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Abdelhak Lamiri : Delivery Units, ministère de l’Economie ou cellule de planification Suite Page : 23 PALESTINE L'antisémitisme, arme d'intimidation massive L'antisionisme a beau se définir comme un refus raisonné du sionisme, l'admettre comme tel serait encore faire un compromis avec l’inacceptable. Empreint d’une causalité diabolique, l’antisionisme est moralement disqualifié, mis hors jeu en vertu de l’anathème qui le frappe. Suite Page : 29 pour les épreuves partielles du bac qui se tiennent bientôt… On passe du risque total au risque zéro en la moitié d’un Ramadhan… Je ne sais pas comment ils font pour réussir un tel saut de l’ange, franchement… Espérons-le ! Mais… Le dernier numéro du Nouvel observateur cite l'article de la revue Preuves, dans lequel François Furet décrit l'itinéraire des intellectuels depuis la libération. Je n'ai pas pris malheureusement connaissance de cet article dont le sujet n'aurait été pour moi au demeurant que d'un intérêt intellectuel. Il aurait permis au plus d'établir certaines analogies avec les tribulations de nos intellectuels depuis 1962. Suite page : 02 Histoire Plaidoyer pour un récit oxygéné de notre Histoire ’Histoire, on le sait, est un produit explosif à manier avec précaution. La raison en est simple, elle est un champ de bataille miné où les acteurs qui s’affrontent veulent imposer leur vision du monde pour consolider leur présent et se prémunir des surprises du futur (renouvellement social des élites comme garantie). Heureusement, l’Histoire n’est pas seulement le passé, elle dit des choses sur notre présent qu’elle ne cesse d’influencer. Certains veulent nous faire croire que l’Histoire est un éternel recommencement(*). Suite Page : 12 Culture théocratique et bombe atomique L’Iran est le premier pays musulman contemporain où une révolution populaire a renversé le despotisme. Il avait suscité dans le monde une plus grande polarisation que celle créée par les révolutions arabes, mais, à leur différence, les ulémas chiites avaient préparé l’alternative au régime du shah. Suite page : 06 Noureddine BOUKROUH

OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

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A LA UNE MALEK BENNABI : CHANGER L'HOMMENoureddine BOUKROUH : culture théocratique et bombe atomiquePALESTINEL'antisémitisme, arme d'intimidation massiveAbdelhak Lamiri :Delivery Units, ministère de l’économie ou cellule de planification

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Page 1: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

Abdelhak Lamiri :

Delivery

Units,

ministère de

l’Economie

ou cellule

de

planification

Suite Page : 23

PALESTINE

L'antisémitisme, arme

d'intimidation massive

L'antisionisme a beau se

définir comme un refus

raisonné du sionisme,

l'admettre comme tel

serait encore faire un

compromis avec

l’inacceptable. Empreint

d’une causalité

diabolique, l’antisionisme

est moralement

disqualifié, mis hors jeu

en vertu de l’anathème

qui le frappe. Suite Page : 29

VOX POPULI Par Arris Touffan

Le ministère de

l’Education nous

rassure ! Ouf !

«Risque zéro»

pour les

épreuves

partielles du bac

qui se tiennent

bientôt… On

passe du risque

total au risque

zéro en la moitié

d’un

Ramadhan… Je

ne sais pas

comment ils font

pour réussir un

tel saut de

l’ange,

franchement…

Espérons-le !

Mais…

MALEK BENNABI : CHANGER L’HOMME

Le dernier numéro du Nouvel observateur cite

l'article de la revue Preuves, dans lequel François

Furet décrit l'itinéraire des intellectuels depuis la

libération.

Je n'ai pas pris malheureusement connaissance de cet

article dont le sujet n'aurait été pour moi au

demeurant que d'un intérêt intellectuel.

Il aurait permis au plus d'établir certaines analogies

avec les tribulations de nos intellectuels depuis 1962.

Suite page : 02

Histoire

Plaidoyer pour un

récit oxygéné de notre

Histoire ’Histoire, on le

sait, est un produit

explosif à manier avec

précaution. La raison en

est simple, elle est un

champ de bataille miné

où les acteurs qui

s’affrontent veulent

imposer leur vision du

monde pour consolider

leur présent et se

prémunir des surprises du

futur (renouvellement

social des élites comme

garantie).

Heureusement, l’Histoire

n’est pas seulement le

passé, elle dit des choses

sur notre présent qu’elle

ne cesse d’influencer.

Certains veulent nous

faire croire que l’Histoire

est un éternel

recommencement(*).

Suite Page : 12

Culture théocratique et bombe atomique

L’Iran est le premier pays musulman

contemporain où une révolution populaire a renversé

le despotisme. Il avait suscité dans le monde

une plus grande polarisation que celle créée

par les révolutions arabes, mais, à leur

différence, les ulémas chiites avaient préparé

l’alternative au régime du shah.

Suite page : 06

Noureddine BOUKROUH

Page 2: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

2

MALEK BENNABI : CHANGER L'HOMME

Le dernier numéro du Nouvel

observateur cite l'article de la

revue Preuves, dans lequel

François Furet décrit l'itinéraire

des intellectuels depuis la

libération.

Je n'ai pas pris malheureusement

connaissance de cet article dont

le sujet n'aurait été pour moi au

demeurant que d'un intérêt

intellectuel.

Il aurait permis au plus d'établir

certaines analogies

avec les tribulations

de nos intellectuels

depuis 1962.

Mais le sujet prend

soudain à nos yeux

un intérêt

considérable avec

une remarque de

Jean Daniel, qui

pose indirectement

un problème qui

garde toute son

importance dans une

éventuelle

réévaluation de la Révolution

algérienne.

Une révolution est, par définition,

une entreprise de transformation,

une opération de changement.

Mais ce changement a son style

et il a sa nature. Le style doit être

rapide pour être compatible avec

sa signification révolutionnaire.

Mais le changement, que doit-il

affecter pour être compatible

avec cette signification ?

Là est le problème. C'est à partir

de là que commence l'ambigüité,

que naissent les équivoques.

Une révolution doit marquer dans

tous les esprits le contenu précis

des changements qu'elle

préconise, pour ne pas laisser

place à la confusion.

Si les choses demeurent dans le

vague, n'importe quel

déviationnisme sera possible.

La révolution pourra même, sans

se rendre compte, perdre son

caractère et devenir une pseudo-

révolution, en laissant le

quantitatif prendre la place du

qualitatif dans sa conception et le

pseudo-changement se substituer

au changement fondamental

nécessaire.

Une masse d'iniquités sociales

peut accumuler une énergie

révolutionnaire. Mais quand

celle-ci est déclenchée - dans une

circonstance privilégiée en

général- il n'est pas certain qu'elle

garde son orientation et ne dévie

pas de ses buts. Certaines

conditions sont nécessaires.

C'est sur ce point que le

commentaire du Nouvel

Observateur apporte une clarté

essentielle.

En face de l'article de François

Furet, J. Daniel évoque en effet

un témoignage de Che Guevara

recueilli au cours d'un entretien à

La Havane : « Si l'on ne doit

pas, dit l'ex ministre de Castro,

changer l'homme alors la

révolution ne m'intéresse pas ...

».

C'est net, c'est clair, c'est précis.

Nous sommes au cœur du

problème.

Et J. Daniel a raison d'ajouter

qu'il avait senti dans les propos

de son interlocuteur« des accents

d'une dureté religieuse ».

Il y a une ascèse en effet sans

laquelle il n'y a pas d'esprit

révolutionnaire.

Le problème des changements

révolutionnaires perd toute

signification en dehors de cette

condition.

La mutation du pouvoir politique,

la réorganisation administrative

et judiciaire, le changement de

l'unité monétaire, la réadaptation

du système économique, font

partie du phénomène

révolutionnaire certes.

On peut modifier le cadastre de la

propriété foncière, on peut

transférer les postes de manière à

« Si l'on ne doit pas, dit l'ex ministre de Castro, changer l'homme alors

la révolution ne m'intéresse pas ... ».

Page 3: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

3

remplacer un Dupont par un Ben

Kébir lettré, même s'il descend en

ligne directe d'un bachagha

illettré, on peut changer les

caractères latins par les caractères

arabes sur les enseignes des

cabarets.

Mais tous ces changements sont

illusoires et n'ont rien de définitif

si l'homme lui-même n'a pas

changé. On peut même relever le

revenu annuel moyen de

l'individu. Ce n'est pas encore

cela la mesure d'une révolution.

S'il ne s'agissait, en effet, que

d'une augmentation des salaires

et des rations, alors, comme

l'ajoute Che Guevara : « Un néo-

colonialisme intelligent a plus de

chances de réussite ».

Et le peuple algérien,

révolutionnaire, savait bien ce

qu'il faisait en disant « non » au

plan de Constantine.

Une révolution ne peut édifier un

ordre nouveau et garantir ses

acquis qu'en transformant d'abord

l'homme.

En fait, c'est un problème de

civilisation qui se pose. Mais il

est souvent formulé d'une façon

empirique, en termes politiques.

Dans un pays qui subit la

civilisation, l'acte le plus

révolutionnaire c'est l'acte qui

décolonise l'homme lui-même.

Il faut avoir à l'esprit le processus

de dégradation de l'individu en

Algérie pendant plus d'un siècle

pour mesurer sa régénération

depuis le 1 er Novembre 1954 et

pour se faire une idée de sa

résurrection en tant qu'homme.

Pendant plus d'un siècle, il fallait

se nommer « l'indigène », il

fallait se faire « humble » pour

s'adapter à un ordre colonial

implacable.

L'intellectuel de la génération

précédente lisait La Voix

indigène ou La Voix des

Humbles.

Et s'il arrivait d'écrire, le choix de

son sujet était déterminé. Comme

cet algérien qui publiait vers

1925 un livre qui avait pour titre

Yallah et pour sous-titre Ou l'art

pour un Européen de commander

et de se faire obéir par des

indigènes.

C'est significatif de la haute

inspiration de son auteur, n'est-ce

pas ?

Et nos intellectuels n'avaient pas

le monopole de cette littérature

du servage, Richard Wright* cite

dans son ouvrage sur Bandoeng,

quelque chose d'homologue à «

Yallah » en Indonésie.

Pourtant, la colonisation

dénaturait l'homme. La

décolonisation était donc l'acte le

plus important dans un processus

révolutionnaire.

Ceux qui avaient connu en

France un lamentable type de

travailleur algérien, le virent

soudain changer de trait avec son

auréole révolutionnaire.

Les mots eux-mêmes avaient

joué un rôle dans cette

transformation.

En rejetant la livrée de «

l'indigène» l'Algérien se baptisai :

« El Moudjahid » pour rejoindre

un maquis. En prenant seulement

Cf titre, il avait déjà accompli son

acte révolutionnaire le plus

solennel avant même de tirer son

premier coup de feu.

Il devenait instantanément le

héros conscient de l'importance

de son défi aux forces écrasantes

qui sont en face de lui.

Aussi, quand on modifie sans

fondement le vocabulaire

révolutionnaire, c'est parfois sa

valeur rédemptrice sur l'homme

qu'on fait tomber.

Khaldi a admirablement montré

l'importance des termes

révolutionnaires du point de vue

sémantique.

On doit mesurer aussi leur

importance du point de vue

psychologique.

Les mots marquent des positions

idéologiques déterminées.

C'est infiniment plus important

que la décolonisation des terres.

Et c'est même sa condition.

Si on les modifie, le changement

d'un terme ne marquera pas

seulement l'abandon d'une

position idéologique qu'il

désignait, mais marquera aussi un

changement dans le

comportement révolutionnaire

lui-même.

Quand le combattant cessera de

se nommer « El Moudjahid »,

c'est le comportement du

« Troufion » qui réaparait,

comme dans un régime d tirai 11

eurs.

Une révolution doit maintenir sa

rigueur même dans le langage

Une révolution ne peut édifier un

ordre nouveau et garantir ses acquis

qu'en transformant d'abord l'homme.

Page 4: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

4 pour garder sa portée rédemptrice

sur l'homme.

Certaines licences de langage -

qui se veulent audace

révolutionnaires - ne sont en fait

que des trahisons de la révolution

dans son objet essentiel : la

transformation de 1 'homme.

Quand certains muscadins parlent

de « libération des sexes»

exemple, leurs mots traduisent

dans la phase actuelle une chute

potentielle révolutionnaire.

Ce n'est pas sans raison que la

Genèse fait remonter à la

confusion des langages les

malentendus qui divisent les

peuples pour montrer le pouvoir

des mots sur le destin des

hommes.

Quoiqu'il en soit, une révolution

ne peut pas rendre définitive

l'œuvre des choses qu'elle

engendre si elle ne transforme

pas l'homme définitivement dans

son comportement, ses idées et

ses mots.

Au fond, toute révolution doit

s'accomplir selon cette loi de

sociologie contenue dans le

verset coranique : « Dieu ne

change pas l'état d'un peuple tant

que celui-ci n'a pas changé son

âme ».

* Richard Wright (1908-1960) est

un écrivain et journaliste américain.

Il a participé à la conférence de

Bandung dont il rédigea un rapport

intitulé Le rideau de couleur.

(N.d.E.)

Légumes

par El-Guellil

Krouchna, nos ventres et nos tubes digestifs influencent, non seulement notre bien-être

physique mais aussi nos comportements et notre langage.

Tu vas voir un film, déçu, il ne te plaît pas, tu diras : c'est un «navet» ! Quelqu'un montre-t-il

peu d'imagination ou est très attaché à ses idées, immédiatement il devient une «andouille» ma

yessouache basla (même si de nos temps el-basla n'est pas donné). De celui qui n'a rien dans la

cabessa igoulou il a une cervelle pas plus grosse qu'une jelbana. Et s'il arrive un malheur à ce

pauvre bougre, «kabouya oueklaha hmar». Enfin, si quelqu'un occupe un poste prestigieux dans

l'ordre social, il devient une «grosse légume», ce que les Européens désignent par le sigle VIP

«very important pastèque».

Ces «personnages très importants» se plaisent à étaler leur statut social par des banquets, des

grosses cylindrées, des discours ronflants à la télé ou dans des congrès réunissant leurs

semblables. Mais ils ne font pas ça pour des prunes. Ils se disent réfléchissant à notre avenir,

comme quoi nous ne comptons pas pour des noix. Congrès ou journées d'études, séminaires ou

autres qui finissent autour d'une table de dîner. C'est la cerise sur le gâteau.

Ils me rappellent certains concours de cucurbitacées (pastèques, melons, kabouya bsibsi) que

les agriculteurs tiennent fi l'étranger, pour figurer dans les livres des records. C'est à celui qui

présenterait la plus grosse citrouille, même si elle n'est pas mangeable, car l'important n'est pas

le contenu mais le contenant.

Ainsi en est-il de certaines grosses légumes pour qui la grandeur de l'image projetée importe

plus que l'efficacité. Ils mériteraient, probablement, le même sort réservé à la plupart de nos

citrouilles : servir de décoration d'un soir, avant de prendre le chemin de la poubelle. Mais de

quoi je me mêle... Et si je m'occupais de mes oignons ?

Page 5: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

Médecine parallèle, zaouïa, rokia et essalihines

quels spectacles assistons-nous en cette

conjoncture faite d’appels au surnaturel, à

l’ancestral pour maquiller le réel ? Le pouvoir

agonisant croit pouvoir convoquer tous les saints pour

effacer ses turpitudes et l’aider à faire oublier ses

échecs et faire taire tous les citoyens, nombreux

aujourd’hui, qui demandent des comptes.

Renvoyer les citoyens au sacré, aux pratiques

ancestrales pour tenter de bénir le présent, ses acteurs

et perpétuer son règne sans fin. Rien n’est négligé

pour ce faire : zaouïa, charlatanisme, rokia et autres

abominations.

Dans cette conjoncture où le secteur médical est

malade de ses difficultés sans fin, où, par exemple, le

citoyen souffrant de maladie chronique n’arrive pas à

se trouver certains médicaments indispensables à sa

survie et lorsqu’il les trouve, certains ne sont pas pris

en charge par la Sécurité sociale, il s’est trouvé un

«représentant du peuple», en l’occurrence un député

du parti islamiste Karama pour saisir par écrit

Mohamed Aïssa, ministre des Affaires religieuses et

des Wakf, lui demandant de faire reconnaître par la loi

les cas d’atteintes par les djins et la sorcellerie. Et

pour ce faire, le député propose que l’Etat agrée des

«roquetes», en fait des exorcistes légaux. Rien moins

que ça et à la Sécurité sociale de rembourser alors les

envoûtements et autres sorcelleries. Notons, et ce

n’est pas inutile, que le parti de ce député a pour chef,

le patron d’une zaouïa qui a eu «l’honneur» d’être

dans la liste des zaouïas blanchisseuses d’anciens

ministres. Ce type de requête aurait-il pu s’exprimer si

le charlatanisme n’était pas encouragé et son mode

opératoire présenté comme une sunna diffusé sur de

très nombreuses chaînes TV qui accordent des

créneaux horaires fixes et quotidiens à ces «docteurs

de la foi» ? Dans la même veine et avec des

conséquences qui pourraient être désastreuses, l’on a

vu, très récemment, la promotion d’un certain

«médecin» qui a essaimé les chaînes de télévision

publiques et privées pour parler de son médicament

miracle contre le diabète. Mieux encore, le ministre de

la Santé, Abdelmalek Boudiaf, a reçu en personne ce

soi-disant médecin de Constantine, appelé Toufik

Zailete, qui a eu l’effronterie de déclarer qu’il a refusé

le prix Nobel parce que dans le contrat qu’on lui

aurait proposé, il lui était demandé de ne pas

mentionner qu’il s’agissait d’un médicament «arabe»

! De malheureux patients algériens ont même arrêté

l’insuline, mettant en danger leur vie. L’escroquerie

aurait pu se poursuivre, n’était le soulèvement de

l’Ordre national des médecins et le Syndicat national

des praticiens de la santé publique avec de nombreux

praticiens qui se sont insurgés contre cette dérive vers

laquelle se fourvoie la médecine algérienne et qui

pourrait mettre en péril la santé des citoyens.

Avec l’inimaginable retour en grande pompe de

l’ancien ministre Chakib Khelil et les honneurs qui lui

ont été rendus dans l’aéroport, par lequel on l’a fait

fuir il y a trois ans, l’on pensait que le culot des

hommes du pouvoir allait s’arrêter là et les réactions

indignées des citoyens qui ont envahi les réseaux

sociaux pour crier au scandale allaient faire reculer

ceux qui ont conçu et organisé ce retour. Eh bien non.

Après l’accueil officiel par le wali d’Oran, les

citoyens, atterrés, allaient assister et assistent encore à

tout un programme mis au service de celui ayant fait

l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par la

justice algérienne et renié depuis. Qui mieux que les

zaouïas pouvait blanchir celui accusé de détournement

de biens publics ? Qui mieux que les zaouïas (elles

furent nombreuses à être mobilisées) pour blanchir

celui que le secrétaire général du FLN considère

comme le meilleur ministre que l’Algérie a eu depuis

l’indépendance ? Les ficelles du marketing politique

n’ont pas été négligées pour les mettre au service de

celui que l’on préparait à un destin national. Cortèges

sécurisés et procession de voitures officielles ;

incantations et prières pour le sauveur de l’Algérie,

interviews surréalistes qui pourraient constituer le

modèle à ne pas suivre aux étudiants en journalisme,

le tout sous l’oeil de caméras transmettant en direct et

parfois en boucle les bénédictions données au grand

expert, au «mahroug», au «kenz» que l’Algérie a failli

perdre. N’étaient les révélations impromptues de

Panama Papers et les comptes offshores de la famille

Khelil, l’on continuerait encore à nous gaver des

conseils du grand expert international qui se propose,

avec assurance et arrogance, de sortir l’Algérie de son

marasme économique, juste par «patriotisme» et

amour pour le pays. Ce n’est, toutefois, pas terminé.

Le pouvoir, comme on le sait, a plus d’un tour dans sa

chkara. L’instrumentalisation du religieux par les

politiques n’est pas un fait nouveau. Hormis le

Président Boumediène qui n’avait d’ailleurs pas

besoin de l’appui de ces confréries dont beaucoup ont

été des suppôts du colonialisme, Chadli Bendjedid

s’en est largement servi alors que Bouteflika les a tout

bonnement intégrées dans sa pratique du pouvoir, les

rendant quasiment incontournables par leur

bénédiction. Si bien que toutes les avancées

enregistrées dans la société par le recul de pratiques

obscurantistes font aujourd’hui l’assaut de charlatans

appelés, comme vient de le faire le secrétaire général

du FLN, «les salihines».

Khedidja Baba-Ahmed

A

Page 6: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

6

Culture théocratique et bombe atomique

’Iran est le premier pays

musulman contemporain

où une révolution

populaire a renversé le

despotisme. Il avait suscité dans

le monde une plus grande

polarisation que celle créée par

les révolutions arabes, mais, à

leur différence, les ulémas chiites

avaient préparé l’alternative au

régime du shah.

L’ayatollah Khomeyni, qui

l’avait dirigée de l’étranger, est

aussi l’auteur d’un livre, Le

gouvernement islamique, dans

lequel il a exposé sa théorie du

«velayet-e-faqih», c’est-à-dire, le

gouvernement du pays par un

imam coiffant tous les pouvoirs

et chef suprême des armées et des

services de sécurité. Dans ce

système, le président de la

République est une sorte de

Premier ministre, même s’il est

élu au suffrage universel, alors

que le Guide suprême est élu à

vie par 86 dignitaires religieux

réunis dans une «Assemblée des

experts». C’est ce système

théocratique qui a remplacé le

régime monarchique du shah. Le

lendemain du retour de

Khomeiny en Iran, je débarquais

à Téhéran pour vivre de

l’intérieur la Révolution

iranienne. Au contact des

Iraniens des quartiers populaires

chez qui j’ai habité, et à travers

les rencontres que j’ai eues avec

les hauts dignitaires religieux et

les dirigeants de la Révolution de

tous bords, j’avais pris la mesure

de leur ferveur, de leur confiance

en eux-mêmes et de leur certitude

qu’ils allaient entrer dans un

nouveau cycle de civilisation.

Mais je n’avais cessé, pendant et

après mon séjour, d’être taraudé

par une indéfinissable crainte. De

retour en Algérie, j’ai publié une

série d’articles pour relater ce que

j’avais vécu. Alors que dans le

premier, j’avais laissé libre cours

à mon enthousiasme («Voyage

dans la Révolution iranienne», El

Moudjahid du 2 mai 1979), que

dans le deuxième, je la défendais

contre ses détracteurs («La

Révolution assaillie», 3 mai), j’ai

mis dans le troisième («L’islam à

l’épreuve des musulmans», 4

mai) un voile de scepticisme. Il

me paraissait inconvenant de

faire plus ou d’étaler mes doutes

au grand jour car cette

Révolution était encore dans les

langes. Le titre que j’avais donné

à la troisième partie indiquait

clairement que le sujet ne

concernait plus la seule

Révolution iranienne, mais la

plaçait dans une perspective plus

large, celle du rapport entretenu

tout au long de l’Histoire par les

musulmans avec l’islam. J’y

exprimais mon appréhension que

cette nouvelle mise de l’islam à

l’épreuve des musulmans ne soit

un ratage. Cette Révolution se

voulait islamique, mais il m’était

apparu sur place qu’elle était

d’abord persane et ensuite chiite.

Aujourd’hui, je réalise combien

j’ai été bien inspiré de choisir ce

titre qui témoigne de la prudence

avec laquelle j’étais revenu.

Trente-trois ans après, les chiites

ne sont plus à l’épreuve de

l’islam, mais du judaïsme. Un

nouveau round de négociations

sur le dossier nucléaire iranien a

eu lieu le 14 avril à Istanbul entre

les cinq membres du Conseil de

sécurité de l’ONU, plus

l’Allemagne et l’Iran. Les

participants à ce round ont

unanimement jugé que les

discussions avaient été

«constructives», alors qu’aucune

avancée concrète, hormis la prise

d’un nouveau rendez-vous, n’a

été signalée. Ce qui, par contre,

ne laisse pas de surprendre, ce

sont les propos du chef de la

délégation iranienne, Saïd Jalili,

qui a déclaré aux médias : «Les

5+1 ont considéré que la fetwa du

Guide de la Révolution sur

l’interdiction des armes

atomiques était d’une grande

importance et qu’elle est la base

pour une coopération pour un

désarmement nucléaire global.»

On doit donc comprendre que

l’Iran est venu à ce round avec

une fetwa, que la politique

internationale a planché à

Istanbul sur une fetwa et que ce

n’est pas le programme iranien

qui était au centre de la rencontre,

mais le «désarmement nucléaire

global». Ladite fetwa stipule que

les armes atomiques sont

«haram» et le nucléaire civil

«halal». Ne manquait-il aux

puissances mondiales que cette

sainte distinction pour les

convaincre d’abandonner leurs

arsenaux, alors que les traités de

désarmement bilatéraux (SALT,

START et SORT) et

multilatéraux (TNP, TICE) n’ont

pas réussi, après un demi-siècle

de négociations, à mettre la

planète à l’abri du danger

nucléaire ? L’Iran, déjà sous le

coup de six résolutions du

Conseil de sécurité de l’ONU, ne

semble donc pas trop s’en faire,

L

Page 7: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

7

alors que c’est de l’option

militaire qu’on se rapprochera si

le round de mai prochain ne

débouche pas sur un abandon

contrôlé de l’enrichissement de

l’uranium à un pourcentage

permettant son utilisation à des

fins militaires. Car si ce sont les

5+1 qui négocient, ils le font en

réalité pour le compte d’Israël et

accessoirement des Etats du

Golfe qui s’estiment pareillement

menacés, en plus du contentieux

sur les trois îles du détroit

d’Ormuz que les Iraniens ont

occupé par la force en 1971 et

que les Emirats arabes unis

revendiquent comme les leurs. Il

est à douter que des juifs,

formatés par des réglages

religieux propres à eux, se

rangent à l’avis d’une fetwa

islamique, et que des wahhabites

et des sunnites accordent un

quelconque crédit à une fetwa

chiite. Les Israéliens ont eux

aussi, eux surtout, devrai-je dire,

une approche religieuse du

danger que représenterait pour

eux un Iran nucléarisé. C’est une

culture essentiellement

théocratique qui préside à leurs

actes politiques depuis au moins

l’apparition de la doctrine

sioniste avec la publication en

1896 de «L’Etat juif» par

Theodor Herzl. Car deux

décennies plus tôt, le Premier

ministre anglais, Benjamin

Disraeli, s’écriait déjà devant le

Parlement britannique en

brandissant le Coran : « Tant

qu’il y aura ce livre, il n’y aura

pas de paix dans le monde !» Et,

dans cette culture, menacer Israël

suffit pour encourir la mort et la

destruction à grande échelle.

Ignorer cette dimension mentale

et intellectuelle, c’est se

condamner à ne rien

comprendre à la

politique israélienne

envers les Arabes et

les Palestiniens

depuis 1948, et les

Perses chiites

aujourd’hui. Au cours de sa

rencontre en mars dernier avec le

président américain, le Premier

ministre israélien, venu demander

des avions ravitailleurs en vol et

des munitions spéciales en liaison

avec les préparatifs d’une attaque

contre l’Iran, a offert un cadeau

symbolique à Obama. Il s’agit

d’un des livres (de quelques

pages) formant la Bible, le Livre

d’Esther, du nom d’une femme

juive de la tribu de Benjamin qui

aurait été, au Ve siècle av. J.-C.,

l’épouse du roi de Perse

Assuérus, sans qu’il connaisse sa

confession, et qui aurait sauvé les

juifs d’un massacre annoncé. En

lui remettant le livre, Benjamin

Netanyahu a dit à Obama : «Lui

aussi voulait nous annihiler»,

comme s’il parlait d’un terroriste

recherché depuis… vingt-cinq

siècles. On ne sait pas qui il visait

au juste, car, selon le Livre

d’Esther lui-même, c’est Haman,

le Premier vizir, et non le roi, qui

aurait fomenté le complot et qui

sera d’ailleurs mis à mort pour

avoir conçu cette idée après

qu’Esther l’eût dénoncé à

Assuérus. Sous l’influence

d’Esther, le roi promulgue une loi

qui «autorisait les juifs, quelle

que soit la ville qu’ils habitent, à

se rassembler et à défendre leur

vie en exterminant, massacrant et

supprimant tous les groupes

armés d’un peuple ou d’une

province qui les attaqueraient, y

compris les petits enfants et les

femmes, et à procéder au pillage

de leurs biens». Le Livre

d’Esther poursuit : «Beaucoup de

membres des autres peuples du

pays se faisaient juifs, tant ils

avaient peur d’eux… Ce fut au

tour des juifs de dominer ceux

qui les détestaient. Ils se

rassemblèrent dans leurs villes

respectives, dans toutes les

provinces du roi Assuérus, pour

porter la main contre ceux qui

leur voulaient du mal. Personne

ne leur opposa de résistance, tant

les autres peuples avaient peur

d’eux. De plus, tous les chefs de

province, les satrapes, les

gouverneurs et les fonctionnaires

du roi soutenaient les juifs… Les

juifs frappèrent tous leurs

ennemis à coups d’épées, les

tuant et les faisant disparaître. Ils

traitèrent selon leur bon plaisir

ceux qui les détestaient…» Et

tout cela en riposte à une menace

qui n’a pas connu un début

d’exécution, exactement comme

dans le cas du nucléaire iranien.

On ne peut s’empêcher, en lisant

ces lignes, de penser, d’un côté

aux Palestiniens, et d’un autre,

aux puissances occidentales qui

soutiennent Israël en dépit de ses

innombrables violations des

droits de l’homme et du droit

international depuis 1948. Les

historiens n’ont pu recouper

aucune donnée de ce récit,

qualifié de «roman historique»,

avec l’histoire bien établie de

l’empire perse. Mais là n’est pas

l’important. L’important, c’est

que les Israéliens y croient et

l’appliquent comme un strict

devoir religieux. Il ne faut donc

pas voir dans le cadeau de

Netanyahu à Obama une

coquetterie, une plaisanterie ou

une provocation, mais la pose

d’un simple acte de foi : Israël

n’écoute que la voix de son

histoire et ne croit qu’à ses Livres

sacrés, confirmés ou non par la

science historique. Les égards

aux lois humaines et au droit

international viennent après, et à

condition de leur être favorables.

L’histoire d’Esther était en

l’occurrence la nouvelle la plus

fraîche, l’actualité la plus

brûlante, dont était venu discuter

Il est à douter que des juifs, formatés

par des réglages religieux propres à

eux, se rangent à l’avis d’une fetwa

islamique

Page 8: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

8 Netanyahu avec le président

américain.

Avant de quitter la Maison-

Blanche, il a lâché devant les

médias : «Israël est maître de son

destin.» De là, il s’est rendu à une

réunion du lobby pro-israélien

aux Etats-Unis, la fameuse et

puissante AIPAC, devant laquelle

il a dit : «Nous avons donné du

temps à la diplomatie, nous avons

donné du temps aux sanctions.

Nous ne pouvons plus attendre

davantage... Je ne laisserai jamais

mon peuple vivre sous la menace

d’un anéantissement.» Il a parlé

en cette circonstance comme

Mardochée, l’homme qui, par la

ruse, a placé Esther dans le harem

d’Assuérus avec l’espoir qu’elle

devienne reine de Perse, projet

qui se réalisa. A la fin de

l’histoire, nous apprend le Livre

d’Esther, «le juif Mardochée était

l’adjoint du roi Assuérus. Il jouait

un rôle important pour les juifs et

était très apprécié de ses

nombreux frères. Il recherchait le

bonheur de son peuple et

contribua par ses paroles au bien-

être de toute sa lignée». Golda

Meir, ancien Premier ministre

israélien, rapporte dans son

autobiographie (Ma vie) un

souvenir gardé d’une conférence

internationale sur les réfugiés

juifs à Evian-les Bains (France) à

laquelle elle avait assisté à la fin

des années 1930. Indignée par

l’attitude des représentants des

Etats occidentaux qui se

relayaient à la tribune pour dire

leur compassion aux juifs sans les

aider concrètement, elle eut cette

pensée : «A la question “Etre ou

ne pas être ?”, chaque nation doit

apporter sa propre réplique. Les

juifs ne peuvent ni ne devraient

jamais attendre de qui que ce soit

d’autre l’autorisation de rester en

vie.» C’est cette femme qui,

Premier ministre au moment de la

guerre d’Octobre 1973, a failli

utiliser l’arme nucléaire contre

l’Egypte et la Syrie. Il a fallu

toute l’énergie de Nixon pour

l’en dissuader en échange d’un

pont aérien pour lui livrer les

armes et munitions

conventionnelles qu’elle

souhaitait et des photos-satellites

du champ de bataille en temps

réel. C’est cette doctrine qu’a

appliquée Menahem Begin en

1981 quand il a ordonné la

destruction du réacteur nucléaire

irakien Osirak, et c’est la même

qui anime aujourd’hui Shimon

Pérès, Benjamin Netanyahu et

Ehud Barak. Et cette doctrine

n’est que la traduction de la

culture théocratique qui préside à

la philosophie politique et à la

stratégie intemporelle de survie

d’Israël. Les Etats-Unis et

l’Europe, qui n’ont jamais exclu

l’option militaire et dont les plans

opérationnels doivent être fin

prêts, ont tâché jusque-là de

réfréner les pulsions guerrières

d’Israël en arguant que les

sanctions suffiraient pour

fragiliser le régime iranien qui

serait alors contraint de renoncer

à ses ambitions. Si cela n’arrivait

pas, alors ils attaqueraient de

concert un Iran affaibli et coupé

du monde comme l’était l’Irak en

2003. La guerre a donc été pour

l’instant évitée ou différée, mais

elle est inéluctable, sauf brusque

recul du régime iranien sur son

programme qui ruinerait son

crédit tant il a mobilisé son

opinion sur cette question. Si le

gouvernement israélien décide de

passer à l’action contre l’avis de

l’Occident, celui-ci sera obligé de

suivre. Comme dans le récit

biblique : «Le jour- même, le

nombre de personnes tuées à

Suse, la capitale, fut communiqué

au roi, et celui-ci dit à la reine

Esther : “A Suse, la capitale, les

juifs ont tué et fait disparaître 500

hommes, sans compter les dix fils

d’Haman. Qu’auront-ils fait dans

le reste de mes provinces ?

Cependant, quel est l’objet de ta

demande ? Il te sera accordé. Que

désires-tu encore ? Tu

l’obtiendras.” Esther répondit :

“Si tu le juges bon, il faudrait

autoriser les juifs de Suse à agir

demain encore conformément à

la loi en vigueur aujourd’hui et

pendre le corps des dix fils

d’Haman à une potence”. Le roi

ordonna d’agir de cette manière.»

C’est vraisemblablement ainsi

que se parlent, dans le secret des

bureaux présidentiels des grandes

puissances, dirigeants

occidentaux et dirigeants

israéliens à chaque crise

impliquant Israël, les premiers

dans le rôle d’Assuérus, les

seconds dans celui d’Esther.

C’est ainsi aussi que la culture

théocratique a eu à tous les coups

raison de la culture rationnelle et

démocratique, et justifié tous les

excès, tous les abus et toutes les

déraisons israéliennes. Pendre les

cadavres d’hommes déjà morts !

Ces crimes, ces pogroms, ce bain

de sang n’avaient pour

justification qu’une intention, un

«A la question “Etre ou ne pas être ?”, chaque nation doit

apporter sa propre réplique. Les juifs ne peuvent ni ne devraient

jamais attendre de qui que ce soit d’autre l’autorisation de rester

en vie.» C’est cette femme qui, Premier ministre au moment de la

guerre d’Octobre 1973, a failli utiliser l’arme nucléaire contre

l’Egypte et la Syrie. GOLDA MEIR

Page 9: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

9 «projet», celui reproché à Haman

«de faire disparaître les juifs et de

leur avoir jeté un sort» et qui lui

valut la pendaison. C’est ce qui

est reproché aujourd’hui à

Ahmadinejad, assimilé par

l’allusion de Netanyahu à

Haman. On lit dans le Livre

d’Esther : «Cet édit fut donc

proclamé à Suse et l’on pendit le

corps des dix fils d’Haman ; de

plus, les juifs de Suse se

rassemblèrent de nouveau le

quatorzième jour du

mois d’Adar et tuèrent

300 hommes à Suse…

Quant à ceux qui se

trouvaient dans les

autres provinces, ils

tuèrent 75 000

personnes parmi ceux

qui les détestaient…»

Mais n’a-ton pas lu

dans les médias, il y a

quelque temps,

qu’Ahmadinejad aurait

une ascendance juive, tout

comme Kadhafi ? L’histoire ne

serait-elle que mystères et

ésotérisme comme beaucoup

d’auteurs l’ont soutenu et dont la

plupart ont été passés aux

oubliettes ou poursuivis devant

les tribunaux de la démocratie

pour antisémitisme ou

révisionnisme ? Le livre le plus

célèbre de Malek Bennabi,

Vocation de l’islam, a été rédigé

en 1949 et remis aux éditions du

Seuil qui ne l’ont publié qu’en

1954. Ce qu’on ne sait pas, c’est

qu’il lui a donné une suite sous le

titre de Le problème juif, resté à

l’état d’inédit. Dans ce manuscrit,

le penseur algérien écrit ces

lignes que j’ai glanées dans

différents chapitres pour les livrer

à la méditation du lecteur : «Le

monde actuel périra et un

nouveau monde viendra sans que

le musulman ait joué un rôle

décisif, ni même apprécié les

facteurs, les forces qui entreront

en jeu dans son propre avenir…

Ce nouveau monde voudra

transformer tous les pays

musulmans en champ de bataille

afin qu’aucune œuvre positive

n’y soit entreprise et que même

ce qui existe actuellement y soit

détruit, en sorte qu’une future

colonisation reste encore

possible… L’islam doit posséder

la technique, dompter l’énergie

atomique…» C’était en décembre

1951 ! Aujourd’hui, c’est trop

tard. Israël a commencé à

dompter l’énergie atomique dans

les années soixante, et l’Iran à

s’intéresser à la chose dans les

années soixante-dix. Le premier

est arrivé à produire, dans le plus

grand secret, des centaines de

bombes atomiques, alors que le

second en est, dans le plus grand

tapage diurne et nocturne

international jamais connu, sous

le regard des services de

renseignement de l’univers entier

et la curiosité des badauds de

toute la planète, à 3 ou 20%,

d’enrichissement de l’uranium.

Quoique leurs référents soient

tout autant religieux, le rabbin et

le âlem n’ont apparemment pas la

même efficacité et le même

rendement historique. Les ulémas

chiites et sunnites ont-ils lu le

Livre d’Esther ? Je ne le crois

pas, sinon il ne serait pas arrivé

aux musulmans ce qui leur est

arrivé depuis un siècle et

continuera à leur arriver à

l’avenir. Ils n’ont été capables

d’inventer, depuis les Muatazila,

que les bombes humaines et les

attentats-suicides, autrement dit,

la fronde contre le drone furtif, et

leurs ulémas ne sont experts que

dans la connaissance du passé et

la recherche du diable dans le

détail. L’Iran ne peut pas gagner

cette guerre si elle survenait, car,

nonobstant son bon droit et sa

contestation légitime d’un droit

international à géométrie

variable, il n’en a pas les moyens.

Il eut fallu qu’il possédât des

rabbins au lieu de ses ulémas

«infaillibles». Si elle éclate,

l’Occident se liguera contre lui

comme un seul homme.

Il faut donc se préparer

à la défaite au lieu

d’espérer «voir ce

qu’on va voir» comme

on nous l’avait promis

en 1967, 1973, 1991 et

2003. A la veille de ce

dernier conflit, il était

visible que l’économie

irakienne était par terre,

que son peuple était

étranglé, que ses

nourrissons mouraient, faute de

lait et de médicaments, du fait de

l’embargo, mais ces réalités

n’empêchaient pas des experts

militaires à la retraite de venir

démontrer sur les plateaux de

télévision arabes la «stratégie de

défense» de l’Irak et la

probabilité de dommages

«considérables» pour la coalition

internationale. Elle était censée

être attendue par une garde

présidentielle hyper-entraînée,

des chars enfouis sous le sable,

des Skud capables de brûler

Israël, des armes chimiques et un

supercanon que seul l’Irak

posséderait, par on ne sait quel

prodige. Au final, il y a eu moins

de 5000 victimes, tous pays de la

coalition confondus en vingt ans,

contre plus d’un million de

victimes irakiennes à un titre ou

un autre. Faut-il, cette fois,

donner du crédit aux «lourdes

pertes» qui seront infligées à

l’ennemi, à en croire

Ahmadinejad ? On voudrait bien,

mais on ne voit pas comment :

«Le monde actuel périra et un nouveau monde viendra sans

que le musulman ait joué un rôle décisif, ni même apprécié

les facteurs, les forces qui entreront en jeu dans son propre

avenir… Ce nouveau monde voudra transformer tous les

pays musulmans en champ de bataille afin qu’aucune

œuvre positive n’y soit entreprise et que même ce qui existe

actuellement y soit détruit, en sorte qu’une future

colonisation reste encore possible… L’islam doit posséder

la technique, dompter l’énergie atomique…» BENNABI

Page 10: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

10 ses adversaires disposent de

systèmes offensifs et défensifs

infiniment plus performants que

les siens, ils les produisent eux-

mêmes et à volonté, et ils ont

derrière eux, pour soutenir

l’effort de guerre, des économies

inépuisables. De toute façon, ils

ont, comme dans les deux

précédentes guerres du Golfe, à

qui envoyer la facture une fois le

travail fait. Quant à la menace

des missiles agitée par les

pasdarans, elle ne fait pas peur

aux Israéliens dont le ministre de

la Défense civile ne cesse de

répéter à ses concitoyens : «Israël

a la capacité opérationnelle

d’intercepter des missiles d’où

qu’ils viennent.» Comment les

deux pays se préparent-ils à ce

que d’aucuns n’hésitent pas à

qualifier de possible troisième

guerre mondiale ? Cette guerre a

en fait déjà commencé. Elle a pris

les formes discrètes d’opérations

menées par les services secrets

des deux pays contre leurs

intérêts réciproques. Il y a eu, en

2008, une attaque cybernétique

contre les installations nucléaires

iraniennes. Un virus destructeur

numérique a été créé par les

experts israéliens ou, disent

certains, américains, appelé

«Stuxnet», pour perturber le

fonctionnement des

centrifugeuses de l’usine

d’enrichissement d’uranium de

Natanz. Il a mis en panne un

millier d’entre elles, et on dit que

ce virus sophistiqué cache

d’autres éléments programmés

pour s’activer de nouveau. Il y a

eu aussi, ces derniers mois,

plusieurs assassinats de

scientifiques iraniens et

l’explosion au moment de son

lancement d’un missile longue

portée «Shehab» dans une base

militaire près de Téhéran, tuant

plusieurs dizaines de militaires

dont le général en charge du

programme de missiles. Il aurait

été «trafiqué» par le Mossad. Des

attentats à la voiture piégée ont

eu lieu aussi récemment en

Thaïlande, en Géorgie et en Inde

contre des diplomates israéliens

sans faire de victimes, hors les

blessés. Dans les premiers cas, on

n’a pas la preuve que c’est Israël

qui est derrière ces attaques et ces

assassinats, car, si c’est lui, il n’a

laissé aucune trace. Dans le

second cas, des Iraniens ont été

immédiatement arrêtés. On ne

peut faire autrement que

constater que la guerre de

l’ombre n’a pas tourné à

l’avantage des services secrets

iraniens, et que si l’Iran est fort

par la parole, Israël l’est par les

actes. Non seulement, il ne fait

pas d’annonces, mais même

quand il frappe, il nie, comme

lorsqu’il a détruit les installations

nucléaires syriennes en 2007. Les

faits et gestes d’Israël sont

discrets comme à l’accoutumée,

et ses dirigeants ne rendent pas

publics leurs projets le jour du

shabbat comme le font les

dirigeants iraniens à la prière du

vendredi. La guerre a de

multiples facettes : politique,

diplomatique, économique,

technologique et militaire. Israël

n’en a négligé aucune. Sur le plan

politique, il s’emploie depuis

longtemps à rallier le maximum

de forces politiques intérieures à

l’option militaire et à préparer

son opinion à la situation qui en

découlerait. Sur le plan

médiatique, il a mobilisé ses

relais en vue de légitimer aux

yeux de l’opinion publique

mondiale l’option militaire. Sur

le plan diplomatique, il travaille

depuis des années à isoler l’Iran

sur la scène internationale et à le

faire régulièrement condamner

par l’ONU et l’AIEA. Il ne cesse

de demander l’alourdissement et

l’élargissement des sanctions en

faisant jouer ses lobbies dans le

but d’étouffer l’économie

iranienne. A partir de juillet

prochain, l’Iran ne pourra plus

vendre son pétrole, car les

paiements ne pourront plus être

effectués à sa banque centrale,

alors que les sanctions ont déjà

commencé à produire leurs effets

désastreux : la monnaie a perdu

la moitié de sa valeur par rapport

aux monnaies étrangères en

moins de deux mois, et les prix

des denrées alimentaires ont

augmenté de plus de 30%. La

Chine qui, il y a quelque temps

encore achetait 14% de son

pétrole d’Iran, n’en achète plus

que 8, et les Etats arabes de la

région l’ont assuré qu’ils lui

vendraient encore plus de

volumes pour compenser l’arrêt

des achats auprès de l’Iran. Sur le

plan technologique, Israël se

prépare depuis longtemps à une

attaque-éclair en levant l’un après

l’autre les écueils qui se dressent

sur son chemin, principalement

l’éloignement des objectifs (3000

km aller-retour) et leur dispersion

sur le territoire iranien. Ses

ingénieurs ont doté la flotte de

cent avions, prévu à cet effet de

réservoirs externes

supplémentaires pour augmenter

leur autonomie de vol. Des

bombes thermonucléaires B61, à

faible intensité, pourraient être

utilisées en plus des bombes

américaines GBU-28, 31, 39 et

57 de 14 tonnes chacune et

capables de percer le béton armé

sur plus de 60 m. Des plans sont

prêts à brouiller et détruire les

systèmes radar et de défense

antiaérienne de l’Iran avant

l’entrée dans son espace aérien

des bombardiers, et de neutraliser

sa marine. L’armée israélienne

s’entraîne depuis des années à ces

missions, tandis que toutes sortes

de mesures ont été prises pour

réduire au maximum les effets

d’une riposte iranienne avec des

missiles ou d’éventuelles attaques

venant du Sud-Liban ou de

Ghaza. Le niveau des pertes

humaines civiles israéliennes a

été calculé (moins de 500) et

Page 11: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

11 intégré dans le plan d’ensemble.

Rien n’a filtré sur les objectifs

fixés, mais tout le monde suppose

que parmi eux se trouvent les

usines d’enrichissement

d’uranium de Natanz et de Qom,

le centre de recherche nucléaire

d’Ispahan, le réacteur de

Boushehr et le site de Parchin.

Israël a un autre objectif essentiel

à ses yeux : faire zéro civil

iranien tué pour ne pas solidariser

la population du régime. L’Iran

sait tout cela et agite le spectre de

représailles «douloureuses». Il

n’ignore pas qu’il est cerné de

toutes parts : présence militaire

américaine dans la péninsule

arabique, en Afghanistan et

d’autres pays d’Asie, bases de

l’OTAN en Europe et en Turquie,

base militaire française aux

Emirats arabes unis… Les

Américains et leurs alliés sont

aussi présents sur et sous les

mers, prêts à tout moment aux

tirs de missiles et aux

bombardements. L’Iran menace

de rendre impraticables les voies

d’eau qu’il contrôle et même de

s’attaquer aux puits de pétrole de

la région, mais les Alliés ne le

laisseront pas causer des

dommages aux installations

pétrolières de la région qui

plongeraient l’économie

mondiale dans l’apocalypse. Ils

tiennent compte de cette

hypothèse et de ses répercussions

sur leurs économies, mais la

sécurité d’Israël passe avant tout.

Dans la guerre qui se profile

entre l’Iran et Israël, ce sont les

Perses chiites qui seront frappés,

mais ce sont les musulmans dans

leur ensemble qui seront une fois

de plus humiliés. Si par malheur

cette guerre a lieu, elle touchera

les peuples musulmans et mettra

dans l’embarras leurs

gouvernements. La fraîche

arrivée de régimes islamistes ne

sera pas sans incidences sur la

rue arabe. Elle nous touchera

aussi en tant que composante du

monde arabo-musulman, même si

on n’est pas chiite mais sunnite,

même si on n’est pas arabe mais

berbère. Nos autorités ne

manqueront pas de la condamner,

mais notre peuple sympathisera à

coup sûr avec les Iraniens à cause

de leur islamité, de l’islamisme

ambiant, de la politique des deux

poids, deux mesures dans les

relations internationales, de la

question palestinienne et de

l’islamophobie. On revivra

l’ambiance connue en juin 1967

et lors des guerres du Golfe de

1991 et de 2003. Cette guerre

mettra une fois de plus en scène

la pièce de David et Goliath : un

petit pays de cinq millions

d’habitants et de 21 000 km2

défendant sa survie contre un

pays 78 fois plus grand et 16 fois

plus peuplé qu’il a de multiples

fois menacé d’anéantissement.

L’opinion publique mondiale

oubliera que ce petit Etat possède

des centaines d’ogives nucléaires

capables de détruire plusieurs

fois la totalité du Moyen-Orient,

mais comme il ne s’en est jamais

vanté, elle fait comme si elle ne

le savait pas. Si on voit l’intérêt

d’Israël d’attaquer l’Iran, on ne

voyait pas celui de l’Iran dans les

menaces récurrentes qu’il lui

adressait. Les gains qu’Israël peut

tirer de cette guerre sont clairs,

détruire les capacités nucléaires

iraniennes et affaiblir une

puissance régionale concurrente,

mais on ne voit pas ce qu’en

tirera l’Iran. Il ne gagnera même

pas la sympathie des Etats

musulmans qui appelleront au

cessez-le-feu, à la condamnation

de l’«agression» et à la réunion

de l’OCI avant de retrouver le

silence. S’il table sur l’émotion

de la rue arabe, il l’obtiendra,

mais après voir été frappé. Les

Arabes et les Berbères n’ont pas

l’habitude de pleurer les morts

avant leur mort. La colère

populaire sera proportionnelle

aux pertes qui lui seront infligées,

on brûlera ici ou là quelques

drapeaux israéliens ou

américains, et les ulémas sunnites

appelleront hypocritement à la

solidarité de destin avec les

chiites, mais ce n’est pas ce qui

rendra à l’Iran ce qu’il aura

perdu. Son voisin frontalier,

l’Azerbaïdjan, dont 70% de la

population est chiite, entretient

les meilleures relations avec

Israël, et le président Shimon

Pérès qui s’y est rendu en visite

officielle il y a peu, souhaite

pouvoir compter sur l’aide de ce

pays pour un éventuel repli sur

son territoire des avions chargés

de l’attaque. Quant à l’opinion

mondiale, elle verra une fois de

plus dans les pays musulmans des

trublions défaits à la première

escarmouche avec plus petit

qu’eux, et se rappelleront de la

fable de la grenouille qui voulait

se faire aussi grosse que le bœuf

et qui en mourût. Quoi qu’il en

soit, la défaite programmée de

l’Iran en cas de déclaration des

hostilités sera aussi celle du

monde musulman, même si

aucun pays musulman

n’approuve sa politique. C’est ça

le drame. Chaque fois que des

musulmans échouent dans leur

entreprise, leur défaite rejaillit sur

l’islam et le reste des musulmans,

poussant le reste de l’humanité à

devenir encore plus islamophobe.

D’un autre côté, cette défaite

donnera un surplus de légitimité à

l’islamisme qui saura exploiter le

vieux ressentiment contre Israël

et l’Occident. Et sur ce chapitre,

aucun Arabe ou musulman n’est

en désaccord avec lui. Cette 34e

contribution clôture la série

consacrée depuis un an aux

révolutions arabes. Nous la

reprendrions en cas de nouveaux

développements. Je renouvelle

mes remerciements au journal et

aux lecteurs.

N. B.

Page 12: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

12

Plaidoyer pour un récit oxygéné de notre HistoirePar Ali Akika, cinéaste

’Histoire, on le sait,

est un produit explosif

à manier avec

précaution. La raison

en est simple, elle est un

champ de bataille miné où les

acteurs qui s’affrontent veulent

imposer leur vision du monde

pour consolider leur présent et

se prémunir des surprises du

futur (renouvellement social

des élites comme garantie).

Heureusement, l’Histoire n’est

pas seulement le passé, elle dit

des choses sur notre présent

qu’elle ne cesse d’influencer.

Certains veulent nous faire

croire que l’Histoire est un

éternel recommencement(*).

L’immuabilité des choses arrange

bien les affaires des adeptes de cette

théorie et satisfait leur imaginaire

peu exigeant. Pour eux, l’Histoire

est en quelque sorte

un cortège

d’évènements, de

dates, de héros qui se

suivent à la queue leu

leu au fur et à mesure

que le temps s’écoule.

En revanche les

contradicteurs de cette

école regardent ce

temps qui passe

comme le fleuve

d’Héraclite qui nous

apprend que c’est bien

de l’eau qui coule

dans le lit d’un fleuve

mais ce n’est jamais la

même eau.

J’ose cette petite

introduction

«philosophique» pour signaler deux

écoles qui ont un rapport particulier

avec l’histoire. Celle qui s’appuie

sur la philosophie en se coltinant

avec la rudesse et la complexité de

l’Histoire. Et celle qui se perd dans

les méandres des constructions

idéologiques. L’opposition entre ces

deux conceptions n’est pas une

coquetterie intellectuelle. Elle est

cruciale car sur le plan théorique,

chacune de ces écoles a la prétention

de saisir l’Histoire pour être au plus

près de la vérité historique. Sur le

plan politique, chaque école utilise

sa «vérité» pour légitimer un

pouvoir en place mais aussi pour

alimenter un imaginaire social. Le

cas de notre pays est intéressant

quant aux luttes sourdes qui se

déroulent encore pour imposer une

certaine histoire. En dépit de la

«séquestration» de beaucoup

d’archives, du manque de rigueur ou

du trop-plein de subjectivité des

acteurs d’une séquence de l’Histoire,

nous arrivons à cerner les

grands traits des chemins

sinueux empruntés par le

mouvement national et les

déchirures de la guerre de

Libération. Cependant,

beaucoup de questions

restent taboues.

Quand certains auteurs

osent affronter ces tabous,

ils rencontrent sur leur

chemin une étrange

coalition regroupant les

pouvoirs successifs et les

futurs prétendants au

pouvoir. Ces acteurs, au

lieu de s’interroger sur tous

les tenants et les

aboutissants de la guerre de

Libération se contentent de

faire flotter leurs réflexions

sur l’écume des vagues au lieu

d’aller voir ce qui se passe dans les

profondeurs de l’océan nommé

histoire et société algérienne. Pour

toutes ces raisons, certains ne

comprennent pas, d’autres ne savent

pas pourquoi le sacrifice des

Algériens n’a pas donné tous les

fruits escomptés.

L

Pourquoi un pays indépendant issu d’une

guerre de libération, après avoir échappé à la

«congolisation» en 1962, a été soumis, 30

ans après, à une atroce période de terreur

intégriste ?

Page 13: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

13 A l’indépendance, le pays a frisé la

guerre civile et hérité d’un pouvoir

militaire. Autre question lancinante

et «mystérieuse», pourquoi un pays

indépendant issu d’une guerre de

libération, après avoir échappé à la

«congolisation» en 1962, a été

soumis, 30 ans après, à une atroce

période de terreur intégriste ? Les

explications psychologisantes ou

moralisantes et autres théories de la

guerre des clans ne peuvent

satisfaire un esprit qui connaît

l’alchimie de Dame Histoire faite de

ruses, de servitudes et de noblesse.

L’absence ou la timidité de ces

interrogations, outre le silence

imposé à la parole, s’explique aussi

par l’armature squelettique du récit

national de notre histoire à la fois

cadenassé et disputé par certaines

idéologies. D’aucuns affirment que

l’histoire serait l’apanage des seuls

historiens qui seraient en quelque

sorte les seuls «écrivants» d’un récit

national. Que non ! Le récit national

ne doit pas être confisqué par les

historiens. Ces derniers sont

«prisonniers» en principe des faits et

archives qu’ils exploitent selon des

méthodes d’analyse propres à leur

discipline. Je dis en principe, ne

soyons pas naïf, l’historien

n’échappe pas à ce serpent à 7 têtes

qu’on nomme idéologie. Nous

sommes bien placés, nous Algériens,

pour savoir que des historiens ou des

philosophes de l’autre côté de la

Méditerranée

écrivent ou ont

écrit sans rougir

sur les bienfaits de

la colonisation

laquelle aurait sorti

l’Algérie de l’enfer

de la misère et des

affres de la

maladie.

Un «philosophe» comme Michel

Onfray, au détour d’une phrase sur

Albert Camus, écrit noir sur blanc

que l’armée française a eu recours à

la répression et à la torture pour

répondre à la terreur du FLN. Ce

genre d’historiens ou de philosophes

sont des serviteurs des «vainqueurs»

qui écrivent l’Histoire pour masquer

leurs turpitudes et traîner dans la

boue leurs adversaires. Ce genre

d’intellectuels partent d’un fait

historique donné, le passent à la

moulinette de leur idéologie pour

mieux ensevelir ses dimensions

politique et historique. C’est

pourquoi un récit national a besoin

d’autres renforts autres que les

historiens. Sa construction est un dur

et long labeur. Pour cette noble

mission, il fait appel à tous ceux

dont la création a une relation avec

la représentation artistique ou

intellectuelle de l’Histoire. Cette

«armée» est «naturellement»

constituée de romanciers, poètes,

philosophes, peintres, musiciens,

cinéastes dont les œuvres finissent

par entrer dans le cercle magique du

récit national. Pourquoi ce privilège

? Parce que la création

artistique/intellectuelle a pour

témoin le temps, le seul juge qui

peut la hisser sur un piédestal. Quant

au rejet des «mauvaises œuvres»

dans les oubliettes, le temps laisse ce

cruel travail au silence de la société

qui se détourne d’elles. Le passeport

pour une œuvre d’art méritant une

place dans un tel récit n’est autre

que le regard de l’artiste qui permet,

à nos yeux, de caresser le noyau dur

d’une épopée historique en choyant

notre esprit des plaisirs de la

connaissance et de la sensualité de la

beauté…

… Ainsi un récit national se doit

d’être à la hauteur de l’épopée d’un

peuple. Dans Guerre et Paix, Tolstoï

chante le patriotisme du peuple russe

qui a fini par faire courber l’échine à

Napoléon. Chez nous un slogan a

couvert en 1962 les murs dans tout

le pays : «Un seul héros, le peuple !»

Ce slogan ne nie nullement les

grandes figures de la Révolution, les

Ben Boulaïd, Abane Ramdane,

Zighoud Youcef, Ben M’hidi. Il

rappelait seulement aux individus ou

aux tendances politiques qui se

disputaient le pouvoir en 1962 que

leur rôle et éventuellement leur

bravoure ne suffisent pas à détrôner

le peuple de son statut d’acteur

premier de la guerre de Libération.

«Un seul héros le peuple» a été

symbolisé dans la Bataille d’Alger

où le peuple algérien des plus jeunes

hommes aux plus âgés, femmes et

hommes (petit Omar, Ali la Pointe,

les combattantes transportant ou

posant des bombes, etc.) ont fait

l’histoire fi el aâssima (dans la

capitale). C’est quoi au juste un récit

national de l’Histoire ? Il met en

scène des événements, des dates, des

personnages qui constituent à la fois

le socle et l’humus sur lesquels vont

fleurir des légendes qui parfument

l’histoire d’un pays, fortifient l’âme

d’un peuple en racontant sa

résistance et son apport à

l’humanité. Les légendes et les

mythes peuplent l’histoire du

monde. Alexandre le Grand, César

et Cléopâtre, Hannibal, les Mille et

Une Nuits, Shakespeare, Cervantès,

Tolstoï, la Bible, le Coran, 1492

(découverte de l’Amérique et chute

de Grenade), 1789 (révolution

française), 1917 (révolution russe),

etc. Ces noms et ces dates ne sont

pas de simples repères du passé.

Bien au contraire, ils offrent aux

hommes une idée du parcours

franchi par l’humanité et ces

parcours sont autant de conquêtes

dans tous les domaines.

Un récit n’est pas là pour

uniquement être dans des livres ou

dans des musées pour satisfaire la

curiosité des touristes. Il

habite et hante en

permanence l’imaginaire

d’un peuple, il rôde sans

bruit dans la vie d’une

société, il est en quelque

sorte un arsenal où le

peuple vient puiser dans

l’intelligence de son

histoire des armes pour

affronter les obstacles de son

présent. Les exemples dans le

monde ne manquent pas de ces

hommes politiques qui ont ignoré un

des piliers du récit national de leur

pays. Ils ont dû soit reculer d’une

façon penaude soit carrément être

balayés de la scène politique pour

leur arrogance têtue. Le récit

national s’impose même aux

politiques les plus retors car il

chante ce qu’un peuple a de plus

Un récit national librement construit

éviterait au bateau Algérie de naviguer

dans des eaux boueuses de l’ignorance et

de la hogra.

Page 14: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

14 précieux, ses épopées et ses

tragédies. Il arrive qu’une seule

œuvre soit l’étoile qui brille le plus

au milieu d’un riche récit national.

Guerre et Paix de Tolstoï, déjà cité,

La liberté guidant le peuple de

Delacroix, Guernica de Picasso. Les

Américains ont leurs films du

fameux Far West qui disent tant de

choses sur leur jeune histoire

(conquête et massacres). Les

Japonais ont leurs samouraïs

admirablement mis en scène par un

géant du cinéma mondial, Akira

Kurosawa. Chez nous, outre la

Bataille d’Alger déjà cité, on a

Nedjma de Kateb Yacine(**) où

l’aventure pour un amour impossible

d’une femme se déroule durant la

longue marche d’un peuple pour

retrouver l’amour chéri de la liberté.

Si le pays se donnait les moyens de

transposer ce roman au cinéma pour

favoriser la diffusion d’une œuvre

dense et complexe, ça réduirait les

funestes effets de la bigoterie et

gonflerait de fierté les jeunes pour

leurs ascendants.

Pourquoi sont-ce les œuvres

d’écrivains et des artistes en général

qui constituent les éléments les plus

riches et les plus séduisants dans le

corpus d’un récit national ? Parce

que les œuvres d’art, par le plaisir

qu’elles procurent, bercent nos

imaginaires individuel et collectif.

Parce que l’art, outre qu’il est censé

traiter avec respect les faits

historiques, «n’aime» pas cohabiter

avec une idéologie qui tord le cou

aux faits. L’art par la puissance de

son expression traque tout à la fois

le mensonge et donne à voir une

époque avec ses tragédies, sa

spiritualité et ses ténèbres.

Les épopées qui peuplent

l’imaginaire d’un peuple sont

colportées soit par un «récit

national» soit par un «roman

national». Derrière cette sémantique

(***) se cachent les fureurs de

l’histoire avec ses tragédies et les

espérances des Hommes. Il y a ceux

qui mettent sur un piédestal le rôle

de certains personnages historiques

et se focalisent sur les racines de

l’ancêtre-arbre d’un pays. Ils font

peu de cas des branches éclatantes

de couleurs des nouveaux arbres qui

ont poussé autour de l’arbre-ancêtre.

Cette vision de l’histoire a opté pour

la notion de roman national.

La deuxième école a choisi le récit

national pour mieux rendre compte

de la complexité de la notion même

d’Histoire. Cette vision se force de

saisir le rapport entre le rôle des

acteurs et les évènements

historiques. Elle s’efforce de

démontrer que les rapports entre les

différentes époques (guerre et paix,

et révolution et contre-révolution) ne

sont pas étrangers aux ruptures dans

le politique, les mœurs et la morale

des sociétés, etc.

Y a-t-il chez nous une relation entre

nos problèmes d’aujourd’hui et

l’absence d’un récit national bercé

par une poétique de l’Histoire ?

Quelle place occupe la colonisation

où tous les Algériens étaient en

résidence surveillée ? Quelle était le

moteur de la guerre de Libération

quand le peuple avait montré son

unité et lutté pour la défense de

l’intégrité du pays face au

colonisateur ? L’épopée de la guerre

de Libération ne doit pas masquer

les tragédies qui ont traversé cette

période. C’est à ce prix que nous

rendrons un hommage éternel à ceux

qui ont libéré le pays et les valeurs

qui ont fait que le peuple n’a jamais

douté de sa place dans l’histoire que

le colonisateur lui refusait.

Un récit national librement construit

éviterait au bateau Algérie de

naviguer dans des eaux boueuses de

l’ignorance et de la hogra. Un récit

national empêcherait les

manipulateurs de sortir leurs inepties

sur le passé de l’Algérie et de

déblatérer sur son présent. Le récit

national avec la puissance évocatrice

de ses épopées est une sorte

d’oxygène qui fait frontière avec la

pollution idéologique aussi bien

endogène qu’exogène.

Un récit national aurait économisé

des querelles byzantines et

infantilisantes sur cette «identité»

que l’on va dénicher ailleurs par

aliénation au sens philosophique du

terme. S’adonner à un mimétisme

enfantin ou faire reposer une identité

sur un seul paramètre quelle que soit

sont importance est toujours

réducteur. La seule chose belle et

importante est celle de ce fameux

fleuve de l’Histoire qui fait nager

dans la même eau d’un même

territoire des hommes et des femmes

qui s’aiment pour peupler, vivre et

défendre leur existence sur leur terre

natale. Quand un récit national finit

par s’élaborer, son message

subliminal est le suivant : une

société capable de sauter par-dessus

ses tabous peut regarder sans peur ni

honte son passé et affronter

paisiblement les angoisses

engendrées par les inconnues de

l’avenir.

A l’heure de l’invasion des images,

l’art cinématographique par sa

capacité à dessiner notre propre

image avec nos propres visages et

notre propre espace peut nous aider

à combler le retard de l’hibernation

coloniale.

A. A.

* Pour les philosophes sérieux, la

théorie de l’histoire comme éternel

recommencement n’est pas sérieuse.

L’histoire, quand elle se répète, elle

vire à la farce (Karl Marx). La farce,

que ce soit en cuisine ou au théâtre,

c’est insultant pour Dame Histoire.

** Des personnages comme Apulée,

saint Augustin, Jugurtha sont des

monuments de l’histoire politique,

littéraire et philosophique qui

témoignent que les racines de

l’Algérie se perdent dans la nuit des

temps.

*** Cette sémantique traduit une

frontière idéologique. La notion de

roman national a la préférence des

hommes de droite alors que le récit

national «recrute» ses partisans chez

les progressistes.

Page 15: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

MALEK BENNAB : Le présent et l 'Histoire

01- STADE EPIQUE

GUERRIER ET

TRADITIONS

Les temps des épopées, telles

l'Iliade et l'Odyssée, ne sont pas

les moments propices où les

peuples orientent leurs énergies

sociales vers leurs objectifs

réalistes, lointains ou proches,

mais des moments où ils

dispensent ces énergies dans les

divertissements et dans la

satisfaction des idéaux nés de

leur imaginaire. Les efforts des

héros qui assument un rôle dans

ces épopées ne sont que des

efforts déployés pour répondre.

A une ambition ou acquérir une

gloire ou, encore, satisfaire à un

credo. Ils ne luttent pas,

conscients, que leur victoire est

proche et que la voie du salut

de leur société est claire et

définie. Leur gloire est plus

proche du mythe que de l'histoire.

Si nous interrogeons l'un d'eux

sur les motivations de son

combat, il ne

pourra trouver

clairement les

raisons liées

souvent aux

actes

historiques. Il

sait que tous

ses efforts

sont vains et

que, seules,

ses

motivations

religieuses et

sa dignité

humaine, lui

ont dicté le

chemin.

Face à l'avancée colonialiste, le

rôle des peuples musulmans, au

cours du XIXé siècle jusqu'au

premier quart du XXe siècle,

n'était qu'un rôle simplement

héroïque. Par définition,

un tel rôle n'est pas le

mieux indiqué pour

résoudre les problèmes

qui ont préparé le terrain

à la pénétration du

colonialisme.

Le drame de chaque

peuple est

essentiellement celui de

sa civilisation. Le

peuple algérien ne

pourra ni comprendre ni

encore moins résoudre

son problème tant qu'il

n'aura pas élevé sa

conception au niveau du

drame humain à l'échelle

universelle, tant qu'il n'aura pas

pénétré le mystère qui

enfante et engloutit

les civilisations

présentes,

civilisations perdues

dans la nuit du passé,

civilisations futures :

ligne lumineuse de

l'épopée humaine,

depuis l'aurore des

siècles jusqu'à leur

consommation !

Chaîne prestigieuse

où les générations ont

soudé, bout à bout,

leurs efforts et leurs

contradictions et le

résultat de tout cela :

le progrès incessant.

Les peuples se

relayent : chacun a le

jour de sa mission

marqué à l'horloge où

sonnent les heures graves de

l'histoire. L'astre se lève pour les

peuples qui se réveillent et se

couche pour les peuples qui ont

sommeil. Aurores bénies des

renaissances. Seuils lumineux des

civilisations : qui commencent.

Crépuscules maussades : quand

l'astre décline au couchant

d'une civilisation ! En 1830,

l'heure du crépuscule avait déjà

sonné depuis longtemps en

Algérie : dès que cette heure-là

sonne, un peuple n'a plus

d'histoire.

Les peuples qui dorment n'ont

pas d'histoire, mais des

cauchemars ou des rêves ... où

passent des figures prestigieuses

de tyrans ou de héros légendaires

: Quand le palefroi blanc

d'Abdelkader zébra notre horizon

Un rêve épique se déploya dans notre

sommeil, empruntant sa

substance tragique aux traditions d'un

peuple qui a toujours aimé le

baroud et le cheval.

Page 16: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

16 de sa cavalcade fantastique,

minuit avait déjà sonné depuis

Longtemps. Et la silhouette

épique du héros légendaire

aussitôt s'évanouit ... comme un

rêve sur lequel se referme le

sommeil.

Puis d'autres visions passèrent ...

Un rêve épique se déploya dans

notre sommeil, empruntant sa

substance tragique aux traditions

d'un peuple qui a toujours aimé le

baroud et le cheval.

Il se déploya là surtout où il y

avait encore de l'espace libre et

des coursiers de sang : chez les

tribus.

Le lien tribal demeurait, en effet,

dans une société dissoute, le seul

lien encore solide, pour unir

quelques hommes dans un

semblant de mission. Tout le sens

de l'histoire est, en effet, dans

cette alternative : Mission ou

soumission

Seuls les guerriers des

tribus pouvaient encore

marquer de leurs

prouesses ce stade de la

''résistance algérienne''.

En Afrique du Nord,

Abdelkrim a clos cette

ère de la tribu

Arabo-berbère. Dans

cette lutte héroïque, le guerrier

bédouin n'avait pas son instinct

de conservation dans ''sa peau''

arabo-berbère, mais dans son âme

musulmane.

Il ne luttait pas pour vivre, mais

pour survivre. Et il a survécu

grâce à cette âme qui l'a

constamment soutenu au-dessus

de l'abîme où se sont engouffrés

d'autres peuples qui n'avaient pas

leur destin accroché à une

pareille force ascensionnelle. Que

sont devenues, en effet, les tribus

héroïques de l'Amérique

précolombienne ? Aujourd'hui,

un linceul de légende recouvre à

jamais leur destin révolu.

Et leur épopée malheureuse

souligne tragiquement ce que les

peuples musulmans doivent en

l'occurrence à l'Islam, leur

sauveur.

Mais l'Astre idéal poursuivait sa

ronde fatidique et ce fut bientôt

l'aurore, à l'horizon où chante le

muezzin, chaque matin, en

appelant au salut. Son appel

retentit sur les monts lointains

d'Afghanistan et descendit dans

la plaine où gisait endormi le

monde musulman.

La voix du lointain muezzin se

répercuta de part en part aux

horizons de l’Islam : O ! Peuples,

venez au salut. C'était Djamal

Eddine El-Afghani qui annonçait,

du haut des montagnes, le jour

nouveau de la civilisation.

02-STADE POLITIQUE ET

IDEE

La parole est divine.

Elle crée, pour une grande part, le

phénomène social, grâce à sa

puissance irrésistible sur

l’homme. Elle creuse dans son

âme le sillon profond où lève la

moisson de l'histoire.

La voix humaine a toujours

engendré les tempêtes qui ont

changé la face du monde.

La voix de Djamal Eddine avait

déposé dans la conscience encore

assoupie des peuples de l'Islam

une simple idée : celle du réveil.

Elle est vite devenue une idée

force, une force transformatrice

et créatrice de nouvelles

conditions d'existence pour les

peuples. Musulmans.

Ils se mirent à rejeter, l'un après

l'autre, les oripeaux du sommeil,

le tarbouch et le narguilé ;

l'amulette et la zerda

disparaissaient peu à peu de notre

folklore et de notre mentalité.

Le rayonnement de cette force

parvenait en Algérie, en même

temps que le monde sortait de la

grande tragédie de 1914-1918.

Jusque-là, le drame algérien était

demeuré muet comme une scène

pétrifiée. Il était le secret de l'âme

chez certains et le ''secret d'Etat''

chez d'autres. C'était le silence.

C'est vers 1925 Seulement que

l'idée venue de loin vient animer

le problème algérien en lui

apportant la parole.

Ceux qui ont leurs vingt ans,

vers cette époque, ont pu

écouter les premiers

bégaiements de leur propre

conscience. C'est vers cette

époque qu'il faut situer la

naissance en Algérie du sens

''collectif'' à partir duquel

commencent l'histoire et la

mission d'un peuple.

Avant cette date, on vivait en

Algérie et on y parlait au

singulier. Ce n'était pas de

l'histoire, mais de la légende : la

légende d'une tribu ou la légende

d'un héros. Ce n'était parfois

qu'un soliloque : la voix d'une

conscience se parlant à elle-

même, sans tirer du sommeil les

autres consciences. On entendait

ainsi, çà et là, de pareils

soliloques.

''DIEU NE CHANGE RIEN A

L'ETAT D'UN PEUPLE QUE

CELUI-CI N'AIT D'ABORD

CHANGE SON ETAT D'AME.''

(CORAN).

Page 17: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

17 Le plus insolite fut celui du

Cheikh Salah Mohanna qui faillit

réveiller tout Constantine vers

1898.

Le vénérable vieillard fut le

précurseur de l'Islahisme en

attaquant le premier à l'hydre

maraboutique. Mais

l'administration veillait à ne pas

laisser troubler la quiétude des

gens par les importuns qui parlent

à haute voix, dans la nuit où

règne le sommeil.

La précieuse et riche bibliothèque

du

Cheikh

fut

saisie et

on

dispersa les animateurs de la

première polémique islahiste : le

Cheikh Abdelkader El-Madjawi,

notamment, fut déplacé de la

médersa de Constantine à celle

d'Alger.

Ce n'était qu'une rixe nocturne et

les dormeurs, troublés un instant,

ronflèrent de nouveau.

Cependant, l'aurore invincible

glissait, entre les étoiles de

l'Orient, son obscure clarté et, de

cime en cime, venait dissiper les

ténèbres de l'horizon algérien.

En 1922, les premières voix

marquèrent la naissance du jour

nouveau et le retour à la vie.

C'était un écho lointain, à la voix

de Djamal Eddine. Le miracle

perpétuel des renaissances

jaillissait de la parole de Ben

Badis. C'était l'heure du réveil et

le peuple algérien, encore

engourdi ; remue. Il était beau et

touchant ce réveil frémissant d'un

peuple qui avait les yeux encore

pleins de sommeil.

Les soliloques firent place aux

discours, aux entretiens, aux

discussions, aux polémiques. ''Le

sens collectif'' se réveillait : ce

n'était plus, çà et là, un homme

qui monologuait, mais un peuple

qui parlait.

- Pourquoi avons-nous si

longtemps dormi ?

- Sommes-nous bien réveillés ?

- Que faut-il faire aujourd'hui ?

On posait ces questions comme

des gens qui se réveillaient un

peu étonnés, un peu engourdis du

sommeil qu'ils voulaient dissiper.

L'administration voulait douter

encore de ce réveil. Il est

intéressant de noter combien était

lente son adaptation : près de 10

ans après, vers 1933, le préfet

d'Alger, rédigeant la fameuse

‘‘Circulaire'' qui interdisait les

mosquées aux Oulémas

islahistes, parlait encore du

''peuple apathique'' de l'Algérie.

Cet engourdissement de

l'administration algérienne,

comme un vieil organe qui ne

peut plus s'adapter aisément au

milieu, doit être noté comme la

cause essentielle du malaise.

Cependant, le milieu était, lui,

désormais bien vivant, plein de

tous les bouillonnements, de

toutes les fermentations, de toutes

les énergies. Les idées fusaient,

se croisaient, s'entrechoquaient.

Elles crevaient parfois comme

des bulles d'air à la surface d'une

bouilloire. D'autres fois, elles se

sublimaient, changeaient d'état,

devenaient des actions, des

choses concrètes : une médersa,

une, mosquée, une œuvre.

Le kémalisme, le wahhabisme,

l'européanisme, le matérialisme

se présentaient comme autant de

voies à la conscience algérienne.

On arborait ici un kalpak pour

s'afficher partisan du programme

social kémaliste : émancipation

de la femme, enseignement

laïque, code civil ... La ''imma''

islahiste était un autre

programme : dévotion, retour au

''salat'', épuration des mœurs,

transformation de soi-même

avant tout.

Mais d'une manière générale,

toutes les tendances

convergeaient en un point : la

volonté de bouger, de changer, de

quitter la zaouïa pour l'école, le

bistrot pour quelque chose de

plus pieux ou de plus utile.

Cependant, plus conséquent et

plus profond, l'islahisme formule

clairement le principe doctrinal :

''Dieu ne change rien à l'état

d'un peuple que celui-ci n'ait

d'abord changé son état d'âme.''

(Coran).

Il faut se renouveler : ce fut

d'abord le leitmotiv et la devise

de toute l'école islahiste issue de

Badis. Les congrès des Oulémas

indiqueront les bases de ce

renouvellement nécessaire à la

renaissance.

Il faut repêcher l'Islam aux

musulmans : il faut abandonner

les innovations pernicieuses, les

idoles, il faut s'instruire, il faut

agir, il faut reprendre la

communauté musulmane.

Raisonnement juste, qui implique

l'art d'enfanter une civilisation

comme un phénomène social à

MALGRE CERTAINES CARENCES, MALGRE

UN CERTAIN EMPIRISME DANS LA PENSEE,

LES OULEMAS ONT ETE LES

INFATIGABLES PIONNIERS DE LA

VERITABLE RENAISSANCE MUSULMANE

ET SA FORCE VIVE.

Page 18: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

18 partir de conditions toujours

identiques.

Tout cela était dit avec

conviction, dans une langue

lyrique, avec force citations

coraniques et d'émouvantes

évocations de la civilisation

musulmane Le peuple religieux

est mélomane.

Mais l'avenir est un but lointain,

il faut des voies nettes et des

vocations puissantes pour y

parvenir.

Les mots devaient jalonner ces

voies et contenir le ferment béni

de ces vocations

Mais les mots, quoique sublimes,

de l'islahisme algérien ont,

parfois, malheureusement, dévié

de leur objectif pour des raisons

anti-doctrinales. On était encore

engourdi de sommeil pour tendre

l'attention et l'effort

invariablement. Il y eut des

écarts, des inconséquences. La

sagesse céda le pas à

l'opportunisme politique.

Quoi qu'il en soit, malgré

certaines carences, malgré un

certain empirisme dans la pensée,

les Oulémas ont été les

infatigables pionniers de la

véritable renaissance musulmane

et sa force vive.

Mais en matière sociale, n'est-ce

pas là la matière essentielle de

l'islahisme ? L'empirisme peut

devenir de l'opportunisme

dangereux, surtout aux époques

cruciales, quand chaque faux pas

Peut être mortel. Or pour

l’empirisme il n'y a pas de voies

doctrinales tracées, mais des

sentiers capricieux où l'on peut

trébucher à chaque pas.

N'est-ce pas là la raison pour

laquelle les Oulémas ont suivi le

sillage fatal d'une caravane

politique, en 1936 ? Qu'étaient-ils

allés chercher à Paris ? L'âme

algérienne qui est la clef du

problème était-elle là-bas ? Et

qu'en ont-ils rapporté ?

La mort du congrès et la scission

de leur association.

L'électoralisme qui devait être

dirigé était devenu dirigeant. Le

mouvement algérien se renversa,

marcha les pieds en l'air et

la tête en bas.

Le sens de l'élévation était,

désormais, dirigé vers le bas.

1939, c'est le faîte atteint par

l'islahisme, le faîte marqué par la

naissance et la mort du Congrès

algérien. C'est de ce faîte qu'on

est descendu, à l'heure où vers le

lointain horizon

S’accumulait l'orage de 1939.

L'orage est passé sur un déclin

momentané de la renaissance

algérienne et une éclipse de

l'idée.*

* Dans cet exposé doctrinal, nous

n'avons pas jugé nécessaire de

parler du noble Emir Khaled, ce

chevalier de la légende

algérienne qui, par mégarde,

s'était trouvé dans une « histoire

des grands hommes de

l'Algérie ». Ici, nous ne faisons

que l'histoire des idées.

A méditer

par El-Guellil

Voilà un conte, d'un auteur inconnu, que je vous propose de méditer. « Un très vieux sage vivait tout là-haut dans

une montagne aux pentes très abruptes. Les gens d'en bas, dans la plaine, allaient régulièrement le consulter lorsque

se présentait un problème insoluble pour eux. Pour se faire, les gens d'en bas devaient escalader cette montagne aux

pentes très abruptes pour le consulter. Un beau jour, les gens d'en bas se réunirent pour parler du vieux sage.

Un jeune homme de forte tête leur dit qu'il en avait assez d'avoir à grimper la montagne à chaque fois qu'il avait

une question d'ordre existentielle. Il en avait assez et voulait que cela cesse et ne plus avoir à grimper là-haut pour

consulter le vieux sage et tenter de mettre celui-ci en déroute avec une question piège. En fait, il demanda aux gens

qui étaient avec lui de l'aider. Il imagina toute sortes de questions et chaque fois que quelqu'un en proposait une

nouvelle, une autre personne disait : «je lui ai déjà demandé cela et il m'a répondu». Alors le jeune homme entêté à

réussir son exploit, à savoir, intimider le vieux sage, dit : «Je sais, je vais attraper un oiseau à l'aide d'une cage et

lorsque je serai en face du vieux sage je lui demanderai : est-ce que l'oiseau que je tiens dans mes mains est mort ou

vivant ? S'il répond qu'il est mort, je le laisse s'envoler, et s'il répond qu'il est vivant, je le tue et lui montre

l'évidence de sa tromperie. » Alors tous les habitants d'en bas escaladèrent la montagne pendant trois jours et trois

nuits pour voir la défaite du vieux sage. Ils arrivèrent en haut avec les vêtements tout déchirés un peu partout, et

voilà que le jeune homme dit :» bonjour vieux sage comment allez-vous ?»

Le vieux sage regarda chacun, un par un dans les yeux en les scrutant de haut en bas. Notre jeune homme dit alors

:» vieux sage, nous avons une question pour toi. L'oiseau que je tiens dans mes mains, est-t-il mort ou vivant ? »

Alors le vieux sage ragarda chacun encore dans les yeux un par un en prenant son temps et en les scrutant de haut

en bas. Ensuite le vieux sage regarda le jeune homme et dit :

«Mon jeune ami,... la Vie de cet oiseau est entre vos mains».

Page 19: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

19 COMMENT ON DEVIENT UNE PUISSANCE

Par Noureddine BOUKROUH

C’est à une sorte de « rencontre du

troisième type » que fait penser le

battage poursuivi depuis des mois

par la presse mondiale autour du

sommet Reagan-Gorbatchev.

L’échelle cosmique prise par les

enjeux, l’opposition foncière entre

les deux systèmes, leur égale

capacité à mettre fin au monde font

presque oublier que ces deux géants

ont l’habitude de se rencontrer (il y a

eu Carter-Brejnev, Nixon-Brejnev,

Khrouchtchev-Kennedy, Staline-

Roosevel), que la question du

désarmement est ancienne (la

première conférence sur le sujet

s’est tenue à Washington à la fin des

années vingt) et que ces deux

puissances ont plus d’un trait

commun tant au plan de la politique

internationale, que de la psychologie

historique. Mais là n’est pas

notre propos.

En tant que pays du Tiers-Monde, en

tant que jeune nation socialiste, cet

événement nous interpelle sur notre

propre situation, sur notre poids réel

dans le monde, sur le contenu de nos

idées et de nos méthodes. Il nous

fournit l’occasion de procéder à

quelques rapprochements,

toutes proportions gardées, mais

aussi de faire justice de préjugés et

de confusions assez répandus.

L’auteur de « La démocratie en

Amérique » (Alexis de Tocqueville)

a écrit il y a exactement cent

cinquante ans un texte

extraordinaire, une véritable

prophétie que voici : « Il y a

aujourd’hui sur la terre deux grands

peuples qui, partis de points

différents, semblent s’avancer vers

le même but : ce sont les Russes et

les Américains. Tous deux ont

grandi dans l’obscurité, et tandis que

les regards des hommes étaient

occupés ailleurs, ils se sont placés

tout à coup au premier rang des

nations et le monde a appris presque

en même temps leur naissance et

leur grandeur. Tous les autres

peuples paraissent avoir atteint à peu

près les limites qu’a tracées la nature

et n’avoir plus qu’à conserver, mais

eux sont en croissance. Tous les

autres sont arrêtés ou n’avancent

qu’avec mille efforts, eux seuls

marchent d’un pas aisé et rapide

dans une carrière dont l’œil ne

saurait encore apercevoir la borne…

Pour atteindre son but, l’un s’en

repose sur l’intérêt personnel et

laisse agir, sans les diriger, la force

et la raisons des individus. L’autre

concentre en quelque sorte dans un

homme toute la puissance de la

société. L’un a pour principal moyen

d’action la liberté, l’autre la

servitude. Leur point de départ est

différent, leurs voies sont diverses,

néanmoins CHACUN D’EUX

SEMBLE

APPELE PAR UN DESSEIN

SECRET A LA PROVIDENCE A

TENIR UN JOUR DANS

SES MAINS LES DESTINEES DE

LA MOITIE DU MONDE… »

La prophétie de Tocqueville ne s’est

pas réalisée à Yalta et à Potsdam

110 ans après sa formulation, mais

dès 1945 elle apparaissait comme

telle au commun des mortels. En ce

qui concerne l’URSS il était donc

faux de prétendre qu’en 1917 elle

était partie de rien. Un siècle avant

que ne naisse Marx, deux siècles

avant que ne laisse Lénine, la

Russie, sous la houlette de Pierre le

Grand, avait pris le chemin de sa

vocation de puissance planétaire

ainsi que le constatera un siècle plus

tard Tocqueville.

Pierre le Grand, en effet, est celui

qui a arraché au Moyen-âge la

Russie pour la mettre sur la

voie de son destin. Frappé par

l’extrême état de sous-

développement de son pays en

comparaison des autres nations

d’Europe, cet homme auquel les

Bolcheviks en général et

Staline en particulier voueront un

véritable culte, entreprit par le juste

et l’injuste, par l’exemple personnel

et la contrainte physique, de la

moderniser et de l’organiser.

Dédaignant l’Europe Latine,

l’Europe des salons, il se tourna vers

l’Europe industrieuse, l’Europe des

ateliers et des casernes, pour se

mettre à son école. Il se rendit en

Hollande où il travailla en qualité

d’ouvrier-charpentier sur les

chantiers navals ; en Allemagne il

vint apprendre la mentalité «

fachlichkeit » (l’amour du travail

bien fait) ; en Angleterre il

s’émerveilla devant la démocratie en

assistant à des séances du

parlement…

De retour dans sa partie Pierre le

Grand s’attelle à instaurer les

notions d’Etat, de bien public,

d’intérêt de l’Etat... Il soumet les

fonctionnaires à la prestation d’un

serment de fidélité à l’Etat,

indépendamment de celui qui lui

était prêté en tant que Tzar ; il crée

l’armée permanente, le service

militaire obligatoire, l’enseignement

public ; il établit un système fiscal

qui taxe même le port de la barbe

pour faire rentrer de l’argent. Pour

stimuler les Moujiks il allait parmi

eux, lui qui s’enorgueillissait de

posséder quatorze métiers, manier la

hache et couper le bois qui servira à

construire la flotte qui lui permettra

de battre pour la première fois

son principal ennemi à l’époque, la

Suède. Un historien a eu ce mot : «

Le premier plan quinquennal

remonte à son retour de Hollande »

(c’est-à-dire à la fin du XVIIème

siècle) C’est avec cet homme qui n’a

pas hésité à faire exécuter son

propre fils parce qu’il s’opposait

à la modernisation forcée de la

Russie, que l’URSS, deux siècles

avant la lettre, s’est éveillée

à sa vocation de puissance d’avenir.

Lui-même continuait un rêve, celui

d’Ivan le Terrible, comme Catherine

II a ajouté quelques touches à

l’oeuvre que ce dernier a laissée.

Mais il faut dire que l’autocratie

tzariste avait édifié un empire sans

unité intérieure, au seul profit de la

noblesse boyarde et des classes

dirigeantes, et que le peuple russe,

d’Ivan le Terrible à Nicolas

Page 20: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

20 II, n’a jamais vu sa condition de vie

s’améliorer. Même l’abolition en

1861 par Alexandre II du régime du

servage n’a pas rendu la terre aux

paysans qui ont de tout temps

constitué l’écrasante majorité du

peuple russe. Pour cela, il fallait

attendre la Grande Révolution

d’Octobre. Libéré, rendu à lui-

même, exalté par les vertus

cardinales du socialisme, l’égalité

et la justice, le peuple soviétique

allait rapidement apporter la preuve

de son génie, de son sens sublime du

sacrifice, de son ardeur au travail.

En quinze ans, de 1927 à 1941,

l’URSS passait du statut de pays

essentiellement agricole à

celui de puissance industrielle. C’est

l’époque où l’on réalisait le plan

quinquennal en quatre ans, où «

l’émulation socialiste » produisait

des hommes comme Alexis

Stakhanov, un mineur qui était

parvenu à extraire en une nuit 102

tonnes de charbon tandis que la

norme n’était que de 7, avant de

porter quelques mois plus tard ce

fantastique record à 227 tonnes !

C’était l’époque où tous les

travailleurs faisaient des heures

supplémentaires sans rémunération

supplémentaire, où le passeport

intérieur et le livret de travail

décourageaient toute velléité de

nomadisme, ou la « discipline du

travail » était une loi martiale, où les

syndicats ne représentaient pas des

groupes ou des corporations mais

l’intérêt social et la religion du

rendement, où l’équivalent de notre

GSE aurait passé pour une hérésie

passible d’internement à vie dans un

camp de travail…

C’était l’époque où la conquête de la

Sibérie était la réplique à la

conquête de l’Ouest américain, où

l’URSS était le premier producteur

mondial le blé, où la synthèse d’Ivan

le Terrible et de Marx donnait le

spectacle d’une nation sur-motivée

n’ayant que des devoirs, et d’abord

celui d’être la plus forte en tous

domaines.

L’Union Soviétique telle qu’elle

apparaît aujourd’hui au monde a,

outre cette tradition de la mystique

du travail et du sacrifice,

d’importants atouts naturels : elle

s’étend sur le plus grand territoire du

monde (trois fois les Etats-Unis,

onze fois l’Algérie), possède les plus

grandes réserves prouvées de

pétrole, commercialise le tiers de

l’or vendu chaque année dans le

monde et figure parmi les premiers

exportateurs de gaz, de diamants,

d’armes…

Pour comprendre le phénomène

soviétique, il est essentiel d’avoir à

l’esprit les trois dimensions

évoquées : un continent eurasiatique

ayant les avantages de l’insularité,

une tradition du pouvoir centralisé et

une volonté de puissance qui ne se

sont pas démenties d’Ivan le

Terrible à Staline, une idéologie qui

a su trouver le chemin de l’âme

russe : le socialisme.

C’est la combinaison de ces trois

facteurs qui a fait de l’URSS la

superpuissance économique,

scientifique et militaire que nous

avons sous les yeux. Cette

superpuissance s’efforce d’ailleurs

depuis la fin des années 70 de

remédier à des méthodes qui ont fait

leur temps : le développement de

type extensif (quantité au détriment

de la qualité et du coût, importation

de techniques, achats d’usines clés

en main, création excessive de

nouvelles entreprise, planification

bureaucratique et déformation

généralisée des chiffres et de

l’information économique…) a

atteint ses limites et révélé sa force

d’inertie.

Au plan agricole, ce géant qui était

exportateur de blé est devenu

alimentairement dépendant.

Au plan industriel et technologique,

il a accumulé des retards importants.

Au plan financier,

enfin, l’Union Soviétique a

discrètement pris le chemin de

l’endettement extérieur au cours

des années 70 où elle a levé sur les

euromarchés plusieurs milliards de

dollars. Plus surprenant encore, elle

a recouru pour la première fois

depuis 1917 en septembre1984 au

marché euro-obligataire où elle a

émis un emprunt de 50 millions de

dollars en Deutsch Bank à sept ans

et à taux variable. L’extraordinaire

en cela est que, contrairement aux

eurocrédits qui sont un appel aux

banques commerciales, les euro-

émissions sont un appel à l’épargne

directe des particuliers.

Les ouvertures prêtées à Gorbatchev

ne ressortissent pas à un exercice de

charme en direction de l’Occident

capitaliste, mais à la conscience de

devoir s’adapter aux techniques de

pointe, tant dans le domaine de la

gestion économique et financière

que scientifique et technologique

pour garder, voire hisser plus haut,

son rang de puissance planétaire.

Les propositions avancées par

l’URSS en matière de limitation de

l’armement stratégique sont

inédites, mais il aurait fallu un

Woodrow Wilson, l’homme des 14

points, à la place de Reagan pour les

recevoir et leur répondre avec le

sérieux qui convient. C’est pourquoi

le Genèvre-Round ne se terminera

sur aucun résultat spectaculaire. Ce

non-événement nous aura au moins

permis, quant à nous, de méditer

quelques instants sur le parcours

historique d’une nation qui est

aujourd’hui le principal faire-valoir

de l’idéal socialiste dans le monde.

(« Algérie-Actualité » du 21

novembre 1985)

Page 21: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

21

Luis Martinez. Chercheur et politologue, spécialiste de l’Algérie

«On est passé du leadership du DRS à celui des groupes d’intérêt» Luis Martinez est

directeur de recherche

au Centre d’études et

de recherches

internationales (CERI)

de Sciences-po Paris.

Fin connaisseur du

Maghreb et de

l’Algérie, il a

récemment codirigé un

ouvrage collectif en

anglais intitulé Algeria

Modern : From

Opacity to Complexity

(Algérie moderne : de l’opacité à

la complexité). En attendant

l’édition française de ce livre

précieux, M. Martinez a accepté

de répondre à nos questions sur la

situation politique du pays.

Dans le dernier livre collectif

auquel vous avez contribué, vous

évoquez l’opacité et la

complexité du pouvoir en Algérie

qui rendent invisibles les vrais

décideurs, notamment à cause de

l’implication des militaires et des

services de sécurité. Cela tend-il

à changer depuis la quasi-

décapitation du DRS ?

Nous avons essayé d’analyser la

situation actuelle en Algérie en

montrant les transformations

opérées sous la présidence de

Bouteflika. On est passé du

leadership du DRS à celui des

groupes d’intérêt concernant tous

les secteurs, allant de l’économie

à la politique en passant par la

sécurité. Les personnes qui les

constituent ne fonctionnent pas

avec une logique de clans et

encore moins idéologique. Ils

défendent surtout leurs intérêts.

L’opacité de l’Algérie

s’expliquait par le rôle politique

de ses services de sécurité. Avec

ces groupes d’intérêt, l’Algérie

est plus complexe à comprendre.

De nouveaux acteurs ont émergé,

comme le Forum algérien des

chefs d’entreprise (FCE). Ces

acteurs constituent des lobbies

très importants et participent à la

décision politique. En fait,

l’Algérie se modernise. Mais elle

sort de l’emprise simpliste et

opaque des services de sécurité

pour entrer dans la complexité.

- Dans ce contexte, comment

voyez-vous l’après-Bouteflika ?

La principale incertitude

aujourd’hui repose justement sur

l’après-Bouteflika. Réélu pour la

quatrième fois en 2014, sa

maladie suscite de nombreuses

inquiétudes tant il semble dans

l’incapacité d’assumer ses

fonctions. Ce moment de

vulnérabilité offre l’opportunité à

tous ses opposants de dénoncer

l’appropriation du pouvoir par

son «clan familial». Les appels à

une intervention de l’armée se

multiplient. L’hypothèse d’un

«coup d’Etat médical» sur le

modèle de celui

appliqué à Habib

Bourguiba est espéré

par certains.

Nous avons remarqué

que depuis sa

réélection, nombreux

sont les politiques et

anciens officiers de

l’armée qui ont fait des

déclarations laissant

présager cette

hypothèse. En tant que

chercheurs, nous y avons décelé

une sorte de test et une

préparation de l’opinion publique

algérienne à cette éventualité.

Ainsi, si un jour cela arrive, ils

espèrent que cette même opinion

trouvera cela normal.

- Cette incertitude et cette lutte

latente liées à la transition

politique ne risquent-elles pas

d’engendrer un grand mouvement

de contestation politique jusque-

là évité par le régime ?

L’Algérie de Abdelaziz

Bouteflika a été épargnée par les

révolutions arabes. A la faveur

des revenus issus de la rente

pétrolière, du clientélisme et des

relations avec les acteurs

institutionnels, le régime a

renforcé les liens de loyauté qui

unissent les différents groupes

d’intérêt (Forum des chefs

d’entreprise, Sonatrach, UGTA,

Association des moudjahidine,

police nationale, armée, etc.) afin

de s’assurer qu’aucun ne ferait

défection comme c’était le cas

des syndicats et de l’armée en

Tunisie et en Libye. Les

gouvernements successifs ont mis

Page 22: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

22 en œuvre des politiques sociales

importantes qui ont réduit la

pauvreté. Les dépenses publiques

entre 2000 et 2013 sont estimées

à 500 milliards de dollars.

Sur un autre plan, dans un

contexte d’attractivité de l’offre

politique islamiste, Bouteflika a

encouragé le renouveau des

zaouïas, de l’islam traditionnel

dans le but de contrer l’offre

salafiste, présentée par les

pouvoirs publics comme

étrangère, en provenance,

notamment, d’Arabie Saoudite.

Les autorités ont favorisé

également le développement d’un

islamisme modéré afin qu’il

encadre l’islamisation des mœurs

et réduise les critiques des

salafistes sur la dérive

occidentale des sociétés. Ces

politiques expliquent d’ailleurs

pourquoi l’Algérie n’a pas

basculé dans une dynamique de

confrontation en dépit des

nombreux problèmes sociaux,

économiques et politiques.

L’Algérie a été en proie à des

manifestations régulières. Des

mouvements sociaux ont secoué

des villes du Sahara et certaines

du littoral, mais aucun acteur

institutionnel n’a investi ces

mouvements, ni politisé les

doléances et encore moins

encouragé une dynamique

d’affrontement. A vrai dire,

Bouteflika n’incarne pas une

figure de détestation comme

pouvait l’être Ben Ali en Tunisie

ou El gueddafi en Libye.

De plus, sous sa présidence, les

gouvernements successifs ont

massivement redistribué les

revenus issus des exportations

d’hydrocarbures à travers des

aides directes et indirectes à la

population. Les jeunes, devenus

cyniques, ne croient plus à la

révolution et aux lendemains

heureux. La Syrie, la Libye et le

Yémen leur rappellent l’Algérie

en guerre civile entre 1990 et

1998 après l’échec de sa

transition démocratique.

- Dans ce cas, l’option d’un

homme de consensus entre le

pouvoir et l’opposition, comme

Hamrouche par exemple, semble

être la meilleure solution. Est-t-

elle encore possible selon vous ?

Il faut savoir que les groupes

d’intérêt qui structurent le

pouvoir en Algérie aujourd’hui

agissent dans la perspective de

trouver un leader comparable à

Bouteflika. De leur point de vue,

sa politique est un succès. Il a

stabilisé et surtout restauré la

crédibilité internationale de

l’Algérie. Or, la perception de

l’opposition à ce sujet est très

différente.

Ses critiques sont très acerbes

envers le Président et son

entourage. Mais cette opposition

manque d’espace d’expression et

surtout de légitimité pour mener

un grand mouvement politique

qui propose une alternative

unitaire à celle du pouvoir. Du

coup, elle est souvent utilisée par

le pouvoir comme une soupape

de sécurité pour maintenir la

façade démocratique du pays. A

part certaines exceptions, les

partis de l’opposition se limitent

depuis quelque temps à se

préoccuper de la succession et de

l’après-Bouteflika. Mais cela

n’est pas un programme politique

!

Pour revenir à votre question, je

dirais que du côté du régime, des

figures comme Sellal et Ouyahia

sont dans la continuité de

Bouteflika. Néanmoins, ces

hommes politiques n’ont ni la

légitimité historique ni la

légitimité militaire. Ce qui réduit

considérablement les possibilités.

En ce qui concerne une

personnalité consensuelle,

Mouloud Hamrouche, que vous

citez, peut effectivement incarner

ce rôle. Il a une longue

expérience et connaît très bien les

pouvoirs politique et militaire du

pays. Il peut réussir s’il arrive à

convaincre les tenants actuels du

pouvoir desquels il est loin et

avec lesquels il est en profond

désaccord.

- Avec cette nouvelle donne de la

prise de pouvoir politique

progressive de l’argent privé en

Algérie, on assiste ces derniers

mois à ce qui s’apparente à un

acharnement des autorités contre

l’homme d’affaires Issad Rebrab.

Est-ce parce qu’il a une

quelconque ambition

présidentielle personnelle ?

Cet entrepreneur est le seul à

disposer de la légitimité

économique et financière en

Algérie. Par exemple, quand vous

demandez ici, en Europe, qu’on

vous cite un entrepreneur privé

algérien, c’est son nom qui

revient à tous les coups. En plus

des grandes entreprises publiques

algériennes, c’est le seul qui

rassure les partenaires étrangers

sur les potentialités économiques

de l’Algérie, particulièrement en

dehors des hydrocarbures.

C’est tout simplement un

entrepreneur qui a réussi. C’est

un ovni dans l’économie rentière

de l’Algérie ! Il est un défi

insurmontable pour les hommes

politiques algériens. Même s’il a

bénéficié de marchés publics à

ses débuts, il a toujours su garder

ses distances vis-à-vis du pouvoir

politique et de la vie politique en

général. Personnellement, je ne

pense pas qu’il ait la moindre

ambition politique.

Page 23: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

23

Delivery Units, ministère de l’Economie ou cellule de planification Depuis de nombreuses années, les experts et les

analystes de l’économie algérienne de tout bord

réclament la conception et l’exécution d’une vision

matérialisée par un plan stratégique et des plans

indicatifs intermédiaires. Le cadrage budgétaire devait

s’insérer dans cette perspective.

Cette optique réunit un très large consensus. Il y a

longtemps que les analystes ont conclu à la nécessité

de disposer d’une structure formelle de mise en

cohérence des politiques sectorielles. Après des

années de débats autour de la question, les décideurs

semblent pour une fois réceptifs à la question.

On est en train de considérer les voies et les moyens

de prendre en considération les avis des experts.

Maintenant, il faut penser à l’architecture globale

qu’il convient d’ériger. Il y a beaucoup de problèmes

à régler. Le diable se niche toujours dans les détails.

On peut proposer des structures qui peuvent faire des

améliorations marginales ou introduire des mutations

qui vont grandement booster l’efficacité des

institutions.

A ce niveau-là, nous assistons à une inflation de

propositions. J’en citerai seulement quelques-unes :

ministère de la planification, ministère de l’Economie

(qui en regroupe plusieurs), Delivery unit, cellule de

planification, etc. Les experts ne sont pas d’accord.

Les pouvoirs publics attendent de voir plus clair et de

bien recenser les avantages et les inconvénients de

chaque proposition. Certes, il n’y a jamais de solution

unique et toute proposition doit bien s’insérer dans le

contexte de son exécution.

C’est de cela qu’il s’agit : quelle est la meilleure

forme d’institution capable de mettre en cohérence les

politiques économiques et aider à leur exécution dans

le contexte de notre pays ? Pour répondre à cette

question, nous avons besoin de faire appel beaucoup

plus aux principes d’organisation qu’aux lois

économiques, bien que ces derniers sont très utiles

pour résoudre l’équation. Nous allons résumer très

succinctement les éléments d’analyse les plus

pertinents pour livrer le type de solution qui convient

le mieux à notre pays. Je m’inspirerai d’un travail que

j’ai réalisé au profit d’institutions patronales

nationales qui s’intitule «Structures organisationnelles

des Etats : pays développés, émergents et sous-

développés». Bien entendu, je n’ai fourni qu’un

résumé sur la question étant donné sa complexité.

Quelques éléments de réflexion La question de choisir

le type de structure à ériger semble simple a priori.

C’est pour cela que bon nombre de personnes

s’aventurent légèrement à fournir des

recommandations. En réalité, c’est un thème

extrêmement complexe qui fait appel aux théories des

organisations, à l’historique des typologies des

structures publiques, la sociologie politique du pays et

les choix publics. Je vais essayer de simplifier au

maximum des thèmes super compliqués qui

permettront de replacer les choses dans leur contexte.

Les pays développés ont achevé la plupart des

transformations institutionnelles dont ils ont besoin

pour se situer à un niveau élevé de performance.

Leurs problèmes les plus épineux résident dans la

croissance et le niveau de l’emploi.

Des pays comme les USA, le Royaume-Uni, la Suède,

l’Allemagne, etc. ont atteint un degré d’organisation

institutionnel très évolué.

Les améliorations dans les systèmes éducatifs,

recherche et développement, justice, etc. se font par

des petites retouches. Aucun pays ne peut se prévaloir

d’avoir atteint le summum de l’efficacité

organisationnelle. Des progrès sont toujours possibles.

Mais ces nations n’ont pas besoin de révolutionner

leur mode de fonctionnement institutionnel.

Des rénovations institutionnelles mineures ont lieu de

temps en temps. Par exemple, la grande-Bretagne qui

veut améliorer un peu plus l’efficacité managériale de

ses hôpitaux publics. Ainsi, dans ce contexte, on

procède par des « Delivery Units ». Ce serait une

cellule placée en haut lieu, généralement le premier

ministère pour implémenter sur terrain des décisions

prises. Elles ont des compétences transversales pour

faire atteindre des objectifs précis.

Exemples : réduire les coûts de santé de 5% sur dix

ans, diminuer le nombre de jours d’attente

chirurgicaux de 30%, etc. Les pays en voie d’achever

des transformations institutionnelles profondes

(Chine, Corée du sud, Malaisie) ont besoin d’un autre

schéma ; et ils l’appliquent. Ces pays sont en train de

bouleverser leurs systèmes éducatif, bancaire,

administratif. Ils opèrent des mutations profondes pas

retouches successives. En plus de think tank à la

disposition de l’Etat, ils optent pour une structure de

planification (cellule de planification en Corée, unité

de planification en Malaisie). Ils peuvent se doter en

plus de Delivery Units. Mais une Cellule de

planification s’avère indispensable.

Ce qui convient à notre pays La plupart des pays

s’orientent vers plus de décentralisation. Pour cela, ils

ont besoin de grandes structures ministérielles qui

arrivent à opérer facilement plus de cohérence.

Page 24: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

24 Ministères de l’Economie et de l’Education peuvent

regrouper une variété d’activités.

Cela serait une bonne idée de disposer d’un ministère

de l’Economie dans notre pays qui regrouperait la

PME, l’industrie, les finances, etc. Mais il serait

nettement insuffisant pour architecturer une cohérence

globale.

Par contre, ceux qui préconisent une ou plusieurs

delivery units sans cellule de planification indicative

(très différente de la planification des années soixante-

dix) se trompent lourdement. Qui va faire la

cohérence entre par exemple l’enseignement

supérieur, l’industrie et les énergies renouvelables ?

Les pays développés ayant achevé leurs

transformations institutionnelles peuvent le faire à

l’aide de think tanks spécialisés à la disposition de

l’institution de décision (présidence ou premier

ministère). Mais un pays qui doit révolutionner

pratiquement tous ses secteurs en plus de développer

une vision à long terme a nécessairement

besoin d’une unité de planification située sous la

présidence ou le premier ministère.

Les économistes parlent de capital matériel, humain et

social. Le dernier concerne la qualité des institutions

dont ils disposent et

leurs modes d’interaction. Par ailleurs, nous avons un

Etat extrêmement centralisé. Les plans de

développement locaux et régionaux

ainsi qu’une fiscalité locale sont encore à l’état de

voeux. Dans ce contexte-là, le schéma thérapeutique

est clair. Nous ne pouvons pas faire l’économie d’une

structure légère de planification indicative située en

très haut lieu.

Une Delivery Unit créerait un déphasage entre la

concession et l’exécution. La première question qu’un

spécialiste en organisation pose lors de la

restructuration d’une entreprise est : quelle est l’entité

qui sera chargée d’établir une cohérence entre les

différentes sous-structures ? Généralement (mais pas

toujours), le contrôle de gestion peut jouer ce rôle en

tant qu’entité staff mais se fait entendre à travers les

décisions de la direction générale. Si on désire

réellement faire des avancées notables en matière

d’organisation de l’Etat, nous ne pouvons pas faire

l’économie de créer une cellule de planification

indicative.

HISTOIRE D'ALGERIE : VII- Domination Vandale (430 à 533)

L'histoire et la géographie de l'Algérie sont intimement liées. Ainsi, bien

que la civilisation humaine au Maghreb remonte à des millénaires, ce

n'est qu'à partir de l'Antiquité que cet espace commence à prendre sa

forme actuelle en se scindant en trois régions-peuples : Maghreb

oriental, Maghreb central et Maghreb occidental. La région-peuple du

Maghreb central évoluera au fil des siècles en l'État nation algérien

moderne. Cet article traite donc de l'histoire de l'Algérie, et non pas

seulement de l'histoire de la République algérienne moderne.

VII-Domination Vandale (430 à

533)

L'histoire des Vandales est celle

d'une coalition de tribus

scandinaves constamment

assaillie, repoussée et forcée à

quitter ses terres, et qui finit par

se résoudre au combat, obtenant

ainsi leur premier État qu'ils

fondent en Algérie après avoir

établi leur capitale à Bejaia, dans

la petite

Kabylie. Lorsque leur État

disparaît après un siècle

d'existence, le peuple vandale

s'intègre alors à la population

algérienne.

Vers 200 avant J.-C., une

vague de tribus scandinaves

s'était mise à traverser la mer

Baltique, pour débarquer sur

les territoires de l'actuelle

Pologne. Ainsi, vers la même

période durant laquelle l'État

de Numidie s'affirmait en

Algérie, soit entre l'an –200 et

l'an -120, les Vandales

arrivèrent de Norvège

(Hallingdal), de Suède

(Vendel) et du Danemark

(Vendsyssel) pour s'installer

dans la région de Silésie, qui

correspond aujourd'hui à la

région frontalière entre la

Pologne et la République

tchèque. Les Vandales, divisés

en deux grands groupes

tribaux, les Silings et les

Hasdings, se séparèrent à

partir de là. Les Silings

restèrent dans la région de

Magna Germania qui est celle

de Silésie, tandis que les

Hasdings continuèrent leur

Page 25: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

25 migration et se

déplacèrent

vers l'Ouest pour

s'installer

dans la région

historique de la

Germanie

Orientale (entre la

rivière Oder et la

rivière Vistule).

Gaius Cornelius

Tacitus, l'un des

plus connus

historiens

romains note en

effet leur

présence en Germanie orientale

en l'an 98. Entre l'an 100 et l'an

200 environ, les Vandales

Hastings se retrouvèrent sous la

pression des Goths qui

arrivaient et s'installaient en

Germanie Orientale, et celle de

l'Empire romain. Les Vandales

furent alors poussés à quitter la

Germanie Orientale sous la

pression des Goths qui

s'implantaient dans la région et

descendirent vers le Danube où

ils attaquèrent l'Empire

romain. Les Romains alors,

signent un traite de paix avec

eux, et les autorisent à vivre et

s'établir en Europe Centrale, en

Dacie (actuelle Roumanie) et en

Hongrie romaine.

Deux cent ans plus tard toutefois,

et sous la pression des Huns, les

Vandales, qui entre

temps étaient devenus des

cavaliers, ainsi que leurs allies

Sarmates Alains et leurs alliés

germaniques Suèves, furent

obligés de se déplacer vers

l'Ouest pour fuir. Quelques-uns

uns

des Vandales Silings qui s'étaient

installés en Silésie depuis

quelques siècles vinrent les

rejoindre, et toutes ces tribus se

placèrent sous la direction du roi

Vandale Godégisel. La

fédération des tribus dites

Vandales devint ainsi très large,

et durant cette période adopta le

christianisme comme religion. Le

christianisme que les Vandales

adoptèrent toutefois

était l'Arianisme qui était en

opposition avec la doctrine de la

Trinité prônée par Rome. Les

Vandales se déplacèrent ainsi à

l'Ouest en suivant le Danube sans

trop de difficulté et

pénétrèrent en Gaule où les

fédérés francs de l'Empire leur

refusèrent le passage. Les

Francs tuèrent 20000 Vandales

durant ces combats y compris le

roi Godegisel. Toutefois,

grâce à l'aide des Alains, les

Vandales finirent par vaincre les

forces de l'Empire, et

traversèrent le Rhin gelé le 31

décembre 406. Sous la direction

du roi Gundoric, fils de

Godisel, les Vandales

traversèrent alors la Gaule du

nord au sud en pillant les

territoires de

l'Aquitaine.

En octobre de l'an 409, l'alliance

vandale traversa les Pyrénées.

Les Romains les

autorisèrent alors officiellement à

s'installer en Ibérie, et offrirent

aux Alains la Lusitanie

(Portugal), et aux Vandales la

Galice ainsi que la Basse

Espagne (Hispania Baetica). Les

Vandales, ravis d'avoir enfin leur

territoire, et pensant y établir leur

État la baptisent

Wandalus (Terre des Vandales)

qui devient plus tard l'«Andalusia

» arabo-berbère, puis

espagnole. Leur tranquillité fut

de courte durée, et quelques

années plus tard, les

Wisigoths, l'une des deux

grandes tribus Goths (l'autre

étant celle des Ostrogoths),

qu'ils

avaient déjà fuit une fois, se

mirent à envahir la péninsule

Ibérique. En 426 les alliés

Alains

des Vandales se firent

massacrer au nord de la

péninsule et leur roi Addac

trouva la mort

durant cette attaque. C'est alors

que les Alains vont se réfugier au

sud chez les Vandales

hasdings en Wandalus et offrent

leur couronne a ces derniers.

Gunderic, roi des Vandales

accepte alors, se baptisant dès

lors « Rex Wandalorum et

Alanorum » (Roi des Vandales et

des Alains).

Vandales en Afrique du Nord : de

430 à 477

Afin d'organiser une nouvelle

migration face à la déferlante

Wisigoths, le nouveau roi

Genséric, qui succéda à son

demi-frère le roi Gunderic,

comme roi des Vandales et des

Alains, fit construire une énorme

flotte pour faire traverser aux

tribus le détroit de

Gibraltar. C'est ainsi qu'en 429,

plus de 80000 Vandales et

Alains, dont 20000 hommes en

armes, conduits par leur roi

Genséric I, franchissent le détroit

de Gibraltar et débarquent

en Maurétanie. Des l'année

suivante en 430, ces derniers sont

déjà dans l'Ouest algérien.

Les Vandales trouvent sur place

une population favorable aux

thèses chrétiennes qui

rejettent le dogme de la Trinité

romaine et contestent la filiation

divine de Jésus. En effet

les Berbères des riches

campagnes agricoles d'antan, qui

se trouvent être a l'époque en

Page 26: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

26 pleine crise

économique,

laissent le

passage libre à

cette

impressionnante

armée Vandale,

qui semble à leurs

yeux venger le

fait que Rome

vient de déclarer

vingt ans

auparavant (en

409) leurs

croyances

mutuelles comme

des hérésies. En effet le

donatisme qui prévaut au

Maghreb, est similaire, voire plus

extrême dans sa tendance du

refus de l'autorité et des

dogmes de l'Église catholique

que l'arianisme suivi par les

Vandales. L'arianisme étant à

l'origine les enseignements du

prêtre Arius de l'église

d'Alexandrie d'Égypte (l'église

Copte)

qui enseignait que Jésus était un

homme comme tous les autres,

plutôt que le fils de Dieu.

Les Vandales concentrèrent ainsi

leurs attaques sur les villes

côtières sous emprise

romaine, et où l'Église catholique

s'était saisie des églises

donatistes. Ils s'offrent par la

même la complicité morale, voire

le soutien matériel des

populations berbères du Nord de

l'Algérie. Durant l'année 430 les

Vandales traversent ainsi le pays

d'ouest en est, attaquant

les différentes citadelles romaines

ou les prêtres catholiques

nouvellement installés dans

les églises donatistes sont

présents. Le 28 août 430, les

Vandales prennent Hippone

(actuelle Annaba) après un bref

siège de la dernière ville de l'Est

de l'Algérie. En prenant cette

ville, ils auraient tué l'évêque

catholique berbère, saint

Augustin.

Les Vandales commencèrent

ainsi à établir leur autorité sur

toutes les villes du nord de

l'Algérie, envoyant le clergé

catholique en exil à Gafsa dans le

sud tunisien, tuant parfois

certains membres de l'Église

catholique, et dissolvant les

monastères. La population

citadine est sommée de

s'acquitter de la dîme en échange

du droit d'être laissée en paix et

de pouvoir pratiquer le

catholicisme. Les Vandales ne

martyriseront toutefois pas les

catholiques, et comparé à la

façon dont certains prélats

catholiques traitent à ces époques

leurs ouailles récalcitrantes, leur

traitement des catholiques est peu

de choses. Toutefois

pour les apaiser, Rome en 435 les

autorise, une nouvelle fois à

s'établir officiellement sur

un de ses territoires, cette fois-ci,

sur les restes de la Numidie.

Genséric établit la capitale

de son nouvel État alors à Saldae

(Bejaia) qu'il a capturé aux

Romains, et où il fait accoster

les navires vandales qui ont servi

à faire traverser Gibraltar à son

peuple. Genséric fait

alors fortifier sa nouvelle capitale

avant de se lancer dans d'autres

projets d'expansion. Fort

de leur nouvelle puissance, de

leur domination des villes

côtières, et d'une complicité avec

l'intérieur du pays les Vandales

refusent cette fois ci de s'arrêter

en si bon chemin, et

s'attaquent à Carthage en 439,

siège de l'Église catholique

d'Afrique, qu'ils capturent.

Débarrassé de la présence de

l'Église romaine catholique au

Maghreb, le roi Geiséric I des

Vandales commence alors à

construire le royaume des

Vandales et des Alains.

Lançant ses attaques navales à

partir de sa capitale Bejaia,

Genséric s'engage dans la

conquête des grandes îles de la

Méditerranée occidentale. Il

capture rapidement la Sicile,

la Sardaigne, la Corse et les îles

Baléares, grâce à l'immense flotte

navale qu'il avait fait

construire quelques années plus

tôt. Rome, face à ces nouvelles

pressions militaires

Vandales, offrit un accord de

paix à Genséric en échange du

retour de la Sicile dans le giron

de l'Empire. Devenu plus

pragmatique que religieux avec

tant de nouvelles dominions,

Genséric informe en l'an 442,

Valentinien III, empereur romain

d'Occident qu'il accepte

l'offre et restitue la Sicile à

Rome.

Le répit que Genséric offre aux

Romains n'est toutefois que de

courte durée. En 455, ce

dernier se lance dans des

opérations contre l'Empire

romain occidental, et, le 2 juin,

ses

armées pénètrent à Rome. Les

Vandales repartent avec de riches

prises, dont des plusieurs

coffres d'or, des vestiges du

temple de Jérusalem, ainsi que

l'impératrice Licina Eudoxia.

Celle-ci refuse de retourner à

Rome, et épouse Genséric pour

devenir la mère du futur roi

des Vandales : Hunéric. Les deux

filles de l'impératrice, Eudocia et

Placidia, également

prises durant le sac de Rome,

sont libérées en 462 contre une

Page 27: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

27 forte rançon payée par

l'empereur byzantin Léon I.

C'est ce pillage de Rome « ville

éternelle », qui est principalement

reproché aux Vandales

pour créer leur mauvaise

réputation, bien que ce pillage ait

été exécuté en bon ordre, sans

aucun sévice contre la

population[réf. nécessaire]. Alors

que le sac de Rome, beaucoup

plus

brutal par les Wisigoths en 410

ne fut pas retenu contre eux.

Dès leur installation en Algérie

ces cavaliers, deviennent des

marins, grâce d'abord à

l'importante flotte construite par

Geiséric qui leur permit de

traverser le détroit de

Gibraltar et de s'y installer. Les

Vandales peuvent dès lors se

permettre de multiplier les

expéditions dans toute la

Méditerranée, jusqu'en Grèce.

Mais leur pillage de Rome est un

modèle de spoliation méthodique,

sans violence gratuite. Ils

garantissent en effet le respect

de la population en échange du

prélèvement des richesses dans

chaque quartier de la ville,

privé de défense. À cet effet, ils

divisent Rome en îlots,

déménageant les trésors de

chaque

îlot en bon ordre et sans verser de

sang. Mais pour les clercs

catholiques médiévaux, Rome

est le centre du Monde. Aussi

transforment-ils pour la postérité

ce pillage en sacrilège, faisant

aux Vandales une réputation de

barbarie. D'où le terme de

vandalisme, alors que les

Vandales ne sont pas plus

barbares que les autres peuples de

cette époque rude et

guerrière. En 468, les Byzantins

envoient une énorme flotte pour

attaquer le royaume des

Vandales, mais ces derniers

réussissent à la détruire presque

entièrement et remportent

ainsi une nouvelle victoire.

Vandales en Algérie (477-

533)À la mort de Genséric Ier,

fondateur du royaume en 477 qui

régna près d'un demi-siècle sur

son peuple, les Vandales

commencent leur déclin. Son fils

Huneric qui prend la succession

exerce des pressions sur les

catholiques, particulièrement

durant les derniers mois de son

règne en 483 et 484 où il interdit

carrément la pratique du

catholicisme. Gunthamund qui

lui succède en 484 revient sur les

décisions de son prédécesseur et

autorise les Catholiques

à pratiquer librement en échange

de la traditionnelle dîme.

Toutefois son règne est marqué

par une perte d'influence pour les

Vandales, qui perdent des

territoires en Méditerranée et

qui se font attaquer par certaines

tribus berbères qui n'apprécient

plus leur présence.

Thrasamund lui succède en 496

et règne jusqu'en 523 sans

pouvoir pour autant remettre

sur pied le royaume.

Hilderic arriva au pouvoir en l'an

523, mais se désintéressait tant de

la guerre lui-même,

qu'il laissa son général Hoamer

s'en charger. Ce dernier perd une

bataille contre des tribus

de l'intérieur du pays en 530, et

cela provoque une lutte de

pouvoir au sein de la famille

royale. Gélimer s'empare alors du

pouvoir et jette le roi Hilderic et

son général Hoamer en

prison.

Trois ans plus tard, l'empereur

byzantin Justinien Ier profite du

fait que la majorité de la

flotte vandale soit en Sardaigne

occupée à réprimer une rébellion,

pour déclarer la guerre à

ces derniers. Il envoie le brillant

général Bélisaire au combat. Le

13 septembre 533, 11000

Vandales sous le commandement

de leur roi Gélimer firent face

aux 17000 hommes de

l'armée de Byzance à la bataille

de Ad Decimium. Les Vandales

perdirent la bataille et

Carthage tomba aux mains des

Byzantins. Un mois plus tard,

c'était au tour de la première

ville du Maghreb central d'être

perdue par les Vandales aux

Byzantins. Le 15 décembre 533

les Vandales et les Byzantins

s'affrontèrent de nouveau à 30

kilomètres de Carthage et les

Vandales perdirent de nouveau la

bataille. Les Byzantins

s'emparèrent alors de Hippone

(Annaba). Les Vandales ne sont

plus les mêmes. Habitués au

confort, voire au luxe, ils ont

peu à peu perdu leur qualité

guerrière, et la célèbre cavalerie

vandale, autrefois tant

redoutée, est en grande partie

détruite. Gélimer parvient à

s'enfuir tandis que les

survivants vandales, mis en

esclavage, sont en grande partie

déportés, tandis que quelques

milliers sont enrôlés de force

dans les armées de l'Empire. En

534, Gélimer, se rendit à

Belisarius, et remit le royaume à

l'Empire byzantin. Gelimer fut

envoyé à Byzance et finit

ses jours en Galatie. Ce fut la fin

du royaume des Vandales et des

Alains.

Les Vandales survivants qui

échappent à la capture

parviennent à trouver refuge dans

l'intérieur du pays, chez des

tribus berbères alliées (surtout

dans les hauteurs

constantinoises), tandis qu'une

répression terrible frappe les Juifs

dont une partie émigre

avec eux dans l'intérieur. Ces

Juifs y propagent alors leur

religion parmi les tribus

montagnardes et sahariennes

ainsi que parmi les derniers

Vandales.

A SUIVRE ... Domination

byzantine (534- 647)

Page 28: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

28

Israël, en marche vers le fascisme ? Par Hassane Zerrouky

En janvier dernier, Gidéon Levy, éditorialiste

d’Haaretz (quotidien de gauche israélien),

caractérisait l’année 2015 comme l’annonce du

«début d’un fascisme israélien désormais dénué du

moindre faux semblant». Année au cours de laquelle

ont été recensés plus de 120 actes de violence raciste

perpétrés par des groupes d’extrême droite politico-

religieux envers les civils palestiniens. Pour le

cinéaste israélien Avi Mograbi, Israël est un Etat

«nationaliste, xénophobe et fasciste» (sur France

Culture le 17 mars dernier).

Le 4 mai dernier, le chef d’état-major adjoint de

l’armée israélienne, le général Yaïr Golan, osait la

comparaison avec l’Allemagne hitlérienne : «Une

chose m’effraie. C’est de relever les processus

nauséabonds qui se sont déroulés en Europe en

général et plus particulièrement en Allemagne, il y a

70, 80 et 90 ans. Et de voir des signes de cela parmi

nous en cette année 2016.» Son propos a provoqué un

torrent d’indignation, comme si la société israélienne

était prémunie contre le fascisme parce que plusieurs

millions de juifs ont été gazés par les nazis allemands.

En 2014, dans le Haaretz daté du 10 mai, le romancier

Amos Oz alertait déjà sur des mouvements

extrémistes juifs qualifiés de «néo-nazis» qui

«bénéficient d’un soutien de nombre de nationalistes

et même de législateurs racistes, ainsi que de rabbins

qui leur fournissent, de mon point de vue, une

justification pseudo-religieuse». Un mois après, sur le

site de l'Union juive française pour la paix (UJFP), le

militant pacifiste franco-israélien Michel

Warschawski relevait qu’«Israël 2014 n’est plus

seulement un Etat colonial qui occupe et réprime les

Palestiniens, mais aussi un Etat fasciste, avec un

ennemi intérieur contre lequel il y a de la haine ».

Depuis, les choses sont allées en s’aggravant car ces

dérives, qui inquiètent des intellectuels israéliens et

une bonne partie de la société civile israélienne, ne

sont pas des actes isolés, 11 000 attaques contre des

Palestiniens ayant été recensées entre 2004 et 2014.

C’est, ajoutait Warschawski, «le résultat d’une

fascisation du discours politique et des actes qu’il

engendre».

Un discours rarement évoqué, sinon minimisé, en

France et en Europe sous prétexte de ne pas alimenter

l’antisémitisme, alors que par ailleurs le moindre

propos jugé antisémite tenu par un leader palestinien

est vite médiatisé. Elles sont également encouragées

par le fait que 85% des plaintes palestiniennes contre

les actes de violence raciste sont classées sans suite

par la justice israélienne (dixit l’ONG israélienne de

défense des droits de l’Homme, Yesh Din, citée par la

RTBF (Radiotélévision belge). Ces violences sont le

fait de groupes organisés identifiés – «les jeunes des

collines», «le prix à payer», «la Ligue de défense

juive» de Meir Kahane qui avait projeté de faire

exploser l’esplanade des mosquées de Jérusalem, et de

supporters du club de football du Beitar de Jérusalem,

affirmant la «suprématie juive» !

Plus grave, ces propos racistes sont tenus au plus haut

niveau du pouvoir israélien. A commencer par le vice-

ministre de la Défense, le rabbin Eli Ben-Dahan, pour

qui «les Palestiniens sont des animaux. Ils ne sont pas

humains, ils ne sont pas autorisés à vivre» (Le Haaretz

du 10 mai 2015). Ou par la ministre de la Justice,

Ayelet Shaked, qui écrivait le 30 juin 2014 sur sa

page Facebook : «Derrière chaque terroriste, il y a des

dizaines d’hommes et de femmes sans lesquels aucun

acte terroriste ne peut se faire (…) Elles devraient

disparaître, tout comme les foyers dans lesquels elles

ont élevé les serpents. Sans quoi d'autres petits

serpents y seront élevés à leur tour», avant d’ajouter à

l’intention des soldats israéliens : «leur sang (celui des

civils palestiniens) ne doit pas être sur votre

conscience» ( Mediapart du 15 mai 2015).

Propos en droite ligne de ceux tenus par le passé :

«Les Palestiniens devraient être écrasés comme des

sauterelles... leurs têtes fracassées contre des rochers

et des murs», déclarait en 1988 l’ex-Premier ministre

israélien Yitzhak Shamir (New York Times 1er avril

1988). Vingt ans auparavant, en 1948, le chef de la

diplomatie israélienne Moshe Sharett, s’exprimant sur

ces centaines de milliers de Palestiniens chassés de

leurs villages, affirmait que «la majorité» d’entre eux

«deviendra un rebut du genre humain et se fondra

dans les couches les plus pauvres du monde arabe»

(l’Humanité du 14 mai 2008).

Un «rebut du genre humain» ? Quoi d’étonnant dès

lors que des enfants palestiniens soient tués chaque

jour qui passe ou que le soldat franco-israélien, Elor

Azaria, qui comparait en prévenu libre depuis lundi

devant un tribunal de Jaffa pour avoir achevé le 24

mars dernier d’une balle dans la tête un jeune

Palestinien soit salué comme un héros par une bonne

partie de la société israélienne.

H. Z.

Page 29: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

29 L'antisémitisme, arme d'intimidation massive L'antisionisme a beau se définir comme un refus raisonné du sionisme, l'admettre comme tel serait encore faire un

compromis avec l’inacceptable. Empreint d’une causalité diabolique, l’antisionisme est moralement disqualifié, mis

hors jeu en vertu de l’anathème qui le frappe.

Dans un monde où le

ressassement médiatique tient

lieu de preuve irréfutable,

certains mots sont des mots-

valises, des signifiants

interchangeables dont l’usage

codifié à l’avance est propice à

toutes les manipulations. De

perpétuels glissements de sens

autorisant le passage insidieux

d’un terme à l’autre, rien ne

s’oppose à l’inversion maligne

par laquelle le bourreau se fait

victime, la victime se fait

bourreau, et l'antisionisme

devient un antisémitisme, comme

l'a affirmé Manuel Valls, premier

chef de gouvernement français à

avoir proféré une telle insulte. Au

moment où « l’intifada des

couteaux », en outre, est

renvoyée par certains à la haine

ancestrale pour les juifs, il n'est

pas inutile de se demander

pourquoi cette assimilation

classique et néanmoins

frauduleuse occupe une fonction

essentielle dans le discours

dominant.

Depuis soixante-dix ans, tout se

passe comme si l’invisible

remords de l’holocauste

garantissait à l’entreprise sioniste

une impunité absolue. Avec la

création de l’Etat hébreu,

l’Europe se délivrait

miraculeusement de ses démons

séculaires. Elle s’octroyait un

exutoire au sentiment de

culpabilité qui la rongeait

secrètement pour ses turpitudes

antisémites. Portant sur ses

épaules la responsabilité du

massacre des juifs, elle cherchait

le moyen de se débarrasser à tout

prix de ce fardeau.

L'aboutissement du projet

sioniste lui offrit cette chance.

En applaudissant à la création de

l’État juif, l'Europe se lavait de

ses fautes. Simultanément, elle

offrait au sionisme l'opportunité

d’achever la conquête de la

Palestine.Ce rachat par

procuration de la conscience

européenne, Israël s’y prêta

doublement. Il reporta d'abord sa

violence vengeresse sur un

peuple innocent de ses

souffrances, puis il offrit à

l’Occident les avantages d'une

alliance dont il fut payé en retour.

L’un et l’autre liaient ainsi leur

destin par un pacte néo-colonial.

Le triomphe de l’Etat hébreu

soulageait la conscience

européenne, tout en lui procurant

le spectacle narcissique d’une

victoire sur les barbares. Unis

pour le meilleur et pour le pire,

ils s’accordaient mutuellement

l’absolution sur le dos du monde

arabe en lui transférant le poids

Page 30: OpinionsDZ DU 12 AU 18_JUIN 2016

30 des persécutions antisémites. En

vertu d’une convention tacite,

Israël pardonnait à l’Europe sa

passivité face au génocide, et

l'Europe lui laissait les mains

libres en Palestine.

Son statut exceptionnel, Israël le

doit à ce transfert de dette par

lequel l'Occident s'est défaussé de

ses responsabilités sur un tiers.

Parce qu'il fut l'antidote au mal

absolu, qu'il plongeait ses racines

dans l'enfer des crimes nazis,

Israël ne pouvait être que

l'incarnation du bien. Mieux

encore qu'une sacralité biblique

aux références douteuses, c'est

cette sacralité historique qui

justifie l'immunité d'Israël dans la

conscience européenne. En y

adhérant implicitement, les

puissances occidentales

l'inscrivent dans l'ordre

international. Le résultat est

indéniable : avalisée par les

maîtres du monde, la profession

de foi sioniste devient loi d'airain

planétaire.

L’invocation du sacré

démonisant toujours son

contraire, cette sacralité d'Israël

ôte alors toute légitimité aux

oppositions qu’il suscite.

Toujours suspecte, la réprobation

d'Israël frôle la profanation.

Contester l’entreprise sioniste est

le blasphème par excellence, car

c'est porter atteinte à ce qui est

inviolable pour la conscience

européenne. C'est pourquoi le

déni de légitimité morale opposé

à l’antisionisme repose sur un

postulat simplissime dont

l’efficacité ne faiblit pas avec

l’usage : l’antisionisme est un

antisémitisme. Combattre Israël,

ce serait, par essence, haïr les

juifs, être animé du désir de

rejouer la Shoah, rêver les yeux

ouverts de réitérer l’holocauste.

L'antisionisme a beau se définir

comme un refus raisonné du

sionisme, l'admettre comme tel

serait encore faire un compromis

avec l’inacceptable. Empreint

d’une causalité diabolique,

l’antisionisme est moralement

disqualifié, mis hors jeu en vertu

de l’anathème qui le frappe. On a

beau rappeler que la Palestine

n'est pas la propriété d'une ethnie

ou d'une confession, que la

résistance palestinienne n'a

aucune connotation raciale, que

le refus du sionisme est fondé sur

le droit des peuples à

l'autodétermination, ces

arguments rationnels n'ont

aucune chance d'être entendus.

L'antisionisme s'inscrit depuis un

siècle dans le champ politique,

mais il se voit constamment

opposer une forme d'irrationalité

qui n'a décidément rien de

politique.

L'assimilation frauduleuse de

l'antisémitisme et de

l'antisionisme, il est vrai, procure

deux avantages symboliques. Le

premier est à usage interne. Cette

assimilation limite drastiquement

la liberté d’expression, elle

tétanise toute pensée non

conforme en l’inhibant à la

source. Elle génère une

autocensure qui, sur fond de

culpabilité inconsciente, impose

par intimidation, ou suggère par

prudence, un mutisme de bon aloi

sur les exactions israéliennes.

Mais cette assimilation

mensongère est aussi à usage

externe. Elle vise alors à

disqualifier l’opposition politique

et militaire à l’occupation

sioniste. Cible privilégiée de cet

amalgame, la résistance arabe se

voit renvoyée à la haine supposée

ancestrale qu'éprouveraient les

musulmans pour les juifs.

Ce qui anime les combattants

arabes relèverait d'une répulsion

instinctive pour une race maudite,

et non d'une aspiration légitime à

la fin de l’occupation étrangère.

La chaîne des assimilations

abusives, en dernière instance,

conduit à l’argument éculé qui

constitue l’ultime ressort de la

doxa : la "reductio ad hitlerum",

la souillure morale par

nazification symbolique, dernier

degré d’une calomnie dont il

reste toujours quelque chose.

Terroriste parce qu’antisioniste,

antisioniste parce qu’antisémite,

la résistance arabe cumulerait

donc les infamies.

Les attaques au couteau ne

seraient pas l'effet explosif d'une

humiliation collective, dit-on,

mais le fruit de la haine

inextinguible pour les juifs. Seule

force qui ne cède pas devant les

exigences de l'occupant, la

résistance, pour prix de son

courage, subira alors le tir croisé

des accusations occidentales et

des brutalités sionistes. Et comme

si la supériorité militaire de

l'occupant ne suffisait pas, il faut

encore qu'il se targue d'une

supériorité morale dont ses

crimes coloniaux, pourtant,

attestent l'inanité.