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Oppositions managériales Le Japon face aux Etats-Unis - LEFEVRE Jonathan - M2 IESC - Université d'Angers

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Dans l’ensemble des sociétés contemporaines actuelles, la culture japonaise, malgré son intégration dans la mondialisation et une absorption inéluctable d’une « culture mondiale » liée à la communication et aux produits de grandes multinationales, semble porter en elle une vraie singularité. Un peu à la manière des autres pays asiatiques dont la culture japonaise s’est largement inspirée, le pays en lui-même fait figure de nation qui a su lié modernité et traditions ancestrales. Cette culture singulière, ainsi que le mode de management spécifique qui régit les entreprises de l’archipel en fait un pays tout à fait intéressant à confronter aux Etats Unis dans le cadre d’une analyse inspirée de Pascal Picq.

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UNIVERSITE D’ANGERS

Master « Intelligence Economique et Stratégies compétitives »

http://www.master-iesc-angers.com/

http://audac-ie.blogspot.com/

OPOSITIONS MANAGERIALES :

LE JAPON FACE AUX USA

LEFEVRE Jonathan, Master 2 Intelligence Economique et Stratégies Compétitives

UFR Angers Saint-Serge Promotion 2011-2012

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LEFEVRE Jonathan, Master 2 Intelligence Economique et Stratégies Compétitives, UFR Angers Saint-Serge

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Economie de la connaissance

Question d’analyse

Dans l’ensemble des sociétés contemporaines actuelles, la culture japonaise, malgré son intégration dans la

mondialisation et une absorption inéluctable d’une « culture mondiale » liée à la communication et aux produits de

grandes multinationales, semble porter en elle une vraie singularité. Un peu à la manière des autres pays asiatiques

dont la culture japonaise s’est largement inspirée, le pays en lui-même fait figure de nation qui a su lié modernité et

traditions ancestrales. Cette culture singulière, ainsi que le mode de management spécifique qui régit les entreprises

de l’archipel en fait un pays tout à fait intéressant à confronter aux Etats Unis dans le cadre d’une analyse inspirée de

Pascal Picq.

Les 3 principales oppositions entre mode de management US et japonais

Tableau 1 : Adaptation des formes de management à la double mutation de l’économie mondiale

Management USA Management japonais Processus décisionnel court-termiste Processus décisionnel long car recherche

du consensus

Activités innovantes avec ROI à moyen terme pour le plus long

Stratégie de long terme

Management par les profits Management par la qualité

Source : PICQ P [2011] Un paléoanthropologue dans l’entreprises : s’adapter et innover pour survivre, Editions Eyrolles, p 139

Expliquer les divergences entre les deux modes de management pour s’adapter à une

économie de la connaissance mondialisée.

La structure de l’économie japonaise peut se dessiner en réalisant deux catégories d’entreprises : les grandes

multinationales qui représentent les opportunités d’embauches les plus attractives pour les étudiants, débauchés en

fin d’études par les entreprises même sur des critères d’excellence académique. Cela signifie plusieurs choses pour

l’étudiant japonais : il doit anticiper des années à l’avance les filières à forts débouchés, il n’a pas droit à l’erreur car

manquer sa première entrée sur le marché du travail japonais, c’est connaître des débuts très laborieux et passer

par une phase durant laquelle il sera mal vu par la société dans son ensemble. Enfin, troisième facteur déterminant :

cette première embauche dans un grand groupe signifie sécurité suprême de l’emploi, le salarié japonais travaillera

généralement dans la même firme pendant des décennies (emploi à vie). Une réalité qui s’effrite mais qui reste

globalement vraie. Autre catégorie d’entreprises : des PME de grande taille (comparé à nos PME françaises) qui

présentent comme problème d’être managé par des anciens de grands groupes avec beaucoup d’expérience à leur

actif, les postes à responsabilité sont déjà remplis et une force de travail fraîche débarquant de l’université diplôme

en poche ne trouvera aucun travail à la hauteur de leurs compétences. Pour être bref, le Japon compose avec un

système très sélectif et relativement sectaire, qui produit certes l’excellence mais condamne également une large

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proportion de jeune. Nous verrons dans la deuxième question les problèmes induits par la réalité du recrutement de

début de carrière à la japonaise, qui comparé au modèle américain, s’en trouve largement rigidifié.

En termes d’importance de secteurs économiques, la situation japonaise paraît un poil plus équilibrée que celle des

USA, car si la prédominance de la société de services (secteur tertiaire) est avérée, le Japon se dote d’un appareil

industriel plus fort que celui des Etats Unis (toutes proportions gardées), idem avec un secteur primaire plus fort

malgré un large recours (forcé) à l’importation. La vision de long terme à la japonaise se fait sur la base

d’anticipations, de prospective sur ce que sera le monde dans quinze voir trente ans. A l’appui une citation et deux

exemples : « il s’agit de définir une cible à 10 ou 15 ans, à mi-chemin entre le rêve et le possible, qui va fédérer les

actions ; cela aide à négliger des petits obstacles et à construire des ruptures. », les deux exemples revêtent deux

réalités différentes. Le premier concerne l’industrie de l’automobile, très présente au Japon et si elle ne diffère guère

de l’industrie occidentale dans la mesure où l’innovation se réalise de manière incrémentale, la technologie de

moteur hybride mise au point par Toyota a fait ses émules et s’est révélée être une innovation de «semi » rupture

comparativement à des apports technologiques mineurs sur les moteurs à explosion occidentaux. L’autre exemple,

c’est la robotique qui est la spécialité japonaise, la robotique dans ce qu’elle a de plus « humanoïde » correspondrait

à une vision du siècle prochain bien que les applications concrètes sont bien existantes actuellement, à travers ces

deux seuls exemples, on remarque que le Japon tend naturellement vers une vision d’avant-garde, quitte à voir très

loin. Cette vision n’est pas si étendue aux Etats Unis et n’a guère d’impact sur le processus décisionnel même si le

pays est un des plus innovants au monde, il y’a plus d’immédiateté dans l’expectative du retour sur investissements

et là se dessine une des différences structurelles entre Etats Unis où on parle de « management par les profits » et

au Japon de « Management par la qualité ».

Une manière d’estimer l’intégration d’un pays dans l’économie de la connaissance est de juger sa capacité

d’innovation, qui comme le dit Dominique Foray, est réellement au centre du secteur quaternaire. Et si on utilise le

nombre de dépôts de brevet comme indicateur de la capacité d’innovations, le Japon et les USA font clairement

course en tête.

Processus de décision « bottom up » ou ascendant (ringi sho), par d’un collectif à un certain niveau de la hiérarchie

pour remonter vers le comité de direction. Ce processus se réalise sur la base du consensus, un processus auquel

chaque employé participe qui de ce fait, crée un sentiment d’appartenance et de réelle influence sur les choix

réalisés par l’entreprise, quelque chose qui n’est pas forcément la norme dans les entreprises occidentales où le

sentiment que toutes les décisions importantes sont prises dans les hautes sphères. Le processus de décision

japonais a pour inconvénient d’être long malgré tous ses avantages, quand le court terme caractérise bien souvent

l’équivalent occidental.

Avantages Inconvénients

Emploi à vie (sécurité de l’emploi, privilèges spéciaux, confort financier)

Toute puissance du PDG Processus décisionnel trop long

Vision de long terme très ancrée Processus décisionnel impliquant le salarié, recherche du consensus et fonctionnement « bottom-up »

Carrières généralistes incompatibles avec la division cognitive du travail Peu de contrôle interne et externe des entreprises

Carrières non spécialisées (danger de l’hyperspécialisation)

Désagrégation de l’emploi à vie/ promotion au mérite gagne du chemin

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Tableau 2 : Différences de culture entre pays pour analyser l’information

Culture américaine Culture japonaise

Diversité des expériences professionnelles Dogme de l’emploi unique

Diversité ethnique Un Japon socialement replié sur lui même : un melting pot très limité

Culture orientée vers la créativité et l’innovation Culture très académique, orientée vers la conformité, société disciplinée

Source : PICQ P [2011] Un paléoanthropologue dans l’entreprises : s’adapter et innover pour survivre, Editions Eyrolles, p 139

Les 3 principales oppositions entre la culture américaine et la culture japonais, explicatives des divergences d’approche en management

La culture nationale vous semble être aujourd’hui un élément clef ou secondaire pour construire

un mode de management efficace dans une économie mondialisée ?

Aux USA, le fameux melting Pot semble faire son œuvre avec une diversité ethnique dans les grands établissements

d’études supérieurs comme ceux de l’Ivy League. S’il existe malgré tout une culture de l’excellence, créant

mécaniquement une certaine forme de « caste », l’effet semble moins fort qu’en France car aux USA, la diversité

socio culturelle des dites « élites » a un aspect plus positif que le formatage français dans leur production. Au Japon,

il y’a comparativement très peu de mixité ethnique, les japonais restent globalement assez introvertis et même s’ils

accueillent l’étranger- touriste avec politesse, l’expatrié quant à lui devra rivaliser d’efforts pour s’intégrer, le mot

« gaijin » désigne très péjorativement l’étranger… ainsi, on trouvera rarement un étudiant étranger dans une

université japonaise à proprement parler.

La notion de hiérarchie, omniprésente en management, a un goût particulier au Japon alors qu’elle semble avoir plus

un rôle « formalisateur » dans les modèles de management occidentaux. Cette hiérarchie respectée fait été d’un fort

lien de solidarité de la population japonaise, une solidarité saluée lors d’évènements désastreux arrivés au pays (=le

récent incident nucléaire), la finalité de ce lien : maintenir l’ordre et la paix sociale, il est fait état de trois principes

du bouddhisme Zen qui vont avoir une influence sur le mode de management : le mu-jo, le mu-shotoku et le hishi-

ryo. La citation suivante permet de saisir l’essence de ces notions : « Le premier principe se rapporte à

l’impermanence des choses et favorise l’adaptation sociétale face aux changements externes. Le mu-shotoku

représente l’esprit de non profit des choses qui procure aux Japonais une vision à long terme du profit. Enfin, le hishi-

ryo constitue la conscience globale qui donne aux gens une vision plus globale de leurs apports et de leur position au

sein d’une société, d’un tout cohérent et fonctionnel. » 1

La culture japonaise a, nous l’avons vu, influencé de manière assez large le modèle de management national et c’est

en partie grâce à sa vision du management d’équipe au 20ème siècle que le Japon à su s’imposer sur la scène

économique mondiale, reconnu pour la qualité de ses technologies et la solidité des firmes de son territoire. Si le

modèle managérial a permis de promouvoir l’innovation avec une force très vive en matière de dépôt de brevets, le

1 Béland Guillaume & al., Le management et le processus décisionnel au Japon, Les fondements du management international,

http://www.scribd.com/doc/14942556/Management-Japonais

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modèle semble à bout de souffle pour plusieurs raisons : l’environnement économique mondial se complexifie en

termes de savoirs et de multiplicité des acteurs, avec beaucoup de nouveaux entrants, l’excès de compétition qu i en

ressort demande de savoir prendre des décisions rapidement, ce que le modèle managérial japonais ne permet pas à

cause de la recherche permanente du consensus. Pendant qu’une décision subit sa longue phase d’analyse, une

information nouvelle peut rendre le tout complètement caduque. Cela ne signifie pas pour autant que prise de

décision rapide rime avec une prise de décision individuelle, il est toujours possible de mobiliser des équipes. Autre

élément, le modèle d’emploi à vie semble fortement menacé, une jeunesse japonaise conséquente qui n’a pas eu la

chance d’être sélectionné à l’université se forme et la ségrégation sociale crée des comportements adverses à la

culture, disciplinaire et socialement ordonnée. De plus, l’incertitude grandissante sur les marchés de l’emploi de tous

pays rend ce modèle difficilement viable à long terme. Cela nous renvoie à l’aspect très académique de l’éducation

japonaise, qui comme en Chine, et dans une moindre mesure en France, en faisant la promotion du conformisme et

du lissage des parcours d’étude engageant vers « réussite donnée d’avance », ne permet pas la pluralité et

l’hétérogénéité des bagages éducatifs, et encore moins l’esprit de créativité, le type d’intelligence qui a pourtant le

plus de succès en entreprise. Le conformisme français, à travers un culte non dissimulé de l’élitisme transpire à

travers ce chapeau d’article :

« Il a suffi de deux lycées pour remplir la moitié des 400 places mises au concours 2011 de Polytechnique. Le

parisien Louis-le-Grand et le versaillais Sainte-Geneviève se partagent l'école la plus prisée de France. Cette «

parisianisation » de la fabrique des élites s'accélère. »2

Difficile donc de répondre à la question si la culture est un élément clé ou non dans la construction d’un mode

managérial, on sent néanmoins que cette culture a eu bien plus d’influence au Japon que dans les pays

occidentaux. Par contre, cette influence a un caractère fort dithyrambique dans la mesure où cette culture peut

amener des éléments positifs ou négatifs dans le management au vu de l’économie de la connaissance. La Japon

adopte une vision globale des choses, avec une notion omniprésente de long terme, qui trouve sa compatibilité

avec une économie de la connaissance. A l’inverse, cette influence apportée à la vitesse de la prise de décision ne

semble pas aller dans le bon sens, car les entreprises japonaises, aussi compétitives soient elles actuellement, ne

seront pas armés dans un environnement concurrentiel qui se densifie et ne sauraient être en mesure de

répondre aux attaques, une chose à laquelle les américains semblent plus prêts à faire face grâce à la dimension

« théorie du conspirateur » qui les rend plus aptes à réagir aux menaces sur les marchés internationaux, voire

mieux : être proactifs.

2 Baumard Maryline, Ces lycées qui monopolisent la fabrique des élites, Le Monde, le 13 Octobre 2011,

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Comment à partir de la culture du Japon, est-il possible d’envisager d’améliorer le mode de

management français pour s’adapter à la concurrence mondiale ?

Il est plus intéressant d’envisager la question dans la dimension française, en reprenant les éléments vus pour le

Japon et les USA. Avant toutes choses, il est possible de faire référence à la théorie Z des entreprises qui a été

élaborée dès les années 80 et qui va former peu après une sorte d’hybride entre management américain et

japonais qui se sont livrés l’un et l’autre leurs apports respectifs. Cette théorie Z comprend une dizaine de

principes comme la reconnaissance du droit à l’erreur, réduction du turn-over (favoriser la mobilité interne des

salariés), dimension participative, et autres. 3

Si le modèle de management japonais a plus retenu notre attention ici comparativement au modèle US, notamment

en raison de sa singularité, les quelques comparaisons que nous avons mises en avant nous permettent de réaliser

une approche méliorative du mode de management français. Au Japon, comme au Japon, et aussi en France, le

mythe de l’excellence académique a toujours et encore la dent dure, et est peu propice à promouvoir l’activité et

l’esprit d’entreprenariat. Pourtant, le Japon montre un paradoxe troublant dans la mesure où le pays est l’un des

plus actifs sur le plan de l’innovation et il est un pays incontournable pour certains biens dans lequel il s’est fait le

pionnier : semi conducteurs, appareils photo, automobile, instruments de musique, etc. Ainsi, l’orientation évidente

vers l’intelligence académique ne semble pas nuire à la capacité d’innovation japonaise, certains aspects du mode de

management sont peut être des facteurs explicatifs de cette réalité. Seulement, le modèle japonais pur ne semble

pas armé devant l’agitation de l’économie mondiale, entre opacité et volatilité des marchés. Devant cette faiblesse,

le modèle US semble mieux loti à l’égard de l’essor de l’économie de la connaissance malgré mais il se doit d’adopter

la prise en compte d’un horizon de long terme car l’entreprise évolue à la fois dans le présent et dans l’expectative

de changements futurs.

En France, nous formons d’excellents techniciens mais qui ne sont pas unis derrière une culture nationale forte

contrairement aux deux pays au centre de notre analyse, ainsi, les étudiants fraîchement émoulus ne se sentent pas

solidaire de la cause nationale et quand l’étranger les attire, ils seront moins tenté qu’un chinois, qu’un japonais ou

un américain d’envisager un retour au pays. On ne refait pas une culture du jour au lendemain, seulement, la France

se doit d’être plus attractive pour conserver les compétences qu’elle crée. Comme le dit Porter dans la théorie des

avantages concurrentiels, la création de ces derniers sera compromise si l’Etat n’est pas en mesure de fournir des

incitations à innover, c’est d’autant plus compliqué si ce même Etat se trouve incapable de conserver les profils et

compétences pointus qu’il crée à grands frais. Il n’existe pas de modèle de management parfait, mais certains se

montrent plus fédérateurs que d’autres et aptes à créer des dynamiques propices à une intégration optimale dans

l’économie de la connaissance.

3 La théorie Z,http://www.performancezoom.com/theoriez.php

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