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Les Oscars du film d’animation Olivier Cotte Secrets de fabrication de 13 courts-métrages récompensés à Hollywood © Groupe Eyrolles, 2006 ISBN : 2-212-11568-7

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Les Oscarsdu film d’animation

Olivier Cotte

Secrets de fabrication de 13 courts-métrages récompensés à Hollywood

© Groupe Eyrolles, 2006ISBN : 2-212-11568-7

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Une enfant accompagne son père qui part

seul en barque. Il ne revient pas de ce

voyage. Durant toute sa vie, ponctuée par

ses jeux d’enfants, ses amours d’adoles-

cente, puis son rôle de mère de famille et

enfin par la vieillesse, la petite fille deve-

nue femme revient inlassablement sur les

lieux du départ, espérant revoir l’être aimé

et disparu. Elle finira, au crépuscule de sa

vie, par le retrouver.

Father and

Daughter

Oscar2000 221Michael Dudok de Wit

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Le scénarioVoilà qui n’est pas banal : un artiste de moins de 50 ans obtient toutes les grandesrécompenses internationales pour un court-métrage d’animation après n’avoirréalisé que trois films personnels, dont un de fin d’études et un pilote ! Il fautdire que sa production présente, pour l’instant, une remarquable logique dans sacontinuité. Si l’on considère ses deux films d’auteur, Le moine et le poisson et Fatherand Daughter, des similitudes apparaissent clairement.

Les deux travaux sont en premier lieu basés sur des récits existentiels. Le premiermet en scène un moine poursuivant un poisson ; d’abord excité à l’idée de l’at-traper (ce qu’il ne parvient pas à faire), il finit par comprendre l’essence de saquête et, faisant enfin corps avec sa cible, il atteint la paix de l’esprit. Le film estvoisin du conte traditionnel zen du bouvier cherchant à dompter le bœuf. Lesecond film exprime la quête d’une fillette qui voit son père partir en bateau pourne pas revenir. Elle va alors, dans d’incessants va-et-vient à vélo, revenir inlassa-blement sur le lieu de départ jusqu’à sa mort et finira par retrouver l’être aiméet jamais oublié ; le fait qu’elle ait à se coucher, à lâcher prise pour atteindre sonbut (elle abandonne le vélo qui l’a accompagnée toute sa vie pour aller vers lesrestes de la barque) fait écho à la dernière scène de Le moine et le poisson. L’autrepoint commun entre ces deux films, sur lequel nous reviendrons plus loin,concerne le graphisme influencé par la calligraphie.

O. C.: Comment as-tu trouvé cette idée assez originale et minimaliste ?

M. D. W.: Je travaillais sur un nouveau film impliquant un petit philosophe grec aveugle.L’histoire me plaisait, comme le graphisme, mais je me battais avec la dimension du récit.Un jour, alors que je conduisais, je me suis posé la bonne question : « Quelle est la chose queje rêve le plus de faire passer dans un film ? ». L’instant d’après, le projet sur le Grec étaitabandonné et j’avais trouvé celui de Father and Daughter.

Father and DaughterA nimat ion t rad i t ionne l le e t ord ina teur

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Les courts-métrages ont rarement droit à une affiche dédiée car le marché de ce type de production est trop étroit. En voici une belle exception.

Titre : Father and Daughter (Père et fille)

Année : 2000

Pays : Grande-Bretagne/Pays-Bas

Réalisation : Michael Dudok de Wit

Production : Cloudrunner Ltd, UK (Claire Jennings), et CineTe Filmproductie bv, Hollande (Willem Thijssen)

Scénario, graphisme, story-board, lay-out, décors :Michael Dudok de Wit

Animation : Michael Dudok de Wit et Arjan Wilschut

Techniques utilisées : Animation traditionnelle et ordinateur

Musique : Normand Roger (en collaboration avec Denis Chartrand)

Son : Jean-Baptiste Roger

Direction technique : Spider Eye, Alistair Becket et Nic Gill

Durée : 8 min 30 s

Fiche techniquesignalétique du film

Michael Dudok de Wit est né en Hollande en 1953. Il étudie la

gravure en Suisse puis le cinéma d’animation au Surrey Institute

of Art en Grande-Bretagne dont il sort diplômé en 1978 avec un

film de fin d’études The Interview. Après avoir travaillé à

Barcelone, il s’installe à Londres, collaborant principalement pour

le marché publicitaire. En 1992, il réalise Tom Sweep (le pilote

d’une série), et en 1994 Le moine et le poisson (Cartoon d’Or,

César du meilleur court-métrage, nominé aux Oscars). Father and

Daughter, son dernier film en date, remporte entre autres récom-

penses l’Oscar 2000 ainsi que les Grands prix des festivals inter-

nationaux d’Annecy, de Zagreb et d’Hiroshima.

Ces cinq croquis de paysages ont étécréés à partir de souvenirs et de photo-graphies. Ils font partie des recherchesgraphiques préliminaires permettant detrouver les cadres et les ambiances.

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Father and Daughter

O. C.: Et quel était ce souhait ?

M. D. W.: Je voulais exprimer une forme de désir profond, ceque l’on appelle « longing » en anglais. C’est un sentimentdouloureux mais très beau, même si on ne sait pas forcémentce à quoi on aspire ou ce qu’on regrette. Je l’ai toujours res-senti au cours de mon existence et je pense que c’est le cas debien des personnes. Quant au thème principal, il s’agissait dela séparation suivie par la réunion. Je crois que c’est un thèmeuniversel, celui que l’on retrouve partout.

O. C.: Quelle méthode d’écriture as-tu utilisée pour le déve-loppement ?

M. D. W.: Je me suis donné quelques semaines pour laisser vivrecette idée. Si elle sombrait toute seule, c’est qu’elle n’était passi bonne. Je n’ai rien mis sur le papier avant d’être certain dela validité du concept.

O. C.: Le film est très existentiel, et l’on peut y lire unecroyance en la vie après la mort…

M. D. W.: Je pense que nous ne disparaissons pas tout à faitaprès notre mort. Cette confiance n’est pas liée à une idée ouà une image ; c’est simplement un sentiment rassurant.

A nimat ion t rad i t ionne l le e t ord ina teur

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Voici un des premiers dessins de la femme, héroïne du film ; on noteraque ce travail est très influencé parcelui de Sempé.

Croquis de recherche d’atmosphèrepour les scènes venteuses.

La lumière venant toujours de l’eau,les personnages vus sous cet angle sont systématiquement découpés en silhouettes. De profil, les déplacements s’effectuent toujoursvers la gauche pour rejoindre le lieu dedisparition et vers la droite pourrentrer chez soi.

Ce croquis est le premier dessin aufusain réalisé pour le film. Encoretrop dramatique, il a cependantpermis de valider l’utilisation de la technique pour le film.

Croquis de la séquence 1. C’est avec ce dessin que MichaelDudok de Wit réalise à quel point il souhaite utiliser les ombres pourconserver l’ambiance dramatique.

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O. C.: Comment opères-tu pour travailler le rythme ?

M. D. W.: Pour trouver le bon rythme, j’étale une douzaine de dessins du story à la fois, parterre ou sur ma table de travail. En les regardant, je me passe le film virtuel dans la tête :j’imagine les effets sonores, les mouvements importants. Ensuite, quand le story est complet,je refais la même chose avec tous les dessins, du début à la fin. C’est la méthode que j’uti-lise pour concevoir le timing du story-board.

O. C.: Même avec ces mois de travail, as-tu eu ensuite à transformer beaucoup ton story-board en cours de production ?

M. D. W.: Il y a eu finalement très peu de changements. J’ai affiché le story final sur le muret il ne l’a pas quitté pendant tout le temps de la fabrication.

O. C.: Avec ce que tu as dit, j’imagine que tu « vois » toutle film dès que tu attaques le story-board…

M. D. W.: Oui. J’admire d’ailleurs les réalisateurs qui peuventcommencer un story sans savoir où il va les mener. J’aimeraisavoir ce don d’improvisation, mais j’ai réellement besoin deconnaître la fin, l’histoire complète avant de me mettre àdessiner. Il faut également que j’aie une idée extrêmementprécise de l’atmosphère, et même quelques premières pistessur la musique.

O. C.: Donc, bien que tout paraisse naturel au visionnage,tu avances étape par étape, avec précaution, et reviens rare-ment sur tes pas. Cela fournit techniquement la base solidedont tu as besoin.

M. D. W.: Absolument.

O. C.: Quelles sont les idées sur lesquelles tu as dû reveniraprès t’être aperçu qu’elles pouvaient être remplacées par demeilleures ?

M. D. W.: Au début du film, quand le père soulève sa fille etl’embrasse, ils tournent ensemble. Ma première idée était deles faire légèrement valser. Mais j’ai laissé tomber parce quela simplicité du mouvement de rotation étaitplus forte.

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O. C.: Quel rapport entretiens-tu avec le public ? Y penses-tu lorsque tu écris ?

M. D. W.: Oui, toujours. Je pense souvent à un public imaginaire. À chaque étape, pour chaqueidée, je me demande s’il va comprendre telle ou telle chose, remarquer telle ou telle erreur,est-ce qu’il ne va pas chercher trop de symbolisme dans certains détails, etc. J’ambitionnetoujours que mon travail soit estimé, apprécié par mes collègues tout autant que par un publicqui verrait ce genre de film d’animation indépendant pour la première fois.

O. C.: Tes attentes concernant les réactions s’avèrent-elles justes la plupart du temps ?

M. D. W.: Je me rappelle qu’au début de la production j’ai dit à ma femme que Father andDaughter aurait probablement bien moins de public et de succès que Le moine et le poisson,parce qu’il était moins divertissant. De toute évidence, j’ai eu tort ! En fait, j’essaie de faire lefilm que j’aimerais voir en salle, un spectacle qui me plaise et qui me marque pourlongtemps.

La conceptionLa trame du film est étonnamment simple. La linéarité de la temporalité, la répé-tition des déplacements des personnages pourraient pousser le spectateur à décro-cher de la narration, et c’est là qu’intervient l’un des plus importants travauxaprès celui de la conception : celui de la scénarisation. Toutes les petites idéesanecdotiques développées dans le film auraient pu être remplacées par d’autres,le choix à effectuer était donc subjectif mais aussi très délicat.

Il convenait de rendre chaque scène « intéressante » en termes de dramaturgie, carchacune s’inscrit tellement dans le quotidien que le danger de ne pas réussir à lesrendre attachantes était grand… Et ce d’autant plus que le film ne montre aucunpersonnage en gros plan et que l’émotion devait se développer en restant à distance.

O. C.: Passes-tu beaucoup de temps sur la conception ?

M. D. W.: En général je passe beaucoup de temps sur le story-board. C’est une étape parti-culièrement créative et je veux aussi construire une bonne base pour la suite de la produc-tion. Pour Father and Daughter, j’ai travaillé plusieurs mois afin d’obtenir le rythme idéal,les bons passages d’une séquence à l’autre. Dans le récit, on voit se dérouler une vie entière,d’une manière très condensée, et malgré tout, je désirais obtenir une ambiance silencieuse,que l’on puisse sentir la tranquillité du temps qui passe. C’est un défi que j’ai aimé relever.

Le story-board donne déjà lesambiances lumineuses du film. Le graphisme des personnages estégalement presque définitif. L’étape de réalisation du story-boardrequiert donc un travail très précis quiconduit à un document auquel le réalisateur se référera tout au long de la production.„

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