20

Click here to load reader

Onzieme Metal

Embed Size (px)

DESCRIPTION

11

Citation preview

  • LE ONZIMEMTAL

    Une histoire des Fils-des-brumes

    BRANDON SANDERSONTraduit de langlais (tats-Unis)

    par Mlanie Fazi

  • 2011, Dragonsteel Entertainment, LLCLe Onzime Mtal (The Eleventh Metal) est une nouvelle originale des Fils-des-Brumes crite pour accompagner The Mistborn Adventure, de Crafty Games.Essayez ce jeu sur http://www.mistbornrpg.com et dcouvrez ainsi lallomancie !

    Calmann-Lvy, 2012pour la traduction franaise

  • LE ONZIME MTAL

    Kelsier tenait le petit morceau de papier pinc entre deux doigts.Le vent tentait de le lui arracher, mais il tenait bon. Quelque chosenallait pas dans ce dessin.

    Il avait essay une bonne vingtaine de fois de lexcuter correcte-ment, de reproduire limage quelle avait toujours porte sur elle. Onavait dtruit loriginal, il en tait certain. Il ne possdait rien qui luipermette de se souvenir delle. Il avait donc tent, maladroitement, deredessiner limage quelle chrissait tant.

    Une fleur. On lappelait ainsi autrefois. Un mythe, une histoire. Unrve.

    Il faut que tu arrtes de faire a, grommela son compagnon. Jedevrais tempcher den dessiner.

    Essayez donc, rpondit doucement Kelsier, qui replia le petitmorceau de papier avant de le fourrer dans la poche de sa chemise.

    Il ferait une nouvelle tentative plus tard. Les ptales devaient tredavantage en forme de larme.

    Kelsier gratifia Gemmel dun regard calme, puis afficha un sourirequi lui sembla forc. Comment pouvait-il sourire dans un monde sanselle ?

    Mais il sobstina. Jusqu ce que a lui semble naturel. Jusqu ceque lengourdissement qui formait un nud en lui commence sedissiper et quil retrouve la capacit de ressentir les choses. Si ctaittoutefois possible.

    a lest. Par piti, il le faut. Dessiner ces images te rappelle le pass, lana Gemmel dune

    voix brusque.Le vieil homme avait une barbe grisonnante et ingale, et des

    cheveux si mal peigns quils paraissaient en ralit plus soigns sousles assauts du vent.

    Cest vrai, rpondit Kelsier. Je refuse de loublier. Elle ta trahi. Il faut tourner la page.Gemmel nattendit pas de voir si Kelsier poursuivait la discussion.

    Il se remit en marche ; il sarrtait souvent au milieu des disputes.Kelsier ne ferma pas les yeux comme il le souhaitait. Il ne hurla

    pas son dfi la face du jour mourant comme il laurait voulu. Il

    3

  • chassa toute pense lie la trahison de Mare. Il naurait jamais dpartager ses inquitudes avec Gemmel.

    Mais il lavait fait. Trop tard pour y remdier.Il sourit de plus belle. Au prix dun certain effort.Gemmel lui lana un coup dil. Tu me donnes la chair de poule quand tu fais a. Cest parce que vous navez jamais vu un vrai sourire de toute

    votre vie, vieux tas de cendre, rpliqua Kelsier, rejoignant Gemmelprs du muret qui longeait le bord du toit.

    Ils contemplrent en contrebas la morne cit de Mantiz, pratique-ment noye sous la cendre. Ici, lextrme nord du Dominat Occi-dental, on la dblayait moins efficacement qu Luthadel.

    Kelsier avait suppos quil y aurait moins de cendre ici si loinau nord, un seul des Monts de Cendre se trouvait proximit. Il avaitbel et bien limpression que la cendre tombait un peu moins frquem-ment. Mais, dans la mesure o personne ne sorganisait pour lanettoyer, elle semblait beaucoup plus abondante.

    Il referma la main sur le chaperon du mur. Il navait jamais aimcette partie du Dominat Occidental. Ici, les btiments paraissaientfondus. Non, ce ntait pas le bon terme. Ils semblaient trop arrondis,dpourvus de coins, et ils taient rarement symtriques un ct dubtiment pouvait tre plus haut ou plus massif.

    Malgr tout, la cendre tait familire. Ici, elle recouvrait le bti-ment comme partout ailleurs, enveloppant toutes choses dunecouche uniforme de noir et de gris. Un tapis de cendre recouvrait lesrues, saccrochait aux artes des btiments, sentassait dans lesruelles. La cendre des monts tait semblable la suie, bien plussombre que celle dun feu ordinaire.

    Lequel ? demanda Kelsier en balayant du regard les quatrebastions massifs qui interrompaient la ligne des toits de la ville.

    Mantiz tait une grande ville pour ce dominat, bien quelle ne soit,bien entendu, comparable en rien Luthadel. Il nexistait aucune villesemblable Luthadel. Toutefois, celle-ci tait respectable malgrtout.

    Le Bastion Shezler, rpondit Gemmel en dsignant un bti-ment troit et haut vers le centre de la ville.

    Kelsier hocha la tte. Shezler. Je pourrai facilement franchir la porte. Il va me falloir

    un costume de beaux habits, des bijoux. Nous devons trouver unendroit o je pourrai refourguer une bille datium et un tailleurcapable de la boucler.

    Gemmel ricana. Jai laccent de Luthadel, ajouta Kelsier. Daprs ce que jai

    entendu tout lheure dans la rue, lord Shezler a un vritable bguinpour la noblesse de Luthadel. Il lchera les bottes de toute personnecapable de bien se prsenter ; il veut se crer un rseau de relationsplus prs de la capitale. Je

    4

  • Tu ne rflchis pas comme un allomancien, linterrompitGemmel dune voix bourrue.

    Jutiliserai lallomancie motionnelle, rtorqua Kelsier. Pour lerallier

    Gemmel se mit soudain rugir et se retourna vers Kelsier, unevitesse stupfiante. Lhomme vtu de loques agrippa Kelsier parlavant de sa chemise et le poussa terre, se dressant au-dessus de luiet faisant sentrechoquer les tuiles du toit.

    Tu es un Fils-des-brumes, pas nimporte quel Apaiseur des ruesqui travaille pour une poigne de liards ! Tu veux te faire de nouveaucapturer ? Arrter par ses sous-fifres et renvoyer l o est ta place ?Hein ?

    Kelsier lana un regard noir Gemmel tandis que les brumescommenaient se dployer autour deux. Parfois, Gemmel semblaitdavantage animal quhumain. Il se mit marmonner pour lui-mme,comme sil sadressait un ami que Kelsier ne voyait ni nentendait.

    Le vieil homme se pencha plus prs, marmonnant toujours,lhaleine cre et forte, les yeux carquills et frntiques. Cet hommentait pas compltement sain desprit. Non. Ctait un grossiereuphmisme. Cet homme ne possdait plus quun vestige de santmentale, et mme ce vestige commenait seffilocher.

    Mais ctait le seul Fils-des-brumes que Kelsier connaissait, et ilcomptait bien apprendre de cet homme, cote que cote. Ctait aou prendre des leons auprs dun aristocrate.

    Maintenant, coute-moi, reprit Gemmel dun ton presquesuppliant. coute-moi, pour une fois. Je suis l pour tapprendre tebattre. Pas parler. a, tu sais dj le faire. On nest pas venus icipour que tu dbarques nonchalamment l-dedans pour jouer lesnobles, comme tu le faisais dans le temps. Pas question que je telaisse ten sortir par la parole. Tu es un Fils-des-brumes. Tu te bats.

    Jutiliserai tous les outils dont je dispose. Tu vas te battre ! Tu veux redevenir faible, te laisser de

    nouveau capturer ?Kelsier garda le silence. Tu veux te venger deux ? Nest-ce pas ? Oui, gronda Kelsier.Quelque chose de sombre et de massif remua en lui, une bte

    veille par les coups daiguillon de Gemmel. Elle venait mme boutde lengourdissement.

    Tu veux tuer, nest-ce pas ? Pour ce quils tont fait, toi et auxtiens ? Pour te lavoir enleve ? Alors, gamin ?

    Oui ! aboya Kelsier, qui attisa ses mtaux et repoussa Gemmel.Des souvenirs. Une cavit obscure borde de cristaux tranchants

    comme des rasoirs. Ses sanglots elle tandis quelle mourait. Sessanglots lui tandis quils le brisaient. Le broyaient. Le dchiraient.

    Ses hurlements tandis quil se reconstruisait.

    5

  • Oui, dit-il en se relevant, le potin brlant en lui. (Il sobligea sourire.) Oui, jaurai ma vengeance, Gemmel. Mais ma faon.

    Et laquelle ?Kelsier hsita.Ctait une exprience nouvelle pour lui. Auparavant, il avait

    toujours eu un plan. Des plans par dizaines. Dsormais, sans elle,sans quoi que ce soit Ltincelle tait morte, celle qui lavaittoujours pouss tendre vers ce que les autres croyaient impossible.Elle lavait conduit dun plan lautre, dun casse lautre, dunerichesse lautre.

    Elle avait disparu prsent, remplace par ce nud dengourdis-sement. Il ne pouvait plus prouver ces jours-ci que la rage, et cetterage ne pouvait le guider.

    Il ignorait que faire. Il dtestait a. Il avait toujours su que faire.Mais prsent

    Gemmel ricana. Quand jen aurai fini avec toi, tu seras capable de tuer une

    centaine dhommes avec une seule pice. Darracher lpe des mainsdun homme laide dune seule Traction, et de le terrasser avec. Debroyer des hommes lintrieur de leur propre armure, et de fendrelair comme les brumes elles-mmes. Tu seras un dieu. Tu gaspilleraston temps avec lallomancie motionnelle quand jen aurai fini. Pourlinstant, tu vas tuer.

    Le vieil homme barbu regagna le mur en bondissant et lana unregard noir en direction du bastion. Kelsier rfrna lentement sacolre, se frottant la poitrine lemplacement o elle avait heurt lesol. Et une trange ide le traversa.

    Comment savez-vous comment jtais dans le temps, Gemmel ?murmura Kelsier. Qui tes-vous ?

    Les lampes chaux taient allumes dans la nuit, et leur lueurtraversait les fentres pour pntrer dans les brumes tourbillon-nantes. Gemmel saccroupit prs de son mur, murmurant de nouveaupour lui-mme. Sil avait entendu la question de Kelsier, il lignora.

    Tu devrais toujours tre en train de brler tes mtaux, ditGemmel tandis que Kelsier approchait.

    Kelsier se retint de rtorquer quil ne voulait pas les gaspiller. Illui avait dj expliqu que son enfance de skaa lui avait appris semontrer trs prudent vis--vis des ressources. Gemmel staitcontent den rire. Sur le moment, Kelsier avait cru que ce rire taitsimplement li la nature fantasque de Gemmel.

    Mais tait-ce parce quil connaissait la vrit ? Le fait queKelsier nait pas connu une enfance de skaa pauvre dans les rues ?Que son frre et lui aient men une vie privilgie, en cachant lasocit leur nature de sang-ml ?

    Il dtestait la noblesse, ctait vrai. Ses bals et ses ftes, sa suffi-sance, sa supriorit. Mais il ne pouvait nier, se nier, quil tait saplace parmi eux. Au moins autant que parmi les skaa des rues.

    6

  • Alors ? demanda Gemmel.Kelsier enflamma une partie des mtaux quil avait en lui, brlant

    plusieurs des huit rserves de mtaux quil possdait. Il avait parfoisentendu des allomanciens parler de ces rserves, mais ne staitjamais attendu en ressentir lui-mme la prsence. Elles ressem-blaient des sources dnergie dans lesquelles il pouvait puiser.

    Brler des mtaux lintrieur de son corps. Comme lide taittrange mais la sensation naturelle. Aussi naturelle quinspirer lairet y puiser de la force. Chacune de ces huit rserves le renforaitdune manire ou dune autre.

    Les huit, dit Gemmel. Tous les huit.Il devait tre en train de consumer du bronze pour percevoir ce

    que faisait Kelsier.Il navait brl que les quatre mtaux physiques. Il sexcuta

    contrecur. Gemmel hocha la tte ; prsent que Kelsier brlait ducuivre, son compagnon ne percevrait plus aucun signe de son allo-mancie. Quel mtal utile, le cuivre il vous cachait aux autres allo-manciens et vous immunisait contre leur allomancie motionnelle.

    Certains parlaient du cuivre en termes dprciateurs. On nepouvait pas lutiliser pour se battre, ni pour transformer les choses.Mais Kelsier avait toujours envi son ami Trappe, qui tait unBrumant du cuivre. Ctait une vraie force de savoir que vos motionsntaient pas soumises une intervention extrieure.

    Bien entendu, brler son cuivre signifiait que tout ce quil prou-vait la douleur, la colre, et mme lengourdissement napparte-nait qu lui seul.

    Allons-y, dit Gemmel en slanant dans la nuit.Les brumes taient presque pleinement formes. Elles sortaient

    chaque nuit, parfois denses, parfois lgres. Mais toujours prsentes.Elles se dplaaient comme des centaines de courants juxtaposs.Elles remuaient et tournoyaient, plus paisses, plus vivantes quunbrouillard ordinaire.

    Kelsier avait toujours aim les brumes pour des raisons quilnaurait su dcrire. Selon Marsh, ctait parce que tous les autres lescraignaient, et que Kelsier tait trop arrogant pour faire comme lesautres. Bien sr, Marsh non plus navait jamais sembl les craindre.Les deux frres prouvaient quelque chose, une conscience, unecomprhension. Les brumes reconnaissaient certaines personnescomme tant des leurs.

    Kelsier bondit au bas du toit, brlant son potin pour se renforcerafin damoindrir les risques latterrissage. Puis il suivit Gemmel surles pavs durs, courant pieds nus. Ltain brlait dans son estomac ;il le rendait plus alerte, affinait ses sens. Les brumes semblaient plushumides, et leur rose fourmillante plus frache sur sa peau. Il enten-dait des rats filer dans les ruelles lointaines, des chiens aboyer, unhomme ronfler tout bas dans un btiment proche. Un millier de sonsqui auraient t inaudibles aux oreilles dune personne ordinaire.

    7

  • Parfois, lorsquil brlait de ltain, ils lui faisaient leffet dune caco-phonie. Il ne pouvait pas le brler trop fort, de peur que les bruitsne finissent par le distraire. Juste assez pour lui permettre dy voirmieux ; grce ltain, les brumes semblaient plus faibles ses yeux,bien quil en ignore la raison exacte.

    Il suivit la silhouette indistincte de Gemmel, et ils atteignirent lemur qui ceignait le Bastion Shezler et y collrent le dos. Au sommetde ce mur, les gardes sinterpellaient dans la nuit.

    Gemmel hocha la tte, puis laissa tomber une pice. Lhommemaigre et barbu slana dans les airs la seconde daprs. Il portaitune cape de brume une cape gris sombre forme de nombreuxglands partir de la poitrine. Kelsier avait demand en avoir une.Gemmel lui avait ri au nez.

    Kelsier sapprocha de la pice tombe terre. Les brumes toutesproches se mirent descendre et tournoyer selon un schmavoquant des insectes se dirigeant vers une flamme elles le faisaienttoujours en prsence dallomanciens qui brlaient des mtaux. Ilavait vu le phnomne se produire en prsence de Marsh.

    Kelsier sagenouilla prs de la pice. ses yeux, une faible lignebleue presque semblable de la soie daraigne partait de sapoitrine en direction de la pice. En fait, des centaines de lignesminuscules naissaient de sa poitrine pour dsigner chaque source demtal proche. Ctait le fer et lacier qui craient ces lignes une pourles Pousses, lautre pour les Tractions. Gemmel lui avait dit debrler tous ses mtaux, mais Gemmel tenait souvent des proposabsurdes. Il ny avait aucune raison de brler la fois le fer et lacier ;ctaient deux mtaux contraires.

    Il teignit son fer pour ne laisser que lacier. Grce lui, il pouvaitexercer des Pousses sur toute source mtallique relie lui-mme.La Pousse tait mentale, mais ressemblait beaucoup la sensationphysique de pousser quelque chose laide de ses bras.

    Kelsier se plaa au-dessus de la pice et exera une Poussedessus, comme Gemmel le lui avait appris. Puisque la pice nepouvait pas descendre, Kelsier se retrouva propuls vers le haut. Iljaillit cinq mtres dans les airs, puis saisit maladroitement lechaperon du mur au-dessus de lui. Avec un grognement, il se hissapar-dessus bord.

    Une nouvelle srie de lignes bleues jaillirent de sa poitrine etspaissirent. Des sources mtalliques approchaient rapidement de lui.

    Kelsier jura, tendit le bras et exera une Pousse. Les pices entrain de voler vers lui se retrouvrent repousses en arrire dans lanuit, filant travers les brumes. Gemmel savana ; il tait, sansaucun doute, la source de ces pices. Il attaquait parfois Kelsier ; lorsde leur premire nuit ensemble, Gemmel lavait jet du haut dunefalaise.

    8

  • Kelsier ne parvenait toujours pas dcider si ces attaques taientdes mises lpreuve, ou si ce cingl cherchait rellement lassas-siner.

    Non, marmonna Gemmel. Non, je laime bien. Il ne se plaintpresque jamais. Les trois autres se plaignaient tout le temps. Celui-ciest fort. Non. Pas assez fort. Non. Pas encore. Il apprendra.

    Derrire Gemmel, deux masses jumelles reposaient sur le sommetdu mur. Des gardes morts dont le sang scoulait par filets le longdes pierres. Le sang tait noir dans la nuit. Les brumes semblaientavoir peur de Gemmel, curieusement. Elles ne tournoyaient pasautour de lui comme autour des autres allomanciens.

    Ctait absurde. Ce ntait que son esprit qui lui jouait des tours.Kelsier se leva et ne fit aucun commentaire sur lattaque. a ne servi-rait rien. Il fallait simplement quil reste sur le qui-vive et apprennele plus possible de cet homme. De prfrence sans se faire tuer par lamme occasion.

    Tu nas pas besoin dutiliser ta main pour une Pousse,maugra Gemmel. Perte de temps. Et tu dois apprendre laisserbrler ton potin. Tu ne devrais pas avoir tellement de mal franchirle bord du mur.

    Je Nessaie pas de justifier lconomie de tes mtaux, dit Gemmel,

    en inspectant le bastion devant eux. Jai rencontr des gosses desrues. Ils ne se mnagent pas. Si tu tattaques lun dentre eux, ilutilisera tout ce quil a pour te vaincre chaque parcelle de force,chaque ruse. Ils savent quel point ils marchent au bord du prci-pice. Prie pour ne jamais devoir affronter un de ceux-l, beau gosse.Ils te tailleront en pices, tabsorberont et se constitueront denouvelles rserves partir de ce que tu auras laiss derrire toi.

    Jallais dire, rpondit calmement Kelsier, que vous ne mavezmme pas encore appris ce que nous faisions ce soir.

    Infiltrer ce bastion, dit Gemmel en plissant les yeux. Pourquoi ? a changerait quoi que ce soit de le savoir ? videmment. Il y a quelque chose dimportant l-dedans, expliqua Gemmel.

    Quelque chose que nous allons trouver. Eh bien, voil qui explique tout. Merci de vous montrer aussi

    communicatif. Pourriez-vous aussi mclairer sur le sens de la vie,puisque vous tes si dou pour rpondre aux questions tout coup ?

    Je nen sais rien, rpondit Gemmel. Je dirais quelle sert cequon puisse mourir.

    Kelsier rprima un grognement et sadossa au mur. Je lui ai poscette question, comprit-il, en croyant obtenir une remarque ironique enretour. Seigneur Matre, ce que Dox et la bande me manquent.

    9

  • Gemmel ne comprenait pas lhumour, mme les tentativespitoyables. Il faut que je reparte, songea Kelsier. Que jaille retrouverles gens qui se soucient de la vie. Que je retrouve mes amis.

    Cette pense le fit frissonner. Il ne stait coul que trois moisdepuis les vnements des Fosses de Hathsin. Sur ses bras, lesentailles ntaient presque plus que des cicatrices prsent. Il lesgratta malgr tout.

    Kelsier savait que son humour tait forc, et ses sourires plusmorts que vifs. Il ignorait pourquoi il estimait si important deretarder son retour Luthadel, mais a ltait. Il avait des plaies dcouvert, des trous bants en lui-mme qui devaient encore attendrede cicatriser. Il fallait quil reste lcart. Il ne voulait pas quils levoient ainsi. Dans la peau dun homme angoiss qui se recroquevillaitdans son sommeil, revivant des atrocits encore rcentes. Un hommesans projet ni vision.

    Par ailleurs, il fallait quil apprenne ce que Gemmel lui enseignait.Il ne pouvait pas regagner Luthadel avant avant dtre de nouveaului-mme. Ou du moins une version de lui-mme qui aurait cicatris,avec des plaies refermes et des souvenirs apaiss.

    Allons-y, alors, dit Kelsier.Gemmel lui lana un regard noir. Le vieux cingl naimait pas

    quand Kelsier tentait de prendre le contrle. Mais ctait ce quefaisait Kelsier. Il fallait bien que quelquun le fasse.

    Le Bastion Shezler tait bti selon le style architectural singulierqui tait typique de toutes les zones du Dominat Occidental loi-gnes de Luthadel. Au lieu de blocs et de sommets pointus, il poss-dait un aspect presque organique, avec ses quatre tours fuseles lavant. Les btiments de la ville devaient tre construits avec unecharpente de pierre et un extrieur en boue durcie, sculpte etmodele de manire faonner toutes ces courbes et ces protub-rances. Le bastion, comme les autres btiments, semblait inachevaux yeux de Kelsier.

    O ? demanda-t-il. On monte, rpondit Gemmel. Puis on redescend.Il bondit du mur et jeta une pice pour lui-mme. Il y exera une

    Pousse, et son poids lentrana vers le bas. Quand elle atteignit le sol,Gemmel slana plus haut vers le btiment.

    Kelsier bondit et exera une Pousse contre sa propre pice. Tousdeux franchirent lespace sparant le mur sculpt et le bastion clair.De puissantes lampes chaux brlaient derrire des fentres muniesde vitraux ; ici, dans le Dominat Occidental, ces fentres possdaientsouvent des formes tranges, et il ny en avait jamais deux semblables.Ces gens ne comprenaient-ils donc rien la notion desthtique ?

    Plus prs du btiment, Kelsier se mit exercer une Traction pluttquune Pousse il cessa de brler de lacier pour brler du fer, puistira sur une ligne bleue qui menait un chssis de fentre en acier. Ilse retrouva attir vers le haut, comme sil se trouvait au bout dune

    10

  • longe. Ctait dlicat ; le sol lattirait toujours vers le bas, sanscompter quil bnficiait toujours de sa vitesse acquise, si bien quildevait prendre soin, lorsquil exerait une Pousse, de ne rienpercuter.

    Grce la Traction, il gagna davantage de hauteur. Il en avaitbesoin, car le Bastion Shezler tait haut, lun des plus hauts deLuthadel. Les deux allomanciens gravirent la faade, agrippant lesreliefs et protubrances ou y prenant appui pour bondir. Kelsieratterrit sur une saillie, agita un moment les bras, puis parvint agripper une statue qui ne possdait aucune raison apparente davoirt place l. Elle tait couverte de fragments dmail de diffrentescouleurs.

    Gemmel passa en volant sur sa droite ; lautre Fils-des-brumes sedplaait avec adresse et grce. Il jeta une pice sur le ct, o elleatteignit une saillie. Puis, en y prenant appui, Gemmel sorienta dansla bonne direction. Il tournoya, sa cape de brume dispersant lesbrumes, puis sattira vers un vitrail diffrent. Il latteignit et restasuspendu l comme un insecte, agrippant des reliefs de mtal et depierre.

    La lumire puissante des lampes chaux traversait le vitrail quila dcomposait en couleurs, lesquelles aspergrent Gemmel commesi lui aussi tait couvert de fragments dmail. Il leva les yeux, unsourire aux lvres. Sous cette lumire, avec la cape de brume qui flot-tait derrire lui et les brumes qui dansaient autour de lui, Gemmelsembla soudain plus majestueux aux yeux de Kelsier. Loin du dmentvtu de loques. Quelque chose de bien plus grandiose.

    Gemmel bondit dans les brumes, puis se hissa dans les airs laide dune Traction. Kelsier le regarda partir et se surprit lenvier.Je vais apprendre, se dit-il. Et je serai aussi dou que lui.

    Depuis le dbut, il tait attir par le zinc et le laiton, lallomanciequi lui permettait de jouer avec les motions des gens. a lui avaitsembl plus proche de ce quil avait fait spontanment par le pass.Mais il tait un homme nouveau, revenu la vie dans ces horriblesfosses. Quoi quil ait pu tre, ce ntait pas assez. Il fallait quildevienne davantage.

    Kelsier se projeta vers le haut, puis se hissa dune Traction vers letoit du btiment. Gemmel continua slever au-del du toit, volantvers le sommet des quatre flches qui ornaient lavant du btiment.Kelsier lcha toute sa bourse de pices plus la quantit de mtalsur laquelle on prenait appui tait grande, plus on pouvait aller vite ethaut et attisa son acier. Il poussa de toutes ses forces et se propulsatelle une flche.

    Les brumes dfilaient toute allure autour de lui. Les lumirescolores des vitraux sloignrent en dessous de lui. Deux flchesrtrcirent chacune dun ct de Kelsier, de plus en plus troites. Ilprit appui sur le revtement dtain de lune dentre elles pour serepousser lgrement sur la droite.

    11

  • Grce une dernire Pousse de force, il dpassa la pointe de laflche, qui tait coiffe dune protubrance de la taille dune ttehumaine. Kelsier y atterrit, attisant son potin, qui accrut ses capa-cits physiques. Ce qui le rendit non seulement plus fort, mais aussiplus adroit. Capable de se tenir sur un pied au-dessus dun globedune paume de diamtre plusieurs centaines de mtres au-dessusdu sol. Ayant accompli la manuvre, il sarrta et regarda fixementson pied.

    Tu gagnes en confiance, dit Gemmel. (Il stait arrt deuxdoigts de la pointe de la flche et sy accrochait en dessous deKelsier.) Cest bien.

    Puis, dun geste rapide, Gemmel slana et repoussa la jambe deKelsier. Lequel poussa un cri, perdit lquilibre et chuta parmi lesbrumes. Gemmel exera une Pousse contre les flacons remplis demtaux que Kelsier, comme la plupart des allomanciens, portait saceinture. Cette Pousse loigna Kelsier du btiment et le rejeta parmiles brumes.

    Il se mit chuter et cessa de penser de manire rationnellelespace dun instant. Il y avait une terreur primitive lie la sensa-tion de la chute. Gemmel avait parl de la contrler, dapprendre ne plus connatre le vertige ni se retrouver dsorient lorsque lontombait.

    Ces leons dsertrent lesprit de Kelsier. Mais il tombait. Trsvite. travers les brumes tourbillonnantes, dboussol. Il ne luifaudrait que quelques secondes pour atteindre le sol.

    Dsespr, il exera une Pousse sur ces flacons de mtaux, esp-rant quil dsignait la bonne direction. Ils sarrachrent de sa ceintureet allrent scraser contre quelque chose. Le sol.

    Ils ne contenaient pas beaucoup de mtal. peine assez pourralentir Kelsier. Il atteignit le sol une fraction de seconde aprs saPousse, et limpact lui coupa le souffle. Un clair traversa son champde vision.

    Il resta tendu, sonn, tandis que quelque chose atterrissait lour-dement sur le sol prs de lui. Gemmel. Celui-ci eut un ricanement dedrision.

    Crtin.Avec un gmissement, Kelsier se releva sur les mains et les

    genoux. Il tait vivant. Et il ne semblait, sa grande surprise, rienavoir de cass mme si sa cuisse et son flanc le brlaient mcham-ment. Il aurait des ecchymoses atroces. Le potin lavait maintenu envie. La chute, mme conclue par cette Pousse, aurait bris les os denimporte qui dautre.

    Kelsier se redressa en titubant et lana un regard noir Gemmel,mais nmit aucune plainte. Ctait sans doute bel et bien le meilleurmoyen dapprendre. Ce serait en tout cas le plus rapide. Dun pointde vue rationnel, Kelsier aurait choisi cette mthode-ci : se faire jeter

    12

  • dans le feu de laction, contraint dapprendre en cours de route. Cequi ne lempchait pas de har Gemmel.

    Je croyais quon montait, dit Kelsier. Avant de redescendre. Puis de remonter nouveau, je suppose ? demanda Kelsier

    avec un soupir. Non. De descendre encore un peu.Gemmel traversa dun pas nergique le terrain qui entourait le

    bastion, longeant des arbustes dornement qui ntaient gure plusque dobscures silhouettes drapes de brume dans la nuit. Kelsiersempressa de rejoindre Gemmel, redoutant une nouvelle attaque.

    a se trouve au sous-sol, marmonna Gemmel. Le sous-sol,rends-toi compte. Pourquoi le sous-sol ?

    Quest-ce qui se trouve au sous-sol ? demanda Kelsier. Notre objectif, rpondit Gemmel. Il fallait quon monte trs

    haut pour que je puisse chercher une entre. Je crois quil y en a uneici, dans les jardins.

    Attendez, vous avez presque lair raisonnable, fit remarquerKelsier. Vous avez d vous cogner la tte.

    Gemmel lui lana un regard noir, puis plongea la main dans sapoche et en tira une poigne de pices. Kelsier prpara ses mtaux,prt riposter. Mais Gemmel tourna sa main vers le ct et jeta lespices vers deux gardes qui remontaient le sentier en trottinant pourvoir qui traversait le domaine en pleine nuit.

    Les hommes tombrent, et lun dentre eux hurla. Gemmel nesemblait pas se soucier de dvoiler leur prsence. Il continua avancer.

    Kelsier hsita un instant, jetant un coup dil aux deux hommesen train dagoniser. Employs par lennemi. Il seffora de ressentirquelque chose pour eux, mais il ny parvint pas. Cette partie de luiavait t arrache par les Fosses de Hathsin, bien quune autre partiesoit perturbe de le voir insensible ce point.

    Il se htait la suite de Gemmel, qui avait trouv ce qui semblaittre une cabane outils. Cependant, lorsquil ouvrit la porte, il ny vitquun escalier obscur menant vers le bas.

    Tu brles ton acier ? demanda Gemmel.Kelsier hocha la tte. Guette les mouvements, ajouta Gemmel tout en semparant

    dune poigne de pices dans sa bourse.Kelsier leva la main vers les gardes tombs terre et exera une

    Traction sur les pices que Gemmel avait utilises contre eux, les atti-rant ainsi vers lui. Il avait vu Gemmel exercer sur les objets des Trac-tions lgres, de sorte quils ne foncent pas sur lui toute allure.Kelsier ne matrisait pas encore cette astuce, et il dut saccroupir etlaisser les pices passer au-dessus de sa tte pour aller percuter lemur de la cabane. Il les rassembla, puis se remit en marche pourrejoindre un Gemmel impatient qui le regardait dun air mcontent.

    13

  • Je navais pas darme, expliqua Kelsier. Jai laiss ma bourse enhaut du btiment.

    Ce genre derreur provoquera ta mort.Kelsier ne rpondit pas. Ctait bel et bien une erreur. Bien sr, il

    avait eu lintention daller rechercher la bourse et il laurait fait siGemmel ne lavait pas dlog de la flche.

    La lumire faiblit pour cder la place la pnombre tandis quilsdescendaient les marches. Gemmel ne sortit ni torche ni lanterne,mais fit signe Kelsier de passer le premier. Encore une mise lpreuve ?

    Lacier qui brlait en Kelsier lui permettait didentifier les sourcesmtalliques grce leurs lignes bleues. Il marqua un temps darrt,puis laissa tomber terre la poigne de pices qui rebondirent le longdes marches. Dans leur chute, elles lui permirent de voir o se trou-vait lescalier, et lui en fournirent un tableau encore meilleurlorsquelles sarrtrent.

    Les lignes bleues ne compensaient pas totalement labsence devision, et il devait tout de mme marcher prudemment. Cependant,les pices laidaient beaucoup, et il aperut le loquet dune porte.Derrire lui, il entendit Gemmel grommeler, dun air approbateurpour une fois.

    Joli tour avec les pices, murmura-t-il.Kelsier sourit, approchant de la porte tout en bas de lescalier. Il

    tendit la main pour semparer du loquet mtallique. Il louvrit trsprudemment.

    Il y avait de la lumire de lautre ct. Kelsier saccroupit quoique Gemmel puisse penser, il avait de lexprience en matire dinfil-tration et de vols nocturnes discrets. Ce ntait pas le premier novicevenu. Il avait simplement appris que la survie, pour quelquun desang ml comme lui, signifiait soit apprendre parler, soit fureter ; se battre de manire frontale aurait t idiot dans la plupartdes situations.

    Bien entendu, aucune de ces trois mthodes se battre, parler oufureter navait fonctionn cette nuit-l. La nuit de sa capture, unenuit o personne dautre quelle ne pouvait lavoir trahi. Mais pour-quoi lavait-on emmene, elle aussi ? Elle navait pas pu

    Arrte, se dit-il tout en pntrant dans la pice accroupi, pasfeutrs. Elle tait remplie de longues tables encombres de diversoutils destins la fonte des mtaux. Pas le genre de matriel volumi-neux quemploient les forgerons, mais les petits brleurs et les instru-ments dlicats dun matre mtallurgiste. Des lampes brlaient auxmurs, et une grande forge rouge brillait dans un coin. Kelsier sentitde lair frais souffler de quelque part ; lautre ct de la pice se termi-nait par plusieurs couloirs.

    La pice semblait vide. Gemmel entra, et Kelsier tendit la mainderrire son dos pour rappeler les pices lui. Certaines taienttaches du sang des gardes vaincus. Toujours accroupi, il passa

    14

  • devant un bureau rempli dinstruments dcriture et de petits livresrelis de tissu. Il regarda Gemmel, qui traversait la pice dun pasnergique sans chercher la discrtion. Gemmel posa les mains sur seshanches et regarda autour de lui.

    Alors, o est-il ? Qui a ? demanda Kelsier.Gemmel se mit marmonner mi-voix tout en traversant la pice,

    balayant certains outils des tables en les envoyant valser terre.Kelsier contourna les lieux en rasant les murs, dcid jeter un coupdil dans les couloirs latraux pour voir si quelquun approchait. Ilinspecta le premier et dcouvrit quil donnait sur une pice troite etallonge. Elle tait occupe.

    Kelsier se figea, puis se leva lentement. Il y avait une demi-douzaine de personnes dans la pice, hommes et femmes, attachesaux murs par les bras. Il ny avait pas de cellules, mais les pauvresdonnaient limpression davoir t battus presque mort. Ils neportaient que des haillons, qui taient ensanglants.

    Kelsier se secoua de sa torpeur, puis se dirigea pas de loup versla premire femme de la range. Il lui ta son billon. Le sol taithumide ; sans doute quelquun tait-il pass ici rcemment pour jeterdes seaux deau sur les prisonniers afin dempcher que le laboratoirenempeste. Une rafale de vent provenant de lautre bout du couloirqui donnait sur cette pice apporta un souffle dair frais.

    La femme se raidit ds quil la toucha et ouvrit brusquement desyeux qui scarquillrent de terreur.

    Piti, piti, non, murmura-t-elle. Je ne vais pas vous faire de mal, dit Kelsier. (Cette sensation

    dengourdissement en lui semblait changer.) Sil vous plat. Quites-vous ? Que se passe-t-il ici ?

    La femme se contenta de le regarder fixement. Elle grimaa quandKelsier leva la main pour dfaire ses liens, et il hsita.

    Il entendit un bruit touff. Jetant un coup dil sur le ct, il vitune deuxime femme, dge mr et dallure plus imposante. Lescoups lui avaient pratiquement arrach la peau. Ses yeux, enrevanche, taient bien moins paniqus que ceux des femmes plusjeunes. Kelsier savana pour lui ter son billon.

    Je vous en prie, lui dit la femme. Librez-nous. Ou tuez-nous. Quest-ce que cest que cet endroit ? siffla Kelsier tout en

    saffairant lui dtacher les bras. Il cherche des sang-ml, dit-elle. Sur lesquels tester ses

    nouveaux mtaux. Quels nouveaux mtaux ? Je nen sais rien, rpondit la femme avec des larmes sur les

    joues. Je ne suis quune skaa, et les autres aussi. Je ne sais pas pour-quoi il nous choisit. Il raconte des choses Sur des mtaux, desmtaux inconnus. Je ne crois pas quil ait toute sa tte. Tout ce quil

    15

  • nous fait subir il dit que cest pour faire ressortir notre ct allo-mantique mais milord, je nai pas de sang noble. Je ne peux pas

    Chut, dit Kelsier en la librant.Quelque chose tait bel et bien en train de percer ce nud

    profond dengourdissement lintrieur de lui. Quelque chose quiressemblait la colre quil prouvait, tout en tant quelque peudiffrent. Ctait davantage. a lui donnait envie de pleurer, maisctait une sensation chaude.

    Libre, la femme regarda fixement ses mains, ses poignetscorchs par les liens. Kelsier se retourna vers les autres pauvrescaptifs. La plupart taient veills prsent. Il ny avait aucun espoirdans leurs yeux. Ils se contentaient de regarder devant eux, abattus.

    Oui, il le ressentait.Comment pouvons-nous supporter un monde comme celui-ci ? se

    demanda Kelsier, qui alla aider un autre captif. O des choses commecelle-ci se produisent ? La tragdie la plus effroyable tait de savoirque ce genre datrocits tait monnaie courante. Les skaa taientinterchangeables. Il ny avait personne pour les protger. Personne nese souciait deux.

    Pas mme lui. Il avait pass la majeure partie de sa vie ignorerde tels actes de brutalit. Oh, il avait feint de riposter. Mais en ralit,il stait simplement souci de senrichir. Tous ces plans, tous cescasses, toutes ses visions grandioses. Il ne stait agi que de lui. De luiseul.

    Il libra une autre captive, une jeune femme aux cheveuxsombres. Elle ressemblait Mare. Une fois libre, elle resta simple-ment blottie terre, recroqueville sur elle-mme. Kelsier se dressaitau-dessus delle, prouvant une impression dimpuissance.

    Personne ne se bat, songea-t-il. Personne ne croit tre capable de sebattre.

    Mais ils se trompent. Nous pouvons nous battre Je peux mebattre.

    Gemmel entra dans la pice dun pas nergique. Il balaya les skaadu regard et sembla peine les remarquer. Il marmonnait toujourspour lui-mme. Il avait avanc de quelques pas dans la pice quandune voix hurla depuis le laboratoire :

    Quest-ce qui se passe ici ? !Kelsier reconnaissait cette voix. Oh, il ne lavait encore jamais

    entendue expressment mais il identifiait son arrogance, son assu-rance. Son mpris. Il se surprit se relever et dpasser Gemmelpour retourner dans le laboratoire.

    Un homme vtu dun riche costume, avec une chemise blancheboutonne jusquau cou, se tenait dans le laboratoire. Ses cheveuxtaient courts, selon lusage, et son costume semblait avoir texpdi par bateau de Luthadel il tait en tout cas taill selon ladernire mode.

    16

  • Il regarda Kelsier, imprieux. Et Kelsier se surprit sourire. sourire rellement, pour la premire fois depuis les Fosses. Depuisla trahison.

    Laristocrate renifla, puis leva la main et jeta une pice versKelsier. Aprs un bref instant de surprise, Kelsier y exera unePousse en mme temps que lord Shezler. Tous deux se retrouvrentprojets en arrire, et Shezler carquilla les yeux sous leffet du choc.

    Kelsier alla heurter le mur en arrire. Shezler tait un Fils-des-brumes. Aucun doute l-dessus. Une nouvelle forme de colre montaen Kelsier alors mme quil souriait. Elle brlait comme un mtal,cette motion. Un splendide mtal inconnu.

    Il pouvait riposter. Il allait le faire.Laristocrate tira sur sa ceinture, quil laissa tomber de sa taille

    ainsi que ses mtaux. Il tira une canne de duel quil portait sonct et slana, bougeant trop vite. Kelsier attisa son potin, puis sonacier, et exera une Pousse sur le matriel pos sur lune des tables,quil projeta vers Shezler.

    Ce dernier montra les dents, leva un bras et en repoussa une partie.Cette fois encore, les deux Pousses lune de Kelsier, lautre de sonadversaire entrrent en collision, et tous deux se retrouvrentprojets en arrire. Shezler sappuya contre une table, qui trembla. Duverre se brisa et des outils mtalliques tombrent bruyamment terre.

    Avez-vous la moindre ide de ce que vaut tout a ? rugitShezler, qui baissa son bras et avana.

    Votre me, apparemment, murmura Kelsier.Shezler savana, sapprocha, puis frappa laide de sa canne.

    Kelsier recula. Il sentit sa poche anime dun mouvement, puis exeraune Pousse qui projeta les pices hors de son manteau tandis queShezler y exerait une Pousse son tour. Une seconde de plus etelles auraient travers le ventre de Kelsier en ltat, elles sarrach-rent de sa poche, puis se prcipitrent en arrire vers le mur de lapice.

    Les boutons de son manteau se mirent trembler, bien quil nyreste plus quun peu de feuille de mtal. Il retira son manteau, car-tant ainsi le dernier fragment de mtal quil portait sur lui. Gemmelaurait d me mettre en garde ! Ses sens avaient peine enregistr laprsence de la feuille de mtal, mais il se sentait idiot malgr tout.Le vieil homme avait raison ; Kelsier ne pensait pas comme un allo-mancien. Il se concentrait trop sur lapparence et pas assez sur ce quirisquait de le tuer.

    Kelsier continua reculer, observant son adversaire, rsolu nepas commettre une nouvelle erreur. Il stait dj retrouv impliqudans des bagarres de rues, mais pas trs frquentes. Il avait tent deles viter les bagarres taient une vieille habitude de Dockson. Pourune fois, il regretta de ne pas stre davantage exerc dans cedomaine particulier.

    17

  • Il longea lune des tables, attendant que Gemmel le rejoignedepuis lautre pice. Mais il nentra pas. Il nen avait sans doute paslintention.

    Le but de toute lopration tait de trouver Shezler, comprit Kelsier.Pour que je puisse affronter un autre Fils-des-brumes. Il y avait lquelque chose dimportant Tout sembla soudain logique.

    Kelsier gronda, et stonna dentendre ce bruit lui chapper. Cettecolre brlante en lui voulait la vengeance, mais aussi autre chose.Quelque chose de plus grand. Pas simplement une revanche sur ceuxqui lui avaient fait du mal, mais sur la socit noble tout entire.

    En cet instant, Shezler qui savanait dun pas arrogant, plusinquiet pour son matriel que pour la vie de ses skaa devint lesymbole de toutes ces choses.

    Kelsier attaqua.Il ne possdait pas darme. Gemmel avait parl de couteaux de

    verre, mais il ne lui en avait jamais donn. Il ramassa donc un frag-ment de verre bris sur le sol, sans sinquiter de sentailler les doigts.Le potin lui permettait dignorer la douleur tandis quil bondissait surShezler, visant sa gorge.

    Il naurait sans doute pas d gagner. Shezler tait le plus dou etle plus chevronn des allomanciens mais il ntait, de toutevidence, gure accoutum combattre quelquun daussi fort quelui. Il roua Kelsier de coups laide de sa canne de duel. Mais Kelsierpouvait lignorer grce au potin, et il planta son fragment de verredans le cou de son adversaire trois fois.

    Tout fut termin en quelques secondes. Kelsier recula en titu-bant, tandis quil commenait prendre conscience des douleurs.Shezler lui avait peut-tre bris quelques os en le cognant ; aprstout, lui aussi possdait du potin. Mais laristocrate reposait dans sonpropre sang, agit de spasmes. Le potin pouvait vous sauver de biendes choses, mais pas dune gorge tranche.

    Lhomme stranglait avec son propre sang. Non, siffla-t-il. Je ne peux pas pas moi Je ne peux pas

    mourir Tout le monde peut mourir, murmura Kelsier, laissant tomber

    le fragment de verre ensanglant. Tout le monde.Une ide, lesquisse dun plan, commena alors germer dans son

    esprit. Ctait trop rapide, dit Gemmel.Kelsier leva les yeux, du sang coulant du bout de ses doigts.

    Shezler fit une dernire tentative de respiration rauque, puis simmo-bilisa.

    Il faut que tu apprennes les Pousses et les Tractions, pour-suivit Gemmel. Que tu danses travers les airs, que tu te battescomme un vrai Fils-des-brumes.

    Cen tait un, lui.

    18

  • Ctait un rudit, rpondit Gemmel en savanant pour assnerun coup de pied au cadavre. Jai choisi de commencer par un faible.Le prochain ne sera pas si facile.

    Kelsier regagna la pice o se trouvaient les skaa. Il les libra unpar un. Il ne pouvait pas faire grand-chose pour eux, mais il promitde veiller ce quils quittent les terres du bastion sains et saufs. Peut-tre parviendrait-il les mettre en contact avec la clandestinitlocale ; il se trouvait en ville depuis assez longtemps pour avoirquelques contacts.

    Lorsquil les eut tous librs, il se retourna pour les voir tournsvers lui, blottis les uns contre les autres. Un faible clat semblaitstre rallum dans leurs yeux, et plusieurs jetaient des coups dildans la pice o le cadavre de Shezler reposait terre. Gemmelexaminait un carnet sur lune des tables.

    Qui tes-vous ? demanda la femme dge mr laquelle il avaitparl un peu plus tt.

    Kelsier secoua la tte, sans dtourner le regard de Gemmel. Je suis un homme qui a travers des choses quil naurait pas

    d. Ces cicatricesKelsier baissa les yeux vers ses bras, marqus par des centaines de

    minuscules cicatrices datant des Fosses. En tant son manteau, il lesavait dvoiles.

    Venez, leur dit-il, rsistant limpulsion de couvrir ses bras.On va vous conduire en lieu sr. Gemmel, au nom du SeigneurMatre, quest-ce que vous faites ?

    Le vieil homme poussa un grognement tout en parcourant unlivre. Kelsier accourut dans la pice et y jeta un coup dil.

    Thories et hypothses relatives lexistence dun Onzime Mtal,lut-il griffonn sur la page. Notes personnelles. Antillius Shezler.

    Gemmel haussa les paules et laissa tomber le livre sur la table.Puis il choisit prudemment et soigneusement une fourchette parmiles outils tombs terre et autres vestiges parpills du laboratoire. Ilsourit et gloussa pour lui-mme.

    Alors a, cest une fourchette.Il la fourra dans sa poche.Kelsier sempara du livre. Quelques instants plus tard, il condui-

    sait les skaa blesss hors du bastion, o les soldats rdaient dans lescours, cherchant comprendre ce qui stait pass.

    Lorsquils se retrouvrent de nouveau dans les rues, Kelsier seretourna vers le btiment clair de vives couleurs et perc de splen-dides vitraux. Il guetta au cur des brumes tourbillonnantes les crisde plus en plus paniqus des soldats.

    Lengourdissement avait disparu. Il avait trouv quelque chosepour le remplacer. Sa dtermination tait de retour. Ltincelle taitde nouveau l. Il avait pens trop petite chelle jusqu prsent.

    19

  • Un plan commenait germer, quil osait peine envisagercompte tenu de son audace.

    La vengeance. Et bien davantage.Il se retourna dans la nuit, vers les brumes qui lattendaient, et

    partit en qute de quelquun qui puisse lui fabriquer une cape debrume.

    /ColorImageDict > /JPEG2000ColorACSImageDict > /JPEG2000ColorImageDict > /AntiAliasGrayImages false /CropGrayImages true /GrayImageMinResolution 300 /GrayImageMinResolutionPolicy /OK /DownsampleGrayImages true /GrayImageDownsampleType /Bicubic /GrayImageResolution 300 /GrayImageDepth -1 /GrayImageMinDownsampleDepth 2 /GrayImageDownsampleThreshold 1.50000 /EncodeGrayImages true /GrayImageFilter /DCTEncode /AutoFilterGrayImages true /GrayImageAutoFilterStrategy /JPEG /GrayACSImageDict > /GrayImageDict > /JPEG2000GrayACSImageDict > /JPEG2000GrayImageDict > /AntiAliasMonoImages false /CropMonoImages true /MonoImageMinResolution 1200 /MonoImageMinResolutionPolicy /OK /DownsampleMonoImages true /MonoImageDownsampleType /Bicubic /MonoImageResolution 1200 /MonoImageDepth -1 /MonoImageDownsampleThreshold 1.50000 /EncodeMonoImages false /MonoImageFilter /CCITTFaxEncode /MonoImageDict > /AllowPSXObjects false /CheckCompliance [ /None ] /PDFX1aCheck false /PDFX3Check false /PDFXCompliantPDFOnly false /PDFXNoTrimBoxError true /PDFXTrimBoxToMediaBoxOffset [ 0.00000 0.00000 0.00000 0.00000 ] /PDFXSetBleedBoxToMediaBox true /PDFXBleedBoxToTrimBoxOffset [ 0.00000 0.00000 0.00000 0.00000 ] /PDFXOutputIntentProfile (None) /PDFXOutputConditionIdentifier () /PDFXOutputCondition () /PDFXRegistryName () /PDFXTrapped /False

    /CreateJDFFile false /Description > /Namespace [ (Adobe) (Common) (1.0) ] /OtherNamespaces [ > /FormElements false /GenerateStructure false /IncludeBookmarks false /IncludeHyperlinks false /IncludeInteractive false /IncludeLayers false /IncludeProfiles false /MultimediaHandling /UseObjectSettings /Namespace [ (Adobe) (CreativeSuite) (2.0) ] /PDFXOutputIntentProfileSelector /DocumentCMYK /PreserveEditing true /UntaggedCMYKHandling /LeaveUntagged /UntaggedRGBHandling /UseDocumentProfile /UseDocumentBleed false >> ]>> setdistillerparams> setpagedevice