Onze Fois Le Onze Septembre

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  • 8/4/2019 Onze Fois Le Onze Septembre

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    ONZE FOIS LE ONZE SEPTEMBRE

    Le dixime anniversaire du onze septembre va tre l'occasion d'analyses et commentairessur le bilan de la dcennie, du terrorisme, de l'tat des USA, de l'ordre du monde, etc.

    Bien entendu, sortant de surccrot un livre pour l'occasion, je ne peux m'empcher departiciper au mouvement gnral. Le lecteur trouvera donc au dbut de cette brochureune petite synthse sur les bilans, dix ans aprs "9/11"

    Petite diffrence, on trouvera ensuite, en ordre chronologique inverse, dix articles que j'aipublis chaque anne depuis 2001 sur le sujet (pas forcment exactement le 11septembre 2002, 2003, etc., mais souvent pas trop loin quelques jours prs); histoire depermettre au lecteur de relativiser et de se souvenir combien notre perception a vari enune dcennie.

    Par ailleurs, cette brochure peut tre complte par la lecture de

    Dcennie du terrorisme

    Terrorisme de A Z

    Terrorisme : dfinition

    Franois-Bernard Huyghe

    ! http://huyghe.fr

    mailto:[email protected]?subject=objet%20du%20courriermailto:[email protected]?subject=objet%20du%20courrierhttp://livepage.apple.com/http://livepage.apple.com/http://www.scribd.com/doc/63067707/Terrorisme-de-A-a-Zhttp://www.scribd.com/doc/63067707/Terrorisme-de-A-a-Zhttp://livepage.apple.com/http://livepage.apple.com/http://huyghe.fr/actu_963.htmhttp://huyghe.fr/actu_963.htmhttp://huyghe.fr/http://huyghe.fr/
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    DIX ANS DE GUERRE AU TERRORISME

    Aprs deux conflits et des morts que des rapports valuent aux alentours de 250.000

    ou plus, il est difficile de qualifier la guerre la terreur de triomphe.

    Globalement, les analystes (dont l'auteur de ces lignes) lui reprochent et reprochent

    aux noconservateurs qui l'ont invente et rclame trois pchs majeurs :! Une rhtorique apocalyptique contre-productive. En polarisant toute leur

    politique autour de l'objectif unique, al Qada, ennemi et danger suprmes, en

    lui subornant, au dbut au moins, toute considration gopolitique et toute

    alliance, en adoptant des mesures liberticides, en donnant l'impression de

    violer leurs propres valeurs Guantanamo ou ailleurs, les USA n'ont

    certainement pas gagn en sret ce qu'ils ont perdu en termes d'image. La

    dmocratie impose par les armes, la "longue guerre" !ou guerre "premptive"qui devait viter tout danger en l'crasant temps, bref cette bizarre guerre

    que certains baptisaient "quatrime guerre mondiale" plus l'obsession d'une

    attaque sur le territoire US (le "worst case scenario" comme rfrence

    permanente), voil une combinaison redoutable pour produire plus d'ennemis

    chaque matin.

    !Une guerre d'Afghanistan qui dure plus longtemps que celle du Vietnam etd'o l'on espre au mieux se sortir sans produire des images qui rappelleraient

    la chute Sagon... Un alli Pakistanais qui pose plus de problmes que

    certains ennemis. Autant d'checs pour une politique peu lisible o alternent

    triomphalisme, incomprhension des ralits culturelles et politiques locales,

    relations tendues avec les autorits et impuissance rgler le problme d'unennemi triple : jihadistes "trangers", plus talibans afghans, plus talibans

    pakistanais...

    Troisime erreur !: la guerre inutile en Irak avec ses justifications imaginaireset sa capacit d'engendrer un chaos contagieux. La seule russite de

    l'administration Bush en ce domaine fut de produire un plan d'irakisation de

    la guerre, destine diminuer les pertes US et donner l'impression que le

    problme avait t rgl par la mthode Petraeus de contre-insurrection

    (beaucoup de troupes reprenant le contrle de zones entires progressivement

    et srement partir de ses bases et en vitant de soulever l'hostilit de la

    population).

    Pas de chance : c'est l'administration Obama qui en touche les dividendes au moins

    mdiatiques. Tout le monde est persuad que c'est le nouveau prsident qui a retir

    les troupes amricaines, alors que l'Irak n'est certainement pas pacifi et que l'accord

    avec les autorits date d'avant l'lection prsidentielle.

    La guerre proclame, la guerre mal planifie et la guerre inutile ont donc t

    incroyablement contre-productives.

    Dans ce contexte, le trs charismatique Obama, en proclamant que l'ennemi n'tait

    pas l'islam (message simple que les Rpublicains n'avaient pas sur faire passer) et en

    annonant l're du multilatralisme, jouissait d'un effet de contraste maximum.L'limination de ben Laden qui permet d'abaisser la priorit de la lutte contre le

    terrorisme sans apparatre comme un tigre en papier ou un "libral au cur saignant"

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    incapable de comprendre les ncessits de la scurit nationale, est galement un

    atout.

    Enfin, cette administration a bnfici d'un affaiblissement de la structure centrale

    d'al Qada (un affaiblissement auquel dix ans de traque ne peuvent pas tre

    totalement trangers) et qui l'a rendue incapable aprs 2005 environ de rditerdes

    attentats spectaculaires contre des cibles US. Ce n'est pas que des Amricains ou desOccidentaux ne prissent plus dans des attaques jihadistes, mais cela ne se passe pas

    aux USA ou en Europe et ces Occidentaux (sauf quelques touristes comme

    Marakech) sont gnralement des soldats, des cooprants, des expatris... !L'impactsur l'opinion publique est donc tout fait diffrent.

    Sans compter le taux d'chec surprenant des tentatives d'attentat (chec Time

    Square, chec de diverses tentatives de faire exploser des vols ariens, chec relatif

    des colis pigs, 40 complots jihadiste anti-amricains djous dans la dcennie,

    etc.). Ceci est d l'amateurisme de certains "loups solitaires" qui tentaient de

    frapper seuls ou presque et sans formation !"srieuse" acquise en combattant sur unfront. Ces checs refltent aussi le fait que les forces "priphriques" d'al Qadacomme AQMI ou AQPA (Al Qada pour le Maghreb Islamique, Al Qada pour la

    Pninsule Arabe), sans parler des talibans ou! al-Shabaab en Somalie, n'ont gure ledsir ou l'exprience pour frapper "l'ennemi lointain" amricain chez lui. Ce qui, soit

    dit au passage, manifeste l'chec de la stratgie de Zawahiri : frapper le Juif et le

    Crois sur son territoire, ne rechercher qu'un objectif mondial pour une victoire

    globale.

    La nouvelle stratgie de contre-terrorisme, publie un mois aprs l'limination de ben

    Laden (et que nous avons analyse sur notre site) peut-elle russir pour autant ? Cette

    stratgie prconise beaucoup d'action psychologique, le recours des instruments

    plus "soft", le respect de valeurs essentielles des droits de l'homme dans la lutte,

    l'influence idologique contre le jihadisme, une stratgie adapte au printemps arabe

    et parlant aux populations arabo-musulmanes et une politique d'alliances : toutes

    choses excellentes mais qui ne suffisent pas assurer une victoire.!Rappelons au passage que le mme Obama s'il a renonc parler de "guerre auterrorisme" (et a un moment envisag une phrasologie grotesque comme "Lutte

    mondiale contre l'extrmisme violent") parle maintenant de "guerre al

    Qada"). !Mme si certains rpublicains protestent contre le renoncement au "hardpower" et aux alliances bilatrales, mme si les no-conservateurs rclament plus de

    fermet et plus d'interventionnisme, l'ide de la nouvelle mthode contre-terroristv

    n'est pas en rupture absolue avec l're prcdente. L'ide principale reste quandmme de !"dsorganiser, dmanteler, dfaire" al Qada. ! !Non sans certains succs,d'ailleurs, comme la difficult apporte aux communications entre !groupes talibans,par exemple.

    Mais, globalement, qu'est-ce cela implique ?

    Ce n'est pas la stratgie US en AFPAK qui va nous clairer. Aprs avoir choisi le

    "surge" et la stratgie de "contre-insurrection" et envoy 30.000 hommes pour cela,

    l'administration annonce un calendrier de retrait des troupes et entreprend des

    ngociations pour le moment confuses avec les "talibans modrs". Cela peut se

    comprendre d'un point de vue lectoral, mais il est difficile d'avoir trois fers au feu et

    de ne pas se brler.Sans parler de l'effet sur les allis d'une stratgie aussi htrogne et sans oublier

    l'embarras des USA l'gard du Pakistan (la dcouverte de la cache de ben Laden se

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    concilie mal avec l'image d'un Pakistan faisant de lents progrs et menantd'importantes oprations contre les bases arrires des talibans).

    Pour le reste, cette stratgie est suspendue au dveloppement du printemps arabe.Aprs avoir soutenu, au nom de la lutte qu'ils menaient, disaient-ils, contrel'islamisme, les rgimes les moins prsentables, puis aid leur chute, les tats-Unis

    semblent attendre le rsultat des courses. Entre dsir de paratre accompagner uneformidable mergence dmocratique, peur pour la scurit de l'alli isralien etdifficult distinguer l'avantage qu'islamistes et jihadistes tireront de la situation, il ya, en effet de quoi hsiter.

    Mais cela ne rsout pas la question principale qui est la radaptation d'un systmecontre terroriste orient contre "la Qada mre" et sa structure centrale qui doitmaintenant faire face trois formes du terrorisme :

    les fameux "loups solitaires", gnralement peu "performants" mais parmilesquels il pourrait se trouver un jour un "Breivik de l'islamisme" capable de

    tuer des dizaines de gens dans une capitale occidentale. un terrorisme de type Hamas ou Hezbollah sponsoris par des tats etpoursuivant des logiques tatiques

    la "priphrie d'al Qada" qui est de plus en plus dtache de la structurecentrale, mais fait preuve d'une impressionnante capacit de nuisance. Elle nedemande qu' se dvelopper dans des zones "grises" de dsordre : AQMI,AQPA, AQI (al Qada en Irak), Jihad islamique gyptien, Boka Haram,groupes nigrians et somaliens, Laskar-e-Toiba pakistanais et toutes lesmouvances talibanes sont tout sauf inactives. Et savent profiter des dsordreslis au printemps arabe, par exemple pour des vasions de Jihadistes.

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    2010

    Qu'un pasteur crtin (voir son site, interrompu, mai ici visible sur un cache : http://web.archive.org/web/20080604142032/http://www.doveworld.org / que son homonyme, Terry Jones du MontyPython Show n'aurait pas os imaginer un soir de beuverie et qui rassemblait rente partisans jusqu'la semaine dernire soit en mesure de bouleverser le monde avec une allumette est plus que

    pathtique.

    Qu'il y ait des Terry Jones (le pasteur pyromane, mgalomane et atrabilaire, pas l'acteur) en Floride,comme il y a eu et y aura peut-tre demain des fous au Pakistan ou en Inonsie pour brler desglises en reprsailles d'une offense emblmatique est dans la nature humaine.

    Qu'aux USA le pasteur ait le droit de carboniser des Corans comme d'autres le drapeau amricain,est dans la Constitution de ce pays.

    Que toute ceci donne lieu ngociations avec un vrai imam, palinodies, dclarations sublimes

    de belles mes sur le mantra "ne donnons pas prtexte aux extrmistes", confrences de presse et heures de tlvision est dans les lois du spectacle.

    Qu'Obama dclare sans rire qu'il s'agit d'une aubaine pour al Qada et Petraeus que ceci va mettre en pril les soldats amricains en Irak et en Afghanistan est dans la ligne de la politiquehollywoodienne.

    Mais que la plus grande atteinte symbolique de tous les temps - la destruction emblmatique des"tours de Babel", incarnant pour les jihadistes l'orgueil amricain, le culte de l'argent et l'idoltrie -trouve ainsi son cho parodique neuf ans plus tard reste quand mme un sujet d'tonnement.

    Des centaines de mdias vont consacrer des milliers d'heures et de pages (y compris celle-ci) unnon-vnement sans doute concrtis par une non-excution comme si, neuf ans plus tard, le seulcho des trois mille corps carboniss en 2001 taient les palinodies du petit pasteur.

    Dans cette affaire se heurtent deux logiques.

    D'une part celle du symbolique et du communautaire. Les images qui offensent - qu'il s'agisse decelles des Twin Towers, des svices d'Abou Graibh, des caricatures danoises, des enfants de Gaza,du Ground Zero ou d'un bout de saucisson- deviennent des enjeux majeurs dans ce qui n'estcertainement pas la guerre des civilisations, mais probablement celle des imaginaires.

    L'accumulation du ressentiment, la capacit de foules ( New York ou Kaboul) ragir passionnment la profanation d'un lieu sacr, l'humiliation d'une personne, l'utilisation d'unereprsentation stimule ce que le philosophe Sloterdijk appelle le fonctionnement des "banques de lacolre". Une souffrance, une insulte, une victime prend sens pour des millions de gens qui sesentent personnellement agresse dans ce qu'elles ont de plus sacr. Et la gopolitique estdtermine par la lutte des images, pour et contre des images.

    La seconde logique est celle de la technique et des mdias. Terry Jones qui a commenc se faireconnatre par Twitter a jou des rseaux sociaux et des mdias classique, de leur fabuleuse facultd'emballement, de la facult qu'ils accordent n'importe quel inconnu de devenir une star, pourvu

    qu'il trouve le thme hyperconsensuel ou hyper polmique, la surprise qui donnera lieu reprise,commentaire et mobilisation.

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    L'addition de l'archaque symbolique et des rseaux de communication se traduit en une lourdeaddition d'irrationnel. Le fanatique est tymologiquement celui qui dfend son temple (fanum), sonlieu sacr, ft par la plus grande violence. Le problme commence quand les lieux et objets sacrs

    peuvent tre vus et atteints de toute la plante par les images numriques

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    2009

    11 septembre 2009 - Huitime onze septembre,ground zeroCommmorations et routine de la terreur

    Obama clbre le huitime anniversaire du 11 septembre et, pour la huitime fois, l'Amrique

    communiera dans le souvenir des victimes.Mais cette mme Amrique ne partage plus le grand mythe d'un lutte plantaire contre le jihadisme(avec chef et organisation unique), ni ne vit plus vraiment dans la crainte d'un second 11 septembre.On commence dj employer un mot terrible : routine.Routine des crmonies et commmorations, mais aussi routine du terrorisme jihadiste, qui, bon anmal an, ralise quelques attentats spectaculaires travers le monde, plutt la priphrie, gure enEurope, plus du tout aux USA. En fait, il semblerait que les citoyens des USA se proccupentdavantage des retards dans la reconstruction des Twin Towers et de leur cot que de l'improbable

    possibilit d'une seconde frappe de cette ampleur. La peur s'attnue, on commence parler d'oublides jeunes gnrations, le trauma s'efface.

    Bref, le 11 septembre est en train de devenir un vnement historique comme les autres, certesgrave et porteur de consquences tragiques et complexes, mais un vnement quand mme, pas unetape dans l'histoire de l'humanit.

    Du coup, nous avons envie de cder, nous aussi la routine et de reprendre les analyses que nousfaisions pour le septime anniversaire, histoire de dmontrer combien l'lection d'Obama a peuchang la ralit de la lutte contre le terrorisme, en dpit du bruit mdiatique que font les affaire deGuantanamo ou de la torture, ou le renforcement de la prsence occidentale en Afghanistan (avec lesuccs que l'on sait)

    Voici donc ce que nous crivions :Imaginons qu'il y a sept ans, quelqu'un ait crit : "En 2008, ben Laden et Zawahiri seront toujourslibres et vivants. Leur organisation, en dpit d'une guerre qui se dit mondiale, de milliersd'arrestations continuera fonctionner et recruter. Ils pourront toujours s'exprimer et trouverontencore un territoire o se rfugier, la frontire afghano-pakistanaise. Chaque anne, plusieursattentats importants travers le monde leur seront imputs. La coalition de dizaines de pays, descentaines de milliers de soldats dots de l'armement le plus puissant et des milliards de dollars, sanscompter l'invasion de deux pays n'auront permis de mettre fin leur activit.". Si l'on s'en tient auvieil adage qui dit que, pour un groupe clandestin ou une gurilla, durer c'est dj gagner, la

    performance est surprenante.Inversement, aurait-on cru quelqu'un qui aurait crit au lendemain du 11 septembre : " En 2008, endpit d'une guerre globale au terrorisme qui aura mobilis la plus grande puissance de l'Histoirecontre un pril qu'elle annonait sans rival, les habitants de principales capitales europennescontinueront vivre peu prs comme avant, sans craindre chaque instant un attentat oul'explosion de la guerre des civilisations. Les principaux soucis gostratgiques se situeront enChine et dans le Caucase." ?

    Le problme d'une guerre symbolique, comme la guerre du terrorisme et au terrorisme, est qu'il n'ya pas de mesure de la victoire. Sauf imaginer que le dernier jihadiste soit arrt dans la derniregrotte devant les camras de CNN tandis que les musulmans du monde remercient l'Amrique, ouque l'mir ben Laden installe la capitale de son califat restaur Washington D.C, ...

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    Pour mesurer une "victoire" ou d'une "dfaite", ou au moins de progrs ou reculs des jihadistes,encore faut-il savoir quel critre on se rfre.

    S'il s'agit d'un critre "militaire", la capacit organisationnelle d'al Quada produire tant de mortssous telle ou telle latitude, aucune unanimit chez les experts. Certes, il continue y avoir traversle monde un nombre non ngligeable d'attentats attribus des islamistes. Pour ne prendre que des

    exemples rcents - et ce dans une relative indiffrence de la presse internationale bien plus fascinepar l'affaire tibtaine -, deux attentats mortels en une semaine dans la zone musulmane de Xinjiangviennent de dmontrer que mme la Chine n'est pas l'abri. tant entendu que personne ne penseque ben Laden a pass un coup de tlphone depuis sa cachette pour commanditer la chose. Mais aumme moment on apprend l'arrestation en Italie de jihadistes qui s'apprtaient aller combattre enIrak et en Afghanistan (certains ayant dj combattu en Bosnie). mais quel rapport avec al Quadaou une suppose structure centrale de commandement ?

    Nous savons que nous pouvons aussi bien lire dans le journal de demain "Ben Laden arrt dans leszones tribales" ou "Cinq kamikazes se font exploser dans le mtro parisien". Un coup et un seuldans un sens ou dans l'autre (succs anti-terroriste, attentat la faon de ceux de Londres ou de

    Madrid) changerait notre perception.

    Le critre du succs est peut-tre mesurer dans l'ordre symbolique. Or, de ce point de vue, l'impactdes dirigeants d'al Qada n'augmente gure : le temps n'est pas forcment son ami. Aprs avoirconstat combien le 11 Septembre tait un acte "inaugural" ("pochal" ont dit certains) et rpt quele monde ne serait plus jamais le mme, nous aurions peut-tre du nous demander : et aprs ? Etaprs un acte aussi incroyable, que peut-on faire qui ne soit pas moins fort et moins significatif ?Qui n'ait pas une charge motive et une valeur de dfi symbolique infrieure ? Peut-on envisagerque le message des dirigeants suscite une certaine lassitude ? Que son pire ennemi soit - aussicynique que cela puisse paratre - la routine de l'horreur ?

    Nous avons soulign plusieurs fois que les chefs jihadistes n'avaient pas perdu leur capacit des'exprimer et mme qu'ils s'taient dots avec as- Sahab d'un vrai mdia pour mener la guerre del'information.

    Mais quelle force a le message sept ans aprs ?Au cours des derniers mois, ni sur la forme ni sur le fond, les chefs d'al Qada n'ont dmontr leurmatrise de la situation, ni leur rle dominant dans le mouvement jihadiste.Cela ne signifie certainement pas que la violence islamiste s'essouffle, ni que le terrorisme est envoie de disparition. Mais cela signifie peut-tre que nous devrions nous concentrer sur autre choseque sur les icnes mdiatiques.

    En sept ans, nous avons connu sept surprises :

    1) La premire est vidente et souvent voque ici : la contre-productivit de la "Guerre globale auterrorisme". Ni pour l'limination des organisations terroristes, promues au rang d'ennemi principalet presque mtaphysique, ni dans son ambition d'liminer les Armes de Destruction Massives endissuadant ou renversant les rgimes censs en possder, ni dans son projet de dmocratiser leProche-Orient, cette guerre n'a rempli ses objectifs. Elle a, au contraire, provoqu une dissminationdu terrorisme quantitative sinon qualitative, un renouvellement et un rajeunissement de sonrecrutement, une monte globale de l'anti-amricanisme. Plus un paradoxe remarquable : elle asuscit trois guerres insurrectionnelles, diffrentes et galement dangereuses. Celle de l'insurrection

    irakienne : mme si le taux de pertes a baiss et mme si les jihadistes trangers peinent s'yimplanter, les groupes arms sunnites et chiites reprsentent un danger croissant. Celle des talibans

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    afghans, visiblement en voie de reconqute de rgions entires. Celle des talibans pakistanais quila faiblesse de l'actuel pouvoir ne devrait pas a priori porter ombrage...

    2) Une guerre engendre un phnomne de psychologie collective : le sentiment d'tre en guerre,exprience collective sculaire qui consiste admettre que les rgles normales sont bouleverses(c'est l'poque o "les pres enterrent les fils", celle o il est licite de tuer, o tout peut arriver). Il

    est vident que les Europens, les Franais en particulier n'ont gure ce sentiment (voir la surprisede l'opinion dcouvrant avec horreur que des soldats franais peuvent mourir en Afghanistan). Enest-il autrement aux USA ? nous le parierions de moins en moins.

    3) Le fait qu'al Qada ait survcu l'invasion de deux pays, des milliers d'arrestations, sept ansd'efforts, une chasse mene par une coalition plantaire dote moyens plusieurs fois suprieurs ceux qui ont gagn la seconde guerre mondiale et qu'elle reste largement invisible en dpit destechnologie de surveillance lectronique ultra-sophistiques : voil qui pose pour le moins

    problme. La rponse peut se formuler ainsi : nul ne doute que cette capacit de survie tient lastructure en rseaux d'al Qada. Il est souvent compar un systme de franchise : de l'expertise

    professionnelle et un label apports des groupes locaux trs autonomes. Cette structure rticulaireou en rhizome ultra-rsistante a t analyse de faon trs minutieuse. Reste une question : partirde quel moment une structure cesse-t-elle d'tre une structure pour devenir un mot ? Plustrivialement : quel forme de contrle (instructions, conseils, coordination, fourniture de moyens,commandement..) exerce l'entit cense s'appeler al Qada sur les multiples groupes que l'on ditmaner d'elle ? Quelle hypothse choisir ? Ben Laden envoyant ses messages cods des milliersde sides travers le monde et dirigeant tout le mal du monde comme le N1 de Spectre dans JamesBond ? Un type malade, crapahutant dans les zones tribales et dirigeant autant les jeunesmusulmans qui se rclament de lui que Che Guevara les jeunes gens qui portent son T-Shirt ?

    4) La "rusticit" du terrorisme reste une constante. Mme s'il y a eu des volutions dans l'usage del'attentat suicide et de la voiture pige, aucun des scnarios catastrophe annoncs ne s'est ralis :

    pas de cyberattaque, pas de d'utilisation d'armes biologiques ou chimiques, pas de bombe dupauvre. Le jihadisme fonctionne avec une pitaille "consommable" : des milliers de gens prts sefaire sauter, faire le coup de feu dans une passe de montagne ou enlever des gens gnralementnon arms. Mme l'usage du tlphone portable pour faire sauter une bombe distance (etconomiser une vie humaine) reste l'exception.

    5) La guerre "pour les curs et les esprits" n'est pas remporte par le pays qui a invent Holywood. On pourrait sattendre ce quune bataille des ides soit gagne par une superpuissance qui

    possde plus de conseillers en communication, de cadres de la pub, de spcialistes des mdias et dela presse, de conseillers politiques, de professionnels des relations publiques et de psychologues quele nombre total (des ennemis) disait dj Daniel Barnett au moment de la guerre du Vietnam.Quarante ans plus tard, c'est pire : le soft power, la diplomatie publique, les bureaux d'influence, lesagences de com, les spin doctors, les beaux sites Internet, les tlvisions arabophones (pour contreral Jazira), les manifestes d'intellectuels et les feuilletons tlviss, rien n'y fait. En revanche (et sansmme parler des remarquables du Hamas en termes de propagande et sur ses propres mdias, et surles mdias "adverses"), les jihadistes peuvent toujours s'exprimer. Les prches de Zawahiri et benLaden, les images d'entranement de mouhadjidines ou d'excution des ennemis, souvent produits

    par as-Sahab la "bote images" d'al Qada , les forums sur Internet ou les rseaux humains dans les

    mosques.., tout cela fonctionne plein. La synergie entre les technologies numriques (pourdiffuser) et les structures mentales archaques (pour expliquer) est tout fait redoutable.

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    6) Il se pourrait que le pire ennemi d'al Qada - les Zawahiri accusant l'Iran d'tre complice desAmricains ne sont pas de nature clarifier les choses !Il se pourrait aussi (l encore en supposant que la "direction" ait la moindre prise sur ce qui se faiten son nom). Mais surtout, aprs l'incroyable impact de l'humiliation symbolique le 11 septembre2001, tous les "succs" mme s'ils sont aussi spectaculaires que les attentats de Londres et deMadrid, ne se traduisent finalement que par une capacit de nuisance publicitaire. Mais quelobjectif politique a t accompli ?

    7) Au lendemain du 11 septembre, on nous avait dit que plus rien ne serait comme avant. Lesillusions d'aprs la chute du Mur se dchiraient : ni fin des guerres, ni triomphe de la dmocratielibrale comme systme historiquement indpassable, ni unification de la plante par la culture oula technologie (pas d'unification des cerveaux, en tout cas). Nous entrions dans une nouvelle phasetragique polarise par la guerre unique, l'ennemi absolu (la guerre de la civilisation contre la

    barbarie nihiliste) et par la division du monde en deux camps, faisant passer au second plan lesvieilles catgories. Sept ans aprs que reste-t-il de cette phrasologie ? Bien sr, personne ne penseque le 11 septembre ait t un vnement secondaire. Mais ce n'est pas l'vnement inaugural d'une

    post-histoire : les ralits de puissance et d'intrts ne se laissent pas oublier, ni les fondamentauxgopolitiques, ni l'importance du facteur territorial. Et le monde est tout sauf divis en deux campsou deux idologies !

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    Terrorisme entre crime, guerre et influencePubli dans Archimde 2008

    Le monde (ou au moins les USA) sont entrs dans leur huitime anne de Guerre globalecontre le terrorisme . Une notion qui a t abondamment critique au nom de largument : "Onfaisait la guerre Hitler, pas laBlitzkrieg, il faut faire la guerre au jihadisme, pas au terrorisme".Mais que ce concept se prte des usages mythiques ou idologiques nen dissipe pas pourautant le mystre.

    Il existe environ 200 dfinitions, juridiques ou universitaires, de ce phnomne et limpuissancedes organisations internationales confrer une acception universelle au mot est notoire.Mais l'on consent faire de "terroristes" autre chose qu'une tiquette infamante, il faut chercherailleurs quelle trange relation se noue entre ide et violence autour du terrorisme.

    Terreur et symboles

    Il est tentant de parodier Cocteau (Il nexiste pas damour, mais des preuves damour) et de direquil nexiste pas de terrorisme en soi mais des manifestations du terrorisme. Ce nest pas unecole, une doctrine ou une idologie, comme le suggrerait sa dsinence en isme (commebouddhisme, nationalisme ou structuralisme) : cest une pratique, un moyen au service de finspolitiques.Il existe, bien sr, des groupes terroristes, qui posent des bombes ou assassinent. Notons que, leplus souvent, ils se disent combattants de la libert, avant-gardes, fractions armes du parti,armes secrtes, ou groupes de partisans. Ils ajoutent volontiers que, ds quils aurontsuffisamment affaibli ladversaire (qui est le "vrai " terroriste et le premier agresseur), ils seconstitueront en mouvement de masse, jihad de tous les croyants ou arme avec uniformes etdrapeaux.Certes, nul n'est oblig de les suivre sur ce terrain ; encore que les statistiques rvlent que lesgroupes terroristes ont bien davantage tendance disparatre en se transformant en mouvementspolitiques ou en insurrection arme que de probablits dtre dtruits par la police ou l'arme.Mais cette dialectique est rvlatrice : le terrorisme veut sa propre disparition. Il nest pas uneessence, mais un moment ou une mthode terroriste laquelle le faible, l'acteur non-tatique,choisit ou non de recourir dans une situation historique.

    Cette pratique suppose le recours lattentat par des groupes clandestins frappant des cibles

    symboliques dans un but politique.Lattentat est un usage de la violence la fois planifie (cest une stratgie), sporadique (il y a attentat ou sries dattentats coup de priodes de calme apparent), secrte (le temps de sa prparation et, aprs coup, lorsque ses auteurs disparaissent), surprenante (le but du terroriste est de frapper o il veut, quand il veut pour placer

    ladversaire sur la dfensive et transformer son attente du prochain attentat en angoisse) et enfin spectaculaire (lattentat vaut par son impact sur les dirigeants, lopinion

    adverse, neutre ou sympathisante, bien plus que par sa valeur strictement militaire denombre de morts ou de btiments dtruits).

    La cible est toujours symbolique, mme un chef dtat : la victime a t choisie moins pour laperte que constitue sa disparition physique que pour le principe quil reprsente : le Systme

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    honni, lautorit illgitime, les ennemis de Dieu, les occupants Mme la victime innocente -le passant touch par une bombe dans la rue lest en raison de son anonymat mme. Elle estsacrifie pour signifier que nul nest labri mme le plus obscurou parce que, ne participant pasau combat de libration, ce passant est jug objectivement complice des oppresseurs.

    Enfin le but est politique, en ce sens quil sagit de modifier un rapport de pouvoir stable. Il sagit,par exemple, de dtruire ltat (terroristes anarchistes), de chasser ltat dun territoire(indpendantistes ou anticolonialistes) ou encore de contraindre lautorit de ltat (les groupesinternationaux des annes 70/80 la Carlos agissant peu ou prou pour des commanditaires).

    Le moment terroriste

    Reste pourtant que le mot de terrorisme a une apparition historiquement date et que ses usagesne le sont pas moins.

    La premire occurrence du mot est atteste par le dictionnaire dans notre langue en 1793 : il

    dsigne dabord le terrorisme dtat jacobin et rvolutionnaire, cest--dire la propagation toutle territoire de la Terreur destine paralyser de crainte les ennemis de la Nation. Au cours dusicle suivant, le sens du mot sinverse : il devient une forme de lutte contre ltat et sans lesmoyens dun tat (pas darme rgulire, pas dinstitutions reconnues).

    La notion se rpand avec les attentats narodniste dits abusivement nihilistes puis ceux dessociaux-rvolutionnaires en Russie, bientt anarchistes dans le reste de lEurope et en Amrique.Le terroriste est alors, selon le mot de Camus, celui qui veut tuer une ide quand il tue unhomme : la bombe ou le pistolet qui frappent le tsar, le prsident, le policier ou le simplebourgeois sont des coups de tonnerre destins rveiller le proltariat. En radicalisant lasituation, en obligeant chacun choisir son camp et en dmontrant que les reprsentants de latyrannie ne sont plus labri, le rvolutionnaire entend faire uvre idologique voirepdagogique.Ceci constitue une rupture par rapport des sicles qui ne connurent "que" lassassinat politique,tel le rgicide et le tyrannicide discuts par les philosophes et les thologiens. Les sicaireshbreux, les hashishins chiites ou les carbonari rpublicains taient certes la fois motivs parlidologie et voulaient rpandre la peur dans le camp adverse. Mais ils voulaient chtier unhomme ou dtruire un obstacle. Lide que lclat de cet acte contribuerait rpandre des ides

    vraies leur tait trangre ou leur semblait secondaire.Les terroristes nationalistes, ractionnaires, religieux, identitaires, rvolutionnaires internationaux,et maintenant cologistes, amis des animaux, sectaires ou autres qui suivront pendant au XX

    sicle se placent dans cette mme logique o le spectacle et le sens donn la mort (ou audommage physique) comptent plus que la ravage.

    Pour le dire autrement, il y a trois approches majeures (et pas inconciliables) du phnomneterroriste.

    Soit le terrorisme est une varit particulirement odieuse du crime. On considre alors quilsen prend des victimes innocentes par nature (femmes, enfants, civils) ou qui ne sont pas sur ladfensive, et qu'il agit par tratrise (les agresseurs se cachent, ne portent pas duniformes).

    Seconde perspective : la guerre du pauvre. Qui n'a pas de bombardiers pose des bombes. Le

    terrorisme serait bien une guerre au sens classique : action arme mene par des collectivitsaffirmant la lgitimit de leur violence et cherchant faire cder la volont d'une entit politique.

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    Mais faute pour le moment peut-tre - darmes, de territoire o exercer une souverainet ou

    encore de statut juridique, un groupe recourt des moyens du faible, que son adversaire, le fort,

    possde par dfinition et abondamment.

    Troisime interprtation : la propagande par le fait . Agir et proclamer se confondent. L o la

    force de la conviction ne suffit pas, ou l o le terroriste pense ne pas avoir des moyens deprotester, il emploie la balle ou la bombe comme message. Son contenu est dailleurs plus

    complexe que ne le laisse penser lexpression "rpandre la terreur" ou l'ide de "revendiquer". Ce

    message peut sexprimer dans un communiqu qui en constitue le sous-titre ou quil

    soit implicite, dans le choix mme de la victime. Il est plusieurs niveaux de lecture : la signature

    de lauteur de lattentat, qui il reprsente (le Proltariat, le Peuple occup, l'Oumma, tous les

    opprims), qui il combat et quels sont ses griefs, ses exigences et son programme, lannonce

    dautres attentats et de victoires futures Sans oublier la trs importante composante quest

    l'humiliation symbolique de l'adversaire, frapp, affaibli et dmasqu tout la fois.

    Du ravage au message

    Un des problmes de la lutte anti-terroriste est prcisment denvisager le phnomne dans ces

    trois dimensions qui appellent respectivement une rpression judiciaire, une stratgie politique et

    une action dinfluence.

    Pour ne prendre quun exemple, la lutte contre al Qada nous a dmontr linefficacit dune

    solution militaire, la rsistance ou rsilience de lorganisation jihadiste la plus grande chasse

    l'homme de lhistoire, sa confusion politique lie au fait que ses objectifs ne sont ni clairs ni

    ralistes et son pouvoir de fascination symbolique. En tmoigne la facilit avec laquelle les

    volontaires sont prts mourir au nom ou sous tiquette dune organisation avec qui ils nont que

    des liens lointains et souvent fantasmatiques.

    Franois-Bernard Huyghe

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    2007

    11 septembre 2007

    La commmoration du 11 SeptembreDe lautre ct de lAtlantique on dit 9/11 comme si seuls les chiffres et non les mots pouvaientrendre le caractre de lvnement.

    Et quand mdias le commmorent (y compris par la fiction qui sempare du thme aprs un dlai de dcence ), ils ne peuvent chapper deux genre. Pour les uns, cest le caractre stupfiant,indicible du 9/11, quil faut voquer par le passage en boucle des mmes images et des mmestmoignages. Dautres reviennent sur la question : comment pouvait-on ignorer ? Comment lesimmenses moyens de dtection et danticipation amricains ont-ils pu tre surpris ? Mais dans tousles cas, un point sur lequel tous convergent : plus rien ne sera comme avant.

    La stratgie amricaine a thoris cela et fait du caractre inaugural de lattentat la clef de vote deleur nouvelle analyse. Ils sont passs trs vite de lide dun nouvel ordre mondial voire dune finde lHistoire celui dune lutte finale. Certains no-conservateurs la rsumaient ainsi : aprs avoirgagn une guerre contre le nationalisme europen (14-18), puis contre le fascisme (39-45), puiscontre le communisme (Guerre Froide) les tats Unis doivent mener et gagner une longue guerrecontre le terrorisme pour le bien de tous les hommes.

    Nous avons nous-mme ici (et aprs beaucoup dautres) trop souvent critiqu cette rhtorique de la guerre perptuelle , quatrime guerre mondiale ou guerre globale au terrorisme, pour quil faille

    stendre sur ses contradictions. Elle suppose un ennemi unique et principal (le terrorisme oulislamisme) et une bipolarisation remplaant celle de la guerre froide : laffrontement entre deuxsystmes de valeur radicalement opposs. On a tout dit des erreurs de cette stratgie (traquemondiale des terroristes + renversement des rgimes qui les soutiennent + chasse aux Armes dedestruction massive). La ralit a montr le caractre contre-productif de cette mthode :- Dispersion des terroristes, multiplication de leurs attentats, augmentation de leurs facults derecrutement, conjonction de gurillas enracines en Irak ou en Afghanistan, avec des mouvementsarms dans les pays musulmans et avec le passage au jihad de groupes de citoyens qui semblaient

    bien intgrs la socit europenne.- Augmentation de lantiamricanisme aprs une courte phase de piti et de sympathie. Tandis que

    le front des allis est pour le moins plus hsitant et la politique de conqute des curs et desesprits pour le moins mal en point.- Mauvaises surprises avec le processus dmocratique tant prn : il profite au Hamas, au Hezbollahou aux conservateurs iraniens l o on le laisse se dvelopper, il pourrait profiter aux islamistes lo on lencadre de faon autoritaire- Deux pays au moins, Core et Iran, ont tir une leon contraire de ce que lon esprait : ils fonttous leurs efforts pour se doter au plus vite de larme atomique et se livrent de multiples

    provocations (au lieu de renoncer vraiment leurs programmes avant de se faire craser commeSaddam).

    Avec le recul, et une fois puises les joies faciles de la critique un peu de la politique US, pouvons-nous dcouvrir les fautes dinterprtation que nous avons tous commises ? Beaucoup tiennent sans

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    doute la surestimation du nouveau, la frnsie de rvision qui ont suivi le grand traumatisme.Plusieurs ides sont sans doute rvexminer :

    - Lhyperterrosime est le reflet de la mondialisation, il ny a plus de front et darrire, il peutfrapper partout . Certes, il continue y avoir plusieurs fois par ans des tentatives dattentats aucur de lEurope. Beaucoup sont djoues comme nous venons de le voir en Grande-Bretagne et en

    Allemagne. Des attentats (Madrid, Londres) se produisent nanmoins. Certes, rien ne permetdexclure une tuerie demain Paris ou Rome. Mais de l conclure que le territoire na plusdimportance, il y a une marge norme. Le phnomne terroriste est international, ce nest pas unemultinationale. Sans mme parler de lIrak ou de lAfghanistan, les motivations, le recrutement, laforme, lefficacit, la frquence des actes terroristes dpend de facteurs locaux. La notion quil y a un terrorisme (ou le fait de substantifier le terrorisme qui ferait ceci ou cela) na pas le mmesens au Cachemire, en gypte ou en Europe.- Le terrorisme est la forme moderne et prdominante du conflit . Saut dcider que tout ce quinest pas une guerre intertatique avec armes rgulires, drapeaux, batailles en plaine,

    proclamations et trait est un conflit impliquant le terrorisme, cette proposition est absurde. Quels

    que soient les jugements politiques et moraux que lon porte sur les tigres tamouls ou le Hezbollah,ce qui vient de se produire au Sri Lanka ou au Liban ressemble peu des attentats dans un avion.Quand des gens nombreux et organiss tiennent une province ou un quartier, se rassemblent pourchanter et dfiler Kalachnikov sur lpaule, tirent des roquettes, ont des cantines et des hpitaux ousignent des trves, ils mnent une forme de lutte que lon peut condamner, et dont on peut discutersil faut la baptiser gurilla, guerre de partisans ou autres. Leur activit est lie des objectifs

    politiques prcis, la souverainet sur des territoires prcis et lusage des armes a un dbut et unefin biens dates. Cette pratique nest gure comparable celle dune poigne dhommes qui selvent un matin pour aller faire sauter des bombes dans une ville qui croit vivre une journe commeles autres.- Toute la politique internationale tournera autour de la question terroriste . Les grandesquestions restent celles de lnergie, de lmergence de la Chine, de la Palestine, des rapports entrelInde et le Pakistan ou de tout ce que vous voulez avant dtre celle de la traque dal Qada. On ne

    peut pas dire que la gopolitique revient puisquelle nest jamais partie en dpit de lillusiondun tat dexceptions plantaire. Et elle continue de tourner autour de questions qui ont souvent

    plusieurs dcennies.- Nous ne vivrons plus jamais de la mme faon. Cest le fonctionnement mme de nos socitsqui est compromis. . Personne ne songe dire que le Patriot Act, les contrles biomtriques,quelques jours de chaos dans les transports ariens britanniques, des perturbations dans le tourismeou dans lassurance ne soient rien. Mais nos socits, surtout en Europe, continuent fonctionner

    peu prs comme avant et que la routine est plus forte que traumatisme. Le taux de perturbationapport par le nouveau terrorisme reste faible au quotidien.

    Tous les caractres que lon lui prte et que le onze septembre a exacerbs menacer chacunindistinctement et constamment, tre clandestin, surprenant, sporadique, crer un soupon

    perptuel, une attente sans fin de la catastrophe, produire un choc psychologique sans rapport avecle risque statistiquement mesur, obliger les dmocraties remettre en cause leurs propres rgles -tout cela est vrai.

    Mais que peut tout cela contre leffet du temps ? Aprs une ingalable atteinte symbolique, un

    traumatisme, un dfi sans pareil, le jihadisme peut il galer son propre exploit ? Lexpriencemontre quil possde une capacit de nuisance moyenne de x attentats spectaculaires par an, donttrs peu en Europe (et pour le moment zro aux USA). Mais pas plus pour le moment ? Peut-il y

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    avoir un quivalent terroriste de la guerre de position ou de la guerre dusure ? Un terrorisme sansescalade ou monte aux extrmes ? Une intgration du terrorisme aux nombreux risques quicaractrisent nos socits du mme nom et contre lesquels elle dploie tant de dispositifs de

    prcaution ? Une redondance du message terroriste ? Une routine de labominable ?

    De telles questions semblaient impensables il y a cinq ans. Il est peut-tre temps de se les poser.

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    2006

    Le 11 septembre d'al ZawahiriLa France menace ?

    leur faon, les jihadistes ont commmor le 11 Septembre : pas dattentat spectaculaire, mais uneintense activit mdiatique . Pour Zawahiri et les siens, les textes sont lourds de sens et les servicescontre-terroristes ne les prennent pas la lgre, surtout en France.

    Une des meilleures sources sur les publications vidos la mouvance dite dal Quada, le SiteInstitute a lanc laffaire en publiant le texte dune interview dAyman al-Zawahiri sur As-Shahab,souvent considr comme le dpartement mdia dal Quada . Elle a trs vite t rpercute paral Jazeera, CNN, mais aussi le Figaro qui fait sa premire page sur les dangers que court notre pays.

    Les dclarations de lidologue jihadiste, vieux compagnon de ben Laden. (depuis 1980), sontdabord remarquables par leur longueur et par leur contexte. Les publications de cassettessintensifient dans trois genres que nous avions dj nots : dclarations des dirigeants destines dfier et terroriser les ennemis, vidos techniques de recrutement et dentranement, et cassettesde martyrs (dont on vient de publier une remarquable anthologie dans le registre de lexaltationmystique et de la posie emphatique).

    Dans cette abondante production, on notera une cassette historique sur la prparation du 11Septembre 2001. Elle remonte 1948 et rappelle les conditions de la cration dIsral avant deretracer des dcennies de luttes et de rappeler les principaux griefs contre les Etats-Unis qui volentle ptrole des musulmans et ont souill le sol sacr de lArabie saoudite en 1990.

    Premier lment : Zawahiri (qui, soit dit au passage, en est sa neuvime vido de l anne)accueille avec joie le ralliement du GSPC algrien (Groupe Salafiste de Prdication et de Combat),llment le plus dur de lislamisme dans ce pays. Le GSPC aurait fait allgeance au lion delIslam , le cheikh ben Laden. La premire nouvelle, cest que ce soit une nouvelle. Que faut-ilalors penser des multiples experts s terrorisme qui considraient depuis des annes comme faisant part dal Quada ce groupuscule n dune scission dure du GIA et spcialis dans lemassacre de leurs compatriotes apostats (grosso modo tous ceux qui ne les ont pas rejoints et ne

    participent pas la guerre sainte) ? Ou des dclarations de Nicolas Sarkozy annonant que sesservices savaient de puis le 11 Septembre 2003 ? Si cest le cas, pourquoi Zawahiri a-t-il attendu

    trois ans pour ce scoop ?

    Llment qui a le plus frapp les commentateurs, ce sont les appels frapper notre pays, rang surle mme plan que les Amricains. Le thme de la France qui opprime les musulmans en interdisantle port du voile nest pas nouveau dans le discours jihadiste. Mais cette fois lappel lamultiplication des attentats est sans ambigut, Au point que le premier ministre et celui delIntrieur ont mis en garde nos compatriotes.

    De fait, les sympathisants de la gurilla islamiste algrienne sont nombreux dans notre pays.Nombre dentre eux, sont probablement reprs par la police qui a prouv une chose : depuis 1985

    elle sait lutter contre le terrorisme algrien et a t capable de faire chouer une srie dattentats.Avant de cder la panique, et dattendre un 11 septembre la franaise, il faut se demander si les

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    cibles ne seraient pas des Algriens tratres installs dans notre pays. La cassette laisse pour lemoins des doutes ce sujet.

    Zawahiri continue tracer le programme: lAfghanistan est destin devenir ou redevenir un miratislamique, la victoire est proche en Irak, la suprmatie actuelle des juifs et des croiss ne dureragure en Palestine et enfin le Liban sera un prochain champ de bataille. Blair et Bush regretteront,

    ajoute-t-il, regretteront bientt de ne pas avoir accept la trve proposes par ben Laden.

    En conclusion Zawahiri sadresse aux peuples occidentaux qui leur leaders dissimuleraientltendue du dsastre quils subissent . Trs significativement, il rappelle que les jihadistes ont toutes les raisons lgale et rationnelles de mener la guerre sainte. Cest la confirmation que, dansla vision thologique trs particulire des jihadistes, ils sont la fois en tat de lgitime dfensecontre un adversaire qui les a envahis le premier (la loi naturelle leur ferait donc obligation de sedfendre) et soumis un devoir religieux de combattre sans relche, quel que soit le rapport deforces.

    Et de dsigner les deux prochains objectifs dextension de leur action : le Golfe et Isral.Confirmation sil en tait besoin que ce que nous considrons comme le groupe terroristeterroriste al Quada se voit, lui comme lavant-garde seule lgitime de lOumma tout entire,comparable aux compagnons du prophtes.

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    2005

    Twin Towers et Big Brother

    Big Brother nexiste pas seulement dans la tte des intellectuels, infatigables dnonciateurs duSystme manipulateur et omniscient. Il vit aussi dans les fantasmes des stratges, et en particulierdans ceux du Pentagone. Ces gens qui nont certainement lu ni Bentham ni Foucault parlent du panoptisme au profit des U.S.A., de linfodominance absolue que confrera la technologie.Ils parlent mme de lil de Dieu : lorsque lhyperpuissance pourra tout voir, elle pourra toutdissuader : terrorisme, activits dun tat-voyou, crime organis, etc. La finalit ultime est ce quilest convenu dappeler le monitoring global de la plante. Mais, toute question morale mise

    part, est-ce efficace ? Car, bien sr, crire des rapports sur le soft power est une chose, ne pasconfondre un char serbe avec un leurre en bois ou arrter vingt kamikazes en est une autre.Pourquoi avoir les 120 satellites dEchelon autour de nos ttes, pourquoi faut-ils que les U.S.A.dpensent tout espionner lquivalent de 150 milliards de nos francs par an (budget de ce que lesamricains nomment la communaut de lintelligence ), si cest pour ne rien anticiper ? quoi

    bon tre la premire socit de linformation du monde, si cest pour ne rien pouvoir rien contre descutters, de lorganisation et un pulsion de mort qui dpasse notre entendement ? Alors, chec destechnologies la Big Brother ?Si lon entend par l quil est absurde que le citoyen lambda voie ses e-mail intercepts, et soit traable et profilable dans des bases de donnes, tandis que les groupes terroristes passent entreles mailles du filet, la rponse est videmment oui. Encore faut-il replacer le suppos chec de latechnologie ou du renseignement dans son contexte. Cela dbouche sur des questions beaucoup plusgraves que de savoir si flics et espions font bien leur travail :

    - Loin dtre archaques , les groupes comme celui de Bin Laden recourent aux techniques depointe. Ainsi ils pratiqueraient la stganographie, qui consiste dissimuler linformation que lonveut transmettre, non pas sous forme de texte chiffr qui attire lattention, mais dans une micro-image implante dans une photographie dun site Internet. Ou encore dans une zone minuscule maisnon utilise dun fichier musical de type MP3. Cest la version lectronique du microfilm cher auxromans despionnage. De faon plus gnrale, le fait davoir un turban et une grande barbe

    nempche absolument pas de comprendre les mcanismes de la socit de linformation. Cest vraide ses mcanismes symboliques (limage des deux tours seffondrant en live plantaire ractive lafois notre imaginaire des films-catastrophes hollywoodiens, et des mythologies plus profondes (latour de Babel, le feu divin...) et une signification emblmatique vidente (le World Trade Center est la fois lAmrique, l hgmonie politique, la globalisation financire, la mondialisation...). Cestvrai aussi si lon se rfre aux mcanismes des rseaux : si ce que lon dit est exact, Bin Ladenaurait t la fois capable de vivre sous la tente et de diriger un empire financier distance, voirede spculer par transactions lectroniques interposes sur la catastrophe quil sapprtait

    provoquer ! Autre faon de dire que le technologique nest pas linverse de lidologique ou que lesavances de McWorld ne sont pas des reculs du djihad, pour parodier le titre du livre de Barber.

    - Le problme nest pas seulement davoir des moyens de surveillance, il est de ne ragir quaux bons signaux. Or lattaque du 11 Septembre a t prcde de fausses alertes. Ainsi, le 22 Juin

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    dernier les mdias amricains avaient annonc limminence dune action terroriste sur la base delinterception suppose de communications du groupe Bin Laden. Dans la guerre lectronique, lacrainte des stratges est dtre abuss par des leurres ou de frapper par erreur des neutres ou desamis. Dans la lutte contre le terrorisme, elle est aussi dtre intoxiqu, auto intoxiqu ou surexcit.Cela veut dire, bien sr que lexcs dinformation tue linformation, - cest un truisme. Cela signifiesurtout quun systme de dtection/prvention plantaire de prils de tous ordres (terrorisme,attaques des tats-voyous, activits criminelles, etc.) se heurtera toujours aux problmes de ladiscrimination et de la raction instantane puisque la question du temps est ici fondamentale.

    - Les responsables de la scurit qui rflchissent sur les conflits que lon dit asymtriques , telgroupe terroriste contre un tat-Nation, sont confronts une multitude de scnarios. Mais queltait le bon synopsis ? Celui de 1999 tudi devant James Schlesinger ressemblait au livre deLapierre et Collins le cinquime cavalier : des terroristes tchtchnes vendent des armesnuclaires tactiques russes au Hezbollah ; il les fait pntrer New York en bateau et exploser.tait-ce le scnario dont le Snateur Sam Nun avait parl Bill Clinton : deux terroristes en hors-

    bord sur le Potomac dirigent un mini-avion tlcommand et charg dAntrax, un gaz mortel, le soirdu discours sur ltat de lUnion, quand lexcutif et le lgislatif sont runis au Capitole ? Fallait-ilcraindre lintroduction dune arme biologique sur le territoire amricain comme on ltudiait cetteanne Andrews Airforce base ? Et certains dimaginer ce que pourrait donner la conjonctiondarmes de destruction massive (biologiques et chimiques) plus des armes de perturbationmassive : une attaque cyberterroriste paralysant les rseaux informatiques et crant une paniquecontagieuse.Dans certains des exercices de simulation ainsi tudis par les think tanks amricaines, lesmilitaires, les responsables de la scurit, etc., il arrive souvent que les bons perdent et en touttat de cause, le poids du zro risque , sorte dapplication du principe de prcaution totale, est

    probablement insupportable en terme de cot et defficacit. Nous dcouvrons une socit decontagion. Nos systmes sefforcent , par des moyens de surveillance et de contrle high techdenrayer toutes sortes dpidmies : quil sagisse de la vache folle ou de la panique boursire,dpidmie de violence ou de rumeurs. Demain, peut-tre, il sagira dviter les catastrophes lies la diffusion de codes gntiques ou de codes informatiques. Et, dautre part, le boucliertechnologique ne vaut plus rien si une personne dans le monde en dcouvre une faiblesse. Si unhacker dcouvre un moyen de pirater les scurits de Microsoft ou si un laboratoire militairedcouvre un leurre capable de tromper le bouclier antimissile, il faut tout recommencer zro. Latechnique offensive (ou de dception) sera forcment diffuse un jour ou lautre

    - Dun ct nombre des liberts fondamentales (et plus seulement le droit au secret du vote et de lacorrespondance) sont des droits de retenir et de dfendre de linformation : droit de contrlerlusage de ses images et ses donnes, droit dtre anonyme et dutiliser un code sur Internet, droit dene pas tre fich par ltat et les socits commerciales, droit la proprit intellectuelle (ne pastre pirat ou recopi). De lautre, lexigence relle ou suppose de scurit ou de moralit amneles autorits, tatiques ou dontologiques, rguler les zones de traabilit, de rtention et de non-diffusion. Qui a le droit de savoir ou de publier quoi propos des fonds secrets, du pass deshommes politiques, de lorigine ethnique, du casier judiciaire ou de la sexualit des citoyens, deleurs dossiers mdicaux, de la feuille dimpt du voisin ? Or la question nest pas seulement dedcider entre libert et scurit, droits de lindividu ou exigences de la socit, morale des fins ou

    morale des moyens. Ce ne sont pas seulement des choix politico-thiques. Ce sont des dcisionsdo dcoule un des sources principales du pouvoir dans nos socits (y compris du pouvoirconomique) : celui de dcrter ce qui est visible et ce qui est cach, ce qui est reproductible et ce

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    qui est limit. La matrise des moyens technologiques de savoir et de dissimuler est devenue aumoins aussi importante que le monopole de la violence lgitime qui est cens caractriser ltat.

    Nos socits dites de linformation ou de limmatriel reposaient paisiblement sur la gestiondimages sduisantes, la circulation fluide de donnes et le traitement performant de linformation.Du moins, cest ce qui se disait. Des fanatiques arms de couteaux, des scnes filmes en direct,

    puis la propagation du dsordre conomico-informationnel ont rvl dtonnantes vulnrabilits. Ila fallu constater la force des images symboliques, la fragilit des systmes de donnes, linutilit detechnologies sophistiques dont ne rsulte aucune connaissance oprante. Le tout saccompagne deleffondrement de mythes dont se nourrissait la pense militaire, gopolitique, conomique.

    Il nest donc plus temps de se demander si ladite socit de linformation tiendra ses promessespour tous. Ni de dnoncer lidologie de la communication, paravent suppos de la mondialisation. Nous sommes condamns vivre entre le pril dune hgmonie informationnelle, dailleursinefficace, et celui du chaos. Les prochains mois nous apprendront ce quil en sera des rapports de

    force et comment se rsoudront les conflits ouverts. Mais, quel quen soit le rsultat, restera faireles choix dune stratgie de linformation.Ce sera une stratgie des desseins : il faudra choisir selon quelles rgles individus, tats et

    puissances transnationales greront transparence, connaissance, secret, capacits de surveillance.Ce sera une stratgie des moyens : outils et rseaux de traitement de linformation sontintrinsquement vulnrables ; les choix de procdures ou protocoles de traitement impliquent parnature des relations de pouvoirs. Il y a donc une politique de la technique inventer.Ce sera aussi une stratgie des intrts, notamment parce que lconomie dite de limmatriel aengendr des modes de contrle, de dstabilisation, dinfluence, etc. face auxquels lintervention du

    politique devient une ncessit.Cette stratgie-l, il est crucial que la France et lEurope puissent sen assurer la matrise.

    F.B. Huyghe

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    2004

    - Le New York Times commence par annoncer que D. Rumsfled et ses conseillers envisagent deremplacer la terminologie de la Guerre globale au terrorisme , par Combat contre lextrmismeviolent , la fois pour viter le mot guerre et pour insister sur la dimension morale et idologiquede la lutte engage aprs le 11 Septembre. En rponse, dans plusieurs discours, G.W. Bush qui nese considre peut-tre pas a contrario comme un pacifiste modr non-violent insiste lourdementsur le fait que les USA sont bien en guerre. Voir l'article sur ce site.

    - Un analyste influent de Stratfor, George Friedman, publie le 2 Aot une note trs remarque o ilaffirme quune guerre contre al Quada est bien possible (et peut donc tre gagne) dans la mesureo il sagit effectivement dune entit politique, ayant des buts concrets et poursuivant une stratgiemilitaire. Mme si ce nest ni un tat ni un groupe infra-national de type gurilla, al Quadachercherait en ralit, non punir les infidles ou prcher, mais renverser des rgimes dans des

    pays musulmans pour les remplacer par des systmes islamistes. Elle serait donc en train dchouer.

    - Le 1 Aot, GWB nomme John R. Bolton ambassadeur U.S. auprs de lONU, en profitant desvacances du Snat qui refusait de confirmer ce candidat proche des no-conservateurs ce poste.Cette procdure exceptionnelle (recess appointment) est interprte comme un signe dedurcissement.

    - Avec force circonvolutions verbales, le gnral Casey, commandant des forces amricaines enIrak, suggre un retrait significatif des troupes engages dans le pays aprs la prise de fonction dungouvernement constitutionnel, fin 2005. Quelques jours plus tard, le Los Angeles Times, annonceau contraire la construction de bases permanentes pouvant accueillir jusqu 50.000 hommes. Dansla perspective dune offensive contre lIran ? Et GWB indique quun calendrier de retrait nauraitaucun sens .

    - Henry Kissinger qui nest pas exactement un altermondialiste ou un libral du Massachusetts brise un tabou. Pour commencer, dans un article traduit dans le Figaro, il compare la situation deG.W. Bush celle L.B. Johnson tentant de dsengager les troupes amricaines du Vietnam et de les

    remplacer par des forces locales. Puis lancien ministre de Nixon suggre que Bagdad pourrait trepire que Saigon : comment confier une arme majoritairement chiite et dune efficacit douteusela tche de mettre fin une insurrection la fois sunnite et nationaliste ? Comment viter ungouvernement du type de celui des talibans ou un tat fondamentaliste Bagdad ? Commentviter quun retrait U.S, maintenant invitable, nengendre un effet de contagion dans le mondeislamique ?

    - Dans le New York Times du 14 Aot, FrankRich rclame Que quelquun dise au prsident quela guerre est finie et il compare le prsident des Etats-Unis ces soldats japonais perdus dans deslots du Pacifique qui ignoraient que la paix avait t signe en 1945. Lditorialiste dresse un

    tableau affligeant. La cote de popularit de la guerre (entendez la proportion dAmricains quilapprouve encore dans les sondages) est tombe 34%, quasiment le score de Johnson au Vietnamen 1968. Plus grave peut-tre, le mouvement anti-guerre sest trouv son icne. Ce nest pas une

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    http://www.lefigaro.fr/debats/20050816.FIG0080.html?083700http://www.telegraph.co.uk/news/main.jhtml?xml=/news/2005/08/14/wirq14.xml&sSheet=/news/2005/08/14/ixworld.htmllhttp://en.wikipedia.org/wiki/John_R._Boltonhttp://www.stratfor.com/http://www.huyghe.fr/actu_72.htmhttp://www.telegraph.co.uk/news/main.jhtml?xml=/news/2005/08/14/wirq14.xml&sSheet=/news/2005/08/14/ixworld.htmllhttp://en.wikipedia.org/wiki/John_R._Boltonhttp://en.wikipedia.org/wiki/John_R._Boltonhttp://www.stratfor.com/http://www.stratfor.com/http://www.huyghe.fr/actu_72.htmhttp://www.huyghe.fr/actu_72.htmhttp://huyghe.fr/http://huyghe.fr/http://www.nytimes.com/2005/08/14/opinion/14rich.htmlhttp://www.nytimes.com/2005/08/14/opinion/14rich.htmlhttp://www.lefigaro.fr/debats/20050816.FIG0080.html?083700http://www.lefigaro.fr/debats/20050816.FIG0080.html?083700http://www.telegraph.co.uk/news/main.jhtml?xml=/news/2005/08/14/wirq14.xml&sSheet=/news/2005/08/14/ixworld.htmll
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    nouvelle Jane Fonda, mais Cindy Sheehan, mre dun soldat tu en Irak. Sous lil des camras,elle assige littralement GWB en vacances dans son ranch texan. Conclusion de : il faut partir,Monsieur le Prsident.

    - Peu aprs lannonce par lIran de la reprise de ses activits denrichissement de luranium, leprsident Bush dclare quil nexclut pas une option militaire en dernier recours le minimum quilpouvait faire aprs une telle provocation de lAxe du Mal mais il le fait la tlvision isralienne,ce qui donne une tout autre dimension une prise de position plutt vague. Soit dit en passant, toutedemande de sanctions devant lONU, et plus long terme toute tentative de justification duneaction militaire, se heurtera, outre le veto probable de la Russie et de la Chine deux difficults. La

    premire est que la triple conjonction de la crise nergtique (qui a envie de faire la guerre lIranau taux actuel du baril), de lexemple irakien, et de la perspective cauchemardesque de rajouter un

    jihad chiite au jihad salafiste a de quoi refroidir les plus ardents. La seconde est quil ny auraitgure de base juridique une action contre lIran ce stade (le fait dtre revenu sur la suspensionde ses activits denrichissement nest pas un acte de guerre) et que la preuve de lexistence dun

    programme nuclaire militaire susceptible daboutir avant plusieurs annes na toujours pas tapporte. Le dossier serait donc infiniment plus difficile plaider que celui de lIrak en 2003.

    Selon une formule clbre, une gurilla gagne tant quelle na pas perdu, le seul fait dexister et deconstituer un facteur de perturbation suffisant la justifier de son point de vue. Mais inversement,les U.S.A semblent avoir invent un type de guerre o ils perdent tant quils nont pas gagn. On

    peut emporter une guerre contre un tat, parfois contre une gurilla, qui reste aprs tout une entitpolitique, ventuellement mme contre un mouvement dides. Mais certainement pas contre lestrois, surtout si on les confond.

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    http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/iran/http://huyghe.fr/http://huyghe.fr/http://www.monde-diplomatique.fr/dossiers/iran/
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    2003

    La quatrime guerre mondiale a-t-elle commenc le onze septembre ?

    Le droit naturel qui est propre au genre humain ne peut gure se concevoir que l o leshommes ont des droits communs, possdent ensemble des terres quils peuvent revendiquerafin de les habiter et de les cultiver, sont enfin capables de se dfendre, de se fortifier, derepousser toute violence et de vivre comme ils lentendent dun consentement commun Spinoza, Trait Politique Chapitre II-2

    Einstein prophtisait que la quatrime guerre mondiale sachverait coups de silex et debtons, tant la troisime, quil prvoyait atomique, aurait t apocalyptique. Mais la guerredont il va tre question ici ne relve pas de lhypothse philosophique, de la science-fiction nides jeux de rle. Certains parmi les plus puissants ou les plus influents la croient dj enmarche et la planifient dans une perspective de quarante ou soixante ans. Mme en admettantle postulat que la guerre froide ait la troisime guerre mondiale, cette tonnante terminologiemrite que lon retrace un peu son histoire.

    Le sous-commandant Marcos lance lexpression en 1997 : La fin de la troisime guerremondiale, ou guerre froide, ne signifie nullement que le monde ait surmont la bipolarit etretrouv la stabilit sous l'hgmonie du vainqueur. Car, s'il y a eu un vaincu (le campsocialiste), il est difficile de nommer le vainqueur. Les tats-Unis ? L'union Europenne ? LeJapon ? Tous trois ? La dfaite de l' Empire du mal ouvre de nouveaux marchs, dont laconqute provoque une nouvelle guerre mondiale, la quatrime.1 De la guerre sansvainqueur la guerre sans bataille et de lEmpire du Mal celui du Chaos : lide peutsduire, mais le terme reste encore trs mtaphorique.Ben Laden, dans sa dclaration aux juifs et aux croiss 2 de 1998, affirmait que les crimes

    des Amricains constituaient une claire dclaration de guerre Dieu, son Messager et auxmusulmans . La loi naturelle la dfense de sa vie et de sa terre tout comme le Coranimposent de rpondre loffensive plantaire anti-islamique.Dans son optique, le 11 Septembre est un acte plus pdagogique que stratgique : il rvle auxopprims que paix tait lautre nom de cette guerre mystique. Pour lmir, la guerremondiale a sans doute commenc en 1258, quand les Mongols ont pris Bagdad, sige duCalifat. Loccupation de la terre sacre dArabie saoudite par les GI en 1991 nest plus quune

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    1La quatrime guerre mondiale a commenc, Le Monde Diplomatique, Aot 1997.

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    suite de la premire catastrophe mme si cest cela qui a provoqu avec son propreengagement 3.

    9/11, crime inaugural

    Pour les Occidentaux, en revanche, tout commence le 11 Septembre 2001. Ds les premiresheures, les mdias parlent de guerre globale ou guerre la Terreur. La formule se rpand : War on Terror. Elle fleurit au bas des crans de CNN et agrmente les discours de G.W.Bush.Une vague dunanimisme compassionnel submerge la plante. Sous le coup de lmotion, nulne prend vraiment garde au poids des mots. Or ce changement smantique annonce au moinstrois changements politiques, trois postulats :

    - Postulat 1 : la guerre se fait deuxSil est temps de faire la guerre, cest quon ne la faisait pas. Ou plutt, nous tions en guerresans le savoir. Les faucons reprennent leur leitmotiv : Ne rptons pas les erreurs du pass.La conjoncture historique est exceptionnelle et notre puissance ingale : il est urgent delemployer avant que le danger ne saggrave. Et dnumrer les erreurs commises avant G.W. Bush :- traiter le terrorisme comme un crime ordinaire,- poursuivre les excutants sans viser les commanditaires,- simaginer quune raction excessive serait pire que linaction,- se contenter de riposte limites voire symboliques,- laisser douter de la volont U.S. de rpliquerIl tait donc temps de devenir damn serious , sacrment srieux. Pas plus qu lidalismeimpuissant incarn par Clinton, les no-conservateurs purs et durs ne mnagent leursreproches Bush pre. La guerre de 1991 leur a laiss le souvenir dun cotus interruptus,frustrant. Reagan lui-mme ne trouve pas toujours grce leurs yeux : le bombardement deTripoli en 1986 ne peut leur faire oublier labandon de Beyrouth aprs lattentat contre lesMarines en 1983. Suivant les critres en vigueur chez les faucons, une rplique dune intensitinfrieure Nagasaki semble manquer de virilit. Ils avaient dj dans leurs cartons de nonmoins srieux projets : depuis plus de dix ans, ils prparaient un programme dereconfiguration du Monde, et dabord du monde arabo-musulman.

    Lexpression guerre au Terrorisme implique dj :- lassomption dun acteur non tatique et non territorial, donc un acteur la fois faible et flou , au rang dennemi principal- une victoire par dfinition impossible : un tat peut se rendre ou tre dtruit, un territoire

    peut senvahir, tandis que la fin du terrorisme impliquerait quasiment celle de la violencepolitique- le recours systmatique lultima ratio, la puissance des armes. Elle devient mme primaratio (qui se traduira bientt en anglais parpreemptive war).

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    3 Rappelons que ben Laden devient terroriste en 1991 parce que les autorits saoudiennes ne lautorisent pas combattre son ennemi, Saddam, la tte dune lgion islamique et prfrent faire appel aux Amricains. Do sa raction au sacrilge que constitue ses yeux la prsence de soldatsjuifs ou chrtiens sur la terre du Prophte.

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    Emmanuel Todd constate : Llvation du terrorisme au statut de force universelleinstitutionnalise un tat de guerre permanent lchelle de la plante: une quatrime guerremondiale4. Cette assomption est assume trs clairement par Charles Krauthammer5: Vous dfrez des criminels la justice, mais vous faites pleuvoir un feu destructeur surdes combattants. Nous navons plus besoin de chercher le nom de lre de laprs-guerrefroide. Elle sera dsormais connue sous le nom dge du terrorisme tandis quen cho, legnral Myers baptise le terrorisme premire guerre mondiale de lge de linformation .

    Postulat 2 : ennemi universel, danger unique

    Il y a quelques millnaires que lennemi reprsente le Pch, lHrsie, le refus de Dieu, leFanatisme, la Barbarie, la Tyrannie. Le fait dtre dot dun cerveau de plus de 1500 cm3(sapiens sapiens) et du langage articul confre notre espce la particularit tuer des mots entuant des gens. Mais, dans la guerre au Terrorisme, le principal nest pas Terreur, cest isme . Cette effroyable dsinence est celle des ides contagieuses (comme communisme ,fascisme).Le nouveau discours de guerre U.S. ne se contente pas daffirmer quil faut combattrelennemi par ce quil est le Mal. Il dsigne un principe comme ennemi (au lieu de dsigner unennemi comme incarnant un principe). En zappant ainsi le signifiant, il confirme lecaractre mtaphysique du combat. Le mauvais tour quavaient jou les Sovitiques lAmrique en la privant dennemi, et en provoquant le spleen capitaliste-informatique desannes 90, sen trouve annul : le nouvel ennemi est dautant plus redoutable quabstrait.

    En vertu de laspiration la scurit absolue, les Etats-Unis doivent combattre celui qui estdangereux au lieu que soit dangereux celui qui est leur ennemi. Pareil systme ne demandequ se nourrir de lui-mme. Mais il ramne la mme question. On peut dfaire les Moldo-Valaques, massacrer les Hutus ou craser le Parti Bleu dans une guerre civile, mais commentlemporter contre le terrorisme qui est une mthode et non une entit ?

    David Rumsfeld, interrog par un journaliste sur le critre de la victoire disait quelleserait acquise le jour o le monde entier accepterait de ne plus sen prendre au mode de vieamricain. De faon la fois emberlificote et explicite, un responsable de think tank6conservatrice explique le lien entre terrorisme, prminence U.S., et scurit : .. le dangerque reprsente le terrorisme pour le mode de vie amricain ne laisse aux tats-Unis dautre

    choix que celui de la prdominance. Mais, contrairement aux conflits du pass, celui-ci naurapas de ligne darrive clairement trace ; la victoire ne peut se dfinir comme lradication duterrorisme de la face de la Terre, mais comme la rduction de la probabilit de futures attaques un tels point que les Amricains puissent prouver une sens renouvel de scurit nationaleet puissent vivre leur vie dans une libert relative. 7

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    4 E.Todd,Aprs lEmpire , N.R.F. 2002

    5International Herald Tribune 15 Septembre 2001

    6 Think tank, litrallement bote penser , est une expression si typiquement amricaine que les quivalents franais comme centre derecherche le rendent trs mal. Nous utiliserons donc dlibrment cet anglicisme.

    7 Kurt Campbell prsentant au Center for Strategy and Internationla Studies (http://www.csis.org) propos de son livre avec Michle Flournoy ToPrevail : an American Strategy for the Campaign Against Terrorism CSISI 2001

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    Les esprits pointilleux objecteront quil ne faut pas confondre guerre au terrorisme et guerre lislamisme. Dans la pratique, la diffrence est fort tnue dans lesprit des faucons, mme sileur Axe du Mal englobe aussi la Core pour montrer que tous les mchants ne sont pasmusulmans et que tous les musulmans ne sont pas mchants.De surcrot, quest-ce que lislamisme (expression lance par Gilles Kepel, il y a unequinzaine dannes, et qui lui a largement chapp depuis)8 ? Un islam intolrant ? celuiqui par exemple applique la charia et voile les femmes comme dans certains de pays amis desU.S.A. ? Un Islam en armes ? Donc terroriste ? Nous voil renvoys la case dpart.

    Postulat 3 : plus rien ne sera comme avant

    guerre nouvelle, stratgie indite. Loffensive contre lAxe du Mal , puis la guerrepremptive 9 sont dj en germe dans la War on Terror. noncer la finalit du conflit puisses objectifs et sa mthode : telle est la logique. Une guerre inaugurale souvre en 2001 : lecrime sans prcdent du nineleven inaugure lre de la violence sans limites. Sur le plansymbolique, comme en cho la Shoah, il justifie un grief sans comparaison et un plus

    jamais a sans rplique.

    Avant le 11 Septembre, les stratges U.S. regardaient un peu le monde comme un hamburger.Au centre il y a la tranche de viande juteuse : cest la Terre en voie de globalisation paisible(March, bonne gouvernance..) sous lgide de la socit la plus avance, les U.S.A. Il fautune tranche de pain suprieur : cest la stratosphre, lieu de dploiement de la NationalMissile Defense et des satellites de communication et dobservation. La seconde trancheinfrieure est le cyberespace, espace de circulation des richesses et de messages numriss.Celui qui tient bien les trois espaces ne craint rien. Sauf sil saperoit que ses satellites, ses

    porte-avions et ses ordinateurs ne peuvent pas grand-chose contre le jihad. On attendait desmissiles ou les virus dun Pearl Harbour informatique 10, pas des avions dtourns ou desvoitures piges. Il faut concilier principes et ralits nouvelles.

    Penser la guerre sans fin

    Pour la continuit (et sans remonter jusqu Monroe, Wilson, ou F.D. Roosvelt11), la nouvelledoctrine reprend des ides dj bien ancres outre-Atlantique :

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    8 Le mot islamisme a subi un glissement de sens qui le rend presque inutilisable. Au dpart, il se rfre aux mouvements qui veulent traduire lesprincipes de la loi islamique dans le droit et gouverner en suivant le Coran. Puis le mot devient synonyme dislam extrmiste ou arm ou terroriste.

    9 Nous avons choisi de traduire systmatiquement preemptive war par guerre premptive et non prventive La premire tente de sinscriredans le cadre dune dfense exerce juste avant que lattaque adverse ne se dveloppe et suppose l'existence de preuves matrielles dmontrantl'imminence du danger et la ncessit d'agir. La seconde vise simplement la suppression dun danger ventuel.

    10 La notion de Peal Harbour informatique ou ses quivalents (Waterloo digital, etc.) dsignent lhypothse dune gigantesque attaque parordinateurs interposs contre les infrastructures vitales amricaines (transports, tlphone, nergie, etc..), destine paralyser le pays. Cette

    apocalypse cyberterroriste est un mythe rcurrent depuis 1997 : elle a encore moins de base quune ventuelle attaque terroriste contre les U.S.A. parA.D.M., pour lexcellente raison que personne na jamais vu une attaque cyberterroriste, en dehors de quelques avalanches de e-mail manantdinternautes militants ou tentatives de provoquer un dni daccs des sites adverses.

    11 VoirAmerica is Back, de G. Challiand et A. Blin, Bayard 2003, pour un rappel historique.

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    - La guerre du futur contribuera au contrle, au formatage de la mondialisation ( shapping theglobalization)12 engag avant G.W. Bush. Elle garantira donc la supriorit tous azimuts destats-Unis la fois contre dventuels comptiteurs (Russie, Chine, Europe ?) et contre les

    perturbateurs de lordre mondial (terroristes, tats voyous ou tats en faillite laissant sedvelopper une violence prive insupportable). Linfodominance U.S. la suprioritcognitive et la matrise des nouvelles technologies doit jouer un rle crucial dans ce contrle

    plantaire.

    - Le recours la force sera moral, technologique, unilatral, capacitaire (de nature surpasser les moyens de tous les autres tats de la plante). Faute de dissuader des adversairesqui nont souvent rien perdre, cette force devra empcher la prolifration du chaos.

    Ces notions taient dj influentes du temps de Clinton, et avant. Ainsi, ds 1993 leSecrtariat la Dfense envisageait des mesures de contre-prolifration envers tout tatvoyou (concept forg lpoque) susceptible de dissimuler un programme nuclaire, ce quiressemble dj des frappes prventives13. Les no-conservateurs prsentent souvent laversion hard dun scnario soft plus ancien.

    - Pour ce qui est de la nouveaut : la future guerre implique tout la fois unemission universelle historico-religieuse de lutte contre le Mal et une rponse un danger sans prcdent. Pour emprunter une distinction trs clairante Alexandre J.L. Delamare14 , toute stratgie se fonde traditionnellement sur ladistinction entre menace latente et menace critique (celle qui justifie lactionarme immdiate). Or les stratges U.S. confondent dlibrment menace,menace critique, ressentiment lgard des tats-Unis et Mal en soi. Cest ltatdurgence permanent : puissance absolue, hostilit absolue et menace sanslimite.

    Au-del de la Terreur

    Dautres raisons militent pour aller au-del de la simple guerre au terrorisme. Dfinirlennemi par les moyens quil emploie (il est lche, il sen prend des innocents, il est invisible ) mne des contradictions. Combattre le terrorisme amnerait logiquement combattre tous les terrorismes. Est-ce une attitude que peut assumer une grande puissance ?

    De la mme faon que la politique des droits de lhomme ne constitue pas une politique15

    , lecontre-terrorisme est une stratgie qui a autant de sens que la guerre la guerre .Pour sen tenir des exemples rcents, il serait difficile dexpliquer en termes de guerretotale au terrorisme pourquoi les mouhadjidines du peuple iraniens bnficient dunerelative indulgence, alors que les troupes U.S. pourraient les anantir sur le sol irakien, et

    pourquoi les U.S A. sont prts lever les sanctions contre la Libye, si elle indemnise lesvictimes de ses attentats. Cest une rgression au principe du wergeld, la composition

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    12 S. Bdar, "La dominance informationnelle comme paradigme central de la stratgie amricaine", Sminaire de l'ADEST, Ecole des Mines de Paris,14 novembre 2000

    13 Pascal Boniface,La France contre lEmpire, Robert Laffont 2003

    14 Gopolitique, N82, Avril-Juin 2003

    15 Marcel GauchetLa dmocratie contre elle-mme Gallimard Tel Quel 2002

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    financire du droit des Francs : lassassin peut payer sa faute et limiter lextension de lavengeance grce une compensation pcuniaire la famille de la victime.Par ailleurs, soutenir tous les ennemis de tous les terrorismes, quivaut souvent cautionnercertains des rgimes les moins dmocratiques de la plante. Enfin, la formulation maladroitede la croisade antiterroriste destine un public intrieur nest pas trs exportable.Zbigniew Brzezinski la dfinit avec justesse comme excessivement thologique (lesMchants qui hassent la libert) et sortie de tout contexte politique 16. Il nest donc pastonnant que cette fiction la guerre des invincibles contre les invisibles - nait pas dur.

    Il ne faut pas mener la mauvaise guerre complte Greenville Byford : la clartmorale dans la rhtorique de la guerre au terrorisme est plus apparente que relle. Elle

    procde dune vue unidimensionnelle dun problme beaucoup plus compliqu, et plus vite onse dbarrassera de cette rhtorique, mieux cela vaudra. Les intrts dabord, les objectifsensuite, les moyens en troisime position, voil comment lAmrique pense. Que ne parle-t-elle ainsi galement ? 17 Il ne tardera pas tre satisfait.

    Lobjet du conflit devient le monopole de la possibilit du conflit. Do le syllogisme : puisque les terroristes luttent pour quaucune paix ne soit possible, les U.S.A sassurerontquaucune guerre ne soit permise. Plus le terrorisme dveloppe son programme de

    perturbation, plus lintgration, cest--dire doccidentalisation, des annes 90 se rvleobsolte, plus celle de linterdiction (dsarmer les ennemis potentiels) est tentante

    Lexpression quatrime guerre mondiale passe dans le vocabulaire no-conservateur18,dans un article de Commentary dOctobre 2001. Eliot Cohen propose dabandonner guerreau terrorisme : Une dsignation plus prcise serait la Quatrime Guerre mondiale. (...)Dans cette guerre, l'ennemi n'est pas le "terrorisme" (...) mais l'Islam militant. .

    Le slogan est repris par Norman Podhoretz 19 : pour lui, louragan dmocratique destin balayer le monde devait commencer par les pays islamiques. Juste aprs lexpditionafghane20, il prophtisait quaprs les talibans il y aurait Saddam. Il y ajoutait ensuite Libye,Soudan, Syrie et quelques autres (Liban, autorit palestinienne, gypte, Arabie Saoudite).Mais sa cible favorite tait et reste lIran car " Le renversement du premier tat musulmanrvolutionnaire thocratique et son remplacement par un gouvernement modr ou sculierserait une victoire aussi importante dans cette guerre que l'annihilation de ben Laden ".

    Pour Podhoretz, ce programme - que seuls des gens de mauvaise foi pourraient doncconfondre avec une guerre au monde musulman ou une guerre des civilisations - constitue unminimum. Cela laisse rveur sur ce que proposent les maximalistes dont la liste inclut peut-tre Trinidad et Tobago.

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    16Iraq and US Global Leadership New Perspectives Quaterly, Printemps 2003

    17The wrong war, Greenville Byford, Foreign Affairs, Juillet-Aot 2002

    18 Les principaux textes amricains sur la WWIV sont disponibles sur le site http://www.globalsecurity.org/military/ops/world_war_4.htm On y

    trouve mme une documentation pays par pays sur les prochains candidats : Iran, Syrie, Core du Nord, Colombie, Gorgie, Philippines, ...

    19 Directeur ditorial de Commentary et professeur associ de l'Institut Hudson

    20Commentary de Fvrier 2002).

    http://www.globalsecurity.org/military/ops/world_war_4.htmhttp://www.globalsecurity.org/military/ops/world_war_4.htmhttp://www.globalsecurity.org/military/ops/world_war_4.htmhttp://huyghe.fr/http://huyghe.fr/
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    Le thme de la World War Four (W.W. IV) est surtout popularis par James Woolsey,ancien directeur de la CIA et plutt class dmocrate. Dans un discours de Novembre 2002

    puis des articles, il propose de gagner la quatrime guerre mondiale . Contre qui ? Les fascistes du Baath irakien, les mollahs dIran et les islamistes sunnites, surtout leswahhabites, tous trois en guerre depuis longtemps avec cette civilisation librale quelAmrique a sauve lors des trois prcdentes guerres mondiales. Donc, ouvrant les yeux

    pour la quatrime fois en un sicle, elle doit sengager dans un affrontement dcisif.

    Le thme de la quatrime guerre mondiale a suscit peu dchos en France. Un des raresexceptions est un article enthousiaste de Jean-Philippe Mounicq21:qui dplore aussitt que lastratfie nait pas t correctement vendue : Des intellectuels, universitaires ouresponsables de think tanks auraient pu tre chargs de populariser cette thse comprhensibleau plus grand nombre. Le travail de marketing, de propagande, de l'administration amricainea t sur ce point dfaillant. . A. Gluksmann se plaint pareillement du mauvaispackagingde la juste guerre : G.W. Bush a choisi le plus mauvais emballage, les Armes de DestructionMassive22. Sil en tait rest larguemnt des droits de lhomme, cela aurait suffi.

    Il est tentant de classer de tels propos dans des catgories comme manichisme, messianismeou unilatralisme. Mais la thorie W.W. IV est plus sophistique. Ses implications servleront avec la doctrine dite de guerre premptive , sa formulation en termes officiels.

    Annonce dans le discours de G.W. Bush West Point de Juin 2002, elle est dtaille dans ledocument sur la National Security Strategy , pour le premier anniversaire du 11Septembre.

    Elle se prsente la fois comme une extension du principe de lgitime dfense, comme unerplique anticipe une catastrophe un attentat aux Armes de Destruction Massive, qui, pardfinition, ne laisse gure de temps pour ragir - et comme un obstacle la conjonction detrois risques : terrorisme en rseau + tats voyous + A.D.M.

    La doctrine de guerre premptive est rsume par lditorialiste conservateur CharlesKrauthammer ds le 12 Septembre 2002 : La premption est une sorte de prdissuasion qui

    jugule lamenace un stade plus prcoce et plus sr. Renverser Saddam parce quil refuse derenoncer ses armes montrerait aux autres tyrans quils nont rien gagner en tentantdacqurir des A.D.M. la premption peut tre la mesure la plus efficace contre la

    prolifration. . Ce serait donc la fois une version muscle du principe de prcaution, plusun avertissement aux despotes, plus une dfense des droits de lhomme..Cette doctrine a soulev une vague de protestation dont on connat les arguments :- la premption na rien voir avec le droit de se dfendre contre une attaque en train de

    se former, principe quadmet le droit international, sou