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CONSTANCE DUMALANÈDE Univ. Jean-Moulin Lyon, IAE, Magellan ONG, initiateurs des stratégies Bottom of the Pyramid ? Le cas dEntrepreneurs du Monde Cet article appréhende la manière dont une ONG peut, au même titre quune rme multinationale (FMN), mener une initiative adaptée aux populations démunies en se tournant vers le secteur commercial. Le cas de lentreprise sociale Nafa Naana, créée par une ONG au Burkina Faso est étudié. Les résultats prouvent quune organisation issue de léconomie sociale et solidaire (ESS) peut conduire une initiative durable si elle interagit avec lécosystème local et acquiert les ressources et compétences nécessaires au développement de pratiques commerciales. Ladoption dune identité dentreprise sociale indépendante de son incubateur lONG, offre une exibilité bénéque à la création équilibrée de valeurs économiques et sociales. DOI: 10.3166/rfg.2017.00118 © 2017 Lavoisier

ONG, initiateurs des stratégies Bottom of the Pyramidrfg.lavoisier.edpsciences.org/articles/lvrfg/pdf/2017/03/rfg00118.pdf · ONG, initiateurs des stratégies Bottom of the Pyramid

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DOI: 10

CONSTANCE DUMALANÈDEUniv. Jean-Moulin Lyon, IAE, Magellan

ONG, initiateursdes stratégies Bottomof the Pyramid ?

Le cas d’Entrepreneurs du Monde

Cet article appréhende lamanière dont une ONG peut, aumêmetitre qu’une firme multinationale (FMN), mener une initiativeadaptée aux populations démunies en se tournant vers lesecteur commercial. Le cas de l’entreprise sociale Nafa Naana,créée par une ONG au Burkina Faso est étudié. Les résultatsprouvent qu’une organisation issue de l’économie sociale etsolidaire (ESS) peut conduire une initiative durable si elleinteragit avec l’écosystème local et acquiert les ressources etcompétences nécessaires au développement de pratiquescommerciales. L’adoption d’une identité d’entreprise socialeindépendante de son incubateur l’ONG, offre une flexibilitébénéfique à la création équilibrée de valeurs économiques etsociales.

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184 Revue française de gestion – N° 264/2017

P rahalad et Hart (2002) détaillent larépartition des revenus de la popu-lation mondiale et mettent en

évidence que deux tiers de la populationmondiale vit avec moins de neuf dollars parjour. Cette part de la population qu’ilsdénomment Bottom of the Pyramid (BoP)est selon eux oubliée par les entreprises, quine cherchent pas à rendre accessible leuroffre aux plus démunis. Ils lancent alors unappel aux firmes multinationales (FMN)pour qu’elles contribuent à la lutte contrela pauvreté tout en saisissant de nouvellesopportunités d’affaires. Ainsi, la littératureBoP s’est surtout intéressée au rôle desFMN dans la réduction de la pauvreté parleur intégration dans les pays émergents(Schuster et Holtbrügge, 2012) et leurcapacité à proposer des produits auxpopulations démunies (Anderson et Billou,2007). Les stratégies BoP se sont donc vuesassociées aux FMN désignées commeacteurs majeurs et initiateurs de ces straté-gies (Kolk et al., 2014 ; Prahalad, 2004).Cependant, le nombre de projets menés pardes FMN à destination des populations BoPest relativement faible (Kolk et al., 2014),puisque de nombreux projets prospères sonten fait conduits par des entreprises de petitestailles, des entreprises locales (Arnould etMohr, 2005), des entrepreneurs sociaux, desorganisations internationales et à but nonlucratif (Kolk et al., 2014). De plus, laplupart des projets initiés par des FMN sontle fruit de partenariats locaux auprèsdesquels les FMN gagnent en connaissancelocale (Brugmann et Prahalad, 2007 ; Kolket al., 2014 ; London et Hart, 2004 ; Webbet al., 2010). Elles s’appuient notammentsur des ONG implantées localement etreconnues pour leurs actions d’aide audéveloppement auprès des populations

locales (Chesbrough et al., 2006 ; Rivera-Santos et Rufín, 2010). Ces dernières sontainsi considérées comme un pivot entrecommunautés locales et FMN (Webb et al.,2010). Elles ont une bonne connaissancedes populations et des enjeux locaux, etdétiennent une certaine légitimé qui faciliteleur intégration dans l’écosystème local(Ansari et al., 2012 ; Sánchez et Ricart,2010). Malgré leur rôle clef, les étudesempiriques (Hahn et Gold, 2014), toutcomme les articles théoriques (Follman,2012 ; Gupta et Khilji, 2013), se focalisentsur les FMN (Kolk et al., 2014). Par ailleurs,les cas étudiés sont majoritairement menésen Inde ou en Asie du Sud-Est (Goyal et al.,2014 ; Nielsen et Samia, 2008), or lecontinent Africain constitue un des premiersmarchés du bas de la pyramide (Kolk et al.,2014). Il regroupe en effet la majorité despays considérés comme les moins avancéspar l’Organisation des Nations unies, soient34 pays sur 50 (Cnuced, 2005). Le BurkinaFaso est l’un des pays les moins avancésdu monde, avec un IDH (indicateur dedéveloppement humain) classé à la 181e

place sur 187 (PNUD, 2014). L’instabilitéde la situation économique et sociale, et lemanque d’infrastructures et d’équipementssont des défis majeurs qui affectent lesconditions de vie globales des populationslocales.Cette recherche permet ainsi d’enrichir lalittérature empirique par l’analyse d’un casatypique BoP initié par une ONG enAfrique. L’originalité du cas réside dansla volonté de l’ONG de pérenniser unprogramme d’accès à l’énergie via desmécanismes se rapprochant de l’économiede marché et l’adoption d’un statut d’en-treprise sociale. Les ONG sont souventcritiquées pour le caractère ponctuel de leurs

ONG, initiateurs des stratégies Bottom of the Pyramid ? 185

interventions dont les impacts se limitent àla durée des programmes conduits (Batti,2015). De nombreux projets n’obtenant pasl’adhésion des communautés locales sontdélaissés après le départ des ONG, ce quisoulève la question de l’autonomisation etla pérennisation de ces programmes (Aroraet Romijn, 2012). Surmonter ce défi par ladiversification commerciale peut être uneoption pour ces ONG. Contrairement auxFMN, leur expérience de terrain auprèsdes communautés BoP est reconnue, maisleur capacité à gérer une activité commer-ciale ne l’est pas (Batti, 2015 ; Dahan et al.,2010 ; Dees, 1998 ; Webb et al., 2010). Letype de ressources et compétences détenuespar ces organisations est donc différent decelui des FMN et autres entreprises capita-listes, ce qui implique une gestion différentedans la conduite d’initiatives à l’attentiondes populations BoP.Ainsi, nous souhaitons analyser les diversprocessus qu’une ONG développe pourmener une stratégie adaptée à ces popula-tions, via des mécanismes de l’économiede marché auxquels elle n’est pas habituée.Nous étudions alors les éléments quipermettent à une ONG de gérer durablementce défi, et répondons à la question suivante :comment une ONG peut-elle conduire uneinitiative adaptée aux populations BoP ense tournant vers le secteur commercial ?Une revue de la littérature présente lesstratégies BoP et leurs modèles d’analyse,ainsi que les acteurs de l’ESS agissant à labase de la pyramide. L’étude du cas NafaNaana provenant du programme de déve-loppement d’énergie 3F, initié par l’ONGEntrepreneurs du Monde (EdM) au BurkinaFaso est ensuite présentée. La sectionsuivante propose les résultats majeurs etleur discussion. Enfin, les principales

limites et perspectives de cette recherchesont évoquées.L’issue de ces travaux montre qu’une ONGpeut capitaliser sur ses connaissancesterrain pour mener à bien une initiativeBoP mais qu’il est difficile de la rendredurable du fait d’une expérience limitéede l’économie de marché et d’un statutd’organisation à but non lucratif. Acquérirde nouvelles ressources et compétences ausein de son écosystème est alors nécessairepour développer des pratiques commercia-les. Afin d’assurer une création de valeurséconomiques et sociales pour l’ensembledes acteurs locaux, l’adoption d’une struc-ture hybride d’entreprise sociale sembleadaptée.

I – STRATÉGIE BOP, STRATÉGIESRÉSERVÉES AUX FMN ?

1. Stratégies BoP et modèles d’analyse

Définition des stratégies Bottomof the Pyramid

Prahalad et Hart (1999, 2002) promeuventla présence d’opportunités économiquesdans les Pays du Sud et considèrent queles FMN peuvent capter la demande desplus démunis tout en étant rentables. Eneffet, les FMN sont jugées comme lesplus performantes pour se développer surles marchés en développement, du fait deleurs ressources financières, managérialeset technologiques (Prahalad et Hart, 2002).Leur capacité stratégique, associée à la tailleimportante du marché, permet d’établir unestratégie gagnant-gagnant : les produitsproposés par les FMN profitent aux pauvres,et l’achat de ces produits par deux tiers de lapopulation mondiale (World Bank Report,2011) permet aux FMN de faire du profit

186 Revue française de gestion – N° 264/2017

grâce à des économies d’échelle. L’idéeinitiale des stratégies BoP est ainsi centréesur la capacité des FMN à diminuer lapauvreté en vendant aux consommateurspauvres vivant avec moins de neuf dollarspar jour.Plusieurs auteurs se sont depuis intéressés àcette notion et ont émis de nouvellespropositions permettant de toucher effica-cement la population BoP et de contribuer àla lutte contre la pauvreté. London et Hart(2004) prônent la création de nouvellesstratégies permettant la conception deproduits adaptés aux conditions de vie despopulations BoP. Il ne s’agit pas detransposer des modèles d’affaires des mar-chés développés aux marchés en dévelop-pement mais de repenser l’intégralité despolitiques commerciales et marketing(Ricart et al., 2004 ; Simanis et Hart,2006). Karnani (2006) critique ensuite cesrésultats en insistant sur le rôle du plusdémuni. Il n’est pas seulement un consom-mateur, mais aussi un entrepreneur, unproducteur, qui peut contribuer à la créationde valeur. C’est un partenaire commercial àpart entière. Ainsi, les populations localesdoivent être intégrées dans la chaîne devaleur des entreprises pour co-créer de lavaleur (Nahi, 2016 ; Simanis et Hart, 2006)et atteindre un double objectif : rendreaccessible des produits de première néces-sité et offrir des activités génératrices derevenus aux populations (Payaud, 2014).Pour favoriser cette intégration dans lachaîne de valeur, la création de partenariatsest encouragée (Hart et Casado Caneque,2015 ; Prahalad, 2004). De nombreusesinitiatives montrent d’ailleurs que les FMNs’entourent de partenaires présents locale-ment tels que des entreprises locales maisaussi des organisations internationales à

vocation sociale telles que les ONG (Rivera-Santos et Rufín, 2010).

Critique des modèles d’analysedes stratégies BoP

La littérature propose différents modèlespermettant d’analyser des stratégies BoP.Ces stratégies sont menées par des entre-prises capitalistes auprès des populationsles plus démunies (Payaud, 2014). Selon ladéfinition même d’une stratégie BoP, cesmodèles (Anderson et Billou, 2007 ; Gol-lakota et al., 2010 ; Martinet et Payaud,2010 ; Schrader et al., 2012) ont été conçusà l’attention des entreprises capitalistes, cequi confirme une fois encore l’intérêt porté àces acteurs. Une analyse comparative desmodèles (tableau 1), selon leur principauxavantages et limites, a été effectuée afin dedéterminer le modèle le plus approprié auxcaractéristiques BoP.En définitive, les quatre modèles présentéssont assez complémentaires, mais nousjugeons le modèle de Martinet et Payaud(2010) comme le plus exhaustif et le plusapproprié aux marchés BoP.

Modèle de Martinet et Payaud (2010)« modélisation heuristique pour unmanagement stratégique BoP »

Le système de management stratégique BoPproposé par Martinet et Payaud (2010) viseà proposer des recommandations à desentreprises intéressées par la base de lapyramide dans le respect du contexte local.L’entreprise ne doit pas se contenter deproposer un produit aux plus démunis, maiselle doit contribuer à l’amélioration de leursconditions de vie en les intégrant dans sonactivité économique (emplois, activités).

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ONG, initiateurs des stratégies Bottom of the Pyramid ? 187

Figure 1 – Système de propositions pour un management stratégique BoP

Source : Martinet et Payaud (2010) in Payaud (2014, p. 218).

188 Revue française de gestion – N° 264/2017

Il s’agit donc de développer une activitééconomique créatrice de valeur, par laconception d’un écosystème respectueuxdes communautés locales en développantplusieurs avantages (concurrentiels, liés aux

partenariats, et aux ressources et compé-tences). Afin d’atteindre cet objectif plu-sieurs propositions sont faites à l’égard desentreprises dites capitalistes au travers desix catégories (voir figure 1).

ONG, initiateurs des stratégies Bottom of the Pyramid ? 189

Ce modèle comporte ainsi plusieurs inté-rêts : il est d’un design systémique quis’intègre parfaitement aux marchés BoP,il prend en compte le contexte spécifiqueassocié aux BoP, il fait référence àplusieurs approches théoriques (ressourceset compétences et parties prenantes) etémet des propositions concrètes pourintégrer les marchés BoP. Cependant, cemodèle, ainsi que les trois précédemmentprésentés, sont destinés à des entreprisesdites capitalistes.Même si les organisations de l’ESS ontdes spécificités qui leur sont propres, elless’investissent aussi sur les marchés BoP(Kolk et al., 2014 ; Rivera-Santos et al.,2015), souhaitent toucher les mêmes cibles,évoluent dans le même écosystème et sontconfrontées à des problématiques similai-res. Les caractéristiques des populationsBoP sont telles qu’elles doivent impérati-vement être prises en compte, quel quesoit l’initiateur à l’origine du projet. De plus,il n’existe, à notre connaissance, aucunmodèle créé spécifiquement à l’égard desorganisations sociales et solidaires. En cesens, il paraît pertinent d’utiliser le modèlede Martinet et Payaud (2010) commesupport à notre analyse même si l’initiativeBoP étudiée n’est pas menée par uneentreprise capitaliste. Les éléments évoquésprécédemment prouvent la pertinence dumodèle pour guider la conduite d’initiativesdédiées aux populations BoP. De plus, lesdifférentes catégories thématiques et appro-ches théoriques auxquelles ils se réfèrentoffrent une certaine flexibilité pour s’adap-ter aux cas des organisations de l’ESS.Les dimensions permettent d’effectuer uneanalyse transversale de l’organisation étu-diée, en mettant en avant son caractèrehybride. Ce modèle donne donc des clefs

d’analyse pour l’étude de notre cas : l’étuded’une stratégie menée par une organisa-tion hybride, une entreprise sociale (NafaNaana), résultant d’une initiative menée parune organisation issue de l’ESS, une ONG(EdM). Au-delà de l’analyse thématiqueque ce modèle induit, son utilisation pourune organisation issue de l’ESS permetd’élargir sa portée, de mettre en valeurles enjeux liés à ces organisations dans laconduite d’initiatives BoP, et de question-ner la définition du concept de stratégieBoP, aujourd’hui réservé aux entreprisescapitalistes. Ainsi, il paraît désormais perti-nent de présenter ces acteurs peu étudiésdans la littérature BoP.

2. Écosystème BoP, le rôle accrudes acteurs de l’ESS

Les ONG, acteurs atypiques oubliésde la littérature BoP ?

Même si la littérature BoP tend à intégrer denouvelles problématiques liées aux partena-riats intersectoriels ou à l’entrepreneuriatsocial (Kolk et al., 2014), elle évoque surtoutdes cas initiés par des FMN (Gupta etPirsch, 2014). La réussite de ces initiativesest dépendante du réseau d’acteurs impli-qués, et dont les ONG font pourtant partie.De ce fait, étudier une ONG, comme acteurclé des initiatives BoP (Hahn et Gold, 2014 ;Webb et al., 2010), s’impose.Youssofzai (2014) souligne le rôle signifi-catif des ONG dans l’économie, l’histoire,le social, le politique et le religieux, cequi leur permet d’être influentes dans dessecteurs variés. Leurs valeurs éthiques etmorales sont une source de différenciationmajeure par rapport à d’autres organisa-tions. Elles peuvent ainsi lier un « contrat

190 Revue française de gestion – N° 264/2017

social implicite » avec le public (Jeavons,1994 in : Youssofzai, 2000). Hansmann(1980) considère la principale particularitédes ONG comme leur principe de « non-distribution » de dividendes qu’il qualifiede contrainte. Elles ne recherchent pas àmaximiser leur profit et œuvrent dans unbut purement social, ce qui explique notam-ment leur appartenance à l’ESS et non àl’économie commerciale ou capitaliste(Castel, 2008). Cependant, les ONG tendentà se rapprocher progressivement du secteurcommercial (Dees, 1998). Elles sont en effetdépendantes financièrement des dons etsont concurrencées par des acteurs commer-ciaux qui intègrent progressivement lessecteurs sociaux. Elles se rapprochent ainside l’économie de marché afin d’obtenirde nouvelles sources de financement indé-pendantes de la philanthropie et ainsiaccroître leur autonomie et la durabilité deleurs activités (Dees, 1998). La difficultéréside dans la gestion de leur structureorganisationnelle et la mobilisation desressources et compétences nécessaires audéveloppement d’activités à bénéfice socialdans un environnement complexifié parles contraintes imposées par des partiesprenantes variées (Youssofzai, 2014). Leurintégration sur les environnements demarché les amènent à surmonter des défissimilaires à ceux des entreprises, maisavec des contraintes propres à leur statutsocial (Vienney, 1994 in Bouchard et al.,2001). Les ONG se confrontent alors auxlogiques de marché avec des problémati-ques managériales et de gestion complexes(Youssofzai, 2000). Comme les entreprises,elles doivent développer des stratégiesefficaces pour toucher une population cibletout en s’adaptant à un environnementtumultueux, rythmé par les attentes variées

des parties prenantes. Elles développentainsi des similarités avec des organisationscommerciales, alors qu’elles n’ont pasobjectif à être lucratives. Ce paradoxe renddifficile la gestion des tensions entre perfor-mance sociale et performance économique(Rousseau, 2007), tensions connues par unautre acteur de l’ESS : l’entreprise sociale.

L’entreprise sociale, entre performancesociale et économique

Les entreprises sociales ont des préoccupa-tions similaires aux ONG puisqu’ellesdétiennent des objectifs sociaux et sont aussiconfrontées à un environnement de marché.Elles semblent, cependant, plus flexiblespour allier valeurs sociales et valeurs com-merciales du fait de leur caractère hybride(Battilana et Dorado, 2010 ; Tate et Bals,2016). Elles peuvent ainsi rechercher dessources de financement permettant le respectde valeurs sociales sans se soumettretotalement à la concurrence commerciale(Bouchard, 2014). En effet, le processusde création, d’exploitation et d’explora-tion stratégique de l’entrepreneuriat socialse distingue de l’entrepreneuriat purementcommercial. La différence réside dans lamanière de combiner les ressources quipermettent de créer de la valeur sociale.Pour ce faire, il faut capter des opportunitéspermettant de satisfaire des besoins sociauxou d’entraîner des changements sociauxpositifs, par la proposition de biens etservices ou la création d’organisationsinnovantes (Mair et Martí, 2006). Contrai-rement à l’entreprise commerciale tradition-nelle, son but n’est pas centré sur laréalisation de profit mais sur sa capacité àsurmonter des défis sociaux. Son caractèrehybride lui permet ainsi de combiner despratiques de différents types d’organisation

Figure 2 – Création de l’entreprise sociale Nafa Naana née du programme 3F de l’ONG EdM

ONG, initiateurs des stratégies Bottom of the Pyramid ? 191

(Doherty et al., 2014 ; Tate et Bals, 2016 ;Zahra et al., 2009). Finalement, les entre-prises sociales se définissent davantage parleur engagement et leurs objectifs sociauxque par leur statut (André, 2015).Les ONG et les entreprises sociales, acteursclefs de l’ESS (Defourny et Nyssens, 2008),développent donc des activités à but social,mais restent confrontées à des problémati-ques demarché qui les poussent à développerde nouvelles compétences stratégiques afinde s’essayer à de nouvelles pratiques degestion. Elles deviennent alors motrices dedéveloppement social mais aussi écono-mique. Cependant, leur expérience limitéede l’économie de marché peut s’avérer êtreun frein à la conduite d’une initiative BoP.Ce constat renforce notre intérêt pour cesorganisations de l’ESS, acteurs des stratégiesBoP (Buckland, 1998 ; Nielsen et Samia,2008), mais peu évoquées en tant qu’initia-teurs dans la littérature (Kolk et al., 2014).

II – LE CAS DE NAFA NAANA,ENTREPRISE SOCIALE CRÉEE PARL’ONG EDM AU BURKINA FASO

Entrepreneurs du Monde (EdM), fondée en1998, agit auprès des populations démuniesdes pays en développement. Une de sesprincipales activités « l’entrepreneuriatsocial », consiste à encourager la diffusionde produits à forts impacts sanitaires,

économiques et écologiques par la créationd’entreprises sociales autonomes et géréeslocalement. EdM agit alors comme un« incubateur d’innovations sociales et envi-ronnementales ». Le cas de l’entreprisesociale Nafa Naana issue du programme3F (une Femme, un Foyer, une Forêt auBurkina Faso) est intégré à ce voletd’activité. Cette entreprise a pour but dedistribuer des foyers améliorés (réchauds àcombustibles de bois ou charbon), desréchauds à gaz et des produits d’énergiesolaire aux populations démunies du Bur-kina Faso, par l’intermédiaire un réseau derevendeurs locaux et d’associations locales.Cette initiative lancée en 2010 par, dans unpremier temps, le programme 3F, devienten 2012 l’entreprise sociale Nafa Naanaen vue de rendre autonomne et pérennel’activité. Cette évolution (figure 2) aimpliqué de mener des changements inter-nes et a entraîné une modification desrelations entre l’entreprise sociale (ancien-nement le programme 3F) et son incubateurEdM (à l’origine du projet 3F). L’entreprisesociale Nafa Naana est en fait le produit dela stratégie menée par l’ONG EdM pourrendre pérenne une activité qui n’était qu’unprojet ponctuel, le programme 3F. L’ONGjoue alors un rôle d’incubateur auprès del’entreprise sociale mais n’intervient pasdans la gestion de l’activité. Son objectifest que Nafa Naana devienne une entité

METHODOLOGIE

Une méthode qualitative (Miles et Huberman, 2003) basée sur une étude de cas unique a été

adoptée (Yin, 2012). Le design enchâssé utilisé permet d’étudier plusieurs unités d’analyse

conjointement à une analyse globale (Musca, 2006) visant à expliquer un phénomène complexe

et contemporain (Yin, 2012). La triangulation des sources et des outils a renforcé la rigueur et la

validité de l’étude de cas (Yin, 2012). Les données secondaires ont été recueillies auprès des

ressources institutionnelles (rapports d’activités, sites internet, brochures, pages officielles de

Facebook) de l’ONG EdM, de son entreprise sociale Nafa Naana et de ses partenaires.

La collecte de données primaires s’est faite via la conduite de 10 entretiens semi-directifs,

d’une durée de 15 min à 1h30, avec des membres de l’ONG à Paris et Lyon, de Nafa Naana et

son réseau de revendeurs locaux au Burkina Faso (Ouagadougou et Bobo Dioulasso). La

totalité des entretiens représente 61 pages retranscrites, et 6h13 d’enregistrement. Ils ont

permis de comprendre la gestion et les enjeux de Nafa Naana, et l’impact de l’activité sur la

situation personnelle des boutiquiers en tant que revendeurs, mais aussi en tant qu’utilisateurs

des produits. L’observation de l’organisation interne de Nafa Naana, des pratiques et des

usages locaux a accru notre compréhension du contexte et du phénomène étudiés (Yin, 2012).

La modélisation heuristique pour un management stratégique des stratégies BoP deMartinet et

Payaud (2010), et son système de propositions, ont été utilisés comme grille de lecture pour

effectuer une analyse thématique des données selon les 6 thèmes qui le composent : l’intention

stratégique, la formule et la stratégie générique, les clients et les marchés, le système d’offre,

le réseau de valeur et les compétences et ressources stratégiques.

192 Revue française de gestion – N° 264/2017

autonome et indépendante par une gestionexclusivement locale et l’adoption du statutjuridique de société par action simplifiée(SAS) de droit burkinabé.

III – ANALYSE ET RÉSULTATS –

S’ADAPTER AUX POPULATIONSBOP, GÉRER SON RÉSEAUDE VALEUR

L’analyse du cas Nafa Naana d’EdM estfaite au regard des propositions formuléesdans le cadre de la modélisation heuristiquepour un management stratégique BoP deMartinet et Payaud (2010). Les résultatssont présentés via la composante « Réseau

de valeur » qui est reliée à l’ensemble desautres composantes de la cartographie etest déterminante pour créer un écosystèmefavorable aux communautés et acteurslocaux BoP. Elle constitue donc un pointd’entrée essentiel dans la construction d’uneinitiative à la base de la pyramide.

1. Gérer son réseau de valeur pourgagner en ressources et compétences

Interagir avec les acteurs de l’écosystèmelocal

(P5) – Durant la conduite du programme 3F,l’ONG EdM s’est entourée d’acteurs locaux,telles que des ONG, des associations locales,

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et des producteurs locaux, ce qui lui a permisde gagner une place progressive dansl’écosystème local. Afin de pérenniser ceprogramme et ainsi construire son modèled’entreprise sociale via l’identité NafaNaana, l’ONGa capitalisé sur son expérienceau sein de cet écosystème. La création de sonmodèle d’entreprise sociale repose ainsi surune forte interaction avec les acteurs locaux.En effet, Nafa Naana favorise les partiesprenantes locales tout au long de la chaîne devaleur ; les locaux détiennent ainsi plusieursrôles : producteurs, distributeurs et consom-mateurs. En plus des partenariats avec desassociations et producteurs locaux elle arecruté des salariés locaux et a construit unréseau de boutiquiers locaux pour distribuerses produits. Elle encourage la création deliens sociaux au sein de l’écosystème ens’appuyant sur la proximité géographique,cognitive, sociale, organisationnelle et ins-titutionnelle des acteurs locaux (Mason etChakrabarti, 2016). Elle s’appuie sur cesliens pour s’entourer d’acteurs aux ressour-ces et compétences stratégiques à l’opéra-tionnalisation de l’activité au sein del’écosystème. Ce réseau facilite son accepta-tion et sa légitimation en tant qu’entitélocale de l’écosystème. Ainsi, l’apprentis-sage réciproque entre l’entreprise sociale etles différents acteurs locaux est encouragépar son intégration locale. Elle peut déve-lopper ses connaissances locales et sacapacité stratégique dont la gestion del’activité dépend, notamment dans la cons-truction d’une offre adaptée aux consomma-teurs de l’écosystème local.

Apprendre localement pour construireun système d’offre adapté aux BoP

Grâce à l’acquisition de nouvelles connais-sances, ressources et compétences

stratégiques auprès de ses partenaires, NafaNaana a co-construit une stratégie market-ing adaptée aux besoins locaux avec unproduit de première nécessité à moindrecoût, un système de distribution visant àtoucher le maximum de Burkinabés, unecommunication adaptée qui sensibilise auxbienfaits des produits, et des actionspromotionnelles qui tendent à augmenterla notoriété de l’entreprise sociale à l’iden-tité 100 % locale.(P4.1)(P3.1)(P3.2) – Les produits proposés(réchauds améliorés ou à gaz et produitssolaires) sont considérés comme des pro-duits primaires puisqu’ils répondent à desbesoins fondamentaux d’accès à l’énergiepour les populations BoP du BurkinaFaso. En effet, 90 % des réchauds utilisésdans le monde sont de mauvaise qualité(plateforme énergie d’EdM), il y a doncun réel besoin. De plus, l’utilisation desréchauds proposés vise à améliorer lesconditions de vie des populations grâce àplusieurs bénéfices : 1) un gain écono-mique : les dépenses en combustible sontréduites, puisque les foyers améliorésconsomment jusqu’à 40 % de moins queles foyers archaïques (plaquette projet 3F,2011) ; 2) une amélioration de la santégrâce à la suppression des émissionstoxiques ; 3) un gain de temps par ladiminution du temps consacré au ramassagedu bois et au temps de cuisson nécessaire.(P4.2)(P3.3)(P4.4) – Les produits sontadaptés aux usages et coutumes despopulations locales en respectant les fonda-mentaux d’une stratégie marketing etcommerciale envers les plus démunis : lesproduits sont de qualité, à un prix bas, avecdes facilités de paiement et des activitésmarketing permettant la sensibilisation despopulations.

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L’offre de produit est concentrée sur desproduits d’énergie de cuisson ou d’énergiesolaire de qualité. Nafa Naana favorise sacollaboration avec des acteurs locaux ets’approvisionne ainsi auprès de fournisseurscertifiés ou de confiance. Les produits decuisson sont pensés de manière à conserverles usages traditionnels. Un prix bas et desfacilités de paiement sont proposés à chaqueacteur prenant part à la chaîne d’activitésde Nafa Naana afin de favoriser l’accèsdes produits aux plus démunis. Ainsi,sont proposés un système de dépôt-ventepour les revendeurs franchisés, une avancede paiement pour les fournisseurs et unsystème de paiement par échelon pour lesacheteurs finaux. Les clients peuvent ainsirembourser le produit grâce aux économiesqu’ils réalisent par son utilisation. NafaNaana intègre bien la contrainte financièredes clients finaux, mais aussi de sespartenaires locaux dans la gestion de sastratégie commerciale.(P4.3) – La distribution des produits esteffectuée via trois canaux qui mobilisent desacteurs variés afin d’augmenter l’accessibi-lité des produits aux consommateurs finaux.1) La vente directe aux clients finaux viadeux points de vente Nafa Naana situés àDano et à Ouagadougou, dans les locaux oùse situent les bureaux d’EdM. 2) La ventevia les grands comptes permet la vente viades associations, groupements de femmes etONG présentes localement. Cela facilite latransmission d’information car les structu-res et les bénéficiaires se connaissent etdéveloppent une confiance mutuelle. 3) Lavente via le réseau de boutiquiers. Ce réseauest en quelque sorte le pilier du modèlepuisqu’il permet un double bénéfice social :toucher plus de clients et offrir une sourcede revenu supplémentaire à des boutiquiers

locaux. Il requiert beaucoup d’efforts carc’est une activité nouvelle pour EdM, etassez novatrice au regard des stratégiesde distribution existantes. Il est nécessairede démarcher des boutiquiers et de lesconvaincre d’entrer dans l’activité. Pourcela, EdM s’est notamment basé sur sonréseau de relations développé lors de sesactivités précédentes. Son capital relation-nel (Ansari et al., 2012) lui a donc permisde développer ses canaux de distributionet la diffusion de ses produits.L’accessibilité des produits ne repose pasque sur la stratégie de distribution, maiségalement sur l’accessibilité information-nelle. Ainsi, Nafa Naana a développé unestratégie de communication dominée par desactions de sensibilisation visant à éduquerles consommateurs quant aux bienfaits desproduits. Évènements, démonstrations etaffiches illustratives permettent la transmis-sion du message aux populations souventillettrées. Le défi est tel que l’avantage n’estpas forcément visible immédiatement. Ainsi,la sensibilisation se fait aussi beaucoup parbouche à oreille, via les utilisateurs et leréseau de revendeurs. La sensibilisation n’estpas le seul enjeu, la promotion aussi estimportante, notamment dans un environne-ment oùNafaNaana est concurrencée par desFMN, telles que Total, qui sont très connueslocalement, ou par des entreprises chinoisesqui se différencient par des prix défianttoute concurrence. Si les populations neconnaissent pas, elles ne peuvent pas acheter.Un responsable commercial raconte :« Lors d’une coupure de courant, des gensont allumé une lampe solaire de mauvaisequalité, j’ai sorti ma lampe et ils ont étéimpressionnés par son efficacité alors ilsm’ont posé des questions. Ils ont prisde suite mon numéro pour faire une

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commande. Ils ne connaissaient pas nosproduits ; en fait les gens qui ont des lampessolaires de mauvaise qualité ne savent pasqu’il en existe des meilleures. »La personne connaissait les lampes solairespuisqu’elle en avait une, mais n’était pasinformée de l’existence d’une offre demeilleure qualité, celle de Nafa Naana.L’entreprise sociale effectue surtout desactivités de sensibilisation (pratiques usuel-les de son incubateur EdM et des organi-sations sociales) au détriment des activitéspromotionnelles qui pourraient pourtant luipermettre de mettre en valeur les bénéficesde ses produits.L’idée est donc de pouvoir réellementaméliorer les conditions de vies despopulations à bas revenus grâce à laconstruction d’un système d’offre adaptéaux populations. La connaissance desbesoins, désirs et habitudes est alorsencouragée par sa collaboration avec lesacteurs locaux, et avec leur intégration ausein de la structure. La co-création est ainsifavorisée. La construction d’autres partena-riats est aussi nécessaire pour accéder àdes ressources et compétences nouvelles etutiles à l’opérationnalisation de l’activité.

Construire des partenariats clés pourgagner des ressources et compétencesstratégiques

(P5)(P6.1)(P6.3)(P6.4) – Payaud (2014)nomme trois éléments déterminants dansla création d’un écosystème : les matièrespremières, l’outil de production et ladistribution. Nafa Naana ne détenant pasd’activité de production, les matières pre-mières et l’outil de production sont surtoutfonction du choix de ses fournisseurs. C’estpour cela que l’entreprise sociale a noué unpartenariat avec la société de coopération

allemande la GIZ. Cette dernière assurela formation de producteurs locaux à laconception de foyers améliorés dans lerespect des spécifications du label dequalité Roumdé et gère la promotion deces foyers afin d’encourager leur diffu-sion. Claire L., directrice de Nafa Naanaexplique :« La GIZ nous a mis en relation avec lesdifférentes associations d’artisans et nous aporté au début quand on passait des grossescommandes, des assistants passaient avecnous pour contrôler la qualité. »Ce partenariat permet à Nafa Naanad’accéder à des produits certifiés garantsd’une bonne qualité, et de créer des relationsavec des fournisseurs locaux de confiance.La certification Roumdé est aussi bénéfiquepuisqu’elle est un gage de qualité et denotoriété auprès des consommateurs.(P5)(P4.3)(P6.4) – La distribution, activitéclef de Nafa Naana, est l’un des défismajeurs dans les stratégies BoP et est sourcede « double peine de la pauvreté » (Payaud,2014), c’est-à-dire que les populationsisolées ont un accès limité à des produits,produits aux prix élevés du fait de leur raretédans les zones excentrées. Le réseau devaleur agit pour développer un réseaude distribution étendu grâce au réseau derevendeurs locaux et aux boutiques NafaNaana répartis en zones urbaines et semi-urbaines. Pour renforcer sa présence etdiversifier la portée de sa distribution enzones rurales, Nafa Naana a noué desrelations avec des associations et groupe-ments locaux :« Nous ne sommes pas implantés en zonesrurales, alors nous nous appuyons surnos partenariats avec les associations, lesgrands comptes, qui eux développent leursactivités dans d’autres zones. C’est via les

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partenariats que nous pouvons toucher plusde personnes, notamment en zones rura-les. » (Claire L., directrice de Nafa Naana).(P5)(P4.2) – Par ailleurs, Nafa Naana s’estentourée d’autres partenaires locaux (per-sonnalités locales, forces commercialeslocales) et a absorbé de nouvelles compé-tences utiles à la construction d’une culturedavantage commerciale. Elle renforce ainsison appartenance au tissu local, développede nouvelles capacités et renforce le nombred’activités promotionnelles visant à accroî-tre la notoriété de l’entreprise sociale viaune communication média (affichage, TV,radio) et hors médias (théâtre de rue,animations, ambassadeurs célèbres).Nafa Naana développe sa capacité d’ap-prentissage organisationnel (Kœnig, 2006)et acquiert de nouvelles ressources etcompétences qu’elle apprend à mobiliserauprès des acteurs de son écosystème(Noblet et Simon, 2010 ; Zahra et George,2002). Elle peut alors surmonter soninexpérience des pratiques commercialeset renforcer l’impact positif de son activitésur l’écosystème local. En effet, elle élargitsa zone d’activité et mobilise des acteurslocaux pour encourager l’accessibilité etla notoriété de ses produits. De plus, ens’entourant d’acteurs locaux elle contribue àla création du tissu économique local etdéveloppe son ancrage local.

2. S’encastrer localement : développerune activité BoP durable

Intégrer, échanger et apprendrelocalement pour s’encastrer localement

(P5)(P6.1)(P6.6) – Le réseau de valeurencourage aussi l’apprentissage réciproqueentre l’entreprise, et les communautés etacteurs locaux. Ces derniers peuvent

développer de nouvelles capacités grâceà leur intégration dans l’activité même deNafa Naana ou par leur intégration dansl’écosystème. Des équipes sont organiséespour former les revendeurs locaux, grou-pements et associations aux produitsproposés et aux activités de gestion ; desespaces de discussions entre Nafa Naana etles communautés locales sont encouragéslors d’évènements (salons, journées portesouvertes, rencontres entre animateurscommerciaux et revendeurs) ; des actionsconjointes avec les associations et grou-pements locaux sont menées. Le transfertde connaissances est assez formalisépuisque des formations obligatoires sontorganisées lorsque de nouveaux acteursentrent dans l’activité et des formationsfacultatives sont ensuite proposées. Laformalisation apportée par le système deformation permet de coordonner l’en-semble des connaissances à l’échelle del’entreprise sociale et de créer uneconnaissance organisationnelle (Nonaka,1994). Ceci est d’autant plus importantque Nafa Naana est récente et doit secréer une identité, une culture partagée parl’ensemble de ses membres. La connais-sance est aussi transmise par des phéno-mènes plus informels, notamment par lesliens sociaux unissant les boutiquiers d’unmême quartier ou d’un même groupement,et les employés Nafa Naana fédérés autourde l’organisation.Minata, revendeuse à Bobo Dioulassoexplique :« J’ai vu une livraison Nafa Naana chez mavoisine ; alors je suis allée la voir pour luiposer des questions sur ce que c’était, lefonctionnement, si elle était satisfaite. […]Avant je ne connaissais pas Nafa Naana.[…] J’ai voulu faire comme elle, alors

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quand j’ai vu une autre livraison, je suisallée voir le monsieur qui la livrait pourconnaître les démarches à suivre et revendreaussi des produits d’énergie. »Ces réseaux permettent donc aussi dedévelopper l’attrait de l’activité offerte parNafa Naana.

Gagner en indépendance financière

(P6.2) – L’entreprise sociale est aujourd’huitoujours dépendante financièrement de sonincubateur l’ONG EdM, elle bénéficieencore de dons et subventions qui luipermettent d’exercer son activité et decouvrir ses coûts opérationnels. Cependant,l’entreprise tend vers l’autonomisation etdevrait adopter prochainement le statut deSAS de droit burkinabé, avec EdM commeactionnaire majoritaire pour garantir lecaractère social de l’activité. Ce change-ment impactera surtout l’aspect financierpar l’ouverture de nouvelles opportunités.La directrice de Nafa Naana explique :« Nous allons pouvoir mobiliser des inves-tissements, du capital. Notre activité engen-dre beaucoup de prêts […] Nous avons doncbesoin d’avoir un fonds de roulementimportant. Le fait d’avoir des investisseurspermettrait de répondre plus facilement àces besoins. […] En termes d’organisationon a déjà entamé la transition vers unfonctionnement d’entreprise, on a mis enplace nos procédures Nafa Naana, distinctesd’EdM, on a distingué le personnel NafaNaana d’EdM. Normalement l’impact orga-nisationnel sera limité. »La structure est donc une entité indépen-dante, mais c’est sa pérennité financière,toujours en construction, qui permettra sonindépendance officielle.

Créer une identité locale pour s’affirmeret s’encastrer localement

Le nom Nafa Naana signifie « Le bénéficeest arrivé » en Moré et Dioula, les deuxlangues locales les plus parlées au BurkinaFaso. Le slogan associé est « Pour deséconomies sûres ». Une identité visuelleest aussi formée grâce à la conceptiond’un logo orange et vert, couleurs quireprésentent respectivement l’énergie etl’environnement. Le choix du nom, dulogo et du slogan permet ainsi detransmettre les principes clefs de l’entre-prise et les avantages procurés par sesproduits : des économies financières, ungain de temps et la préservation del’environnement. Ils permettent aussi decréer une identité totalement indépendantede l’ONG et surtout exclusivement locale.Cette identité est donc un moyen des’encastrer localement, mais aussi defaciliter son accès à des pratiques commer-ciales auxquelles l’ONG n’est pas habi-tuée. Nafa Naana est donc une nouvelleentité avec sa propre identité, organisa-tion, pratiques et valeurs. Grâce à sacapacité d’absorption, elle a progressive-ment acquis une bonne connaissance dumarché et s’est créée sa propre mémoireorganisationnelle. Elle a développé sacapacité stratégique pour construire unestratégie marketing et commerciale s’éloi-gnant des pratiques purement socialesde son incubateur l’ONG. De plus, elleencourage la co-création entre les acteursde l’écosystème dont elle fait partie. Lastructure est de plus en plus intégrée àl’écosystème ; écosystème dont son acti-vité dépend puisqu’elle repose sur lesacteurs locaux.

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3. Conduire une initiative BoPdurable : s’engager à la basede la pyramide

S’encastrer localement pour créerde la valeur économique et sociale

La mise en place des différents processusdécrits précédemment ont permis à NafaNaana de créer des impacts positifs pourl’écosystème local. En effet, son activitédynamise l’économie et contribue à l’amé-lioration des conditions de vie des popula-tions locales. Une revendeuse déclare :« Je gagne de l’argent et j’ai plus derelations, je rencontre des gens avec lesclients. »Un autre revendeur confirme que cetteactivité lui a été bénéfique et qu’elle lui apermis de « découvrir les produits, s’équi-per lui-même et soulager certaines person-nes qui sont contentes d’avoir pu lesacquérir ». En effet, les populations ontdésormais un meilleur accès à des produitsde première nécessité permettant de fairedes économies et préservant la santé ; lesacteurs intégrés dans la chaîne de valeurbénéficient d’une nouvelle source de revenuet développent de nouveaux liens sociauxavec les autres membres Nafa Naana et leurspartenaires ; l’éducation et la formation dessalariés, boutiquiers, partenaires et popula-tions locales sont encouragées. Nafa Naanaa ainsi interagi avec son écosystème ens’entourant de partenaires locaux. Ceci luipermet de créer de la valeur économique etsociale bénéfique aux acteurs locaux (sourcede revenus et liens sociaux).

S’engager à la base de la pyramide etveiller au risque de dépendance au sentier

Le point fort de Nafa Naana est donc fondésur le réseau de valeur qu’elle a su mobiliser

et développer. EdM a d’abord capitalisésur ses expériences et ses compétences entant qu’ONG, et a su mobiliser sa capacitéd’absorption pour acquérir de nouvellesressources et compétences auprès desacteurs locaux. Elle a ensuite transforméson programme en une organisation auto-nome. Cette dernière s’est ainsi construitesa propre identité « l’entreprise socialeNafa Naana », identité indépendante deson incubateur EdM avec sa propre orga-nisation, son équipe, ses pratiques, et saculture organisationnelle. Elle s’est pro-gressivement détachée des pratiques pure-ment sociales, et s’est rapprochée d’uneculture plus commerciale en s’entourantd’acteurs du secteur. « Nous avons créédes postes liés à l’entreprise sociale NafaNaana avec un directeur des opérations parexemple. Ensuite, nous avons augmenté laforce commerciale. » (Claire L., directricede Nafa Naana). Malgré cet engagement,certains réflexes persistent et freinentl’appropriation de pratiques issues ouadaptées à une économie de marché. C’estnotamment le cas de sa stratégie decommunication qui privilégie les activitésde sensibilisation aux activités promotion-nelles. Ce déséquilibre ralentit pourtant ladiffusion et la notoriété des produits NafaNaana, donc leur impact sur l’écosystème.Ceci peut s’expliquer par l’origine de NafaNaana qui est née d’un programme ONG,avec une expérience limitée des pratiques del’économie de marché, telles que la promo-tion. Cette lacune indique que Nafa Naanaest encore influencée par la culture et lespratiques détenues par son incubateurEdM. Claire L., directrice de Nafa Naanaconfirme :« D’un point de vue culturel, on passe d’unprojet ONG à une entreprise donc il y a pas

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mal de choses qui doivent évoluer, notam-ment en termes de vocabulaire, de façond’évaluer l’impact des activités. C’estquelque chose qui prend un peu de temps[…] On est encore entre les deux mondesONG et entreprise. »Une certaine dépendance au sentier(David, 1985 ; Pierson, 2000) liée auxpratiques sociales de son incubateur l’ONGEdM semble alors persister malgré l’adop-tion progressive d’une nouvelle cultureorganisationnelle.Les impacts positifs sont créés pourl’ensemble de l’écosystème local et sesacteurs grâce à un encastrement social(Granovetter, 1985) qui permet la mobilisa-tion des ressources et compétences disponi-bles localement, l’apprentissage mutuelet la création de liens sociaux au sein del’écosystème dont Nafa Naana fait partie.La création d’une identité purement locale,avec une équipe locale a aussi encouragéson acceptation dans l’écosystème. Laparticipation des acteurs locaux renforceson ancrage local et ainsi ses chances depérennisation, puisque son activité esttotalement locale.

IV – DISCUSSION

1. Apports managériaux du modèleaux ONG et entreprises sociales

La modélisation heuristique peut être perçuecomme un guide pour mener une stratégieBoP (Payaud, 2014). Chaque bloc peut êtreainsi bénéfique aux organisations de l’ESS.Cependant, il semble que certains blocssoient à considérer avec une plus grandeattention pour ces organisations aux res-sources et compétences différentes desentreprises capitalistes. Les enjeux liés au

réseau de valeurs et à la création d’unécosystème local semble être bien assimiléspar les organisations à but social du fait deleur expérience à la base de la pyramideet de leur acceptation par les populationslocales. C’est d’ailleurs pour cela que Webbet al. (2010) considèrent les ONG commeun lien clef entre les FMN et les populationsBoP. Comme la littérature et le cas d’EdM lesoulignent, les ONG tendent à se rapprocherdu secteur commercial. Il leur est ainsinécessaire de développer des stratégiescommerciales, alors qu’elles ne possèdentpas toujours les ressources et compétencesrequises. Les propositions sur le systèmed’offre et, en particulier, sur la stratégiemarketing peuvent être d’un appui considé-rable pour ces organisations, souventnovices sur les marchés commerciaux.Les propositions sur les ressources etcompétences peuvent aussi guider lesorganisations de l’ESS à gérer ce défi enréduisant leur risque de dépendance ausentier (David, 1985 ; Johnson et al., 2011 ;Pierson, 2000) envers des pratiques philan-thropiques. Il pourrait cependant être béné-fique de préciser davantage les processusliés aux blocs de propositions pour lesquel-les les organisations de l’ESS sont les plusfragiles. Les dimensions où la dépendanceau sentier est forte pourraient être précisées,tout comme le type de partenariats à formerpour obtenir des ressources et compétencescomplémentaires.

2. Apports managériaux du casaux ONG et entreprises sociales

La littérature montre que les ONG sontsouvent critiquées pour le manque depérennité de leurs projets (Arora et Romijn,2012 ; Batti, 2015). La dépendance aux

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dons et le caractère non lucratif de leursactivités accroissent cette problématique.Mener une initiative commerciale peut alorsêtre une solution pour acquérir de nouvellesressources utiles à l’autonomisation et lapérennisation d’un projet (Dees, 1998).Cependant, s’adapter à l’économie demarché s’avère difficile pour ces organisa-tions (Batti, 2015 ; Dahan et al., 2010 ;Dees, 1998 ; Munir et al., 2010 ; Webbet al., 2010). Elles doivent adopter denouvelles ressources et compétences etune culture et usages différents de l’ESS.Le cas étudié montre la manière dontl’ONG EdM a fait face à ces défis lorsdu développement d’une initiative à des-tination des populations BoP. Créer uneentreprise sociale lui a permis de pallierles limites de son statut, tout en assurantle maintien d’un objectif social bénéfiqueà l’écosystème local. La distribution desproduits permet ainsi l’amélioration desconditions de vie des populations locales(accès aux réchauds, source de revenus,formations, liens sociaux). Il semble cepen-dant important que l’ONG fasse preuved’un engagement fort envers la créationd’une initiative BoP autonome en créantsa propre identité organisationnelle et ens’encastrant localement (Granovetter, 1985).Il est nécessaire que l’ONG s’affirme etagisse tel un incubateur en stimulant sacapacité d’absorption (Duchek, 2013 ; Zahraet George, 2002) et en créant une nouvelleculture organisationnelle (Kœnig, 2006).L’intégration de l’économie commercialefait émerger des objectifs liés à de nouvellespratiques et valeurs. Ainsi, l’adoption d’unenouvelle identité, indépendante de l’ONG,avec sa propre culture organisationnelle,permet de distinguer les pratiques ditescommerciales des pratiques sociales

auxquelles sont habituées les ONG. Cetteindépendance permet de diminuer le risquede dépendance au sentier (David, 1985 ;Johnson et al., 2011 ; Pierson, 2000) enversdes pratiques trop philanthropiques desONG, qui peuvent être un frein à la conduited’une initiative durable sur les marchés BoP.S’affranchir de la pure philanthropie et setourner vers le secteur commercial semblealors être une solution à condition quel’écosystème BoP soit pris en compte. Eneffet, l’acceptation et l’engagement deplusieurs acteurs de l’écosystème dans lastructure encouragent ses chances de pér-ennisation puisqu’ils renforcent son encas-trement local. Cet encastrement permet decapitaliser sur les compétences détenues parl’organisation elle-même et l’ensemble desacteurs de son réseau.Elle interagit alors avecson écosystème (Moore, 1996) pour appren-dre localement, pérenniser son activité etcréer des impacts bénéfiques à l’ensembledes acteurs locaux. L’objectif est d’encou-rager la création équilibrée de valeur socialeet économique pour l’ensemble des acteursimpliqués. C’est en ce sens que l’adoptiond’une forme hybride telle que l’entreprisesociale s’avère être le compromis idéal.

CONCLUSION

L’objectif de cet article était d’évaluer lacapacité d’une ONG à mener une initiativeBoP pérenne qui puisse s’apparenter à unestratégie menée par une FMN, malgré desressources et compétences différentes. Auregard des propositions émises dans lecadre de la « Modélisation heuristiquepour un management stratégique BoP »de Martinet et Payaud (2010), l’étude ducas Entrepreneurs du Monde dévoile uneinitiative en accord avec les propositions

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de la modélisation heuristique, qui permetd’impacter positivement les populationsdémunies grâce à la création d’uneentreprise sociale. Par son encastrementsocial, l’ONG a créé un écosystèmebénéfique aux populations locales. Ilpermet d’améliorer les conditions de viedes populations par la diffusion de produitsde première nécessité (foyers améliorés), lagénération de revenus issus de l’activitéde l’entreprise sociale et les formationsoffertes aux différents acteurs. Les impactspositifs mènent à penser que la création del’entreprise sociale a été une solutionadéquate pour pérenniser une initiativeBoP, par la création équilibrée de valeuréconomique et sociale pour l’ensemble del’écosystème local et ses acteurs.Ces résultats sont à appréhender en prenanten compte les limites de ce travail. Cetterecherche se base sur une étude de casunique. Il peut ainsi être difficile degénéraliser les résultats du fait de leurforte dépendance au contexte et au casétudié. Cette recherche a aussi été l’occa-sion de tester la modélisation heuristiquepour un management stratégique BoP deMartinet et Payaud (2010), dans le cadred’une stratégie initiée par une organisationissue de l’ESS. Son utilisation a étépertinente cependant, elle a davantageanalysé le cas de l’entreprise sociale etles stratégies choisies que le cas de son

incubateur l’ONG. Sa pertinence se limitepeut-être aux entreprises sociales et capi-talistes, et non à l’ensemble des acteursde l’ESS. Enfin, l’analyse effectuée et lesrésultats obtenus par cette modélisationheuristique peuvent être quelque peubiaisés, puisque l’outil n’a pas la vocationinitiale a être utilisé pour ce type d’orga-nisation. Afin de pallier ces limites, il seraitintéressant d’utiliser la modélisation heu-ristique dans le cadre d’un programmeONG n’ayant pas muté vers une entreprisesociale à l’identité indépendante.En définitive, ce cas nous montre qu’uneONG détient les capacités stratégiques pourdévelopper une initiative BoP, qui s’appa-rente en fait à une stratégie BoP menée parune entreprise capitaliste. Cependant, ellene l’a pas fait en son nom et a dû formerune structure d’entreprise sociale externepour assurer l’autonomie et la pérennitéde son programme. Ainsi, il serait intér-essant d’évaluer si l’adoption d’un statutd’entreprise sociale est un facteur détermi-nant dans la capacité d’une ONG à menerune initiative durable sur les marchés BoP.De plus, ce cas questionne l’étendue duconcept de stratégie BoP qui, selon sadéfinition initiale (Prahalad et Hart, 1999,2002), est réservée aux initiatives BoPmenées par des entreprises capitalistes.Ne pouvons-nous pas élargir la portée duconcept aux organisations de l’ESS ?

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