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102 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVIII - n ° 3 - mai-juin 2015 DOSSIER Syndrome de l’intestin irritable Figure. Le SII est une maladie multifactorielle, caractérisée par un dysfonctionnement des communications entre le cerveau et le tube digestif. Au niveau intestinal, il existe des perturbations dans les communications entre le microbiote, les cellules immunitaires et les cellules endocrines, aboutissant souvent à un état inflammatoire qui favorise la survenue d’une hypersensibilité des afférences digestives. Ces perturbations sont déclenchées ou favorisées par une perméabilité intestinale, notamment paracellulaire, excessive. Dysfonctionnement de l’axe intestin-cerveau Microbiote Cellules immunocompétentes Cellules endocrines Nouvelles orientations physiopathologiques Irritable bowel syndrome: pathophysiology, what is new? P. Ducrotté**, C. Melchior* L a conception physiopathologique du syndrome de l’intestin irritable (SII) demeure imparfaite- ment comprise, et les facteurs qui déclenchent les symptômes ainsi que ceux qui participent à leur aggravation dans les différents phénotypes (avec diarrhée, avec constipation, avec alternance des 2) restent incertains. La conception d’une affection multifactorielle est toujours d’actualité, avec des symptômes liés à un dysfonctionnement des communications entre le système nerveux central et le système nerveux entérique (notre second cerveau) [figure] (1) . Ce dysfonctionnement de l’axe intestin-cerveau (le “brain-gut axis” anglo-saxon) est d’origine à la fois digestive et centrale. Il provoque la survenue de troubles moteurs grêlocoliques, mais surtout d’une hypersensibilité viscérale qui conduit à la perception pénible de phénomènes physiologiques comme le déplacement intestinal des gaz, des contractions intestinales ou une distension intes- tinale modérée (1). L’hypersensibilité existe chez une majorité des malades, notamment les diarrhéiques. Alors que l’analyse fonctionnelle des dysfonction- nements du système nerveux central demeure diffi- cile faute d’outils simples, les travaux récents ont permis de progresser dans la compréhension des mécanismes périphériques intestinaux à l’origine de l’hypersensibilité : le rôle de la dysbiose, des acides biliaires et, enfin, de l’augmentation de la perméabilité intestinale entraînant des interactions inhabituelles entre le milieu luminal et les cellules immunocompétentes et endocrines intestinales. Ces évolutions conceptuelles sont importantes, car chacune d’elles ouvre une nouvelle orientation thérapeutique potentielle. L’implication du microbiote dans le SII Des arguments de plus en plus nombreux soulignent le rôle très important, sinon essentiel, du microbiote * Service de physiologie digestive et urinaire et UMR 1073, CHU Charles- Nicolle, Rouen. ** Service d’hépato-gastroentéro- logie et UMR 1073, hôpital Charles- Nicolle, Rouen.

Nouvelles orientations physiopathologiques · bilisation des afférences sensitives digestives. Les perturbations du dialogue entre les bactéries luminales et muqueuses, les cellules

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102 | La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue • Vol. XVIII - n° 3 - mai-juin 2015

DOSSIERSyndrome de

l’intestin irritable

Figure. Le SII est une maladie multifactorielle, caractérisée par un dysfonctionnement des communications entre le cerveau et le tube digestif. Au niveau intestinal, il existe des perturbations dans les communications entre le microbiote, les cellules immunitaires et les cellules endocrines, aboutissant souvent à un état inflammatoire qui favorise la survenue d’une hypersensibilité des afférences digestives. Ces perturbations sont déclenchées ou favorisées par une perméabilité intestinale, notamment paracellulaire, excessive.

Dysfonctionnementde l’axe intestin-cerveau

Microbiote

Cellulesimmunocompétentes

Cellulesendocrines

Nouvelles orientations physiopathologiquesIrr itable bowel syndrome: pathophysiology, what is new ?

P. Ducrotté**, C. Melchior*

La conception physiopathologique du syndrome de l’intestin irritable (SII) demeure imparfaite-ment comprise, et les facteurs qui déclenchent

les symptômes ainsi que ceux qui participent à leur aggravation dans les différents phénotypes (avec diarrhée, avec constipation, avec alternance des 2) restent incertains.

La conception d’une affection multifactorielle est toujours d’actualité, avec des symptômes liés à un dysfonctionnement des communications entre le système nerveux central et le système nerveux entérique (notre second cerveau) [figure] (1). Ce dysfonctionnement de l’axe intestin-cerveau (le “brain-gut axis” anglo-saxon) est d’origine à la fois digestive et centrale. Il provoque la survenue de troubles moteurs grêlocoliques, mais surtout d’une hypersensibilité viscérale qui conduit à la perception pénible de phénomènes physiologiques comme le déplacement intestinal des gaz, des contractions intestinales ou une distension intes-tinale modérée (1). L’hypersensibilité existe chez une majorité des malades, notamment les diarrhéiques.Alors que l’analyse fonctionnelle des dysfonction-nements du système nerveux central demeure diffi-cile faute d’outils simples, les travaux récents ont permis de progresser dans la compréhension des mécanismes périphériques intestinaux à l’origine de l’hypersensibilité : le rôle de la dysbiose, des acides biliaires et, enfin, de l’augmentation de la perméabilité intestinale entraînant des interactions inhabituelles entre le milieu luminal et les cellules immunocompétentes et endocrines intestinales. Ces évolutions conceptuelles sont importantes, car chacune d’elles ouvre une nouvelle orientation thérapeutique potentielle.

L’implication du microbiote dans le SIIDes arguments de plus en plus nombreux soulignent le rôle très important, sinon essentiel, du microbiote

* Service de physiologie digestive et urinaire et UMR 1073, CHU Charles-Nicolle, Rouen.

** Service d’hépato-gastroentéro-logie et UMR 1073, hôpital Charles-Nicolle, Rouen.

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Points forts » Le syndrome de l’intestin irritable (SII) est une affection multifactorielle dont la physiopathologie demeure

incomplètement appréhendée. L’hypersensibilité viscérale, d’origine intestinale ou centrale, paraît être un élément déterminant, en amenant le patient à percevoir de façon pénible des influx sensitifs d’origine digestive qui parviennent au niveau des structures centrales d’intégration.

» Une dysbiose intestinale, à l’origine d’une activité métabolique différente de la flore intestinale, une modification du type et de la quantité des acides biliaires endoluminaux et une perméabilité paracellulaire intestinale accrue facilitant la survenue d’une inflammation de bas grade par mise en jeu des cellules immunocompétentes au contact des afférences sensitives contribuent à cette hypersensibilité.

» Ces pistes physiopathologiques ouvrent des perspectives thérapeutiques nouvelles : agir sur la flore via des pro-, pré-, symb- ou anti-biotiques, chélater ou modifier l’absorption des acides biliaires, proposer éventuellement un traitement anti-inflammatoire intestinal.

Mots-clésSII

Physiopathologie

Dysbiose

Acides biliaires

Hyperperméabilité intestinale

Highlights » IBS is a multifactorial disorder

which pathophysiology remains misunderstood. Visceral hyper-sensitivity is a key pathophysio-logical factor, leading to a painful perception of normal, physiolog-ical stimuli.

» The mechanisms leading to this hypersensitivity: func-tional dysbiosis, changes in the amount and the composition of luminal bile acids and an increased paracellular intestinal permeability can be either from peripheral or central origin. Hyperpermeability facilitates the occurrence of a low-grade inflammation through the role of immunocompetent cells in contact with afferent neurons.

» All these mechanisms open new therapeutics perspectives: act on the intestinal microbiota with pro-, pre-, syn-, or anti-biotics, chelate or modify bile acid absorption, or eventually propose an intestinal anti-inflammatory treatment.

KeywordsIBS

Pathophysiology

Dysbiosis

Bile acids

Intestinal hyperpermeability

intestinal dans la survenue de maladies telles que les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), l’obésité, la stéatohépatite non alcoolique, le diabète de type 2 ou même la susceptibilité à l’alcool. Le SII fait partie des pathologies dans lesquelles le microbiote est impliqué (2).L’influence des bactéries intestinales sur la physio-logie digestive est connue : les animaux axéniques souffrent d’un transit grêlique lent et d’une impor-tante dilatation cæcale, alors que la constitution d’une flore fait réapparaître une motricité grêlique normalement organisée. Toujours chez les souris axéniques, la seule implantation d’une flore venant de sujets souffrant d’un SII avec hypersensibilité rend les animaux hypersensibles à la distension, en dehors de toute autre intervention et de toute modification des propriétés mécaniques de la paroi colique, alors que l’implantation d’une flore venant de sujets témoins, non hypersensibles, n’a aucune conséquence sur la sensibilité viscérale des animaux (3). Enfin, chez 10 à 15 % des patients, les symptômes de SII succèdent clairement à une infec-tion intestinale, avant tout bactérienne (Salmonella, Shigella, Campylobacter jejuni, etc.), parfois parasi-taire (Giardia lamblia). Le SII est alors qualifié de SII postinfectieux (2).Même s’il n’est pas aisé de séparer ce qui relève d’un phénomène primaire et d’un phénomène secondaire purement attribuable au régime que s’imposent les malades (l’alimentation influence la composition du microbiote), cette hypothèse d’un dysfonctionnement du microbiote a conduit à décrire, en s’appuyant sur les techniques les plus récentes autres que la culture (analyse de l’ARN 16 S notamment), sur de larges groupes de patients bien phénotypés, des anomalies qualita-tives de la flore fécale chez plus de 1 patient souf-frant d’un SII sur 2 (4). Les anomalies décrites sont une moindre diversité du microbiote, la présence en excès de firmicutes (Faecalibacterium, Aceti-tomaculum, etc.) et, surtout, une réduction de la quantité de lactobacilles et de bifidobactéries, notamment au contact de la muqueuse intestinale. Lorsque les lactobacilles et les bifidobactéries, qui adhèrent à la muqueuse, sont en quantité suffi-sante, ils s’opposent à la croissance de bactéries pathogènes et renforcent la barrière muqueuse. En

outre, ces bactéries, qui ne produisent pas de gaz, s’opposent à la croissance des clostridies, qui, elles, produisent du gaz en faisant fermenter les sucres. La raréfaction des lactobacilles et des bifidobac-téries altère ces fonctions. La dysbiose pourrait même devenir un biomarqueur du SII. Récemment, une étude a permis d’identifier un profil bactérien particulier de 27 bactéries permettant de distin-guer les malades souffrant d’un SII diarrhéique postinfectieux des patients SII diarrhéiques d’une population contrôle (5).La dysbiose est également fonctionnelle (6). La production postprandiale d’hydrogène et de méthane est beaucoup plus rapide et importante chez les patients souffrant d’un SII. Un régime excluant les céréales autres que le riz ainsi que les produits laitiers normalise cette production d’hydro-gène. Cette différence d’activité métabolique est une explication possible de la mauvaise tolérance, au cours du SII, de l’ingestion de fibres mais surtout de certains oligo-, di- ou monosaccharides fermentables tels que le fructose, l’inuline et, peut-être, le lactose. Chez les malades souffrant d’un SII constipés, les populations bactériennes utilisant les sulfites sont plus nombreuses que dans une population contrôle. Or, plus la production colique d’acides gras à chaînes courtes et de sulfure d’hydrogène est importante, plus la probabilité de développer une hypersensibilité rectale est grande.

Pullulation bactérienne endoluminale : une réalité chez certains malades ?

La réalité de modifications quantitatives du micro-biote (pullulation bactérienne avec plus de 105 CFU bactériens/ml dans le grêle proximal) demeure un sujet de controverse (2). L’équipe de Los Angeles défend cette hypothèse sur la base des résul-tats des tests respiratoires au lactulose qu’elle a obtenus (production importante et précoce d’hydrogène chez plus de 1 malade atteint de SII sur 2) et de l’amélioration symptomatique sous antibiothérapie orale, notamment avec la rifaxi-mine, qu’elle a observée (7). Une telle pullulation bactérienne endoluminale pourrait notamment contribuer au ballonnement abdominal dont se

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Nouvelles orientations physiopathologiques

DOSSIERSyndrome de

l’intestin irritable

plaignent les patients atteints de SII. Un traitement régulier par inhibiteurs de la pompe à protons pour des symptômes de reflux, fréquemment associés à ceux du SII, serait un facteur favorisant cette pullulation.D’autres équipes contestent cette hypothèse en rapportant, avec les techniques de tubages protégés, qui font référence, une prévalence de l’ordre de 4 %, non différente de celle calculée dans une population témoin composée de sujets asymptomatiques (2). La méta-analyse des études sur le sujet conclut pourtant que la probabilité de pullulation bactérienne endoluminale au cours du SII est 3 fois plus grande que dans une population contrôle, et est plus importante en cas de troubles de la motricité du grêle (8).

La piste des acides biliaires endoluminauxCette piste physiopathologique est la plus récente. Elle concerne avant tout les patients diarrhéiques.Les acides biliaires sont déjà connus comme des laxatifs endogènes. Cette propriété est parti-culièrement nette après une résection iléale terminale. Un tel effet est la conséquence d’un blocage de la sécrétion transépithéliale d’eau et d’électrolytes par les acides biliaires dihydroxylés (acides chénodésoxycholique et désoxycholique) couplé à un effet sécrétoire colique dû en partie à un effet cytotoxique muqueux colique direct. L’acide désoxycholique a également in vitro un effet moteur caractérisé par une augmentation des contractions coliques. Les acides biliaires affectent aussi la sensibilité viscérale : à des concentrations physiologiques, chez le volontaire sain, les acides chénodésoxycholique et désoxycholique augmen-tent la sensibilité rectale à la distension et favo-risent la survenue de besoins impérieux. Ces effets moteurs et sensitifs pourraient être véhiculés par le système nerveux entérique, via l’activation d’un

récepteur membranaire, le TGR5, qui est exprimé dans les plexus sous-muqueux et myentérique dans tout le tube digestif.La première anomalie décrite est un excès d’acides biliaires dans la lumière digestive, notamment colique (9). Cet excès peut être consécutif à une malabsorption de ces acides biliaires, qui serait responsable de l’accélération du transit chez au moins 30 % des patients souffrant d’un SII diar-rhéique. L’excès d’acides biliaires endoluminaux pourrait également être la conséquence d’un excès de synthèse hépatique conduisant au dépassement des capacités d’absorption iléales. Cette synthèse accrue résulterait d’un déficit de sécrétion iléale d’un facteur de croissance, le Fibroblast Growth Factor (FGF) 19, qui exerce un rétrocontrôle négatif sur la synthèse d’acides biliaires par les hépatocytes en se liant au récepteur 4 du FGF présent sur les cellules hépatiques (10).Les divers types d’acides biliaires présents dans le côlon peuvent être aussi différents de ceux retrouvés chez des volontaires sains. Le microbiote contribue à la transformation des acides biliaires primaires (acides cholique et chénodésoxycholique) en acides biliaires secondaires (désoxycholate et lithocholate). La dysbiose intestinale existant au cours du SII paraît limiter ce processus de transformation. Un parallé-lisme entre la quantité d’acides biliaires primaires fécaux et l’importance de la dysbiose, notamment la réduction de la quantité de Clostridium leptum, a pu être démontré (11).Cette insuffisance de transformation des acides biliaires primaires en secondaires favorise la sensi-bilisation des afférences sensitives digestives.

Les perturbations du dialogue entre les bactéries luminales et muqueuses, les cellules immunocompétentes et les cellules endocrines intestinales

Beaucoup de travaux récents se sont intéressés aux perturbations des interactions entre les bactéries

SII et microbiote

Sur les plans pharmacologique et nutritionnel, la piste physiopathologique des anomalies du micro-biote rend logique comme option thérapeutique potentielle le recours à des probiotiques, des prébio-tiques, des symbiotiques (association probiotiques + prébiotiques) et même des antibiotiques pour améliorer l’état des malades. À  l’extrême, une trans-plantation fécale pourrait même, dans l’avenir, être envisagée en cas de SII sévère.

Chélater dans la lumière des acides biliaires ou modifier leur absorption est une seconde voie thérapeutique potentielle.

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DOSSIERSyndrome de l’intestin irritable

intestinales présentes au contact de la muqueuse intestinale, les cellules immunitaires et les cellules endocrines intestinales, et au rôle joué dans ces perturbations par l’altération de la barrière intes-tinale, et notamment par l’augmentation de la perméabilité, essentiellement paracellulaire. Des données convaincantes démontrent qu’à côté de la dysbiose abordée précédemment, une expres-sion aberrante et des anomalies fonctionnelles des cellules entérochromaffines et des cellules immuni-taires sont présentes au cours du SII (12-14).Les mastocytes sont les cellules de l’immunité innée les plus étudiées. L’augmentation de leur nombre dans l’iléon terminal, le cæcum, le côlon et, parfois, le rectum a été décrite. Sur les biopsies plus profondes, la densité et, surtout, le degré de dégranulation de ces mastocytes étaient beaucoup plus élevés près des plexus entériques au contact des terminaisons sensitives entériques ou extrinsèques. Il y avait une étroite corrélation entre la sévérité des symptômes (notamment la douleur abdominale), d’une part, et, d’autre part, le nombre de mastocytes et, surtout, leur degré de dégranulation [15]. La mise en contact, sur des modèles animaux, de média-teurs d’origine mastocytaire, comme la tryptase ou l’histamine, avec des terminaisons nerveuses mésentériques déclenche des décharges neuro-nales soutenues. La sérine protéase mastocytaire, via l’activation des récepteurs PAR2, provoque aussi la libération par les terminaisons neuronales de neuropeptides tels que la substance P ou le CGRP (Calcitonin Gene Related-Peptide). Cette activation entretient une inflammation d’origine neurogène et sensibilise les canaux TRPV1 et TRPV4 impliqués dans la sensibilité mécanique colique. L’expression des récepteurs de type toll par les macrophages et le nombre des macrophages sont également modi-fiés dans le SII. L’expression des TLR4 et TLR5 est augmentée, alors que le nombre de macrophages est plutôt diminué (16).Si le nombre des lymphocytes circulants est normal, ces lymphocytes T expriment souvent l’intégrine α7, qui favorise leur afflux vers l’intestin. Dans plus de 50 % des cas de SII, un infiltrat cellulaire T ou une densité accrue de lymphocytes intra-épithéliaux ont été rapportés, mais à des taux insuffisants pour parler de lymphocytose épithéliale (moins de 30 lymphocytes pour 100 entérocytes). Certains types lymphocytaires pourraient être surrepré-sentés, et une étude a rapporté une augmentation des lymphocytes CD25+, apportant des arguments allant dans le sens d’une activation de ces popu-lations lymphocytaires. Pour les lymphocytes B,

les données permettent de conclure à l’absence d’excès de lymphocytes B circulants et d’infiltrat lymphocytaire B au cours du SII. Une réduction de plus de 50 % de la quantité de macrophages muqueux a été décrite, en particulier dans les SII postinfectieux, au cours desquels on observe une réduction des concentrations muqueuses d’IL-10 et une diminution du rapport IL-10/IL-12. Ce déficit en cytokines anti-inflammatoires pérenniserait une inflammation muqueuse de bas grade, notam-ment après une gastroentérite aiguë. La diminution de la quantité de macrophages a également des conséquences sur la différenciation et la survie des lymphocytes T producteurs de TGFβ, autre cytokine anti-inflammatoire (12-14).Si les concentrations basales de cytokines sont normales, les cellules mononucléées sanguines sécrètent, en revanche, en excès des cytokines pro-inflammatoires en réponse à certaines stimulations antigéniques. C’est le cas notamment pour le TNFα, l’IL-6 et l’IL-1β après un contact avec des lipopoly-saccharides produits par Escherichia coli (13).

Le rôle de la sérotonine

La sérotonine est libérée par les cellules entéro-chromaffines sous l’effet de stimuli, notamment alimentaires (1, 13, 17). Si la densité de ces cellules entérochromaffines est normale dans le grêle, elle est accrue dans les muqueuses colique et rectale, notamment chez les malades qui développent un SII postinfectieux après une gastroentérite aiguë. Cette densité cellulaire plus élevée s’observe surtout chez des patients déprimés ou anxieux. En stimulant ses récepteurs de type 3, la sérotonine agit sur la sensibilité viscérale (17).L’intégrité de la barrière intestinale est un élément clé pour la santé humaine. Chez les malades souf-frant de SII, la perméabilité paracellulaire intestinale est accrue dans plus de 40 % des cas, surtout chez les diarrhéiques (1, 18). Cela découle d’une altération des jonctions serrées sous l’effet de facteurs lumi-naux (sérine ou cystéine protéases, acides biliaires), d’une tryptase, luminale ou mastocytaire, d’une dégradation accrue des protéines des jonctions serrées. La glie entérique, qui maintient la qualité de la barrière intestinale, est probablement aussi impliquée. En facilitant le contact entre le milieu endoluminal intestinal et les cellules immuno-compétentes, la perméabilité accrue favorise la survenue d’une inflammation de bas grade et l’appa-rition d’une hypersensibilité viscérale.

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Nouvelles orientations physiopathologiques

DOSSIERSyndrome de

l’intestin irritable

Conclusion

Des progrès récents notables ont été enregistrés dans l’étude des mécanismes intestinaux qui participent à la survenue et à l’aggravation des symptômes du SII. Ces pistes physiopathologiques ouvrent des pers-pectives thérapeutiques nouvelles pour améliorer le confort digestif des malades : agir sur la fl ore via des

probiotiques, des prébiotiques, des symbiotiques ou même des antibiotiques, chélater dans la lumière ou modifi er l’absorption des acides biliaires, proposer éventuellement un traitement anti-infl ammatoire intestinal. L’effi cacité symptomatique de toutes ces options potentielles sur l’évolution des poussées de SII, mais également sur l’histoire naturelle de la maladie, demande à être validée. ■

P. Ducrotté déclare avoir participé à des Advisory boards

et effectué des conférences pour Mayoli-Spindler,

Alfa Wassermann, Almirall.

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Références bibliographiques

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