Nouvelles 82-83

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  • 8/2/2019 Nouvelles 82-83

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    82-83

    A quiprofite ledveloppement?

    La sdentarisation

    des Innu

    Nature sauvageet peuplesindignes

    Retrouver lelion

    Survivalles nouvelles de

    mars 2012

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    Rpression en Ethiopie

    Une centaine d'opposants au barrage

    hydrolectrique de Gibe III, en

    construction dans la valle de l'Omo,

    appartenant pour la plupart aux tribus

    mursi et bodi, ont t arrts et

    incarcrs fin septembre. Les Nations-

    Unies ont demand l'Ethiopie de

    fournir les preuves que des tudes

    d'impact indpendantes ont bien t

    menes et que les peuples indignesconcerns ont t dment consults.

    L'Unesco a pour sa part appel un

    arrt immdiat du chantier et

    recommand aux institutions

    financires participantes de geler leurs

    investissements. La valle de l'Omo et

    le lac Turkana sont inscrits sur la liste

    du patrimoine mondial de l'Unesco.

    Violences au Kenya

    Les Samburu, une tribu kenyane du

    district de Laikipia, ont t victimes de

    violences aprs le rachat de leurs terres

    par des organisations de protection de

    la faune sauvage. En dcembre

    dernier, la police kenyane a

    brutalement expuls les Samburu,

    incendiant leurs villages, tuant et

    drobant leurs troupeaux et agressant

    hommes, femmes et enfants. Deux

    mille familles vivent dsormais dans

    des campements improviss la limite

    de leur territoire et mille autres ont t

    relocalises de force. Les Samburu ont

    dpos une plainte et Survival a crit

    aux Nations-Unies, demandant que

    des mesures urgentes soient prises

    pour mettre fin la violence et fournir

    une assistance aux Samburu.

    Rpression en Papouasie

    Dix personnes ont t tues par les

    forces de scurit indonsiennes qui

    dispersaient les participants au

    troisime congrs de Papouasie

    indpendante en octobre dernier. Une

    vido choquante diffuse

    clandestinement montrait les forces

    indonsiennes en train de frapper

    brutalement les civils. Plus de 100 000

    civils auraient t tus depuis le dbut

    de loccupation de la Papouasie par

    lIndonsie en 1963.

    Offensive au Bangladesh

    Une attaque lance au mois de

    dcembre par des colons dans un

    march des Chittagong Hill Tracts a

    fait un mort et une dizaine de blesss

    parmi les Jumma. Cet incident est le

    dernier dune srie dattaques qui a

    fait de nombreuses victimes depuis

    lt 2011. Les Jumma subissent

    galement une violente rpression de

    larme. Le gouvernement duBangladesh a favoris l'installation de

    centaines de colons dans cette rgion

    qui abrite onze groupes connus sous le

    nom collectif de Jumma.

    Menaces sur les Indiens du Brsil

    En janvier dernier, deux mois aprs

    l'assassinat de leur leader Nsio Gomes,

    les Indiens guarani de la communaut

    de Guaviry dans le Mato Grosso do

    Sul ont reu des menaces de la part de

    fermiers locaux dont les hommes de

    main font circuler une liste noire de

    leurs prochaines victimes. Nsio

    Gomes avait t brutalement abattu

    aprs avoir organis le retour de sa

    communaut sur son territoire

    ancestral occup par les fer miers.

    Survival a appel le gouvernement

    brsilien prendre durgence des

    mesures pour assurer la protection des

    Guarani et de leur territoire.

    Un enfant aurait t brl vif par des

    bcherons qui ont envahi le territoire

    des Indiens aw dans lEtat du

    Maranho. Une soixantaine d'Aw

    vivent isols dans cette partie du nord-

    est de l'Amazonie brsilienne. Ils sont

    l'un des derniers groupes de chasseurs-

    cueilleurs nomades du Brsil. Leurs

    territoires, qui subissent une invasion

    massive et illgale de bcherons,

    connaissent actuellement le taux de

    dforestation le plus lev d'Amazonie.

    Les Aw sont rgulirement victimes

    d'attaques brutales de la part des

    bcherons pour les empcher de

    retourner dans la fort. Survival fait

    pression sur les autorits brsiliennespour expulser les bcherons des

    territoires aw.

    Indiens isols du Prou

    Survival a diffus dernirement des

    photos extrmement prcises d'une

    famille isole de la tribu mashco-piro

    dans le parc national de Man, au

    sud-est du Prou. Les bcherons qui

    exploitent illgalement les forts de ce

    parc national forcent les Indiens

    sortir de leur isolement. Survival a

    appel le gouvernement pruvien

    faire cesser l'exploitation forestire

    illgale qui menace dangereusement la

    vie de ces groupes isols.

    Cannibalisme aux Marquises

    Survival a dpos une plainte officielle

    auprs de la Commission britannique

    de la presse pour les allgations

    mensongres parues dans la presse

    internationale selon lesquelles un

    touriste allemand aurait t dvor,

    dbut octobre, par des cannibales dans

    lle de Nuku Hiva. Ce genre de

    strotype raciste qui a t utilis pour

    justifier les spoliations territoriales des

    peuples indignes tout au long du

    XIXe sicle, na pas sa place dans le

    journalisme moderne.

    Victoire en Tanzanie

    Les Hadza, une petite tribu de

    chasseurs-cueilleurs denviron 1 500

    personnes vivant au nord-ouest du

    pays, ont obtenu en novembre dernier

    la reconnaissance officielle de leurs

    droits fonciers les protgeant ainsi de

    linvasion dautres tribus. Cest la

    premire fois quun gouvernement

    tanzanien accorde de tels droits une

    tribu minoritaire.

    32

    Echos des campagnesSomm

    aire

    Echos des campagnes

    A qui profite le dveloppement?

    Stephen Corry

    Retrouver le lion

    Gordon Bennett

    La sdentarisation dtruit les

    Innu du Canada

    George Rich

    Nature sauvage, imagination

    humaine et peuples indignes

    Joanna Eede

    Action urgente

    Les Jarawa ont besoin de vous

    Les Nouvelles de Survival n82-83, mars 2012

    Prix de ce numro : 6 abonnement : 15

    Directeur de la publication : J.-P.Razon

    Rdaction : S. Baillon, D. Dauzier, J.-P. Razon

    Traductions : J.Main, S. Dourche, M.Legrand

    Imprimerie : Corlet, Cond-sur-Noireau

    ISSN : 1154-1210 CP : 1009G89188

    Dpt lgal : 1er trimestre 2012

    Survival International (France)

    Association reconnue dutilit publique

    Photo couverture : Femme bushman de la rserve

    du Kalahari central, Botswana. Survival

    Le supplment de limpression en quadrichromie de

    ce numro spcial a t gnreusement offert par

    notre imprimeur.

    Ce numro peut tre lu en ligne ou tlcharg en

    format PDF ladresse suivante :

    www.survivalfrance.org/actu/publication

    Survival International France18 rue Ernest et Henri Rousselle

    Paris 75013T (33) 1 42 41 47 62

    [email protected]

    Survival aide les peuples

    indignes dfendre leur vie,

    protger leurs terres et

    dterminer leur propre avenir

    Survivalles nouvelles de

    Un objectif majeur du processus

    de dveloppment entam dans

    les annes 1980 consistait

    garantir que les populations

    concernes bnficieraient

    rellement des investissements

    en capital, des innovations

    technologiques, de la modernisation, en un mot du

    Progrs. On lira dans ce numro quen ce qui concerne

    les peuples indignes, cet objectif est loin davoir t

    atteint. Les planificateurs et les praticiens du

    dveloppement ont en effet souvent prfr fermer les

    yeux devant des problmes qualifis sans vergogne de

    cots sociaux invitables en esprant que les populations

    vises finiraient bien par jouir elles aussi des avantages de

    la modernisation. Pire encore, comme on pourra le

    constater dans linterview du leader innu George Rich, les

    peuples indignes ont souvent fait lobjet dune stratgie

    dlibrment destructrice poursuivie par lEtat, les

    planificateurs du dveloppement ou les lites dominantes.

    Hlas, les effets multiples du dveloppement de la

    dsertification et de la dforestation la pauprisation, la

    marginalisation et la dpendance, en passant par la

    pollution et la dtrioration des ressources naturelles dont

    les populations tirent leurs moyens de subsistance

    reprsentent probablement lune des tragdies humaines

    les plus graves de notre poque. I

    3

    4

    7

    10

    14

    16

    ditorial

    PARIS LONDRES MILAN MADRID BERLIN AMSTERDAM SAN FRANCISCO

    Merci...

    'Sans vous, nous serions encore en train de

    pleurer la perte d'autres chefs guarani.

    Nous vous remercions du fond du cur.'

    Ce message a t adress aux

    sympathisants de Survival par

    Valdelice Veron, la fille du leader

    guarani Marcos Veron assassin en

    2003.Survival tient galement

    remercier tous ceux qui ont

    gnreusement contribu notre

    appel de soutien aux Guarani

    victimes de violence et de racisme.

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    Aquoi sert le dveloppement?

    Il serait probablement utile ceux qui nont pas accs

    leau courante ou un

    systme dgout en zone

    urbaine (la contamination fcale, pourtant

    facilement vitable, est la plus importante

    cause de mortalit d'origine humaine). Mais,

    bien que ces besoins essentiels ne soient pas

    la porte de millions d'individus, ils ne

    reprsentent qu'une infime partie de ce qui

    est aujourdhui considr comme le

    dveloppement. Le cynisme rvoltant dont

    font preuve les politiques gouvernementales

    et le monde des affaires l'gard du

    dveloppement renferme bien dautres

    lments les armes par exemple dans la

    mme catgorie.

    Que peut signifier le dveloppement pour

    ceux qui sont presque totalement

    autosuffisants, qui assurent leur propre

    subsistance et qui btissent leurs maisons l

    o leau est encore limpide comme le font

    la plupart des 150 millions dtres humains

    qui appartiennent des minorits tribales

    dans le monde? Le dveloppement leur a-t-

    il t dune quelconque utilit, ou au

    contraire leur a-t-il t dfavorable?

    Il est ais den mesurer les consquences.

    Sans compter les millions d'individus qui

    ont succomb linvasion coloniale dans

    certains des pays les plus dvelopps du

    monde (Australie, Canada ou Etats-Unis), le

    dveloppement a converti la plupart des

    survivants en indigents dpossds de tout.

    Essayez dvaluer ce qu'il devrait signifier:

    revenus levs, accroissement de la longvit

    humaine, plein emploi, sant florissante,

    taux rduits d'addiction la drogue, de

    suicide, d'emprisonnement et de violence

    domestique, et vous constaterez que les

    peuples indignes des Etats-Unis, du

    Canada et dAustralie sont de loin les plus

    dfavoriss sur la plupart de ces aspects

    mais personne ne semble en tirer les leons.

    Les consquences de cette dpossessionsont encore plus radicales en Amrique du

    Nord et en Australie que partout ailleurs sur

    la plante. Les colons taient dtermins

    spolier les terres indignes, sans remettre en

    cause leur propre supriorit. Ils ont adopt

    des modles socio-conomiques selon

    lesquels les travailleurs produisaient pour de

    lointains marchs, et devaient payer pour ce

    privilge. Les autochtones, qui nutilisaient

    pas dargent, qui ne payaient pas d'impt et

    qui contribuaient peu au march tant quils

    ny taient pas forcs, taient considrs

    comme des arrirs. Au mieux, ils taient

    destins tre intgrs pour servir la socit

    coloniale.

    Le systme colonial les a privs de leur

    mode de vie autosuffisant sur leur propre

    territoire et les a amens en tant que serviles

    domestiques une productivit leve sur

    les terres dun autre. Il ne servirait pas

    grand-chose de demander des excuses

    rtroactives ce sujet car ce systme

    n'appartient pas qu' un pass rvolu : la

    plupart des projets imposs de nos jours aux

    peuples indignes vont exactement dans le

    mme sens.

    Deux des axes principaux du

    dveloppement sont l'habitat et lducation.

    Les maisons traditionnelles ont beaucoup

    davantages pas seulement parce qu'elles

    ne ncessitent pas d'investissement financier

    elles sont f raches sous les tropiques,

    confortables sous les rigueurs de l'hiver

    glacial des rgions subarctiques, toujours

    conviviales, la plupart du temps

    multifamiliales mais le dveloppement

    considre quelles doivent tre remplaces

    par des habitations modernes individuelles.

    En Papouasie occidentale, les tribus gardent

    leurs cochons dans les nouvelles maisons en

    dur que le gouvernement leur a fournies et

    vivent dans les anciennes. Le Rwanda a

    4

    A qui profite le dveloppement?

    Nous devons nous

    demander si le

    dveloppement

    bnficie ceux qui

    sont presque

    totalement

    autosuffisants

    comme cest le cas

    de la plupart des

    150 millions dtres

    humains qui

    appartiennent aux

    minorits tribales

    rparties dans le

    monde entier.p

    ar Stephen Corry*

    *Stephen Corry est directeur

    gnral de Survival International et

    auteur de Tribal Peoples for Tomorrows

    World, Freeman Press, 2011.

    Photo page ci-contre : Femme

    aborigne, Australie. Mikkel

    Ostergaard/Panos

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    7

    Le lion et moi

    sommes

    frres, avait

    confi un

    Bushman gwi

    du Botswana un reprsentant de

    Survival International, l'poque o le

    gouvernement entamait sa politique

    d'expulsion des habitants de la rserve

    du Kalahari central. Je suis rvolt

    d'avoir quitter cet endroit, alors que

    le lion peut y rester.

    Les Bushmen sont les habitants

    originaux de l'Afrique australe. Ils sont

    probablement les seuls pouvoir

    prtendre tre les plus indignes de

    tous les peuples du monde, aprs avoir

    vcu sur leurs terres plus l ongtemps

    que quiconque sur la plante. Ils

    connaissent intimement ce vaste lieu

    ses forts d'acacias, ses prairies plates

    et ses rivires fossiles sinueuses. Depuis

    70 000 ans ou plus, ils survivent parmi

    les lions et les girafes, chassant les

    antilopes et les livres dans la chaleur

    de l't, stockant l'eau sous la terre

    dans des ufs d'autruche vids

    lorsque leurs points d'eau ne sont plus

    que poussire.

    C'est leur foyer. Il en a toujours t

    ainsi. En fait, il a pu tre autrefois le

    lieu d'origine de nous tous on pense

    en effet que le berceau de l'humanit

    se situe en Afrique australe ou

    orientale. Aujourd'hui, nous

    dcouvrons que les Bushmen sont

    gntiquement plus proches de nos

    anctres que quiconque sur Terre.

    Et pourtant, ils sont galement les

    peuples qui ont t les plus victimes de

    violence de toute l'histoire de l'Afrique

    australe. Ils ont souffert pendant des

    sicles de marginalisation et dune

    brutale discrimination, tant de la part

    des Bantous, ce peuple d'leveurs qui

    arrivait du nord, que, plus rcemment,

    des colons europens qui organisaient

    des parties de chasse aux Bushmen

    aprs avoir abord les ctes de

    l'extrmit sud de l'Afrique.

    Dans les annes 1980, on a

    dcouvert que la Rserve du Kalahari

    recelait les plus riches gisements de

    diamants du monde. Ainsi de 1997

    2002, l'impensable l'inadmissible

    est arriv. La plupart des Bushmen

    un peuple qui jadis vivait sur un

    territoire s'tendant du bassin du

    Zambze au Cap ont t arrachs

    leurs foyers et conduits dans des camps

    en dehors de la rserve. Leurs villages

    ont t rass, les puits qu'ils utilisaient

    dtruits, l'eau perdue dans le sable.

    Nous tions faits de sable, nous

    sommes ns ici, disent les Bushmen.

    Mais pour le gouvernement

    botswanais, leur patrimoine et leurs

    droits de l'homme n'avaient plus

    aucune importance puisqu'il y avait

    des diamants exploiter. Le

    gouvernement prtendait qu'en vertu

    de la rglementation sur la faune

    sauvage, les Bushmen devaient avoir

    une autorisation officielle pour entrer

    Retrouver le lionLes Bushmen du Kalahari clbrent lecinquime anniversaire de leur victoire

    Nombreux ont t ceux

    d'entre vous qui ont

    contribu au financement dudpartement juridique de

    Survival International et

    c'est grce ce gnreux

    soutien que Gordon Bennett,

    avocat international

    spcialiste des droits de

    l'homme, a pu accompagner

    les Bushmen de la rserve du

    Kalahari jusqu leur

    victoire juridique contre

    leur gouvernement. Il

    rappelle ici le rle qu'il a

    jou dans l'un des plus

    importants procs de

    lhistoire du Botswana.

    p

    ar G

    ordon Benn

    ett*

    * Gordon Bennett est lauteur deAboriginal Rights

    in International Law, Royal Anthropological

    Institute of Great Britain and Ireland, publi en

    association avec Survival International,

    Occasional Paper, n37, Londres 1978, 88 p.

    Lorsque nous sommes retourns la rserve avec la bonne nouvelle, nous marchions la tte haute dansles villages. Metsiamanong, Botswana, 2006, Photo Survival.

    rcemment interdit les toits vgtaux

    qui doivent tre remplacs par la tle

    ondule dont on peut douter du

    confort quelle peut apporter sous des

    climats tropicaux.

    Quen est-il de lducation

    moderne? En Australie, les enfants

    mtisses ont t arrachs leurs

    familles et conduits de force dans de

    lointains pensionnats dans le but

    d'liminer leur aboriginalit afin de

    former une classe infrieure. Des

    toundras glace de Sibrie aux dserts

    arides du Botswana, les pensionnats

    demeurent un argument majeur des

    politiques dintgration qui dtruisent

    plus quelles nduquent. Ce nest pas

    une conspiration cache: il sagit

    ouvertement de transformer les

    peuples indignes en travailleurs

    mprisant leur propre hritage

    culturel.

    De nombreux peuples indignes se

    sont rendu compte que mme

    l'assistance mdicale moderne que leur

    apportent les gouvernements les plus

    prospres ne sont pas en mesure de

    gurir les maladies que les politiques

    que ces mmes gouvernements leurs

    ont infliges. Ce nest pas l'arriration

    qui pousse les peuples indignes

    rejeter les projets de dveloppement,

    cest une anxit rationnelle

    concernant l'avenir.

    Quant au dveloppement

    dinfrastructures grande chelle

    barrages, mines, irrigation... son effet

    rel est toujours denrichir l'lite tout

    en appauvrissant les locaux.

    Est-il alors possible d'apporter aux

    peuples indignes de rels bnfices du

    dveloppement? Oui, si nous

    acceptons leur droit de rejeter ce que

    nous, investis dune sagesse

    suprieure, pouvons leur offrir. Nous

    devons cesser de penser quils sont

    purils lorsquils prennent des

    dcisions que nous dsapprouvons.

    Tous les gens veulent contrler leur

    propre avenir, et tous nattendent pas

    les mmes choses de la vie, mais de

    telles vidences n'ont presque jamais

    t mises en pratique.

    Le dveloppement, du moins pour

    la plupart des peuples indignes, n'a

    pas pour vocation de sortir les gens de

    la misre, mais bien de masquer la

    prise de contrle de leurs territoires.

    Le subterfuge fonctionne bien car la

    conviction que nous savons mieux est

    plus profondment enracine que

    jamais; ltroitesse desprit de lpoque

    victorienne est de retour. Comme me

    le disait un Bushman du Botswana:

    En premier lieu, ils nous dpossdent en

    spoliant nos terres, en nous privant de nos

    zones de chasse et de nos modes de vie.

    Ensuite ils disent que nous ne sommes rien

    car nous sommes sans ressources .

    A une poque o l'eau, la

    nourriture, le logement, lducation, la

    sant et lnergie deviennent hors de

    prix, l'autosuffisance se rvle un

    mode de vie attractif. Certes, elle

    n'augmentera pas les chiffres du PIB,

    mais il existe encore de nombreux

    peuples indignes dans le monde qui

    vivent plus longtemps et plus

    sainement que des millions de gens

    dans les bidonvilles. Qui peut dire

    quils ont fait le mauvais choix? I

    6

    Manifestation contre le barrage de Belo Monte, Londres en mars 2011 M. Cowan/Survival

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    98

    pas entirement gagne. La haute

    Cour du Botswana avait seulement

    jug qu'ils avaient le droit de retourner

    sur leur terre ancestrale, mais n'avait

    pas ordonn au gouvernement de leur

    apporter les services de base qu'il avait

    prcdemment fournis, comme l'eau.

    Leur condition pouvantable,

    qualifie de traitement dgradant par

    Winnemem Wintu, Rapporteur spcial

    sur l'eau de l'Instance permanente des

    Nations-Unies sur les questions

    autochtones, a continu. Legouvernement autorisa l'installation

    d'un gte touristique l'intrieur de la

    rserve, tout en refusant aux Bushmen

    l'accs un puits, les forant

    parcourir de longues distances dans la

    chaleur torride du dsert, pour aller

    chercher de l'eau l'extrieur de la

    rserve. C'est une vie extrmement

    difficile, disaient-ils, devoir chercher

    des racines pour en extraire quelques

    gouttes d'eau nous puise.

    C'est alors que les Bushmen

    retournrent la Cour pour contester

    nouveau un gouvernement qui

    essayait par tous les moyens de rendre

    leurs vies misrables et leur retour

    chez eux impossible. Essayer par tous

    les moyens incluait le harclement, la

    torture, les expulsions, les fusillades, les

    arrestations et d'innombrables atteintes

    aux droits de l'homme. Leur

    revendication a t dans un premier

    temps rejete en juillet 2010, mais en

    janvier 2011, la Cour d'appel du

    Botswana a annul une dcision qui

    refusait l'accs l'eau aux Bushmen du

    Kalahari sur leurs terres ancestrales.

    Les juges d'appel qualifirent la

    condition des Bushmen d'histoire

    poignante de la souffrance humaine et

    de dsespoir.

    Les Bushmen ne demandent pas

    l'aumne du gouvernement, ou bien

    des routes ou des hpitaux. Ils veulent

    cependant tre consults sur tout

    projet de dveloppement de la rserve,

    qu'il mane du secteur public ou priv.

    Cette exigence ne semble pas

    draisonnable, mais le gouvernement

    n'a pas encore pris la peine de discuter

    avec les Bushmen sur les projets qu'il

    planifie dans la rserve, en dpit du

    fait que le droit international prvoit

    dsormais que les gouvernements et

    les entreprises doivent obtenir le

    consentement libre, pralable et

    clair des peuples indignes avant

    de se lancer dans un projet les

    concernant.

    Reste voir si le gouvernement ira

    chercher ce consentement. Les avocats

    peuvent ngocier des accords pour

    limiter l'impact d'un projet et veiller

    ce que les Bushmen en tirent quelque

    profit, mais ils ne peuvent pas ngocier

    avec eux-mmes. Si les politiciens et

    les hommes d'affaires continuent

    d'ignorer les communauts l'intrieur

    de la rserve, d'autres actions la

    Cour deviendront ncessaires.

    Est-ce trop esprer que le bon sens

    et la dcence puissent encore

    l'emporter et que les Bushmen puissent

    enfin avoir leur mot dire sur ce qui

    se passe sur leurs propres terres? Les

    premiers habitants de la Rserve du

    Kalahari central ont le droit de rentrer

    chez eux sans entrave, de revenir

    leur vie et leurs terrains de chasse.

    De retourner la case dpart, au

    lion. I

    dans la rserve de gibier, et sans elle,

    ils n'taient que de criminels intrus. Il

    a galement dcrt avec

    condescendance que l'expulsion des

    Bushmen tait en quelque sorte

    planifie pour leur bien et qu'ils en

    bnficieraient aux niveaux social et

    conomique.

    Cette promesse n'tait qu'un tissu de

    mensonges, la ralit des expulsions fut

    tout autre. Les Bushmen ont t forcs

    de vivre dans des abris misrables des lieux de mort, comme ils les

    appelaient o ils taient abandonns

    et dsuvrs. Leur survie ne

    dpendait plus de la chasse ou de la

    cueillette, mais des rations qui

    arrivaient par camion une fois par

    semaine. Ils devaient faire la queue

    pour les obtenir en signant le reu avec

    l'empreinte de leur pouce.

    Les Bushmen ont t en somme

    privs de tout ce qu'ils avaient toujours

    connu. Dpossds de leur territoire

    ancestral, de leurs terrains de chasse,

    de leurs mythes, de leur mmoire

    collective sans pouvoir exercer leur

    libre choix et le contrle sur leur vie

    une dpression gnrale s'est installe.

    Je ne veux pas de cette vie, mavait

    confi Jumanda Gakelebone, un

    Bushman gana. La dignit perdue,

    l'alcoolisme prit sa place. Prostitution

    et sida que les communauts bushmen

    n'avaient jamais connus taient

    dsormais devenus monnaie courante.

    Avec le soutien de Survival, les

    Bushmen ont port leur cause devant

    la haute Cour. Ils ont fait valoir que la

    loi devait respecter leur relation

    particulire la terre et les droits dont

    chaque clan jouit traditionnellement

    au sein de son propre territoire. La

    Cour a accept en dpit d'un

    amendement de dernire minute la

    Constitution visant contrecarrer

    leurs revendications et a statu que

    leurs droits devaient l'emporter sur lalettre stricte des rglementations en

    vigueur.

    La Cour a ensuite jug que les

    Bushmen avaient t expulss

    illgalement de la rserve, que le refus

    de leur accorder des permis de chasse

    tait galement illgal et que

    l'expulsion force des Bushmen avait

    affect leurs moyens d'existence, qui

    taient entirement dpendants de

    leurs terres. Dans les termes du juge

    Phumaphi, le traitement inflig par le

    gouvernement quivalait

    condamner les rsidents de la rserve

    la mort par la famine.

    Survival m'a demand de

    reprsenter les Bushmen l'audience

    parce que j'avais dj dfendu des cas

    similaires ailleurs en Afrique. Cette

    affaire, cependant, s'est avre tre de

    loin diffrente de toutes celles que

    j'avais traites auparavant.

    Nous avons commenc par un

    voyage dans la rserve. Nous c'tait

    trois juges, deux quipes d'avocats

    botswanais, un avocat anglais et une

    horde de journalistes et de cinastes.

    Dans un camp de relocalisation situ

    en dehors de la rserve, un tribunal de

    fortune a t install parmi les vaches,

    les nes et les chvres. C'est l que les

    Bushmen ont tmoign dans leurs

    propres langues en attendant

    patiemment que leurs paroles soient

    d'abord traduites en setswana, puis en

    anglais.Aucun des Bushmen n'avait assist

    un procs auparavant. Certains

    n'avaient mme jamais t dans un

    btiment en dur. Le verdict a t

    rendu en direct la tlvision

    nationale, des tentes spciales avaient

    t installes pour accueillir les

    nombreux observateurs qui arrivaient

    de toute l'Afrique et d'autres parties du

    monde. Le procs a soulev l'motion

    du public : il opposait une

    communaut analphabte et pauvre

    dans sa tentative apparemment sans

    espoir de protger un mode de vie

    ancestral, contre un Etat tout-puissant

    qui disposait de ressources apparem-

    ment illimites.

    Si le verdict est tomb comme une

    surprise pour le corps assembl de la

    presse, il a galement t un choc pour

    les Bushmen. Ils croyaient avec ferveur

    leur cause, mais leur lutte durant

    vingt ans pour empcher leur

    expulsion tait bien trop empreinte du

    got amer de la dfaite. Finalement,

    cependant, quelqu'un en position

    d'autorit avait compris que la relation

    des Bushmen avec leurs terres dictait

    tout : qui ils sont, ce qu'ils font et

    comment ils pensent. Enfin il tait

    reconnu que sans leurs terres les

    Bushmen ne survivraient pas.

    La perte de leurs terres avait fait des

    Bushmen des tres totalement

    dpourvus, mais la perspective d'tre

    en mesure de rentrer chez eux a

    provoqu une jubilation comme j'en

    avais rarement vu auparavant.

    Lorsque nous sommes retourns dans

    la rserve avec la bonne nouvelle, nous

    marchions la tte haute dans les

    villages.

    Mais la cause des Bushmen n'tait

    Ils devaient faire la queue pour obtenir les rations alimentaires en signant le reu avec l'empreinte de

    leur pouce. Dominick Tyler/Survival

    Molathwe Mokalake, un rfugi bushman du camp de New Xade. Dominick Tyler/Survival

    Leau coule enfin dans la Rserve du Kalahari.

    Vox United/Survival

  • 8/2/2019 Nouvelles 82-83

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    1110

    Que reprsente le caribou pour les Innu?

    Le caribou est notre principale

    source de vie; nous dpendons de sa

    viande pour nous nourrir et de sa peau

    pour nous vtir et nous abriter. Nos

    lgendes et nos mythes sur le caribou

    montrent tout le respect et la gratitude

    que nous lui portons.

    Aujourd'hui mme, au XXIe sicle,

    nous l'honorons en le faisant figurer

    sur le logo de notre communaut et

    sur notre drapeau.

    Parlez-nous du savoir traditionnel des Innu

    sur l'environnement naturel. Quelles plantes

    mdicinales utilisez-vous?

    Il y a des plantes et des parties

    d'animaux qui sont utilises des fins

    mdicinales pour soigner certaines

    maladies comme la toux, la grippe ou

    les douleurs musculaires.

    Les femmes innu ont l'habitude de

    cueillir les baies la fin de l't et au

    dbut du printemps et de les conserver

    pour les utiliser durant l'hiver. La

    vsicule biliaire de l'ours est utilise en

    de nombreux cas : pour stopper une

    infection par exemple; elle peut

    galement tre applique sur des

    blessures ou des coupures. La graisse

    des manchots est utilise pour des

    refroidissements et des grippes, elle est

    fondue et transforme en huile que les

    malades boivent. Les excroissances

    noirtres qui poussent sur les grosses

    pierres sont crases, transformes en

    poudre et bouillies pour en faire une

    boisson.

    Ma mre m'a racont qu'un jour

    mon frre avait plein de verrues sur les

    mains. Elle l'emmena chez un an qui

    lui demanda de tuer une souris et de la

    lui apporter. Ce qu'elle fit. L'an tira

    le sang de la souris et le pulvrisa sur

    les mains de mon frre. Quelques jours

    plus tard toutes ses verrues avaient

    disparu.

    Quels changements constatez-vous aujourd'hui

    dans le pays qui pourraient tre causs par le

    rchauffement climatique?

    Ces dernires annes, nous avons

    remarqu un changement brusque de

    temprature. Il pleut maintenant

    durant les mois d'hiver et au dbut du

    printemps. A la fin de l'hiver, nous

    pouvons avoir un temps extrmement

    froid pendant des jours. Cela provoque

    parfois des problmes avec la faune. Il

    est arriv, par exemple, qu'un ours

    noir sorte de sa tanire au milieu de

    l'hiver parce qu'il avait plu pendant

    quelques jours. L'ours mourait de faim

    parce qu'il n'y avait pas de nourriture

    pour lui cette priode de l'anne.

    Qu'enseignez-vous vos enfants aujourd'hui?

    Aujourd'hui, les adultes de la

    communaut conduisent les jeunes la

    campagne pour leur enseigner les

    savoir-faire traditionnels qui font partie

    intgrante de notre mode de vie,

    comme la chasse et le cano, et la

    faon de prendre soin des animaux

    quils chassent.

    Par exemple, vous devez dcouper

    un caribou d'une certaine manire. Si

    vous le dcoupez d'une manire

    irrespectueuse, vous offensez l'esprit

    animal. Vous devez galement faire

    trs attention o vous placez les os et

    Enfant innu, Labrador, Survival

    Combien de temps les Innu ont-il vcu dans le

    Nord-Est du Canada?

    Nous avons vcu sur cette terre que

    nous appelons Ntessinan (notre terre)

    pendant des milliers d'annes, en nous

    dplaant rgulirement dans

    l'intrieur et en t jusqu'aux rives

    ctires.

    Mon grand-pre vient de l'intrieur

    de Ntessinan et a pass la plus grande

    partie de sa vie dans le Nutshimits (le

    pays). Lorsque les commerants et les

    missionnaires ont dbarqu sur nos

    ctes, notre peuple s'installa dans un

    petit village pour y faire du troc avec

    les produits de notre chasse.

    Les Innu ont toujours suivi les

    migrations des caribous, tout

    simplement parce que le caribou est

    notre principale source d'alimentation.

    Nous connaissons bien les lieux o ils

    mettent bas et ceux o ils hivernent.

    Pratiquement tous les lieux de ce

    territoire ont un nom innu.

    Les Innu sont un peuple de chasseurs.

    Comment ont-ils pu survivre sur des terres

    aussi hostiles?

    Ils ont une connaissance

    extraordinaire des conditions propres

    cette terre, de son climat, des

    caractristiques environnementales et

    des lieux frquents par les animaux.

    Ces connaissances, nous les avons

    transmises nos enfants; elles leur

    permettent de survivre et leur sont

    essentielles car ils doivent compter

    constamment sur eux mmes.

    Pouvez-vous dcrire le territoire d'o vient

    votre famille?

    Je vis actuellement Natuashish, sur

    la cte du Labrador. Cette rgion est

    entoure de forts borales et de

    terrains montagneux; plus vers

    l'intrieur il y a la toundra, cette terre

    aride o nous chassons le caribou.

    J'ai vcu la campagne jusqu' l'ge

    de 15 ans. J'ai toujours vcu dans une

    tente jusqu' ce que la nouvelle

    communaut de Davis Inlet soit

    construite en 1969. Le gouvernement

    canadien voulait sdentariser notre

    peuple pour duquer nos enfants

    comme des Blancs.

    Mes parents ont essay de maintenir

    notre mode de vie jusqu'au moment

    o nous avons emmnag dans notre

    maison la fin des annes 1970 et c'est

    cette date que nous avons t forcs

    d'aller l'cole. Je me souviens qu'une

    fois mon pre est venu nous y chercher

    pour nous emmener rejoindre notre

    campement d'automne. L'instituteur

    nous a suivis jusque chez nous et nous

    a ramens l'cole.

    Vous attribuez une immense importance

    spirituelle votre territoire. Pourquoi?

    Comme le disent nos anciens, la

    terre fait partie de notre v ie. Sans elle,

    vous n'tes rien; les animaux, les

    plantes et tout ce qui est li la terre

    sont des symboles de l'identit innu

    de ce que vous tes, en tant qu'tre

    humain.

    La sdentarisation dtruit lesIndiens innu du CanadaEntretien avec George Rich

    Dans un entretien avec

    Survival, George Rich,

    grand chef adjoint de lanation innu du Labrador,

    parle du dclin de son

    peuple provoqu par la

    sdentarisation force. Les

    Innu du Labrador, qui sont

    environ 2 400, vivent dans

    les communauts de

    Sheshatshiu et Natuashish.

  • 8/2/2019 Nouvelles 82-83

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    Certains pensent l'avenir de nos

    communauts comme beaucoup plus

    intgres dans le monde des Blancs, o

    l'argent coulerait flots dans les

    poches des Innu. Notre mode de vie

    sera difficile maintenir, mme si nous

    avons dj mis en place des

    programmes de revalorisation de notre

    culture, mais les problmes sociaux au

    sein de nos communauts sont

    vraiment trop graves.

    Comment expliquez-vous que les

    communauts innu connaissent l'un des plus

    hauts taux de suicide au monde?

    Nous pensions que la religion

    chrtienne et la scolarisation avaient

    t source de confusion par rapport

    ce que nous avions appris chez nous,

    ce qui nous a amens croire que

    nous ne valions rien et que la vie ne

    valait pas la peine d'tre vcue. En y

    repensant maintenant, je crois que

    certains enseignants blancs et des

    prtres ont abus sexuellement des

    enfants quand ils enseignaient dans

    nos coles.

    Ce processus d'assimilation continu

    auquel sont soumis les Innu a de trs

    fortes rpercussions sur nos jeunes.

    Beaucoup d'entre eux n'ont plus

    aucune estime de soi.

    Nous vivons une vie qui n'est pas

    une vie. Nous sommes pris entre deux

    mondes, dont l'un a perdu ses liens

    avec la terre et les animaux.

    Beaucoup d'ides fausses circulent encore

    propos des peuples indignes. Quel message

    souhaiteriez-vous adresser aux gens qui ont

    encore des croyances dsutes sur les peuples

    indignes?

    Il est difficile d'radiquer des ides

    qui sont prjudiciables aux peuples

    indignes. L'ducation est la rponse.

    Dans toute socit, il existe un

    manque de comprhension des

    croyances culturelles et religieuses des

    autres peuples, mais il faut dcouvrir

    d'autres cultures et les apprhender

    comme toute autre socit.

    Dans la culture innu, chacun, depuis

    l'enfant jusqu'au vieillard, est cout et

    entendu, parce que nous croyons que

    nous avons tous quelque chose

    apporter et transmettre.

    Si vous aviez un message adresser d'autres

    peuples indignes du monde - d'Afrique,

    d'Amazonie ou de l'Arctique - qui sont

    confronts des problmes similaires, quelserait-il?

    Maintenons la prise de conscience

    de l'opinion et continuons informer

    le public sur ce qui se passe chez les

    peuples indignes dans le monde.

    La disparition du mode de vie et de

    la langue est le premier signe

    d'extinction d'une culture. Nous avons

    besoin de maintenir des modes de vie

    diffrents pour la survie de tous les

    tres humains.

    Il y a dans le monde beaucoup de

    gens bienveillants. Ils peuvent

    contribuer changer le monde. I

    la tte du caribou, parce que l'esprit

    animal doit tre respect. Et la moelle

    pinire du caribou doit tre traite

    avec le plus grand respect. Un grand

    rassemblement de la communaut a

    lieu une fois par an au printemps,

    propos de l'enseignement qui doit tre

    donn la jeunesse innu pour survivre

    sur notre territoire.

    Parlez-vous innu-aimun ?

    Ma langue maternelle est l'innu-

    aimun que je parle la plupart du temps

    la maison. Parler sa propre langue

    tous les jours est une manire de forger

    son identit. Notre langue fait partie

    de notre patrimoine et de notre tre en

    tant qu'Innu.

    Comment les Innu peroivent-ils la relation

    entre l'homme et la nature?

    Elle est surtout faite de respect.

    Lorsque j'tais jeune, on m'a appris

    respecter la nature, la neige, l'eau, le

    feu, les animaux. On m'a dit de

    respecter ces lments tout comme on

    respecte les autres tres humains.

    Qu'est-il arriv dans les annes 1960?

    Comment le gouvernement a-t-il persuad les

    Innu de se sdentariser?

    Ce fut une autre conspiration du

    gouvernement qui visait assimiler les

    Innu et les loigner de leur terre

    ancestrale, de les contrler et de faire

    d'eux autre chose que ce qu'ils taient.

    Ils ont envoy des missionnaires pour

    chasser le diable qui tait en nous et

    nous transformer en chrtiens, mais

    cela n'a pas fonctionn.

    Quand ils ont russi obtenir des

    Innu qu'ils quittent leurs terres

    traditionnelles, ils les ont inondes et

    ont abattu les arbres de la fort.

    Nous nous sommes retrouvs

    comme du btail dans un corral,

    attendant l'aumne du gouvernement.

    Comment cela a t-il affect l'estime de soi et

    l'identit innu?

    Si on vous apprend que votre mode

    de vie ne vaut rien, que pouvez-vous

    faire? Et lorsque vous tes forcs

    d'adopter un nouveau mode de vie,

    quelles chances pouvez-vous avoir?

    Sans emploi et sans ducation dans le

    monde des Blancs non seulement

    vous ne pouvez pas rivaliser avec eux,

    mais vous perdez galement la

    connexion avec votre propre mode de

    vie; alors vous devenez un paria dans

    les deux mondes celui des Innu et

    celui des non-Innu.

    La seule solution pour masquer la

    douleur est de se tourner vers lalcool,

    le chemin de la destruction.

    Quels ont t les rsultats de cette assimilation

    et les problmes qu'elle a gnrs?

    Nous avions l'habitude de vivre dans

    des communauts viables et fortes,

    mais aujourd'hui nous rejetons notre

    mode de vie traditionnel. Nous avons

    cr des communauts qui ne sont

    plus du tout des communauts.

    Chacun suit ses propres objectifs.

    12

    Ci-dessus, un chasseur innu au Labrador, ci-contre, convoi de motoneiges Dominick Tyler/Survival

  • 8/2/2019 Nouvelles 82-83

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    1514

    des fins de conservation peut

    paratre plus bnigne, mais pour eux,

    les consquences n'en sont pas moins

    catastrophiques. Une fois privs de

    leurs terres, ils commencent oublier

    leurs coutumes, leurs traditions, leurs

    savoir-faire et leurs connaissances qui

    forgent leur identit. S'ensuit alors unprofond dclin de leur sant physique

    et mentale.

    Cette sparation force des

    habitants originaires de leurs terres a

    galement des consquences nfastes

    sur les terres en question. 80% des

    zones les plus riches en biodiversit de

    la plante sont les territoires de

    communauts indignes qui, depuis

    des millnaires, ont trouv des moyens

    ingnieux de subvenir leurs besoins

    tout en maintenant l'quilibre

    cologique de leur environnement.

    L'tat de la fort amazonienne

    tmoigne de ces principes durables : la

    plus grande partie de la fort vierge

    qui se trouve en dehors des rserves

    indignes a t rase, tandis quelle

    reste largement intacte dans les

    territoires indignes. De mme, la

    seule fort vierge qui subsiste dans les

    les Andaman se trouve dans la rserve

    des Jarawa. C'est souvent prcisment

    parce que ces rgions sauvages ont

    t protges par leurs gardiens

    indignes que les conservationnistes les

    ont choisies comme rserves.

    Les esprits ont incontestablement

    volu depuis la cration du parc de

    Yosemite et les attitudes ont chang

    depuis la promulgation, en 1964, de la

    loi nord-amricaine sur la protection

    de la nature dfinissant la nature

    sauvage comme un lieu o l'homme

    n'est qu'un visiteur de passage'. Ladclaration des Nations-Unies sur les

    droits des peuples autochtones,

    adopte en 2007, tablit que ces

    derniers doivent donner leur

    consentement pralable, libre et

    clair avant lapprobation de tout

    projet ayant des incidences sur leurs

    terres'. Jo Woodman, chercheur

    Survival, estime qu'une nouvelle vision de

    la conservation est en train de natre selon

    laquelle les peuples autochtones sont de plus

    en plus reconnus c omme les protecteurs

    lgitimes de leurs terres. Le gouvernement

    indien a rcemment frein sa politique

    d'expulsion des peuples indignes des

    zones riches en faune et en flore afin

    de les transformer en parcs nationaux.

    Mais il reste encore beaucoup de

    chemin parcourir. Les peuples

    indignes continuent d'tre mis

    l'cart dans les discussions concernant

    la protection de leurs terres, mme s'ils

    ont toujours su les prserver. Stephen

    Corry estime que la protection de la

    biodiversit ne devrait tre promue

    qu'avec l'accord des autochtones :

    Protger les cosystmes ne signifie pas les

    protger de ceux qui en ont toujours t les

    gardiens. Le droit de l'environnement ne

    devrait pas l'emporter sur le droit des peuples

    indignes.

    On pourrait galement envisager

    une ambition culturelle plus large,

    ayant pour but de remodeler l'ide

    populaire de nature sauvage dansl'esprit occidental, en reconnaissant la

    relation ancestrale qui lie l'homme la

    nature. Car les attitudes destructrices

    naissent en partie des ides

    manichennes et de l'importance

    accorde la dissociation entre

    l'homme et la nature. Toute vision qui

    encourage distinguer l'homme de la nature

    tend renforcer les comportements

    irresponsables explique William

    Cronon5. Les peuples indignes

    saisissent encore intuitivement cette

    relation fusionnelle mieux que

    quiconque. Pour reprendre les mots du

    chamane yanomami Davi Kopenawa :

    L'environnement n'est pas distinct de

    l'homme. Nous sommes en lui et il est en

    nous. I

    * Editorialiste, Survival

    1. Walden ou la vie dans les bois, Gallimard, 1990 (1re

    dition 1854)

    2. Ecrivain et naturaliste amricain (1838-1914)

    qui a contribu sauver la valle du Yosemite et

    dautres espaces naturels.

    3. On peut voir quelques-unes de ses photos ici :

    www.anseladams.com

    4. William Cronon, ed., Uncommon Ground :

    Rethinking the Human Place in Nature, New York : W.

    W. Norton & Co., 1995.

    5. ib.

    A gauche, le canyon de Chelly en terre navajo (Arizona) vu par Edward Curtis en 1904. Ci-dessus, Jarawa sur une plage des les Andaman Salom/SurvivalLes grandes plaines

    d'Amrique du Nord

    s'tendent sur des

    kilomtres travers la

    steppe armoise du

    Dakota du Sud, jusqu'aux Black Hills.

    C'est l qu'en 1980, des hectares

    d'picas et de canyons sculpts au fil

    des sicles par les rivires furent

    dclars rserve sauvage' par le

    gouvernement amricain.

    Toutefois, aux yeux des Indiensd'Amrique du Nord, cette rgion

    n'avait rien de sauvage : Les grandes

    plaines, les splendides collines vallonnes, les

    ruisseaux tortueux et leurs algues emmles ne

    nous paraissaient pas sauvages, disait

    Luther Standing Bear, chef des Sioux

    Lakota. Tout cela nous semblait apprivois.

    Il n'y avait que pour l'homme blanc que la

    nature tait sauvage. Luther Standing

    Bear venait de formuler en quelques

    mots deux approches trs diffrentes

    de la nature.

    Dans la culture occidentale, le

    concept de nature sauvage est depuis

    longtemps associ l'image de la

    beaut d'une nature immacule non

    contamine par l'homme : un refuge

    paradisiaque, un antidote la vie

    urbaine. Durant le XIXe sicle, de

    telles ides se refltrent travers les

    arts de l'poque : C'est dans la nature

    sauvage que se trouve la prservation du

    monde, crivit Henry Thoreau1.

    Lcrivain-naturaliste John Muir2,

    quant lui, communiait avec la nature

    afin de purifier son esprit, et les

    photographies du parc national de

    Yosemite, prises par Ansel Adams3

    sont notoirement connues pour ne

    reprsenter aucun signe de vie

    humaine.

    Cependant, en attribuant la

    nature des qualits thres et en laconsidrant comme un lieu sacr o

    Dieu rside mais o l'homme ne le

    doit pas, commencrent germer dans

    les esprits les ides qui allaient mener

    aux politiques de conservation de

    l'environnement. Durant des dcennies,

    l'ide d'une nature sauvage a t un principe

    fondamental du mouvement

    environnementaliste', crivit l'historien

    William Cronon4. Ces politiques

    affectrent les peuples indignes qui

    considraient uniquement ces paysages

    sauvages comme leur terre.

    C'est Yosemite, prserv depuis

    des gnrations par la nation

    ahwahneechee, que fut cr le premierparc national au monde. Celui de

    Yellowstone fut cr par la suite

    lorsque le gouvernement expulsa en

    1872 les tribus indiennes qui y

    rsidaient probablement depuis plus

    de 11 000 ans.

    Il existe aujourd'hui environ

    120 000 zones protges dans le

    monde, couvrant prs de 15% de la

    surface terrestre. La protection de

    l'environnement est sans aucun doute

    vitale, tant donn la menace qui pse

    de nos jours sur la biodiversit de la

    plante. Mais la dsolante toile de fond

    de ces statistiques l'histoire que l'on

    nglige dans notre dsir de prserverce qui est sauvage est celle d'une

    intense souffrance humaine. Car la

    cration de ces rserves a provoqu

    l'expulsion de millions dtres humains,

    pour la plupart indignes.

    En Inde, des centaines de milliers de

    personnes ont dj t chasses de

    parcs au nom de la conservation,

    tandis qu'en Afrique des expulsions

    massives ont eu lieu dans des zones

    protges. Les Pygmes batwa ont t

    dlogs de force de la fort de Bwindi,

    en Ouganda, afin de protger les

    gorilles des montagnes, et avant den

    tre expulss, les Waliangulu du Kenya

    vivaient jadis dans la zone aujourd'huiprotge du parc Tsavo. Ce type de

    spoliation territoriale est rapidement devenu

    l'un des plus graves problmes auxquels les

    peuples indignes sont confronts de nos jours,

    explique Stephen Corry, de Survival.

    Il importe peu ces derniers que la

    spoliation de leurs terres ait t

    entrane pour des raisons

    conomiques ou environnementales.

    L'expropriation des peuples indignes

    Nature sauvage, imagination humaineet peuples indignes

    Comment le concept

    occidental de nature

    sauvage et les politiques

    de conservation de

    l'environnement ont

    affect les peuples

    indignes.

    par Joanna Eede*

  • 8/2/2019 Nouvelles 82-83

    9/9

    ACTION URGENTELes Jarawa ont besoin de vous

    Qui sont-ils ?

    Les Jarawa vivent dans la fort

    tropicale des les Andaman depuis

    environ 60 000 ans. Cet archipel, situ

    dans le golfe du Bengale, colonis par

    les Britanniques au XIXe sicle, fait

    dsormais partie de l'Inde. Les Jarawa

    comptent aujourdhui environ 360membres. Toujours en mouvement, se

    dplaant par groupes de 40 50personnes, les Jarawa vivent

    exclusivement des ressources de leur

    fort. Ils rcoltent du miel, des racines,

    des baies et chassent le gibier. Jusqu'en

    1998, les Jarawa ont rsist au contact

    avec les colons indiens de plus en plus

    nombreux dans l'archipel.

    Problmes actuels

    Le principal axe routier de l'le

    traverse la rserve des Jarawa, facilite

    la pntration des braconniers, des

    colons et des touristes au cur de leur

    territoire. La fermeture de cette route

    avait t ordonne en 2002 par la

    Cour suprme indienne, mais cette

    dcision n'a toujours pas t applique

    par les autorits locales.

    Safaris humains

    Le journal britannique The Observerarvl en janvier dernier des preuves

    de limplication de la police dans des

    safaris humains aux les Andaman en

    diffusant une vido montrant un

    groupe de femmes jarawa dansant

    devant les touristes la demande dun

    policier. Les tour-oprateurs et leschauffeurs de taxi qui conduisent les

    touristes sur la route illgale pour

    accder la rserve de la tribu sont

    galement impliqus dans ce scandale

    que Survival dnonce depuis 2010.

    Comment les aider ?

    Survival exhorte le gouvernement

    indien prendre des mesures de toute

    urgence pour fermer la route qui

    traverse la rserve des Jarawa et

    mettre fin ces safaris humains

    dgradants.

    Votre lettre peut faire la diffrence.

    Ecrivez au gouvernement indien envous inspirant de ce texte ou en

    crivant librement :

    Je suis extrmement proccup(e) par

    la situation des Jarawa des les

    Andaman. La Cour suprme indienne

    avait ordonn en 2002 la fermeture de

    la route qui traverse leur rserve et

    pourtant elle reste encore ouverte ce

    jour. Cette voie daccs la rserve

    met rgulirement les Jarawa en

    contact avec des colons, des

    braconniers et des touristes. Tous ces

    intrus apportent maladies, violence et

    exploitation. De tels contacts peuvent

    avoir des effets dvastateurs sur les

    Jarawa en mettant en danger leur

    survie en tant que g roupe. Je vous prie

    instamment de prendre toutes les

    dispositions pour protger la rserve

    des Jarawa en fermant d'urgence la

    route 'Andaman Trunk Road' et en

    ouvrant une route ctire alternative

    comme il a t annonc. Les Jarawa

    doivent tre autoriss dcider eux-

    mmes de leur propre avenir'.

    Envoyez votre lettre :

    Shri P Chidambaram

    Minister of Home Affairs

    North BlockCentral Secretariat

    New Delhi 110001

    Inde

    Sur la vido rvle

    par The Observer, en

    fvrier dernier, un

    homme lance une

    banane une femme

    pour la faire danser :

    Je te lai donne, tu la

    manges!Capture dcran The Guardian

    Remplissez ce bulletin en lettres capitales,dcoupez-le et

    retournez-le accompagn de votre rglement :

    Survival 18 rue Ernest et Henri Rousselle, 75013 Paris

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    Une route menace les membres de lune des dernires tribus

    isoles des Iles Andaman en Inde. Vous pouvez les aider.