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COLLECTION CHRONIQUES SOTRIQUES

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CHRONIQUES SOTRIQUESN 38


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IL SE DRESSA POUVANT. . .


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NOUVELLE DE LTRANGE

N U I T M Y S T R I E U S E

Pierre COSTAR

Je suis encore en train de me demander pourquoi j'ai eul'ide singulire de venir m'enfermer ici, dans cette maison decampagne, d'o se dgage une effroyable atmosphre de

tristesse, pour terminer ce travail que j'ai promis de donnerdans quelques jours !

Je sais bien pourtant qu'il m'est impossible de faire quelquechose de bon dans cette solitude accablante, qui me produitune sorte d'engourdissement ml d'angoisse. J'prouve uneimpression de lassitude pnible et c'est en vain que j'essaye

de me mettre srieusement travailler... J'en suis incapable...Demain matin, la premire heure, je rentrerai Paris et

j'achverai ma tche... Je ferai beaucoup mieux de toutenvoyer promener maintenant et de chercher un livrequelconque qui m'aidera passer cette soire qui s'annoncemal. En effet, je me suis rarement senti aussi nerveux, aussi


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btement impressionnable que ce soir. Si cette maison n'taitpas aussi loigne de tout moyen de communication, s'il nefallait pas faire cinq ou six kilomtres pied en pleine nuit

pour gagner la gare, je crois que je serais dj parti.

Georgette m'avait bien dit que j'avais tort de venir seul ici...

Elle me connat bien et elle avait prvu ce qui m'arrive. Elleva triompher quand elle me verra revenir sans avoir crit uneseule page, alors que je lui avais affirm que deux jours desolitude me suffiraient amplement pour en finir. Mais aussi,c'est un peu de sa faute si je suis parti ! Elle m'importunesouvent d'une trop grande sollicitude, venant continuellements'informer de ce que je fais et croyant utile de me donner desmanifestations de tendresse qui, ces moments-l, me

paraissent singulirement inopportunes.

C'est alors que je m'en vais de chez moi, comme pouss parune force invincible et que je m'en vais chercher n'importe oet de n'importe quelle faon un endroit o je puisse chapper

ses attentions !Souvent je me reproche ces mouvements d'impatience et jem'efforce d'tre moins irritable, moins agressif... Mais je suis

bien oblig de constater que ma bonne volont est vaine...


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Georgette doit certainement prouver du chagrin de mesbrusques sautes d'humeur. Elle a pourtant la force, oul'habilet, de n'en rien laisser voir.

En tout cas, il faut reconnatre qu'elle avait raison de vouloirme retenir, quand j'ai exprim hier mon intention de venir

passer deux jours dans cette maison. Elle me l'a dconseillavec une vivacit et une insistance toutes particulires... quin'ont fait d'ailleurs, je dois le reconnatre, qu'affirmer marsolution... Oui, c'est assez bte, mais certains jours, il m'esttotalement impossible de me dfendre d'un esprit decontradiction aussi inutile que mal venu... Mais Georgetteconnat bien ce travers de mon caractre et elle ne s'en froisse

pas... Mais alors... Mais alors.., puisqu'elle n'ignore pas quej'ai cette faiblesse et que, d'autre part, elle est extrmementfine, subtile et adroite, pourquoi, dans un cas comme celui-ci,me donne-t-elle prcisment l'occasion de la contradiction ?En somme, si elle avait voulu que je m'absente, elle n'aurait

pas agi autrement...

Non, dcidment, je suis stupide qu'est-ce que je vais encorechercher l ! Je trouve sans doute que je ne suis pas encoreassez nerveux, assez mal dispos et je m'amuse trouverd'autres prtextes de malaise et d'irritation. En vrit, c'estintelligent ! Ce n'est pas Georgette qui m'a suggr l'ide de

cette absence, c'est moi qui, spontanment, et sans que cette


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dcision ait t provoque par aucune discussion, ai dclarque je comptais partir. Alors ?

Alors, je sais bien que lorsqu'on se trouve dans unedisposition d'esprit aussi stupide que la mienne, l'on devraitaller se coucher, essayer de dormir, chercher par tous les

moyens de tomber dans une inconscience qui vous procureune trve, une accalmie...

Oh ! Cette maison ! Quelles pnibles impressions me fait-elle prouver ... Ces grandes pices immenses, avec des trousd'ombre de tous cts ! C'est d'une tristesse ! Et quand je

pense qu'il n'est que neuf heures et demie du soir et que j'ai

toute une longue nuit passer ici ! Il me semble que je nepourrai pas... Cette maison est pleine de craquementssinistres... chaque instant, je me retourne avec effarementen m'imaginant qu'il y a quelquun derrire moi... Je vais allerme coucher dans la chambre rose... Elle est plus petite... C'est

plus rassurant, une petite pice !

Je suis stupide... Il n'y a personne derrire moi... Personnene serait assez idiot pour avoir fait comme moi, tre venus'enterrer ici, quand on a un appartement confortable l-bas,o l'on serait si bien ! J'espre que cette aventure me servirade leon. Quand on ne peut pas travailler, il faut plutt enaccuser notre disposition naturelle et non point l'ambiance


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qui, le plus souvent, n'est pas responsable de notre incapacitmomentane au travail. Ce prtexte est celui des impuissantset des paresseux

Oh ! Et puis j'en ai assez de remuer mille et mille pensestoutes plus inutiles et plus vaines les unes que les autres ! Je

n'ai qu' me coucher et dormir. Peut-tre que demain matin jeserai moins impressionnable que ce soir ! Ce ne sera pasdifficile !

.

Dcidment, il n'y a rien faire ! Je me sens aussi incapable

de dormir que de travailler ! Eh bien, je suis frais ! Demain,je serai vann et mon travail, que je voulais avancersrieusement, ne pourra certainement pas tre achev...

J'ai presque envie de me rhabiller et d'aller la gare pied...Voyons, c'est stupide ! En pleine nuit, maladroit comme je lesuis d'une part pour m'orienter et, d'autre part, pour marcher

dans l'obscurit ! Je risque de me perdre et d'tre obligd'attendre dans un coin qu'il fasse jour. Comme latemprature est plutt froide, je serai en vrit bien avancC'est de l'enfantillage ! Je n'ai qu' rester tendutranquillement et le sommeil finira bien par venir !


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Louis Carbonnel en tait l de ses rflexions et il auraitvraiment pay trs cher pour tre soudain transport chez luiet pour ne point se trouver seul dans cette maison qui luisemblait lugubre et dans laquelle il avait l'impression que desembches taient dresses contre lui chaque pas. Il n'tait

pas cependant d'un naturel peureux et bien des fois, en

diffrentes circonstances, il avait pass la nuit seul dans cettemaison. Chaque fois, il y avait fort bien dormi et il n'avaitnullement t troubl par toutes les craintes superstitieuses,toutes les hantises qui l'envahissaient et qui le mettaient dansun tat d'agitation incroyable.

diffrentes reprises, il eut la vellit de se lever, des'habiller et de partir malgr tout. Mais chaque fois leraisonnement et la logique l'en empchaient.

Enfin, las de trembler au moindre craquement qui seproduisait dans le bois des meubles, las d'couter aveceffarement tel ou tel bruit qui lui paraissait inquitant, il

s'arma de tout son courage pour aller chercher son chien qu'ilavait laiss dans l'antichambre et il le fit venir auprs de lui.Comme cela, se dit-il, je serai plus tranquille et j'arriverai

peut-tre m'endormir.

Et de fait, soit que la prsence de l'animal le rassurt, soit quel'nervement et la fatigue aient eu raison de sa rsistance


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physique, il finit par tomber dans un sommeil lourd etprofond...

Peut-tre y avait-il une heure qu'il dormait, lorsque tout coup il fut comme projet violemment hors du sommeil danslequel il tait parvenu se rfugier. Il se dressa sur son sant

avec pouvante et tout en jetant des regards affols autour delui... Il alluma la bougie et crut voir, debout prs de son lit,une forme blanche et imprcise... Il se leva comme hallucinet la regarda fixement sans oser s'en approcher....

Il tait terrifi et pourtant il se disait qu'il devait tre le jouetd'une hallucination, s'efforant de se raisonner et de se

calmer...Mais tout coup, il regarda le chien qui se trouvait ct delui et qui donnait tous les signes de l'pouvante la plus visible!

Les poils hrisss, les yeux injects de sang, toute l'attitude

sur la dfensive, le chien regardait exactement dans la mmedirection que l'homme et n'osait pas plus que lui s'approcherde cette espce de fantme qui semblait prsent faire dessignes d'appel...

Louis Carbonnel atteignait les limites extrmes del'pouvante. Il ne lui restait mme plus la ressource de se dire


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qu'il tait le jouet d'une hallucination, puisque son chien taitdans le mme tat que lui et voyait, n'en pas douter, lamme chose que lui ! Il se rendit compte que si l'angoissedont il tait la proie se prolongeait, il allait devenir fou...

Alors, dans une espce de dfense instinctive, dans un

irrsistible dsir d'vasion, il s'habilla avec une rapiditeffarante, prit sa valise et sortit, suivi de son chien qui tait proprement parler aussi pouvant, aussi impressionn quelui.

L'homme et l'animal fuyaient perdument...

Sur cette route qu'il connaissait mal, en pleine nuit, LouisCarbonnel, le cur plein d'une angoisse abominable, sedirigeait comme il pouvait et marchait droit devant lui, entenant par la laisse son chien qui semblait s'loigner de lamaison sinistre avec la mme hte que lui-mme...

Ce fut par un hasard que l'on ne peut qualifier autrement que

de providentiel que, tout coup Louis Carbonnel vit s'arrtertout prs de lui deux automobilistes, qui, une lanterne lamain, consultaient un poteau indicateur. Il les supplia del'emmener la gare prochaine et ils y consentirent.

Il tait une heure du matin lorsque Louis Carbonnel arrivadevant sa demeure. Il tait un peu calm par le trajet en auto


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et en chemin de fer. Il avait d'ailleurs dormi dans le train avecun grand accablement.

Au moment d'ouvrir la porte de son appartement, il fut reprispar une singulire apprhension et c'est en tremblant qu'il mitla clef dans la serrure. Il entra. Tout paraissait en ordre et

l'aspect tranquille des lieux le rassura.Il n'en fut pas de mme de son chien qui, au contraire, donnales signes d'une grande inquitude ds qu'il fut entr dansl'appartement. Il flairait dans tous les coins avec une sorted'agitation fbrile et cette attitude trange de l'animal ranimasoudain les inquitudes du jeune homme.

Il ne voulut pas cependant appeler sa femme, de crainte de larveiller en sursaut et de l'effrayer. Il fit de la lumire dans lasalle manger, dans le salon, ainsi que dans la salle de bains,dont la porte communiquait avec la chambre coucher.

Cette porte tait ferme. Louis l'ouvrit avec prcaution,

pensant que la lumire provenant de la salle de bains etprojete dans la chambre suffirait rveiller la dormeuse.

Il n'en fut rien. Dans la chambre, aucun mouvement seproduisit. Une odeur bizarre seulement se dgageait.

Doucement, Louis appela :


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-

Georgette ! Georgette !

Nulle rponse ne lui parvint. Il entra alors dans la pice,tourna le commutateur et fut terroris de voir sa femmecouche sur le lit, la tte renverse en arrire, un tampon deouate sous le nez.

Il s'empressa vers elle, tandis que le chien, affol, lchait levisage et les mains de sa matresse.

En lui faisait respirer des sels, en lui faisant des applicationsd'eau froide sur le visage, Louis Carbonnel parvint ranimerGeorgette qui sortit de son sommeil accablant avec un air

d'hallucine...Peu peu, elle retrouva le sentiment de la ralit, rassemblases souvenirs et essaya de raconter ce qui s'tait pass...

- J'tais venue me coucher de bonne heure et j'tais entrain de lire dans mon lit... Soudain, j'entendis un bruit

dans l'appartement et je m'en tonnai, sachant qu'cette heure-l, Victoire, la bonne tait toujours partie...Je prtai l'oreille et soudain... oui, je me le rappellemaintenant... mes souvenirs se prcisent... oui, j'ai tterrifie en voyant entrer Victoire accompagne dedeux hommes. Tous les trois se sont prcipits sur moi,


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m'ont fait respirer du chloroforme... et... et puis, je nesais plus rien... Je ne me souviens plus...


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Louis voulut alors poser quelques questions sa femme,l'aider se souvenir; mais elle l'interrompit en disant :

- Non, je t'en prie, je t'en prie, ne dis rien... Laisse-moime rappeler... Oui, je sais que je me suis endormie sousle chloroforme... C'est trs curieux... J'ai naturellement

perdu connaissance, probablement pendant assezlongtemps, puisqu'il devait tre peine neuf heures etdemie quand ces bandits se sont introduits dansl'appartement... Puis, un moment donn, il m'asembl que je quittais mon corps, que mon doublesortait de moi-mme... Oui, oui, ne ris pas... C'est uneimpression que j'ai dj prouve... Tu sais bien que jet'avais racont un jour une chose semblable et tu t'taismoqu de moi... Je t'avais explique qu'il m'avait semblque je sortais de moi-mme et que mon esprit, monme, mon moi psychique... je ne sais pas... je neconnais pas les termes scientifiques... il me semblaitdonc que je suis partie ailleurs... oui, ailleurs... Je

voyais mon corps d'un peu plus haut... Eh bien ! cettefois-ci, il en fut de mme, mais il me semble que celadura beaucoup plus longtemps... J'ai vu mon corps au-dessous de moi-mme et il me semble que je sais que

j'ai voulu te prvenir, t'appeler mon secours...


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Georgette ferma les yeux, avec un air de contentiondouloureuse, comme si elle avait toutes les peines du monde se souvenir...

Puis enfin elle reprit, tandis que son mari la contemplait,boulevers :

Mais est-ce que tu ne t'tais pas couch de bonneheure, toi aussi ? Est-ce que tu n'avais pas occup lachambre rose, au lieu de prendre la chambre danslaquelle nous couchons habituellement quand nous

passons une nuit l-bas ? C'est curieux, j'ai l'impressionde t'avoir vu, couch dans la chambre rose...

Louis Carbonnel coutait sa femme, profondmentimpressionn, encore trop mu pour pouvoir prciser lesdiverses phases de cette nuit mystrieuse...

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