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« ORIGINES » Choisir la notion d’origine comme thème général de l’édition 2012 des Utopiales de Nantes n’est pas seulement un vigoureux pied de nez aux promesses des Cassandre obscurantistes de tout poil qui nous annoncent la fin du monde pour le mois prochain. Chanter les origines dans la grande nef de la Cité des Congrès de Nantes, ou dans la chapelle des Arts qu’est le Lieu Unique, scène nationale de Nantes, c’est l’affirmation d’un héritage séculaire et, pour tout dire, le rappel d’une identité : ceux de l’enfant « science-fiction ». Né prématuré en Europe, de l’union imprévue de la science et de l’utopie, couvé dans les brumes chaudes de la révolution industrielle, bercé par les heurts sociaux et politiques qu’il a provoqués, et nourri au sein par l’hypothèse scientifique, dont le lait est forcément entier. Après ses premiers pas à l’école scientiste de la ligne claire, et ses jeux de stratégie narrative pendant les récréations, sa jeunesse s’est formée par les voyages extraordinaires, outre-Atlantique et outre-espace, avec quelques notables classes d’été au sein de la virevoltante compagnie des pulps. Baccalauréat en poche, mention « suspension d’incrédulité », la science-fiction s’est inscrite à l’université d’Erewhon, où elle a suivi les cours du professeur Fredric Kindred Kuhn sur les révolutions scientifiques et celui de Robert Isaac Clarke sur les effets spatio-temporels de la relativité, avec toutefois une assiduité qu’il faut bien qualifier de discutable, et une attention pour le moins flottante. Puis, c’est la période la plus fructueuse, mais aussi la plus confuse, de son existence, où s’est affirmé son goût pour la démesure : psychotropes, pouvoir des fleurs, ultraviolence, pornographie politique et partouzes sémantiques, elle a tout testé. Mais, contre toute attente, elle n’est pas devenue adulte, ni bru. Pas de dot. Toujours en union libre. La voilà, à quelque cent cinquante ans, toujours sexy, vaguement insécure, bravache malgré les rides au coin des yeux et le sel renversé, ici et là, sur ses cheveux. Vous l’avez peut-être vue en venant, survolant Nantes en ballon ou explorant la vieille ville à dos d’éléphant. Elle est de retour dans sa ville d’origine et elle est rentrée, en même temps que vous, dans la Cité des Congrès. Mais si. Levez les yeux, regardez discrètement à votre droite, à votre gauche, en feignant de réfléchir. Là ! Vous l’avez vue, n’est-ce pas ? Sur l’estrade chatoyante de l’espace Shayol, en train de disserter. Dans la pénombre du cabaret de Mme Spock, alanguie sur les fauteuils rouges, absinthe à la main. Là ! Elle repositionne amoureusement les panneaux de l’exposition Amazing Science, manipule le laser avec Curiosity ou entame un pas de deux avec Nao et, avant que vous n’ayez pu accommoder, elle saute déjà sur l’Androïde qui écrivait, bien déterminée à l’entraîner jusqu’au cœur de la Singularité. Après, forcément, elle ira taquiner les Wonder Women, et chatouiller les Super- Héros. Et, gamine des rues, telle Zora la Rousse, elle fait des bulles merveilleuses, qu’elle laisse traîner dans son Sillage. Elle a mille Alter-Ego avec lesquels elle vous mystifie. Masquée, elle caracole et se relit, vaniteuse, par-dessus votre épaule, en grignotant un petit biscuit Lu. Pour la saisir, cher lecteur, l’enlacer, chère lectrice, il vous faut de la méthode. Et ça tombe bien, le Manuel que vous avez entre les mains, va vous y aider. Les chapitres qui suivent ont été écrits par les meilleurs spécialistes. Oh, ils ne l’ont pas fait pour vos beaux yeux. Il a fallu les y contraindre, ces agités du fond de la classe, punis dès la première heure de cours, et qui ont dû recopier mille, dix mille fois, pendant l’étude, mais sans jamais réussir à s’en convaincre, « je ne dois pas extrapoler ni anticiper avec mes petits camarades pendant le cours ». Finalement, ils s’y sont mis, et ont livré, sans surprise, des trésors d’imagination, des perles de Culture, et des pépites bleues, grosses comme des oranges. À vous de voir, si vous les mangez à pleines dents, ces textes, au risque de jouer pendant des heures avec la pulpe qui vous restera en bouche, et de devoir essuyer d’un revers de réalisme l’épais

"Origines", préface Utopiales 12

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"Origines", préface de l'anthologie Utopiales 12, rédigée par Roland Lehoucq et Ugo Bellagamba

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« ORIGINES »

Choisir la notion d’origine comme thème général de l’édition 2012 des Utopiales de Nantes n’est pas seulement un vigoureux pied de nez aux promesses des Cassandre obscurantistes de tout poil qui nous annoncent la fin du monde pour le mois prochain.

Chanter les origines dans la grande nef de la Cité des Congrès de Nantes, ou dans la chapelle des Arts qu’est le Lieu Unique, scène nationale de Nantes, c’est l’affirmation d’un héritage séculaire et, pour tout dire, le rappel d’une identité : ceux de l’enfant « science-fiction ». Né prématuré en Europe, de l’union imprévue de la science et de l’utopie, couvé dans les brumes chaudes de la révolution industrielle, bercé par les heurts sociaux et politiques qu’il a provoqués, et nourri au sein par l’hypothèse scientifique, dont le lait est forcément entier.

Après ses premiers pas à l’école scientiste de la ligne claire, et ses jeux de stratégie narrative pendant les récréations, sa jeunesse s’est formée par les voyages extraordinaires, outre-Atlantique et outre-espace, avec quelques notables classes d’été au sein de la virevoltante compagnie des pulps. Baccalauréat en poche, mention « suspension d’incrédulité », la science-fiction s’est inscrite à l’université d’Erewhon, où elle a suivi les cours du professeur Fredric Kindred Kuhn sur les révolutions scientifiques et celui de Robert Isaac Clarke sur les effets spatio-temporels de la relativité, avec toutefois une assiduité qu’il faut bien qualifier de discutable, et une attention pour le moins flottante. Puis, c’est la période la plus fructueuse, mais aussi la plus confuse, de son existence, où s’est affirmé son goût pour la démesure : psychotropes, pouvoir des fleurs, ultraviolence, pornographie politique et partouzes sémantiques, elle a tout testé.

Mais, contre toute attente, elle n’est pas devenue adulte, ni bru. Pas de dot. Toujours en union libre. La voilà, à quelque cent cinquante ans, toujours sexy, vaguement insécure, bravache malgré les rides au coin des yeux et le sel renversé, ici et là, sur ses cheveux. Vous l’avez peut-être vue en venant, survolant Nantes en ballon ou explorant la vieille ville à dos d’éléphant. Elle est de retour dans sa ville d’origine et elle est rentrée, en même temps que vous, dans la Cité des Congrès.

Mais si. Levez les yeux, regardez discrètement à votre droite, à votre gauche, en feignant de réfléchir. Là ! Vous l’avez vue, n’est-ce pas ? Sur l’estrade chatoyante de l’espace Shayol, en train de disserter. Dans la pénombre du cabaret de Mme Spock, alanguie sur les fauteuils rouges, absinthe à la main. Là ! Elle repositionne amoureusement les panneaux de l’exposition Amazing Science, manipule le laser avec Curiosity ou entame un pas de deux avec Nao et, avant que vous n’ayez pu accommoder, elle saute déjà sur l’Androïde qui écrivait, bien déterminée à l’entraîner jusqu’au cœur de la Singularité. Après, forcément, elle ira taquiner les Wonder Women, et chatouiller les Super-Héros. Et, gamine des rues, telle Zora la Rousse, elle fait des bulles merveilleuses, qu’elle laisse traîner dans son Sillage. Elle a mille Alter-Ego avec lesquels elle vous mystifie. Masquée, elle caracole et se relit, vaniteuse, par-dessus votre épaule, en grignotant un petit biscuit Lu. Pour la saisir, cher lecteur, l’enlacer, chère lectrice, il vous faut de la méthode.

Et ça tombe bien, le Manuel que vous avez entre les mains, va vous y aider. Les chapitres qui suivent ont été écrits par les meilleurs spécialistes. Oh, ils ne l’ont pas fait pour vos beaux yeux. Il a fallu les y contraindre, ces agités du fond de la classe, punis dès la première heure de cours, et qui ont dû recopier mille, dix mille fois, pendant l’étude, mais sans jamais réussir à s’en convaincre, « je ne dois pas extrapoler ni anticiper avec mes petits camarades pendant le cours ». Finalement, ils s’y sont mis, et ont livré, sans surprise, des trésors d’imagination, des perles de Culture, et des pépites bleues, grosses comme des oranges.

À vous de voir, si vous les mangez à pleines dents, ces textes, au risque de jouer pendant des heures avec la pulpe qui vous restera en bouche, et de devoir essuyer d’un revers de réalisme l’épais

jus d’idées qui vous a coulé du bec, ou si vous les sucez, ces histoires, une par une, discrètement, en les laissant fondre doucement sous la langue. Franchement, on ne s’en mêlera pas et on ne vous demandera pas des comptes à la sortie. Ah, et la maison ne fait pas crédit, ou seulement à Tau Zéro. L’important c’est que vous tenez là une anthologie, servie par les meilleures plumes auxquelles, il faut le rappeler, nulle contrainte thématique n’a été imposée. Car, comment rendre hommage aux origines de la science-fiction, et à celles du festival des Utopiales, si ce n’est en laissant leurs rejetons libres de crier leur force, leur identité, leur envie de vivre et partager le monde avec tous les autres enfants des étoiles ? C’est dans la cour de récréation, plus que dans la classe, que tout se crée et se transforme. C’est par l’euphorie du jeu que les idées et les leçons se muent en projets et en réalisations. Ne restez donc pas immobiles, sous le préau, même s’il pleut des trombes de morosité. Ne soyez pas timides, venez jouer avec la science-fiction, elle vous attend au fond de l’espace, tout près de la marelle des nombres premiers.

Roland Lehoucq & Ugo Bellagamba