Othman Dan Fodio. Fondateur de l'Empire de Sokoto

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  • 7/28/2019 Othman Dan Fodio. Fondateur de l'Empire de Sokoto

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    Oumar Kane

    Othman dan Fodio. Fondateur de l'empire deSokoto

    Editions ABC. Paris Dakar Abidjan. 1975. 109 pages

    Collection Grandes Figures AfricainesDirection historique: Ibrahima Baba Kak. Agrg de l'Universit

    Direction littraire : Franois Poli

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    Avant-propos

    Autres temps, autres signes : l'histoire africaine a maintenant acquis droitde cit. Nul aujourd'hui ne conteste sa ralit. Il suffit, pour s'en convaincre,d'inventorier le nombre sans cesse croissant d'ouvrages publis sur le passde notre continent. Cette profusion de livres d'histoire rpond un got dupublic africain, qui dsire de plus en plus connatre son pass afin de semieux situer par rapport aux autres peuples. Pourtant, une enqute meneauprs de jeunes lycens et collgiens, de cadres moyens africains, rvleque la plupart des livres d'histoire qui leur sont proposs n'ont pas leursuffrage.Pourquoi ? Ces livres sontcrits par des rudits qui tiennent rarement

    compte de l'intrt et du niveau des lecteurs. Aucune collection en languefranaise n'a jusqu'ce jour songproposer une pdagogie de l'histoireadapte au dsir de ce public. C'est l lacune que se propose modestementde combler cette nouvelle collection historique.Elle a choisi pour ce faire le thme des grands personnages africains car, en

    Afrique, l'histoire est avant tout le rcit de la vie des hros, btisseurs deroyaumes et d'empires. Comme l'crit l'historien de Tombouctou Es-Sadi : Nous savons que nos anctres, dans leurs:, runions, s'entretenaient leplus souvent de l'histoire des compagnons du Prophte et des saints del'islam. Ils parlaient aussi des chefs et des princes de leur pays, racontant laconduite de ces personnages, leurs aventures, leurs promesses, leursexpditions et la faon dont ils avaient pri. Rien pour eux n'tait plus douxque ces rcits, et ces causeries passionnaient leurs esprits.

    Aussi est-ce pour rendre les rcits doux aux lecteurs que les auteurs ontchoisi un style romanesque. Mais que l'on ne s'y trompe pas : tous les faitsrapports dans les livres de cette collection sont puiss aux meilleuressources de l'histoire africaine. C'est donc volontairement que les auteurs sesont dbarrasss du jargon scientifique.

    Autre cueil que les auteurs ont su galementviter la tentation de faire unehistoire hagiographique. Cette collection n'est donc pas une galerie de saints.Les fils et les filles qui sont prsents ici sont loin d'tre tous des modles

    proposs notre admiration. Les uns furent des conqurants impitoyablesqui assurrent leur pouvoir par des massacres sanglants. D'autres, mus parle sentiment national, furent en rvolte ouverte contre la colonisation et sedressrent contre l'envahisseur. Plusieurs finirent misrablement. Mais tousles portraits qui en sont faits (ou qui le seront dans cette collection) sont

    vrais, et souvent singulirement attachants. En entrant dans leur intimit,nous apprenons mieux connatre l'Afrique de nos anctres et la richesse deson pass. Ces hommes passionns et ardents, ces femmes entreprenanteset qui vont parfois jusqu'au sacrifice de leur vie, sont des entraneurs, deschefs dont l'autorit s'impose, dont la destine est souvent prestigieuse.

    Certains sont capables d'un dvouement magnifique ou d'un vritablehrosme dans l'amour. Les lecteurs dcouvriront, en lisant les ouvrages de

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    cette collection, que l'Afrique n'est pas un rservoir d'esclaves, de travailleursou de soldats, qu'elle est autre chose qu'une terre exploiter. Ce qu'ilsrencontreront, ne sur son sol, c'est une humanit, jeune, dynamique, quiprend conscience d'elle-mme.

    Les diteurs

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    Introduction

    Au dbut du XIXI sicle, un mouvement rvolutionnaire bouleverse leterritoire des Haoussa, situ au sud du Niger et au nord du Nigeria actuels,Il menace le pouvoir des petits souverains locaux. Il at dclench par un

    Fulani (Peul), le shehu Othman dan Fodio (Matre Othman, fils de Fodio) qui

    a lev l'tendard de la guerre sainte. Il va dboucher sur laconstitution del'empire de Sokoto. Les consquences de cette chevauche fantastique vontpeser lourdement sur cette rgion de l'Afrique.Othman dan Fodio n'a pas engag la partie contre les seigneurs haoussasans mesurer ses chances: les Haoussa ne forment pas un groupe tribal,c'est une communaut d'ethnies d'origines diverses, mais qui parlent une

    mme langue. Aux environs de l'an 1000 de notre re, ils se sont installsdans la savane, entre les fleuves Hiber et Jamarri. L, ils se sont mls lapopulation autochtone avant de la dominer et de se partager le pays. En

    1754, ou 1752 (selon les sources), quand nat Othman dan Fodio, l'autorit

    de ces roitelets est inconteste.Contre ce pouvoirtabli, Othman dan Fodio peut compter sur lescommunauts Fulbe (Peuls), ces migrants installs de plus en plusnombreux dans la rgion. Ils sont de sa race et se sentent particulirement

    brims par les seigneurs haoussa, qui les assujettissentde lourds impts.Il peut egalement compter sur les lettrs musulmans et les communautsqu'ils influencent travers tout le pays : l'Islam est parvenu jusqu'ici par lesantiques routes du dsert qu'empruntaient les commerants arabes.Propage par des marabouts qui jouissaient, grce leur instruction, d'ungrand prestige, la religion du Prophte a touch, progressivement, lesseigneurs, les courtisans et le peuple. Malgr tout, si les seigneurs islamissavaientadopt les noms musulmans et certaines coutumes, comme lessacrifices rituels ou la grande prire du vendredi, ils refusaient souventd'appliquer la doctrine sociale du Coran, et la propagande des maraboutsleur reprochera de ne pas renoncer tous les cultes paens de leursanctres.En fait, le Coran sera l'arme idologique d'Othman dan Fodio. Il le propagera

    pendant trente annes, jusqu'aux environs de l'an 1800, jusqu'ce ques'engage contre les seigneurs l'preuve de force. L'empire de Sokoto s'tablirasur leur ruine.

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    Othman dan Fodio. Fondateur de l'empire de

    Sokoto

    Les lgendes ont la vie dure et les nigmes de l'Histoire-ont toujours t unterrain fertile l'imagination des hommes : le mystre de l'origine des Foulb(singulier : Poullo), aujourd'hui rsolu, n'a pas chapp la rgle. On est all

    jusqu'dire qu'ils taient mtisss de tziganes chasss de leur pays par les conqutes de Tamerlan de juifs orthodoxes migrs de la Cyrnaique sur l'ordre de saintMarc

    en personne de mercenaires gaulois nagure tablis en haute Egypte

    de lgionnaires romains gars dans le dsert d'Indochinois de Bretons ; de Polynsiens d'extraterrestres, etc.

    Aussi bien, pour Mohammed Fodio, le fils qui vient de lui natre ce vingt-neuvime jour du mois de Safar de l'anne 1168 de l'Hgire (15 dcembre1754) descend, comme tous les Foulb, des amours lgendaires de Uqba benNafi, conqurant arabe de l'Afrique du Nord, et de la princesse berbre

    Bajjomangu, une chrtienne convertie l'Islam !Historiquement, cette version romanesque de l'origine du peuple foulb n'estpas plus srieuse que les autres. Mais Mohammed Fodio, matre, scribe etchef religieux du clan torob (hommes pieux), tabli dans le village deMaratta, la prfre toutes les vrits scientifiques: pour lui, les Foulbdescendent en ligne directe d'un proche compagnon du prophte. Et danscette principaut du Gobir o sa communaut fait une longue halte, euxseuls, les Foulb dtiennent le savoir, la vraie foi, la lumire, n'en dplaiseaux seigneurs ignares et corrompus qui gouvernent ces terres. L'enfant senommera Othman, dan (fils de) Mohammed, dan Othman, dan Salih, danFodio : Othman dan Fodio.

    On ignore beaucoup de choses du pre d'Othman, le nombre de ses chevauxou de ses esclaves, par exemple, mais cela n'a gure d'importance Lesenfants foulb appartiennent moins une famille qu'au clan lacommunaut. Et c'est la communaut torob tout entire qui va clbrerl'vnement de la naissance d'un nouveau mle.Quand les matrones quittent la concession de Mohammed Fodio, cinq casesde briques cuites recouvertes d'un toit conique en paille, entoures d'un petit

    jardin, l'heureux pre se rend la zaure, la case communale situe l'entredu village o les hommes ont l'habitude de prendre ensemble leurs repas, de

    bavarder dans la fracheur du soir d'accueillir les visiteurs de passage. Dans

    la vie trs svrement rgle de ces musulmans orthodoxes, les occasions defte sont assez rares et tous les amis de Mohammed Fodio accourent pour le

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    fliciter. Pendant que les femmes prparent des calebasses de milsavammentpic, s'lvent de la zaure des psaumes religieux et ces lentesmlopes du folklore nomade venues des fonds de l'Afrique et du temps.

    Mais que dit son horoscope ? s'inquite Bindawo, le jeune frre deMohammed Fodio.

    Que c'est un beau jour pour natre, Bindawo. Un beau jour pour natre,grce Dieu, rpond le chef religieux.Le sort des Foulb, sur cette terre d'Afrique, est de mener leurs troupeauxau gr des saisons, des pturages, des points d'eau et de l'accueil despopulations. L'accueil est parfois amical, parfois hostile. Les Foulb viventuniquement d'levage, troquant le beurre, le laitage et plus rarement la

    viande de leurs troupeaux contre le mil et le coton des paysans sdentaires.Souventcrass de taxes par les chefs locaux, ils dcident, quand l'injusticeest trop flagrante, d'aller tenter leur chance sous d'autres cieux. Ceuxd'entre eux qui ont quelque rudiment de savoir parviennentse glisser dans

    l'entourage d'un seigneur paen ou musulman.Ils y occupent les fonctions d'enseignants de matres du Coran, et acquirentde la sorte une influence considrable parmi leurs lves (qu'ilsalphabtisent en arabe) et parmi les musulmans de la communaut dsireuxde mieux rgler leur vie sur les principes islamiques. Quelquefois, leursconnaissances, leur intelligence, en fontdes conseillers couts, au risquede devenir des victimes dsignes quand meurt leur protecteur.Le clan de Mohammed Fodio ne fait pas exception. C'est un clan toucouleur

    appeltorob ou toronkawa, originaire du Fouta-Toro. D'ouest en est, il a

    nomadis en lisire du Sahara au cours des sicles, avec des fortunes

    diverses. Ainsi, Othman dan Fodio n'a pas deux ans quand la communautde son pre abandonne Maratta pour se fixer, provisoirement, Degel, une

    bourgade de la principaut Gobir situe proximit de l'actuelle Sokoto(Nigeria). C'est lqu'il passera son enfance. Une enfance pieuse, comme cellede tous ses petits camarades, l'instruction religieuse commenant pour ainsidire au berceau.

    Ainsi, quand le petit Othman rclame une histoire sa mre Hawa et il enest friand , elle lui raconte comment Ibrahim (Abraham) at sauv parl'ange Gabriel du bcher o l'avait fait prcipiter le tyran Nimrod.

    Et les flammes, dit-elle, se transformrent en un merveilleux jardin vert. Que fit Nimrod, ma mre? demande l'enfantmerveill. Aveugl par son fol orgueil, poursuit Hawa, il attela des aigles son charde guerre pour se lancer, la conqute du paradis. Naturellement, Dieu lepunit de son audace en logeant un moustique dans son crne et cemoustique y bourdonne depuis plus de mille ans !Hawa racontait aussi l'histoire du Prince aux deux cornes, version islamiquede l'pope d'Alexandre le Grand qui, la recherche de la vrit, parvint surles territoires de Gog et Magog, aux extrmes limites de la terre, et y btit uncolossal mur de blocs de fer. Et l'histoire de la ville de Brass, habite par les djinns , les gnies, o tout se passe l'envers puisque les animaux Ycommandent aux humains et que les femmes, comme on dit aujourd'hui, y

    portent la culotte.Othman dan Fodio ne se lassait pas d'entendre ces lgendes la gloire de

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    Dieu, mais celles qu'il prfrait par-dessus tout concernaient les combats duprophte Mohammed contre Iblis, le diable, les infidles et les hypocrites. Apeine s'il ne contestait pas la part prise dans ces combats par les archanges

    Mikal, Azra'il, Asrafil: il devait suffire au Prophte d'apparatre sur leschamps de bataille pour ptrifier de terreur et couvrir de honte ses ennemis.

    De telles histoires embrasaient l'imagination de l'enfant. Elles devaient leprparer l'instruction que son Pre dispensait l'cole coranique. De fait,ds qu'il atteint l'ge de raison, Othman rejoint le groupe d'lves quis'accroupissent autour du matre Mohammed sous le maigre feuillage desacacias. L, il va apprendre a lire etcrire l'arabe littraire, rciter leCoran par coeur, s'appliquant respecter les intonations et la ponctuationdu texte sacr.C'est l'essentiel de ce que les enfants apprennent dans les coles coraniques

    encore de nos jours mais l'lve Othman dan Fodio semble avoirtremarquablement dou.

    Prcisons enfin que l'ambiance, Degel, est studieuse. La journe de lacommunaut est rythme par les cinq prires qu'annonce le muezzin entre lelever et le coucher du soleil. Entre leurs cours et leurs repas et les corvesrserves aux enfants de leurge, les lves ont, certes, le temps des'amuser. Ils en ont le droit, la condition expresse de ne pas troubler lamditation des vieillards accroupis l'ombre des murs de brique ou lestravaux intellectuels d'un matre comme Mohammed Fodio.En fait, les enfants s'amusent en silence avec les jouets qu'ils ont appris fabriquer en tressant des brins d'herbe et d'osier. Les plus turbulents n'ontmme pas le loisir d'organiser courses ou jeux de mains sans tre

    immdiatement rappels l'ordre. A peine si la quitude du villagemusulman est trouble par le hennissement d'un cheval nerv, le chantdiscret d'une gracieuse lavandire ou les dits et rpons qu'changent deuxlettrs par-dessus leurs grands livres.En 1770, aux alentours de sa quinzime anne, Othman dan Fodio est djimprgn de culture et de pit musulmanes. C'est, au physique, un garondans la moyenne. Mais l'on remarque djson srieux, sa gentillesse et cegot de la mditation qui fera dire son pre qu'Othman possde des donssurnaturels, dont celui de chasser les djinns. Ds lors, sa route est trace.

    Sa rencontre avecJibril ben Omar sera dterminante.

    La nouvelle s'est rpandue comme une trane de poudre dans toute la

    communaut : le cheikh Jibril ben Omar estune journe de marche de

    Degel. Sans aucun doute, il sera lavant le coucher du soleil.La visite du cheikh est toujours un vnement. Ce Targui est un homme dehaute taille, de belle prestance et de grande culture. Il nomadise avec sesdromadaires jusqu'au coeur du Tchad, dresse ses tentes dans le Nord-Cameroun, fait de longues retraites Agads, redescend par le Nord-Nigeria,au gr des saisons et des pturages.On ne le voit pas souvent, et pour cause, chez les Foulb du clan torob,mais il est toujours accueilli avec plaisir et respect. Avec plaisir parce que les

    Touareg et les Foulb sont gnralement lis par la vieille complicit qui unit

    les nomades confronts aux populations sdentaires. Au point que Jibrilcompte parmi ses pouses une sur de Mohammed Fodio.

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    Avec respect parce que cet homme des sables et des savanes est l'un desAfricains les plus instruits de son temps : deux de ses dromadaires sontlourdement chargs de livres et de manuscrits qui constituent, pourl'poque, une fabuleuse bibliothque. C'est dire avec quelle joie le fin lettrqu'est Mohammed Fodio ordonne que soientgorges deux chvres pour le

    repas du soir et que l'on selle son cheval blanc: il ne laisserapersonne, lesoin d'aller au-devant de son ami.La journe semblera particulirement longue Othman dan Fodio. Il sesouvient encore de la dernire visite du cheikh Jibril, une dizaine d'annesplus tt ; de l'espce d'angoisse comme une boule au fond de la gorge qui l'avaittreint quand son pre lui avait demand de rciter un verset duCoran devant son hte illustre. A l'poque, il commenaitpeine dchiffrerles caractres arabes et la crainte de se tromper le paralysait. Comme letemps a pass ! Aujourd'hui, il est conscient de ne plus avoir grand-chose apprendre de son pre, au moins dans le domaine des tudes. Et l'honneur

    de rencontrer Cheikh Jibril Ben Omar, il ne l'ignore pas, va se traduire parune espce d'examen de passage qui engagera son avenir.De fait, trois heures de marche du village, dans la poussire souleve parle troupeau du Targui, le pre d'Othman ne tarit pas d'loges propos deson fils

    Tu sais, Jibril, que je n'ai plus d'autre ambition que de gagner monparadis par la prire et par la charit. Mais je crois mon fils Othman capablede grandes choses. Avant de quitter cette terre de misre, je voudrais luipermettre d'apprendre tout ce que j'ignore.

    Comme tu en parles. Mohammed ! Ton fils est encore un enfant. Avant

    qu'il soit capable de te tenir tte en matire d'rudition la laine de sescheveux aura commencblanchir. Je te l'accorde, c'est toujours un enfant, rpond Mohammed Fodio avecfougue. Mais il est djpubre, et sa soif de connaissance est telle que je n'aiplus grand-chose lui apprendre. Ce qu'il lui faut, maintenant, ce sont lesmeilleurs matres. Des hommes tels que toi, Jibril. Des hommes tels que toi.

    Tu me fais grand honneur, Mohammed. Et que Dieu me prserve dupch d'orgueil ! Quand nous aurons vu Othman, nous aviserons.Le festin prpar l'intention de Cheikh Jibril ben Omar est servi dans lazaure, la grande case communale. Othman dan Fodio a le privilge d'yassister. Certes, son ge lui interdit de se tenirproximit immdiate du

    sage, mais pour notre hros cela n'a gure d'importance puisqu'il le voit etl'entend, et l'coute au point de ne pas toucher aux plats qui lui parviennent.Othman est franchement subjugu par le Targui. Jamais, de toute sa vie, iln'a eu l'occasion de rencontrer un homme d'une telle autorit. Son pre etDieu sait s'il le respecte lui fait l'effet d'un colier devant son matre, Jibril

    ben Omar connat tout, a rponse tout, tranche de tout. De temps autre,pour donner plus de poids son argumentation, il demande l'un de sesserviteurs d'aller chercher sous sa tente l'une des besaces de cuir souple quirenferme les prcieux livres et manuscrits acquis auprs de marchands oude plerins qui ont fait le voyage de la Mecque, du Caire, de Damas, d'Alger,

    de Fs ou de Tombouctou.Alors, il droule avec soin le parchemin, choisit sa page et, sous la flamme

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    menue de la lampe huile, lit d'une voix singulirement timbre quelquepome sacr jamais encore entendu Degel. Othman a l'impressiond'entendre la propre voix du Prophte. Il est gris par le verbe. Il ne cherchemme pas dissimuler les frissons et les tremblements de son corps. Il estsous le charme de l'homme du dsert. Son motion est telle que lorsque le

    Targui lui adresse la parole, lui pose une question, Othman s'entendrpondre machinalement, comme si un autre avait parlsa place.Heureusement pour lui, fi s'entend rpondre juste. Car les questions de

    Jibril ben OmarOthman n'taient pas fortuites : sans en avoir l'air, leTargui jugeait des connaissances, du bon sens, de l'intelligence du fils deson ami Mohammed. Et quand les dernires getas de lait de chamelle ontt

    vides, quand les flammes des lampes huile commencentvaciller, quandenfin le Targui regagne son campement dress la lisire du village, ilrassure son hte qui le raccompagne :

    -Tu avais raison, Mohammed. Ton fils an est de l'espce dont on fait des

    matres. Il est temps qu'il voie du pays. AKano, le Shehu Abdur Rahmandan Hamadalui apprendra la grammaire et la syntaxe ; Sokoto, mon ami

    Othman Bindawo Bakebbi lui apprendra la posie ; Katsina, Hashimu

    Bazanfare,Amadou dan Mohammed Aminou etMohammed dan Raji

    feront de lui un expert en exgse et en traditions. Alors, ton fils Othman

    pourra venir me rejoindre Agads o nous ferons de lui le plus brillant des

    shehu du pays haoussa.Ainsi, Othman dan Fodio, jusqu' l'ge de vingt ans, va suivre de ville en villela rigoureuse universit islamique. Sous la frule de son propre pre, il avaitt initi dans le Coran l'arabe littraire. Grce au cheikh Jibril ben Omar

    et aux matres que le Targui lui a choisis, il va devenir un spcialiste engrammaire et commentaires, en astronomie, en mathmatiques, enmdecine.Hritier de l'enseignement scientifique et philosophique des Grecs del'Antiquit, l'islam, longtemps, sera le seul dpositaire de la culture dumonde mditerranen. Certes, la fin du XVIIIe sicle, les thoriesscientifiques de l'Antiquit sont largement dpasses: le monde arabe ignoretout des travaux de Copernic, de Galile, de Newton, de Buffon. Il luimanque d'avoir vcu la rvolution technique et intellectuelle de laRenaissance europenne.

    Il est vrai que la question, en pays haoussa, n'est pas encore dl actualit.Alors mme que l'Europe occupe dj, sur la faade atlantique de l'Afrique,tous les points stratgiques entre Saint-Louis-du-Sngal et le cap deBonne-Esprance, on y vit encore comme l'poque du bas Moyen Age.Et la progression de l'Islam, malgr ses lacunes, constitue un progrsindniable en Afrique noire. Dans les coles qu'il frquente, destines former les matres du Coran, Othman dan Fodio apprend tout du Prophte,sa pense, ses rvlations, son action, ses miracles. Bientt, il sauraparfaitement exprimer son savoir en vers et en prose et sera alors apte tudier les fiqh, c'est--dire les lois que tout bon musulman doit observernon seulement dans le cadre de sa vie prive mais dans celui de la cit.Rappelons que le code islamique, comme celui de Mose, rgle l'ensemble dela vie sociale. Il lgitime le pouvoir. Il sert de code civil, de constitution

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    politique, de rgle personnelle. Othman apprend quel chtiment rserver auvoleur et au criminel, comment rgler un pineux problme d'hritage,comment gouverner ; le Coran permet au fidle de se comporter en bonmusulman quelles que soient les circonstances, quel que soit l'endroit o ilse trouve.

    La tradition de l'Universit islamique s'est perptue jusqu'nos jours enpays haoussa, Kano, notamment, o le Shehu Babbam Malaoui exerait

    toujours en 1976.

    Les cours ont lieu dans la case communale, lazaure, capable d'accueillir

    une trentaine d'lves. A la manire d'Othman dan Fodio, les jeunes genssont assis en tailleur sur des peaux de chvre, face au matre qui trne surun tapis.De part et d'autre du matre s'entassent des parchemins et des copies ainsique quelques livres imprims en Egypte ou en Afrique du Nord. Derrire lematre, creuses dans le mur de brique crue, des niches abritent des livres

    prcieux, d'usage rare. Devant lui, un brasier de charbon de bois rpand sachaleur et donne la cendre qui, soigneusement rpandue sur le sol de terre

    battue, servira de tableau noir : le shehu y inscrit du bout du doigt leslettres, les chiffres et les diagrammes de sa leon. Les lves apprennentl'imiter, crivant avec une encre fabrique base de noir de fume et degomme arabique sur des planchettes de bois poli. De temps autre, matreetlves prennent dans une calebasse une noix de cola, leur friandisefavorite.La technique est partout la mme : le matre lit une pense, une maxime, unpassage de livre ou de manuscrit. Il le commente en haoussa ou en peul. Les

    lves coutent, prennent des notes, posent ventuellement desquestions, rptent et apprennent par coeur, motmot, texte etcommentaires. Les tudiants d'aujourd'hui viennent de trs loin pours'instruire comme Othman dan Fodio, dans l'art de la lgislation et autresdisciplines. A cette diffrence prs qu'ils ont maintenant la possibilit desuivre les cours des coles laques.

    A l'poque d'Othman, il n'en tait pas question. L'cole publique n'existaitpas. L'instruction crite tait musulmane ou n'tait pas. Et, en payshaoussa, ce sont les Foulb qui forment l'essentiel des lves et des matres.C'est que l'islam, au XVIIIe sicle, bien qu'implant depuis fort longtemps

    dans cette r

    gion d'Afrique noire, n'y est pas pratiqu

    avec une granderigueur. Il bnficie, sans doute, du prestige de la chose crite . Mais lesvieilles traditions animistes, le culte des anctres, par exemple, sont toujoursvivaces dans la population, pour ne pas parler des responsables politiquesqui ont tendance oublier la doctrine sociale du Coran, la raison d'Etatpassant gnralement avant les principes religieux.Devant un tel relchement, les Foulb, depuis toujours, se sont considrscomme les gardiens de la foi. Forts de leur science et de leurs convictions, ilsprchent en faveur d'un plus grand rigorisme et leur zle est encore exacerbpar les rcits de voyageurs qui leur racontent commentIbrahima Sambegu,Cheikh Suleiman Bal,Abd el Kader Kane, ont renvers les dynasties

    paennes au Fouta-Djalon et au Fouta-Toro pour rtablir l'orthodoxiecoranique.

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    Ils l'ignorent encore, mais c'est le dbut d'une rvolution qui va faire de cesnomades disperss, plus ou moins mpriss, rudement traits par lesseigneurs locaux, les matres de la majeure partie du Soudan central. Poursa part, Othman dan Fodio brle de participer au combat pour la vrit.Dornavant, qu'elle soit guerrire ou pacifique, il ne vivra que pour la jihad,

    la guerre sainte.Othman dan Fodio ouvre les yeux sur le monde. Il avait pass toute sonenfance et son adolescence dans la communaut foulb musulmane de sonpre. Ses tudes l'obligentcheminer longuement sur les pistes de la savanehaoussa, de bourgade en cit. Il voit vivre les petits paysans, il partage leursrepas, il se lie d'amiti avec eux. Il lui faut constater que la majorit desHaoussa est fidle l'animisme et que ceux qui se prtendent musulmansont de la religion du Prophte une ide des plus vagues.Indiscutablement, il en souffre. Mais il refusera toujours de condamner lepetit peuple, son amertume se reportant sur les seigneurs qui ne font rien

    pourduquer leurs sujets.Au demeurant, sa gentillesse naturelle lui vaut la sympathie des pauvresgens qu'il rencontre. On aime tout de suite ce garon veill qui n'a pourtout bagage que la paire de pantalons, la longue blouse et le turban qu'ilporte, et qui met volontiers la main l'ouvrage aux champs ou l'choppe, selon les lieux et les saisons pour remercier d'un repas.Convaincu que les richesses, les biens matriels de ce bas monde ne peuventque corrompre l'me d'un bon musulman, Othman dan Fodio, mme arrivau faite de la gloire, ne se dpartira jamais d'une simplicit calque sur celledu Prophte qu'il vnre.

    De la mme manire, il vite, dans ses relations quotidiennes, d'abuser de lasupriorit que lui donne son instruction. Il estime avoir beaucoup apprendre du plus humble de ses compagnons de route, souvent riche del'exprience d'une vie, de la sagesse traditionnelle.Ce n'est qu'en matire religieuse qu'il se rvle intransigeant. Encore a-t-il lamanire. Il ne se comporte jamais en inquisiteur intolrant. Il expliqueinlassablement, reprenant dix fois le fil de son propos jusqu'ce que soninterlocuteur comprenne.Naturellement, les discussions atteignent un autre niveau quand elles ontlieu entre lettrs. Les amis d'Othman sont de son espce : des parents, descondisciples, des matres, des missionnaires, des visionnaires qui partagent

    son idal. Ils forment une communaut d'intellectuels, forts de leur certitudereligieuse et trs critiques l'gard du pouvoirtabli.Dans le cas d'Othman dan Fodio, l'influence de Jibril ben Omar atparticulirement sensible. Le matre d'Agads, o Othman passa plusieursmois, tait un iconoclaste militant. Ses vues sur le statut des pcheurs etdes infidles taient des plus rigoureuses : il promettait les flammes del'enferceux qui transgressaient la moindre des lois de l'Islam. Il estimaitque le simple fait de fauter ravalait le pcheur au rang mprisable despaens.Othman aura toujours le plus grand respect pour le cheikh :

    Ne me prenez pas pour un tre d'exception, dira-t-il plus tard. Je ne suisqu'une vague de l'ocan Jibril...

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    Malgr tout, il ne partagera jamais l'intolrance religieuse de son matre.Psychologue, le Shehu comprend trs bien les faiblesses humaines. Sonpropos n'est pas de condamner les pcheurs, mais, au contraire, de lesramener dans le droit chemin. Il demeure que l'objectif des deux hommes estle mme : faire respecter sur la terre haoussa la loi de l'Islam.

    Une uvre de longue haleine. Dans le Kitab al Farq,l'un de ses crits lesplus clbres, Othman a expos sans complaisance les tares impardonnablesdes seigneurs haoussa. On peut les classer en quatre chapitres qui seraienttitrs : Oppression , Corruption , Faiblesse , Offenses au code del'Islam .En fait, le Kitab al Farqest un cahier de dolances qui expose le programme

    politique rformiste qu'entend raliser Othman dan Fodio.Dans son premier chapitre, Othman reproche aux seigneurs

    de prlever des impts interdits par laShari'a, la loi sacre de vivre

    avec des concubines sans les pouser de s'approprier les biens des orphelins de prlever des taxes en marchandises et en argent sur les marchs de commander du btail et de ne pas le payer de s'approprier les biens des trangers qui meurent sur leur territoire de faire payer un droit de passage aux marchands et aux voyageurs d'imposer le service militaire aux jeunes gens tout en permettant aux

    plus riches d'ychapper en versant un pot-de-vin.

    On notera au passage que les dolances concernant le btail intressent

    directement les Fulani. Depuis longtemps, chez eux, la rvolte gronde cepropos. En faisant connatre son point de vue de lettr, Othman dan Fodiojette de l'huile sur le feu. Et quand la guerre clatera, ce couplet prendra unedimension historique.L'acte d'accusation de corruption concerne, en gros, l'impossibilit d'exposerun litige au seigneur ou au juge, sans tre oblig de passer par une srie defonctionnaires, qui exigent de fortes sommes d'argent pour transmettre larequte ou le dossier leurs suprieurs hirarchiques et quiplaident, systmatiquement, en faveur du plus riche.Enfin, outre la faiblesse, la frivolit, la luxure des dirigeants qui viventsouvent dans des palais d'une richesse inoue et qui s'adonnent l'alcool,aux danses lascives, la musique profane, Othman s'indigne du peu de casqu'ils font de la loi, du code de l'Islam. Ainsi, ce n'est qu'un exemple, la loisacre exige que l'adultre soit lapid, l'assassin excut, le voleur mutil.Les seigneurs haoussa, souvent, se contentent de leur infliger des amendesou de confisquer leurs biens. Pour un musulman aussi dvot qu'Othmandan Fodio, il s'agit ld'une attitude impardonnable parce que

    blasphmatoire, la loi n'ayant pas t pense par ds lgistes mais dicte parDieu.L'impact d'un tel discours, notamment parmi les Fulani islamiss, atconsidrable. Parce qu'il donne une base idologique leurs revendications :

    spcialistes de l'levage dans des rgions o la richesse s'exprime en ttes debtail, ils supportent de plus en plus mal d'tre considrs comme des sujets

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    taillables et corvables merci, de ne pouvoir jouer parce que considrscomme trangers aucun rle politique ou social alors mme qu'ils ontconscience de participer largement la prosprit gnrale. D'o le succsdes prdications d'Othman dan Fodio partout o il prche la bonne parole.Et Dieu sait qu'il ne mnage pas ses efforts. Ses premires armes de

    missionnaire, il les faitDegel, dans son propre village, qu'il regagne chaqueanne entre deux cours. Et chaque anne, son pre, le vieux Mohammed,constate avec satisfaction qu'Othman a encore gagn en savoir et en autoritsans rien perdre de sa modestie.Il a la manire. On le trouve, chaque matin, aprs la premire prire, assis

    devant lazaure, la case communale, dbattant de quelque point de doctrine

    sous l'oeil admiratif de son jeune frreAbdullah, en compagnie des lettrs.

    Les anciens sont flatts du respect qu'il leur tmoigne.Les adultes sont intresss par les propositions qu'il avance. Les jeunes sontenthousiasms par sa foi militante.

    Ses qualits majeures sont la patience et la chaleur humaine. Personne ne lelaisse indiffrent. Et sa sympathie se rvle communicative au point quec'est toute l'ambiance de Degel qui en est transforme.Sa gentillesse n'est pas une espce de faiblesse.Othman, s'il n'a aucune ambition personnelle, sait parfaitement faire preuved'autorit quand il s'agit du respect de la loi islamique. Avec les femmes, enparticulier, il n'hsite pas miser sur la crdulit pour les contraindre, parexemple, se voiler quand elles vont au march. Il connat leur crainte desdjinns, des gnies qui peuvent empoisonner la vie quotidienne d'unemnagre en faisant tourner le lait ou en gtant une sauce. Il prvient les

    rebelles qu'elles seront perscutes par les djinns si elles ne suivent pas sesconseils, si elles dsobissent. Et il ne manque pas de revendiquer lamoindre de leur msaventure si cela sert sa cause. Les tmoins assurentqu'il le faisait avec humour et que son autorit s'imposait sans aucune

    brutalit.Tous insistent sur le fait, lui qui prtendait commander eux djinns, qu'iln'usait jamais de la crainte qu'ils inspiraientdes fins personnelles, maisau seul bnfice de la, loi divine. Au demeurant, et c'est assez exceptionneldans la socit islamique ultra-conservatrice de l'poque, il dploraitl'ignorance dans laquelle on laissait les femmes et plaidait pour qu'ellessoient instruites.

    Ainsi, c'estDegel, dans un milieu qui lui est favorable, que le Shehuentreprend sa jihad pacifique. C'est ici qu'il va recruter ses premiersdisciples, s'imposer comme chef des jeunes musulmans de son clan. O qu'ilsoit appel, o qu'il dcide d'aller, il restera toujours en contacttroit aveceux. Et les raisons de se dplacer, ne manquent pas.

    Othman estdvor par la foi. Il passe des heures, des journes entires

    sans boire ni se nourrir ni dormir, dans la plus absolue des mditations. Latradition islamique prtend qu'une fois par sicle Dieu choisit un croyantpour raffermir la foi des hommes et purifier la religion. Othman est certainqu'il est l'lu de son sicle en pays haoussa. Sa conviction est telle qu'il la

    fait partagerses compagnons. Tous sont persuads que le Shehu a unemission accomplir. Tous sont disposs se mettre son service.

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    En 1776, il a vingt-deux ou vingt-trois ans, Othman dan Fodio prend congde son pre. Par respect pour lui, il est restDegel jusqu' la fin duramadan, mais le jene et la mditation n'ont fait que renforcer sadtermination : il a dcid d'aller prcher au-deldes frontires du Gobir, etson choix s'est port sur la principaut voisine de Kebbi.

    L'Etat du Kebbi, nagure, avaitt une marche du puissant empire songhai.Dfinitivement abattu par les Touareg au dbut du sicle, il ne restait de sasplendeur passe que les places fortes de Surame et de Birnin-Kebbi. Malgrtout, grce l'activit des marchands qui contrlaient le commerce tout lelong du Rima, un affluent du Niger, le Kebbi tait rest l'une des plusprospres principauts haoussa.Mohammed Fodio ne doute pas un instant du succs de la mission de son

    fils, bien qu'il sache qu'aux difficults qui l'attendent s'ajoute un grand

    mal, la lpre, qui commence le ronger.

    Ma seule exigence, lui dit-il, c'est que tu emmnes avec toi ton jeune frre

    Abdullah. Il te rendra les meilleurs services et son me se forgera tonexemple.De fait, le destin d'Abdullah, qui n'a pas encore quinze ans, sera dsormaislicelui d'Othman auquel, jusqu' la fin de ses jours, il vouera uneadmiration sans bornes.C'est que, d'emble, l'adolescent est plong dans une prodigieuse aventure.Charg d'un modeste bagage, un baluchon de linge de rechange, Abdullahaccompagne son frre de village en bourgade, le long de la vallesablonneuse du Rima. A chacune des haltes, il l'aide ameuter le petitpeuple des paysans et des artisans, des commerants, des pasteurs. A tous

    Othman tient le mme discours, dnonant la superstition, le paganisme, lesidoles et l'impit des chefs et des seigneurs. Combattant de la foi, il vachercher ses auditeurs de case en case, les rassemble, leur promet lesrigueurs de l'enfer ou les dlices du paradis, enseigne les lois respecter, les

    vux faire, les serments prter, les aumnes verser.Il est jeune, sympathique, amical, patient. Quand les villageois sont enfinrunis, il leur sourit, les salue trois fois, impose le silence, lance la formulerituelle:

    Remercions-Dieu, Seigneur de la cration

    et prche pendant des heures. Malgr sa silhouette frle, il manifeste unetelle chaleur que les plus sceptiques sontbranls.Il ne quitte les lieux qu'aprs avoir mari les couples illgitimes, baptis lesenfants, instruit les croyants qui suivaient la mauvaise voie. S'est-il nourri,repos ? Il a dj repris la route d'un pas dcid, poursuivant son discours l'intention des jeunes gens qui se joignent, lui.Car ils sont de plus en plus nombreux ceux qui adhrent l'action duShehu, qui se convertissent, qui se transforment en disciples fervents et qui

    vont leur tour battre la campagne pour y propager son nom et ses ides.Ces disciples ne sont pas tous des Foulb, loin de l. Othman prche

    indiffremment dans sa langue, en haoussa ou en arabe, et s'adresse tousles musulmans sans aucune distinction. Mais son discours apparat

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    tellement subversif, sa cible favorite restant les seigneurs, que les classessociales les plus favorises, nobles, commerants et matres du Corancompromis avec le pouvoir, vitent de s'engager en faveur d'un mouvementsur lequel ne doit pas manquer, un jour ou l'autre, de s'abattre larpression. Les disciples d'Othman, eux, sont issus des classes les plus

    pauvres. Ils n'ont rien perdre.Et, fatalement, la rputation de sagesse, de saintet du shehu, colporte pardes dizaines de militants, amplifie par la rumeur publique, ne tarde pas

    franchir les frontires du Kebbi pour atteindre la puissanteAlkalawa,

    capitale du redoutable Bawa, sarkin (roi) du Gobir.

    Othman l'ignore-t-il ? Avant de rentrerDegel, il prche travers le Konni

    et le Zamfara, principauts limitrophes du Gobir, o il soulve le mme

    enthousiasme.Sa premire campagne de prdication a dur quatre annes. Quand ilretourne Degel en 1782, Othman dan Fodio est un homme plein

    d'assurance, rompu la vie publique, fortifi par le succs, chef incontestdu mouvement musulman rformiste. Il n'a pas trente ans. Et il ne paraitpas le moins du monde impressionn par la convocation de se rendre lacour de Bawa.

    Le sarkin Bawaest alors au fate de sa puissance. Il a fait de l'Etat de

    Zamfara un protectorat du Gobir et garde l'mir Abarshi prisonnier

    Alkalawa. Ses troupes rgulirement, franchissent la frontire du royaumede Katsina d'o elles reviennent, invaincues, avec un lourd butin composde marchandises, de btail, d'esclaves. Ses succs militaires lui permettentd'entretenir une cour somptueuse de vassaux, d'allis, de concubines, de

    serviteurs, de griots, d'astrologues et aussi de lettrs musulmans moinsattachs qu'Othman dan Fodio la rigueur de leur religion.Certes, comme la plupart des seigneurs haoussa, Bawa se rfre souventl'islam, dont il observe certaines rgles, telle la prire du vendredi. Mais sonadhsion est des plus relatives pour un religieux de l'espce d'Othman danFodio, qui ne tolre aucun manquement aux lois sacres. Et quand le jeuneprdicateur franchit les portes de la capitale, c'est avec la ferme convictionde convertir le prince impie.

    Alkalawa est une grande ville entoure d'une imposante muraille en briqued'argile brune. Elle est cloisonne en quartiers corporation par

    corporation , qui s'tendent jusqu' l'enceinte qui protge, au coeur de lacit, le palais royal et les rsidences des dignitaires du rgime.Othman dan Fodio est entr par la porte sud, escort d'un groupe de talibs(disciples), comme lui vtus de blanc et coiffs de turban.Manifestement, il est prcd d'une flatteuse rputation, et c'est avec le plusgrand mal qu'il fend la foule des curieux qui se presse, dense, autour de lui,intimide par sa dtermination et par sa simplicit : les plus effrontstouchent un pan de son boubou comme on touche un talisman.Une fois franchis les quartiers populaires grouillants de l'activit destisserands, des verriers, des forgerons, des tanneurs, il parvient devant le

    lourd portail de bois clout qui ouvre sur la concession du sarkin du Gobir.L, il demande ses compagnons de l'attendre et ordonne aux gardes de

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    l'introduire auprs du souverain.

    Bawaest dans son jardin, un vaste enclos ombrag, discutant avec ses

    capitaines de la prochaine razzia en pays touareg. Le sarkin a sans doute tprvenu de l'arrive d'Othman car, du plus loin qu'il le voit, il interrompt saconversation pour l'attendre, regardant venir vers lui, avec une curiosit

    amuse, ce gringalet dont le fanatisme divertit la cour.Malgr le sourire du sarkin, tout autre que dan Fodio auraittimpressionn : g d'une cinquantaine d'annes, Bawatait un colosse dontla puissance naturelle tait encore accentue par la tenue de chasse dont iltait vtu : bottes carlates, tunique de fine cotte de mailles, casquecaparaonn d'pais tissus. Il n'avait pas fait un pas en direction du shehu,le fixant simplement d'un regard paisible.Othman respecte l'tiquette. Il se prosterne rapidement devant sonsouverain, touche sa tunique et porte la main sur son propre cur et sonfront. Il ne parlera pas avant d'y avoirt invit:

    C'est donc toi, le prophte qui accomplit des miracles ? dit enfin Bawad'une voix conciliante.

    Puissant seigneur, rpond Othman, je demande Dieu de te rendre dignede ton ministre.Le sarkin du Gobir n'a pas pu s'empcher de froncer les sourcils devant unetelle effronterie. Il sait son nom respect d'un boutJ'autre du Bilal EsSoudan. Il a vaincu ses dangereux rivaux et garanti ses frontires.Honntement, il ne pense pas avoir dmrit. Le shehu, malgr toute sascience, est encore un enfant.

    Calmons-nous, dit-il. J'agis au mieux des intrts de mon peuple et

    j'assure sa prosprit. Pour le reste, je suis les traditions de mes anctres.L'islam est une bonne religion et j'en respecte les lois. Mais tout le monde nepeut pas vivre comme un saint.

    Tu es le matre de ce pays, s'enflamme Othman et tu dois donnerl'exemple. Dieu t'a plac sur ce trne pour que tu suives sa loi et fassesrgner la vraie justice.

    Les matres du Coran qui m'entourent, rpond le prince, sont moinsintransigeants que toi. Ils comprennent que la plupart de mes sujets sontattachs leurs coutumes ancestrales. En tant que chef de notre peuple, jeleur dois aussi le respect. Cela ne m'empche pas de prier le vendredi lamosque.

    Puissant sarkin ! Tu dois savoir que celui qui fait la prire mais s'inclinedevant une idole est un hypocrite qui dtruit par lmille actes de religion.

    Tu dois faire interdire de prier les idoles. Les rois sont faits par Dieu pourque la vrit triomphe de l'erreur.

    Les rois ne font pas toujours ce qu'ils aimeraient faire, rpond doucementBawa.Et il est sincre. Aurait-il le dsir d'obir aux ordres du shehu qu'il ne leferait pas sans miner la source mme de son pouvoir. Ses anctres sontdevenus rois parce qu'ils taient rputs dominer les esprits de la terre, del'eau, de la fort. Il ne devait son royaume qu'ce culte traditionnel. Pouvait-

    il le dclarer impie ? L'interdire ? Alors que ses sujets y croient dur commefer ? Les vassaux l'auraient immdiatement dpos !

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    Pourtant, le courage et la conviction du petit shehu le font rflchir,L'influence de dan Fodio est djconsidrable, tant au Gobir que dans lesprincipauts voisines. Autant le mnager, ne pas s'en faire un ennemidclar. La vie se chargera de temprer son caractre.

    Nous allons rflchir tout cela, dit-il pour conclure. Je t'autorise

    prcher autant que tu le souhaiteras et te rclamer de ma protection. Tupeux aller.

    Othman dan Fodio tait la fois du et satisfait. Du parce qu'il n'avaitpas russi convaincre le sarkin. Satisfait parce que la protection dusouverain lui permettait de faire de nouveaux adeptes Il ressort de cela,crivit prosaquement son frre Abdullah, que ceux qui ne se convertissaientpas par crainte de Dieu se convertirent par crainte de dsobir au shehu,dont on connaissait les bonnes relations avec le sarkin...Fort de l'amiti de Bawa, Othman dan Fodio se croit en scurit. Au point de

    contrarier son matre en allant prcher dans la principaut voisine deZamfara, en dpit de la tension qui rgne entre cet Etat et le Gobir.Pendant cinq ans, de 1786 1791, il y dploie une fantastique activitmissionnaire entrecoupe de sjours la cour de Bawa.Le temps n'a pas tempr son caractre. Bien au, contraire. Il est toujoursaussi intgriste, aussi ferme, aussi dynamique. Mais il pse chaque jourdavantage dans la balance politique du royaume, grce au succs croissantde ses prdications et de celles de ses disciples parmi les populations.Othman dan Fodio commence se faire des ennemis jurs. Il commence inquiter Bawa.

    Paradoxalement, les plus acharn

    s

    sa perte sont les notables musulmans,les matres du Coran, compromis avec le rgime. Leur hostilit relve de la lgitime dfense (Othman ne les mnage pas, leur reproche leur corruption,la tideur de leur foi), de la jalousie, de la politique.

    Parce que Bawane cache pas une certaine admiration pour le meneur

    d'hommes qu'est dan Fodio il lui a mrite confi l'ducation de ses fils ses ennemis n'osent pas l'attaquer de front. Mais ils laissent planer des

    doutes sur l'orthodoxie de sa doctrine. Son principal dtracteur est le cheikh

    Moustapha al-Mahir, qui lui reproche de favoriser la promiscuit entre les

    hommes et les femmes. Il serait plus agrable Dieu, dit-il au sarkin, qui louait publiquementl'honntet de dan Fodio, que votre prdicateur favori harmonise ses actes etses paroles. On voit des femmes se mler aux hommes pour lui rendrehommage et chercher sa bndiction, ce qui est interdit par les textes sacrs.

    Entre la ngation de Dieu et le simple pch, rpond le frre d'Othman,Abdullah, qui se rvle un polmiste de talent, il faut choisir le moindre mal.C'est vrai qu'il est interdit de runir des hommes et des femmes pendant lesprdications. Mais abandonner les prdications, c'est laisser ces hommes etces femmes dans l'ignorance. Or l'ignorance engendre l'incroyance et langation. Nous voulons leur enlever l'ignorance pour qu'ils ne soient pas desmcrants. Le Prophte recommande de parler aux hommes en tenant

    compte de leur niveau intellectuel et de leur milieu social. Louanges auProphte qui nous invite la droiture.

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    Bawa sourit l'cho de ces querelles scolastiques. Il lui plat mme des'entendre vertement reprocher sa conduite par cet homme qui pourraittreson fils. Cela le change de l'hypocrisie de ses courtisans.

    Sais-tu, lui dit-il un jour, que tu exagres ? Ne crains-tu pas ma colre ? Celui qui veut faire plaisirDieu, rpond dan Fodio, n'a pas peur de

    blesser l'orgueil des princes d'ici-bas.De fait, Bawa a parfois du mal se matriser. En 1786, l'occasion de la ftemusulmane du Id-ahdha, celle du dixime mois, alors que le shehu etnombre de ses disciples sont runis Alkalawa, on rapporte Bawa que danFodio prche la dsobissance ses dits.

    Ici ! dans ma propre capitale ! Chez moi !Fou de rage, le roi se rend, seul, dans la concession qu'occupe le shehu etses compagnons avec la ferme intention de chtier l'impudent. Veut-il le tuer? Quand il se trouve en prsence de dan Fodio et de ses disciples, leurnombre le fait hsiter. Il demeure debout, silencieux, la main crispe sur le

    manche de son poignard. L'un de ses courtisans, tmoin de la scne,comprend la situation :

    A l'exception de Dieu, dit-il, personne ne peut faire ici ce que tu asprojet.Bawa retrouve son sang-froid. Et quand Othman dan Fodio lui demandetranquillement ce qui lui vaut l'honneur de la prsence du souverain, Bawa

    rpond que son intention tait de lui offrirun troupeau de cinquante ttes

    de btail.

    Dieu te rende grce de ta gnrosit, rpond le shehu, mais tu peuxgarder tes troupeaux. Les musulmans te demandent le seul droit de

    propager leur foi, celui de pouvoir occuper des emplois dansl'administration, moins d'impts pour les paysans et la libration de tous lesprisonniers zamfara, y compris leur chef, Abarshi. Tu peux, puissant sarkin,nous l'accorder.Surpris, Bawa accorda.L'exigence concernant la libration d'Abarshi, prisonnier de Bawa depuis denombreuses annes, est particulirement significative. Officiellement,Othman dan Fodio tait un sujet du sarkindu Gobir. En fait, le shehu se souciait moins des frontires que du Coran.Pour lui, l'Islam tait le ferment politique qui permettrait aux hommes decrer une socit digne de la puret originelle de la foi, une socit juste. Ilne dfendait ni les intrts de Bawa, ni ceux du chef Abarshi. Il ne prenaitparti ni pour les Peuls, ni pour les Haoussa, ni pour les Touareg. Il prenaitparti pour les croyants, pour les musulmans, et c'est prcisment parce qu'iltranscendait les particularismes locaux que son mouvementtaitrvolutionnaire, menaait l'ordre tabli et recueillait l'adhsion des couchesles plus dfavorises mais les plus nombreuses de la rgion.Maintenant, Bawa ne pouvait plus en douter.Conscient de la puissance que reprsente maintenant Othman dan Fodio, lesarkin du Gobir essaye par tous les moyens de l'attacherses intrts, luiproposant mme de devenir son cadi, c'est--dire le juge suprme du

    royaume.Mais le shehu est assez fort pour refuser toute compromission, sans

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    craindre pour sa vie. Il est devenu le chef incontest d'une internationale demusulmans rformistes. Il parcourt tout le Soudan central, prchant,formant des disciples, avant de s'installerDegel o il ouvre un centred'tudes.Il y constitue le centre nerveux d'une puissante communaut de fidles, la

    Jama'a, dont il est le directeur spirituel, le cheikh, et c'est lqu'il enseignedes tudiants enthousiastes, accourus de toute part, le droit, lagrammaire, la rhtorique et qu'il rdige, outre les pamphlets les plusmordants, des pomes en langues haoussa et fulfuld.Il continue d'entretenir, malgr tout, des relations courtoises avec Bawa, quile consulte rgulirement. Mais entre les deux hommes le courant ne passeplus, et ces relations resteront formelles jusqu' la mort du souverain.

    Au demeurant, cette mort tmoigne du peu de cas que faisait Bawa des avis

    du shehu, si l'on en croit le Raud al Jinn( les Pturages du paradis ) deMalam Gidado, l'un des disciples et biographe d'Othman dan Fodio :

    Quelque temps aprs l'affaire du Id-al-adha, raconte-t-il, Bawa convoqua leshehu propos de la campagne contre la ville de Maradi, qui lui rsistaitoutrageusement.Le shehu avait rejoint l'arme du Gobir sous les murs de la ville. Il y avait lau moins dix mille hommes, diviss en divers corps, nobles cavaliers montssur des chevaux lourdement caparaonns, fantassins arms de lances et de

    boucliers en peau, archers pars de plumes. Install au pied d'un baobab,bott d'carlate comme le jour de sa premire rencontre avec dan Fodio, lesarkin du Gobir recevait les rapports de ses officiers et donnait des ordres.

    Il avait dj le pied l'trier quand le shehu put enfin s'approcher de lui.Bawa aimait la guerre. Il tait resplendissant sous l'clat du soleil : Que penses-tu de cette journe, lana-t-il en souriantOthman. Quedisent les toiles ?

    Puissant sarkin, rpondit le shehu, elles disent que tu auras la victoireavant d'avoir chauss les triers mais que Dieu t'interdit, aujourd'hui, de temler au combat.Bawa le guerrier partit d'un grand rire, comme s'il venait d'entendre uneplaisanterie. Accompagne du roulement des tabalas, des tambours deguerre, la premire vague d'assaut, couverte par les tirs des archers,s'lanait vers la forteresse.La premire prdiction d'Othman se rvla exacte. Incapables de tenir pluslongtemps Maradi devant une aussi formidable arme, les troupes rebellesl'abandonnrent pour se regrouper en brousse et trouver refuge Tsibiri,

    ville voisine distante d'une vingtaine dekilomtres. Bawa n'avait pas eu le temps de se mettre en selle que seshommes taient matres de la place, o ils accumulaient un riche butin.Pour le sarkin, il n'tait pas question de laisser l'arme ennemie faire sa

    jonction avec celle de Tsibiri. Nous avons vu ce qu'a fait le shehu Maradi, dit-il. Voyons ce quepeuvent faire nos lances!

    Malgr la dsapprobation de ses officiers, tmoins de la prdiction d'Othman,

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    http://www.pulaaku.net/defte/hasJohnston/ch10.html#gidado_wazirihttp://www.pulaaku.net/defte/hasJohnston/ch10.html#gidado_waziri
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    le sarkin mena la charge contre les fuyards et trouva une mort glorieuseaprs avoir rompu six lances.

    Cela se passait en l'an 1204 de l'Hgire (1790). Othman dan Fodio avait

    trente-six ans.

    A Bawa avait succd son frreYakuba, qui ne rgna que quatre annes.Quatre annes pendant lesquelles Othman dan Fodio accrut encore sonaudience parmi les peuples des principauts de Gobir, de Zamfara, de Kebbi,poussant, l'ouest, jusqu'aux cits du Niger, Illo par exemple, retournantDegel, repartant battre encore la campagne o l'appelaient des mes raffermir, des communauts instruire.Le nouveau sarkin du Gobir respectait les avantages acquis par Othman danFodio sous le rgne prcdent, mais, sans tre particulirement tendues, lesrelations entre les deux hommes ne dpassrent jamais le stade de lacourtoisie.

    Aussi bien, il est curieux de constater queYakubaeut sensiblement la mmefin que son frre, ainsi que la rapporte la chronique des Pturages duparadis .

    Consultpropos de l'attaque de la ville de Magami, Othman dan Fodio

    dconseilla au sarkin une telle entreprise. Il dpcha auprs du souverainson propre neveu, Kaumanga, pour qu'il renonce son entreprise, et Yakubaallait flchir quand ses courtisans lui firent remarquer que l'attitude dushehu n'tait pas forcment celle d'un sage, mais celle d'un partisan quiprofite de son influence pour protger ses coreligionnaires assigs dansMagami.

    De fait, se plaant au-dessus des partis, Othman dan Fodio comptait desamis dans les deux camps et souhaitaitviter une bataille fratricide.Soucieux de sa gloire et de la puissance de son royaume, Yakuba se rangeafinalement l'avis de ses courtisans et dpcha un messager pour en aviserle shehu.Quand l'envoy du souverain arrivaDegel, Othman dan Fodio l'coutaattentivement et rpondit par l'une de ces formules nigmatiques dont ilavait le secret :

    Yakuba, dit-il simplement, ne retournera jamais chez lui, si Dieu le veut,mais, si Dieu le veut, tu retourneras chez toi.

    La prophtie, une fois de plus, se rvla exacte Yakuba fut tuMagami.Le successeur de Yakuba, son frre cadetBunu Nafata, n'avait pas

    l'intention de s'en laisser conter par le prophte lpreux. En cette anne1795, date de son couronnement, il pouvait considrer sans exagration lapuissance morale d'Othman dan Fodio comme une menace relle pour sonautorit. Sous le rgne de ses deux frres il avait assist l'irrsistibleascension du shehu. L'affaire de Magami, o Yakuba avait trouv la mort,l'avait convaincu que les musulmans rformistes n'taient pas de loyauxsujets et que, s'il ne ragissait pas tout de suite, son trne mme serait endanger. Son exaspration atteignit son paroxysme quand on lui rapporta queles nomades foulb refusaient de payer la taxe sur le btail parce que paenne .

    La vue mme de ces fanatiques m'est insupportable ! hurla-t-il ses

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    conseillers.Mais les conseillers de Bunu Nafata le pressaient de mnager dan Fodio :

    Seigneur, rpondirent-ils, le shehu est considr comme un saint, mmepar vos sujets qui ignorent sa religion. Le toucher serait considr comme unacte sacrilge.

    Je n'ai pas besoin de toucher lui. Qu'est-ce qu'un chef priv de guerriers? Qu'est-ce qu'un guerrier priv de ses armes ? Un lion dent. Un lion privde ses griffes. J'ai dcid de priver le lion de ses dents et de ses griffes. Et s'ilrelve la tte, je n'hsiterai pas la lui faire trancher!Burin Nafatatait excd. On saurait bientt qui de lui ou de dan Fodiorgnait sur le Gobir.Ds le lendemain, des messagers quittaient la concession royale. Monts surde puissants coursiers, ils avaient mission de faire connatre les ordres dusouverain dans les villages les plus isols du pays.Partout, les messagers du roi runissaient , les habitants pour leur faire

    connatre les dcisions royales. Sous peine de mort, il tait interdit auxenfants d'abandonner la religion de leurs frres et les nouveaux convertisdevaient se rtracter. Enfin, le port du voile, pour les femmes, du turban,pour les hommes, tait interdit sur l'ensemble du territoire,Cette dernire mesure n'tait pas fortuite, insignifiante, mais politique : lesouverain du Gobir l'tait de droit divin. Il tait le chef religieux de sonroyaume. Il tait mandat par les esprits pour rgner leur place.De leur ct, les musulmans considrent que l'imam, le chef religieux de leurcommunaut, est aussi le chef de l'Etat. Ainsi, chaque sujet paen qui seconvertissait l'Islam niait implicitement l'autorit du sarkin et se plaait

    sous celle de l'imam, en l'occurrence Othman dan Fodio. Il n'avait mme pas le proclamer. Le simple fait de porter le voile ou le turban tait assezloquent. Et depuis que le shehu avait entrepris son uvre missionnaire,

    voiles et turbans s'taient considrablement multiplis. Au point que lesouverain n'avait qu'porter son regard sur la foule un jour de march pourcomprendre que ses sujets lui chappaient.En interdisant aux musulmans de vivre leur foi, en leur interdisant deprcher par l'exemple, en les empchant de porter leurs signes distinctifs,Bunu Nafata esprait les rintgrer dans son royaume.Malgr tout, Bunu Nafata avait d faire une exception de taille. L'interdictionde prcher s'adressait tous les musulmans, saufOthman dan Fodio. Il

    connaissait l'homme. Il le savait assez convaincu, assez courageux pourendurer tous les supplices. Il savait qu'aucun dit n'aurait pu lui barrer lechemin qu'il s'taittrac. Pourviter le soulvement gnral qu'auraient provoqu l'arrestationet l'excution du shehu, le sarkin, s'il lui interdisait de faire cole, l'avaitautorisprcher, parmi ses coreligionnaires.En fait, les dits du souverain du Gobir n'eurent pas du tout l'effetescompt. Ils provoqurent, au contraire, un plus grand militantisme de lapart des musulmans.L'preuve de force tournait la confusion de Bunu Nafata.

    Le sarkin fit une ultime tentative pour vaincre dan Fodio : il fit emprisonnerles membres de sa famille et somma le shehu de mettre un frein ses

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    comme nouveau roi tmoigne de la qualit de ses partisans. En vrit.Othman dan Fodio comptait maintenant des amis et des disciples danstoutes les couches de la socit du Gobir.Le nouveau sarkin tait dchir. Son affection et son estime pour son ancienprcepteur sans parler de la reconnaissance qu'il lui manifestait ne

    font aucun doute. La chronique rapporte que Yunfa se rendit seul, pied,jusqu'Degel rendre hommage son matre. De la part du souverain le pluspuissant de la rgion, c'tait lun acte d'humilit qui tranchait avecl'attitude de ses prdcesseurs.Mais, comme ses prdcesseurs Bawa, Yakuba et Bunu Nafata, Yunfa nepouvait tolrer la menace que reprsentait la communaut musulmane.Un premier conflitclata entre Yunfa et dan Fodio propos d'une petitecommunaut musulmane conduite par l'un des disciples du shehu. AbduSalami, qui, fuyant les perscutions religieuses, avait dcid d'migrer auGobir pour se fixer avec ses troupeauxGimbana, dans l'Etat voisin et

    vassal du Kebbi.Courrouc, Yunfa ordonna aux fugitifs de rentrer au Gobir. Abdu Salamirefusa et, pour chtier les rebelles, Yunfa lana une expdition militairecontre Gimbana.La ville fut enleve aprs un bref combat, rase, et les survivants de lacommunaut musulmane furent emmens au Gobir pour ytre rduits l'tat d'esclaves. Malheureusement pour les soldats de Yunfa, la route duGobir passait par Degel, le fief d'Othman dan Fodio.Le prophte, selon la tradition populaire, se porta au-devant de la longuetroupe de captifs :

    La condition d'esclave, dit-il au commandant de l'arme du sarkin, ne siedpas de bons musulmans.Et sans attendre la rponse du militaire, il entreprit de librer les captifs deleurs liens.Devant une telle assurance mais aussi conscient de la menace quefaisaient peser sur son escouade les guerriers de Degel qui maintenant lecernaient , le soldat laissa Othman dan Fodio dlivrer ses coreligionnaires.Quand Yunfa apprit l'affront qui venait d'tre infligson autorit, il entradans une violente colre et dcida d'en finir une fois pour toutes avec le porteur de turban .Il convoqua dan Fodio, qui se rendit l'invitation, mais ds qu'il fut en sa

    prsence, le souverain se saisit de son mousquet, le braqua dans la directiondu shehu et pressa la dtente.Le coup ne partit pas. Un miracle avait transform en sable fin la poudre dela cartouche...

    Degel, dit le sarkin, sera chti comme l'at Gimbana. Puisque Dieut'pargne, je te promets de mettre ta propre famille l'abri. J'ai dit.

    Je n'abandonnerai jamais ma communaut, rpliqua dan Fodio d'une voixpose. Mais la terre de Dieu est vaste et nous allons quitter ton pays.

    Je t'ordonne de rester ! s'emporta le souverain.Le shehu ne rpondit pas. Sa dcision tait prise.

    De retourDegel, Othman dan Fodio ordonna immdiatement l'exode. La

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    jihad, la guerre sainte, tait invitable. Cela se passait le 21 fvrier 1804. Le

    shehu lpreux avait cinquante ans.

    Qui pourrait deviner qu'ils sont sur le point de fonder un empire ? Comme leprophte qu'il vnre, Othman dan Fodio cherche le refuge dans la fuite. Ilest accompagn de son frre Abdullah, de son fils Mohammed Bello, de sesfidles, les talibs. Ils ont emmen avec eux leurs familles, leur btail, leursarmes, leurs livres, un peu de nourriture et quelques objets personnels., Ilsont abandonn Degel et font retraite en direction du soleil couchant, versl'ouest.L'ouest. Dj, Degel tait l'ouest du Gobir et le Gobir l'ouest du payshaoussa. La course du shehu amne sa communaut traverser uneimmensit dsertique, sauvage, de sable, de rocaille, d'pineux. Les raresoasis de fertilit qu'ils rencontrent permettent au btail de s'abreuver, auxhommes de se reposer. L'une de ces oasis abrite une bourgade nomme

    Gudu. Othman dan Fodio dcide d'y installer les siens. Situe sur un

    promontoire, la petite cit domine les larges plaines striles. Les musulmanssont l'abri de toute surprise d'o que vienne le danger, un nuage depoussire trahira les armes de Yunfa.Pour l'heure, le jeune souverain du Gobir ne donne aucun signe de vie.Pourtant, la nouvelle du dpart d'Othman dan Fodio s'est rpandue comme

    une trane de poudre dans tout le royaume. Et de tout le royaume, lesmusulmans accourent maintenant vers Gudu pour se mettre aux ordres deleur shehu. En vain Yunfa leur interdit de quitter leur foyer. En vain ilordonne que soient confisqus les biens des dserteurs. En vain lespatrouilles sont multiplies pour intercepter ceux qui n'ont pas renoncrejoindre les rebelles.Pendant deux mois, Yunfa va se contenter de demi-mesures. Manifestement,il redoute un soulvement gnral des communauts musulmanesauxquelles pourraient se joindre les principauts vassales et d'ambitieux

    voisins. En mai, il fait savoir au shehu qu'il lui accordera son pardon pour

    peu qu'il se soumette.Othman dan Fodio n'est plus dispospasser de compromis. Il rpond

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    Yunfa qu'il ne retournera pas Degel moins que Yunfa ne se repente deses pchs, moralise ses mthodes de gouvernement, rende les biens qu'il aconfisqus et embrasse la vraie foi.Le roi est mis au pied du mur. Il convoque ses conseillers et les lettrs duroyaume pour leur demander qui du shehu ou du sarkin est dans son droit.

    Tous sont d'accord pour dire que la justice est du ct de Yunfa. Dans ce cas, ordonne le souverain, qu'un messager se rende Gudu pourdire au shehu que je vais le combattre et qu'il se tienne prt pour notrerencontre.La solennit de cette dclaration de guerre n'branla pas la dterminationdes musulmans rfugis Gudu. Simplement, ils pensrent qu'ils allaient

    bientt mourir et ils dcidrent de mettre de l'ordre dans leurs affaires.

    Nous dcidmes, crivit Bello, le fils et successeur d'Othman dan Fodio, denous donner un chef et nous finies tous allgeance au shehu. Nous

    prommes d'obir a ses ordres et de le suivre tant dans la fortune que dansl'adversit. Il accepta notre hommage et il jura de suivre le Livre et la Loi. Cetvnement eut lieu dans la soire du mercredi. Le premier lui rendrehommage fut son frre, le waziri Abdullah, puis ce fut mon tour, puis celuid'Uwuru Mai-Alkammu, enfin celui de tous les musulmans.

    Pour la premire fois. Othman dan Fodio tait investi du titre deCommandeur des Croyants. Un titre qui, en pays haoussa, avait toujours t

    port (Sarkin Musulmi) par les sultans de la principaut de Sokoto. La

    rupture tait totale avec le Gobir, mais de toute vidence le shehu avait peu

    de chances de porter son titre trs longtemps tant la situation semblaitdsespre.Bien que la position stratgique de Gudu ft intressante, la place, quin'tait pas une forteresse, se rvlait indfendable. En outre, son territoiretait trop pauvre pour nourrir longtemps la dizaine de milliers d'hommes, defemmes et d'enfants qui s'ytaient rfugis. Enfin, alors que Yunfa,souverain du plus puissant des royaumes haoussa, pouvait aligner unearme de prs de cent mille hommes, renforce par dix mille cavaliers, et uncorps de mousquets, dan Fodio, sans forteresse, sans argent, sans vivres, nedisposait que de quelques milliers d'hommes mal arms et d'une vingtainede cavaliers.

    Mais ces hommes taient d'une trempe peu commune : ils croyaient en leurcause, ils savaienttre les instruments de la volont divine et ils necraignaient pas la mort.

    Vers la fin du mois de mai 1804, Othman dan Fodio runit ses fidles sur laplace de la bourgade. A les voir aussi dguenills, la piti lui serra le curet, un instant, il se demanda s'il ne devait pas renoncer. Mais leurs yeux

    brillaient d'une telle confiance, d'une telle volont, qu'il comprit dans unclair que la communaut irait jusqu'au bout de son destin

    Que la volont de Dieu soit faite ! lana-t-il brusquement. Cette jihad seracruelle mais elle vous ouvrira jamais les portes du paradis. De cela nous

    pouvons tre srs, car le Prophte nous a arms d'une pe capable devaincre les plus grandes armes de la terre, et cette pe, c'est l'pe de

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    Vrit.Galvaniss, les guerriers musulmans se levrent en brandissant leursarmes, bnissant le nom d'Allah, et le shehu sut qu'il ne fallait plusattendre.

    Aussitt aprs, il confiaMohammed Gayar, l'un des rares musulmans

    verss dans l'art de la guerre, le soin d'organiser l'arme : Nous n'avons plus une minute perdre, lui dit-il. Yunfa doit avoir levtoutes ses troupes et fondra sur nous avant les pluies, dans moins d'unmois. Nous pourrions viter le combat et marcher encore en direction dusoleil couchant, niais nous risquons d'tre pris revers par les seigneurs deGiniga et de Matankari.Mohammed Gayartait un homme dans la force de l'ge, pieux, discret,raisonn. Aussi, quand il rpondit :

    Je ferai btir une mosque Giniga etMatankari, personne ne doutaqu'il tait assez fort pour enlever ces deux cits.

    Trois jours plus tard, Mohammed Gayar quittait Gudu la tte d'une petitearme de cinq mille hommes. Quand il fit ses adieux au shehu, sa voixtaitferme :

    Aie confiance, dit-il simplementdan Fodio. Nous reviendrons plus fortsque nous ne partons.

    Dieu ne peut pas nous abandonner, rpondit le shehu. Que Sa volontsoit faite.La premire campagne militaire tait lance.Les musulmans bnficiaient de l'effet de surprise. Personne ne pouvaitimaginer qu'ils oseraient prendre l'initiative d'attaquer.

    Une semaine plus tard, Mohammed Gayartait de retourGudu, victorieux,accompagn d'une longue colonne de porteurs chargs d'un butin d'armes,de vivres et, surtout, d'une centaine de chevaux caparaonns pour laguerre.Ses pertes en hommes n'taient pas ngligeables mais elles se trouvaientlargement compenses par l'afflux de volontaires musulmans qui,enthousiasms par la bravoure de leurs coreligionnaires, s'taient joints aux

    vainqueurs.Giniga, Matankari, du point de vue militaire, n'taient pas des victoiresdcisives. Mais elles dmontraient la valeur des guerriers musulmans et lapropagande des partisans du shehu, dans tout le Gobir, allait s'en empareret renforcer la dtermination des rformistes.

    A Gudu, Mohammed Gayar, aprs un repos de quelques jours, profita del'exaltation de ses hommes pour convaincre Othman dan Fodio de conserverl'initiative.

    Il semble, dit-il, que Yunfa n'ait pas encore runi son arme. Profitons-enpour briser ses allis alentour. Je propose d'enlever Birnin Konni !

    Le sarkin du Gobir risque d'tre aussi rapide que toi, objecta le shehu.Konni ne se rendra peut-tre pas aussi facilement que Giniga oui Matankari.Ne serait-il pas plus sage de laisser les guerriers panser leurs blessures ?Bello, qui assistait l'entretien, prit la parole

    Pre ! Laisse-nous aller. Nous sommes arms de l'pe de Vrit. Noussommes faits d'un autre mtal que nos ennemis.

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    Le shehu sourit. La maladie l'empchait de porter les armes, mais il savaitde quelle trempe taient ses fidles.

    Vous partirez mercredi, dit-il. Mais si la ville rsiste, n'insistez pas. Elle ne rsistera pas, affirma Mohammed Gayar.Birnin Konni tait distante d'une cinquantaine de kilomtres. C'tait une cit

    entoure d'une importante muraille en pis, dfendue par une garnisonaussi forte que toute l'arme musulmane. Le sige risquait de durerlongtemps et, l'arme de Yunfa aidant, de tourner au dsastre.

    L'ennemi n'aura pas le temps d'organiser sa dfense, promit MohammedGayar.Il devait tenir parole.La colonne musulmane quitta Gudu dans la soire du mercredi. Les 50kilomtres furent couverts dans la nuit. A l'aube, Konni tait investie. Toutela journe du jeudi, malgr l'avalanche de flches des dfenseurs, lesguerriers de Mohammed Gayar s'attaqurent aux remparts de la ville. A 5

    heures, une brche fut enfin ouverte et, une heure plus tard, la garnison serendaitLes musulmans allaient clbrer leur victoire quand Mohammed Gayar etBello furent avertis que le sarkin du Gobir attaquait Gudu.Le chef musulman rassembla immdiatement ses troupes, ordonna de leverle camp et entreprit une nouvelle marche force vers Gudu, o ils arrivrentJ'aube du vendredi.L'information tait fausse Yunfa n'avait pas encore quitt Gobir, Mais le faitd'armes de l'arme musulmane, une arme sous-quipe, compose de

    volontaires sans exprience, sans entranement, sans discipline, est des plus

    exceptionnels. En trente-six heures, malgr la chaleur torride, ces hommesavaient parcourir 100 kilomtres pied, assig une ville, et gagn unebataille : Ce jour-l, dit simplement Bello, nous avons connu les limites del'endurance.

    Le mois de juin tait arriv et, avec lui, les premires pluies. Dans son palaisdu Gobir, Yunfatait d'humeur morose. Il avait appris la chute de Giniga etde Matankari, maintenant de Birnin Konni, sans y attacher une trop grandeimportance mais il tait irrit par le refus poli des souverains voisins qu'ilavait invits se joindre lui pour la promenade militaire qu'il entreprenait.

    Ces renforts n'taient pas ncessaires au sarkin du Gobir pour vaincre lapoigne de rebelles qui prtendaient bafouer son autorit. Son invitationcourtoise de faire partagerses voisins les plaisirs de la guerre comme oninvite un festin tait un geste d'estime et d'amiti. Leur refus tait ressentipar le souverain comme un geste d'hostilit. Mme le royaume vassal deZamfara, l'exception de la cit de Gummi, s'tait refusses obligations.En vrit, on le craignait trop pour ne pas se rjouir de ses difficults, et lesseuls avoir rejoint son camp taient les chefs touareg, qui ne redoutentpersonne et sont toujours disposs en dcoudre sous quelque prtexte quece soit.

    Du dans son amour propre, Yunfatait maintenant press d'en termineravec une affaire qui ne pouvait rien ajoutersa gloire. Il ordonnases

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    vassaux de se mettre en route avant que les pluies ne rendent les pistesimpraticables et les campements trop inconfortables.La fine fleur de la chevalerie gobirawatait rassemble au Gobir, plusieurscentaines de nobles accompagns de leurs griots, de leurs pouses, de leursguerriers, de leurs sorciers, de leurs tambours. La ville tait en bullition, au

    grand plaisir des commerants qui vendaient aux seigneurs de la soierie parcoupons, des bijoux d'or et d'argent et des vivres par tonnes.

    Tous, y compris les pouses, devaient accompagner l'arme, bien dcids ne pas perdre le moindre pisode du spectacle que le sarkin du Gobir leuroffrait. Tous taient convaincus l'hypothse contraire n'effleurait mritepas les esprits qu' la seule vue de cette magnificence la bande rebelleprendrait une fuite honteuse.C'tait la seule inquitude de Yunfa, soucieux de ne pas laisserchapper legibier, et cette inquitude dtermina sa stratgie : l'arme gobirawa devaitprendre la route de l'ouest, contourner Gudu et rabattre les musulmans vers

    le centre du pays d'o ils ne pourraient plus s'chapper, pris dans la nasse.Et quand enfin les soldats du roi levrent le camp, bannires au vent, quandla terre se mitgronder sous les sabots des milliers de chevaux, quand unnorme nuage de poussire obscurcit la plaine, il ne fit aucun doute que lesarkin n'allait faire qu'une bouche des porteurs de turbans.L'arme de Yunfa s'taitbranle le 7 juin. Au pas lent des quipages, ellemit quinze jours avant d'atteindre, 30 kilomtres l'ouest de Gudu, lesrives d'un petit lac appelTabkin Kwatto.Dans le camp musulman, ce n'est pas sans angoisse que les plus courageuxdes guerriers suivaient de leur promontoire l'avance du flot ennemi dans la

    plaine. Nombre d'entre eux pensaient que la sagesse imposerait au shehud'viter le contact avec un aussi formidable adversaire.Ce n'tait ni l'avis de Mohammed Gayar, ni celui de Bello, ni celuid'Abdullah, ni celui d'Othman dan Fodio.

    A quoi bon viter le combat ? avait dit le shehu. Un jour ou l'autre nousdevrons quitter la terre de Dieu. Si Dieu le veut, nous mourrons ici mme.

    Si Dieu le veut, rpliqua son frre Abdullah, nous vaincrons sur les rivesdu lac Tabkin Kwatto.Mohammed Gayar, dont le courage n'tait pourtant plus dmontrer, ne putcacher sa stupfaction :

    Tu prtends, dit-il incrdule, que nous devons aller au-devant de l'arme

    du sarkin du Gobir ? Allah m'est tmoin, je ne suis pas devenu fou, rpliqua Abdullah, Regardeles paens. Vois comme ils sont griss par leur puissance. Ont-ils la force demontercheval ? Je les vois vtus d'toffes prcieuses, vautrs sur d'paiscoussins avec leurs courtisanes, s'empiffrant de viande et de mil, ivresd'orgueil et de dbauche. Ils n'ont pas un regard pour nous. Allons jusqu'leur camp. Portons-y le fer et le feu. Ne leur laissons pas le temps decaparaonner leurs chevaux.Le plan d'Abdullah tait d'une telle audace qu'il laissa les chefs militairessans voix.

    Et brusquement. Mohammed Gayarclata de rireTu as raison. Par le ciel, tu as cent fois raison. Je ne sais pas si nous

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    vaincrons, mais si nous devons prir, que cela soitnotre manire, enbraves.Le shehu lui-mme fut gagn par le rire.

    Mon frre, dit-il enfin, c'est le Prophte qui t'inspire. Si nous attendons ici,nous provoquerons le massacre de nos pouses et de nos enfants. Si nous

    acceptons une bataille range dans la plaine, la cavalerie de Yunfa noustaillera en pices, nous qui n'avons mme, pas de piques ! Et son infanterienous tombera dessus comme un nuage de sauterelles. Ne leur laissonsaucun rpit !

    Ce soir du mercredi 20 juin 1804, les guerriers musulmans furent invits

    se prparer en silence. Dans la nuit, ils franchirent les 30 kilomtres quisparaient Gudu du lacTabkin Kwatto. A l'aube, ils avaient atteint le lac.Ils laissrent aux Gobirawa un bref rpit, le temps de se dsaltrer, de faireleurs ablutions, d'abreuver les chevaux, de prier.L'alerte avaitt donne dans le camp du sarkin du Gobir et l'arme du

    souverain commenaitse dployer, en dsordre, occupant l'entre d'unepetite valle pour permettre la cavalerie lourde de prendre son lan.Normalement, les musulmans, infrieurs en nombre, et en armement,auraient d prparer une bataille dfensive, partir de positions solides.Mais rien dans leur comportement n'tait normal. Ils taient simplement,

    venus pour mourir les armes la main. Ils quittrent l'abri des arbres dubord du lac, formrent trois corps d'arme, les fantassins des ailes gauche etdroite, encadrant les archers, et marchrent sur leurs ennemis.Protgs par leurs boucliers, leurs cottes de maille, leurs armurescapitonnes, leurs mousquets, leurs lances, leurs sabres, les guerriers du roi

    du Gobir attendaient le choc avec confiance.Soudain, les musulmans lancrent par trois fois leur cri de guerre, AllahAkbar ! et chargrent. Aussitt rpondirent les tambours du roi et une salvede mousquets, par chance tire de trop loin. A son tour, l'infanterie gobirawas'lana la rencontre des hommes de dan Fodio.Ils taient si nombreux, face la phalange musulmane, que les ailes gaucheet droite des fous de Dieu, presses, se retrouvrent soudes en carr autourdu corps des archers qui poursuivait son avance dans la masse.Ils auraient dtre anantis, sabrs par la cavalerie adverse, achevs par lesfantassins gorgeurs. Mais compltement encercls par l'infanterie royale,qui empchait la cavalerie d'intervenir efficacement, ils rsistaient tous lesassauts, dcochant au contraire des traits meurtriers aux cavaliers quiessayaient vainement de se frayer un passage jusqu' leurs lignes.Si miracle il y eut, ce fut celui du courage et de l'endurance. A un contre dix,

    jusqu'au soir, les musulmans taillrent en pices chaque vague de l'armegobirawa, fonant au cur des rgiments ennemis jusqu'ce qu'ils sedisloquent.

    A la nuit tombante, c'est Yunfa qui ordonna en personne la retraite ; il avaitperdu l'essentiel de sa cavalerie et les deux tiers de son infanterie : trentemille hommes, trois mille chevaux. Rarement l'histoire militaire avaitenregistr un tel dsastre.

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    Ce fut, raconta Bello, la plus belle bataille de la jihad. Le Seigneur brisal'arme ennemie jusqu'ce qu'elle se dbande et nous les anantmes dansleur course... Nous les talonnmes et fmes un grand massacre. Dieu seulsait combien nous en avons tu ! Nous ne nous sommes arrts qu' la nuit,quand il fut l'heure de la prire du soir, l'heure de rendre grce Dieu,

    Seigneur de la Cration. Cette victoire fut aussi miraculeuse que celle deBadr, qui vit le Prophte craser les paens de La Mecque.

    Pour sa part, le shehu n'avait plus aucun doute : il tait sur terrel'instrument de Dieu.La dfaite du sarkin du GobirTabkin Kwatto retentit comme un coup detonnerre dans tout le pays haoussa. Les souverains qui craignaient sapuissance, les petits rois qui avaientt forcs de reconnatre sa suzerainetse rjouirent du succs d'Othman dan Fodio et se flicitrent de ne pas s'tremls ce conflit.

    Mais parmi ceux qui taient ravis de la leon donne l'orgueilleux Yunfa,nul n'avait reu la nouvelle avec, autant de plaisir que les souverains duZamfara.Le Zamfara, nagure, avaitt un Etat puissant, respect de tous. Pourtant,depuis deux gnrations, il ne restait pratiquement plus rien de sasplendeur passe. Vaincu par les Gobirawa, le vieux royaume de Zamfaraavaitt rabaiss au rang de protectorat. La capitale, rase, n'avait pas treconstruite. Les parties nord et ouest du pays avaientt annexes auGobir et si les princes des quelques cits prserves taient encore indpendants , ils le devaient par-dessus tout leur soumission au sarkin

    du Gobir, auquel ils payaient un lourd tribut annuel.Aussitt connue la victoire de Tabkin Kwatto, les princes de trois grandescits du Zamfara, Bakura, Talata Mafara, Bukwium, proposrent unealliance Othman dan Fodio.Le shehu accepta avec joie.Il ne doutait pas du caractre providentiel de la bataille du lac. Mais il savaitaussi que la guerre tait loin d'tre gagne ; Yunfa avait les moyens de seressaisir. Sa puissance avaitpeine t entame. Il pouvait encore leverune, deux armes aussi redoutables que celle qu'il avait aligne TabkinKwatto.En revanche, si leur victoire avait sauv les musulmans de l'extermination,

    nombre d'entre eux, dont Mohammed Gayar, avaient connu une mortglorieuse sur le champ de bataille. Et ce n'tait pas Gudu, o l'on avait leplus grand mal trouver sa propre nourriture, que le shehu pouvait lesremplacer. L'alliance des princes du Zamfara lui ouvrait les plaines fertilesau confluent des fleuves Rima et Sokoto. Il pourrait recruter de nouvellestroupes et faire la jonction avec Mohammed Moyijo, un Fulani musulman deses amis qui tenait fermement la ville de Yano et toute la rgion alentour, l'est du Zamfara.Enfin, Othman dan Fodio donna le signal du dpart. Maintenant, la colonnede ses fidles n'avait rien de comparable avec celle des exils qui s'taient

    rfugis, suivant la course du soleil, de Degel Gudu. Les guerriers, cesfemmes, ces enfants taient plus pauvres, plus maigres, plus fatigus, si

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    possible, mais ils taient des vainqueurs et cela se voyait leur port altier, la flamme qui brillait dans leurs veux.Leur transhumance se fit sous les pluies lourdes du mois de juillet.Elle les conduisit jusqu' l'actuelle Sokoto (Nigeria) o le shehu tablit soncampement et reconstitua ses forces en prvision des durs combats qu'il

    n'ignorait pas devoir engager ds le retour de la saison sche.Pendant ces quelques semaines de rpit, il passa le plus clair de son tempssous sa tente, rdigeant d'une criture lgante de longues lettres destinesaux souverains haoussa dont il esprait le secours. Il leur expliquaitpourquoi il avait dress sa bannire contre le sarkin du Gobir.

    Notre combat, disait-il, est celui de la vrit contre le mensonge et je vousconjure de vous joindre nous...Chaque jour, des messagers entraient dans sa tente, en ressortaient avec unparchemin et, sans attendre, chaussaient les triers pour une courseprilleuse de plusieurs centaines de kilomtres.

    Othman ne s'impatientait jamais. On ne voyait sa silhouette frle drape deblanc qu'aux heures des prires, et la tranquille confiance qui manait de sapersonne rassurait la communaut.Pourtant, le temps passait. Et nulle rponse ne venait des souverainssollicits de la manire la plus pressante. Unie seule fois, le shehu manifestason amertume :

    Ils se prtendent musulmans, dit-il son frre Abdullah, mais leur foi estaussi hypocrite que l'amour de leurs courtisans.La vrittait plus brutale. S'ils n'aimaient pas le sarkin du Gobir, s'ils serjouissaient de ses difficults et s'ils souhaitaient la ruine de son royaume,

    les rivaux de Yunfa, eux aussi des fodaux, n'avaient pas la moindresympathie pour la cause rformiste. Ils ne considraient pas l'action de danFodio comme une jihad.Ce n'tait, pour eux, que la rvolte de manants contre leur seigneur lgitime,une insurrection fulani contre le pouvoir haoussa. L'aspect religieux de laquestion tait considr comme un simple prtexte. Ils attachaient une plusgrande importance l'aspect ethnique et politique. A l'exception des princesdes trois cits du Zamfara et des Touareg de l'Adar et de l'Air mais cesturbulents nomades taient davantage intresss par le butin de victoire quepar la rforme , aucun des souverains haoussa ne s'engagea dans la

    Jihad.

    A la fin du mois d'octobre, quand les pluies cessrent de fertiliser la savane,Othman dan Fodio savait qu'il ne pourrait compter que sur ses propresforces et que la guerre ne cesserait qu'aprs que l'une ou l'autre des partiesauraittcrase.Le shehu confia l'organisation de la nouvelle campagne militaire son frre

    Abdullah, investi d