradition du démon de la discorde, précipitésur la terre par le maître des dieux, s’étoit donc conservée chez.

les Grecs.

(Page 16. Qu’un porc engraissé soit immolé ,

etc.)

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ET HISTORIQUES. CHANT xrx. 209Le grec porte , xdnçov , qui ne signifie pas ici un sanglier, mais

un porc, vestige remarquable du sacrifice expiatoire ordonné par laloi de Moïse. Il n’étoit pas permis de manger de la victime destinée

à cet usage. La loi de Moïse prescrivoit d’entraîner hors du camp ou

de la ville sainte, le porc chargé des iniquités du peuple; ici on leprécipite dans la mer , après l’avoir immolé.

(Page 17. Il est étendu à l’entrée de ma tente ,’

etc.) ’In portain rigidos calces extendit.Perse.

a Il étendit , à l’entrée de la porte, ses pieds roides du froid de la mort.»

(Ibid. Je ne boirai ni ne mangerai, etc.)Ces serments de ne boire ni manger qu’on n’eût lavé son injure;

ou vengé sa patrie par le sang de ses ennemis, étoient fréquents

chez les Hébreux: tel fut le serment de Jonathas, tel celui de cesjeunes gens qui jurerent de ne boire ni ne manger, qu’ils n’eussent

’ tué S. Paul.

(Page 19...... Saisit un glaive pur, etc.)Voyez sur cette coutume des rois pontifes la note du chant troi-

sieme ci-dessus.

(Page 27. Junon lui communique le don de laparole, etc.)

Cette fiction semble avoir été fournie à Homere par l’histoire de

l’âne de Balaam, racontée au vingt-deuxieme chap. des Nombres,

v. 28.

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1

210 NOTES LITTÉRALEs

i CHANT XX.

(PAGE 31. Jupiter ordonne à Thémis, etc.)Madame Dacier observe que Mercure et Iris sont les messagers

ordinaires de Jupiter. Ici c’est Thémis, la déesse de la justice, qui

est chargée de convoquer l’assemblée des dieux; ce qui releve la

majesté de Jupiter et indique l’objet de cette guerre , de punir lesTroyens et de venger le rapt d’Hélene. L’Océan et les dieux infer-

naux ne se trouvent pas à cette assemblée; l’Océan, parceque le

pere de tout ce qui existe ne doit point participer à la destructionde son ouvrage; les dieux infernaux , parcequ’ils règnent également

sur toutes les victimes que la mort leur envoie. Jusqu’ici Jupiter ,

pour donner la victoire aux Troyens, a contenu, par sa puissance ,et les dieux protecteurs des Grecs, et les divinités protectrices desTroyens. Achille paroit: ce héros, comme le dit Homere , détrui-roit dès ce jour, contre l’ordre du Destin , la ville de Troie. Jupiter

assemble les immortels au sommet de l’Olympe ; il leur ordonne

de prendre part à cette guerre; non que les divinités protectricesdes Grecs ne soient plus puissantes , mais pour céntrebalancer,par le secours des dieux protecteurs de Troie, la force du seulAchille, et retarder la mort d’Hector et la ruine de Troie. Quellemajesté !

(Page 32. Junon, Minerve, Neptune, etc.)Junon, la déesse du mariage, est à la tête du parti des Grecs ,

vengeurs des droits de l’hymen, opposée à la chasseresse Artémise ,

la déesse du célibat; Minerve, la déesse de la sagesse et de l’intel-

ligcnce dans les combats, se trouve dans le parti des Grecs-contre

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ET HISTORIQU.ES.CHANT XX. 211Mars, le dieu de la guerre, de la fureur impétueuse; Apollon estopposé à Neptune , non seulement parceque le soleil desseche l’eau

qu’il attire, mais parceque les fleches sont les armes dont les peu-ples barbares faisoient un usage plus fréquent que les nations poli-

cées; Latone ,11a déesse du silence, combat Mercure, le dieu du

commerce et de l’industrie; Vulcain, le dieu des arts, ennemi na.turel de l’adultere Mars, combat contre le Xanthe qui défend sapatrie; Vénus, la déesse de la volupté, la premiere cause de cette

guerre cruelle, ayant été blessée par Diomede au cinquieme chant ,

se tient éloignée de la sanglante arene. Telle est la sagesse aveclaquelle Homere partage les divinités de l’Olympe, pour relever la

gloire de sa nation et celle de son héros; telle est la sublimité deces allégories.

(Page 32. La Discorde, versant ses poisons ,etc.)

C’est, selon mon opinion, le sens de l’épithete laoooéoç , qui

sauve les peuples, donnée ici par Hornere à la Discorde. Cette divi-

sion entre les immortels sauve en effet les Troyens, puisqu’elleralentit les progrès d’Achille. Nous avons vu ailleurs la même épi-

thete donnée à Mars dans un sens à-peu-près semblable.

(Ibid. Neptune frappe la terre de son trident,etc.)

«Voyez-vous , mon cher Térentianus, la terre ouverte jusqu’à

et son centre , l’enfer prêt à paraître , et ton te la machine du monde

(c sur le point d’être détruite et renversée , pour montrer que, dans

cc ce combat, le ciel, les enfers, les choses mortelles et immortelles,n tout enfin combattoit avec les dieux , et qu’il n’y avoit rien dans

(c la nature qui ne fût en danger? Mais il faut prendre toutes cesa pensées dans un sens allégorique; autrement, elles ont je ne sais

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212 NOTES LITTÉRALEs(c quoi d’affreux, d’impie , et de peu convenable à la majesté des

u dieux a». Boileau, trad. du traité du Sublime, chap. 7.

(Page 33. Que sont devenues ces promesses;etc.)

Le grec porte : Où sont ces menaces que tu fis aux rois buvantdu vin , de combattre seul contre le fils de Pelée?

Le nom de roi se donnoit aussi aux enfants des rois.

(Ibid. J’eusse succombé sous les coups d’Achille

et de Minerve.)Le grec porte: J’ai été domté parles mains d’Achille et de Mi-

nerve, qui, marchant devant lui, portoit la lu-miere, et lui donnoitses ordres.

Madame Dacier conclut de ces vers, qu’Achille attaqua de nuitles troupeaux d’Ènée : mais leur sens est général; Minerve, la

déesse de la valeur réfléchie, éclaire le fils de Pélée dans tous les

combats.

(Page 34. Et Léleges et Troyens.)Les Léleges, anciens peuples de la Troade, qui, chassés de leur

pays pendant la guerre de Troie, se réfugierent, partie dans Ilion ,et partie dans la Carie, province que le Méandre sépare de la Lydie.

I (Page 35. Lorsque l’une des divinités protec-trices de Troie viendroit à se montrer à lui, etc.)

«Parlez-nous , et nous vous écouterons (disoit à Moïse le peuple

juif); a mais que le Seigneur ne nous parle pas, de peur que nousa ne mourions». Exod. chap. 20, v. 19. «Nous mourrons(ditle perede Samson , à la vue de l’ange qui s’éleve de la flamme de l’holo-

causte), (c car nous avons vu Dieu a). Juges, chap. 13, v. 22. Telleétoit l’opinion des anciens peuples.

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ET HISTORIQUES. CHANT xx. 213(Page 36. Ce tertre que les Troyens éleverent,

etc.)Laomédon , roi de Troie , ayant refusé à Neptune le salaire qu’il

lui avoit promis pour la construction des murs de cette ville célébré,

ce dieu irrité envoya un monstre marin qui dévastoit les champs

troyens, et faisoit un horrible carnage des peuples. Laomédon fiteffort pour appaiser Neptune; il lui fut répondu que Troie ne seroitdélivrée du monstre qu’après qu’il auroit exposé sa fille Hésione.

Le roi des Troyens obéit: mais Hercule se présenta pour combattrele monstre, et délivrer Hésione. Les Troyens éleverent un tertre

dans la plaine, sous lequel ce héros, poursuivi par la baleine, semettoit à couvert; précaution sage, qu’Homere dit , par cette raison,

leur avoir été inspirée par Minerve. Laomédon trompa Hercule lui-

même, lui refusant les chevaux qu’il lui avoit promis. Ce héros,

contraint de faire le siege de Troie pour punir Laomédon de soninfidélité , donna Hésione en mariage à Télamon qui monta le preq

mier à l’assaut.

(Page 39. Dardanus et son peuple occupoientles vallées de l’Ida, etc.)

Le grec porte : ùnœqe’taç , le penchant, la moyenne région, que

madame Dacier distingue de la vallée: car, dit cette savante tra-ductrice , après le déluge , les hommes habiterent les sommets des

montagnes ; ils ne descendirent que par degrés dans les plaines.Ce qu’il est plus important de remarquer, c’est l’existence de

cette ancienne Dardanie dans les vallées, ou sur le déclin de l’Ida;

ce qui donne lieu à ces expressions que notre poëte met si fréquem-

ment dans la bouche des héros de Troie, Troyens, Dardaniens,’

distinguant les anciens habitants de Dardanie qui suivirent Tros,lors de la fondation de Troie, des nouveaux colons qui peuplerentcette grande ville.

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514 ’ NOTES LITTÉRALES

(Page 39. Tros...... fut fils d’Érichthon, etc.)Généalogie d’Énée et d’Hector, selon Homere:

’ Jupiter.

Dardanus.

Tl...

Éricl:1thon.

Ilus , Assaracus , Ganymede.

Laomédon. Capys.

m------JIl

Tithonus , Priam, Lampus, Clytius, Hicétaon. Anchise.

Hector. Énée.(Ibid...... une d’or au centre, etc.)On demande comment la lame d’or se trouvoit au centre de

l’épaisseur du bouclier d’Achille, couverte de deux lames d’airain.

La réponse est facile, parceque cette lame n’avoit pas pour objetl’ornement de ce bouclier, mais sa solidité, l’or étant le moins pé-

nétrable des métaux. La surface extérieure étoit ornée de tant de

sculptures en relief, d’or, d’argent, d’étain , qu’il avoit été nécessaire

de leur donner une base aussi matte que l’airain , pour rendre ces

ornements plus saillants. i

(Ibid. Le frêne du Pélion, etc.Montagne de la Thessalie, sur laquelle le centaure Chiron avoit

coupé le bois qui servit au javelot d’Achille.

(Page 42. Il transporte à la branche d’Énée le

sceptre d’Ilion, etc.) ’

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ET HISTORIQUES, CHANT xx. 215Ce morceau est très important pour détruire la chimere du voyage

d’Énée en Italie , qui a servi de base à l’Enéide. Toutes les nations

ont des fables semblables. C’est ainsi que , suivant l’abbé Trithême ,

Astyanax fils d’Hector, qu’il nomme Francus, passa dans les Gaules,

après la guerre de Troie, où il fonda une colonie; transmigrationdont il n’existe aucun vestige dans l’antiquité , et dont cependant

notre poëte Ronsard a pris le sujet de sa Franciade. Le témoignaged’Homere est d’autant plus important contre la chimere des Ro-mains, qu’il n’y a, comme je l’ai observé dans l’introduction de

l’Odyssée , qu’environ 340 ans de distance entre la naissance de

notre poëte et la prise de Troie, et qu’Homere a composé sonIliade dansl’Ionie, contrée voisine des côtes de Phrygie. Il est vrai

que Denys d’Halycarnasse, pour flatter les Romains et Augustesous le regne duquel il écrivoit, explique ce regne d’Énée sur les

Troyens, de la colonie transportée par lui en Italie après la prisede Troie. D’autres ont été plus hardis: ils changent le mot Tçrâcacn

en celui de «aviserai, comme si Neptune disoit: Il régnera surtoutes les nations. Mais Strabon , quoique sous l’empire de Tibere,

est plus fidele; car, dans le livre XIII de sa Géographie, il conclutformellement de ce texte d’Homere , qu’Énée resta à Troie , y régna

après l’extinction de la race de Priam, et transmit le sceptre à sapostérité.

(Page 43. Les braves Cauconiens...... etc.)Ces peuples ne se trouvent pas compris expressément dans le

dénombrement des nations alliées de Troie, à moins qu’on n’ajoute

deux vers que Callisthene avoit insérés dans l’exemplaire d’Alexano

dre, mais retranchés par les éditeurs postérieurs, comme je l’ai

observé au deuxieme chant.

« C’étoit, dit madame Dacier, comme les Pélages, une nation

a errante et vagabonde ; c’est pourquoi Homere les a joints dans le

a chant deuxieme. Il y en avoit usques dans le Péloponnese n. Voyez

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216 NOTES LITTÉRALESla note du deuxieme chant ci-dessus, et celle du troisieme chantde l’Odyssée.

(Page 45. Sa force, son ardeur, etc.) lCette demi-phrase est répétée dans le Grec; répétition que je

n’ai pas cru devoir conserver.

(Page 47. Hippodamas s’élance de son char,

etc.)Ainsi l’on a vu , au cinquieme chant, Idée s’élancer de son char

pour fuir devant Diomede. En effet , un char devoit être embarras-sant pour se confondre dans la mêlée, et la rapidité de ces hérosétoit telle, qu’il leur étoit facile d’approcher assez près des chars

pour lancer le javelot. Il en est de même dans le livre des Juges,chap. 4, v. 15. Sisara s’élance de son char pour fuir devant Barac.

Perterruitque Domina: Sisaram et omnes currus ejus, universamquemultitudinem, in 0re gladii, ad conspectum Barac, in tantum utSisara de carra desiliens pedibus jugera.

(Ibid. Polydore le plus j’eune...... des fils du

vieux Priam, etc.)Suivant Homere, Polydore étoit fils de Priam et de Laothée ,.

comme il sera dit au chant vingt-unieme. Euripide , et Virgile aprèslui, ont suivi une autre tradition : ils font ce prince fils de Priam etd’Hécube, qui survécut à la prise de Troie, et fut tué en trahison

par Polymnestor, roi de Thrace.

Hunc Polydorum , auri quondam cum pondere magno,lnfelix Priamus furtim mandarat alendumThreicio regi, cùm jam diflideret armis

Dardaniæ, cingique urbem obsidione videret.Ille , ut opes &actæ Teucrûm et fortuna recessit,

fies agamemnonîas victriciaque arma secutus ,

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ET HISTORIQUES. CHANT XX. 217Pas omne abrumpit,.Polydorum obtruncat, et auroVi potitur. Quid non mortalia pectora cogis,Auri sacra lames!

AEneid. lib. 3, v. 49.

a L’infortuné Priam se défiant du succès des armes troyennes , voyant l’en-

a nemi autour de ses-remparts , envoya secrètement Polydore au roi de Thrace,a avec d’immenses trésors , le recommandant à l’ancienne amitié de ce roi.

a Les destins étant changés, la puissance de Troie anéantie , ce perfide ami

suivit la fortune d’Agamemnon , s’attacha au char du vainqueur , rompit les

« nœuds de l’hospitalité , massacra Polydore , s’empara de ses richesses. A quels

excès ne portes-tu pas les mortels , infâme soif de l’or! a S

I (Page 51. Fuis maintenant, échappe à la fauxde la mort. )

Le grec porte: Chien , tu évites maintenant le trépas; mais le mal

est près de toi. ’

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218 nous LITTÉRALES

CHANT xXL( PAGE 82. Du Xanthe tortueux, né de Jupiter,

etc.)Ces qualifications fréquentes qu’Homere donne aux grands fleu-

ves, à qui Jupiter donna naissance, sont une suite de l’allégorie

qui donne à Jupiter l’empire sur les nues , et de la physique desanciens , qui plaçoient dans les nues la source des grands fleuves ,dont toutes les rivieres , toutes les fontaines, tous les ruisseaux dé-

rivent.

(Ibid. Pour les livrer au fils de Pélée, etc.)Littéralement: Junon répand devant eux un air épais pour les

arrêter. J’ai cru devoir développer le sens de ces mots, en ajoutant,

pour les livrer à Achille, et les empêcher de trouver un asyle sous.leurs murs.

Madame Dacier traduit: Junon les couvre d’un nuage épais. C’est

un contre-sens littéral ; car le verbe êpuxæ’psv , êpvxz’tv , signifie

arrêter , non précipiter la faire. Cette savante traductrice oublieque Junon a dit à Neptune , dans le chant précédent, qu’elle a juré,

ainsi que Minerve , de ne dérober aucun des Troyens au trépas , pasmême après la ruine de Troie. On objecte qu’il étoit naturel qu’A-

chille, poursuivant les Troyens qui fuyoient dans la plaine , s’effor-

çait de pénétrer dansles murs de Troie; que Junon , instruite que le

destin ne livre pas, en ce moment, Ilion au fils de Pélée, craint que

cette vaine poursuite ne ralentisse les efforts du héros qu’elle pro-

tege, et n’arrête le carnage des Troyens. La réponse est facile: 1°.

Ce n’est pas par de telles explications qu’un traducteur peut être

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ET HISTORIQUES. CHANT XXI. 219autorisé à contredire le sens littéral, lorsqu’il est clair. 2°. Madame

Dacier auroit dû observer que le premier soin d’Achille est de satis-

faire les mânes de Patrocle: aussi choisit-il d’abord douze victimes

pour les immoler sur le tombeau.de son compagnon. Loin de hâterla fuite des Troyens dans la ville, Junon les arrête dans la plaine ,pour les livrer au fils de Pélée après le combat sur les rives du fleuve,

qui est le sujet de ce chant.

l ( Ibid. Semblables à des sauterelles.)L’isle de Chypre étant infestée de sauterelles, les habitants étoient

dans l’usage d’allumer de grands feux dans la campagne pour chasser

ces animaux et les forcer, par la fatigue, de se précipiter dans lesfleuves. Quelques anciens ont conclu de cette comparaison , qu’Ho-mere étoit né dans l’isle de Chypre , puisqu’il en cite les usages: ce

qui peut, dit madame Dacier, seulement fortifier la conjecture qu’il

étoit Ionien , et, par cette raison , voisin de l’isle de Chypre; car on

le voit bien plus attentif à rapporter les usages des loniens , que ceuxdes autres peuples.

(Page 58. Achille....se sert de leurs riches bau-driers pour leur lier les mains, etc.)

Littéralement: Il leur lie les mains derriere le dos avec de bril-lantes courroies. J’ai suivi M. Bitaubé qui traduit, avec leurs bau-

driers. En effet le mot èürpriroww Îyàdl, avec des courroies bien

coupées, semble déterminer ce sens. Selon madame Dacier, c’é-

taient des courroies qu’ils portoient sur leurs cuirasses pour lier les Aprisonniers qu’ils comptoient faire , comme Horace le dit des chaînes

que les Romains imposerent aux Medes:

Horribilique Medo

Nectis catenas. . . .V Hor. 0d. lib. 1 , od. 3°.

a: Et tu formes les nœuds qui doivent enchaîner les hideux habitants du pays

a des Medes. a.

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220 NOTES LITTÉRALES(Page 60. Je t’aborde en suppliant, etc.)

Le grec porte: l’embrasse tes genoux , ô Achille.

Madame Dacier traduit: Je suis en quelque façon votre suppliant.(t Lycaon étant prisonnier d’Achille, dit cette savante traductrice,

a n’ose pas se qualifier de suppliant du fils de Pélée, parceque les

cc titres d’hôtes et de suppliants étoient des titres honorables. n

Cette distinction me paroit difficile à faire entendre dans notrelangue: au surplus, cette expression, j’embrasse tes genoux, étoitcelle des suppliants , comme on le voit souvent dans l’Odyssée.

(Page 61. Tu vois quel je suis, etc.)Le grec porte: Ne vois-tu pas combien je suis beau , combien je

suis grand? Fils d’un pere illustre , une déesse est ma mere.

(Page 62. Ni les coursiers que vous précipitezvivants dans ses ondes, etc.)

C’étoit une coutume fort ancienne, de précipiter des chevaux

vivants dans la mer et dans les fleuves , victimes dévouées à Nep-

tune et aux dieux des fleuves.

Madame Dacier cite Aurélius Victor, qui raconte que le jeunePompée , se prétendant fils de Neptune, précipita dans la mer des.

bœufs aux cornes dorées , et des chevaux.

(Page 74. Le son éclatant de la trompette, etc.)Il faut observer encore ici le son de la trompette dont il est parlé,

ainsi qu’au dix-huitieme chantz Voyez la note du deuxieme chant.

(Page 75. Audacieuse divinité , qui semes la dis-

corde parmi les dieux, etc.)Le grec porte: Pourquoi, mouche’de chien, engages-tu les dieux

dans ce combat, toi dont l’impudence-est extrême? Ton grand cœur

t’y porte.

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ET HISTORIQUES. CHANT XXI. 22!(Page 77. Laomédon....osa te menacer de res-

serrer tes pieds et tes mains, etc.)Le grec porte: Il te menaça de te lier les pieds et les mains, et

de le vendre en des isles éloignées. Il vouloit nous couper les oreil-.les à l’un et à l’autre.

Madame Dacier lit: ànoxsitréuev o’uo’troc xalxô , de nous percer

les oreilles. Cette savante traductrice prétend qu’Homere fait iciallusion à une coutume des Hébreux, dont il est parlé dans l’Ecri-

ture sainte , de percer les oreilles des esclaves.

(Page 79. Audacieuse divinité, qui oses lever,contre moi l’étendard de la révolte, etc.)

Le grec porte: Comment, chienne impudente , as-tu osé t’élever

contre moi? etc. )Madame Dacier observe que ce combat de Junon et de Diane est

une allégorie de l’éclipse de lune. Junon représente la terre inter,»

posée entre la lune (Diane), et le soleil dont. elle intercepte lesrayons: la nuit, dont Latone est l’emblème , les rassemble.

(Ibid. Si Jupiter te donna la force du lion . etc.)Le grec porte: Puisque Jupiter t’a faire un lion pour les femmes,

puisqu’il t’a donné de tuer celles que tu veux.

On trouve encore ici l’allégorie des fleches d’Apollon et de Diane,

qui ne sont autres que les maladies contagieuses , effet de la chaleurdu soleil et des influences de la lune, selon l’opinion des anciens.Ils supposoient qu’Apollon lançoit ses fleches contre les hommes ,

Diane contre les femmes.

(Page 82. Diverses pensées semblables aux flotsde la mer, etc.)

C’estle sens que madame Dacier donne ici à l’épithete néptpvçé ,

prise des flots azurés de la mer.

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222 NOTES LITTÉRALESj (Ibid. Le fils de Pélée m’atteindra; il me percera

de son javelot, etc.)Le grec porte: Il me prendra, comme eux, sans résistance , me

coupera la tête.

(Page 83. Il n’a qu’une vie, etc.)Le grec porte: Il n’a qu’une ame.

(Ibid. Telle....une panthere furieuse, etc.)Dans cette comparaison, qui auroit trop de longueur dans notre

langue, j’ai cru devoir m’attacher plus au sens qu’à la lettre.

(Page 84. La terreur ne leur permet ni de s’at-tendre , ni de se reconnoître, etc.)

Le grec porte: De reconnoitre qui a fui, et qui est mort dans lecombat.

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ET HISTORIQUES. CHANT XXII. 22.3

CHANT XXII.f P AGE 88. L’astre brûlant qu’on nomme le chien

d’Orion , etc.)

L’une des étoiles qui composent la constellation d’Orion. L’as-

tronomie est une des sciences auxquelles les hommes se sont appli-qués le plus anciennement. Ces groupes d’étoiles qui parsementla voûte éthérée, furent l’objet des observations des plus anciens

peuples; ils leur attribuerent dès lors des effets physiques , erreurqui avoit jeté dans l’esprit des hommes. des racines si profondes ,3que la raison et l’expérience ont en peine à les détruire.

Le mot xvçerôv , dérivé de «in; , feu, exprime les chaleurs vio-

lentes de l’été , les fievres et les maladies contagieuses qui en sont

la suite; j’ai réuni ces deux sens.

(Page 89. Si les dieux conspiroient avec mahaine , etc.)

Le grec porte: Malheureux! puisse-t-il être aussi chéri des dieuxque de moi! bientôt étendu sur la poussiere, il seroit la pâture des

vautours.

(Page 9o. Des fils de mes enfants écrasés contre

la pierre, etc.)Ainsi Isaïe prédit (chap. 13, v. 16.) aux Babyloniens que leu1s

enfants seront écrasés sous leurs yeux.

Beatus qui tenebit et allidet parvulos tuas ad petram.’ Ps. 136,v. 9.

«Heureux qui tiendra tes enfants et les écrasera contre la pierre l a: -

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224 . NOTES LITTÉRALES’

(Page 93. Ce n’est plus le temps de parler de

paix, etc.) ’C’est le sens que j’ai cru devoir donner à ces vers.

Dans ces temps héroïques , les traités les plus importants se con-

cluoient sous les chênes , sur les pierres. Il n’est plus temps de trai-

ter , dit Hector, du uév vin écriv. C’est donc un contre-sens de tra-

duire, comme fait madame Dacier dans sa note : cc On ne peut s’en-

« tretenir avec lui ni de chênes , ni de pierres n , ce que cettesavante traductrice suppose être une sorte de proverbe. Comme ceprétendu proverbe ne lui a pas paru pouvoir entrer dans sa traduc-tion , elle rend ainsi ces vers : cc Achille n’est pas un homme traita-

« ble, qui donne le temps de lui faire des propositions a); style peudigne de la majesté du poème épique.

(Ibid. Comme un jeune berger et sa timide ’compagne, etc.)

Ce demi-vers est répété dans le grec.

(Page 94. Au dessous de la colline couverte defiguiers sauvages, etc.)

C’est cette même colline par laquelle Andromaque dit à Hector,

dans le sixieme chant, que la muraille est plus abordable.

(Ibid. Où deux rameaux émanés du Scamandre

tortueux, etc.)Ces deux sources existoient encore du temps de Pline, qui, ou-

bliant ce morceau , reproche à Homere de n’avoir pas fait mentionde la source d’eau chaude, liv. 31 , chap. 6. Elle étoit perdue dès le

temps de Strabon.

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ET HISTORIQUES. CHANT xxrr. 225(Page 96. Tantôt au sommet escarpé de l’Ida,

etc.)Observez les sacrifices sur les hauts lieux , dont il est souvent fait

mention dans nos livres saints.

(Page 98. Le divin fils de Pélée les contient par

ses regards, etc.). Le grec porte: Le divin Achille faisoit signe de la tête à l’armée.

(Ibid. En ce moment le pere des dieux et deshommes suspend ces balances d’or, etc.)

Je me suis permis d’étendre un peu cette sublime idée , pour

approcher , dans notre langue, de la majesté qu’elle a dans le grec.

Ainsi, dans Daniel, ch. 5, v. 27 , une main invisible écrit sur les

murailles du palais de Baltasar , ces mots: Appensus es in statera, etinventas es minus habens. ce Tu as été pesé dans la balance, et trouvé

a trop léger n. Ces images sont fréquentes dans nos livres saints.

(Page 1 o 1 . Elle recule d’un espace proportionné,

etc.)Le grec porte: Et le javelot tomba loin du bouclier.

Le mot àxsrrldf x01) exprime la loi du mouvement, suivant la-quelle un corps mu est repoussé par un corps élastique à une di-stance proportionnelle à la force avec laquelle il a été lancé.-

(Page 104. Je te conjure par ton ame généreuse,

etc.)Le grec porte: Je te conjure par ton ame , par tes genoux, par

ceux qui t’ont donné l’être.

(Ibid. Perfide, lui répond Achille, etc.)

4. 29

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226 nous LITTÉRALESLe grec porte: Chien , ne me conjure, ni par mes genoux, ni par

ceux qui m’ont donné l’être.

(Page 107. Dont le souvenir m’accompagneradans les sombres demeures, etc.)

Le grec porte: Quand on oublieroit les morts dans le palais dePluton , je m’y souviendrai de mon cher compagnon.

(Ibid. Une gloire immortelle nous est assurée,

etc.)cr C’est ici, dit madame Dacier d’après Eustathe, le chant de vic-

et toire qu’Achille entonne, semblable à ce cantique que nos livres

a: saints mettent dans la bouche des femmes israélites après la vic-

(r toire remportée par David sur Goliath: Percussit Saül mille , et« David decem millia. (1 Rois , chap. 18, v. 7. )Saül en a tué mille,

cc David dix mille. :3

(Page 108. Arrêtez, ô mes amis, etc.)Le grec porte : Arrêtez, mes amis; laissez-moi sortir seul, quelque

inquiétude que je vous cause.

(Page 1 10. Elle ignore que l’intrépide courage

de son époux, etc.)C’est une chose remarquable que, le même événement qui fit

tomber Hector sous le javelot d’Achille, fut cause de la mort denotre Pucelle d’Orléans. L’intrépide courage d’Hector le retient

hors des murs de Troie, quand les Troyens, repoussés par Achille ,

cherchent un asyle sous leurs remparts. En i430, Jeanne d’Arc,défendant Compiegne contre les Anglois , tente une sortie vigouoreuse; repoussée par les assiégeants, son courage la retient hors des

remparts, jusqu’à ce que tous les François soient à couvert de la

poursuite de l’ennemi. Le pont s’abaisse rapidement: retenue hors

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ET HISTORIQUES. CHANT xxrr. 227des murs , les Anglois l’enveloppent; victime de la superstition et de

la tyrannie , elle est condamnée au supplice par des prêtres sacri-

leges. l -(Ibid. Elle ne sait pas que Minerve a percé sonépoux, etc.)

Le grec porte: Loin des bains.

(Page 1 1 1. Les réseaux, les bandelettes, etc.)cc Ces bandelettes , dit madame Dacier, ressembloient à nos ru-

(c bans; elles étoient l’ornement caractéristique des reines et des

a princesses, ainsi que des divinités. a:

(Page 1 12. Tu ne seras point l’appui de la vieil-

lesse de ton pere, etc.)Le grec porte: Ô Hector! tu ne lui seras d’aucun secours, puis-

que tu es mort, ni lui à toi, quand il échapperoit à la fureur desGrecs , dans cette guerre , source de tant de larmes.

(Ibid. Tel est le sort d’un malheureux orphe-lin , etc.)

Littéralement: Le jour qui le rend orphelin lui ôte tous ses com-pagnons , tous ceux de son âge.

(Page 1 13. Celui-là, fier de l’appui des auteurs

de ses jours, etc.)C’est le sens du mot àydgtôalîiç , qui fleurit des deux côtés.

(Ibid. Tu te rassasiois de la graisse des agneaux,etc.)

Expressions fréquentes dans nos livresbaints, pour exprimer une

vie voluptueuse.

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228 NOTES LITTÉRALES(Page 1 14. Inutiles maintenant, etc.)

Le grec porte: Ces tapis ne te serviront de rien, puisque tu necoucheras pas dessus; mais ils seront ta gloire devant les Troyens etdevant les Troyennes.

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ET HISTORIQUES. CHANT XXIII. 229

CHANT XXIII.(PAGE 1 19. Que coupant mes cheveux, je ne lesaie consacrés aux mânes de mon fidele compagnon,

etc.)C’était la marque du plus grand deuil. a Ils se raseront la tête , et

a se couvriront de cilices a), dit Ézéchiel, pounexprimerla désolation

qui suivra la ruine de Tyr. E t radent super te calvitium , et accingen-tur ciliciis. Chap. 27, v. 31.

(Page 120. S’arrêtant sur la tête d’Achille, l’i-

mage de Patrocle, etc.)(C Homere , dit madame Dacier, suit la philosophie des Égyptiens,

cc qui fut celle des premiers Grecs, que Pythagore renouvella en-cc suite. Ils concevoient l’homme un composé de trois parties: la

(c premiere et la principale , l’esprit; la seconde, un corps lumineux(c et subtil dont l’entendement étoit, selon eux, revêtu , ce qu’ils

cc appelloient l’ame; et la troisieme, le corps terrestre et mortel, qui(c étoit l’étui et l’enveloppe de ce corps lumineux, qui se mouloit

n sur ce corps terrestre, et qui, par conséquent, avoit la mêmece taille et les mêmes traits. n

Voyez au dixieme chant de l’Odyssée, la distinction des mots

(pçfiv, ou vduç, l’esprit par, l’intelligence; Mm" , ou àdolov,

l’ame, l’image du corps; et sont; , le corps.

Ces peuples pensoient que les ames, ou les images des morts quin’avoient pas reçu les honneurs du bûcher , erroient sur les bords

du Styx; état douloureux , mais qui les mettoit à portée de revenir

à la lumiere pour apparoître aux vivants, car toutes leurs parties

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230 NOTES LITTÉRALESterrestres n’étoient pas consumées; origine de l’opinion populaire

des revenants. C’est pourquoi, dans le onzieme chant de l’Odyssée,

l’image d’Elpénor reconnoît Ulysse et lui parle , avant d’avoir bu du

sang. Mais lorsque , par un privilege spécial, les images des mortsqui avoient perdu toutes leurs parties terrestres par l’action du feu;apparoissoient aux hommes , elles ne pouvoient ni les reconnoître ,ni leur parler, qu’elles n’eussent bu du sang; ce qui leur rendoit

quelques unes de ces parties terrestres. Voyez le texte et les notesdu onzieme chant de l’Odyssée.

(Page 1 21. A cause du meurtre involontaire dufils d’Amphidamas, etc.)

Le grec porte: Le jour auquel je tuai le fils d’Amphidamas, im-

prudemment, sans le vouloir, ayant pris querelle en jouant au palet.

(Page 1 22.. Ainsi donc,quandl’espritdel’homme

est réuni à l’éternelle substance, etc.)

Le grec porte: Ô mes amis, il est donc, dans les demeures dePluton, des ames, images des mortels! mais leurs esprits n’y sont

pas.

(Page 123. Marchant d’un pas ferme et lent,grimpant, descendant, etc.)

Je me suis efforcé de donner une idée de la poësie imitative

d’Homere, notamment dans ce vers qui exprime si bien le pas lourd

et tardif des mules qui gravissent les sentiers escarpés de la forêt:

flouât 6’ âvafla, xérav’ia , «69mm ra, donna; r’filôov.

(Page Il 24. Achille ordonne à ses Thessaliens...de vêtir l’airain étincelant , etc.)

Dixit autem David ad Joab et ad omnem populum qui crut cum

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ET HISTORIQUES. CHANT xxnI. 231ce: Scindite vestimenta mettra, et accingimini saccis , et plangiteante exequias Abner. Porrà rez David sequebaturferetrum. Cùm-que sepelissent Aimer in Hebron , levavit rez David vaccin suam ,

et flevit super tumulum Abner; flevi: autem et omnis populus.Plangensque rex et Iugens Abner, ait..... 2 Rois , ch. 3 , v. 31.

(c David dit à Joab et à toute l’armée qui étoit sous ses ordres:

ce Déchirez vos vêtements, couvrez-vous de vos armes , préparez-

« vous pour la pompe fimebre d’Abner. David suivoit ceux qui por-

(c toient le corps. Lorsqu’ils eurent enfermé Abner dans le sépulcre

ce d’Hébron, le roi, élevant la voix, pleura sur le tombeau d’Abner;

«r tout le peuple pleura. Le roi, versant des larmes, dit... .n

(Ibid. Cette brillante chevelure que son peredévoua autrefois au fleuve Sperchius, etc.)

cc Les jeunes gens , dit madame Dacier, nourrissoient leurs che-a veux jusqu’à l’âge de la puberté: alors ils les faisoient couper, et

o: les offroient à quelque fleuve du pays, honorant ainsi l’eau comme

a l’élément qui contribue le plus à la naissance et à la nourriture de

a: l’homme; c’est pourquoi les fleuves étoient appellés nouçirçôcpm,

cc nourriciers des jeunes gens. a)

Les peres consacroient de même aux fleuves la chevelure de leurs

enfants.«Avant de passer le Céphise, dit Pausanias dans ses Attiques, on

a trouve le tombeau de Théodore , le plus excellent acteur tragiquea de son temps, et sur le bord de ce fleuve deux statues,,l’une de(r Mnésimaque , l’autre de son fils, qui s’est coupé les cheveux en

a) l’honneur du fleuve; car ce fut, de toute ancienneté , la coutume

a des Grecs. a)

(Page 126. Furieux, respirant le carnage, etc.)Le grec porte: Il médite en son ame des actions mauvaises. Le

poète exprime ainsi l’horreur dont il est pénétré pour ces sacrifices

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232 NOTES LITTÉRALEShumains; barbarie dont toutes les nations ont été souillées. C’est

avec regret que je me suis trouvé forcé de retrancher ces mots qui

eussent, dans notre langue , ralenti le tableau des funérailles dePatrocle.

(Page 127.Du sommet de la voûte éthérée, une

nue épaisse et humide, etc.)Ainsi Gédéon demande à Dieu qu’une toison qu’il étendra sur

une aire pendant la nuit, soit imbibée de vapeurs , tandis que tousles environs demeureront secs; et le lendemain il lui demande quecette toison demeure seche , tandis que toutes les autres parties del’aire seront humides. Dieu opere ces deux miracles , en signe de la

protection qu’il lui accorde. Juges, ch. 6, v. 37 et 39.

(Page 128. La légere Iris l’entend, etc.)L’arc-en-ciel , effet de la réfraction des rayons du soleil dans les

globules de pluie , est un signe de vent. iObservez avec quelle exactitude Homere décrit ici la marche des

vents, que les poètes supposent habiter les isles éoliennes, aujour-d’hui Lipari , dans la mer de Sicile.

(Page 130. Bornez-vous maintenant-à marquerle lieu de notre tombeau, etc.)

Le grec porte: Je ne vous demande pas de lui élever un superbetombeau , mais seulement convenable.

(Page 133. Le fils d’Anchise, Ëchépolus, donna

Éthée à Agamemnon pour s’exempter de le suivre

à la guerre, etc.)Comme roi d’une contrée de la Grece , Échépolus ne pouvoit,

sans le consentement d’Agamemnon , se dispenser d’entrer dans la

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ET HISTORIQUES. CHANT xerI. 233ligue générale; mais d’autre part il étoit fils d’Anchise , de la race

des rois troyens. Tel est le motif du don qu’il fait à Agamemnon,

pour s’exempter de marcher contre Priam.

(Page 135. Quand même l’agile Arion, etc.)Le cheval Arion étoit, selon la fable, fils de Neptune et d’une

Furie. Neptune le donna à Coprée , qui en fit don à Hercule;Adraste, roi d’Argos, le reçut d’Hercule , et s’en servit utilement

dans la guerre de Thebes : Arion lui sauva la vie.

(Page 136. Ainsi rangés, etc.)Le grec porte : Se rangent en ordre; ce qui présente deux sens .

ou qu’ils se rangerent de file , suivant l’ordre que le sort leur avoit

assigné , comme l’explique Eustathe, ou , comme madame Dacier,

qu’ils se rangerent sur une même ligne , et néanmoins dans l’ordre

que le sort leur avoit donné ; car ceux qui étoient placés sur la

gauche , ayant un moindre cercle à parcourir pour raser la borne ,jouissoient d’un avantage réel sur les autres , mais non aussi im-mense que si les chars eussent été rangés de file, comme le sup-pose le célebre évêque de Thessalonique.

(Page 1 37. Déja ils se reploient sur le rivage dela mer écumeuse , etc.)

Le grec porte: Quand les légers coursiers , parvenus au rivage de

la mer, commencerent à retourner , alors la vertu de chacun pa-rut; la carriere s’étendit pour les chevaux.

(Ibid. Volant avec une incroyable rapidité ausecours du pasteur des peuples, etc.)

a Homere , dit madame Dacier, fait arriver Minerve au secours«de Diomede , parceque ce héros avoit en la prudence de secr munir de deux fouets ». S’il étoit ainsi, pourquoi eût-il été aussi

4. 3o

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234 NOTES LITTÉRALESaffligé qu’Homere le représente? Il est donc plus vraisemblable de

dire que ce hères, des mains duquel le fouet étoit échappé, parce-

que les rayons du soleil dardoient dans ses yeux , fit effort pour ra-masser son fouet, ety parvint; ce que j’ai exprimé , d’après Homere,

en faisant ramasser le fouet par Minerve , qui le remet aux mains dufils de Tydée.

(Page 142.Fils d’Oïlée...tu n’es pas le plus re-

doutable des Grecs, etc.)Le grec porte: Ajax , le meilleur dans la dispute, diseur d’injures,

inférieur dans tout le reste aux Grecs , ton esprit est intraitable.

(Page 147. Il eût été plus sage de ne point em-ployer l’artifice, etc.)l J’ai suivi la leçon commune, qui porte:

Bilrcgov dur’àliaoôat àye’wovaç fincçoyre’uuv.

r a Il eût été mieux d’éviter de tromper ceux qui valent mieux que toi. n

Madame Dacier corrige; et lisant, avec Eustathe , Ccu’ir’çov , elle

traduit: cc Une autre fois évitez avec soin de déplaire à ceux qui sont

(c au-dessus de vous n; conseil qui, dans sa généralité , tient trop de

la basse flatterie pour être digne d’Homere.

, (Page 151. Qui combattitautrefois dans Thebesaux funérailles d’Œdipe, etc.)

La tradition adoptée par Sophocle , qui fait mourir OEdipe àColone, dans le voisinage d’Athenes , est donc postérieure à Ho-

mere.

(Ibid. Le valeureux fils de Tydée prend un vifintérêt à sa gloire, etc.) ’

Diomede étoit parent de cet athlete par Déipyle sa mere , filled’Adraste , fi’ere de Mécisthée.

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ET HISTORIQUES. CHANT xxrrr. 235’ (Page 152. Ceints de vastes courroies, etc.)

Soit pour affermir leurs reins , ou , comme le prétend madameDacier , pour Couvrir leur nudité; car les athletes porterent d’abord

des especes de tabliers: l’usage n’en: fut aboli que dans la quator-

zicme olympiade , à l’occasion d’un athlete dont le tablier se déta-

Cha ; ce qui occasionna sa défaite.

(Page 154. Êbranl’e son rival, mais ne peutl’enlever , etc.)

Le grec porte: Il ne l’enleva point, mais il lui contourna le genou.

C’est ce que les écoliers nomment le croc en jambe.

(Page 155. Célebre par sa beauté par toute la

terre, etc.)Le grec porte: Elle l’emporte par sa beauté sur toute la terre.

( Iéid. La navette qu’une femme industrieuse

fait voler sur la trame, etc.)Le nouveau traducteur anonyme de l’Iliade traduit ainsi: (c Tel le

a fuseau presse le sein palpitant de la jeune beauté qui, d’une main

et légere , file ou la laine ou la soie n. Ce sens est conforme à celui

que madame Dacier donne à ces vers. ’M. Bitaubé traduit: (c Le rapide Ulysse le suit d’aussi près qu’est

(c la navette du sein de l’adroite ouvriere , qui la faisant courir d’une

a: main à l’autre , en déroule le fil pour l’unir à la trame; la navette

«touche son sein n. C’est le sens que M. Ernesti donne à ce mot

mivrov , la trame qu’on couvre de laine , pour la polir et la lus-

trer; car les anciens ne faisoient pas usage de la soie. Ainsi lacomparaison ne porte pas sur la proximité de la navette , qui, par-tant du sein de l’ouvriere, s’en éloigne pour courir sur la trame ,

mais sur la proximité de la laine qu’elle applique et presse contrela trame , pour couvrir et lustrer l’étoffe qu’elle fabrique.

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236 NOTES LITTÉRALES(Page 157. Il égale en force et en légereté" les

anciens hères , etc.)Le grec porte z On ditqu’il est aussi vieux que les anciens hom-

mes.

(Page 1 59. Celui qui I’obtiendra sera pourvuabondamment de fer, etc.)

Le fer étoit, dans ces temps reculés , un métal tellement rare dans

les pays méridionaux, que les armes mêmes étoient d’airain.

On a vu aussi dans tout le poëme combien l’étain étoit prisé par

les anciens.

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ET HISTORIQUES. CHANT XXIV. 237

CHANT XXIV.(PAGE 166. Le dieu de la lumiere le couvre deson égide d’or, etc.)

Cette égide d’Apollon n’est autre que la nuée brillante dont il a

été parlé au vingt-deuxieme chant, sous laquelle le dieu de la lu-

miere enveloppe le corps d’Hector.

(Ibid. C’est ainsi qu’elles punissent le mépris

que le berger Pâris, etc.)Cet endroit est le seul où Homere fasse mention du jugement de

Pâris , origine de la guerre de Troie; raison pour laquelle quelquescritiques se permettent de retrancher ces trois vers: car, disent-ils ,si cette fable eût été connue du temps d’Homere, il est peu vraisem-

blable qu’il eût attendu si tard à en parler. Tel est au contraire,au jugement d’Horace, l’art du poële épique:

Et in medias res ,Haud secùs ac notas , auditorem rapit.

Horace.

Souvent le poëte entraîne son lecteur au centre des événements , négli-

geant ce qui précede , comme s’il étoit connu.

Souvent un beau désordre est un effet de l’art.Boileau;

Mais pourquoi qualifier de désordre cette marche du pere de lapoésie épique? L’enlevement d’Hélene est la cause apparente de la

guerre de Troye. C’est pour venger cette injure que les Grecs se sont

ligués contre les Troyens. Celte cause est développéedans les pre-

miers chants du poëme: mais le jugement de Pâris , dont la fille deTyndare fut la récompense , et la jalousie de Junon et de Minerve ,

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238 r NOTES LITTÉRALESsont une cause de cette guerre fameuse , qui, cachée dans le secret

des dieux , ne devoit être montrée que dans le vingt-quatriemechant.

(Page 167. Insensible à la pitié, au resPect dû à

l’opinion des hommes, etc.)’ Le grec porte: Ainsi Achille a perdu toute pitié; il a perdu cette

pudeur qui aiguillonne fortement les hommes et les secourt puis.

samment.

(Page 168. Les mêmes honneurs ne seront pasrendus aux mânes d’Hector, etc.)

Voyez au vingt-quatrieme chant de l’Odyssée , le récit des funé-

railles d’Achille.

(Page 169: La mere d’Achille veille nuit et jourà la garde de ce trésor, etc.)

Le grec porte : *H yàtç o’t citât

Môme xaçyénôloxcv vératre; Te mit 13516:9.

M. Bitaubé traduit: (c Ce héros seroit bientôt instruit par sa mere,

a qui nuit et jour porte ses pas vers ce fils infortuné », rapportantle pronom démonstratif 0’]. à Achille. Il m’a paru plus naturel de

le rapporter à la dépouille d’Hector gardée par Thétis.

(Ibid. Qui cache, sous la corne d’un bœuf saus-

vage, etc.)Pour empêcher les poissons de ronger leurs lignes, les anciens les

garnissoient d’une corne qu’ils plaçoient au-dessus de l’appât; c’est

pourquoi l’hameçon d’acier et le crin , qu’on a depuis substitués à la

corne; sont appellés minore, cornu.

(Page 173. Thétis se livre aux tendres mouve-inents de l’amour maternel, etc.)

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ET HISTORIQUES. CHANT xxrv. 239’ Le grec porte: Elle le flatta de la main.

’ (Page 174. Car il n’est ni insensé , ni impru-Â

dent, ni impie, etc.)Les anciens faisoient remarquer dans ces trois épithetes les trois

sources des crimes des hommes.

( Ibid. Au milieu d’eux, le vieux Priam , enve-loppé dans son manteau, etc.), On prétend que ces vers d’Homere fournirent au peintre de Si-

cyone , qui manquoit de couleurs pour exprimer le combat de ladouleur, de la honte et du remords dans l’ame d’Agamemnon pré-

sent au sacrifice d’Iphigénie, l’idée de couvrir la tête de ce prince de

son manteau.

(Page 176. Le grand Hector, qu’il a percé sous

les murs de sa patrie, etc.)Le grec porte: Qu’il n’a point tué (lorsqu’il fuyoit lâchement,

mais combattant avec courage , sous les yeux des Troyens et desTroyennes , inaccessible àla crainte, incapable d’une fuite honteuse.

(Page 177. Ne porte point l’effroi dans monpalais par de sinistres présages, etc.) A

Le grec porte: Ne sois pas toi-même un oiseau de mauvais auguredans mon palais; tu ne me persuaderois point.

(Page 178. Votre vie ne peut me consoler de laperte du seul Hector, etc.)

Le grec porte: Plût aux dieux que vous eussiez tous été tués au

lieu d’Hector, devant les vaisseaux des Grecs! ’

- 4 (Page 182. Qu’ils nommentle grand aigle, etc.)-Homere nomme cet aigle mentir. J’ai cru devoir 111i appliquer

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240 » NOTES LITTÉRALESla dénomination du grand aigle dont parle M. de Buffon; car l’es-

pece de cet aigle m’a paru suffisamment désignée par sa couleur ,d’un orfimce’ et ténébreux, uéçovov , et par l’étendue de ses ailes

qui égalent la largeur du portique du palais d’un homme riche.

«C’est le plus grand de tous les aigles, dit M. de Buffon; la fe-

cc melle a jusqu’à trois pieds et demi de longueur, depuis le bout dua bec jusqu’à l’extrémité des pieds, et plus de huit pieds et demi de

ce vol ou d’enverj ure :0. Hist. nat. des Oiseaux, tome I.

(Ibid. Le fouet, manié avec art, hâte et ralentit,

etc.)Le grec porte: Le vieillard les suivant, leur ordonne avec le

fouet. C’étoit plus pour ralentir la marche des coursiers que pour la

hâter; car ils étoient obligés de se conformer à la marche pesante

(les mules qui les précédoient.

(Page 183. Il prend en main cette verge miracu.leuse, etc.)

Voyez , sur la verge de Mercure , que les poëtes postérieurs àHomere ont ornée de deux ailes , et nomment caducée , qui n’est

autre chose que la verge miraculeuse de Moïse, les notes deschants cinquieme et vingt-quatrieme de l’Odyssée.

(Ibid. Sous la forme d’un jeune guerrier, etc.)Madame Dacier traduit: cc Ayant pris la figure d’un jeune

a prince a); faisant dériver , avec Eustathe , ce mot (130117)th , de

dieux rnodrv, observant, gardant la justice, La premiere vertu desrois.Mercure ne se dit point un roi, mais l’un des compagnons d’A-

chille; raison qui m’a fait préférer le sentiment du plus grand nom-

bre de scholiastes , qui font dériver ce mot de aideur! ou aîectv,s’élancer, celui qui s’élance le premier, un chef de bandes; ce qui

s’accorde avec la réponse du dieu,

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ET HISTORIQUES. CHANT XXIV. 241(Page 1 84.. Un jeune homme dans la fleur de

l’âge, etc.)

Le grec porte , Mercure , c’est-à-dire le jeune guerrier dont Mer-

cure a pris la ressemblance; car l’eflToi d’Idée ne seroit pas fondé,

s’il reconnoissoit le dieu envoyé par Jupiter au secours de Priam.

(Page 187. Ce récit adoucit la tristesse mortelledu vieux Priam , etc.)

r Le grec porte: Il dit: le vieillard fut réjoui et lui répondit: Ô mon

fils, il est bon de faire de justes présents aux immortels.

(Page 192. Celui-là est éternellement malheu-

reux, etc.)Deus judea: est: hunc humiliat, et hune exaltat; quia enlia: in

manu Domini vini meri planas misto. Et inclinavit ex hoc in hoc,-weruntamen fex ejus non est exinanita; bibent omnes peccatoresterras. Ps. 74, v. 8 et 9.

(t Dieu juge les hommes: il humilie celui-ci, éleve celui-là; cara: une coupe, mêlée de bien etde mal, est dans la main du Seigneur;

cc il a puisé dans les deux sources de biens et des maux pour l’em-a plir, et la lie n’a point été épuisée; tous les pécheurs de la terre

a en boiront. :1

(Page 193. Les rives de l’Hellespont au nord,

etc.)J’ai ajouté ces mots , au nord, qui ne sont pas dans le grec , pour

satisfaire à la clarté qu’exige notre langue.

(Ibid. Grains d’accroître ton infortune, etc.)Le grec porte: Tu ne le ressusciteras point avant que tu souffres

quelque autre malheur. Madame Dacier traduit: ce Vous ne le rap-t: pellerez point à la vie; mais vous l’irez rejoindre , après avoir

4. 31

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242 ’ N0TES*LITTERALESçc. achevé de vuider ici-bas la coupe de la colere des dieux n: langage

qui n’est pas consolant. Il m’a paru plus vraisemblable de donner

aux derniers mots de cette phrase le ton d’une menace , que l’ex;tréme affliction ne consume le vieuxl’riam, ou même qu’il m’excite,

par un refus, la colere du fils de Pélée; ce qui est très conforme à la

réponse d’Achille lorsque Priam refuse de prendre place sur untrône , et très analogue à la tournure grecque. Ainsi s’écrioit David ,

après avoir perdu le fruit de son adultere: ,y Nunc autem quia mortuus est, quarre jejunem? numquid parerarevocare eum ampliùs .7 ego vadam mugis ad eum ; ille verà non re-

vertetur ad me. 2 Rois, chap. 12 , v. 23. a Il est mort; pourquoi jeu;c: nerois-je? mes jeûnes et mes pleurs ne le rappelleront point à lacc vie: j’irai plutôt à lui; il ne reviendra point à moi. »

. (Page 194. Abaissé les leviers de nos portes, etc.)’ Ce qui ne se rapporte pas seulement aux portes du camp, mais

encore à celles qui fermoient l’enceinte de la tente d’Achille.

1 (Ibid. Grains que, malgré les ordres de Jupiter,

etc.)Le grec porte: De peur, ô vieillard, que je ne te souffre pas

même dans ma tente , et que je ne contrevienne aux ordres de Ju-piter.

)

I (Page 196. Personne ne se trouva pour leur ren-dre’les honneurs funebres, etc.) U

Les enfants de Niobé étant morts de la peste , personne n’osa ni

les se’courir, ni leur rendre les honneurs funebres.

(Page 198. Achille ordonne..... de préparer deslits sous le portique, etc.)

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ET HISTORIQUES. CHANT xxrv. 243"Voyez la note du quatrieme chant de l’Odyssée sur la forme des

lits des anciens.

(Page 202. Les Chants funebres commencent;etc.)

Le grec porte: Ils placent auprès du lit funebre les respectableschefs des pleureurs , qui font entendre leurs douloureux accents:les femmes les suivent. Coutume reçue chez tous les anciens peufpies , dont nous conservons encore des vestiges aux pompes fune-bres des grands.

Quoniam ibit homo in domum aetemitatis suas, et circuibunt inplatea plangentes. Ecclésiast. chap. 12, v, 5, cc Parceque l’homme

a ira dans son éternelle demeure , et que les pleureurs entoureront

cc son lit funebre. a) ’Dans saint Marc, chap. 5, 38, voyez les pleureurs qui envi-

ronnent le lit funebre de la fille du chef de la synagogue.

n En: DES NOTES HISTOR1QUES.

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NOTESGÉOGRAPHIQUES

DE M. MENTELLE,HISTORIOGRAPHE DE Mcl COMTE D’ARTOIS.

ILIADE.C H A N T X X.

(PAGE 48. Ida.)Quelques auteurs pensent que c’est l’ancien nom de Sardes; mais

cela n’est pas prouvé.

(Ibid. Hyllus.)Le même fleuve que le Phrygius , grand fleuve de l’Asie Mineure.

Il prend sa source sur les confins de la grande Phrygie , au sud d’An-

cyre , coule à l’ouest, et se jette dans l’Hermus, près de Magnésie.

(Ibid. L’ombragé Hermus.

Montagne que l’on conjecture avoir été ainsi nommée , parceque

le fleuve Hermus y prend sa source.

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NOTES GÉOGRAPHIQUES. 245

CHANT XXL(Page 65. Le roi des fleuves, l’Achéloüs.)

Homere fait ici allusion à une ancienne tradition , suivant laquellece fleuve étoit sorti de terre le premier après le déluge de Deucalion:

CHANT XXII.(Page 112. Dans l’ombragée Hypoplacie.)

La ville de Thebes en Mysie. Voyez les commentaires d’Étienne

de Byzance , tome I, page 4 16.

C H A N T X X I V.

(Page 197. Sipyle.)Mentagne de l’Asie Mineure, au sud-est de Magnésie. Il y avoit

au même lieu une ville du même nom.

r1N DES NOTES GÉOGRAPHIQUES.

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IMITATIONS’

D’HÛMERE?

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IMITATIONS D’HOMERE

PARLES PRINCIPAUX POËTES

LATINS, ITALIENS, FRANÇOIS

ET ANGLOIS,

AVEC LA TRADUCTION.

CHANT xIx.( PAGE 8. L’aurore au voile pourpré s’élevant des

profondeurs de l’océan , etc.)

Et jam prima novo spargebat lumine terrasTithoni croceum linquens Aurora cubile.

I AEneid. lib. 4, v. 584.Cependant l’Aurore , quittant le lit safrané du vieux Tithon , verse ses pre-

miers feux sur la terre.

(Ibid. Reçois les belles armes que je t’apporte ,t

ouvrage de Vulcain, etc.)En perfecta mei promissâ conjugis arte

Munera.AEneid. lib. 8, v. 612.

0 mon fils , lui dit Vénus, je remplis mes promesses: reçois ces présents;chef-d’œuvre de l’art de mon époux.

(Page 8. La joie a accès dans son ame, à la vuede l’armure, etc.)

4. 0 32

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250 IMITATIONs;Talia per clypeum Vulcani, dona parentis;Miratur, rerumque ignams imagine gaudet,Attollens humero famam’que et fata nepotum.

AEneid. lib. 8, v. 729i

Quoique ces grands événements lui soient inconnus (à Énée), il en contem«

ple et admire les vivants tableaux que Vulcain a tracés sur son bouclier , ma-gnifique présent de la déesse sa mere. Il l’éleve, le suspend à son épaule , et

porte sur son dos la gloire et les futures destinées de sa postérité.

(Page 12.. Fier d’annoncer aux immortels leshautes destinées de son fils, etc.)

Hear, all ye angels, progeny of light, ’

T bromes, dominations , pn’ncedoms, virtues, pow’rs,

Hear my decree, which unrevox’d shall stand.

This day l have begot whom I déclare AMy only son.

Panel. les! , book 6.

Anges , premiers nés de la lumiere , trônes , dominations , vous qui comcmandez dans le sacré palais , vertus, puissances, soyez attentifs à mon irrévo-

cable décret. En ce jour j’ai engendré celui que je déclare mon fils unique.

(Page 13. SaisisSant l’implacable Furie, etc.)

Thus measuring things in heav’n by things on earth ,

At thy request, and that thon may’st bevvare

By What is past, to thee l have reveal’d

What might have else to human race been hid ;The discord which befel , and war in heav’n

Among th’ angelic pow’rs, and the deep fall

Of those too high aspiring, who rebelledVVith Satan.

Parmi. Ion , book 6.

Ainsi, mesurant les choses du ciel par celles de la terre , à ta priere , et pourt’instruire par l’exemple du passé, je t’ai révélé ce qui eût peut-être été tou-

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CHANT xrx.r 251jours ignoré de l’humaine race, la dhcordquui régna dans le ciel, la guerre

qui s’alluma entre les anges , la chiite profonde de ceux qui, par une ambitiondémesurée, se révolterent avec Satan.

(Ibid. Jupiter en gémit le premier , voyant Her-cule, ce fils cher à son cœur, etc.)

Ut duros mille laboresRege sub Eurystheo , fatis J unonis iniquæ,

Pertulerit!

I AEneid. lib. 8 v. 291 .Combien de fois il se soumit aux durs travaux que la tyrannie du roi 15111stthée , la haine de Junon et l’ordre du destin lui imposerent!

(Page 18. Grand nombre de nos compagnonstombent tous les jours , etc.)

Namque nimis multos atque omni luce carentesCernimus, ut nemo possit mœrore vacare:Quo magis est æquum tumulis mandare peremptos,’

Firmo animo , et luctum lacrymis finire diurnis.Cic. Tusc. Quæst. l. 3.

Ces vers sont la traduction littérale de ceux d’Homere.

(Page 21. Patrocle, si cher à mon cœur, je telaissai vivant, etc.)

E in lui verso d’ inessiccabil vena

Lacrime, e voce di sospiri mista:In che misera punto or qui mi menaFortuna! Ah! che veduta amara e trista!Dopo grau tempo i’ li ritrvo appena,

Tancredi, e ti riveggio , e non son vista;Vista non son da te benchè présente;

E trovando ti perde eternamente.Ger. lib. c. 19.:st. 105.

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252” IMITATION’S.’A la vue de son amant, une source intarissable de Jarmesvcoule des yeux

( d’Herminie ). D’une voix mourante , qu’interrompent ses sanglots, elle s’écrie:

Fortune , en quels moments m’as-tu amenée en ces lieux! Quel triste spectacle

tu offres à mes yeux! O Tancrede , je te cherchai long-temps , et ne pus te ren-

contrer: je te retrouve, et tu ne me vois point! Tu ne me vois point bien queprésente! je te retrouve, et je te perds pour des siecles éternels!

(Ibid. Toi seul, ô Patrocle, par ton inexprima-ble douceur, etc.)

Egli, la sua porgendo alla mia mano ,Non aspettô che ’l mio pregar finisse:

Vergine bella , non ricorri in vano ;Io ne saro tuo difensor, mi disse.

Ger. lib. c. 19 ,. st. 94.»

(Tancrede) , me présentant la main , interrompt mon humble priere: BelleIlymphe , me dit-il, ce n’est pas en vain que tu as recours à moi ; je serai tondéfenseur.

(Page 22. O mon infortuné compagnon, etc.)O forte , o caro , o miO fedei compagno ,

. Cl1e qui sei morte , e so che vivi in cielo ,

s.

a o n a a a v a a a 1 y .-Solo senza te son , ne cosa in terraSenza te posso aver più , che mi piaccia.

Se teco era in tempesta, e teco in guerra, ,Perché non anco in ozio , ed in bonaccia?

Orly fur. c. 43 , st. 170 et 171 .V

0 mon cher, ô mon brave , ô mon fidcle compagnon, tu es mort ici bas, et

tu vis dans le ciel. . . . . . . . .Privé de loi , je ne peux rienposséder qui me plaise sur la terre: si je partageai avec toi et les tempêtes et la

guerre; pourquoi ne partagerai-je point et le repos et le calme?

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CHANT x1x.. 253(Page 24. Les Grecs se hâtent de sortirtde leurs

vaisseaux, etc.)Ut sæpe ingenti hello cùm longa cohortes

Explicuit legio, et campo stetit agmen aperto,Directæque acies , ac latè fluctuat omnis’

AEre renidenti tellus.Georg. lib. 2 , v. 279.

Ainsi , dans les guerres sanglantes, une armée se développe dans la plaine;la glebe retentit sous les pas des guerriers alignés; l’éclat de l’airain brille dansl’air.

Præterea magnæ legiones cùm loca cursu

Camporum complent, belli simulacra cientes,Et circumvolitant equites , m’ediosque repentè

Transmittunt valido quatientes impete campos;Fulgur ibi ad cœlum se tollit , totaque cirCumAEre renidescit tellus, subterque virûm vi

Excutitur pedibus sonitus, clamoreque montesIcti rejectant voces ad sidéra mundi.

l Lucr. lib. 2 , v. 323.Quand de grandes légions s’exerCent dans une plaine qu’elles couvrent en

entier , imitant les combats meurtriers , la cavalerie fait ses évolutions, tra-verse les champs d’une course rapide; l’éclat de l’airain , qui répand sur la terre

sa blanchâtre lumiere, s’éleve jusqu’à la voûte éthérée; la glebe résonne sous

les pas des guerriers , les échos des montagnes portent leurs cris jusqu’auxastres.

(Page 26. Adressant la parole aux immortelscoursiers que lui donna Pélée son pere, etc.)

Haud déjectus , equum duci jubet. Hoc decus illi,

Hoc solamen erat; bellis hoc Victor abibatOmnibus. Alloquitur mœrentem , et talibus infit:Rhœbe , diù (res si qua diù mortalibus ulla est),

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254 IMITATIONS.Viximus. Aut hodie Victor spolia illa cruentaEt caput AEneæ referes, Lausique dolommUltor cris mecum; aut , aperit si nulla viam vis ,Occumbes pariter: neque enim , fortissime , credoJussa aliena pali, et dominos dîgnabere Teucros.

AEneid. lib. no, v. 858.

Il ordonne qu’on lui amene ce fier coursier qui sortit avec lui vainqueur de

tant de combats , qui s’enorgueillissoit de le porter; ce coursier , sa consolationet sa gloire dans les travaux de la guerre. A la vue de son maître blessé , l’intré-

pide coursier verse des larmes. Mézence lui adressant la parole: Rhébé , lui dit-

il , la gloire des mortels est de courte durée; nous touchons au terme fatal.Aujourd’hui vainqueur avec moi, vengeur de la mort de Lausus , tu reporte-ras au camp et la tête et les dépouilles sanglantes d’Énée; ou nous périrons

ensemble , si nos forces ne suffisent pas pour de tels exploits: car je ne pensapoint que tu consentes de subir le joug de l’étranger; tu dédaignerois d’avoir

pour maîtres les Troyens.

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WCHANT XX.

(PAGE 3 1 . Jupiter ordonne à Thémis d’assembler

les immortels , etc.)

Panditur intereà domus omnipotentis Olympi,Conciliumque vocat divûm pater arque hominum rexSideream in sedem , terras unde arduus omnes ,Castraque Darnanidum aspectat, npopulosque latinos.Considunt teclis bipatentibus. Incipit ipse...

AEneid.lib. 10, v. 1.

Cependant les portes de la demeure du tout-puissant qui rague sur l’Olym.

pe , s’ouvrent: le pere des dieux et le roi des hommes appelle les immortels au

conseil , sur la voûte du ciel parsemée d’étoiles , dans ce palais élevé d’où sa

vue perçante s’étend sur toutes les terres , sur la ville des Troyens, sur les peu- r

ples du Latium. Les dieux prennent place sur leurs trônes; Jupiter leur parle

ainsi.....

(Page 33. Du sommet de la haute muraille , durevers du fossé qui la borde, etc.)

At sæva è speculis tempus dea nacra nocendi ,

Ardua tecta petit stabuli, et de culmine summoPastorale canit signum , comuque recurvoTartaream intendit vocem , quâ protinùs omne

Contremuit nemus , et sylvæ intonuere profundæ.

I AEneid.lib. 7, 7.511.L’implacable furie quitte la retraite obscure où elle s’est cachée pour épier

les mouvements (des Troyens ); elle s’élance sur les toits, embouche la con-

que pastorale , donne aux pâtres le signal du ralliement: les sons rauques de savoix infernale retentissent dans la profondeur de la forêt.

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256 .IMITATIONS’. v(Page 34. Neptune frappe la terre de son tri-

dent, etc.)Non secùs ac si quâ penitùs vi terra delriscens

Infernas reseret sedes , et ragua recludatPallida , dis invisa , superque immane barathrum

Cernatur, trepidentque, immisso lumine , maries... .AEncid. lib. 8, v. 243.

Comme si la terre, entr’ouverte par une force inconnue , découvroit les ré-

gions souterraines de l’infcrnal royaume , séjour abhorré des dieux mêmes,

abymos qu’une pâle lueur a peine à pénétrer, dont l’œil sonde avec effroi la pro-

fondeur ; comme si l’on voyoit les mânes tremblants s’agiter , éblouis par la lu-

miere du soleil introduite dans leurs sombres demeures...

Divilit omne solum, penetratque in Tartare. rimisLumen , et infernum terret cum conjuge regem.

Ovid. Metam. lib. 2 , v. 260.La terre s’écroule , la lumiere pénétré dans le Tartare; le roi des enfers et son

épouse sont etlrayés.

Inde tremit tellus , et rex pavet ipse silentûmi,

Ne pateat latoque solum retegatur hiatu,Immissusque dies trepidantes terreat umbras.

Ovicl. ibid. lib. 5, v. 356.La terre tremble; le roi des. royaumes silencieux craint que le globe ne s’en.

tr’ouvre , que la lumiere , introduite dans ces gouffres immenses , n’effraie les

ombres.L’enfer s’émeut au bruit de Neptune en furie.

Pluton sort de son trône; il pâlit, il s’écrie;

11a peur que ce dieu , dans cet affreux séjour ,

D’un coup de son trident ne fasse entrer le jour,

Et, par le centre ouvert de la terre ébranlée,Ne fasse voir du Styx la rive désolée , .

Ne découvre aux vivants cet empire odieux ,lAbhorré des mortels, et craint même des dieux.

Boileau , Traité du Sublime, 7,

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CHANT xx. ’257A (Page 39. Semblable à un lion que provoque un A

peuple de chasseurs, etc.)Ut fera, quæ densâ venantûm septa coronâ

Contra tela furit’, seseque haud nescia morti

Injicit, et saltu supra venabula fertur;Haud aliter juvenis medios moriturus in hostosIrruit, et quà tela videt densissima tendit.

AEneid. lib. 9, v. 551.

Environné de l’armée des Latins ( Hélénor ) , se dévouant au trépas , fond

sur l’ennemi, sans redouter l’épaisse forêt de javelots ; telle une bête féroce

qu’entenre une troupe de chasseurs, furieuse , certaine de mourir , affronte leslongs épieux; ses sauts hardis l’élevent anodessus des toiles.

Pœnorum qualis in arvis. Saucius ille gravi venantûm vulnere pectus,

Tum demum movet arma leo , gaudetque comantesExcutiens cervice toros, fixumque latronisImpavidus frangit telum , et fremit 0re cruento:Haud secùs accenso gliscil: violentia Tumo.

AEneid. lib. 12, v. 4:

Tel, au milieu des sables brûlants de la Libye , un lion , que l’arme meur-

triere des chasseurs a atteint dans le poitrail , déploie ses armes , secoue sa cri-niere ; intrépide , rugissant, la gueule teinte de sang, il s’élance, brise le jave-

lot prêt à le percer: aussi forte, aussi vive est l’ardeur de Turnus.

Sic cùm squalentibus arvisAEstiferæ Libyes viso leo cominùs hoste

Subsedit dubius , totam dum colligit iram;Mox ubi se sævæ stimulavit verbere caudæ ,

Erexitque jubam, et vasto grave murmur hiatuInfremuit: tum torta levis si lancea MauriHæreat, aut latum subeant venabula peclus ,Per ferrum tanti securus vulneris exit.

Lucan. Pharsal. lib. l , v. 205.

4. Ü l 33

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258 IMITa’rrorr-s;z Ainsi, dans les plaines de la Libye , un lion s’arrête ; incertain à la vue de

l’ennemi , il se rassemble , bat ses flancs pour accroître sa fureur, dresse sa cri:

niera , pousse de longs rugissements: qu’en cet instant le javelot d’un Negro

vienne à le frapper , que de longs épieux s’enfoncent dans son poitrail, nuldanger ne l’effraie; il s’élance , se fait jour à travers les traits qui l’environ-

nent. ’A l’aspect du péril, au combat il s’anime;

Et le poil hérissé , les yeux étincelants,"

De sa queue il se bat les côtés et les flancs.

I Boileau , Traité du Sublime, ch. 13.

, (Page 4o. Fils de Pélée.....ri’espere pas m’inti-

mider par de vaines menaces, etc.)Hostis amare , quid increpitas, mortemque minaris?

AEneid. lib. 10 , v. 900.

Cruel ennemi (s’écrie Mézence d’une voix mourante ) mets fin à tes injures;

la mort dont tu me menaces n’a rien qui m’effraie.

Rispose Mandricardo: Indarno tentaChi mi vuol’ impaurir per minacciarme:

Cosi fanciulli, o femmine spaventa ,

O allri , che non sappia , che sieno arme;Me non, cui la battaglia più talentaD’ogni riposo; e son per adoptarme

A piè, a cavallo, armato, e disarmato ,Sia’a la campagna , o sia ne lo steccato.

Orl. sur. c. 24, st. 98.

Mandricard lui répond (au roi d’Alger): C’est en vain que tu essaies de m’ef-

frayer par des menaces, comme on effraie des femmes ou des enfants qui neconnoissent pas les armes; ma réponse est de t’offrir la bataille , soit à pied ,

soit à cheval, soit armé , ou désarmé , soit en rase campagne , au en champ -

clos. k(Page 41. Ce héros fonda l’antique Dardanie ,’ .

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.’CHANTXX:”’ 259:avant que la sainte cité d’Ilion fût habitée par les

mortels, etc.)Nondum Ilium et arces

Pergameæ steterant: habitabant vallibus imis.AEneid. lib. 3 , v. 109;

Les peuples sur lesquels il régna (Teucer) , habiterent d’abord les profondes

vallées de l’Ida. Ilion , la citadelle de Pergame , n’existait point alors.

(Ibz’d. Douze poulines en naquirent, si légeres,’

que , volant dans la plaine, etc.)Illa vel intactæ segetis pet summa volaret

Gramina, nec teneras cursu læsisset aristas;Vel mare per médium , fluctu suspensa tumenti ,

Ferret iter, celeres nec tingeret æquore plantas.AEneid. lib. 7 , v. 808.

Elle voleroit au-dessus d’une riche moisson , sans en froisser les épis; sus:

pendue sur les flots , elle traverseroit la plaine liquide sans mouiller la plantalégere de ses pieds délicats.

Ein sen va soyra un destrier ch’ appena

Segna nel corso la più molle arena.Ger. lib. c. 18, st. 6o.

(Vafrin) monte un coursier si léger, qu’à peine il imprime sur la molle arene

la trace de ses pas.

Lungo il Hume Trajano ein cavalcaSu quel destrier, ch’al monda è senza pare ,

Che tanto leggiermente carre , e valca,Che ne l’arena l’orma non appare:

L’erba non pur , non pur la neve calca ,’

Co i piedi asciutti andar potria su ’l mare;E si si tende al corso, e si s’affre’tta,

Che passa e venta, e folgore, e saetta.Orland. fur. c. 15, st. 4o.

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260 IMITATIONS.’, (Astolfe) voyage loin de ces contrées, monté sur ce destrier qui n’a point

son pareil dans le monde; il court avec une telle rapidité, que la trace de sespieds ne demeure point imprimée sur l’arene , que l’herbe n’en est point frois-

sée, que la neige n’est pas amollie: il pourroit traverser la mer à pied sec. Il se

hâte et s’étend avec une telle vitesse , qu’il devance et le vent, et la foudre , et

la fleche légere.

’ (Page 42. Il dit, et lance son javelot dans le bou-clier d’Achille, etc.)

Tum pius AEneas hastam jacit: illa per orbemAEre cavum lriplici, per linea tergal, tribusqueTransiit intextum tauris opus , irnaque seditInguine; sed vires baud pertulit.

KEneid. lib. 10’, v. 783.

Lançant sur. Mézence son redoutable javelot , le pieux Énée perce et l’airainx

et les trois cuirs du taureau enlacés qui forment l’épaisse contexture du bouclier.

du roi des Tyrrhéniens; il l’atteint au-dessusde la cuisse , et ne peut rabattre.

(Page 45. Il étend un nuage épais sur les yeux.d’Achille, etc.)

PeIidæ tune ego forti

Congressum AEneam , nec dis, nec viribus acquis,Nube cavâ eripui , cup’erem cùm vert’ere ab ima-

Structa meis manibus perjuræ 1nœnia Trojæ.AEneid. lib. 5, v. 808.

Malgré le desir dont j’étais animé de-renverser les murs de la perfide Troie r

élevés par mes mains, je vision, fils engagé dans un combat trop inégal contre

un héros que les dieux protégeoient; j’étendis une nue obscure pour le dérober-

aux coups du fils de l’élée.

(Page 47: Je cours le provoquer. au combat,etc.)

Audeo-et AEneadum promitto occurrere turmæ ,,

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CHANTxx. 1 261Solaque tyrrhenos equites ire obvia contra.

AEneid. lib. 11 , v. 503.

Je te promets de provoquer au combat les Énéades; seule, je marcheraicontre la cavalerie tyrrhénienne; permets que la premiere j’affronte les périls

de la guerre.

(Page 48. Achille le prévient, décharge sur satête son pesant javelot, etc.)

Sic ait, et sublatum altè consurgit in ensem ,

Et mediam ferra gomina inter tempora frontemDividit , impubesque immani vulnere malas.

AEneid. lib. 9, v. 749.Il dit; et élevant son glaive, il le précipite entre les tempes de Pandarus r

l’arme meurtriere sépare en deux les lobes et le front, et ces mâchoires quecouvre à peine un léger duvet.

(Ibid. Fils d’Otryntès.... qui naquis... au centre

des riches possessions de ton pere, etc.)Domus alta sub Ida,

Lyrnessi domus alta; solo laurente sepulcrum.AEneid. lib. 12 ,- v. 546.

Un sépulcre dans les champs laurentins remplace , pour toi, ce superbe pa-rlais que tu possédois dans les vallées de l’Ida , cette éclatante demeure que tu

habitois dans Lymesse.

(Page 49-. Il expire , poussant des cris aussi alLfreux que les mugissements d’un taureau, etc.)

CIamores simul horrendos ad si’dera tollit;

Quales mugitus, fugit cùm saucius aram

Taurus, et incertam excussit cervice securim.

7 AEneid. lib. 2, v. 222.Il pousse vers le ciel des cris affreux, semblables aux mugissements d’un

taureau blessé qui, ayant secoué la cognée qu’un coup mal assené avoit env

foncé dans son crâne, fuit l’autel où il devoit être immolé.

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2’62 IMITATIONS.(Page 51. Quoique plus foible, je peux te per-

cer de mon javelot, etc.)Et nos tela, pater, ferrumque baud debile dextrâSpargimus, et nostro sequitur de vulnere sanguis.

AEneid. lib. 12, v. 5o.

0 mon pere , mon bras , ainsi que celui d’Énée , est éprouvé dans les com--

bats; mon javelot a précipité des héros dans les sombres demeures.

(Ibid. Il dit; et imprimant à son javelot..... unmouvement rapide, etc.)

Dixerat; ille rudem nodis et cortice crudoIntorquet, summis annixus viribus, hastam.Exceperc auræ vulnus: Saturnia JunoDetorsit veniens, portæque infigitur basta.

AEneid. lib. 9, v. 743.Il dit: Pandarus saisit un lourd épieu que revêt son écorce; il l’élcve d’un

bras nerveux , lui imprime un mouvement rapide par les cercles qu’il lui faitdécrire , le lance sur le roi des Rutules: mais la fille du vieux Saturne détournele coup mortel; la pointe aiguë s’égare dans le vague de l’air, et s’enfonce dans

la porte.

(Page 52. Le javelot d’Acbille atteint l’un auloin , tandis que l’autre tombe à ses pieds sous les

coups de son glaive.)Tumus equo dejectum Arnycum, fratremque DioremCongressus perles; bunc venientem cuspide longâ,

Hunc mucrone ferit.AEneid. lib. 12, v. 509.

Tumus a culbuté de dessus leurs coursiers et Amycus et son frcre Diorès;il s’élance de son char, marche à pied à leur rencontre , perce l’un de son

javelot , enfonce son glaive dans la poitrine de l’autre.

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.CHANTXX.’ ’ 253» (Ibid. Le fils de Pélée.... enfonce le glaive dans

son cœur, etc.)Validum namque exigit ensem

Per medium AEneas juvenem, totumque recondit.Transiit et parmam muera , levia arma minacis,Et tunicam , molli mater quam neverat aura;Implevitque sinum sanguis: tum vita per aurasConcessit 1nœsta ad manes , corpusque reliquit.

’ AEneid. lib. 10, v. 816.Le glaive d’Enée brise le bouclier du jeune héros, perce sa cuirasse, déchire

cette molle tunique que les mains de sa mere ont filée, où l’or s’allie aux cou-

leurs les plus brillantes , et s’enfonce dans le sein de Lausus; le sang emplitsa poitrine; son ame affligée fuit dans le séjour des ombres.

(Page 53. Achille... fait voler sur la poussierecette tête ennemie et le casque qui la couvre ,etc.)

Huic uno dejectum cominùs ictuCum galea longè jacuit caput.

AEneid. lib. 9, v. 770.Tumus le prévient , fait voler sur l’arene et sa tète et le casque qui la couvre;

(Ibid. Ainsi Achille, semblable à un dieu....’parcourt cette plaine sanglante, etc.)

Multa virûm volitans (lat fortia corpora letbo,

Semineces volvit multos , aut agmina curruProterit, aut raptas fugicntibus ingerit bastas.

AEneid. lib. 12, v. 328.

Il (Tumus) parcourt avec rapidité la vaste arene : les guerriers tombent enfoule sous ses coups; d’autres expirants se roulent sur la poussiere: les phalan-.

ges troyennes sont dispersées; les mêmes javelots qu’il enleve aux ennemis

qu’il a terrassés , il les dirige sur les fuyards. -

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264 IMITATIONS.(Page 54. L’aissieu de son char est teint de

sang . etc.)Talis equos alacer media inter’prælia Tumus

Fumantes sudore quatit , miserabilè cassis

Hostibus insultans. Spargit ra pida ungula raresSanguineos , mixtâque cruor calcatur arenâ.

AEneid. lib. 12 , v. 337.Tumus , monté sur son char, animant ses coursiers agiles , se fait jour à

travers les phalanges qu’il disperse: la sueur qui pénetre les membres de ses

coursiers , les couvre d’une épaisse fumée. Tumus, insultant aux vaincus , se

livre à un affreux carnage; le sang jaillit dessous ses pas; la molle arene estimbibée de sang.

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CHANT XXI.’

( PAGE 57. Repoussés sur les rives du grand fleuve

du Xanthe tortueux, etc.)Telle , à l’aspect d’un loup, terreur des champs voisins ,

Fuit d’agneaux effrayés une troupe bêlante;

Ou tels devant Achille , aux campagnes du Xanthe,Les Troyens se sauvoient à l’abri de leurs tours.

Lutrin, ch. 5. V

(Page 58. Las enfin de carnage, le fils de Pélée

choisit douze jeunes hommes, etc.)Sulmone creatos

Quatuor hic juvenes, totidem, quos educat Ufens,Viventes rapit, inferias quos immolet umbris,Captivoque rogi perfundat sanguine flammas.

AEneid. lib. 1o, v. 518.

Quatre freres , enfants de Sulmon , s’offrent les premiers à sa vue: il ( Enée)

les rend ses captifs, ordonne à Ufens de les conduire à la ville , destinés à être

immolés aux mânes de Pallas , à arroser de leur sang les flammes du bûcher dufils d’Évandre.

(Page 60. Profondément incliné, le triste Ly-

caon, etc.)Inde’Mago procul infensam cùm tenderet hastam ,’

Ille astu subit, ac tremebunda supervolat basta;Et genua amplectens effatur talia supplex:Per patrios manas, et spem surgentis Iuli ,’

Te precor, banc animam serves natoque patrique.Est domus alta: jacent penitùs defossa talenta

4. 34

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266 IMITATIONS.’Cælati argenti: sunt auri pondera factiInfectique mibi: non hic victoria Teucrûm

Vertitur , aut anima una dabit discrimina tanta.Dixerat. AEneas contrà cui talia reddit:Argenti atque auri memoras quæ multa talentaGnatis parce tuis :- belli commercia TumusSustulit ista prior, jam tum Pallante perempto.Hoc patris Ancbisæ manes , hoc sentit Iulus. ’

Sic fatus , galeam lævâ tenet , atque reflexâ

Cervice orantis capulo tenùs applicat ensem.AEneid. lib. 10, v. 521.

Agitant son javelot, il s’élance sur Megus. L’adroit Rutnle se courbe , se

glisse sous l’arme meurtriere , l’évite , embrasse les genoux du fils d’Anchise:

Sauve-moi la vie , lui dit-il; je t’en conjure par les mânes de ton pere An-cbise , par les espérances que te donne ton fils Iule; conserve des jours précieux

à mon pere , nécessaires à mon fils. J’ai une maison élevée; des richesses im-

menses y sont renfermées , de l’argent ciselé , de l’or tel qu’on le tire devla mine,

de l’or artistement travaillé. Ma mort ne donnera pas la victoire aux Troyens:

la vie d’un seul ne peut être d’une telle importance.

Il dit. Conserve à tes enfants cet or que tu m’offres, lui répond Énée. Pallas

est tombé sous les coups de Tumus ; la mort de ce jeune héros a rompu tout

commerce entre nos deux nations ; les mânes de mon pere Anchise , la douleur

de mon fils Iule sollicitent ma vengeance. ,Il dit; et soulevant le casque d’airain , il enfonce son glaive jusqu’à la garde

dans la gorge du Rutule.

(Page 61. Tu vois quel je suis, etc.)Lumina sic oculis etiam bonus Ancu’ reliquit,

Qui melior multis , quàm tu, fuit, improbe, rebus.

Ipse Epicurus obit decurso lumine vitæ ,

Qui genus bumanum ingénia superavit, et omnesPræstinxit stellas , exortus uti ætbereus sol;

Tu verô dubitabis, et indignabere obire,

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c H A N T x x I. 267Mortua quoi vita est, prope jam vivo atque videnti!

Lucret. lib. 3 , v. 1038. I

Ancus , ce bon roi, supérieur à toi par tant de vertus , a fermé les yeux à

lalumieredusoleil. . . . . . . . . . . . .Épicure est mort , cet Épicure dont le génie éclipsa celui de tous les autres

mortels , comme le soleil éclipse les étoiles; et tu t’indignerois de subir la loi

commune , toi dont la vie entiers n’est qu’une mort anticipée!

(Page 64. Le fils de Pélégonus fait effort pours’en saisir; trois fois il l’agite puissamment, etc.)

Incubuit, voluitque manu convellere ferrumDardanides , teloque sequi, quem prendere cursuNon poterat.

AEneid. lib. 12, v. 774.Désespérant d’atteindre Tumus à la course , le héros dardanien fait effort

pour arracher son javelot et le lancer sur l’ennemi. ’

(Page 67. A cette vue le Xanthe se trouble;etc.)

’ Au pied du mont Adule , entre mille roseaux,

Le Rhin tranquille , et fier du progrès de ses eaux,Appuyé d’une main sur son urne penchante ,

Dormoit au bruit flatteur de son onde naissante,Lorsqu’un cri tout-à-coup suivi de mille cris

Vient d’un calme si doux retirer ses esprits.

Il se trouble , il regarde, et par-tout sur ses rivesIl voit fuir à grands pas ses Naîades craintives ,

Qui toutes accourant vers leur humide roi j,Par un récit affreux redoublent son effroi.

Il apprend qu’un héros , conduit par la victoire,

A de ses bords fameux flétri 1’ antique gloire.

V Boileau, Ep. 4;

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2’68 IMITATIO’NS.’

(Page 68. Ainsi l’on voit dans les jardins l’eau:

d’un étang qu’une pente hardie favorise , etc.)

Quid dicam , jacta qui semine cominùs arva

Insequitur , cumulosque ruit malè pinguis arenæ,Deinde satis fluvium inducit ,’ rivosque sequentes?’

Et cùm exustus ager morientibus æstuat herbis ,

Ecce supercilio clivosi tramitis undamElicit: illa, cadens raucum per levia murmurSaxa ciet , scatebrisque arentia ’temperat arva.

Georg. lib. 1 , v. 104. .Que dirai-je de l’actif laboureur qui suit de près la semence que sa main a

lancée, dont la herse abaisse les éminences de la glebe amoncelée , qui intro-

duit sur le champ fécondé par la semence un fleuve divisé en des canaux divers

qui semblent le poursuivre dans leur course rapide; et tandis que les feux del’été dessechent et brûlent la verdure naissante, fait jaillir du sommet d’une

roche escarpée une onde limpide dont la pente hardie surmonte les obstaclesqui lui sont opposés , bouillonne , murmure , et tempera l’aridité du sol par le

crystal d’un liquide bienfaisant?

. ..L’art du laboureur peut tout après les dieux.

Dans ses champs la semence est-elle déposée?

Il la couvre à l’instant sous la glebe écrasées;

Puis d’un fleuve coupé par de nombreux Canaux

Court dans chaque sillon distribuer les eaux.Si le soleil brûlant flétrit l’herbe mourante ,

Aussitôt je le vois , par une douce pente ,Amener, du sommet d’un rocher sourcilleux,

Un docile ruisseau qui suit un lit pierreux ,Tombe, écume , et roulant avec un doux murmure ,Des champs désaltérés ranime la verdure.

M. l’abbé deLille.’

(Page 69. Que n’ai-je succombé sous lesficoups

d’Hector, le plus Courageux des Troyens, etc.)

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CHANT xxr. 269Ô Danaûm fortissime gentis

Tydide, mene iliacis occumbere campisNon potuisse , tuâque animam banc effundere dextrâ,Sævus ubi AEacidæ tel0 j’acet Hector, ubi ingens

Sarpedon , ubi tot Simoïs correpta sub undis

Scuta virûm, galeasque, et fortia corpora volvit!AEneid. lib. 1 , v. 96.

Fils de Tydée, le plus intrépide des Grecs, quelles divinités cruelles m’ont

dérobé aux coups de ton javelot? Plut aux dieux que. les plaines d’Ilion , où

Hector a succombé sans les coups du descendant d’Éacus , ou le grand Sarpe-

don a terminé sa vie, où le Simoïs roule dans ses flots tant de boucliers, tant

de casques , tant de cadavres de héros, eussent recueilli ma dépouille mortelle!

(Page 73. Ses ondes bouillonnent, comme lagraisse d’un porc enfermée dans un vase d’airain,

etc.) .Magno veluti cùm flamma sonore

Virgea suggeritur costis undantis abeni ,Exultantque æstu latices: furit intùs aquæ vis ,

Fumidus atque altè spumis exuberat amnis;

N ec jam se capit unda; volat vapor aterad auras.Amen. lib. 7, v. 462.

Telle , enfermée dans un vase d’airain qu’enveloppe une flamme animée par

du bois sec , l’onde écumeuse se gonfle, surmonte les bords du vase; un fleuve

en sort à gros bouillons et répand au loin une épaisse fumée.

(Page 74. Les deux bandes des divinités...marchent l’une contre l’autre: la terre gémit sous

leurs pas, etc.)Le ciel en retentit, et l’Olympe en trembla.

Traité du Sublime, chap. 7.

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270 IMITATIONS.(Page 79. Elle’dit; et saisissant d’une seule

main.. .. Telle une timide colombe , etc.)Transit equum cursu; frenisque adversa prebensisCongreditur, pœnasque inimico a sanguine sumit:Quàm facilè accipiter saxo sacer ales ab alto

Consequitur permis sublimem in nube columbam , ’

Comprensamque tenet, pedibusque eviscerat uncis;Tum cruor et vulsæ labuntur ab ætbere plumæ.

AEneid. lib. 1 1 , v. 719.

Elle dit (Camille); et , plus légere que le vent, elle devance le rapide cour-sier, se retourne, l’arrête , se venge du perfide ennemi qui l’a trompée , avec

la même facilité qu’un oiseau augural, l’épervier , atteint dans la nue la timide

colombe qu’il poursuit , la saisit dans ses ongles crochus et la déchire: son sang

coule; ses plumes détachées voltigent et s’affaisent.

(Page 83. Il n’a qu’une vie; on dit qu’il est

mortel comme nous.)Mortali urgemur ab hosto

Mortales, totidem nabis animæque manusque.AEneid. lib. 1o, v. 375.

Mortels , nous disputons la victoire à des martels ; nos ennemis n’ont qu’une

vie, que deux bras, comme nous.

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CHANT XXII.( PAGE 88. L’éclat qui l’environne le faitiaisément

reconnaître: ainsi brille sur la voûte éthérée, etc.)

Ipse agmine Pallas

In media , chlamyde et pictis conspectus in armis.Qualis ubi Oceani perfusus lucifer undâ ,

Quem Venus ante alios astrorum diligit igues,Extulit os sacrum cœlo , tenebrasque resolvit.

AEneid. lib. 8, v. 587.

Pallas est au centre, couvert d’une superbe tunique que releva son armurede diverses couleurs d’un éclat merveilleux. Tel brille sur la voûte éthérée l’as-

tre du matin , que Vénus chérit par-dessus tous les feux qui éclairent le firma-ment , lorsque s’étant lavé dans les flots de l’Océan , il éleve au-dessus de l’ho-

rizon sa tête sacrée , et dissipe les ténebres.

(Ibid. Le vieux Priam.... appelle son fils, le vail-lant Hector... qui...se tient devant la porte Scée.)

E chipsaÈ poila porta , .e sol Clorinda esclusa.

Ger. lib. c. 12, st. 48.

La porte se ferme; la seule Clorinda reste en-dehors.

(Page 9o. Prends pitié de ton malheureux pere;

etc.)I ’ Miserere parentisLongævi , quem nunc mœstum pan-la Ardea longé

Dividit. AAEneid. lib. 12, v. 43.Prends pitié de ton pere (Daunus) accablé sous le poids des ans, qui gémit

de ta longue absence.

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272- IiMIT-ATIONS.(Page 91 . Hector,;mon cher fils....prends pitié

de moi, etc.)Turne , per bas ego te lacrymas , per si quis AmatæTangit bonos animam , spes tu nunc una senectæ.

AEneid. lib. 12, v. 56.Ô Tumus, je t’en conjure par mes larmes , par cette Amate qui t’est chére;

Tumus, l’unique espoir de mes vieux ans.

(Ibid. Loin de nos murs , dans les vaisseaux desGrecs , ton corps sera la proie des chiens et desvautours.)

Heu l terrâ ignotâ, canibus data præda latinis

Alitibusque , jaces !

’ . AEneid. lib. 9, v. 485.Ton cadavre sanglant (ô mon cher Euryale l) repose maintenant sur une

terre inconnue, destiné à devenir la proie des chiens et des vautours.Nè , morendo , impetrar potrà co’ preghi,

Che in pasto a’ cani le sue membra i’ neghi.

Ger. lib. c. 7, st. 54.(Celui qui osera me disputer la victoire, dit Argant ,) ne pourra , en mourant,

obtenir par ses prieres que je refuse ses membres à mes chiens pour les dévorer.

(Page 92. Tel, à l’entrée de son antre , unénorme dragon, repu de plantes vénéneuses, etc.)

Qualis ubi in lucem coluber, mala gramina pastus , ’Frigida sub terra tumidum quem bruma tegebat,Nunc positis novus exuviis, nitidusque juventâ,Lubrica convolvit sublato pectore tergaArduus ad solem , et linguis micat 0re trisulcis.

AEneid. lib. 2, v. 471.Tel un serpent repu de plantes vénéneuses, qui, gonflé par l’humidité de la

saison pluvieuse , s’étoit tenu renfermé sans la terre pendant les glaces et les

frimas, ranimé au printemps, ayant quitté son antique dépouille , rajeuni,x

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CHANT xx11. 273couvert d’écaillesluisantes , se dresse: promenant sur la terre les replis tortueux

de sa queue immense , il darde avec fureur le triple aiguillon de sa languefourchue.

Qual serpe fier che, in nuovo spoglie avvolto,D’ ora fiammeggi, e incontra il sol silisce.

Ger. lib. c. 7, st. 71.

Ï Semblable à un fier serpent , revêtu d’une peau nouvelle où l’or brille dans

tout son éclat, qui se lisse et se pare à la face du soleil.

Qual tre lingue vibrar sembra il serpente ,Che la prestezza d’ una il persuade.

I Ger. lib. c. 20, st. 55.Ainsi l’ardeur du serpent est si grande , ses coups sont si rapides, qu’il semble

darder une triple langue.

Sta su la porta il re d’Algier , lucente ,Di chiaro acciar, che ’l capa gli arma, e ’l busto

Corne uscito di tenebre serpente , ,Poi c’ba lasciato ogni squallor vetusto,

Del nuovo scoglio altero , e che si senteRingiovenito , e più che mai robuste;Tre lingue vibra , ed ba negli occhi foco,Dovunque passa ogn’ animal dà loco.

Orl. fur. c. 17, st. 11.

Le roi d’Alger , couvert d’une éclatante armure d’un brillant acier , se tient

sur le seuil de la porte. Tel un serpent, sorti nouvellement des ténebres où ils’était tenu renfermé , ayant quitté sa dépouille souillée , revêtu d’une peau non-Î

velle , se sentant rajeuni et ses forces accrues, les yeux enflammés, darde sitriple langue sur tous les animaux qui l’approchent.

( IbidpJe crains les justes reproches de Poly-.

damas, etc.) - ’Fugge Agramante , ed ha con lui Sobrino,Con cui si duol di non gli aver creduto,Quando previde con occhio divino,

4. 35

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274 I-MIITIATIONS.E ’l mal annunziô , ch’ or gli è avvenuto.

Orl. fur. c. 4o, st. 9.Agramant fuit; Sobrin est à ses côtés , Sobrin avec lequel il s’entretient

amèrement de son imprudence de n’avoir pas suivi ses conseils, lorsqu’il pré-

vit d’un œil divin et lui annonça les malheurs qui sont arrivés.

z . (Page 94. S’élançant dans la route frayée par les

chars , etc.) ,Ergô amèns diversa fugâ petit æquora Tumus ,

Et nunc hue , inde hue incertos implicat orbes.Undique enim densâ Teucri inclusere coronê;

Atque hinc vasta palus, hinc ardua mœnia cingunt.

’ AEneid. lib. I2, v. 742.Tumus égaré, décrivant des cercles immenses, parcourt tout le champ debataille: d’un côté l’épaisse couronne de l’armée des Troyens, de l’autre un

large et profond marais et les hautes murailles de la ville, mettent obstacle àsa fuite.

(Page 95. Ce n’est point à de vils trophées qu’ils

aspirent, etc.)Neque enim levia aut ludicra petuntur

Præmia; sed Turni de vita et sanguine certant.AEneid. lib. l2, v. 764.

Ce ne sont pas aux honneurs qu’on accorde aux athletes , aux vaines récom-i

penses du cirque, qu’ils aspirent: le sang de Tumus est le prix qu’Énée. con-

voite; c’est sa vie que Tumus défend.

(Page 96. il dit. et accroît l’impatience de ladéesse, etc.)

Illa viam celerans per mille coloribus arcum,N ulli visa, citô decurrit tramite virgo.

i AEneid. lib. 5, v. 609.Poussée par les souffles impétueux des vents , décrivant un arc de mille «me

leurs , la légere. iris se prétipite sur la rire.

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lr-CHANTIXXI-Ic 275.(Page 97. Telles fuient devant nous ces images

trompeuses que les songes offrent à notre pensée,

etc.)Ac valut in somnis, oculos ubi languida pressit

- Nocte quies , nequicquam avides extendere cursusVelle videmur, et in mediis conatibus ægriSuccidimus; non lingua valet, non corpore notæSufficiunt vires , nec vox nec verba sequuntur.

AEneid. lib. 12, v. 908.

Ainsi , dans nos songes , quand nos sens sont engourdis par le sommeil , lavolonté s’élance pour entreprendre une course rapide: nos efforts sont vains;

nos membres fatigués ne répondent point à nos desirs; nous succombons sous,

le poids du sommeil ; notre langue appesantie n’a pas la force d’articuler; nos

nerfs ont perdu ce ressort que l’ame sait diriger; la parole expire sur nos levres.1Corne vede talor torbidi sogni

Ne’ brevi sonni suoi l’ egro o 1’ insano;

Parin ch’ al corso avidamente agogni

Stender le membra , e che s’ affanni invano;Chè ne’ maggiori sforzi, a’ suoi bisogni

Non corrisponde il piè stance e la mano;Scioglier talor la lingua, e parlar vuole ,Ma non segue la voce, o le parole.

Ger. lib. 20, st. 105.

Tel un malade , ou un homme en délire , pendant les courts intervalles desommeil que lui laissent ses douleurs , essaie de courir; il étend ses pieds et Ses

mains et s’agite en vain: ses efforts ne répondent point à son ardeur, ses fibre;

sont relâchées; il veut parler, sa langue appesantie ne peut articuler; ni laVoix , ni l’expression , ne correspondent à sa pensée.

(Ibid. Jaloux de porter les premiers coups , ledivin fils de Pélée les contient par ses regards ,

etc.)

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276 IMIITÀATIIONS.AEneas mortem contra præsensque minatur

Exitium , si quisquam adeat. .AEneid. lib. 12, v. 760.

Énée menace de mort quiconque osera sortir des rangs.

(Page 100. Combattons; que l’un de nous deuxpérisse.)

Aut spoliis ego jam raptis laudabor opimis ,Aut letho insigni: sorti pater æquus utrique est:Tolle minas.

AEneid. lib. no, v. 449.Ma gloire est assurée (s’écrie Pallas): vainqueur, j’obtiendrai des dépouilles

opimes; vaincu , un beau trépas sera ma récompense: mets fin à tes menaces.

(Ibid. C’est en ce moment que tu dois te mon-trer un héros , etc.)

l

Quæ nunc deinde mora est? aut quid jam, Tome, retractas?Non cursu , sævis certandum est cominùs armis.

Verte omnes tete in facies; et contrahe quicquidSive animis, sive arte vales: opta ardua permisAstra sequi , clausumque cavâ te condere terrâ.

AEneid. lib. 12,.v. 889.Tu essaies en vain d’échapper par la fuite; sommes-nous dans un cirque où

les athletes se disputent le prix de la course? ici il faut combattre corps à corps.Prends toutes les formes , rassemble toutes tes forces , développe toutes tes ru-ses; aspire à la légereté des aigles pour percer la voûte éthérée; que la terre

s’entr’ouvre sous tes pas pour te cacher dans ses abymes.

(Page 101. Invisible au fils de Priam, Minerve,arrache le javelot, etc.)

Rursùs in aurigæ faciem mutata Metisci

Procurrit, fratrique ensem dea daunia reddit.AEneid. lib. 12,v. 784.

La fille de Daunus , la nymphe Juturne, saisit cet instant pour voler au ses

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CHANT XXII.’murs de son frere; sous la forme de Métiscus , l’écuyer de Tumus,’qu’elle se

hâte de reprendre , elle remet le glaive aux mains de Tumus.

(Page 102. Appellant Déiphobus......Mais lefaux Déiphobus a disparu, etc.)

Rutulos aspectat et urbem ,

Cunctaturque metu, telumque instare tremiscit;Nec quo. se eripiat, nec quâ vi tendat in hostem ,

Nec currus usquam videt , aurigamque sororem.AEneid. lib. 12, v. 915.

Portant ses regards sur la ville et sur l’armée des Rutules , il essaie de rappel-

ler ses forces; l’etTroi ralentit ses mouvements: il veut lancer le javelot, sa main

tremble; il fait effort pour fondre sur l’ennemi, ses genoux fléchissent ; il veut

fuir , et ne voit ni son char , ni cette sœur qui daignoit le diriger.

(Ibid. Tel un aigle fond, du sein d’une nueobscure , sur un foible agneau ou sur un lievretimide , etc.)

Qualis ubiDaut leporem , aut candenti corpore cycnum ,

Sustulit alta petens pedibus Jovis armiger uncis;Quæsitum aut matri multis balatibus agnumMartius à stabulis rapuit lupus. Undique clamorTollitur.

AEneid. lib. 9, v. 563.Ainsi lorsque l’oiseau de Jupiter , l’aigle’aux serres crochues , fond sur un

lievre timide, ou sur un cygne aux plumes argentées , s’en saisit, les éleve à la

voûte éthérée; ou lorsqu’un loup ayant pénétré dans une étable , ravit à sa mere

le tendre agneau qui suce ses mamelles; les bêlements réitérés de cette mare

affligée sont impuissants contre sa fureur: tels les cris des deux armées per-

cent la nue.

(Page 104. Je leve vers toi mes mains détail-vlantes, etc.)

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278 LMITATIONS.Unum hoc, par si qua est victis venia hostibus , oro,Corpus huma patiare tegi: scio acerba meorumCircumstare odia; hunc, oro , defende furorem,Et me consortem nati concede sepulcro.

AEneid. lib. 10, v. 903.S’il est quelque faveur qu’un ennemi puisse obtenir de la générosité de son

vainqueur, je ne te demande qu’une seule grace: dérobe ma dépouille mortelle

à la haine des miens; permets qu’un même sépulcre enferme les cendres de

mon fils et les miennes.

111e, humilis ’supplexque , oculos dextramque precantem

Protendens: Equidem merui , nec d’éprecor, inquit;

Utere sorte tuâ: miseri te si qua parentis

Tangere cura potest, oro (fuit et tibi talisAnchises genitor), Dauni miserere senectæ:Et me , seu corpus spoliatum lumine mavis ,Redde meis.

l . AEneid. lib. 12 , v. 930.Tumus humilié leve vers Énée et ses yeux et ses mains suppliantes: J’ai me. r

rlté la mort, lui dit-il; profite des avantages que te donne la fortune: tranchele fil de mes jours. Cependant si la douleur d’un pere peut t’émouvoir, prends

pitié de la vieillesse de Daunus; j’ose t’en conjurer. Tel fut Anchise ton pere;

renvoie-moi aux miens , rends du moins à mon pers mon corps sans vie.

(Page 105. Jamais ta tendre mere n’arrosera de

ses larmes ton lit funebre, etc.)Istic nunc , metuende , jace: non te optima materCondet humi, patriove onerabit membra sepulcro:Alitibus linquêre feris , aut gurgite mersum

Unda feret , piscesque impasti vulnera lambent.AEneid. lib. 10, v. 557.

Formidable ennemi, demeure en. ce lieu: ta tendre mere ne t’enfermerapoint dans la tombe; le sépulcre de tes peres ne recueillera point ta dépouille

mortelle; les vautours déchireront tes membres défigurés; les torrents les cm

traîneront dans les abymes; les poissons lécheront tes plaies.-

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CHANT xxrr; 279(Ibid. Crains d’attirer sur toi le courroux des

dieux....Meurs, s’écrie le divin Achille, etc.) ;

llle autem expirans: Non me , quicumque es, inuite,Victor , nec longum lætabere: te quoque fata

Prospectant paria , atque eadem mox arva tenebis.Ad quem subridens mixtâ Mezentius irâ:

N une morere: ast de me divûm pater atque hominu’m tex à

Viderit.AEneid. lib. 10, v. 739.

Ta joie, ô Mézence (lui-dit Orodès d’une voix mourante ), sera de courte

durée ; un semblable destin t’est réservé: tu me suivras de près dans les som-

bres demeures. Meurs , s’écrie Mézence avec un sourire insultant; le pere des

dieux et le roi des hommes disposera de moi à sa volonté.

(Page 106. Il n’est aucun d’eux qui ne lui lassé

qùelque blessure , etc.)Vulneraque illa gerens quæ circum plurima murosAccepit patrios.

AEneid. lib. 2, v, 278.Il porte sur son corps les cicatrices sanglantes de ces nombreuses blessures

qu’il reçut sous les murs de sa patrie.

1

’(Ibid. Nous abordons maintenant avec moins

de danger- cet Hector qui porta la flamme dans

nos vaisseaux, etc.) IHei mihi! qualis erat, quantum mutatus ab i110Hectore , qui redit exuvias indutus Achillis ,Vel Danaûm phrygios jaculatus puppibus igues!

I AEneid. lib. 2, v. 272;Ô dieux! quel il étoit! combien différent de cet HeCtor que nous vinies

autrefoisrevenîr triomphant , revêtu des armes d’Achille, ayant lancé les feux

phrygiens dans les vaisseaux des Grecs.

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280 IMITATIONS.. ( Ibid. Couverts de nos armes , donnons dès cemoment l’assaut à la ville de Priam, etc.)

Nunc iter ad regem nobis murosque latinos.Arma parate animis, et spe præsumite bellum.

. . AEneid. lib. 11 , v. 17.La route nous est &ayée jusqu’à la ville et au palais du roi des Latins: pré-

parez vos armes; qu’un uste espoir soutienne votre courage.

(Page 107. Enfants de la Grece , chantez mavictoire, etc.)

Conclamant socii, lætum pæana secuti.AEneid. lib. 1’0 , v. 738.,

Les compagnons du roi des Tyrrhéniens poussent des cris de joie; ils chan-

tent leur victoire.

I ( Ibid. Il lui fait une large et profonde plaie ,etc.)

Raptatus bigis, ut quondam , aterque cruentoPulvere , perque pedes trajectus lora mineures.

AEneid. lib. 2 , v. 272.

Tel je le vis autrefois traîné autour de nos murailles par les coursiers d’Ao

chille , une poussiere sanglante fouille sa face auguste.

(Page 108. Comme si un vaste incendie... ré-duisoit en cendres cette grande ville, etc.)

Non aliter quàm si immissis ruat hostibus omnis

Carlhago , aut antiqua Tyros, flammæque furentesCulmina perque hominum volvantur, perque deomm.

AEneid. lib. 4, v. 669.

, La douleur ne seroit pas plus extrême , si l’ennemi avoit pénétré dans car-

thage ou dans l’antique Tyr , que l’une de ces cités puissantes fût anéantie , que

la flamme s’élevât au-dessus des combles des maisons etldes temples des dieux.

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CHANT xxrr.’ 281”Confusamente si bisbigl’ra intanto

Del caso reo nella rinchiusa terra.Poi s’ accerta e divulga: e in ogni canto

Della città smarrita il romor erra

Misto di gridi e di femmineo pianto:Non altramente che se, presa in guerra,Tutta ruini; e ’l foco , e i nemici empj

Volino perle case e per li tempi.Ger. lib. c. 12,’st. 100.

Cependant le bruit du malheur de Clorinda se répand dans la ville dont lesportes sont fermées , il devient plus certain; il se divulgue de tous côtés dans

cette ville désolée: on n’entend que cris , que pleurs de femmes désespérées.

Le deuil ne seroit pas plus grand, si les ennemis s’étoient emparés de cettegrande cité,.qu’ils l’eussent incendiés; si le fer et la flamme répandoient la

consternation et l’effroi dans toutes les maisons , dans tous les temples.

(Ibid. Il veut sortir pour implorer la pitié d’A-

chille ; il se roule dans la poussiere, etc.)Ma tutti gli occhi Arsete in 5è rivolveMiserabil di gemito ed’ aspetto.

Bi, come gli altri , in lagrime non solve pIl duol, che troppo è d’ indurato ailetto;

Ma i bianchi crini suoi d’ immonda polve

Si sparge e brutta, e fiede il volto e’l petto.Ger. lib. c. 8, st. 74.

Mais le vieux Arsetès attire sur lui tous les regards: il ne verse point delarmes comme tous les autres; son deuil est trop grand , sa douleur trop p10-fonde; une poussiere immonde souille ses cheveux blancs , il meurtrit et sesjoues et sa poitrine.

(Page 1 10. L’affreuse nouvelle n’est point en-core parvenue aux oreilles de la veuve d’Hector,’

etc.) I4- 36

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282 IMITATIONS.Intereà pavidam volitans pennata per urbeniN uncia fama ruit , ma trisque adlabitur aurasEuryali: ac subitus miseræ calor ossa reliquit ,Excussi manibus radii , revolutaque pensa.

Evolat infelix , et fœmineo ululatu , jScissa comam , muros amens atque agmina cursuPrima petit: non illa virûm , non illa pericli,Telorumque memor; cœlum dehinc questibus implet:Hunc ego te, Euryale, aspicio?....

AEneid. lib. 9 , v. 473.L’aEreuse nouvelle ne tarde pas à se répandre dans la ville effrayée; la re-

nommée l’y porte d’un vol rapide; elle parvient aux oreilles de la mere d’Eu-

ryale. Froide, inanimée, succombant à sa douleur, les fuseaux échappent deses mains; le métier sur lequel elle travaille est renversé: désolée , poussant des

hurlements amen: , déchirant ses cheveux , elle vole sur la muraille; ni la fouledes guerriers , ni le fracas des armes , ni le péril , ne retiraient; ses cris s’éle-

vent jusqu’aux nues: Est-ce toi, ô mon cher Euryale?

(Page 111. Plongeant sur la plaine , elle voitHector que les coursiers d’Achille entraînent aux

vaisseaux , etc.)Tosto ch’ entraro , e ch’ ella loro il viso

Vide di gaudio in tal Vittoria privo;Senz’ altro annunzio sa, senz’ altro avviso,

Che Brandimarte suo non è più vivo.

Di cio le resta il cor cosi conquiso ,E cosi gli occhi hanno la luce a schivo ,E cosi ogn’ altro senso se le ferra,

Che , corne morta , andar si lascia in terra.

Al tornar de lo spirto , elle a le chiomeCaccia le mani; ed a le belle gote ,

Indarno ripetendo il caro nome ,

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CHANT xxrr. 283Fa danno , ed onta , più che’far lor puote;

Straccia i capelli , e sparge; e grida, corneDonna talor, che ’l demon rio percuote;

0 corne s’ ode , che già a suon di corno

Menade corse , ed aggîrossi interne.

Orl. fur. c. 43 , st. 157 et 158.

A peine sont-ils entrés (Astolfe et les siens), que , sans autre nouvelle , sans

qu’il soit besoin de lui annoncer son malheur, (Fleurdelis) juge à leur tris-

tesse dans une telle victoire, que son Brandimart a perdu la vie. Une douleurprofonde s’empare de son cœur, la lumiere se dérobe à ses yeux, elle perd le

sentiment: inanimée et comme morte, elle tombe à la renverse. A peine a-t-elle repris ses esprits , que répétant en vain le nom de son amant, elle arra-

che ses cheveux et meurtrit ses belles joues; les tresses nombreuses de sa ion.gue chevelure , détachées par ses mains, couvrent la terre; ses cris sont aussiperçants que ceux d’une femme possédée du démon, ou que les cris des Mé-

nades lorsqu’elles s’empressent autour du cor dont le son a frappé leurs oreilles.

Du héros expirant la jeune et tendre amante,

Par la terreur conduite, incertaine, tremblante ,Vient d’un pied chancelant sur ces funestes bords:

Elle cherche; elle voit dans la foule des morts ,Elle voit son époux: elle tombe éperdue;

Le voile de la mort se répand sur sa vue:

Est-ce toi, cher amant? Ces mots interrompus,Ces cris demi.formés ne sont point entendus:

Elle rouvre les yeux; sa bouche presse encore ,Par ses derniers soupirs , la bouche qu’elle adore;

Elle tient dans ses bras ce corps pâle et sanglant,Le regarde , soupire, et meurt en l’embrassant.

Henriade , ch. 8.

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.284 IMITATIONS.’

CHANT XXIII.(PAGE 1 17. Montés sur leurs chars, ils font troisfois le tour de la tente du fils de Pélée’, où repose

le corps de Patrocle, etc.)Ter circum accensos , cincti fulgentibus armis,Decurrêre rogos: ter mœstum funeris ignemLustravere in eqnis , ululatusque 0re dedere.Spargitur et tellus lacrymis , sparguntur et arma:It cœlo clamorque virûm, clangorque tubarum.

AEneid. lib. 1 1 , v. 188.Trois fois l’infanterie couverte d’armes étincelantes , trois fois la cavalerie

fait le tour des bûchers enflammés: leurs cris percent la nue; la terre, imbibée

de leurs larmes , est couverte d’armes éparses ; les sons lugubredee la trompette

s’unissent aux cris perçants des guerriers.

(Page 120. En ce moment l’ombre de l’infor-tuné Patrocle s’offre à sa vue , etc.)

In somnis ecce ante oculos mœstissimus Hector

Visus adesse mihi, largosque effundere fletus.

i AEneid. lib. 2, v. 2’70.En ce moment Hector , l’ame percée d’une douleur profonde, m’apperçoit

en songe; des larmes ameres coulent de ses yeux.

Ed ecco , in sogno, di stellata vesteCinta , gli appar la sospirata arnica:Bella assai più; ma lo splendor celeste

L’orna, e non toglie la notizia antica.

E, con dolce atto di pietà , le meste

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CHANT XXIII. 285Luci par che gli asciughi, e cosi dica:

Mira corne son bella e corne lieta,Fedel mio caro, e in me tuo duolo acqueta.

Ger. lib. c. 12, st. 91.Cette tendre amie , pour laquelle il soupire , lui apparoit en songe : une tuni-

que étoilée la couvre; sa beauté s’est accrue , mais non au point de l’empêcher

de la reconnaître. Il lui semble qu’émue d’une tendre pitié, elle seche ses

pleurs , et lui parle ainsi: O mon fidele ami , vois comme je suis belle, commeje suis joyeuse; que ma félicité serve à calmer les transports de ta douleur.

Gofhsedo, non m’ accogli? e non ragione

Al fido amico? or non conosci Ugone 3

, Ger. lib. c. 14 , st. 5.

I Codefroi , tu ne me reconnois pas? est-il concevable que tu ne reconnoissespas ton fidele compagnon? tu ne reconnois pas Ugon?

(Ibid. Hâte-toi d’enfermer mon corps dans la

tombe, pour me donner accès dans le palais de

Pluton, etc.) 1Nec ripas datur horrendas , nec rauca fluentaTransportare priùs, quam sedibus ossa quierunt.

AEneid. lib. 6, v. 327;

Le Destin ne permet pas que les morts dont les os ne reposent pas dans lesdemeures qui leur sont destinées , traversent les courants sonores de ces rapi-des torrents.

Eripe me his , invicte , malis: aut tu mihi terramInjice , namque potes, portusque require velinos:Aut tu , si qua via est, si quam tibi diva creatix

Ostendit............Da dextram misero, et tecum me tolle per undas ,1Sedibus ut saltem placidis in morte quiescam.

AEneid. lib. 6, v. 365.

invincible Énée, délivre-moi des tourments que j’endure: recherche le port

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286 IMITATIONS.de Veline; enferme mon corps dans la tombe; car tu en as le pouvoir: ou si ladéesse ta mere t’a fait connaître quelque autre moyen de soulager mes ennuis. ..

prête-moi une main secourable; donne-moi accès avec toi dans la fatale barque,pour qu’au moins je repose sur l’autre rive dans une mort calme.

l (Page 121. Qu’une même urne renferme et nos

cendres et nos os , etc.)Et me consortem nati concede sepulcra.

AEneid. lib. 10 , v. 906.Permets qu’un même sépulcre enferme les cendres de mon fils et les miennes.

(Page 122. Il dit, et s’efforce de le serrer dansses bras, etc.)

Ter conatus ibi colla dare brachia circum;Ter frustra comprensa manus effugit imago.

AEneid. lib. 2 , v. 792. 6, 700.

Trois fois je fais effort pour la serrer dans mes bras , trois fois l’image tram-I

pense échappe à mes embrassements.

Gli stendea poi con dolce arnica affettoTre fiate le braccia al colla intomo;E tre Hâte invan Cinta l’ immago

F uggia , quai leve sogno , ad aer vago.

Ger. lib. c. 14, st. 6.Trois fois (Godefrol) étend les bras pour lui prodiguer de tendres caresses;

trais fois l’ombre échappe à ses embrassements , semblable à un songe ou à un

air léger.

(Page 123. Ils partent, armés de cognées tran-

chantes , etc.)Itur in antiquam sylvam , stabula alta ferarum :,Procumbunt piceæ: sonat icta securibus ilex,Fraxineæque trabes: cuneis et fissile robur

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CHANT xxrrr. 287l

Scinditur: advolvunt inge’ntes montibus ornas.

AEneid. lib. 6, v. 179.Pénétrant dans la forêt antique , la retraite des bêtes fauves, ils abattent les

pins , les bois résineux : l’yeuse et le frêne retentissent des coups de cognée; les

coins, enfoncés par de lourds marteaux, triomphent de la dureté du chêne;

les armes sont roulés du sommet des montagnes.

-( Page 124. Montés sur leurs chars, les héros etleurs écuyers précedent la pompe funebre, etc.)

Turn mœsta phalanx Teucrique sequuntur,Tyrrheuique duces , et versis Arcades armis.

AEneid. lib. 1 1 , v. 92.

La phalange troyenne versant des larmes ameres , les chefs tyrrhéniens , lesArcadiens en deuil , portant leurs armes renversées , ferment la pompe funebre.

(Page 125. Le soleil eût achevé sa carriereavant que leurs larmes eussent tari, etc.)

Neque avelli possunt, nax humida donecInvertit cœlum stellis fulgentibus aptum.

AEneid. lib. 1 1 , v. 201.Ils n’en peuvent être séparés , que la nuit ne couvre le ciel de son voile som-

bre , que les éloiles ne brillent sur la voûte éthérée.

(Page 126. Les ministres des funérailles enle-vent le corps de Patrocle , etc.)

Fit gemitus: tum membra taro defleta repanunt ,Purpnreasque super vestes, velamina nota ,Conjiciunt. Pars ingenti subiere feretro,Triste ministerium; et subjectam more parentumAversi tenuere facem: congesta cremanturThurea dona, dapes , fusa crateres olive.

AEneid. lib. 6 , v. 220;

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288 IMITATIONS.’De profonds gémissements se font entendre: l’ayant ainsi pleuré, ils le pla-

cent (.Misenus) sur le lit funebre, entassent sur son corps de pompeux vête-ments , ces voiles qui lui furent connus. Des hommes , chargés de ce triste mi-nistere , portant dans leurs mains des torches enflammées , détournant la vue,selon l’antique usage de nos peres , saulevent le brancard, le posent sur le bû-I

cher. L’encens , de précieux aromates , l’huile enfermée en de vastes crateres ,

sont versés sur le bûcher, et consumés par le feu.

(Ibz’d. S’inclinant avec respect, il verse l’huile

et le miel, etc.)Inferimus tepido spumantia cymbia lacte ,

Sanguinis et sacri pateras; animamque sepulcroCondimus , et magnâ su premùm voce ciemus.

I AEneid. lib. 3 , v. 66.Un lait écumant et le vin contenu en de vastes crateres est versé par nos

mains sur la tombe; appellant Polydore à grands cris , nous enfermons sesmânes dans le sépulcre.

Salemnes tum fortè dapes, et tristia donaAnte urbem , in luco , falsi Simoëntis ad undam,

Libabat cincti Andromache, manesque vacabatHectoreum ad tumulum , viridi quem cespite inanem ,’Et gemmas, causam lacrymis , sacraverat aras. I

AEneid. lib. 3,1: 3o .Dans un bois voisin de la ville , près de l’onde d’un faux Simoïs ,et d’un

cénotaphe de verd gazon que ses mains ont élevé, au pied de deux autels

qu’elle arrose de ses larmes, Andromaque fait des libations solemnelles auxmânes d’llectar qu’elle appelle à grands cris.

Hic duo ritè mero libans carchesia baccho

Fundit humi , duo lacte nova , duo sanguine sacra;

Purpureosque jacit flores, .AEneid. lib. 5 , v. 77.

Deux crateres remplis de vin , deux de lait frais , deux de sang , dont les pre-mieres libations ont été épanchées sur la terre , suivant le rit accoutumé , sont

posés par ses mains sur le sépulcre d’Anchise; des fleurs pourprées sont répan-

dues sur la tombe, etc.

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CHANTxxrrr; 289.Vinaque fiindebat pateris , animamque vocabatAnchisæ magni , manesque Acheronte remisses.

AEneid. lib. 5, v. 98.Le vin contenu dans l’urne sacrée est versé sur la terre; il appelle à grands

cris les mânes d’Anchise; il l’invite à repasser les courants de l’Achéran.

(Ibid. Il s’élance sur les douze valeureux enfants

des plus illustres d’entre les Troyens , etc.)Vinxerat et post terga manus, quos mitteret umbrisInferias, cæso sparsuros sanguine Hammam.

AEneid. lib. 11, v. 81: lLes huit captifs, dont le sang doit être versé-sur le bûcher de Pallas, les

mains liées deniere le dos , suivent la pompe funebre.

(Page 127. Reçois mes adieux, ô mon cher Pa-trocle , etc.)

Salve , sanete parens; iterùm salvete , recepti

N-equicquam cmeres, animæque umbræque paternæ.

’ AEneid. lib. 5, v. 80.Ô mon pere! reçois mon hommage; cendres d’Anchise , mânes de mon pere,’

ombre d’Anchise , recevez mon hommage.

Salve æternùm mihi, maxime Palla ,’

AEternùmque vale.

, ’ AEneid. lib. l l ; V.Adieu, ô mon cher Pallas; reçois mes éternels adieux.

Giunto alla tomba , ove al sua spirto vivo

Dolorosa prigiane il ciel prescrisse;Pallida , freddo, muta, e quasi privaDi movimento, al marmo gli occhi affisse.Alfin , sgorgando un lagrimoso riva,In un languido oimè proruppe , e disse:

O sassa amato ed onorato tanto ,Che dentro hai le mie flamme , e fuori pianto.

Ger. lib. c. 12, st. 96.

4. 37

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290 IMITATIONS.iParvenu à cette tombe , affreuse prison où l’ordre du ciel a renfermé l’aine.

immartelle de son amante , pâle, froid , muet, et comme privé de mouvement ,

il (Tancrede) fixe ses yeux égarés sur ce marbre insensible; à la fin un terrent

i de larmes se fait jour: Malheur à moi! s’écrie-t-il; marbre cher à mon cœur, à.

qui je rendrai d’éternels honneurs, tu renfermes l’objet de ma flamme; je ne

cesserai de t’arroser de mes larmes.

l (Page 131. Ils éteignent avec le vin les cendresfumantes, qui s’affaissent, n’étantplus soutenues

par la flamme æ,etc.)Postquàm collapsi cineres , et flamma quievit ,

Relliquias vina , et bibulam lavera favillam :

Ossaque lecta cade texit Chorinæus ahena.AEneid. lib. 6, v. 226.

V Quand la flamme est éteinte , que les cendres sont affaissées , ils assemblent

les os , et les arrosent de fréquentes libations de vin: Chorinée les enfermedans un vase d’airain.

(Ibid. Apportés de ses vaisseaux, les prix sontexposés à la vue de tous, etc.)

Munera principie ante oculos , circaque locanturIn media , sacri tripodes, viridesque coronæ,

l, Et palmæ , pretium victoribus; armaque, et astre

Perfiisæ vestes , argenti aurique talenta. .AEneid. lib. 5, v. 109.

Les prix sont exposés au milieu de l’arene; des trépieds sacrés , des couron-

nes , des palmes destinées aux vainqueurs, des armes, des tuniques de pourpre,une immense quantité d’or et d’argent.

(Page 186. Tous les fouets sont levés , tousabaissés au même instant, etc.)

Non tain præcipites bijugo certamine campum. Corripuere, ruuntque effusi carcere currus:

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CHANT XXIII. 291’-Nec Sic immissis aurige: undantia loraConcussere jugis, pronique in verbera pendent.

AEneid. lib. 5, v. 144;

- La molle arene fuit avec moins de rapidité de dessous les pas de deux cour.siers agiles , attelés à un même char, qui s’élancent dans la carriere, animés par

leurs conducteurs inclinés sur leur das , dont les mains agitent les rênes flot-I

tantes , qui tiennent le fouet suspendu sur les larges épaules de leurs coursiers.

(Ibid. Tantôt ils s’élancent...sans ébranler leurs,

hardis conducteurs dont l’ame flotte entre l’espé-

rance et la crainte , etc.)Nonne vides, cùm præcipiti certamine campumCorripuere , ruuntque effusi carcere currus?Cùm spes arrectæ juvenum , exsultantiaque haurit

Corda paver pulsans? Illi instant verbere torte ,Et proni dant lora; volat vi fervidus axis:Jamque humiles , jamque elati sublimé videntur

Aëra par vacuum ferri, atque assurgere in auras.Nec mora , nec requies: at fulvæ nimbus arenæTollitur; humescunt spumis flatuque sequentûm.Tantus amer laudum, tantæ est victoria curæ!

Georg. lib. 3 , v. 103.

Porte tes regards sur les combats du cirque; vais les chars s’élancer dans la

carriers: courbés sur les guides qu’ils manient avec adresse , de jeunes héros at--

tendent le signal; leurs cœurs flottent entre l’espérance et la crainte; tous lesfouets sont levés, tous abaissés au même instant: l’aissieu s’enflamme par la

rapidité de leur course: tantôt ils rasent la terre; et bientôt après s’élevant dans

l’air, ils semblent voler. Les conducteurs accroissent l’ardeur des coursiers; un

nuage épais de paussiere les environne; leurs bouches écument, leurs flancssont couverts de sueur; l’haleine des athletes qui les suivent est imprégnée sur

leurs des: tant l’ardeur de la gloire les transporte! tant le desir de la victoireles enflamme!

I Considunt translris, intentaque brachia remis

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292 IMITATIONS.’Intenti exspectant signum: exsultantiaque hauritCorda paver pulsans , laudumque arrecta cupide;

AEneid. lib. 5, v. 136.

, Les matelots prennent place sur leurs bancs; courbés sur les rames, les bras

tendus , ils attendent le signal; un violent desir de gloire les enflamme; leurscœurs flottent entre l’espérance et la crainte.

(Page 137. Une vive douleur s’empare de l’ame

du vaillant Diomede, etc.)Tum vero exarsit juveni doler ossibus ingens,Nec lacrymis caruere genæ. . . .

AEneid. lib. 5, v. 172:Une vive douleur enflamme l’impétueux Gyas; les larmes baignent ses joues.

( Page 138. Volez. disputez la victoire; nonaux coursiers du fils de Tydée, etc.)

Non jam prima peto Mnestheus , neque vincere certo:

Quamquam ô Sed supereut , quibus hoc, Neptune,dedisti.

Extremos pudeat rediisse: hoc vincite , cives ,Et prohibete nefas.

AEneid. lib. 5, v. 194.Je n’eSpere pas la victoire. Si cependantl... Mais que ceux-là vainquent, à

qui tu l’accordes , ô Neptune; ayons honte d’arriver les derniers: épargnez-moi

cet affront, je vous en conjure, ô mes concitoyens!

(Page 14a. L’un des coursiers du vainqueur est

remarquable par la couleur de son poil, etc.)

. Quem thracius albisPortat equus bicolor maculis , vestigia primi

Alba pedis , frontemque ostentans arduus albam.AEneid. 111. 5, v. 565.

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CHANT xxrrr: 293Un coursier de Thrace , bai brun , tacheté de blanc , s’enorgueillit du fardeau

qu’il porte; ses pieds sont blancs; une étoile blanche brille au milieu de son

front.

(Page 143. Le fils d’Atrée ne laisse plus entre

lui et son rival que le court espace , etc.)Quo deinde sub ipso

Ecce volat, calcemque terit jam calce Diores ,Incumbens humera: spatia et siplura supersint,Transeat elapsus prior, ambiguumve relinquat.

AEneid. lib. 5, v. 324:

Élymus court après lui; Diarès est si près d’Elymus , qu’il semble le porter

sur ses épaules; les traces de leurs pas se confondent: si la carriere eût été plus

longue, il l’eût devancé, il eût du mains laissé la victoire incertaine.

(Page 148. O vieillard... conserve cette coupeen mémoire des funérailles de Patrocle, etc.)

Lætum amplexus AcestenMuneribus cumulat magnis , ac talia fatu’r:

Sume, pater; nam te voluit rex magnus Olympi 4Talibus auspiciis exsortem ducere honorem.Ipsius Anchisæ longævi hoc munus habebis ,

Cratera impressum signis , quem Thracius olimAnchisæ genitari in magna munere Cisseus

Ferre sui dederat monimentum et pignus amatis.AEneid. lib. 5 , v. 531.

Embrassant le vieil Aceste dont le cœur nage dans la joie , il le comble deriches présents: Ô mon pere, lui dit-il, accepte ces dans qui te sont offerts parmes mains: le dieu qui regne sur l’Olympe n’a pas permis que tu demeurasses

confondu dans la foule des vulgaires athletes. C’est Anchise lui-même qui te

fait présent de cette coupe que le Thracien Cisséus lui donna autrefois, comme

un gage et un monument de sa tendre amitié.

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294 I’MITATIONS’.( Page 15a. Que deux athletes courageux se

disputent la victoire dans le périlleux combat duceste , etc.)

Nunc , si cui virtus , animusque in pectore præsens ,Adsit , et evinctis attollat brachia palmis.

AEneid. lib. 5, v. 363.Maintenant, s’il est quelqu’un qui se confie assez dans la force de son bras;

dans son intrépide valeur, pour hasarder le périlleux combat du ceste, qu’il

paroisse.

(Page 155. Ajax fils de Thélamanetl’industrieux

Ulysse... se serrent de leurs bras nerveux, etc.)Rodomonte pieu d’ ira e di dispetto ,

Ruggier nel colla , e ne le spalle sprende;Or la tira , or la spinge , or sopra il pettoSollevato da terra la sospende;Quinci, e quindi la ruota , e10 tien strette,E pet farla cadet malta contende.Ruggier stà in se raccolto , e mette in opta

Senne, e valet, pet rimaner di sopra.

Tante le prese ando mutando il franco ,E buen Ruggier, che Rodomonte cinse ,Calcogli il petto su ’l sinistre fiance ,

E Con tutta sua forza ivi la strinse ,

La gamba destra a un tempo innanzi al mancaGinocchio, e a 1’ altro attraversagli , e spinse;

E da la terra in alto sollevollo,E con la testa in giù steso tornollo.’

Del capa , e de le chierie RadomonteLa terra itnpresse , e tal fu la percossa ,

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CHANT xxrir.’ 295Che de le piaghe sue, came da fonte,Lungi anda il sangue a far la terra rossa.

Orland. fur. c. 46, st. 133, 134 et 135.j Radomant , plein de haine et d’orgueil, saisit Roger au cou et à l’épaule; il

le tire à lui, le serre , le souleve , comprime sa poitrine , le retourne de l’un etde l’autre côté , s’efforce de l’abattre. Roger se rassemble , emploie et la ruse et

la force pour tenir. ferme; changeant de côté , il s’empare de Rodomont , le;

presse , imprime son pied sur le flanc gauche de son rival , fait effort pburl’étouffer: appuyant la jambe droite sur le gamin gauche , il l’embrasse, le

souleva , le retourne , le renverse , le fait choir sur la tête. La chûte est si vio-lente , que l’échine demeure imprimée sur l’arene ; le sang qui jaillit à gras bouil-

lons de la plaie ouverte dans le front de l’ennemi terrassé , ruisselle sur la ter’re.

)

(Page 54. Cessez...cette lutte dangereuse, etc.)Tum pater AEneas , procedere longiùs iras ,

Et sævire animis Entellum baud passus acerbis:Sed finem imposuit pugnæ. ..

AEneid. lib. 5, v. 461.Énée ne souffre pas que Darès demeure plus long: temps en butte à la fureur

d’Entellus , il met fin au combat.

(Ibid. Achille propose les prix qu’il destine auxathletes dans la course légete , etc.)

Hic qui forte velint rapida contendere cursuInvitat pretiis animas , et præmia ponit.

p AEneid. lib. 5, v. 291..Arrivez, dit-il , ô vous que l’espoir d’une honorable récompense invite à dia

puter le prix à la course légere, et le reste de ce morceau.

(Page 156. Le sang et la poussiete emplissentsa bouche et ses narines , etc.)

Et simul his .dictis, faciem ostentat, et udoTurpia membra fimo.

AEneid. 111). 5, v. 367;

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296 IMITATIONs.Il dit , et montre et sa face et ses membres nerveux que défigurent le sang et

la boue dont ils sont couverts.

(Page 160. L’acier poli sera la récompense des

athletes savants dans l’art de décocher la flechelégere , etc.)

Pratinùs AEneas céleri certare sagittâ

Invitat qui forte velint, et præmia ponit.AEneid. lib. 5 , v. 485.

Aussitôt Énée invite les athletes à se disputer la victoire dans l’art de dév

pocher la fleche légere: il expose les prix: et le reste de ce morceau.

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CHANT XXIV.-(Puis 166. C’est ainsi qu’elles punissent le mé-

pris que le berger Pâris fit de la beauté des deuxdéesses. )

Manet altâ mente repostum

Judicium Paridis, spretæque injuria formæ.AEneid. lib. 1, v. 27.

Elle garde un profond souvenir du jugement de Pâris , et du mépris de sabeauté.

(Page 168. A la vue de cette honteuse et inutilevengeance qu’il exerce sur une terre insensible ,1

etc.)O d’ immense dalot varia conforta ,

Incrudelit nell’ insensibil terra!

Ger. lib. c. 9, st. 88.Vaine consolation d’un deuil immense; exercer une cruelle vengeance sur

une terre insensible!

(Page 174. Un deuil affreux regne dans la vasteenceinte de l’auguste demeure des rois , etc.)

Jam veto in tectis prædivitis urbe LatiniPtæcipuus fragor, et longi pars maxima lnctûs.

Hic mattes, miseræque nutus, hic cara sororumPectora mœrentûm , puerique parentibus orbi ,

Dimm exectantur bellum , Turnique hymenæos,-

p AEneid. lib. 11 , v, 213.La désolation et le deuil regnent sur-tout dans le palais et dans l’opulente

cité du roi Latinus; des meres privées de leurs fils, des veuves désolées , des

sœurs pleurant la mort de leurs fteres , des enfants orphelins murmurent haute-

4. - 38

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298 IMITATIONS.ment contre cette guerre, source de leurs infortunes , et maudissent le fatalhymen de Tumus.

i (Page 183. Il dit. Docile aux ordres de J upiter,’le messager des dieux, etc.)

111e patris magni parere parabal:

Imperio: et primùm pedibus talaria nectitAurea; quæ sublimem alis , sive æquora supra,

Seu terram , rapido pariter eum flamine portantTum virgam capit: hâc animas ille evocat Orco

Pallentes; alias sub tristia Tartara mittit.AEneid. lib. 4 , v. 238.

Ces vers sont la traduction littérale de ceux d’Homere.

(Page 192. Les heureux immortels ont fait lesdouleurs le partage de l’humanité, etc.)

Mais parmi tant d’honneurs , vous êtes homme enfin;

Tandis que vous vivrez, le sort, qui toujours change ,Ne vous a point promis un bonheur sans mélange.

Racine, Iphigénie, act. 1, se. I.

(Page 201. En ce moment, l’aurore étend sonvoile de pourpre sur la terre , etc.)

Et jam fama volans, tanti prænuucia luctûs ,

Evandrum , Evandrique domos, et mœnia complet;Quæ modô victorem Latio Pallanta ferebat. .

Arcades ad portas ruere....AEneid. lib. l I , v. 139.

Cette même renommée qui portoit la joie dans la ville d’Évandre par le récit

des victoires de Pallas, y répand la consternation et le deuil. Les Arcadiensaccourent en foule aux portes de la cité.

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CHANT XXIV.. 299(Page 202. Pressant de ses mains la tête d’Hec-

tor, etc.)A questo la mestissima IsabellaDeclinando la faccia lacrimosa ,

E congiungendo la sua bocca a quellaDi Zerbin , languidetta corne rosa ,Rosa non colta in sua stagion , si ch’ ella

Impallidisca in su la siepe ombrosa;Disse: Non vi pensate già, mia vita ,Far senza me quest’ ultima partita.

Orl. fur. c. 24, st. 8o.. La triste Isabelle , inclinant sur le visage de son amant ses joues baignées de

larmes, appliquant ses levres mourantes sur les levres glacées de Zerbin, lan-guissante comme une rose , comme une rose qu’on a cueillie avant qu’elle fût

épanouie , qui pâlit sous la haie qui l’ombrage , sécrie: O mon unique vie, as-

tu pensé faire sans moi ce dernier voyage?

(Ibid. Ô mon époux... tu meurs dans la fleur del’âge, etc.)

Hunc ego te, Euryale , aspicio? tune illa senectæSera meæ requies? potuisti linquere solam ,Crudelis? nec te sub tanta pericula missumAiÎari extremum miseræ data copia matri?

AEneid. lib. 9 , v. 481 .

Est-ce toi, ô mon cher Euryale , toi, la consolation de mes vieux ans?Cruel! tu m’abandonnes? prêt à aiIronter de tels dangers , ta mere n’a pu te

dire un dernier adieu?

FIN DU TOME QUATRIÈME.

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TABLE.CHANT XIX. Achille appaise son courroux, et sevprépare à se«

courir les Grecs. Page 7CHANT XX. Dispute entre les immortels. Jupiter protege les

Grecs. 29CHANT XXI. Combat d’Achille près des rives du fleuve. 55CHANT XXII. Hector poursuivi par Achille fait trois fois le tour

des murs de Troie, et tombe sous les coups du fils de Pélée. 85

CHANT XXIII. Funérailles de Patrocle, terminées par les combats

du cirque. Prix distribués aux vainqueurs par Achille. 1 15CHANT XXIV. Priam paye à Achille une riche rançon et obtient

le corps d’Hector. 165Notes littérales et historiques. 207Notes géographiques. 244Imitations d’Homere par les principaux poètes latins, italiens, fran-

çois et anglois. 249

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PAGE

ERRATA.TOME PREMIER:

6, ligne 22. Calcas , fils de Nestor, lisez fils de Thestor.46 , ligne 4. Agamemnon remet en ses mains , lisez aux mains d’Uo’

lysse.

64 , ligne 21. Sthelenus, lisez Stenelus.

78 , ligne 9. Lithus , lisez Léthus , ajoutez guident ces peuples aucombat.

1 20 , ligne 20. Par ces paroles , lisez par ses paroles.

123 , lignes 11 et 12. Qui marchent sans vos pas, lisez sur vos pas.141 , ligne 7. Odius, lisez Hodius.

Notes littérales et historiques.

228 , ligne 2. Cenée, lisez Kenée.

229 , ligne 9. D’assoupir les chevaux, lisez d’assouplir.

Notes géographiques.

283 , ligne 2. Situé , lisez située.

306 , ligne 25. Philius , lisez Philias.332 , ligne 24. Qui porte à présent le nom de Calydon, lisez Calydoniet

341 , ligne 2. Crapathos, lisez Carpathos. n365 , ligne 22. L’Adraste, lisez l’Adrastée.

Imitations.

388 , ligne 7. Ajoutez échauffe mon esprit, éclaire mes chants.

393 , ligne 18. Par le vin , lisez du vin.408, ligne 15. Des restes sacrés d’un festin , lisez sucrés.

442 , ligne 23. Énée se leve , lisez Tumus.

Ibid. ligne 24. Tumus.457 , ligne 18. Hélas! je m’en souviens , lisez il m’en souvient.

T O M E I I.90 , ligne 23. De ses biens immenses , lisez de biens immenses.

28° , ligne 5. Déja , lisez delà.

Ibid. ligne 22. Pour épier leur conseil , lisez leurs conseils;

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Paon

TÔMEIIL16 , lignes 22 et 23. L’arrachant avec effort, lisez l’arrache:

260 , ligne 22. Une bête de troupeau d’Amisodarus , lisez du troupeau. ’

Imitations.

32° , ligne 38. Qu’on rend , fiez qu’on: rende.

322 , ligne 7’. Nymphe , lisez O nymphe!

"’ TOMEIv .63 , ligne 1 . Ses entrailles déchirées, lisez les entrailles.

104 , ligne 5. Et il détache, lisez et détache. V J1153 , ligne 24. La navette qu’une femme industrieuse, etc:

Plus littéralement :

Telle la navette, partant du sein d’une jeune beauté , parcourela trame qu’elle tend avec ses mains pour la lustrer , et revienttoucher le sein de l’industrieuse ouvriere qui l’a lancée.

.N. B. Que les métiers n’étant pas connus , les femmes étoient

obligées de tendre la trame d’une main , tandis que de l’autre

elles faisoient voler la navette.

Notes littérales.

221 , ligne 6.Madame Dacier lit immun, corrigez, 4’an Magma.

Imitations.

256 , ligne 12. Dilivit , lisez desilit.281 ,ligne 14. Qu’ils l’eussent incendiés, lisez incendiée.

288,1igne 21. Lib. 3, v. 30, lisez v. 391.