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Rivières de Seine-et-Marne Christian de Bartillat

’Ourcq, la Thérouanne, la Beuvronne, Rivières · Alors que la qualité de l’eau des rivières, l’équilibre de leurs écoulements, et leur rapport au paysage sont principalement

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Escale nautique à Lagny-sur-Marne.

Rivièresde Seine-et-Marne

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Sein

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Promenade matinale au bord de la Seine.

Entre boucles de la Marne au nord, circonvolutions de l’Yerres au centre, et amples courbes de la Seine au sud, le département de Seine-et-Marne est drainé par de multiples rivières et leur dense réseau de ruisseaux.

Les principales rivières seine-et-marnaises sont présentées dans ce livre original par deux auteurs qui se sont passionnés pour elles. Christian de Bartillat pour l’histoire, et Michel Billecocq pour l’environnement, y racontent les rivières, au fi l de l’eau et du temps, dévoilant leurs paysages et révélant leurs monuments.

Mais au-delà, chaque rivière devient à son tour prétexte à d’autres évocations, depuis la gestion des cours d’eau ou le droit de leur usage, jusqu’à la protection des eaux souterraines, et aux multiples secteurs et acteurs impliqués dans l’avenir des rivières et de leurs abords.

« Rivières de Seine-et-Marne », un ouvrage pour découvrir ou retrouver, pour comprendre ou porter un regard nouveau sur un élément majeur du patrimoine : ces vecteurs de l’eau que sont rus, ruisseaux, rivières, canaux et fl euves, drainant ou irriguant, disparaissant ou débordant, constituant autant de liens entre ciel, terre et océans.

Partie de pêche à Vaux-le-Pénil.

Partie de pêche à Vaux-le-Pénil.

Chiner chez les bouquinistes

à Melun.

Carte page 245

Photo de couverture : un lavoir sur l’Yerres à Rozay-en-Brie.

Liste des cours d’eau présentés dans cet ouvrage

L’Ourcq, la Thérouanne, la Beuvronne, le Petit Morin, le Grand Morin, l’Aubetin, la Gondoire, la Marne, l’Yerres et ses affl uents, la Voulzie, l’Auxence, l’Ancœur, l’Orvanne et le Lunain, le Loing, l’Ecole, la Seine.

Christian de BartillatcouveCG2.indd 1couveCG2.indd 1 13/07/08 20:27:0413/07/08 20:27:04

Pré

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III!

Les rivières sont, peut-être, le principal fil conducteur de l’Histoire, et si roisou empereurs en décidèrent bien des fois, c’est l’Etat qui s’en trouva finalementdoté, du moins pour celles où l’on pouvait naviguer. Après les incessantesdisputes de meuniers et mariniers, de riverains entre eux, détournant l’eau àleur profit, puis des pêcheurs avec des entreprises aux rejets dévastateurs, il fallut bien de grands projets pour décider des modes de naviguer, et de nom-breuses règles pour dire le droit d’usage, de pêche, de passage, et les obligationsd’entretien ou enfin de qualité des rejets.

Le droit de l’eau fait partie des plus anciens et des plus complexes, et plusieursServices de l’Etat ont la charge de son explication, et de son application, qu’ils’agisse de navigation sur les plus grandes, ou de l’instruction et de la surveil -lance de toute demande de travaux, de prélèvement ou de rejet sur quelquecours d’eau que ce soit. Selon les lieux, et la nature de l’usage requis ou constaté,peuvent ainsi intervenir le Service de la Navigation, la Direction Départementalede l’Agriculture et de la Forêt – prochainement réunie à celle de l’Equipement –mais aussi la Direction Régionale de l’Industrie de la Recherche et del’Environnement, la Direction Régionale de l’Environnement, elles aussi bientôtfusionnées, ou encore la Direction des Services Vétérinaires. Le droit de l’eaucomprenant un volet particulier consacré à la pêche, d’autres acteurs ont aussicompétence pour veiller à son respect... C’est en raison de cette multiplicité que,dans chaque département, une mission Inter Services de l’Eau coordonne le tout.

Mais l’amélioration de la qualité des rivières, évoquée ici ou là dans le pré-sent ouvrage, n’est que la résultante de bien plus de forces conjuguées : cellesdes riverains, communes, entreprises industrielles, compagnies gestionnaires del’eau, syndicats de rivière, associations, Département, Région, et enfin del’Agence de l’Eau, moteur indispensable, mutualisant et redistribuant ressourceset compétences.

Pour qui ne les connaît pas, les rivières de Seine-et-Marne révèlent ici leurdiversité, illustrée d’agréable façon par la photographie. Et si ce bel ouvrage ressemble fort à un hymne, il se révèle aussi, parfois, sans complaisance, moyenprobable d’y faire foi.

Michel Guillot,Préfet de Seine-et-Marne

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L’Aubetin à Saint-Augustin.

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Alors que la qualité de l’eau des rivières, l’équilibre de leurs écoulements, etleur rapport au paysage sont principalement affaire de riverains, de communes,ou de l’Etat, le Conseil général veille depuis fort longtemps au destin des coursd’eau de Seine-et-Marne. D’abord engagé dans la lutte contre les pollutions,puis dans l’aide à l’assainissement et au bon fonctionnement des ouvragesd’épuration, il fut parmi les premiers à contribuer à l’entretien des rivières. De la protection contre les inondations à l’étude des potentialités piscicoles, de la restauration des rivières et de leur patrimoine, aux équipements favorisant le tourisme fluvial, ou de la gestion des espaces naturels aux itinéraires de randonnée bordant les rivières, le Département agit quotidiennement, en maîtred’ouvrage, en conseiller, et par le biais de multiples subventions ; c’est donc trèslégitimement, que l’an dernier, il a inscrit l’eau parmi les thèmes majeurs deson Agenda 21.

Autour du Département, plusieurs de ses proches partenaires apportent aussileur concours pour un mieux-être des rivières : Services d’Incendie et deSecours à la moindre alerte, Maison de l’environnement en pédagogie constanteauprès des jeunes seine-et-marnais, Initiatives 77 par l’accompagnement de chantiers d’insertion, enfin AQUI’ Brie en veille et formation là où les coursd’eau gagnent la nappe souterraine. C’est aujourd’hui le Conseil d’Architecture,d’Urbanisme et de l’Environnement qui, par la forme originale de l’ouvragesigné avec les Presses du Village, enrichit à son tour ces multiples apports.

Les rivières du plus vaste département d’Ile-de-France s’y racontent, mêlantpassé et présent, facilitant leur compréhension, et les inscrivant aussi bien dansles paysages de Seine-et-Marne que dans le grand cycle de l’eau : anecdotes et pédagogie y flirtent, avec amusement et un rien de poésie. Le Conseil généralse réjouit de la publication de « Rivières de Seine-et-Marne », dont les deuxauteurs nous font partager leurs savoirs, si différents, dans une passion commune.

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Vincent Eblé,Président du Conseil général de Seine-et-Marne

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Péniche sur la Seine.

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S’il fallait identifier, parmi les forces primordiales, celle qui a le plus façonnéles paysages, nul doute que ce serait l’eau, formée en rivières innombrables.Après avoir contribué à la conception et à la réalisation de l’atlas des paysages du département, c’est vers elles que le Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement de Seine-et-Marne porte son regard.

La rivière est lieu de convergence, par le réseau affluent tissé dans son bassin,et par ses franchissements, moments d’échanges, de mélanges, de conflits, et decréativité. Les rivières ont creusé les plateaux et laissé leurs méandres : chaquerive, tour à tour, est maîtresse ou soumise, et pour peu qu’entre elles émergentdes îles, villages et villes y naissent et s’y étendent. Les plus modestes rus ont faitparcs et châteaux ; d’autres, recréés, deviennent trame urbaine. Et tandis que chaque année d’éphémères ruisseaux s’en reviennent, entre des terres qui se ressuient, les plus grandes rivières portent voiles et lourds bateaux.

Par ces divers cours, l’eau se révèle fondatrice de paysages, initiatriced’urbanisme, reflet d’architecture, révélatrice d’environnement. Dérivée, canalisée,retenue ou libérée, elle raconte l’histoire du temps, celui d’avant les hommes,puis des premiers humains et des siècles passés, jusqu’à notre quotidienneempreinte, en défi pour demain.

Chaque rivière est une unique histoire, toute en nuances pour celle-ci, encontrastes pour celle-là. L’une s’auréole de passé, l’autre s’enivre d’avenir. Ici onsauvegarde, là on produit, ailleurs on construit ; ici ou là, là ou ailleurs, presquetoujours, heureusement, se mélangent. Tout au long des cours d’eau, et aidé parceux qui les connaissent, les gèrent ou les protègent, le CAUE partage, ici, sesréflexions. De chaque rivière alors, vient une pensée qui n’a de sens que mêléeà toutes les autres, comme le font, chaque jour, de multiples ruisseaux, donnantune rivière, puis une autre encore, jusqu’à devenir fleuve, pour nous dire de lesregarder plus, afin de mieux nous voir.

Dominique Satiat,Président du Conseil d’Architecture, d’Urbanisme

et de l’Environnement de Seine-et-Marne

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Le Grand Morin à Pommeuse.

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de Seine-et-Marne

Rivières

Christian de Bartillat

Les Presses du Village

Michel Billecocq

Conseil d’Architecture, d’Urbanisme

et de l’Environnement de Seine-et-Marne

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-A Gabriel

En ce mois de mars 2065, Igor venait d’avoir 15 ans ; dans un coin du grandécran devant lequel son professeur d’Histoire du Monde commentait les résultatsdu dernier contrôle, la sonde murale externe affichait déjà 29 degrés, alors qu’iln’était pas 11 heures. A l’intérieur il faisait bon, 26 degrés, valeur au-dessous delaquelle on ne cherchait plus à descendre, car même si le dispositif de rafraîchis-sement fonctionnait à l’énergie solaire, on évitait d’accentuer les écarts entre tem-pératures du dehors et de l’intérieur ; et cela depuis la grande crise, mondiale, del’énergie. C’était son grand-père, Antonin, qui lui avait tout raconté, et Igorapprenait plus vite en l’écoutant que lorsqu’il était en classe. Pourtant, le I-Toutqu’il portait au poignet, lui permettait de tout savoir, de tout écouter ou filmer,de joindre n’importe qui à l’autre bout du monde, d’ouvrir la porte du logementfamilial ou de payer ses achats ; il pouvait aussi reconnaître sa voix pour la traduire en n’importe quelle langue, et même, comble du bonheur, enregistrerles cours à sa place… ce contre quoi luttaient toujours les professeurs, pour quil’effort individuel restait la clef de l’apprentissage et de la compréhension future.

Quand Antonin avait eu l’âge qu’Igor avait aujourd’hui, il avait connu les crises successives de l’économie mondiale engendrées par la raréfaction pro-gressive du pétrole, la spéculation, et l’envolée de ses coûts : elles avaient accrule fossé existant entre les différentes parties de la planète et les diverses couchesdes sociétés, fossé que ce siècle n’avait, hélas, toujours pas réussi à combler. Au moins, le rapport entre transports collectifs et déplacements individuels s’en était-il trouvé considérablement modifié. La recherche, la production et la construction avaient, quant à elles, rapidement progressé, à la fois dans le champ des énergies nouvelles, et dans leur gestion, de plus en plus économe.

Quand ils en parlaient, Antonin montrait à Igor en quoi toutes les mesuresprises n’avaient pas suffi, malheureusement, à enrayer les phénomènes de dériveclimatique d’une part, et d’appauvrissement de la biodiversité de l’autre.Progressivement, et parmi de nombreuses autres conséquences, il avait bienfallu se rendre à l’évidence : le régime pluviométrique de l’Ile de France, parexemple, n’avait plus grand chose à voir avec celui des statistiques sur lesquelless’étaient appuyés ingénieurs, géomètres, et autres bureaux d’études, pendanttout le XXe siècle et le début du suivant. Si l’on avait longtemps réussi à dire quedans le passé il y avait déjà eu un phénomène de même ampleur que celui quel’on venait de connaître, il était venu un jour où tous durent admettre quepresque chaque année, désormais, il se produisait un événement à caractèreexceptionnel, tantôt tempête, tantôt orage, inondation, ou encore sécheresse. En fait, c’était l’année moyenne qui avait disparu, comme la température deréférence qui, comme on l’avait craint, mais trop tard, ne cessait de progresser.

La répartition mondiale de l’eau douce, quant à elle, restait une préoccupa-tion majeure, malgré le dessalement de l’eau de mer ; malgré aussi les immenses

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Etangs de pêche à Episy.

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aqueducs, parfois intercontinentaux, que l’on avait construits au milieu du XXIe siècle. Depuis cette même époque, une large part de la population humainese redistribuait, non sans douleur, sur les terres émergées, à plus grande distancedes océans dont le niveau montait inexorablement, de cyclones en tsunamis,tandis qu’aux pôles les glaces finissaient de fondre. Dans ce monde régi par lesplus hautes technologies, et où la science avait repoussé, jour après jour, leslimites du savoir, l’Eau était redevenue une sorte de déesse mère, toujoursauréolée de mystères, malgré la simplicité de sa formule chimique – deux atomesd’hydrogène pour un d’oxygène – et des principes physiques auxquels elle avaittoujours fidèlement répondu : passer par trois états, solide, liquide et gazeux, enl’espace de 100°C.

Ce jour-là, pour illustrer ses propos, Antonin avait choisi de parler des rivières :il y avait de moins en moins de régularité dans leurs périodes de crue et, inver-sement, de plus en plus d’endroits où des inondations brutales se produisaient,y compris là où, de mémoire d’homme, on n’en avait jamais connues. D’où lebesoin de prendre du recul par rapport à leurs rives, et de réserver des espaces,pour absorber ces sautes d’humeur ; la Seine dans la Bassée, l’Yerres, le GrandMorin ou encore plusieurs de leurs petits affluents avaient nécessité la délimita-tion et l’aménagement de ces prudentes réserves. On avait, malgré tout, gagnésur quelques plans : comme tous ceux de sa génération, Antonin avait suivi leretour des saumons, filmés alors qu’ils franchissaient les habiles ouvrages leurpermettant de rejoindre ces ruisseaux où ils retrouvaient les gestes initiaux de lavie. Mais, malgré tous les progrès en la matière, le souci de la qualité de l’eaudemeurait. Cela remontait à deux siècles plus tôt, quand Paris était venu cher-cher en Seine-et-Marne les sources qui l’alimenteraient : l’insidieuse pollutionqui y avait été découverte, bien plus tard, s’était poursuivie longtemps après quel’on eut cessé d’employer certains herbicides aussi bien en agricul ture, que surles voies ferrées, au bord des routes, ou dans les jardins des particuliers. A telpoint que le laboratoire départemental avait été intégralement reconverti àl’unique et constante surveillance des rivières, des rejets qui s’y produisaient,des nappes d’eau souterraine, et de toutes les zones humides. Ainsi, à chaquefois que d’obscurs chemins souterrains faisaient réapparaître l’eau, en sourcevive ou en vasque lentement débordante, il avait été jugé indispensable d’enrepérer le lieu, et de l’analyser à un rythme soutenu ; car il fallait savoir si lespratiques de gestion de l’espace agricole ou forestier, industriel, privatif oupublic n’hypothéquaient pas, encore, les chances de sauvegarde et de progres-sion du vivant que l’eau, seule, pouvait continuer de générer.

Tout en faisant défiler sur le panneau mural, ses photos, conservées, desrivières de Seine-et-Marne, Antonin montra à Igor que dans leur lit et sur leursberges, on avait retrouvé de multiples traces et ouvrages témoignant du géniehumain. Leurs cours eux-mêmes n’étaient que le résultat d’incessants travauxde correction, stabilisation, retenue ou dérivation, travaux dont certains avaient,

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plus tard, été jugés malencontreux. A force d’observer certains coursd’eau, de plus en plus contraints etenserrés dans de maigres couloirsvégétaux, on avait finalement décidéde les reconsidérer, dans leur globalité.Plus personne ne contestait que leurentretien, régulier et précis, soit devenud’intérêt général. Qu’ils soient espacesde détente, corridors écologiques,cadre de vie recherché, ruisselets ayantcréé des châteaux, émissaires drainant d’interminables villes et des champsimmenses, ou encore longs chenauxde transport, canaux, rivières, fleuves

et ruisseaux avaient enfin été « reconnus ». Cela avait commencé par le simplefait qu’à chaque fois qu’une route croisait l’un d’eux, on en voyait systémati-quement le nom, même pour ces affluents qui restaient secs une grande partiede l’année. Il en était avec les rivières comme pour les hommes entre eux : onles respectait d’autant plus que l’on avait appris à les connaître. Des rivières troplongtemps cachées avaient été rendues à l’air libre ; des rus ignorés s’étaientrévélés le jour où des élus, soucieux de paysage, en avaient écarté toute formede publicité et nombre d’édifices utilitaires mais disgracieux. Au milieu des pay-sages de la Brie que certains avaient pu trouver monotones, on avait redécouvertles lignes arborées et les denses lisières soulignant à nouveau le parcours, per-manent ou éphémère, de l’eau. Et dans toutes les écoles, il n’y eut plus de coursd’Histoire du Monde qui ne commençât par le passionnant cycle de l’eau, en partant à sa découverte dehors, car à lui seul il racontait toute l’histoire de la Terre, de la Vie, et de l’Homme.

En ce moment où Igor n’était déjà presque plus adolescent, le concept dedéveloppement durable faisait partie de ceux que l’on n’apprenait plus, car onle vivait au quotidien. On en était, de plus en plus, à se référer à un autre, venud’un mot oublié, que l’on tentait de décliner à nouveau : l’Harmonie. Alorsqu’ils en dissertaient, à propos de chacune des rivières de Seine-et-Marne,Antonin s’arrêta. Il entreprit de conter à Igor ce qui n’était plus qu’une vieilleanecdote datant de la fin du siècle précédent : un jour, quelqu’un avait formuléla surprenante hypothèse de la mémoire de l’eau. Comme tant d’autres, à l’époque de cette annonce, ils en rirent tous deux, pendant un long moment.Mais, lorsqu’à nouveau Antonin reprit le cours, tour à tour calme ou bien rapi-de, des rivières, l’esprit d’Igor s’échappa ; il se demandait si l’eau quis’écoulait, en cet instant précis, dans les rivières d’Ile-de-France, et d’ailleurs,n’en savait pas bien plus qu’eux deux sur toute l’Histoire du Monde…

Dans les yeux d’Antonin, sans qu’aucun se le dise, il crut voir la réponse. M. B. !

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La Marne et ses affluents 10

Ourcq 12Les mésaventures de l’Ourcq ! Le canal de l’Ourcq en roue libre

Dérivation et canalisation de l’eau : aqueduc parisien sur ordre impérial

Thérouanne 26La Thérouanne en terre de mémoire ! La Thérouanne introuvable

Droit de l’eau et entretien des rivières : l’eau n’appartient à personne

Beuvronne 36Sous les ailes de Roissy : la Beuvronne ! Beuvronne et Biberonne à tous vents

Pollution et dépollution de l’eau : les pêcheurs n’ont pas remplacé les castors

Petit Morin 44Trois Régions pour un Petit Morin ! Le Petit Morin, juvénile et frondeur

Diversité écologique, des rivières aux vallées : au cœur de la biodiversité

Grand Morin 54Curieux ouvrages du Grand Morin ! Le Grand Morin des cités aquatiques

Protection contre les inondations : vivre auprès de la rivière

Aubetin 70Les deux vies de l’Aubetin ! L’Aubetin, une rivière ancienne

Agriculture, drainage et petites rivières : dessins de grandes cultures

Gondoire 80La Gondoire en parenthèse

Devenir des eaux de pluie en ville : quand il pleut sur la ville

Marne 88La Marne en tournis incessants ! Entre le champagne et le petit vin blanc, la Marne et l’eau sacrée

Gestion des grands cours d’eau : indispensables alliances

L’Yerres et ses affluents 110

Yerres 112Les mystères de l’Yerres ! L’Yerres ou le clavecin de la Brie

Rivières et nappes souterraines : eau du dessus et du dessous

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La Seine et ses affluents 140

Voulzie 142L’étrange destin de la Voulzie ! Le Durteint et la Voulzie se faufilent dans la ville basse de Provins

Alimentation en eau potable : infernales molécules

Auxence 154Auxence d’en haut, Vieille Seine d’en bas ! La vallée de l’Auxence ou le grand virage dans le Montois

Enjeux d’une vallée alluviale : secrets de Bassée, entre sable et peupliers

Ancœur 164L’Ancoeur : le roi en fit toute une histoire ! L’Almont et l’Ancœur ou deux bijoux dans un seul lit

Sites classés et paysages : paysages à jardiner

Orvanne et Lunain 176Orvanne et Lunain, famille du bocage ! Le bocage aquatique des deux rivières

Pêche, poissons, pêcheurs : petit poisson deviendra grand

Loing 192Le Loing, en lien de Seine et Loire ! Le Loing dédoublé

Protection des bords d’eau : berges : l’enjeu essentiel

Ecole 208Quand l’Ecole descend de son perchoir ! L’Ecole mouille son lit au large de la forêt de Fontainebleau

Richesse d’un Parc naturel régional : territoire recherche qualité

Seine 218Seine, fleuve magistral ! La Seine allongée et la Seine debout

Navigation sur le fleuve : la voie de l’eau, d’hier à demain

Carte des rivières de Seine-et-Marne 245Références 247

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Au début de chaque chapitre, le cours de la rivière est symbolisé avec les noms des communes qu’elle traverse.Toutes les communes ne pouvant être citées, on a le plus souvent fait figurer celles qui sont évoquées, ensuite,dans le texte.

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Marais et peupleraie au bordde l’Ourcq à Ocquerre.

L’Ourcq a dû être une grande rivière ; la force de sa vallée, dans le paysage,en témoigne. Bien avant qu’il devienne canal des ducs, par le creusement deson propre cours, puis qu’il s’adjoigne le canal que nous lui connaissons

aujourd’hui, il a dû forcer le passage, coincé contre la roche, pour parvenir jusqu’à la Marne. Entre ce qui deviendrait Lizy « sur Ourcq » et Mary « surMarne», il a dû longtemps hésiter, comme la Marne elle-même, en cherchantson passage dans les graviers que celle-ci, sauvage et puissante, déplaçait : tantôtîlots, tantôt terre ferme, où plantes et arbres croissaient rapidement,s’étouffaient, s’écroulaient et les barraient, les contraignant à creuser de nouveaux cours à la prochaine saison de crues. De ces péripéties annuelles, ilreste cette vaste étendue presque plane, de sables et de graviers, où Marne etOurcq se réunissent, au pied de la corniche qui leur a résisté, laissant encoredeux îles : de Mary, et de la Cornaille. Aujourd’hui discipliné, l’Ourcq serpentetoujours, en contrebas de son canal. Ses marais, drainés de rigoles et fossés, sont

Les mésaventures de l’Ourcq

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devenus peupleraies, mais lorsqu’on les découvre, des hauteurs de la route,sinueuse, qui s’élève de Crouy-sur-Ourcq à May-en-Multien, on devine aisémentce long travail de l’eau, dissimulée, mais toujours présente, sous l’exubérantevégétation qu’elle génère.

L’Ourcq vient du département de l’Aisne, où il a pris naissance à plus de50km de son entrée en Seine-et-Marne : 40 km de cours naturel, une dizainepour la rivière canalisée à partir de l’amont de La Ferté-Milon jusqu’à Mareuil-sur-Ourcq – où le canal lui-même débute – et 4 km ensuite pour atteindre sonprincipal affluent de rive gauche : le Clignon, qui sert de limite aux deux dépar-tements. L’Ourcq parcourt encore une vingtaine de km, avant de confluer avecla Marne. En rive droite, il ne recevra alors que la Gergogne à May-en-Multien,tandis qu’en rive gauche, le rejoignent le ru de la Croix Hélène à Crouy, le ru deChaton à Ocquerre et celui de Méranne à Lizy. De 4 mètres de large à la confluence du Clignon, il en fait à peine le double en arrivant en Marne, où il sépare les territoires de Lizy et de Mary.

L’importante forêt de Retz, dans la région de Villers-Cotterets, constituaitautrefois l’une des sources d’approvisionnement en bois de Paris, comme le futaussi, plus au sud la forêt de Crécy sur les rives du Grand Morin. Au milieu du18e siècle, afin d’améliorer les transports par voie d’eau, Louis de Régemortesfut chargé, sur ordre du Duc d’Orléans, de l’aménagement de la rivière Ourcq ;d’anciens ouvrages, dont certains avaient été réalisés avant même cette époque,se devinent encore parfois, de nos jours, sur le cours de la rivière.

Depuis la création du canal de l’Ourcq, la gestion de la rivière est devenuecomplexe, l’existence et le mode de fonctionnement de celui-là ayant conduit à

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Paysage de la vallée du ru de Chaton.

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prélever une grande partie du débitde la rivière et de ses affluents, pourl’alimenter. La canal étant devenupropriété de la Ville de Paris, c’est ellequi détient les « droits d’eau » sur larivière Ourcq, et qui en dérive les quantités nécessaires au maintiendu fil d’eau dans cet ouvrage. Dèslors, le niveau de la rivière varie, par-fois brutalement, provoquant érosionpuis envasement. En période d’étiage,à la fin des étés secs, le débit de

l’Ourcq peut n’être que de 600 litres par seconde, ce qui est bien peu au regarddu bassin versant qu’il draine avec ses affluents. En période de crue, lorsque,proportionnellement, la gestion du canal nécessite moins d’eau que d’habitude,l’Ourcq peut manifester des débits de 30 à 60 m3/s à Lizy-sur-Ourcq, soit centfois plus qu’en étiage, y provoquant de conséquentes inondations. De sonancien caractère de rivière navigable, l’Ourcq a gardé un statut particulier, la domanialité, expression de sa propriété par la collectivité – et non plus lesriverains – traduite par une contrainte imposée à ceux-ci : la servitude de marche-pied, permettant son entretien. Pour mieux assurer celui-ci, une structure originalede gestion s’est créée en 1985 : le Syndicat intercommunal pour l’aména-

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Pavillon d’entrée du châteaude Gesvres-le-Duc.

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gement et la gestion de la rivière d’Ourcq, constitué par la Ville de Paris, et 9 communes… appartenant à 3 départements : l’Aisne, l’Oise, et la Seine-et-Marne. Dans le but de maîtriser les variations de débit de la rivière, le syndicat aautomatisé la manœuvre de deux vannages, à Crouy et Lizy, et recruté un garde-rivière qui veille constamment au bon état du lit de l’Ourcq et de ses berges.

Au plan piscicole, cette rivière est dite « de seconde catégorie » (cf p. 52-53) ; la police de l’eau (cf p. 34-35) y est assurée par la Direction départemen-tale de l’agriculture et de la forêt. Deux associations se partagent le droit depêche sur le cours seine-et-marnais de l’Ourcq : l’Epinoche crouycienne et leGardon rouge lizéen. La qualité des eaux de la rivière est assez satisfaisante, mal-gré un traitement parfois insuffisant des effluents domestiques ; elle est plutôtmeilleure au niveau de la confluence avec la Marne qu’à son entrée en Seine-et-Marne, l’importance des zones de marais, une faible population, et la rareté desentreprises industrielles en étant probablement la cause. A l’aval, les activitésdéveloppées dans le secteur de Lizy et Mary, avec principalement l’imprimerieQuébécor (anciennement Didier) font l’objet de traitements limitant leur impactsur le cours d’eau. Néanmoins, si l’on voulait redonner à l’Ourcq une plusgrande richesse piscicole, quelques travaux dans le lit de la rivière, et la garantied’un débit minimum, augmenteraient la productivité d’une rivière attrayante,qui se dissimule dans un paysage de qualité, franchi fièrement par un récentviaduc permettant aux trains à grande vitesse de rapprocher l’est de la France etla région capitale. M. B. !

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La rivière Ourcq à Lizy-sur-Ourcq.

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Usine élévatoirede Villers-les-Rigault.

Le canal de 108 km qui se termine après le bassin de La Villette dans lesprolongements souterrains de Saint-Martin et Saint-Denis est une œuvred’art aquatique qui complète et transfigure le réseau naturel. Il s’agit d’un

jardin glissant côtoyé par ses chemins de halage et d’une rangée d’arbres assu-rant le gardiennage de l’ombre. Sa pente qui est constante paraît si limpidequ’on penserait à une eau immobile avec des mouvements légers jusqu’aumoment où le réseau se plisse au gré du vent.

Le canal peut être séparé en fragments autonomes. Le fleuve canalisé va dePort-aux-Perches jusqu’à Mary-sur-Marne où l’Ourcq plus ou moins délivré sejette dans la Marne sous le regard du canal qui les surplombe de haut. Le canalsuit à peu près fidèlement les méandres de la Marne jusqu’à Fresnes. Désormaisdivorcé, il s’élance d’un seul jet avant de réaliser son entrée triomphale dans lebassin de la Villette couronné par la Rotonde de Ledoux sur laquelle il bute pourtraverser la rivière souterraine qui s’en va en direction de la Seine.

Ce canal – notamment sa partie supérieure – a une très longue histoire d’au

Le Canal de l’Ourcq en roue libre

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moins quatre siècles. Elle débute avec François Ier et se poursuit avec la familled’Orléans propriétaire de la forêt de Retz qui avait intérêt à faire descendre sesbois coupés vers Paris. Au XVIe siècle, il s’agit de faire naviguer les bateaux surl’Ourcq. Un travail vite interrompu débute en 1529 puis Catherine de Médicisrelance le projet et en 1562, le premier navire arrive dans Paris en liesse.

Le canal des Ducs, autonome, est engagé par Riquet pour Louis XIV à l’est deMeaux et par Louis de Régemortes au XVIIIe. Puis tout s’arrête jusqu’àBonaparte qui fait réaliser le bassin d’arrivée et, dès 1822, souvent grâce à lamain d’œuvre prussienne, le premier navire venant de La Ferté-Milon arrive aubassin chargé de la circulation commerciale et de l’alimentation en eau de la capitale. Bien sûr, une guerre larvée demeurera entre les transporteurs quiveulent faire marcher l’eau et les meuniers qui veulent la retenir.

Après la cinquantaine de kilomètres de la rivière depuis sa source àCourmont, on atteint le réseau canalisé à Port-aux-Perches jusqu’à Mareuil. Puisc’est la traversée émerveillée de La Ferté-Milon où apparaît comme un fantômela forteresse branlante du XIVe siècle dominant l’église à mi-pente et la maisond’enfance de Racine ainsi que celle de la belle-famille de La Fontaine. En aval,des frondaisons étendues cachent une écluse, l’église et le château du grandVeneur. Plus loin, un bassin circulaire devient déversoir de la rivière à Mareuil.

Désormais, pendant que l’Ourcq divague dans les forêts et les marécages,nous nous trouvons dans le canal impérial où à Neufchelles le pont suspenduqui porte le Clignon trace la frontière du département. Car le canal vorace a tôtfait d’avaler une partie de ses affluents mercenaires. A Crouy-sur-Ourcq se trouvele donjon de cinq étages. Il faut monter jusqu’à May pour regarder la grandevallée marécageuse où flirtent le canal et l’Ourcq. En plein centre des Marais,

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Pompes de l’usine élévatoire de Trilbardou.

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Affiche des bâteaux-poste.

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Écluse de Vignely.

au croisement de deux avenues, un superbe pavillon solitaire se reflétait dans lesdouves alimentées par l’Ourcq jusqu’en 1732. C’est à ce moment que le duc deGesvres fit appel à l’hydraulicien Drancy qui eut l’idée de capter la Gergogne etde la faire passer par-dessus le canal pour emplir les fossés… Ce château de laBelle aux bois dormant qui possédait une superbe galerie de peintures demeurala maison de plaisance de cette famille. Ne fut-elle pas par son argent et sesextravagances une des principales à la Cour pendant trois siècles ?

Puis le canal aborde Lizy-sur-Ourcq après Ocquerre où se trouve en aval dupont l’emplacement de l’entreprise Bourgeois spécialisée jadis dans la fabricationdes flûtes de l’Ourcq. Le bateau poste à voyageurs, particulièrement filiforme(22 m 70 de longueur et 2 m de large), a circulé de Paris à Meaux de 1837 à1860, tiré par des chevaux rapides, arborant au mat une flamme rouge, etannoncé par un cor de chasse. Ce salon flottant, pendant son passage, évinçait

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Usine élévatoire de Trilbardou.

tout autre navigation. Il fallait toujours un homme pour la conduite du cheval etun autre au gouvernail. En plus des voyageurs, il y avait toujours au XIXe sièclele flottage du bois, et le transport de la pierre et du plâtre. A partir du XXe sièclele canal travailleur fut remplacé par le chemin de fer. L’instrument de transportoutre le bateau de plaisance devint celui de la promenade à vélo pour aller plusvite que l’eau, à pied pour se trouver en retrait, ou la pêche et la demi-somno-lence qui nous mène à la rêverie au bord de la poésie qui coule.

Lizy fut au XVIe siècle une cité protestante. Les familles du Broullat etd’Angenne firent établir le prêche dans le château du XVIe dont le beau parc estétalé sur une île où les bras de l’Ourcq se multiplient avant d’atteindre laconfluence à Mary qui autrefois construisait des bateaux. La comtesse d’Harville– héritière de la Trousse – y fit construire une belle demeure de style colonial.Elle fut enterrée en 1821, au cimetière de Mary où se trouvent désormaisd’innombrables mausolées des gens du voyage.

Tout à côté, Mary est le site confluent où la Marne absorbe l’Ourcq. A Villers-les-Rigault se trouve une usine élévatrice qui aspire l’eau de la Marne pour laporter 12 mètres plus haut. Dans ce lieu, construit par Louis Dominique Girard,on n’a jamais pu réaliser un élévateur qui permettrait aux navires de passer de

l’Ourcq à la Marne et vice-versa ce qui éviterait cent kilo-mètres de détour. A Congis lecanal pompe une partie de laThérouanne et s’étend sur devastes espaces d’eau. Puis lecanal suit les circonvolutionsde la Marne à Varreddes res-semblant à un jardin flottant. ABeauval se trouvait un transbor-deur et un parc d’aérostation dedirigeables.

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Détente et pêche au bord du canal à Trilbardou.

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A Crégy et à Meaux, le canal est enfoui dans la verdure. Vignely est dans l’anglede la Marne et du canal : on y voit une écluse avec un moulin et une ancienneécurie pour les chevaux des bateaux de poste.

Quant à Trilbardou, c’est un site essentiel du canal avant que celui-ci ne sedissocie de la Marne à partir de Fresnes. C’est là que se trouve aux pieds d’unchâteau néo-Renaissance la station de pompage de l’ingénieur Sagebien àlaquelle est associé un récent musée du canal de l’Ourcq. A Charmentray, les jar-dins descendent jusqu’à la berge. Précy occupe une presqu’île. A Fresnes, nonloin de la belle église, s’élevait le château de Guénégaud dont la chapelle, quiétait une sœur du Val de Grâce, a été rasée en 1820. La ville de Claye se plait aubord de son canal étendu bordé de jardins d’agréments. A Gressy, la Beuvronnesort de la propriété du savant Macquer à la grande pièce d’eau et la rivière vadonner une partie de son flot au canal, l’autre s’en allant en direction de Claye.

Enfin à Villeparisis où l’on va quitter la Seine-et-Marne, on garde le souvenir deBalzac et de Laure de Berny dont la maison a été détruite. Continuant à descen-dre en droite ligne il faut visiter le parc forestier de la Poudrerie, centred’arboriculture, mystère des ateliers disparus et la tranchée de Sevran, oasislinéaire d’où l’on ne devine absolument pas l’environnement urbain contigu.

Le canal de l’Ourcq est sans aucun doute une des merveilles de Seine-et-Marne et un véritable centre de loisirs. Cette œuvre qui se situe du côté de l’artet de la méditation a été évacuée de son trafic au profit des chemins de fer etcamionnages. Qu’on lui laisse la paix et qu’on préserve sa beauté naturelle. Toutdoit être réalisé pour en multiplier la paisible attraction. C. de B. !

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À Congis-sur-Thérouanne,l’arrivée de la Thérouannedans le canal de l’Ourcq.

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Aqueduc parisien sur ordre impérial

Avez-vous déjà vu l’eau d’un canal couler ? aux

écluses, certainement, mais ailleurs ? et bien, si

vous croisez, ou longez le canal de l’Ourcq, vous le

verrez couler, comme une rivière, et parfois même

plus vite que nombre d’entre elles, comme à

Vernelle, ou Marnoue-la-Poterie. Et juste à côté, au

fond du vallon, l’Ourcq, la rivière, coule elle aussi,

mais affaiblie de l’eau qu’elle a laissée à son canal.

Celui-ci est un dévoreur de cours d’eau ; tout ce qui

lui vient d’une rive plus haute que lui semble n’avoir

qu’un seul but : satisfaire cette boulimique fausse

rivière qui s’alimente sans cesse pour avoir assez

d’eau lors de son arrivée dans Paris : le Clignon,

la Thérouanne, la Beuvronne, et d’autres en font

les frais, qui achèvent ensuite, modestement, leur

parcours, vers l’Ourcq ou bien la Marne.

Le canal, lui, laisse la rivière se fondre dans la Marne,

feint de l’ignorer, et continue sans elle ; après les

méandres de l’Ourcq, fidèlement copiés, il s’approche

de ceux de la Marne, et les fait siens à leur tour :

s’accrochant au coteau de Varreddes, enserrant

Meaux, il ne manque aucun virage. C’est en 1825

qu’il fut mis en service ; on le qualifia d’impérial, car

Napoléon lui avait fixé pour objectif d’alimenter Paris

en eau potable, en plus d’assurer le transport du bois

et du blé vers la capitale. A l’époque, l’eau courante

étant réputée potable, contrairement aux eaux dor-

mantes, il fallait une pente à ce canal, qui fut créé à

partir de Mareuil-sur-Ourcq, par creusement d’une

dérivation de la rivière anciennement aménagée, ou

«canal des ducs», dont il empruntait, et emprunte

toujours, l’essentiel de l’eau. Dans le département voi-

sin, c’est la Ginette, affluent de rive droite, qui cède

ses eaux au nouveau canal ; puis, en rive gauche, le

Clignon, qui tout en séparant les départements

de l’Aisne de la Seine-et-Marne, est à son tour en

grande partie dévié dans un petit ouvrage qui enjambe

la rivière Ourcq, pour se déverser dans le nouveau

canal… C’est plus des trois quarts du débit reçu

par l’Ourcq et ses affluents, entre Mareuil et sa

con fluence en Marne, que le nouveau, l’Impérial, est

en droit d’absorber, pour effectuer un périple d’une

centaine de kilomètres, dont plus de 70 rien qu’en

Seine-et-Marne. Deux passionnantes usines élévatoi-

res, situées à Villers les Rigault sur la commune de

Congis-sur-Thérouanne, et à Trilbardou, furent même

créées pour lui apporter, en période de sécheresse,

de l’eau de la Marne.

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Ci-contre,Meaux, écluseSt Lazare.

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Page de droite,Congis, le pont levant, et une surversedu canal vers la Marne.

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D’une largeur moyenne de onze mètres, pour

1 mètre et demi de profondeur, le canal de l’Ourcq

compense les 12 mètres de différence d’altitude

entre son entrée et sa sortie seine-et-marnaises par

le jeu de cinq écluses, situées à Varreddes, Meaux,

Villenoy, Vignely et Fresnes-sur-Marne. On y navi-

guait encore au siècle dernier, sur des embarcations

en bois adaptées à ses dimensions : les flûtes de

l’Ourcq (28m de long et 3 de large) d’abord halées

depuis la berge et guidées à la perche, puis métal-

lisées et motorisées, comme le sont les quelques

automoteurs de l’Ourcq que conserve la Ville de

Paris pour entretenir le canal. Le plus souvent bordé

d’arbres d’alignement, le canal de l’Ourcq continue

d’apporter quotidiennement 200 000 m3 d’eau à

Paris, afin d’y maintenir les plans d’eau des canaux

parisiens. Ne servant plus à l’alimentation en eau

potable, mais au lavage des voiries, il est le sup-

port de deux activités : la pêche, exercée, en Seine-

et-Marne, par environ 7000 pêcheurs, regroupés en

11 associations, et la navigation de plaisance.

Il faut cependant du temps pour le parcourir,

comme en témoignent les panneaux d’information

qui le bordent : pour arriver à Claye-Souilly depuis

le parc de la Villette à Paris, il vous faudra 5 heu-

res – distance : 25 km – et de Claye-Souilly au Port-

aux-Perches, point d’origine de la rivière canalisée à

la Ferté-Milon, dans l’Aisne, comptez encore

15 heures pour le suivre sur près de 80 km.

Sachant qu’à cet endroit, on ne peut que faire

demi-tour, un projet d’ascenseur à bateaux est

évoqué depuis plusieurs années, qui permettrait, là

où le canal et la Marne se trouvent côte à côte, à

Congis-sur-Thérouanne, de passer du canal à la

Marne, ou l’inverse, en autorisant ainsi un parcours

en boucle depuis Paris, ce qui augmenterait certai-

nement le taux de fréquentation de ce paisible

canal. La qualité de son eau, quant à elle, résulte

directement de celle de ses diverses sources

d’alimentation : que l’Ourcq, à l‘amont, ou la

Beuvronne, à l’aval, subissent des pollutions, et cel-

les-ci se répercutent dans le canal. Généralement

de qualité plutôt satisfaisante, régulièrement fau-

cardé afin d’empêcher un développement excessif

de la végétation aquatique, il est classé en secon-

de catégorie piscicole, comme la rivière elle-même.

A certains endroits, le canal tourne tellement qu’il

finit par surprendre : on le quitte, le redécouvre :

on croit qu’il coule à gauche, et c’est à droite qu’il

va… Puis d’un coup, à Fresnes-sur-Marne, c’est de

celle-ci qu’il se sépare, pour ne plus la retrouver.

Encore quelques vagues boucles pour contourner les

collines boisées de l’Aulnoye, et le voilà qui se met

à filer, presque droit, enfin, comme le feraient tous

les canaux. Il a choisi la plaine de France pour en trer

dans Paris, effleurer la Villette, donner le canal

Saint-Denis, devenir Saint-Martin et, se cachant

sous la Bastille, finir en Arsenal, juste à l’amont de

ces îles qui, elles, ont fait Paris. M. B. !

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Paysage de la Thérouanne.

La Thérouanne ne fait rien comme les autres rivières de Seine-et-Marne : partantdu nord-ouest du département, elle s’en va vers le sud-est, alors que les autrescours d’eau convergent, en général, vers Paris. Elle doit cette orientation auxcollines de la Goële qui, du nord de Meaux, s’élèvent à Penchard, puis àMonthyon, se couvrent de bois à Montgé, et donnent la butte de Dammartin,dernier relief que survolent les avions venant de la plupart des pays d’Europeavant de s’abaisser dans l’axe des pistes de l’aéroport de Roissy. Ainsi empêchéede rejoindre la Marne par un chemin plus court, elle coule jusqu’à ne plus rencontrer un tel obstacle, pour la retrouver quelques kilomètres seulementaprès la confluence de l’Ourcq. Rivière modeste, qui ne dépasse pas 25 km delongueur, elle est totalement seine-et-marnaise. Entre les sources de Gouesche àSaint-Pathus, et sa confluence à Congis-sur-Thérouanne, elle accueille le ru deVaux venant des collines de Goële, longe l’étang de Rougemont après Oissery, sedivise, fréquemment, en petits bras, reçoit le ru d’Avernes qui, avec ses propresaffluents, sort du massif de Montgé et draine Saint-Soupplets, puis celui deBrégy venant du département de l’Oise et celui du Bois Colot, au sud, pour finiravec les ruisseaux des Elouats et de Beauval, qui coulent de part et d’autre de labutte de Trocy-en-Multien.

Les terres du plateau où serpente la Thérouanne sont faites de riches limonsportant blé, maïs, betterave et colza ; elles sentent la Picardie, et au-delà, le nord: ona pavé des entrées de champs, la brique apparaît dans les vestiges d’une distillerie ;

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La Thérouanne en terre de mémoire

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les paysages s’ex posent au vent, leshaies sont rares, et les fermes gran-des et peu nombreuses. Mais pourles attentifs, cette terre riche etlaborieuse se révèle terre demémoire : croix, monuments, dra-peaux dans les cimetières, et par-fois, encore, impacts de tirs sur lesmurs, obligent au souvenir deceux qui y ont défendu la patrie.

Dans ces horizons longs, c’est lapetite vallée de la Thérouanne etles vallons de ses affluents qui atti-rent le regard. Les routes y plon-gent de temps à autre, passantmarais, prairies, peupleraies ouanciennes cressonnières. Elles neconvergent vraiment qu’à Etrépillyqui, avec Oissery à l’amont, etCongis à l’aval, sont les seuls bourgs

à s’être construits autour de la rivière, les autres se nichant sur le plateau, ou se per-chant sur ses rebords, chacun près de son ru, ou, au moins, de sa fontaine.

Le cours de la Thérouanne aurait pu être tranquille ; c’était compter sans l’intérêt qui lui a été porté lors de la construction du canal de l’Ourcq(l’impérial…). Elle est ainsi deux fois moins large et profonde à sa confluence (1,5 mètre et 30 centimètres), qu’au milieu de son cours. La cause s’en trouveau Gué-à-Tresmes, juste avant Congis, où un petit canal lui prélève une grandepart de son eau, s’écarte de son cours, et rejoint le canal de l’Ourcq. Un peuplus loin, la rivière passe sous celui-ci, traverse discrètement Congis et, à laGueule du Ru, se raccorde au petit bras de Marne qui contourne l’île d’Ancre.

Des 17 000 habitants de son bassin versant, les trois quarts se trouvent àl’amont, là où l’on est le plus près de Paris, de l’aéroport, et des grandes carriè-res de gypse qui, à Saint-Soupplets, donnent le plâtre. Une zone industrielle ici,des serres à Oissery, la moderne usine de traitement des déchets ménagers detoute la partie nord de la Seine-et-Marne, à Monthyon, quelques autres carrièresplus modestes et de rares élevages constituent, avec, comme partout, commerceet artisanat, l’essentiel des activités de cette petite région. Avant le prélèvement de son eau au Gué-à-Tresmes, le débit de la Thérouanne est, en moyenne, de600 litres par seconde, mais lors d’une crue exceptionnelle, c’était le 10 juillet2000, il s’éleva à 11 m3/s. Sa qualité est plutôt moyenne, car dès l’amont ellesubit de nombreux rejets, trop conséquents au regard de ses modestes dimen-sions ; elle s’améliore vers l’aval avec néanmoins des teneurs toujours élevéesd’azote et de phosphore qui y exagèrent le développement d’algues, et rédui-sent ses potentialités piscicoles ; d’ailleurs une seule association y exerce la

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Monument Hildevert à Forfry.

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Le château de Fontaine-les-Nonnes.

pêche, principalement dans son coursaval. L’étang de Rougemont est classéparmi les zones naturelles d’intérêtécologique, floristique ou faunistique(ZNIEFF cf. p. 52) en raison notam-ment de sa flore spécifique desmilieux humides. Sur les sept mou-lins recensés en 1851, deux sont par-venus jusqu’à nos jours, à Etrépilly etau Gué-à-Tresmes.

La Thérouanne est menacée : àl’ouest, où elle débute, les villes sedéveloppent sous l’attraction del’agglomération parisienne toute pro-che. La ruralité du reste de son coursne suffit pas pour annuler l’impactdes eaux qu’elle recueille à l’amont :réguler le débit des apports d’eauqu’elle reçoit par temps de pluie,

mais aussi améliorer la qualité de toutes les eaux que l’on y rejette, directement,ou par le biais de ses affluents, devraient devenir des priorités reconnues collec-tivement, à l’échelle de son bassin versant. Elle nous le rendrait bien, au détourde promenades qui, pour beaucoup, restent à inventer.

Launette, la petite voisine du nord

Au moment de quitter la Thérouanne, il nous faut faire une modeste entorse à lalogique des bassins versants (Marne d’abord, Yerres puis Seine), car sinon, nousomettrions de citer un cours d’eau, très discret dans notre département, mais

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Ancien moulin à Etrépilly.

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qui reçoit les eaux de villes qui ont, elles aussi, brutalement grandi depuis quedes avions se posent à Roissy. Il s’agit de la Launette qui fait partie du bassin del’Oise ; et cette petite exception géographique est due aux collines de Goële,que domine Dammartin. Une butte ayant toujours plusieurs côtés il fallait bienque des ruisseaux se dirigent vers le nord, et regardent le département voisin : à la suite de sa source située à Marchémoret, ce sont les eaux issues de Rouvres,d’Othis, la ville construite au milieu des champs, et d’une partie de Dammartin,qui alimentent la Launette, par petits rus interposés. Après avoir quitté le dépar-tement, la Launette passe par Ermenonville et l’abbaye de Chaalis, puis elle

rejoint la Nonette qui bordeSenlis et coule fièrement,plus large qu’un canal, auparc de Chantilly, avant de sejeter dans l’Oise. A Conflans-Sainte-Honorine, et commel’avaient fait, avant Paris,toutes les autres rivières deSeine-et-Marne, Launette,Nonette et Oise, à leur tourdonnent la Seine. M. B. !

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Pont sur la Thérouanneà Oissery.

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Bords de la Thérouanneà Etrepilly.

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J’ai pour la Thérouanne une affection toute particulière. Elle coule jolimentau fond de mon jardin. Ailleurs elle est bien difficile à suivre, elle s’éloigne à la limite des champs, inaccessible lorsqu’on cherche à se rapprocher ou

surgit de part et d’autre d’un pont nous laissant stupéfait. Ses méandres nousconfisquent une grande partie de sa vue.

Les sources sont à Saint-Pathus où la rivière est encore un ru, les autres luidonnent au fur et à mesure de plus en plus de consistance.

Cette rivière a plus de vingt kilomètres, elle a deux sœurs, la Gergogne et la Grivette dans l’Oise, qui coulent dans le même sens et se jettent dans l’Ourcq.A Oissery se trouve le tombeau des Barres, un vaillant chevalier du Moyen Age

dont le château était voisin. Il fut enterré entre ses deuxfemmes. On y cultive fleurs etarbres en quantité. Puis la riviè-re se repose dans l’étang deRougemont et musarde jus-qu’aux ruines romantiques deForfry qui se disloquent de plusen plus dans le fracas du temps.A la Ramée demeure, près du

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Les ruines de Forfry.

La Thérouanne introuvable

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pont, un moulin rénové avant que larivière ne croise la jolie demeure de laMarre habitée pendant la Révolutionpar le marquis de Boissy, puis le châ-teau de Fontaine-les-Nonnes quiconserve un beau porche et fut pendantdes siècles le domaine des religieusesaux vêtements blancs, guimpes plisséeset capuches noires. Elles représentaientles plus grandes familles de la région.Le monastère éminent a traversé nonsans mal la guerre de Cent ans et les batailles de la Réforme. Les religieu-ses furent évincées à la Révolution lais-sant la famille Aubry Vitet proche desprinces. Etrepilly, fille de l’évêché ethaut lieu de la bataille de la Marne, au

vaste cime tière militaire, possède une place où voisinent l’église au clocher duXVIe siècle, la ferme de l’Evêque, la maison de maître où habita le seigneur de Longvilliers, gouverneur de la Martinique qui laisse aujourd’hui la place auxPresses du Village, après avoir été la demeure du célèbre serrurier Fichet qui inventale coffre-fort.

On arrive bientôt à Congis où le château du comte de la Myre Mory est deve-nu lycée technique. Dans le cimetière voisin, onze jeunes de Choisy furentfusillés et enterrés par les Allemands. Un peu plus loin la Thérouanne se laisseboire en partie par le canal assoiffé avant d’aller se jeter dans la Marne. C. de B. !

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Notre-Dame-de-la-Marne.

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Le cimetière de Chambry.

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L’eau n’appartient à personne

Comme presque toutes les rivières, la Thérouanneest un cours d’eau «non domanial», ce qui signi-

fie que ses berges, et le lit (le fond) de la rivière fontpartie des propriétés riveraines ; seule l’eau qui s’yécoule est le bien de tous. Ce sont donc les riverainsqui, en leur qualité de propriétaires, ont la charge del’entretien des berges. A l’inverse, et c’est alors plu-tôt le cas des fleuves, ou de larges rivières, les coursd’eau «domaniaux » relèvent de la gestion de l’Etat ;celui-ci peut être propriétaire, ou non, des berges,mais en tout cas c’est lui qui en assure la gestionet l’entretien ; presque toujours c’est au niveau d’ou-vrages tels que les écluses que l’Etat possède lesberges, et donc le lit, de ces rivières. Ailleurs, là oùl’Etat n’est pas propriétaire, les propriétés riverainessont frappées de servitude (de marchepied, ou dehalage sur la rive où, autrefois, des chevaux tiraientles convois flottants). Un cours d’eau est domanialgénéralement parce qu’il est navigable, et c’est cettecapacité à supporter la navigation qui a justifié, enson temps, les investissements réalisés par l’Etat,longtemps au travers du Service de la Navigation, etdepuis 1991 par un Etablissement public : VoiesNavigables de France.Lorsque les cours d’eau faisaient, activement, tournerles roues des moulins, une bonne gestion, tout aulong de la rivière, était indispensable pour satisfaire

l’intérêt collectif : dérivations, bras d’amenée et dedécharge, et cours d’eau eux-mêmes étaient entrete-nus afin d’éviter le colmatage des ouvrages, ou desdébordements nocifs. L’abandon progressif des mou-lins, avec l’émergence de machines à vapeur alimen-tées au charbon, puis de l’électricité, ainsi que denouveaux moyens de transport s’affranchissant descours d’eau, ont rapidement provoqué le désintérêtvis à vis de ceux-ci. La végétation des rives reprit rapi-dement son exubérance, et d’année en année, bran-ches puis arbres tombèrent à l’eau, constituant desembâcles (accumulation de bois mort, obstruant lescours d’eau) à l’origine de nouveaux débordements,d’érosion de berges, et de déstabilisation des cons-tructions. Afin de se substituer aux riverains qui, dansleur très grande majorité, ne s’intéressaient plus à larivière ou ne savaient plus comment en entretenirles berges, presque partout les communes se sontgroupées en syndicats, d’aménagement, puis d’entre-tien de rivière. En Seine-et-Marne, ce mouvements’est surtout manifesté à partir de 1960, et accéléréà la suite des grandes crues des années 1980. LeSyndicat Intercommunal d’Aménagement de laThérouanne s’est constitué en 1968, à partir des8communes sur le territoire desquelles elle coulait ;il s’est élargi plus tard aux 14 communes dont toutou partie du territoire faisait partie de son bassin

versant (ensemble des terresoù l’eau de pluie, en ruisselant,s’écoule vers la même rivière).Les divers syndicats qui se sontconstitués comme celui de laThérouanne, étaient assistés parla Direction départementale del’agriculture ou celle de l’équi-pement, afin d’entreprendre destravaux, souvent lourds, de res-tauration du lit des rivières, decertains barrages, des berges…Par la suite, ils ont engagé desprogrammes d’entretien, élabo-rés, et suivis, par l’Equipe dépar-tementale d’assistance tech-nique à l’entretien des rivières

34!

!Exemplede la constitutiond’embâcles aupied d’un pont.

!Page de droite,Ru des Avernesà Forfry.

créée par le Conseil général, avec un

financement de l’Agence de l’Eau

Seine-Normandie. Ces tra vaux d’en -

tretien régulier, répartis sur 4 ou 5

années pour couvrir l’ensemble du

cours de la rivière, voire de ses

affluents, sont subventionnés par le

Département et l’Agence de l’Eau, ou,

dans le cas du bassin versant de la

Marne, par l’Entente interdéparte-

mentale pour l’aménagement de la

rivière Marne et de ses affluents

(cf p. 108). Un seul syndicat, dans le

sud du département, fait participer

financièrement les riverains à ces tra-

vaux d’entretien ; partout ailleurs,

c’est la contribution des communes

qui composent le syndicat, générale-

ment en fonction du poids de leur

population et de la longueur de berges

sur leur territoire, qui constitue le bud-

get de celui-ci. Les travaux d’entretien

consistent d’une part à enlever les

embâcles et à curer ponctuellement les zones les plus

envasées, et d’autre part à éliminer les arbres morts

ainsi que les branches basses qui peuvent faire obs-

tacle à l’écoulement des eaux en période de crue.

En zone de culture, c’est plus souvent un débrous-

saillage qui est effectué. On tente néanmoins

d’essayer d’obtenir des riverains qu’ils admettent de

laisser repousser des arbustes et des arbres en haut

de la berge : cela permet de tenir celle-ci, surtout

lorsque les ragondins, qui se sont multipliés à ou -

trance, y creusent trop de terriers. Cela permet

d’ombrager la rivière, de constituer des abris pour

les poissons d’un côté, mais aussi pour les oiseaux de

l’autre, et enfin de marquer à nouveau le passage des

cours d’eau dans le paysage.

La réglementation sur l’eau est l’une des plus com-

plexes ; sur chaque cours d’eau, même le plus

modeste, il y a des droits et des obligations, des

autorisations à obtenir (prélèvement, rejet) ou des

interdictions, que deux types d’agents sont suscepti-

bles d’instruire ou de rappeler aux collectivités, entre-

prises, ou personnes concernées. La police de l’eau,

la plus générale, et la police plus spécifique de la

pêche, sont exercées par des agents de l’Etat : ceux

de la Direction Départementale de l’Agriculture et de

la Forêt (en cours de regroupement avec celle de

l’Equipement) ou ceux du Service de la Navigation,

ces derniers intervenant uniquement sur les cours

d’eau domaniaux : Seine, Marne, Yonne. Des garde-

pêches assermentés, et des agents de l’Office natio-

nal de l’eau et des milieux aquatiques peuvent eux

aussi intervenir, et dresser procès-verbal en cas

d’infraction à l’une de ces polices, tout comme les

représentants de la Police ou de la Gendarmerie.

Dans le cas de la Thérouanne, police de l’eau et

police de la pêche sont donc exercées par la Direction

départementale de l’agriculture et de la forêt, comme

dans tous les autres cours d’eau secondaires de

Seine-et-Marne.

Enfin, pour pouvoir assurer l’entretien régulier de ces

cours d’eau, il a fallu instaurer des servitudes de

passage, au moins sur l’une de leurs rives, afin de

garantir le passage des personnes et des matériels

nécessaires à celui-ci ; les rivières du département en

disposent depuis de nombreuses années.

Ce qui fait qu’en fin de compte, pour préserver

une eau qui n’appartient à personne, la gestion des

rivières est plus complexe qu’il n’y paraît ! M. B. !

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La Beuvronne à Gressy.

La petite Beuvronne a fort à faire, elle qui, avec la Biberonne, marque (maisjusqu’à quand ?) la fin de l’agglomération capitale, à son nord-est, là où lespistes de Roissy s’avancent sur les riches terres de la plaine de France.

Ici, blé, betterave, colza, mais aussi pomme de terre résistent aux immenseschantiers de l’aéroport, de ses nouveaux accès routiers, des zones d’activités et commerciales, ou des nouvelles habitations. Du nord au sud, les villages,même agrandis, restent serrés autour de leurs clochers, se succédant le long des deux petites rivières, que survolent sans cesse bon nombre des cinquantemillions de passagers qui, chaque année, partent, arrivent, ou transitent ici. Euxne les devinent qu’à peine ; tout au plus voient-ils la mosaïque des champs decéréales faite de bruns, de verts, et de jaunes – question de saison – et peut-êtrecette barre boisée de la Goële, qui, plus à l’est encore, arrête un peu le paysage.La Beuvronne, dont la source est à Vinantes, la Biberonne, qui vient de Moussy-le-Neuf, et tous leurs affluents – avant le passage du canal de l’Ourcq, à Gressy –naissent de ces collines boisées qui, sur d’autres côtés, ont donné Thérouanne et Launette : les rus du Pré de Vilaine, et de Thieux pour la Biberonne ; les rus du Rossignol et de l’Abîme pour la Beuvronne.

Après le canal, les affluents coulent de l’ouest : la Reneuse, qui, avec son propre affluent, le ru des Cerceaux, vient des villes (Villeparisis pour elle,

38!

Sous les ailes de Roissy : la Beuvronne

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Mitry-Mory pour lui), se heurte au canal de l’Ourcq, le longe et, comme le ru des Grues qui a suivi le canal, mais de l’autre côté, rejoint la Beuvronne aumoment où celle-ci vient de glisser sous le canal, en lui laissant une bonne partde son débit, dernier apport d’eau avant que le canal quitte la Seine-et-Marne.

La Beuvronne est un cours d’eau non domanial, de 2e catégorie piscicole. Les vallées de la Beuvronne et de la Biberonne sont peu marquées, mais commeles bourgs et villages s’y sont installés, et qu’entre eux subsiste un cordon de prairies, haies, bosquets, marais et peupleraies, elles se repèrent aisément.Environ quinze moulins suivaient leurs cours ou celui de leurs affluents, et prèsde la moitié existe encore. La principale ville traversée par la Beuvronne estClaye-Souilly, où le canal, aussi, serpente. La rivière y est modeste (3 à 5 mètresde large, pour 50 à 80 centimètres de profondeur), mais en période de crue,elle peut y provoquer de sérieuses inondations, qui ont entraîné de multiplesétudes et travaux. A son aval, elle se divise dans des marais, échange ses eauxavec le fossé de Montigny, qui la rejoint ensuite à Fresnes-sur-Marne ; à nouveaudivisée, elle longe ce qui fut le parc du château de Fresnes, aujourd’hui disparu,et, toujours dédoublée, finit sa course en rejoignant la Marne. Au total, la Beuvronne aura parcouru une vingtaine de kilomètres, que complètent

!

A Vinantes, source de la Beuvronne.

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les douze de la Biberonne. Pour l’entretenir, ainsi que ses affluents, deux syndicatsse partagent son cours : celui du Bassin de la Haute-Beuvronne, pour tout ce quise trouve au nord du canal de l’Ourcq, et celui de la Reneuse et de la BasseBeuvronne, pour le reste.

Un projet de véloroute – voie réservée aux vélos et rollers – existe : partant ducanal, il longerait la Beuvronne puis la Biberonne, pour s’en aller vers les forêts etchâteaux de l’Oise, puis se raccorder plus au nord à des itinéraires européens. Le cadre naturel et bâti des deux petites vallées pourrait en faire un parcoursagréable, quitte à se laisser distraire au passage des avions, comme le font tous lesjours amateurs et curieux, le long des routes qui bordent l’aéroport. Mais pour

cela, et en raison de la richesseagricole des terres de la Plaine de France, il faudrait s’obligerà limiter les futures emprisesdes développements à venir,même si depuis quelquestemps on entre, aussi, dansl’aéro port par l’est, et que la Seine-et-Marne en espèreplus de perspectives que de nuisances. M. B. !

40!

!

A Nantouillet.

!

La vallée de la Biberonneà Compans.

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Deux petites rivières essentielles, alimentées d’innombrables rus adjacents,descendent des collines de Goële en direction du Parisis au nord, l’est étantréuni au pays de Meaux. Ce lieu de guerre et souvent de victoire est

une plaine agricole et, de l’est à l’ouest, un grand réseau de routes antiquesallant de Meaux à Paris traverse le grand relais de poste de Claye-Souilly villecommerçante et laborieuse où le canal de l’Ourcq véhicula longtemps voyageurs et marchandises.

Deux rivières alimentent le réseau. La Beuvronne qui vient de Vinantes, dontle nom est explicite et peut-être aussi de Montgé, pour croiser au large le collègede Juilly dont beaucoup d’élèves devinrent des célébrités comme le maréchal de Villars ou Jérôme Bonaparte. Le collège, fondé par les pères de Bérulle et de Condren en 1640, prit la suite d’une abbaye où jaillit la source SainteGeneviève. Le collège a traversé sans encombre le tourment révolutionnairegrâce à Fouché, ancien élève et Lamenais a promené sa mince silhouette de professeur. On voit dans la chapelle les statues de Nicolas Dangu et du cardinalde Bérulle.

Un peu plus bas surgit le château de Nantouillet « où les formes de l’architecture ogivale viennent expirer dans les apparences nouvelles de la Renaissance Italienne ». Il fut bâti en 1525 par le cardinal Duprat, chancelier

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Beuvronne et Biberonne à tous vents

!

Le château de Nantouillet.

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de François Ier, évêque de Meaux.Ce personnage irascible et autori-taire aimait la viande d’ânon et surle tard fut affecté d’une telle obésité qu’il fallut à sa placeéchancrer la table. La façaded’entrée est ornée d’une nichesculptée. L’église voisine a un portail dont le tympan est décoréde déesses antiques. La Beuvronneest rejointe à Saint-Mesmes par la Biberonne, « enfantine » et souvent perdue dans les blés. Ellea pris naissance à Moussy-le-Neuf

où l’on voit les ruines du prieuré de sainte Opportune morte en 770 puisMoussy-le-Vieux, domaine des Bouteilléz de Senlis, qui conserve le mausoléesuperbe d’un de ses membres. Le château de style Louis XIII, propriété desBrissac, est le domaine des Gueules cassées, les défigurés de la guerre 1914-18.Enfin, le beau village de Gressy qui possède la maison et le parc Macquer lequelavait choisi ces lieux pour ses amusements botaniques et ses plantations exotiques. La rivière passe une chute, le paysage de la rivière y est bucolique et le beau village neuf vieillit trop vite.

Un peu plus loin la Beuvronne va laisser une partie de son eau au canal de l’Ourcq qui donne aux pontonniers et aux mariniers un rude travail. L’eaulaissée par le canal poursuit son chemin à travers Claye-Souilly, ville de relais de poste, pour filer vers la Marne en arrosant jadis les douves de Fresnes. Car hélas, la plupart des châteaux des grands commis et de l’Etat ont été détruitspar les guerres et submergés par les lotissements. C. de B. !

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!

Collège de Juilly.

!

Ancien moulinde Thieux.

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Les pêcheurs n’ont pas remplacé les castors

La Beuvronne, comme la Biberonne et, dans un

département voisin, la Bièvre, ont une racine com-

mune, signifiant « castor ». Il y eut donc un temps où,

loin de Lutèce, toutes ces petites rivières s’alimentaient

à partir de sources claires, erraient dans des marécages,

se divisaient, se déplaçaient, servaient de frayère aux

poissons qui y remontaient depuis la Marne, attirant

oiseaux et mammifères qui savaient y trouver abri

et nourriture. Les castors, alors présents dans tout notre

pays, trouvaient là un parfait lieu de vie : des arbres en

grand nombre dont ils se nourrissaient, ou qu’ils tiraient

à l’eau pour y édifier de quoi accueillir leur future

famille. Aujourd’hui, seuls les noms de ces rivières et la

physionomie de leurs petites vallées laissent imaginer

ce qu’elles furent, mais il n’y a plus de castors, qui

furent beaucoup chassés, et très peu de poissons. Pour

ces derniers, la ville est trop près, avec tout ce qu’elle

engendre d’eaux ruisselant après les pluies sur routes et

parkings, et celles dites « usées» provenant de chaque

foyer ou des entreprises. Ces eaux ont beau être dirigées

vers des stations d’épuration que l’on améliore sans

cesse, elles n’en ressortent jamais pures, et ne conti-

nuent à s’améliorer que par le jeu des cycles naturels

qui se produisent en rivière.

Lors de la grande expansion économique qui suivit la

dernière guerre, l’essor des entreprises, l’extension des

villes, l’intense développement des transports et la

modernisation de l’agriculture se sont faits au bénéfice

d’une évolution de la société, mais au détriment

des ressources naturelles alors considérées comme

disponibles à souhait. L’eau en fut une des premières

victimes, elle qui se mit à charrier des poissons morts

par milliers avant Paris, dans Paris, et après Paris ;

comme partout. Au début des années 60, afin d’enrayer

ce phénomène, six Agences de Bassin furent créées

en France. Sur un principe voisin de celui des mutuel-

les, chacun contribuait à leurs budgets (au travers des

factures d’eau), redistribué ensuite aux communes,

entreprises ou exploitants, qui construisaient des

réseaux d’assainissement, des stations d’épuration,

des captages ou usines de production d’eau potable,

aménageaient ou restauraient les rivières… Cette longue

reconquête n’est pas finie, même si de notables progrès

ont été accomplis. Les Agences de Bassin sont deve-

nues des Agences de l’Eau, et l’Ile-de-France fait partie

de celle qui gère les rivières du bassin de la Seine et de

Normandie. Les entreprises, nombreuses dans la zone

industrielle de Mitry-Mory et Compans, sont conseillées

et surveillées par la Direction régionale de l’industrie,

de la recherche et de l’environnement. Pour améliorer

le fonctionnement des stations d’épuration, les Agences

de l’Eau ont provoqué la création de Services d’assis tance

technique aux exploitants de stations d’épuration, afin

d’aider les communes, syndicats d’assainissement,

industriels ou éleveurs, à tirer le meilleur parti de ces

nouveaux équipements. Celui de Seine-et-Marne a plus

de trente ans, et fait partie des services du Département,

comme le Laboratoire d’analyse des eaux auquel il confie

l’analyse des échantillons d’eau qu’il prélève chaque jour.

Dans le cas de la Beuvronne, et malgré les efforts

d’équipement déjà réalisés, y compris au niveau de

l’aéroport qui régule, et surveille, ses eaux pluviales

avant leur rejet, la Biberonne, la Beuvronne, la Reneuse,

le ru des Cerceaux et celui des Grues sont trop souvent

de mauvaise qualité ; la faiblesse de leur débit au regard

de tout ce qu’ils recueillent, en est aussi la cause.

On leur a fixé un objectif ambitieux : être simplement

de qualité acceptable, autorisant la vie des poissons

les moins exigeants. Peut-être que demain, si les efforts

engagés par les entreprises, les communes, et les

sociétés des eaux qui gèrent leurs dispositifs d’assainis -

sement, s’amplifient, les pêcheurs remplaceront-ils,

enfin, les castors, le long de leurs berges ? M. B. !

36-43Beuvr:EAU 7/08/08 10:02 Page 43

!

La vallée à Orly-sur-Morin.

!

Petit canal au moulin d’Ormoy-le-bas.

Le Petit Morin est certainement l’une des plus belles rivières de Seine-et-Marne ; et curieusement, même si sa longueur totale dépasse à peine les 80 km, ils lui suffisent pour connaître trois régions : Champagne-Ardenne,

Picardie, Ile-de-France. Dans la première, il paraît au marais de Saint-Gond, puisy fait la moitié de son cours; il traverse rapidement la seconde, crée la limiteentre celle-ci et la troisième, où il poursuit sa course afin de confluer avec laMarne, à La Ferté-sous-Jouarre. La vallée du Petit Morin est certainement, elleaussi, l’une des plus belles de Seine-et-Marne ; d’assez large, et toute agricole, àl’amont, elle se resserre dès Verdelot, se boise sur ses versants, s’ouvre sur desprairies, égrenne ses villages, s’écarte à peine pour recevoir ses affluents, gardeses moulins, jumelle Saint-Cyr avec Montmartre, porte les cryptes de Jouarre, et

s’estompe à la Ferté dont elle accueille lesfaubourgs. Le Petit Morin et sa vallée ont la beauté des choses simples. On pense àeux dans un projet de parc naturel régional ;ils y feraient bonne figure.

Le bassin versant du Petit Morin couvre600 km2, dont 250 en Seine-et-Marne, où la largeur du cours d’eau passe de 6 à 15 mètres, et sa profondeur de 0,8 à 1,5 m.Le Petit Morin est un cours d’eau nondomanial, classé en seconde catégorie pisci-cole. Il reçoit les eaux de nombreux petitsaffluents dont les plus importants sont : leru Moreau à Verdelot, le ru de Bellot,l’Avaleau à Sablonnières – qui vient du pointhaut des paysages du Morin, et aussi de

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Trois régions pour un Petit Morin

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Seine-et-Marne, à un peu plus de 200 mètres ! – puis le ru de la Fonderie à Orly,enfin le ru de Choisel au lieu-dit les Marais et celui de Vorpillère face au coteaude Jouarre. Ce Morin est vif, et présente à l’aval, un débit moyen assez soutenu(3m3/s) ; le 30 décembre 2001, il afficha un débit maximum de 52 m3/s. Sa qualité, déjà assez bonne à l’amont, a tendance à s’améliorer vers l’aval. Les berges, privées, étant assez peu accessibles, une seule association de pêche y est présente, qui regroupe néanmoins près de 200 pêcheurs. A Verdelot, on pratique le canoë et le kayak ; deux campings s’inscrivent dans la vallée.Quelques entreprises jalonnent le cours du Morin, et relèvent principalementde l’agro-alimentaire ; à Bellot, une cidrerie a dû fermer ; mais les pommes dela vallée donnent encore, à Verdelot, un cidre de belle tenue. Sur les 19 moulinsencore présents, soit presque autant qu’au XIXe siècle, cinq seulement sont fran-chissables par les poissons, et très rares sont ceux qui ont encore une fonctionutilitaire : l’un d’eux, néanmoins, produit de l’électricité. La rivière engendrantassez peu de nuisances pendant les crues (à la Ferté, c’est surtout l’influence de la Marne qui se fait sentir, y compris sur la fin du cours du Morin ; et ailleurs ce

sont surtout des prairies qui sont inondées),les communes n’ont pas toutes été incitées àse substituer aux riverains pour prendre en charge l’entretien de la rivière. Ainsi, unsyndicat ne regroupe-t-il que les quatre com-munes de l’aval : la Ferté, Jouarre, Saint-Cyr et Saint-Ouen, tandis qu’à l’amont il n’y a que Montdauphin qui ait adhéré à un autresyndicat dont le siège se trouve dans le dépar-tement voisin. La pression urbaine s’exercesurtout à l’approche de la confluence avec laMarne, où habitent les trois-quarts des 14000habitants de la vallée seine-et-marnaise, là où

!

Eglise de Villeneuve-sur-Bellot.

!

Vue de la passerelle sur un brasset alimentant le moulin d’Ormoy-le-bas.

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aussi se trouvent ses sites les plus fréquentés : l’abbaye de Jouarre en premier lieu,et, secondairement, le musée des Pays de Seine-et-Marne à Saint-Cyr-sur-Morin.

Pour conserver son attrait à la vallée du Petit Morin, et y éviter l’effet de mitage qui transparaît déjà, il faudra veiller à ce que les développementsurbains y soient bien réfléchis, et les autorisations de constructions individuellesexaminées avec exigence. Par ailleurs, en augmentant le niveau de traitement decertains rejets venant des zones d’habitat, en coordonnant les manœuvres des

vannages des moulins, et en assurant unminimum d’entretien de la végétationdes berges, là où aucun syndicat ne s’estencore constitué, on donnerait au PetitMorin de meilleures caractéristiques,physiques et biologiques, permettant à une espèce noble, comme la truite,d’y prospérer. De même, en entretenantle cours aval de ses principaux affluents,ceux-ci pourraient devenir d’inté -ressants sites de frayères, favorisant lareproduction naturelle des poissonsdans une vallée riche de ses ressourcesnaturelles et de ses paysages. M. B. !

48!

!

Musée départemental desPays de Seine-et-Marne.

!

La vallée du Petit Morinà Montdauphin.

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Deux rivières dont l’une est plus grande que l’autre ont été qualifiées depetit et de grand étant donné leur longueur, leur profondeur et leur débit.Loin de nous l’idée de les qualifier comme on le fit pour la Seine et

la Loire inférieure. Il est vrai du reste que l’origine du mot « mucre » ou « lumiorité » est encore incertain mais définit un lit profondément creusé. Savallée de part en part est étroite et parfaitement naturelle. En le remontant, maisje l’ai aussi descendu tant de fois, on le trouve courageux et intrépide, parfaite-ment équilibré, avec son entourage de feuillages et de collines plus ou moinsescarpées se distinguant ainsi presque totalement des cours d’eau de plaine. Du reste en revoyant comme je les ai vus tant de fois, ces sinueux cheminsd’eau, je les découvre sans cesse différents. A chaque mois de l’année, chaquejour, chaque heure, chaque instant, je ne les découvrirais semblables. Jamais la même couleur, jamais les mêmes reflets, jamais les mêmes mouvements. On pourrait dire jamais les mêmes.

Pourtant un peu avant qu’il ne se jette dans la Marne à la Ferté-sous-Jouarre,le Petit Morin traverse, à Saint-Cyr-sur-Morin un domaine culturel qui le trans-figure. Car Saint-Cyr fut d’abord Montmartre tant ce village, si bien caché, fut

proche de la vie de bohêmeparisienne. Cet ensemble serésume en trois noms qui le symbolisent et se trou-vent aujourd’hui quasimentréunis dans le Musée dépar-temental des Pays de Seine-et-Marne. Julien Caille etl’Œuf Dur, Pierre Mac Orlanet son havre du fantastiquesocial, enfin Pierre Guibertet l’Hôtel Moderne qui réu -nit tous les adeptes et où s’édifie la pyramide dessouvenirs de là-bas et d’àcôté. L’auteur de «Quai desBru mes» avait épousé la fille de Frédé, du «Lapin Agile»cabaret de Montmar tre. JulienCaille autre baron de labande, cordial frondeur créaune réplique en transfor-mant son hôtel en coloniede la Butte. Tout en mangeant

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Le Petit Morin, juvénile et frondeur

!

Moulin sur le Petit-Morin par Pressac (collection particulière).

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gai et buvant sec dans la fermette dont ilreste une peinture sur le bâtiment, onfaisait des tas de gamineries. On peignitun tableau fort remarqué avec la queued’un âne.

Un peu plus loin se trouvait la maisonde Mac Orlan. Cet ancien combattant dubrouillard des ports et de la misère, avaitdonné au monde de la nuit et de l’aubesa dimension de l’imaginaire. Il allait deplus en plus à l’Hôtel Moderne avec sonbonnet à pompon, sa pipe et son perro-quet Dagobert. Car l’Hôtel Moderneréunissait des amis comme Chabrol,Brassens, Clavel, Gréco ou Flip. Et le restaurateur de ces cerveaux branchés fut

aussi le gardien d’une collection d’ethnographie devenue Musée des Pays de Seine-et-Marne.

Sortant de Saint-Cyr on remonte une vallée aux églises modestes, aux châteaux disparus, aux villages blottis le long de la rivière ou perchés aux sommets des collines. A Saint-Ouen le château s’écroule. A Bussières se situe le chalet de Scribe, auteur dramatique. A Sablonnières se devine le reste d’un

50!

!

La Maison de Mac Orlan par lui-même (collection particulière).

!

Portrait de Mac Orlan par Flip (collection particulière).

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château des Maupeou. C’est là que se déroule le roman de Médéric Charot.Bellot garde encore son manoir aux quatre tourelles. Villeneuve conserve sa place du marché. Verdelot aux confins du diocèse de Meaux, de Troyes, et de Soissons possède le point le plus élevé du département à 215 mètres. Son église s’agrandit du côté du chœur mais est diminuée du côté de la nef. Si le manoir demeure la résidence du seigneur, la majestueuse forteresse de Launoy-Renault, jadis entourée de bois et d’étangs, est devenue, à cet

emplacement stratégique, unesimple demeure ayant apparte-nu à la famille d’Espence.Remarquons la superbe façadeRenaissance.

Puis la rivière va devenirrurale et prend sa source enpleins champs dans le maraisde Saint Gond. C. de B. !

!

Reflets de l’église de Saint-Cyr-sur-Morin.

!

La forteresse de LaunoyRenault qui domine la valléedu Petit-Morin.

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Au cœur de la biodiversité

Le Petit Morin et sa vallée font la démonstration de

l’intérêt écologique que peuvent revêtir certaines

parties du territoire. Le caractère relativement préser-

vé du cours d’eau et la variété des paysages de la

vallée, ont en effet permis l’installation et le maintien

d’espèces animales ou végétales souvent exigeantes.

Dans la rivière, c’est la présence du chabot et de la

lamproie de Planer qui a conduit à en inscrire une

large portion, de Verdelot à Saint-Cyr, sur la liste des

sites « Natura 2000 », ensemble de lieux réperto-

riés au niveau européen, dans lesquels vivent

des espèces suffisamment rares pour justifier leur

protection, et celle des milieux qui les accueillent.

On a vu précédemment que c’est aussi dans ce sec-

teur qu’il y a eu le moins d’interventions humaines

(hormis la création, ancienne, de moulins) ce

qui justifiera de pratiquer avec beaucoup de

précautions toute recherche d’amélioration de la

rivière, par exemple, dans un but piscicole.

D’ailleurs, dans les sites Natura 2000, un docu-

ment d’objectifs doit être établi afin de guider toute

intervention, et de permettre le maintien des

espèces remarquables qui ont justifié leur création.

En fonction de leurs caractéristiques (température

de l’eau, vitesse du courant, nature des substrats

composant le lit de la rivière : pierres, sable, vase)

les cours d’eau sont classés en deux catégories,

exprimant leur potentialité sur le plan piscicole.

La première catégorie, ou salmonicole, correspond

aux rivières d’eau vive où la truite peut vivre et se

reproduire, en compagnie des loches et chabots.

La seconde catégorie, ou cyprinicole, est celle des

rivières aux eaux plus lentes, et généralement plus

profondes, où vivent gardons, carpes et brochets.

En Ile-de-France, compte-tenu de la géographie,

les secondes sont les mieux représentées. Le Petit

Morin entre dans cette deuxième catégorie, mais

se trouve presque à la limite des deux, et présente

un peuplement intermédiaire, caractérisé par la

présence de goujons et de vairons.

La vallée, quant à elle, présente une multiplicité de

facteurs favorables à la diversité de la vie, végéta-

le et animale, expression de la biodiversité : la

pente relativement forte de ses coteaux, celui de

rive droite presque toujours exposé au sud, et celui

de rive gauche au nord, ces changements d’expo-

sition induisant des variations d’ensoleillement,

de température et d’humidité qui engendrent à leur

52!

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-

tour, la multiplicité des milieux ; les diverses

couches géologiques que la rivière a entaillées

(limons, sables, argile à meulière, calcaire de Brie)

qui influent sur la nature du sol, et permettent

à des espèces ayant des exigences différentes de se

répartir en fonction de la structure du sol, ou

de sa teneur en argile ou en calcaire ; un fond de

vallée encore largement occupé par des prairies,

pâtures, quelques peupleraies, et une ripisylve –

boisement des berges – pratiquement continue ;

des pentes boisées, en friche, ou en vergers ;

de nombreuses mares résultant de l’extraction de la

meulière comme sur les hauteurs de Reuil-en-Brie

et de La Ferté-sous-Jouarre ; ou encore l’absence

de voies de communication importantes, et de

nuisances industrielles. Toutes ces caractéristiques

ayant été repérées, la Direction régionale de

l’environnement, service de

l’Etat, a délimité dans la vallée

plusieurs zones naturelles d’in -

térêt écologique, floristique ou

faunistique (ou ZNIEFF) dites

de type 2 lorsqu’il s’agit d’assez

grands territoires réunissant

potentiellement des milieux

favorables à la présence de plu-

sieurs espèces dignes d’intérêt –

ici, toute la vallée de Verdelot à

Jouarre – ou de type 1, lorsqu’un

espace, souvent de taille

moindre, correspond strictement

au type d’habitat permettant

à une ou deux espèces remar-

quables de s’y maintenir ; c’est

le cas de certains coteaux d’Orly

à Jouarre, et près du ru de

Bellot. Sans engendrer des

contraintes aussi fortes qu’un

site répertorié Natura 2000, ces

ZNIEFF doivent néanmoins être

prises en compte dans les docu-

ments d’urbanisme des commu-

nes, afin d’éclairer toute déci-

sion susceptible d’affecter les ter-

ritoires concernés, et, le cas

échéant, de réglementer certai-

nes pratiques, d’interdire

certains projets, ou en permettre la mise en

œuvre moyennant l’instauration de mesures

compensatoires.

Il est, enfin, dans la vallée du Petit Morin, un lieu

de conservation de variétés végétales qui ont

longtemps donné à celle-ci une activité renommée :

à Saint-Cyr-sur-Morin, au Musée départemental

des Pays de Seine-et-Marne, sont cultivées onze

variétés d’osier, ces saules aux rameaux à la fois

souples et résistants, dont on faisait des vanneries ;

bel exemple révélant d’une autre manière l’intérêt

patrimonial de cette vallée. M. B. !

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Quand le Grand Morin fait parler de lui, c’est, le plus souvent, parce qu’ilest sorti de son lit. En période de crue, il a en effet forte réputation : ilgonfle rapidement, un peu comme le font les torrents, car ses nombreux

affluents s’écoulent sur des pentes généralement fortes, et ont vite fait de le grossir. Tout le reste du temps, le Grand Morin reste à découvrir, et pour cela,à mettre en valeur.

C’est à Lachy, dans le département de la Marne, que ce Morin-là a débuté sonparcours, à 165 mètres d’altitude, et parcouru 40 km, avant d’entrer en Seine-et-Marne où il s’écoule sur un peu plus de 76 km. Son bassin versant est vaste :1200 km2, dont les deux tiers sont en Seine-et-Marne, répartis sur 66 commu-nes. Il y reçoit une foule d’affluents ; cependant, nombreux sont ceux qui necoulent qu’en période humide, demeurant secs plusieurs mois durant, chaqueété. Cela ne les empêche pas de dessiner des vallons, et parfois plutôt des ravins,de s’entourer de bois, nécessiter des ponts, ou au moins des passerelles auprèsde leurs gués. Ceux qui montrent un débit en tout temps, sont, en rive droite du Morin : les rus de Raboireau , de l’Orgeval, du Liéton, de la Fosse aux Coqset du Mesnil. Le ru de Raboireau vient de Rebais, donne une jolie vallée, et conflue à Chauffry ; l’Orgeval ne mesure qu’un seul kilomètre, mais il est le résultat de deux autres bien plus longs – les rus de Rognon et des Avenelles –

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Vannage à Coulommiers.

Page de droite, anciennevanne à Pontmoulin.

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Curieux ouvrages du Grand Morin

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qui s’écoulent de la forêt du Mans pour le premier, et pour le second, de Doue,dont l’église culmine, solitaire sur sa butte, à 202 mètres ; le Liéton vient de terres qui s’appelaient étangs, et conflue à Mouroux ; le ru de la Fosse aux Coqsse borde d’un joli lavoir au pied de la collégiale de Crécy ; le Mesnil enfin, des-cend du plateau de Coulommes, où s’exploite un gisement de pétrole, et alimentait un moulin avant de rejoindre le Morin, à Couilly-Pont-aux-Dames.Sur sa rive gauche, se jettent principalement : le Vannetin ou ru de Piétrée,l’Aubetin, puis les rus de Binel et de Lochy. Le Vannetin est un ruisseau d’assezbelle qualité, d’ailleurs classé en 1re catégorie piscicole, qui coule à Choisy-en-Brie, dans une vallée presque symétrique à celle du Raboireau, et conflue à Saint-Siméon, après un parcours de 18 km ; l’Aubetin est le principal affluentdu Grand Morin, et fera l’objet d’un autre développement, tant il constitue unevraie rivière ; le ru de Binel est court, mais il naît dans la forêt de Crécy quil’alimente constamment en eau, ce qui lui a valu de faire tourner un moulin ;enfin le ru de Lochy, désormais grossi des eaux qui lui viennent de la ville nou-velle, descend de là-haut, de ce rebord du plateau qui s’affaisse pour laisser la place au confluent de Marne et Morin.

Tout au long de son cours, le Grand Morin se divise en de nombreux bras,que ce soit dû, ou non, à la présence de ses moulins : plus de 50 y étaient recen-sés dans le passé, dont un bon nombre subsiste. A part eux, villes et villagess’étaient généralement implantés à une distance prudente de cet impétueux

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A Condé-Sainte-Libiaire ce pont permet au canal de Chalifert de passer au-dessus du Grand Morin.

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cours d’eau : sur une butte, au pied du coteau ou en remontant sur celui-ci. Aucours du temps, de faubourgs en extensions urbaines, plusieurs l’ont, malgrétout, rejoint puis traversé, s’étendant au-delà. A La Ferté-Gaucher, il est dans lebourg. A Coulommiers, l’histoire de la ville et celle de la rivière sont intime-ment mêlées : le Morin y a plusieurs bras et surtout une fausse-rivière, creuséeau début du XVIIe siècle pour évacuer les eaux, en contournant la ville ; elle l’a,depuis, dépassée elle-aussi. A Crécy-la-Chapelle il joue avec l’eau de ses brassets,bordés de petits lavoirs et surmontés de passerelles, en autant d’accès auxanciennes maisons. Plus à l’aval, on se contient, en retrait, jusqu’à ce que le Grand Morin conflue avec la Marne. Il le fait de curieuse façon : son anciencours est sur Esbly, car un nouveau débouché, plus direct, lui a été trouvé à la fin du XIXe siècle, à Condé-Sainte-Libiaire. Cette principale confluence se faitaprès passage du Morin sous un large pont, aux nombreuses et massives arches,qui porte le canal de Chalifert, un de ces canaux destinés à raccourcir le tempsde navigation sur la Marne. Problème : ce pont, on le verra, est source de com-plication pour la rivière, car il lui fait obstacle en période de crue. Il fut aussi untemps, de 1846 jusqu’à la fin des années trente, où l’on prit l’eau du Morin

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Le Grand Morin traverseCoulommiers.

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Lavoirs à Crécy-la-Chapelleet à Chauffry.

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pour alimenter ce canal de Chalifert; à Saint-Germain-sur-Morin cela se voitencore : une ancienne écluse, comblée de terre, n’est plus en lien avec le Morin,mais constitue le début d’un long canal rectiligne qui rejoignait celui deChalifert. C’est la « branche alimentaire » ; l’eau s’y trouve prisonnière, immo-bile, et, à cet endroit, recouverte de milliers de lentilles d’eau au travers des-quelles seuls quelques canards se risquent un passage ; à l’autre extrémité, sur lacommune d’Esbly, elle a une belle embouchure sur le canal ; un tel site mérite-rait un projet. A rivière complexe, statut compliqué : le Morin ayant longtempsservi à transporter vers Paris le bois de la toute proche forêt de Crécy, il futrendu navigable en 1618, et donc domanial, depuis le moulin de Coude, àDammartin-sur-Tigeaux, jusqu’à sa confluence avec la Marne. Trois siècles plustard, en 1926, il fut radié des voies navigables. De son côté, le petit bras d’Esbly,qui avait perdu le privilège de mener les plus gros flots du Morin à la Marne,redevint non domanial comme le sont le reste du Grand Morin et tous sesaffluents. Enfin, deux syndicats interviennent pour l’aménagement et l’entretiendu Grand Morin ; leur nature et leur rôle seront précisés plus loin.

De bonne qualité dès son entrée en Seine-et-Marne jusqu’à La Ferté-Gaucher,malgré, souvent, une légère opacité, le Grand Morin y est classé en premièrecatégorie piscicole. Par la suite, sa qualité diminue surtout du fait des rejetsurbains; il y est classé en deuxième catégorie piscicole et ce, jusqu’à saconfluence. Rivière aux dimensions intéressantes (15 mètres de largeur, enmoyenne, et de 50 cm à 1 m de profondeur moyenne, avec des creux de plus de deux mètres), le Grand Morin présente des berges généralement abruptes,mais aussi une alternance régulière de zones vives sur des graviers, et de secteurs lents avec de forts herbiers. Cette variété constitue un ensemble favorableà la vie et à la reproduction du poisson. Douze associations agréées pour lapêche se succèdent le long de son cours, regroupant environ 1800 pêcheurs.Son profil permet aussi au Morin d’accueillir des canoës que l’on voit en diverssites, comme devant la petite base de loisirs de Saint-Rémy-de-la-Vanne. Rivière

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Non loin de Saint-Rémy-de-la-Vanne.

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industrieuse, le Grand Morin subissait fréquemment, il y a seulement deux ou trois décennies, des pollutions chroniques ou accidentelles qui émurentnombre de riverains et de pêcheurs. Plus rien de cela aujourd’hui, pour deuxcauses principales : les communes ne cessent d’améliorer leurs dispositifsd’assainissement et d’épuration ; tandis que du côté des industries, c’est surtout– et malheureusement – leur raréfaction qui est la cause de leur moindre impactsur le Morin. Ainsi ne reste-t-il en amont de Coulommiers, comme grandesentreprises directement implantées sur les rives de celui-ci, qu’une faïencerie à La Ferté-Gaucher et une papeterie à Jouy-sur-Morin, alors que les papeteries,pour ne citer qu’elles, avaient longtemps été présentes, et en nombre, sur ceMorin, attirées par sa force et la qualité de ses eaux. Maintenant, de vastes bâti-ments peinent à trouver preneur, et les friches s’emparent de sites où les rouesdes moulins ne tournent plus. Signe d’espoir peut-être : l’un d’eux, à Boissy-le-Châtel, s’est transformé en lieu d’exposition d’art contemporain.

Très vite autour du Morin, à part quelques prairies, petits boisements et peu-pleraies, et jusque sur le grand plateau d’où viennent ses affluents, les terressont vouées à la culture du blé, surtout, comme partout en Brie, mais aussi

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Ancien moulinà Boissy-le-Châtel transformé en galerie d’art contemporain.

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Les Sources avant de sejeter dans le Grand Morin.

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des pois, du maïs, du colza, des tournesols, ou encore de l’avoine. Ce grand plateau n’est jamais monotone ; c’est encore la Brie, mais celle des deux Morinparsemée de boisements, ondulant légèrement, offrant constamment de nou-veaux horizons qui ne s’ouvrent largement que lorsqu’ils portent sur la vallée.Comme dans celle du Petit Morin les vergers de pommiers tendent à régresser,n’occupant que quelques pentes qu’ils partagent avec des prés où se maintientun peu d’élevage, principalement bovin. On voit cependant des chevaux, desmoutons, ici ou là. Les grandes forêts sont plutôt rares : bois de Doue et duMans au nord-ouest, forêt de Crécy au sud-ouest ; mais lorsque leur pente étaittrop forte pour la culture, les coteaux du Morin, comme les vallons de presquetous ses affluents, se sont largement boisés une fois la vigne et les vergers disparus.Cela donne de beaux sites, surtout lorsque le Morin, se heurtant à des rochesplus dures, a dessiné des méandres, parfois resserrés, ce qui lui a valul’inscription du territoire de plusieurs communes (Guérard, La Celle-sur-Morin, Dammartin-sur-Tigeaux, Voulangis et Crécy-la-Chapelle) au titre de laloi du 2 mai 1930 sur la protection des monuments naturels et des sites decaractère (cf p. 174-175). Loin de constituer une récompense, une telle mesurerevient à reconnaître la qualité d’un site, mais aussi la réalité des menaces quipèsent sur celui-ci. Ce qui est vrai à cet endroit peut donner matière à réflexionpour le reste de la vallée, dont l’ensemble reste, encore, de caractère. Encore…car il n’est que de la sillonner pour saisir la mutation, qui se produit sous nosyeux : si l’habitat de plusieurs communes reste remarquablement groupé, ne s’étendant que sur des parcelles vides au cœur des bourgs, ou directementattenantes à ceux-ci ou à leurs hameaux, sur d’autres, les constructions, sansretenue, se succèdent au long de chaque route qui s’écarte du pays. Ici comme,malheureusement, trop souvent dans bien d’autres lieux, certaines entrées de ville ou de bourg ne se distinguent plus, sauf par des constructions éparses

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Moulin de La Celle-sur-Morin.

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et des enseignes excessives ; viennent aussi l’appropriation des berges d’uncôté, et celle des points de vue de l’autre, les prétentieuses tourelles, les clôturesqui ne sont plus protectrices mais offensives, hérissées de toutes parts, auxpilasses surmontées d’inutiles ajouts dominateurs… On pourrait dire cela de toutes sortes d’autres régions ; mais ici, il est encore temps, et la vallée du Grand Morin peut encore évoluer dans la qualité, souvent synonyme de simplicité, rarement de surcoût. Pendant ce temps, au fond de la vallée, là où serpente ce Morin que l’on ne voit qu’à peine, des bâtiments s’abandonnent,en même temps que s’est arrêté le train qui allait de Coulommiers à La Ferté-Gaucher. Il a été parfait du temps où il fallait desservir les usines du fond de vallée ; désormais, il ne va plus là où l’on vit, et, laissant ses barrières se figer, et sa voie se couvrir de ronces, il accentue encore cette lancinante impressiond’abandon de la rivière. Certes il y a moins de travail sur les rives du Morin,mais faut-il, en plus, en oublier celui-ci, ou lorsqu’une activité revient,l’admettre sans exigence, sur le premier terrain venu?

Les eaux du Grand Morin sont de plus en plus belles, et la rivière bien entre-tenue, mais on ne le sait pas, car on ne les voit pas, sauf en de rares endroits,

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Les saules à Tigeaux.

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comme à la Celle-en-Bas, ou Voulangis, où l’on a fait la démonstration de labeauté du Morin : ici c’est la simplicité d’une prairie entre deux eaux, un vieuxpont et des moulins, là c’est l’entretien minutieux d’anciens saules, reconnusremarquables, sur le site où nous est rappelé que les peintres du « Cercle artis-tique » posaient leur chevalet, près du moulin de Saint-Martin, face au clocherde Crécy. Même si cette tendance se retrouve à quelques endroits, surtout à l’avalde Crécy, il faudra se mobiliser largement pour redécouvrir les berges du GrandMorin, à commencer, tout simplement, pour les habitants des communes qui le bordent. Comme on l’a dit pour le Petit Morin, un projet de Parc naturelrégional est mis à l’étude par la Région sur ce nord-est de l’Ile-de-France ; des associations, de particuliers, d’élus, tous passionnés du Morin, se sont cons-tituées pour promouvoir cette idée. Ce devrait être l’occasion de lancer le débatsur le devenir de cette belle vallée ; elle peut se banaliser, et même se dégrader, sion n’y prend garde, ou devenir, pour tous, un passionnant projet, en parlant derivière, de vallée, et des gens, et jamais autrement que des trois à la fois. M. B. !

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Passerelle à Crécy-la-Chapelle.

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Un brasset à Crécy-la-Chapelle.

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Le Parc des Capucins, lumière d’automne.

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Le Musée et les pavillons du Parc des Capucins à Coulommiers.

Le Grand Morin est sans doute l’une des rivières les plus émouvantes deSeine-et-Marne et celle qui se rapproche le plus d’une œuvre d’art. C’est la raison pour laquelle cet ample réservoir de chimères a inspiré tant de

peintres remarquables qu’on dénomme les peintres de la Vallée et c’est elle quicontient une large réserve de folklore, d’écrivains en face de la Seine chevale-resque de Fontainebleau la Royale et la Marne de Meaux la Sainte. C’est la régiondes plumes du terroir. La rivière, elle-même est à sa juste dimension, ni troplarge pour se prélasser sur les plaines, ni trop étroite pour être reléguée à l’étatsecondaire. Nous sommes dans la Brie laitière ou Brie des étangs, souvent effacés par une culture intensive. Les jolis coteaux-jardins recouverts de vigneset de pommiers sont aujourd’hui tapissés d’arbres et de résidences. AlexisMartin nous dit que ces vingt lieues de promenade sont un enchantement. Il n’ya guère de villages où l’on ne découvre une église des XIII ou XVIe siècles.Quelques moulins, étangs et cascatelles et des bourgades qui ont conservé leurplace du marché, ensembles harmonieux bordés de maisons de style.

Le Grand Morin des cités aquatiques

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!Panneau touristiquede la Vallée des peintres.

Sortis de la Champagne, nous nousacheminons vers La Ferté-Gaucher dontle prieuré est remarquable. On l’avaitappelée « la ville aux bêtes », maisles habitants s’en défendaient en disant« il en passe plus qu’il en reste ». Auxalentours se distinguent la chapelle dela Commanderie de Coutan et le petitchâteau de Lescherolles. A Chartrongesvivait la famille de Villefosse qui égrèneses souvenirs non loin de Saint-Barthé-lemy où Marc Villin nous conte lesmaîtres d’école d’avant-hier.A Jouy-sur-Morin, les papeteries du Marais fabri-quaient les assignats et les billets de laBanque de France. Saint-Siméon estdécoré dans son église des fresques naï-ves de son curé. Avant Coulommiers sedresse la « forteresse courroucée » deBoissy-le-Châtel.

A partir de Coulommiers nous tom-bons dans une rivière devenue dorman-te, toute chargée de pittoresque et depoésie où quelques cités converties en

petitesVenise, sont parsemées de canaux.Tout s’y passe. Catherine de Gonzague yconstruisit à la fin du XVIe siècle un château qui ressemblaitau Palais du Luxembourg. Il en reste un beau jardin côtoyépar le Musée des Capucins avec sa crypte en forme de grot-te décorée de coquillages. Au château de Montanglaust, surla colline, se trouve la demeure des parents de La Fontainenon loin de la superbe Commanderie desTempliers qui futsauvée de justesse. Dans la cité se trouve une imprimeriecélèbre, une ancienne prison convertie en bibliothèque,une halle aux fromages et une Caisse d’Epargne qui res-semble à un palais. Au collège vécut Henri Massoul quiécrivit la chronique des lieux où la Révolution fut parti-culièrement virulente.

A partir de l’endroit où se décharge l’Aubetin, la riviè-re et sa vallée deviennent de plus en plus pittoresques,traversant les lieux enchanteurs de Dammartin-sur-Tigeaux et Serbonne puis l’époustouflante collégialede la Chapelle-sur-Crécy située entre le château neuf,et les vestiges de l’ancien ; Julien Green écrit « Elle estadmirable et belle et les autos qui passent n’arrivent pas à

66!

!Moulin sur les bordsdu Grand Morinpar Chamaliard (col. part.)

la tirer de sa longue méditation. Elle sut garder sa foi. ». A Crécy, autrefois fortifiée, une partie des murailles demeure et trois tours, dont la tour Chatelainoù séjourna Corot. Le Morin se divise en de multiples canaux agrémentés de pittoresques passerelles. Les lieux savamment aménagés n’ont pas pris uneride. La seigneurie qui appartenait à la famille d’Orléans, avant la Révolution, est devenue une belle cité bourgeoise.

Non loin de là se trouve le village de Villiers-sur-Morinau centre de la Vallée des peintres. Amédée Servin en fut le conducteur et Toulouse Lautrec couvrit les murs de l’auberge du «Cercle Artisti que» de fresques disparues.Les paysages qu’en gendre la rivière continuentlégitimement d’ins pirer peintres et écrivains.

Vercors vécut 14 ans à Villiers-sur-Morin ; il y écrivit «le Silence de la Mer» en 1942.

La commune suivante est celle de Couilly-Pont-aux-Dames dont l’abbaye était célèbre et où se trouve aujour-d’hui la Maison de retraite des artistes fondée parCocquelin.

Puis, en déclivité, la rivière divisée va se jeter dans la Marne dans le beau paysage châtelain de Condé-Sainte-Libiaire. C. de B. !

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Collégialede Crécy-la-Chapelle.

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La Commanderie destempliers à Coulommiers.

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Vivre auprès de la rivière

Avril 1983 ; les rivières d’Ile-de-France débor-

dent. Il a beaucoup plu, après un hiver humide,

et les nappes d’eau souterraines ont été bien

rechargées. Au plus fort de sa crue, le Grand Morin

débite, en moyenne journalière, près de 130 m3

d’eau par seconde, quarante fois plus qu’en été.

Il se heurte aux arches du pont-canal de Chalifert,

y accumule branches et troncs arrachés plus haut ;

cela le bloque un peu plus. De l’autre côté, la

Marne, elle aussi, est sortie de son lit ; plus forte

que lui, elle passe d’abord, et empêche le Morin de

libérer ses eaux. Le canal tremble de tout ce tumulte

qui se déroule à ses pieds, et le Morin, empêché

d’avancer, se répand où il peut. Couilly-Pont-aux-

Dames, Saint-Germain-sur-Morin, Montry, Esbly…

partout on colmate, on évacue les maisons trop

basses, les pavillons trop près. Les captages d’eau

potable, qui puisent l’eau sous les alluvions, et

les stations d’épuration, inévitablement proches de

la rivière, aux points bas des communes, ne sont

plus accessibles autrement qu’en canot. L’eau se

trouble et devient impropre à la consommation ;

il faut avoir recours à l’eau embouteillée, et aux

citernes des pompiers. La vie de la vallée, la vie

ordinaire, s’est arrêtée. On guette l’éclaircie,

les yeux rivés sur ces échelles de crue qui jalonnent

la rivière. Quand enfin l’eau se retire, on voit bien

ce qu’est un champ d’expansion des crues et pour-

quoi il ne faut rien y bâtir. Contraignantes, ces

lignes de débordement figurent, progressivement,

sur les documents d’urbanisme des communes ;

ne les trouvent illogiques que ceux qui n’ont pas

vécu ces inondations, ou celles de décembre 1988,

ou encore, les inconscients.

L’Ile-de-France a, généralement, le temps de s’or-

ganiser avant une crue de ses rivières ; le Grand

Morin y ferait presque exception. L’eau peut aller

très vite de l’entrée du département à Coulommiers :

huit heures, à peine le temps d’alerter et de s’orga-

niser, de coordonner le mouvement des vannages de

multiples moulins, là où leur état le permet.

Plusieurs sont habités, ou propriété des commu-

nes, ou encore utiles, et donc entretenus. Par contre,

nombreux sont ceux qui montrent, lorsque l’on par-

vient à les apercevoir, des ouvrages fort délabrés,

car devenus usines, puis abandonnés, ils gardent

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!

Le Grand Morinen crue entreVoulangis et Crécy.

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grille close. Les chutes d’eau peuvent être impor-

tantes – jusqu’à 2,5 m – et presque tous ces barra-

ges restent infranchissables par les poissons, empê-

chant truites ou brochets de remonter la rivière. Les

inondations du Morin étant fréquentes et souvent

dévastatrices, surtout à l’approche de sa confluence

avec la Marne, deux syndicats se sont, historique-

ment, constitués pour prendre en main la gestion

d’une rivière délaissée par ses riverains, dépassés

par l’importance des travaux, ou simplement

absents : celui d’Etude et de travaux pour l’aména-

gement et l’entretien du bassin du Grand Morin

le plus ancien, dont la compétence va de Boissy-

le-Chatel à la confluence et s’est étendue ensuite

à plusieurs petits affluents, parfois torrentueux,

comme le ru de Villiers ; et celui d’Aménagement de

la vallée du Haut Morin qui, après avoir modeste-

ment débuté par les deux communes de La Ferté-

Gaucher et Jouy-sur-Morin, a admirablement réussi

à rallier toutes les communes de Seine-et-Marne

depuis l’amont du précédent syndicat, à Chauffry,

et celles du département de la Marne jusqu’à

la source du Grand Morin.

Etudes et travaux se sont succédés pendant des

années. A la confluence, quatre imposants « épis »

ont été implantés en rive droite du Morin, afin

d’orienter ses eaux de crue vers le milieu du pont-

canal de Chalifert, et non sur le côté comme

il le faisait spontanément, afin d’en faciliter l’écou-

lement vers la Marne. Surprenants au départ,

ces ouvrages se sont fondus dans la végétation

des berges, et rares sont les jours où vous

n’apercevrez pas, sur chaque épi, son pêcheur,

confortablement installé ! Ailleurs, ce sont les van-

nages de plusieurs moulins qui ont été rénovés, afin

de pouvoir agir sur le débit de la rivière en fonction

de ses crues ou, à l’inverse, de ses étiages d’été,

pour y maintenir une hauteur d’eau suffisante. Puis

des balises donnant simultanément l’alerte à diver-

ses autorités, élus et services, ont été implantées

à Châtillon-sur-Morin (dans la Marne), à Meilleray,

et à Mouroux. Enfin, comme sur toutes les autres riviè-

res de Seine-et-Marne, se déroule sur l’ensemble

de la rivière, et plusieurs de ses affluents, un pro-

gramme permanent d’entretien de la végétation des

rives, sélectionnant les arbres dont les racines tien-

nent bien la berge – ce qui, contrairement aux idées

reçues, n’est pas du tout le cas des peupliers – et

éliminant ceux qui ont pu, malgré tout, tomber à la

rivière, à la suite d’une crue ou d’un trop fort coup

de vent. Là où la végétation n’existait plus, on a

même replanté les berges, pour qu’elles résistent à

l’érosion, lors des crues : les saules de Serbonne

en sont témoins, qui redessinent le Morin. On a

parlé aussi de digues qui pourraient retenir,

quelques heures, ou quelques jours, les eaux excé-

dentaires des plus grandes crues… les études sur le

Morin ne s’arrêteront pas de sitôt. Elles s’ins criront

à l’avenir dans une procédure nouvelle, lourde, mais

concertée : un Schéma d’Aménagement et de

Gestion des Eaux, dont les prescriptions s’impo -

seront dans tous les domaines pouvant influer sur la

quantité ou la qualité de l’eau, qu’elle soit de sur-

face ou souterraine. Celui des deux Morin, interdé-

partemental et interrégional, est engagé ; on y parle

des rivières, des vallées, et des gens : long, diffici-

le, mais prometteur. M. B. !

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Quand il entre sur le territoire de Villiers-Saint-Georges, l’Aubetin n’estqu’un ruisseau, provenant de cette Champagne qui commence déjà à l’estde la Seine et Marne : pays de grands horizons, en damier d’interminables

pièces de culture. Ici, la terre, drainée, est riche. Le blé est partout, puis l’orge,les pois, le colza ; quelques cultures secondaires, maïs, féverolle, y créentpresque l’événement. Il y a peu de bois et pas de haies ; les villages, petits, sesont installés au moindre prétexte de ce qui, sur ce plateau, est un changementde relief. On vit loin de ce ruisseau sans importance, simple exutoire des eauxde fin d’hiver, collectées sous des hectares de terres labourées qui portent encorele nom d’Etang, d’Eponge, de Noues ou de Prés.

L’Aubetin ralentit lorsqu’il vient longer la Nationale 4, et, dans ce secteurplus humide, se borde de peupliers ; sa vallée n’est alors qu’une légère dépres-sion dans le plateau. Non loin du pressoir de Béton-Bazoches, il passe enfin aumilieu du village, donnant à croire qu’il s’est accordé les droits d’une rivière ;cela ne lui arrivera plus, et seuls des moulins, et de rares fermes, s’accrocherontà son cours. De tout temps on a préféré ses coteaux, et même, surtout, le reborddu plateau, comme à Dagny, entre ses premiers méandres. Seul le villaged’Amillis est presque descendu jusqu’à ce ru, encore tellement paresseux, qu’ils’y couvre de nénuphars. De là, la vallée se resserre, les anciens vergers donnentencore quelques pommes, mais les pentes, inéluctablement, se boisent ; elless’appellent Montagne, Tertre, Vignes, ou Bellevue. On y devine parfois des caba-nons, mais surtout d’anciennes et simples maisons briardes transformées enélégantes résidences. Au fond, entre quelques prairies, les bosquets dissimulentl’Aubetin ; on ne le devine qu’au moment de le traverser. Il a plus d’eau, longeun étang à Beautheil, et devient enfin attrayant pour la pêche. A Saints, deux châteaux l’acceptent dans leur parc. La vallée, pittoresque, donne

Mauperthuis, moulin etpyramide, la source deSainte Aubierge, halte repo-sante, puis les courtes cascades du Poncet, que l’onne citerait pas ailleurs, maisqui, en Brie, sont une rareté.De là jusqu’à sa confluenceavec le Grand Morin à Pom -meuse, quelques habitationss’appro chent de l’eau, tou-jours avec prudence, puis un dernier moulin, sous le viaduc qui porte la voieferrée.

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Vannage et cascades.

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Les deux vies de l’Aubetin

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Au total, l’Aubetin aura parcouru 55 kilomètres en Seine-et-Marne, et reçu leseaux de plusieurs affluents, essentiellement sur sa rive droite. En effet, lui viennentdu plateau qui le sépare du Grand Morin : le ru de Turenne au point précis de sonentrée en Seine-et-Marne, puis les rus de Volmerot, Saint-Géroche, de Chevru,Baguette, Maclin, Loef et enfin l’Oursine. Alors qu’en rive gauche, on ne trouveguère que ceux des Nouvelles, Puisé, de l’Etang et des Rieux et au-delà, de simplesfossés, drainant de faibles bassins versants souvent boisés, et qui ravinent lors de fortes pluies.

Si l’amont de l’Aubetin, et la plupart de ses affluents, contiennent peu d’eaul’été, c’est qu’ils reposent en grande partie sur des formations géologiques faitesde marnes et surtout de calcaires dans lesquels leurs eaux s’infiltrent assez facilement. Mais en hiver lorsqu’il arrive que les nappes d’eau souterrainessoient hautes, l’Aubetin peut se manifester par de fortes crues qui expliquentprobablement la distance prise par les habitations par rapport à son cours : au mois de février 1978, un débit de 15 m3 par seconde était ainsi mesuré à Mauperthuis, à comparer, par exemple, aux 5 m3/s de débit moyen annuel du Grand Morin, là précisément où il reçoit l’Aubetin.

La population du bassin versant est modeste, et se concentre principalementà l’aval de son cours, de Saints à Pommeuse. Il y a très peu d’activité industrielledans cette vallée qui comptait jusqu’à 17 moulins dans le passé : seulementquatre se trouvaient entre Villiers Saint-Georges et Amillis, le plus grand nom brejalonnant la rivière entre Beautheil et Pommeuse. On n’en compte plus désor mais que 5 ou 6, en général parfaitement restaurés.

Les eaux de l’Aubetin sont de qualité très moyenne car elles montrent desexcès d’éléments azotés, phosphorés et phytosanitaires. Il est néanmoins classé

!

Pont sur l’Aubetin à Pommeuse.

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en première catégorie piscicole compte tenu de son potentiel. Sur ce coursd’eau non domanial, il n’y a pas de syndicat assurant l’entretien de l’ensemblede la rivière ; celui qui existe est centré sur la partie de son cours qui a fait l’objet de travaux liés à l’agriculture ainsi qu’à son aval immédiat, soit deVilliers-Saint-Georges à Frétoy. A l’autre extrémité de la rivière, avant saconfluence avec le Grand Morin, c’est le Syndicat du bassin du Grand Morin quiassure l’entretien de l’Aubetin, au niveau de Pommeuse.

A son aval, cette vallée, au caractère rural encore affirmé, se trouve désormaisbien proche des extensions urbaines induites par le développement de Marne-la-Vallée ; il faut souhaiter que l’agriculture puisse s’y perpétuer, empêchantune déprise qui ferait de chaque parcelle un espace convoité, au risque de déplorer un jour tous les méfaits d’inévitables inondations.

Les communes de Saint-Augustin et Pommeuse ne s’y sont pas trompées, en demandant au Département la création d’un « espace naturel sensible »(cfp.206-207) sur le parcours le plus menacé. Quant à l’amont de l’Aubetin, la réalisation de petits travaux : plantations en berge, pose de blocs rocheux au fond du cours, ici ou là, pour recréer des zones de turbulence, y faciliteraientle retour de la vie piscicole que cette rivière mérite, sous réserve aussi d’y atténuer certains impacts des grandes cultures.

Enfin, on peut se demander si à l’échelle d’une telle rivière, un syndicatregroupant toutes les communes riveraines ne serait pas le gage d’une meil leuregestion, globale, de celle-ci. Le Schéma d’aménagement et de gestion des eauxdes Deux Morin, déjà évoqué, le dira peut-être ? M. B. !

74!

!

La vallée à Saints.

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!

Sur les bords de l’Aubetinpar Hervé le Bordeles. (Coll. particulière).

L’Aubetin est une rivière chargée en témoignages du passé. La plupart descommunes conservent des vestiges du néolithique et de l’époque Gallo-Romaine car la rivière Alba la claire, se trouve à l’intersection puis sur le

cours du chemin « ferré » qui va de Rome à Boulogne, non loin des ruinessorties de terre de Chailly-en-Brie et de Chateaubleau de part et d’autre dupays des Meldes et des Senons.

Débutant par la troublante forteresse de Montaiguillon perdue dans la forêtet regardant Provins, la rivière se termine à Pommeuse en traversant le Pons Mucrae pour aboutir là où était une superbe forteresse située au point straté-gique de la Confluence. A Beautheil surgit le menhir qui inspecte à la fois « la vallée des saints » et la « serpentine » de l’Yerres qui caracolent côte à côtesans se regarder.

L’Aubetin n’est pas seulement l’eau claire et calcaire mais aussi l’eau bénitedes temps mérovingiens, toute entourée, il fut un temps, de vignes de messe et d’une multitude d’étangs des carpes du vendredi. C’est ainsi qu’au cours duVIe siècle, fleurit le Christianisme dans nos campagnes, et naquit le superbemonastère de Sainte Fare dont l’église a conservé le cœur de la princesse

L’Aubetin, une rivière ancienne

70-79Aubetin:EAU 7/08/08 10:47 Page 75

70-79Aubetin:EAU 7/08/08 10:47 Page 76

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77!

!

Abreuvoirà Saint-Augustin.Menhir à Beautheil.

!

A gauche, ruines d’unefabrique, vestiges du parcdu château de Mauperthuis.

A droite, la source et lachapelle de Sainte Aubierge.

de Clèves héroïne du célèbre roman de Madame La Fayette. C’est le long dupromenoir des Anges que réside l’abbé Perrin dans sa forteresse spirituelle oùses poèmes ondulent entre ciel et terre. Non loin de là, Sainte Aubierge, troisièmeabbesse, dont la chapelle et la source en permanence à 10°5, attirent lesmalades et les jeunes filles qui cherchent un mari. Puis Saint Blandin construisitun ermitage Sainte Flodoberthe à Amillis qui protège encore la demeure desBénédictines charitables.

Dagny garde le souvenir de Saint Jéroche qui planta son bâton, qu’il ne putretirer, de sorte qu’il devint un buisson d’épines en perpétuelle floraison.

Les rives étaient autrefois parsemées de moulins et on peut admirer sous le viaduc du chemin de fer de Paris à Coulommiers le moulin du Gué Plat dontla mécanique a été reconstituée, et le moulin des îles qui hanta Vercors qui y vécut les trente dernières années de sa vie.

Mais la rivière a voulu dans la commune de Mauperthuis se terminer enapothéose : c’est là que Montesquiou avec l’aide de Ledoux et de Brogniardconstruisit à la fin du XVIIIe un château exemplaire aujourd’hui démoli versantsur un jardin classique envahi par la forêt vengeresse. Il élabore le long de la rivière une folie merveilleuse allant jusqu’au manoir des Coteaux composite où vécut Maman-Quiou gouvernante du Roi de Rome : la plupart de ces rêvessont aujourd’hui disparus mais il nous reste le moulin de Mitsou qui joue avecla rivière et la sublime pyramide délabrée issue d’un souterrain qui traversaitl’allée montant à l’obélisque. C’est là que le Comte de Provence, futurLouis XVIII assista en 1775 à une fête mirifique qui se termina selon Delille par une joute sur le lac. Plus tard au début du XIXe siècle, dans Mademoiselle de Maupin, Théophile Gautier évoque les paysages de son enfance imaginaire au bord de l’Aubetin. C. de B. !

70-79Aubetin:EAU 7/08/08 10:48 Page 77

!

Paysageagricole de l’Aubetin à Dagny.

!

Page de droite,Frétoy, bandeenherbée.

Même si les terres de la Brie ont la réputation

d’être profondes et riches, en raison de

l’épaisseur du loess déposé sur ce vaste plateau

lors des dernières grandes glaciations, cette affir-

mation perd de sa force au fur et à mesure que

l’on se dirige vers la Champagne, où l’épaisseur

de ces limons diminue. Quoiqu’il en soit, la

teneur de ces terres en particules argileuses les

rend particulièrement humides, et lourdes, en

hiver, et la productivité de la Brie tient, comme

dans la plupart des grandes régions agricoles, au

drainage de celles-ci. Cette opération consiste à

favoriser l’évacuation de l’eau présente en excès

dans le sol à l’aide de drains, qui sont enterrés

à une profondeur et à un écartement calculés en

fonction de la nature du sol. Longtemps réalisés

en terre cuite, en éléments juxtaposés les uns aux

autres, ces drains sont depuis quelques décennies

faits de tubes en plastique, perforés.

La mise en place des réseaux de drainage est une

opération lourde financièrement, et technique-

ment, car elle nécessite de définir les conditions

d’écoulement des eaux excédentaires vers le

réseau hydrographique. Il en a résulté un curage

actif des cours d’eau et, bien souvent, leur sur-

creusement, afin que le débouché des collecteurs

de drainage se fasse bien au-dessus du lit – donc

du fond – des rivières.

Par ailleurs, la mécanisation de l’agriculture a

obligé, ici comme ailleurs, mais depuis bien long-

temps en Brie, à supprimer le petit parcellaire

agricole, afin de constituer de très grandes entités,

Dessins de grandes cultures

78!

70-79Aubetin:EAU 7/08/08 10:48 Page 78

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ces

L’A

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aux dimensions adaptées à l’usage de matériel

devenu de plus en plus conséquent, comme les

moissonneuses-batteuses.

Ce regroupement, combiné à la redistribution des

terres, ainsi redessinées, entre les agriculteurs

concernés, a été permis par les opérations

de remembrement rural. Presque toujours, ces

opérations foncières complexes, et longues,

se sont accompagnées d’alignement de chemins,

de creusement de fossés, de suppression de haies

ou de petits bosquets, et du recalibrage des cours

d’eau, qui consiste à en redéfinir les dimensions :

(largeur, profondeur), mai aussi, si besoin, le

tracé. Des mesures compensatoires, en particulier

en cas de suppression de haies ou de boisements,

sont prévues, et résultent d’études d’impact

devenues, depuis, obligatoires.

Ainsi tout le cours amont de l’Aubetin, et celui de

ses affluents situés sur le grand plateau agricole,

comme de nombreux autres petites rivières de

Seine-et-Marne, et d’ailleurs, attestent-ils d’une

adaptation à l’évolution d’une agriculture voulue

particulièrement productive, et compétitive.

Aujourd’hui, l’évaluation de l’impact de ce type

de travaux sur l’état et le fonctionnement des rivières,

mais aussi des nappes d’eau souterraines, fait

que, désormais, de telles opérations s’inscrivent

dans une nouvelle forme d’aménagement du terri-

toire : l’aménagement foncier agricole et forestier,

dans lequel la préservation des milieux naturels

est clairement inscrite.

De plus, progressivement, une prise de conscience

collective, et une meilleure gestion des cours

d’eau, permettent de voir, ici ou là, mais encore

très timidement, des zones humides se reconsti-

tuer, des arbustes et des arbres revenir ombrager

les ruisseaux, ou de nouveaux espaces apparaître

destinés à assurer une fonction de tampon vis à vis

des eaux de drainage ou de ruissellement.

A tous les niveaux, depuis l’Europe jusqu’à

l’exploitant, on tente de concilier production agri-

cole et environnement ; les bandes enherbées

implantées le long de la plupart des cours d’eau en

sont un exemple ; sont-elles suffisantes ? sont-elles

efficaces ? s’inscriront-elles dans la durée ou

seront-elles remises en cause ?

Autant de questions dont les réponses influeront

sur le devenir de l’Aubetin, comme des autres

rivières de Seine-et-Marne, et d’ailleurs. M. B. !

79!

70-79Aubetin:EAU 7/08/08 10:48 Page 79

La Gondoire est bien petite pour qu’on en parle, mais avec ses affluents,Gassets, Sainte Geneviève, et Brosse, ce sont bien eux qui ont fait le décordans lequel tout le reste s’est inscrit : châteaux, villages, chemins, parcs,

champs, étang, perspectives… et ville nouvelle. Juste au sud de la Marne, dansun ultime rebond du grand plateau briard qui dure depuis la Seine, la petiteGondoire offre une dernière vallée, presque perchée, au pied de côtes qui por-tèrent des vignes. L’entrée dans Paris n’est qu’à vingt kilomètres, la belle distance,autrefois, pour châteaux et résidences. Ce val, de la Gondoire et de la Brosse, estvallée de châteaux et de parcs, dont certains prestigieux : Jossigny, Fontenelle à Chanteloup-en-Brie, et Guermantes d’un côté ; Ferrières et Rentilly de l’autre ;le tout en un rien de carrosse, de cheval, de marche, ou de voiture.

La Gondoire et ses affluents sont des cours d’eau non domaniaux, de 2e caté-gorie piscicole. A sa confluence avec la Marne, en aval de ce qui est aujourd’huila base de loisirs de Torcy, le débit de cet ensemble est faible : 3 à 400 litres parseconde en moyenne ; près de la moitié provient du ru de la Brosse, affluentprincipal, issu des bois de Ferrières et du plan d’eau de la Taffarette, dont l’eausourd du parc du château, et qui reçoit ensuite le petit ru de Bussy. A la fin de son parcours, bordé d’une piste cyclable, la Gondoire ne mesure que 2 à3mètres de large pour une cinquantaine de centimètres de hauteur ; ses bergesrestent hautes cependant, car il lui arrive d’avoir à faire transiter vers la Marnedes débits bien plus élevés, comme ce 7 juillet de l’an 2000, où elle débita

82!

La Gondoire en parenthèse

!

L’Orangerie du Château de Rentilly à Bussy-Saint-Martin.

80-87Gondoire:EAU 25/08/08 9:16 Page 82

!

La Gondoire à Gouvernes.

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jusqu’à 10m3/s ! On verra plus loin pourquoi, et aussi ce qui fait que son eaun’est pas de la meilleure qualité : on n’y voit donc guère de poissons, ni depêcheurs. Comme pour la Beuvronne, un objectif lui a été assigné : redevenir dequalité «acceptable », ce qui n’est pas impossible, mais cependant ambitieux.Malgré leurs faibles débits, qui avaient probablement, néanmoins, l’avantaged’être assez réguliers, la Gondoire et la Brosse ont fait tourner des moulins ; surle cours de ce dernier, celui de Russon vient d’être restauré pour montrer ce quefurent les moulins. Avant de confluer avec la Gondoire, la Brosse traverse l’étangde la Loy, créé de longue date et qui, il y a peu, se mourrait d’envasement et d’envahissement par la végétation. Il a été habilement restauré, et est devenul’un des points d’attrait de circuits de promenade, pédestres, cyclistes, et éques-tres, au fond d’une vallée préservée. Ce lieu de respiration, encore agricole, et

80-87Gondoire:EAU 25/08/08 9:16 Page 83

paysagé avec justesse, a été voulu par la Communauté de communes concernéepar ces divers cours d’eau. Elle a rencontré la même volonté de préservationauprès de l’Etat, qui avait « classé » une partie des vallées de la Brosse et de la Gondoire, de la Région qui en faisait simultanément un de ses territoiresd’acquisition, de l’Agence de l’Eau et du Département qui acceptaient eux ausside financer cette originale, et sûrement bénéfique, enclave de nature entre deuxparts d’une ville nouvelle.

La Gondoire est bien petite, qui ne mesure qu’une dizaine de kilomètres,mais sa vallée a conservé châteaux, parcs, chemins, champs, étang et perspectives.Le site classé des vallées de la Brosse et de la Gondoire constitue un exemple de sauvetage, et de création, d’un cadre de vie, un havre de nature au milieu de la ville, en passe de réussir. Il ne reste qu’à penser aux rivières elles-mêmes,afin que leurs eaux soient dignes du cadre dans lequel elles s’écoulent. M. B. !

84!

!

Promenade du site classédes rus de la Brosse et de la Gondoire.

!

La vallée du ru de la Brosse.

80-87Gondoire:EAU 25/08/08 9:16 Page 84

Quand il pleut sur la ville

Asi faible distance de la capitale, un territoire

comme celui que draine la Gondoire est inévita-

blement rejoint, un jour ou l’autre, par les dévelop-

pements induits par cette encombrante voisine.

Un jour, ce fut – il y a un peu plus de trente ans –

celui où les Villes Nouvelles furent décidées pour

structurer les développements urbains : Marne-la-

Vallée débutera dans le département voisin et

s’étendra, un autre jour, jusqu’ici.

Peu de temps passe ; l’autoroute s’allonge entre

Ferrières et Jossigny ; la Région achète les bois de

Ferrières pour sauver cette grande trame verte allant

jusqu’à la forêt de Crécy. Au nord, ce sont toujours

de riches terres à blé, de rares et grosses fermes,

et des villages minuscules. On commence à venir

habiter la vallée ; elle est hors la ville. Pourtant,

sur les plans, c’est bien là, entre Marne et autoroute

que les nouveaux secteurs de Marne-la-Vallée sont

prévus ; Bussy-Saint-Georges, puis les communes

qui constitueront le Syndicat d’Agglomération

Nouvelle des Portes de la Brie. Les équipes de

Disney repèrent le lieu, le comparent à d’autres,

l’estiment par rapport à Paris, aux avions de Roissy,

aux Lignes à Grande Vitesse qui le relieraient à de

multiples villes et à d’autres pays. L’Etat est pour, la

Région et le Département aussi ; le nouveau parc

Disney, apportant sa version imagée et contempo-

raine des châteaux, sera là. EPAFrance, un second

établissement public d’aménagement se crée,

à l’image de celui qui est toujours en train de

construire les précédents secteurs de Marne-la-

Vallée. Il faudra être à la hauteur, à temps, avec

des routes, des ponts, des kilomètres de tuyaux pour

l’eau propre dans un sens, et pour les eaux sales

dans l’autre, des logements, les équipements qui

vont avec, écoles, collèges, lycée… et puis prévoir

d’autres activités, pour un développement suffi-

samment varié. Il faut acheter les terres, exproprier,

réorganiser ; les villages sont submergés, les grues

permanentes, hôtels, immeubles et pavillons, parc

de loisirs, golf, gares, centre commercial… Et de

tout cela, il faut évacuer les eaux naturelles, celles

des pluies qui s’enfonçaient, avant, dans les limons,

ruisselant parfois, pour rejoindre, à petite vitesse et

Inc

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ces

La

Gond

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85!

!

Le ru des Gassetsà Serris.

80-87Gondoire:EAU 25/08/08 9:16 Page 85

faible débit, la modeste Gondoire ou ses affluents

d’opérette.

Il y a longtemps qu’en ville on ne mélange plus les

eaux pluviales – celles qui ruissellent sur toitures,

parkings et chaussées – et les eaux usées. Si les

secondes sont dirigées ici vers la station d’épu-

ration, performante, de Saint-Thibault-des-Vignes,

on avait déjà placé sous les rues, des collecteurs

déversant directement les premières, les eaux

pluviales, dans les rivières. Jusqu’aux voitures,

aux vidanges sauvages, aux déjections canines

de maîtres indisciplinés, aux accidents de transport,

aux débordements de cuves, à l’ignorance (on croit

trop souvent que l’eau des caniveaux s’en va dans

les stations d’épuration), à l’insouciance… et les

eaux de pluie, une fois passées sur la ville, polluent

presque autant que les autres. A force, on finit par

se dire que si les eaux pluviales et les eaux usées

sont mélangées dans la plupart des vieux centres

des villes ou des villages, où l’on n’avait posé qu’un

seul réseau d’assainissement, le fameux « tout

à l’égout », c’était finalement peut-être aussi bien

que tout parte dans les stations d’épuration, afin

d’y traiter aussi une partie des eaux pluviales.

Jusqu’à ce que leur débit soit tel, lors de fortes

ou longues pluies, que le trop plein va quand même,

directement, en rivière, entraînant avec lui une part

des eaux usées… Rien n’est parfait. On a déduit

de statistiques sur le régime des pluies, la dimension

que devaient avoir les réseaux d’eau pluviale.

Jusqu’à l’orage exceptionnel, et demain, aux modi-

fications du climat. Les mentalités changent et les

techniques aussi : avec les villes nouvelles, on crée

les réseaux, dès le départ, aux bonnes dimensions

par rapport à la taille qu’aura la ville, mais, pour

ne pas les faire immenses, pour la pluie exception-

nelle, apparaissent les bassins de retenue des eaux

pluviales : on les intègre à la ville, qui va jusqu’à

s’organiser autour d’eux. Ces plans d’eau deviennent

miroirs, étapes dans des parcs, restituant, tout

à coup, aux yeux de chacun, le parcours de ces

imperceptibles ruisseaux qui étaient là, avant

la cité. Une tranchée pour les trains, cela complique

les choses ; il faut descendre, pomper, relever,

ou franchir : retrouver le parcours du ru des Gassets,

intégré dans un parc à l’entrée de Serris, devient

difficile. Malgré cela, voici le bassin n°8 où

se reflètent quartier des Charmilles d’une part

et centre commercial du Val d’Europe de l’autre ;

puis celui de Notre Dame du Val sur celui de Bussy,

et celui de la Broce sur le ru de la Brosse… Et fina-

lement, malgré cette incroyable transformation

du pa ysage, où l’imperméabilisation génère des flots

croissants d’eau pluviale, de bassin en bassin,

on atténue, on retarde, on

régule, car la petite Gondoire

et les autres ne peuvent

guère changer de dimen-

sions. Ces bassins, et les

quelques équipements épu-

rateurs qui, parfois, les

précèdent, ont un deuxième

rôle, piégeant dé chets, hydro-

carbures, épurant ce qu’ils

peuvent grâce aux organismes

qui s’y développent, et parve-

nant même, finalement, à

tolérer une vie de poisson.

N’empêche que toutes les

eaux pluviales n’aboutissent

pas dans les retenues, se

fondant alors en rivière sans

épuration ; n’em-pêche que

des eaux usées, celles qui

86!

!

Retenue d’eaupluviale auVal d’Europe.

!

Page de droite,Notre-dame du Val.

80-87Gondoire:EAU 25/08/08 9:16 Page 86

devraient aller vers la station d’épuration, s’écoulent

encore parfois, plus ou moins discrètement, dans les

cours d’eau. Et pendant ce temps-là, malgré tous les

travaux déjà réalisés, la Gondoire, comme nombre

de petites rivières recevant les eaux de villes trop gran-

des pour elles, suffoque aux fortes pluies, ne parvenant

pas à retrou ver une eau de qualité acceptable.

Ces nouveaux étangs, ces lacs, que l’on retrouve

aussi en canaux à Sénart, restent un trait de carac-

tère des villes nouvelles, ou, ailleurs, de grands

ensembles neufs. Mais les mentalités changent,

et les techniques aussi ; les tuyaux coûtent fort cher

et polluent beaucoup, les plans d’eau dépolluent,

mais l’eau qu’ils rejettent grossit les cours d’eau

au lieu de s’infiltrer, comme avant, en alimentant

les nappes d’eau souterraines. Tous conviennent

maintenant qu’il faut, raisonnablement, densifier

les villes, les reconstruire sur elles-mêmes, sur leurs

friches, plutôt que d’avancer toujours sur ces terres

de culture qui méritent bien plus de considération.

On cherche à gagner de l’espace et à réduire

l’imperméabilisation : des toitures en terrasse

végétalisée apparaissent, qui retiennent, évaporent

et limitent la quantité d’eau à rejeter ; au bord

des chaussées on voit des noues, fossés en herbe,

peu profonds, parfois plantés, où l’eau s’épure

et s’infiltre, limitant les tuyaux ; on encourage

la récupération individuelle, ou collective, des eaux

de pluie à des fins d’arrosage ou, avec prudence,

chez soi, pour alimenter les chasses d’eau : ce sera

autant d’eau potable économisée. Au point de

se demander si, finalement, avec celle des rivières,

ce ne serait pas l’eau de pluie qui serait en passe

de redessiner bien des formes urbaines.

La Gondoire et ses affluents sont trop timides pour

que l’on parle d’eux, sauf que de tout temps des

châteaux les ont pris pour écrin, et que pour le tout

dernier, qui s’accompagne de milliers d’habitants,

et reçoit 14 millions de visiteurs chaque année,

ce sont eux qui, toujours, s’imposent à nous :

tandis que l’on restaure l’étang de la Loy, pour le

redécouvrir, surgissent de nouvelles architectures

qui, pour exister, se reflètent dans les eaux qui iront

les rejoindre, doucement. M.B. !

Inc

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La

Gond

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80-87Gondoire:EAU 25/08/08 9:16 Page 87

-

88!

Germigny-l’Evêque

Ussy-sur-MarneSaacy-sur-Marne

MeauxLa Ferté-sous-Jouarre

Nanteuil-sur-Marne

La Marne

à Vaires-sur-Marne

Mary-sur-Marne

VarreddesTrilport

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89!

Vaires-sur-Marne

La MarneLa Marne en tournis incessants

Entre le champagne et le petit vin blanc, la Marne et l’eau sacrée

Indispensables alliances

à Nanteuil-sur-Marne

Chalifert ThorignyPrécy-sur-Marne

Lagny-sur-MarneTorcy Noisiel

Chelles

Jablines

Champs-sur-Marne

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!

Entre Mary-sur-Marne et Isles-les-Meldeuses.

Si la Seine et la Marne étaient sœurs, la cadette serait la plus turbulente : faisantfi des boucles, amples et majestueuses, tracées par son aînée, la petite tour-billonne et, prise à son vertige, attire l’attention et vous le donne aussi.

Ainsi est la Marne, qui bouillonnera jusqu’à retrouver son aînée, dont elle ferale tiers quand celle-ci, l’apaisant, glissera en simples clapotis sous les ponts deParis. Sur ses 525 kilomètres de longueur, un cinquième de la Marne est enSeine-et-Marne, et sur cette bonne centaine, deux tiers seulement sont considérésnavigables : à force de tourner en tous sens, au point de revenir presque là oùelle est passée auparavant, elle s’est tellement allongée que l’on a fini par coupercourt, pour mieux naviguer.

Lors de son passage en Seine-et-Marne, depuis Citry, où elle se partage avec ledépartement de l’Aisne, jusqu’à Chelles et Champs-sur-Marne, d’où elle fera leVal de Marne, cette large rivière sert souvent de limite entre les 53 communesqu’elle arrose. Dans la région voisine, la Marne a buté sur les côtes deChampagne qui, comme on le voudra, commencent, ou s’achèvent, en Seine-et-Marne où l’on cultive quelques dizaines d’hectares de vigne pour le pétillantbreuvage. Géologiquement, c’est face à la résistance que ces côtes lui opposaient,

La Marne en tournis incessants

88-109marne:EAU 7/08/08 11:20 Page 90

!

Meaux, le canal du Cornillon.

aufilde

l’ea

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ne

91!

que la Marne s’est mise à déposer à droite ce qu’elle arrachait à gauche, etinversement, comme le font toutes les rivières qui creusent leur vallée. Selon lafaçon que l’on a de compter les méandres qui résultent de ce patient processusd’érosion, engagé il y a plusieurs centaines de milliers d’années, au moins 7 peuvent se lire dans le paysage seine-et-marnais : ceux de Nanteuil, de Sainte-Aulde, de Jaignes-Tancrou-Mary, de Varreddes, de Meaux, de Trilbardou-Charmentray, et enfin d’Annet, chacun ayant bien sûr son retour sur une, deux,ou trois autres communes. Le plus resserré, là où la rivière semble attaquerl’obstacle par les deux côtés, est au cœur de Meaux, qui ne s’est pas implantéepar pur hasard, face à cette sorte d’éperon : 425 mètres séparent la Marne, deson trajet vers le nord, à son retour en direction du sud. C’est en ce site que futconstruit ce qui est peut-être l’un des plus anciens canaux de France, destiné àcourt-circuiter cette étroite boucle de rivière : celui du Cornillon, daté du débutdu XIIIe siècle. Une belle écluse, aujourd’hui inactive et en cours de restauration, y sert seulement à contenir l’eau du plan d’eau amont à deux mètres environau-dessus du plan d’eau aval, en fonction des mouvements du barrage situé,

!

Changis-sur-Marne.

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un peu plus loin, dans cette boucle. Qui regarde bien Meaux ne peuts’empêcher de penser que tout en ces lieux appelait une ville, et une cathédrale.

Six autres barrages jalonnent le cours de la rivière en Seine-et-Marne, où lanavigation commerciale est moins active que sur la Seine, compte-tenu desdimensions des diverses écluses ainsi que de la rivière elle-même, qui n’a pasété aménagée à « grand gabarit » comme ce fut le cas pour celle-là. (cf p. 241-243). Mais sans ces barrages, et sans ces écluses, la navigation serait impossiblesur la Marne comme sur de nombreux autres cours d’eau, car ce sont ces ouvragesqui maintiennent un plan d’eau de hauteur suffisante pour que l’on puisse y naviguer. Mis à part le Cornillon, sans usage au moins depuis le milieu duXIXe siècle, deux autres canaux raccourcissent les temps de navigation sur laMarne. D’abord celui de Chalifert, long de 12 km, et inauguré en 1846. Il débuteà Meaux, juste au sud du Cornillon, suit la Marne jusqu’à la confluence duGrand Morin, au-dessus duquel il passe, est rejoint par la « branchealimentaire » – même si celle-ci ne l’alimente plus depuis longtemps – ets’enfonce sous la colline de Chalifert, pour rejoindre la Marne 300 mètres plusloin, évitant ainsi ses deux derniers méandres seine-et-marnais. Peu de tempsaprès, les péniches qui la descendent s’engagent, à Vaires-sur-Marne, dans lecanal de Chelles, qui les conduit dans le département voisin, à Neuilly-sur-Marne, en 5 km ; mis en service 20 ans après le précédent, il évite un secteur oùla rivière divague entre de nombreuses îles dont plusieurs sont devenues,

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Meaux, la cathédrale et la halte fluviale.

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récemment, réserves naturelles. A côté de la navigation commerciale, la plaisancese fait, progressivement, une petite place dans le trafic aux écluses ; les villess’équipent de haltes nautiques, se tournant, de plus en plus, vers une rivièreassez longtemps ignorée : Lagny-sur-Marne, Meaux ou La Ferté-sous-Jouarremisent ainsi sur le tourisme fluvial. La pêche, quant à elle, est généralementbonne en Marne, malgré ses berges généralement abruptes et les variations parfoisbrutales de son niveau : 15 associations de pêche, 7500 pêcheurs, la fréquentent.Catégorie piscicole : deuxième, puisque grande rivière, aux eaux profondes et peurapides ; domaniale : oui ; navigable : oui, sauf dans les méandres que des canauxévitent. Polices de l’eau et de la pêche : Service de la Navigation de la Seine.

Contrairement à ses affluents, il n’y eut jamais beaucoup de moulins sur la Marne, au regard de sa longueur. En 1850, on en comptait moins de 40 sur le cours seine-et-marnais de la rivière, le tiers se tenant autour de Meaux. Là, surle pont datant du XVIe siècle, se serraient les plus connus d’entre eux, détruits,reconstruits puis disparus, définitivement, lors d’un violent incendie, dans lesannées 1920. Mais la Marne a longtemps travaillé pour les moulins des autres :de la Ferté-sous-Jouarre partirent, des décennies durant, et souvent au-delà desfrontières de France, les robustes meules qu’on y fabriquait. A la Ferté, le portaux meules en garde le souvenir : on y employa des restes de meules que l’on ne pouvait vendre. Industrielle, la Marne le fut, et l’est encore, mais presquemodestement. Elle a plutôt donné dans l’agro-alimentaire : d’imposants silosstockent et expédient toujours les grains produits dans les grandes plaines deBrie, du Multien et de l’Orxois ; mais la sucrerie de Villenoy, comme la centrale

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Canal de Chalifert entrée du tunnel.

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thermique de Vaires, ont fermé leurs portes. Il reste William Saurin à Saint-Thibault-des-Vignes, de l’industrie chimique, du traitement de métaux, ou encore le siège de Nestlé France à Noisiel préservant les remarquables architecturesdatant de l’époque, et du succès, du chocolat Menier. Encore actif aussi est le lourd transport des sables et graviers que la Marne a accumulé dans ses méandres,et que l’on extrait en de multiples lieux, pour la construction et les travauxpublics. Et puis, au milieu de tout cela, de modernes usines pompent l’eau de larivière, la filtrent, la traitent, la désinfectent, l’analysent, la goûtent, et l’envoient,eau devenue potable, desservir des milliers d’habitants : à Meaux, à Annet-sur-Marne, et plus loin à Neuilly-sur-Marne, la rivière est ainsi puits et source à la fois, dans des usines aux contrôles permanents, qui ont le regard fixé sur la rivière, prêtes à réagir à la moindre anomalie. La qualité des eaux de la Marneest plutôt bonne ; on y décèle néanmoins l’impact des grandes agglomérationscomme celles de Meaux, ou de Lagny-Marne-la-Vallée. N’empêche qu’en cedébut de XXIe siècle, elle tiendrait presque l’objectif fixé : « eau de bonne qualité »si ce n’était la présence, infime, mais détectée, de ces pesticides que l’on emploieen grande culture, sur les voies ferrées, en ville, ou dans presque tous les jardins particuliers. Une telle observation n’est pas spécifique à cette rivière,car plus on se place à l’aval d’un grand bassin versant, comme l’est celui de la Marne, couvrant plusieurs départements, plus on retrouve ces produits, de façonpresque constante, véhiculés par de multiples voies. Les réduire, encore, est un combat de longue haleine ; sur l’Yerres, une rivière voisine (cf p. 137-139),une démarche est initiée pour tenter d’y parvenir.

On a déjà vu quels étaient les principaux affluents de la Marne : Ourcq,Thérouanne, Beuvronne en rive droite, Petit Morin, Grand Morin et Gondoireen rive gauche. Elle en reçoit bien d’autres, souvent discrets, au point que certains en sont même secs l’été, mais qui tous ont fait la géographie, puis l’histoire : celle des villages et de leurs lavoirs, celle des moulins quand

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Le site Menierà Noisiel.

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Page de droite le canal de Chelles qui va de Vaires-sur-Marne à Neuilly-sur-Marne.

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l’eau était suffisante, celle des vallons et des marais, et celle des villes enfinquand s’approchant trop de Paris celles-ci les rattrapèrent. En rive droite, etparmi quelques autres, se succèdent ainsi : le ru de Sainte-Aulde au-delà duquels’arrête la Seine-et-Marne, ceux de Courtablond à Ussy et de Chivres à Jaignes,le ru de Rutel qui coule de la Goële et conflue à Villenoy, et à Chelles enfin, celuide Chantereine, devenu ru des villes, souffrant de ne plus être un simple ru deschamps. En rive gauche, confluent : le ru de Péreuse à Sammeron, celui desCygnes à Nanteuil-les-Meaux, l’original Rapinet à Jablines, où le marais de Lesches a été aménagé pour recueillir les brochets remontant la Marne lorsdu frai, dans le but de produire des brochetons en grand nombre, le ru deMaubuée à Noisiel, succession de plans d’eau organisant le Val Maubuée, vastesecteur de Marne-la-Vallée, et pour finir, le petit Merdereau, serpentant juste au-delà des perspectives du parc de Champs. Un autre ruisseau, qui deviendrarivière dans le département voisin, pour s’y jeter en Marne, prend sa source enforêt de Ferrières : le Morbras ; il fut longtemps malade d’avoir vu grandir si vite Roissy-en-Brie et Pontault-Combault, encore simples villages au milieudu XXe siècle. Il a demandé bien des investissements, dont les plus importantsfurent de collecter les eaux usées de sa vallée pour les traiter dans la stationd’épuration de Valenton, d’où elles se rejettent, non plus en Marne, mais enSeine. Le ruisseau, lui, reçoit toujours les eaux pluviales, prétraitées quand on le peut ; doté d’un bassin de retenue en aval de Roissy-en-Brie, il devient, en Valde Marne, rivière urbaine, modeste, mais objet de toutes les attentions.

Il est un autre affluent qui conflue d’abord avec le Surmelin, et à travers lui,avec la Marne, bien avant que cette dernière entre dans notre département, maisqui pourtant… le traverse, aussi, de part en part : la Dhuys, dont les sourcesfurent captées pour alimenter Paris en eau potable. L’aqueduc, devenu de

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Halte fluvialeà La Ferté-sous-Jouarre.

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la Dhuis, est par sa longueur un imposant ouvrage (131 km), doté d’une trèsfaible pente puisqu’il n’a que 20 mètres de différence d’altitude entre sondépart au captage, et son arrivée au réservoir de Ménilmontant. Mis en serviceen 1865, pour apporter 20000 m3 d’eau potable, par jour, aux parisiens, il sedevine tout au long de son périple seine-et-marnais. Interminable couloirherbu, souvent bordé de haies ou d’arbres comme le serait une rivière, l’aqueducde la Dhuis, lui aussi, tourne et retourne, accroché au moindre dénivelé, pouraller doucement, par simple gravité, jusqu’à la capitale. Chemin sans nom, oubien promenade, on le voit ici enjamber une rivière, on le devine là, passantsous une autre en siphon. Bien que son tracé continue vers Paris, son eau estinterceptée au niveau du parc EuroDisney, afin d’y diversifier l’approvision-nement en eau potable, avec la Marne traitée, et l’eau souterraine captée. La Marne, il la franchissait plus loin, entre Chessy et Dampmart, par un pont quela guerre fit sauter ; la traversant autrement, il a laissé ses pierres devenir œuvresd’art. Une fois en rive droite, il s’élève en belvédère, sur ces derniers coteauxboisés de Marne qui regardent au sud, là où villes anciennes et villes neuves se mêlent ; il vient d’entrer dans l’agglomération parisienne, en surplomb de la grande rivière à laquelle, très loin, l’eau de la Dhuys s’est déjà mêlée.

Ainsi va la Marne, viticole, agricole, urbaine, sinueuse, offrant ses paysages :villages accrochés au flanc de ses rondeurs, églises trapues, châteaux cachés,fermes aux lourds pigeonniers, îles retrouvées, bruissants barrages, brusquejusqu’à ses berges, beige de terres érodées, enjambée de viaducs, écrin de

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Sculptures de Jacques Servièresà Chessy.

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Kayak sur la Marne en crueau barrage de Noisiel.

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Poincy, halte fluviale.

cathédrale, blanchie de villesnouvelles, débordante, gran-de et presque illisible, pourcause d’incessants volte-faces.Au cœur de ses boucles, là oùl’on a pris, où l’on prendencore, les matériaux roulés,usés et affinés, qu’elle a char-riés au cours des millénaires,ses paysages changent : les

agriculteurs ont cédé la place aux carriers, et derrière eux se découvrent de vastes plans d’eau, car il vaut mieux l’eau de la nappe, qui apparaît, qued’apporter des matériaux – divers et parfois trop – pour remplacer le sable pur.Il n’en fallait pas plus pour que la Marne devienne récréative, sportive, écolo-gique : Vaires-sur-Marne, Torcy, Jablines-Annet, les bases de loisirs se spécialisentet se succèdent en remontant la rivière ; on est près de Paris, de sa dense banlieue privée de forêts et de grands espaces ; on vient facilement sur ces plages où l’on se croit en vacances. A Congis-sur-Thérouanne, on joue la carte de l’environnement depuis que des milliers d’oiseaux ont retenu le lac de gravière comme escale annuelle, ou demeure permanente.

Ainsi s’en va la Marne, qui fut tour à tour, pays de combats, rivière de peintres,puis de fête juste après Seine-et-Marne : nourricière pour Paris, tournant, se retournant, demandant du temps. Dans ses panoramas, bien souvent elle se cache, tourbillonne, nous donnant son vertige, disant de revenir. M. B. !

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Mon Dieu ! Si la Marne pouvait raconter à la première personne tout cequ’elle a vu, entendu, ce serait une histoire interminable. Elle alterneraitla parole divine qu’elle véhicule le long des cathédrales ou des églises

et la féerie de ses reflets d’une histoire qui la transforme en musée vivant. Quelquefois, dans ses débordements, elle a voulu aller plus loin et investir

les rues et les venelles et, en 1909, nos cités furent presque englouties. L’active « Matrona » aux eaux virulentes, aux chutes trépidantes, est aussi fan-

taisiste dans les séries de méandres contrariés et sinusoïdes. Sa ligne droite qui nedépasserait pas quarante kilomètres en réalise au moins cent vingt dans ces courbesalternatives où elle bute sur massifs de forêts, carrières, cités ou les récentes basesnautiques comme Jablines « en bord de mer ». C’est également dans ces aires de repos que sont déposés les vestiges archaïques ou Gallo Romains. Les villageset les cités de cette époque étaient presque aussi nombreux qu’aujour d’hui. Il faudrait bien pour alimenter la mémoire en dresser les maquettes. Quant auxincidents de la vie quotidienne, ils sont à peine chuchotés.

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Nanteuil : les vendanges en Champagne.

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Entre le champagne et le petit vin blanc,

la Marne et l’eau sacrée

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Dans le domaine du passé antérieur ne faut-il pas commencer par la fin où,sous les ballastières de Vaires et Torcy, l’Abbé Bonno découvrit vers 1880 les restes de l’époque Chelléenne qu’Armand Lanoux a vu se réveiller dans les monstres de béton où sont implantés les banlieusards mélangés de l’est parisien. Il rêvait du retour de Sylvie, (égérie de Gérard de Nerval), – DameNature – réfugiée dans les forêts du Valois.

Chelles commence avec l’assassinat par Frédégonde de Chilpéric dont le monument funéraire se promène dans le jardin public. Ce rendez-vous de chasse devint le palais de Clotilde qui y fonda un oratoire lequel devint l’une des plus célèbres abbayes de France. L’Irlandaise sainte Bertille en fût la première abbesse. On dirait plus tard que si l’on n’était Reine de France on devenait abbesse de Chelles. Le musée local Alfred Bonno nous laisse admirerle trésor de Bathilde exhumé de la châsse de l’église Saint-André. On voit apparaître la superbe chasuble. Nous ferons ici, dans un rassemblement de merveilles, un petit tour dans l’autre monde.

Un peu plus tôt vers le premier siècle de notre ère, les routes de Rome à Boulogne et de Paris à Reims, se croisent à Meaux près de la cathédrale, la placedu Forum et du temple, intersection du Cardo et du Decumanus meldois qui se dirigent vers le Brasset, lit de l’ancien fleuve, en croisant les thermes et le théâtre.César y voyait un port étendu chargé de navires de guerre et de commerce. La cité,qui avait 60 hectares (au lieu de 100 pour Paris) au temps de la Paix Romaine, serétrécit après les invasions pour devenir un castrum entouré de murailles dont onvoit encore le petit appareil boulevard Jean Rose au pied de la « maison Bossuet ».

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Vues de l’Abbaye de Jouarre.

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La paix gallo-romaine a permis l’édification, en campagne, de villas plantu-reuses. Les mérovingiens nous laissent, à Chelles par exemple, des monumentsde haute importance de cette époque de floraison chrétienne dont la Marneexprime la quintessence. Tout d’abord le vaste monastère de Jouarre où sainteFare, fille de Chagnéric, est intronisée comme ses frères Dadon à Rebais et Radon à Reuil. Elle est rejointe par Agilberte et Ébrégésile, sa sœur Balde et sa nièce Telchilde. Sur ce balcon, la prière et l’élévation imprègnent encore ce monastère à la tour du XIIe siècle et au cloître du XVIIIe, proche de l’égliseSaint-Pierre dont le pèlerinage du XIXe siècle ne comptait pas moins de 8 à 10 000 participants. Pourtant le trésor du lieu est encore souterrain dans la crypte aux tombeaux lumineux. À la même époque que Bertille et Fare apparaissent saint Fursy à Lagny et saint Faron évêque de Meaux dont le parentsaint Fiacre fût un grand défricheur et s’assit sur la pierre molle, guérisseuse des ma ladies du bas ventre et symbole de la fertilité.

Au temps de Charlemagne « empereur de Trèves », la Marne est peu évoquéehormis les missi dominici et l’apparition du fromage de Brie « roi des fromages,fromage des rois ».

Dès lors au temps des marins Normands notre fleuve est en grande turbu -lence où se multiplient des brigandages, des vols et des assassinats. La rivière se colore de rouge et Trilbardou qui veille est souvent attaqué. La rivière redevient plus limpide au temps des Capétiens.

Il ne nous reste plus aucune de ces forteresses qui surveillaient la Marne autemps du Moyen Âge. De celle de La Ferté-sous-Jouarre, où régnèrent les Condé,

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Détail des ruines de Montceaux-les-Meaux.

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Lagny-sur-Marne, l’anciencloître.

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nous n’avons plus qu’une belle gravure d’un château carré et massif. Le châteaudes Comtes de Champagne à Meaux a dévalé dans la rivière aux moulins superbeset celui de Lagny a tout de même conservé en bordure de Marne des portes fortifiées. On voit encore près de la fontaine Saint-Fursy les cinq pignons quidonnent, à la place comme au quartier des marchés à Meaux, un sens del’harmonie médiévale. Si la puissance civile du grand Moyen Âge a pratiquementdisparu, comme les grandes foires des comtes de Champagne, une large proces-sion de sanctuaires conduite par la cathédrale, tracent le chemin du fleuve en direction du ciel. Le raide édifice de Meaux garde nef et abside harmonieuseset une tour du XVIe siècle à côté de la « mal coiffée ». Et depuis l’entrée jusqu’aumariage avec la Seine, on va découvrir une suite d’églises qui l’abritent dans la sainteté. À part quelques exceptions romanes, ces témoins du XIIe siècle,détruits par la guerre de 100 ans, ont été le plus souvent reconstruits dans la seconde partie du XVe siècle flamboyant et la première partie du XVIe siècle

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Eglises de Méry-sur-Marneet Sainte-Aulde.

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Le château de Guermantes.

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où fleurit le style Renaissance. Dans la grande abbatiale de Lagny, se voit encoreun vitrail moderne où Jeanne d’Arc ressuscite un enfant mort. Ainsi ce siècle de paix entre deux périodes de guerre fit illustrer la Marne de merveilles. Du reste, la découverte de la poudre à canon et de l’artillerie – dont Jean Bureaufut l’un des protagonistes – rend désormais les forteresses inutiles, même celle de Meaux qui, au cours de la guerre de 100 ans, devint anglaise pendant 17 ansmalgré le courage des chenapans qui la gardaient, et qui tenaient plus de la bêteque de l’homme accompli. L’agriculture, qui périclitait depuis la fin du XIIIe

siècle en raison des frimas, des misères et des bandits de grands chemins, avaitlaissé d’immenses territoires en jachères et des villages vidés de leurs habitants.Une fois de plus l’eau rouge de la Marne avait vaincu celle d’un bénitier dominant.

Avec le Vert Galant, le fleuve reprend son rôle véhiculaire. C’est au premierquart du XVIe siècle que surgit l’humanisme, le livre imprimé et de superbeschâteaux comme Montceaux les Meaux construit par Catherine de Médicis où

Henri IV se repose de ses succès avec lapacification de l’Édit de Nantes. C’est à Meaux que rayonnent les évêquesBriçonnet et Lefèvre d’Étaples qui veulent traduire en français les textessacrés, enlever les églises aux Corde -liers provocateurs et évacuer lessupers ti tions. Une grande partie dupays commerçant devient réforméenotamment les marchés de Meaux, de La Ferté, de Lizy dont les seigneursétaient protestants. Il s’en suit de grands massacres, brûleries atroceset de l’autre côté pillages des églises, se terminant par l’exode provoquant la

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Château de Champs-sur-Marne. au

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Meaux :le jardin Bossuet.

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Ancienne usine Menier.Moulin Saulnier.

fin d’un épanouissement commercial. En 1598, Henri IV vainqueur du duc de Mayenne obèse qu’il avait fait transpirer, fait son entrée triomphale à Meaux.

Le XVIIe siècle, qui a souffert de la Fronde et des Lorrains, est le siècle «mitré»du jardin de Bossuet dont la foi profonde illumine le corps et l’esprit visionnaire.Il dit à ses prêtres qu’ils sont envoyés sur la terre comme Jésus Christ. Son voisinde Germigny-l’Évèque, le curé de Saint-Jean- les-deux-Jumeaux, qui va souventà Meaux dans le palais Renaissance, voit quelquefois passer sur la routed’Allemagne, le long d’une Marne droite, l’immense cohorte militaire du RoiSoleil qui fait allouer quelques pistoles aux pauvres. Il croit farouchement à l’unité religieuse de la France et c’est au château de Lizy que se déroule ledernier synode qui met fin à la tolérance. Les XVII et XVIIIe siècles, pacifiques

sur le territoire de la France, sont ceux des laboureurs et des châteaux de plaisance. En descendant le fleuve on voit tout d’abord Luzancy dont la façadeorientée vers la Marne verse sur un parc à la française. C’est là que vécu Ladislas,comte de Bercheny, Hongrois devenu maréchal de France. Plus on se rapprochede Paris, plus on rencontre, autour de la forteresse en carton de Disneyland, les demeures richissimes de Parisiens en réceptions et fêtes permanentes.Certains sont détruits comme le Coupvray des Rohan, écroulé, ou le Croissy de Liszt et de Marie d’Agoult, bombardé à la fin de la seconde guerre mondiale.Mais demeurent le joli manoir de Jossigny, la ferme du Génitoy où furent élevésles bâtards de Louis XIV, l’approche Proustienne de Guermantes avec sa belleinu tile, et le château d’Or de Champs entouré de son jardin de dentelle. Le dernier témoignage avant les Menier sera Ferrières où la demeure anglaise en galerie des Rothschild fût embouteillée de bibelots superbes.

Chateaubriand évoque encore le château de Noisiel, propriété des Lévis où « l’esprit apaisé il regarde les ruines de l’abbaye de Chelles et voit les barques

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arrêtées sur la Marne ». C’est à côté de ce paquebot aménagé par les Menier queles quatre ou cinq générations des « princes du chocolat », édifièrent ce«Versailles de l’industrie » sur notre Marne « l’Ileuse » comme disait Ronsard,en inondant le monde entier de plaques savoureuses. À l’ombre du château etdu palais se trouvaient rassemblées les cités ouvrières dont la population légèrementvassalisée faisait « partie de la famille ». Celle-ci qui ne connaissait pas de limiteà sa fortune s’approvisionnait en cacao dans ses vastes propriétés du Nicaragua,et en lait par ses vaches de la ferme du Buisson aujourd’hui convertie en centreculturel. Submergés par les fêtes et les commémorations, les Menier recevaientle haut du panier sur leur yacht de 65 marins dans leur île du Saint-Laurent,avant de baisser les rideaux devant les poings tendus de 1936 en s’écriant « qu’ils ne méritaient pas le drapeau Rouge ». Cette merveille industrielle a été fort heureusement rachetée par Nestlé, l’héritier légitime, qui l’a remise en état.

À l’extrémité inverse se trouvent à La Ferté-sous-Jouarre les spécialistes mondiaux de l’extraction et du façonnage de la meulière, tout d’abord animéepar des petits patrons aux villas et hôtels réservés, avant la concentration progressive. Le travail des carriers était successivement l’extraction de la pierredans les alentours, le transport par des travailleurs musclés et ceux qui, dans les ateliers concentrés, affinaient moulaient, cerclaient et polissaient les superbes roues avant que les marchandises ne fussent acheminées par voied’eau puis par les chemins de fer. Peu à peu cette industrie magistrale, en unelente agonie, périclita vers la seconde guerre mondiale. Céline ne manque pasd’écrire, « il y a des gens qui meurent en un mitant et des gens qui meurenttoute une vie ». C’étaient les damnés de la terre. C’était le cas des meuliers.

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Bords de Marne à la Ferté-sous-Jouarre.

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N’oublions pas que, sur les bordures du fleuve, surgissaient très souvent lesvignobles qui disparurent vers la fin du XIXe siècle à la fois par la maladie et parleur qualité exécrable. Mais on y trouvera toujours les pêcheurs attendant le poisson miraculeux. A propos de «miracle», ce fût, en septembre 1914, celuide la bataille de la Marne qui bloqua les armées de Von Klug et dont les pontscomme dit Pierre Mac Orlan furent parmi les plus grands blessés. Les officiersfurent décimés à la tête des troupes, et Péguy fut tué face au château de Monthyon. Monseigneur Marbeau en demeure le défenseur spirituel et lemonument Américain, où va ouvrir bientôt un musée, commémore hautementle sang sacré. Certes le XIXe siècle, comme le XXe siècle, voit la floraison de l’archéologie militante du réveil des Arts et traditions populaires et de la littérature régionale, avant que la « solitude peuplée » et les loisirs omniprésentsne rendent aux uns l’image de tous les autres. Parmi les écrivains de dimensionnationale on trouve Bossuet qui préfère le ciel, Beckett qui illustre l’enfer des mots, Léon Bloy le croyant désespéré qui égratigne Lagny alias « cochon-sur-Marne » et Armand Lanoux qui tonifie le paysage autour de Chelles.

Si la Marne a été bénie par le ciel et rougie par le sang, et reflète les monu-ments de ses rivages sombres ou enflammés, elle fût sans cesse recréée et trans-figurée par les peintres souvent impressionnistes du XIXe et du XXe siècle. La voilà dévoilée par les palettes innombrables qui se l’arrachent afin de la ren-dre et de la parachever. On distingue l’école de Luzancy dont le fondateur fût Corot car la rivière « coulait dans ses veines ». Il fût le maître d’AlexandreBouché puis de Meslé qui planta ses chevalets à Chamigny. À La Ferté, Planson

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Passerelle à Chelles.

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l’ami de Mac Orlan, nous met la Marne en état de jubilation festive et Haydenau niveau d’une couleur intense. À Meaux, Pinal en 1913 peint la cathédraleet les moulins bientôt détruits qui se noient dans la fange. Quant au centrede Lagny, il voit se réunir une grande partie des maîtres impressionnistes etpointillistes comme Cavallo Peduzzi, Gausson et Collin qui grave une pénicheinoubliable avant que la Fresnaye puisse intégrer le cubisme dans une vision dela Ferté-sous-Jouarre.

On jettera quand même un coup d’œil au-delà de la frontière où séjour-naient les peintres les plus réputés. C’est vers la fin du siècle le temps de la belleépoque et des cartes postales. Les Parisiens du dimanche en goguette viennentboire le petit vin blanc, écouter l’accordéon joyeux, regarder les baigneurs s’é-gayer et canoter les couples amoureux. On se souvient de Dufy qui nous faitentrer dans l’univers de Nogent-sur-Marne.Avec les peintres, notre Marne toutechavirée, presque folle, virevolte dans le plaisir et la galanterie, s’aplatissant surelle-même et se dédoublant à ravir pour remplir les musées de la mémoire etanimer les rêves nocturnes.

Au XXe siècle où les villages et les villes s’étalent en tous sens, ici et là quand« chacun est devenu tout le monde », le paysage se fige dans d’innombrablesinstruments anonymes et les fermes mécanisées ont perdu leurs ruraux.Pourtant la cité nouvelle de Marne-la-Vallée a voulu se remplir d’œuvres d’art etd’ensembles gravitant autour d’espaces verts. C. de B. !

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!La Marne par André Planson(Coll. particulière).

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La Marne en crueà Noisiel.

Indispensables alliances

Plus de cinquante communes bordant la Marne,

rien que dans notre département, c’est presque

autant d’habituées, pourrait-on dire, à ce que celle-

ci les inonde, car plus de 6 000 hectares y sont

réputés inondables, dont 300 en zone urbaine.

C’est que la Marne est vive ; il n’y a pas si long-

temps qu’un peu plus haut, son lit, comme celui de

certains de ses affluents, se déplaçait au gré des

crues. Pour l’assagir un peu, en lui laissant assez

d’eau l’été pour naviguer et produire l’eau potable,

et en en retenant le plus possible, en hiver, afin de

limiter l’ampleur de ses inondations, un très vaste

lac de retenue, celui du Der-Chantecoq fut créé

près de Saint-Dizier. D’une contenance de

350millions de m3, il fut mis en service en 1974.

Il est géré par les Grands Lacs de Seine, institution

des barrages réservoirs du bassin de la Seine,

regroupant Paris et les départements de la petite

couronne, directement intéressés par cette double

fonction. En pratique, la réduction des inondations

bénéficie aussi à tous les territoires situés entre le

lac et l’agglomération parisienne, et donc, sans

aucun doute, à la Seine-et-Marne. Il n’empêche

que si de fortes pluies succèdent à un hiver très

pluvieux, un tel lac ne peut retenir toutes les eaux

de ruissellement, surtout qu’entre celui-ci et Paris,

plusieurs affluents de la Marne viennent grossir ses

eaux, provoquant alors, malgré le lac, des inonda-

tions parfois spectaculaires.

Gournay-sur-Marne, aval immédiat de la Seine-et-

Marne ; on y enregistre en permanence le débit de

la rivière. Le débit moyen, mensuel, y est de 110m3

par seconde ; en février, la moyenne mensuelle est

de 180m3/s, et en août, de 55m3/s ; jusque là, rien

de surprenant. Mais si, en 1976, année de grande

sécheresse, le débit minimum observé, cette fois

sur une journée, n’était plus que de 8 m3/s, en

1983, année de grandes crues, la valeur maximale,

toujours sur une journée, fut de 540. Le nombre

d’habitations inondées y fut très élevé ; l’activité

des entreprises interrompue, les transports perturbés,

les pompiers sur la brèche, jour et nuit, et 3 000

hectares de terrains agricoles furent inondés, dont

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ces

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Mar

ne

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2000 une première fois en avril et une seconde fois

à la fin du mois de mai. Il y avait déjà eu quelques

crues sérieuses dans les années passées ; comme

à chaque fois, et comme partout, à l’aval, on s’en

prend à ceux qui, à l’amont, ont drainé les terres

ou rectifié le cours des ruisseaux, et à l’amont, on

réplique qu’on a trop construit, à l’aval, dans des

zones reconnues inondables, ou qui auraient dû

l’être. Et tout le monde a raison ; à la longue, et une

fois les inondations terminées, mieux vaut en débat-

tre tranquillement. C’est ce que firent les Conseils

généraux des 5 départements concernés – Aisne,

Marne, Haute-Marne, Meuse et Seine-et-Marne –

qui fondèrent le 2 avril 1984 l’Entente interdépar-

tementale pour l’aménagement de la rivière Marne

et de ses affluents : une « Entente Marne », sur le

modèle de l’Entente Oise-Aisne, créée bien avant,

mais dans des circonstances similaires. Longues

études et lourds travaux s’en suivirent. A l’amont,

le cours de certaines rivières devait être stabilisé,

et des ouvrages modernisés. En Seine-et-Marne, des

murets anti-crues ou le renforcement de berges

contre l’érosion, s’avéraient nécessaires à La Ferté-

sous-Jouarre, Germigny l’Evêque, Meaux, Esbly,

Lagny ou Chelles. Sur les affluents, le Grand Morin

surtout, les barrages, vannages, pertuis et autres

ouvrages rappelant l’histoire des rivières, furent

diagnostiqués pour identifier ceux à maintenir, à

moderniser, à modifier. Sur les affluents toujours,

il fallait promouvoir la constitution de syndicats afin

de les prendre en main, de façon globale et cohé-

rente ; la Seine-et-Marne n’était pas en retard.

Partout il fallait mieux gérer la végétation des berges

– la ripisylve – et replanter là où elle n’existait pas,

pour mieux tenir celles-ci. Enfin fut mise en

évidence la perturbation résultant des deux secteurs

où la Marne n’était pas navigable : les arbres des

berges y périssaient, bien naturellement, perdant

branches puis troncs dans la rivière, en retenant

d’autres entraînés par les crues, faisant barrage et

freinant l’eau qui, du coup, montait encore plus.

Cela faisait nombre d’années que, faute de moyens,

le Service de la Navigation n’entretenait plus que

le chenal de la Marne, cette partie généralement

centrale du cours d’eau, là où elle est rendue navi-

gable, ainsi que tous les ouvrages nécessaires à la

navigation, et cela lui faisait déjà beaucoup.

Le Département décida donc qu’il remettrait lui-

même en état les deux tronçons de Marne que la

création des canaux de Chalifert et de Chelles

avaient rendus non navigables, soit 36kilomètres de

rivière. Depuis, il les entretient régulièrement, au

rythme d’environ 7km par an, en cycle quinquennal.

Au même titre qu’un syndicat de rivière, il est aidé

en cela par l’Agence de l’Eau et l’Entente Marne,

qui prennent en charge la moitié des dépenses.

Des crues, il en reviendra, des inondations aussi ;

quelques centimètres de moins, à de tels moments,

peuvent changer beaucoup de choses ; tout ce

qui aura été fait dans ce but, pendant tous les

autres mois de l’année, et pendant des années,

depuis les plus petites rivières jusqu’aux plus

grandes, prend alors tout son sens. Institution,

Entente, Agence… structures supplémentaires,

peut-être méconnues, mais indispensables lieux

d’échange, de compréhension, de coordination,

et de réalisation. Petits ruisseaux et grandes rivières

mettent toujours leurs forces en commun ; riverains,

associations, communes, Départements, Régions

et Etat sont toujours bien inspirés lorsqu’ils font

de même. M. B. !

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L’Yerres est étrange rivière. Elle suinte, coule, se fait discrète, s’arrête, peutdisparaître, se passe à pied ; elle revient, semble assoupie, recouvre ses gués ;elle coule à flots, coupe sa vallée ; elle fait la une, une fois, parfois, puis se

retire, longtemps, souvent.Elle seule égaie la Brie ; munie de tous ses affluents, elle l’effleure, la sillonne,

elle est sur les limons, laissant ici ou là une faible butte de grès ; elle passe lesmeulières, serpente sur leur argile, s’obstine sur le calcaire. Elle y a creusé sa vallée, toute arrondie de ses méandres, boisés ; avant il y avait des vignes. A forcede l’user, c’est la roche, à son tour, qui la surprend ; sans qu’elle s’en aperçoive,la voilà qui se fend, se dissout et se creuse. La rivière croit la vaincre, mais c’estla roche qui l’avale, se saoulant de son eau ; et puis là-bas enfin, au moment de quitter Seine-et-Marne, l’eau affleure la roche, elle redevient rivière, pour neplus s’arrêter.

L’Yerres et ses affluents sont comme était l’Aubetin, et comme seront la Voulzie ou l’Ancoeur : un début presque plat, au tracé agricole, même si certains viennent, avant, des forêts. Très peu d’eau en été, et beaucoup en hiversi les pluies ont été abondantes et que les drains fonctionnent : lorsque le plateaude Brie se ressuie, l’eau de milliers d’hectares converge vers l’Yerres, seule rivière du centre de Seine-et-Marne ; son bassin versant couvre 900 km2 dans le département, correspondant à tout ou partie de 67 communes. Elle-même

114!

Les mystères de l’Yerres

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Passerelleà Soignolles-en-Brie.

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n’apparaît vraiment qu’à la sortie de l’étang de Guerlande, en limite de la forêtde Crécy; elle résulte du ru des Tournelles, qui a reçu celui des Marnières et donné cet étang. L’Yerres s’écoulera alors sur 96 km, dont 76 en Seine-et-Marne, avant de rejoindre la Seine dans le département voisin, à Villeneuve-Saint-Georges. Mais l’Yerres et presque tous ses affluents fonctionnent sur unseul modèle : tant qu’ils restent sur la première couche du sous-sol du plateaude Brie – argiles vertes, meulières et calcaire de Brie – ils ont de l’eau aussilongtemps que la nappe contenue dans ces calcaires en a. Mais dès qu’ils creusentun peu plus, ou bien s’ils débutent leur cours tout à l’est, là où le calcaire deChampigny affleure sous les limons, c’est à une roche de nature karstique qu’ilsse frottent. Certes, on est bien loin du Jura ou des Causses, mais la pierre s’y comporte comme là-bas, et sur les cartes anciennes de multiples gouffres yétaient signalés. En fait de gouffre, ce ne sont souvent que simples dépressions,aux allures d’étangs ou de mares, que la rivière alimente, et dont elle ressortrarement. Au cours du temps, et pour de multiples raisons, on a généralementcherché à les contourner ou à les colmater ; en 1834 on en obstruait déjà sur le cours de l’Yerres. Mais la nature reprend vite ses droits, et en fin d’été il estdes lieux où l’on peut voir l’Yerres, ou certains de ses affluents, couler ici, puisstagner là, et un peu plus loin, enfin, s’assécher, laissant subsister seulementleurs lits, de boue puis de cailloux, comme autant de chemins creux, parfois

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Parc de Rozay-en-Brie.

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dissi mulés sous la frondaison des arbres qui les accompagnent : l’eau du haut a rejoint celle du bas, qui circule de veinule en fissure, dans les calcaires, pourdevenir nappe d’eau souterraine, celle du Champigny.

Revenons à Guerlande, et tâchons désormais de suivre l’Yerres : elle est à Pézarches, fossé insignifiant, encombré d’iris et de phragmites, ressemblantencore au marais dont elle vient, s’élargissant à peine ; septembre, un peu d’eaus’y voit encore mais on ne sait si elle coule. Heureusement, à la sortie deTouquin, elle reçoit, en rive gauche, son premier affluent : le ru de Beuvron oude l’Etang de Beuvron, qui peut couler plus qu’elle. Il vient des terres et des boisau-delà desquels est l’Aubetin, là où se séparent les bassins versants de la Marneet de la Seine. Long d’une dizaine de kilomètres, il vit l’amont de son coursredressé entre 1972 et 1975 ; depuis, il est entretenu par le syndicat qui porteson nom ; avant Touquin il a reçu le ru Français provenant de l’étang desRigaux, qui servit longtemps de bassin de décantation pour des effluents del’une des papeteries du Grand Morin. Après l’apport du Beuvron, l’Yerres creuse

un peu plus, se renforce de l’eau de quelques fontaines,du ru de Saint-Jean à Ormeaux,et s’en va jusqu’à la limite deNesles et de Rozay où ont étécreusés plusieurs étangs, réser-vés à la pêche ; elle les alimen-te, par dérivation d’une partiede son cours. Mais juste avant,elle a été rejointe, en rive gau-che, par l’un de ses trois pluslongs affluents : la Visandre.

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L’Yerres à Pézarches.

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La Visandre apparaît à Courchamp sous le nom de Luisandre, devient ru desLuisantes, et prend son nom définitif au nord de Jouy-le-Châtel. Pour autant, etmême en ayant reçu ses propres affluents, ru Vallot, Grand ru de l’Abbaye ou rude Réveillon, cela ne lui donne pas d’eau en été. A eux tous ils drainent pourtant12 000 hectares dont 10 000 de terres de culture, le reste en forêt de Jouy,quelques bourgs et modestes villages, mais ils ne sont qu’émissaires agricoles,ressuyant les terres en fin d’hiver. A l’aval des carrières exploitant le calcaire, à Pécy et à Jouy, la Visandre se trouve un peu alimentée en eau, mais quelquescentaines de mètres plus loin, elle l’a déjà perdue. A la fin de son parcours, de30 kilomètres, son lit fait 3 mètres de large, mais c’est en prévision de la saisonhumide, comme l’attestent aussi les larges ponts qui la surplombent. Le syndi-cat intercommunal de la Visandre et du Réveillon gère l’ensemble de ce réseau,sur lequel ont débuté en 1982 des travaux de recalibrage, curage, ou rectifica-tion d’ouvrages, et dont il assure désormais l’entretien régulier.

A peine grossie, l’Yerres, souvent appelée Yères jusque là, passe au sud de laNationale 4, entre dans Rozay-en-Brie qui lui a fait un parc en face de son lavoir,recueille, en rive gauche, les eaux du ru des Fontaines Blanches, puis bordeBernay et son hameau Pompierre, où l’Yvron la rejoint, à nouveau sur sa rivegauche.

L’Yvron est, en longueur, son plus important affluent : 33 kilomètres séparentPompierre de sa source à Chenoise, où il est busé. C’est aussi le cas de plusieurs deses propres affluents, dont un quart du linéaire est busé, car on est, ici aussi, en pleine Brie ; 87% des 16000 hectares de son bassin versant sont voués auxgrandes cultures, principalement au blé, à la betterave et à l’orge, puis au colza etau maïs. Pour faciliter l’écoulement des eaux en fin d’hiver, depuis 1972 ces rusont été reprofilés, et le fond des ouvrages qui faisaient obstacle à l’eau, abaissé.Dans le secteur de Gastins, là où subsiste l’un des derniers moulins à vent de la Brie, l’Yvron se rapproche du calcaire de Champigny, et son débit s’affaiblit.

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La vallée de la Visandre à Voinsles.

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On a compté sur le vent, là où l’on nepouvait compter sur l’eau pour fairetourner les meules. Même s’il y a un peuplus d’eau à Courpalay, lorsque l’Yvronfinit son cours, il n’apporte à l’Yerres, enpériode d’étiage, que quelques litresd’eau par seconde, alors qu’à cet endroitil a parcouru bien plus de kilomètresqu’elle. Le Syndicat de l’Yvron se chargede l’entretenir, ainsi que ses affluents,sur un rythme quadriennal à raison de19km de rus, par an, en moyenne.

Peu après, arrivant à Courtomer là où il lui arrive de s’étendre largement en période de crue, l’Yerres commencesa relation, complexe, avec le calcaire de Champigny ; d’ici jusqu’à Evry-Grégy-sur-Yerres, alors qu’elle trace une douzaine de méandres, elle y perd une partiede son eau, malgré les apports que tentent de lui faire Marsange, Bréon ou rud’Avon. Les débits de l’Yerres sont mesurés à Courtomer : moyenne annuelle1,6m3/s, moyenne en février 4,6m3/s, mais moyenne en août 0,2m3/s, ce quifait bien peu. Tout au long de ce nouveau parcours, où elle ne coulera qu’aupied des villages, sauf peut-être à Soignolles-en-Brie qui l’a bien approchée, sa lame d’eau peut devenir si mince qu’on la passe à gué en voiture, ou en bottesà pied, tandis que des passerelles, de grès, de bois ou de fer permettent de lafranchir en tout temps, sauf une fois, parfois, lorsqu’elle inonde trop. Avant de quitter Courtomer, elle laisse sur sa droite, au milieu d’un champ, le menhirde Pierre Couvée, puis se resserre autour d’Argentières, et passe sous les archesdu viaduc qui ne sert plus aux trains, mais à la randonnée (GR1) : elle est arrivée

118!

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Ci-contre, Rampillon qui limite au sud le bassin de l’Yvron.

Page de droite, l’Yerres au lavoir de Rozay-en-Brie.

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L’Yvron à Gastins.

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dans la cité des Couperin, Chaumes-en-Brie, qui a fait de l’Yerres l’une de sesentrées de ville, et dont le territoire donne une bonne idée des paysages del’Yerres ; avant de quitter Chaumes et son originale ferme de Forest, l’Yerresreçoit le Bréon.

Le ru de Bréon est affluent de rive droite ; il vient de la forêt de Crécy, auniveau de Crèvecœur en Brie, et a parcouru 20 km avant de confluer avecl’Yerres ; il mesure alors un peu plus de 3 mètres de large, possède un débitmoyen annuel de 250 l/s, qui peut tomber cependant à 5 l/s, comme au moisd’août 1990. Sa vallée ne manque pas de charme, surtout de Fontenay-Trésignyjusqu’à Chaumes. Mais plusieurs communes qui s’agrandissent, puis Fontenay-Trésigny et les diverses activités qui se développent autour, cela fait beaucouppour un cours d’eau d’aussi faible débit. Les poissons que l’on peut trouver à son aval semblent d’ailleurs plus provenir des étangs situés près des ruines du château du Vivier, ou bien de l’Yerres, que du Bréon lui-même. Avec ses

affluents, il a été aménagé et entre-tenu par un syndicat créé de longue date (1967).

Aussitôt après, l’Yerres entre surle territoire d’Ozouer le Voulgis, oùelle commence par sinuer entredeux massifs forestiers ; à la sortiedu premier elle reçoit la Marsange,passe au bas du vil lage, et à la sortiedu second reçoit le ru d’Avon.

La Marsange, en rive droite elle

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Le ru de Monnoury, affluent du Bréon, à Fontenay-Trésigny.

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La Marsangeà Ozouer-le-Voulgis.

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aussi, provient de la forêt de Crécy, comme plusieurs de ses affluents alimentéspar le drainage de la forêt et la nappe des calcaires de Brie ; certains vont jusqu’àre prendre les eaux pluviales du plus récent secteur de Marne-la-Vallée. Cela permet à la Marsange d’avoir, à Favières, une allure de rivière, plutôt calme,modeste, mais rivière quand même, ce dont elle n’aura pas toujours l’air. Elleentre à Tournan-en-Brie, s’étoffe du ru des Boissières, de quelques sources, estcontenue par un barrage, chute, et ressort de la ville en passant par un parc. Plusloin, elle reçoit le ru des Monbarres qui, avant Gretz-Armainvilliers, s’appelaitBuronnerie, et a donné l’étang du grand domaine d’Armainvilliers. Commeelle, après avoir traversé sa ville, il sort le long d’un espace vert. Ces deux villes,bien situées le long de la Nationale 4, ont connu un tel développement urbainet industriel que la Marsange, et surtout le Monbarres, n’arrivaient plus à s’enremettre, tant ils étaient constamment pollués. Or, à peine la Marsange, grossiedu Monbarres, a t’elle quitté Tournan, qu’elle disparaît, presque brutalement,dans une zone de gouffres, entraînant avec elle toute trace laissée par les activitéshumaines, domestiques, industrielles ou agricoles, qui, auparavant, les avaientpris, elle et ses affluents, pour exutoire. Depuis quelques années, et avec lapatience qu’il faut à certains élus pour parvenir à mener à bien des projets

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La Marsange à Favières.

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L’Yerres à Chaumes-en-Brie.

d’intérêt pourtant général, les eaux usées de ces deux villes mais aussi dePresles-en-Brie sont traitées dans une moderne station d’épuration située à limite de cette commune et de Liverdy-en-Brie qui y enverra aussi seseffluents. Heureusement, puisque c’est à l’entrée de Presles que la rivières’arrête, bien souvent : en fin d’été, ci-gît la première Marsange, en lit étroit, secet caillouteux. Mais assez vite, avec des eaux de source collectées plus haut dansle bourg, puis celles qui, certainement, drainent la grande tranchée faite pourque passent les TGV, voilà que notre rivière retrouve de l’eau. Avec le rejet de la nouvelle station d’épuration, et l’aide de fontaines, cette seconde Marsange seremet à couler à Liverdy-en-Brie, elle longe les prés, glisse sur ses gués, et finitpar aller jusqu’à l’Yerres… Depuis 1981 le Syndicat intercommunald’aménagement de la Marsange a entrepris de très nombreux travaux sur celle-ci et ses affluents, et depuis, les entretient. Il n’empêche qu’à l’issue de ses 30 km, cette étrange rivière, pourra aussi bien être à la fois Marsange du haut etMarsange du bas, et grossir alors fortement l’Yerres en y déversant 3 à 4 m3

d’eau par seconde, comme ce fut le cas en janvier 1995, ou n’être que la secondeMarsange, celle d’après Presles-en-Brie, en ne donnant à l’Yerres que quelqueslitres d’eau par seconde ; ou même rien.

Le modeste ru d’Avon, lui, rejoint l’Yerres sur sa gauche. Sa source est sur legrand plateau, à Quiers ; son cours, de 20 km, est totalement dénudé à l’amont,et un peu boisé seulement à l’aval. Même s’il se voit à peine, l’Avon a sur sonbassin versant, du monde et de grandes activités : au tout début de son cours lecomplexe industriel de Grandpuits avec la fabrication d’engrais, puis Mormant,

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et à Verneuil l’Etang ces immenses silos devenus signaux, tant ils se voient deloin, ainsi que face à eux, la production de semences agricoles. On est au cœurde la Brie céréalière, qu’on ne peut cultiver plus ; les arbres n’y entourent quefermes ou hameaux ; ici, avant toute chose, la terre produit. Après être sorti duparc du château de Vernouillet, l’Avon se divise, par deux fois, en deux bras, à Guignes-Rabutin et à Yèbles ; l’un de ces bras est celui des Meuniers. Carcontrairement à certains de ses plus grands voisins, ce bien modeste ru, coulepeu, mais toujours ; il fit tourner jusqu’à cinq moulins, autant que la Marsange !Il est dommage qu’il ne soit pas plus mis en valeur, et que la qualité de son eausoit assez médiocre; en voilà encore un à qui l’on a beaucoup demandé… Avez-vous remarqué que les deux vont souvent de pair ? Si on voit la rivière, on la veut plus claire. Avant sa confluence, l’Avon s’entoure d’arbres ; il ne mesurequ’un mètre cinquante de large, pour 20 à 50 cm de hauteur d’eau ; son débitpeut varier de 30 l/s en étiage, à 230 l/s en période de crue. Pour un si petitcours d’eau l’histoire veut que deux syndicats gèrent sa destinée : le Syndicatintercommunal à vocation multiple de Mormant à l’amont, et le Syndicat du ru d’Avon, à partir de Verneuil l’Etang. Vraiment modeste l’Avon ?

Quittons Ozouer-les-trois-rivières où une source alimente encore le grandlavoir au centre du village. En contrebas, l’Yerres a pris de la largeur, et de la forceen période de hautes eaux. Ses méandres sont plus marqués, et à chaque

fois qu’elle tourne, un village, un hameau, un château, s’en approchent. Les Etards, Solers,Barneau, Soignolles, Cordon, Suisnes, Evry,Grégy : presque toujours le même scénario,d’abord sur la hauteur, 40 mètres plus haut,puis de plus en plus près de la rivière dont onreste cependant, presque toujours, distant. Au pont de Soignolles le ru de Fontaine appor-te l’eau de Coubert juste après ces saules auxtroncs crevassés que l’on a su conserver, lesretaillant régulièrement en « tétard », et quisont pour la faune sauvage autant de milieuxde vie complémentaires à la rivière. A Grisy-Suisnes, c’est la Barban çonne qui, serpentantentre bois et prés, finit par trouver l’Yerres, elle aussi sur sa rive droite. La Barbançonne nemesure pas 10km, et n’a pas d’affluent ; elle a formé une jolie mare, mais réceptionne les eaux de nombreux fossés (réseaux d’eaupluviale d’un quartier de Gretz-Armainvilliers,RN4, forêt de la Léchelle, TGV, routes départe-mentales, douves du château de Cossigny…),ainsi que des effluents de stations d’épu ration ;puis, une partie de son eau est pompée afin

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Le lavoir d’Ozouer-le-Voulgis.

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L’Yerres à Bernay-Vilbert.

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Parc du moulin de Pompierre.

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d’irriguer, et une autre s’infiltre pour ne réapparaître qu’avant sa confluence avecl’Yerres. Suffisant pour que les cinq communes qu’elle draine se réunissent ensyndicat afin d’en améliorer la gestion, car sa petite vallée le vaut bien.

Avant Barneau, ce hameau de Soignolles, il est un lieu dénommé Mont, alorsqu’il n’avait de hauteur que celle du coteau d’Yerres. On le voit aujourd’hui defort loin, comme une surprise sur ce plateau, à son rebord sur la rivière. Ici sesont accumulés, et se stockent toujours, des tonnes de déchets, de plus en plustriés, de plus en plus inertes, constamment surveillés, mais qui, devenus relief,témoigneront à jamais d’une époque de grande consommation, et de collectiveinsouciance. Ici de nouvelles collines sont apparues sur la Brie, et le TGV y passe.Mais regardons mieux le plateau : ces apparentes levées de terre émergentailleurs, en de multiples endroits, avec toutes sortes de finalités. Puisqu’il fautprobablement les considérer comme un nouveau fait de société, ne devraient-elles pas bénéficier d’intentions paysagères plus fortes, et qui intègreraient leursuccession, avérée ou potentielle, dans un même paysage ?

Lorsque les villes nouvelles furent décidées, on qualifia les espaces intermé-diaires, comme cette vallée de l’Yerres et le plateau où elle s’insère, de Zonesnaturelles d’équilibre. On ne le dit plus, mais c’est pourtant le sentiment quis’en dégage. C’est le pays des gués : petites routes et chemins passent d’une riveà l’autre. En haut, c’est la culture, en bas aussi quand la vallée est large ; il y a desserres et certaines produisent encore ces roses qui furent renommées, partant à Paris par le petit train dont la voie est devenue promenade. Il y a des fermespour la cueillette et des pépinières, un lycée agricole entouré de ses pâtures, et de multiples bois qui descendent jusqu’à la rivière: espaces convoités où les bourgs grossissent, et les hameaux se rénovent, en général avec goût. Mais, làcomme ailleurs, il serait probablement bénéfique de parvenir à encadrer, plutôtqu’à subir, certaines implantations aujourd’hui illégales de cabanons et caravanesqui se fixent, s’entourent, et se construisent, obligeant tôt ou tard la collectivitéà assainir et goudronner. Serait-il illusoire de chercher à anticiper, de penser

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Maison du XVIe siècle àcolombages, Rozay-en-Brie.

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à toutes les formes d’habitat, les permettre et les organiser, en des lieux appropriés, plus proches des bourgs, plutôt que de constater ces zones incertainesqui accroissent, de toute façon un jour les charges collectives, et spécialisent leslieux entre ceux où l’on se regarde et ceux où l’on ferme les yeux ?

Depuis le ru d’Avon, l’Yerres n’a plus reçu, en rive gauche, que de brefs ruis-seaux. C’est que le grand plateau commence à regarder vers l’ouest et le sud. Au début il est tellement plat qu’une goutte d’eau ne saurait où aller : les immenses parcelles de terre y avaient des noms de mares, seuls exutoires possibles, peut-être en genre de gouffres. Et puis, vient le moment où l’Yerrespasse sous la Francilienne, à l’endroit précis où elle peut n’être, parfois, que chemin sec ; rapidement, sur sa droite, le ru du Cornillot la rejoint. Avec le Tuboeuf qui le précède et quelques autres, il sort de Brie-Comte-Robert, auclocher surplombant des rues bien restaurées, au château émergeant patiemmentde ses douves, qui, elles aussi, donnent leur eau à l’Yerres. Brie ne s’est pas construite sur la rivière, mais elle en est la porte, et peut-être la clef. Car c’est là,que, du plateau, le paysage s’ouvre vers sa vallée ; et c’est là qu’au fond de la vallée, l’Yerres regonfle, ou réapparaît ; juste après le Cornillot, elle longe le boisaux Loups, qui est sur Combs-la-Ville ; la nappe du Champigny l’a rejointe, et disparaissent les gués. Un dernier espace, encore cultivé, sera protégé : Etat,Région, Département et communes se sont concertés. La vallée se creuse, en méan-dres serrés, boisés, urbanisés. Ville nouvelle au sud, autre département au nord :l’Yerres quitte la Seine-et-Marne, elle a quinze à vingt mètres de large, et peut enavoir deux de profondeur; mais on ne la voit presque plus. Elle a déjà changé.

Avant d’atteindre la Seine, l’Yerres reçoit de nouveaux affluents ; l’un d’eux apris sa source en Seine-et-Marne et y a fait un parcours remarqué : le Réveillon

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Passage du gué à Solers.

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