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Les fondations privées permettent parfois de prendre toute la mesure de démarches d’une indéniable cohérence et de comprendre toutes les subtilités de pratiques rarement exposées dans les institutions publiques. C’est actuellement le cas de la Fondation Salomon (créée en 2001) à Alex, près d’Annecy, qui consacre à Stéphane Couturier une rétrospective dense. L’ouverture se fait dans la chapelle avec trois photographies réalisées en 2005 et consacrées à Toyota. Immédiatement, le visiteur comprend que cet autodidacte ne se situe pas dans une pratique strictement documentaire mais cherche au contraire à explorer toutes les ambiguïtés de l’image photographique contemporaine. Dans un univers où la photo est sujette à toutes les manipulations, Stéphane Couturier s’ingénie à nous montrer justement ce qui d’ordinaire demeure caché. Il opère par le biais du montage, soit en construisant une image à partir de deux photographies, soit en imaginant des polyptyques Stéphane Couturier, Série Melting Point - Brasilia - Dom Bosco, 2008-2010, C-print, Ed. 5, 100 x 130 cm. © Stéphane Couturier. Courtesy Galerie Polaris, Paris SUITE DU TEXTE P. 2 NUMéRO 154 / MERCREDI 23 MAI 2012 / WWW.LEQUOTIDIENDELART.COM / 2 EUROS AGRÉMENT N°2001- 002 DU 25 OCTOBRE 2001 ART CONTEMPORAIN PARIS LES 29 ET 30 MAI 2012 EXPOSITION LES 24, 25, 26 & 28 MAI RENSEIGNEMENTS +33 1 53 05 53 61 CATALOGUE EN LIGNE SUR SOTHEBYS.COM NICOLAS DE STAëL COMPOSITION, 1947. 194 X 129 CM. ESTIMATION 700 000–1 000 000 € Les mondes hybrides de Stéphane Couturier PAR DAMIEN SAUSSET EXPOSITION EN ENTRÉE LIBRE Du lundi au samedi de 10h à 18h, le dimanche et les jours fériés de 14h à 18h. 20 rue de Poissy – 75005 Paris 01 53 10 74 44 www.collegedesbernardins.fr En partenariat avec Bouquet final 10 mai / 15 juillet 2012 COLLÈGE DES BERNARDINS © Blazy, ADAGP, courtesy ArtConcept - photo : Marc Domage Design : Sur Un Nuage - Christophe Zemmer

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Les fondations privées permettent parfois de prendre toute la mesure de démarches d’une indéniable cohérence et de comprendre toutes les subtilités de pratiques rarement exposées dans les institutions publiques. C’est actuellement le cas de la Fondation Salomon (créée en 2001) à Alex, près d’Annecy, qui consacre à Stéphane Couturier une rétrospective dense. L’ouverture se fait dans la chapelle avec trois photographies réalisées en 2005 et consacrées à Toyota. Immédiatement, le visiteur comprend que cet autodidacte ne se situe pas dans une pratique strictement documentaire mais cherche au contraire à explorer toutes les ambiguïtés de l’image photographique contemporaine. Dans un univers où la photo est sujette à toutes les manipulations, Stéphane Couturier s’ingénie à nous montrer justement ce qui d’ordinaire demeure caché. Il opère par le biais du montage, soit en construisant une image à partir de deux photographies, soit en imaginant des polyptyques

Stéphane Couturier, Série Melting Point - Brasilia - Dom Bosco, 2008-2010, C-print, Ed. 5, 100 x 130 cm. © Stéphane Couturier.

Courtesy Galerie Polaris, ParisSuite du texte p. 2

numéro 154 / mercredi 23 mai 2012 / www.lequotidiendelart.com / 2 euros

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NiCOl A s DE sTAël Composition, 1947. 194 x 129 CM . EsTiMATiON 700 000–1 000 000 €

les mondes hybrides de stéphane couturier

p a r d a m i e n s a u s s e t

EXPOSITION EN ENTRÉE LIBREDu lundi au samedi de 10h à 18h, le dimanche et les jours fériés de 14h à 18h.

20 rue de Poissy – 75005 Paris01 53 10 74 44www.collegedesbernardins.fr

En partenariat avecBouquet final10 mai / 15 juillet 2012

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le quotidien de l’art / numéro 154 / mercredi 23 mai 2012ACTUALITÉ

lui permettant d’inverser ou de fractionner les vues qu’il réalise à la chambre. Melting Point Toyota (2005) est à ce sujet exemplaire : la fusion de deux images brouille le motif, le rend presque abstrait.

Le réel y perd de sa stabilité. Le monde qu’il présente devient hybride, f luide, traversé de mille tensions. La suite peut dès lors se f a i r e p lu s d idac t i que , déployant un semblant de chronologie. Ainsi, la vaste salle du rez-de-chaussée montre l’ancrage au départ de ce t ravai l dans une réflexion sur l’architecture et les mutations de la ville contemporaine. Les cinq vues frontales de barres d’immeubles réalisées à Moscou ouvrent sur une ville générique, anonyme.

Ce sentiment se retrouve avec une force accrue dans Séoul Tanji (2003-2010), vidéo présentant un travelling infini sur des barres d’habitations soudain transformées en motif all-over. Plus loin, d’autres images, faussement documentaires, présentent des canevas urbains d’une rare complexité. Mais au sein de ce chaos, le cadrage réaffirme l’importance de certains modèles picturaux. L’échelle des tirages, souvent imposante, renforce le lien évident avec le format tableau. La photographie manipulée, transformée, mise en abyme, flotte entre deux états. Elle atteste d’une réalité - d’un fragment du monde - mais, dans le même temps, elle s’annonce comme pure surface où dialoguent des couleurs, des lignes de force. Cette tension possède indéniablement un caractère pédagogique : ce qui compte, c’est éduquer le regard pour le conduire à se méfier de ce

les mondes hybrides de stéphane couturierSuite du texte de une

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le quotidien de l’art--

Agence de presse et d’édition de l’art 61, rue du Faubourg saint-denis 75010 paris

* Contacts [email protected], [email protected], [email protected], [email protected], [email protected]

* éditeur : agence de presse et d’édition de l’art, sarl au capital social de 10 000 euros. 61, rue du Faubourg saint-denis, 75010 paris. rCs paris B 533 871 331

* CPPAP : 0314 W 91298 * www.lequotidiendelart.com : un site internet hébergé par serveur express, 8, rue Charles pathé à Vincennes (94300), tél. : 01.58.64.26.80

* Principaux actionnaires : mayeul Caire, nicolas Ferrand, Guillaume Houzé

* Directeur de la publication : nicolas Ferrand * Directeur de la rédaction : philippe régnier * Rédactrice en chef adjointe : roxana azimi * Marché de l’art :

alexandre Crochet * Expositions, Musées, Patrimoine : sarah Hugounenq

* contributeurs : Julie portier, damien sausset * Maquette : isabelle Foirest

* directrice commerciale : Judith Zucca * Conception graphique : ariane mendez * Site

internet : dévrig Viteau © ADAGP Paris 2012 pour les œuvres des adhérents --

qu’il perçoit. En témoigne l’une des œuvres finales de cette exposition : Usine Alstom n°2 (2009). Le tirage mélange un positif et un négatif. La fusion aboutie à un all-over abstrait d’où surgissent certaines informations, elles-mêmes brouillées par les contrastes de couleurs e t u n e c o m p o s i t i o n volontairement baroque. Au final, cette exposition t r ave r s é e d e que l que s œuvres expér imentales démontre combien cette pratique photographique e t v idéo ne se focal ise pas uniquement sur la prolifération des signes mais tente de construire un nouveau registre visuel, à la fois plus ouvert et plus à même de témoigner de l’hétérogénéité hallucinatoire de notre réel. ❚ Stéphane Couturier, photographie et vidéo, jusqu’au 3 juin

2012, Fondation pour l’art contemporain Claudine et Jean-Marc Salomon,

191, route du Château, 74290 Alex, tél. 04 50 02 87 52,

www.fondation-salomon.com.

Le réel y perd de sa stabilité. Le monde

qu’il présente devient hybride, fluide, traversé

de mille tensions. La suite peut

dès lors se faire plus didactique,

déployant un semblant de chronologie

Stéphane Couturier en dateS 1957 : Naissance à Neuilly-sur-Seine. 1994 : Exposition personnelle à la Galerie Polaris, Paris 1998 : Exposition personnelle au centre photographique d’Ile-de-France, Pontault-Combault 1999 : Exposition personnelle au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg. 2003 : Lauréat du Prix Niépce. 2004 : Exposition personnelle à la Bibliothèque Nationale de France, Paris 2006 : Exposition personnelle à Photo Biennale de Moscou. 2011 : Exposition personnelle à la Landesgalerie, Linz.

Stéphane Couturier, Série Melting Power - Usine Alstom - Belfort Photo n°2, 2009, C-print, 180 x 230 cm. © Stéphane Couturier.

Courtesy Galerie Polaris, Paris.

contactez le quotidien de l’artPublicitésValérie SucTél : (+33) 01.82.83.33.13Fax : (+33)[email protected]

PartenariatsJudith ZuccaTél : (+33) 01.82.83.33.14Fax : (+33)[email protected]

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brèves le quotidien de l’art / numéro 154 / mercredi 23 mai 2012

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Exposition du 7 avril au 22 juillet 2012

Shanghai !la tentation de l’occident

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Institut Culturel

Bordeaux

Les artistes de l’exposition Ai Weiwei, Gabriele Basilico, Chen Zhen, Alexander Gronsky, Huang Yong Ping, JR, Lu Chunsheng, MadeIn Company, Henri Matisse, Henri Michaux, Shen Yuan, Shi Yong, Pierre Soulages, Thomas Struth, Wang Guangyi, Andy Warhol, Yan Pei-Ming, Zao Wou-Ki, Zhang Huan, Zhang Jian-Jun

www.institut-bernard-magrez.com

Le Baltimore Museum of Art reçoit 21 œuvres de Morris LouisLa veuve du peintre Morris Louis (1912-1962) a concédé au Museum of Art de Baltimore, dans le Maryland, un don exceptionnel de 21 œuvres de son défunt mari, a annoncé l’institution le 17 mai. La donation comprend 2 peintures (Silver III, 1953 ; et Untitled 5-76, 1956) ainsi que 19 dessins à l’encre du représentant de la Washington Color School, mouvement qui émergea dans les années 1950 dans la capitale américaine. Les 21 pièces, exposées à partir de l’automne 2013, s’inscrivent dans une importante campagne philanthropique lancée en 2008, visant à enrichir les collections du musée et ayant déjà permis de réunir plus de 2 185 œuvres pour un montant total de 60 millions de dollars (près de 47 millions d’euros).

Faute de moyens, l’Italie enterre ses vestigesOnze ans après sa découverte, le site préhistorique de Nola, dans la région de Pompéi, en Italie, sera enterré, ont annoncé le 14 mai les autorités locales. Vieille de 4 000 ans, la « Pompéi de l’âge du Bronze » est aujourd’hui recouverte d’eaux boueuses dont le pompage est jugé trop coûteux pour la commune, préférant la solution de l’enterrement. Giacomo Stefanile, directeur des Biens Culturels de la commune de Campanie, dénonce « l’immobilisme de la région, du ministère et de la Surintendance des biens archéologiques ». En janvier dernier, un autre site archéologique de Campanie, le village de Poggiomarino, a été ré-enfoui.

Souscription populaire pour la restauration d’une église romaineLa Fondation du Patrimoine lance une souscription pour l’appel au mécénat populaire pour la restauration de l’église Saint-Yves des Bretons à Rome. Une convention de financement a été signée le 18 mai entre le R. P. Bernard Ardura, administrateur de la Fondation des Pieux Établissements de la France à Rome et à Lorette (fondation placée sous la tutelle de l’Ambassade de France auprès du Saint-Siège), et Jean-Pierre Ghuysen, délégué régional de la Fondation du Patrimoine Bretagne. À quelques pas de l’église Saint-Louis des Français, à laquelle il fut rattaché à la fin du XVIe siècle, le sanctuaire fut détruit à la fin du XIXe siècle avant d’être reconstruit avec des éléments composites. Neuf ans après la restauration de sa façade, les décors intérieurs nécessitent une intervention de sauvegarde. www.bretagne.fondation-patrimoine.org

La Fondation Hartung marque des pointsLe Tribunal de Grande Instance de Paris a décidé de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) afférente à l’exclusion des légataires au bénéfice du droit de suite, posée par les Fondation Hartung et Annette et Alberto Giacometti, mais ce pour la seule Fondation Hartung. Le Tribunal a toutefois prévu une audience expresse de renvoi, s’agissant de la Fondation Giacometti, dans l’attente de la décision de la Cour de cassation sur la QPC de la fondation Hartung. La Cour de cassation a trois mois pour statuer à compter du 14 mai.

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Le Centre Pompidou Mobile arrive à Boulogne-sur-MerAprès Chaumont e t Cambrai , le Centre Pompidou Mobile fera escale à Boulogne-sur-M e r ( P a s - d e -Calais) , sur le site de l’Éperon, du 16 ju in au 16 septembre. Le choix de ce lieu où se t rouva i t l’ancienne gare maritime, participe du projet de renouveau urbanistique de ce quartier destiné à devenir une vitrine du patrimoine naval local. En écho à cet événement, plusieurs manifestations patrimoniales sont prévues, à la fois dans le château-musée de la cité, la bibliothèque des Annonciades et au sein de la ville elle-même. Lancé en octobre 2011, le musée nomade poursuit son parcours autour du thème de la couleur, en présentant une quinzaine d’œuvres modernes et contemporaines.

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Croquis de Patrick Bouchain, projet Centre Pompidou mobile.

© Patrick Bouchain, 2011.

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Arnauld Brejon de Lavergnée quitte les GobelinsAprès neuf années passées à la direction des collections du Mobilier national, Arnauld Brejon de Lavergnée prend sa retraite à la fin du mois de mai. Christiane Naffah-Bayle, actuelle directrice scientifique du Centre des monuments nationaux, prendra sa succession. Ancienne directrice du Centre de recherche et de conservation des musées de France (C2RMF), elle devrait porter l’accent sur les problématiques de restauration des collections.

Bonnes surprises pour l’art japonais à LondresUn effrayant masque en fer japonais a été adjugé le 17 mai pour la somme de 121 250 livres sterling (150 000 euros) à Londres, pulvérisant l’estimation de 3 500-4 000 livres sterling et illuminant la vente d’art japonais de Bonhams. Ce masque aux vertus protectrices en forme de tengu, esprit empruntant l’aspect d’un oiseau, était utilisé jadis comme élément d’armure. C’est toutefois une coupe en émaux cloisonnés par Ando Jubei, de l’ère Meiji (1868-1912), qui a réalisé, à 145 250 livres sterling, le plus beau résultat de la vente, contre une estimation de 15 000-20 000 livres sterling.

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exposITIon le quotidien de l’art / numéro 154 / mercredi 23 mai 2012

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Glaciologue, météorologue, photographe, éditeur, producteur de cinéma, mécène, collectionneur d’art ou de trente-trois tours et bibliophile tout aussi boulimique, Andreas Züst est de ces oiseaux rares dont la découverte fait palpiter le cœur des ornithologues de l’art contemporain. Cette figure mythique et fondamentale de la scène artistique zurichoise des années 1970 à 2000 est pourtant méconnue en France où le Centre culturel suisse dévoile pour la première fois un échantillon de sa collection très singulière. Riche de plus de mille cinq cents œuvres, elle a été déposée au Kunsthaus d’Aarau après la mort de Züst en 2000, où le succès de sa première exposition en 2009 (1) présageait une diffusion de ce trésor hors des frontières de la Suisse alémanique. Grâce aux efforts de sa fille Mara, sa bibliothèque, comptant quelque douze mille livres, a quant à elle été rassemblée dans le petit village de St-Anton/Oberreg, dans le canton d’Appenzell, où elle est librement consultable, un souhait qui traduit la générosité assortie à cette époustouflante curiosité. Au cœur de l’exposition parisienne, est présenté un aperçu de cet ensemble comptant de nombreux catalogues d’expositions et livres d’artistes, mais encore des livres à propos des champignons, des révolutions, du jazz ou des aurores boréales, qui témoignent de l’étendue des centres d’intérêt de cet universaliste de l’ère postmoderne.

En trente ans, il a constitué des ensembles d’œuvres d’artistes majeurs tels Anton Bruhin (qui jouait de sa guimbarde électrique le soir du vernissage), Dieter Roth (auquel sera consacrée une salle à partir du 15 juin) ou David Weiss [disparu récemment] dont les saisissantes encres méditatives du début de son œuvre (jamais montrées après la constitution de son duo avec Peter Fischli) sont mises à l’honneur. Mais son flair l’a aussi orienté aux marges du champ de l’art où il s’est passionné pour l’art brut – dont les dessins de Louis Soutter sur son édition de Corinne ou l’Italie de Germaine de Staël est un incontestable chef-d’œuvre –, ou pour des identités artistiques inclassables à l’instar du philosophe, aventurier et émailleur Bertram – dont on découvre ici deux émouvantes peintures sur métal figurant des exploits d’alpinisme –, signe de son indifférence clairvoyante pour les frontières entre art savant, contre-culture ou culture populaire.

Dénicheur de talent, Züst a aussi été un entremetteur de la communauté artistique zurichoise, ainsi que son précieux documentariste, à en juger par sa galerie de portraits photographiques de « connaissances connues » qui donne une idée savoureuse de l’effervescence du micro-milieu zurichois. Offrant un unique champ d’étude sur cette scène artistique tournée vers l’Allemagne et les États-Unis plus que vers la Suisse romande, ce corpus dessine en creux d’authentiques histoires d’amitiés entre les artistes

et le collectionneur. Ces affinités électives se caractérisent tant par l’affirmation de la figuration contre l’hégémonie de l’art abstrait et concret des années 1960, que, semble-t-il, dans une certaine attitude face au monde, joyeusement épicurienne, méditant sur la légèreté de l’être et prêchant la dérision : une humeur qui se manifeste dans les scènes de genre légèrement décadentes de Marc-Antoine Fehr, l’ode à la jouissance dans la peinture naïve de l’américain William Nelson Copley, ou dans la nonchalance burlesque des personnages mis en scène par Fischli & Weiss. Leur salière et poivrière à l’effigie du binôme Ratte und Bär (le rat et l’ours) redouble d’ironie en adressant un clin d’œil complice à la passion matérialiste du collectionneur. Une douce critique de la banalité paraît ici s’énoncer dans le renouvellement de la figuration d’Alex Hanimann, ou encore chez Jean-Frédéric Schnyder où la mise à l’épreuve des codes du goût est aussi grisante que dans les natures mortes explosives de Walter Pfeiffer ou les paysages martiens d’Andreas Dobler (datant des années 1990 et à côté desquels l’actuel « revival » de l’esthétique new age fait pâle figure). Singulièrement sympathique est encore l’ambiguïté entre la célébration et la critique de la culture populaire qui s’exprime ici, par exemple dans la mine affligée du Mickey en plâtre de Peter Volkart ou les caricatures miniaturisées des Rolling Stones par Dorothy Iannone. ❚(1) Cf. Catalogue Memorizer. Der Sammler Andreas Züst, éd. Scheidegger & Spiess, 2009.MétéorologieS MentaleS, œuvreS et livreS de la

ColleCtion andreaS ZüSt, jusqu’au 15 juillet, Centre culturel suisse,

32, rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris, tél. 01 42 71 95 70,

www.ccsparis.com

trésor zürichoisp a r J u l i e p o r t i e r

Peter Fischli & David Weiss, Ratte und Bär, 1981, Aargauer Kunsthaus Aarau / Dépôt de la collection Andreas Züst. Photo : David Aebi.

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dÉCodAge le quotidien de l’art / numéro 154 / mercredi 23 mai 2012

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Sous le titre « Toutankhamon, ses trésors, son tombeau », le parc des expositions de la porte de Versailles propose une reconstitution de la tombe du pharaon de la XVIIIe dynastie (1345-1323 avant notre ère). Mais aucune des 1 000 pièces présentées n’est authentique. Bien que l’exposition relève d’avantage de l ’attract ion que de l’étude scientifique, elle a le mérite de soulever la question de la légitimité de la copie d’œuvres. Peut-on laisser les répliques s’immiscer dans les expositions d’art, et donc plus largement dans les musées, sanctuaires de l’authenticité ?

La monumentalité de certaines pièces, ou la valeur des orfèvreries rendaient semble-t-il impossible leur déplacement. « À partir du moment où nous choisissons de montrer des répliques, nous ne pouvions pas mélanger copies et originaux, auquel cas le visiteur ne s’y retrouve pas. C’était le seul moyen de rendre compte totalement de la tombe », explique Florence Maruéjol, une des commissaires de l’exposition. Mais le pari ne s’est pas arrêté là. Loin d’être fidèles à l’état actuel des œuvres, les copies se sont attachées à restituer les objets dans leurs aspects d’origine, selon des techniques

et matériaux modernes. « Nous ne pouvions pas faire de moulages des pièces authentiques, non seulement p o u r d e s p r o b l è m e s d e conservation mais aussi parce que le musée du Caire ne laisse pas l’accès libre aux pièces. Nous avons donc eu recours à des mesures ultra-précises, dont celles effectuées par Howard Carter [découvreur de la tombe en 1922], de la documentation, d e s pho t o g raph i e s e t à l’observation pour rendre les objets tels qu’ils étaient à

l’époque de l’Égypte ancienne », poursuit la commissaire.Bien qu’acceptable d’un point de vue pédagogique,

la réplique échoue sur un point majeur : elle annihile l’émotion due à la part de spontanéité et d’aléatoire présent dans chaque œuvre d’art. « Le musée est là pour présenter des œuvres originales, procurant au public une sensation. Il est dommage de construire une exposition

à partir de fac-similés, d’autant plus qu’aujourd’hui les nouvelles technologies nous offrent la possibilité d’accéder autrement aux œuvres », commente Christophe Vital, président de l’association générale des conservateurs des collections publiques de France. Et d’ajouter : « il ne s’agit pas de faire une condamnation systématique. Certains cas particuliers, pour des questions de conservation préventive, peuvent être légitimes. Mais la copie doit rester exceptionnelle, et en aucun cas elle ne doit être liée à un problème de coût ».

La question se pose différemment dans le domaine de l’art contemporain. L’exposition « Néon », qui s’est achevée le 20 mai à la Maison Rouge, à Paris, avait fait appel à quelques rares « exhibition copy », comme les néons de Bruce Nauman, pour des raisons de fragilité. Sous la supervision de l’artiste, les répliques ont été commandées au « néoniste » qui a conçu l’œuvre originale. « Dans la réalisation mécanique d’un objet standard au gabarit spécifique comme celle d’un néon, l’exhibition copy propose une facture originale. Nous arrivons à quelque chose de quasi parfait dans le respect des exigences de l’artiste. Nous produisons à nouveau une œuvre, plus qu’une réplique. Dans le cas de l’art ancien, on essaie de reproduire une technique, et on aboutit à un objet qui ressemble. C’est autre chose », confie David Rosenberg, commissaire de l’exposition « Néon ». ❚toutankhaMon, Son toMbeau et SeS tréSorS, jusqu’au

1er septembre, Paris Expo Porte de Versailles, Pavillon 8, Porte de Versailles,

75015 Paris.

l’œuvre d’art revoit sa copiep a r s a r a H H u G o u n e n q

Vue d’une salle de l’exposition « Toutankhamon, sa tombe et ses trésors » à Paris Expo, où l’ensemble des pièces présentées

sont des fac-similés. © D. R.

« À partir du moment où nous

choisissons de montrer des

répliques, nous ne pouvions pas

mélanger copies et originaux, auquel

cas le visiteur ne s’y retrouve pas. C’était

le seul moyen de rendre compte

totalement de la tombe »

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venTes pUbLIqUes le quotidien de l’art / numéro 154 / mercredi 23 mai 2012

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L’Hôtel Drouot met la photographie à l’honneur cette semaine. Demain jeudi, la SVV Yann Le Mouel proposera un ensemble de 306 lots pour une estimation basse de 550 000 euros. Quelques jours après la vente décevante de Sotheby’s le 15 mai à Paris, en raison d’estimations trop élevées, elle met un point d’honneur à afficher des évaluations attractives. Plusieurs raretés se distinguent au sein de la vacation. Parmi elles figure un intriguant portrait anonyme de la marquise Casati, vers 1925 (est. 5 000-6 000 euros), célèbre égérie de nombreux artistes. Man Ray la photographia plusieurs fois, entre autres comme dans un état hallucinatoire avec trois paires d’yeux, en 1922. Grande amatrice des sciences occultes, elle se plaisait à porter un serpent vivant autour du cou en guise de collier. « Il s’agit peut-être d’une photographie qui lui a personnellement appartenu », avance Viviane Esders, expert de la vente. Selon elle, il passe en ventes à Paris très peu d’images de Julia Margaret Cameron (1815-1879), l’une des pionnières de la photographie, contrairement à Londres. La vente en propose deux, un portrait de Mary Hillier et Keown (est. 9 000-10 000 euros) et un autre de Mary Hillier, sa femme de chambre et modèle préféré, seule cette fois (est. 7 000-9 000 euros). Cameron était proche du préraphaélite Dante Gabriel Rossetti. Par ailleurs, on trouvera un exemplaire du fameux portfolio de dix héliogravures originales Électricité de 1931, par Man Ray. « Il en reste peu en très bon état. Celui-ci a appartenu depuis les années 1930 à un cadre de la future EDF, c’est sa fille qui le met en vente », commente Viviane Esders. Enfin, d’Irving Penn, on note un amusant portrait de Giorgio de Chirico pris à Rome en 1944, tirage argentique de 1960, où l’artiste apparaît ceint d’une couronne de lauriers (est. 4 000-6 000 euros).

La photographie du XIXe siècle suscite toujours de

l’engouement. Le lendemain, vendredi, Piasa lui consacre une large section de sa vente de 279 lots estimés au moins 350 000 euros. Le plus important en valeur est un étonnant Portrait de femme réalisé vers 1850 par Louis Adolphe Humbert de Molard, membre fondateur de la Société française de photographie en 1854. Cette épreuve sur papier salé (est. 18 000-25 000 euros) se distingue par un étonnant collage. Une main gauche décollée figure en marge de l’épreuve : le photographe a apparemment remplacé les mains de cette femme d’aspect austère par d’autres, plus menues. Un lifting Photoshop avant l’heure ? ❚photographieS, jeudi 24 mai à 14 h, Yann Le Mouel,

tél. 01 47 70 86 36, www.yannlemouel.com ; vendredi 25 mai à 14 h,

Piasa, tél. 01 53 34 10 10, www.piasa.fr, toutes deux à Drouot,

9, rue Drouot, 75009 Paris.

L’esprit Art déco de l’entre-deux-guerres imprègne la vente de Pescheteau-Badin prévue à Drouot vendredi, du moins pour ses deux plus beaux lots. Un Perdreau en bronze à patine rouge par François Pompon, épreuve du vivant de l’artiste, vers 1925, d’un modèle créé un an plus tôt, devrait atteindre un bon prix (est. 30 000-40 000 euros). Il s’agit d’une fonte Valsuani à la cire perdue. On connaît, d’après la spécialiste Liliane Colas, quarante exemplaires de cette édition, dont un se trouve au musée d’Orsay. L’autre morceau de bravoure de la vacation est une scène de Joueurs de polo à Misgar (Pamir), par Alexandre Jacovleff, le brillant peintre officiel de

la « Croisière jaune » de Citroën, huile exécutée lors de ce périple au long cours en 1933. Elle est estimée de 60 000 à 80 000 euros. ❚art Moderne, artS

déCoratifS du xxe SièCle,

vendredi 25 mai à 14 h, Pescheteau-

Badin, Drouot, 9, rue Drouot

75009 Paris, tél. 01 47 70 50 90,

www.pescheteau-badin.com

drôles de damesp a r a l e x a n d r e C r o C H e t

Grands noms de l’art décop a r a l e x a n d r e C r o C H e t

Anonyme, La Marquise Casati, 1925, tirage argentique contretype d’époque retouché dans le négatif,

12,1 x 8,9 cm. Estimé 5 000-6 000 euros. Yann Le Mouel,

le 24 mai. © Yann Le Mouel.

François Pompon, Perdreau rouge, bronze. Estimé 30 000-40 000 euros.

Pescheteau-Badin, le 25 mai.

© Pescheteau-Badin.

Louis Adolphe Humbert de Molard (1800-1874), Portrait de femme, vers 1850, épreuve d’époque sur

papier salé, 24,5 x 18,5 cm. Estimée 18 000-25 000 euros.

Piasa, le 25 mai. © Piasa.

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le quotidien de l’art / numéro 154 / mercredi 23 mai 2012LIvres

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« Ce journal sera vraiment utile pour moi s’il peut donner

un compte rendu relativement précis du travail que je fais et des raisons pour lesquelles je pense le faire », notait Keith Haring en 1979. Enfin publié en français, s o n j o u r n a l m é l a n ge considérations artistiques et histoires amusantes sur le monde de l’art. Dans un style sans fioriture, Keith Haring raconte également toute l’aventure de l’art américain, plus particulièrement new-yorkais entre 1977 à 1989. Passionnant à bien des points de vue. ❚ damien saussetkeith haring : Journal, éd Flammarion, 424 p., 123 ill., 26 euros.

Keith Haring au jour le jour

Photos voléesVoilà un titre qui résume parfaitement le travail de Miroslav Tichy (1926-2011) : L’homme à la mauvaise c améra . L’ a r t i s t e tchèque fabriquait à partir de bouts de ficelles et de cartons d ’ i m p r o b a b l e s appareils photo dont il se servait par la suite pour voler quelques images de femmes en maillot de bain ou des scènes bucoliques dans les parcs de Kyjov, sa ville natale. Repérée dès 2004 par Harald Szeemann, exposée en 2008 au Centre Pompidou, cette œuvre bénéficie enfin d’une publication. On y retrouve ses images floues mais qui dégagent une poésie étrange par la manière dont elles célèbrent la beauté féminine sur un mode nostalgique. ❚ d. s.MiroSlav tiChy, l’hoMMe à la MauvaiSe CaMéra,

ed. Artvox/Janninck, 64 p., 42 ill., 25 euros

Le graphisme en cent chapitresVoilà un ouvrage fort utile. 100 idées qui ont transformé le Graphisme permet une traversée d ’ u n s i è c l e d e l a discipline. Mais au lieu de se concentrer sur une étude chronologique, cet ouvrage richement illustré se divise en cent chapitres fort différents. Si certains se focalisent sur des techniques de c o mp o s i t i o n s ( t e l s « écritures tatouées », « diagonales dynamiques »), d’autres s’attachent à cerner certains thèmes comme « archétypes féminins », « têtes sans corps » ou encore « briser les tabous sexuels ». Les textes courts mais fort riches en informations se lisent avec bonheur et nous éclairent sur les grandes étapes de la publicité. ❚ d. s.100 idéeS qui ont tranSforMé le graphiSMe, éd. du Seuil,

216 p., 416 ill., 29 euros.

Les incollables sur MatisseLes collages de Matisse restent l’un des sujets fétiches de l’histoire de l’art et cela depuis 1965, année où Aragon consacrait à ce sujet quelques lignes magnifiques d’intelligence. Pourtant, l’ouvrage de Citadelles & Mazenod se distingue sur deux points essentiels. En premier lieu, l’iconographie très riche (et souvent inédite) documente la plupart des réalisations de Matisse en ce domaine. Mais cette abondance visuelle ne serait rien sans la pertinence des textes critiques de Sylvie Forestier et Marie-Thérèse Pulvenis de Seligny. Ils mettent en évidence la démonstration de Matisse - lier dans un même mouvement dessin et couleur -, qui trouve sa source bien des années plus tôt dans sa pratique picturale. De ce fait, le collage lui permet vers la fin de sa vie de créer de nouveaux rapports entre masse et espace, entre motifs et couleurs, aboutissant finalement à ce chef-d’œuvre qu’est la chapelle du Rosaire des dominicaines de Vence. ❚ d. s.Sylvie foreStier et Marie-thérèSe pulveniS de Seligny,

MatiSSe, le Ciel déCoupé, éd. Citadelles & Mazenod, 232 p., 165 ill.,

59 euros.

Sylvie Forestier Marie-Thérèse Pulvenis de Sel igny

Le ciel découpé

Les papiers gouachés découpés

matisse