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OSCAR NEMON, MON PÈRE. HISTOIRE D'UNE DÉCOUVERTE Aurelia Young Érès | « Le Coq-héron » 2014/3 n° 218 | pages 113 à 124 ISSN 0335-7899 ISBN 9782749241852 DOI 10.3917/cohe.218.0113 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2014-3-page-113.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Érès. © Érès. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Érès | Téléchargé le 17/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © Érès | Téléchargé le 17/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Oscar Nemon, mon pere. Histoire d'une decouverte

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OSCAR NEMON, MON PÈRE. HISTOIRE D'UNE DÉCOUVERTE

Aurelia Young

Érès | « Le Coq-héron »

2014/3 n° 218 | pages 113 à 124 ISSN 0335-7899ISBN 9782749241852DOI 10.3917/cohe.218.0113

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-le-coq-heron-2014-3-page-113.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Nous présentons ici une confé-rence tenue le 5 avril 2011, au musée Freud de Londres, par Lady Aurelia Young, fille du sculpteur Nemon auquel nous devons le célèbre buste de Freud, mais aussi les bustes d’un grand nombre de psychanalystes, parmi lesquels S. Ferenczi, P. Federn, M. Klein, M. Bonaparte, D.W. Winni-cott et bien d’autres. Il laisse aussi une œuvre considérable de sujets variés. Nous ne pouvons reproduire ici que trois des nombreuses photo-graphies dont Aurelia Young a illus-tré sa conférence.

ils sont nombreux ceux qui ont vu la statue de Sigmund Freud sur St John’s avenue, juste à un coin de rue d’ici, mais peu sont ceux qui savent quelque chose de l’homme qui l’a sculptée : oscar nemon. c’était mon père, et voici l’histoire de sa vie.

Dans une petite ville des balkans, début mars 1906, la jeune eugenie neumann était sur le point d’accou-cher, dans un immeuble situé derrière la statue qui figure sur la photo que je vous montre. le bébé prenait son

temps, et juste au moment où la sage-femme commençait à désespérer, le cheval oscar qui tirait le tramway de la ville passa devant la fenêtre en faisant grand bruit.

le conducteur du tram s’écria : « Vas-y oscar, avance ! » la sage-femme répéta le propos du conduc-teur de tram, « Vas-y, oscar », et au moment même le bébé glissa entre ses mains. elle donna le bébé à eugenie en disant : « Voici oscar. »

il naquit à osijek en croatie, qui à l’époque faisait partie de l’empire austro-hongrois. il étudia à Vienne, puis partit à bruxelles, et finalement chercha refuge dans ce pays pour échapper à la menace nazie. il devint le sculpteur de rois, de reines, de présidents et de premiers ministres.

le grand-père maternel de nemon, leopold adler, photogra-phié avec sa femme Johanna, possé-dait une usine chimique industrielle à osijek qui fabriquait des peintures et du cirage pour chaussures.

Quand la fille aînée de leopold, eugenie, eut 18 ans, son père lui dit qu’un jeune chimiste prometteur allait venir déjeuner avec eux et qu’elle

1. Traduit de l’anglais par Judith Dupont.

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serait sa voisine à table. après le déjeuner ils allèrent faire une prome-nade ensemble, et à leur retour il la demanda en mariage. Sa réponse fut « oui ». elle fit comme on avait dit, et le père d’oscar, moritz neumann, déménagea à osijek pour travailler chez son beau-père à l’usine adler.

une photo montre le bébé oscar avec sa mère et sa sœur aînée, bella. il était venu au monde au sein de la florissante communauté juive d’osi-jek. tout le monde l’appela nemon. J’en ferai donc autant.

outre sa sœur aînée bella, nemon avait un frère cadet, Deze. une photo montre les trois enfants, les garçons posant dans leur plus beau costume marin.

par chance pour moi, nemon écrivit ses souvenirs dont je relis des passages de temps en temps.

nemon commença à s’inté-resser à la sculpture dès ses années d’école. une photo le montre à l’âge de 16 ans à côté d’une de ses sculp-tures d’adolescent. À l’âge de 17 ans, on lui demanda de sculpter un buste de nada Korski, 11 ans, fille d’un riche propriétaire terrien de la région. Quand elle en avait assez de poser, elle lançait des boulettes de terre glaise dans sa chevelure.

mestrovic, le célèbre sculpteur croate, conseilla au jeune nemon d’étudier à paris ; mais au lieu de cela, il alla à Vienne. il essaya d’en-trer à l’école d’art aux tendances très progressistes, mais sa candidature fut refusée. l’école invoqua le numerus clausus qui autorisait les établisse-ments d’enseignement à limiter le nombre des Juifs admis, et nemon était celui de trop.

un des premiers modèles vien-nois de nemon fut le baryton Dome-nico borghese. ce fut un travail remarquablement mature pour un garçon de son âge.

À l’époque, toutefois, le géant intellectuel à Vienne était Sigmund Freud. nemon connaissait un des disciples de Freud, le docteur paul Federn, qui souhaitait beaucoup

commander une sculpture représen-tant le grand homme, mais Freud refusait obstinément de poser pour un sculpteur. Federn dit que s’il parve-nait un jour à convaincre Freud de se laisser sculpter, ce sera par nemon.

nemon quitta Vienne à 19 ans et alla étudier à l’académie des beaux-arts de bruxelles, où il réalisa une médaille représentant le célèbre avia-teur américain charles lindberg.

Quand il arriva à l’académie, il donna son nom – oskar neumann – et fut mis à la porte comme étant « un chien d’allemand ». affolé, il se précipita au consulat yougoslave et reçut le conseil de se présenter à nouveau, cette fois comme slave. il suivit le conseil et fut accueilli comme membre d’une grande race héroïque.

on lui dit de sculpter un nu d’après modèle, et s’il y arrivait, il pourrait sauter trois années d’études. il dit : « c’était un grand défi, un défi que j’étais déterminé à relever. » cependant, les autres étudiants de sa classe d’âge étaient moins appliqués, et le modèle ne cessait de changer de position.

« un jour, rapporte nemon, la situation atteignit un point critique. le modèle refusait de coopérer et, quand je la remettais dans la bonne position, elle attendait que je retourne à mon travail pour quitter la pose. J’en ai eu assez, et j’ai pris un gros morceau d’argile que j’ai lancé sur elle. J’avais bien visé, et elle tomba de l’estrade. les autres étudiants se sont tous précipités vers moi en criant : “assas-sin, assassin ! attrapez ce sauvage des balkans !” »

une semaine plus tard, le modèle arriva à sa porte avec un gâteau en guise d’offre de paix. nemon dit qu’ils devinrent de si bons amis que son français s’améliora à grande vitesse.

bien que nemon ne voulût pas être enfermé dans ce qu’il appelait la « portraiture », il avait un talent naturel pour cela et, au début, il devait prendre le travail qui se présentait. c’est vers cette époque qu’il changea

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Artistes et psychanalystes son nom de neumann pour nemon, qui sonnait plus français. il sculpta de nombreuses personnalités connues et beaucoup d’enfants.

les choses commencèrent à aller bien pour lui et il loua un studio à un collègue sculpteur, pierre de Soete, dont la figure puissante est représen-tée sur une photo. puis vint la grande dépression, tarissant ses commandes, et comme il ne pouvait plus payer le loyer du studio, il dut déménager dans une cave humide.

À ce point, c’est sa relation naturelle avec l’autre sexe qui vint à son secours. un jour, il enten-dit la sonnette de son immeuble qui ne cessait de sonner et il finit par émerger de son donjon à la lumière pour trouver une jeune femme qui voulait entrer, afin de rendre visite à un artiste de ses amis. Son ami était sorti, elle a donc bavardé avec nemon avant de repartir.

puis une nuit, raconte nemon, « vers trois heures du matin, je fus réveillé par des coups énergiques à ma porte, puis la voix d’une femme. À mon grand étonnement, ce fut la jeune femme de la cour. » « J’ai voulu vérifier que vous viviez vrai-ment dans une cave, dit-elle. Quand mon ami m’a parlé de votre situation critique, je n’ai pas pu le croire. » elle rentrait d’un bal et avait réfléchi aux pauvres conditions dans lesquelles il vivait ; et elle décida de faire quelque chose. c’était Simone Hottet, la fille héritière d’un Flamand qui était mort sur le Titanic.

nemon reçut alors sa première commande royale : sculpter le portrait du roi albert ier de belgique. Simone introduisit nemon dans la société belge et une riche clientèle lui passa des commandes importantes. ce fut un des tournants dans sa carrière. le buste du roi albert fut finalement une œuvre controversée. la reine belge elisabeth protesta que « j’avais repré-senté son mari chéri avec la bouche ouverte ». une photo montre le buste du roi albert ier avec son fils, le roi leopold iii (avec la bouche fermée).

en 1933, nemon fit le projet d’une construction qu’il appela « temple pour l’éthique univer-selle », un lieu où des philosophes et des sommités religieuses pourraient discuter et résoudre les problèmes du monde. Sa construction prenait appui sur les trois piliers de la sagesse et il espérait que le temple serait construit en palestine.

nemon écrit : « J’ai alors démé-nagé dans un studio proche du palais royal et c’était là le printemps de ma vie. Je rencontrais des artistes et des poètes de ma propre génération, rené magritte, le fameux peintre surréaliste, et marcel leconte qui est devenu un de mes amis intimes. ma joie fut à son comble quand je reçus un télégramme de Federn, de Vienne, qui disait simplement “Venez immédiatement.” »

c’était en 1931. nemon avait 24 ans. il se précipita à Vienne.

en fait, Freud n’avait pas accepté de poser pour un sculpteur, juste donné son accord pour que nemon vienne le voir. Dans ses Mémoires, nemon dit : « Je fus dûment admis dans le fameux cabinet de consul-tation de sa résidence d’été hors de Vienne. le professeur Freud se leva derrière son bureau lorsque j’entrai. J’avançai vers lui et je m’inclinai. nos yeux se rencontrèrent. il dit d’un ton brusque : “le docteur Federn m’a dit que vous vouliez me voir. eh bien, vous m’avez vu.” […] Je ne savais rien de l’échange entre Freud et Federn qui avait provoqué cette remarque et, comme à l’époque j’étais jeune et rempli de l’orgueil indomp-table de la jeunesse, je me suis senti plutôt insulté et, sous l’impulsion du moment, je m’entendis dire : “non, monsieur, je ne vous ai pas vu.” »

Freud s’est laissé fléchir et permit à nemon de faire une esquisse de lui. nemon devait travailler très vite et il décrit dans ses Mémoires le moment horrible où son crayon se brisa avant qu’il ait pu terminer son dessin. Freud accepta alors de poser plusieurs fois pour nemon,

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2. The Diary of Sigmund Freud 1929-1939 : A Record of the Final Decade, trad. m. molnar, londres, prentice Hall & iBd, 1992.3. p. Federn, « notes », The Psychoanalytic Quaterly, 16, 1947, p. 596-597.4. Ibid.

certaines de ces occasions figurant dans son journal. le nom de nemon est mentionné comme l’ayant visité le 29, information que j’ai pu relever dans l’ouvrage de michael molnar, Le journal de Sigmund Freud.

en juillet 1931, Freud écrivit à son ami eitingon : « Quelqu’un est en train de faire mon buste, le sculpteur oscar neumann de bruxelles, d’après son allure, un juif slave de l’est, un Khazar ou un Kalmouck, ou quelque chose de ce genre. Federn qui est en général particulièrement incompétent pour découvrir des génies inconnus me l’a imposé. mais cette fois, il y a là vraiment quelque chose, voire quelque chose de pas mal. la tête que le sculpteur émacié à la barbe de chèvre a façonnée à partir de la boue – comme le bon Dieu – est une repré-sentation de moi très bonne et très vivante2. »

Federn rapporta de quelle manière il avait convaincu Freud, réticent, à poser pour nemon : « c’est avec la prudente hésitation d’un diplomate que j’ai une fois de plus approché Freud, avant son 75e anni-versaire, avec le très jeune mais déjà célèbre sculpteur, m. oscar nemon. après avoir présenté l’artiste à Freud dans le jardin de sa résidence d’été, celui-ci resta seul avec le professeur pour lui montrer une collection de photographies de ses œuvres. l’inté-rêt de Freud s’éveilla immédiatement pour ce que nemon avait à dire, et il aima l’originalité de son travail tout comme l’homme lui-même. au bout de six mois, il avait terminé trois bustes, un en bois sculpté, un en pierre et un coulé dans du bronze3. »

en novembre 1931, Freud écrivit à Federn : « cher Docteur, il y a quel-ques jours vous êtes apparu chez moi avec trois bustes, me demandant d’en choisir un comme cadeau de la part de la Société Viennoise. le choix n’a pas été facile. bien que ces bustes étaient l’œuvre de la même main et représen-taient la même personne, l’artiste avait

doté chacun d’un charme et d’une distinction particuliers différents des autres, auxquels il n’était pas facile de renoncer. Finalement, puisque je ne peux quand même pas avoir trois têtes comme cerbère, j’ai décidé de choisir celui en bois. avec son expression vive et amicale, il promet d’être un compagnon agréable4. »

une photo montre le « compa-gnon agréable » posé sur un support au-dessus de la tête de Freud.

nemon écrit : « la reine astrid de belgique est venue un jour à mon atelier, accompagnée du recteur de l’université de Gand. nous sommes arrivés auprès de la statue de Freud. “ah, c’est le professeur Freud”, dit le recteur. la reine parut déconcertée : “Qui est-ce ?” dit-elle. “le célèbre psychologue, le fondateur de la psycho-logie en tant que science”, répondit le recteur. “oh ? Je ne le connais pas ; je n’ai jamais entendu parler de lui.” le recteur, plutôt surpris, me jeta un regard fort embarrassé. […] Quelques mois plus tard, j’étais à Vienne et je fus à nouveau invité à rendre visite à Freud. c’était un privilège tout spécial car il était désormais largement connu et si occupé qu’il était difficile de le rencontrer, sauf par ses patients et ses “disciples” les plus proches. Quand j’allai le voir, il jouait aux cartes avec sa famille. il était très amical et arrê-tait de temps en temps de jouer pour me poser une question. […]

À un moment, sa fille dit : “J’en-tends que les jeunes roi et reine de belgique sont très populaires.” le professeur leva la tête et dit de façon lourdement ironique : “tu ne veux pas dire qu’il y a toujours un monarque qui règne dans ce pays ?” pour la reine astrid, la boucle était bouclée ! »

nemon a sculpté bon nombre des disciples proches de Freud. on peut voir ici le docteur Sándor Ferenczi chez lui, près de son portrait sculpté et de nemon.

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le buste d’abraham brill se trouve à l’amphithéâtre a. a. brill, à l’association psychanalytique de new York. Sur une photographie, on peut voir nemon à boston en compa-gnie de Grete bibring, psychanalyste distinguée et épouse du disciple de Freud edward bibring. Dans les années 1930, nemon fit plusieurs voyages en angleterre, souvent avec son amie Simone. celle-ci s’ins-talla en angleterre et aménagea un atelier pour nemon dans sa maison de belgravia.

un de ses premiers portraits sculptés en angleterre fut celui du rédacteur en chef du Times, Wickham Steed. cette œuvre avait été comman-dée par le gouvernement yougoslave, en reconnaissance de l’activité de Steed durant la première Guerre mondiale visant à promouvoir le concept du nouvel état de Yougoslavie. un buste du roi George Vi doit dater de 1937 quand il visita la Yougoslavie. il en existe une photographie. ce buste est maintenant perdu, un des mystères des œuvres perdues de nemon.

Freud émigra en angleterre en 1938. nemon lui rendit visite à maresfield Gardens, avec leur amie

commune, la princesse marie bona-parte, qui avait aidé Freud à fuir Vienne pour l’angleterre. la prin-cesse était une adepte dévouée de Freud et, tout comme lui, grande amoureuse des chiens chow-chow. nemon sculpta son portrait, ainsi que celui de son chien, topsy, dans son jardin près de paris. la sculpture de topsy se trouve à l’ashmolean museum.

Juste avant que la guerre n’éclate, nemon retourna en Yougoslavie. on le voit sur une photographie avec sa mère et son frère cadet, Deze. il ne les revit plus jamais. tous deux, ainsi que sa grand-mère de 80 ans, ont été capturés par des sympathisants nazis, déportés et assassinés à auschwitz. 90% de la communauté juive d’osijek périt durant l’Holocauste. une photo-graphie montre nemon avec sa grand-mère bien-aimée, Johanna adler, puis agenouillé devant la tombe de son grand-père dans le cimetière juif à osijek. la tombe porte maintenant également les noms des membres de la famille de leopold adler qui ont péri à auschwitz : la mère de nemon, sa grand-mère, son frère, les tantes, oncles et cousins.

ici, photo Ferenczi + nemon

Sándor Ferenczi posant pour oscar nemon, budapest, 1931 (© nemon estate).

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nemon était profondément affecté par la disparition de sa famille, et vingt ans après la fin de la guerre, il retourna à osijek pour le dévoilement de son « mémorial à ceux qui sont morts ». il a appelé cette sculpture Humanité et elle représentait pour lui son espoir pour le futur.

la princesse marie bonaparte posant avec son buste réalisé par oscar nemon, paris, 1937

(©nemon estate).

« au début de la Seconde Guerre mondiale, écrit nemon, je me trouvais en angleterre dans une situation assez précaire. le côté que la Yougoslavie allait choisir dans ce conflit n’était pas décidé, et j’étais de nationa-lité yougoslave. manifestement la meilleure mesure semblait être de me mettre au vert quelque part dans le pays et d’attendre de voir comment les choses allaient évoluer. »

il s’en fut dans le Surrey et prit des cours d’anglais avec un monsieur d’un certain âge, que nemon décrit comme la « figure quasi théâtrale d’un colonel à la retraite – très bien élevé, très correct, aux manières stéréo-typées. Je n’étais pas très enthousiaste pour apprendre l’anglais à la manière

d’un entraînement militaire sur un terrain d’exercice. »

Son précepteur lui enseigna l’anglais en esquissant toutes sortes d’animaux qu’il nommait ensuite : « cheval » ou « vache ». nemon fut impressionné par le talent artistique de son précepteur et suggéra que ses dessins pourraient bien avoir une valeur commerciale. ce fut une observation fort juste. Son précep-teur était l’auteur et caricaturiste max beerbohm, qui réalisa également une caricature de nemon.

nemon retourna à londres et logea dans un studio situé dans ce qui avait été la vieille morgue de l’hôpital St George, au Hyde park corner – un lieu bien adapté à une vie tranquille.

il avait l’habitude de déjeuner à piccadilly, dans le voisinage, au club des alliés. cependant, les élégants comtes polonais protestèrent contre la présence du sculpteur dépenaillé qui avait de l’argile sous les ongles, et cherchèrent à le mettre à la porte. la présidente du club, Sylvia Henley, rejeta la demande, soutenant qu’en tant que réfugié fuyant les nazis, il était exactement le genre de personne que le club était appelé à accueillir.

nemon redessina son centre pour l’éthique universelle et écrivit à des universitaires et des philosophes de premier plan pour leur demander leur soutien, afin que le bâtiment fût érigé en angleterre. cela reste encore à venir.

pendant la guerre, nemon sculpta le portrait de l’acteur idolâtré de l’époque, leslie Howard. leslie Howard mourut dans un accident d’avion peu après une dernière photo prise de lui, et le buste a disparu.

Quittons la guerre pour un moment, et intéressons-nous au début de la vie de ma mère, patri-cia, la future épouse de nemon. une photo la représente avec sa mère, à l’âge de 8 ans, en 1918. patricia était l’unique enfant du lieutenant-colonel patrick Villiers-Stuart (des Fusiliers royaux) et de sa femme constance, des propriétaires terriens fortunés.

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Artistes et psychanalystes Vers sa vingtième année, patricia fit une dépression nerveuse et fut adres-sée pour un traitement au disciple de Freud, le docteur ernest Jones. ernest Jones présenta patricia à nemon. en apparence, c’était un assortiment improbable ; elle était une débutante anglaise et l’héritière d’une propriété dans le norfolk ; tandis que lui était un réfugié sans le sou qui parlait à peine l’anglais. en fait, patricia était en révolte contre son éducation stricte et conventionnelle, et s’intéressait à la danse et à l’art.

elle tomba amoureuse du sculp-teur charismatique et intelligent. cette liaison indignait les parents de patricia qui tentèrent tout leur possible pour mettre fin à cette relation. le colonel Villiers-Stuart demanda à son avocat Farrers s’il y avait un moyen de faire expulser nemon du pays. Farrers écrivit au Home office : « notre client, le colonel patrick Villiers-Stuart, a fait appel à nous dans les circonstances suivantes. le capitaine Villiers-Stuart a une fille qui va hériter le moment venu de la propriété familiale d’une valeur considérable. c’est une jeune personne d’un tempérament artisti-que, qui a fait la connaissance d’un certain oscar neumann, un artiste juif yougoslave. »

patricia continua à défier ses parents. ils se parlaient [patricia et nemon] en français et s’installèrent à oxford. une photo les représente sur les marches de l’ashmolean museum. pour cet acte de rébellion, tous liens furent rompus avec ma mère qui ne reçut plus un sou de ses riches parents. nemon n’eut jamais le droit de mettre un pied dans la maison natale de patricia.

mon frère naquit à oxford en 1941. une photo le représente posant pour son premier buste. Je fus la suivante, puis ce fut le tour de notre sœur. nos parents nous donnèrent des noms – Falcon, aurelia et electra – formant une ligne radicale continue. Je fus nommée non pas d’après la mère de Jules césar, qui s’appelait également aurelia, mais d’après le

wagon d’un train Hornby avec lequel ma mère jouait dans son enfance.

comme il n’y avait pas d’ar-gent pour acheter une maison, nous vivions dans une cabane préfabriquée désaffectée de l’armée. une photo nous représente, Falcon, aurelia et electra, devant le côté atelier. nous allions à l’école à oxford, et à chaque vacances, on nous mettait dans un train et on nous envoyait à norfolk pour rester avec nos grands-parents à beachamwell Hall. c’est palmer, le chauffeur, qui venait nous cher-cher à la gare, et c’est lacey, le valet, qui nous accueillait devant l’entrée principale.

De temps en temps, nemon était invité à une soirée musicale dans la maison du professeur Hermann Fielder, à oxford. c’est lors d’une de ces soirées qu’il y rencontra un pianiste allemand de grand talent. nemon écrit : « Soudain, ma femme tomba malade d’une pneumonie avec pleurésie, et fut hospitalisée dans un état critique. un soir, j’étais auprès d’elle quand le médecin m’emmena à l’écart me disant qu’elle n’avait aucune chance de guérir. Je quittai l’hôpital, hébété, abasourdi par l’idée que ma femme allait mourir, me lais-sant dans un pays étranger avec deux petits enfants. » némon communi-qua la sinistre nouvelle à ses amis. ils mentionnèrent l’existence d’un nouveau médicament miracle, la pénicilline, sur laquelle travaillait un scientifique d’oxford appelé ernst chain. Quand nemon découvrit que chain était justement son ami pianiste, il courut au domicile de celui-ci, et « dès le seuil, je me suis excusé de cette intrusion soudaine, en expli-quant que je venais pour une affaire de grande urgence. il dit : “la pénicilline est mon enfant et je n’ai le droit ni de la voir, ni de la toucher. mais voilà ce que je ferai – je la volerai !” il apporta la pénicilline dans son tube à essai, droit du laboratoire. le traitement fut effectué dans le plus grand secret, et sauva la vie de ma femme ».

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une photographie montre la reine marie de Yougoslavie, contemplant le bébé du duc de marlborough, lord charles Spencer churchill. puis une autre photographie de la reine marie regardant l’imposant buste de son fils, le jeune roi peter de Yougoslavie, qui avait alors une vingtaine d’années.

nemon sculpta le portrait du premier ministre belge, paul-Henri Spaak, qui était à londres pendant la guerre. l’amie de nemon, Simone, devint la seconde femme de Spaak. paul-Henri Spaak et Simone vinrent nous rendre visite dans notre cabane préfabriquée. Sur la photo, Simone me tient enlacée et ma mère a electra dans ses bras.

un hiver, au début des années 1950, le psychanalyste français rené laforgue invita nemon à séjourner à l’hôtel la mamounia à marrakech. le même hôtel où se trouvaient Winston churchill, alors premier ministre, et sa famille. une photographie montre une peinture de marrakech pleine de vie, exécutée par churchill. Sylvia Henley, cousine de clementine chur-chill et sauveur de nemon au club des alliés, vint rejoindre la compagnie des churchill une semaine plus tard. Sylvia demanda à nemon s’il avait fait la sculpture du premier ministre. nemon lui dit qu’il avait discrète-ment fait une esquisse de churchill et exécuté un petit buste le représentant. Quand Sylvia Henley vit le buste, elle fut si excitée qu’elle alla immé-diatement le montrer à son cousin. némon écrit : « Quelques heures seulement plus tard, je reçus une note de lady churchill elle-même : “cher mr. nemon, j’aimerais beau-coup posséder le petit buste de mon mari que vous avez sculpté. Votre buste représente pour moi mon mari comme je le vois et j’aimerais l’avoir juste tel qu’il est. ce serait une grande joie pour moi de le posséder. bien à vous, clementine churchill.” » Son désir a dû être exaucé : « mon cher mr. nemon, je n’ai pas eu le temps de répondre à votre lettre avant mon départ pour tirnshir. c’est vraiment

très gentil de votre part de vouloir me donner ce magnifique buste de mon mari. Je le garderai toujours comme un trésor. merci beaucoup, beaucoup. bien à vous, clementine churchill. »

cette rencontre marqua un autre tournant dans la vie de mon père. ce fut le début d’une longue amitié avec la famille churchill.

la jeune reine commanda à nemon un buste en marbre du grand chef de guerre pour être placé auprès de son illustre ancêtre, le duc de marlborough, au château de Windsor. churchill avait insisté pour que nemon soit l’artiste choisi, même s’il ne possédait pas la qualification nécessaire de la royal academy. ceci occasionna un ressentiment durable dans le monde artistique.

nemon travailla sur les trois têtes en même temps, en redoutant après les séances à l’heure du déjeuner les humeurs de churchill qui pouvait, selon les termes de nemon, se montrer « belliqueux, défiant et déli-bérément provoquant ». le moment vint de demander à churchill laquelle des trois têtes devait aller à Windsor. il entra dans la pièce du 10, Downing Street où se trouvaient les trois têtes enveloppées d’un linge. nemon dévoila le plus dramatique des trois et regarda croître la colère du grand homme. « Vous pensez que j’ai l’air d’un marchand de guerre rusé et sour-nois ? c’est ce que vous pensez ? » il poursuivit en disant qu’en plus de son caractère indiscutablement belli-queux, il avait beaucoup d’autres qualités auxquelles cette œuvre ne rendait pas justice. la deuxième tête n’eut pas plus de succès, décrite comme trop intime. Heureusement, la troisième tête a été déclarée civilisée et se trouve aujourd’hui au château de Windsor.

peu après cette explosion, churchill revint dans la pièce pour s’excuser, et déclarer que nemon était un génie. peut-être sa statue de churchill la plus connue est-elle celle qui se trouve au foyer des membres de la chambre des communes. une

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Artistes et psychanalystes photographie montre lady churchill à l’inauguration de la statue, près de celui qui, à l’époque, était le prési-dent de la chambre des commu-nes. Y figurent également Jeremy thorpe, le président du parti libéral, et quatre premiers ministres : edward Heath, alec Douglas-Hume, Harold macmillan et Harold Wilson.

nemon dit à la cérémonie : « J’essayais d’exprimer une idée d’impatience et de hâte d’un homme qui voulait voir les choses se faire. » nemon évoqua churchill arpentant les décombres de londres détruit par la guerre.

en 1955, la ville de londres commanda une statue de churchill pour l’Hôtel de Ville. une photo-graphie montre la statue avec Sarah churchill tenant la main de son père. lors de l’inauguration de la statue, churchill fit un discours célébrant le talent du sculpteur.

les années 1950 et 1960 furent la période dorée de nemon. il sculpta le portrait de la reine pour la christ church à oxford, où elle tient le rôle du « Visitor ».

Dans les archives de la tate, j’ai trouvé une description par Sir John rothenstein de la fois où nemon manqua une séance de pose avec la reine, ayant confondu la date avec une autre séance. Sir John écrit : « Quand la reine demanda, l’heure venue, où était nemon, Sir martin charteris dit : “Je suis désolé, mam, il n’est pas là.” » Quand elle apprit ce qui s’était passé, la reine se mit à rire, disant que rien de semblable n’était jamais arrivé auparavant. la reine fut l’amabilité même et donna à nemon le surnom d’« oscar absent ».

récemment, la reine a inauguré un buste d’elle-même à la chambre des lords, pour lequel elle avait posé dans les années 1960. Je lui demandai si elle se souvenait avoir posé pour nemon. elle répondit : « oh oui, bien des fois ! » c’est parce qu’elle avait accordé à nemon plus de séances de pose que les quatre généralement accordées aux artistes.

Quand churchill eut plus de 80 ans, il décida de s’essayer lui-même à la sculpture et fit une esquisse préli-minaire de nemon avant de se mettre à exécuter le buste dont il existe une photographie et qui est exposé à chartwell. il existe un enregistrement où l’on peut entendre la douce voix de nemon raconter à un intervieweur comment churchill en était venu à faire cette sculpture.

une photographie montre John christie, le fondateur de l’opéra de Glyndebourne. christie était un modèle agité ; aussi, pour l’amuser, nemon sculpta à l’arrière de sa tête son chien Sock, changeant l’expres-sion du chien à chaque séance de pose. christie voulait garder Sock, mais les administrateurs qui avaient commandé l’œuvre ont eu raison de lui.

nemon aimait travailler dans des conditions agréables. en travaillant il écoutait de la musique et j’ai grandi aux sons de la sonate du Printemps de beethoven venant de son atelier. nemon était un père très protecteur, mais par chance pour moi, il donna sa bénédiction à mon mariage avec George Young. une photographie nous montre en train de découper le gâteau devant le buste de la reine exécuté par nemon, dans christ church Hall.

en 1968, on commanda à nemon une sculpture du célèbre pédopsychia-tre, le docteur Donald W. Winnicott, et ils devinrent de très bons amis. À cette époque, ma sœur electra passait par une période de rébellion adoles-cente et nemon demanda conseil à Winnicott. on envoya electra le voir et son conseil à electra fut : « J’aime beaucoup votre père, mais le conseil que je vous donne est de partir de la maison. » une esquisse initiale de Winnicott fut dessinée par nemon avant d’exécuter la sculpture qui peut être vue à l’institut de psychanalyse, à maida Vale.

Winnicott et d’autres psycha-nalystes de premier plan, compre-nant lady balogh et le docteur Stella

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ambache ont contribué à lever des fonds pour ériger la statue de Freud par nemon au Swiss cottage, en 1970. une photographie montre anna Freud lors de l’inauguration, en conversation avec Donald W. Winnicott à côté d’elle. par la suite, la statue fut déplacée à l’endroit où elle se trouve aujourd’hui, dans St John’s avenue.

buste de Donald W. Winnicott (© nemon estate).

la reine alloua un atelier à nemon dans St James’s palace. cet atelier ouvrait sur le jardin de la reine-mère. Souvent, elle passait la tête par la porte de l’atelier pour voir comment le travail avançait.

nemon fit le portrait de nombreux contemporains et amis de Winston churchill. une des plus vieilles amies de celui-ci, lady Violet bonham- carter, devint, elle aussi, une des amies les plus proches de nemon. le national portrait Gallery possède une copie de cette œuvre.

Sur une photographie on voit nemon en compagnie du Field mar shall Viscount montgomery, qui se montra plutôt brusque au début.

« combien de temps vous faut-il pour terminer cette sculpture ? » demanda-t-il. nemon était incapable de répon-dre, disant que cela dépendait des difficultés rencontrées. « la reine, combien de séances de pose vous a-t-elle accordées ? » « Dix », répondit-il, alors qu’elle lui en avait accordé sept. « Quelle perte de temps ! répondit le Field marshall, mais je vous en donne-rai dix aussi. » cette statue se trouve à Whitehall en face du cénotaphe.

1979 vit l’arrivée d’un nouveau gouvernement conservateur, et nemon fut engagé pour sculpter le portrait du premier ministre, marga-ret thatcher. pendant la période de gestation de cette œuvre importante, mon mari George, jeune ministre à l’époque, se trouvait à déjeuner dans la salle à manger des membres lorsque margaret thatcher vint s’as-seoir à la table. Durant une pause dans la conversation, George se pencha en avant et demanda : « margaret, comment avance votre buste ? » les collègues de George, choqués, en eurent le souffle coupé et il fut viré lors du remaniement suivant.

la reine invitait parfois nemon et patricia à ses réceptions. une photo-graphie les représente au moment de se rendre à buckinham palace. patricia porte sa tiare, qu’elle avait portée pour la dernière fois en allant à buckingham comme débutante.

comme d’autres artistes, auteurs, musiciens et compositeurs, nemon ne prit jamais sa retraite. en 1984, on lui commanda un bas-relief de Diana, princesse de Galles. il eut une très plaisante séance de pose avec elle, mais mourut à l’hôpital d’une crise cardiaque juste avant la deuxième séance de pose.

Diana m’écrivit une généreuse lettre de condoléances qui se termi-nait par ces mots : « J’attendais impa-tiemment ma prochaine séance de pose avec votre père et maintenant, je garderai le souvenir de cette heure si heureuse que j’ai eu la chance de passer avec lui. bien à vous, Diana. » une notice nécrologique parut dans le

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Artistes et psychanalystes Times : « Sculpteur des Dirigeants des nations. »

J’ai commencé à faire des recher-ches sur la vie de mon père en 2006, et j’ai fait depuis quelques découver-tes excitantes. Vous pouvez imagi-ner ma joie quand j’ai découvert que nada Korski, la fillette de 11 ans dont nemon sculpta le portrait en 1923, était vivante et bien portante, toujours en croatie. J’ai immédiatement sauté dans un avion pour lui rendre visite. elle me dit combien elle avait gardé le souvenir des séances de sculpture avec l’adolescent timide et sérieux qui semblait vouloir extraire d’elle toute sa psyché. une compagnie de télévision croate filma notre rencon-tre et le film montre nada avec une photographie du buste réalisé quatre-vingt-trois ans auparavant.

lors de mon voyage en train de Zagreb à osijek, l’année dernière, j’ai regardé par la fenêtre et j’ai vu les deux flèches jumelles de la cathédrale de Dakovo. Je voulais sauter du train pour trouver le bas-relief de l’arche-vêque de Dakovo.

Dans ses Mémoires, nemon écrit : « J’ai fait pas mal de bruit avec cela – mon premier portrait vrai-ment sérieux. Je l’ai sculpté devant l’imposante cathédrale catholique de Dakovo, mais il n’aima pas le résul-tat. “Vous m’avez donné l’air d’un turc et d’une brute”, a-t-il déclaré, et exigea que j’adoucisse les traits rudes et lourds de son visage – une tâche qui me semblait impossible à réaliser. »

Quand j’arrivai à osijek, le maire m’avait réservé une surprise. Je fus invitée à une cérémonie lors de laquelle le parc tito fut rebaptisé parc oscar-nemon. Sur la photographie on peut apercevoir, derrière mon oreille gauche, la statue de l’Humanité de nemon.

il y a deux ans, j’ai entendu dire que nemon avait sculpté le portrait d’un homme appelé Harold norman, et on me montra une belle photo-graphie de nemon avec le buste, à Dulwich, en 1936. J’étais très surprise et je me suis demandé « comment un

artiste sans le sou, qui ne parlait pas l’anglais, en était venu à faire une sculpture de m. norman en 1936 ? » Voici l’explication : la famille norman avait pris en pension Hans Hevesi, un garçon juif de Vienne, pour lequel son père se faisait du souci à cause de l’antisémitisme croissant des années 1930 ; il avait donc inscrit son fils au collège de Dulwich. chaque fin de semaine, Hans recevait la visite de son père, max Hevesi, un marchand d’art qui avait acheté une galerie d’art à londres. lors d’un grand nombre de ces visites, max Hevesi était accompagné par le jeune sculp-teur oscar nemon. J’aurais beau-coup voulu retrouver Hans, mais les norman l’avaient perdu de vue. puis l’archiviste du collège de Dulwich m’envoya l’annonce nécrologique de Hans qui avait paru dans le Times. À la fin, on peut lire que Hans avait épousé une ballerine appelée beryl morina. une photographie les montre le jour de leur mariage.

J’ai retrouvé beryl, qui vivait à Winchester. elle m’a raconté son histoire. elle avait rencontré nemon quand elle était une jeune ballerine, au début des années 1940. nemon a été tellement subjugué par sa beauté qu’il l’avait convaincue de venir poser pour lui. elle me dit qu’elle avait posé avec un agneau imaginaire, mais qu’elle n’avait jamais vu l’œuvre. J’étais assez surprise car, à ma connais-sance, nemon n’avait jamais dessiné ou sculpté des agneaux. mais j’avais tort, car j’ai trouvé un dessin corres-pondant dans les archives nemon de l’ashmolean museum. beryl m’a dit que nemon l’avait présentée à Hans lors d’une de ses expositions à londres.

puis elle me montra un bas-relief en plâtre de Hans, exécuté par nemon à Vienne en 1924, quand Hans avait 4 ans et nemon 18. elle m’a montré une photographie de Hans datant de cette époque.

ce bas-relief est une des premiè-res œuvres de mon père. c’est un miracle que ce plâtre ait survécu

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intact au voyage de la Vienne d’avant-guerre jusqu’à Winchester.

en 2003, un professeur d’oxford acheta une maison sur l’île croate de Hvar. Dans une commode qui y avait été abandonnée, il trouva un cahier d’écolier sur lequel était écrit : mr. nemon, anecdotes, Sept. 1966. le professeur découvrit que nemon avait rendu visite au propriétaire précédent, une dame anglaise, qui avait noté les histoires de nemon dans ce cahier. nemon avait séjourné sur cette île, installé dans le voisinage avec son ami, le docteur podvinec.

Je savais que je possédais une photographie du docteur podvinec avec son jeune fils. un petit travail de détective m’a permis de découvrir que le fils du docteur podvinec (à présent âgé de 73 ans) vit à bâle. il m’a parlé de l’amical souvenir qu’il gardait de nemon. il m’a envoyé une photogra-phie de ses parents avec nemon, prise juste après que le docteur podvinec a opéré son os mastoïde. cette photo m’a permis de réaliser que ses parents apparaissent dans un film tourné par nemon, à Zagreb, en 1937. on y voit Jessie Stonor, l’amie anglaise de nemon. mais ceci est une autre histoire…

J’ai reçu récemment une lettre d’elizabeth milburn, la plus ancienne amie de ma mère, qui vit actuelle-ment au mexique. elle dit : « Quand vous écrirez un livre sur votre père, j’espère que vous n’oublierez pas la qualité magique, hypnotique, exoti-que qu’avait votre père. une passion puissante qui ne se manifeste pas dans une relation normale. mais c’était peut-être le secret de son talent exceptionnel. »

nada Korski m’a dit que nemon était aimé de toutes les belles femmes d’europe, mais qu’il n’y a jamais eu le moindre parfum de scandale.

une photographie montre le fils de Falcon, Ze, le petit-fils de

nemon, en train de balayer l’atelier, peu après la mort de nemon. nemon est resté, même pour sa famille, une sorte d’énigme. il était cultivé ; parlait couramment plusieurs langues, poli mais non déférent, curieux mais non inquisiteur ; discret mais non coincé. cependant, il est resté toute sa vie quelque peu marginal ; banni de la maison familiale de sa femme à norfolk et exclu de l’académie royale.

Sur une photographie, on voit nemon parler à son cher ami albi rosenthal, un musicologue de répu-tation mondiale, et un libraire qui possédait la librairie de livres anciens otto Haas à belsize park. Sur une autre photographie, on voit nemon travailler sur le portrait de John christie. albi prononça un discours émouvant aux funérailles de nemon, dont un extrait conclura cette confé-rence : « la capture, la révélation de l’essentiel était le principal ressort de son art. il ne s’agissait pas pour lui de la reproduction facile des traits exté-rieurs. ce qui lui importait, c’est de trouver la nature complexe de l’anima de ses modèles, les secrets de leur être intime et les promesses de leurs destins, et ensuite faire leur image interne, modeler en quelque sorte les contours visibles du portrait. le long cours de sa vie était extraordinaire-ment riche en vicissitudes, expérien-ces, aventures, errances, mystères et révélations. Dans son domaine, il était au sommet, et son œuvre a une place assurée à jamais. »

Résumé Lady Aurelia Young, fille du sculpteur oscar neumann dit nemon, raconte la vie de son père et ses nombreuses rencontres avec les célébrités du monde de la culture, mais aussi royales, politiques et autres de son temps, dont il sculpté les bustes. elle donne une image vivante d’une personna-lité attachante, au parcours étonnant.

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