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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon 1/145 Université Paris VIII-Saint Denis Département de science politique, Mémoire de Master 1 de sociologie politique Jeudi Noir, ou les « nouveaux » militants Simon Cottin-Marx (numéro d’étudiant) 238563 [email protected] Sous la direction de M. Michel Vakaloulis 2007/2008 Soutenu le 26 mai 2008

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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Université Paris VIII-Saint Denis

Département de science politique,

Mémoire de Master 1 de sociologie politique

Jeudi Noir, ou les « nouveaux » militants

Simon Cottin-Marx (numéro d’étudiant) 238563

[email protected]

Sous la direction de M. Michel Vakaloulis

2007/2008 Soutenu le 26 mai 2008

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Remerciements –sans ordre d’importance.

A la bulle immobilière qui m'a permis de rencontrer les militants de Jeudi Noir.

Aux militants de Jeudi Noir qui m'ont permis de les observer, de les critiquer, et donné envie de m'engager.

A mes parents qui m'ont permis, et aidé à faire ce mémoire.

Aux professeurs de Paris 8 pour leurs conseils et leurs aides, notamment Catherine Achin, Myriam Aït-Aoudia, Damien de Blic, et Michel Vakaloulis.

Aux professeurs de Lyon 2 qui m'ont donné envie d'aller à Paris, et d'étudier les mouvements sociaux. Sophie Beroud, David Garibaye, Camille Hamidi, Laetitia Overney.

A Clémence et Sophie Pène.

Enfin à D.B. dont je tais le nom, mais dont je donne les initiales, un grand révolutionnaire.

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Post-face

Faute de temps et de moyens, nous ne pourrons ici nous intéresser

essentiellement qu’à la forme que prend le militantisme dans Jeudi Noir. Malgré moi,

l’analyse ne sera pas aussi large que je l’envisageais au départ, notamment en

laissant de côté l’étude des « leaders » qui nécessiterait un travail sur le parcours

biographique des acteurs. Sans avoir travaillé sur le leadership, je ne me suis pas

moins intéressé aux militants-ressources, aux militants les plus actifs.

L’ethnographie, tout comme l’analyse, s’intéresse surtout à ce groupe, et mets en

partie de côté le militantisme des personnes moins actives.

Les causes structurelles du développement de ce type d’engagement n’ont

pas pu non plus faire l’objet du mémoire. Pourtant un travail reste à faire sur les

liens entre emplois atypiques, précarité, « néo paupérisme », « déstabilisation des

stables », « déficit de places »1, flexibilité, ascenseur sociale en panne,

déclassement : évolutions de la société actuelle et militantisme.

Un dernier point, qui me tenait à cœur, ne peut être développé ici, se sont les

rapports entre champ politique et champ militant et qui pourtant auraient enrichi le

débat sur les formes d’engagements.

De nombreux points restent à étudier, à approfondir et, riche des critiques

qu’entraîneront ce mémoire, feront je l’espère, de bons sujets de mémoire de M2.

1 Castel Robert, Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Fayard, 1995

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Introduction

-« la défense des jeunes locataires... à la sauce Jeudi Noir ! Créé en octobre 2006 par une bande de jeunes actifs en galère de logement, Jeudi Noir est un collectif qui lutte avec des confettis pour une régulation du marché de l’immobilier. Face à l’inertie des Pouvoirs Publics, nous avons décidé d’utiliser l’arme médiatique et festive pour nous faire entendre. Quasiment tous les jeunes connaissent la galère du logement, les files d’attentes pour visiter une chambre de bonne coûtant 500 euros, les pièces justificatives hallucinantes demandées aux candidats à la location, les arnaques des agences immobilières, les discriminations... Mais quoi nous défend ? Nous avons décidé de nous prendre en main, à notre manière... »2 Texte tiré d’un journal de présentation de Jeudi Noir, sorti fin 2007.

Jeudi Noir est le « collectif des galériens du logement », ses militants ont

pour but de faire, comme le dit leur slogan, « exploser la bulle immobilière ». Les

militants de Jeudi Noir politisent le sujet du logement et dénoncent la spéculation

immobilière : à Paris les prix ont été multipliés par deux en 10 ans et des

appartements de 9m² sont parfois loués 650 euros. Pour cela, la trentaine de

militants de ce collectif interpellent les médias et les politiques par des modes

d’actions que ces derniers qualifient « d’originales », de « nouvelles ». Ces

qualificatifs, se sont les médias et certains sociologues qui les en affublent. Derrière

ces mots on trouve l’idée d’une nouvelle forme d’engagement, plus festif,

spectaculaire, différente.

Faire la fête dans un bâtiment loué trop cher, ou dans une agence

immobilière proposant des appartements à louer à des prix considérés, par les

2 Journal de présentation sorti en novembre 2007

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militants de Jeudi Noir, comme indécents. Pour parler de l’impossibilité pour les

jeunes d’avoir un logement, plutôt que les cris, les pleurs, les slogans anti-

capitalistes, ils préfèrent faire la fête dans des bureaux vides. Se déguiser en

prostitué(e)s et proxénètes et manifester devant le ministère du logement qui a à sa

tête la « puritaine » Madame Boutin3. Ou encore, occuper ou réquisitionner des

immeubles vides. Ces actions très visuelles attirent les médias, et par ricochet, les

politiques. Là aussi est leur « nouveauté », c’est en faisant de la communication

qu’ils tirent de la légitimité à prendre la parole publique.

Pourtant Jeudi Noir n’existe que depuis novembre 2006, ne rassemble pas

30 000 adhérents comme l’UNEF, ni même cent, mais réellement une trentaine de

participants plus ou moins réguliers. Le collectif ressemble à un groupe d’amis, c’est

« un collectif qui n’a aucune existence légale4 », qui n’est ni une association, ni un

parti politique mais est un groupe affinitaire.

La spécificité de ce collectif est son audience médiatique et politique, elle est

importante, surdéveloppée par rapport à son investissement matériel, quantitatif ;

encore plus si l’on compare sa médiatisation à celles d’organisations bien plus

pérennes et regroupant bien plus de militants. On compte par centaines les articles

et reportages sur Jeudi Noir et le « Ministère de la Crise du Logement » dont il est

l’une des trois composantes –avec le DAL5 et MACAQ6.

On trouve des articles sur leurs activités militantes aussi bien dans des

journaux nationaux -comme le Monde, Libération, Le Figaro, Charlie Hebdo-, que

dans des journaux locaux, -le Parisien, 20 minutes, Métro-... ; aussi bien dans la

presse générale –comme le nouvel observateur ou Marianne- que dans la presse

spécialisée –comme l’Etudiant- ; aussi bien à la télévision –comme TF1, les chaînes

publiques, Canal +, M6, canal Jimmy- que sur Internet –libération.fr, Marianne 2,

multiples sites plus ou moins militants, plus ou moins alternatifs.

3 Action en réaction à l’article de Libération du 6 février 2008, «Loue studette contre pipe». 4 Entretien n°1 avec Manuel 5 Droit au logement 6 Mouvement d’Animation Culturelle et Artistique de Quartier

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Plus étonnant encore, Jeudi Noir est régulièrement sollicité par des médias

étrangers. Indiscutablement, Jeudi Noir a acquis une forme de légitimité, celle de

prendre la parole au nom des jeunes mal-logés dans l’arène publique.

Les rendez-vous avec les cabinets du Ministère du Logement, qu’il s’agisse

de Jean-Louis Borloo7 puis de Christine Boutin8 et de Valérie Pécresse9, ministre de

l’Enseignement Supérieur, montrent aussi une reconnaissance de Jeudi Noir comme

légitime sur la question du logement, particulièrement du logement des jeunes.

Le collectif Jeudi Noir, par des actions symboliques, qualitatives plus que

quantitatives –en terme de masse de personnes participantes-, a pris une place dans

l’espace publique, est devenu un interlocuteur légitimement reconnu.

Ce mémoire de recherche en Master 1 de sociologie politique a pour objet ce

collectif de militants. A partir des matériaux recueillis par une observation participante

durant la période de septembre 2007 à février 2008 nous allons nous questionner sur

le collectif Jeudi Noir, sur ce qui fait sa « nouveauté », et son succès médiatique.

La problématique qui guidera ce mémoire sera la suivante : au regard de la

forme que prend le militantisme à Jeudi Noir, avons-nous à faire à un nouveau type

d’organisation militante, où se place t’elle dans une continuité historique des luttes ?

Nous questionnerons cette nouveauté à partir de trois points : la prise de

décision, le rapport à l’engagement, et enfin le rapport aux médias et aux politiques.

Un riche débat s’est déroulé, sur la question des nouvelles pratiques

militantes, entre pragmatiques, bourdieusiens et marxistes ; il ne sera pas fait de

procès, mais une tentative de transposer ces paradigmes sur ce sujet sera réalisée.

Nous partirons des hypothèses théoriques de différents sociologues, et nous verrons

leurs pertinences face au travail de terrain réalisé.

Dans une première partie, nous ferons un retour sur la méthode et nous

présenterons une ethnographie de Jeudi Noir. Il s’agit ici de faire un retour réflexif sur

les outils méthodologiques utilisés et de présenter les matériaux recueillis sur le

7 Rendez-vous officiel, avec le ministre de la Cohésion sociale de l'Emploi et du Logement, le 3 décembre 2006 8 Rendez-vous officiel avec la ministre du logement, le 8 novembre 2007 9 Rendez-vous officiel avec la ministre de l’enseignement supérieur, le 20 novembre 2007

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collectif. La Deuxième partie sera une analyse des formes du militantisme à Jeudi

Noir. Nous nous intéresserons, dans cette partie, aux rapports au militantisme, à

l’engagement, et comment cela se spécifie dans la prise de décision. Nous

étudierons aussi leurs rapports aux médias et aux politiques.

L’hypothèse qui est faite ici, est que cette forme de militantisme n’a rien de

nouveau, qu’elle résulte de problèmes structurels et contextuels qui lui ont donnés

une importance particulière, et que la nouveauté est un artefact ayant des incidences

de légitimations politiques.

Cette hypothèse s’appuie sur plusieurs définitions sociologiques. La première est

celle de l’ « action collective » telle que la présente Michel Vakaloulis. Selon lui une

action collective est un « agir ensemble concerté qui résulte de l’exaspération

d’antagonisme sociaux et se développe dans une logique de revendications

épisodiques ou durables», définition qui ne renvoie pas simplement au pouvoir, mais

aux antagonismes sociaux, antagonismes qui ne sont pas créés par les actions

collectives, mais qui sont présents dans la société. Le collectif Jeudi Noir, est un

rassemblement de personnes qui se sont concertés pour agir en raison de

problèmes structurels : c’est sur la base de revendications matériels, le droit au

logement, et d’un problème générationnel d’accès au logement qu’ils se sont créés.

Derrière la fête il y a aussi d’importantes réflexions sur le logement et la précarité ; en

permanence des références politiques à ce problème qui les rassemble, à des

revendications concrètes comme durables10.

Certains médias et politiques parlent de « nouveaux contestataires 11», de

« nouveaux militants »12, ou encore de « nouveaux mouvement sociaux ». Ces

appellations ne font finalement pas forcement références à la perspective

tourainienne chez qui la notion de classe ne serait plus la catégorie politique

fondamentale, mais pointent par là, la forme du collectif. Cette catégorie de « NMS »

a été réappropriée par les médias. Ils entendent ici de nouvelles formes

10 Les revendications sont rassemblé dans la pétition « 10 et une propositions pour sortir les jeunes de la galère du logement », mise en ligne durant le mois de mars 2008. 11 Deux journalistes travaillant pour canal+, Alexis Marant et Delphine Vailly, ont réalisé une enquête filmographique titrée « les nouveaux contestataires » 12 Jeanneau Laurent, Lernould Sébastien, Les nouveaux militants, Les petits matins, Clamecy, 2008

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d’engagements, différente de celle passée. Elle n’est pas sans lien avec la définition

sociologique.

Derrière cette notion de « nouveauté » on retrouve selon Isabelle Sommier13 trois

idées. « L’affirmation d’un modèle d’engagement novateur », un « registre d’action

différent » des mobilisations classiques, c'est-à-dire du mouvement ouvrier. Et ces

luttes portent des contradictions potentielles entre nécessité d’une réponse

immédiate et exigences face à un horizon indéfini. Cette nouveauté pour le dire

rapidement, serait une rupture dans la forme et sur le fond avec le mouvement idéal-

type ouvrier : classiste, au répertoire d’action traditionnel –grève, manifestation-,

avec vision à long terme.

Ce que nous questionnerons ici, avons-nous à faire à des « nouveaux

mouvements sociaux ? », fait donc référence à cette catégorisation médiatique qui

définit les NMS comme nouveaux car « sexy » médiatiquement, différents des

traditionnels cortèges, mais aussi sociologique. Mais dans sa forme, le collectif Jeudi

Noir est-il nouveau ?

Avant de commencer, il reste à expliquer dans l’introduction les raisons du

choix du sujet.

Raison du choix du sujet.

Si je précise ici les raisons du choix du sujet, c’est que cela n’a pas été le fruit

du hasard. Je suis un des « étudiants » ayant pris contact avec Jeudi Noir pour avoir

un logement. J’ai postulé au « salon du logement étudiant vraiment pas cher » : un

des moyens qu’a utilisé le collectif pour se massifier en juin 2007. Si je suis allé à

Jeudi Noir c’est donc dans un premier temps par convictions, mais aussi par

nécessité, puisque personnellement confronté à la crise du logement.

Sociologue, je suis aussi militant. Mon parcours se distingue par le passage

par des organisations aussi bien associatives, syndicales, que partisanes : mais

comme nous le retrouverons chez une partie des militants de Jeudi Noir, je ne suis 13 Sommier Isabelle, le renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation.2003, Flammarion. p.32

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attaché à aucune organisation de manière durable. Si un lien peut être fait entre ces

organisations c’est leurs côtés libertaires –refus d’une hiérarchie pensée comme

arbitraire, et préférer un mode de décision horizontal-, et un engagement lâche -non-

contraignant- ; c’est ce que je recherchais en arrivant à Jeudi Noir.

En tant que sociologue j’ai recherché à objectiver au maximum mon analyse,

les biais seront présentés dans la première partie, le retour sur la « méthode ». Je

tiens à préciser que je n’ai rien à gagner politiquement, que ce mémoire n’a pas pour

but de mettre en valeur un individu, ni une organisation, mais a pour but de présenter

un collectif que beaucoup présentent comme original, voir exemplaire14. S’il y a une

volonté politique elle est attachée à l’intérêt sociologique : il s’agit de participer et

d’enrichir le débat scientifique et politique sur les formes de l’engagement.

Le choix du sujet résulte d’un rapport aux valeurs, la neutralité axiologique

prônée par Weber est en partie laissée de côté. Si j’ai observé, puis étudié Jeudi Noir

c’est en raison de choix politiques exposés plus haut ; ceux-ci sont indissociables de

l’analyse portée ici. Des efforts importants d’objectivation ont été faits, mais il me

semble impossible d’affirmer la neutralité axiologique du chercheur : elle est

impossible car sacrifiée au moment même du choix du sujet.

Ce mémoire est donc à lire avec le rapport particulier du chercheur à la

mobilisation.

Malgré tout il ne s’agit pas d’un travail journalistique, ni militant. Les outils

utilisés sont sociologiques, tout comme l’observation et l’analyse. Pour commencer,

nous allons opérer cette rupture épistémologique nous allons laisser la place à la

première partie de ce mémoire : « méthodes et ethnographies »

14 Pour prendre un exemple, rencontre informelle où une élue de l’UNEF déclare « prendre exemple des méthodes d’actions de Jeudi Noir ». Une élue du MJS, elle aussi, s’enthousiasme pour les méthodes d’action face aux résultats médiatiques.

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Partie 1. Méthode et ethnographie.

La méthode de recherche détermine les matériaux collectés, leur forme, et la

différence d’intérêt portée à ceux-ci. L’analyse en est complètement dépendante.

Pour comprendre pleinement le sujet, nous allons faire dans cette partie un retour

sur les méthodes de collecte de matériaux utilisées et sur une présentation

ethnographique de Jeudi Noir.

A. Boite à outils méthodologique.

Pour mener à bien mon étude j’ai utilisé plusieurs outils ethnographiques. J’ai

collecté de septembre 2007 à février 2008 un ensemble de documents, et utilisé un

cahier d’observation où je recueillais des détails de l’action et l’organisation de Jeudi

Noir.

Comme Cécile Péchu j’ai utilisé une méthode « prospective », ce qui consiste

à suivre un groupe pendant une période assez longue, puis à procéder à plusieurs

séries d’entretiens15. Tel le mineur j’ai essayé de creuser en profondeur, d’observer

les entrailles de l’organisation. Cette prospection se base sur deux principaux

outils sur lesquelles nous allons nous arrêter ici. Tout d’abord l’observation

participante, puis l’entretien.

15 Péchu Cécile, DAL, genèse et sociologie d’une mobilisation, Dalloz, 2004, p.5

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1. Observation participante :

militant-sociologue, sociologue-militant.

a. Voir les coulisses.

Pour étudier le collectif j’ai choisi de ne pas seulement observer, ou étudier

des documents de deuxièmes mains, mais de faire une observation participante. Il

s’agit de s’intégrer au groupe, à en faire partie pour mieux l’étudier. J’ai été un

membre « actif », avec participation et prise de responsabilité, et « « immergé »

comme un membre naturel avec les mêmes sentiments et poursuivant les mêmes

buts que les acteurs du champ »16.

La méthode de l’observation participante possède de nombreux avantages

comme de nombreux inconvénients. Elle m’a permis de voir, et de participer à la

prise de décision, à l’action, à la vie commune et de tous les jours, mais aussi

d’établir des relations de confiance, mêmes amicales. J’ai pu appréhender les

relations entre militants, aussi bien formelles qu’affectives, les logiques mises en

œuvre. J’ai eu un accès à tout un ensemble de perceptions aussi bien immédiates,

que réfléchies ; l’observation participante m’a permis un accès direct, sans

intermédiaires, au discours et à la réalité effective du terrain : elle permet le recueil

direct de situations sans passer par le regard subjectif de l’observé sur lui-même17.

Par ailleurs mon statut de sociologue était entendu par les différents acteurs

de Jeudi Noir, mais ne posait aucun problème de distance. Grâce à la proximité

d’âges, à une certaine équivalence en capital scolaire, et surtout un partage des

mêmes expériences d’entrée et d’action dans Jeudi Noir, je n’ai jamais été écarté, ni

mis sur un piédestal. Au quotidien aucune distinction n’était faite, toutes les relations

étaient basées sur une relation de militant à militant, puis souvent d’amis à amis.

Si j’ai eu la chance d’être intégré dans le groupe comme tout autre et de

pouvoir observer dans des relations non-dissymétriques, l’observation participante 16 Frédéric Diaz, L’observation participante comme outil de compréhension du champ de la sécurité, Champ pénale, Janvier 2005 17 Schawrtz Olivier, Le monde privé des ouvriers, Puf, Paris, 1989.

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m’a donné un regard subjectif, des préjugés. Pour reprendre les termes de

Durkheim, j’ai maintenant à me détacher des prénotions pour l’analyse. Car cette

observation participante, -qui a la forme d’un engagement militant, et donc politique-,

m’a permis de participer à tout les processus de Jeudi Noir -qu’ils concernent l’action,

la décision, les négociations-, m’a fait ressentir l’engagement. Je n’ai pas été en

permanence le sociologue, mais bien plus souvent le militant : avantages et

inconvénients, j’ai ressenti les même formes d’excitations, d’enthousiasmes,

d’engouements, mais j’ai maintenant à m’en détacher.

b. Militant-sociologue, sociologue militant.

L’observation participante entraîne un autre problème scientifique de taille.

Impliqué dans le collectif j’ai participé à l’élaboration de ce collectif en perpétuelle

structuration. Le collectif Jeudi Noir étant un petit groupe de personnes, mon action

en tant que militant a une incidence importante. Je me suis d’ailleurs parfois retrouvé

dans des situations délicates où je devais choisir entre mon statut de militant et de

sociologue. Clairement, j’avais peur que mon action, mes coups de gueule, ou mon

implication trop importante dans le collectif me force plus tard à analyser ma propre

action. « On ne peut pas nier la contradiction pratique : chacun sait combien il est

difficile d’être à la fois pris dans le jeu et de l’observer. »18

Pour prendre un exemple qui implique ces deux biais : je me suis retrouvé en

conflit ouvert avec un des militants arrivé à Jeudi Noir, comme moi, en septembre. La

querelle tournait autour du choix des personnes ayant droit à un logement à « Rio »,

sur la définition des personnes prioritaires pour vivre dans le « squat ». Le choix des

habitants s’est fait, selon moi, sans la concertation qui nous était présentée, à nous

nouveaux arrivants, comme la règle. Un pouvoir avait émergé dans le groupe des

nouveaux militants arrivés en septembre 2007, – ce groupe sera appelé groupe

« des étudiants »- c’était celui de loger des personnes, et ce pouvoir était le fruit de

négociations, de rapports de forces. Certains essayaient de contrôler ce pouvoir, et

changeaient le processus de prise de décision officielle : il se faisait non pas en

réunions, mais en petit groupe. 18 Bourdieu Pierre, « Sur l’observation participante. Réponse à quelques objections », Actes de la recherche en sciences sociales, 1978, p.67.

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Plusieurs personnes ont réagi, notamment moi, parce que ces décisions nous

concernaient personnellement puisqu’elles touchaient à notre environnement, aux

choix des personnes avec qui nous allions vivre; mettaient sans logements

convenables des personnes proches, et allaient à l’encontre de convictions

politiques. Mes réactions ont été renforcées par une forme d’antipathie à l’encontre

d’un des principaux protagonistes de ces cafouillages décisionnels. Je me suis donc

retrouvé à faire le choix difficile de m’impliquer de manière plus importante pour

essayer de régler le problème, ou de me distancier. C’est le second choix que j’ai

fait, habitant à l’origine à Rio, j’ai fait le choix de partir au –Ministère de la Crise du

Logement -MCL. Un mois plus tard, j’ai fait de nouveau le choix de déménager pour

me distancier de mon engagement et pouvoir faire une rupture réflexive sur mon

engagement et prendre correctement le statut de sociologue. J’ai fait le choix d’une

posture moins active dans le collectif sans pour autant qu’elle soit passive.

Si cette rupture « matérielle » avec Jeudi Noir a été nécessaire, c’est que cet

engagement est totalisant : si on habite dans un des lieux réquisitionnés, on vit avec

d’autres militants, on agit avec eux : notre mode de vie est en grande partie

structurée par la vie du lieu. De plus, la rupture entre le rôle de militant, et celui de

sociologue est impossible, on fait en permanence, physiquement, partie de l’objet.

Il me semble avoir donc réglé ces deux biais, en grande partie, par mon

déménagement, une distanciation physique. Le travail de distanciation intellectuelle,

de déconstruction de l’objet se fait maintenant ici. Pour faire cette « objectivation

participante »19 , c'est-à-dire objectiver la posture du chercheur lui-même, il s’agit de

ne pas se limiter à une posture uniquement ethnographique, mais de revenir sur les

conditions sociales de la production de ces pré-constructions et des agents sociaux

qui les produisent. C’est ce que nous allons faire par la suite : nous allons mettre à

plat les possibles « partis pris »

19 Bourdieu Pierre, « L’objectivation participante », Actes de la recherche en sciences sociales, Volume 150, Numéro 1, 2003, p. 43 – 58

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c. Sociologue-militant dans un groupe affinitaire.

Pour finir cette partie, je dois citer Cécile Péchu. Cette dernière a fait sa thèse

sur le DAL20, elle a notamment travaillé à partir d’une longue observation

participante. Mais la publicisation de ses analyses et observations lui ont valu d’être

exclue du DAL. Elle a été exclue par des personnes dont elle était proche, quelques

uns étaient sans aucun doute ses amis. Il y a peu de chance pour que ce mémoire

ait des conséquences similaires sur mes relations avec les Jeudi Noir, mais ayant

connaissance de ce problème j’ai discuté avec les militants et cette discussion fut

enrichissante. J’ai découvert des doutes sur ma position, et des mises en garde sur

des confidences devant rester privées. Dans le cadre du mémoire, le peu de

développement des références biographiques ne posera sûrement pas de problème,

mais il est intéressant de voir que ce travail de recherche entraîne des formes de

violences symboliques, aussi bien pour les observés que pour le chercheur : la

dissociation entre le statuts « sociologue » et « militant », puis avec le statut « ami »

n’est pas évident. Bien qu’étant la même personne, on s’est adressé parfois au

militant, d’autres au sociologue, ou encore à l’ami : comme Schwartz le présente

dans Le monde privé des ouvriers21, mettre à jour certains éléments donnés en privé

pose quelques problèmes éthiques.

2. Les entretiens.

J’ai été acteur. Je me suis immergé dans le groupe, mais l’observation

participante ne suffit pas : seule elle ne permet pas de fixer la parole des acteurs.

C’est pourquoi j’ai accompagné l’observation participante d’un cahier d’observations,

d’un recueil de documents, mais surtout d’entretiens enregistrés avec différents

acteurs du collectif. L’entretien permet d’avoir, à un moment donné et bien défini, la

parole d’un acteur et de pouvoir l’analyser dans ce moment défini.

20 Péchu Cécile, DAL, genèse et sociologie d’une mobilisation, Dalloz, 2004 21 Schwartz Olivier, Le monde privé des ouvriers, Puf, Paris, 1998,

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Comme l’explique Frédéric Diaz, « L’entretien était pour moi un outil privilégié

afin d’obtenir des informations précises. Il s’agissait de repérer les personnes

ressources, et de croiser les informations obtenues avec celles des autres acteurs du

champ. Il me semblait essentiel, grâce aux entretiens, d’avoir une vision la plus

exhaustive possible de l’ensemble des types d’acteurs représentés. »22

J’ai réalisé 4 entretiens avec des militants historiques de Jeudi Noir, là depuis

les débuts du collectif.

Le premier entretien, au mois de novembre, a été fait avec Manuel23, à la suite

d’une réunion. Manuel est assistant parlementaire, engagé chez les Verts et dans de

nombreuses autres organisations militantes. Il a notamment participé à « Génération

Précaire » et à « la France qui se lève tôt » -dont il est l’un des initiateurs- comme

tous les autres entretenus. Très investi durant la période étudiée, il est l’un des

référents publics de Jeudi Noir les plus cités. Diplômé de l’IEP –Institut d’Etude

Politique- de Paris, il maîtrise les concepts de sociologie politique pour avoir fait un

mémoire de recherche sur une association. Il est aussi diplômé de l’école de

journalisme attaché à l’IEP.

Ensuite, deux entretiens au mois de décembre, le premier avec Fanny24 : avec

qui j’ai pris rendez-vous hors du milieu militant, et le second avec Leila25 que j’ai vue

un matin au MCL. Fanny est elle aussi bac + 5, et est non-partisane. Elle est très

engagée dans Génération Précaire et Jeudi Noir, mais durant la période étudiée son

investissement ralentit. Leila est quant à elle, diplômé de l’IEP de Toulouse, est

engagée dans de multiples projets politiques, notamment avec la LCR à la fondation

d’un « nouveau parti anti-capitaliste ».

Pour finir, début mars, un entretien avec Julien26, un des co-fondateurs de

Jeudi Noir et de Génération Précaire. Diplômé de science politique, il a fait un DEA

22 Diaz Frédéric, « L’observation participante comme outil de compréhension du champ de la sécurité », Champ pénale, Janvier 2005 23 Entretien n°1. Manuel. 24 Entretien n°2. Fanny. 25 Entretien n°3. Leila. 26 Entretien non-reproduit en intégralité.

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d’économie internationale à l’IEP de Paris, il travaille durant la période étudiée, à

« Coordination Sud ». Il est engagé. Avant d’être embauché, il militait dans des

associations humanitaires internationales, mais est non-partisan.

Les entretiens sociologiques sont des relations sociales27 particulières, c'est-à-

dire qu’ils répondent à des règles, à des positionnements différents du temps normal.

Les entretiens sont des moments construits sur une base différente des rapports

normaux –du temps normal-, la normalité étant ici tous les moments militants et

amicaux.

Mais ici, ce temps de l’entretien n’a pas fait de rupture avec ce temps normal,

il n’y a eu que très peu de dissymétrie entre moi et l’enquêté(e). Les entretiens, que

l’on peut apparenter à un moment de réflexion de l’enquêté(e), se sont plusieurs fois

produits dans le temps normal, leur propre objectivation n’est pas anormale dans leur

quotidien, elle y est même permanente.

Les différences avec le temps normal viennent de deux choses. Ces

entretiens ont été programmés, c'est-à-dire qu’ils résultent d’un rendez-vous. Cela

avait pour but de marquer une pause dans nos relations et me permettre de changer

de statut, de préserver mon statut de militant et celui de sociologue. De cette

manière je marquais la volonté de ne pas être celui qui observe le collectif, mais un

militant à part entière. Cela permettait aussi de sortir de la relation de camaraderie,

d’avoir un accès plus direct et induisait une clarification de la part de l’enquêté. On

peut y voir un biais : l’entretien, enregistré, donnait accès à un discours moins

spontané, mais plus construit : le risque est d’avoir une présentation linéaire et

rationnelle du parcours de vie. Mais les entretiens croisés, et mon partage, avec eux,

des mêmes expériences militantes sur la durée étudiées, limite ce biais.

La seconde différence avec le temps normal est que ces entretiens ont été

semi-directifs, les questions posées par l’enquêteur répondaient à une feuille de

route préparée à l’avance et quasiment identique pour chaque entretien. J’en ai, à

chaque fois, utilisé les mêmes grands axes. Le premier consiste en un retour

biographique sur le parcours de l’acteur. Puis trois grandes questions structurent le

second : le rapport au militantisme, le rapport aux médias, et le rapport au politique.

27 Pinçon Michel, Pinçon-Charlot Monique, Voyage en grande bourgeoisie. Journal d’enquête, PUF, 1997.

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B. Ethnographie de Jeudi Noir.

« L’ethnographie cherche avant tout à comprendre, en rapprochant le lointain,

en rendant familier l’étranger. »28

1. Négociation du statut de sociologue.

J’ai pris contact avec Jeudi Noir comme étudiant en mal de logement, destiné

à être militant. Mais rapidement j’ai fait le rapprochement entre mon sujet potentiel -

travailler sur la dépossession de la prise de décision au profit d’une minorité active-,

et Jeudi Noir qui se réclame d’une organisation horizontale. C’est lors d’une réunion

informelle –c'est-à-dire improvisée et ne rassemblant qu’une partie des militants

durant l’organisation de la réquisition de l’immeuble du 85 bd Montparnasse que j’ai

soumis l’idée. Je suis allé voir les principaux acteurs de Jeudi Noir et de MACAQ, les

« militants historiques ». Je leur ai soumis l’idée d’une étude de l’action et de

l’organisation de Jeudi Noir tout en étant militant. Cette proposition a été acceptée,

on m’a juste précisé de prévenir les militants. De cette manière, l’observation

participante a été déclarée, personne n’y a fait objection, les réactions ont été au

contraire encourageantes.

La négociation de mon statut de sociologue s’est faite rapidement. Les

militants historiques de Jeudi Noir sont tous d’un niveau de diplôme élevé, au moins

bac + 5, à l’image de Manuel, diplômé, entre autres, d’un DEA de sociologie des

mouvements sociaux. La réflexion sociologique interne sur leurs actions est

permanente : ils sont toujours en recherche d’objectivation. Par exemple, d’après

Leila, Manuel lance de temps à autre des sujets de débat, par mail, sur leur action,

notamment sur le « qu’est-ce qu’on gagne à militer à Jeudi Noir ». Ils ne cherchent

pas seulement à agir pour une fin, mais portent une réflexion importante sur leurs

28 Beaud Stéphane, Weber Florence, Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 1998, p.9

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moyens ; c’est certainement l’une des raisons de ma bonne intégration en tant que

sociologue. Mon rôle de militant/sociologue n’étant pas profondément différent d’un

militant de Jeudi Noir : l’autocritique y est permanente et inhérente au collectif. Il est

à noter que de là vient l’une des premières difficultés de cette étude.

Beaucoup maîtrisent les concepts sociologiques, et ce savoir est partagé lors

de réunions, de rencontres. Les catégories d’analyses sont utilisées par les acteurs

dans le même sens que les sociologues : en cela l’entretien avec Manuel est

significatif.

Les acteurs développent un discours et une auto-analyse exploitant la

sociologie politique ; en ça on peut faire l’hypothèse que les analyses sociologiques

sont performatives. Les militants JN se donnent à voir par ces catégories –

valorisantes puisque sont parfois utilisées dans le rapport ancien/nouveau. De part

mon expérience personnelle de militant à Jeudi Noir, je peux affirmer que les

militants utilisent et maîtrisent les catégories non seulement médiatiques, mais aussi

scientifiques. Les discours positifs développés par le champ médiatique, et le champ

scientifique sont en partie performatif en ce sens qu’ils créent ou amplifient des

catégories d’analyse dont les acteurs se saisissent à des fins politiques, de

valorisation –comme par exemple le côté « nouveau » de Jeudi Noir.

Si cette proximité intellectuelle a facilité mon entrée dans le groupe, il n’en a

pas moins été une difficulté de plus à la rupture épistémologique. D’autant plus, que

en tant que militant, j’utilise les mêmes méthodes de mise en valeur avec la reprise

des catégories sociologiques.

La distanciation, c’est à dire la rupture épistémologique, a été faite grâce à un

retour réflexif sur les entretiens, et la relecture des notes prises durant plus de 6

mois. Durkheim, dans Les règles de la méthode sociologique appelait à faire

attention aux préjugés, « car ils sont comme un voile entre nous et les choses29 ».

J’ai donc essayé de soulever ce voile pour voir ce qu’il y avait derrière. J’ai tenté

d’ « objectiver », de faire une rupture avec le sens commun, et le sens militant, en

cherchant les vrais rouages de ce collectif. Nous allons ici mettre à plat les éléments

apportés par la recherche ethnographique.

29 Durkheim Emile, Les règles de la méthode sociologique, Quadrige, 1895.

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2. Epistémologie de « Jeudi Noir » et historique du collectif.

a. Pourquoi « Jeudi Noir » ?

Le collectif militant s’est lui-même nommé « Jeudi Noir ». Ces « galériens de

la crise du logement », comme ils se nomment eux mêmes, ont pour but, comme

l’annoncent leurs slogans, de faire « péter la bulle immobilière » ou de « réguler les

prix de l’immobilier ». Ils dénoncent la spéculation immobilière, et les difficultés

qu’ont les jeunes générations, des classes populaires et moyennes, à se loger.

Leur nom rappelle deux choses : d’une part la sortie de l’hebdomadaire,

« particulier à particulier » -PAP- . Selon eux ce journal d’annonces de locations, qui

sort tout les jeudis, symbolise les difficultés de la recherche de logement. Chaque

jeudi, les jeunes « galéreraient » à éplucher le PAP à la recherche de logements

abordables, de plus en plus rares en raison de la bulle immobilière30. Cette première

définition de Jeudi Noir est intéressante parce qu’elle permet aux militants de

représenter le problème à partir d’eux même, de leur propre statut. Chaque militant

illustre la difficulté de se loger, ce sont tous, où tous l’ont été, des « galériens ». De

cette manière ils personnifient le problème du logement, non pas sur des personnes

distinctes, mais sur un groupe particulier que sont les étudiants et les jeunes actifs.

Le nom rappelle d’autre part la crise boursière de 1929 aux Etats-Unis. Cette

crise a éclaté un jeudi, et l’histoire a retenu ce jour de l’effondrement de la bourse

comme le « jeudi noir ». Ce deuxième trait du nom a un caractère plus général et

clairement politique. Alors qu’avec PAP ils mettent en avant les difficultés

personnelles de recherche d’un logement, en affirmant la volonté d’un « Jeudi Noir »

boursier ils se placent dans une logique du contrôle du marché de l’immobilier.

Le nom de ce collectif présente un problème particulier et général, mais aussi

implique à la fois une difficulté quotidienne, et induit une solution.

30 « La hausse soutenue du prix des logements anciens, sur la France entière (+86% entre les troisièmes trimestres de 1996 et de 2004, suivant l’indice INSEE-Notaires sur le champ France entière », Marché immobilier : voit-on une bulle ?, Etude INSEE, mars 2005.

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b. Historique non exhaustif mais significatif.

Créé en fin octobre 2006 par un petit groupe de personnes venant du collectif

« Génération Précaire », rapidement une quinzaine de personnes s’y associent.

Les militants de Jeudi Noir font le choix d’un répertoire d’actions –par

« action » on entend mobilisation collective- axé sur la captation et la mobilisation de

l’attention des médias. Par leur biais ils cherchent à toucher l’ « opinion publique », et

par là, les politiques. Durant la période novembre-décembre 2006 ils font des actions

médiatiques, de type « fausse crémaillère » : il s’agit d’aller, avec des journalistes,

dans un logement proposé à la location à un prix exorbitant, et de simuler une

crémaillère -avec mousseux et confettis. Ces actions festives, « clé en main » pour

les journalistes, ont d’importantes répercussions médiatiques –passages aux JT,

journaux nationaux, etc. Nous reviendrons sur le répertoire d’actions collectives dans

la prochaine sous-partie.

Le premier janvier 2007, ils réquisitionnent, avec les associations MACAQ et

DAL, un immeuble vide, de la banque CIC, situé au 24 rue de la Banque en face de

la Bourse, Ce bâtiment ils le baptisent Ministère de la Crise du Logement -MCL. Ils

s’immiscent alors dans la campagne présidentielle, invitent les candidats à débattre

du logement. Mais les promesses viennent des candidats de gauche, et leurs

immixtions dans la campagne n’entraînent finalement aucune réponse législative.

En juin 2007, la spéculation immobilière fait toujours grossir la bulle, ils

décident alors d’élargir leur groupe militant et organisent, le 30 juin 2007, le « salon

du logement étudiant vraiment pas cher » 31. En septembre le collectif se voit élargi à

une quarantaine de personnes, mais deux échecs successifs de réquisitions

d’immeuble vacant réduisent ce nombre à une trentaine. En février 2008, le groupe

connaît une quinzaine de personnes actives dans le collectif –participant à la grande

majorité des réunions-, une autre quinzaine moins actives, qui participent par

intermittence, et enfin des militants occasionnels venus par curiosité, convictions, ou

juste pour se divertir.

On peut découper l’action de Jeudi Noir, entre octobre 2006 et février 2008 –

date de fin de l’observation participante, en 4 périodes.

31 T.S., « En Bref », Libération , Mardi 3 juillet 2007

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Tableaux n°1 : découpage historique de Jeudi Noir. Octobre à Décembre 2006 « création »

-Création de Jeudi Noir -Premières actions

Janvier à Juin 2007 « élection »

-Ouverture du Ministère de la Crise du Logement -Période électorale : organisation de débats au MLC avec les candidats -participation pour certain à « la France qui se lève tôt »

Juin 2007 à Novembre 2007 « arrivée des étudiants »

-Organisation du « salon du logement vraiment pas cher » -Arrivé de nouveaux militants, les « étudiants », et organisation de réquisition dans le but d’ouvrir une « cité u’ ». Mais échec des ouvertures

Novembre 2007 à Février 2008 « essoufflement ? »

-Les étudiants s’installent à « Rio », immeuble géré par Macaq -Action « loue pipe contre studette » mais en général, ralentissement des activités Jeudi Noir

Il est à noter que le mois de mars a vu une nouvelle motivation des militants

Jeudi Noir. Le groupe des « étudiants » -arrivé en septembre 2007- se retrouvant

expulsables de leurs logements. On assiste à une re-mobilisation pour trouver des

immeubles vides et les occuper. D’un autre côté, on a le lancement d’une plateforme

de revendications qui sera signée par les principales organisations politiques de

jeunesse de gauche et du centre.

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3. Espaces, acteurs, et répertoire d’action.

a. Présentation des deux principaux espaces militan ts.

Du premier janvier 2007 à février 2008, Jeudi Noir a pied dans deux lieux. Le

principal est le « Ministère de la Crise du Logement » 32 –MCL- où, en février 2008,

six militants logent. Ce bâtiment, réquisitionné par Jeudi Noir, MACAQ et le DAL, est

le QG du collectif. Occupant le 6e étage, c’est là que se font les réunions en « temps

normal », c'est-à-dire quand l’immeuble n’est pas occupé par des réunions ou des

mobilisations d’autres groupes politiques.

Le deuxième lieu est celui appelé « Rio » 33, car localisé place Rio de Janeiro.

Ce bâtiment réquisitionné a été investi par ceux appelés les « étudiants » : les

militants recrutés essentiellement lors du « salon du logement étudiant vraiment pas

cher ». Après l’échec de la réquisition de l’immeuble vide de « Montparnasse34 », les

« étudiants » ont été logés, en urgence, dans cet immeuble, par le duo

MACAQ/Jeudi Noir. Il est important de noter que la gestion est clairement faite par

l’association Macaq, ce qui est important pour la suite de l’analyse, le mode de

décision étant différent de celui de Jeudi Noir. La socialisation des étudiants est faite

dans le cadre de cette association regroupant 120 bénévoles, hiérarchisée, gérant

80 000 euros35, et plusieurs immeubles réquisitionnés -4 en décembre 2007-.

Contrairement à Jeudi Noir, le pouvoir y est développé, assumé et géré par un petit

groupe actif qui organise la masse des bénévoles sans automatiquement les faire

prendre part à la prise de décision. C’est plus souvent un groupe restreint qui prend

des décisions comme une réquisition d’immeuble.

32 Voir document n°1, p.133, en annexe du mémoire 33 Voir document n°2, p.23 du mémoire. 34 Immeuble réquisitionné, inauguré le 16 octobre 2007, et expulsé le même jour. 35 Chiffres tiré d’un entretien informel avec le président de Macaq

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Document n°2. Article, sur « Rio », du 28 février 2 008 paru dans Le

Parisien

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b. Idéaux types des militants de Jeudi Noir : typol ogie.

Jeudi Noir est un « groupe restreint » : c’est à dire qu’il présente un certain

nombre de caractéristiques : le collectif regroupe un « nombre restreint de membres,

tel que chacun puisse avoir une perception individualisée de chacun des autres, être

perçu réciproquement par lui et que de nombreux échanges interindividuels puissent

avoir lieu. ». Il y a aussi une « poursuite en commun et de façon active des mêmes

buts, dotés d’une certaine permanence, assumés comme buts du groupe, répondant

à divers intérêts des membres, et valorisés ». Les « relations affectives [peuvent]

devenir intenses entre les membres -sympathies, antipathies, etc.- et constituer des

sous–groupes d’affinités. Il y a une « forte interdépendance des membres et

sentiments de solidarité ; union morale des membres du groupe en dehors des

réunions et des actions en commun », ainsi qu’une « différenciation des rôles entre

les membres » et la « constitution de normes, de croyances, de signaux et de rites

propres au groupe -langage et code du groupe. »36

A partir de cette base qui donne un aperçu des interconnexions dans le

collectif, on peut construire trois principaux idéaux types. Ce qui ne signifie pas que

ces groupes soient exclusifs. Ces groupes sont en perpétuelles formations, il s’agit

ici de présenter les tendances principales.

-Les « historiques ». Bac +5 en moyenne, vivent au MLC et sont à Jeudi Noir

depuis 2006. Dans ce groupe on retrouve notamment Fanny, Julien et Leila qui

habitent au MLC, et encore Manuel et Lionel.

Ce groupe change dans sa composition avec l’arrivée des « étudiants », avec

des diplômés bac + 2. Dans ce groupe, on remarque un « militant improbable », que

l’on nommera DB. Ce dernier a arrêté ses études au collège, et est arrivé à Jeudi

Noir après avoir intégré Macaq –notamment pour y avoir faire des travaux d’intérêts

généraux -TIG.

36 Anzieu Didier, Martin Jean-Yves, La dynamique des groupes restreints, Paris, Presses universitaires de France, 1990, p.37.

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Ce groupe des historiques est donc hétérogène : on a d’un côté, les hauts

diplômés, habitants, ou non, du MCL, et de l’autres pour des individus, moins

diplômés, passés par l’association Macaq -qui joue rôle de passerelle.

Ce qui caractérise ce groupe c’est que l’on peut le localiser au MLC. En

forçant le trait pour les distinguer des autres groupes, ils paraissent désintéressés

des rétributions matérielles, même s’ils en profitent. Ils sont essentiellement portés

sur l’action politique générale, c'est-à-dire qu’ils organisent des actions médiatiques.

Leurs rétributions principales sont d’ordre symbolique –mais pas uniquement

puisqu’ils profitent de logements au MLC. Le second caractère important, c’est leur

mode de prise de décisions : celles-ci sont prises par consensus, sans vote, et ils

revendiquent l’horizontalité de Jeudi Noir : il n’existe aucun chef, juste des acteurs

qui s’investissent plus ou moins. Troisième spécificité de ce groupe, ils ont en grande

majorité d’autres engagement qu’à Jeudi Noir.

-Les « étudiants ». Ce sont essentiellement les jeunes arrivés entre septembre

et octobre 2007. Ils sont « macaquisé » 37, c'est-à-dire qu’ils fonctionnent moins par

consensus, l’organisation est verticale, et un groupe de personnes désignées par

Macaq prend les décisions. Ils sont moins actifs dans la prise de décision. Ils vivent à

Rio et sont essentiellement des étudiants/salariés. Moins diplômés, de Bac à Bac +4,

ils sont plus passifs politiquement et sont moins à l’initiative d’actions médiatiques.

Leur principal engagement se fait dans l’association Macaq qui demande un

engagement militant –important en temps- à ceux qu’ils logent. Ils recherchent moins

les rétributions symboliques que matérielles, comme un logement : c’est pourquoi on

les retrouve essentiellement lors d’actions réquisitions.

-Les militants non-squatters. Se sont des militants occasionnels ou des

militants-ressources. Ils viennent surtout aux actions, et ne prennent pas, ou peu,

part à la décision. Ils n’ont en général aucune rétribution matérielle et peu de

rétribution symbolique –entendu ici comme reconnaissance médiatique. Ce groupe

est aussi hétérogène. On a les militants venant essentiellement aux actions festives

et spectaculaires. Et l’on a aussi ceux apportant leurs ressources : on compte par

37 Entretien non reproduit avec Julien. Daté du 1 mars 2008.

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exemple un graphiste qui s’occupe essentiellement d’illustrer et de mettre en forme

les tracts et affiches38.

Document n° 3 : Echantillon de dessins fait par un militant-ressources

graphiste -designer

38 Un échantillon du travail du graphiste est représenté dans le document 3. Se sont les dessins qui illustrent depuis octobre, les tracts et affiches de Jeudi Noir.

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Dans ce dernier sous-groupe, on peut mettre certains journalistes qui, bien

qu’affirmant leur détachement de Jeudi Noir, participent grandement et activement à

la publicisation du collectif.

Tableaux n°2 : idéaux-types des militants Jeudi Noi r

Nom

Lieux

Principale rétribution à l’action

Organisation et mode de prise de décision

Engagement(s)

Les historiques

Ministère de la Crise du Logement

symbolique Horizontalité, et consensus

Multiples engagements en plus de Jeudi Noir

Les étudiants Rio matérielle Verticalité, décision prise par un groupe restreint

Engagement principal Macaq et moindre à Jeudi Noir

Les militants non-squatteurs

Aucun lieu de référence

Uniquement symbolique, mais faible

Ne participe pas à la prise de décision

Engagement occasionnel à Jeudi Noir

c. Le répertoire d’action.

Comme nous l’avons brièvement vu, Jeudi Noir prend des décisions

horizontalement et par consensus. Lors d’une réunion en février 2008, le consensus

ne se dégageant pas, un représentant de Macaq en appelle au vote. Les deux

militants de Jeudi Noir qui n’arrivaient pas à se mettre d’accord se retournent alors

vers lui, et consensuellement rejettent sa méthode.

C’est à partir de ce mode de décision qu’a été élaboré le répertoire d’action de

Jeudi Noir. La particularité des actions Jeudi Noir, c’est qu’elles sont cadrées pour

les médias. Il ne s’agit pas de faire une action militante et que les médias s’en

saisissent, mais de faire une action cadrée, clé en main, où les médias n’ont plus

rien à faire.

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Cécile Péchu explique que« le cadrage est un organisateur de pensée », ce

qui signifie qu’il « spécifie ce qui est pertinent et ce qui doit être ignoré » 39. Jeudi

Noir applique cette définition.

Le premier mode d’action pratiqué par Jeudi Noir, qui est la « fausse

crémaillère », a été selon Julien « calibré » pour les journalistes. C’est aussi le cas

des actions « agences immobilières ». Ils optimisent leurs chances de capter les

médias et l’opinion publique en instrumentalisant les premiers.

« Quand on a créé Jeudi Noir, on l’a créé pour [les médias]. On a

réfléchi le « paquet » [...], on a, je peux parler comme ça cache, c’est pas

qu’il n’y a pas de sincérité dans le truc, vraiment ça a été créé, conçu, et

le mode d’action et le discours pour qu’il soit orienté média. C'est-à-dire, il

faut une action où on n’a pas besoin d’être 20, où même à 10, ce n’est

pas le ridicule, parce qu’on avait peur du ridicule. Il faut une action,

sympa, [...], il faut une action où le journaliste aussi ait envie de venir, et il

faut une action où enfin on ait une espèce d’unité. Un truc assez fou pour

que le journaliste ait un prétexte pour se déplacer. On va pas manifester

dans la rue... et en gros, il faut un truc qui, et c’est là qu’il y a le trait de

génie, [...] qui rassemble les gentils, les méchants, les militants etc. et en

fait avec la visite d’appart, telle qu’on l’avait imaginée, c'est-à-dire la visite

collective : t’as le témoin, tu sais le type qui dit « je suis en galère », t’as le

militant qui crée l’accroche « qui dit oui, le gouvernement ne fait rien » et

t’as l’autre en face, le propriétaire en face qui dit « moi je suis le

marché ». Et hop ça te fait un sujet. Et on le voit vraiment bien [à] la télé.

A chaque fois que la télé est venue, bon rarement le propriétaire accepte

de parler, mais bon ils ont l’interview du militant, ils ont l’interview de la

victime, entre guillemet, témoin de la galère, et ils ont un laïus derrière qui

dit, « les prix ont augmentés de 100%, que fait le gouvernement ?». Et

hop ça te fait un sujet de 50 secondes et c’est hyper calibré. Voila. On

l’avait construit comme ça pour être très honnête. Voila. Mais ça on la

construit comme ça en septembre 2006. » 40

39 Péchu Cécile, DAL, genèse et sociologie d’une mobilisation, Dalloz, 2004, p.169. 40 Entretien non reproduit avec Julien. Daté du 1 mars 2008.

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Tableau n° 3 : les trois principaux « paquets » du répertoire d’actions collectives de Jeudi Noir Types d’actions

cible Mode d’action Outils visuels

les crémaillères

Les propriétaires qui louent trop cher : exemple de leur première action de ce type, 28 octobre 2006, 20 m2 loué 630 euros. « les propriétaires particuliers qui profitent de la bulle immobilière »

Les agences immobilières

Les agences immobilières qui seraient « quatre fois plus nombreuses que les boulangeries à Paris » et abuseraient leur clients par des « commissions d’agence proportionnelles au prix de vente (qui favorisent la hausse des prix), demandes de renseignements et de papiers illégaux, sources de discriminations multiples, frais d’agence abusifs (de rédaction de bail, d’état des lieux, de quittance) et de toute manière proportionnelles au loyer (qui donc augmentent avec les frais de relocation, même si le travail est le même) »

Fausse crémaillère dans l’appartement ou l’agence. Se résume par : faire la fête dans les lieux.

Mise en scène : Mousseux, verres à pied, confettis, déguisements, musique, danse. Toujours non- violence et volonté festive

Les réquisitions

Les banques, fonds de pensions, multinationales qui spéculent.

Deux types : « sous-marins », caché pendant plusieurs jours pour loger des personnes. Ou bien médiatique : juste rentrer et se faire expulser le même jour : but étant d’alerter les médias. Ces deux modes d’actions ne sont pas exclusifs.

Banderoles, actions spectaculaires, toujours non- violence et volonté festive.

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Chaque mode d’action est pensé, réfléchi. On retrouve

même sur leur site Internet les explications pour réaliser une

actions types « fausse crémaillère ». Élément important dans

l’imaginaire des militants de Jeudi Noir, le rôle de la mascotte :

« disco king ». Militant Jeudi Noir, son principal rôle est de faire du

disco lors des actions Jeudi Noir. La seule raison de sa présence est l’idée que

chaque action doit se faire dans la fête et la bonne humeur. Cela permet aussi de

renforcer l’image de jeunes militants un peu naïfs, pas trop politisés que fait passer

Jeudi Noir : faire de la politique autrement, non traditionnellement.

Même si en décembre 2006, en élargissant son répertoire d’actions collectives

à la réquisition d’immeubles, Jeudi Noir « est passé d’un truc de boy-scout, à un truc

de gangsters » 41, on retrouve toujours l’exigence du contrôle de l’image. La diffusion

de l’information, l’optimisation de l’image donnée est le fruit d’un travail important, et

toujours présent dans la conceptualisation d’une action –nouvelle ou non-.

Ce répertoire d’actions est présenté par les médias, et par beaucoup de

sociologues comme « nouveau », « original ». Une nécessaire genèse du

« mouvement squat » vient questionner cette « nouveauté ».

C Retour historique sur la pratique du squat et son répertoire

d’action.

1. Genèse non exhaustive des formes du « squat ».

Il ne s’agit pas, encore une fois, de faire un historique exhaustif du

mouvement squat : le manque de temps le rend impossible. Il s’agit ici seulement

41 Entretien n°2. Fanny.

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d’un répertoire d’éléments pertinents pour notre analyse et le questionnement de la

« nouveauté » de collectif comme Jeudi Noir.

a. Les débuts de la contestation sur le logement

« On retrouve des traces d’actions collectives dans les rapports entre

propriétaires et locataires dès le Moyen Age, qu’il s’agisse d’une émeute parisienne

en 1306 lors d’une augmentation des loyers, ou des différents entre bourgeois et

étudiants au sujet des loyers au 14e siècle, qui conduiront à la fondation des

collèges. Toutefois, Roger-Henri Guerrand42 relève que l’on en sait peu de choses

jusqu’en 1789.

Cependant, dès cette période on connaît les premières formes de résistances

individuelles : les « déménagements à la cloche de bois », qui consistent à partir

sans payer son loyer. Mais les premières formes de contestations collectives

ouvertes dont ont ait connaissance durant le 19e siècle sont, selon Cécile Péchu,

celles qui se déroulent durant les deux périodes révolutionnaires.

En 1848, les classiques déménagements « à la cloche de bois » se multiplient

et se font moins furtifs. De plus, la question du logement serait l’une des causes du

déclenchement de la Commune de Paris.

Ces deux moments historiques témoignent donc de contestations et de

résistances liées au logement –plus précisément au loyer- au cours du 19ème siècle.

Mais, alors que les résistances étaient individuelles et marginales, « à la fin du 19e

siècle, on constate un déplacement de ces résistances, davantage placées sous le

signe de la contestation ouverte ; d’individuels, les « déménagements à la cloche de

bois » deviennent en effet collectifs. Au même moment se développent les théories

anarchistes de l’action directe, qui fournissent une base idéologique à une telle

contestation. » 43

42 Guerrand Roger-Henri, Propriétaires et locataires. Les origines du logement social en France (1850-1914), Paris, édition Quintette, 1987, p.8 43 Péchu Cécile, DAL, genèse et sociologie d’une mobilisation, Dalloz, 2004, p.366

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b. De la contestation individuelle à la mobilisatio n collective.

En 1911, l’Union syndicale fait, elle aussi, des déménagements à la cloche de

bois. Mais l’action collective est moins « anonyme », moins individuelle, et plus

publique que dans la période précédente. « Les déménagements à la cloche de

bois » sont à partir du 1er octobre 1911 accompagnés d’un « Raffut », inversant ainsi

définitivement leur logique première qui reposait sur la discrétion». « Le « Raffut »

est en fait une fanfare composée d’objets hétéroclites (clairons, casseroles,

sifflets...)» 44. Il sera utilisé, par la suite, sous les fenêtres des mauvais propriétaires

ou des concierges tatillons. Il s’agit ici clairement d’un appel à l’ « opinion publique »,

terme anachronique pour l’époque. Mais il n’en s’agit pas moins d’une action

spectaculaire ayant pour but d’interpeller l’Etat, et de changer les perceptions de la

population.

Au début du 20e siècle, selon Péchu, les occupations n’ont pas toutes le

même statut : les occupations parisiennes semblent plus se rapprocher du squat en

vue du logement, les autres, de l’action directe de pression sur les autorités. Ce sont

celles qui ont entraîné la publicisation des illégalismes, les actions « spectaculaires »

qui vont nous intéresser ici. Nous allons voir plusieurs exemples significatifs par

rapport au répertoire d’action de Jeudi Noir.

2. Répertoire d’action ou l’éternel originalité. Pa rallèle

historique.

a. Humour et mise en scène « médiatique »

Les actions du début du siècle, ces illégalismes, ont constamment un

contrepoint : l’humour. C’est bien sur le cas du Raffut en tant que tel qui, en mettant

en scène des instruments improvisés, s’inscrit dans la parodie45.

44 Péchu Cécile, Ibid.,p.376. 45 Péchu Cécile, Ibid.,p.380.

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On peut citer Georges Cochon, secrétaire général, de l’Union Syndicale. Ses

« bons mots » soulignent l’ « humour » de son action. Alors qu’il est expulsé « d’un

logement dans lequel il s’était barricadé, le 16 octobre 1912, il accueille les policiers,

qui enfoncent la porte, avec ironie. ». Il les félicite de leur violente incursion : « voila

du beau travail ! Pour ma part, je n’ai pas perdu mon temps. J’ai crevé les plafonds,

brûlé les parquets, faut sauter les corniches et répandu aux quatre coins de

l’immeuble une légion de cafards. Mon propriétaire sera content, je l’espère, et ma

concierge, ravie, me donnera sa bénédiction » 46.

Déjà les actions, de l’Union Syndicale organisée par Cochon, étaient mises en

scènes. Comme par exemple le 25 juillet 1913 où, barricadé dans un bâtiment

renommé « Fort Cochon », il se fait ravitailler « au moyen de ficelles hissées au

premier étage. Un siphon est même installé pour faire parvenir aux assiégés la bière

de deux tonneaux offerts par un brasseur. » 47. Lors de ces actions sont aussi

entonnées, par les participants, de nombreuses chansons dont le ton général est

plutôt à l’ironie. L’humour était très présent lors de ces actions, et Cécile Péchu

pense « que cette ironie particulière constitue une forme de dédramatisation et de

popularisation d’actions relativement risquées. »

« Le 3 septembre 1912, Georges Cochon profite de l’exposition de

l’Ameublement et des Arts du Travail au Grand Palais pour installer une famille

nombreuse dans une maison grandeur nature exposée là, et intitulée « Humble

logis » » 48. La veille de la fête nationale en 1913, une famille à la rue est installée

devant la Bourse.

Le répertoire d’action, du début du 20e siècle, de l’Union syndicale, et de Jeudi

Noir au début du 21e comporte de nombreuses similitudes.

Si Georges Cochon s’invite au salon l’Ameublement et des Arts du Travail au

Grand Palais, Jeudi Noir s’est invité à deux reprises, le 24 mars 2007 et le 29 46 Kamoun, Patrick, V’là Cochon qui déménage. Prélude au droit au logement, Vauchrétien, Ivan Davy éditeur, coll. « Faits et gestes », 2000, p.119-120 47 Péchu Cécile, DAL, genèse et sociologie d’une mobilisation, Dalloz, 2004, p.381 48 Kamoun, Patrick, V’là Cochon qui déménage. Prélude au droit au logement, Vauchrétien, Ivan Davy éditeur, coll. « Faits et gestes », 2000, p117-118

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septembre 2007, au salon de l’immobilier. Une maison grandeur nature n’a pas été

installée, mais des « galériens du logement » ont « piraté », c'est-à-dire sont

intervenus avec force de confettis, et ont pris la parole lors d’une conférence sur le

logement. Ils ont interrompu le court normal pour faire passer leurs idées. Et si

Georges Cochon installe une famille la veille de la fête nationale, juste devant la

Bourse, Jeudi Noir, avec le DAL et Macaq, s’installe dans un immeuble en face de la

Bourse et officialise la réquisition, non pas la veille de la fête nationale, mais le

lendemain du jour de l’an et du discours présidentiel.

On pourrait multiplier les exemples, mais ceux-ci sont d’autant plus significatifs

qu’ils sont similaires –aux plans des moyens, géographique et de l’esprit- à des

actions organisées par Jeudi Noir. On peut prendre encore deux exemples

marquants, les fausses crémaillères et la publicisation de l’action.

b. Les fausses crémaillères.

Jeudi Noir ne fait pas une seule action « logement loué trop cher » sans

chanson, notamment une nommée « particulier à particulier » en référence au journal

–PAP. Chanson ironique, elle est diffusée lors des fausses crémaillères. Mais avant

de développer ce sujet, un retour historique.

En 1912, un homme, du nom de Léon Gaudillot, vit dans un appartement de

luxe, rue de Rome, dont le loyer va doubler. Il décide donc de déménager, « mais

ayant payé son terme à l’avance, il propose au syndicat de loger chez lui une famille

sans-logis durant le mois déjà réglé ». « La pendaison de crémaillère organisée par

l’artiste va réunir 3 000 personnes, et la presse et de nombreuses personnalités du

spectacle de l’époque sont présentes. » 49 Cette première crémaillère « médiatique »,

au sens où le but était d’interpeller la presse, rappelle l’action phare de Jeudi Noir qui

consiste à aller faire une fausse crémaillère dans des logements jugés loués trop

chers par leur propriétaire. On retrouve la mise en scène d’une « pendaison de

crémaillère » comme moyen de contestation.

49Péchu Cécile, DAL, genèse et sociologie d’une mobilisation, Dalloz, 2004, p.377

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c. Réquisitions publiques : exemple de l’action de « Saint-Lazare »

En 1912, les syndicalistes demandent à la préfecture la mise à disposition de

bâtiments vides appartenant à l’Etat. Ne recevant pas de réponse ils « convoquent

par voie d’affiches la population à venir aider à la « prise » de la caserne, pour des

« familles nombreuses sans abri » 50. Cette action rappelle, quant à elle, l’action du

28 novembre 2007, dite action de « Saint-Lazare ». En raison du mouvement

étudiant contre la LRU -loi relative aux libertés et responsabilités des universités-, le

mois de novembre a été aussi l’occasion de publicisation de l’action au cours

d’assemblées générales des universités parisiennes mobilisées. S’ajoute à ça

plusieurs milliers de tracts51 –ci-joint- distribués pour annoncer l’ « action ». Des

dizaines d’affiches ont aussi été collées, et l’information d’une action le 28 novembre

2007 a aussi été relayée par Internet –mail- essentiellement. Un article publié dans

Charlie Hebdo résume l’action, il s’agit du document n°5.

50 Péchu Cécile, Ibid., p.378 51 Document n°4

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Document n ° 4: tract, « on ne joue pas avec le log ement »

Recto :

Verso :

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Document n°5, Article de Charlie Hebdo paru le 28 n ovembre 2007.

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d. Des actions médiatiques.

Il faut aussi noter que « ces actions spectaculaires visent d’abord la presse,

dont la lecture se répand durant cette période. Mais les autres médias de l’époque

sont aussi concernés. [...] Georges Cochon avait su mettre de son côté de nombreux

chansonniers, qui se produisent dans les cabarets, très fréquentés au début du 20e

siècle. Il organise ainsi avec des artistes un gala le 31 mai 1913, puis huit jours plus

tard interrompt en compagnie d’une famille expulsée et du Raffut le bal du Moulin-

Rouge52. Le militant écrira même une pièce de théâtre pour faire passer son

message, « les expulsés », représentée le 20 février 1914 » 53.

Charles Tilly considère l’usage des médias comme l’un des signes annonçant,

en 1968, une nouvelle transition s’agissant des répertoires d’actions. Mais il semble

que cette transition a, en fait, été bien antérieure, au moins dans le domaine du

logement.

Ce retour historique est intéressant car il permet de voir que le répertoire

d’action a peu évolué en un siècle. Les ressorts sont les mêmes : l’humour, le côté

spectaculaire, l’appel à la presse. Si une chose les distingue, c’est l’apparition de la

télévision, d’Internet et de l’opinion publique. L’apparition des ces trois éléments a

changé les modes d’actions dans le sens où Jeudi Noir s’en est emparé, mais

comme Georges Cochon, qui utilisait les cabarets et la presse écrite, on trouve le

même objectif de publicisation. Le mode d’action et le cadre ont peu changé, la

nouveauté n’est pas dans le spectaculaire, mais bien plus dans l’appropriation, pour

le coup, des nouveaux médias, des nouveaux relais de l’information.

Avant de finir cette partie, il est intéressant de s’arrêter sur la référence

anarcho-syndicale de ces premières réquisitions spectaculaires. Si la naissance du

squat vient de l’anarcho-syndicalisme, Georges Cochon et ses méthodes n’étaient

déjà plus tout à fait dans cette idéologie, il y a eu plusieurs méthodes de squat, il

s’agit ici de la pratique politique, publique et collective. Cette pratique n’était déjà

plus en 1912 dans une logique conflictuelle avec l’Etat, mais le squat le place au 52 Kamou, Patrick, « V’là Cochon qui déménage... », p131-133 53 Péchu Cécile, DAL, genèse et sociologie d’une mobilisation, Dalloz, 2004, p.383

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contraire comme arbitre. Jeudi Noir, idéologiquement ne cherche pas non plus la

destruction de l’Etat, mais bien plus son intervention, son arbitrage : d’où le

répertoire d’action choisi.

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Partie 2. Militer à Jeudi Noir.

Un débat important s’est déroulé et est en train de se dérouler, au sein des

sciences sociales autour de la dénomination « nouveaux » mouvements sociaux,

« nouveaux » militants, « nouveaux contestataires ». En 1995, Alain Touraine

sociologue des « Nouveaux Mouvements Sociaux » –NMS-, du haut de son statut

surplombant de sociologue, en était arrivé à dénier la terminologie de mouvement

social aux mobilisations de novembre-décembre 1995. Isabelle Sommier appelle à

ne pas tomber dans un regard normatif des mouvements sociaux, mais la

qualification de « nouveau » est malgré tout entendue comme méliorative, oppose le

« nouveau » à « l’ancien » : les partis et les syndicats. Il ne s’agira pas ici de

reprendre les slogans de mai 68 tel que « travailleur, tu as 25 ans mais ton syndicat

est d’un autre siècle » mais de remettre en cause les catégories sous-entendues par

« nouveau ».

Cette partie analyse va tout d’abord questionner les théories du « CRESAL 54»

notamment développées par J. ION. Selon cet auteur, les formes du militantisme ont

changé : nous reviendrons dans la partie A. sur ces théories, notamment celle des

affranchissements. Le but n’est pas de se placer dans les luttes de pouvoir interne

au champ scientifique, ni de proposer une classification normative, mais voir la

pertinence des théories de J. Ion. Puis dans la deuxième partie nous nous

intéresserons au spectaculaire, au rapport particulier de Jeudi Noir avec les médias

et l’opinion publique. Nous reviendrons sur la participation active de Jeudi Noir au

changement des perceptions, à son action symbolique et en quoi celle-ci devient

politique

A. théorie de l’affranchissement.

Tout en gardant une distance avec l’opposition d’un engagement

« classique », « ancien », à un engagement « nouveau » et « original », nous allons

54 Centre de Recherche et d'Etudes Sociologiques Appliquées de la Loire.

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nous intéresser aux thèses de Jacques ION. Ce dernier propose une étude

diachronique de la structuration et du fonctionnement des groupements associatifs

qui mettrait en exergue « un processus général d’affranchissement, lequel peut se

décliner sommairement selon au moins quatre aspects. ». Ces points ont été

développés par J. ION dans la revue Mouvements de Mars/Avril 1999. Sans donner

crédit à cette explication, nous allons l’utiliser pour approcher les formes

d’engagement à Jeudi Noir -au niveau micro sociologique.

Selon Jacques ION, on aurait tout d’abord un « affranchissement des réseaux

fédératifs et des constellations idéo-politiques : les groupements naissants sont de

moins en moins insérés dans des réseaux verticaux organisés et ceux existants

tendent à distendre leurs liens avec les niveaux supérieurs. A la détermination de

l’engagement par des réseaux verticaux d’affiliation s’oppose la création de réseaux

horizontaux par les individus eux-mêmes. ». Le deuxième serait

l’ « Affranchissement des appartenances : les engagements se font également de

plus en plus indépendamment des sociabilités géographiques familiales ou

religieuses. On peut parler à ce propos de sortie de l’entre-soi, et noter en même

temps le développement de groupements à distance n’impliquant donc pas la co-

présence physique des membres associés. ». Le troisième affranchissement

concerne les modalités de fonctionnement caractéristiques de la démocratie

représentative. « Les engagements (notamment de la part des jeunes), sont

beaucoup moins soucieux des règles formelles du juridisme associatif et des

instances de représentation, voir peuvent s’investir en contre-dépendance des offres

de participation. Pouvoir répondre de soi devient en quelque sorte la norme dans le

fonctionnement des collectifs. ». Le dernier affranchissement est

réflexif. « L’engagement, même s’il requiert une forte implication personnelle, se fait

en connaissance de cause et n’implique pas nécessairement de coller aux rôles du

groupement. Il s’agit souvent d’abord de préserver son quant-à-soi, ce qui ne veut

pas dire individualisme mais mise à distance et donc maîtrise de ses propres

engagements.55 »

55 Ion Jacques, « engagements associatifs et espace public », Mouvements n°3, mars-avril 1999, p.70

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Nous allons maintenant voir la pertinence de cette typologie sur Jeudi Noir,

1. Affranchissement des réseaux verticaux.

a. Une organisation qui se veut organisée de manièr e « libertaire » dans la

prise de décision...

L’affranchissement des réseaux verticaux est effectif. Selon Leila, la prise de

décision a été pensée de manière « libertaire ». Les décisions qu’elles concernent,

les actions, les réquisitions, les initiatives engageant le collectif, se prennent toujours

horizontalement en réunion, c'est-à-dire que chacun a son mot à dire, et que le

consensus est préféré au vote majorité/minorité.

Leila qui a fait partie d’Alternative Libertaire dit à propos de Jeudi Noir : « on

va avoir un mode de fonctionnement beaucoup plus libertaire que les organisations

libertaires, que les mouvements libertaires... enfin ce que j’en ai vu du moins. On

tient vraiment à avoir un fonctionnement, ça marche ou ça ne marche pas après,

dans la pratique, horizontal, qu’il n’y ait pas de hiérarchie. Et souple aussi. On voulait

se démarquer. » « On a tous été saoulé par les AG, manifs en rang militaire. [...] Moi

les organisations, et syndicats étudiants où j’ai milité, ça m’a gavée »

A Jeudi Noir « Effectivement, il n’y a pas de structure, il n’y a pas d’appareil »56.

Le pouvoir n’est pas formellement réparti : leur modèle organisationnel s’est fait en

réaction à celui des partis politiques et syndicats classiques. On retrouve chez tous

les militants actifs une animosité face à l’organisation verticale : « on a tous été

saoulé par les AG, manifs en rang militaire »57. On retrouve cette critique du

fonctionnement des organisations plus structurées à travers la volonté d’agir « ici et

maintenant », rapidement, de pouvoir avoir un rôle, intéressant et non sacrificiel. Or

56 Entretien n°1. Manuel. 57 Entretien n°3. Leila.

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le mode d’organisation horizontal –que l’on retrouve historiquement très présent

dans les organisations libertaire- permet cela.

Selon Manuel, si ce type d’organisation est possible, c’est aussi « parce que

ce pouvoir est quand même assez limité ». « Si dans un parti même petit comme les

Verts, dès que le pouvoir signifie accéder à un poste avec des responsabilités, du

prestige avec des sous et du pouvoir, t’inquiète pas que là, il y en aura des

candidats. Là tout le monde se frappe. Si c’est pour écrire des communiqués de

presse, et tout ça, les gens se disent c’est plus une corvée qu’un pouvoir. »

Mais, même si Jeudi Noir a été pensé sans hiérarchie, et sans « pouvoirs »,

l’observation participante et un retour réflexif de la part des acteurs eux-mêmes

permettent de pointer les limites de cette horizontalité. Car nous l’avons vu en

revenant sur l’histoire de Jeudi Noir, il existe du pouvoir : celui de loger des

personnes, et de « passer à la télé », de rencontrer les politiques.

b. ...mais limitée dans la pratique par le capital temps, la spécialisation des

tâches et la réactivité de Jeudi Noir...

L’horizontalité doit être questionnée, en ce qui concerne la prise de décision,

mais aussi l’application de la décision. Les bonne intentions font elles les pratiques ?

Tim Jordan explique, que « comme le savent depuis quelques années les

militants, ces principes [s’opposer à l’organisation hiérarchique] ne sont pas

parfaitement mis en pratique et les hiérarchies plates ont tendance à cacher des

vagues. Les mouvements féministes en ont débattu et ont appelé ce phénomène la

« tyrannie de l’absence de structure ». La tyrannie peut être le résultat des

différentes tribunes qui privilégient différentes compétences. Par exemples les

réunions ouvertes exigent de la part des participants une facilité à parler en public et

favorisent les bons orateurs. Le travail en réseaux de relations informelles, dans les

cafés et les bars, ou après les réunions, est une modalité séduisante qui suppose en

même temps la possibilité d’être présent ; sortir prendre un verre après une réunion

n’est pas possible pour tous, notamment pour ceux qui ont une famille. Les

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compétences nécessaires pour ces différents moments de la coordination peuvent

en réalité souligner l’émergence de hiérarchies implicites, ainsi que d’autres facteurs

intangibles comme l’histoire au sein d’un groupe donné, le charisme ou le temps

simplement consacré par une personne donnée à un groupe. Tout cela peut créer

des vagues dans ce qui devrait être un lac. Pour se rendre compte des difficultés du

processus de coordination, on peut aussi noter que la force de certains cache les

faiblesse des autres, les uns ayant les compétences nécessaires pour les diverses

réunions ou les autres celles qu’il faut pour les relations informelles. A l’image des

atouts qui peuvent créer des vagues dans les hiérarchies plates, il est des faiblesses

qui peuvent produire des creux.»58

Nous pouvons mentionner plusieurs limites à l’horizontalité. La première est

que le temps passé à s’occuper d’un sujet, à organiser une action, est discriminant.

Non-officiellement structuré le pouvoir n’est pas formellement réparti, c’est plutôt

celui qui s’investit le plus, celui qui a le plus de temps à offrir au collectif qui prend de

l’importance dans la prise de décision. Ce temps passé permet de gagner la

confiance des autres militants : ce qui crée des dissymétries comme nous allons le

voir. On peut pointer comme limite l’opportunisme et la spécialisation des tâches. Et

pour finir, nous verrons les limites apportées par le poids de l’expertise des militants

ressources, et le rôle des capitaux scolaires dans la participation à la prise de

décision.

Le temps et la confiance

A Jeudi Noir, c’est le temps passé à s’occuper d’un sujet qui confère l’autorité,

la légitimité et la responsabilité.

Pour prendre un exemple concret. Avant la campagne municipale 2008, Leila

a voulu organiser des débats sur le logement durant la période pré-municipale. Elle a

eu l’idée, l’a proposée et s’est donc retrouvée responsable, de fait, de l’organisation.

Elle détenait par là, légitimité et autorité sur l’organisation de cet évènement. C’est

58 Jordan Tim, S’engager ! Les nouveaux militants, activistes, agitateurs..., édition Autrement, collection « frontières », 2003, p.61

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bien elle qui a porté et réalisé le projet. Si une personne avait une idée, il lui

proposait, elle était le centre, la référent.

Comme on le voit le temps investi confère la légitimité. Sur le long terme cela

a créé une inégalité de fait dans la prise de décision entre les « historiques » et les

« étudiants » : de septembre à février, bien que cela se soit amenuisé, les

« historiques » ont un capital de légitimité, en raison du temps passé dans Jeudi

Noir, important, utilisable dans la prise de décision. Ce capital est entendu comme

légitime car est le gage d’un capital d’expertise, et affinitaire. Les anciens militants

connaissent mieux les sujets, et se connaissent entre eux : ce qui facilite la prise de

décision, les acteurs partageant un ensemble de codes et d’expériences.

Julien explique qu’« à Jeudi Noir, la confiance était beaucoup plus grande

[qu’à Génération Précaire].» A la création de Jeudi Noir, les militants se sont mis

d’accord sur un concept, et d’après lui la confiance tirée des expériences passées

permet de prendre des décisions en petit groupe sans pour autant rebuter les autres

à les suivre. L’horizontalité de la prise de décision est limitée par la confiance qu’ont

les militants les uns envers les autres. La prise de décision horizontale, qui a été

mise en pratique à Génération Précaire selon Julien, permet le contrôle de tous sur

les décisions ; à Jeudi Noir la confiance limiterait cette volonté de contrôle des

acteurs.

Si certains militants ne participent pas à la décision ce n’est pas seulement

pour des raisons de confiance. A Jeudi Noir les réunions peuvent être très espacées

comme avoir lieu trois fois par semaine, ou encore tous les soirs lors de réquisitions.

Et là il ne s’agit que des réunions formelles. Car les décisions sont souvent prises

dans « les couloirs », or celui qui travaille ou bien a une famille, participe peu à ces

réunions informelles. Il faut avoir du temps pour être une heure avant la réunion, puis

toute une nuit. Pour prendre un exemple. Début février, une réunion avait été prévue

à 20h30 au Ministère de la Crise du Logement. Celle-ci commence à 21h, et

s’éternise. Il s’agit autant d’une réunion que d’une soirée alcoolisée-. Vers 23h

certains partent alors que des sujets n’ont pas été encore discutés, puis vers minuit

et demi, à l’heure des derniers métros, la réunion semble se terminer.

Essentiellement quelques habitants, et certains restés dormir au MLC ont continué à

discuter. Le lendemain les militants de Jeudi Noir apprennent qu’en petit comité une

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action a été décidée, celle appelée « loue studette contre pipe » -en réaction et

référence à un article de Libération59 sur la pratique prostitution contre logement.

Comme Tim Jordan le montre, les réunions informelles ont un rôle important.

Mais le capital temps, passé à Jeudi Noir ou à s’occuper d’une action, n’est pas le

seul capital discriminant.

L’opportunisme ou réactivité, et spécialisation des tâches

Comme nous venons de le voir, une décision n’est pas forcément prise lors de

réunion, et le mode de fonctionnement opportuniste de Jeudi Noir entraîne une

grande dose d’incertitude sur chaque décision.

Lors d’une réunion, j’assiste à un coup de

gueule de S.B. Militante du groupe des

« étudiants », Bac +2, c’est aussi une ancienne

militante de Sud-étudiant. « C’est chiant, on fait

des réunions jusqu’à deux heures, et il se décide

encore des trucs après ». D.B. lui répond : « il

faudrait faire des réunions tous les deux jours pour informer de ce qui change ».

Selon lui c’est comme ça que Jeudi Noir fonctionne « beaucoup de décisions sont

prises dans les couloirs »60. Si le côté libertaire y perd, par son opportunisme Jeudi

Noir gagne une formidable réactivité. Une décision peut être prise par deux

personnes rapidement pour réagir instantanément à l’actualité, mais cela remet en

cause la souveraineté des réunions nombreuses en militants en rendant leurs

décisions incertaines. La décision se prenant réellement tout autant, voir plus, dans

« les couloirs » et lors de l’application.

Si la confiance rend cette méthode réactive, acceptable, selon Julien, cela

n’en est pas moins sources de conflit.

59 Document 6. Article de Libération, «Loue studette contre pipe», mercredi 6 février 2008. En Annexes p.135. 60 Discussion informelle, 20 février 2008

« il faudrait faire des réunions

tout les deux jours pour

informer de ce qui change »

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Fanny « après MACAQ avait une façon de fonctionner qui pouvait parfois un

peu déteindre sur nous. C'est-à-dire que MACAQ est vachement moins transparent.

Nous par exemple on fait des réunions, on se prévient tous, et on ne fait pas nos

trucs en [douce] en… tu vois discrètement, machin, MACAQ est plus habitué à

convoquer deux trois personnes, et que les autres ne soient pas au courant, et j’aime

pas trop. C’est une question de fierté. Si jamais il se passe des trucs, des choses qui

sont décidées, et que je ne suis même pas au courant, alors que je fais partie des

gens qui sont 24/24h à Jeudi Noir, eh ben ! C’est des trucs que je n’ai pas trop

appréciés à un moment donné. » Fanny fait ici référence à la période juin-octobre

2007 où un petit groupe d’acteurs prenaient des décisions importantes pour le

collectif sans en référer au groupe. A cette période Jeudi Noir a été « macaquisé »

selon les termes de Julien. C'est-à-dire que les décisions ont été prises par un noyau

de personnes, c’est notamment comme ça qu’a été décidée la mise en place du

« salon du logement vraiment pas cher ».

Cette limite à l’horizontalité rappelle une forme de spécialisation des tâches.

Celle-ci n’est pas officielle, mais réelle. Le président et le vice-président de Macaq

qui organisent les réquisitions, élus par leur organisation pour décider –

verticalement-, transposent leurs modes de fonctionnement sur Jeudi Noir. Ils ont

besoin de référents pour rapidement agir, être réactifs. La réactivité implique la

mobilisation du moins d’acteurs possibles. Macaquisés, trois acteurs –hommes- de

Jeudi Noir se sont mis à fonctionner à leur manière, verticalement : c’est ce qui est

décrit par Leila dans le document « « Percute ! » toi-même ».

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Document 7. « Percute ! » toi-même 61

61 Article écrit par Leila, publié le 23 juillet 2007, sur le blog « En direct du ministère de la Crise du logement », hébergé par Libération. http://ministeredelacrise.blogs.liberation.fr/logement/

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Si la branche logement de Macaq, qui organise les réquisitions est de ce type,

c’est que ces actions sont illégales et doivent rester secrètes. Juste un petit groupe

de personnes est donc au courant, et prend les décisions. Alors qu’aucune hiérarchie

n’existe pour les deux autres types d’actions –appartement, et agence-, se crée une

dissymétrie à Jeudi Noir. Les acteurs justifient cette division en deux groupes par le

besoin du secret, et la motivation à l’action. Mais effectivement la prise de décision

voit se détacher un groupe restreint de décideurs : ce groupe appuie sa légitimité sur

le capital temps investi, sur la motivation, mais cela n’empêche pas ce groupe

restreint de prendre une certaine autonomie par rapport au collectif, et n’est pas sans

rappeler la principe de subsidiarité tel qu’il est entendu en Union Européenne. C'est-

à-dire que l’Union Européenne n'agit que si son action est plus efficace que celle

conduite au niveau des Etats ou des régions. Ici, ils n’agiraient en petit groupe que si

leur action était plus efficace que s’ils concertaient tout Jeudi Noir. Dans tous les cas

la volonté « libertaire », l’horizontalité, est mise à mal.

c. mais aussi par l’expertise et les capitaux scola ires : militants

ressources.

Si l’on observe la prise de décision à Jeudi Noir on peut avoir l’impression que

ce sont les « anciens » qui tiennent toujours les rênes, le « groupe des étudiants »

n’ayant pas fourni énormément de nouveaux actifs pour Jeudi Noir –ils se sont bien

plus engagés dans Macaq-.

En observant les capitaux scolaires, on trouve une nouvelle explication. Il est

intéressant de voir que l’écart en capitaux scolaires est mince entre les « galériens

du logement » qui s’investissent régulièrement dans la prise de décision. Sur la

douzaine des militants « historiques », tous sauf un –qui a d’ailleurs été intégré par

l’association Macaq- ont suivi ou sont en train de suivre des études supérieures

poussées (bac + 5 à thèse).

Comme le dit Manuel, «nous on n’a pas de gens qui n’ont pas le bac dans nos

mouvements, et c’est terrible parce qu’on est un mouvement de mal logés, et tout ça,

et ceux qui en auraient besoin c’est quand même pas ceux qui ont fait bac plus cinq.

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En général ils s’en sortent mieux que les autres, socialement. Donc, nous on peut

nous accuser, très légitimement de reproduire les inégalités en notre sein. »

On peut expliquer cela par le fait que la légitimité à prendre part à la décision

dans Jeudi Noir s’acquiert par les compétences mises à dispositions. Selon Manuel

ceux qui détiennent le plus de légitimité à décider sont ceux qui ont le temps, « qui

ont plus de compétences, qui sont qualifiés, qui savent écrire un communiqué de

presse, lire un rapport sur le logement et qui n’ont pas peur de parler, en gros. ». Or

ce caractère est plus l’apanage des classes moyennes que populaires.

Déjà Mehl Dominique62 montre que dans les squats il n’y a pas prédominance

des classes populaires, mais que surtout, parmi les leaders, il n’y a quasi-

exclusivement que des classes moyennes, voire parfois de la petite bourgeoisie.

Bien que Jeudi Noir soit un collectif a priori ouvert, il est difficile de s’intégrer,

notamment pour ceux à faibles capitaux scolaires. C’est d’ailleurs l’une des

faiblesses de ce mémoire, voir quels sont ceux qui viennent à Jeudi Noir et ne s’y

engagent pas, et pour quelles raisons. On peut en avancer plusieurs : le manque de

temps, la distance, des raisons professionnelles, mais aussi une distance sociale

incompressible qui exclut certaines personnes peu dotées en capitaux sociaux,

scolaires, de temps ou même financiers. Mais cette question devra faire l’objet d’un

autre mémoire.

Cécile Péchu, en parlant du DAL, dans « Quand les « exclus » passent à

l’action »63 montre que la mobilisation de personnes, a priori sans ressources, que

sont les mal-logés et sans-logis a été rendue possible par l’action de véritables

entrepreneurs de mobilisations qui, eux, possédaient les capitaux sociaux et

politiques nécessaires. A Jeudi Noir aussi il y a ces entrepreneurs de mobilisations,

mais plus que de mobiliser des acteurs à faibles ressources, ils y a bien plus une

centralisation de capitaux de militants-ressources : comme des journalistes, un

designer, des réalisateurs de film, des webmasters, etc. Plus que mobiliser des

62 Mehl Dominique, « les voies de la contestation urbaine », Les annales de la recherche urbaine, n°26, 1980. 63 Péchu Cécile, « Quand les “exclus” passent à l’action. La mobilisation des mal-logés », Politix , n°34, 1996

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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acteurs légitimes socialement puisque touchés par la crise, ils attirent et mobilisent

des acteurs-ressources –souvent aussi touchés par des problèmes de logement,

mais rarement catastrophiques.

L’arrivée du « groupe des étudiants » donne l’occasion d’observer l’intégration

ou non, de ces « nouveaux », dans le « groupe des décideurs » de Jeudi Noir. On

peut faire une typologie.

En septembre Jeudi Noir et Macaq ont recruté le groupe des « étudiants ». En

février, on peut faire deux idéaux-types de ces étudiants. Une partie de ce groupe

s’est tourné vers Jeudi Noir, par rapport au reste du groupe, ils sont plus dotés en

capitaux scolaires. Certains ont même une expérience du militantisme –associatif,

syndical ou politique. Une autre partie du groupe des étudiants s’est tournée vers

l’association Macaq. Ils ont en moyenne moins de capitaux scolaires, et surtout ont

des difficultés matérielles et sont logés à Rio, c'est-à-dire par Macaq.

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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Tableaux n°4 : idéaux-types des « étudiants »

Idéal-type Etudiants Jeudi Noir Etudiants Macaq

Capitaux scolaires

Bac +5 à thèse

Aucun diplôme, à Bac + 4

Logement

Logements privés, et à

« Rio »

Logé à « Rio »

Statut

Etudiants et/ou salariés

Etudiants et/ou salariés,

artistes

Macaq et Jeudi Noir sont différents dans leur organisation et leur composition,

notamment la grande différence est que l’association Macaq peut loger des

personnes en difficultés sociales. En caricaturant, à Jeudi Noir nous avons les

enfants héritiers de bonne famille, à Macaq une population plus populaire.

On peut donc faire deux idéaux-types : un groupe plus proche de Jeudi Noir,

mieux doté en capitaux scolaires et politisé, et un autre groupe moins dotés en

capitaux scolaires et attaché matériellement à Macaq. Il est à noter que le logement

induit une participation à la vie de l’association, ce qui réduit le capital temps

disponible pour le groupe des « étudiants Macaq », et réduit de fait leurs

participations à la prise de décision à Jeudi Noir ainsi que l’engagement proprement

politique : c’est-à-dire publique.

Le pouvoir dans le collectif qui était théorisé comme un pouvoir de proposition

-qui effectivement n’engage que celui qui le propose- a donc des limites. Celles-ci

sont structurelles, l’engagement à Jeudi Noir dépend du parcours, de critères

sociaux et scolaires. Elles sont aussi fonctionnelles, une organisation spécifique

s’étant développée pragmatiquement avec l’évolution des méthodes d’actions.

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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2. Affranchissement des modalités de fonctionnement de la

démocratie représentative, réflexif, et des apparte nances.

a. affranchissement des modalités de fonctionnement caractéristiques de

la démocratie représentative

Si le principe d’horizontalité n’est pas effectivement totalement respecté, ces

« entorses » sont tolérées car chaque militant a de grandes marges de manœuvre,

aucune décision n’étant contraignante pour les individus. Pour reprendre les termes

de J. ION, l’engagement à Jeudi Noir s’est affranchi « des modalités de

fonctionnement caractéristiques de la démocratie représentative ». Le groupe de

militants Jeudi Noir n’est pas basé sur des règles formelles claires, mais est

affinitaire, souple, et son fonctionnement, au contraire de clair, est parfois obscur. Il

fonctionne bien plus comme un groupe d’amis, et répond donc à des logiques

pragmatiques, liées à des expériences personnelles. Julien parle d’un engagement

« à la cool ».

« A la cool » sous-entend plusieurs éléments.

Il n’y a pas d’élection à Jeudi Noir, pas de représentation. Ou plus précisément,

ceux qui veulent représenter représentent. En général représenter Jeudi Noir devant

les médias est souvent ressenti comme une corvée. Il n’est pas rare de voir un

militant Jeudi Noir essayer de se « débarrasser » d’un journaliste en le renvoyant sur

un autre militant. Les réunions avec d’autres groupes ne voient pas non plus les

militants se bousculer au portillon. Par exemple, le 19 décembre 2007 Jeudi Noir

rencontre le MRJC64. Sur les trois personnes prévues, une seule est allée au rendez-

vous.

Faire une action Jeudi Noir n’engage pas tout le monde, mais ceux qui le

souhaitent. D’ailleurs « il n’y a pas d’adhérents, il y a des gens qui viennent aux

64 Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne.

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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réunions, qui discutent par mail. 65». A chaque fois qu’une personne s’engage elle

répond de soi, aucune obligation n’est formulée par le collectif, il est juste sous-

entendu de respecter le concept « Jeudi Noir » et les idées défendues. Il y a une

distance avec l’engagement.

L’information et les décisions ne sont pas forcément prises et diffusées en

réunion, mais aussi par mail. Grâce à Internet, l’information est diffusée rapidement à

tous les membres, il y a une

mise en commun des

connaissances qui se fait

grâce à un clic, sans

réunions, sans se rencontrer.

Mais Internet ne sert pas

seulement à diffuser

l’information –les rencontres,

les prochaines réunions,

l’actualité, etc.- mais sert

aussi à prendre des

décisions. Les décisions prises en réunions, dans les couloirs, ou sur Internet ont la

même valeur, mais n’ont pas les mêmes répercussions internet. Une réunion qui

décide d’une action verra ses modalités d’applications discutées sur Internet – on

utilisera le terme e-discutée67 -, mais le concept sera posé. Parfois c’est toute la

conception de l’action qui est faite par mail, par discussion internet.

65 Entretien n°1. Manuel. 66 Relevé du googlegroupe Jeudi Noir du 25 avril 2008. Le googlegroupe, qui rassemble en avril 93 personnes, est la liste de discussion interne à Jeudi Noir. Elle répertorie tous les sujets discutés par mail. Par exemple, durant le mois de novembre 2006, 407 sujets de discussion ont été lancés, c'est-à-dire que chaque militant inscrit à reçu 407 sujets de discussion dans le mois, chaque discussion pouvant avoir un nombre infini de réponses. Il est à noter que le googlegroupe ne répertorie pas tous les sujets de discussions lancés par mail au sein des militants de Jeudi Noir, puisque d’autres listes sont utilisées comme par exemple la liste « Valérie Pécresse » qui compte tous les militants Jeudi Noir et les étudiants ayant participé à la réquisition de la « Cité U’ Valérie Pécresse ». Ce tableau permet néanmoins de voir les tendances d’activités du collectif. 67 E-discuté, le « e » faisant référence à Internet, le « e » étant l’abréviation de « électronique » et aujourd’hui de « en ligne ».

Document n°8 : activités du « googlegroupe » Jeudi Noir 66

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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Internet a un rôle central dans Jeudi Noir, et rend l’engagement totalisant. Où

que le militant soit, il est en contact permanent avec le collectif. Comme par exemple

Leila qui m’explique qu’elle envoie des mail « pendant [ses] heures de boulot », mais

pas seulement, en vacances, en voyage, chez soi, les militants sont toujours en

contact.

Comme on le voit dans le document n°8, les militant s ont reçu, en moyenne et

au minimum, un mail par jour concernant Jeudi Noir durant le mois de juillet 2007, et

au maximum 15 mails par jours durant le mois de janvier 2007. S’ajoutent à ces

mails, ceux concernant des sous-groupes de Jeudi Noir –comme par exemple le

Google groupe du Ministère de la Crise du Logement- ou plus englobant –comme les

listes d’e-discussions concernant les « historiques » et tous les « étudiants ».

Si Internet n’est pas parfait, puisqu’il exclut ceux qui n’ont pas la possibilité

d’être « en ligne », l’apprentissage de l’utilisation de cet outils est nécessaire pour

être un militant actif à Jeudi Noir.

L’outil Internet finit de remettre en cause

les principes de la démocratie représentative :

Internet met les pairs, ceux possédant Internet

et l’utilisent de manière régulière, sur un statut

d’égalité face à la proposition et l’élaboration.

Bien entendu dans la réalité, certains sont plus

présents sur Internet, tout comme dans une

réunion certains sont plus actifs : les deux plus

actifs e-militants de Jeudi Noir sont

incontestablement Julien et Manuel –totalisant

plus de 700 e-discussions lancées depuis

novembre 2006. On peut faire l’hypothèse que

l’activisme sur le googlegroupe est lié à celui

dans le collectif, mais les différences d’accès à

Internet peuvent remettre en cause cette idée.

Ce point reste malgré tout encore à développer, mais qui, faute de temps et de choix

de problématique, ne le sera pas ici.

68 Tableau relevé sur le googlegroupe de Jeudi Noir le 26 avril 2008.

Document 9 : auteurs les plus

prolifiques sur le googlegroupe de

Jeudi Noir 68

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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Avant de finir cette sous-partie, nous devons revenir sur le concept d’incertitude

de la décision qui est posé par l’idée d’une organisation « a la cool ». La

désorganisation de la prise de décision, et de l’application puisqu’une décision

repose sur la volonté d’individus à la mettre en œuvre, donne une grande place à

l’incertitude. Incertitude que la décision soit appliquée, incertitude qu’elle le soit sous

la forme énoncée, et encore incertitude d’être informé d’une décision. Dans cette

organisation il n’y a pas de centre, c’est une perpétuelle interconnexion d’individus

ayant plus ou moins de poids, plus ou moins incontournables, et tournés tous, a

priori, sur un même but politique ou social69 : le logement.

b. affranchissement réflexif : un engagement distan cié, « militants», pas

militaires, qui marchent à l’envie.

Les militants de Jeudi Noir n’ont rien à voir avec ce qu’induit la racine latine de

ce mot. Militant vient du latin MILITARIS, c'est-à-dire, militaire. Dans un entretien,

Julien70 présente la manière de militer à Jeudi Noir : « Génération Précaire, Jeudi

Noir, Raidh71, ce ne sont que des loisirs. [...] pourquoi je milite ? Je n’ai pas de

bonnes réponses à ça. C’est sûr que c’est parce que j’ai envie. Là, c’est sûr que je

me force pas, et quand je me force de toute manière j’y arrive pas. » « Oui loisir,

envie. Tu sais, je pense au philatéliste qui va faire des trucs que tu comprends pas,

un extraterrestre. Moi pendant un long moment j’étais un extraterrestre pour mes

potes. Surtout pendant Génération Précaire, car c’était un rythme beaucoup plus

soutenu que Jeudi Noir. [...] c’était une réunion par soir ou tous les deux soirs. »

« C’est un hobby, je vais pas beaucoup au cinéma, j’essaye maintenant d’y aller une

fois par mois, mais je n’y suis pas allé beaucoup parce que mon loisir c’était le

« militantisme » entre guillemets. C’est un mot horrible. [...] ça rend pas du tout

l’esprit que c’est parce qu’il y a quand même une putain de camaraderie. Et le terme

camaraderie non plus n’est pas bon, voila. » 72

69 Une définition de Jeudi Noir tourné exclusivement vers une volonté politique exclurait un certain nombre d’ « étudiants » qui n’ont pour but que de réquisitionner des lieux sans les médiatiser, sans les politiser. Juste pour se loger. 70 Entretien avec Julien, daté du 1 mars 2008 71 Réseau d'Alerte et d'Intervention pour les Droits de l'Homme 72 Entretien avec Julien, daté du 1 mars 2008

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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S’ils militent, c’est qu’ils sont dans un groupe, ils s’engagent avec d’autres

avec qui ils ont des affinités. Les réunions ressemblent souvent à des fêtes, on y

trouve une ambiance qui se situe entre la réunion, et la rencontre d’amis. On

remarque que les réunions « plus sérieuses » voient beaucoup moins de

« militants » Jeudi Noir. Par exemple, des débats post-municipaux ont été organisés

sur le logement. Il n’y avait comme militant assidu à l’ensemble des débats que leur

organisatrice. Il ne s’agit pas de dire que les militants ne s’intéressaient pas aux

débats, mais l’ambiance n’était pas de celles qui les rassemblent. Ils se rassemblent

plus dans l’enthousiasme de la préparation d’une action et de sa réalisation, ou d’un

moment entre soi.

L’engagement à Jeudi Noir est basé sur « l’envie » comme le dit Julien :

« dans les deux collectifs, l’engagement il est à l’envie ». Ce qui fait se déplacer,

c’est bien plus la perspective d’un bon moment. « L’idée c’est que ces réunions, elles

sont sympas, et quand c’est pas sympa t’y va pas. ».

Comme l’écrit J. ION, il y a un affranchissement réflexif. L’engagement

requiert une forte implication personnelle, mais il se fait en connaissance de cause et

n’implique pas nécessairement de coller aux rôles du groupe. Le désengagement est

facile et non sanctionné. Il n’est pas rare que certains militants se mettent en retrait

pendant un certain temps pour pouvoir s’investir plus dans un autre engagement

politique, ou bien au niveau professionnel, ou affectif. Il est aussi arrivé qu’après des

décisions certains se mettent en retrait. Ça a été le cas de Fanny et Leila qui ont pris

de la distance avec l’organisation à l’arrivée des « étudiants. »

L’engagement à Jeudi Noir a pour condition

une mise à distance, une maîtrise de ses propres

engagements. Dans chaque entretien on retrouve

cette notion d’indépendance, de retrait volontaire

possible à chaque instant, la distance et le flou entre

vie sociale et vie militante. Comme l’écrit J. Ion, il

s’agit de préserver « son quant-à-soi », la vie

militante n’est pas exclusive, n’est pas un monde

exclusif. Ou comme le dit Leila « on ne se sacrifie

pas pour une cause. Et si on le fait, c’est pour se faire plaisir en même temps. »

« On ne se sacrifie pas

pour une cause. Et si

on le fait, c’est pour se

faire plaisir en même

temps. »

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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Cet élément est lié à l’objectivation des acteurs sur leur propre action. Pour

certain, militant et sociologue, du moins tous doté de capitaux scolaires importants,

ils déconstruisent eux même leurs engagements à partir d’outils utilisés en sciences

sociales. Ils ont même théorisé leurs actions autour de concepts comme « hold up

médiatique », « militants-journalistes » etc.

Il y a donc un fort contrôle réflexif de l’engagement, et ce contrôle protège

l’épanouissement de l’individu.

c. affranchissement des appartenances.

J. Ion pointe un dernier affranchissement, celui des appartenances. Selon lui,

les engagements se font également de plus en plus indépendamment des

sociabilités géographiques, familiales ou religieuses. Ce point est contestable car à

Jeudi Noir, l’engagement, s’il n’est pas non plus une histoire de famille, mobilise des

couples et même des familles. L’engagement est affinitaire, et il n’est pas rare de voir

les frères et sœurs, maris et femmes, des couples, et même des enfants participer.

Pour ce qui est de l’appartenance religieuse elle est inexistante. L’indépendance des

sociabilités géographiques est, elle, bien plus discutable. Internet réduit

incontestablement l’importance d’être dans un lieu, de participer à une réunion pour

être informé, mais l’engagement à Jeudi Noir est particulièrement attaché à des

lieux. Tous les militants de Jeudi Noir73 sont parisiens – dans le sens où ils vivent à

Paris- et la grande majorité vivent à « Rio » ou au Ministère de la Crise du

Logement. L’appartenance géographique est significative et déterminante à

l’engagement. Internet qui permet de prendre des décisions, de suivre l’activité du

groupe sans faire de réunions ne recrée par l’ambiance productrice des réunions.

En ce qui concerne les appartenances politiques, associatives et syndicales

les engagements sont divers au sein de Jeudi Noir. Mais le groupe des historiques

est très politisé et engagé dans plusieurs projets ou organisations. Les plus

communément partagés sont Génération Précaire, La France qui se lève tôt. En ce 73 Il existe des collectifs Jeudi Noir dans plusieurs ville de France, mais il n’y a pas de coordination entre les collectifs.

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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qui concerne les partis politiques, des militants comme Manuel et Lionel sont aux

Verts, alors que Leila est plus proche de la LCR. Quant aux syndicats, leurs

engagements en leur sein est plus ponctuel. On retrouve plus de syndicalistes,

étudiants, dans le groupe des « étudiants » le plus souvent engagés à Sud.

N’ont pas été répertoriés tous les engagements des militants, faute de temps.

Les parcours militants des Jeudi Noir n’ont pas été faits à part pour quatre

personnes : Manuel, Leila, Fanny, et Julien74. Une caractéristique les marque : leurs

engagements sur multiples projets politiques et organisations : ce qui leur donne

accès à des réseaux militants.

74 Les entretiens sont mis en documents à la suite du mémoire

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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B. Du spectaculaire et du festif au politique.

Ce que nous allons aborder dans cette partie c’est Jeudi Noir comme

« média-association ». Nous allons revenir sur l’utilisation du spectaculaire comme

méthode d’action politique. Dans une première partie nous aborderons le rapport

décomplexé du collectif au spectaculaire, puis nous reviendrons sur l’importance du

symbolique et enfin nous analyserons les rapports avec les médias, les politiques et

l’opinion publique

1. Autre manière de faire de la politique : un rapp ort

décomplexé au spectaculaire.

« Toute la vie des sociétés

dans lesquelles règnent les conditions

modernes de production s’annonce

comme une immense accumulation de

spectacles. »

Guy Debord, La société du spectacle.

Comme nous l’avons vu, le terme « militant » au sens militaire est contesté

par les acteurs de Jeudi Noir, et ne serait donc pas adapté à la forme d’engagement

à Jeudi Noir. Il ne s’agit pas du tout de se mettre en rang, ni de suivre des ordres, ni

un idéal supérieur. Bien que l’engagement à Jeudi Noir soit politique, la finalité l’est

sans aucun doute, leur mode d’engagement se base sur l’envie et ils ne se

« sacrifient » pas à la finalité, ni pour le collectif.

Comme J. ION propose l’hypothèse que ces actions pragmatiques auraient la

« prétention à indiquer une autre façon de faire de la politique. »75

75Ion Jacques, Franguiadakis Spyros, Viot Pascal, Militer aujourd’hui, collection autrement, CEVIPOF, 2005, p.25

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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a. illégalisme sectoriel, ou la nécessité de la fê te, de l’immédiat...

Selon Cécile Péchu « le squat en tant qu’occupation volontaire et publique

d’un bâtiment, en vue de son utilisation à des fins d’habitations, présente une

spécificité comme mode d’action. Il constitue, en même temps qu’un outil de

revendication, une réponse à la demande qu’il porte : il s’agit de prendre le toit que

l’on revendique. On considère donc qu’il s’agit d’un « illégalisme sectoriel », en ce

sens que l’illégalisme est directement lié à l’enjeu de la revendication et se limite à

celui-ci. »76

Jeudi Noir est une organisation qui, tout comme son répertoire d’action, est très

pragmatique, opportuniste.

Cette autre manière de faire la politique se caractérise par la volonté de faire

autre chose, de sortir de ce qui leur apparaissait l’engagement

classique –communiste et catholique.

« Septembre on s’est fait des bonnes réunions vodka. Et d’une

semaine sur l’autre, tu mûris un truc » « mon ex de l’époque me

disait, « il y en a marre des tracts, il faut les jeter. » « Tiens, on va

dans un appart et on va les jeter de la fenêtre. » « A ouais, c’est super ! », « mais

faut un truc festif, on fait une fête !». Tu vois deux réunions, et à la troisième, toujours

à la vodka, tu vois, on est tous dépités, et Malcolm qui disait « olala, quand je suis

arrivé à Paris je cherchais un appart, j’étais tellement blasé que je me suis fait une

visite pour le plaisir ». C’est là que naît Jeudi Noir.

L’épanouissement des individus dans leur engagement est premier. Ils se

réalisent dans leur engagement, et il n’a rien à voir avec l’engagement idéal-type

ouvrier, ou catholique : on ne trouve pas l’idée de sacrifice à un idéal supérieur : les

« militants » de Jeudi Noir viennent tous de la gauche, mais au sens large. Ils ne

partagent pas une même et unique vision idéologique du monde, ils ne sont pas

76 Péchu Cécile, DAL, genèse et sociologie d’une mobilisation, Dalloz, 2004, p.361

« Festif, marre

des tracts »

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soumis à une vision englobante comme l’idéaltype « C » -communiste ou catholique.

Bernard Pudal, dans Prendre Parti, pour une sociologie historique du PCF, montre

que l’engagement englobant, total, où le militant est « attaché » à l’organisation est

en général le sort des classes populaires. Ceux-ci sont peu pourvus en ressources

sociales et scolaires, et n’ont pas, non plus, les capitaux légitimes dans le champ

politique. Dans leur cas c’est l’organisation qui le leur fournit, et le résultat est qu’ils

se trouvent dépendants de l’organisation. Dans le cas de Jeudi Noir, on est dans un

cas opposé. La majorité des militants du collectif sont dotés en capitaux sociaux et

scolaires. Ils ont donc une indépendance face aux ressources que pourrait leur

apporter une organisation. Ils recherchent un engagement différent de l’idéaltype

« C », leur engagement ne se fait pas contre ce modèle, mais ils cherchent à l’éviter.

« ça ne fait pas très funky »77, « c’est trop marxiste-léniniste »78

L’engagement chez les militants « historiques » de Jeudi Noir ne semble pas

non plus être basé sur des intérêts personnels à « militer ». Il faut ici distinguer deux

groupes, celui des étudiants, qui militent aussi pour répondre à un souci matériel, et

celui des historiques, qui ont milité dans une finalité uniquement politique et se sont

retrouvé finalement à avoir des rétributions matérielles.

77 Entretien informel avec Lionel. 78 Mail de Jean-Marc, militant « étudiant » de Jeudi Noir.

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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b...qui exploite la VIS RIDICULI. Parallèle avec le s bouffons du roi.

Si l’on reste sur une analyse du groupe « historique » qui a théorisé les

actions Jeudi Noir, si une autre manière de faire de la politique marque leur

engagement, c’est la place donnée à l’humour. Ils exploitent énormément la VIS

RIDICULI, c'est-à-dire la force du ridicule – un humour bien plus compris et accepté

par les classes dominantes que les classes populaires souffrant plus matériellement

de l’objet contesté. L’action de Jeudi Noir, à ses débuts, n’est pas tourné vers l’action

à résultat matériel, mais comme Manuel l’explique : « ce qui structure dans Jeudi

Noir, c’est se côté impertinent face à la réaction absurde du pouvoir qui est contesté

de manière uniquement symbolique. ».

« Militer » à Jeudi Noir, c’est agir sur le symbolique. Shakespeare en avait

comme devise : « le monde entier est une scène ». Les militants de Jeudi Noir y

montent et tournent en ridicule l’adversaire, pointent ses contradictions, mettent à

jour un problème. Mais ce n’est pas pour, ensuite, proposer un programme général,

englobant, pour régler les problèmes du monde comme le ferait l’engagement

partisan. Par rapport à l’engagement associatif, c’est un engagement sur un thème

politique, le logement, à qui ils donnent une approche et des réponses originales –

dans le sens où elles transcendent le clivage politique. Cette originalité tient aux

structures de Jeudi Noir, collectif de personnes qui agissent en affinités, basé sur la

confiance, et ultra réactif car souple pour la prise de décision. Son originalité vient

sur le registre du ridicule. Leur forme de militantisme ressemble au bouffon décrit par

G. Balandier dans « Le pouvoir sur scène ».

Dans son livre il décrit son rôle d’inversion « qui permet de mettre le temps à

l’envers, de métamorphoser la rareté en abondance, la consommation et

consumation, de rompre les censures et les convenances au profit de la fête, de faire

place aux contestations en les dissolvant dans la dérision et l’amusement collectif. Le

défilé est le moyen par lequel la société urbaine se donne à voir, s’expose

spectaculairement. »79

Le « bouffon ». Il faut se départir du sens commun négatif attaché à ce mot,

c’est un qualificatif qui s’applique à celui, ou ceux « qui ont pour fonction de révéler

79 Georges Balandier, Le pouvoir sur scènes, Fayard, 2006, p.105

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spectaculairement ce que cache la façade des sociétés, de montrer le désordre

masqué par l’ordre, de faire surgir dramatiquement le mouvement qui échappe à la

domestication par les structures, les institutions et les mœurs. »80

Jeudi Noir a le même rôle, le même engagement, que le bouffon sous

François 1er. Il ridiculise le pouvoir, se moque de lui, pointe ses contradictions, et

dénonce ses ratés. Ses critiques sont acerbes, mais il le fait avec humour, en

utilisant le ridicule, il fait rire et est accepté par le pouvoir. Jeudi Noir se trouve dans

la même position. Ils tournent en ridicule le pouvoir par leurs modes d’actions,

retournent la réalité festivement, et par cela sont acceptés sur scène, c'est-à-dire

dans le jeu politique. Mais leur position est bien définie, et comme le bouffon, leur

position n’a aucun pouvoir révolutionnaire, ne permet pas de renverser le pouvoir.

Des critiques venants de l’extrême gauche politique dénoncent cette participation au

jeu, et à l’acceptation des règles. Jeudi Noir l’assume, leur stratégie étant de changer

les idées, de toucher au symbolique. Cet engagement politique rappelle les textes

érotiques et humoristiques qui ont circulés avant la Révolution Française de 1789.

Ces textes n’avaient pas un rôle politique de premier rang, au sens où ils n’ont pas

renversé le pouvoir, certains peuvent même leur contester l’appellation politique.

Mais ces textes ont permis d’ébranler une légitimité qui ne l’était déjà plus

structurellement. Comme le Bouffon, par des remises en causes symboliques, est un

moyen de faire des brèches dans le système et d’y installer la critique : de mettre le

problème à l’ordre du jour, à l’agenda politique et médiatique.

Militer c’est donc rendre publique, mettre sur scène, et l’humour, l’inversion,

est ce qui permet à Jeudi Noir d’être admis dans le jeu politique comme l’a été le

bouffon. Comme lui, ils ont été intégrés au jeu politique, au moins dans la forme, ils

leur est permis de retourner le conditionnement.

Comme le bouffon qui retourne la domination, Jeudi Noir semble le faire avec

les médias. On peut alors parler de « conditionnement retourné ». Ils retournent le

conditionnement de la télé, de la conso, ils s’en servent : elle n’est pas totalement

subie.

Fanny « Moi je vois ça vachement comme... à la fois c’est un peu un jeu de

séduction avec les médias, quand même, parce qu’on essaye absolument de trouver 80 Georges Balandier, Ibid., p.135

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un truc qui va marcher dans leur système... et à la fois, ils parlent de nous parce que

c’est des thèmes qui concernent plein de gens, qui les concernent même eux

mêmes, les journalistes, parce qu’ils sont dans des galères de logement ». Alors

qu’ils sont sensés consommer les médias, ils retournent leur condition, et se sont les

médias qui consomment le « produit » Jeudi Noir. C’est ce dont parle Julien quand il

dit « On a réfléchi le paquet », « avec Jeudi Noir c’est rationalisé, c’est un truc pour

[les médias] ». Les médias ne sont pas subis, mais instrumentalisés, et pensés

comme des outils de diffusion d’idées plus que comme des partenaires. Ils n’ont

réellement qu’à venir chercher un produit déjà fini. L’efficacité politique du

conditionnement retourné à la manière du bouffon reste encore à analyser.

Dans les parties qui vont suivrent nous continuerons sur le rapport particulier

aux médias.

2. Jeudi Noir, un activisme symbolique.

L’importante concentration de capitaux intellectuels, d’expertise, entre les

mains d’un petit groupe leur donne un répertoire d’actions particulier. Fort de leur

nombre restreint, de leurs ressources personnelles, ils ont su, avec réussite, attirer

l’attention de leur cible, les médias, afin de mieux peser sur les politiques.

Les militants de Jeudi Noir axent leurs actions sur le « purement

symbolique » : l’action sur les médias est le moyen qu’ils privilégient pour agir sur les

politiques.

a. changer les perceptions ...

Leur répertoire d’action agit d’abord sur le

symbolique et cela pour la simple raison que leur

principal objectif, tel qu’il a été défini en octobre

2006, est lui aussi symbolique. Alors que les squatteurs ont souvent pour but de

justement ouvrir des lieux de vie, associatifs, politiques, eux insistent beaucoup sur

l’idée de changer l’image du squatteur, et cela dans un but politique. Ils veulent

« il est où le cadre

mal logé ?»

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Mémoire de sociologie politique Cottin-Marx Simon

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changer l’image que nous avons du « punk à chien » dans un squat et imposer celle

de Monsieur-tout-le-monde touché par la crise du logement, qui « réquisitionne » un

logement pour pouvoir vivre décemment, et ça dans le but de faire réagir les

pouvoirs publics. Jeudi Noir ne s’en cache pas : « « on caresse l’opinion publique

dans le sens du poil : « regardez ce bâtiment qu’on ouvre, c’est monsieur-tout-le-

monde qui sont à l’intérieur »81.

Manuel explique : « Par exemple le mal logement, c’est sensé être un sort

pour les marginaux. Et nous on a dit, attendez « nous on est des fils de bonne

famille, on n’est pas des marginaux, et pourtant on est touché par le mal logement.

C’est dire si la crise du logement est importante » et là, le journaliste qui veut faire un

article sur le mal logement, au lieu d’aller voir les SDF, ou des gens qui sont

évidement mal logés parce qu’ils ne gagnent pas d’argent, il va voir des gens qui... et

le pire c’est « il y a même des cadres avec nous » tu vois « hoooo ». « Il y a des

cadres qui sont mal logés », rappliquent les caméras, « il est où le cadre mal logé ?»

alors que objectivement c’est quand même pas lui qui a le plus de difficultés, mais

c’est tellement révélateur de la précarisation de la société que d’abord des gens qui

devraient être bien insérés ne le sont pas, qui illustrent. »

« Et donc c’est ce qu’on a mis en avant et qui a bien marché dans les médias, parce

que ça touchait plein de monde, c’est ça, « regardez, nous qui sommes des élèves

modèles, qui sommes gentils, qui avons fait tous les sacrifices que nous devions

faire, qui suivons la voie tracée par nos aînés, ce que nous ont dit nos parents, et

pourtant on a des problèmes d’emplois, on a des problèmes de logements ». »

On retrouve cette idée, de changer les perceptions, dans l’entretien de

Manuel. Le but est de montrer que la précarité s’étend, notamment à ceux qui

devraient « normalement » l’éviter. Une partie de la gauche, extrême gauche

notamment, critique Jeudi Noir sur ce point : ce serait un mouvement de « jeunes

bobos », d’enfants des classes moyennes qui ont peur du déclassement. C’est tout à

fait le discours de Jeudi Noir, le but est de montrer à travers le prisme de la

problématique du logement, -des stages- qu’une partie de la population, là en

81 Entretien n°3. Leila.

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l’occurrence les jeunes, payent la crise économique et sociale. Jeudi Noir n’est pas

légitime socialement pour représenter les plus démunis de capitaux sociaux,

scolaires, mais ils ne prétendent pas les représenter. Ils affirment juste avoir un

discours intelligent à faire passer : ce qu’ils font par leur actions qui amènent à se

poser la question de l’existence d’un problème du logement.

b. ... pour interpeller les pouvoirs publics

On retrouve fortement cette idée d’action plus symbolique que basée sur

rapport de force matériel, on trouve la volonté d’agir sur l’opinion publique.

Comme Manuel le dit lui-même : «Nous, on le pense quand même

essentiellement en des termes symboliques, dans le sens où ouvrir un squat dans

notre tête, à la base, ce n’est pas pour loger cinquante personnes, c’est pour

interpeller les pouvoirs publics. »

« Donc c’est pour ça aussi qu’on a fait des actions festives. Pour interpeller les

médias, pour attirer les militants. C'est-à-dire, si on dit « allez les gars, on va faire un

truc super sympa, on va faire un truc hyper fun, ça va être sympa, ça prend que deux

heures de votre temps samedi, il y aura du mousseux, de la musique et tout » c’est

pas un sacrifice. »

Ils proposent un répertoire d’actions où militer ne serait ni un devoir moral, ni

une obligation, mais une action ludique : cela permet d’attirer des militants

éphémères pour donner plus d’images aux médias. Jeudi Noir, instrumentalise les

médias et eux-mêmes, leurs images. Avec un certain cynisme, il propose une image

telle une marchandise. On peut reprendre l’expression de Salmon82 et parler de

« médias association ». On peut faire l’hypothèse que Jeudi Noir en serait la

troisième génération, après la première apparue après mai 68, et la deuxième, dont

ferait parti le DAL, des années 90.

82 Salmon, Jean-Marc, Le désir de société : des restos du coeur au mouvement des chômeurs, La découverte, Collection « Cahiers Libres », Paris, 1998.

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Même s’ils sont tous, au moins

proches, de la « gauche de la

gauche », -altermondialistes- ils

s’adaptent au système et l’utilisent

pour faire avancer leur cause. Les

militants montrent par là qu’ils sont

bien plus des acteurs que des agents

des mouvements sociaux. Ils produisent des analyses sur leurs actions, définissent

des moyens par rapport à la finalité. On trouve dans leur stratégie une bonne part de

rationalité, et même s’ils ne sont pas capables de tout connaître, ils ont été formés

avec les mêmes personnes qui nous gouvernent et nous informent, ils possèdent les

mêmes logiques, ils partagent une partie des même schèmes de perception, de

construction, d’interprétation du problème, de mise en forme : ils sortent pour la

plupart d’école de journalisme, de l’IEP, d’études de communication...

Leurs actions font d’ailleurs clairement penser à de la communication : ils

donnent une image ludique, et un discours. C’est de là que vient aussi leur légitimité

acquise auprès des médias : de leur discours spécifique, construit, spécialisé et

militant : ils savent se mettre en forme pour les intéresser.

Jacques Ion explique dans la revue Mouvements83 :

« Le sociologue Patrick Champagne affirme qu’on lutterait

« aujourd’hui moins physiquement dans la rue que, avant et après la

manifestation, par des déclarations visant à imposer un point de vue

[...] »84. Evoquant ce qu’il appelle des « manifestations de papiers », il

avance l’idée que la manifestation publique vaut surtout par le compte

rendu journalistique qui en est fait. Ce qui, d’ailleurs, ne manque pas

d’influer sur la conception des action manifestantes, « désormais

explicitement conçues et mises en scène pour produire des comptes

83 ION Jacques, « engagements associatifs et espace public », Mouvements n°3, mars-avril 1999. 84 Patrick Champagne, « la manifestation. La production de l’évènement politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n°52-53, juin 1984, p18-41.

« la réussite se mesure

au passage télé »

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rendus dans la presse et pour produire un maximum d’effets sur les

différents médias et, par là, sur la population85 ».

C’est ce que fait Jeudi Noir, et qui est pour le coup exclusivement tourné vers

les médias, car selon Manuel «souvent la réussite se mesure au passage télé, à

l’impact dans la presse ». Ils ont pris une forme adaptée à ce qu’attendaient les

médias, et grâce à cela, ils arrivent tout de même à faire passer des idées comme la

remise en cause de la propriété privée avec la demande de réquisition des

logements vides. Grâce à un mode d’action original, ils arrivent à faire passer une

idée complètement opposée à « la France des propriétaires » si populaire

aujourd’hui86. En étant un « média association » produisant essentiellement des

« manifestations de papiers » ils font passer leurs revendications. Il y a une prise en

compte, et une réflexion poussée sur les logiques médiatiques et

l’instrumentalisation de cet outil. Les Jeudi Noir ne sont pas inconscients des

nombreux effets pervers des médias, mais comme lors de leurs actions, ils prennent

plus ça par la dérision, avec cynisme. A Jeudi Noir il y a une prise en main

« professionnelle » des médias, par comparaison, on peut citer Philippe Mangeot

président d’Act-up :

« Au départ, même s’il y a toujours eu des gens à Act-Up qui ont été réticents

à l’égard des médias, on a choisi de faire leur jeu pour trois raisons. Premièrement

parce que les médias, ça protège : on fait des actions hors la loi en permanence, et

devant les caméras, on est protégé. Deuxièmement, au début, il n’y avait pas

d’images sur le SIDA, donc il fallait fournir des images des malades. Puisque la

première stratégie était celle de la visibilité, la médiatisation était importante.

Troisièmement c’était une stratégie de la sursaturation : alors que le SIDA était traité

exclusivement dans les rubriques médicales, on a voulu faire en sorte que le SIDA

85 Patrick Champagne « La manifestation comme action symbolique », in Pierre Favre (dir.), La Manifestation, Paris, Presses de la FNSP, 1990, p.342. 86 Commentaires de Manuel à propos de la France des propriétaires : « Son truc de la « France des propriétaires », c’est populaire, ça c’est claire. Les gens sont pour. Mais les gens sont un peu cons aussi, ils sont aussi pour la France des locataires. Les gens ils sont pour aussi que les locataires on leur marche pas trop dessus. Ils pleurent aussi quand des locataires sont à la rue. Donc nous, je pense que là, sur la bataille propriétaires, locataire, depuis l’arrivée de Sarko, on a regagné beaucoup. Depuis cet été en gros, dans l’opinion publique. »

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soit traité dans les rubriques société, politique, culture, etc. Tous les champs

possibles et imaginables ». [...] » Faire venir les médias suppose une stratégie

spectaculaire ? Le problème d’une telle stratégie est que ce qui passe, c’est avant

tout le spectaculaire et pas le discours. Il y a mille moments où l’on s’est fait piéger.

Mais ce piège on l’accepte, d’abord parce que ce n’est jamais très grave, ce n’est

jamais plus grave que ça. On essaiera de rattraper les choses par ailleurs. Mais,

d’autre part, parce qu’Act-Up est un média à soi tout seul, Act-Up produit de l’image,

de l’information, Act-Up produit du texte de façon hystérique. » [...] « Il fallait être

nous-mêmes un média, une sorte d’agence de presse. Il n’y a jamais eu de parano

vis-à-vis des médias, ou, s’il y a une parano, elle est très détachée : oui bien sûr, les

médias nous instrumentalisent, et alors ? Nous aussi d’ailleurs. On n’a pas de rêve

d’instrumentalisation des médias où nous ne serions pas instrumentalisés. »87

Il est clair que Jeudi Noir suit la même stratégie que leurs aînés d’Act-up.

3. mouvements sociaux, médias, politiques et opinio n

publique.

« Ce que l’on appelle communément dans nos

sociétés « événement », ce n’est pas « quelque

chose » qui, en soi, serait important et que la presse

se bornerait à enregistrer : c’est en fait un produit

social collectivement perçu comme tel et dont la

définition peut varier selon la conjoncture, selon les

groupes et selon la structure du champ politique-

journalistique. De sorte qu’il n’existe sans doute pas

d’autres définitions possibles de l’événement qu’une

définition sociale dans la mesure où l’on est en

présence ici d’une construction collective qui

suppose un champ journalistique relativement

87 Entretien de Manjeot Philippe, Président d’Act-Up paris, Revue critique du temps, n°1, 1998, P.13-14.

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autonome : l’événement est pour l’essentiel un

artefact journalistique. »88

a. Le « hold up médiatique », réaction au vide poli tique.

Le « hold up médiatique ».

« L’information est le produit d’un travail de construction et de sélection sur

lequel il convient de s’interroger. Pourquoi les médias parlent-ils de certaines choses

et pourquoi en parlent-ils d’une manière plutôt que d’une autre ? » 89. L’information

est le résultat d’une construction sociale, plus exactement Champagne parle de

« l’évènement » comme un artefact journalistique. Celui-ci est généralement construit

par les acteurs et les journalistes. Mais toujours avec un certain cynisme, ou

réalisme, Julien, l’un des créateurs de Jeudi Noir parle de « Hold up médiatique ».

« Ma notion du hold up [médiatique]. Il faut voir que pour un collectif militant,

on est très axé sur la com’. Mais quand tu ramènes ça à tout ce qui se fait en matière

de lobbying avec Orange qui va faire des faux buz avec des types qui écrivent des

graphes dans le métro et après ils vont révéler que c’est Orange tout ça, c’est juste

dans l’air du temps. Et c’est un travers de la société actuelle : société du spectacle,

tout ce que tu veux, de trop faire, de trop prêter attention à ce qui brille, à ce qui

innove, qui sort du champ traditionnel » « en tout cas nous, on joue là dessus. Si

c’est bien, si c’est pas bien, c’est sûr qu’on s’est attiré l’inimitié d’asso plus

traditionnelles qui préfèrent faire leurs trucs dans leurs coins » « c’est toujours le

même débat. Dans le commerce équitable, tu as ceux qui veulent aller dans la

grande distrib’ parce que c’est là que ça se passe, et puis ceux qui veulent vendre de

la main à la main parce que c’est plus honnête. » « Nous on a clairement pris parti

de jouer avec les médias » et le « hold up médiatique c’est quand tu as une audience 88 Champagne Patrick, « La manifestation, la production de l'événement politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n°52-53, 1984, p.339. 89 Duchesme Françoise et Vakaloulis Michel (dir.), Médias et luttes sociales, éditions de l’Atelier/les éditions ouvrières, Paris, 2003, p.100

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disproportionnée par rapport à l’argent injecté, etc. et en plus tu fais passer un

message intelligent » « le hold up médiatique, c’était de débarquer à quinze ou dix

dans des apparts et d’arriver quand même à réussir à faire passer les messages que

les loyers sont fous ».

Pour lui, un groupe d’une vingtaine de personnes n’est pas légitime pour

parler de la question du logement chez les jeunes, mais vu que personne n’en

parlait, ni ne répondait à la situation problématique, ils se sont engagés sur ce

terrain.

Manuel explique : « Alors voila, on a une niche, on a trouvé un créneau qui

n’était pas exploité. Pour les stages c’était vraiment la caricature du créneau pas

exploité, personne n’en parlait. Là pour le logement des jeunes ça a été un peu plus

dur, parce que sur [...], le logement en général c’est assez saturé, il y a la fondation

Abbé Pierre, le CNL, le DAL et tout. Et donc là dedans il a fallu qu’on se crée un truc,

et ça a été le logement des jeunes et qui était, un peu à notre surprise, abandonnée

par le MJS, l’UNEF, des trucs comme ça. [...], ils en parlaient de temps en temps,

mais ils n’en ont jamais fait une campagne, un truc. Et donc nous on s’est engouffré

là dedans. »

« Par exemple le DAL, c’est souvent les exclus, ils travaillent aussi, mais c’est

souvent des familles africaines, des immigrés et tout ça, c’est un peu les causes qui

ont été jugées périphériques par le mouvement ouvrier traditionnel. Et nous pareil,

les jeunes qui sont en dehors du cadre classique du travail, les stages, qui ne se

battent pas uniquement pour le salaire, mais aussi pour le logement, c’est un peu les

fronts secondaires, comme on les a appelés à un moment. C’est pour ça qu’on n’est

pas entendu par les mouvements classiques. Les syndicats, la CGT, la CNL pour les

locataires, parce qu’on est pas dans les cases classiques. C’est la société qui

s’émiette, qui s’effrite, qui n’a pas ses classes sociales bien définies, et qui, du coup

n’arrive à prendre en compte. C’est ça qui est dramatique. »

La légitimité auprès des médias, ils la justifient par ce vide militant, par

l’abandon par les organisations du problème du logement. Par contre, s’ils ont acquis

une légitimité auprès des médias, c’est aussi et surtout grâce à leur répertoire

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d’action. Julien parle de « coup de bluff » réussi. Derrière l’idée de hold-up on

retrouve l’idée développée, entre autre par les « Yes Men », du plus c’est gros plus

ça passe. C’est ce que fait Jeudi Noir tentant le coup de bluff : « on représente la

jeunesse galérienne du logement ».

Vide politique, vide militant

Selon eux il y a un vide partisan sur la question du logement des jeunes : les

acteurs classiques, syndicats, partis politiques se sont désintéressés de cette

question. Comme l’explique Manuel, le logement est l’un des fronts secondaires

qu’excluaient les syndicats, notamment ceux influencés par le marxisme, dans les

années 50 à 70. A l’époque il y avait une hiérarchisation des causes, et la priorité

étaient donné à « la lutte des classes », à la classe ouvrière et non pas aux luttes

féministes, de genre, des immigrés, du logement... en tant que telles. Selon Tim

Jordan, cette « hiérarchie des oppressions » s’est brisée dans les années 1990. A

partir de là, aucune lutte « n’est censée être plus fondamentale »90.

Selon Cécile Péchu, cette période des années 90 qui a vu se diluer la

« hiérarchie des oppressions » est aussi le moment de l’autonomisation d’un champ

militant par rapport au champ partisan. On n’aurait pas de nouveaux mouvements

sociaux avec de nouveaux acteurs, de nouvelles revendications, valeurs et modes

d’action, mais une autonomisation, une distinction du système partisan. Le champ

politique pour Cécile Péchu, n’est pas unifié, et comporte des sous—espaces. Ces

sous-espaces auraient gagnés leurs autonomies.

Pour Cécile Péchu « le succès de DAL s’inscrit de manière structurelle dans le

processus de différenciation d’un « champ militant » et d’un « champ partisan », qui

a eu lieu durant les années 90 en France. Chacun d’entre eux fonctionne avec une

illusion particulière. Le « militantisme pour le militantisme », qui se résume bien sous

l’idée de « contre pouvoir » est un principe du fonctionnement du champ militant. »91.

Le champ militant aurait gagné une autonomie relative dans les années 90, et aurait

donné aux associations, aux militants non-partisans plus d’espaces de jeux.

90 Jordan Tim, S'engager : les nouveaux militants, activistes, agitateurs, Cevipof, collection « Autrement », 2003, p.26 91 Péchu Cécile, DAL, genèse et sociologie d’une mobilisation, Dalloz, 2004, p.63.

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La déhiérarchisation a créé des espaces politiques aux associations,

notamment sur les thèmes de « l’exclusion », des espaces de luttes résultant de

cette hiérarchisation. Concernant le logement des jeunes ; la crise du logement

prenant de l’ampleur, les organisations « traditionnelles » ne réagissant pas, Jeudi

Noir s’est engouffré dans la niche abandonnée par les partisans, ou du moins sont

moins légitimes.

Ils ont voulu mettre sur la table ce problème, et pour cela, leur démarche

résulte d’un choix pragmatique : ils ont fait le choix d’une approche non-partisane

dans un souci d’efficacité comme l’explique Manuel :

« C’est pour ça que Génération Précaire, ou Jeudi Noir, a toujours dit, nous on

est pas de droite, on est pas de gauche, en sur-jouant la politique, alors que

manifestement on est tous de gauche. Mais pour accéder,... comme la sphère

partisane est un peu délégitimée aujourd’hui... quand tu dis bonjours, « je suis chez

les verts » on te dit : on s’en fout de ce que tu vas dire, ou « je suis socialiste » et pis

voila, les gens dans les manifs, dans les AG ils vont dire les socialistes dehors. Par

contre quand on dit nous on n’est pas partisan, on n’est pas récupéré, on vient de

naître, on est beau, on est jeune, ben ça, tout de suite ça marche. »

C’est son côté transpartisan, indépendant politiquement qui a fait que Jeudi

Noir a été considéré par les médias comme légitime.

Mais cela ne suffisait pas pour les intéresser, ils ont donc inventé une nouvelle

méthode d’action. Une action dite « Jeudi Noir », c’est prendre « du mousseux, des

confettis, de la musique, des ballons et d’aller faire la fête chez un propriétaire qui

loue trop cher ». Il s’agit de donner aux médias des images, si elles ne sont pas

spectaculaires, elles sont décalées et peu communes. Elles sont aussi non-

violentes, ce qui témoigne d’une bonne « moralité» tout ça ajoute à l’attrait

transpartisans, au côté « beau », « jeune », « neuf »92.

92 Lors de la manifestation du 15 mars contre la reprise des expulsions après la trêve hivernal, un slogan résume bien l’esprit Jeudi Noir. Plein d’ironie, dit en criant et en courant, avec le sourire « on est beau, on est jeunes, on est sympa, on est sexy, on est Jeudi Noir ! ». Mais la postérité ne le retiendra sûrement pas. S’est ajouté par la suite, entre autre, le qualificatif « provocateurs » quand les militants se faisaient photographier avec la gendarmerie venue encadrer la manifestation.

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b. Le champ journalistique.

Pour comprendre l’intérêt des journalistes et par delà, la légitimité qu’ils

confèrent à Jeudi Noir, il faut aller au-delà des remarques sur le côté

« transpartisan », « festif », « neuf » et du « vide politique ».

Ce qui plait aux médias c’est le côté « incroyable », « nouveau » et

consensuel de ce que montre Jeudi Noir :

« Et ça, les médias qui cherchent le consensuel, qui cherchent ce qui touche tout le

monde y voient une anomalie dans la structure sociale. Que quelqu’un n’ait pas le

bac et pas de boulot, le journaliste il va dire « et alors, c’est évident, c’est ça la

société », « t’as pas fait d’études, t’es pauvre ». Alors moi je trouve ça injuste, mais

dans la tête du journaliste c’est dans l’ordre des choses. Si tu leur amènes, « bonjour

moi j’ai fait science po, je ne suis pas payé en stage et du coup je vis dans une sous

location précaire, machin », et là, « ho putain c’est dégueulasse ! ». Pourtant la

situation est aussi dégueulasse, enfin c’est la même chose. Mais dans la tête des

gens, c’est plus illégitime que quelqu’un -qui est fils de bourgeois- se retrouve plus

ou moins dans la dèche. »

Les militants de Jeudi Noir, pour promouvoir leur cause, répondent à la

demande du champ journalistique. On peut en dégager deux idéaux-types.

Le premier type de demande, est celle du journaliste militant, ou spécialisé dans les

mouvements sociaux : ceux-ci relayent les actions de Jeudi Noir, et disent se battre

pour imposer leurs vues à leur rédaction93. La deuxième demande est plus

intéressée par le côté médiatique, le côté spectaculaire : il s’agit des journalistes

types Paris Match, ou des émissions comme « le droit de savoir » sur TF1 –pour

caricaturer-.

Génération Précaire a mis sur l’agenda médiatique le problème des stages.

Ce problème a gagné sa légitimité médiatique parce que de nombreux journalistes

93 Discussion informelle avec un journaliste de France 2

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étaient, ou ont été, eux-mêmes personnellement touchés par ce problème.

Génération précaire a alors touché une partie du champ journalistique, une partie

des journalistes : les jeunes, anciens stagiaires. Jeudi Noir a eu une même stratégie,

plus ou moins consciente, sur les journalistes : ils ont surtout intéressé une certaine

partie du champ journalistique. Ils ont attiré l’attention de journalistes militants, des

journalistes concernés ou que concernaient les problèmes de logement, et bien sûr

ceux envoyés par leurs rédactions parce que le sujet est porteur : par exemple au

moment de la rentrée universitaire le sujet du logement étudiant revient à la mode.

Pour développer le sujet : l’engagement des journalistes à couvrir

positivement Jeudi Noir est lié à leurs conditions de jeunes. Comme le montre Louis

Chauvel94 en parlant de cohorte, il montre que les jeunes ont l’expérience des

mêmes « galères ». Les générations récentes ont plus de difficultés à entrer sur le

marché du travail, et du coup à se loger. Les études à rallonge ne certifient plus la

mobilité sociale. Ces mêmes expériences sociales de la précarité peuvent être

résumées par le slogan de Jeudi Noir « Génération Tanguy, merci Sarkozy » faisant

référence au film Tanguy où l’étudiant est toujours à 30 ans chez ses parents.

Pour Chauvel « il semble que les généreuses redistributions des familles ont

permis de dissimuler dans une paix factice une autre réalité : le fait que, dans la vraie

vie, dans la société située au-dehors du doux cocon familial, autrement dit dans

l’entreprise, les syndicats, les partis, les appareils de l’Etat, les jeunes ont subi une

parfaite déroute au terme d’une guerre silencieuse entre les générations. Privés de

ressources autonomes, victimes, au moins dans la sphère publique, du complexe de

Kronos de la génération précédente, les nouvelles générations peineront à tracer

elles-mêmes leur propre voie. La société fondée sur la mendicité familiale doit

s’attendre à faire face, tôt ou tard, à une impasse civilisationnelle. »95

Des journalistes qui suivent Jeudi Noir comptent dans leur groupe d’ailleurs

certains trentenaires vivant toujours chez leurs parents, dans « l’impasse

civilisationnelle ». Il y a une réelle proximité sociale, le partage des mêmes

expériences renforcé par le fait que les militants de Jeudi Noir, sont pour certains

journalistes. Cette caractéristique fait qu’existe une réelle proximité avec les

94 Chauvel Louis, Le destin des générations. Structure sociale et cohortes en France au XX

e siècle, Paris, PUF, 1998 95 Chauvel Louis, Les classes moyennes à la dérive, Seuil, 2006, p.80

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journalistes, même personnelle. Lors de l’observation participante j’ai eu l’occasion

d’être invité à des anniversaires, des fêtes organisées par des journalistes. Et les

fêtes Jeudi Noir comptent aussi un certain nombre de journalistes. Face à ce

phénomène j’ai demandé à Julien ce qu’il pensait des effets négatifs de cette

connivence, de l’éthique. Selon lui « la connivence, faut l’assumer » d’autant plus

que certains militants sont en couple avec des journalistes ou le sont eux mêmes.

Jeudi Noir ne se cache donc pas de cette proximité. Selon Julien cette connivence

est beaucoup moins grave que lorsque l’on voit du champagne distribué à 20h sur

TF1 le soir d’une élection présidentielle.

Les Jeudi Noir en proposant cette thématique, avec ses modes d’actions

particuliers, ont gagné leur légitimité auprès d’une certaine partie du champ

journalistique, et par leur sujet, la crise du logement, une autre partie – cette

distinction est un idéal type permettant une meilleure lecture sociologique.

c. Du médiatique au politique, ou l’importance de l ’opinion publique.

L’incidence médiatique

a fait réagir les politiques, qui

ont réagi en convoquant Jeudi

Noir pour entendre leurs

revendications.

Il est intéressant de noter, que matériellement Jeudi Noir n’a aucun pouvoir.

Clairement, Jeudi Noir ne « squatte » de janvier 2007 à février 2008 qu’un étage d’un

bâtiment qui est le Ministère de la Crise du Logement. Comparé à ses partenaires,

DAL ou MACAQ, ce collectif est dépourvu de moyens. Mais, comme le DAL qui joue

sur l’opinion publique, Jeudi Noir mise essentiellement dessus. C’est là qu’on voit

que ses militants ont été formés dans les mêmes écoles que les journalistes et les

politiques : ils partent tous du postulat de l’existence et de l’importance de l’opinion

publique. Une fois le terrain médiatique investi, le terrain politique est obligé de

s’intéresser à la question qui reste exclusivement symbolique. Le problème de

« on remonte le sujet dans

l’agenda médiatique. Et donc dans

l’agenda politique, puisque se sont

les mêmes agendas, quasiment »

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jeunes en termes de logement est bien réel, mais ce n’est que par la médiatisation

que l’agenda politique le prend en compte.

Comme l’explique Patrick Champagne :

« L’action politique de type symbolique n’agit que sur ceux qui la

reconnaissent (aux deux sens du mot). Les « revues de presse »

n’agissent jamais que sur les agents qui les fabriquent et les lisent,

notamment sur les agents du champ politico-journalistique et la

plupart des « décideurs » qui disposent de services spécialisés pour

les constituer quotidiennement. »96

Et Manuel l’a bien compris :

« Mais on a un pouvoir qui, je pense, est un vrai pouvoir et qui a une sorte

d’efficacité, mais qui est impossible à mesurer, on met un sujet, on remonte le sujet

dans l’agenda médiatique. Et donc dans l’agenda politique, puisque se sont les

mêmes agendas, quasiment, et quand tu fais passer le logement ou les stages en

haut de l’agenda ben !, à un moment ou un autre, quand le gouvernement il va lâcher

dix millions d’euros pour le logement étudiant eh ben ! t’es un peu responsable de

ça, c’est un peu grâce à toi. »

Les jeunes de Jeudi Noir se sont inspirés des « vieux » du DAL : ils ont utilisé

les mêmes techniques : Jeudi Noir, comme le DAL lors du déroulement de

nombreuses élections, s’est immiscé dans la campagne électorale. Mais cependant

une partie de l’importance donnée à l’opinion publique venait de la campagne,

comme le soutien au Ministère de la Crise du Logement était positivement accueilli

dans l’opinion publique, les candidats –de gauche- sont allés faire un passage là-

bas.

Le « pouvoir » que donnent les médias.

96 Champagne Patrick, « la manifestation comme action symbolique », (in) La manifestation (dir.) Pierre Favre, Presse de la fondation nationale des sciences politiques, 1990, p.349

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Cette médiatisation donne un pouvoir que Manuel explique très bien. Assistant

parlementaire il a l’expérience de la minorité au parlement, et son expérience de

militant médiatisé.

« Et c’est très drôle, parce que j’ai déposé des amendements sur le logement,

sur les lois sur le logement et tout, et Borloo envoie bananer : on s’en fout de ce que

tu dis [en parlant de son sénateur]. Mais celui qui va négocier au final avec Borloo,

au final c’est moi. Juste parce qu’on a fait les cons dans un appart. C’est paradoxal.

C’est là que je me dis, mais pourquoi je me fais chier à faire des amendements alors

qu’il suffit de balancer des ballons et de faire des communiqués de presse un peu

bien sentis. »

Il est intéressant de voir, que le champ politique donne une grande importance

au médiatique, bien plus qu’au fond du sujet. Leila « on est conscient que le politique

ne va pas réagir s’il n’y a pas un sujet au journal de 20h ».

C’est là que se mesure l’importance prise par Jeudi noir.

Ça aussi Manuel l’explique très bien :

« Ségolène Royal qui a fait une campagne méga-centriste avec un PS méga mou,

mais elle est quand même venue au Ministère de la Crise du Logement, parce qu’on

l’a poussée ; on est allé la chercher à Roubaix, sur une réunion sur le logement

qu’elle avait. Où on l’a interpellée en public « madame Royale, vous ne voulez pas

venir au Ministère de la Crise du Logement ? On vous a invitée, vous n’avez pas

répondu », elle a répondu « oui, oui je viendrai, oui... » et le lendemain, elle était là. »

Les politiques prennent en compte l’opinion publique. Même si comme Pierre

Bourdieu l’a démontré « l’opinion publique n’existe pas » elle a une importance plus

qu’importante dans les choix stratégiques du champ politique, comme cela s’est

exacerbé avec la présidence Sarkozy. La classe politique, commandant toujours plus

de sondages, est hyper réactive à l’agenda médiatique ; ce dernier confondu de plus

en plus avec l’agenda politique. Cela, les militants de Jeudi Noir-Génération Précaire

l’ont bien compris, et c’est pour cela qu’ils privilégient l’action sur les médias pour

agir en finalité sur les politiques.

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Légitimité pour parler, légitimité créatrice ?

Après il est difficile de dire si Jeudi Noir a vraiment gagné quelque chose, la

question du logement étant investie par de multiples associations comme le DAL et

les Don Quichotte. Mais, Valérie Pecresse, ministre de l’enseignement supérieur, a

fait comme premier geste, aux manifestations contre la LRU, une augmentation du

budget alloué aux logements étudiants : peut être parce que quelques semaines plus

tôt Jeudi Noir avait réquisitionné un logement pour en faire une cité U, et interpellé la

ministre. Concrètement, durant la période observée, Jeudi Noir n’a obtenu qu’une

victoire que l’on peut lui imputer directement : le rachat du MCL par la mairie de Paris

pour en faire des logements sociaux.

Il est donc difficile de répondre à la question de l’efficacité de l’action de Jeudi

Noir, tout autant qu’il est difficile de dire s’il est légitime de faire passer la question du

logement avant d’autres problèmes étudiants, des jeunes. Mais il est clair que Jeudi

Noir a conquis une légitimité auprès des médias, le temps nous dira si elle est

éphémère, et grâce à cela, une forme de reconnaissance politique. En quelque sorte

ils ont été reconnus par ceux qui dominent la superstructure, même si c’est sûrement

en passant par ceux dominés dans le champ de cette super structure.

Par rapport à l’efficacité de Jeudi Noir, on peut aussi légitimement remettre en

question leur influence sur les politiques. Car s’ils contrôlent correctement les

médias, les politiques, comme on l’a vu pendant la campagne présidentielle, les

utilisent comme faire-valoir pour se mettre en avant, se légitimer.

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Conclusion :

Pour conclure ce mémoire, nous allons tout d’abord répondre à la

problématique, puis nous proposerons une hypothèse d’analyse plus large : nous

élargirons la focale.

Avons-nous à faire à un nouveau type d’organisation militante, ou se place-t-

elle dans une continuité historique des luttes ?

1. agir ici et maintenant.

A partir d’éléments récoltés lors d’une observation participante de six mois,

d’entretiens, et de recherche une analyse de Jeudi Noir a été faite. Comme nous

l’avons vu nous pouvons accorder à Jacques Ion, que militer dans

ce collectif, c’est « agir ici et maintenant ». Cette caractéristique

est indéniable chez Jeudi Noir. Tout comme il y une plus grande

exposition de soi97. Avec jeudi Noir, les « victimes » prennent la

parole. Ils seraient bien plus acteurs, et on le retrouve chez Jeudi

Noir, ils incarnent leurs luttes, mais ce n’est pas pour autant qu’ils en sont

représentatifs -« galériens » hautement diplômés, ils ne sont pas les plus exposés à

la précarité.

Autre élément présenté par ce sociologue comme une nouveauté est le

rapport à l’engagement. Le militantisme est « non-militaire », c'est-à-dire qu’il est vu

comme un moyen de s’épanouir, de s’amuser, et non de se sacrifier. Mais cette

caractéristique semble être celle du monde associatif où l’engagement répond plus

aux singularités individuelles. Tout comme l’organisation horizontale, la distance

réflexive avec l’engagement ou l’affranchissement des appartenances et des

modalités de la démocratie représentative, rien n’est moins sûr que leur nouveauté.

La sociologie de Ion, notamment, présente une évolution historique du militantisme

qui aurait été le fait d’agents, et aujourd’hui celui d’acteurs.

97 Jacques Ion et Michel Peroni, Engagement public et exposition de la personne, éd. De l’Aube, 1997.

« agir ici et

maintenant »

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Or rien n’est moins sûr que cela soit nouveau, la réponse est en partie à

chercher dans les mouvements anarcho-syndicalistes, dans les mouvements

écologistes.

Jeudi Noir est considéré par ses militants comme légitime en raison de son

fonctionnement, de son mode décision. Celui-ci est horizontal, consensuel,

libertaire : où seul est pensé l’investissement comme entraînant une différence de

fait dans la prise de décision. On retrouve dans cet engagement une place laissée à

l’individu tout comme il a été développé tout au long du 20e siècle dans les

mouvements appelés « libertaires ». Ce n’est donc pas nouveau. Comme on l’a vu

Georges Cochon, qui venaient de l’anarcho-syndicalisme a même fait des actions

comparables à Jeudi Noir : spectaculaire, et portées sur l’humour.

Le « agir ici et maintenant » a été le fait de Georges Cochon, tout comme le

Bouffon il s’agissait d’utiliser l’humour.

Si on doit résumer l’ici et maintenant de Jeudi Noir, ce serait s’organiser

ensemble, sans se forcer, ni forcer personnes, et utiliser l’humour, la fête et le

spectaculaire : mais pourquoi ?

2. Agir sur les perceptions...

On trouve des traces de l’utilisation du spectaculaire, de la fête, et du

spectaculaire dès la fin du Moyen-âge. Puis il y a eu les « tours de Cochon », et les

actions connues des associations Act-Up et DAL.

A travers ces actions spectaculaires, Jeudi Noir, tout comme ses prédécesseurs,

a pour but de changer les perceptions, de faire des actions symboliques pour

interpeller les pouvoirs publics, et « de diffuser un discours intelligent »98.

C’est là que certains pensent trouver une nouveauté :

dans le rapport aux médias. Il est indéniable que les militants

Jeudi Noir savent communiquer, inverser l’ordre symbolique, et

le mettre au profit de la contestation.

98 Entretien informel avec Julien, mars 2008.

Agir sur les

perceptions

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Tim Jordan parle d’ « avènement de la société d’information », Jeudi Noir,

clairement, agit sur ce terrain en tant que média-association dont le but est de faire

des « manifestations de papier ». Jeudi Noir a adopté un mode d’action original pour

intéresser les médias, et cela dans le but de s’inscrire dans l’agenda médiatique puis

de fait dans l’agenda politique.

La réussite du hold-up médiatique de Jeudi Noir ne s’explique pas que par le

vide militant concernant la question du logement des jeunes, mais aussi par les

caractéristiques du champ journalistique. C’est un véritable hold-up qui est fait sur la

prise de parole publique car Jeudi Noir n’est en rien représentatif. Le hold-up est

double puisqu’il donne une audience auprès des politiques. Le champ politique, en «

bataille pour l’opinion publique »99, étant hyper-réactif à ce qui est médiatique et ce

qui risque d’attirer les bonnes grâces de « ses futurs électeurs ».

Comme le disent Duchesme Françoise, et Vakaloulis Michel, « Un étrange régime

voit le jour, la démocratie d’opinion. 100 La confrontation entre les hommes politiques

se déplace sur le terrain de l’ « image ». Le jeu politique perd ses aspérités. La

gestion de l’immédiat remplace le projet politique. Plus les hommes politiques sont

visibles, plus leur statut est fantomatique. »

Les médias sont vus par les militants de Jeudi Noir comme des instruments

auxquels le moins possible de marges de manœuvre est laissé. Selon Snow101, les

mouvements sociaux sont porteurs de cadres de perceptions, Jeudi Noir va jusqu’au

bout de cette logique, et donne des cadres de perception déjà vulgarisés, prêts à la

consommation, et complètement formatés. Avant d’être un collectif de personnes,

« Jeudi Noir » est un concept qui rappelle la communication publicitaire : une image,

attachée à des idées vulgarisées, et cela dans le but de toucher la masse par les

médias. Mais là encore, la « nouveauté » en tant que caractéristique n’est pas totale.

Il s’agit plutôt d’une évolution, d’un processus d’appropriation par les mouvements

99 Patrick Champagne, « la manifestation comme action symbolique », (in) « la manifestation » (dir.) Pierre Favre, Presse de la fondation nationale des sciences politiques, 1990. p.346 100 Duchesme Françoise et Vakaloulis Michel (dir.), Médias et luttes sociales, éditions de l’Atelier/les éditions ouvrières, Paris, 2003,. p.100 101 Cefai Daniel, Trom Danny, Les formes de l’action collective, Ecole des hautes études en sciences sociales, Paris, 2001.

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sociaux des nouvelles technologies. Tout comme Cochon utilisait les cabarets, Jeudi

Noir utilise internet.

Cette utilisation des nouvelles technologies est renforcée par le fait que le

collectif regroupe essentiellement des jeunes, ayant fait des études sur ces nouvelles

technologies, et les utilisent pour militer. Il est important de voir, concernant la

nouveauté, que Internet permet la « mutualisation des savoirs » 102, qui rend possible

une forme de détachement de l’engagement sans pour autant s’en couper.

L’engagement à Jeudi Noir, grâce au rôle d’Internet, différencie cet engagement des

engagements plus traditionnels, et leur facilite une « rupture » avec le répertoire

d’action traditionnel. Les Jeudi Noir sont beaucoup plus réactifs, mais comme les

groupes affinitaires nombreux dans cette fameuse mouvance libertaire.

3. agir à partir d’un problème structurelle

Si l’on peut dire, par les mécanismes expliqués dans ce mémoire, que Jeudi

Noir a conquis une légitimité médiatique, à prendre la parole dans l’espace public, et

donc une légitimité politique, celle-ci est limitée à une prise de parole. Elle est peu

concrétisée, comparativement au succès médiatique, par des réalisations politiques

–lois- économiques ou sociales – et même réquisition.

Aujourd’hui de plus en plus, ces actions symboliques sont donc complétées

par des réquisitions qui ajoutent, au symbolique, une solution au problème

économique. C’est ce qu’appelle Cécile Péchu l’ « illégalisme sectoriel ». Une action

symbolique, politique, apporte une réponse matérielle, à un problème structurel.

L’action de Jeudi Noir est inscrite dans une problématique structurelle.

L’existence de Jeudi Noir n’est pas légitime pour ses propres militants, les syndicats

notamment, ne s’occupent pas assez de sujet du logement selon eux, et c’est de là

qu’ils légitiment leurs actions. Il ne s’agit par d’un engagement post-moderne, il n’est

pas le moins du monde dégagé des revendications matérielles, puisque ici, il est état

du logement : revendication, comme on l’a vu, qui est l’une des origines de la

Commune de Paris.

102 Sommier Isabelle, le renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation.2003, Flammarion. p.199

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Pour finir

Parler de nouveau mouvement social c’est sûrement y aller un peu fort. Il

s’agit d’un terme accrocheur, vendeur, mais il n’y a pas une rupture dans les formes

de l’engagement, plutôt une évolution.

Un changement structurel –précarité- et contextuel –utilisation des nouvelles

technologies- donne à ce mouvement essentiellement parisien une audience

particulière. Mais il ne s’agit pas plus d’une découverte de nouvelles formes

d’engagements que d’une redécouverte. Si leur engagement n’est pas classiste, qu’il

se différencie en partie du répertoire d’action traditionnel et la vision à long terme du

mouvement ouvrier, il rompt tout autant avec une caricature de celui-ci, et se place

dans la continuité du mouvement libertaire –sans s’en revendiquer.

Ce qui est le plus nouveau avec Jeudi Noir, c’est que fortement dotés en

capitaux scolaires et sociaux, ils ne sont pas moins des acteurs dans l’action, que

des acteurs au sens sociologique : c’est surtout qu’ils se présentent comme

nouveaux. Leurs manières d’agir ensemble, pragmatiques, ressemblent aux

engagements passés.

On peut faire cette hypothèse ; c’est que la « nouveauté » doit être vue sous

l’angle de l’instrumentalisation de ce concept même. Les militants, Jeudi Noir, ne

sont nouveaux que dans le fait qu’ils ont un intérêt politique à l’être. Ils utilisent cette

catégorie pour se valoriser, se légitimer, et font donc en sorte de le paraître. La

catégorie « nouveau », qu’elle soit médiatique ou sociologique, est donc performative

dans le sens où elle crée du « nouveau », de l’original, du spectaculaire.

Cette interaction particulière du champ militant avec les champs scientifiques

et médiatiques pose la question d’une relative autonomie de ce premier avec le

champ politique. Le champ militant développe ses logiques propres de légitimations,

de mises en avant, et aujourd’hui complété par les apports des champs scientifiques

et médiatiques, s’oppose au champ politique en partie dans l’opposition

nouveau/ancien.

.

.

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Bibliographie. -Anzieu Didier, Martin Jean-Yves, La dynamique des groupes restreints, Paris, Presses universitaires de France, 1990 - Balandier Georges, Le pouvoir sur scènes, Fayard, 2006 - Beaud Stephane, Weber Florence, Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, 1998 -Beroud Sophie, Mouriaux René, Vakaloulis Michel, Le mouvement social en France, La dispute, 1998 - Bourdieu Pierre, « Sur l’observation participante. Réponse à quelques objections », Actes de la recherche en sciences sociales, 1978 - Bourdieu Pierre, « L’objectivation participante », Actes de la recherche en sciences sociales, Volume 150, Numéro 1, 2003 -Castel Robert, Les métamorphoses de la question sociale, Folio, Paris, 1995. - Champagne Patrick, « La manifestation, la production de l'événement politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n°52-53, 1984, - Champagne Patrick, « la manifestation comme action symbolique », (in) La manifestation (dir.) Pierre Favre, Presse de la fondation nationale des sciences politiques, 1990 - Chauvel Louis, Le destin des générations. Structure sociale et cohortes en France au XX

e siècle, Paris, PUF, 1998 - Chauvel Louis, Les classes moyennes à la dérive, Seuil, 2006 - Corcuff Philippe, La Société de verre : pour une éthique de la fragilité, Armand Colin, Paris, 2002. -Crettiez Xavier, Sommier Isabelle (dir.), La France rebelle, Paris, Michalon, 2002 - Diaz Frédéric, « L’observation participante comme outil de compréhension du champ de la sécurité », Champ pénale, Janvier 2005. - Duchesme Françoise et Vakaloulis Michel (dir.), Médias et luttes sociales, éditions de l’Atelier/les éditions ouvrières, Paris, 2003 - Durkheim Emile, Les règles de la méthode sociologique, Quadrige, 1895. - Daniel gaxie, « Rétribution du militantisme et paradoxes de l’action collective », Swiss Political science rewiew, 2005, 157-188.

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- Guerrand Roger-Henri, Propriétaires et locataires. Les origines du logement social en France (1850-1914), Paris, édition Quintette, 1987 - ION Jacques, « engagements associatifs et espace public », Mouvements n°3, mars-avril 1999 - Ion Jacques, Franguiadakis Spyros, Viot Pascal, Militer aujourd’hui , collection autrement, CEVIPOF, 2005 - Jeanneau Laurent, Lernould Sébastien, Les nouveaux militants, Les petits matins, Clamecy, 2008 - Jordan Tim, S'engager : les nouveaux militants, activistes, agitateurs, Cevipof, collection « Autrement », 2003 - Kamoun, Patrick, V’là Cochon qui déménage. Prélude au droit au logement, Vauchrétien, Ivan Davy éditeur, coll. « Faits et gestes », 2000 -Makhaiski Jan Waclav, Le socialisme des intellectuels, Les éditions de Paris, Paris, 2001. - Mathieu Lilian, Comment lutter ?, Paris, collection La Discorde/Textuel, 2004. - Mehl Dominique, « les voies de la contestation urbaine », Les annales de la recherche urbaine, n°26, 1980. - Neveu Erick (dir.), « Médias et mouvements sociaux », Réseaux vol17, n°98, Paris, 1999. - Neveu Erick, Sociologie des mouvements sociaux, Paris, La Découverte, coll « Repères », 1996 -Péchu Cécile, DAL, genèse et sociologie d’une mobilisation, Dalloz, 2004 - Péchu Cécile, « Quand les “exclus” passent à l’action. La mobilisation des mal-logés », Politix , n°34, 1996 - Pinçon Michel, Pinçon-Charlot Monique, Voyage en grande bourgeoisie. Journal d’enquête, PUF, 1997. -Salmon, Jean-Marc, Le désir de société : des restos du coeur au mouvement des chômeurs, La découverte, Collection « Cahiers Libres », Paris,1998 -Schwartz Olivier, Le monde privé des ouvriers,Puf, Paris, 1989. - Sommier Isabelle, Les nouveaux mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation, collection Dominos, Flammarion, 2001

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Annexes : Entretiens, documents et tableaux Présentations des militants. Entretien N°1. Réalisé avec Manuel, Paris, le 15 no vembre 2007

Manuel est la personne qui m’a recruté à Jeudi Noir. Il est diplômé de l’IEP Paris, du centre de formation des journalistes, et d’un master recherche sociologie politique. En plus de son engagement dans Jeudi Noir, il s’investit à Génération Précaire, La France qui se lève tôt, et dans une multitude d’initiatives. Il est aussi militant chez les Verts, et fait parti du courant Zone d’Ecologie Populaire.

Entretien n°2. Réalisé avec Fanny, Paris, le 19 déc embre 2007

Elle enchaîne deux CDD durant la période étudiée. Elle est diplômée d’un DESS Communication stratégique et relations publiques en Europe, et d’une maîtrise Langues Étrangères Appliquées Anglais/Allemand mention traduction spécialisée option droit. Durant la période étudiée elle est militante, à la fois à Génération Précaire, et dans Jeudi Noir et s’est investi dans La France qui se lève tôt. Entretien N°3. Réalisé avec Leila, Paris, le 20 dé cembre 2007

Elle est diplômée de l’IEP de Toulouse (bac+4), spécialisation journalisme et communication. Elle n’a pas de travail stable durant la période. Ancienne militante à Alternative Libertaire, durant la période étudiée, elle milite à Génération Précaire, La France qui se lève tôt, et elle s’investit dans la création du Nouveau Parti Anti-capitaliste de la LCR.

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Entretien N°1. Réalisé avec Manuel, Paris, le 15 no vembre 2007 [...] Simon : tu as fait science po ? Manuel : oui, j’ai fais sociologie des mouvements sociaux . […] S : pour commencer, comment t’en es venu au militantisme, à Jeudi Noir. T’es passé par quoi ? M : c’est une longue histoire, ça fait longtemps que je milite. Maintenant je viens d’avoir 26 ans et j’ai commencé à militer vraiment en 97, donc j’avais 15 ans en gros. Juste avant ça, (…) je ne suis pas d’une famille militante et tout ça, je n’arrive pas trop à expliquer ce qui a déclenché ça, car pourtant c’est quelque chose qui a structuré beaucoup ma courte vie. (…) Je n’ai pas trop d’explications très précises, juste je me rappelle qu’au collège, avant de mon engagement vraiment politique, entre guillemets, j’avais fait une collecte pour les Restau du Cœur, j’avais, je ne sais pas, 12, 13 ans dans mon collège, et je trouvais plutôt sympa de faire une collecte pour les Restau du Cœur, parce que « les gens ce n’est pas bien qu’ils aient faim dans la rue », tu vois, très basique. Donc ça marchait tranquillement, mais très vite quand tu réfléchi 5 minutes, tu te dis c’est peut être un peu con d’avoir à faire la charité, la collecte pour que les gens ils aient à manger. Donc quand tu réfléchis un peu, tu t’aperçois... qu’est ce qu’il faudrait faire pour que les gens ils ne se retrouvent pas à la rue ou ne puisse pas se nourrir. Il y a peut être un problème politique. Donc tu remontes un peu dans les ( ...) et alors moi, ça s’est déclenché vraiment... C’est assez bizarre, je crois que quand j’étais au début du lycée, au tout début, j’étais un peu intéressé, c’était 95, 96, Chirac avait gagné, c’était vraiment une ère où la droite était très forte, et le premier truc qui m’a choqué c’est l’affaire des sans papiers, ça a du être ma première manif, une très grande manif, l’appel des cinéastes contre la loi Debré, des choses comme ça. Donc ça c’était un moment un peu simple. C’est des situations assez simple malgré tout les sans papiers, quand t’as une conscience et que t’essaies d’aider les autres et tout, tu vois des gens qui ont rien fait poursuivi par les policiers, donc c’était le premier truc où je suis allé dans les manifs, et ça m’a tout de suite situé dans les milieux qui était les milieux pré-altermondialistes, de ces années là, juste après décembre 95, mais moi j’ai pas suivi particulièrement. Mais il y avait toute une émergence de ces milieux autour de Sud, AC !, Droit Devant, des choses comme ça, et donc c’était une manif je crois, une manif pour les sans papiers. Et il y a eu un tract avec « où va-t-on » « barbarie » « démocratie », des trucs comme ça. Et en fait c’était un journal qui s’appelait « l’insoumis » qui se réunissait à la maison des ensembles, un squat, qui était à côté de Bastille et donc c’était pour écrire un journal. Parce que moi, très tôt, j’ai voulu être journaliste et donc j’ai toujours mêlé l’écriture et le militantisme, très tôt ça m’a intéressé de créer un journal un peu militant, alors moi j’avais pas du tout un rôle actif, parce que j’avais 15 ans, j’y connaissais rien du tout. Et je suis arrivé dans ce squat de la maison des enfants et j’ai tout de suite été un peu séduit par ce côté autogéré, libertaire, des trucs comme ça. Ce journal a eu une existence, … ça a du durer six mois, un an, parce qu’on a fait 5, 6 numéros, il y avait un peu d’argent au départ et après c’est parti en vrille. Donc ça c’était la première expérience, et après du coup dans cet

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environnement qui n’était pas le mien, tu vois c’était un peu des militants chevronnés, qui avaient 40 ans, et tout, et moi j’arrivais, j’avais 15 ans, je servais à rien en gros, j’avais écrit 2, 3 articles, mais vraiment c’était pour l’apprentissage. Et tu vois y’avait Christophe Aguiton, Jean-Claude Amara, tout les gens qui ont, après, structuré l’alter mondialisme français, et des gens qui me disaient, pourquoi tu ne fais pas un journal comme ça dans ton lycée ? Et effectivement, finalement c’est comme ça que j’ai réussi à avoir mon premier engagement qui avait du sens pour moi, où j’avais un rôle, parce que c’était à mon échelle. Et ça, très vite, c’était le débat permanent, est ce que je fais des actions à grandes échelles ? S’insérer dans un grand mouvement ? Ou est-ce que à ta petite échelle t’essaye de construire quelque chose ? Ou t’as vraiment en gestion, une maîtrise sur le truc. Donc j’ai fait ça, et je devais être vaguement frondeur. Tu vois je suis pas du tout rebelle, ou des trucs comme ça. Je suis plutôt calme et tout, mais j’aime bien, j’ai toujours eu des frites avec les proviseurs, les principaux de machin de tous les établissements où j’étais. Je ne sais pas pourquoi j’aime bien taper sur le mec qui est en haut, ça me fait plaisir. Donc là j’avais affiché, c’était con, j’était au lycée, j’avais affiché un poème détourné du déserteur de Boris Vian, c’était « Monsieur le proviseur », au lieu de « monsieur le président », c’était très con, et cet abruti tu vois, le proviseur, au lieu de s’en foutre ou de dire c’est rigolo ton truc, il l’a fait arracher par le CPE, et je me suis retrouvé, convoqué, emmené en plein cour dans le bureau du proviseur, enfin… En fait, ce qui structure dans Jeudi Noir, c’est se côté impertinent face à la réaction absurde du pouvoir qui est contesté de manière uniquement symbolique. En quoi mettre une affiche d’un poème « monsieur le proviseur » ça met en cause le pouvoir du proviseur, aucunement quoi. Seulement il était tellement con, il avait tellement sa fierté de connard du mec qui est en haut de l’échelle, qu’il voulait me voir pour me dire que ce que j’avais fait ce n’était pas bien. Et donc il m’a dit, vous n’avez qu’à créer un journal et le mettre dedans, en pensant que je le ferais pas. Et évidemment j’ai fait un journal. Bref. Et donc on a fait un beau journal qui a duré deux ans, et là, c’était un truc très local, et là où ça rejoint des engagements plus nationaux, c’était le mouvement de grève 98, un mouvement lycéen. Et oui ! Déjà, 450 000 lycéens dans la rue, un grand mouvement. Qui est peu resté dans les mémoires mais qui pourtant était très important contre Claude Allègre. Et c’est là que j’ai été raccroché à des mouvements plus importants, un peu racolé d’ailleurs, c’était à la fois « Chiche », un mouvement de jeunes écolos, un peu « Politis », le journal, et aussi « les verts » via une équipe autour de Noël Mamère, qui en gros cherchaient un peu des petits jeunes et où ils m’ont proposé de faire un journal, mais à plus grande échelle, qui s’appelait « le joli mois d’octobre », puisque c’est en octobre 98, où donc j’ai un peu participé à ça, c’était pendant la campagne Cohn-Bendit. Moi j’ai un peu participé à un bouquin sur Cohn-Bendit quand il était « djeun’s », et donc c’est là que, en gros j’ai connecté des trucs qui aujourd’hui continuent. Le mouvement de jeunes, écriture et les verts. C’est un peu à partir de ça. Sinon après le journal s’est un peu cassé la gueule à cause de Stéphane Pocrin qui devait nous avoir des subventions, qu’il ne nous a pas eues, enfin bref, et après j’étais en Hypocagne, donc t’as moins le temps pour militer donc j’ai essayé de continuer ce journal du « mois d’octobre », difficilement, j’ai pris ma carte à ATTAC en 98, donc à la fondation, sans savoir au début comment trop m’investir, mais bon je lisais Charlie Hebdo , le Monde Diplo , ATTAC, j’étais un peu dans ce truc là quoi, et j’ai fait une pose en Hypocagne. Après j’ai eu science po, et là j’ai participé à la création d’ATTAC science po, en 99, 2000, où là j’ai fait pas mal de temps dans ce milieu là j’ai participé à un peu tous les sommets altermondialistes, avec l’association « Vamos », avec ATTAC. J’ai animé

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« ATTAC science po », et après j’ai fait un an à Londres, où j’ai fait « ATTAC Londres » et tout. S : ouais… M : et bon, quoi dire, quoi dire, … S : et t’es resté chez les Verts pendant tout ce temps là ? M : non, je n’ai pas pris ma carte chez les Verts à ce moment là, parce que je me trouvais un peu jeune et j’étais sympathisant Vert, mais j’ai pris ma carte assez tard, en 2004, donc une fois que j’étais à ATTAC depuis longtemps, 5 ans. Je me suis toujours senti Vert, j’ai toujours voté Vert et tout, et… parce que j’aime pas les trucs trop extrémistes qui servent à rien, et j’aime pas non plus le PS parce que c’est vraiment des brêles et parce que je suis écologiste, donc ça c’est parfait, et … Je suis presque aux alternatifs, et comment dire, j’ai pris ma carte à un moment avec un copain, pour dire… Comme je connaissais un peu les Verts, entre temps… Voila ce qui m’a décidé, c’est que j’ai rencontré..., parce que j’ai fait l’école de journalistes, j’ai interviewé Francine Bavay, qui était vis-présidente de la région île de France et qui était aux Verts, et qui m’a dit à la fin de l’entretien, « mais t’es intéressé toi par les Verts ? », on monte un journal des Verts et on cherche des journaliste, donc « ha ouais, banco », et donc j’étais dans le comité de rédaction du journal des Verts, sans être chez les Verts, donc à un moment voilà, j’ai fait le pas. J’ai pris ma carte et tout. J’ai trouvé qu’ ATTAC c’était un peu limité aussi, notamment parce que moi j’ai voté « oui », donc cette période 2004-2005, où j’ai trouvé le côté anti-libéral tout à fait insuffisant et simpliste et tout ça, donc je trouvais que l’écologie apportait plus d’éléments de compréhension, était beaucoup plus constructif, et même plus subversif que les thèmes d’ATTAC qui résonnaient un peu vieille gauche, notamment Jacques Nikonoff, Bernard Cassen, un peu protectionnistes, même anti-libéral de manière politique, pas très démocratique, enfin plein de choses comme ça. Moi je suis plus proche de la nouvelle direction d’ATTAC que de l’ancienne. Et donc la je me suis plus investi chez les Verts, enfin j’étais encore pas mal à ATTAC, et à un moment aussi je me suis investi dans le mouvement anti-pub, où j’avais un petit groupe, on était une quinzaine et on… c’était bien ce mouvement, parce qu’ils disaient : « faites des petits groupes, et allez dans le métro taguer les publicités », donc nous on faisait ça, et on avait des clés pour ouvrir les petites fenêtres qui sont dans le métro où il y a des pubs. Donc on ouvrait ça et on changeait ça et on mettait des tracs, des images à la place. C’était toujours dans le côté libertaire, écolo, anti-consommation, et tout. Donc ça, ça marchait bien, ça marchait bien ce mode d’action là. Un peu de désobéissance civil, mais en même temps, sans que ce soit une atteinte aux personnes ni rien. La désobéissance civil, c’était aussi un peu avec les sans papiers, parce qu’on avait occupé deux trois églises. Voila, pour des cas en fait important, les sans papiers qui craignent un peu pour leur vie et tout. Où la désobéissance civile peut aussi être légitime pour des cas où c’est juste subversif mais tu ne t’en prends pas aux personnes, où manifestement ce que tu fais, taguer une pub, ça fait du mal à personne. Ça a un sens, ça fait du tord à des entreprises, mais dans ce cas là c’est assez légitime. Et parce que ce n’est pas démocratique que des gens aient le droit, dans l’espace public, de s’exprimer parce qu’ils ont de la thune, et d’autres qui n’ont pas le droit, nous, parce qu’on n’a pas d’argent. Et voila.

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S : et toi t’es resté axé sur l’information... M : ...ouais... S : après t’as fait des actions d’informations... M : exactement... S : et après science po t’as pas fait de journalisme ? M : en fait j’ai fait le CFJ, l’école de journalisme, et science po en même temps la dernière année, et après j’ai eu un boulot à La Vie, au journal La Vie pendant l’été, pendant trois mois. Et après j’ai repris une année de DEA de sociologie des mouvements sociaux, à science po. Où j’ai étudié l’association Survie, qui dénonce la France-Afrique et tout ça. Donc je me suis un peu intéressé à la question des mouvements sociaux, et de l’Afrique, des colonies africaines, de la France, qui sont devenues, maintenant, des néo-colonies. Et alors Survie essayé aussi d’agir sur l’information, mais ce n’était pas très, très, bien. Ce n’était typiquement pas le mouvement désobéissance civil et tout ça (...) là-dessus ils étaient un peu en retard je dirais, c’est ce qui a eu du mal à leur faire prendre de l’ampleur. S : et t’as créé génération précaire ? M : alors voila, c’est juste à ce moment là. J’ai fini cette année de DEA, où j’étais beaucoup dans les mouvements sociaux, et où j’ai aussi un peu étudié, théoriquement, et j’ai suivi un mouvement en essayant d’analyser les leaders, ceux qui suivent, le discours, des trucs comme ça. Donc j’avais en tête pas mal de truc la dessus, et juste après je cherchais un boulot de journaliste, et j’ai un copain, S.C., que j’avais rencontré au moment du mouvement lycéen d’octobre 98 qui m’a dit, si tu ne sais pas quoi faire, [...], un sénateur Vert, cherche un assistant parlementaire. Et moi, je veux faire du journalisme et de la politique au sens large, et je me suis dit que ce serait bien de faire un an où deux là parce que c’est un poste sympa. C’est bien payé, je n’avais pas de thunes donc c’est bien, et tu fais des trucs intéressants, t’apprends plein de truc, t’étudies les lois, et chez les Verts tu peux découvrir un peu ce qui se passe. Alors je me suis jeté là dedans, j’ai fais beaucoup de militantisme Vert, vraiment partisan, j’ai même créé un courant, qui s’appel la ZEP, zone d’écologie populaire, où avec les copains qui étaient autour de moi, que j’avais rencontré en 98 plus des nouveaux, on a un peu essayé de jouer le jeu du parti. Comment tu fais pour changer, puisque les Verts ne me satisfaisaient pas tout à fait. Donc je voulais les changer. (...) j’ai joué le jeu, normal, de la politique partisane. A un moment on s’est pas fait bien recevoir, notamment parce qu’on était proche de José Bové, (...) on s’est fait taper dessus par les Verts, et ça n’a pas trop marché, (...) donc voila, et en parallèle de ça je me suis investi dans un autre truc, Génération Précaire, Jeudi Noir, qui petit à petit ont pris de plus en plus de place à mesure que je me suis aperçu que notre action au sein des Verts était difficile. Petit à petit je me suis rendu compte que ce que je faisais avec Génération Précaire, Jeudi Noir, était plus intéressant, plus marrant, et plus efficace, en terme d’accès à l’opinion publique, et d’accès au pouvoir public, que le jeu classique de « je m’engage dans un parti, je vais créer un courant, j’essaye de gagner le congrès » et tout ça. Donc en même temps que j’étais chez [mon sénateur], il y a Génération Précaire qui s’est créé, à

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partir notamment de Julien Bayou qui était à science po aussi. La connexion s’est faite comme ça, et par le journalisme aussi. Parce qu’en fait, tout ça est lié. Moi quand j’étais dans mon école de journalisme, j’ai fait un article sur les stagiaires, en me disant, il y aura déjà 50 000 articles écrits dessus, tout ça, et je me suis aperçu qu’il n’y en avait eu aucun. Le seul qui était en train d’être écrit, c’était Julien Bayou qui écrivait le même quand il était stagiaire à Alternative Economique. Donc on a écrit le même article en même temps, et en se disant, les pouvoirs publics c’est de la merde, parce qu’ils ne se sont jamais occupés des stagiaires, et les partis politiques et syndicats c’est de la merde parce qu’ils n’ont jamais pris en compte les 800 000 stagiaires, et la presse c’est de la merde parce qu’ils n’en ont jamais parlé non plus. A partir de ça, surtout Julien qui était à l’origine de Génération Précaire et une fille qui s’appelle Catie, et tout ça, ça a embrayé assez vite, en espérant jouer un rôle de relais entre Génération Précaire et un parti comme les Verts. Et avec mon sénateur, [...]. Et je me suis aperçu que le relais politique n’était pas très important, et que ce qui marchait c’était l’action médiatique... et qu’on avait beau avoir écrit une question (...) d’actualité au sénat, (...) et déposer de très bon amendements, ce n’est pas grand-chose parce qu’on était minoritaire. Par contre, Génération Précaire, au-delà des clivages, arrivait à interpeller Villepin, et à la faire bouger un peu, parce que ça passait à la télé. S : le mouvement social est donc plus efficace ? M : (...) Alors, je n’en tire pas des conclusions aussi tranchées. Sur certains sujets et face à un gouvernement qui en a rien à foutre de l’opposition (...) je pense que quand il y a une hégémonie politique de la droite ce n’est pas par les partis d’oppositions, parce que l’opposition tout le monde s’en fout, (...) c’est en essayant de transcender ces clivages partisans. C’est pour ça que Génération Précaire, ou Jeudi noir, a toujours dit, nous on n’est pas de droite, on n’est pas de gauche, en sur-jouant la politique, alors que manifestement on est tous de gauche. Mais pour accéder,... comme la sphère partisane est un peu délégitimée aujourd’hui... quand tu dis bonjours, « je suis chez les Verts » on te dit : « on s’en fout de ce que tu vas dire », ou « je suis socialiste » et pis voila, les gens dans les manifs, dans les AG ils vont dire les socialistes dehors. Par contre quand on dit nous on n’est pas partisan, on n’est pas récupéré, on vient de naître, on est beau, on est jeune, ben ça tout de suite ça marche. Et je trouve ça con comme logique moi. Je trouve ça tout à fait con, parce qu’un parti comme les Verts, ou même le PS, a toute légitimité à porter des combats comme ça. Il n’y a pas de honte à être dans un parti, moi j’y suis, je pense qu’il faut y être et tout ça. C’est un peu le mode normal, idéalement, de débat politique quoi. Seulement aujourd’hui, comme les partis sont dans une grave crise, non seulement parce qu’ils sont infoutu de prendre en compte les stagiaires, par exemple, il faut des collectifs qui les débordent, qui soient autonomes, qui soient souples, qui soient horizontaux pour pouvoir faire bouger tout ça. S : et ce qui est souple, horizontal, c’est Jeudi Noir ? M : ben voila, c’est ça, exactement S : ouais, donc c’est organisé de manière horizontal, ça veut dire que l’autorité (...) il n’y a personne d’élu, il n’y a pas de président. Personne ne prend de décision pour tout le monde...

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M : oui, alors c’est là qu’on retombe sur la discussion sur les nouveaux mouvements sociaux. Tels qu’ils sont théorisés, puis rêvés aussi par beaucoup de monde quand on analyse les mouvements internationaux, altermondialistes, les nouveaux mouvements sociaux (...) effectivement, on n’a pas de président, pas de porte-parole, tout le monde est l’égal de l’autre. (...) seulement, évidement que c’est faux. Parce que ce n’est pas comme ça que marche un groupe, ce n’est pas comme ça que marche la politique, hélas peut être... et ce n’est pas comme ça que marche la société actuelle. C'est-à-dire que nous, à Jeudi Noir, déjà on n’est pas nombreux, on est vingt on va dire,... S : c’est des adhérents ? M : ben, il n’y a pas d’adhérents, ... voila S : c’est quoi être adhérent ? Ce n’est pas une association, c’est un collectif... M : c’est un collectif qui n’a aucune existence légale S : d’accord... M : donc il n’y a pas d’adhérents, il y a des gens qui viennent aux réunions, qui discutent par mail. Effectivement, il n’y a pas de structure, il n’y a pas d’appareil, mais évidemment que si malgré tout. Et donc ceux qui ont plus de pouvoir se sont ceux qui ont le plus de temps, qui ont plus de compétences, qui sont qualifiés, qui savent écrire un communiqué de presse, lire un rapport sur le logement et qui n’ont pas peur de parler en gros. Et qui sont formés, on a tous bac plus cinq, ... effectivement, il y a eu souvent des gens un peu nouveaux qui sont arrivés et qui n’ont pas forcement trouvé leur place. Qui étaient sans doute des bon militants, (...) et il y en a plein qui sont là que pour les actions, et à aucun moment ne sont là quand il faut écrire des communiqués de presse, quand il faut négocier au ministère, des choses comme ça. Et c’est un peu là... si il y a du pouvoir dans ce collectif c’est le pouvoir de décider des mots d’ordre et du rythme d’action, de l’agenda et de négocier. Ça peut rester horizontal parce que ce pouvoir, parce que ce pouvoir est quand même assez limité, tu vois. Si dans un parti même petit comme les verts, dès que le pouvoir signifie accéder à un poste avec des responsabilités, du prestige avec des sous et du pouvoir. T’inquiète pas que là il y en aura des candidats. Là tout le monde se frappe. Si c’est pour écrire des communiqués de presse, et tout ça, les gens se disent c’est plus une corvée qu’un pouvoir. Et évidement c’est les deux, c’est les deux à la fois. C'est-à-dire que Julien, Lionel, moi ou d’autres, on a un petit pouvoir parce qu’on définit les mots d’ordre et du coup c’est nous qui passons dans les médias. Et aujourd’hui passer dans les médias c’est un vrai pouvoir. Par exemple... mais c’est un pouvoir qui se convertit pas forcement en pouvoir brut avec de l’argent et avec... Tu peux donner des ordres aux gens. S : Mais il y a un nouveau pouvoir qui vient d’émerger dans Jeudi Noir, c’est qu’avant vous ne faisiez que de l’action médiatique, et à partir d’un moment vous vous êtes mis à réquisitionner des immeubles, ça a commencer avec le Ministère de la Crise du Logement,... parce que vous existiez depuis un peu avant ?

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M : oui, depuis trois mois S : trois mois, et après vous avez réquisitionné des logements,... M : alors voilà, là tu commences à sortir du purement symbolique. Nous on le pense quand même essentiellement en des termes symboliques, dans le sens où ouvrir un squat dans notre tête à la base ce n’est pas pour loger cinquante personnes, c’est pour interpeller les pouvoirs publics. Enfin c’est les deux. Sauf que quand tu ouvres et que ça marche, et ben t’as un petit pouvoir, plus ou moins, qui est d’offrir un logement à vingt personnes en gros. (...) c’est un petit pouvoir dont toi tu ne retires pas beaucoup de bénéfices, plutôt des emmerdes en général. Mais enfin bon (...) c’est vrai que t’as quand même (...) enfin bon, moi je ne gère pas ça au sein de Jeudi Noir MACAQ, ce n’est pas moi qui ai décidé de qui allait habiter ici par exemple, à Rio, ou même rue de la Banque. S : d’ailleurs il n’y a personne de Jeudi Noir qui a décidé, c’est plus MACAQ ? M : alors rue de la Banque il y avait un étage Jeudi Noir. Jeudi Noir et MACAQ étaient deux entités tout à fait différentes. Où là, comme on n’était pas nombreux, c’est ceux qui avaient envie d’y habiter qui y ont habité. Mais eux effectivement ils ont gagné un logement dans l’histoire. (...) moi j’avais quand même plus ou moins choisi le casting pour les bâtiments rue de la Faisanderie et boulevard Montparnasse. Donc... S : les castings tu les as faits exclusivement par Internet ? M : alors les deux. On a reçu les candidatures par internet. Et après moi, mon boulot, c’était de contacter tout le monde. C‘est de faire des réunions, de voir les gens en tête à tête, et tout ça. Et même parfois sans le dire, en fait je (...) on n’avait pas non plus des centaines de candidats. On prenait surtout ceux qui étaient là. Mais malgré tout ce n’était pas si simple que ça. Il y a plein de gens qu’on a éliminé, implicitement. Parce que ils n’avaient pas répondu au mail, ou ils étaient venus à une réunion mais on ne les sentait pas trop solide dans leur tête, ou je ne sais pas, c’est très subjectif. Et moi j’ai fait ce travail de casting, où t’as pas vraiment de critères, et tu dis toi... en fait le critère c’est quand tu rappelles les gens pour leur dire de venir demain, « il y a une réunion, c’est important», ça veut dire que tu l’as choisi le mec. Le gars à qui tu ne dis pas ça, il ne viendra pas forcement, tu l’as pas éliminé, mais tu l’as pas relancé, donc en gros ... hein voila. Et là c’est vrai qu’il y a un choix politique aussi qui est par exemple, je choisi plus facilement des gens qui sont, qui me disent : « moi je suis à Sud », « moi je suis aux Alternatifs », « moi je suis dans le mouvement avec les sans papiers », je me dis, voila des gens avec qui je vais m’entendre, voila des gens avec qui je vais partager spontanément un certain nombre de questions, qui fait qu’on ne va pas s’étriper en réunion, pour savoir je ne sais pas quoi, si ça fait un peu gaucho de dire ça, ou est-ce qu’on soutient des étudiants, des « sales gauchistes ». Donc je me dis le casting permet de poser un périmètre de personnes avec qui tu vas pouvoir t’entendre. S : ça ne s’est pas fait par affinité du tout, des amis ? M : si, si. Il y avait les gens qu’on ne connaissait pas, où là, ça se faisait par la

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caractéristique politique et sociale. Parce qu’on voulait prendre des gens qui était plutôt en galère, qui avaient des problèmes de logements. Et beaucoup par affinité c’est vrai. Parce que comme ça on est sur au moins des gens qui sont là, si c’est des potes de Julien, de Lionel, on sait qu’ils ne débarquent pas de la planète Mars et que voila, que c’est pas des tueurs en série. S : d’accord. M : et ça se fait beaucoup comme ça, tout notre groupe fonctionne beaucoup par affinité. Par des amis d’amis et tout ça. (...) S : ouais, c’est une des caractéristiques des mouvements squat. [...] S : il me reste plein de sujets... le rapport aux médias. M : très important S : on a parlé de journalisme, donc je ne sais pas, vous avez tous fait des études de « com. » ? M : non, non. S : en tout cas vous êtes tous formés à parler aux médias. Ça fait un an, on apprend vite... M : déjà on apprend, il y a un effet d’apprentissage, à Génération Précaire on a fait, je ne sais pas, trente communiqués de presse, et à Jeudi Noir quarante, on a eu tous les journaux qui nous ont contacté, on a fait des plateaux télé, des radios. Donc à un moment tu apprends. Et ce n’est pas vrai qu’on est tous à égalité sur la ligne de départ de l’apprentissage médiatique. Donc bon, alors moi j’ai fait le CFJ, donc j’ai fait des stages dans les journaux, depuis six sept ans. Effectivement voila, ce n’est pas très compliqué, (...) Julien Bayou il a fait des stages à Alter Eco, il n’est pas journaliste mais bon... il en a fait un peu. Lionel non, mais (...) c’est des profils, on est habitué à jouer avec l’information, avec les données, à attirer l’œil. On sait comme ça marche quoi. C’est clair. (...) S : on m’a dit que vous faisiez carrément des conférences de médias, de « com. » à d’autres. M : on a fait ça... oui, ça a eu lieu un peu, ceci dit ce n’est pas spécialement grâce à ça qu’on apprend. On apprend plus... par exemple, le fait d’avoir fait des études. Science po c’est carrément le genre d’études où tu apprends ça. Même sans faire des cours de journalismes, tu apprends à faire des exposés, à lire deux bouquins et ressortir avec un truc carré, machin et tout. C’est un peu con comme apprentissage, mais au moins tu apprends à trier les infos, et à régurgiter des trucs simples. Et alors oui on a fait des petites sessions d’entraînement. Moi je sais qu’au début de Jeudi Noir je me suis appliqué à faire des speech médias tout écrits, tout faits avec, si on vous pose cette question répondez ça, avec des jeux de mot, des trucs tout faits,

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parce que pour les gens qui connaissaient moins bien le sujet, ou les gens qui étaient moins, plus timides, pour les pousser à aller aussi devant les médias en leur disant, voila, on te donne une petite aide, des antisèches quoi. (...) malgré tout, parfois ça marche, mais la plupart du temps ça ne marche pas. Quant les gens n’ont pas les prédispositions, l’apprentissage se fait quand même plus difficilement. C’est un facteur d’inégalité fort, au sein des mouvements sociaux. C'est-à-dire que par exemple nous on n’a pas de gens qui n’ont pas le bac dans nos mouvements, et c’est terrible parce qu’on est un mouvement de mal logés, et tout, ça, et ceux qui en auraient besoin c’est quand même pas ceux qui ont fait bac plus cinq. En général ils s’en sortent mieux que les autres, socialement. Donc nous on peut nous accuser, très légitimement de reproduire les inégalités en notre sein. S : Ouais, d’ailleurs, d’où la question de la légitimité, puisque Jeudi Noir n’est qu’une bande de petit bourgeois, puisqu’ils ont tous bac plus cinq,... M : ouais... S : tout à l’heure vous avez parlé de « hold up» M : ouais, ça c’est né un peu avec Génération Précaire, par exemple, où là, la question a été résolue plus facilement. Parce que défendre les stagiaires, en entreprises, qui se font arnaquer c’est déjà un peu des petits bourgeois. Ceux qui font des bacs pro ils font rarement des stages en entreprises, en tout cas ce n’est pas les mêmes. Ceux qui se font arnaquer en stage c‘est ceux qui font de la com., du droit, qui sont à bac plus trois, bac plus quatre, qui sont en train de finir leurs études et se font arnaquer pendant six mois. Mais dans dix ans, plus ou moins, les trois quart s’en seront sorti. Ils ne seront pas en bas de l’échelle quoi. Donc effectivement c’est des petits bourgeois qui ont déjà les moyens de faire des stages non rémunérés (...) après c’est des petits bourgeois mais ce n’est pas si simple qu’avant quoi. Maintenant ce n’est pas parce que t’as fait un bac plus trois, bac plus quatre que tu vas t’en sortir avec un CDI à la sortie de tes études, contrairement à il y a trente ans. Et donc ce qu’on a mis en avant et qui a bien marché dans les médias, parce que ça touchait plein de monde, c’est ça, « regardez, nous qui sommes des élèves modèles, qui sommes gentils, qui avons fait tout les sacrifices que nous devions faire, qui suivons la voie tracée par nos aînés, ce que nous ont dit nos parents, et pourtant on a des problèmes d’emplois, on a des problèmes de logements ». Et ça, les médias qui cherchent le consensuel, qui cherchent ce qui touche tout le monde y voient une anomalie dans la structure sociale. Que quelqu’un ait pas le bac et pas de boulot, le journaliste il va dire « et alors, c’est évident, c’est ça la société », « t’as pas fait d’études, t’es pauvre ». Alors moi je trouve ça injuste, mais dans la tête du journaliste c’est dans l’ordre des choses. Si tu leur amène, « bonjour moi j’ai fais science po, je ne suis pas payé en stage et du coup je vis dans une sous location précaire, machin », et là, « ho putain c’est déguelasse ». Pourtant la situation est aussi déguelasse, enfin c’est la même chose. Mais dans la tête des gens, c’est plus illégitime que quelqu’un qui est fils de bourgeois se retrouve plus ou moins dans la dèche... S : c’est de là que vient l’audience dans les médias ? M : beaucoup, on a beaucoup joué là dessus.

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S : et par rapport au DAL, ils ont pas mal d’audience aussi, mais ils sont beaucoup plus nombreux, beaucoup plus implantés, c’est une vraie institution. Ça existe maintenant depuis 25 ans je crois le DAL M : non, 15. Ouais, et la comparaison est intéressante, mais dans les deux cas quand même on s’éloigne du modèle classique du mouvement social, ou du parti d’il y a quarante ans qui est : on défend la classe ouvrière, on défend les gens en bas de l’échelle et qui travaillent. Par exemple le DAL c’est souvent les exclus, ils travaillent aussi, mais c’est souvent des familles africaines, des immigrés et tout ça, c’est un peu les causes qui ont été jugées périphériques par le mouvement ouvrier traditionnel. Et nous pareil, les jeunes qui sont en dehors du cadre classique du travail, les stages, qui ne se battent pas uniquement pour le salaire, mais aussi pour le logement, c’est un peu les fronts secondaires, comme on les a appelés à un moment. C’est pour ça qu’on n’est pas entendu par les mouvements classiques. Les syndicats, la CGT, la CNL pour les locataires, parce qu’on n’est pas dans les cases classiques. C’est la société qui s’émiette, qui s’effrite, qui n’a pas ses classes sociales bien définies, et qui du coup n’arrive pas à prendre en compte. C’est ça qui est dramatique. S : c’est le PC qui hiérarchisait les causes... M : ouais, ... S : il y avait la cause principale, qui était la cause des ouvriers, et après il y avait les femmes... M : les jeunes, (...) S : (...) M : c’est exactement ça, dans le modèle français, modèle de conflictualité sociale, on se rend compte qu’il n’est plus tout à fait adapté à la situation d’aujourd’hui. Alors le problème, nous on le tord dans l’autre sens. Maintenant on a l’impression qu’il n’y a plus que les marginaux, les sans papiers, les intermittents du spectacle, les bobos déclassés ou les trucs comme ça. Les écologistes, les féministes, ça prend beaucoup de place, au détriment, depuis vingt ans, de ce truc « ringard » qu’est la classe ouvrière. Qui en fait ne l’est pas. C’est quand même dramatique, et nous aussi c’est quand même notre limite, qu’il y a plein de gens qui vivent des situations qui ne sont pas du tout funky, qui sont pas du tout nouvelles, c’est juste des gens qui se font exploiter à l’usine quoi... et effectivement, eux ils ont des modes de luttes, qui étaient la norme absolue il y a trente ans, qui excluaient les fronts secondaires. Aujourd’hui, les fronts secondaires, les nouveaux mouvements se sont tellement (...), ont pris tellement de place qu’ils les ont ringardisés. Même, on peut parler de disparition de la classe ouvrière, (...) c’est faux dans les faits, mais subjectivement c’est vrai parce que plus personne ne parle de classe ouvrière, les ouvriers ne se sentent même plus appartenir à la classe ouvrière, pas tous, mais en fait objectivement il y a encore des usines, ... S : Jeudi Noir ça utilise les identités extérieures...

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M : ouais, les marges un peu... S : voila, les marges... M : Nous, tout notre thème a été de dire, (...) ce qui semble être à la marge, en fait prend tellement de place, grignote tellement du modèle social classique que ça devient général. Par exemple le mal logement, c’est sensé être un sort pour les marginaux. Et nous on a dit, attendez « nous on est des fils de bonne famille, on n’est pas des marginaux, et pourtant on est touché par le mal logement. C’est dire si la crise du logement est importante » et là, le journaliste qui veut faire un article sur le mal logement, au lieu d’aller voir les SDF, ou des gens qui sont évidement mal logés parce qu’ils ne gagnent pas d’argent, il va voir des gens qui... et le pire c’est « il y a même des cadres avec nous » tu vois « hoooo ! ». « Il y a des cadres qui sont mal logé », rapplique les caméras, « il est où le cadre mal logé ?» alors que objectivement ce n’est quand même pas lui qui a le plus de difficultés, mais c’est tellement révélateur de la précarisation de la société que d’abord des gens qui devraient être bien inséré ne le sont pas qui illustre en fait, tout ce (...) S : et le discours de Jeudi Noir, il reste vraiment axé sur le logement, ou est ce qu’il généralise ? Là on vient de faire une réunion sur les étudiants, du coup c’est un petit peu élargir. M : ouais. S : Et aller vers la généralité. M : C’est un grand débat qu’on a eu à Génération Précaire et à Jeudi Noir, et alors Génération Précaire, en quelque sorte, avait résolu ce problème avec le « non ». C'est-à-dire que Génération Précaire, pour tout le monde, c’est sur les stages, c’est clair, donc c’est un point très, très, précis, (...) mais ça s’appelle Génération Précaire. Génération Précaire ça veut dire beaucoup plus que des stages. Et dans l’esprit des journalistes, c’est parce qu’ils abordent un sujet très précis sur lesquels on a une expertise, et à travers ça ils peuvent traiter plein de sujet : la précarité en général, et Génération Précaire a été interpellé très vite par le CPE, on nous demandait, vous êtes pour ou contre le CPE, vous êtes pour ou contre les grévistes ou pas ? Et au début, tout le monde, à Génération Précaire, on a envie de dire, attention on est sur les stages, on ne va pas se laisser bouffer... c’est le risque quoi, tu lances un truc et tu te fais bouffer par une cause plus grande que toi. Pour rester un peu cohérent, t’essayes de pas faire ton gauchiste qui dit oui, mais tout est lié, les stages, les sans papiers, les femmes exploitées, machin, là où tu perds toute visibilité parce que tu es tout et donc tu n’es rien. On essaye quand même de rester assez concentré mais à partir de cette porte d’entrée de parler d’un truc plus, qui touche plus largement que le sort du mal logement. Ou le sort des stagiaires. Mais faut pas trop élargir la focale. Et là par exemple, ba !, forcément on était sur le logement des jeunes, il y a un mouvement étudiant qui naît, on essaie de regarder comment c’est lié tout ça, c’est un peu la même chose et tout, mais sans faire des argumentaires sur la loi LRU, ce n’est pas notre cause. Et donc le fond. Et si on fait comme les autres on n’existe plus.

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S : le but c’est vraiment de faire de la com. Une image, un discours. M : Alors voila, on a une niche, on a trouvé un créneau qui n’était pas exploité. Pour les stages c’était vraiment la caricature du créneau pas exploité, personne n’en parlait. Là pour le logement des jeunes ça a été un peu plus dur, parce que sur le logement des jeunes, le logement en général c’est assez saturé, il y a la fondation Abée Pierre, le CNL, le DAL et tout. Et donc là dedans il a fallu qu’on se crée un truc, et ça a été le logement des jeunes et qui était, un peu à notre surprise, abandonné par le MJS, l’UNEF, des trucs comme ça. Qui étaient pas très, ils en parlaient de temps en temps, mais ils n’en ont jamais fait une campagne, un truc. Et donc nous on s’est engouffré la dedans. Et (...) après il y a le choix des images, de la com., c’est un peu... Ça c’est très incertain, c’est très bizarre. S : c’est marrant, quand tu parles on dirait un peu un entrepreneur de cause, (...) mais un entrepreneur ça gagne toujours quelque chose M : ouais... S : alors je ne sais pas tu gagne quelque chose ? M : ouais, mais non, mais c’est... de toute façon dans toute action militante, les gens sont intéressés par quelque chose personnellement. (...) dans un parti souvent, pas tout le temps, mais ça peut être l’accès à des postes de pouvoir, ça c’est clair, simple à comprendre. (...) dans un mouvement comme le DAL par exemple, les familles qui viennent, elles n’en ont rien à branler du militantisme, elles ont beaucoup d’autres soucis à penser. Elles viennent parce qu’il y a une incitation quasiment écrite noire sur blanc, c’est si vous venez à tant de manif, vous aurez un logement, on prend les gens qui viennent en manif, ... donc l’incitation, par Jean-Baptiste Eyrault elle est très simple, voila, c’est : « vous aurez un logement ». Nous ici, c’est pour ça qu’on est moins nombreux que le DAL, c’est qu’on a rien à offrir au jeunes qui nous rejoigne, à par maintenant, une place en squat, on va y venir. (...) mais auparavant on avait rien à offrir. Donc c’est pour ça aussi qu’on a fait des actions festives. Pour interpeller les médias, pour attirer les militants. C'est-à-dire, si on dit « allez les gars, on va faire un truc super sympa, on va faire un truc hyper fun, ça va être sympa, ça prend que deux heures de votre temps samedi, il y aura du mousseux, de la musique et tout » ce n’est pas un sacrifice. Nous n’on est pas du tout sur ce côté sacrifice ou les gens se prennent la tête pour venir militer parce que c’est un devoir moral quoi. Il y en a même qui s’en foutaient un peu du logement, qui venaient juste faire la fête. Et en même temps, pour les gens qui s’investissent plus. Tu vois, par exemple moi, j’y passe en gros, trois quatre heures par jours, ce n’est pas que pour le fun. [...] M : seulement, il y a deux sortes d’incitations, il y a l’incitation où moi, tu vois, je milite depuis 10 ans, dans des trucs souvent marginaux, pour les sans papiers et tout voila, ou un courant politique chez les Verts, où tu fais la réunion à 10. Tiens j’en ai fait des manifs à 10, et des causes perdues je les ai toutes faites, (...) où là j’avais aucune incitation, à part essayer de faire quelque chose. Et là t’as une satisfaction personnelle qui est plus, t’as l’impression que tu fais bouger le truc, ne serait-ce que parce que les gens en parle, tu lances le sujet quoi. C’est une incitation. Et après la

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deuxième qui est importante aussi, et qu’il ne faut pas se cacher, c’est qu’on est content tous je crois, de se voir de temps en temps à la télé. C’est un truc dans une société narcissique comme la nôtre, où souvent la réussite se mesure au passage télé, à l’impact dans la presse. Moi par exemple par rapport à tous les militants Verts que je connais, même si je n’ai pas de pouvoir, tu vois je suis élu nulle part, même pas en interne des Verts, rien. Et ben ils me regardent tous comme quelqu’un qui fait du militantisme efficace. Qui a une sorte de pouvoir, tu vois genre maintenant ils m’appellent. Denis Baupin, tout ça, des gens qui ont sous leurs ordres des centaines de gens. Par exemple Baupin il est maire adjoint aux transports et ben, tu peux quand même lui parler d’égal à égal à un moment. Bon, ce n’est pas tout à fait vrai, parce que Denis Baupin... [...] S : de toute façon ça reste entre nous... M : [...]. Et c’est très drôle, parce que j’ai déposé des amendements sur le logement, sur les lois sur le logement et tout, et Borloo envoie bananer : on s’en fout de ce que tu dis [sénateur vert]. Mais celui qui va négocier au final avec Borloo, au final c’est moi. Juste parce qu’on a fait les cons dans un appart. C’est paradoxal. C’est là que je me dis, mais pourquoi je me fais chier à faire des amendements alors qu’il suffit de balancer des ballons et de faire des communiqués de presse un peu bien sentis. Et donc voila, et pis tu vois ma grand-mère qui me dis, je t’ai vu à la télé. Et ben t’as l’impression d’être un peu reconnu. Ça c’est clair. Après il faut faire attention, déjà à partager cette petite notoriété, qui en fait n’est pas une notoriété parce que personne ne me reconnaît dans la rue, je peux rien en faire de ce truc là. Mais qui est satisfaisant, évidemment, tu vois ? Et il faut réussir à le partager, partager les compétences et tout ça, et ça c’est difficile (...) et il faut aussi, ne pas être axé sur le seul critère de passer dans les médias. Le critère, c’est quand même de faire avancer la cause du logement. S : Mais tu dis, il faut faire avancer la cause du logement. Donc tu fais de l’information, alors d’accord tout le monde est au courant, ... M : ouais. S : Sauf que ça ne change pas la société, après vous avez des entretiens avec les ministères, mais ce n’est pas pour autant que... Génération Précaire, il me semble qu’ils se sont fait envoyer balader et n’ont rien gagné du tout. Vous avez gagné quelque chose Jeudi Noir... ? M : alors c’est un grand ... c’est aussi une question qu’on se pose tous les jours, est-ce que l’on fait est efficace concrètement. Moi je pense que notre plus grand... parfois on gagne des petits trucs, je pense que nous, petit mouvement, on n’est pas la CGT, on va négocier avec le gouvernement on ne peut pas lui dire « si tu ne donnes pas tant de millions on met tant de millions dans la rue », où là ça fait peur, nous on ne fait pas peur. Mais on a un pouvoir qui, je pense, est un vrai pouvoir, et qui a une sorte d’efficacité, mais qui est impossible à mesurer, on met un sujet, on remonte le sujet dans l’agenda médiatique. Et donc dans l’agenda politique, puisque se sont les mêmes agendas, quasiment, et quand tu fais passer le logement ou les stages en haut de l’agenda ben, à un moment ou un autre, quand le gouvernement il va lâcher dix millions d’euros pour le logement étudiant et ben t’es un peu

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responsable de ça, c’est un peu grâce à toi. Mais impossible de dire, tu vois, moi je pense que les dix millions de plus c’est parce qu’il y a un mouvement étudiant dans la rue. Pas parce qu’il y a Jeudi Noir. Mais, Jeudi Noir, avant que le mouvement ait lieu, on a fait passer beaucoup dans les médias, (...) « Pecresse elle donne 6 millions d’euros seulement pour le logement étudiant, c’est ridicule, c’est ridicule, c’est ridicule ». On l’a fait passer beaucoup de fois. Et ma foi il se trouve là où elle a cédé c’est là-dessus. (...) voila, France Inter a fait des émissions où on a invité Pecresse et nous, et l’UNEF, et tout, à parler du logement étudiant. Et ben je pense que si on n’avait pas existé elle ne l’aurait pas fait par exemple. Et ça Pecresse est obligé à un moment de se trouver face à 1 million d’auditeurs à dire « alors madame Pecresse, qu’est ce que vous faites pour le logement étudiant ? Vous donnez six millions d’euros, c’est nul », et « oui, (...), je donne que 5 millions » n’empêche que deux semaines après elle en donne quinze. Alors, voilà quoi. Et pour Génération Précaire par exemple, (...) peut être qu’ils n’obtiendront rien, ils ont déjà obtenu un peu, c'est-à-dire qu’il y aura trois cent euros minimum obligatoire pour chaque stagiaire, il y aura des petits trucs que nous on juge ridicule et tout ça, mais dans la tête des employeurs, dans la tête des stagiaires, des pouvoirs publiques, de l’inspection du travail, il y aura stage égal abus, abus possible, attention ! Et quelqu’un qui prend un stagiaire pendant six mois et qui ne le paye pas, pour tout le monde « et ba voila le type d’exploiteur dénoncé par Génération Précaire ». Et même si lui il n’y a aucune loi qui va l’empêcher de le faire, malgré tout il aura une mauvaise image auprès de ses salariés, des syndicalistes, de l’Inspection du Travail. Malgré tout, ça fait avancer les choses parce qu’au lieu de six mois ça sera trois mois, au lieu de rien donner ça sera trois cent euros. Voila, même si tout ne passe pas par la loi. S : d’accord, et Vous... je dis vous, ... Jeudi Noir, on travaille aussi avec d’autres associations ? Donc il y a un peu l’UNEF, ... il y a eu un frémissement, pour parler du logement, SUD, parce qu’il y a des gens à SUD et à Jeudi Noir, je ne sais pas, ça se passe comment, c’est à double appartenance à chaque fois ou il y a vraiment des accords explicites Jeudi Noir et ... comme avec le DAL et MACAQ. M : Ouais, ouais. Il y a plusieurs types de partenariat. Partenariat de fait qui se font (...) grâce aux doubles casquettes des gens. Ça c’est souvent comme ça dans les mouvement sociaux. C'est-à-dire que les connexions se font parce que tel type est à la fois à SUD et à Jeudi Noir, ou par exemple on est quelques uns à être à la fois à Jeudi Noir et aux Verts. Alors il n’y a jamais eu de rencontre officielle, quoi que, entre les Verts et Jeudi Noir, mais il n’empêche que quand on fait une action ils nous relaient, ils nous passent des communiqués de presse, ils nous mettent sur le site des Verts et les élus viennent nous soutenir. (...) donc, c’est parce que on est aux Verts, parce que Maupin on l’appelle : « tu ne veux pas venir Machin ? » ça se fait comme ça. Mais il n’y a pas d’accord. Là où il y a eu accords, et c’est là qu’on a eu une stratégie politique que je trouve, en plus c’était la mienne, et j’en suis très fier. Le seul truc où je pense avoir pesé d’une manière intelligente et importante, c’est quand Jeudi Noir s’est créé, au bout de deux mois on a eu une médiatisation de sympathie quoi, vite fait sur le logement des jeunes (...) et moi j’ai dit, il faut passer à un stade supérieur, il ne faut pas rester tout seuls dans notre niche, il faut aller voir les autres mouvements qui travaillent là-dessus. Et donc grâce au Verts, et même grâce à la ZEP, j’étais au courant qu’il y avait Alexandre Archelou qui faisait des squats, et donc j’ai organisé le rendez-vous Jeudi Noir MACAQ. Qui ne se connaissaient ni d’Eve, ni

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d’Adam, et qui donc se sont dit « ce qu’on fait mutuellement c’est super, il faudrait qu’on fasse des choses ensembles ». Et on était super complémentaire, parce que MACAQ faisait de l’action concrète, et sur les squats, avait une expertise technique, et nous on avait l’expertise médiatique, symbolique, et donc les deux ont très bien fonctionné ensembles et à côté de ça, pour ne pas faire le mouvement de jeunes bobos, moi j’ai dit « il faut aussi aller voir le DAL » parce que sur le logement c’est eux qui sont historique sur la lutte. Et donc eux avaient besoin de rajeunir leur image, ils étaient en perte de vitesse totale à côté des Don Quichotte et tout. Ils étaient vraiment ringardisés quand on est allé les voir, et même nous on s’imaginait qu’on était des petits Pousset par rapport à eux, pour moi Babar c’était la grande image du militant, machin... et on a eu un premier rendez-vous, où on discuté et tout, on avait convenu de se revoir, de faire des trucs ensembles. Bon, on n’avait pas d’idées spéciales, et on les revoit deux semaines après et « alors les gars, (...) on avait plus de nouvelles de vous, et on compte sur vous pour 2007 ». Et là on s’est dit « attends, le DAL compte sur nous pour 2007 », mais ils n’ont pas déjà des trucs prévu de leur côté, eux qui sont connu de tout le monde, et nous on débarque, on a deux mois d’existence » tu vois. C’était assez ouf. Et donc on arrive et le DAL n’avait plus d’expertise pour avoir des squats. Donc, eux avaient la légitimité historique et sociale, parce qu’eux ont des familles très, très, mal logées avec eux. MACAQ avait l’expertise technique de l’ouverture de squat et nous on avait l’expertise médiatique et le coup de jeune. Et donc ces trois trucs ont fait un truc qui a bien marché qui est le Ministère de la Crise du Logement. Qui était en plus à côté des tentes des Don Quichotte, avec les Don Quichotte ça a fait... nous aussi on les avait un peu aidé au début. Eux franchement sur le logement, il n’y a rien à dire, c’est eux qui ont mis le barouf et 2007, c’est pas nous. Nous on a un peu été à la ramasse quoi, mais c’est eux qui ont fait bouger les choses parce que, eux pour plein de raisons, il y a eu un truc fou autour d’eux quoi. Mais par exemple nous, une de nos armes c’est le fichier presse que l’on a. Qui est notre trésor de guerre le plus secret, comme tu le sais, et les Don Quichotte avaient essayé une première fois de faire un premier campement à Concorde où ils s’étaient fait bananer, personne n’avaient parlé d’eux, et là ils ont fait un campement canal Saint-martin. Personne n’en parlait, jusqu’à ce que Augustin Legrand demande à Julien Bayou, « tu pourrais pas nous faire un communiqué ? » nous on dit « grand seigneur, ba les gars, vous avez un peu de mal avec les médias sous vos tentes pouraves, on va vous faire un communiqué de presse (...) et le lendemain c’était de déferlement. Voila, on a donné un petit coup de pouce mais eux avaient quand même derrière ça une bonne organisation, un bon discours, trois cents SDF et puis décidé de parler du sujet le plus grave en matière de logement : les gens qui sont dans la rue. S : et le Ministère de la Crise du Logement, il a été ouvert pour le premier janvier 2007 ? M : aussi, S : pour la nouvelle année ? et ça a marché tout de suite ? M : ha, c’est fou. C’est dire qu’il y a eu une concordance entre les trois qui était très bien. Ça a très bien marché. Les Don Quichotte qui s’étaient montés il y a un mois, c’était l’hiver donc on parlait du logement, mais seulement sous le biais SDF. Et donc tous les journalistes qui voulaient parler de la crise du logement de manière plus

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large quoi, pas seulement les SDF, attendaient que ça d’avoir un deuxième front qui s’ouvre. Et puis aussi parce que coup de bol, il y a Jacques Chirac qui dit « on va mettre en place un droit au logement opposable » et à 21h Jeudi Noir envoie un communiqué, « le président parle, la jeunesse agit »... c’était le coup de bol, on peut pas dire le contraire. Et (...) voila, on a mis en commun tout ça... et c’était la campagne électorale. S : vous avez réussi à vous inscrire dedans. M : ouais, voila S : vous avez invité des candidats ? M : oui, c’était le but (...) alors on a réussi à peser dans la campagne, mais à gauche. (...) c'est-à-dire que le fait d’arme est là où on aurait pu être vraiment efficace, ou on aurait pu dire, « putain, on a vraiment fait avancer les choses », c’est quand même Ségolène Royal qui a fait une campagne méga-centriste avec un PS méga mou, mais elle est quand même venue au Ministère de la Crise du Logement, parce qu’on la poussée, on est allé la cherché à Roubaix sur une réunion sur le logement qu’elle avait. Où on l’a interpellée en publique « madame Royale, vous ne voulez pas venir au Ministère de la Crise du Logement ? On vous a invitée, vous n’avez pas répondu. », Elle a répondu (prenant une voix aigu) « oui, oui je viendrais, oui... » Et le lendemain elle était là. Donc on est vraiment allé la chercher quoi, tu vois ? Et quand elle est venue elle a vu que c’était hyper bien dans l’opinion d’être venue au Ministère de la Crise du Logement et elle, qui était une socialiste toute molle est sortie en disant « ce que vous faites c’est pour la bonne cause, allez y réquisitionnez, quand je serai à l’Elysée dans deux mois, je le ferai. » alors là on s’est dit, « au putain ! on a gagné », en gros « putain trop bien ». Mais elle a perdu. C’est vrai que nous on avait quand même placé beaucoup d’espoirs dans la victoire de la gauche [...] S : alors on reprend, sur... M : oui, sur la campagne électorale, donc nous on a voulu être gauche droite, transpartisans, mais on savait que la droite viendrait pas dans nos squat, parce que (...) Sarkozy il a horreur de ça, voila. Nous... et comme pour Génération Précaire, je leur avais dit, « on gagnera si la gauche passe » parce que les avancées sociales, je ne dis pas que les PS les fait spontanément, mais la droite ne le fait jamais. Et effectivement ça bloque beaucoup à droite alors que la gauche avait déposé une proposition de loi qui reprenait quasiment les revendication de Génération Précaire. Et nous sur le logement, on avait beaucoup travaillé au corps les responsables du logement au PS en pensant parler au futur ministre du logement. Et ben voila, patatras ! donc... je pense que si la gauche avait gagné on aurait pu mesurer notre influence. Là on aurait vu, « est-ce que vous faites ce que vous avez promis ». [Coupé par Julien sur le sujet du groupe MAP pour l’action du jeudi suivant, et sur le rendez-vous avec Valérie Pécresse] S : oui, et donc avec Boutin, vous n’avez aucune pression sur elle, pourtant il y a une

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grosse pression médiatique M : en fait c’est ça, avec la droite il faut un niveau médiatique beaucoup plus élevé pour accéder à la droite. Et pour avoir une influence sur eux. La gauche est quand même plus accessible. Moi la dernière fois qu’un gouvernement de gauche c’était en 2002... Moi la gauche je trouve quand même plus simple de les convaincre, tu pars de moins loin. Et c’est pour ça qu’aujourd’hui c’est un peu désespérant de faire des mouvements sociaux. Parce que t’as l’impression que c’est un gouvernement qui va tellement... Sarkozy sur le logement il a fait tout le contraire de ce qu’on voulait quoi... S : oui, c’est clair, la France des propriétaires M : A ça c’est n’importe quoi. S : et surtout il a réussi dans les médias. Pour le coup Jeudi Noir s’est fait balayer dans les médias, par ce côté Sarkozyste non ? M : ça, ça se discute, il a gagné... Son truc de la « France des propriétaires », c’est populaire, ça c’est clair. Les gens sont pour. Mais les gens sont un peu cons aussi, ils sont aussi pour la France des locataires. Les gens, ils sont pour aussi que les locataires on leur marche pas trop dessus. Ils pleurent aussi quand des locataires sont à la rue. Donc nous, je pense que là, sur la bataille propriétaires, locataires, depuis l’arrivée de Sarko, on a regagné beaucoup. Depuis cet été en gros, dans l’opinion publique. A tel point que Boutin a dit « la France des propriétaires c’est un slogan qui n’est pas possible. Ce n’est pas un modèle, on veut plus de propriétaire mais on y arrivera jamais, même 70% de propriétaires c’est bringue balan. » Donc on a remis l’accent, médiatiquement, sur l’agenda, sur ce problème des locataires et le côté accès à la propriété. Je ne sais pas si t’as vu, aux Etats-Unis, il y a eu la crise des subprimes qui a montré que le tous propriétaires c’était du bluff. Quand tu faisais ça, les gens tu les mettais dans la merde. S : ouais, les prêts sur 50 ans ... M : ouais, donc voila, quand même là dessus on a gagné sur l’opinion. Un peu. S : après, sur la fiche que je t’ai montrée tout à l’heure, il y a marqué « Act up et les zaps ». (...) M : ba ouais, c’est le modèle dont on parle tout le temps, Act up c’est (...) le fait de faire une action, un happening très court avec très peu de monde (...) ça répond à un objectif médiatique, et à une nécessité militante. Parce que nous on n’est pas nombreux, on ne fera pas une manif avec 100 000 personnes dans la rue. A défaut. S : le but... est-ce qu’il y a une finalité à Jeudi Noir ? M : la finalité c’est que les jeunes soient bien logés quand même. S : ouais, peut être une manif à 100 000 personnes ?

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M : oui, il y a un débat entre nous : est-ce qu’on essaye de grossir ou pas. Moi je pense qu’il faut essayer de grossir et je suis content du résultat même si on est que 50, mais on n’est plus 10, et je pense qu’entre 10 et 50 c’est mieux, et si on est 200, c’est mieux, et si on est 5 000 c’est mieux. Il faut essayer, et c’est une responsabilité aussi qu’on a de ne pas se résigner à dire « tant pis on sera dix, on reste entre nous », où là tu acceptes la reproduction des inégalités entre militants. Et Génération Précaire ça a été ça quand même. Ça a été, on reste à discuter entre nous sur internet et à tout faire tout seul. Et devenir un mouvement de masse c’est quand même une volonté, ça prend du temps. Ça veut dire que tu dois appeler les gens, que tu fais des réunions à 50, c’est plus dure qu’à dix. Donc voila ! S : et après il y a le problème du pouvoir qui se met en place M : oui, le problème de comment tu répartis le pouvoir à 50, plus... S : parce que j’ai eu l’impression qu’ils refusaient qu’une décision verticale soit légitime. J’ai fait une réunion, Leila gueulais parce que Julien, bref, il a une manière... M : B. ? S : oui, B., il a une manière de décider qui est... M : oui, oui, carrément S : il décide, alors qu’à Jeudi Noir c’est pas du tout accepté ça. M : ouais, ouais S : plus on va être nombreux, plus se pouvoir va se développer M : (...) tu peux le voir différemment, tu peux le voir : un petit groupe c’est la concentration du pouvoir dans quelques mains, et un grand groupe, tu peux quand même difficilement tout garder entre quelques mains. T’es obligé de le répartir un peu. Il y a aussi des grands groupes qui fonctionnent de manière verticale et tout, c’est ça le défi, de rester dans un fonctionnement horizontal à 50. Alors on y arrive jamais, mais faut quand même essayer. Et c’est vrai nous on a tendance, notre pente naturelle c’est de tout décider à trois. On s’appelle, on fait l’action telle jour, on fait le communiqué, bon « tu le dis aux autres ». Et c’est contre ça qu’il faut se battre, ça prend du temps, et ça signifie de pas prendre les décisions avant les réunions par exemple. S : ouais, la il y a eu une réunion et après... même à Jeudi Noir il y a une grande part d’incertitude « on dit là il y a une action » et le lendemain ça a changé. M : ça je me bats aussi à Jeudi Noir pour que, quand on a décidé quelque chose, on ne change pas d’avis le lendemain. Parce que il n’y a jamais trente personnes : on peut décider à trente, mais on ne peut pas changer d’avis à trente quoi. Donc quand on a décidé quelque chose il faut s’y garder. Tu peux changer d’avis quand t’es dix, mais quand il y a cinquante personnes à qui tu donnes l’information, il ne faut pas non plus changer tout le temps. Donc ça signifie de faire des fonctionnements avec

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des réunions où il y a plus de monde. A Jeudi noir, on a fait des réunion où on a passé trois mois sans se réunir quasiment. Juste par mail vu qu’on était que dix, ma foi, ça suffisait. S : d’accord M : c’est la loi d’airain de l’oligarchie. Roberto Michels S : oui, le pouvoir des socialistes (...) quand les socialistes auront le pouvoir se ne sera pas la victoire des socialiste M : ouais, un truc comme ça [...]

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Entretien n°2. Réalisé avec Fanny, Paris, le 19 déc embre 2007.

[...]

S : a ton avis, par quoi tu as commencé, qu’est ce qui t’a conscientisé ?

F : Qu’est ce qui m’a conscientisé ? Ben franchement, j’ai l’impression d’avoir été conscientisée assez jeune… forcément un des événements qui m’a conscientisé, c’est Le Pen au deuxième tour, tout ça, mais au-delà de ça, avant… dans ma nature, j’ai toujours eu envie de m’engager pour des trucs, je crois. Je sais pas, j’ai toujours pensé qu’une vie était intéressante que si tu te battais pour une cause toute ta vie, en gros. Là j’exagère, parce que déjà à 25 ans, je me demande si je vais faire ça toute ma vie, tu vois. Je commence déjà à me dire qu’il y a d’autres choses aussi. Mais, je ne sais pas. Le militantisme dans l’action, j’ai commencé tard. J’ai commencé avec Génération Précaire. Mais je ne compte pas le fait que j’allais au manifs étudiantes et machin, au lycée tout ça… Pour moi ça compte pas, tu vois. Mais après j’estime que m’engager tout simplement, je l’ai fait par l’intermédiaire de tous mes travaux universitaires. Pour moi c’était plus un engagement intellectuel, tu vois. A chaque fois que j’ai eu l’occasion de travailler sur des sujets, je choisissais des thèmes qui m’intéressaient… et du coup j’ai l’impression d’avoir milité avant dans ce que j’écrivais, mais pas dans l’action parce que juste j’avais pas trouvé un truc qui me convenait. Je n’avais pas non plus le temps parce que quand j’étais à l’université je perdais beaucoup de mon temps dans les transports, je n’avais pas le temps à côté d’être dans un truc, et il n’y avait rien qui m’avait séduit.

S : et tu as fait quoi à la fac ?

F : A la fac, j’ai fait d’abord une maîtrise de Langues Etrangères Appliquées avec une forte dominante en civilisation et moi ce qui m’a toujours intéressé, c’est la question du droit des peuples autochtones. Donc en fait, j’ai fait de la civilisation américaine, j’ai travaillé en civilisation américaine…Pendant quatre ans, j’ai toujours fait des travaux, jusqu’à faire mon mémoire sur le militantisme des amérindiens dans les années 70 aux Etats-Unis. Et après j’ai continué en DESS, sur un sujet voisin… En fait ce qui m’intéressait, c’était le militantisme des peuples autochtones dans le sens : voir comment, à travers le militantisme, ils recréent une nouvelle identité. Et j’ai continué ensuite sur les Inuits au Groenland [rire]

S : c’est intéressant…

F : C’est super intéressant, franchement j’adore, sincèrement c’est un des trucs les plus intéressant que j’ai fait dans ma vie. En plus j’ai adoré ce que j’ai fait, je m’y suis vraiment mise à fond, j’ai très bien réussi, et voilà… ça c’est des questions qui étaient importantes pour moi à l’époque, et pour lesquelles je pensais m’engager, tu vois finalement. Parce que pour moi c’était lié, au côté écolo, machin, donc si je m’engageais dans quelque chose, je pensais que je m’engagerais là dedans. Finalement, intellectuellement je me suis engagée sur ces questions là, mais je me rends compte que dans la pratique j’ai été amenée à m’engager dans l’action sur des thèmes qui me concernaient en fait moi-même, personnellement. Et voilà, donc après… je pense que j’ai commencé à militer, quand un, j’avais du temps, et deux, quand j’ai été séduite par un truc, et ça a commencé avec Génération Précaire. Je

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me retrouvais complètement là dedans, et surtout, parce que quand Génération Précaire a commencé en fait, quelques moi auparavant, j’avais moi-même eu l’idée de le faire. Ce que je veux dire,c’est que lors de mes études, en DESS : j’ai fait un DESS de communication, communication politique, et j’ai fait un stage qui était un stage à la fois bien et à la fois pas bien, à la noix tu vois. Un stage en ambassade où… j’étais un peu frustrée, j’ai vu la question des stagiaires, le fait que je n’étais pas rémunérée etcetera, et que en même temps ils avaient de l’argent, et en même temps je fournissais un vrai travail. Et en fait j’avais lu un courrier des lecteurs dans Libé d’une fille qui s’appelle Emilie Môme, qui écrit une lettre: « Bac plus sept, profession stagiaire ». Et à partir de là quand j’ai vu ce truc là, j’ai trouvé ça génial. Le courrier était génial. Et je me suis tout de suite dit, « voilà, c’est ça que je veux faire en opération de communication » parce que pour moi c’était appliquer ce que j’avais appris et j’ai dit à mes collègues stagiaires : « En rentrant à Paris, on fait un truc sur les stagiaires, on fait une manif et tout ça. ». Finalement, ils m’ont dit « oui, carrément » et le lendemain il n’y avait plus personne, j’étais là avec mon idée à la con, et il n’y avait personne qui suivait. Et j’ai oublié. Après, à Paris, j’ai commencé à chercher du travail, je me suis vite rendue compte que c’était très difficile. Je passais aussi des entretiens pour faire des stages, parce que moi aussi j’étais dans un complexe de jeune diplômée de l’université « j’ai pas assez d’expérience», donc bref j’ai passé des entretiens pour des stages, et j’ai réalisé que ce qu’ils attendaient de moi c’était d’avoir de l’expérience, et là je me suis dit « bon, il y a un truc qui coince ». A côté de ça, j’avais lu des bouquins sur la précarité… et j’ai vu Génération Précaire qui se formait, et je suis allée à la première réunion en me disant « ils gèrent vraiment bien, ça a l’air super ce truc et tout », en fait c’était juste un petit groupe de trois/quatre personnes qui avaient trafiqué un truc. Et en fait après je n’en suis pas ressortie, parce que c’était exactement ce que je voulais, ce que je recherchais en terme de militantisme : c’était un petit groupe où tu pouvais t’exprimer… parce que ça aussi : je ne m’étais peut être pas engagée avant parce que déjà les syndicats étudiants m’avaient jamais véritablement bottés, parce que de ce que je voyais en étant à Jussieu, c’était j’allais à des AG, il y avait énormément monde, c’était enfumé, les gens parlaient pour parler, et à la fin la décision c’était toujours « ben ce qu’on décide, c’est qu’on fait une prochaine réunion ». Bref, ça ne me parlait pas trop. Et puis moi j’ai peur du nombre, tout ça, je ne suis pas quelqu’un qui se met particulièrement en avant, tu comprends. Alors quand tu arrives dans un truc qui est super hiérarchisé tu ne peux pas vraiment donner ton avis. Donc à Génération Précaire, la forme m’a totalement convenue. Et puis donc, pour Jeudi Noir, comment j’en suis venue à Jeudi Noir, pour moi c‘est un peu particulier par rapport aux autres que tu connais disons… si tu veux en gros, pour vraiment dire la réalité des choses : Jeudi Noir au début c’était vraiment un truc qui tenait à cœur Leila, Lionel, Malcolm, Julien, Manu, et quelques autres de Génération Précaire. Moi je trouvais ça bien, mais j’étais un peu dans une autre dimension : je revenais d’Andalousie, donc j’étais un peu ailleurs, et en plus je ne me sentais pas spécialement concernée…

S : t’as fait ERASMUS ?

F : non, en fait, je n’étais plus étudiante. J’ai terminé mes études en 2005. J’ai fait mon stage à l’été 2005, le dernier stage, le stage de fin d’études. Je suis rentrée, j’ai cherché du travail, je suis rentrée dans Génération Précaire vers octobre/novembre 2005… quand ça a commencé en fait. Après bon, j’ai fait Génération Précaire…

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ensuite je suis partie deux mois en Espagne, pour apprendre l’espagnol, (9) après je suis revenue à Paris, de nouveau pour chercher un emploi. Et donc là hop, il y avait cette idée de Jeudi Noir, mais ça traînait depuis pas mal de temps. A Génération Précaire on en avait déjà parlé, et moi je trouvais ça bien comme idée seulement j’étais un peu distante parce que je ne me sentais carrément pas concernée. Moi ce qui me gonflais le plus c’était le boulot. Je n’avais toujours pas de boulot, comment veux tu chercher un appart quand t’as pas de boulot ? Moi, mon actualité à ce moment là, c’était : t’habites chez tes parents, et pis tu prends ton mal en patience, tu cherches un travail et puis quand au bout de six mois tu auras un travail, pendant six mois tu vas bosser, et ben tu pourras partir de chez tes parents. Mais je ne pensais même pas au logement. Ça ne m’était même pas destiné, je n’avais pas d’argent et voilà. (10) Du coup je faisais juste les actions le week-end, mais juste en « militante de base » disons, pas en allant trop aux réunions et tout, et après quand il y a eu le projet du Ministère de la Crise du Logement là ça m’a vraiment intéressé. Parce que en fait, c’était juste quelque chose d’exceptionnel, tu vois, d’ouvrir un squat. J’avais toujours voulu vivre d’une manière un peu alternative. Quand j’avais habité en Allemagne, j’étais dans un quartier écolo donc pour moi, ça éveillait vraiment quelque chose et tout. [] Et finalement, un peu malgré moi… Je trouvais que ce projet était vraiment intéressant, je suis arrivée dans Jeudi Noir, et la machine a pris. Je suis donc véritablement arrivée dans Jeudi Noir au moment de l’ouverture du Ministère de la Crise du Logement.

S : t’as habité là bas tout de suite ?

F : En fait, Lionel, Julien, Leila et moi sommes les quatre à avoir habité dès le début dedans. On était les sous-marins en gros. On a fait du 27 décembre environ au 1er janvier. On habitait là, c’était trop marrant. On a tout nettoyé, enfin t’as vu ce que c’était, on n’allumait pas les lumières, on faisait à manger vite fait, il n’y avait pas d’eau chaude. On avait juste réussi à allumer le chauffage dans le salon, donc on dormait tous dans le salon. Si tu veux c’était des vacances de Noël du genre : « Tu fais quoi pendant les vacances ? » « Bah, on ouvre un squat et reste 4 jours en sous-marin » C’était comme de vrais vacances, tu vois. On part avec des potes. C’est comme un week-end à la campagne, mais au centre de Paris !

S : et après vous avez ouvert le squat le 1 janvier ?

F : On s’est vraiment introduit dans le squat avant le premier janvier, on y a dormi plusieurs jours… puis du monde des MACAQ est venu pour décorer pour la fête du nouvel an, sur environ un jour et demi, deux jours, ils ont tout décoré. Après, le 31 on a fait la grosse fête, et dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier on a balancé le communiqué de presse comme quoi ça y était..

S : ouais, il y a des vidéos il parait ?

F : Oui, D., elle en a des premières vidéos où on entre, où on hallucine. Parce que moi franchement ça s’est décidé très vite. Tu vois comment c’était…Le coup du squat pour moi et Leila, ça s’est décidé du jour au lendemain quasiment, parce que déjà les MACAQ, je ne les connaissais pas, je ne savais pas trop, vu que j’étais un peu distante de Jeudi Noir. Donc en gros, j’ai fêté mon anniversaire, il y avait Lionel et Julien.... Enfin surtout Julien m’a parlé du projet, et trois jours après ça y était. En

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gros on a fait une réunion avec Alex, et ce jour là Alex il a dit, « ça y est, demain on y va ». Et moi dans mon sac j’avais trois paires de chaussettes à tout casser, parce que je dormais sur Paris, par-ci par-là, tu vois, et je n’avais rien prévu, et le lendemain, on a passé toute la journée dans la camionnette à charger, décharger, recharger, … et c’était comme ça toute la journée et c’était trop grisant. A la fois j’avais un peu peur parce que je ne savais pas ce qui allait se passer, et en même temps j’étais très excitée à l’idée de faire un truc aussi énorme que ça. Donc, c’était vraiment pas réfléchi tu vois. Entre le temps où je me suis dis « je vais habiter dans un squat » et que j’habite dans un squat, il y a eu trois jours quoi.

S : ouais, ouais

F : Et il y a eu trois jours où j’ai quand même eu le temps de dire vite fait à ma famille « oui, il y a un projet, machin » Et mon frère qui m’a dit « en fait je savais pas, mais t’es complètement malade comme meuf » et voila.

S : et comment tu les as rencontré Génération Précaire ?

F : Génération Précaire en fait, disons que depuis quasiment deux ans et demi, trois ans, j’étais sur une mailing list, qui s’appelle « l’auberge de la solidarité » et c’est une liste où il y a peu près deux mille personnes dessus, et c’est des gens qui s’intéressent à la solidarité internationale, à la protection de l’environnement, des gens qui cherchent plus ou moins un logement. C’est un peu la liste de l’économie sociale et solidaire sur Paris. Il y a des gens qui ne sont pas sur Paris, mais tu as des personnes qui louent ou sous-louent des appartements, et d’autres qui… des militant etcetera. J’étais sur cette liste depuis pas mal de temps, et il y avait des conversations sur les stages : il y avait des personnes qui avaient parlé de ça, et en fait, Génération Précaire au début, c’était vraiment deux personnes.

S : c’était qui ?

F : Cathie, que tu connais pas. Qui a vraiment envoyé… qui était vraiment toute seule au début. Qui a balancé des mails partout, partout, et Julien, il a lu le mail, y a répondu et à deux, pendant quelques jours, ils ont spammés plein de gens, plein de trucs. Ils y sont allés au bluff. Et moi j’ai eu le truc. Et vraiment au début il y avait quatre cinq personnes, ils s’organisaient… ils se sont intégrés à la manif, c’était le 4 octobre, c’est la manif tous les ans, grosse manif contre la précarité, intersyndicale etcetera. Et là, il se sont vus à ce moment là, et moi je voulais y aller. Je voulais vraiment y aller, c’était les tout débuts, et je me souviens que je n’ai pas pu y aller, je ne sais plus trop pourquoi. Et dans ma tête je m’étais dit « voilà, je suis encore passée à côté de l’histoire. » tu vois en plaisantant mais en même temps un peu je savais que je voulais y aller à cette putain de manif, parce que c’était important. Et après, heureusement il y a eu une réunion et tout. Et j’y suis allée, c’était une semaine après, et voila l’histoire.

S : et il avaient déjà fait les masque blanc ?

F : Oui, tout ça, ça y était déjà… l’idée du masque blanc était déjà faite.

S : et ça venait d’où ce truc ? tu sais pas ?

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F : C’est Marina qui a eu l’idée. Qui voulait faire ça pour être visible. Et voilà. Et je leur ai envoyé un témoignage aussi, un des premiers témoignages du site de Génération Précaire.

S : d’accord, t’as écrit toi dans des journaux ?

F : Oui j’ai écrit … l’éditorial d’un mensuel d’Animafac, « Factuel » sur Génération Précaire. Et puis quoi d’autre, et j’ai écrit un chapitre du livre de Génération Précaire. Le premier qu’on a écrit.

S : vous en avez écrit plusieurs ?

F : Oui, on a écrit « Sois stage et tais toi ! », qui est à la fois un recueil de témoignages et en même temps une analyse des questions liées au stage. Et puis on a écrit, enfin Malcolm et Muriel, ont écrit un guide pratique à l’usage des stagiaires. […]

[...]

S : bon, maintenant je voudrais juste savoir ton rôle dans jeudi noir. Parce que là t’as organisé la Cartoucherie. Le « planning de la cartoucherie »

F : (rire)

S : le planning de la cartoucherie, c’est pas mal. Quand même. T’as organisé quoi

F : Non, non, non

S : vingt personnes, t’as envoyé vingt personne au théâtre…

F : Ne me rends pas responsable de ce truc là

S : tout le monde te déteste à cause de ça d’ailleurs. J’ai entendu « Fanny… »…

F : Tu sais que j’y ai vraiment pensé parce que en plus la pièce est horrible mais bon…

S : donc t’as fait quoi dans Jeudi Noir à part ce planning ?

F : (rire) Alors mon rôle dans Jeudi Noir… [Le téléphone sonne]

[...]

S : alors ce qu’il faut savoir ?

F : C’est qu’il n’y a pas vraiment de rôle attitré. Si tu veux voilà : en fait, le plus gros travail au début, dans Jeudi Noir outre nos réunions etcetera… c’est qu’on est un mouvement très médiatique. ça veux dire qu’il y a plein de journalistes. Et donc du coup on est obligé de se partager le travail, de répondre aux interviews. Et ça, mine de rien, c’est quand même du gros boulot.

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S : ouais

F : Surtout au début du Ministère de la Crise du Logement, c’était la folie. En plus moi j’étais la seule à ne pas travailler vraiment donc je passais mes journées à descendre monter les escaliers, du sixième au premier, et je ne comptais même pas le nombre d’interviews que je faisais la journée au tout début quand ça a été lancé. Et donc voilà en gros, quand tu partages les interviews. Moi, je fais beaucoup les interviews qui sont pour les médias étrangers, parce que je me la pête à parler des langues et du coup ça fait classe ! Voila, après, qu’est ce que je fais. J’ai fait l’appât dans Jeudi Noir…

S : l’appât ?

F : L’appât, c’est la personne qui visite l’appart au début. T’es la personne qui demande, « on cherche un appart », ça je l’ai fait. Je l’ai fait une fois, et c’est pas facile, parce que après, l’air de rien, comme t’as un peu parlé avec le proprio, que t’as un peu menti tout ça, t’es un peu mal à l’aise, t’es un peu la traître du truc.

S : et a ton avis, pourquoi c’est si médiatique ?

F : Parce que on le vaut bien… (Rire) C’est médiatique parce qu’on communique bien, déjà, d’une, on communique beaucoup aux médias, on balance beaucoup d’infos aux médias. La question des médias, c’est une question qu’on s’est posée tout le temps, à chaque fois qu’on a commencé un truc, c’était de se demander comment être visible. Ça nous parait être la chose primordiale finalement. Parce que quand tu veux être entendu, écouté, il faut à un moment donné que les gens te voient quelque part, et c’est forcé que tout ce qu’on fait est tourné vers la visibilité des actions. Donc le fait que forcément on essaye de trouver un truc intéressant, qui va attirer. Je pense que c’est pour ça qu’on a beaucoup de succès avec les médias. Et aussi moi je vois ça comme… à la fois c’est un peu un jeu de séduction avec les médias, quand même, parce qu’on on essaye absolument de trouver un truc qui va marcher dans leur système… et à la fois aussi, ils parlent de nous parce que c’est des thèmes qui concernent plein de gens, qui les concernent même eux mêmes, les journalistes, parce qu’ils sont dans des galères de logement, c’est sûr que c’est plus facile d’intéresser quand t’as un thème qui est très large, qui concerne la majorité de la population française.

S : et pour les intéresser, des fois il y avait des actions Jeudi Noir : c’était aller dans un logement à louer, et il y a faire la fête dedans, sabrer le champagne, … le mousseux, les confettis. Et il y a faire des squats, et tu vois une différence entre les deux ? je sais pas, il y a une différence de niveaux, il y a quelque chose d’illégal, et l’autre de « légal »…

F :: oui, oui, bah c’est vrai qu’on est passé un peu… sans vouloir paraphraser Lionel. On est passé d’un truc de boy-scout, à un truc de gangsters. C’est dans l’illégalité, mais c’est pas un truc de gangsters, enfin, mais, voila après c’est ça aussi, avec l’avancée des choses c’est ce qui s’est passé. Mais après, au tout début par exemple, le Ministère de la Crise du Logement pour Jeudi Noir, c’était une action coup de poing. C’était l’action coup de poing unique. Nous, notre but, c’était pas d’ouvrir des squats, au début. On n’était pas du tout spécialement dans la réquisition

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au début. Enfin, de toute façon, ce n’est pas, pour nous, la solution idéale. Mais bon finalement, on s’est retrouvé à faire ça, parce que c’est aussi un moyen d’attirer les médias, de montrer combien il y a de logements vides, et qu’est ce qu’il faut en faire.

S : et justement, quand Jeudi Noir a voulu ouvrir des squats, ils ont recruté plus de militants, non ? Tu sais il y a eu le « salon du logement étudiant », pour des logements « vraiment pas cher. », et tout… c’était dans l’optique de pouvoir recruter plus de monde pour pouvoir ouvrir des squats ? ou c’est juste pour…

F : C’était dans l’optique d’avoir des militants prêts à vivre dans un squat. L’optique c’était : on a aussi envie de parler du logement étudiant, on a envie d’ouvrir des squats pour montrer la galère des étudiants et le truc c’est : si tu veux ouvrir des squats il faut qu’il y ait des candidats. Donc, c’était l’optique d’avoir des candidats. Après, il y a aussi besoin de recruter des gens, parce qu’on n’est pas beaucoup mais principalement c’était pour trouver des candidats, des étudiants qui avaient envie d’habiter en squat.

S : mais il y a quelque chose qui change. Parce que quand t’es dans un petit groupe, c’est plus facile, et toi par exemple, qui t’affirmes pas spécialement. Dans un petit groupe tu peux le faire, alors que dans un grand groupe…

F : C’est pour ça que ça a changé quelque chose pour moi. Mais c’est pas grave du tout, et c’est peut-être qu’à un moment donné tu fais des trucs, et tu fais moins. Oui, ça a changé quelque chose pour moi, parce que au départ, Jeudi Noir,… même si attends, je suis la première à habiter en squat, c’est marrant que je trouve ça, mais au départ, Jeudi Noir, on était pas un mouvement qui ouvrait des squats. On en a ouvert un, pour moi c’était super important parce que c’était le squat qui symbolisait la crise du logement pendant la période électorale. Et donc pour moi ça avait vraiment du sens. Et c’est pour ça que je l’ai fait. Après, finalement, c’est toujours difficile de trouver des actions… t’as besoin de te renouveler et le squat étudiant je trouvais ça bien. Mais je n’avais plus la même motivation. Après il y a des questions internes aussi, je veux dire, je ne cache rien, mais après, il y a deux trois trucs que j’ai pas appréciés. Enfin ça, faut pas que tu le mettes quand même…

S : t’inquiète pas, ça reste entre nous

[...]

S : c’est intéressant ça aussi. Et pour revenir à la prise de décision. Ça se passait comment dans Jeudi Noir ? C’était un consensus, il n’y a jamais eu de vote ?

F : On fonctionne que par consensus. Ben oui, on est tellement peu que en gros, si il y en a qui ne sont pas d’accord, ben on explique pourquoi on est pas d’accord, et puis en général on se met d’accord. Et puis on ne décide pas non plus de casser une banque, tu vois…

S : t’habites dans quoi ?

F : J’habite dans un squat mais…

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S : T’habites dans une banque.

F : Oui, c’est vrai ! C’est clair que pour le truc du Ministère de la Crise du Logement, on en a parlé, je veux dire que la liste Jeudi Noir était au courant qu’on allait ouvrir le Ministère de la Crise du logement, si tu veux il y avait des gens qui trouvaient ça pas trop bien, et qui l’ont dit, et par contre c’est clair il y a eu une sélection entre les gens qui voulaient habiter là, et les gens qui ne voulaient pas. Il y avait plein de gens qui sont très militants dans Jeudi Noir, qui jamais de leur vie n’auraient voulu habiter au Ministère de la Crise du Logement. Alors que moi par exemple, je trouvais ça génial, mais il y en avait plein qui ne voulait pas. Et du coup les gens ne se sont pas bousculés au portillon pour y habiter.

S : Alors que maintenant c’est l’inverse, il y a foule pour habiter à Rio…

F : Ben oui, c’est peut-être que vous, les jeunes…

S : Les jeunes…

F : Oui c’est vrai, vous êtes plus jeunes, vous êtes plus… tu vois. Là, les gens ne qui voulaient pas habiter au squat c’était Malcolm, parce que voilà c’étaient des gens qui sont plus matures sur des choses. Et ils comprennent très bien qu’en vivant en squat c’est pas la teuf tous les jours non plus, t’as pas d’intimité, t’as du mal à avoir ta propre vie etc.

S : Alors un peu plus hors sujet. T’as jamais été dans un parti politique ? Parce qu’il y en a pas mal qui sont chez les Verts, mais toi ?

F : Alors sur le côté politique, j’ai toujours été… j’ai été consciente de choses assez jeune. Par exemple quand j’étais au collège, lycée, mes potes m’appelaient Greenpeace pour te dresser le tableau... Alors après le côté politique, prendre une carte, je me suis déjà posée la question, et si je la prenais ce serait chez les Verts je crois, mais j’ai jamais voulu passer le pas, ça ne me parait pas indispensable. Et je préfère faire de la politique plutôt comme on la fait nous, entre guillemet, que de la politique qui se fait par les autres.

S : qu’est ce qui te gène dans le fait de prendre une carte ? C’est …

F : Je ne sais pas. C’est peut être un truc anodin, mais pour moi ça ne l’est pas. Faire le pas d’avoir ma carte à un parti c’est un truc important, mais pour le moment je ne l’ai pas fait. Je ne sais pas.

S : Avec Jeudi Noir, c’est un collectif, donc il n’y a pas de carte. Mais à partir du moment où tu habites dans un logement Jeudi Noir, tu t’engages beaucoup plus qu’en prenant une carte.

F : Effectivement. Mais après c’est pas le côté engagement du fait de prendre une carte. C’est le fait que c’est comme si « ça y était, c’est scellé, je suis là, et c’est ça mon truc ». Mais c’est débile, mais c’est juste ma façon de voir le truc. Alors que en vrai, je prendrais ma carte aux Verts, je serais inscrite, j’aurais toutes les offres d’emplois des Verts, et si ça se trouve, j’aurais trouvé un boulot depuis super

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longtemps. C’est juste un pas que je n’ai pas passé quoi ; Il y a un côté, je sais pas… je n’ai pas envie d’avoir une étiquette.

S : Pourtant quand tu réponds aux médias étrangers, tu te donnes l’étiquette Jeudi Noir

F : Oui mais c’est pas la même chose, parce qu’on est juste un collectif.

S : ouais

F : Au sein du collectif il y a des gens qui pensent différemment, et qui sont soit politisés, qui ont des cartes ou n’en ont pas.

S : et la, question épineuse. En étant Jeudi Noir. Qu’est ce que tu gagnes ? Parce que ça apporte toujours quelque chose. Ça peut être social,…

F : En fait, c’est marrant, parce que l’autre soir on a un peu fait circuler ça en mail… Manu, il est parti dans un espèce de digression sur qu’est ce que ça nous apporte, les gens qui sont venus, pourquoi ils sont venus ? C’est clairement pas pour du social dans le sens où je ne suis pas à la recherche d’amis, à la limite je vois moins mes potes avec ça. Je ne sais pas en fait, ça m’apporte juste que c’est ce que j’ai toujours voulu faire. Quand j’étais à la fac, je souffrais un peu d’un manque d’engagement, par rapport on va dire, à mon groupe d’amis. C’était des gens engagés mais il manquait quelque chose. Après je suis partie en Allemagne, en Erasmus… mes potes étaient beaucoup plus engagés. C’était plus des gens qui avaient des activités associatives, politiques, je me retrouvais bien là. Et c’est juste que c’est ce que j’ai toujours voulu faire, en fait. Voila, après, ce que ça m’apportera, je n’en sais rien, ce que ça m’apporte, c’est que ça me permet d’être épanouie, d’un certain point de vue, pas forcément de l’autre… mais ça me permet d’être satisfaite de ce que je fais, de ce que je suis, d’apprendre à communiquer. Ce que je savais déjà. Oui, ça m’apporte en partie ce que je recherche. Ça m’apporte une satisfaction personnelle de me dire, je ne suis pas blasée. Je ne laisse pas les choses se faire. Pour moi, si il y a un truc qui ne va pas, c’est important pour moi d’essayer de le changer. Et de ne pas faire comme la moitié des gens, se dire « et ben nan c’est comme ça, et je préfère m’acheter une Wii et on en parle plus » tu vois. Et, voila…

S : et pis justement, t’as parlé de la Wii, et ça te manquait de pas regarder des série…

F : Oui ça me manquait… je suis partagée entre les deux, tu vois, je suis un être humain ! Je suis quelqu’un aussi, qui avant le militantisme, et j’espère après, faisait plein de trucs… j’ai toujours fait de la danse, j’ai toujours fait des trucs culturels, personnels. C’est ça aussi, si tu fais un travail de sociologue sur le militantisme et l’engagement. Moi je sais que de mon point de vue, parce que je l’analyse aussi : A la fois ça m’apporte beaucoup de choses, mais en même temps, j’ai parfois l’impression de perdre mon identité personnelle. C'est-à-dire, qu’à force d’être toujours en groupe, de faire la même chose, avec les mêmes gens ben du coup tout ton temps est dévoué à faire des réunions, des actions. Tu vois, t’es toujours dans sur un mode collectif, collectif. Et tu vois moi, je me dis, « je suis où moi ?». Parce que avant j’étais quelqu’un qui faisais de la danse, qui travaillait sur les peuple

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autochtones… j’avais des trucs très précis qui me caractérisaient, et là c’est vrai que depuis deux ans, je me suis un peu laissée à… je me suis engouffrée dans un truc dans lequel je suis, mais au sein d’un groupe, et c’est juste un groupe. Et je ne me sens pas, j’arrive pas vraiment à me dégager. J’arrive pas vraiment à expliquer le truc… mais j’ai l’impression de perdre un peu en tant que personne, individu…

S : intéressant… après…

F : et puis voilà, par rapport à d’autres, je ne vois pas, je ne calcule pas si ça va m’amener quelque part. alors que comme tout le monde j’aimerais bien que, grâce à ça, des gens se disent, « cette nana, elle est vachement active, elle s’engage dans des trucs, on va l’embaucher pour je sais pas quoi ». J’aimerais bien que ça m’aide à se niveau là, mais voila je sais pas […]

S : et le rapport aux autres association ? le rapport au DAL. Tu les connaissais avant ?

F : Le DAL je connaissais vite fait, mais vraiment très vite fait parce que je me considère comme assez jeune et c’est une association qui a connu son heure de gloire dans les années 90, mais j’étais encore trop jeune pour voir, pour comprendre ce que c’était. Et quand ils sont venus avec nous au Ministère de la Crise du Logement j’ai découvert assez vite le genre d’actions qu’ils faisaient. Après, je trouve ça super ce qu’ils font. Voila, depuis le temps qu’ils existent, le nombre de personnes qu’ils ont permis de reloger, c’est phénoménal. C’est des gens qui sont vraiment en galère, donc c’est bien. Le côté bien aussi, c’est aussi le fait qu’ils ne se soucient pas trop de leur image. Nous, on est vachement esclave de notre image. Je trouve ça très bien qu’on soit esclave de notre image parce que c’est important de bien passer dans les médias pour bien faire passer ton message. Parce qu’au final, le DAL je ne suis pas sûre que pour l’opinion publique ça permet de vraiment changer les esprits. Tu vois.

S : et après, tout à l’heure t’as expliqué pourquoi t’étais plus Jeudi Noir que MACAQ, où il y a une méthode de décision spéciale. Et pour le DAL ce serait ça, c’est juste…

F : Pour le DAL, ce serait que moi je ne suis pas prête à faire des actions comme ils font. Je trouve qu’ils font des actions trop extrêmes. Voila, je me retrouve pas dans un campement de familles, avec des enfants en bas âge, pour moi il y a un côté trop dangereux, trop radical… Je ne sais pas. Mais après c’est peut être aussi mon côté sensible… le fait que beaucoup de gens, quand tu côtoies des choses qui sont trop fortes émotionnellement parlant, de côtoyer la misère… il y a des gens qui sont quant même grave dans la merde, bah du coup, ça fait que tu fermes un peu les yeux parce que ça fait trop mal. Mais quoi qu’il arrive, ce qu’ils ont fait au Ministère de la Crise du Logement etcetera, ça a abouti à quelque chose de positif. Depuis le départ c’était sûr que ça réussirait, parce qu’ils sont incroyablement têtus, et tant mieux parce que c’est comme ça que ça marche. Mais voilà, j’ai pas trouvé que c’était une bonne action…

S : même s’ils ont gagné ?

F : Ils ont gagné, c’est génial, mais…

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S : mais ?

F : J’ai quand même eu beaucoup de mal à me mettre dans le truc. Si tu veux, les premières semaines je l’ai quand même très mal vécu parce que je ne comprenais pas comment, en terme d’image, ça pouvait fonctionner. Après il y avait le fait que j’habitais au Ministère et du coup ça me concernait directement…

S : la cohabitation…

F : Cela dit je trouve ça super bien qu’il y ait plusieurs collectifs avec des rôles et des fonctions différentes. Mais après je ne pense pas qu’un jour j’adhérerais au DAL par exemple. Mais en même temps je trouve ça génial qu’ils existent, comme les Enfants de Don Quichotte, je trouve ça super, parce qu’il y a des gens qui font ça et je trouve ça cool. Après, moi, forcément, vu que je donne tout mon temps à ça, j’ai besoin qu’il y ait une dimension d’amusement. Je ne peux pas faire un truc où ce soit que de l’abnégation, où je me couche à trois heures du mat, ou tu passes quatre heures dans le noir, dans la nuit, dehors. Je ne peux pas, ce n’est pas possible. Dans ce cas c’est trop se martyriser, c’est pas possible.

S : ouais, ils victimisent…

F : oui, mais c’est pas ça, je peux pas être militante comme ça, j’ai besoin de m’amuser. Je veux dire, déjà le fait d’être 24/24h pour Jeudi Noir, je prends déjà pas mal de temps, de ma vie, du temps que je pourrais réserver à autre chose, pour avancer plus vite sur certains points, et du coup, ce temps que je dévoue à Jeudi Noir, faut bien que je m’amuse avec, sinon ça sert à rien. Je n’ai pas envie de passer à côté… de me torturer pour un truc.

[...]

S : et toi t’es bac + 5 ? + 6 ?

F : C’est ça le côté un peu exceptionnel de mon engagement, je n’ai pas de « terrain social héréditaire » militant chez moi. Mes parents ne faisaient pas parties des catégories qui ont fait mai 68 parce qu’ils n’étaient pas étudiants […] contrairement à ceux de Génération Précaire […] Notamment Julien, il vient d’un milieu militant et politique. Céline, une fille de Génération Précaire.

Par la suite on a reparlé, et elle a ajouté :

F : Jeudi Noir c’est bien parce que ça apporte une stimulation intellectuelle que je peine à trouver dans le milieu professionnel. Cette stimulation qu’on ne connaît presque seulement quand on rédige un mémoire justement. L’engagement dans un collectif comme Jeudi Noir laisse la place à la réflexion, ça fait appel à des compétences que j’aimerais pouvoir plus utiliser dans mon activité professionnelle.

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Entretien N°3. Réalisé avec Leila, Paris, le 20 dé cembre 2007. Simon : alors voila, je vais te demander…. Leila : enchantée Simon : oui, enchanté. Si tu veux. Bonjour, je m’appelle Simon. Je vais t’interviewer… Leila : Enchantée, Leila Chebi… d’accord. S : t’as quel âge ? L : Moi j’ai 25 ans, et toi ? [...] S : donc, comment tu en es venue à Jeudi Noir ? Comment tu en es arrivée jusqu’ici ? L : comment j’en suis arrivée à Jeudi Noir ? Sur du cours terme ou… parce que, si on veut remonter jusque directement avant Jeudi Noir, moi je suis arrivée sur Paris il y a deux ans, avant ça je militais. Ça fait on va dire, six sept ans que je milite. J’ai commencé, à la fac, à l’IEP de Toulouse, syndicalisme étudiant, et après j’ai enchaîné sur… S : t’étais à L’UNEF ? L : non, j’étais à Sud Etudiant. Parce que l’UNEF c’était, chez nous à Toulouse : les vendus. C’était les casseurs de grèves, et donc après j’ai fait ce que j’aime bien appeler du « zapping militant » c'est-à-dire j’ai enchaîné sur, vite fait, organisations politiques, les collectifs thématiques en fonction de l’actualité. C'est-à-dire collectifs anti-le Pen en 2002, le mouvement étudiant, qu’est ce qu’on a eu d’autre. Les collectifs altermondialistes par exemple, à l’occasion du G8 de 2003. On avait monté quelque chose sur Toulouse pour essayer de mobiliser avant, en amont du G8, et pour organiser un départ là-bas pour le contre sommet. Ensuite, j’ai rencontré un peu par hasard -tout ça c’est par hasard- des gens OCUPA, des gens du mouvement des OCUPA à Barcelone, le mouvement des squats. Donc on a fait pas mal d’échanges entre les squats de Toulouse, et de Barcelone, ce qui a enchaîné sur un média… ou je sais plus si c’est le G8 qui a enchaîné la dessus, la création d’un « indymédia Toulouse », pour faire du média alternatif sur Toulouse, qui a enchaîné sur une émission de radio sur Toulouse. Ce genre de chose, jusqu’à ce que j’arrive sur Paris il y a deux ans. Et donc là, a priori je venais pour un stage, pas du tout, j’avais pas du tout les pieds dans le réseau militant d’ici. J’ai vite, rapidement au bout de deux semaines, je me suis greffée à la création du collectif Génération Précaire. Moi-même j’étais en stage. Et là je me suis complètement impliquée là dedans. Pour moi c’était quelque chose de totalement nouveau par rapport à ce que j’avais fait

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avant. Même si dans le fond, la revendication ça… c’était dans la droite ligne de ce que j’avais fait avant. Même si là on est sur la problématique des stages, on est … pour dénoncer plus largement, comment est organisée la société. Ça allait de paire avec mes précédents engagements. Mais au niveau mode d’action pour moi c’était totalement nouveau. La médiatisation, jouer avec les médias, essayer de détourner, ne pas du tout procéder comment font les collectifs traditionnels. Et suite à ça, un an plus tard… j’avais quelques divergences par rapport à Génération Précaire. Parce que ce qui était nouveau c’est aussi : tu milites avec des gens qui ne sont pas du même avis politique que toi. Au sein d’un collectif comme Génération Précaire, mais c’est aussi vrai pour Jeudi Noir, on a des gens qui sont chez les Verts, des gens qui sont au PS, des gens qui sont à la LCR, des gens qui sont nulle part, des gens qui sont anarchistes… enfin bon. Et à Génération Précaire, c’était plus flagrant, il y avait carrément des mecs qui étaient à l’UDF, même il y a un mec, il ne l’a jamais dit, mais je suis sur qu’il a voté Sarkozy. et… donc voila, quoi… Et donc oui, et un an après la création de Génération Précaire, on se posait la question « est-ce qu’on élargit Génération Précaire, parce que la précarité, c’est pas que les stages. Et on s’appelle « Génération Précaire. Est-ce qu’on l’élargit à d’autres revendication, et notamment le logement. Ou est-ce que non, Génération Précaire c’est les stages et le fait de s’élargir on va pas pouvoir concilier les divergences politiques qui pouvaient se concilier, si tu veux, sur un thème précis. Là pas de soucis. Donc on a décidé. Surtout au départ, avec Lionel et Julien, le collectif « Jeudi Noir » en s’inspirant des modes d’action de Génération Précaire. S : pour en venir … c’est quoi ta première expérience militante ? L : la première fois, ce qui m’a poussé à me bouger, parce que, bon ! je ne sais pas. Au lycée, j’étais déléguée de classe en première, terminale. Il y a un pas à franchir entre : t’as les choses, t’es rebelles, les choses te révoltent, tu penses que la société est injuste, tout ça. Et après franchir le pas, s’investir par rapport à ça. Et donc, je venais de rentrer à la fac, et avec une copine : Nadège, d’ailleurs, on avait entendu parlé des ces rassemblement qu’il y a eu. Il y avait déjà eu Gènes, je crois. Dans les grands rassemblements alter mondialistes, je sais plus. Il y avait eu Seattle en 99, donc gros gros truc dont tout le monde parlait. Pour l’OMC…OMC ou FMI pour Seattle ? […] et donc il y avait un rassemblement des chefs d’Etats organisé à Barcelone, et ça, les syndicats étudiants, et quelques orga organisaient un départ en bus. Et on s’est dit : tient ! on va y aller, ça a l’air sympa ce genre de truc. Histoire de voir, quoi ! de voir ce qui se passait dans ces trucs là. Et là, on s’est fait bloquer à la frontière et moi c’est la première fois que je me suis retrouvée face à la violence policière, face à des manifestants. J’hallucinais total de voir des manifestants… on se faisait bloquer à la frontière, et ils nous traînaient par les pieds pour qu’on rentre dans le bus, qui arrachaient les banderoles, les bouquins… un truc de fous. Je me disais, le mec ils exagèrent dans les journaux. Tu te dis « faut pas exagérer non plus, on est dans un état de droit ». Et là, c’est la première fois où j’ai été complètement indignée par la répression des mouvements sociaux. Et putain ! : on est en Europe, et tout d’un coup, les accords de Schengen qui posent le principe de la libre circulation des personnes, et « pof !» vous êtes bloqués à la frontière alors que les marchandises peuvent circuler. Suite à ça, c’est là qu’on a pris contact avec Sud-étudiant, et on s’est lancé dans créer un section Sud sur notre fac. S : tu m’as dit aussi que t’étais allée dans un parti ?

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L : non, en fait c’est une organisation politique, c’est Alternative libertaire. S : et aujourd’hui tu traînes autour de la LCR ? L : pffff, ouais. En fait alternative libertaire, moi j’étais hyper d’accord sur le fond, les idées, même si Alternative Libertaire c’est pas la CNT. Par exemple en 2002, ils ont appelé à voter contre Le Pen, donc c’est pas forcement le truc : non au vote et point. Et […] maintenant, … enfin, à l’époque on les voyait un peu comme des récupérateurs de mouvement. Surtout sur Toulouse, ils sont vus comme ça. On va dire le PS est à droite et la LCR est au centre gauche quoi. Sur les mouvements… ça dépend d’où tu te places. C’est vrai que quand moi je suis arrivée dans le collectif Génération Précaire, il y a deux ans sur Paris, pour moi c’était un collectif de droite. Ça dépend vraiment d’où tu te places. Et peut être que dans cinq ans… je pense pas que dans cinq ans je serais au PS… mais au début je pensais que c’était en créant des alternatives sur le terrain, et sur… qu’on… en créant des contres pouvoirs qu’on discréditait, délégitimait complètement le pouvoir en place et que tout ces trucs du genre les élections, plus on y portait d’importance, attention, c’est ça qui faisaient d’elles quelque chose d’important. Mais dans le fond ce n’était pas quelque chose d’important. Or, l’expérience a fait que … je me suis rendue compte que ce n’était pas incompatible de…, et d’un, de créer des choses dans la société civile, des contres pouvoirs, et, en même temps, faire pression sur le pouvoir en place pour qu’il applique des revendications immédiates, qui ne sont pas à priori révolutionnaires, mais… qui vont dans ce sens là. C’est pas incompatible, faut arrêter d’avoir peur de se mouiller. C’est ça. C’est comme quand on parle de la légalité… enfin, à Toulouse, pendant un moment je me suis pas mal impliquée dans un squat culturel […] qui était illégal pendant dix ans et qui maintenant s’est légalisé juste avant que j’arrive sur Paris. Et l’idée c’était, … enfin, la grosse crainte c’était, comment tu te légalises, tu rentres dans le cadre culturel de la politique de la ville, mais tout en restant toi-même quoi. Tout en ne s’adaptant pas aux cadres. A la limite c’est les cadres qui s’adaptent à toi, pas toi qui t’adaptent aux cadres. Et c’était un peu ça le défi. En l’occurrence ça n’a pas marché… je sais pas ce qui se passe, c’est mon point de vue, mais je pense que ça a foiré. Mais je pense que si t’es suffisamment certain de tes idées, ou quoi, tu n’as pas à craindre que la légalisation, que le rapport avec les institutions te compromette. S : et toi, entrer à Jeudi Noir ça ne t’as pas changé ? L : Ben forcement. Si … là je vois que j’ai des points de vue que… par exemple. Un truc qui me choquait il y a deux ans ne me choque plus, par exemple aller parler à un mec de l’UMP. Des trucs tout con, mais après je ne sais pas si c’est le fait d’être engagé à Jeudi Noir, ou le fait de l’expérience ou quoi. Mais avant moi je ne pouvais pas toucher le Figaro. Maintenant, justement je vais sur Figaro.fr pour voir ce qui se dit de l’autre côté. Et puis, ouais, on a rendez vous avec… de toute façon, dès le départ de Jeudi Noir et Génération Précaire… ce qui différencie cette expérience des précédentes, c’est le côté stratégique, cynique finalement. Parce que autant t’as les militants qui ont cette espèce de pureté, « nous ne nous compromettrons pas », « nous ne parlerons pas aux médias vendus au grand capital », et nous c’est plutôt « mais, putain, on est conscient de comment les choses fonctionnent, on est conscient que le politique ne va pas réagir s’il n’y a pas un sujet au journal de 20h »,

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et du coup on joue avec ça, on joue avec ces codes pour arriver à nos fins. Donc c’est un peu cynique. S : d’accord, et Jeudi Noir, ça s’organise comment ?... L : En fait nous. C’est marrant, parce que, d’un côté on va être vachement cynique et se faire traiter de vendu… parce que moi j’en ai entendu des réflexions, et sur d’autres personnes, qui militent à Toulouse, en gros pour faire comprendre que je faisais un truc de vendu : parce qu’on parlait aux médias, parce qu’on allait voir les politique. Mais paradoxalement, on va avoir un mode de fonctionnement beaucoup plus libertaire que les organisations libertaires, que les mouvements libertaires… enfin que ce que j’ai vu du moins. Que, on tient vraiment à avoir un fonctionnement, ça marche ou ça marche pas, après dans la pratique horizontale, qu’il n’y ai pas de hiérarchies. Et souple aussi. On voulait se démarquer… S : ça veut dire quoi ? L : ben, on a tous été saoulé par les AG, manifs en rang militaire. Moi les organisation, et syndicats étudiants ou j’ai milité, ça m’a gavé… tour de parole… mais c’est vrai on se rend compte plus on est nombreux, qu’il y a des truc qui reviennent parce qu’ils sont nécessaires, du genre : les tours de paroles, les choses comme ça. Mais des trucs du style, tour de parole, on vote telle motion, pour tel congrès, ou disons… le mode d’organisation un peu rigide. Et nous on a voulu toujours éviter ça. Parce que si tu dois te faire chier en réunion Jeudi Noir,… L’idée c’est que c’est pas parce que tu milites que tu te… on est pas des mère Thérésa… on se sacrifie pas pour une cause. Et si on le fait, c’est pour se faire plaisir en même temps. S : c’est important ce côté là, sur les actions… accès sur le côté ludique. Et ce n’est pas un peu se vendre ça ? L : en fait … pourquoi ? S : parce que genre, la lutte révolutionnaire, ce n’est pas un principe pour toi ? L : non, parce que le mode d’action ludique, c’est pour se faire plaisir, mais c’est aussi, c’est comme l’idée des masques blancs, c’est pas ludique, c’est « comment attraper les médias ». Mais c’est vrai qu’on a trouvé un truc qui marchait, c'est-à-dire la fête, mais au bout d’un moment il va falloir réfléchir à autre chose qui fait qu’on arrive à attraper les médias. En même temps notre problème aussi, c’est qu’on le voit bien… les limites. La prochaine orga où je milite ça ne sera pas forcement sur cette forme médiatique, tout ça. Parce qu’on voit bien que le logement ça fait la une… ce que nous on a fait, un gros boulot de sensibilisation, « tient le logement touche aussi les jeunes actifs », mais finalement qu’est-ce qu’on a eu comme retour politique. Donc c’est cool la médiatisation, mais c’est éphémère, et pour vraiment avoir des réponses de fond, moi je les vois pas. S : il y a eu des réunions avec les ministères… L : ouais, mais pour quoi au final ? Que dalle. Qu’est-ce qu’on a obtenu ?

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S : je ne sais pas, ça se passe comment à chaque fois. Ils vous présentent le bilan ? L : moi, j’ai fait celle avec Borloo, la première, ça faisait un mois qu’on existait, on s’était invité dans un conférence de presse, de… je sais pas si t’as vu la vidéo ? L’hallu quoi, on hallucinait, on arrive et « pof » on arrive à obtenir un rendez-vous avec Borloo. C’était avant que la campagne présidentielle commence, alors on s’était dit « on va voir le ministre du logement, qu’est toujours ministre du logement, le mec est pas candidat à la présidentielle à priori, donc on a plutôt des chances qu’ils nous fassent pas des plans sur la comète, qu’il nous fasse pas un programme de candidat. » et on arrive avec des solutions qui coûte zéro euros, qui sont applicable dès le lendemain, et finalement ça a été comme d’hab. Le mec nous à sorti son bilan qui était génial, ce que la gauche avait pas fait, et ce que lui prévoyait pour les six prochaines années, mais que ça va être difficile parce qu’il n’y a pas trop d’argent. Enfin… c’est toujours la même chose. Et après dans la campagne présidentielle, c’est que ce que tu peux avoir c’est toujours des promesses. Faut toujours qu’on se cale par rapport à l’agenda politique aussi. S : vous avez fait venir pleins de futurs candidats… des candidats à la présidentielle. Pleins sont venus ici. Ça a donné quoi ça ? L : ben, ça va faire des belles lignes dans les archives de tous les partis. C’était intéressant les débats, en même temps souvent, ça se transformait un peu en conférence de presse du candidat. Ils venaient […] mais après c’est du donnant-donnant. On sait que quand les mecs qui se présentent à la présidentielle viennent parler du logement chez nous, c’est avant tout parce qu’ils font leur com’, leur campagne. Ça, on en était conscient. Mais bon. C’est vrai que ça s’est souvent transformé en conférence de presse. Et surtout, c’est le jeu des élections, il y en qu’un qui est élu, il n’y en a qu’un qui applique le programme, les autres ça restera des belles promesses. S : Jeudi Noir utilise les médias et les politiques, mais pour le coup se fait instrumentaliser par les politiques, ils se servent de Jeudi Noir comme point d’appui pour se valoriser. L : ça on le savait dès le départ… ouais, on le savait dès le départ, mais le fait de le voir vraiment c’est ça aussi l’une de nos particularités. On est en perpétuelle expérimentation. D’ailleurs je me rappelle que quand on s’est rendu compte que ça tournait vraiment en conférence de presse, on se dit, ben tient ! le prochain candidat, qu’est ce qu’on fait. Déjà il faut qu’on garde les même règles que pour le candidat d’avant, pour une question d’équité, ou est-ce qu’on change parce que notre formule ne marche pas ? Comment on fait pour que la prochaine fois le mec ne puisse pas… qu’on ait un vrai débat ? S : et il y a des de droite qui sont venus, ici [au Ministère de la Crise du Logement] L : … Corinne Lepage, de droite. Quitterie Delmas, la jeune du Modem, il y en a qui diront qu’elle est pas de droite : les mecs de l’UDF, modem, tout ça… et c’est tout, en fait. Parce qu’on dit qu’on est ouvert à tout le monde, on va pas prêcher que des convaincus, mais forcement c’est les mêmes qui viennent.

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S : après il y a eu qui ? Le PS, les Verts ? L : le PS, les verts, PC, la LCR, … LO, Bové, Roland Castro, et… S : et ça c’est grâce au côté transpartisan de Jeudi Noir ? L : qu’ils sont venus ? S : oui, parce que si ils sont venu, c’est que Jeudi Noir n’est ni lié à la LCR, ni au Verts… L : ouais, pour des raisons d’efficacité. Le côté non-partisans ça marche parce que, sinon, on arriverait pas à se mettre d’accord. Parce que, s’il y a des gens qui sont contre la crise du logement, et du PS, moi je n’en ferai pas parti. Et aussi pour des questions d’efficacité, ouais, parce que… et limite, je trouve que c’est libertaire. C’est plus libertaire que quoi que se soit Jeudi Noir, parce que t’as l’échiquier politique en face de toi, tu t’en fous qu’ils appartiennent au PS ou quoi que se soit, et juste tu… t’arranges les choses pour arriver à tes fins, tu tires les ficelles pour arriver à tes fins. […] S : il y a pas longtemps, Jeudi noir a envoyé un communiqué de presse pour applaudir les « mesurettes » de Sarkozy. L : moi, je suis d’accord avec toi, mais quand tu en parleras aux autres, ils te diront que ce n’est pas un communiqué de presse pour applaudir, … le communiqué pour « sabrer le mousseux » ? S : ouais L : moi je trouve que ce communiqué de presse était beaucoup trop, on applaudit Sarkozy… c’était beaucoup trop, on rentre dans le cirque… S : et c’est bizarre, on est tous de gauche à Jeudi Noir, et pourtant tout les partis de gauche ne sont pas du tout dans la même optique que Jeudi Noir, sur le logement. Par exemple, ils sont tous contre la mesure sur les surloyers. Ils sont tous « ouaaah ! on va faire des ghettos de pauvres. » alors que Jeudi Noir est aussi contre ça. Donc c’est bizarre parce qu’ils ont bâti une influence sur les partis de gauche, et pourtant les partis politiques de gauche n’ont pas compris. On n’a pas réussi a faire comprendre des choses au gouvernement, puisqu’il nous envoie balader, et avec les partis politique, il n’y a pas vraiment de répercutions. L : ben, je ne sais pas, parce que niveau interlocuteur pour parler du logement des jeunes du moins, on est plutôt bien placé. Et ce qui fait notre crédibilité c’est qu’on ne suive pas la ligne du PS par exemple. Parce que sur la question des surloyers, il se trouve que… après on peut en débattre entre nous, mais il se trouve qu’on est tous d’accord là-dessus. Et là c’est un gage de crédibilité. Parce que même si toute la gauche n’est pas d’accord, et ben nous on arrive à se mettre d’accord quand même.

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S : ensuite, j’aurais voulu parler de l’importance de l’information dans Jeudi Noir. Parce que Jeudi Noir est essentiellement tourné vers le symbolique… en général ils essayent de passer dans les médias pour faire de l’information… essayer de changer la perception du squat, que ce ne soit plus le punk à chien, mais que se soit le cadre, l’étudiant qui galère… et du coup, est-ce qu’il y a volonté d’incidence matérielle ? Il y a l’idée d’agir sur les lois, mais ouvrir un squat, cette idée est venue comment ? Tu vois de passer du symbole au matériel. L : Moi je pense pas que Jeudi Noir est essentiellement un rôle de sensibilisation. Justement, on sensibilise pour… dans le but d’avoir des réponses politiques. Et si… on touche l’opinion publique, on veut qu’elle se dise « mais moi aussi putain, mon gamin il peut être en galère de logement alors qu’il a fait des études et il a un travail. » mais c’est pas juste pour dire regardez c’est possible d’être en galère de logement quand t’as fait des études et que t’as un travail. C’est pour que tous les gens qui se disent « putain ! ça craint de mettre le problème des jeunes actifs à l’ordre du jour chez les politique parce que c’est passé dans les médias » et dans le but que les politiques se bougent le cul et trouvent des réponses, quoi ! S : le but ce n’est pas du tout ouvrir un bâtiment pour loger des gens. L : mais concrètement, nous, quand on a commencé, Jeudi Noir c’était la fête dans les appartements, on a vu Borloo, ça n’a pas marché. On s’est dit… enfin moi je connaissais déjà les squats de Toulouse, tout ça… ils savaient les autres, mais les autres de Jeudi Noir au début on était vraiment pas nombreux. Les autres savaient bien que moi, ça me branchait bien ce genre de truc, en centre ville, de construire une alternative. Ce que le politique ne fait pas, on le fait, et ça aussi bien en terme de logement que d’activités culturelles, tout ça. On se réapproprie un espace laissé vacant dans la ville. Et là du coup on a rencontré les MACAQ qui faisaient ça aussi. Alors on s’est dit, on passe la vitesse supérieure, toujours dans le but que les politiques se bougent. Là, l’application du droit au logement, en plus ça tombait pile poil annonçait le droit au logement opposable. Ils l’annoncent, et nous on l’applique. Si nous, à dix connards, on arrive à le faire, pourquoi le gouvernement, avec ses moyens, ne le fait pas. Mais tout en disant, en restant dans le cadre : on caresse l’opinion publique dans le sens du poil : « regardez ce bâtiment qu’on ouvre, c’est des monsieur tout le monde qui sont à l’intérieur ». parce qu’on s’est dit, le meilleur moyen que les politiques se bougent le cul ; si c’était des punks, les politiques avaient toutes les raisons de se dire « c’est un truc marginal », la ménagère de moins de cinquante ans a aucune raison de s’inquiéter. S : Pour le ministère, vous avez fait une alliance avec DAL et MACAQ ? L : donc on a rencontré les MACAQ, hyper bluffés. Je crois qu’on a été mutuellement bluffé, nous par leur côté, on ouvre des squats en plein jour, déguisés en ouvrier de la mairie de Paris, avec des camions mairie de Paris, truc de dingue sur les méthodes. Et carrément une société parallèle avec les gens qu’ils logeaient. Et eux ils ont été bluffés par le truc, nous on est six, et on arrive à passer dans toutes les télés, tout ça. Et moi, en fait, j’avais rencontré Babar au forum social d’Athènes, mais j’y étais avec la casquette Génération Précaire. Et donc on s’est dit, si on ouvre un bâtiment… moi Babar, je le connaissait le loin c’est tout, j’avais encore son numéro de téléphone… et on l’a appelé pour lui parler de ce qu’on faisait, tout ça. Et d’abord,

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la première rencontre, c’était juste pour se rencontrer. On avait parlé de la grève des loyers, pour le mois de mars. Et après en fin de discussion, « ha ouais, d’ailleurs, on a peut être un projet avec les MACAQ, on va peut être ouvrir un bâtiment » et là je crois que Babar et Julien Boucher se sont vus entre eux, je sais pas comment après ça s’est dégoupillé, mais … parce que Babar je l’avais appelé « tu sais Leila, de machin truc, Génération Précaire… on a monté un truc Jeudi Noir, je sais pas si t’en as entendu parlé ? » il me saoulait au début avec ses airs, « mais vous savez, les enfants, tout le monde parle de vous cette semaine, la semaine prochaine vous serez oubliez », c’était un peu ça… […] S :et ça se passe comment avec les MACAQ ? toi, je t’ai déjà entendue gueuler plusieurs fois parce qu’ils avaient pris des décision… L : ben ouais. C'est-à-dire que notre mode de fonctionnement horizontal ou tout le monde s’écoute, tout le monde se respecte, même si ça parait un peu le royaume des « bisounours ». C’est un peu comme ça quand même. Mais quand on s’est mis à bosser avec d’autres, il y a eu deux problèmes : par rapport aux MACAQ, on s’est vite rendu compte que quand on a ouvert ici, on s’est retrouvé face au vice-président de MACAQ qui avait été au courant dans la journée du 31 qu’on ouvrait ce lieu là. Face à MACAQ, on s’est retrouvé face à une organisation où ils étaient vachement plus nombreux que nous, mais c’était plus un réseau, avec deux chefs en haut qui prenaient les décisions. Chose qui était complètement impensable chez nous. Et quand on avait fait les réunions de préparation avec les MACAQ, en fait avec Julien et Alex, on pensait que, après, l’information circulait. Mais en fait non, ils prenaient la décision avec nous, et après, il y a des raisons de confidentialité pour ouvrir des squats, mais aussi … ils se sont retrouvés entre mecs. Les mecs de Jeudi Noir on retrouvé les mec de MACAQ, plus Babar, l’historique du DAL… avec Julien Boucher et Babar l’idole des mouvements sur le logement. Et du coup, ils se sont vite retrouvés à jouer les G.I. Joe et tout le côté… jamais j’avais ressenti de sexisme dans les réunions militantes à Jeudi Noir, et à Génération Précaire, pareil, parce qu’on était vachement de nanas. Et là c’est la première fois où je me suis sentie mise en minorité et obligée de gueuler deux fois plus que les mecs parce que j’étais une meuf, quoi. S : et là, ce mode d’organisation a déteint sur Jeudi Noir ? L : et, enfin… je pense pas que ce soit voulu et conscient. Mais je pense que des fois il faut remettre les pendules à l’heure. Maintenant d’ailleurs ça va mieux. S : parce que moi, j’ai fait des réunions où, tu vois, Alex discute avec Manu, et Lionel, et après ils arrivent et la réunion est déjà faite. L : par exemple S : les réunions de Rio, avec les groupes étudiants, L : mais comment ça elle est déjà faite ? S : ben elle est déjà faite, ils ont prévu l’ordre du jour, les décisions sont déjà prises, …

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L : mais je pense que ce genre de choses c’est sûr, ces derniers temps, il y a eu des changements, avec l’ouverture des squats étudiants, parce qu’il y a plus de monde. Donc forcement, c’est plus chaud à gérer que le mode de fonctionnement qu’on avait initialement, souple, autogéré, horizontal, tout ça. Mais je crois qu’il y a deux trucs. C’est bien la preuve qu’au bout d’un moment une organisation est nécessaire quand on est nombreux pour maintenir la démocratie interne. Et après c’est toujours le problème de : si tu te prends pas toi-même les décisions, si tu ne t’empares pas du truc, ça peut t’échapper. C’est à nous… parce que moi plusieurs fois je me suis dit, « mais tu gueules », c’est à toi aussi de gueuler dans ces cas là. Je me suis rendue compte que, si à chaque fois que j’ai gueulé, même si a chaque fois il a fallu que je gueule fort, il y a eu des réactions. C’est pas de la mauvaise volonté en face. Pis aussi, je me suis dit, c’est à toi de te bouger le cul. S : pourquoi… qu’est ce que tu gagnes à militer ? Morale ? Tu chéris un dieu et il faut que tu fasses ça ? L : ben ! je ne sais pas. Moi j’attendais un peu. Avant je croyais que le grand soir existait, qu’un jour, « du passé faisons table rase » que la révolution allait arriver, qu’on était tous en train de la construire et qu’on allait vers une société meilleure. Mais pffff ! En fait, il y a plusieurs trucs. Même si l’année prochaine je militerais sûrement dans quelque chose d’autre, sur un autre thème… les blondes… j’en sais rien. C’est lié parce que ça va toujours dans le sens que la société soit un peu mieux que, ce qu’elle est maintenant quoi, Que l’histoire aille plutôt dans le sens ascendant que descendant. Après, il y a toute une part que tu ne peux pas expliquer. C’est que je sais que, aller au boulot de huit heures à cinq heures de l’après midi, et ben … quand, là, j’étais à temps plein jusqu’à fin juillet, ben ça va… c’était pas un boulot qui me dégoûtait, mais je savais que quand commençait ma deuxième journée le soir, surtout au début quand on a ouvert ici et que c’était super speed, et ben je prenais mon pied. Et c’est là que… c’est comme si c’était une passion. Tu sais, il y a des trucs que t’aimes bien faire, et des trucs qui vraiment te font triper… c’est pas être Jésus Christ changer le monde, c’est pas ça. Mais c’est, je sais pas, à la base c’est peut être juste se dire, on est tous qu’une merde sur six milliards, et alors autant faire en sorte que sa vie aille plutôt dans le bon sens, dans le sens d’une amélioration des conditions de vie qu’autre chose. S : mais quand tu ouvres un squat et que tu loges, il y a ce côté…. Je ne t’attaque pas… L : vas y S : mais tu prends un logement, tu prends une part L :non, mais c’est clair, c’est la première fois, et au début on culpabilisait. Mais au bout d’un moment faut te dire… on a arrêté… ça a été du boulot d’ouvrir ce bâtiment. Et au début on a proposé à tout le monde de venir habiter, de Jeudi Noir, de venir habiter ici, il faut que les gens viennent… moi quand j’ai dit : je viens habiter ici, je viens de Toulouse, « on emménage demain ?» j’avais dit oui à l’arrache, et on le fait… n’importe qui pouvait le faire.

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S : […] L : on en avait vaguement parlé, mais tu vois comment est Julien Boucher, tout ça. Moi j’étais à Toulouse, chez une copine, le 25 ou 26 décembre. « Demain on emménage, tu peux être là ? » « ben ouais d’accord », je reviens, je préviens ma copine, bon désolé, j’habite plus chez toi… mais d’ailleurs, c’est la première fois, parce que d’habitude, t’as des rétributions… on va dire que c’est ma première rétribution matérielle, on va dire. Mais t’as forcement des trucs qui sont pas matérielles : ne serait-ce que, faut pas être hypocrite, tu vois … se faire des potes, moi il y a plein de gens que j’ai rencontré comme ça, c’est pas la première motivation, mais c’est des trucs que, de fait, tu retires. Il y a quoi … S : et Besancenot, tu l’as rencontré comment ? L : j’ai rencontrée Besancenot… [rire] S : avec Jeudi Noir ? L : ouais, au début par Jeudi Noir, et aussi je bossais avant pour la CGT pizza-hut, et par Abdel, de pizza-hut qui a beaucoup été soutenu par Besancenot pendant les grève de pizza-hut… ils se connaissent depuis un moment. [...] S : Comment tu perçois la mobilisation en ce moment ? C’était mieux avant ? ça change de forme Jeudi Noir en ce moment L : ouais, carrément S : ça te pose problème ou pas ? L : ben non, pas en ce moment. Peut être qu’à un moment donné je me suis senti un peu […] [ragot] Donc, Jeudi Noir, j’ai été un peu perturbée… enfin perturbée… le mode de fonctionnement qu’on a à Jeudi Noir, c’est ce qui me faisait triper, et surtout au début j’étais un peu … on a monté à ça à trois plus quatre, puisque Manu est venu super rapidement se greffer au truc. J’avais un peu l’impression d’avoir le contrôle des choses. Quand on s’est mis à bosser avec les MACAQ et le DAL déjà il y avait des petits trucs qui me gênaient. Le côté machiste d’une part, que tout à coup, ma voix n’était pas aussi entendue… S : et eux, en plus, mandatent, délèguent, c’est le président qui décide pour ça… L : oui, quand je dis MACAQ c’est Julien et Alex. Et donc après, tant bien que mal ça allait. Pis après, quand il y a eu les […] étudiants pour l’ouverture des squats… et puis, cet été, j’étais pas là, je suis partie un mois, enfin le salon du logement étudiant, il y avait pas mal de choses qui nous saoulaient parce que c’est à l’époque où l’on a péter un câble avec le machisme, et le fait que les étudiants étaient pris à la MACAQ. C’est-à-dire, vas y, viens, j’ai un truc dont il faut que je te parle, on va au

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café, et puis trois jours après, on apprend qu’il y a une ouverture sur la semaine d’après. Je comprends qu’il y a des choses qu’il ne faut pas balancer par téléphone, par mail, mais on habitait ici et on avait l’impression d’être moins au courant que des gens qui n’habitaient pas ici alors que […]. Donc ça nous a un peu gavé, quoi. Après, prise de recule, douche froide. Moi je pensais pas continuer à militer à Jeudi Noir en septembre. Et, petit à petit, La Faisanderie, moi j’étais pas là, j’ai zappé, Montparnasse un petit peu, et plus ça va… maintenant, je le vois différemment. Au contraire, c’est en rencontrant vraiment les étudiants donc on avait entendu parlé depuis deux mois, sur ces projets là, que ça fait plaisir à voir plein d’énergie, de gens qui ont envie de se bouger. En plus ça bougeait sur le facs donc (…) sur motivés, et puis voila, faut pas rester. A un moment donné, Jeudi Noir a fonctionné au nombre qu’on était, tout ça. Ça devait être un truc provisoire : « on fait péter la bulle immobilière et on rentre chez nous se coucher » puis on passe à autre chose. Le fait est qu’on n’a pas pu faire péter la bulle immobilière, que on se pérennisait, et qu’on devenait plus nombreux ; on pouvait pas rester sur le mode de fonctionnement qu’on avait à la base. Donc c’était plutôt positif. Il y avait des choses positives à faire, même plus qu’avant, et avec même plus de monde… nouveau mode de fonctionnement. S : est ce que ça a changé d’objectif ? Avant, c’était faire péter la bulle immobilière, et maintenant, c’est en train de s’institutionnaliser. J’ai entendu des rumeurs comme quoi se serait bien de faire une association de Jeudi Noir. L : le truc c’est que, maintenant, on a une responsabilité. On peut pas se barrer, on peut pas dire « et ben tchao, on n’a pas réussi à faire péter la bulle immobilière on s’en va. » maintenant, en terme de logement des jeunes actifs et des étudiants, si c’est pas nous qui parlons, qui c’est quoi ? On va pas dire tout à coup « voila, tchao ». on n’avait pas calculé ça au départ, parce qu’on avait vraiment des échéances sur du court ou moyen terme et on n’avait jamais fait des plans, on n’est pas un parti, sur ce qu’on va faire en 2008. au début c’était vraiment qu’est ce qu’on fait la semaine prochaine, comment on fait pour maintenir la semaine prochaine la pression, sachant que la semaine d’après on a rendez-vous avec le ministère […] et ben moi vraiment je voyais ça comme ça. Et maintenant… d’ailleurs, le boulot de sensibilisation qui était a priori central, et ben maintenant il devient quand même. Au début le boulot de sensibilisation, c’était un moyen pour arriver à nos fins, maintenant ça devient un peu… faut y penser. S : Changeons de sujet. Le rôle d’Internet dans Jeudi Noir. Pour moi c’est quelque chose de complètement nouveau. J’ai un peu milité avant et là c’est… tu reçois des mail, et si t’as pas Internet t’es presque complètement en dehors de l’association. L : surtout en ce moment, c’est relou. S : ben ouais… c’est hyper développé… L : c’est aussi lié au fait que ceux qui font ça ils sont au boulot. Tu fais ça pendant tes heures de boulot, et … vu que tu peux pas être militant à temps plein souvent, alors tu bosses, et t’es actif dans l’association par le biais des mails. Mais le problème c’est ça, je vois que quand moi j’ouvre pas ma boite mail pendant trois jours, entre les mails « Jeudi Noir », « Génération précaire », « Valérie Pécresse », tout ça… je

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les survole, tu peux pas t’impliquer. Et ça justement c’est un des problèmes qui faut résoudre. Car on est toujours dans un mode de fonctionnement qui est évolutif. Et là au départ ça allait car on est pas nombreux, alors c’est pas grave si tout le monde envoie deux mails par jours, et maintenant… S : c’est ça, vraiment tu t’impliques sur internet. L : c’est que, en permanence, tu peux intervenir sur des sujets de réunions. Alors après on est pas sensé prendre de décisions sur internet. Ça sert pour être réactif, c’est ça. Quand on veut réagir direct, coup par coup, à l’actu, … ce qui se passe… ça peut desservir la démocratie plus qu’autre chose. S : t’envoies des mails depuis ton boulot ? L : ouais, ouais. Ces derniers temps, mais je viens de finir. S : tu faisais quoi ? L : je bossais que deux jours par semaine. Là j’étais chargé de presse, des relations presse. S : où ça? L : à « l’Electronique Buisness Group » S : d’accord, et comment t’as fait pour avoir ce job ? L : ben là je bossais à temps partiel comme chargée de relations de presse. Mais, jusqu’à fin juillet, j’étais en charge d’un bouquin de six cents pages sur internet. Et je devais coordonner l’action et trouver des sponsors pour le bouquin. Et après ils m’ont rappelée pour faire ça. Donc rien à voir. S : et tu m’avais raconté, que t’avais un job et que t’étais passé à la télé, et que ensuite t’avais eu une promotion. L : et ben c’est celui-là. Parce que au départ. Quand je suis arrivé là bas il y a deux ans, j’ai fait un stage de trois mois en rédaction. Après j’ai bossé pour CGT pizza-hut, et après je voulais faire un DEA histoire du syndicalisme, un master deux. Et je voulais un petit boulot d’étudiant. Et je me suis retrouvé là-bas en tant que assistante d’une nana qui organisait des conférences marketing tout ça, club d’affaires. Donc j’avais tout camouflé, mon CV après mettre faite refouler plusieurs fois j’avais enlevé tous les détails militants de mon CV. Et une semaine après, on venait juste de créer Jeudi Noir, donc moi j’étais juste là à temps partiel, on passe au grand journal de canal +. J’arrive le lendemain au boulot, mon patron qui me dit « je t’ai vu à la télé l’autre soir », et là dans ma tête je me dis « merde, merde, merde ». J’ai enfin réussi à avoir un boulot étudiant, et pas trop chiant comme boulot étudiant, et c’est peut-être grillé, dans le buisness groupe présidé par Le Lay, patron de TF1. Et en fait, il me dit c’était bien, « ha oui, on a lancé ça à l’arrache avec des potes. On ne savait pas que ça aurait autant d’écho. J’ai fait l’innocente qui n’avait jamais milité. Et il me dit, « c’était bien, on déjeune ensemble lundi, j’ai quelque chose à te proposer ». Et

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c’est là qu’il m’a proposé ce poste là. La réaction contraire… ça a eu l’effet inverse de ce que je pensais. S : et il t’as pris parce que tu passais à la télé ou parce qu’il pensait que t’avais un savoir faire L : il est perché, mon patron, enfin mon ex-patron. Il marche vachement comme ça. Ça faisait un moment qu’il cherchait quelqu’un pour faire le livre, et, moi en plus j’ai pas du tout une formation marketing, mais il m’a dit « on ne te demande pas d’être chirurgien, on va t’apprendre », et je sais pas, au feeling… ouais, parce que ça aurait pu très bien être un hasard qu’on passe à la télé parce que ce qu’on a fait croire… enfin de qu’on a fait croire… au début, Jeudi Noir, on savait qu’on faisait la fête dans les appartements dans le but que se soit médiatique mais on faisait les innocents, on manipulait un peu les médias qui eux croyaient se servir de nous. Chaque média, on lui faisait croire qu’il était le seul sur le coup. Et c’est comme ça que le deuxième samedi d’action on s’est retrouvé avec cinquante journalistes, trente militants. Et donc, eux les journalistes, ils se disaient « tiens, on va couvrir ces gens qui font des actions en faisant la fête dans les appartements » ils croyaient qu’on le faisait spontanément, mais nous on le faisait dans le but d’être médiatisés. Et dans le but d’être médiatisés pour squatter l’agenda politique. […] S : t’as dit qu’il y avait trente militants L : on avait pas lancé d’invitations publiques, au départ, on avait peur qu’on couille, que des types cassent tout dans l’appartement, donc on avait fait tourné à nos potes. On leur avait dit « venez, venez qu’on soit nombreux, ça va être marrant », on faisait tourner à tout nos réseaux. Et sinon on était une dizaine d’actifs. S : et c’est quoi être militant Jeudi Noir L : et ben, il y a les gens qui viennent sur les actions parce que ça les fait marrer. Et être militant Jeudi Noir, c’est être là au réunion. Mais après, on n’est pas une secte, on n’est pas Lutte Ouvrière ; il y a pas, quand t’es militant, tu signes pas une truc « je m’engage à distribuer des tracts une fois par semaines » non, non, c’est chacun se motive à la hauteur de ses envies… de ses disponibilités. Donc il n’y a pas un militant Jeudi Noir. S : parce qu’il y a un mois vous avez accepté Julien et Alexandre de MACAQ, dans Jeudi Noir. C'est-à-dire qu’ils sont entrés comme individus. L : c’est là qu’il y a un type de militant Jeudi Noir. Parce que Julien et Alex, quand ils parlaient du logement, ils ne parlaient plus au non de MACAQ mais de Jeudi Noir, et ça impliquait qu’ils s’adaptent, qu’ils se calquent sur le mode de fonctionnement Jeudi Noir. Et on a insisté sur ça avec Fanny notamment, c'est-à-dire que, […] ils fonctionnent avec une hiérarchie et chez nous ça ne se passe pas comme ça. Et donc, en gros, le Julien Boucher, il évite de monopoliser la parole dans les réunions, et de prendre les décisions tout seul. Ça ne se passe pas comme ça. Et aussi, ce qui me faisait flipper au départ, c’est que si MACAQ, même si ils sont non partisans, ils ont des liens serrés avec la Mairie de Paris, et le PS. Et moi j’ai bien insisté sur le fait que quand il faudra qu’on tape sur la Mairie de Paris, on taperait sur la Mairie de

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Paris, et il ne faudrait pas que ça pose de problème à des gens qui par ailleurs sont investis au PS. S : et pourquoi Jeudi Noir n’a pas tapé sur la Mairie de Paris encore ? L : ben, parce que comme pendant la présidentielle. Il ne fallait pas trop taper sur le PS sinon on jouait le jeu de Sarkozy, là il faut pas trop taper sur la Mairie, c’est mon point de vue, parce que pendant les municipales on risque de faire le jeu de la droite. Mais après le mois de mars, c’est clair, il y a intérêts qu’on se lâche sur la mairie de Paris. Après, il y a qui vont te dire, Manu va te dire, « il n’y a pas de raisons de taper sur eux » « ils font des trucs bien, et c’est pas eux qui ont le contrôle, c’est surtout l’état »… non, mais il y a des choses qu’ils peuvent faire S : notamment racheter. L : ouais, préempter des bâtiments, je ne sais pas, la taxe sur les logements vacants, pourquoi ce ne serait pas eux qui gueuleraient pour qu’elle soit appliquée ? Il y a quand même un service logement à la Mairie. Même si c’est bien par rapport à ce qu’a fait Tiberi avant. Mais nous notre rôle de mouvement social c’est de faire pression partout où on peut faire pression. S : mais après, il y a des élus qui soutiennent la lutte de Jeudi Noir, et ils ne viendront peut être plus si tu leur tapes dessus. Genre, les élus Verts qui viennent quand il y a une expulsion… L : oui, mais si on leur tape dessus c’est qu’il y a des choses à faire… ils viendront peut être plus… faut pas pousser… je sais pas, tant pis hein ! C’est qu’ils ont quelque chose à se reprocher dans ce cas là. [...]

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Documents :

Document n°1 : Article paru dans le quotidien Ouest France, édition du vendredi 5 janvier 2007.

Un « ministère » des mal-logés au coeur de Paris

Néné, 26 ans, avec sa petite Maïmonnia, 1 an. Elle a été expulsée, le 19 septembre, d’un deux-pièces loué 600 ?. Claude Stéfan Reportage. De jeunes activistes squattent un immeuble de six étages dans le quartier de la Bourse. Ils réclament la réquisition de logements vacants.

PARIS (de notre envoyé spécial). - Depuis le réveillon, l’opulent quartier de la Bourse dort peut-être un peu moins bien. À l’entrée de la rue de la Banque, juste en face du fameux palais Brongniart - le temple historique de la spéculation -, un bel immeuble hausmannien de six étages a basculé dans le camp de la misère. « Contre la spéculation, application de la loi de réquisition », clame une immense banderole.

Une femme d’origine africaine s’approche de l’ancienne entrée de la Lyonnaise de Banque. « Quelle est votre situation ? », commence un militant...

Six étages, 1 000 m2

Désertés depuis trois ans - un vrai gâchis pour cause de litige judiciaire -, le grand escalier et les six niveaux du bâtiment (de 1 000 m2) ont la moquette et les murs un peu ternis. Mais c’est un palais pour les huit familles et les artistes RMistes qui en ont fait leur logis.

Néné, 26 ans, perdue dans ses deux grandes pièces au 3° étage avec ses petites Maïmonnia, 1 an, et Assanadou, 6 ans, n’en revient toujours pas. Le 19 septembre, elles ont été toutes les trois expulsées du deux-pièces loué 600 ? dans le XXe arrondissement. Le salaire de l’employée de coiffure, en congé parental, ne suivait pas, bien sûr. Elles ont « dormi à droite à gauche », chez des amis, dans des hôtels, jusqu’à leur arrivée ici. Comme Bintou, la voisine et ses cinq enfants, comme les autres.

« Ce ne sont pas du tout des marginaux, la plupart ont un travail », soulignent ensemble Julien Boucher et Manuel Domergue en parcourant le premier étage. C’est là, ainsi qu’au rez-de-chaussée, qu’ils aménagent le futur « ministère de la Crise du logement ». Julien, 28 ans, directeur commercial d’une société dont il préfère taire le nom, et Manu, 25 ans, assistant d’un sénateur socialiste : ces deux jeunes au look classique, pas extrémistes, sont deux des principaux agitateurs de ce squatt-ministère.

Julien est l’un des fondateurs de Macaq, le Mouvement d’animation culturelle et artistique de quartier, bien connu dans le XVIIe arrondissement pour ses squatts, expos, spectacles... Manu est l’un des animateurs de Jeudi-Noir (en référence au jeudi noir de la Bourse de New-York en 1929 et au jour de la semaine où les chercheurs de logements font la chasse aux petites annonces). Apparus le 26

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octobre, les militants de Jeudi-Noir débarquent à une poignée dans un logement au loyer prohibitif et rameutent la presse et le quartier en faisant la fête.

« Nous, on sort les projecteurs »

Les jeunes activistes de Macaq et Jeudi-Noir (1) sont les frères d’armes des Enfants de Don Quichotte qui ont planté leurs tentes au canal Saint-Martin et ailleurs : « On vient en complément des organisations traditionnelles. Nous, on sort les projecteurs », dit Manuel Domergue. Un mode d’action efficace et adapté à l’époque : « On ne peut pas mobiliser 100 000 personnes, mais 10 ou 15, oui. » Ce qui n’empêche pas d’espérer rassembler un jour des milliers de jeunes dans la rue sur cette question du logement, comme on l’a vu en Espagne.

Pour l’heure, ils font équipe avec le très expérimenté Dal (Droit au logement), avec ses 7 000 adhérents et son leader bien connu, Jean-Baptiste Eyraud. « En général, on occupe tout seuls. Là, on est à plusieurs, c’est bon pour peser dans la campagne présidentielle », se réjouit ce dernier. Le « Ministère » devrait en effet tenir quelque temps. Pour fermer le squatt, analyse-t-il, il faudrait que la banque propriétaire (le CIC) reloge les occupants. Ou que la ville ou un autre organisme rachète l’immeuble pour faire du logement social. Ou qu’on expulse les occupants par la force, ce qui est politiquement risqué. Bienvenue donc à l’ouverture du ministère de la Misère, le 11 janvier. « Il y aura une petite ambiance sympa », assure Manu, l’habitué des « fêtes chez l’habitant » de Jeudi-Noir.

(1) Sur Internet : www.macaq.org et www.jeudi-noir.org Michel ROUGER. Ouest-France du vendredi 5 janvier 2007

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Document 6 : Article de Libération , «Loue studette contre pipe», mercredi 6 février 2008 «Loue studette contre pipe» Certains propriétaires profitent de la crise et, contre un logement, proposent un nouveau type de troc. «Libération» a testé quelques annonces sur Paris. ELHAME MEDJAHED et ONDINE MILLOT QUOTIDIEN : mercredi 6 février 2008

Il a rappelé une heure avant pour s’assurer que nous serions bien au rendez-vous, a ouvert la porte de son appartement en souriant, a offert un verre au salon, puis s’est assis, le sourire toujours aux lèvres et les yeux vissés sur nous. Antoine (1), 47 ans, haut fonctionnaire, est bavard et disert sur la «colocation» qu’il propose. «Confort», «calme», «indépendance»… «C’est un quartier agréable. Et vous aurez votre chambre.» Mais ce dont Antoine aimerait surtout parler, c’est des contreparties qu’il attend de sa colocataire. «Se promener nue le plus souvent possible. Ecarter les jambes sur le canapé pour m’exciter. Pas de contrainte de fréquence pour les rapports sexuels, mais faudra pas se foutre de ma gueule non plus. Au début, je risque d’avoir envie souvent.» Voilà environ deux ans qu’Antoine recrute ainsi des colocataires, via une annonce sur le site Internet Missive, à laquelle nous avons répondu. Pas de loyer numéraire, on paye en nature. Pas de bail non plus, «tout est basé sur la confiance». Quant à la durée, «pas de limites». «Ça peut être en mois, en années. Les seules filles que j’ai virées sont celles qui ne respectaient pas leurs engagements.»

Antoine n’est pas le seul à pratiquer ce type d’échange - appartement contre sexe - à Paris. Dans un contexte de crise du logement, la formule semble s’être répandue. Sur Missive, la rubrique parisienne «A louer» recense de nombreuses offres d’hommes proposant des colocations ou studios indépendants «contre services sexuels».Mais également de femmes, troquant leurs charmes contre un toit. Ailleurs, sur Kijiji, Vivastreet ou dans le journal gratuit Paris Paname, on trouve aussi des annonces, plus masquées. Le mot sexe n’apparaît pas, ce sont les mentions «pour jeune femme», «contre services» et l’absence de montant pour le loyer qui servent d’indices.

Exigences. Antoine est lucide sur les motivations de ses colocataires. «Je sais bien que si vous aviez les moyens de vous loger autrement, vous ne viendriez pas chez moi.» Ce qui n’entraîne aucun scrupule quant à ses exigences, dont la liste s’allonge au fil de l’entretien. «Je veux pouvoir vous observer aux toilettes. J’aimerais que vous soyez là le soir quand je rentre. Ce serait bien si on pouvait dormir ensemble. Je veux du ménage et du repassage.» On quitte Antoine en pleine description des jeux «uro-scato» dans lesquels il nous imagine. Pour rejoindre notre deuxième rendez-vous.

Dans cette rue sombre proche de la gare Saint-Lazare, l’homme attend au bas

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de l’immeuble, silhouette courbée rasant les murs. L’adresse qu’il nous a donnée au téléphone n’est pas la bonne. Il nous entraîne un peu plus loin, dans une arrière-cour, puis dans un petit ascenseur sans lumière. Au sixième étage, on débouche dans une chambre d’à peine dix mètres carrés : un néon verdâtre, un vieux lit en mezzanine et une douche en plastique crasseuse. «Voilà, dit Amar. 650 euros, à négocier si arrangement.»

Enervement. La formule est la même que dans l’annonce postée sur Missive. On demande des précisions. «450 eurosplus deux week-ends de sexe par mois», répond-il. Amar habite en banlieue : les «week-ends de sexe» peuvent avoir lieu ici ou chez lui, dans les Yvelines. «Je peux faire un bail, mais il va falloir être très gentilles.» Amar a fermé la porte, et reste debout, appuyé contre la poignée. Son ton devient agressif : «C’est une bonne offre, les agences demandent 850 euros plus une caution pour ça.» «C’est pas une arnaque», répète-t-il de plus en plus énervé et menaçant. Nous demandons à visiter les toilettes sur le palier. Et prenons précipitamment congé.

De tous les hommes contactés, Laurent, 32 ans, est le seul à manifester une certaine timidité. Dans son studio propret du XVe arrondissement, il parle de tout, du temps qu’il fait, et surtout pas de l’annonce qu’il a passée. «J’ai connu Missive par leur rubrique de rencontres SM, se lance-t-il enfin. Je n’aurais jamais eu l’idée de proposer un hébergement contre du SM si je n’avais pas découvert là que ça se faisait.» Documentaliste, Laurent est un beau jeune homme svelte, les épaules carrées, le visage doux. «Ce que j’aime, confie-t-il,c’est être attaché. Servir à table en soubrette. Lécher des bottes en me prosternant.» Laurent propose de partager son modeste clic-clac en échange de quelques séances de ce type. «Je ne demande pas de relations sexuelles classiques. L’idée, c’est que ça reste cool. La fille a la clé, elle mène sa vie, mais juste, de temps en temps, elle me dit : "Fais ça." Ou moi, spontanément, je m’y mets, je lui sers de chaise, de repose-pieds.» Laurent a déjà eu deux expériences de colocation qui se sont «très bien passées». «Peut-être que les filles sont poussées à ça par leurs difficultés, admet-il. Mais, au final, chacun y trouve son compte.»

C’est aussi le credo de Julien, 30 ans, qui parle d’«échange de bons procédés». Agent de sécurité, il héberge régulièrement «des filles» dans son joli deux-pièces de l’Ouest parisien. «Ce sont souvent des escorts, qui viennent de province se faire un peu de fric à Paris. Je les reçois pour un mois ou deux, rarement plus, parce qu’après on se lasse.» Plutôt distant, Julien explique qu’il ne demande pas d’argent mais «du sexe classique» et «pas de prise de tête, parce qu’[il a] déjà eu des filles qui [lui] ont mis le bordel». Ses «colocataires» disposent du canapé-lit du salon, tandis qu’il dort dans sa chambre. Peu de temps après notre visite, il envoie un texto : «Désolé, ça va pas le faire.»

Didier, au contraire, est «très, très motivé», comme il le répète dans ses nombreux messages. Il nous propose un deux-pièces dans le XVIIIe contre «550 euros, plus deux trois rencontres par mois». Il habite ailleurs avec femme et enfants, mais peut se «débrouiller» pour nous rejoindre les week-ends. Malheureusement, l’appartement n’est «pas encore» visitable. «J’attends le départ des locataires», nous explique-t-il lorsque nous le rencontrons à la terrasse d’un café. En attendant, il propose de «commencer» déjà le sexe. «Pour

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voir si on se plaît».

Sur Missive, plusieurs messages d’internautes mettent en garde contre ces «tests» préalables. «Ça m’est arrivé trois fois, raconte Lætitia, 26 ans. Les types te font visiter, te demandent de coucher immédiatement. Et ensuite, plus de nouvelles. Parfois, c’est même pas leur appart qu’ils t’ont montré. Ils ont pris les clés d’un copain.» Il y a six mois, Lætitia a décidé de passer sa propre annonce «pour avoir le choix». Elle a depuis reçu quelques propositions «intéressantes». «Mais quoi qu’il arrive, prévient-elle, il faut rester méfiante.»

Pierre Allain, le webmaster de Missive, reprend le même appel à la «prudence», sans pour autant censurer «ce qui relève d’un échange entre adultes consentants». «Il y a là parfois des hommes qui profitent de la détresse de jeunes femmes. Nous mettons en garde nos internautes. Mais nous ne pouvons pas faire une enquête pour chaque annonce.» Missive est hébergé en Suisse, comme la plupart des sites francophones proposant les services de prostituées ou escorts. «La Suisse a une législation plus permissive que la France, reconnaît Pierre Allain. Reste que, même en France, un homme a le droit de proposer un logement contre des services sexuels.»

«Habileté». «Cela s’apparente à de la prostitution, ce qui n’est pas interdit, nous confirme une source policière. Seul le site Internet qui héberge les annonces peut être poursuivi pour proxénétisme s’il est en France. Mais ce genre de poursuites aboutit rarement.» Hors Missive, pourtant, la plupart des sites et journaux d’annonces concernés expliquent qu’ils font tout pour «supprimer» ces annonces. «On en voit apparaître dans la rubrique "Colocation", on les transfère immédiatement dans celle des rencontres érotiques», dit Virginie Pons, responsable de la communication chez Vivastreet. «Nous n’acceptons pas ces annonces chez nous», affirment quant à eux Benjamin Glaenzer, directeur général de Kijiji France, et Bernard Saulnier, le patron de Paris Paname. Tous deux notent cependant «l’habileté» des annonceurs pour déjouer leurs contrôles.

Stéphanie a 38 ans, elle est «escort occasionnelle». Contactée via le tchat de Missive, elle déconseille formellement le troc «appart contre sexe». «J’ai une amie qui a fait ça. Elle s’est retrouvée à la rue du jour au lendemain. Tu deviens dépendante d’un type qui risque de t’en demander toujours plus, en menaçant de te jeter si tu refuses. Sincèrement, il vaut mieux se prostituer pour payer son loyer : tu restes libre.» Sur le même tchat, puis par téléphone, on discute avec Tina, 35 ans, qui, elle, profite depuis quatre ans d’un logement contre «services sexuels» dont elle se dit ravie. «Il ne faut pas choisir un homme jeune, car il ne te gardera pas longtemps, il aura envie de changement, conseille-t-elle. Le mien, il a 62 ans. Je l’ai rencontré sur les Champs-Elysées. Il vit à Dubaï et vient en France de temps en temps. Sinon, je suis seule dans l’appart, 115 mètres carrés dans le XVIe arrondissement.»

«A la porte». Zara, 23 ans, étudiante, n’est pas aussi bien tombée. Elle accepte de nous rencontrer dans un café parisien, «pour parler de ces types qui profitent des filles paumées». Il y a trois ans, Zara a passé une annonce dans Paris Paname : «Jeune fille cherche logement contre services.» «Je pensais ménage, repassage, baby-sitting, dit-elle. J’ai eu des dizaines de réponses. Que des

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hommes. Qui voulaient tous du cul.» Originaire du sud de la France, Zara ne veut pas détailler les raisons qui l’ont poussée à quitter sa famille. «Je n’avais pas le choix.» Elle a fini par accepter une colocation avec un homme, puis une autre. «Deux fois, je me suis retrouvée à la porte, sans nulle part où aller, parce que je ne voulais pas faire ce qu’ils me demandaient. Ces mecs-là ont besoin de sentir qu’ils exercent un pouvoir sur toi. Ils t’en veulent de savoir que si tu n’étais pas dans la merde, tu ne les aurais jamais regardés.»

Aujourd’hui, Zara a un travail, un appartement. Heureuse et soulagée que ces mois de «galère» soient derrière. «Tandis qu’eux, ajoute-t-elle quand même amère, dans dix ans, ils en seront toujours au même point. A passer et repasser leur annonce pour trouver des filles.»

(1) Les prénoms ont été changés.

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Abréviations : DAL : Droit au Logement JN : Jeudi Noir LRU : Loi relative aux libertés et responsabilités des universités Macaq : Mouvement artistique et culturel d’animation de quartier MCL : Ministère de la crise du logement Rio : immeuble réquisitionné dans le 17e ar. de Paris.

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Table des matières.

Post-face............................................................................................................... p.3 Introduction ...................................................................................................... p.4 Partie 1.

Méthode et ethnographie.......................................................................................p.10

A. Boite à outils méthodologique .......................................................................p.10

1. Observation participante : militant-sociologue, sociologue-militant.................p.11

a. Voir les coulisses........................................................................................p.11

b. Militant-sociologue, sociologue militant........................................................p.12

c. Sociologue-militant dans un groupe affinitaire..............................................p.14

2. Les entretiens................................................................................................p.14

B. Ethnographie de Jeudi Noir ...........................................................................p.17

1. Négociation du statut de sociologue...............................................................p.17

2. Epistémologie de « Jeudi Noir » et historique du collectif...............................p.19

a. Pourquoi « Jeudi Noir » ?............................................................................p.19

b. Historique non exhaustif mais significatif......................................................p.20

3. Espaces, acteurs, et répertoire d’action..........................................................p.22

a. Présentation des deux principaux espaces militants....................................p.22

b. Idéaux types des militants de Jeudi Noir : typologie.....................................p.24

c. Le répertoire d’action....................................................................................p.27

C. Retour historique sur la pratique du squat et so n répertoire d’action ......p.30

1. Genèse non exhaustive des formes du « squat »..........................................p.30

a. Les débuts de la contestation sur le logement...........................................p.31

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b. De la contestation individuelle à la mobilisation collective.........................p.32

2. Répertoire d’action ou l’éternel originalité. Parallèle historique....................p.32

a. Humour et mise en scène « médiatique ».................................................p.32

b. Les fausses crémaillères...........................................................................p.34

c. Réquisitions publiques : exemple de l’action de « Saint-Lazare »............p.35

d. Des actions médiatiques............................................................................p.38

Partie 2.

Militer à Jeudi Noir ......................................................................................p.40

A. Théorie de l’affranchissement. ...............................................................p.40

1. Affranchissement des réseaux verticaux......................................................p.42

d. Une organisation qui se veut organisée de manière « libertaire » dans la prise

de décision... ................................................................................................p.42

e. ...mais limitée dans la pratique par le capital temps, la spécialisation des

tâches et la réactivité de Jeudi Noir... ...........................................................p.43

c. mais aussi par l’expertise et les capitaux scolaires : militants ressources...p.49

2. Affranchissement des modalités de fonctionnement de la démocratie

représentative, réflexif, et des appartenances.....................................................p.53

a. affranchissement des modalités de fonctionnement caractéristiques de la

démocratie représentative.................................................................................p.53

b. affranchissement réflexif : un engagement distancié, « militants», pas militaires,

qui marchent à l’envie......................................................................p.56

f. affranchissement des appartenances...........................................................p.58

B. Du spectaculaire et du festif au politique. ................................................p.60

1. Autre manière de faire de la politique : un rapport décomplexé au

spectaculaire........................................................................................................p.60

a. illégalisme sectoriel, ou la nécessité de la fête, de l’immédiat.......................p.61

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b. ...qui exploite la VIS RIDICULI. Parallèle avec les bouffons du roi..........p.63

2. Jeudi Noir, un activisme symbolique............................................................p.65

a. changer les perceptions.............................................................................p.65

b. ...pour interpeller les pouvoirs publics........................................................p.67

3. mouvements sociaux, médias, politiques et opinion publique........................p.70

a. le « hold up médiatique », réaction au vide politique................................p.71

b. le champ journalistique............................................................................p.75

c. du médiatique au politique, ou l’importance de l’opinion publique...........p.77

Conclusion .......................................................................................................p.81

1. agir ici et maintenant..................................................................................p.81

2. agir sur les perceptions..............................................................................p.82

3. agir à partir d’un problème structurel..........................................................p.84

Pour finir..........................................................................................................p.85

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Bibliographie ........................................................................................................p.86

Annexes : Entretiens, documents et tableaux ................................................p.88

Entretiens :

Présentations des militants.................................................................................p.88

Entretien n°1. Manuel.............................. ............................................................p.89

Entretien n°2. Fanny............................... ............................................................p.108

Entretien n°3. Leila............................... ................................................................p.119

Documents :

Document n°1 : Article paru dans le quotidien Ouest France, édition du vendredi 5

janvier 2007..........................................................................................................p.133

Document 2. Article, sur « Rio », du 28 février 2008 paru dans Le Parisien............p23

Document 3 : Echantillon de dessins fait par un militant-ressources graphiste-

designer...................................................................................................................p.26

Document 4: tract, « on ne joue pas avec le logement »......................................p.36

Document 5, Article de Charlie Hebdo paru le 28 novembre 2007.........................p.37

Document 6 : Article de Libération, «Loue studette contre pipe», mercredi 6 février

2008.......p.135

Document 7. « Percute ! » toi-même......................................................................p.48

Document 8 : activités du « googlegroupe » Jeudi Noir.........................................p.54

Document 9 : auteurs les plus prolifiques sur le googlegroupe de Jeudi Noir.......p.55

Tableaux :

Tableaux n°1 : découpage historique de Jeudi Noir.. ...................................p.21

Tableaux n°2 : idéaux-types des militants Jeudi Noi r...................................p.27

Tableau n° 3 : les trois principaux « paquets » du répertoire d’actions

collectives de Jeudi Noir .......................................p.29

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Tableaux n°4 : idéaux-types des « étudiants »...... .............................p.52

Abréviations.............................................................................................p.139

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