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N o 45 14 É D U C A T I O N Par Moncef Guitouni PDG, Centre de psychologie préventive et de développement humain 1 de nombreuses approches ré- éducatives ou psychopéda- gogiques essaient de cerner les difficultés d'apprentissage des élèves par des études cen- trées davantage sur l'aspect cognitif comme élément de base visant à permettre à l'en- fant d’apprendre. Toutefois, on peut s'interro- ger sur ce type d'approche qui semble ne tenir compte que de la dimension cognitive et pas suffisamment de ce que vit l'enfant au plan émotion- nel. Or, depuis les 30 der- nières années, cette dimen- sion émotionnelle est de plus en plus étudiée et prise en considération lorsqu'il s'agit de trouver des approches ou méthodes qui favorisent le développement du plein po- tentiel des enfants et des ado- lescents ayant ou non des dif- ficultés (Côté, 2002; Lafortune et St-Pierre, 1994; Lafortune, dou din, Pons et Hancock, 2004; Normand-Guérette, 2012; Pharand, 2003). Au cours des années 1970, malgré l'ampleur et la quan- tité des travaux, il était dif- ficile de parler de résultats concluants et encourageants qui auraient laissé croire que ces méthodes répondaient de façon précise aux attentes. Il y avait même beaucoup d'édu- cateurs et d'enseignants qui leur reprochaient leur manque de pertinence et la faiblesse de leurs résultats. Certains auteurs, comme Lobrot (1975) allaient même jusqu'à dire que la rééducation est à 90 % inutile et même nuisible. d'autres, moins sévères, tel Noël (1976), mentionnaient tout de même que sur les plans lexical et orthographique, les résultats de rééducation de- meuraient généralement mo- destes. Ainsi, à la fin des an- nées 70, on considérait que les méthodes de rééducation apportaient peu d'améliora- tion. Cela, nous disait Van Grunderbeeck (1980), devrait déclencher la sonnette d'alarme dans la tête de tous les pédagogues et orthopé- dagogues. Il paraît hasardeux de condam- ner ces approches sans se de- mander quelle part de res- ponsabilité peut avoir le pé- dagogue dans l'échec ou dans les résultats peu probants des élèves. Comme il est difficile d'attaquer ou de critiquer sans preuve formelle de la faiblesse d’une démarche ou de sa mise en application, il est plus ren- table de se concentrer sur la recherche de données sup- plémentaires qui pourraient apporter un certain éclairage et aider, d'une manière ou d'une autre, à améliorer les connaissances ainsi que l’im- Résumé L'interférence émotionnelle est un phénomène qui nuit à l'apprentissage des jeunes. Comment se manifeste-t-elle? Quels sont les facteurs qui peuvent la provoquer et quelles en sont les conséquences ? Comment intervenir pour la prévenir? Cet article apporte des éléments de réponse dans le but d’aider les jeunes à atteindre un équilibre émotionnel et à actualiser leur potentiel d'apprentissage. CRÉDIT PHOTO : PIXABAY

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Par

Moncef

Guitouni

PDG,

Centre de

psychologie

préventive

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développement

humain1

de nombreuses approches ré-éducatives ou psychopéda-gogiques essaient de cernerles difficultés d'apprentissagedes élèves par des études cen-trées davantage sur l'aspectcognitif comme élément debase visant à permettre à l'en-fant d’apprendre.

Toutefois, on peut s'interro-ger sur ce type d'approche quisemble ne tenir compte quede la dimension cognitive etpas suffisamment de ce quevit l'enfant au plan émotion-nel . Or, depuis les 30 der-nières années, cette dimen-sion émotionnelle est de plusen plus étudiée et prise enconsidération lorsqu'il s'agitde trouver des approches ouméthodes qui favorisent ledéveloppement du plein po-tentiel des enfants et des ado-lescents ayant ou non des dif-ficultés (Côté, 2002; Lafortuneet St-pierre, 1994; Lafortune,

doudin, pons et Hancock,2004; Normand-Guéret te ,2012; pharand, 2003).

Au cours des années 1970,malgré l'ampleur et la quan-tité des travaux, il était dif-ficile de parler de résultatsconcluants et encourageantsqui auraient laissé croire queces méthodes répondaient defaçon précise aux attentes. Ily avait même beaucoup d'édu-cateurs et d'enseignants quileur reprochaient leur manquede pertinence et la faiblessede leurs résultats. Certainsauteurs, comme Lobrot (1975)allaient même jusqu'à direque la rééducation est à 90 %inu t i l e e t même nu i s ib le .d'autres, moins sévères, telNoël (1976), mentionnaienttout de même que sur les planslexical et orthographique, lesrésultats de rééducation de-meuraient généralement mo-destes. Ainsi, à la fin des an-

nées 70, on considérait queles méthodes de rééducationapportaient peu d'améliora-tion. Cela, nous disait VanGrunderbeeck (1980), devraitd é c l e n c h e r l a s o n n e t t ed'alarme dans la tête de tousles pédagogues et orthopé-dagogues.

Il paraît hasardeux de condam-ner ces approches sans se de-mander quelle part de res-ponsabilité peut avoir le pé-dagogue dans l'échec ou dansles résultats peu probants desélèves. Comme il est difficiled'attaquer ou de critiquer sanspreuve formelle de la faiblessed’une démarche ou de sa miseen application, il est plus ren-table de se concentrer sur larecherche de données sup-plémentaires qui pourraientapporter un certain éclairageet aider, d 'une manière oud'une autre, à améliorer lesconnaissances ainsi que l’im-

Résumé

L'interférence émotionnelle est un phénomène qui nuit à l'apprentissage des jeunes.Comment se manifeste-t-elle? Quels sont les facteurs qui peuvent la provoquer etquelles en sont les conséquences ? Comment intervenir pour la prévenir? Cet articleapporte des éléments de réponse dans le but d’aider les jeunes à atteindre unéquilibre émotionnel et à actualiser leur potentiel d'apprentissage.

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L’interférence de l’émotionnel sur les capacités d’apprentissagepact des approches de réédu-cation. Tout cela dans le butd’apporter à celui qui utiliseces approches, des élémentscomplémentaires qui l’aidentà prendre conscience de l’im-portance de la disponibilitédu jeune à recevoir les mes-sages qui lui sont transmis(Guitouni et Brissette, 2000;Normand-Guérette, 2012).C'est dans ce contexte quenous traiterons de la théma-tique de l'interférence émo-tionnelle. Notre réflexion seveut donc un complément pourcontribuer à l'effort collectifdes éducateurs et des spécia-listes en vue d'aider l'enfantà vivre certaines réussites et,si possible, à améliorer sonrendement.

L’intelligence et l’émotion

Longtemps, l'intelligence aété comprise e t expl iquéecomme un facteur en grandepartie inné et de ce fait, cer-taines personnes éprouvantdes troubles d'apprentissageétaient perçues comme man-quant d'intelligence. En ef-fet, nous avions tendance àréduire l'intelligence à l'in-tellect, c'est-à-dire à la seulef a c u l t é d e « s a i s i r d e sconcepts » (Merlet, 2006).Malheureusement , un bonnombre continue à confondreces deux notions (intelligenceet intellect), même si des spé-cialistes précisent que l’in-tellect ne peut rendre comptede l'intelligence, puisque l'in-telligence est un ensemble quiinclut la mémoire, la com-préhension, l'analyse, la dé-f i n i t i on e t l a pe r cep t i on .Gardner (1996) identifie septformes d'intelligence : logico-m a t h é m a t i q u e , v e r b a l e ,musicale, spatiale, kinésique,

interpersonnelle et intraper-sonnelle. pour sa part, Gillet(voir Legendre, 2005) consi-dère que l'intelligence inclutles éléments suivants : l'in-duct ion, le ra isonnement ,l'analogie, l'intuition, la ré-solution de problèmes et lacréativité. Tout cela fait doncpartie de l'intelligence. éga-lement, il ne faudrait pas ou-blier de tenir compte des ap-titudes, car chacun peut ten-ter de développer son intel-ligence à sa manière suivantl'intérêt qu'il porte aux évé-nements ou s’investir danstelle ou telle connaissance ouhabileté à travers laquelle savolonté de puissance2 peut ti-rer profit .

Toutefois, certains jeunes ré-sisteront, complètement ouen partie, à tous les appren-tissages qu’on leur proposeà cause d’un mécanisme dé-veloppé consciemment ounon, dans leur structure men-tale, par tout un amalgame depoussées émotives. Ces émo-tions se situent au niveau dela réaction, de la préserva-tion, du refus ou de la fer-meture et peuvent découlerde l’insécurité, de la trahi-son, de la jalousie ou de don-nées de rêverie et de senti-mentalité. Nous sommes doncen face de jeunes qui répon-dent ou non à certains critères.

dans ces deux cas, le pro-blème ne découle pas d’unedifficulté d’apprentissage,c’est plutôt la conséquencede variables complètementétrangères à l’apprentissage,variables véhiculant des émo-tions qui peuvent motiver oudémotiver l’enfant. C’est cequi laissait dire à piaget, bienque spécialiste des structurescognitives, mais conscient durôle primordial de l’affectif,que:« […] pour quel’intelligence fonctionne,il faut un moteur qui estaffectif. Jamais on necherchera à résoudre unproblème si le problèmene vous intéresse pas.L’intérêt, la motivationaffective, c’est le mobilede tout » (voir Bringuier,1977, p. 80).

L’importance, au niveau del’apprentissage, c’est d’allerdécouvrir ou localiser ces va-riables qui motivent ou dé-motivent. de la sorte, il se-rait possible d’améliorer lacapacité de celui qui est dé-motivé, si nous pouvons trou-ver la démarche adéquate pourqu’il fasse converger ses ef-forts et qu’il s’intéresse à nou-veau à ce qui lui est proposé.pour celui qui est motivé, ilfaut aussi prendre consciencedes variables motivantes afinde savoir comment les ali-menter et éviter que, incons-ciemment ou par erreur tac-tique, nous les agressions, cequi pourrait créer un certainblocage dans cette motiva-tion et faire surgir en lui-mêmeun obstacle à la continuité del’action. d’ailleurs, le pro-blème de l’interférence émo-tionnelle et de son impact sur

Le problème del’interférence

émotionnelle résidesouvent dans le fait

que l’élémentdéclencheur est

invisible.

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l’apprentissage réside sou-vent dans le fait que l’élémentdéclencheur est invisible etdifficile à percevoir à la foispour l’enfant et pour l’édu-cateur, car il est loin de la rai-son, loin de la logique et n’arien à voir avec le rationnel.À ce propos, Meyerson (1925)disait : « La raison n’a qu’un seulmoyen d’expliquer ce quine vient pas d’elle, c’estde le réduire au néant. »

L’interférence émotion-nelle et ses facteurs

Ce n’est donc pas par le biaisde la raison ou de la cogni-tion que nous abordons ce su-jet, mais plutôt sous l’anglede la dimension émotionnelle.L’interférence émotionnelleest un mécanisme qui se dé-clenche à l’improviste et quisurgit ou s’installe à chaquefois que, par mégarde ou parresponsabilité dans sa tâche,l’enseignant touche sans levouloir ou sans le savoir auxstimuli qui alimentent la ré-action émotionnelle et qui,

par le fait même, provoquel’interférence dans le méca-nisme psychique de l’élève.Certains s’interrogeront surla définition de l’interférenceémotionnelle, mais il nous afallu des années de travail etde réflexion, non pas pourcerner la question d’une ma-nière définitive, mais pouracquérir une connaissancesuffisante du phénomène ety apporter notre contribution.Nos travaux nous ont amenésà identifier huit facteurs quiconstituent des déclencheursde l’interférence émotion-nelle. Ils sont présentés dansle tableau 1.

Le stress et la disponibilité à apprendre

Ces différents facteurs contri-buent à instaurer chez l’en-fant un stress qui, en plus dece qui a été cité précédem-ment, va gruger ses énergiesvitales par une diffusion conti-nuelle dans son organismedes hormones générées par lestress. de ce fait, nous voilà

devant un nouveau facteur àconsidérer, car si l’enfant su-bit des stress intenses ou fré-quents, l’affaiblissement gé-néral de son état physique etpsychique sera plus ou moinsimportant selon le taux d’hor-mones de stress diffusées dansson système. dans certainscas, c’est à ce moment que ladégradation de l’état de l’en-fant devient manifeste. Aussipour ne pas atteindre cet état,il est important d’identifierles variables qui provoquentl’interférence émotionnelle,et à partir de là, de travailler,dans la démarche éducative,à diminuer ou à atténuer lesconséquences de ces variables.Cela donnera la chance à l’en-fant de ne pas aller vers unetrop forte détérioration de sonétat qui pourrait le mener àune incapacité totale d’ap-prendre et par la suite, à unedéficience ou une mésadap-tation sévère.

Après avoir souligné l’im-portance d’aider l’enfant àdiminuer son stress, il convientde prendre en considérationles éléments qui peuvent lui

L’interférence de l’émotionnel sur les capacités d’apprentissage

TABLEAU 1Facteurs à l’origine de l’interférence émotionnelle

Ce facteur comprend tout le domaine des influences fœtales, des prédispositions et des cir-constances de la naissance de l’enfant. De plus, entrent en ligne de compte la force et lescapacités physiques et mentales de l’enfant en raison de la nutrition, de l’ambiance danslaquelle il a été conçu et porté, dans laquelle il est né, ainsi que la qualité de son bagagegénétique. En quoi cet aspect est-il important? Il permet d’identifier des zones de force etde faiblesse chez l’enfant. Par contre, ayant des réticences sérieuses à limiter l’enfant àdes caractéristiques innées et irréversibles, il apparaît préférable de parler des prédispo-sitions et de l’influence fœtale. Cela permet de garder espoir et confiance, puisque de cepoint de vue, il est possible de croire qu’avec l’effort nécessaire et adéquat de renforce-ment de la santé mentale et physique de l’enfant, il y aura un certain niveau de diminu-tion de la faiblesse qui provoque son insécurité.________________________________________________________________________

Ce facteur est assez bien connu et les auteurs s’entendent généralement pour l’associer àla disponibilité des parents, à l’affection accordée à l’enfant, à la qualité de la relation(Stassen Berger et Bureau, 2010).

1.L'insécurité

2.L'insécuritéaffective

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Ce facteur entre aussi dans le cadre de l’insécurité et de l’insécurité affective, mais englo-bant également dans son mécanisme tout l’aspect de la compétition, de la jalousie et de laplace où se voit l’enfant à l’intérieur de son milieu immédiat. Souvent, pour ne pas subir,pour ne pas présenter des caractéristiques non conformes à la normalité, l’enfant va vivreen conformité avec les exigences de son milieu et développer en parallèle un état d’étouf-fement dans lequel il aura de la difficulté à se contrôler. Il choisit de se conformer parce qu’ilsait qu’en vertu de la normalité il peut être rejeté, marginalisé ou puni, ou encore parce quel’expérience lui a appris que démontrer sa possessivité ou une certaine agressivité ou quelaisser libre cours à sa volonté de puissance peut lui attirer des punitions. Mais dans cet étatd’étouffement, il éprouve de la difficulté à se contrôler. À ce sujet, Lefcourt (voir Grover,1981) rapporte que l’expérience lui a permis « de se rendre compte que le fait d’étiqueterun enfant ayant une difficulté d’apprentissage risque d’exacerber son sentiment d’impuis-sance plutôt que d’accroître son sentiment de responsabilité et de contrôle. L’étiquette sup-pose que ses difficultés sont liées à quelque chose sur lequel il a peu de contrôle, sinon au-cun. On peut apprendre à être impuissant. Selon Seligman (voir Grover, 1981), bon nombrede supposées difficultés d’apprentissage peuvent, en fait, être dues à une impuissanceapprise » 3 (p. 23)._________________________________________________________________________

Le vouloir être correspond à tout ce qui concerne le désir de prouver ou de briller, d’être lepremier, de ne pas perdre sa place, d’attirer l’attention ou d’être vu comme le meilleur, l’ap-précié et l’aimé. Ce désir se heurte au fait que, malgré tout cela, on n’est rien de plus qu’unparmi d’autres ou le perdant dans un sens ou dans un autre. Même dans un contexte où lapersonne est gagnante, sa peur de perdre peut être forte à tel point que son état émotion-nel en soit perturbé._________________________________________________________________________

Ce facteur est lié à la place qu'une personne obtient ou qui lui est refusée dans la société(position sociale) et dans le milieu dans lequel elle vit, et ce, en fonction de la normalité etdes valeurs véhiculées dans la vie des adultes. Les jeunes peuvent répondre ou non à cescritères par rapport auxquels ils ont de la difficulté à se situer, sans compter aussi l’incohé-rence de l’adulte et la difficulté de l’enfant à saisir ce que l’adulte veut réellement. Cet en-semble d’éléments entraîne une forme de dissonance dans la relation interpersonnelle entrejeunes et adultes, ce qui engendre une instabilité et empêche la continuité d’une vie sécu-risante pour l’enfant._________________________________________________________________________

Les besoins à satisfaire peuvent fréquemment aller à l’encontre des règles. Par exemple, unenfant qui se veut libre et indépendant et qui doit se plier à la discipline et à une conformitéd’action risque d’être perçu par ceux qui l’éduquent, comme étant désagréable ou antipa-thique et indirectement il subira le rejet, si ce n’est le mépris._________________________________________________________________________

L’environnement doit être pris en compte, d’autant plus que l’éducation dans les famillescomme dans les écoles est axée sur la connaissance et la capacité de l’enfant à s’insérerdans le milieu dans lequel il vit. Or, il arrive que des adultes soient plus intéressés à bour-rer le cerveau des enfants d’informations ou même à leur imposer des façons d’agir qu’àleur donner la chance de connaître, de découvrir et d’apprendre à vivre dans leur environ-nement._________________________________________________________________________

La relation enfant-éducateur fait appel, d’une part, à tout le bagage que l’enfant a en lui-même et qu’il peut projeter dans ses relations avec l’éducateur et, d’autre part, aux disso-nances (entre le rationnel et l'émotionnel) vécues par l’éducateur. Ces dissonances provo-quent et créent souvent chez ce dernier des conflits qu’il a de la difficulté à maîtriser, carceux-ci demeurent généralement camouflés derrière son sens de la responsabilité, son sta-tut social, le programme à enseigner, la discipline à maintenir, etc.

3.Le conflitinterne entrele besoin et lapréservation

4.Le vouloir êtreet l’incapacitéd’être

5.La place ou laposition qu’unindividuoccupe

6.Le besoin àsatisfaire etl’insatisfactionsubie

7.L’environnement

8.La relationentre l’enfantet l’éducateur

TABLEAU 1 (suite)Facteurs à l’origine de l’interférence émotionnelle

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faire vivre une frustration desa volonté de puissance, ledénigrement , le re je t , lemanque de confiance ou lecomplexe d’infériorité. Celaaugmentera au rythme où sesdifficultés se répéteront oud’après la fréquence à laquelleil se sentira mis à l’écart. Ilfaut aussi considérer le typed’at tent ion l ié au sout iendonné à un enfant à cause deses difficultés ainsi que la ten-dance à le pointer du doigtqui l’amèneront à se sentirdifférent des autres. de telsfaits ne contribuent guère àéliminer ou à diminuer ses ré-actions émotionnelles. deplus, l’augmentation inévi-table de son stress sera à l’ori-gine de mécanismes tels quela surdité ou la myopie né-vrotique. En effet, nous avonsconstaté qu’en raison d’unétat stressant ou d’une émo-tion vive, l’enfant éprouveune difficulté plus ou moinsgrande à sais i r ou à com-prendre ce qu’on lui expliqueou ce qu’on veut lui apprendre.de tels éléments sont aussiobservables chez des adultesqui, à certains moments, de-viennent dans le même étatque l’enfant. Malgré leur nor-malité, dans des périodes pré-cises, lorsque les sensibilitésréagissent et laissent surgirleurs émotions, ces adultesdeviennent eux-mêmes enincapacité d’entendre, de voir

ou de comprendre. Il est cer-tain qu’un retour à la normaleest observé après quelquetemps. Malgré cela , i l y aquand même eu un vide dansl’espace-temps où l’infor-mation (le message) était dif-fusée et captée.

Cela met en évidence la réa-lité que l’interférence émo-tionnelle a une influence surtout mécanisme humain, sur-tout chez les personnes dontla maîtrise de soi ou l’auto-régulation n’est pas assez so-lide ou renforcée. Même sicette autorégulation est forte,elle peut perdre de sa forceen fonction de l’importanceet de l’intensité de ce que lapersonne vit émotionnelle-ment. À titre d’exemple, re-venons au phénomène de lasurdité ou de la myopie né-vrotique ainsi qu’aux diffi-cultés de compréhension as-sociées à cette situation. Nostravaux nous ont amenés à ob-server des personnes dontl’émotion avait été provoquéeet à vérifier leur compréhen-sion, ainsi que leurs capaci-tés perceptuelles et visuelles.Ces expériences effectuéesdans des groupes ont prouvéqu’une personne, mise dansun état de frustration ou d’in-sécurité ou ramenée à des sou-venirs réveillant des insatis-factions ou des sentiments dé-nigrants, vit une émotion pré-sente ou passée qui provoqueune forme de temps vide dansle moment présent. Ce mé-canisme l’empêche d’entendrel’ensemble du message ou devoir et de discriminer les écritsde façon exacte et lui occa-sionne des difficultés à com-prendre l’information émisedans sa globalité. Illustronscette expérience par le casd’un enfant : si de multiplesvariables jouent sur son état

affectif, sur sa confiance etsur sa capacité d’avoir uneplace au sein de son envi-ronnement, avec le temps, ilne captera qu'une partie del’information ou du messagetransmis. Ainsi, il commen-cera le premier jour à perce-voir 75 % du message; le se-cond jour, le mécanisme s’ac-centuera et à la fin de l’an-née, on pourra constater desretards plus ou moins consi-dérables suivant le dérègle-ment de son horloge et la du-rée de l’émotion et du stressqu’il vit.

Cet exemple montre bien quele phénomène de l’interfé-rence émotionnelle joue unrôle capital dans la difficultéd’apprentissage de l’enfant.Cette interférence ne peut di-minuer ou ne peut se contrô-ler sans qu’il y ait un effortde la part de l’éducateur, qu’ilsoit parent, enseignant, in-tervenant ou spécialiste, afinde créer un terrain propicepour rendre le jeune plus dis-ponible à l’apprentissage.

Des pistesd’interventions possibles

Bien qu’adéquate au plan destechniques de stimulation etde renforcement des habile-tés perceptuelles, sensorielles

Si de multiplesvariables jouent surson état affectif,l’enfant ne capteraqu’une partie del’information.

On ne peutincriminer un

enfant face à seséchecs, s’il était àl’avance en état de

défaillance.

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ou motrices, toute méthodedoit aussi tenir compte de lanécessité de diminuer le phé-nomène de l’interférence émo-tionnelle pour aider l’enfantà retrouver un équilibre fa-vorable à l’actualisation deses aptitudes, de ses capaci-tés et de son intelligence. dansce contexte, on ne peut in-criminer un enfant face à seséchecs, s’il était à l’avanceen état de défaillance, sansconsidérer aussi la responsa-bilité des parents et des pro-fessionnels par rapport à larelation qu’ils ont établie aveccet enfant. dans certains cas,on pourrait dire que la res-ponsabilité incombe aux pa-rents, aux enseignants et auxspécialistes.

Notre intention n’est pas d’ac-cuser qui que ce soit, mais demontrer que lorsque les édu-cateurs ne possèdent pas eux-mêmes une connaissance ap-profondie de la relation in-terpersonnelle et s’enfermentdans la logique de la norma-lité établie, ignorant tout lecontexte de l’émotion, de l’ins-tinct et de la raison de l’autre,ils contribuent à faire naîtreou à augmenter un état dé-stabilisant chez l’enfant. parle fait même, cela déclenchele mécanisme de l’interfé-rence émotionnelle et, selonles situations dans lesquelles

se trouve l’enfant, ce méca-nisme diminuera ou bloquerases capacités de fonctionne-ment et ralentira son horlogehumaine, l’entraînant à de-venir dépassé par les événe-ments.

pour améliorer la situationou diminuer ce problème d’in-terférence émotionnelle, ilconvient d’entreprendre unedémarche à la fois préventiveet curat ive. El le consis ted’abord en une interventionauprès des parents pour lessensibiliser au problème, etles aider à prendre consciencede l’importance de leur mes-sage et de leur relation af-fective. Il est également im-portant de sensibiliser les en-seignants du primaire presquede la même façon que les pa-rents, car l'école primaire estun peu la continuité de la viefamiliale. d’ailleurs, souvent,l’enfant projettera beaucoupd’éléments de sa vie familialesur l 'enseignant, le spécia-liste ou le professionnel. Ils’at tend à vivre avec cesadultes le même type de re-lation qu’il a connu jusque-là. par ailleurs, il ne faudraitpas oublier l’insécurité quele jeune vivra à cause deschangements entre le primaireet le secondaire, étant donnéles nouveautés dans son en-vironnement éducatif. Cettetransition peut amener l'élèveà vivre des difficultés, à perdrela motivation ou à deveniragressif d’une certaine façonpour camoufler ses insécuri-tés. Aussi l'enseignant du se-condaire devrait-il prendreen considération tous ces élé-ments et aider le jeune, parune approche adéquate, à se

retrouver et à vivre un peuplus de sécurité dans son nou-vel environnement ainsi quepar rapport aux approches pé-dagogiques du secondaire.

Aider nécessite une cohérencede l’adulte dans ses faits etgestes afin d’éviter aux jeunesde perdre confiance ou devivre l’incertitude et la dif-ficulté de comprendre les mes-sages et les attentes à son en-droit. Il faut aussi dévelop-per des moyens de préventionqui permettront de situer leplus vite possible, à chaqueannée, le degré de l'état émo-tionnel de l’enfant dont le ba-romètre peut être sa volontéde puissance, ses insatisfac-tions et ses frustrations. Celapermettra de s’ajuster à lui.par ailleurs, il conviendraitde diminuer autant que pos-sible l’utilisation des testsdits d’intelligence qui ne pren-nent pas suff isamment enconsidération l’ensemble desvariables qui provoquentl’émotion, créent l’interfé-rence et, de la sorte, dimi-nuent les capacités cognitiveset affectives de la personne.

À travers tout cela, un élé-ment demeure primordial, ce-lui du renforcement de l’iden-tité humaine afin que le jeunepuisse résister à la pression,développer sa motivation etdisposer d’une volonté decont inui té dans l ’act ion.Qu’entendons-nous par iden-tité humaine? « L’identité humaine,c’est à la fois unsentiment intérieur etune force qui se reflètedans nos comportements.[…] former et épanouirl'identité du jeuneenfant, [c’est] contribuer

Un élémentdemeure

primordial, celui du renforcement del’identité humaine.

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à l'équilibre et àl'intégration de soninstinct, de ses émotionset de sa raison, au lieu deprivilégier un aspect audétriment des autres, etce, afin de favoriser unprocessus d'évolutionpersonnelle. […] [Le]développement [del'identité humaine] est déterminé par troisphases : 1- l'apport de lafamille, à la naissance etau cours de l'enfance; 2- la découverte parl'enfant de ce qu'il est etde ce qu'il peut vivre avecles autres, à travers sesrelations dans la famillepuis à l'école; 3- enfin,le choix que pose[l’individu] devenuadulte d'intégrer ou nonla société, sur la base desconnaissances acquises,des relations établies,des sentiments et dudegré d'insécurité qu'il avécus et qui l'ont formé »(Guitouni et Normand-Guérette,1993, pp. 155-156-157).

Cette identité aide le jeune àse sentir une personne à partentière et à saisir que tout l’as-pect de l’apprentissage danssa vie est une nécessité, maispas une fin en soi. par le faitmême, il pourra faire face àses obligations sans vivre unétat de stress absolu. un autrepoint important à considérerdans les écoles concerne lemécanisme de la relaxationet l’apprentissage de la res-piration4. Ainsi, une oxygé-nation continuelle alimenteet renforce le cerveau de sorteque l’enfant puisse fournir

les efforts nécessaires à l’ap-prentissage.

Voilà l’essentiel des réflexionsissues de nos recherches surl’interférence émotionnelle,phénomène à prendre encompte pour comprendre ceque vivent les jeunes ayantou non des difficultés d’ap-prentissage ou d’adaptationet pour les soutenir dans l’at-teinte d’un équilibre émo-tionnel et du développementde leur potentiel. n

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Notes

1 La première parution de cet article remonteà 1983. Des références postérieures à cettedate ont été ajoutées au texte.

2 La volonté de puissance est une force quipousse l ' individu à puiser en lui-mêmel'énergie pour se libérer de la dépendanceet « qui l ’ incite à chercher le moyen degrandir » (Guitouni et Normand-Guérette,1993, p. 161).

3 Lambert (2002) explique que : « La personneacquiert la perception subjective qu’elle nepeut pas exercer un contrôle sur de multiplesaspects de son mil ieu. I l en résulte desdéficits dans l’initiation des réponses oudans la persévérat ion des ef forts pourabout i r à un résu l ta t . Les en fan ts qu iattribuent leurs échecs à des facteurs noncontrôlables persévèrent moins sur unetâche dans laquelle ils ont connu l’échec.Ils présentent en outre un déficit de réponsesd’initiation, c’est-à-dire d’enrôlement dansune tâche. […]Plusieurs hypothèses sontavancées pour exp l iquer l a genèse del ’ impuissance apprise. Une histoire defeedbacks négatifs, c’est-à-dire de sanctionssystémat iques des échecs , es t incon-testablement un élément dont il faut tenircompte. » (p. 75)

4 En 1993, Guitouni propose des exercices« qui favor isent un apprent issage à laresp i ra t ion qu i amé l io re l a qua l i t é del ’ o x yg éna t i o n du c e r v e au , a i n s i q u el’établissement d’une certaine détente etrelaxation qui aide à atténuer le stress oumême à l’éliminer. Le tout a pour effet derégénérer les énergies et de permettre unemeilleure concentration et une plus grandequalité dans la disponibilité et l’écoute. »(Guitouni et Normand-Guérette, 1993,p.177)

L’interférence de l’émotionnel sur les capacités d’apprentissage