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Mars 2014 n° 24 L’ESPRIT CAUT www.lespritcanut.fr tél :06 28 07 57 13 Directeur de la publication : B. Warin Issn n° 1959413 D epuis sa création en 2004, l’Esprit Canut a parcouru un joli bout de chemin. Vous trouverez dans notre prochaine édition l’histoire de cette aventure, nos initiatives, nos ren- contres et nos manifestations… Mais aujourd’hui, nous avons choisi de vous faire part d’un grand projet que nous portons avec d’autres as- sociations et personnalités. Cette variation que nous vous présentons s’inspire des principaux thèmes issus des rencontres du collectif Canutopie. Présentation Lorsque leurs métiers eu- rent cessé de battre, les travailleurs de la soie ont resurgi sous de multiples formes, associatives no- tamment. Pourquoi ? Parce que ceux qui les aimaient, ceux qui les avaient côtoyés, ceux qui avaient exercé l’une ou l’autre des nombreuses professions que comptait la Fabrique, voulaient servir leur mémoire, transmettre leurs savoirs, maintenir vi- vants leurs coutumes et leur langage. Comment cela s’est-il traduit ? Par la dispersion du patrimoine. Disons avec humour qu’aujourd’hui, les enfants des canuts décorent leur Mur, se Bambanent sur leur Boulevard bradent leurs Soies au Marché, font visiter leurs Ateliers, re- çoivent dans leur Maison, se mettent en scène sous leur Castelet, préparent leur Festival, célèbrent leur Ré- publique et dressent avec Esprit le drapeau de No- vembre… * N’oublions pas le prestigieux musée des Tissus et les mystérieux musées Gadagne. Est-ce satisfaisant ? Non, pas vraiment! Nous pensons qu’il ne suffit pas de juxtaposer des maillons pour former une chaîne, mais qu’il faut les engager les uns avec les autres. Ainsi articulée, cette chaîne pourra amarrer solidement l’histoire complète des canuts, de l’élevage du ver à soie à la confection de l’étoffe. Pour un lieu-ressource C’est pourquoi nous avons pris l’initiative dès janvier 2012, de rassembler dans un collectif les associations et les personnes intéressées par cette aventure, pour construire un projet. Ce collectif Canutopie a rédigé un manifeste : Pour la création d’un lieu-ressource dédié à la communauté des travailleurs de la soie, (voir site www.lespritcanut.fr) Il est temps en effet de reconstituer en un seul tenant et dans un vaste espace la puissante fresque des canuts, de Louis XI à nos jours, jusqu’au savoir-faire des tisseurs contemporains. …/... patrimoine canut 10 ans pour construire un projet !

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Mars 2014

n° 24

L’ESPRIT CA�UT

www.lespritcanut.fr

tél :06 28 07 57 13

Directeur de la publication : B. Warin

Issn n° 1959413

D epuis sa création en 2004, l’Esprit Canut a parcouru un joli bout de chemin. Vous trouverez dans notre prochaine édition l’histoire de cette aventure, nos initiatives, nos ren-contres et nos manifestations…

Mais aujourd’hui, nous avons choisi de vous faire part d’un grand projet que nous portons avec d’autres as-sociations et personnalités. Cette variation que nous vous présentons s’inspire des principaux thèmes issus des rencontres du collectif Canutopie. Présentation Lorsque leurs métiers eu-rent cessé de battre, les travailleurs de la soie ont resurgi sous de multiples formes, associatives no-tamment. Pourquoi ? Parce que ceux qui les aimaient, ceux qui les avaient côtoyés, ceux qui avaient exercé l’une ou l’autre des nombreuses professions que comptait la Fabrique, voulaient servir leur mémoire, transmettre leurs savoirs, maintenir vi-vants leurs coutumes et leur langage. Comment cela s’est-il traduit ? Par la dispersion du patrimoine. Disons avec humour qu’aujourd’hui, les enfants des canuts décorent leur Mur, se Bambanent sur leur Boulevard bradent

leurs Soies au Marché, font visiter leurs Ateliers, re-çoivent dans leur Maison, se mettent en scène sous leur Castelet, préparent leur Festival, célèbrent leur Ré-

publique et dressent avec Esprit le drapeau de No-

vembre… *

N’oublions pas le prestigieux musée des Tissus et les mystérieux musées Gadagne.

Est-ce satisfaisant ?

Non, pas vraiment! Nous pensons qu’il ne suffit pas de juxtaposer des maillons pour former une chaîne, mais qu’il faut les engager les uns avec les autres. Ainsi articulée, cette chaîne pourra amarrer solidement l’histoire complète des canuts, de l’élevage du ver à soie à la confection de l’étoffe. Pour un lieu-ressource

C’est pourquoi nous avons pris l’initiative dès janvier 2012, de rassembler dans un collectif les associations et les personnes intéressées par

cette aventure, pour construire un projet. Ce collectif Canutopie a rédigé un manifeste : Pour la création

d’un lieu-ressource dédié à la communauté des

travailleurs de la soie, (voir site www.lespritcanut.fr) Il est temps en effet de reconstituer en un seul tenant et dans un vaste espace la puissante fresque des canuts, de Louis XI à nos jours, jusqu’au savoir-faire des tisseurs contemporains. …/...

p a t r i m o i n e c a n u t 10 ans pour construire un projet !

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Ce collectif se réunit régulièrement dans un local de la Maison des Associations, mis à notre disposition par la municipalité du 4e. En ce moment, trois étudiantes de l’Ecole d’Architec-ture de Lyon ont rejoint le collectif sous la responsabilité d’un architecte urbaniste, pour dresser un inventaire des patrimoines détenus par les associations et les per-sonnes participant à ce collectif. COMMENT ORGANISER CE LIEU-RESSOURCE ?

Il comporterait trois espaces : Un espace d’exposition Il donnera la priorité aux acteurs. Les hommes se pla-cent au centre de l’histoire qu’ils tissent. Si l’atelier est le lieu du travail, si le métier à tisser est l’outil et l’étoffe le produit fini, ce sont les producteurs qui vont concevoir et ré-aliser l’ouvrage. Ce sont eux qui intéresse-ront le public en pré-sentant leur organisa-tion, leurs échanges, leur production, leurs migrations, leur vie quotidienne, et cela dans le cours du temps, siècle après siècle. P a r a i l l e u r s , la Fabrique lyonnaise a eu des influences certaines sur la forme de l’habitat et de la ville, qui dépassent les seuls quartiers mar-qués par cette histoire. Seront exposés aussi les caractères issus de ce long tra-vail de la soie qui touchent tout autant les formes ar-chitecturales et urbaines que la pensée qui participe à leur organisation. Les objets, les outils et les techniques présentés, vien-dront jalonner les événements contés. Ces événements vont modifier le cours de la Fabrique, laquelle va ré-agir à son tour avec la créativité, la détermination et l’inventivité que nous lui connaissons. Les tisseurs vont devoir défendre âprement leurs statuts et leurs tarifs pour obtenir le droit de vivre en travaillant. Tous ces éléments exposés permettront au public de saisir l’en-semble de cette aventure. Nous montrerons ensuite la continuité de la production textile lyonnaise. Si les métiers croix-roussiens ont cessé

de battre au dernier tiers du 20e siècle, d’autres métiers plus modernes ont pris le relais, produisant aujourd’hui une grande variété de tissus. Le public pourra décou-vrir l’étonnante technicité de ces textiles contempo-rains, leurs lieux de production, leur utilisation et l’état de la recherche pour inventer les tissus du futur. Dans sa quête de matériaux plus performants, tant sur le plan thermique que sur l’aspect sensible, l’industrie du tissage a certainement encore et à nouveau des « choses » à nous montrer, et de manière prospective. Un espace d’expression

Comment les hommes et les femmes d’aujourd’hui s’or-ganisent-ils et comment cherchent-ils, après les canuts, à garder prise sur la façon dont ils conduisent leur travail ? En réponse, nous inviterons des ouvriers, des employés, des techniciens, des artisans, des commerçants, des chefs

d’entreprise, à venir parler de ce qu’ils font, et comment ils le font. Cette présentation pourrait-être croisée et enrichie de travaux de recherche issus des Sciences Humaines et Sociales, anthropologie, psychologie, sociologie, sciences d’éducation et de formation... Dans ce cadre, des conférences, des débats, des ouvrages seront proposés au public pour questionner cette activi-té sociale que l’on désigne par le mot « travail ». Bien sûr, la représenta-

tion artistique, poétique ou plastique, aura toute sa place pour nous offrir des figures nouvelles, pour imagi-ner d’autres utopies et pour interpeller notre vie quoti-dienne. La mode est un bon exemple où la création esthétique prend forme vivante et couleurs devant nos yeux ravis, au point d’en oublier l’ouvrage minutieux des couturiè-res. Des défilés seront organisés dans cet espace, ainsi que des expositions temporaires. Un espace de recherche et de formation A quoi sert de raconter une histoire, si belle et aventu-reuse soit-elle, sans en donner la clef, sans essayer d’en extraire un sens, pour en saisir les tenants et les aboutis-sants ? …/...

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C’est là toute l’importance d’un chantier de recherche, ouvert aux historiens, aux universitaires, mais aussi aux associations désireuses d’étudier des épisodes inexplorés. Posons-nous une autre question : comment maintenir vivants les savoir-faire, transmettre les pratiques, les fonctions, les usages, et les mots qui nomment les cho-ses, sans enseigner et sans former ? Comment assurer la maintenance des métiers à tisser pour qu’ils puissent continuer de fonctionner ? Evoquons à présent deux missions pour que ce lieu puisse se maintenir vivant:

Une mission d’accueil Ce lieu sera animé d’un esprit humaniste, cher aux lyonnais, où l’accueil, le respect de l’autre, le sens de la relation, servent de référence à notre vie urbaine. Grâce à cet accueil, chacun pourra repartir avec des questions, tout en étant satisfait. U n e m i s s i o n

d’orientation Ce lieu n’a vocation ni à tout dire, ni à tout mon-trer. Certains publics souhaiteront poursuivre leur démarche pour dé-couvrir les lieux se rap-portant à cette histoire, aussi seront-ils orientés vers les sites inscrits dans le circuit local et régional de la filière soie. Enfin trois questions se posent pour accueillir et abriter ce lieu-ressource. L’ équipement ?

Nous avons besoin d’un large espace d’exposition consacré à l’histoire de la Fabrique lyonnaise, soit six siècles d’histoire auxquels on adjoindra le 21e siècle en présentant l’état des lieux de la filière textile contem-poraine où nous pourrons entrevoir les textiles de de-main : - Une salle de conférence, une salle multimédia, une salle d’exposition temporaire pour la création et un es-pace « mode » permettant d’accueillir podium et pu-blic. - Un castelet où Guignol tiendra le premier rôle, pour le plus grand plaisir des petits et des grands

- Un « bistrot » où l’on puisse se reposer, se rafraîchir, échanger ses impressions ou se restaurer d’un bon casse-croûte lyonnais. - Une boutique de qualité unissant livres et soieries. Le financement ?

Ce projet s’inscrit dans une dimension européenne, à la hauteur de l’histoire des canuts, connue dans le monde entier. Par son ampleur et par son ambition, il saura agrandir l’image de la ville. Son financement demandera un engagement public de la métropole lyonnaise, de la région et de l’Europe. Le lieu ? Pour réaliser ce grand projet, y-a-t-il un lieu disponi-ble ?

Oui, l’Esprit Canut en propose un. Il est situé à proximité du Gros Caillou, au-dessus de la place Colbert, face à la cour des Voraces. C’est une ancienne église, désacralisée, un bâtiment prestigieux fondé en 1859 au centre d’un quartier d’ouvriers en soie, qu’un auteur** passionné a nommé « Saint Bernard des Canuts » La ville de Lyon en est propriétaire.

B. Warin

*Le Mur des canuts, les Bambanes croix-roussiennes, le Boule-vard des canuts, le Marché des Soies, l’Atelier de Soierie Vi-vante, l’Atelier Mattelon, la Maison des Canuts, les Théâtres de Guignol, le Festival Label Soie, la République des Canuts, l’Es-prit Canut, le collectif Novembre des Canuts… **Christophe Vincendon dans son ouvrage, SAINT-BERNARD des Canuts, de 1852 à nos jours.

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Si vous êtes intéressés par ce projet, vous pouvez vous présenter à l’adresse mail de notre association : [email protected] Merci et à peut-être à bientôt...

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« J’habite à la Croix-Rousse dans le quar-tier Pernon » Tel était le thème de la table ronde organisée par le collectif Novembre des Canuts le 25 novembre dernier. L’accueil était chaleureux et les habitants ont évoqué l’histoire du quartier, en échan-

geant de nombreux souvenirs. Voici l’un d’eux : « . Notre secteur, cité Pernon et Dangon a connu des boule-versements. C’est de cette cité ouvrière, qui a été rasée, que nous voulons vous parler : Nous sommes en 1924 quand vingt-cinq pavillons sont attri-bués à une centaine de famil-les nombreuses, sur un terrain donné par une congrégation religieuse et géré par les HLM de l’époque, avec une propo-sition de devenir accédant par la suite. Rêve qui ne s’est ja-mais réalisé… Les petites maisons sont de quatre piè-ces, plus wc et caves, (à l’é-poque on n’avait pas encore de salle d’eau), et entourées d’un jardin que chacun utilisait à sa guise. Pour l’époque, ces constructions s’assimilaient à de pimpan-tes petites villas qui rendaient les familles heureuses et soli-daires, et ce bonheur s’est étendu sur une cinquantaine d’années. Les rumeurs d’une démolition possible ont été annoncées en 1968 pour se préciser en 1970, avec les premières familles qui partent en 1972 et 1973. Un comité de locataires s’est formé, avec l’aide des familles habitantes, mal reçues par le bailleur, alors qu’il s’agissait de défendre leurs droits et d’ob-tenir un logement le plus près possible de leur quartier. Cela

n’a pas toujours été le cas, malgré toutes nos démarches. Il a fallu attendre plusieurs mois avant d’être reçus par la di-rection des HLM et le maître d’œuvre des tours, un archi-tecte de l’OPAC encore en poste aujourd’hui. Le projet de ce monsieur a fini de nous écraser quand il nous a annoncé le loyer qui serait pratiqué dans les nou-veaux logements ; nous avons alors compris que peu de familles pourraient s’offrir ce standing ! Nos parents et grands-parents on vu démolir leurs maisons, si solides qu’il a fallu abandonner les fourches et utiliser les

boules pour faire tomber les murs, alors que les toitures avaient été refaites quelques années avant ce massacre. Quel gaspillage d’argent dans le logement social ! De tous ces pleurs et ces décès, la presse est restée silencieuse pour ne pas dire muette sur ce massacre et pour que nos droits au loge-ment soient respectés, et non pas bafoués comme cela a été le cas. Chaque allée, chaque rue s’agrémentait au fil des jar-dins, d’arbres fruitiers, fleu-

rant bon le printemps. Les voisins n’étaient pas vus en étran-gers. Le laitier passait tous les jours livrer son lait, le chanteur des rues poussait la chansonnette, parfois un cirque nous hono-rait de sa présence, un vrai village ! Il y avait plusieurs voies qui traversaient les villas : rue Per-non, Bouchon, Pillement, allée Blache, Galentier, Ringuet, rue Dangon, Falcon, place Picard… »

Christiane Marchand et Gérard Gault

« Les p’tites maisons »

Notre prochaine conférence :

"Clémence LORTET, une botaniste lyonnaise" par Françoise Chambaud

le mercredi 9 avril 2014

20h - Cinéma Saint-Denis

Venez découvrir la vie et la personnalité d'une femme exceptionnelle, reconnue en son temps au niveau européen, aujourd'hui oubliée.

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Fleurs de béton...

L 'Esprit Canut tient à faire par-tager à ses lecteurs le plaisir de sa découverte d'une figure locale passionnante, en partie oubliée aujourd'hui: celle de Sébastien Commissaire.

Grâce à l'historien Georges Rapin, la vie de ce Croix-Roussien de coeur (1822-1898) a pu nous être restituée avec simplicité et précision, d'après ses Mémoires, dans un livre intitulé: « Sébastien Commissaire, ouvrier canut et martyr républicain ». Ce texte, publié aux Editions Claude d'Arve en 1989, est encore disponible sur com-mande (site internet FNAC par exemple). La quatrième de couverture offre un résumé fidèle de la vie de cet autodidacte; nous nous permettons de la reprendre en partie. "Sébastien Commissaire réside à la Croix-Rousse de 1829 à 1846, travaillant à l'âge de 7 ans au piquage des cardes, à 10 ans comme tireur de fer chez un veloutier, et à 12 ans comme apprenti tisseur... Adoles-cent, il participe aux insurrections de 1831 et 1834. Un peu plus tard, il fréquente l'uto-piste Cabet et Flora Tristan au cours de leur passage à Lyon; il s'engage très jeune comme militant socialiste. Ayant tiré un mauvais numéro, il part effec-tuer son service militaire en Alsace où il continue de propager ses idées malgré les

risques ... Le 13 mai 1849, Sébastien Commissaire, jeune sergent, est élu représentant du peu-ple à l'Assemblée Législative ... Mais, dès le 13 juillet de la même année, il est arrêté puis condamné à la déportation pour avoir manifesté contre une violation de la consti-tution par Louis-Napoléon Bonaparte... Il reste emprisonné 10 ans à Doullens puis Belle-Isle et Corté. Ses compagnons de cellule s'appellent Barbès, Raspail, Blanqui, Albert ... Marié sur le tard, il rédige ses souvenirs à l'intention de ses enfants. Leur intérêt est immense pour plusieurs raisons. - les mémoires d'ouvriers sont rares et Sé-bastien Commissaire est le seul à raconter la vie quotidienne à la Croix-Rousse sous Louis-Philippe, son travail d'enfant, les pé-riodes de misère (celle par exemple où sa mère est contrainte de vendre sa belle che-velure brune pour nourrir sa famille ...) - Sébastien Commissaire décrit le service militaire obligatoire de 7 ans avec tirage au sort, système injuste puisque seuls les ri-ches pouvaient payer un remplaçant. - Ses réflexions de député du peuple sont peu banales. C'est Candide au milieu des politiciens. - Mais, surtout, la narration de ses 10 ans de prison comme martyr républicain et so-

cialiste est un témoignage important pour comprendre la souffrance d'hommes condamnés uniquement pour leurs idées, non seulement à la privation de liberté, mais également à un régime cruel et dégra-dant." A l'heure où la ville se transforme, nos élus seront peut-être bientôt appelés à trouver de nouveaux noms pour baptiser tel lieu public ou telle rue... Sébastien Commis-saire, ouvrier canut qui a habité une pauvre demeure derrière le 64 Montée de la Grande Côte et qui a travaillé rue des Fos-sés, aujourd'hui rue d'Austerlitz, n'aurait-il pas sa place dans la mémoire d'un quartier qu'il a défendu au prix de sa liberté ?

Lucien Bergery

Connaissez-vous Sébastien Commissaire ?

L a Croix-Rousse était un village ; la Croix-Rousse était un jardin. Couvents blottis au coeur d'un vaste domaine, maisons bourgeoises installées dans leur parc, clos champêtres... La nature était partout présente : et, à l'heure où le bistanclaque s'arrêtait, on voyait le canut déambuler dans un environnement bucolique et préservé. Mais est arrivé, non pas le beaujolais nouveau, mais l'édile nouveau, poli politicien et son

ombre portée, le promoteur. Adieu couvents, maisons bourgeoises et clos champêtres; sous le pic du démolisseur les fleurs en bou-ton se changent en fleurs de béton; il n'est place où le bulldozer ne passe et repasse et le moindre jar-din, le plus petit lopin, le dernier arpent se voit loti et bâti... Les immeubles s'élèvent et le prix du mètre carré monte encore plus haut. C'est la curée de Zola, version Croix-Rousse. La seule verdure qui sub-siste est sur les vertes affiches des écolos et bien sûr, en trompe l'oeil, sur le Mur des canuts. Mais rassurez-vous toutes les fleurs n'ont pas disparu; restent les fleurs de rhétorique des discours fleu-ris de nos élus. Tel édile ne s'enorgueillit-il pas de planter, planter, planter encore... Nul doute que, quand toutes les plantations de ces discours lèveront, les croix-roussiens seront confrontés à une jungle impénétrable; et pour aller du Gros Caillou à la rue du Mail, c'est à la machette ou au coupe-coupe qu'il faudra tailler sa route à travers la CROIX-BROUSSE !

Oton NEPER

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L orsqu’on évoque les prud’hommes, il est difficile de ne pas penser aux canuts. Non parce qu’ils auraient été les précurseurs modernes de cette institution, mais parce qu’ils en furent en quelque sorte les

constructeurs. C’est en effet sous l’Empire, par la loi du 18 mars 1806, que le premier conseil de prud’-homme est créé à Lyon, pour la soierie. Le choix a été fait de favoriser l’efficacité de l’ex-périence professionnelle à la seule rigueur du droit. C’est ainsi qu’est née une institution ori-ginale, composée de magistrats non pro-fessionnels issus du monde du travail, dont la mission es-sentielle est de rechercher la conci-liation. Rappelons-nous que dans leur journal L’Echo de la Fabri-que, les tisseurs affir-maient sans cesse leur volonté d’amélio-rer le fonctionnement du Conseil des Prud’-hommes, exigeant une exacte parité en-tre les représentants des salariés et ceux des employeurs. C’est au-jourd’hui la seule instance judiciaire où les ma-gistrats sont élus d’une façon paritaire. Or, pour la première fois depuis sa création, un gouvernement envisage la remise en cause de l’élection des conseillers prud’-hommes en imposant un système de désignation. Cette désignation se ferait désormais sur la base des résultats aux élections professionnel-les, pour un corps électoral de 12.7 millions de salariés, alors que celui des élections prud’ho-males compte 18.6 millions de personnes, in-cluant les salariés n’ayant pas accès aux élec-tions professionnelles et les chômeurs.

Ainsi 5.9 millions de personnes n’auraient plus voix au chapitre ! Ce système consisterait à remplacer les conseillers prud’hommes élus au suffrage uni-versel, par des assesseurs (assistants) auprès d’un juge professionnel. Ainsi, le droit du travail redeviendrait une affaire de spécialistes, pour laquelle les juges prud’homaux ne seraient plus compétents. Les employeurs seraient soulagés de ne plus avoir à se confronter à des défen-seurs syndicaux connaissant bien le monde du travail, et capables de faire respecter les droits des salariés.

N’oublions pas que les femmes ont obte-nu, dans le cadre de cette élection, le droit de vote en 1907, et leur éligibili-té aux Prud’hommes en 1908, bien avant le vote politique issu de la résistance en 1945. Quant aux étrangers, ils l’ac-quièrent en 1982. Porteurs de l’héritage de ces précurseurs que furent les ou-vrières et ouvriers de la soie mais aussi

d’autres corporations, il nous faut prendre la mesure de l’atteinte à la démocratie que repré-senterait la suppression des élections aux conseils des prud’hommes. En cette année 2014, date anniversaire des ré-voltes canuses et ouvrières de 1834 où la démocratie et la République avaient rejoint les revendications salariales, nous nous devions d’informer nos lecteurs de ce funeste projet. Textes croisés de Roger Gay, Secrétaire général de l’Institut CGT d’Histoire Sociale Rhône-Alpes et de Bernard Augier, Membre CGT du conseil supérieur de la Prud’homie, président du CPH de Lyon.

Les Prud’hommes au placard ?

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N ous avions publié dans la gazette n° 17, un texte intitulé « Quand les maçons limousins bâtissaient la rue de la Ré », issu d’une conférence de J.L. de Ochandiano. Aujourd-’hui, nous rencontrons Aymen, grutier pro-fessionnel, employé à la construction d’un

immeuble situé à la Croix-Rousse. Il a accepté de répondre à nos questions. Nous l’en remercions. Qu’est ce qui vous a conduit à faire ce travail ? Mon père et l’un de mes frères travaillent dans le bâtiment, l’autre est ingénieur. Ca m’a attiré, mais je ne voulais pas travailler dans le béton. J’ai d’abord travaillé dans un laboratoire comme laborantin de 2004 à 2008, mais je n’étais pas content de mon salaire de 1600 €. Alors je suis rentré dans le bâtiment, d’abord en intérim, puis chez MG construction. En quoi consiste-t-il et quelles sont vos responsabilités ? Je suis le chef d’orchestre, c’est moi qui donne le ton dans l’avancement du chantier. Je sais ce qu’il faut faire, on en parle ensemble à midi, on regarde les plans. Les ouvriers doivent connaître les gestes appro-priés (mime d’une rotation du bras droit levé, signe de monter la charge et du bras baissé pour la descendre). Dans la cabine, il y a un tableau de bord, deux manettes, le moufle* et un afficheur. Qu’est-ce que vous transpor-tez ? Beaucoup de choses, les banches, les étais, les poutrelles, les plaques de coffrage, les treillis soudés, la benne à béton… Tout ce que vous trouvez sur un chantier est trans-porté par la grue. Quelle est votre formation ? J’ai fait trois semaines de formation pour avoir le CACES ou certificat d’aptitude à la conduite en sécurité, mais pour de-venir un bon grutier, cela demande beaucoup d’expérience ! En plus de ce métier, j’ai passé l’an dernier un BTS Bâtiment à La Martinière par le biais du CIF, congé individuel de for-mation payé par le Fongecif Rhône-Alpes. Cette formation n’a rien à voir avec le métier de grutier, mais ce BTS va me permettre de faire autre chose, notam-ment assistant de conducteur de travaux. Quelles sont les contraintes de votre métier ? Quand il y a un accident, en matière de sécurité, c’est tou-jours le grutier qui a tort, systématiquement. Il faut faire très attention. Du côté physique, le médecin a diagnostiqué un début de cyphose, due au fait que je suis de grande taille et surtout à ma position, où je dois toujours être penché en avant pour voir en bas. Pour corriger cette position, il a fallu que je me muscle le dos en pratiquant la natation.

Et les bons côtés ? J’aime la solitude, l’indépendance. Là c’est une grue toute neuve. La cabine est climatisée. Nous avons de bons équipe-ments et je suis toujours à l’abri, comparé à mes collègues qui se trouvent sur le chantier. Avez-vous le sentiment de faire partie d’une équipe ? Oui, il y a une bonne ambiance. On s’entend bien avec le chef de chantier, avec les portugais, les magrébins et les français, que ce soit en CDI ou en intérim. Le chef de chan-tier me donne tous les matins les instructions du travail pour

la journée. Ici il y a beaucoup d’entreprises qui occupent le chantier chacune à leur tour. A la fin du chantier, on fait un bon barbecue. Y-a-t-il des dangers dans vo-tre profession ? Oui, comme les échelles sont droites**, c’est plus dur à mon-ter alors que les plus grosses grues ont des échelles inclinées. Il faut faire attention à la prise au vent lorsqu’il y a des rafales de 50 km/h et je ne dois pas porter de banches (lourds pan-neaux en métal qui servent de moules pour couler le béton d’un mur) à partir de 72 km/h et de toute façon, la grue s’arrête de fonctionner. Elle est équipée de nombreux capteurs qui permet-tent la bonne utilisation de la grue, assurant sa sécurité. Par exemple, le tableau de bord m’indique tout ce que je lève. Est-ce que ce métier vous plait ? Avez-vous un autre projet professionnel ? Oui, le métier me plaît mais il n’y a pas d’avenir, c'est-à-dire pas de progression possible. Mon

projet, c’est de devenir conducteur de travaux : il s’occupe de l’administration, de l’avancement du chantier, des pape-rasses et dirige les chefs de chantier. J’ai déjà fait un stage d’assistant, mais dans le bâtiment l’expérience est impor-tante. Pouvez-vous nous dire votre salaire actuel ? Oui, 2200 € net pour 39 h par semaine. Que souhaitez-vous dire aux lecteurs de L’Esprit Ca-nut ? Bonne lecture ! * Le moufle est un dispositif de transmission du palan, composé de plusieurs poulies, qui sert à démultiplier l’effort de traction pour lever une charge. ** Une centaine d’échelons à monter et à descendre 4 fois par jour.

Un grutier par-dessus les toits

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C ouleurs et lumières fusionnent à l’angle de la rue de Nuits et de la rue de Belfort, à l’atelier de Marion Rusconi. Cette jeune vitrailliste a repris, en avril 2013, les activités de créa-tion et de restauration de vitraux installées en ces lieux depuis 10 ans. Si le vitrail garde une image traditionnelle à caractère religieux,

cette jeune artiste nous fait découvrir une ouverture passionnante sur des ex-pressions contemporaines dans le travail du verre. La fonction du vitrail évolue vers la décoration intérieure, la mise en lumière de pièces et de couloirs obscurs chez des particuliers. Les copropriétés aussi s’a-dressent à Marion Rusconi pour rénover des impostes de portes d’allées ou pour apporter une note originale à l’habitat. Si la technique ancestrale du travail au plomb perdure, on utilise aujourd’hui une gamme de verres aux textures diversifiées : verres imprimés, martelés, transpa-rents, translucides ou opaques. Le « fusing », superposition de verres teintés dans la masse crée des effets de reliefs spectaculaires. Dans le style « Tiffany », le plomb est remplacé par un ruban de cuivre entou-rant chaque pièce de verre, puis soudé à l’étain. La réalisation gagne ainsi en finesse et en légèreté. Marion Rusconi, en plus de ses commandes publiques ou privées, organise des stages de découverte et de réalisation de vitraux contemporains. Laissez-vous vous séduire par le charme du verre sublimant les couleurs et la lumière. Promeneur, n’hésitez pas à franchir le seuil du : 17 rue de nuits (Lyon 4e).

Dominique

« Le chant du diamant »

L'Esprit Canut fête ses 10 ans !

Une tombola, une vitrine, une expo et un bulletin d’adhésion…

Nous organisons à cette occasion une tombola pour financer notre projet. Merci pour vo-tre participation.

Du 19 au 31 mai 2014 : La librairie « Vivement Dimanche » (rue du Chariot d’Or) nous ouvre sa vitrine. Du 26 au 31 mai 2014 : Exposition racontant les 10 ans de l’Esprit Canut - Mairie 4e.

Vernissage le 27 mai à 18h30

���� 10 ans d’association, c’est le moment de nous aider à

réaliser notre projet, rejoignez l’Esprit Canut !

Bulletin d’adhésion à retourner avec un chèque de 18 € à : L’Esprit Canut - Maison des Associations - 28, rue Denfert Rochereau, 69004 Lyon Nom/prénom : Adresse : Tel/mail :