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Les Cahiers 36 n° 110 • Mai 2007 Nouvelles technologies et lentilles : des stratégies d’adaptation et de surveillance de plus en plus précises Roland Pagot L a vidéotopographie cornéenne arrive au premier rang des nouvelles techniques en contactologie. Sous l’impulsion de cette spécialité et de la chirurgie réfractive, elle s’est largement développée depuis une quinzaine d’années pour devenir un examen de routine. Elle a également évolué de la topographie spéculaire vers la topographie d’élé- vation, sans que la première ne devienne obsolète. Elle permet d’analyser les anomalies cornéennes et d’établir un document médico-légal avant toute adaptation de lentilles. Les autres avancées prometteuses, mais qui demandent encore à faire leurs preuves, sont la tomographie par cohérence optique (OCT) du segment antérieur et la microsco- pie confocale. Toutes ces techniques ont l’avantage d’être non invasives et non contact. La topographie spéculaire mesure des rayons de courbure et non des élévations Ni la face postérieure ni la périphérie de la cornée ne sont explorées : l’analyse ne concerne que les 8 mm centraux. L’interprétation dépend du type de carte, de l’échelle colorée et des indices statistiques En pratique, la topographie est représentée par diffé- rentes cartes qui permettent d’étudier la cornée dans son ensemble et par zones. Ces cartes résultent d’al- gorithmes de reconstruction du film lacrymal en fonc- tion d’une certaine modélisation de la cornée. La représentation colorimétrique des résultats peut être effectuée selon différentes échelles, notamment absolue ou normalisée. Le code attribue le vert aux valeurs moyennes, les couleurs chaudes aux puissan- ces plus élevées (rayon de courbure plus petit), et les couleurs froides aux puissances plus faibles (rayon de courbure plus grand). Les principales cartes sont les cartes axiale, tangen- tielle et d’élévation. Pour déterminer par calcul la forme de la cornée, on utilise deux plans perpendi- culaires. Le plan tangentiel passe par le point consi- déré et par l’axe optique. Le plan sagittal lui est perpendiculaire et passe lui aussi par le point étudié. La topographie spéculaire repose sur le calcul des coordonnées x,y,z de chaque point étudié (repère tridi- mensionnel). Différents indices d’analyse statistique permettent de juger de la normalité de la cornée mesurée en la comparant à une cornée de référence. C’est le cas des indices de régularité de surface (SRI), d’asymétrie de surface (SAI) et de potentialité d’acuité visuelle (PVA) (figure 1). Strasbourg Dossier contactologie Figure 1. Carte en échelle absolue avec coordonnées (x, y, z) et indices SAI, SRI, PVA.

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Les Cahiers36 n° 110 • Mai 2007

Nouvelles technologies et lentilles : des stratégies d’adaptation et de surveillance de plus en plus précisesRoland Pagot

La vidéotopographie cornéenne arrive au premier rang des nouvelles techniques en contactologie. Sous l’impulsion de cette spécialité et de la chirurgie réfractive, elle

s’est largement développée depuis une quinzaine d’années pour devenir un examen deroutine. Elle a également évolué de la topographie spéculaire vers la topographie d’élé-vation, sans que la première ne devienne obsolète. Elle permet d’analyser les anomaliescornéennes et d’établir un document médico-légal avant toute adaptation de lentilles.Les autres avancées prometteuses, mais qui demandent encore à faire leurs preuves,sont la tomographie par cohérence optique (OCT) du segment antérieur et la microsco-

pie confocale. Toutes ces techniques ont l’avantage d’être non invasives et non contact.

La topographie spéculaire mesuredes rayons de courbure et non des élévations

Ni la face postérieure ni la périphérie de la cornée nesont explorées : l’analyse ne concerne que les 8 mmcentraux.

L’interprétation dépend du type de carte, de l’échellecolorée et des indices statistiques

En pratique, la topographie est représentée par diffé-rentes cartes qui permettent d’étudier la cornée dansson ensemble et par zones. Ces cartes résultent d’al-gorithmes de reconstruction du film lacrymal en fonc-tion d’une certaine modélisation de la cornée. La représentation colorimétrique des résultats peutêtre effectuée selon différentes échelles, notammentabsolue ou normalisée. Le code attribue le vert auxvaleurs moyennes, les couleurs chaudes aux puissan-ces plus élevées (rayon de courbure plus petit), et lescouleurs froides aux puissances plus faibles (rayon decourbure plus grand). Les principales cartes sont les cartes axiale, tangen-tielle et d’élévation. Pour déterminer par calcul laforme de la cornée, on utilise deux plans perpendi-

culaires. Le plan tangentiel passe par le point consi-déré et par l’axe optique. Le plan sagittal lui est perpendiculaire et passe lui aussi par le point étudié.La topographie spéculaire repose sur le calcul descoordonnées x,y,z de chaque point étudié (repère tridi-mensionnel). Différents indices d’analyse statistiquepermettent de juger de la normalité de la cornéemesurée en la comparant à une cornée de référence.C’est le cas des indices de régularité de surface (SRI),d’asymétrie de surface (SAI) et de potentialité d’acuitévisuelle (PVA) (figure 1).

Strasbourg

Dossier contactologie

Figure 1. Carte en échelle absolue avec coordonnées (x, y, z) et indices SAI, SRI, PVA.

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La carte absolue (ou standard) permet d’effectuer

des comparaisons inter- ou intra-individuelles

En effet, cette échelle est invariable : une couleur don-née correspond toujours à la même puissance. La topographie normale est jaune-verte avec undégradé de 3 à 5 nuances vers les couleurs froides enpériphérie et un aplatissement plus rapide en nasal(figure 2).

Une absence de dégradé témoigne d’une cornée dontl’excentricité est faible ou nulle (figure 3).

La carte standard normalisée est propre

à chaque cornée (figure 4)En effet, l’ensemble des couleurs disponibles estautomatiquement réparti sur la cornée étudiée qui est divisée en onze à vingt nuances, de la couleur laplus froide à la couleur la plus chaude. L’échelle neconcerne donc que la cornée considérée et ne permet pas de comparer les topographies d’un même patientdans le temps.

Elle affine l’étude de la puissance et du profil cornéens,mais peut surestimer les différences de courbure.

La carte axiale (ou sagittale) est approximative

En effet, la puissance axiale est calculée par uneformule d’approximation à partir des rayons decourbure axiaux. On l’appelle aussi puissancesagittale. Elle s’exprime en dioptries kératomé-triques (conversion à partir du rayon de courbure).

La carte tangentielle (ou instantanée) renseigne

sur la forme de la cornée

La puissance tangentielle, calculée à partir des rayonsde courbure tangentiels, est parfois aussi appeléepuissance instantanée. Après conversion à partir durayon de courbure, elle s’exprime en dioptries kérato-métriques.Ce type de carte donne une très bonne idée de laforme de la cornée, notamment des ruptures brutalesde pente, mais elle ne signifie plus rien en termes depuissance. Elle permet surtout de situer le sommetd’un cône et d’apprécier le degré de sa pente (figure 5).

La carte numérique optimise la stratégie d’adaptation

En effet, la puissance est notée en chaque point de lacornée. L’échelle de mesure n’a aucune importancecar la lecture, aidée par la couleur associée au nom-bre, s’effectue en direct sur la carte (figure 6).

Les topographes spéculaires peuvent calculer l’élévation,

mais pas la mesurer

La carte d’élévation correspond à la forme géomé-trique réelle de la cornée. Elle repose sur la détermi-

Figure 2. Topographie spéculaire normale.

Figure 4. Topographie en échelle normalisée (cartouche en haut à gauche : en échelle absolue).

Figure 3. Cornée à excentricité faible.

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nation de l’abscisse (x), de l’ordonnée (y) et de la hau-teur (z) de chaque point étudié dans un repère à troisdimensions. Les topographes spéculaires ne mesu-rent pas directement ces coordonnées : ils ne peuventque les calculer indirectement. Pour être interpréta-ble, la surface reconstruite est habituellement com-

parée à une sphère de référence.

Les autres cartes en topographie spéculaire

ont moins d’intérêt

Les cartes en 3D, réfractive et hémiméridiennesont moins utiles en pratique.

Les cartes comparatives permettent de suivre l’évolu-tion, par exemple d’un corneal warpage après change-ment d’adaptation (figure 7).

A quoi correspondent les différentes zones cornéennes ?

L’étude de chacune des quatre zones cornéennesapporte des renseignements spécifiques.

La zone centrale est extrapolée à partir de l’anneau

le plus interne

C’est l’une des limites de la vidéotopographie. Il fautapprécier la régularité de la zone centrale, l’absencede nebula et d’îlots centraux après chirurgie réfrac-tive (figure 8).

La zone des 1,5 mm correspond au domaine d’exploration

du Javal

Elle met en évidence des cônes frustes passant inaper-çus à l’ophtalmomètre.

La zone des 2,5 mm correspond à la chirurgie réfractive

Elle permet d’objectiver tout décentrement, irrégula-rité ou genou cornéen.

Figure 5. Carte tangentielle à gauche, sagittale à droite. Le sommet de la cornée paraît plus éloigné du centre en carte sagittale.

Figure 8. Îlots centraux.

Figure 6. Carte numérique. La couleur verte uniforme permet de savoir qu’il s’agit d’une cornée normale, sphérique et sans aplatissement périphérique. Le premier choix d’une lentille rigide ne se portera doncpas sur une lentille de forte excentricité.

Figure 7. Évolution sur un mois d’un corneal warpage OD (en supérieur) et OG (en inférieur).

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Les Cahiers 39n° 110 • Mai 2007

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La zone des 4 mm correspond à la greffe

de cornée

L’analyse de la rupture de pente greffon-hôte est primordiale pour le choix d’unelentille. Le coefficient d’excentricité de lacornée est calculé à partir de cette zone.

La topographie par élévationpermet d’explorer le segment antérieur

L’appareil type en est l’Orbscan II. Il asso-cie une topographie spéculaire à des cartes d’élévation des faces antérieure etpostérieure de la cornée, dont il permetainsi de mesurer l’épaisseur (figure 9). L’œil est comparé à une sphère idéale(couleur verte). Là encore, les cotes moins puissantesapparaissent en couleurs plus froides etcelles plus puissantes en couleurs pluschaudes.

la zone centrale n’est plus extrapolée mais mesurée

L’Orbscan II a l’avantage de mesurer directement lescoordonnées spatiales d’un point des surfaces cor-néennes antérieure et postérieure grâce au balayagede la cornée par la fente optique associée au topogra-phe spéculaire. Il analyse donc la déformation cor-néenne non seulement antérieure, mais aussi posté-rieure. Surtout : la zone centrale n’est plus extrapoléemais mesurée.

La cornée est étudiée dans son ensemble

Cet appareil permet également d’analyser toute lacornée et d’en mesurer le diamètre. Cette étude participe à la précision de son logiciel de contactologieet à la possibilité de simuler une adaptation de len-tilles perméables aux gaz de grand diamètre en fonc-tion de l’asphéricité et de l’excentricité cornéennes.

En contactologie, de tels outils permettent doncune étude qualitative de la cornée et une adaptation« customisée » ou à façon. Grâce aux paramètresrelevés sur les cartes et aux essais préalables,l’ophtalmologiste est à même de fournir des pré-cisions importantes pour sélectionner la lentille.Certains laboratoires se servent de ces cartes pourfabriquer des équipements personnalisés. L’étapesuivante consistera à utiliser l’aberrométrie pourcompenser les aberrations sphériques et de hautgrade.

Figure 10. OCT : lentille RPG sur cornée kératocônique.

Figure 9. Orbscan : quadmap d’un kératocône fruste.

L’OCT étudie l’adaptation des lentilles, les complications et les larmes

La qualité des images obtenues avec l’OCT de seg-ment antérieur (Visante®) permet de vérifier préci-sément l’adaptation des lentilles dont on peut étu-dier le design, le profil et les bords. Cette technique,qui notamment mesure l’œdème stromal, analyseégalement les complications sous lentilles.Les épaisseurs de la lentille, de l’épithélium, du stro-ma et du film lacrymal post- et prélentille peuvent êtremesurées (figure 10).Un autre avantage est la possibilité de mesurer lahauteur du ménisque lacrymal supérieur et inférieur,méthode qui pourrait s’avérer plus performante que leclassique test de Shirmer.

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La microscopie confocale révèle les effets des lentilles sur les tissus cornéeens

Dérivée du HRT (Heidelberg Retina Tomograph®), lamicroscopie confocale permet une étude quasi histo-logique de la cornée (résolution de quelques microns).Sur le plan technique, les systèmes d’observation et d’illumination sont focalisés au même endroit, demanière à éliminer des éléments situés en dehors dupoint focal.La diffusion de ces appareils permettra d’enrichirl’iconographie cornéenne et de suivre beaucoup plusprécisément les conséquences inflammatoires etmécaniques du port de lentilles (figure 11). On accé-dera ainsi au diagnostic préclinique, tout comme latopographie spéculaire met en évidence les kérato-cônes frustes.

Touzeau O, Allouch C, Borderie V, Laroche L. Topographie d’éléva-tion et analyse du segment antérieur par balayage d’une fente lumineuse (Orbscan). Encycl Méd Chir (Editions scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris), Ophtalmologie, 21-200-A-15.2001, 27p.

Assouline M et Lebuisson DA. Topographie cornéenne. Encycl MédChir (Editions scientifiques et Médicales Elsevier SAS, Paris),Ophtalmologie, 21-200-A-12.1998, 27p.

Baudouin C, Bourcier T, Dupas B, Labbé A, Sonigo B. Apport de lamicroscopie confocale cornéenne in vivo pour l’exploration de lasurface oculaire. Collection librairie médicale Laboratoires Théa.

Bibliographie

Hirano K, Ito Y, Suzuki T, Kojima T, Kachi S, Miyake Y. Optical cohe-rence tomography for the non invasive evaluation of the cornea.Cornea 2001;20(3):281-9.

Wang J, Fonn D, Simpson TL, Jones L. Precorneal and pre- andpostlens tear film thickness measured indirectly with optical cohe-rence tomography. Invest Ophthalmol Vis Sci 2003;44(6):2524-8.

Gatinel D, Hoang-Xuan T. Le lasik de la théorie à la pratique.Elsevier, 2003.

Saragoussi JJ, Arné JL, Colin J, Montard M. Chirurgie réfractive.SFO et Masson, Paris 2001.

En outre, cette technique diagnostique in vivo les com-plications dues aux lentilles, notamment les kératitesinfectieuses (figure 12).

Figure 11. Microscopie confocale : stroma cornéen antérieur d’un kératocône équipé en lentille rigide perméable(Photo F. Malet, CHU Bordeaux).

Figure 12. Microscopie confocale : filaments mycéliens d’une kératite à Fusarium solani chez un porteur de lentilles (Photo F. Malet, CHU Bordeaux).

Prochaine étape : exploiter l’aberrométrie

En contactologie, la complémentarité des outils d’ima-gerie modernes permet d’envisager l’équipement dans son ensemble : du choix de la lentille à partir des topographies spéculaire et d’élévation au suivi de l’adaptation en passant par l’analyse infracliniquedes complications grâce à l’OCT et à la microscopieconfocale.L’avenir verra peut-être la fabrication de lentilles personnalisées en fonction du profil cornéen et desaberrations de l’œil à équiper.

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