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REV. INT. PSYCHOL. APP. VOL. 18. NO. 1 NOUVELLES PERSPECTIVES SUR LE TRAVAIL FEMININ FRANgOISE LANTIER Centre d‘Eiudes et Recherchcs Psychotechniques, Paris 1. Caracte‘ristiques de Pactivite‘ fkminine 1.1 Qu’il s’ag;sSe d’action sociale ou de dtcisions individuelles, l’activitt prc+ fessionnelle feminine est en gtntral considtrte dans sa sptcificitt, en raison m&me du statut marginal et du r81e d’appoint qu’elle occupe dans nos socitt&. Cette specificit6 se manifeste sur plusieurs plans, si ttroitement interdtpendants qu’on ne peut guhe les dissocier. Sur le plan macro-e‘conomique, la participation des femmes B la vie active est un des rtgulateurs traditionnels du march6 du travail: les femmes inactives reprkntant un potentiel important de main-d’aeuvre d’appoint, leur participation a pu &tre stimulte ou dtcouragke par des mesures ltgislatives adkuates favorisant leur retrait ou leur participation selon les cycles conjoncturels. Sur le plan micro-social, le travail de la femme marite reprhente en gtntral un revenu d’appoint pour la famille: le concept de chef de famille comporte des aspects aussi bien tconomiques que juridiques et la femme n’est appelte B assumer ce r6le qu’en cas de disparition ou de carence du conjoint. Enfin, sur le plan individuel la femme vit son entrte dam la vie active c o m e une situation transitoire qui s’inscrit rarement dam une perspective d’avenir, B l’exception des professions canitristes qui n’occupent encore qu’une minoritt dans la population active. La jeune fille subordonne le plus souvent ses perspectives professionnelles B un tventuel changement de statut. Et bien qu’un nombre croissant de femmes tentent de concilier la vie professionnelle et la vie familiale, leur rtussite est encore considtrte c o m e une exception B la norme. 1.2 Le r6le marginal du travail ftminin, mis en tvidence aussi bien dans le systkme socio-tconomique que dam les comportements individuels, a sa corres- pondance dam 1e mode d’insertion des femmes dans les structures d’emploi. En effet, i’insertion professionnelle des femmes n’est que trb partielle, ainsi qu’en temoignent la nature des tsches qui leur sont confites, l’acc2.s B un tventail limit6 de formations professionnelles et la raretk des possibilitb de promotion dam l’entreprise. En ce qui concerne la nature des tgches confites aux femmes, elle a tt&com- mandte par les difftrences de r&istance physique aussi longtemps que la charge manuelle de travail est restte prtpondirante. Puis la micanisation pousste et la division du travail en tsches parcellaires qui en est r&ultte, a favorid un nouveau clivage dam la difftrenciation des r6les. Les femmes, faiblement inttgrtes dam l’univers professionnel, se sont montrtes particulierement adaptable aux tiches parcellaires: leurs qualit& de rapiditt, de prtcision et de rkistance B la mono-

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REV. INT. PSYCHOL. APP. VOL. 18. NO. 1

NOUVELLES P E R S P E C T I V E S S U R L E T R A V A I L F E M I N I N

F R A N g O I S E LANTIER Centre d‘Eiudes et Recherchcs Psychotechniques, Paris

1 . Caracte‘ristiques de Pactivite‘ fkminine

1.1 Qu’il s’ag;sSe d’action sociale ou de dtcisions individuelles, l’activitt prc+ fessionnelle feminine est en gtntral considtrte dans sa sptcificitt, en raison m&me du statut marginal et du r81e d’appoint qu’elle occupe dans nos socitt&. Cette specificit6 se manifeste sur plusieurs plans, si ttroitement interdtpendants qu’on ne peut guhe les dissocier.

Sur le plan macro-e‘conomique, la participation des femmes B la vie active est un des rtgulateurs traditionnels du march6 du travail: les femmes inactives reprkntant un potentiel important de main-d’aeuvre d’appoint, leur participation a pu &tre stimulte ou dtcouragke par des mesures ltgislatives adkuates favorisant leur retrait ou leur participation selon les cycles conjoncturels.

Sur le plan micro-social, le travail de la femme marite reprhente en gtntral un revenu d’appoint pour la famille: le concept de chef de famille comporte des aspects aussi bien tconomiques que juridiques et la femme n’est appelte B assumer ce r6le qu’en cas de disparition ou de carence du conjoint.

Enfin, sur le plan individuel la femme vit son entrte dam la vie active c o m e une situation transitoire qui s’inscrit rarement dam une perspective d’avenir, B l’exception des professions canitristes qui n’occupent encore qu’une minoritt dans la population active. La jeune fille subordonne le plus souvent ses perspectives professionnelles B un tventuel changement de statut. Et bien qu’un nombre croissant de femmes tentent de concilier la vie professionnelle et la vie familiale, leur rtussite est encore considtrte c o m e une exception B la norme.

1.2 Le r6le marginal du travail ftminin, mis en tvidence aussi bien dans le systkme socio-tconomique que dam les comportements individuels, a sa corres- pondance dam 1e mode d’insertion des femmes dans les structures d’emploi. En effet, i’insertion professionnelle des femmes n’est que trb partielle, ainsi qu’en temoignent la nature des tsches qui leur sont confites, l’acc2.s B un tventail limit6 de formations professionnelles et la raretk des possibilitb de promotion dam l’entreprise.

En ce qui concerne la nature des tgches confites aux femmes, elle a tt& com- mandte par les difftrences de r&istance physique aussi longtemps que la charge manuelle de travail est restte prtpondirante. Puis la micanisation pousste et la division du travail en tsches parcellaires qui en est r&ultte, a favorid un nouveau clivage dam la difftrenciation des r6les. Les femmes, faiblement inttgrtes dam l’univers professionnel, se sont montrtes particulierement adaptable aux tiches parcellaires: leurs qualit& de rapiditt, de prtcision et de rkistance B la mono-

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tonie ont souvent t t t mises en Cvidence. Et si les femmes ont CtC employtes massivement pour les travaux parcellaires et rtpttitifs au cours des dtcennies passtes, leur accb 8 des fonctions plus complexes a t t t t r h lent et n’a pas suivi le rythme de l’tvolution technique. La plupart des emplois fhinins, aussi bien dam le tertiaire que dans l’industrie, ont un caracttre routinier, ttroitement sptcialist, et n’offrent que de rares possibilitts de promotion. Ainsi, du point de vue du contenu, les emplois fkminins se limitent d la t iche mais s‘intdgrent rarenent en fonctions. Du point de vue du statut, il s’agit en gtntral de ((places)) (((jobs.) mais beaucoup plus rarement de carridres.

Lorsqu’elle existe, la fonction est souvent mtconnue : c’est ainsi que les emplois B caracttre mtdico-social sont dtignts davantage en rtftrence B des attitudes sociales qu’8 des exigences professionnelles sous le terme de ((vocation)), ce qui consacre leur marginalitt dans l’tchelle professionnelle.’ Pourtant les exigences techniques de la plupart de ces fonctions les rendent vraisemblablement assimil- ables 8 des emplob de techniciens d’un niveau equivalent et mieux r h u n t r b .

1.3 A la pauwett? de l’insertion profesionnelle des femmes correspondent de faibles investissements en moyens d’accb 8 la vie active: les formations profes- sionnelles ouvertes aux femmes sont aussi races que peu varites et souvent inadtquates. C’est ainsi que dans les r6gions industrielles traditionnelles ces formations sont limittes, d’une part, 8 la couture et aux arts mtnagers et, d‘autre part, aux emplois de bureau. Les premitres, en l’absence de dtbouchb corres- pondants, prtparent les femmes davantage 8 la vie domestique qu’h un emploi salarit. Quant aux formations commerciales, elles dtbouchent plus souvent sur une activitC professionnelle, encore que ces formations d e n t considtrtes c o m e insuffintes par les employeun de ces regions. Les femmes n’ont ainsi accb qu’8 un univers professionnel restreint. Cette

situation de fait, justifite par leur disponibilitt partielle et entretenue par la limitation des moyens d‘accb h la vie professionnelle, est-elle compatible avec l’tvolution actuelle des structures d‘emploi ? Pour pouvoir dpondre h ce probltme nous examinerons les transformations intervenues dans ces structures au cours des derni6res anntes en choisissant c o m e cadre de rtf6rence les donntes relatives 8 la population active ftminine frangaise. En effet, la situation professionnelle ftminine varie sensiblement d’un pays 8 l’autre et les t l hen t s de cette situation peuvent changer de signification en fonction des politiques d’emploi des difftrents pays.

2. Les transformations de la population active jkminine

2.1 Le phtnomtne commun 8 l’ensemble de la population active au coun des 40 dernitres anntes est la diminution massive des emplois agricoles. Pendant cette ptriode, l’emploi ftminin non agricole manifeste une grande stabilitt. Cependant cette stabilitt masque des transformations importantes dam la com- position de la population active ftminine et dans les conditions de son activitt. Nous examinerons plus particulih-ement les changements intervenus entre le

Voir P ce sujet l’ttude de C. Levy-Leboyer sur l a infirmikres (4) fa. 111, p. 18 A 55.

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recensement de 1954 et celui de 1962, ptriode au cours de laquelle l’tvolution s’est acctltrte.

Par rapport B la main-d‘aeuvre totale, la main-d‘aeuvre ftminine n’a diminut que de 0,8 pour cent, mais les fluctuations par secteur tconomique sont plus accustes :

- 2,!iyO dam l’agriculture, - 1 % dans l’industrie, +3% dans le tertiaire.

Ainsi la composition de la population active ftminine a Cvolut dans le meme sens que celle de la population active masculine mais A un rythme plus rapide.

La structure socio-professionnelle de la main-d‘aeuvre ftminine entre 1954 et 1962 permet d’observer plus finement cette Evolution: les emplois agricoles ont diminut de 8’1 pour cent, tandis que les employtes et cadres moyens ont augmentt de 7,3 pour cent, mais l a ouvritres n’ont augment6 que de 0,9 pour cent (ces cattgories reprkentent les deux tiers de la population active fhinine). Pami les cattgories qui occupent des effectifs moins importants, les ((patrons industriels et commerciaux)) ont diminut de 1,l pour cent, les professions likdes ont augmentt de 0,8 pour cent et les employtes des services de 0,8 pour cent.

Notons par ailleurs une tvolution de la composition de la population active ftminine du point de vue du statut matrimonial. De 1954 A 1962 la proportion de femmes mantes est p d de 49 B 53 pour cent.’ Actuellement en France une femme marite sur trois travaille.

2.2 A ce niveau d’analyse l’tvolution de la population active fCminine appelle plusieurs observations : (a) Les passages inter-sectoriels de la population active ftminine s’effectuent B un rythme plus rapide que dans la population active totale. (b) Cette tvolution comporte des aspects psychosociologiques importants : les changements observb se rtalisent au dttriment d’activitb de type familial et en faveur des activitk salariales. En effet, environ la moitit des femmes employtes dans les secteurs en rtgression: emplois agricoles et ((patrons du commerce et de l’industrie)) ont un statut d’aide familiale. Donc meme sans tenir compte de mutations intracattgorielles qui seront examintes dans la section suivante, on observe que les femmes sont plus nombreuses B occuper un emploi hors de leur domicile avec un statut de salarite. (c) Enfin, le rapide dtveloppement des emplois du tertiaire n’est pas quelconque: il se rtalise au profit des emplois qualifib (employtes et cadres moyens) : ces emplois exigent une formation professionnelle prtalable, leur accb ttant subordonnt B des conditions de qualification.

Notons enfin que l’tvolution observte sur des moyennes nationales masque des variations rtgionales beaucoup plus importantes, notamment dans l a zones critiques de sous-emploi. En effet, l’tvolution de la composition de la main- d’aeuvre affecte plus particulitrement les zones industrielles traditionnelles qui libtrent une main-d’aeuvre nombreuse et gtntralement peu qualifite, lors de la concentration des unit& de production ou de la modernisation des huipements.

* cf. 1’Ctude de M. Praderie (6). L’auteur prtcise que cet accrokement correspond A une bake de I’activitC des ctlibataires consCcutive au progrb de la scolarisation. I1 n’en demeure pas moins que du point de w e psychosociologique une rcprhentation plus importante des femmes man& dans la population active feminine est un phtnornkne important.

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3. Les changements technologiques at Pkvolution des fonctions

3.1 Une ttude rtcente r&Me dam quelques rtgions industrielles traditionnelles oh Yon observe des phtnomtnes typiques de sous-emploi ftminin (Lorraine, Nord et Provence)* nous a permis d‘analyser plus finement l’tvolution des structures d’emploi et de mettre en tvidence des phtnomtnes de mobilitt dam la population active ftminine (3).

L‘ttude porte sur un petit tchantillon de femmes actives rtcemment embauchtes dam des entreprises nouvelles crttes dam des zones critiques ou zones d’amtnage- ment industriel et qui, ce titre, avaient btntficit d‘implantations nouvelles. Parmi les femmes qui avaient dtjh occupt au moins un emploi avant d’entrer dam ces entreprises, 32 pour cent d’entre elles ont change de mttier en changeant d‘entreprise et 53 pour cent ont changt au moins une fois de mttier entre leur premier emploi et l’emploi occupt A l’enquete.

PASSAGES DU PREMIER EMPLOI A L’EMPLOI ACTUEL DANS LES ENTREPRISES NOUVELLES

t 4

? I I I I I

(administration) techniticnnes

- Catbgories d’origine reprisenties dam l’ichantillon --- * CatCgqries d’origine lion Cchantillon

* Etudes rCalisCes au C.E.R.P. avec I’aide du Fonds de DCveloppement de la Recherche Scientifique et Technique.

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FRANQOISE LANTIER 45 3.2 Le graphique ci-aprb reproduit le systtme de mobilitt professionnelle tel qu’il ressort de l’analyse des passages entre premier emploi et emploi actuel. Les passages isolb n’ont pas ttt consign& dam ce graphique qui reprknte ntanmoins p r h de 80 pour cent des passages observb.

On observe deux sous-ensembles entre lesquels les vendeuses jouent le rale de cattgorie charnitre :

(a) le premier comprend les ouvrikres de la confection, les ouvritres des industries nouvelles et les vendeuses entre lesquelles s’opkrent des passages rtciproques (sauf industrie + vendeuses) et qui ont attirC les couturih-es et les employtes de maison (sauf couture + industrie).

(b) le second comprend le groupe employtes de bureau-vendeuses en relation rtciproque et qui dtbouche sur les mtcanographes et les cadres.

3.3 Ce graphique est une illustration de l’aff aiblissement du clivage entre emplois de l’industrie et emplois du tertiake et l’amorce d’une nouvelle stratification en termes de niveau de qualification plut6t qu’en termes de secteur Cconomique.

Au niveau semi-qualifik on rencontre des transferts frhuents entre emplois de type artisanal ou domestique (couture, employte de maison, vendeuse du petit commerce) d’une part, et les mttiers nouveaux de type commercial ou industriel, d’autre part : vendeuses des commerces multiples, employtes des services collectifs, ouvrikres de la confection et des industries nouvelles. Pour ces emplois la paritt entre emplois industriels et emplois du tertiaire progresse d’autant plus que ces entreprises tendent B exiger une formation professionnelle de base d’un niveau tquivalent pour ces emplois.

Dans le tertiaire qualifik on observe un kclutement du niveau correspondant B une diversification des qualifications : ainsi, les petites qualifications de bureau dtbouchent sur les emplok semi-qua156s (mtcanographes, vendeuses des com- merces multiples). Par contre, l’accts B des postes plus qualifib (cadres moyens, secrttaires) requiert une qualification suptrieure au niveau traditionnel de ces emplois, qui les apparente au niveau des techniciennes. Remarquons que de nombreux cadres sont originaires de l’enseignement.

3.4 Les deux cattgories dCfinies c o m e semi-qualifiies et qualifibs occupent une place intermtdiaire dans l’tchelle des qualifications. Nous avons vu qu’elles sont caracttristes par une mobilitt professionnelle importante : la premitre dam le sens d‘un transfert d’un type d’emploi traditionnel B un type d‘emploi moderne, la seconde par un tclatement, soit vem le p p e des semi-qualifites, soit vers le groupe des emplois demandant une formation technique plus Clevte. Par contre, les cattgories situtes a w extrtmitts de l’tchelle des qualifications, les techniciennes, d’une part, et l a 0s de l’industrie traditionnelle, d’autre part, sont relativement isoltes et ne participent pas au syst2me d’tchange dont il vient d’ctre question.

Le niveau non qualifik ( 0 s des filatures et des industries traditionndes) Semble difficilement transfirable aux activitb nouvelles rencontrees dans ces rtgions : on note quelques passages vers la confection et les industries nouvelles, mais il s’agit de passages indirects (industrie --f employte de maison) et pour des emplois

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non qualifib (exptditionnaire, etc.). La rarett des passages est d’autant plus Ctonnante que dam l’une des zones de l’enquzte, le bassin houiller du Nord, les implantations d’ateliers en confection Ltaient destintes B absorber la main-d’aeuvre locale qui traditionnellement allait s’embaucher dans les filatures des agglomtra- tions voisines au prix de longs trajets quotidiens. Pourtant ces ouvrieres ne semblent pas avoir btntficit des implantations nouvelles, les employeurs prtftrant recruter leur main-d’aeuvre parmi les femmes qui avaient r e p une formation profes- sionnelle, meme pour un autre mttier.

A l’autre extrhi t t de l’tchelle des qualifications, les emplois techniques trds qualifib ont un recrutement autonome. Les techniciennes, chimistes pour la plupart, sont recruttes sur diplbme et n’ont pas exerct d’autres mktiers 8. l’origine de leur carrikre. Remarquons que les emplois industriels masculins foment un continuum permettant le passage B une qualification supirieure, souvent subordonnte d’ailleurs B des conditions de perfectionnement, alors que les emplois industriels ftminins qualifits sont t r b r a r e dam la plupart des industries, les femmes n’ayant souvent accb qu’aux postes d’OS. I1 en r&ulte qu’on peut prtvoir une rtcession de l’emploi fCminin dans l’industrie lorsque s’acctlkrera le remplace- ment des postes d’OS par des dispositifs automatiques.

3.5 Bien que la situation analyste, par sa spkcificitt, ne soit pas extrapolable i d‘autres populations, Ctant donnt le caractkre exceptionnel des crCations d’emplois dans les rkgions atteintes de sous-emploi fkminin, elle est n h m o i n s riche d’enseignements dans la mesure oh elle s’est accompagnke d’une restructura- tion des fonctions confonne B l’tvolution technologique. La marginalit6 des 0 s de l’industrie traditionnelle et I’extension des emplob semi-qualifib de type optrateur sont une condquence de la rtinttgration des tlches parcellaires en fonctions polyvalentes mise en tvidence dam diffhrentes ttudes rCcentes sur l’tvolution des qualifications. Remarquons qu’au terme de cette Cvolution les qualifications de l’industrie et celles du tertiaire tendent & se confondre, les tlches s’intlgrant dans des circuits rationalisis et la part empirique du travail se restreignant de plus en plus. De mCme, B un niveau de qualification suptrieur, les contenus techniques des fonctions se dkeloppent aussi bien dam l’industrie que dans le tertiaire, et requierent une formation de base importante ainsi que l’adaptation B des techniques en constante Cvolution.

4 . Le r61e des formations dans la vie professionnelle

4.. 1 Les donnkes macro-Cconomiques et les analyses micro-sociologiques des comportements professionnels convergent pour montrer que les structures pro- fessionnelles deviennent plus contraignantes par le jeu de deux facteurs: d’une part, l’activitt salariale tend B se gCnCraliser au dttriment d’autres formes d’activitt qui occupent une fraction non ntgligeable de la population ftminine, telles que les aides familiales, les patronnes de petits commercesy les artisans 5 domicile; d’autre part, l’accb aux emplois tend B &re subordonnk B des conditions de qualification et de formation. Par ailleurs, la ptrennitt des emplois n’est plus assurte et les crtations s’accompagnent souvent de mutation des qualifications. On passe ainsi progresivement d’un marcht du travail ouvert A un marcht

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FRANGOISE LANTIER 47 prtsentant une stratification complexe. Aussi peut-on se demander si le statut marginal de la main-d’aeuvre ftminine est compatible avec l’tvolution des structures professionnelles.

I1 est vrai que le problkme d’ajustement des besoins aux disponibilitb se pose pour l’ensemble de la population active. Les moyens de promotion professionnelle et de recyclage inaugur& au cours des dix dernikres anntes ont pour objectif de favoriser cet ajustement. Mais la main-d’aeuvre ftminine a t t t peu concernCe par les actions entreprises dans ce domaine. Cette carence ne fait que renforcer la position marginale des femmes dans la population active et t h i n e une partie importante de la main-d’aeuvre fCminine potentielle. Si l’on considkre que 47 pour cent des femmes actives sont cClibataires, veuves ou divorctes et, pour la plupart, obligtes de gagner leur vie, une telle situation ne peut &tre que coGteuse sur le plan Cconomique et inacceptable sur le plan social. Nous oborderons le probltme en examinant les conditions dans lesquelles s’est effectute l’insertion professionnelle des femmes embauchtes dans les entreprises nouvelles, dans une situation qui prtfigure les mutations professionnelles auxquelles il faudra faire face dans l’avenir.

4.2 La stratification du march6 du travail en fonction des niveaux de qualifica- tion place les formations professionnelles au cceur des prtoccupations concernant I’accb et l’ajustement aux emplois. Aussi, toute solution &insertion professionnelle des femmes passe-t-elle par le problkme de la ptnurie et de l’inadiquation des formations professionnelles ftminines.

Dans les zones de sous-emploi Cvoqutes au paragraphe prtctdent, un sondage auprks des femmes inactives avait montrC que seulement 10 pour cent d’entre elles, dans les zones industrielles traditionnelles, et 25 pour cent en milieu urbain, avaient r e p une quelconque formation professionnelle. Mais, par ailleurs, on a observi une relation entre le type de formation reGue et la participation anttrieure i la vie active; une formation technique ou professionnelle avec ou sans dipl8me a ttt suivie d’une activitt professionnelle par 70 ?i 90 pour cent des femmes selon les rtgions. Pour les femmes qui n’avaient r e p qu’une in- struction gtntrale, qu’elle soit du premier degrt ou du second degrC, la proportion correspondante n’atteignait que 47 B 67 pour cent, A l’exception des deux zones du Nord occupant une abondante main-d’aeuvre juvtnile dans le textile et dans lesquelles l’activitt professionnelle ttait plus frtquente B l’kue du premier degrt que du second degrt.

I1 s’ensuit qu’une instruction gtntrale non suivie d’une formation professionnelle est un faible stimulant A l’emploi, alors qu’une formation technique ou profes- sionnelle dtbouche sur un emploi dans des proportions Clevtes.

Cette relation a Ctt vtrifite lors de l’analyse des formations resues par les femmes employtes dans les entreprises nouvelles de la rtgion: 22 pour cent seulement des femmes de l’tchantillon n’avaient suivi ni apprentissage, ni forma- tion professionnelle, ni scolaire, ni post-scolaire; par contre, 26 pour cent des femmes avaient suivi au moins deux cycles de formation. I1 s’agit donc d‘une population dlectionnte du point de m e de la formation professionnelle.

Cependant la relation entre le type de formation r epe et l’emploi occupC est asez faible: 60 pour cent des femmes ont utilist cette formation B l’occasion

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de l e u premier emploi, mais plus la formation est tlevte plus sa relation avec le poste occup6 est Ctroite. La plupart des techniciennes, trois employtes de bureau sur quatre, mais seulement une couturikre sur cinq ont exerct un premier emploi correspondant B leur mttier.

L’insertion professionnelle des femmes commence par ses possibiZitLs d’accds aux emplois. Aussi peut-on dtplorer le gaspillage que reprhentent les formations sptcifiquement ftminines (couture, arts mtnagers) qui n’offrent pas de dtbouchts aux femmes. Celles-ci sont obligtes par la suite de prendre des emplois non qudifib. L’tvolution technique, en alltgeant la charge physique du travail, permettrait de leur ouvrir une nouvelle gamme d’emplois qui leur Ctait jusqu’ici inaccessible. M&me avec une formation professionnelle adtquate, les femmes sont souvent destinies B des postes spicialisb et n’ont que rarement accb B la filikre de promotion correspondant B leur formation. Aussi la paritt des salaires qui 6tait B la base des revendications ouvrikres dans la phase technique anttrieure, a-t-elle en partie perdu sa signification dam la mesure oh les femmes n’ont pas accks aux memes fonctions. Cependant, les exigences techniques nouvelles s’accommodent ma1 de cette discrimination dans la mesure oh la formation ne s’interrompt plus avec la scolarit6 mais devient une des composantes de la vie prof essionnelle.

4.3 Aprb l’accb au march6 du travail, se pose le problkme de l’adaptation aux changements d’emploi sous dif€trentes formes. En effet, on ne peut plus considtrer un changement de poste ou d’employeur comme un simple transfert de compitence. Les changements s’accompagnent de plus en plus de mutations dans la qualification des i n t t r d .

Dans les zones de sous-emploi, la crtation d’entreprises nouvelles a favor% le transfert de formations inutilistes B une utilisation indirecte: ainsi la couture trouve une application dam la confection et les emplois de bureau dans la mtcanographie. Cependant, une fois sur quatre ces formations dtbouchent sur des emplois d‘OS dans l’industrie. Un examen attentif de ces transferts B une utilisation indirecte, a montr6 que dans tous les cas ils sont r t a M A partir d’une formation suivie d’une pratique professionnelle. Les femmes qui n’ont pas eu l’occasion d’exercer le mttier appris ne rtussissent pas davantage B mettre leurs connaissances en pratique malgrt les d6bouchh connexes. Ainsi le potentiel de formation ftminine tend B dtcrottre lorsque les dtbouchb manquent, et n’est pas rtcuptrable par la suite sans nouveaux cycles de formation.

Aussi, une des caracttristiques de la population des femmes employtes dans les entreprises nouvelles, est-elle son recours frtquent aux formations post-scolaires : 30 pour cent d’entre elles ont suivi de tels cycles de formation, ce qui est d’autant plus remarquable que les moyens de formation post-scolaires sont peu rtpandus dans ces rtgions. Les mutations observtes n’ont donc CtC possibles qu’au prix d’un effort exceptionnel de recyclage : prtcisons que plus de la moitit des femmes avaient entrepris ces formations de leur propre initiative, et que dans 40 pour cent des cas il s’agissait de formations de base et non de formations compli- mentaires ou de perfectionnements. Par ailleurs, dans le sous-groupe des emplois du tertiaire (employtes de bureau, mtcanographes et vendeuses), on a observt une relation significative entre le nombre d’emplois et les formations compltmentaires.

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FRANFOISE LANTIER 49 4.4 ces quelques exemples montrent B quel point la mobilitt professionnelle est instparable de moyens de formation. Ceux-ci sont ntcessakes B quatre niveaux dam la population fkminine: (a) l’acch B la vie active suppose un dheloppe- merit des formations professionnelles d e bare; (b) la promotion professionnelle requiert des moyens de perfectionnement; (c) aux changements d‘emplois ou de fonctiom correspondent des exigences de formation complkmentaire ; (d) enfin, pour la population ftminine, se pose le probltme sptcifique des reprises d’activitt aprts une interruption courte ou prolongte, qui ntcessitent des moyens de recyclage. 20 pour cent des femmes de l’ichantillon se trouvaient dam ce cas, la plupart, d’entre elles aprh une interruption d‘une durte inftrieure B 5 ans.

Or, ces moyens sont B l’heure actuelle pratiquement inexistants. En effet, l’acch des femmes aux dskrents cycles de promotion professionnelle et de formation d‘adultes est trk limit; en comparaison des moyens existants pour la population masculine.

5. Conclusions En rtsumt, la situation entrainte par les crtations d’emplois ftminins dans ces zones de sous-emploi a eu pour constquence: (a) d’absorber les jeunes qui arrivaient sur le march6 du travail, sans cependant ralentir les migrations quotidiennes vers les grandes agglomtrations; (b) de favoriser la mobilitt profes- sionnelle des femmes des activith traditionnelles vers les activitb nouvelles; (c) de favoriser tgalement la reprise de travail des femmes qui avaient interrompu leur activitt pour une courte durte.

Par contre, elle a rarement provoqut des reprises d’activitt ap rb une inter- ruption suptrieure B cinq ans, et les prise-s d‘emplois tardives de la part de femmes qui n’avaient jamais travail16 sont exceptionnelles. Dam les quelques cas rencontrh il s’agissait de femmes qui prenaient un travail pour des raisons de nkcessitt imptrieuse. Enfin, les mouvements de main-d’czuvre observb ont ttt accompagn& de la part des inttresstes d’investissements en formation relativement importants et inattendus, dans la mesure oh il s’agissait de rtgions peu favorides sur ce plan.

On peut conclure que l’ajustement de la population active ftminine aux besoins en main-d’aeuvre est indissociable de la mke en czuvre de moyens de formation, et ceci B tous les niveaux de qualification. Une politique restrictive B l’tgard des formations ftminines ne peut que renforcer sa situation marginale et entrainer B moyen terme une rtcession de l’emploi ftminin. La mise en aeuvre de moyens de perfectionnement et de recyclage pour les femmes inttresse princi- palement celles qui ont d t j i exerct une activitt professionnelle. Ces mesures auraient pour codquence de maintenir le taux d‘activitt actuel et non d’attirer i la vie professionnelle m e nouvelle fraction de femmes inactives. En effet, les difftrentes enquetes ont montrt que l’activitt professionnelle des femmes aprks leur scolaritt ttait dtterminante pour m e tventuelle reprise ultkrieure. Aussi un accroissement du taux d’activitt ftminine ne peut-il rhulter B long terme que d’une participation accrue des jeunes et non de mesures de recyclage B court terme.

Ces conclusions appellent quelques rkflexions plus gtnlrales : l’adaptation de l’homme au travail ne peut plus etre dissocite des conditions structurelles de D

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50 NOUVELLES PERSPECTIVES SUR LE TRAVAIL FEMININ

son activitC : dans la phase technologique anttrieure cette adaptation se rtalisait dam un contexte relativement stable et la mtcanisation ayant pusst la dtcom- position du travail jusqu’8 ses limites, les problkmes d’adaptation se sont dtplacts progressivement de la dche B l’environnement et aux aspects psychosociaux du travail. Par ailleurs, l’individu entrant dans la production avec un acquis scolaire dtfinitif qui dtterminait sa place dam l’univers socio-professionnel, le rale du psychologue a consist6 B trouver une adaptation optimum pour l’individu, dam un syst2me dtfini B l’un des pales par les aptitudes individuelles et B l’autre pale par les tiches B effectuer.

Les donntes technologiques nouvelles entrainent une modification des termes de l’ajustement et notamment leur caracttre transitoire: d’une part, l a dches se restructurent sans cesse en fonction de l’tvolution technologique, d‘autre part, la coupure entre la ptriode d’apprentissage et 1’entrCe dam la vie active n’est plus aussi nette. L’acquisition de nouveaux savoirs fait partie de la vie professionnelle. Aussi l’adaptation de l’homme B son travail est-elle plus complexe et demande-t-elle une participation active de l’individu B son devenir profes- sionnel. L’intervention du psychologue change de niveau et suppose une meilleure connaissance des structures d’emploi, d‘une part, des comportements et des cheminements professionnels, d’autre part, afin de contribuer B un meilleur ajustement du systhe homme-emploi, en perpttuel devenir. Tout en perfection- nant ses techniques d’analyse, la psychologie appliqute doit dtjh songer B en trouver de nouvelles, mieux approprites B sa fonction. Mais le psychologue ne fait-il pas euwe de pionnier et sa d o n n’est-elle pas d’aller au devant des nouveaux problhes ?

R E F E R E N C E S

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LANTIER, FRANEOISE, et collaborateurs (1967-1968), ‘Le sous-emploi ftminin dans quelques zones industrielles et portuaires’. Fuscicule ZZ : ‘Analyse des premiers r&ultats de l’enqutte statistique auprk des femmes in- actives.’ Fascicule ZV: ‘L‘insertion professionnelle des femmes dans les entreprises nouvelles’, Documents rontotyph, Centre &Etudes et Recherches Psychotechniques.

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