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ATTRAPE-MOI Virginia López Peñalver – Dilbeek – 9-3-2013. 1. Des traces. Je cherche des traces. J’ai parcouru deux mètres sur la partie entre bétonnée et herbeuse, courbée en deux ou accroupie. Bonjour les crampes ! Nous sommes dans une partie d’un grand hangar miteux dans une partie de la capitale de l’Europe. L’endroit idéal pour un prochain terrain à bâtir qui parachèvera la laideur de la ville et engraissera les comptes en banques et autres portefeuilles des mêmes de toujours. Au passage, il y aura du boulot pour les petits comptes-en banque, une manière comme une autre de mieux faire passer la pilule pour les millions qu’empocheront les malins habituels de la finance. Peu importe ! Ce n’est pas comme si c’était nouveau dans le panorama historique, économique et social. Brenton est debout à deux mètres de moi. Il croque une pomme. C’est mon collègue. On bosse sur des affaires criminelles soit pour la police, soit pour l’armée, soit pour des particuliers. On a le choix et on ne s’en prive pas. C’est un partenaire de valeur, même s’il est… bizarre. Enfin plus que moi, je suppose. Quand on a commencé à l’agence tous les deux sous la houlette de notre mentor, Béranger, décédé depuis deux ans, je ne l’ai pas apprécié. Il a des manies. Il fume deux clopes, puis croque lentement une pomme. Je ne 1

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ATTRAPE-MOI Virginia López Peñalver – Dilbeek – 9-3-2013.

1.Des traces. Je cherche des traces. J’ai parcouru deux mètres sur la partie entre bétonnée et

herbeuse, courbée en deux ou accroupie. Bonjour les crampes ! Nous sommes dans une partie d’un grand hangar miteux dans une partie de la capitale de l’Europe. L’endroit idéal pour un prochain terrain à bâtir qui parachèvera la laideur de la ville et engraissera les comptes en banques et autres portefeuilles des mêmes de toujours. Au passage, il y aura du boulot pour les petits comptes-en banque, une manière comme une autre de mieux faire passer la pilule pour les millions qu’empocheront les malins habituels de la finance. Peu importe ! Ce n’est pas comme si c’était nouveau dans le panorama historique, économique et social.

Brenton est debout à deux mètres de moi. Il croque une pomme. C’est mon collègue. On bosse sur des affaires criminelles soit pour la police, soit pour l’armée, soit pour des particuliers. On a le choix et on ne s’en prive pas. C’est un partenaire de valeur, même s’il est… bizarre. Enfin plus que moi, je suppose. Quand on a commencé à l’agence tous les deux sous la houlette de notre mentor, Béranger, décédé depuis deux ans, je ne l’ai pas apprécié. Il a des manies. Il fume deux clopes, puis croque lentement une pomme. Je ne sais pas où il les mets, mais un moment il écrase sa clope, l’autre il croque une pomme. Rouge, verte, jaune, il n’a pas de préférence. Je lui ai demandé pourquoi une pomme. Il m’a répondu texto.

- Adam a eu raison de croquer la pomme qu’Eve lui a proposée. Ça nous a rendus moins bête.

Je n’ai plus jamais posé de question perso. Ce qui ne veut pas dire que je ne sache rien sur lui et ses particularités. C’est d’ailleurs réciproque. L’agence est à mon nom, Béranger l’a décidé ainsi. Comme Brenton a contribué autant que moi au développement de celle-ci, j’ai décidé, après infos auprès de qui de droit, d’en faire mon partenaire à 50%. Juste retour des choses. J’imagine que Béranger avait prévu cela, puisque son testament me laissait entière latitude pour ce cas de figure. Un malin ce Béranger, mais plus encore un père pour moi, celui que j’aurais dû avoir, mais que je n’ai jamais eu.

J’ai avancé d’un mètre supplémentaire. Je sens ici la trace plus ténue. Je vais la perdre, comme toujours. Il est venu ici, je le sens, mais je ne peux pas le démontrer. Comme d’hab. Le petit son de la

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pomme croquée est si habituel que je ne fais plus attention. Le jour où il ne sera pas en périphérie de mon audition, il me manquera sûrement. A quoi s’attache-t-on !

- Tu as bientôt fini ? Pernel nous attends dans vingt minutes…- Mm ! Ça ne me motive pas du tout…- Ouais ! Mais il sera là quand même.

Croc, croc, croc… Il va bientôt arriver au trognon qu’il mange aussi. L’expression « jusqu’au trognon » n’est pas d’actualité avec Brenton. J’ai perdu la trace.

- Tu l’as perdue.- Mm ! Allons-y !

Il est prêt de moi à une vitesse hallucinante. Je ne m’habitue jamais à ces déplacements si véloces et si silencieux, mais je ne me plains pas. Il m’a sauvé la mise plus d’une fois. Presque réciproque. Je suis nettement plus lente, sauf aux armes à feu. Je tire aussi vite que mon ombre, Lucky Luke n’est pas le seul. Ça ou il me laisse être meilleure que lui. Il a des manières un tantinet d’un autre temps, des fois. Je glisse un regard sur lui. Il a son éternelle veste en cuir totalement démodée, mais pratique en moto, engin impressionnant qu’il manie comme un dingue ou un fou du guidon, ce qui revient au même. Son pantalon en cuir est une incitation à la luxure ni plus ni moins. Et ce qu’il y a en-dessous est un pousse au viol clair et définitif. Il porte des cheveux longs à hauteur d’épaules, aile de corbeaux, épais et soyeux qu’il retient en une queue de cheval informelle. Sa taille est d’un mètre nonante-quatre. Bien supérieure à la mienne d’un mètre septante, tout juste. Il a un visage impassible, d’une beauté sereine qui fait toujours mouche tant auprès des femmes que des hommes. Ses pupilles sont d’un vert très clair avec un anneau bleu-vert autour plus foncés et un iris plus noir qu’un trou noir. Le tout donne un regard étrange qui dérange et attire tout autant. Il a une bouche sensuelle, aux lèvres pleines et des fossettes qui n’apparaissent que lorsqu’il sourit et il ne sourit pratiquement jamais. Son nez est harmonieux, de ceux qu’on pourrait dire patricien, mais avec du caractère. Il est indéniablement parfait. Il est aussi une énigme ambulante. Un jour, je finirai par le décoder. La réciproque n’est pas vraie, il m’a percée à jour depuis longtemps. 1/0,5 !

Il me précède pour m’ouvrir la portière. Je ne réagis même plus. Il a les manières d’un temps qui n’est pas encore totalement révolu, la preuve ! La voiture aux vitres teintées est un break passe-partout d’une marque très connue et très diffusée parmi la population. Un gage de discrétion dans notre métier. Il prend place au volant. Ses mains sont grandes, doigts fins et musclés, harmonieuses et très agiles.

- On sera en retard…- Ah oui ! C’est navrant…

Il a un demi-sourire en me regardant, puis chausse ses lunettes noires. Je regarde par la vitre le hangar miteux qui ne tardera pas à être démoli, l’espace autour totalement soumis à la loi des éléments et de la corrosion du temps. Encore une piste qui me conduit au même cul de sac que d’habitude.

- Il joue avec toi.- Mm ! Je finirai par le faire aussi jouer, un jour, mais sur mon terrain.- Si tu le dis…- J’apprécie ton vote de confiance…

Il a un bref sourire. La fossette apparaît légèrement. Je soupire. Il a un profil digne d’une statue grecque. Et lui, jouera-t-il un jour avec moi ? Et si oui, sur quel terrain ? Le mien ou le sien ?

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Pernel est un crétin de presque deux mètres de haut, avec un très petit bedon de buveur de bière, sauf qu’il n’en boit jamais car il déteste cela, des muscles cyclopéens, un visage très avenant, un humour à gerber, une condition physique plus que salutaire et un sourire à damner saintes et saints tout azimut. Il se sape comme un vrai inspecteur de police, ce qu’il est par ailleurs. Seule concession à une sorte de coquetterie un peu canaille, une veste en cuir noir très usée et qui aurait pas mal de choses à raconter si on savait comment la confesser.

Quand nous arrivons, il est assis à califourchon sur une chaise en lisant un dossier qui est évidemment confidentiel. Je ne suis pas surprise qu’il soit assis sur une des chaises pour les clients, la dernière et unique fois où il s’est assis sur ma chaise ergonomique de mon bureau, je l’ai viré en le faisant passer par-dessus ma tête jusqu’au centre de ma table. Mon physique est trompeur. Je ne le crie pas sur tous les toits. Après le premier moment de surprise passé et la boule de rage ravalée et digérée face à l’humiliation vécue, il se l’est tenu pour dit. Depuis lors, on a une sorte de rapport distant et cordial. Pure façade. Ça me va ! Ce n’est pas comme si on avait gardé les cochons ensemble.

- Pernel…- Cosanta…

Il referme avec componction le dossier et le place sur le coin de la table où il risque de s’écrouler à n’importe quel moment. Con !

- Brenton…

Brenton salue de la tête et se poste contre le mur non loin de la porte dans une attitude habituelle. Il tient tout l’espace autour de lui à l’œil. C’est un gardien assez surprenant.

- Vous êtes en retard…- Mm… Du nouveau ?- Deux cas.

Il sort un stick USB de sa poche et le dépose sur le bord de la table non loin du dossier. Pernel n’écrit jamais sur papier. Il trouve cela une perte de temps alors que la technologie peut lui apporter plus d’efficacité. Je fais de même, mais j’ai toujours un dossier papier, au cas où. La plus fiable des technologies peu devenir la moins fiable à un moment donné ou à un autre. Je hoche la tête. Je sais que les deux cas seront très documentés dans la mesure de ses possibilités. S’il n’a pas pu résoudre ceux-ci, il nous les refile. A charge de revanche. Béranger avait créé ce système de trocs pros. C’est intéressant, même si la frustration est toujours à l’honneur. Je regarde Pernel qui me parcourt des yeux nonchalamment. Ce n’est pas un mystère qu’il veut me baiser. Ce n’en est pas un autre qu’il peut toujours courir. Ça ne l’empêche pas de continuer à me considérer comme un bon choix de plan baise. Grand bien lui fasse ! Pernel soupire.

- OK ! Deux choses qu’il n’y a pas dans les dossiers…- Deux choses par dossier ou deux choses pour les deux dossiers ?

Pernel tourne les yeux vers Brenton qui a sorti un cure-dent et le fait passer d’une commissure de lèvre à l’autre.

- Deux choses par dossier…- Quatre choses, alors…- Oui ! Quatre choses…

Brenton hoche la tête apparemment satisfait. Pernel reporte son regard clair sur moi.

- Dans le cas de la jeune fille, elle a un amoureux qui n’est pas connu de la famille et des amis, Pierre Dont. Elle passait plus de temps hors de ses cours d’unif que dedans. Emploi du temps inconnu. Dans le cas de l’homme d’affaires, il a deux maîtresses « officieuses » en sus de

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celle « officielle »  et connue de sa famille et de la plupart de ses amis. Il passait un certain temps dans une salle de cinéma de Bruxelles Centre tous les mardis et les jeudis à la première séance débutant à 11 heures trente, alors que tous le croyaient au boulot.

- Un genre de film en particulier ?- Non, Brenton ! Il semble avoir eu des goûts éclectiques en la matière.

Pernel regarde fixement Brenton. Ce dernier lui renvoi un regard neutre. Je sais que Pernel le méprise sans le montrer ouvertement. Je le comprends. Brenton est une énigme qui peut se transformer en une grenade dégoupillée.

- Autre choses sur ces cas ?- Tout est dans le stick.

J’hoche la tête. J’attends la suite. Un truc que Béranger m’avait appris, laisser venir les autres, éviter si possible de faire le premier pas. Des gens comme Pernel le voient comme une faiblesse qu’ils peuvent exploiter. Pernel soupire en tapant sèchement sur le plateau de la table en bois patiné.

- Je ne sais pas pourquoi je m’emmerde à venir vous voir…- Un certain traité signé de part et d’autre ?- Sympa de me le rappeler, Brenton ! J’ai peut-être une piste pour toi, Cosanta. Trois jeunes, la

vingtaine, chopés vraisemblablement à la sortir d’une Rave Party en pleine cambrousse. Ils étaient très affaiblis et tenaient des propos incohérents.

- Pas de casier ?- Oui. C’est ce qui m’a mis la puce à l’oreille. L’un a usé « la pilule du viol » sur trois jeunes

filles lors de soirées semi-privées. Il a eu une condamnation de travaux publics, voilà trois ans, avant sa majorité. Il semble se tenir à carreaux, mais il y a deux plaintes ces six derniers mois du même délit. Les preuves ne sont pas contondantes, mais il y a suffisamment d’indices pour que l’accusation soit retenue contre lui avec peine de prison à l’appui. Les deux autres ont pas mal de contraventions pour excès de vitesse et prise de substances illicites dans des lieux publics. L’un a le permis retiré. Il a blessé mortellement un piéton. Il a écopé d’une peine de prison d’un an. L’autre n’a pas commis encore d’infraction fortement pénalisée, mais il est sur le chemin. Il est néanmoins suspecté de violence verbale et physique sur un membre de sa famille. Malheureusement les charges ont été abandonnées.

Je regarde mes mains. Je suis presque certaine que c’est une piste.

- Dans quel état étaient-ils ?- Très affaiblis comme si on leur avait ponctionné une grande quantité de sang, mais sans que

cela devienne mortellement dangereux. Les propos qu’ils tenaient étaient des plus étranges, on a pensé qu’ils avaient absorbé des substances hallucinogènes, même si l’étude pharmacologique n’a trouvé aucune trace à ce sujet.

- Où étaient-ils ?- A moins de cent mètres de la principale sortie du hangar qui servait pour la rave party. Il

semble aussi qu’ils aient été soustraits à la masse des gens qui sortaient à la fin de la soirée. Cela m’a aussi attiré l’attention.

- Oui. Cela semble le même modus operandi. Sortir des personnes de foules, de soirées…- Je ne comprends pas ce raisonnement.- Très simple. La foule n’est jamais compacte. Chaque personne ou groupuscule qui la constitue

suis son propre mouvement sans se préoccuper des autres, trop absorbé par le besoin de quitter la masse. Dans ce cas-là, si une personne décide de faire un mouvement, il peut le faire en toute impunité, sans que quiconque s’inquiète de ce qui se passe. Si on décide d’enlever une personne solitaire, cela risque d’attirer l’attention.

- Moui ! On est jamais plus seul qu’entourés ?- Quelque chose comme cela !

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- Moui ! Ça se tient, sauf que… je ne peux pas m’empêcher de trouver ça scabreux. Bon ! J’ai mis les renseignements utiles de cette autre affaire sur le stick.

Pernel se relève lentement. Il fait un salut global et sort. La porte d’entrée se ferme doucement. Je prends le stick entre mes doigts nerveux.

- C’est lui.- Tout semble l’indiquer. - Mm ! Demain nous allons au cinéma.

Brenton a un demi-sourire, une grande marque d’allégresse de sa part.

3.Nous avons acheté un ticket de cinéma. L’édifice situé en plein cœur de Bruxelles est un

complexe intéressant qui allie le moderne structural architectural de verrières et de métal avec des salles toujours aussi accueillantes, grâce à ce mélange de vieillot décoratif et d’installations audio-visuelles high-tech dernier cri. L’attitude de Brenton me surprend. Il regarde tout avec émerveillement et étonnement. Je lui lance un regard, genre : «  Tu fais quoi là ? On a un boulot à faire, tu percutes ? ». Auquel il ne me répond rien, puisqu’il a les yeux qui frétillent littéralement de bonheur. Je finis par lui envoyer un coup de coude dans le bras. Il me regarde, les yeux papillonnants et un sourire niais sur le visage. Génial ! J’ai enfin trouvé le défaut de la cuirasse : il suffit d’amener le grand Flegmatique au ciné, il devient tout chose ! Je siffle entre les dents.

- C’est pas bientôt fini…- Je crois que ce n’est qu’un début. J’ai le coup de foudre !

OK ! Le vilain méchant flippant est devenu dingo ! Ma veine. Nous arrivons devant la salle dans laquelle Berry Clijstens venait passer tous les mardis et les jeudis. Celle qui est à l’entrée pour prendre nos tickets est la même qui le faisait quand notre assassiné venait ici. Heure de poser les bonnes questions. J’ouvre la bouche, mais…

- Ah ! Je n’avais jamais vu un tel endroit ! C’est superbe ! Vous avez de la chance de travailler ici, Mademoiselle…

Je regarde fixement mon acolyte. Brenton est devenu fou ou quoi ?

- C’est vrai ! Et en plus on rencontre aussi des gens formidables…- Je pense bien ! Et je suis certain que beaucoup reviennent rien que pour vous voir…- Oh ! Pas tellement ! C’est vrai que j’aime bavarder un peu, surtout le matin où il y a peu de

spectateurs. J’ai même quelques personnes qui sont très réguliers…- Ah bon ! Des amants de la toile…- Oui ! Exactement cela. J’ai un monsieur très sympa qui vient les mardis et les jeudis et qui

s’assoit toujours à la même place. On en plaisante quelquefois. Je lui dis toujours : « vous avez un ticket avec ce siège, c’est certain ! » et on rit beaucoup.

Brenton a un rire complice qui rejoint le rire un peu haut perché et gouailleur de la jeune femme. Je regarde Brenton et je suis mystifiée. Depuis quand a-t-il un rire si sexy et si communicatif ?

- Un homme d’habitude…- Oui. Mais entrez maintenant, la séance va commencer. Il n’y a pas beaucoup de spectateurs

aujourd’hui. Vous pouvez vous asseoir où vous voulez…

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- A la même place que votre habitué…- Ah ! Je vois que vous aussi vous voulez avoir un ticket, hein…

Et re-topo du même rire complice. Elle nous précède pour nous amener à la rangée - au deux-tiers des rangées de la salle - où s’asseyait notre défunt en nous indiquant le siège. D’autres spectateurs arrivent alors. La jeune femme nous souhaite une bonne séance et se dirige vers l’entrée tout en riant doucement. Nous nous asseyons sur deux sièges qui pourraient être l’un de ceux dans lequel Clijstens s’asseyait. Les lumières s’éteignent doucement. La séance commence avec sa litanie habituelle de spots publicitaires. Je prends mes aises. Je jette un regard par-dessus mon épaule.

- Relax, chef ! Il n’y a que sept personnes, dont deux couples qui ont choisi des sièges discrets dans des coins bien sombres pour unir un petit désir vite fait, bien fait ! Quant aux trois autres ils sont à bonne distance devant nous, prêts pour engloutir leur lunch ! Nous pouvons agir tranquillement.

Je soupire profondément. Je ne vais rien demander.

- Mm !

Le film commence. Un navet catégorie Z avec effets spéciaux super spécieux pour entourer une histoire glauque et insipide où des scènes de sexe relativement chaudasses ponctuent efficacement les scènes d’action. Brenton se carre dans le siège et je vois le même sourire niais fendre son visage habituellement hiératique. Il se tourne vers moi. Ses yeux luisent doucement.

- Relax ! La magie de la toile est la meilleure pour se détendre.

Je soupire encore plus.

- Fais ça ! Je vais inspecter nos sièges…- Mm !

Durant les minutes qui suivent, j’inspecte les sièges, les nôtres et ceux qui sont autour de nous sans rien trouver à part des chewing-gums collés un peu partout sous ceux-ci ou sur les côtés. Au septième siège de mon côté, je passe ma main sous le siège et… Bingo ! Une sorte d’enveloppe plastifiée est refermée avec quelque chose dedans. Je tâtonne pour agripper l’ouverture. Je finis par la trouver et tire dessus. C’est une sorte de scratch facile à ouvrir. Je passe ma main dans l’ouverture et en extrait une enveloppe. Je la retire prestement et la glisse dans la poche intérieure de ma veste. Je rampe silencieusement jusqu’à mon siège. Je m’y assois agilement. Brenton me jette à peine un regard avant de revenir à la fascination que semble lui procurer l’écran. Je soupire encore. Tant qu’à faire…

Brenton ne dit rien depuis notre sortie du cinéma. Il a encore un peu plaisanté avec la jeune femme, l’ouvreuse. J’ai pensé qu’il la draguait, mais Brenton n’est pas vraiment le genre type. Du moins, je ne l’ai jamais vu faire ce genre de numéro depuis que je le connais. Pendant un certain temps, j’ai même cru qu’il était asexué, jusqu’à ce que je l’aie vu avec une femme dans une attitude qui ne laissait aucun doute sur leur lien. Béranger m’avait bien dit de me méfier des eaux dormantes. Il parlait de Brenton, mais je n’ai jamais su avec certitude ce qu’il voulait dire par là. Nous roulons depuis dix minutes. Je n’arrive pas à dire quelque chose d’utile ou d’approprié. Je me sens déboussolée. Si Brenton n’est plus Brenton, alors qui est-il et qui a-t-il été ces deux dernières années ? Je lui jette un regard de côté.

- Tu ne vas jamais au cinéma ?- C’était la première fois.- Non ! - Oui.- Ben… tu as manqué quelque chose…

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- Oui. Mais il n’est jamais trop tard pour y remédier…- Oui… Waouh ! Impressionnant !- Oui. Tu peux me donner l’enveloppe si tu veux… ou nous attendons d’être au bureau ?

J’ouvre la bouche. Comment… Non ! Je reviens sur ma question. Brenton est Brenton, même quand il ne semble pas être Brenton ! Je sors l’enveloppe de la poche intérieure et la lui passe. Il la prend. Je ne regarde pas ce qu’il fait. Je le sais. Il va la tenir entre ses mains durant quelques minutes pour la sonder et la « scanner » mentalement. La première fois qu’il a fait cela avec un coffre que nous devions ouvrir, je lui ai posé la question du pourquoi il faisait cela. La réponse fut :

- Nos autres perceptions nous donnent d’autres réponses qui peuvent faire la différence au moment de comprendre des faits !

J’avais juste répondu : Mm ! Et je le laisse faire depuis.

4.J’ai tourné l’enveloppe entre mes doigts. Je l’ai respiré. Une odeur de poussière rance. Plus

très neuve, non plus. Elle a souvent été utilisée. Je suppose que les empreintes qui seront dessus nous donneront quelques pistes. Plutôt à Pernel. J’ouvre le revers et regarde dedans. Brenton est assis sur une chaise pivotante, les mains croisées derrière la nuque. Il glisse de gauche à droite et de droite à gauche. Il fait ça tout le temps. Un jour, au début de notre collaboration, je lui ai demandé pourquoi il faisait toujours ça. Il m’a répondu.

- Cela me remet les idées en place.

Je n’ai pas demandé de précisions. J’avais déjà compris que cela ne servait à rien. J’ai sorti de l’enveloppe une feuille pliée en un carré parfait. J’ai déplié précautionneusement celle-ci. J’ai froncé les lèvres. Sans un mot, j’ai lancé la feuille à Brenton qui s’en est saisi au vol. Il l’a porté à ses narines et a inspiré fortement en plissant les yeux.

- Parfum de femme… pas très classieux, plutôt une eau de parfum bon marché.

Il a regardé ce qu’il y a d’écrit dessus.

- Lettres bien calligraphiées, soignées, sans fautes d’orthographe. Plus qu’une secrétaire ou alors de direction. Les lignes sont droites… mm ! L’encre est celle d’un stylo. Mont-Blanc. Un cadeau de fin d’études un peu désuet… sans doute d’une famille qui a acquis récemment une certaine fortune, sans jamais devenir des parvenus. Délit d’initié.

- Comment cela ?

Je me suis rapprochée de lui pour regarder le feuillet, sans rien comprendre de plus qu’à la première vision.

- Ici et là… ce sont des informations boursières qui ne sont pas encore connues par la Bourse. Celle qui lui proportionnait ces informations est indirectement responsable du crime dont a été victime Clijtens. Autant pour la théorie de Pernel d’un crime passionnel.

- OK ! Et la dame en question ne risque pas d’être assassinée à son tour ?- Pernel nous a lancé sur la piste Clijtens, pas sur les autres. - Mm ! Comme d’hab ! Avec un peu de chances, il fera le nécessaire pour la dame !- Oui.

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Je place la lettre et son enveloppe dans un sac approprié à l’attention de Pernel. Nous la lui déposerons dans une consigne que nous utilisons pour l’occasion. Tout le monde y trouve son compte, jusqu’à maintenant. Je ne me soucie pas de lui faire un rapport. Moins il y a de traces écrites, mieux c’est pour lui et pour nous. Je retire mes gants en latex avec un clap sonore. Brenton ne laisse jamais d’empreintes. Il en a de la chance !

- Affaire classée ! Pour l’autre cas…

Je prends le dossier. Je l’ai compulsé en diagonale une première fois et ensuite en m’attardant sur certaines données plus spécifiquement.

- Evelyn VanPutten… Apparemment une jeune fille bien sous tous rapports, bien élevée, famille très aisée, sans histoire, pas même une contravention… le fait de ne pas conduire aide à cela…

A ma vanne, Brenton a un sourire genre Félix le Chat! J’assume !

- … années scolaires potables, diplôme en poche avec mention satisfaisant, études universitaires en sociologie. Bien vue de ses amis et de sa famille, relativement clean dans sa manière de faire, à part ce Dont, petite ami secret dont on ne sait pas grand-chose, sauf qu’il est mécanicien dans un garage, niveau scolaire basique, pas très déluré, plutôt beau gosse, d’après la photo adjointe au dossier et sans casier judiciaire. Il est raisonnablement mauvais garçon, surtout aux yeux d’une petite fille gâtée par ses parents et sa famille. En résumé, rien qui permet de dire qu’elle avait une double vie dissolue qui l’a amenée tout droit à la morgue.

- Apparemment. Dont est apparu à l’enterrement et il semble avoir été accepté par la famille.- Très bien ! Dans le malheur on se serre les coudes ! Quoi qu’assez soupçonneux comme volte-

face. - Pernel a fait le nécessaire et on peut lui faire confiance. Dont et les parents sont cleans !- Oui. Pourtant elle est bien à la morgue, tuée par strangulation avec un fil de nylon.- Oui. Un travail de pro !

En réunissant tous les éléments, quelque chose nous échappe, mais la question est quoi ? Elle a été retrouvée sur le campus, près d’une toilette dans un couloir peu fréquenté par la masse estudiantine. Elle était à demi occultée dans un coude d’un couloir qui menait directement à deux salles d’archives et un débarras que n’utilisent que les employés de la maintenance. Vraisemblablement elle a été mise là à cause de la discrétion des lieux. Mais si ce n’était pas le cas ?

- Je crois qu’une petite visite à deux salles d’archives et au débarras pleins de produits d’entretien n’attendent plus que nous.

5.- T’as fait des études universitaires ?- J’ai fait trois carrières…- J’aurais dû m’en douter, Brenton ! A voir comment enfle ta tête à certains moments, rien

d’étonnant.

Je roule sur l’autoroute. Je n’ai pas la patience d’aller par le centre-ville et sa continuation. L’heure de pointe est devenue constante, ce qui rend les trajets en ville de plus en plus énervants. Effet secondaire des capitales, même d’une de dimension restreinte comme l’est la capitale de l’Europe. Mais il ne faut pas se désespérer, la capitale finira bien par s’étendre et s’étendre et s’étendre encore jusqu’à ne plus avoir de périphérie, mais bien une bonne partie du pays. Je ne suis pas pressée de voir un tel phénomène urbanistique avoir lieu. Nous sortons de l’autoroute et entrons dans la commune. Ixelles.

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Pas mal. Pas ma préférée. Je n’en ai aucune, d’ailleurs. Nous arrivons au Campus. Jour de semaine. Cohorte d’étudiants, de profs et de multitude indéfinie. Ça grouille de partout et ce n’est pas désagréable. Je me parque entre deux grosses berlines. La mienne est un chouïa plus grosse, ce qui m’emplit d’un plaisir idiot. Brenton me sourit de travers. Il me connaît trop bien, moi sûrement pas assez. Nous descendons. Je prends mon sac de sport qui se trouve à l’arrière. On aura besoin de certains de ces instruments. Brenton regarde minutieusement autour de lui derrière ses lunettes de soleil noir d’encre. Il a les yeux terriblement sensibles à la lumière grisâtre qui est l’apanage de la Belgique. Sa veste en cuir détone un peu, mais il n’en a cure. Avec son gabarit, peu de personne vient lui souffler dans le nez. Il sort une pomme rouge vif de sa poche. Il la frotte délicatement du bout des doigts, la rendant encore plus brillante, puis mord à pleine dent. Le petit « croc-croc » rythme nos pas. Certaines personnes se retournent sur lui en passant à ses côtés. Il ne passe jamais inaperçu, sauf s’il le désire. Je me demande quelquefois s’il ne le fait pas exprès. Son air énigmatique n’est pas une façade. Il l’est vraiment.

Nous arrivons dans la Faculté de Philosophie et Lettres. Si je n’avais pas étudié le plan au préalable, j’aurais pu refaire un parcours genre « Ariane dans le labyrinthe », mais sans son fil. Brenton engloutit le trognon. Je ne sais pas comment il fait. Je ne veux d’ailleurs pas le savoir. Nous arrivons dans le couloir situé à l’écart du trafic habituel des étudiants. Ce qu’il y a d’intéressant dans des endroits comme celui-ci, c’est que l’on peut s’y promener en toute impunité. La masse des gens n’empêchera rien. La preuve avec la malheureuse Evelyn VanPutten. Nous sommes devant le débarras. La porte n’est pas fermée à clef et même si c’était le cas, cela ne serait pas un problème. Brenton est le champion toute catégorie pour ouvrir n’importe quoi, porte, fenêtre etc… J’allume le plafonnier. L’odeur des produits détergents est puante. Brenton se tient un peu à l’écart. Ses sens sont extrêmement sensibles et l’odorat plus encore. J’entre. Je passe mon regard partout sans rien détecter de suspect. Tout est rangé scrupuleusement et sans doute répertorié. Je pousse certains articles afin de regarder derrière, mais il n’y a rien. Je regarde Brenton. Il a retiré ses lunettes. Son regard est plus lumineux, un regard fait pour voir dans l’obscurité ou plus profondément. Je fronce les sourcils.

- Une pièce plein de produits d’entretien n’est pas un gage de propreté.- RAS, alors.

Il me sourit en coin. Je referme la porte et l’air devient tout de suite plus respirable. Nous arrivons devant la première pièce d’archives. La porte est fermée. Serrure à code placée au-dessus de l’ancien trou de serrure inutilisable. Sans doute un problème de liquidité dans l’économie de la Faculté qui n’a pas permis de changer de porte. L’apanage de la plupart des organismes ou… Ce lieu n’a pas besoin d’être sauvé d’éventuelles intrusions malveillantes et malvenues ! Un peu des deux, sans doute. Brenton s’accroupit. Il passe un doigt sur le pourtour de la serrure, ensuite sur la serrure elle-même.

- Passe-moi la pince…- La pince ? C’est une serrure à code…

Brenton me fixe du regard en souriant légèrement. Ses yeux ont adopté cette couleur vert claire qui est presque transparente. OK ! Je lui passe la simple pince. Une pince à épiler qu’il a trafiquée. On pourrait croire qu’il aurait le typique arsenal du parfait cambrioleur, mais c’est mal connaître Brenton. Il a conçu ses propres instruments et je suis toujours surprise de voir ce qu’il utilise. Je regarde ses longs doigts minces et musclés s’activer avec dextérité. La pince semble douée d’une vie propre et son contour me paraît changer à mesure que Brenton la manipule. Un petit clic nous avertit de l’ouverture de la serrure. Il pousse sur la clenche. La porte s’ouvre en grinçant légèrement. Le sol nous apparaît. Le sol avec balatum d’un vert cireux laisse apprécier des traces de pas. Les pas de la police. La salle est emplie de bibliothèques métalliques avec des caisses et autres casiers de rangements. Deux tables se font face avec deux chaises placées en vis-à-vis. Il y a une corbeille carrée en métal vert foncé datant des années 1970. Mes parents en avaient une comme celle-là. Brenton se promène entre les étagères métalliques, les mains derrière le dos. De temps en temps, il passe un doigt sur un casier ou une boîte sans s’attarder. Il compte les objets. C’est une sorte de seconde nature chez lui. Il est capable de décrire le contenu d’une pièce par le menu et de dire combien de choses elle contient sans jamais se

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tromper. Un don très particulier, mais pas pour lui. Il s’arrête soudain. Il s’accroupit et me fait signe de le rejoindre.

- Ici.

Je dépose mon sac sur le sol. Je sors une lampe qui donnera une lueur mauve à toute chose. Je chausse des lunettes particulières, une invention de Brenton. Je prends la bouteille en verre avec précaution et la passe à mon acolyte. Il ouvre le bouchon avec lenteur. Le liquide blanc est inodore, mais pas pour Brenton. Je le vois retenir sa respiration. Il dépose quelques gouttes sur le sol. Celles-ci se dirigent directement en dessous de l’étagère. Quelques secondes plus tard, une feuille froissée apparaît. Il la prend avec deux doigts. J’enfile des gants. Je déplie la feuille et la défroisse doucement. Il y a une série de chiffres, des numéros de portables, avec des chiffres qui sont des sommes d’argent. Il y a des initiales avec un poste accolé. Je suppose qu’il s’agit d’une fonction de la personne inscrite sous ses initiales. Il y a aussi des dates. Tout cela ne me dit rien. Sauf qu’il y a un court texte écrit par Evelyn. Je reconnais son écriture. C’est une adepte des prises de notes, ce qui est curieux venant d’une personne aussi jeune éduquée dans le culte de l’ordinateur et des portables. Un atout appréciable en ce qui me concerne. Je lis à voix haute le court texte.

- « Entendu conversation sur un trafic d’influence au sein du Campus. On projette le limogeage pur et simple de quelques profs bien placés et d’autres qui font de l’ombre dans la hiérarchie, mais aussi la décision de détourner des subsides spécifiques pour des comptes personnels. Des dossiers d’élèves vont être remaniés. Affaire à suivre. »

Brenton reste toujours aussi impassible.

- Nous devrions regarder dans l’autre pièce.

C’est ce que nous avons fait après avoir fouillé le restant de la première salle. Nous avons retrouvé trois autres feuilles avec des annotations similaires et le même type de chiffres et d’initiales. Je ne sais pas ce que cela signifie. La théorie du complot m’agace assez. Cependant, Evelyn VanPutten a bien été assassinée. L’a-t-on suivi jusque-là ? Savait-on qu’elle épiait, espionnait ? Nous refermons les pièces avec soin, sans laisser de traces. Nous repartons en sens inverse.

- L’air du Campus est toujours le même.

Je regarde Brenton. Je ne pose pas de question. Il sort une pomme jaune pâle de sa poche. Il croque dedans. Le « croc-croc » est plus ténu. Il aime suçoter la chair plus tendre de cette variété. C’est d’un agaçant, mais aussi si… dépravé. Brenton sourit latéralement. OK ! Il sait toujours comment m’allumer.

6.Nous entrons dans le bureau. Plusieurs enveloppes de futurs cas à traiter étaient dans la grande

boîte aux lettres et sont maintenant en petit tas sur mon bureau. Les affaires à traiter sont toujours aussi nombreuses et les dossiers s’accumulent. La petite Virginia viendra nous donner un coup de main. Une perle ! Elle a un tel sens de l’organisation et de l’ordre que lorsqu’elle repart, tout semble plus simple. Elle étudie encore. Criminologie. Il lui reste deux ans encore, plus sa thèse. Elle veut devenir comme nous, enquêtrice. On ne dit rien ni pour, ni contre. Chacun prend librement ses décisions. Elle est totalement subjuguée par Brenton, platoniquement s’entend. C’est plus de l’ordre de l’idolâtrie. Et moi je suis une sorte de grande sœur qu’elle admire très secrètement. Elle nous regarde avec son regard doux de myope avec une affection et une tendresse qui frisent le côté maternel. Elle dorlote même Brenton qui se laisse faire. Je ne le vois jamais autant sourire et rire que lorsque notre petite organisatrice est là !

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Je dois demander à Madame Dubois de venir nettoyer les locaux. Ils sont limites  cradingues! Brenton se dirige vers la pièce qu’il appelle bureau, mais qui ressemble plus à une sorte de salon. Je suppose qu’il le nomme comme cela à cause de l’immense bureau en bois massif qui s’y trouve. Normalement il squatte mon bureau, arguant qu’il l’inspire. Comme j’y suis la plupart du temps, j’en déduis que je l’inspire aussi. J’aimerais bien savoir quoi, d’ailleurs… mais je n’ai jamais posé la question. Et je sais qu’il le sait. Il n’a pas dit grand-chose ni dans la voiture ni maintenant, mais je sais que ça turbine dans sa tête. Il tapote sur le minuscule clavier de son téléphone, un IPhone dernière génération hyper sophistiqué qu’il a trafiqué à sa convenance. Il téléphone à un de ses contacts. Brenton a toute une série de personnes clefs dans des lieux aussi surprenants qu’improbables. Lorsque je lui ai demandé comment ils connaissaient toutes ces personnes, il m’a répondu.

- Les connaissances s’attirent mutuellement et vont grossir les carnets d’adresses.

Je n’ai pas demandé de précisions. Je me contente d’apprécier la diversité de ses contacts. Il revient après quelques minutes, ces dernières que j’ai consacrées à tourner en rond dans un premier temps, ensuite à lire, sans rien comprendre, le dossier de Pernel sur cette Evelyn VanPutten et enfin à m’écrouler dans le fauteuil délicieusement ergonomique à dossier inclinable à souhait et hors de prix qui m’accueille avec indifférence. Il s’assoit sur la chaise en face de moi et se penche en arrière, se balançant dangereusement sur les deux pattes postérieures.

- Je ne sais pas toi, collègue, mais il y a quelque chose qui n’est pas à sa place dans toute cette histoire.

- J’ai le même sentiment, Cosanta. J’ai pris contact avec d’anciennes connaissances. D’après elle, il n’y a aucune rumeur de manœuvres frauduleuses ou autres dans la Cité Universitaire. Ils sont bien placés pour avoir ce genre d’informations.

- Alors, pourquoi ces trois feuillets et placés là ? Pourquoi…- Elle travaillait pour le service des archives à temps partiels. Cela peut expliquer pourquoi elle

a placé ces documents à ces endroits.- Sous des bibliothèques métalliques ? - Personne n’irait chercher là !- Personne, sauf toi.- Je suis quelqu’un d’unique, Cosanta, tu le sais ! - Mm ! Admettons ! Pourquoi l’éliminer de cette manière. Un pro ne prendrait pas la peine de

s’intéresser à une fille de bonne famille et pas pour une soi-disant « conspiration ». Et rien ne dit qu’elle fréquentait le milieu…

- Apparemment pas…- Tu peux développer tes soupçons et m’en faire part, Brenton, s’il te plaît ?- Tout de suite, chef !

Je soupire avec impatience. En fait, j’ai hâte de partir chercher des traces, même si cela ne me mènera nulle part, mais… j’ai le kif du chasseur ! Mal barre pour moi !

- La thèse de la conspiration est téléphonée. L’heure de la mort est préméditée, moment où il n’y a plus personne dans cette section y compris les techniciens de surface. Les gardiens ne font pas leurs rondes de ce côté-ci à cette heure-là, mais à l’opposée. Un professionnel ne s’occuperait pas d’un possible auditeur lambda.

Brenton se tait. Oui et alors ?

- Et donc ?- Aucun des pros qui utilisent ce moyen d’élimination n’était présent sur le lieu crime.- Un imitateur ?- Tu regardes trop la télévision ! Le crime n’a rien à voir avec le reste.- Le reste ?- Ce que j’ai expliqué avant.

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Je ne comprends plus rien ! Brenton est si hermétique des fois… Il me regarde fixement comme s’il attendait que l’euro tombe, mais pas d’chance, j’entrave que dalle ! Il baisse le regard, sa façon de lever les yeux au ciel !

- Il manque un élément qui permettrait de connaître l’identité ou du moins d’avoir une piste fiable sur l’identité du criminel.

- Impossible ! Pernel n’oserait pas nous faire une entourloupe pareille ! La seule et unique fois qu’il a essayé, après la mort de Béranger, cela lui a coûté bombons !

- Ce n’est pas lui. C’est celle qui l’employait pour le rangement des dossiers et autres informations dans les salles d’archives.

- Attends, tu parles de qui ? Si Pernel n’est pas en cause pour l’élimination de cette information… Non ! Tu veux parler de Mademoiselle…

- …Vanstut.- Je ne vois pas le rapport.

Je feuillette le dossier pour retrouver les informations et autres déclarations de cette demoiselle âgée de soixante-quatre ans. Je relis en diagonale ce qui est écrits et je ne vois toujours pas.

- Je ne vois pas… je donne ma langue au chat…

Brenton me regarde et un demi-sourire s’affiche lentement sur ses lèvres pleines.  Il me regarde avec délectation, les yeux plissés. Il adore que je me plante, exactement comme un chat qui joue avec une souris. Crétin !

- Reprends les listes qu’on a retrouvés aujourd’hui… les initiales…

Je prends les trois feuillets où il y a des chiffres avec des initiales à côté. La rubrique des licenciements et des limogeages et c’est là que je les vois. EV. Elise Vanstut, le chiffre 64 et à côté le « limo » pour limogeage et « lic » pour licenciement avec à côté, « non indem », pas d’indemnité.

- OK ! Supposons qu’elle a vu cette liste et qu’elle a su ce qu’on allait faire avec elle à un an de la retraite, plus ou moins… Je ne vois pas pourquoi elle aurait décidé de tuer Evelyn VanPutten. Ça n’a pas de sens !

- Tu as sauté la liste d’en dessous…

Je lis une série de chiffre et de lettres… Je ne comprends pas bien. «  EVP, Serv. Aide infos, 5000 € » Je relis plusieurs fois. J’essaie de faire cloper les infos que j’ai sous les yeux. Une idée germe, se déploie, se rétracte pour une autre et…

- Tu crois qu’elle était là comme espionne pour…- … les bruits de couloir n’ont rien donné, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a pas un

remaniement qui se prépare en coulisses. - Mais… supposons qu’Evelyn VanPutten aie travaillé pour la personne qui est derrière ce

« remaniement » en fournissant des infos pour savoir qui éjecter et comment… tu t’imagines cette Elise Vanstut de 64 ans…

- … qui fait de l’aérobic trois fois par semaine et qui a pratiqué les arts martiaux durant des dizaines d’années et même remportés quelques titres pour des clubs sportifs…

- … même, je ne vois pas le rapport…- Ce n’est pas à nous de le voir, mais à Pernel ! Il n’y avait que trois empreintes digitales

distinctes. L’une est de Vanstut. Je n’ai rien senti d’autre. S’il y avait eu un pro qui avait opéré sur le terrain, je l’aurais senti.

Je ne peux pas réfuter, c’est parfaitement exact.

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- Et le technicien…- … son état général ne lui aurait pas permis de tuer une jeune femme en pleine santé et en

bonne forme physique qu’était Evelyn VanPutten.- De là à dire que c’est sa chef qui…

Brenton n’essaie pas de me convaincre. Il ne le fait jamais. Nous ne sommes là que pour trouver une piste viable qui permettrait à Pernel de mettre le point final à son enquête. Il ne le fait pas pour tous les cas, sauf pour ceux qui lui sont particulièrement recommandés par qui de droit, autrement dit, ses chefs de services. La hiérarchie est souvent pesante. Je soupire profondément en m’étirant contre le dossier. Brenton suit mon mouvement des yeux. Je claque les deux rabats du dossier et le jette sur la table.

- Affaire conclue, alors ?- On le dirait bien.- Parfait. On a trois jours pour remettre les indices. J’aime quand on gagne du temps.- Madame Gentille a laissé une note. Poupinette a disparu.- Oh non ! Ne me dis rien ! Elle est encore chez Monsieur Prompteur !

Brenton hoche la tête lentement, les yeux pétillants. On voit bien que ce n’est pas lui qui doit annoncer la nouvelle à Madame Gentille. Monsieur Prompteur est le voisin de palier de Madame Gentille et ils se détestent cordialement depuis quarante ans. Ils sont veufs depuis quarante-deux ans tous les deux et ils n’ont jamais songé à se remarier. Des veufs inconsolables ? Non ! Ni l’une ni l’autre ! Ils ont eu des vies privées plutôt agitées l’une et l’autre, mais toujours très discrètement. Madame Gentille est vraiment adorable et Monsieur Prompteur aussi, mais… Voilà trois ans qu’elle nous demande de rechercher sa chatte Poupinette qui s’échappe toujours. La première fois qu’elle est venue à l’agence, j’ai cru que c’était une blague, mais vu la détresse sincère de Madame Gentille, j’ai vite compris que je devais l’aider. Depuis toutes les semaines, elle nous avertit de la fuite de sa Poupinette qui ne s’échappe jamais bien loin. Je soupçonne Monsieur Prompteur de soudoyer la sale bestiole, un siamois sournois et obèse qui a un caractère de cochon ! Brenton se balance sur sa chaise en buvant du petit lait. Cela ne se passera pas comme cela.

- Bon ! Ben, troisième affaire réglée ! Tu m’accompagnes d’abord chez Monsieur Prompteur, puis chez Madame Gentille. Tu verras, ils sont charmants et ils vont insister pour nous servir un délicieux thé avec des petits gâteaux. Le même thé et les mêmes petits gâteaux d’ailleurs. En amour comme dans la haine…

Brenton se rembrunit. Il replace la chaise sur ses pattes. Il sort une pomme rouge de sa poche. Salaud ! En fait, ils aident souvent le couple fatidique, même s’il fait mine de ne rien savoir d’eux, pire de n’avoir aucun contact avec eux. De fait… il a réussi à maintenir les rapports qu’il entretient avec chacun d’eux sous le sceau du secret, ce qui donne comme réaction que ni Madame Gentille ni Monsieur Prompteur font mine de le connaître s’ils le rencontrent par hasard dans la rue. Un vrai tour de force ou de vaudeville ! Trop fort le Brenton ! Il croque dans la pomme juteuse. Seule consolation, Brenton déteste le thé et les petits gâteaux ! Croc, croc, croc !

7.Lorsque nous arrivons, Monsieur Prompteur tient Poupinette dans ses bras, tout en nous

laissant entrer dans son spacieux appartement d’une propreté et d’un ordre spartiate. La chatte nous regarde, les yeux rétrécis. Elle feule légèrement vers Brenton qui lui envoie une sorte de grognement bas qui fait se recroqueviller l’animal, la tête contre le giron de Monsieur Prompteur. Réaction normale de la bête face à un autre genre de bête.

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- Ah ! Je suppose que vous venez chercher ma chère chatoune. Mais vous avez le temps de prendre un petit thé et quelques petits gâteaux, n’est-ce pas ?

- Avec plaisir, Monsieur Prompteur. Brenton ici présent s’en faisait déjà une joie.- C’est vrai ?

La chatte saute sur le parquet et file vers une chambre, loin de Brenton. Le vieil homme regarde en souriant à plein dentier Brenton qui sourit aimablement. Je t’ai eu ! Je ne le dis pas ouvertement, mais je le pense très fort ! Monsieur Prompteur nous installe dans le salon-salle-à-manger et revient presqu’aussitôt avec un grand plateau garni de tout le nécessaire pour un tea time. Je souris discrètement. Brenton le voit et me sourit à son tour en levant ses sourcils sombres et bien formés. Monsieur Prompteur nous sert tout en babillant de platitudes qui relaxent un peu l’atmosphère. Brenton boit une gorgée et je dois le reconnaître, il ne montre aucun signe de dégoût  ! Wep ! Brenton est un vrai gentleman !

- Oh ! J’ai oublié quelque chose dans la cuisine… Pourriez-vous venir m’aider, monsieur Brenton ?

- Je vous suis.

Brenton se lève et suit docilement notre amphitryon. Je ne suis pas sûre, mais ce dernier en profitera pour demander un service que Brenton rendra tout aussi discrètement. C’est adorable ! Mais je ne le dirai jamais à Brenton. Qui sait comment il le prendrait ! Un poids lourd et élastique tombe sur mes cuisses. Ce foutu animal m’adore pour une raison que je ne comprends pas. Encore un pantalon à passer à la brosse dure ! Je déteste tous ces poils. Une sorte de bruit de forge asthmatique sort du corps obèse de l’animal. Essayez de raisonner une bête, tiens !

Une demi-heure plus tard, nous sortons avec notre fuyarde de chez Monsieur Prompteur. Deuxième volet en cours ! Madame Gentille. Je fais la moue. J’ai deux tasses de thé qui voyagent dans mes intestins et les petits gâteaux pèsent une tonne, sans parler de cette fichue bestiole qui continue à ronronner dans mes bras. Elle garde un œil sur Brenton, ceci dit ! Quelle idiote ! De nous deux, c’est de moi qu’elle doit le plus craindre !

Dès que Madame gentille ouvre sa porte et voit la chatte, elle s’époumone en mille et un petits mots doux pour celle saleté poilue ! Après cet intermède émouvant, elle nous fait rentrer dans son spacieux appartement empli de meubles d’époques, napperons et autres nappes soutenant des bibelots de prix et d’autres de valeur sentimentale. La pièce respire le musée personnel avec un quelque chose d’accueillant, de doux et de nostalgique. Je ne parle même pas de sa collection de souvenirs des pays où elle s’est rendue. Elle m’en a fait faire le tour lors qu’une première visite qui occupa pratiquement une après-midi entière. Je n’aime pas les répétitions.

- Entrez donc ! Je suis si heureuse que vous l’ayez retrouvée ! Non, ne me dîtes rien ! Ma Poupinette a bien le droit d’avoir ses secrets, hein ! Vous avez bien le temps pour un petit thé et quelques petits gâteaux, n’est-ce pas ?

- Oh oui ! Justement Brenton en meurt d’envie !- Oh oui ! Comme c’est aimable de votre part, Monsieur Brenton ! Pouvez-vous m’aider à la

cuisine avec le plateau…- Avec plaisir, Madame Gentille.

Il hausse les sourcils en me souriant.

- Pendant ce temps, Poupinette vous tiendra compagnie, très chère…

Ce n’est pas un petit ricanement que j’entends provenant de ce crétin de Brenton ! Une heure et un nombre incalculable de niaiseries et de ragots plus tard, nous repartons vers notre bureau. J’ai la vessie sur le point de donner sa démission. Comme je la comprends !

- Je vais peut-être me mettre au thé…

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- Ah oui ? J’aimerais bien voir cela.- Tu seras la première à le voir, je te le promets…- Mm !

Nous sommes devant nos voitures. Il a un coupé sport m’as-tu vu qui est le genre de piège intégral à filles ! Le pire, ça marche. Brenton fait sauter la clef dans sa main. Il pousse sur le bouton d’ouverture des portes et la voiture clignote à chaque fois. Il le fait express. Je ne dis rien. Autant ne rien lui donner de plus sur le plan de la satisfaction personnelle insolente !

- C’est quoi la lettre du pays ?- B.- B ? Comme Belgique ? - Non.- Bulgarie ?- Non.- Bolivia, Burkina Faso, Botswana ?- Non !- Non ?- Non.

B ? Voyons voir… Ah oui ! J’aurais dû m’en douter…

- Brazil…- Bingo ! - Et la lettre du prénom ?- B.- Tu plaisantes ?- Non.- Béatrice, Brenda, Béa, Brunehilde, Berta, Bianca, Bérangère, Barbie, Brunette, Blanche ?- Non !- Blondie, Briska, Batavia, Bibi, Bettina, Banania ?- Non.

Brésilienne…

- Brigitte, Brianna ?- Non…- Brigida…- Bingo !- Où trouves-tu des filles avec des noms pareils ?- Qui te dit que c’est moi qui les trouve ?

Quand je finis de tourner sa question réponse à ma question, il est déjà loin dans sa voiture piège à gogo. J’entre dans la mienne, une mini pas si mini que cela, mais très coquette, hybride, automatique avec option à manuelle et d’un maniable, presque au doigt et à l’œil. Un investissement que je ne regrette pas. Bien sûr à côté de la teuf-teuf de Brenton, elle ne fait pas le poids. Ça a réellement de l’importance ? Non ! Brésilienne ? Je vois le genre, glamour enrobée sexy avec en plus de quoi passer un moment agréable à tous points de vue ! Je ne suis pas jalouse. Pas vraiment. D’ailleurs qui peut rejeter une soirée plateau-repas, plat surgelé, zapping télé ? Pas moi. J’adore ! Je dois aussi trouver la bonne manière de savoir un peu plus sur la soirée qu’il va se farcir. Brenton est toujours là où je l’attends le moins. Je soupire. Je l’ai pisté un jour pour savoir s’il disait vrai pour toutes ces nanas. Il m’a évidemment découvert. Bonjour pour la pro que je suis ! Il m’a invité à les rejoindre où j’ai fait une chandelle pas trop pathétique. La fille, une camarguaise super canon, Silvana, a été hyper sympa avec moi. Elle a réussi à me faire passer une bonne soirée, ne m’excluant pas du tout de la conversation ou de quoi que ce soit. C’était presque pire. Brenton ne m’a fait aucun reproche, pas

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même un sourire en coin ou un regard entendu. Le lendemain, il m’a transmis les salutations de Silvana en me disant.

- Tu ne dois pas faire comme si tu te cachais ! C’est la meilleure façon de te trahir. Tu dois au contraire être visible pour celui que tu suis, mais de manière naturelle. Le regard de ta proie ne remarquera rien d’inhabituel et t’associera normalement et plus facilement comme quelqu’un faisant partie de ce qui l’entoure, sans plus.

Je n’ai rien pu dire, même pas m’excuser. Dans le fond, je sais que ça l’amuse. Je n’ai plus jamais fait une chose pareille. Maintenant, je cherche la bonne manière de lui soutirer des informations sur ses rendez-vous. Six fois sur dix de succès, ce qui est pas mal considérant le bestiau ! Quant au jeu des initiales… c’est lui qui a eu l’idée, bien sûr ! Sans commentaire !

8.Je lis le dossier remis par Pernel sur ces jeunes hommes qui ont été retrouvés dans un état

assez piteux à la fin de la rave party. Je l’ai déjà lu et je n’ai rien trouvé de nouveau. Je n’irai pas voir ces jeunes. Ils ne pourront me dire que ce que j’ai déjà entendu plusieurs fois.

- J’ai senti qu’on m’attrapait, mais je n’ai pas pu bouger, j’étais comme dans un état d’apesanteur ou de sommeil, mais éveillé. C’était quelqu’un de grand, très grand, mais je ne sais pas à quoi il ressemble. Juste ses yeux. Très clairs, très brillants, verts, je crois ou alors bleus très clair… mais ils étaient hypnotiques, avec un iris très noir, vraiment très noir. On aurait dit deux phares très puissants… Je ne sais pas ce qu’il me faisait, mais je n’ai pas eu envie de bouger. Après, quand il est parti, je me suis senti tout chose, très lourd, avec des difficultés à bouger, très faible aussi… Et je ne sais plus très bien ce qui s’est passé après…

Les déclarations sont quasi toutes identiques. A part la description du regard et de la couleur des yeux, c’est toujours la même histoire. Brenton a retiré sa veste en cuir. Il croque une pomme verte presque fluo. Le croc croc m’accompagne dans ma lecture en diagonale. Il lit un rapport, assis nonchalamment sur la chaise qu’il a basculé sur deux pattes. Il porte un jeans moulant, mais pas trop. Tenue décontractée. Un t-shirt noir à manche mi- longue recouvre son torse musclé et élégant.  Il a retenu ses cheveux par un lien en cuir brun. Il en a des douzaines, si pas plus. Certains sont décorés ou gravés de dessins originaux. Je me dis, des fois, que ces liens sont des cadeaux. Une manière pour des Dalila lambda d’essayer de retenir un Samson fuyant. Il n’a pas l’air crevé, mais ce n’est jamais le cas. J’imagine que sa soirée et sa nuit ont été… plaisantes.

- Comment s’est passé ta soirée avec Bergamote de Bulgarie ?

Le croc croc cesse une demi-seconde avant de reprendre. Il couche le dossier ouvert sur son torse et me regarde fixement. Son regard si clair m’impressionne toujours, raison pour laquelle je ne baisse jamais les yeux. Il croque une infime bouchée et savoure le jus de celle-ci. Ses lèvres pleines embrassent la pulpe et la peau avec délectation. J’aimerais…

- Un délice !

Je ne sais pas de quoi il parle de sa soirée et nuit ou de la pomme. Je ne pose pas de question. Ou si ?

- Tu comptes la revoir ?- Elle repart cet après-midi à Copenhague.- Copenhague ? Pas en Bulgarie ?- Non. Elle rejoint le transatlantique.- Le transatlantique ?

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- Elle est public relation pour une compagnie de transatlantique.- Mm !

Je pose mon regard brouillé sur le dossier. Bien fait ! Croc croc ! Je relève les yeux. Brenton a un sourire en demi-teinte. Il n’est pas dupe. Jamais ! Moi si. Toujours. La sienne, de fait.

- On va là où était la rave.- Bien, chef ! Tu as d’autres questions à me poser ?- Sur le dossier qui n’existe pas, mais dont j’ai pris connaissance et toi aussi ?- Quoi d’autre, sinon.

Je soupire ostensiblement. Ce qu’il peut m’agacer. J’ai passé hier soir une demi-heure à chercher le bon moyen de lui soutirer des infos sur sa soirée et nuit et voilà le résultat ! Salaud !

L’entrepôt qui a servi pour la rave party se situe à vingt kilomètres de la capitale, à équidistance de deux villes de moyennes envergures, pas vraiment des villages, mais pas tout à fait des villes. Des bourgades ? Peu importe ! Autour de l’édifice, il y a une grande étendue de pré avec devant celui-ci une partie qui a été « civilisée » avec un chemin mi- pierreux, mi- terreux. Une aire est délimitée comme zone de parking et quelques petits bungalows en vilain béton gris laissent supposer être des toilettes. Il semble que l’endroit soit d’ores et déjà estampillé lieu d’ « Entertainment ». Le dossier remis par Pernel sur la clef USB situe, sur un plan détaillé de l’endroit, la zone où les trois victimes ont été retrouvées.

Brenton se gare dans l’aire de stationnement. Le temps est gris sale non pluvieux, ce qui est un atout pour moi. Avec un peu de chance, je pourrais trouver un indice, une trace, quelque chose. Je fais la grimace. Nous descendons. Au début, Brenton me tenait la portière ouverte jusqu’à ce que je lui fasse comprendre que ce n’était pas nécessaire. Du coup, il ne le fait que lorsque je porte une jupe ou une robe et comme je n’en porte presque jamais… Brenton tient sa veste en cuir par le col. D’un preste mouvement du poignet il la jette sur son épaule musclée. Il a ses lunettes de mauvais garçon hyper sexy. Je les adore, mais ça reste entre vous et moi. Il jette un regard circulaire alentour et je sais qu’il observe tout avec une précision mortelle. Il retiendra chaque pouce du terrain dans sa mémoire phénoménale. Il sort une pomme de la poche de sa veste. Je n’ai pas vu le mouvement. Je ne demande plus comment il fait une chose comme celle-là. La première fois il m’a répondu :

- L’œil peu exercé ne sait comment voir ce qu’il y a à voir.

Je n’avais pas demandé d’éclaircissement. Je me suis juste borné à dire :

- Je vois !

Il m’a lancé un demi- sourire moqueur. Mm ! Il tourne dans sa main la pomme verte-jaune à la peau picotée de petites pointes noires. Il la frotte contre son avant-bras, puis la porte à ses lèvres, sans cesser de visionner ce qui nous entoure. Je soupire discrètement. Je me tourne vers la gauche. Croc, croc. Brenton me suit de plus ou moins près. Il sait que j’aime avoir de l’espace quand je suis en chasse. L’entrée est scellée par des portes d’aciers et des serrures très sophistiquées. Je bifurque et me dirige vers une sorte de muret blanc en demi-cercle qui pourrait servir de banc ou de couche, le cas pour les trois corps qui ont manifestement été placé là en position horizontale, avant d’être jetés dans le terrain-plein derrière le muret. Je me baisse. A priori, rien de spécial. La pierre blanche est en partie écaillée. Plâtre ? Pierre d’origine ? Il n’y a aucune trace particulière, ni même de saleté. J’imagine que la police scientifique a fait son travail. Le vent qui souffle en permanence sur ce gris pays a fait le reste. Je reste optimiste. Il n’a pas plu. Je saute par-dessus le siège pierreux improvisé et atterri sur de l’herbe mêlé de pierres concassées. L’endroit semble bien propre, contrairement à ce qu’on pourrait imaginer. Ces sortes de lieux sont propices à une décoration urbaine de saletés propre à dégoûter des poubelles ! Il n’y a même pas des crachats en forme de chewing-gums ! Surprenant ! Je marche quelques mètres, m’éloignant lentement. Les herbes sont écrasées, piétinées et ont un aspect maladif et chétif de très mauvais augure. Difficile de trouver une empreinte. Je ne suis pas pisteur, loin de là. A

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une certaine distance, six mètres d’après le rapport de Pernel, les corps se trouvaient couchés de travers. Je vois l’endroit. Il reste là une certaine « forme » corporelle. Je me baisse et observe les positions. Elles sont celles de corps couchés ou plutôt jetés là. Je prends un bâton en bois taillé très mince. Je commence à soulever les herbes et les petits tas de terres écrasées avec précision et lenteur. Je termine le premier « corps ». Rien ! Je continue avec la deuxième forme. Rien ! A la troisième à hauteur de l’entre-jambe présumée du « corps virtuel », je trouve un minuscule morceau de… On dirait une sorte de pierre semi-précieuse. Pas vraiment une gemme. Elle est noire avec des veines plus claires. Une opale ? Elle est en partie brisée, à moins qu’elle ne soit à l’état brut. Je la lève à hauteur de mes yeux. C’est une pierre envoûtante. Appartient-elle à la victime ou à… lui  ? Le croc croc arrête sa musique lancinante. Je lève les yeux. Brenton se tient en périphérie et me regarde fixement. Enfin, pas moi, mais la pierre. Il ôte ses lunettes. Il jette la pomme qui en est à son trognon ou presque sans regarder où elle tombe. Il s’approche de moi, enfin du caillou et… Il tend la main. Je dépose le morceau. Il le porte à ses lèvres, passe un bout de langue dessus. Il le hume. Il le regarde sans le toucher. Je vois sa pomme d’Adam remonter violemment et redescendre de même.

- Yengo…- Quoi ?

Il me regarde en écarquillant des yeux. Il me rend la pierre.

- Nous devons partir ! Maintenant !

9.- Conduis !

Brenton me lance le trousseau de clefs qui évidemment tombe à mes pieds avec un bruit métallique très désagréable. Il a remis ses lunettes. Son regard était flippant, comme halluciné. Je ne pose aucune question. Je démarre la voiture sans m’énerver. Inutile de se retrouver à l’hosto ou à la morgue. Il ne dit pas un mot de tout le voyage. J’ai l’impression que le caillou pèse une tonne dans ma poche. Pire, j’ai la sensation qu’elle vibre contre ma hanche. Lorsque nous arrivons, à peine ai-je garé la voiture qu’il ouvre la portière et une seconde plus tard, il a ouvert la mienne et me tend sa main aux longs doigts fins et musclés pour que j’y dépose la mienne. Il me hale vers l’extérieur et, d’un pas leste et musclé, m’entraine vers l’agence manu militari. Je ne sais pas ce qui lui prend, mais je suis le mouvement sans protester. Nous entrons dans notre bureau, enfin le mien, mais il y passe tant de temps que…

- Reste ici. Ne bouge pas, je reviens !

Dix secondes plus tard, il sort de son antre avec une petite boîte ronde en bois noir très sombre. Ebène ? Le couvercle a d’étranges signes… cabalistiques ? Un autre alphabet ? Une autre culture ? Il soulève le clapet qui pousse une sorte de gémissement sourd. Je retiens ma respiration. C’est quoi ce foutoir ?

- Sors la gemme lentement de ta poche… dépose-là dans la boîte sans mouvement brusque… bien, parfait. Voilà !

- C’est une grenade version quatrième millénaire ?

Il me regarde par-dessus ses lunettes sans cligner des cils. Son regard a pris une teinte étrange, extrêmement foncée, comme si la pupille avait mangé tout l’iris. Je déglutis fortement.

- Ne bouge pas ! Je reviens !

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Je ne bouge pas. J’attends qu’il revienne. Vingt secondes plus tard il se tient devant moi. Il a retiré son t-shirt noir. Son torse m’impressionne. Ce qui revient à dire qu’il a un torse impressionnant, non ? Mais, je ne peux pas parler pour les autres, aussi… Il a retiré ses lunettes. Il est pieds nus.

- Retire ton sweet !- Pardon ?- Retire ton sweet. S’il te plaît.- Tu plaisante, là ?- Non.- Pourquoi ?- Parce que je te le demande.- Ecoute, Brenton, je ne suis pas du genre à me déshabiller comme ça, parce qu’on me le

demande gentiment.- Oh ! Milles excuses. Si tu préfères je te l’ordonne méchamment. Ou mieux ! Je vais te l’ôter

moi-même…

Je fais un pas en arrière lorsque je le vois se diriger avec décision vers moi. Je trébuche contre la chaise dans laquelle il se prélasse tous les jours. Il me retient in extrémis par le coude. Je secoue le bras.

- Ne t’avise même pas de…- Vinouha… tu me connais mieux que cela, mais fais-le. Je t’expliquerai après.- Vraiment ? Tu es plutôt avare en explication…- Le faire en certaines circonstances relève d’un crime virtuel ! - Ça veut dire en langage décodé que tu vas m’en dire beaucoup ?- Oui.- D’accord.

J’ai un soutif en coton noir, pas très sexy, mais très pratique compte-tenu que j’ai des seins plutôt lourds. Je fais du sport ce qui aide à les maintenir relativement haussés et pas comme deux gros gants de toilette tombants ! Il me prend le sweet des mains sans me jeter un regard de trop près. Je rougis légèrement.

- Ne bouge pas…- … j’arrive ! Je connais la chanson !

Il me fait un demi-sourire, le regard toujours aussi obscur. Il revient trente secondes plus tard. Suffisamment vite pour que je n’ai pas le temps de m’angoisser à donf, mais pas assez pour ne pas me sentir vulnérable et totalement con ! Il s’approche de moi. Il a le torse qui semble briller, comme s’il avait mis une crème pailletée dessus. Sa poitrine est glabre, mais pas comme s’il s’était épilé, mais plutôt comme si c’était naturel. J’aime assez. Je ne suis pas très amante des poils, je dois dire. Il se plante à quelques centimètres de moi. Comme il est très grand, je relève la tête. Je regarde son visage et brièvement ses yeux qui en plus d’être noir onyx semble aussi curieusement phosphorescent.

- Il faut que nous unions nos torses.- Pourquoi ?- J’ai mis un onguent qui aidera à combattre les effets de la gemme.- Je ne comprends pas ? Elle est radioactive ou quelque chose comme cela ?- Non. Je t’expliquerai, mais nous devons le faire. Dès que tu as pris la gemme et que je l’ai eu

en main, j’ai su ce qu’elle était. Mais… maintenant, il faut passer par ce rituel de purification… s’il te plaît…

Je vois sa préoccupation, même s’il est toujours aussi impassible. Je commence à le connaître.

- D’accord !

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Il me soulève par les aisselles pour coller mon torse au sien, puis me retient par la taille. Une sorte de murmure susurrant émane de notre union et semble nous entourer comme un mince filet de fumée, mais version audio. Ma peau picote et mon soutien devient totalement impalpable, du moins c’est l’impression que j’ai. Nous restons comme cela quelques minutes. Brenton susurre quelques mots dans un idiome que je ne connais pas. Sa force m’impressionne. Ses bras musclés autour de ma taille me donne envie de l’avoir plus souvent ainsi autour de moi. Mon attirance pour lui s’assoit complètement et je suis à deux doigts de me laisser aller à une folie, genre l’embrasser à pleine bouche. Mes bras sont collés à mon torse et je ne peux pas bouger. Bien ma veine ! Le souffle de ses lèvres glisse sur mes cheveux. C’est comme sentir l’exhalaison d’une grotte. Les sons s’estompent. Brenton me retient quelques instants de plus contre lui. Lentement il me redépose sur le plancher des vaches. Je vacille légèrement. Il me retient contre lui. Il se détache et me regarde.

- Merci ! Je vais me rhabiller. Tu as des vêtements de rechange ?- Toujours.- Bien ? Je reviens.

Je vois son dos large et délié disparaître dans son bureau. Je baisse mes yeux. Mon soutif est devenu une peau de chagrin. Génial ! Il me doit un soutif neuf ! J’adorais celui-ci.

10.

Je suis toujours clouée sur place lorsque Brenton revient avec un nouveau t-shirt vert clair, de la même couleur que ses yeux ou presque.

- J’ai oublié de te dire que tu pouvais bouger ?

Je le regarde en fronçant les sourcils.

- Très drôle ! Tu me dois un nouveau soutif.- Deux même, si tu veux…- Oh ! Tu dois te sentir vraiment coupable pour avoir tant de générosité à mon égard !- De fait, je le suis.

Il fait tourner la pomme rouge vif qu’il a ramenée de sa réserve personnelle que je n’ai jamais réussi à trouver. Il se tourne vers l’armoire avec la multitude de tiroirs qui prend tout le mur du fond et sort de l’un d’eux un nouveau soutien-gorge sportif que je garde les jours où je ressens le désir intempestif d’aller dans une salle de sport et un sweet rose bonbon qui me met tout de suite de bonne humeur. La découpe du vêtement est assez originale et met en valeur mon buste, raison pour laquelle je le garde. La couleur rose n’est pas ma couleur favorite. C’est le… vert. Sans commentaire ! Il me les tend. Il s’assoit sur son siège favori, le bascule pour n’être assis que sur deux pattes et… ne croque pas la pomme. Sûr ! Quoi que ce soit qui le dérange, c’est plutôt gravos ! Je profite qu’il me tourne le dos pour me saper très rapidement. Je m’assois derrière le bureau. Il a déposé une tasse odorante d’une mixture délicieuse dont il a le secret ! Lorsque j’ai demandé à base de quoi elle était faite. Il m’a répondu : «  D’après ce que tes sens t’apporteront en le sirotant ». Je n’ai plus jamais demandé. Mais vu les rares fois où j’ai eu droit à cet élixir, Brenton doit vraiment se sentir coupable ou du moins responsable. Qui peut savoir avec cet homme ? Il regarde la pomme tournoyer dans sa large paume. Le mouvement est hypnotique et dérangeant de par sa vitesse. Je détache le regard de ce mouvement cinétique.

- Donc ! C’est quoi ce rituel, le caillou et le rapport avec « machin » ? « Machin » que tu connais !

Brenton me regarde. La pomme est entre ses longs doigts. Je voulais le décontenancer par ma dernière affirmation. Peine perdue !

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- Le caillou est une gemme d’une qualité particulière, taillée de façon à exprimer des particularités singulières. Elle est aussi un cadeau et une marque de la part de celui que tu nommes « machin ».

- Je le nomme comme cela en attendant que tu me donnes son vrai nom !- Le rituel a servi pour effacer les propriétés des particularités singulières de la gemme.- Qui sont ?- Celle de te suivre à la trace.- Comment ça ? C’est une sorte de GPS ? Tu te fous de moi, hein ? C’est encore une blague de

ton esprit tordu et pervers ?- Voilà de grands mots pour mon humour qui semble toujours te dépasser !- Wep ! Et qu’est-ce qui te rend si sûr que « machin » n’a pas déjà retrouvé ma trace, surtout si

je suis avec toi ?- Le fait que je suis toujours avec toi.- Toujours… vite dit !- Pourtant vrai !- Comment cela ?- J’ai, disons, depuis notre première rencontre inscrit une sorte de protection impalpable et

invisible qui te permettent de rester en dehors de « machin ».- Je ne comprends pas ! C’est quoi cette protection ? Je suis parfaitement capable de me

défendre ! Je l’ai bien assez prouvé depuis que je suis ici…- Oui. Et je n’ai aucun doute quant à ta capacité de te défendre, sauf dans le cas de « machin ».- Qu’a machin de si particulier pour que je ne puisse pas me défendre face à lui ?- Tu n’aimerais pas le savoir.- Si, justement !- L’ignorance est un bienfait !- Mais dangereuse dans certain cas ! Tu me prends pour une mauviette incapable de faire face à

quoi que ce soit ? Tu me crois incapable de remarquer des choses qui dépassent mon entendement et que je n’ai pas mis en évidence par respect pour toi, me disant qu’un jour tu me ferais suffisamment confiance pour m’en parler ?

Je reprends mon souffle.

- Et tant qu’on y est qui est Yengo ?

Brenton a un léger soubresaut qui serait passé inaperçu si je ne le connaissais pas… bien. Le «  aussi » accolé habituellement à « bien » lui est réservé lorsqu’il s’agit de moi ! Brenton fait tourner sa pomme. J’ai une furieuse envie d’avoir un arc et des flèches pour lui en ficher une droit dans le fruit ! Je pourrais aussi faire un carton avec un flingue si j’en possédais un. Je ferme les yeux pour essayer de me reprendre en main.

- Yengo n’est pas quelqu’un, mais une nature physiologique.- En clair et en décodé, ça donne quoi ?- Le yengo est la nature dont est fait « machin ».- Et quelle est cette nature ?

Brenton regarde la pomme en la tournant doucement entre ses mains.

- Difficile à expliquer. Cette nature a appartenu à un animal qui n’existe plus depuis très longtemps. L’une de ses capacités étaient de pouvoir protéger les siens et aussi tous ceux qui se mettaient sous sa protection, y compris des humains. Le yengo avait la capacité aussi de communiquer par l’esprit de manière primaire, mais suffisante pour pouvoir échanger des mots ou des pensées, voire des émotions avec tous les êtres qu’il côtoyait. Les yengo étaient des meneurs, appelle-les des alphas si tu veux. Il avait un instinct très sûr. Il avait aussi la

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capacité de se transformer en d’autres espèces. Il peut brouiller ses traces très facilement, sauf s’il désire en laisser pour l’une ou l’autre raison. Il était aussi un des pires prédateurs d’alors.

- « Alors », c’est quand ?- Disons quelques millions d’années. Les premiers hominidés commençaient à peine à naître.- On parle de quoi, six, sept millions d’années ?- J’ai toujours été nul en dates…- Pas en imagination ! Je ne te connaissais pas cette veine imaginative ! Tu dois aussi être un

amateur hors-norme de la science-fiction, dis-moi !

Deux secondes plus tard, je me retrouve collée au plafond par Brenton qui me soutient de tous son corps.

- Yengo est aussi part de ma nature. Machin est aussi mon frère. Enfin, mon demi-frère. Je suis un hybride.

11.

- J’ai toujours pensé que l’expression « coller au plafond » était absurde.

Brenton me regarde et a un bref rire. Il me tient collé- serré comme j’ai toujours rêvé qu’il me tienne, mais pas de cette manière.

- Tu peux te transformer en yengo ?- Non. Mais j’ai certaines de ses capacités, ainsi que d’autres.- Que tu ne me diras pas…- Tu n’es pas en position de le faire.- A qui la faute ? Qu’est-ce qui t’as pris de me coller au plafond ?- Un exemple est plus parlant que mille paroles.

Je soupire profondément. Mes seins s’aplatissent contre son torse parfait. Je déglutis. Il me soutient et me tient si parfaitement proche de son corps que je me sens toute chose, toute chaude ! Merde ! Pas malin du tout, du tout, du tout ! Son regard me vrille. Ça m’excite d’autant plus.

- Une des capacités que j’ai est de pouvoir lire dans l’esprit des gens.

Je me congèle. Oh non ! Merde, merde, merde !

- Descends-moi ! Maintenant !

Il le fait sans me quitter des yeux, lentement, doucement. J’ai le regard rivé à son cou. Quelle imbécile je fais ! Et moi qui me croyais à l’abri !

- Petite insensée !

Il me tient contre lui, nous sommes redescendus sur le plancher des vaches.

- Ah oui ? Et toi, alors ? Je me sens… violée…- Tu fais peu de cas de mon respect et de ma considération pour toi.- Ah oui ? Tu peux affirmer ne jamais avoir jeté un regard dans mes pensées ?- Oui, je le peux. Quand je dis « lire », c’est entendre que je veux dire.- Et merde !

Je recule jusqu’à m’affaler sans force dans mon siège. Il reste debout, flegmatique.

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- Je n’ai pas toujours écouté, mais lorsque tu penses à moi, j’ai automatiquement la faculté de t’entendre.

Génial ! Tout simplement génial ! Et si…

- Mais si tu le peux, machin le peut aussi…- Non. Je t’ai protégé de ses possibles intrusions par un cloisonnement mental et physiologique. - Comment ?- Difficile de t’expliquer…- Trouve le moyen de ! J’ai besoin de comprendre. !- D’accepter ?- Oui et non si c’est… vis-à-vis de toi… pour le moment !

Il baisse les yeux.

- Je suis désolé, même si je le referai si les circonstances le requéraient. - Je sais. Alors ?- En étant ma compagne de travail, j’ai tissé un lien neuronal avec toi qui te permet de rester

saine et sauve. Je peux savoir où tu es et si on t’attaque.- Tu m’as droguée ou…- Non ! C’est par imprégnation mentale. Notre rapport périodique et nos échanges verbaux ainsi

que la confiance et la complicité établies entre nous ont mis en place ce cloisonnement. - Tu veux dire que je suis liée à toi ?- Oui, mais ce n’est pas irréversible.- Je me sens mieux là ! Je suppose qu’en plus je dois te remercier…- Sauf si tu ne le désires pas…- Très drôle ! Maintenant je comprends mieux la raison de ton embauche par Béranger ! Ce sont

pour tes aptitudes !- Entre autres.- Je m’étais posé la question. Pourquoi quelqu’un avec tes aptitudes venaient travailler ici avec

moi et Béranger ? Il t’était lié ?- Non. Pas à moi, à « machin »- Il a un nom, je suppose... et… peut-il avec accès à moi ?- Non. Plus maintenant que j’ai annihilé le pouvoir de la gemme. Son nom est Minao.- Ah ! Bien !- Cela veut dire : chasseur de sens.

Je tourne le liquide dans ma tasse. Brenton reprend la pomme qu’il a eu le temps de déposer sur la table avant de me coller au plafond.

- Pourquoi moi ?- Pourquoi pas ? Minao est un fin limier, il aime la chasse.- Mais… je ne comprends pas. Je suis celle qui le suit à la trace… et d’ailleurs, il en laisse peu

et ceux qu’il attaque sont toujours des individus exécrables…- Ne le prends pas pour un Robin des Bois ou je ne sais quel héros livresque. Minao a été un

grand lider, il a aussi appliqué des sentences quand cela le justifiait, mais sa nature yengo est celle, avant tout, d’un patriarche. S’il appliquait une sanction, celle-ci venait après un procès.

- Tu veux dire que c’était démocratique.- Consensuel, je dirais. Les temps ont changé et Minao s’est laissé mener par son essence de

chasseur et a décidé de prendre la justice à son compte.- N’empêche…- Non ! Jamais ! Si ses actes semblent justifiés, rien ne peut prédire qu’il n’ira pas plus loin et

qu’il ne commettras pas d’erreurs inadmissibles. - Tu parles de quoi ? De légalité ? De justice ?

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- Oui. D’un système…- … qui a aussi ses failles…- Oui. Mais il y a des recours. Minao n’en admets aucun, il ne juge exclusivement que selon son

propre critère.

Je comprends ce qu’il me dit. Cependant…

- C’est un vampire ?- Non. Mais nous avons des similitudes avec eux…- Ah, parce que… ils existent ?- Oui.

Génial ! Ma vie était si morne avant aujourd’hui…

- C’est un Fae ?- Les Fae sont… fictifs!

J’éclate de rire.

- Oui. Et ton histoire de yengo, c’est quoi alors…- Celle d’une race vivante en d’autres temps qui a trouvé une manière inusuelle de survivre

d’une autre manière en adoptant une adaptation qui était vivable et viable dans le temps.- C’est-à-dire ?- Les yengo sous leur forme originelle étaient destinés à disparaître comme tant d’autres

espèces et natures au fil du temps. Il y a eu une possibilité de mutation neuronale permettant au yengo de survivre, mais sous une autre forme de vie.

- Ben… si les yengo ont pu le faire, pourquoi pas les Fées ?

Brenton réfléchit et hoche la tête. Je ne crois pas qu’il me dira tout et… c’est légitime ! Je crois.

- Il y en a d’autres comme toi ?- Sans doute, mais les hybrides sont peu communs et, en général, c’est pratiquement impossible

qu’ils survivent. - Tu es une exception qui confirme la règle.- En quelque sorte. Les yengo se comptent en sept-cent septante personnes répartis de par le

monde.- Tu les connais tous ?- Non. Nous avons le désir de nous tenir éloignés les uns des autres. Cependant nous savons où

nous sommes, en règle générale, et qui nous sommes.- Tu… tu as quel âge ?

Brenton fait tourner sa pomme. Il entend la confusion de l’esprit de celle qui est plus qu’une compagne, mais ce n’est pas le moment et peut-être jamais.

- Plus jeunes que les yengo de nature entière. Septante-sept mille treize ans.- Ah oui ! Quand même. Autant dire que t’es un vrai dinosaure, quoi !

J’ouvre la bouche, horrifiée.

- Je… désolée ! Les nerfs ! Vous vous reproduisez ? Je veux dire, vous avez de la descendance…

- Ceux qui le désirent, oui, mais cela reste rare. - Vous êtes des immortels…- Pas vraiment…

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J’ai des tonnes de questions qui tourbillonnent dans ma tête.

- Minao sait où je suis, non ?- Sans doute, mais il ne peut pas t’approcher. De plus, il aime chasser et il t’a prise en chasse.- Alors pourquoi la gemme ?- Une sorte de cadeau.- Il peut me prélever du sang comme à ses victimes ?- Non. Pas avec moi près de toi. De plus, le sang qu’il prélève est une sorte de trophée et aussi

une manière de retrouver sa proie, si jamais elle refait des choses qu’il considère répréhensibles.

- Il pourrait les tuer.- Sois-en certaine ! C’est un prédateur avant toute chose et tu ne dois jamais l’oublier.- Toi aussi ?

Brenton me regarde fixement.

- Oui.

Mon regard tombe sur la farde avec les résultats des recherches destinées à Pernel. Il faut les lui déposer dans le casier.

- On doit déposer le dossier pour Pernel…- Oui. Il y a deux demandes de recherches en paternités pour Grasqueur…- Ah ! Bien. Je vois ça quand je reviens.

Grasqueur est un notaire qui reçoit quelquefois des requêtes surprenantes. Quand il ne peut trouver les informations par les moyens et recours habituels dont il a l’usufruit, il fait appel à nous.  Jamais de vive voix, mais via des dossiers qu’il nous envoie par la poste. Si nous désirons le voir, il ne le fait qu’à travers Skype. Chacun a ses petits travers et il paie bien.

- Allons-y !

Je me relève et m’étire doucement. Je me sens… je dois… il faut que je mette tout ça dans ma tête, mais, pas maintenant. Brenton se tient devant moi.

- Il y a moyen que tu n’écoutes pas mes pensées ?- Pas vraiment. Mais je te promets que je resterai soft.- Wep ! C’est ça qui m’inquiète ! Tu peux faire comme si tu n’avais jamais entendu mes

pensées ?- Ce serait faire peu de cas de celles-ci.

Je fronce les sourcils. Tant pis ! Il faut y aller. Nous y allons.

12.Dans la voiture je ne dis pas grand-chose. En fait, je suis un peu sous le choc. Et maintenant

quoi ? Nous arrivons en vue de la Gare du Midi. Nous devons remettre les dossiers au patron d’une supérette qui est ami de Pernel. Les instructions de Pernel quant au lieu où déposer les dossiers sont toujours très farfelues et frisant la paranoïa totale ! De plus, je suis persuadée que la majorité de ses collègues savent ce qu’il en est. Pernel est de ceux qui pensent qu’il faut sauver les apparences. Si ça lui chante ! Les emplacements de parkings sont difficiles à cette heure de la journée, mais je finis par trouver un creux. Je finis toujours par trouver une place. Il y a pas mal de gens qui circulent partout. Les voyageurs en train habituels qui rentrent chez eux, d’autres voyageurs plus occasionnels en

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voyage d’agrément ou d’affaire. D’autres passants sont des habitués des lieux, soit qu’ils vivent dans les parages, soit qu’ils zonent dans les parages. Il y a aussi ceux qui vont prendre le métro ou les trams pour des destinations seulement connues d’eux. La Tour du Midi écharpe les vents et rend l’air plus frais qu’ailleurs. Le bâtiment avec son Tintin-Milou tourné vers un horizon improbable passe inaperçu aux yeux de tous, tant ils sont pressés d’arriver à leur destination. Je lève les yeux pour essayer de le voir, mais je n’y arrive pas. L’angle de vue n’est pas idéal d’où je suis placée. Les bus au terminus attendent d’ouvrir ses portes aux passagers habituels, alors que d’autres s’arrêtent dans un mouvement essoufflé de freins, décélérant promptement afin de permettre aux gens de s’engouffrer diligemment dans l’habitacle déjà plein. Et pour finir, les militaires, armes au poing en faction devant l’unique entrée, l’autre en face de l’entrée de la Tour du Midi étant hors d’usage, les deux camions militaires garés devant, tout cela gage d’un plan de sécurité suite aux attentats de mars. Cependant, la cohue semble la même que toujours, pressée, concentrée sur leur objectif, pratiquement téléguidé par leurs habitudes quotidiennes.

Brenton est parti mettre quelques pièces de monnaies au parcmètre, de quoi enrichir la compagnie privée qui détient le contenu de ces colonnes peu esthétiques. Nous nous dirigeons vers l’ample entrée restreinte maintenant par une séparation de sécurité. L’air tiède du ample hall souffle sur nos visages son air vicié. La pénombre, savamment illuminée par des ampoules qui semblent moribondes et par les bars, cafés, tavernes, officines et autres magasins, donne un air irréel au lieu. La foule se divise en petites troupes véloces et agitées se dirigeant là où ils le désirent. Nous arrivons à la superette. Elle est conforme à ce que je m’attends d’elle, petite, illuminée, propre, accessoire, utile et transitoire. Nous nous installons à une petite table. Le patron vient nous servir. J’ai placé le dossier sur la table. Il le voit et le reconnaît, manifestement. L’homme d’une quarantaine d’année, pas très bien conservé, a un regard brillant. C’est tout juste s’il ne nous fait pas un clin d’œil !

- Bonjour… - Bonjour. Un capuccino pour moi… et pour toi ?- Un grand verre de jus d’orange frais.- Parfait !

Il nous décoche un grand sourire complice. Le bruit extérieur est légèrement assourdi, mais pas suffisamment pour que les sons des trains qui arrivent, s’arrêtent ou repartent ne nous parviennent avec un léger tremblement ambiant. Le mouvement extérieur me distrait. Un peu. Pas trop. J’ai les idées pas très… claires. Je regarde furtivement Brenton. Il se tient les bras croisés et me regarde fixement. Je me racle la gorge.

- Je ne veux plus que tu me colles au plafond, c’est désagréable.- J’en prends note.- Je n’aime pas trop ce genre de hauteur.- Laquelle, alors ?- Les vues depuis balcon, la montagne aussi. Mais d’un plafond, ça fait mesquin !- Je m’en souviendrai.

Le patron revient avec nos consommations. Un groupe de trois hommes chargés de valises à roulettes d’une taille maniable prend place près de nous en parlant vite et dans une langue que je détermine comme nordique.

- Du suédois.- Ah oui !

Le patron nous dépose les consommations sur la petite table. Son plateau me paraît extrêmement grand. Lorsque je le vois glisser habilement le dossier sous celui-ci, je comprends mieux. J’évite de soupirer. Le patron me sourit et me fait un clin d’œil discret. Non mais je rêve !

- Ce sera tout ?- Oui, merci.

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Il nous quitte en se dirigeant vers le trio suédois. Brenton sirote son jus frais. C’est un grand amateur de fruits. Mieux ça que du sang ou de Dieu sait quoi d’autre !

- Nous avons eu une époque où nous nous abreuvions de sang, mais c’est un temps révolu. Les hybrides n’en ont pas besoin.

- Et les « purs », oui ?

Il ne dit rien. Je connais la réponse. Je prends de petites bouchées de la dense écume veloutée et odorante. Je ne goûte pas le breuvage comme il se doit, un vrai sacrilège. Le côté yengo ne passe pas !

- Il faut être de retour à dix-sept heures trente. Madame Vandermeulen vient chercher nos conclusions.

- Eh merde ! J’ai bien failli l’oublier celle-là ! Je sais déjà qu’elle ne va pas accepter celles-ci. - Mm !- Tu peux développer ?- Même si elle a sa preuve irréfutable que Stickens est le coupable, elle considèrera toujours que

Vantickele est la coupable !- C’est absurde ! On ne peut tout de même pas lui dire que c’est Vantickele la coupable sous

prétexte qu’elle considère qu’elle est la coupable toute désignée à ses yeux ! - Ce n’est pas à nous de décider. Elle fera ce qu’elle veut de nos éléments d’enquête et de nos

conclusions. Avoir le coupable sous la main n’est pas toujours le plus important.- Ah non ? Il te faut quoi alors ?- La conviction qu’une affaire soit résolue au mieux des intervenants.- Mm !

Quand Brenton y va de ses théories, j’ai les neurones qui se mettent en grève générale. Bonjour l’égo !

13. Avant de revenir à la voiture pour notre rendez-vous de fin d’après-midi, je profite pour

acheter certaines denrées au magasin d’alimentation générale qu’on trouve un peu partout. La petite taille du commerce est inversement proportionnelle aux prix pratiqués à la hausse pour les mêmes produits trouvés dans la même chaîne de commerce, mais version supermarché. Cependant, c’est pratique, aussi je ne rechigne pas à me faire arnaquer de cette manière. Lorsque j’arrive avec mes courses enserrées dans mes bras – je ne vais pas payer quelques centimes de plus pour un sac en plastique, hein – Brenton est assis sur le siège passager. Je me déleste vite du tout sur le siège arrière, priant pour que les aliments et autres arrivent intacts à destination. Je m’installe au volant. Et le croc croc me donne la bienvenue. La pomme est d’une taille XL et est hybride entre jaune et rouge. Il en est au trois-quarts. D’où les sort-il? Je conduis dans le trafic dense, les yeux rivés à tous les points de visibilités de la voiture. L’air extérieur est à la fureur circulatoire, ne s’arrêtant aux arrêts indiqués que pour mieux repartir toujours aussi furibonds ! J’ADOOOORE les heures de pointe ! Une demi-heure plus tard et les nerfs en pelote, nous arrivons dans mon bureau. Brenton n’a pas dit un mot. Je n’ai rien rétorqué à ce silence somme toute habituel de Brenton. Je me sens légèrement déphasée !

Madame Vandermeulen est arrivée ponctuelle. C’est une femme d’une petite quarantaine qui est sûrement belle, mais avec tout ce maquillage, c’est difficile de voir et de savoir. Sa mise est impeccable et sa morgue aussi. Hautaine est un euphémisme en ce qui la concerne. Elle a des avoirs, des biens, une condition sociale enviable et elle ne l’envoi pas le faire dire, elle fait panneau publicitaire à elle toute seule de ce état de fait. Si cela ne suffit pas, elle n’a aucune difficulté à faire de la propagande. Dès son entrée, elle a déployé son éducation parfaite, mais teintée alentour de véritables icebergs miniatures. Brenton lui a servi un thé particulier – inutile de me demander quel genre, je n’en sais rien – qui a eu l’heur de lui plaire, plus encore lorsqu’il a apporté un plateau avec

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un service en porcelaine de Limoge d’une exquise facture. Le détail a fait s’illuminer ces yeux si lourdement fardés. Brenton a été parfait. Je me demande s’il n’a pas été majordome dans un autre temps. Pendant qu’elle sirote avec componction l’eau chaude agrémentée d’une décoction d’herbes sélectionnées, je lui explique le dossier. Elle dépose la tasse sur la sous-tasse et le tout sur le plateau dans un coulé brassé dignement calculé. Elle prend le dossier et lit la page où j’ai condensé l’essentiel des conclusions de notre investigation. Brenton s’est assis sur un siège. Il a croisé ses longues jambes l’une sur l’autre d’un geste élégant et garde la posture. Il est immobile. C’est toujours étrange de voir comment il peut rester immobile autant de temps. Question d’habitude et d’âge, je suppose. Madame Vandermeulen referme le dossier avec sobriété et le dépose sur un coin de ma table de bureau.

- Je vois que vous avez fait le nécessaire pour aller au fond des choses, mais je ne suis guère satisfaite avec la conclusion. Quoi que puissent dire les preuves, et croyez bien que je ne réfute en rien vos arguments qui dénotent la minutie avec laquelle vous avez collectés vos éléments d’enquêtes, je reste persuadée que Mademoiselle Stickens est la coupable dans toute cette navrante affaire. Cependant, je garde votre dossier bien à l’abri, il me permet d’avoir une bonne assise pour les décisions que je serai amenée à prendre un de ces jours prochains.

Elle ouvre son sac d’une marque très chère et très glamour. D’une main leste elle sort une enveloppe. Quand je pense au temps que je mets pour trouver quelque chose dans mon barda ! Impressionnant !

- Voici un chèque comme concerté préalablement pour vos services.

Je le prends et le dépose sur mon buvard. Oui, je sais ! Un buvard ça craint, ma is c’est Béranger qui l’utilisait. Il était encore de la vieille école. Elle se lève avec grâce et coquetterie, jette un regard charmeur à Brenton qui s’est levé prestement et l’aide à remettre son manteau mi-saison d’un prix sûrement très élevé et d’une marque que je ne connais pas. Elle me tend une main fine, soignée et parfaite que je serre légèrement. Sa poigne est souple comme seule peut l’être une main aussi manucurée.

- Je vous accompagne, chère Madame…- Merci.

Brenton la précède et se montre un parfait gentleman. Dingue ! Je crois que j’ai besoin de vacances. Quelques minutes plus tard, Brenton revient accompagné de Pernel. Manquait plus que lui.

- Dîtes-moi Pernel, vous avez fait vite…- Hein ?

Il s’affale sur la chaise encore tiède laissée par Madame Vandermeulen.

- Je disais que vous avez fait vite en récupérant le dossier laissé pour vous au point de…- Ah ! Non ! Je n’ai pas encore été le chercher. Je viens pour une autre affaire. On a retrouvé

deux cadavres, un couple de branques multi récidivistes dans des affaires délictueuses, totalement vidées de leur sang. Cela s’est passé il y a trente-six heures. Le service est sur les dents ! Il est temps qu’on ait une explication tous les trois ! J’ai les fesses qui ne vont pas tarder à être éjectée de mon poste si je ne ramène pas des éléments concluants dans cette affaire. Donc…

Brenton s’est posté contre le mur du fond et a sorti une pomme verte de je ne sais où. Il la tourne, la porte à ses lèvres. Croc croc… Pernel me fixe du regard. J’avais vraiment besoin de lui maintenant !

14.

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Pendant quelques minutes, Pernel me fixe du regard, essayant de me déstabiliser et surtout de m’intimider. Il arrive avec plusieurs heures de retard, Brenton l’a fait et beaucoup mieux que lui. De toute façon, Pernel ne m’a jamais impressionnée. Il est comme un furoncle, gênant, douloureux, mais pas vraiment inquiétant. Béranger le détestait cordialement, le méprisait complètement et s’en formalisait au plus juste. Brenton n’a pas bougé. Il ne se tient pas tout à fait derrière Pernel, mais si celui-ci veut l’avoir dans la mire de son regard, il devra tourner sa tête de trente degré. Pas vraiment efficace lorsqu’on veut menacer quelqu’un. J’ai un petit rire intérieur. Brenton l’a fait délibérément, ce qui m’amuse toujours. Enfin m’amusait, je me sens un peu remontée contre lui. Je continue à regarder fixement Pernel. Ereintant ! Il me les brise menu !

- Vous avez apporté un dossier ?- Sur ces deux cadavres ?- Non. Sur l’une de vos affaires en cours. A moins que vous ne vouliez que nous recherchions

des indices particuliers pour boucler les affaires.- L’affaire ! Même modus operandi !- L’affaire, donc. Alors, un ou plusieurs dossiers habituels ?- Ne jouez pas la maligne avec moi ! Je n’ai pas encore de dossiers « habituels »  à vous

soumettre et vous le savez pertinemment ! Je veux tout ce que vous savez sur l’enfant de salaud qui a laissé ces deux cadavres vidés de leur sang avec une expression d’extase infinie sur le faciès !

Je sursaute. D’extase ? Rien que ça !

- Vous êtes sûr que cette expression n’était pas due à une surdose de stupéfiants…- A d’autres ! Vous savez parfaitement que ceux qui sont retrouvés morts par overdose n’affiche

jamais un air d’extase et n’ont jamais été vidé de leur sang ! Et vous… Brenton… Ah ! Venez donc par ici que je puisse vous parlez face à face, bordel !

Pernel est cramoisi et son pull-over manque d’éclater sous la formidable explosion de rage impuissante qu’il ressent. La chaise grince sous la force de son malhabile mouvement pivotant pour tenter de voir entièrement Brenton toujours aussi insolemment calé contre le mur.

- C’est si gentiment demandé, Pernel… Comment refuser ?

Pernel souffle comme un phoque. Brenton prend une chaise et vient s’assoir sur un côté de ma vaste table peu pratique, de sorte qu’il est proche de moi, mais aussi de Pernel tout en restant hors de notre atteinte visuelle directe. Je souris intérieurement. Quel con ! Pernel essaie de se positionner sur la chaise afin de nous avoir dans l’axe de son regard, sans y parvenir. Il se retient de dire quoi que ce soit. Il finit par rester immobile. Il passe un mouchoir sur son front moite de sueur. Son corps s’avachit contre le dossier.

- Ecoutez les gars… J’ai toujours été cool avec vous deux…- Trois…- Trois ?- Trois lorsque Béranger était vivant…- OK ! Trois ! Donc… je vous ai fourni des infos confidentielles sur des personnes qui avaient

eu des agressions non explicables… - Et nous avons trouvé des tas d’indices qui ont aidé à boucler des dossiers brûlants…- Oui ! Je le sais. Mais là…

Il déglutit fortement. Il transpire à grosses gouttes. Il n’a pas l’air dans son assiette. Pourquoi ?

- Cette affaire peut être la fin de ma carrière… il me reste cinq ans à tirer et je peux demander ma pré-retraite. J’y tiens. Je veux profiter un peu de la vie avant de passer l’arme à gauche. Si cette affaire n’est pas…

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- Pourquoi ?- Pourquoi quoi ?- Pourquoi cette affaire en particulier vous limogerait, Pernel ?- Vous avez toujours été tellement naïve ma pauvre Cosanta !

Il se tait, un rictus méprisant aux lèvres. J’attends toujours la réponse à ma question et à la suivante qui serait : pourquoi ai-je toujours été tellement naïve ? Pernel se redresse dans le siège, ce qui n’est pas une mince affaire. Le siège plus tout jeune grince et les masses de tissus corporels de la bedaine de Pernel menacent de craquer sa chemise. Des auréoles trempées teintent la toile autour des aisselles rendant le tout plus répugnant encore, quoi que très surprenant. Pernel ne nous a pas habitués à une dégaine aussi navrante. Les choses vont sans doute plus mal qu’il ne le laisse entrevoir.

- D’accord ! Que voulez-vous savoir, Pernel ?

Un bref soupir inaudible secoue ce dernier. Si je ne l’avais à l’œil, il serait passé inaperçu. Il s’agite sur sa chaise, essayant de nous regarder tous les deux en même temps sans pouvoir y arriver. Très habile, Brenton !

- Tout ! J’ai besoin de tout ce que vous savez ! Et ne me dîtes pas que vous ne savez rien, ça fait des années que vous suivez à la trace un suspect qui, jusqu’à maintenant, je croyais fictif !

- Ah bon ? Et qu’est-ce qui vous a fait changer d’idée ?- Ça !

Il laisse tomber une breloque sur la table. Je ne vois pas bien ce qu’elle est tandis qu’elle roule vers le bord pour s’écrouler sous peu par terre. Brenton réagit au quart de tour et attrape le petit objet. Il le tient entre deux doigts. Je blêmis. Il s’agit d’une des breloques en platines et diamants d’un lourd bracelet en or massif que j’ai porté durant longtemps avant de me le faire chouraver une nuit. J’avais porté plainte et… Oui ! Pernel s’était chargé de ma plainte et du suivi de l’affaire qui n’avait abouti à rien. Jusqu’à maintenant. Le bijou était assuré compte-tenu de sa valeur et je possédais des photos détaillées de celui-ci. Pas étonnant que Pernel soit venu directement ici !

- Où l’avez-vous trouvé ?- Dans la main d’une des victimes.- Eh merde ! Comment l’avait-elle en sa possession ? Est-elle le voleur ?- Non ! La victime a surtout été appréhendée, avec peine de prison exécutée à deux reprises,

pour harcèlement sexuel avec tentative de viol et la deuxième condamnation pour viol avec coups et blessures.

- Quel âge avait cette « victime » ?- Trente-sept ans ?- Chapeau ! Un beau palmarès pour un homme sommes toutes pas si vieux !- Ce n’est pas un homme, c’est une femme !- Quoi ?- Oui. Désolée de vous frustrer les stéréotypes, Cosanta, mais il s’agit ici d’une récidiviste qui

s’en est pris à des tous jeunes hommes à peine majeurs ! On n’a malheureusement pas pu l’inculper pour plus de délits, faute de preuves, mais il semble qu’une personne ait décidé de procéder à une « peine de mort ».

- De l’humour noir, Pernel ?- Pas vraiment ! J’ai longtemps cherché à la foutre en tôle pour le restant de ces jours, mais sans

succès. Un cas résolu, mais… qui me laisse encore plus de problèmes sur le dos !

Je n’ose pas demander qui est le deuxième macchabé. Il n’a pas tort ! A force d’assumer trop de choses, on perd de vue un doute raisonnable et une objectivité nécessaire en tous points ! Brenton fait tourner la breloque d’un geste de saltimbanque qu’il a peut-être été dans une autre existence. Allez savoir ! Il relève la tête et regarde Pernel avec… commisération et sympathie ? Allons bon ! J’hallucine grave là !

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- Vous avez les dossiers de ces deux victimes ?

Pernel ne dit rien. Il gigote sur son siège. Décidément ce soir il ne tourne pas rond notre Pernel !

- Oui.

Il sort une clef USB de sa poche de poitrine. Il le tourne entre ses doigts ! C’est une neuve ! D’ailleurs ce sont toujours des nouvelles, à croire qu’il en a acheté tout un stock ! Ça ou il est encore plus parano que moi et Brenton réunis ! Il le dépose sur un coin de la table. Personne ne le prend. Brenton pose la breloque près du stick.

- Je suppose que cet objet n’est pas repris dans le dossier comme pièce à convictions ?

Pernel ne dit rien, mais sa crispation de tout le corps est un aveu en soi. Parfait  ! Tout simplement parfait ! On limogerait pour moins que ça !

- Je suppose donc que vous l’avez amené pour que nous le gardions et en fassions bon usage.

Pernel ne dit toujours rien, mais c’est clair !

- Nous allons prendre connaissance du dossier et nous vous donnerons des infos utiles pour vous et votre situation actuelle.

Pernel regarde fixement Brenton qui s’est déplacé pour l’avoir directement dans sn angle de vision. Il hoche la tête et, je ne le jurerais pas, mais il semble soulagé. Il sort un grand mouchoir à carreaux de sa poche de pantalon après deux ou trois contorsions poussives et malhabiles. Il s’éponge le front et le visage avec effusion. Il fait une boule du tissu bariolé en refermant son poing violemment autour.

- Je vais chercher le dossier que vous avez laissé au lieu-dit. J’ai mis un autre dossier avec toutes les explications, à part les… à part les deux autres affaires !

- Vous ne perdez pas le nord, Pernel !- Plus que vous ne croyez, Cosanta.

Il se lève lourdement du siège qui craque lamentablement. Il me fait un salut protocolaire de la tête.

- Je vous accompagne Pernel…- Merci, Brenton, je connais le chemin !- Je n’en doute pas !

Il suit Pernel. S’il croît qu’il est de taille à arrêter un Brenton décidé, c’est qu’il ne sait pas à qui il a affaire. Et moi, si ?

15.Je tourne en rond, petit patachon, dans mon living-salon-salle-à-manger et pièce d’appoint

pour éventuel invité, dans le cas où la chambre d’amis serait déjà occupée. Je n’arrive pas à dormir. Cause ? Brenton, bien sûr ! Sûr qu’il n’a pas de problème pour trouver le sommeil, lui ! Mais dort-il ? Après tout avec sa nature hybride mi-yengo et mi-je-ne-sais-pas quoi, on peut se poser la question sur… tout de lui, finalement. Ou, non ? Je peux prendre un verre de lait chaud avec du miel, une cuite à la liqueur de framboise, compter des moutons jusqu’à perdre le compte et prendre le risque qu’un d’eux soit manger tout cru par un loup lambda qui passait par là, prendre un anxiolytique ou un somnifère, jouer au solitaire, à des jeux de hasard via ordi jusqu’à vider tous mes comptes en banque –

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deux en réalité, courant et épargne - voir des pornos jusqu’à en devenir frigide, me masturber avec ou sans appareillage multifonctions en latex ou autre matière 100% non-organique, me… Un coup bref sur ma porte d’entrée arrête net mes possibilités pour trouver enfin un sommeil réparateur. Deux heures sept minutes du matin. Qui est « la » ou « le » crétinisé du bulbe qui vient rompre mon insomnie à pareille heure ? Je prends un vase en argent et me dirige lentement et silencieusement vers la porte. Je sais. Un Glock 9 mm Parabellum 18 pouces serait plus efficace, mais je n’ai pas d’arme à feu dans la maison, ni ailleurs. A quoi bon ? Ne sachant pas m’en servir, elle se retrouverait vite entre les mains de mon opposant. Inutile de donner une arme pour me faire abattre. J’ouvre d’un coup sec pour l’effet de surprise. Brenton est appuyé contre le chambranle avec son épaule, une moue railleuse aux lèvres. Il tient une pomme jaune dans sa main gauche et un sac en plastique dans l’autre qui sent furieusement bon. Des plats grecs ?

- Je t’entends presque ruminer depuis chez moi…- A trois kilomètres de distance ? T’as vraiment une ouïe super fine, Clark Kent!- Mm ! Tu me permets d’entrer dans ton humble demeure malgré une heure aussi indue ? - Cela dépend avec quoi tu penses me corrompre ?- Tu n’aimerais pas savoir tous les détails, mais jusqu’à ce jour… j’ai pensé qu’un traiteur grec,

« Thalasonika », te convaincrait…- Thalasonika ? Pourquoi ne l’as-tu pas dit plus tôt ? Allez, entre, oh, grand corrupteur

malveillant et sois le bienvenu dans mon modeste logis !

Dix minutes plus tard, je dévore les plats succulents. Thalasonika n’est pas un banal resto grec, c’est la quintessence des restos grecs, le nec plus ultra des mets culinaires. Qui n’a jamais goûté la cuisine de Thalasonika ne sait pas ce qu’est un festin divin, ni même ce qu’est manger. Brenton mange plus délicatement. Pour certaines choses il fait preuve d’un raffinement qui me fascine. Si j’avais su que je ferais honneur à pareilles délicatesses, j’aurais mis d’autres fringues. Ce jogging épuisé et presque en lambeaux, qui en a vu plus que son compte, n’est vraiment pas à la hauteur. Mais bon… chez soi on fait comme on veut, non ? Brenton a un pantalon en cuir souple et vaguement brillant qui lui va à ravir. Son sweet est d’une teinte indéfinissable et aussi éreintée que mes vêtements, mais sur lui, le moindre oripeau parait un vêtement de luxe. Quelle classe ! Ses cheveux en catogan sont ébouriffés. Il a pris sa moto. Son casque doit être dans le couloir avec sa veste en cuir renforcé. Je ne suis monté qu’une fois sur le monstre chromé et j’ai eu la peur de ma vie. Il roule divinement bien, mais même sa dextérité à passer entre les voitures n’a pas réussi à me calmer. La marque ? J’ai l’air d’un concessionnaire ou quoi ? Pas une Harlem, je connais mes classiques. Une autre marque. Je dépose ma fourchette pour déguster un peu de ce vin rouge qu’il tient en réserve chez moi quand il décide de m’honorer de sa présence pour partager un gueuleton. C’est que Monsieur a des goûts raffinés, pas comme moi qui boirait n’importe quel jus de treille sans rien à redire. Je fais le désespoir muet de Brenton. On est comme on est !

- Et à part ton ouïe supersonique, tu es venu pourquoi au juste ? Pas que je sois navrée de ta venue, que du contraire, tu peux venir quand tu veux pour me débaucher, mais… ce n’est pas vraiment ton style.

- Tu serais étonnée !- Je n’aime autant pas, réflexion instantanée faite ! Des ennuis avec la… quelle initiale déjà ?- Pas d’initiale cette nuit.- Oh ! Tu veux dire qu’elle n’a pas de nom ? C’est horrible ça, non ?

Il me sourit en prenant une gorgée du nectar rubis sans me quitter des yeux. Il me fait toujours autant d’effet. C’est flippant ! Il dépose lentement son verre sur la table. Le dessert attendra.

- J’ai décidé que je vais squatter ta chambre d’amis durant un certain temps.- Ah ! Et tu songes me demander mon avis ou tu me préviens juste de ton intention ?- Les deux.- Bien ! Avant de te donner mon avis qui ne compte déjà plus du tout pour la décision finale, je

peux savoir pourquoi tu comptes faire une chose pareille ? On ne t’a pas viré de ta maison, si ?

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- Je suis propriétaire.- Ah oui ! Difficile de te virer ! Donc… c’est quoi l’idée ?- De te protéger.- Attends, Brenton ! Tu m’as déjà mis des protections partout, c’est toi-même qui me l’as dit.

Qu’est-ce qui a changé depuis ?- La breloque !

J’ouvre la bouche. J’ai un mauvais pressentiment.

- Tu veux dire que Pernel en amenant la breloque a fait ce que l’agate aurait fait si…- Non. Nullement. Cependant Minao vient de me donner une réponse claire.- A quelle question ?- S’il veut t’avoir ou pas.- Et la réponse est ton installation dans ma chambre d’amis ?- Oui.- Bien ! Tu as apporté des affaires pour la durée indéterminée de ton séjour chez moi ?- Elles sont dans le couloir.- Bien ! Et les… euh… copines avec qui tu as des rendez-vous…- Elles ne sont pas prévues dans la chambre d’amis.- Bien ! J’aime autant…

Brenton me sourit. Je rougis. S’il croît que je suis jalouse, il a mille fois raison. J’aurais vu une de ces pétasses connasses pouffiasses dans MON appart, je ne sais pas ce que je serais capable de faire !

- Un dessert, un café, un thé, une aide manuelle pour rentrer tes affaires ?- Un café, si tu veux bien. Je vais chercher mes affaires.

Génial ! J’ai presque Brenton là où je le voudrais, même si c’est à plusieurs mètres de mon lit, mais bon… je m’approche de mon objectif ou pas ?

16.Mon appart n’est pas très grand, mais il est très bien agencé. Il comporte deux chambres à

coucher de belle taille, deux salles-de-bains, une qui se trouve avec la chambre principale, autrement dit la mienne, une toilette à part, une cuisine semi-américaine qui est parfaite pour que j’y prennes mes repas, accompagnée ou pas, une petite pièce qui pourrait servir de débarras, mais qui me sert de bureau et une terrasse assez grande qui donne sur le jardin fort bien entretenu de mon voisin d’en dessous (c’est un premier étage et au-dessus de moi il y a une énorme mansarde). Au départ c’est une maison unifamiliale, mais mon voisin d’en dessous à séparer la maison en deux étages distincts. J’ai eu cet appartement par Béranger qui me l’a légué ainsi que l’agence (50% est à Brenton) à sa mort pour des raisons que je ne m’explique pas. Je ne paie donc pas de loyer, ce qui m’arrange bien. Compte-tenu de la conjoncture économique actuelle, ce n’est pas à dédaigner.

J’ai fait le lit avec de nouveaux draps. Normalement, il y en a toujours, au cas où j’aurais un invité surprise, mais je préfère les changer pour qu’ils soient frais et prêts à l’utilisation. Question d’accueil, rien de plus ! Même si c’est pour Brenton…

- Il ne fallait pas…

Je pousse un petit cri et trébuche sur le lit où je m’étale. Le t-shirt taille XXXL que j’arbore remonte illico, ce qui laisse à découvert mon torse nu. Je ne porte pas de soutif à la maison. Je devrais, j’ai des gros seins… mais j’aime la sensation de ne rien porter sous les vêtements… Je deviens toute rouge ! Merde ! Brenton se tient près du lit pendant que je me débats avec le vêtement pour qu’il cache ma nudité. Le mouvement est aussi gracieux que celui d’une tortue sur le dos, mais je n’y peux rien  !

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Quand Brenton est dans les parages, je deviens gourde totale ! J’arrive à redescendre la saleté de t-shirt sur mon torse. Brenton me tend une main. Je la prends en soupirant. Il me hisse hors du lit. Je reste quelques secondes collée contre lui. Je ne regarde nulle part en particulier. Il fait deux pas en arrière. Je déglutis.

- Je vais t’aider…- Quoi ?- Pour le lit…- Oui, oui !

Quelques minutes plus tard, le lit est fait. Je le drive dans l’appart lui expliquant avec forces détails des tas de choses que je pense qu’il doit savoir pour bien utiliser ma demeure quand il me prend par les épaules doucement, me place en face de lui tout en pliant les jambes pour être à la hauteur de mon regard.

- Eh ! Du calme ! Imagine que je suis un colocataire d’unif… je te promets que ma présence ne va pas t’occasionner de souci. Nous nous connaissons. Tu as confiance en moi ?

- Oui.- Bien ! Alors tout ira bien.

Je le regarde dans les yeux. Il me fait toujours autant d’effets, mais maintenant c’est pire. J’ai tellement envie de me le faire que j’en ai la tête qui tourne.

- Oui… je crois que je vais aller dormir… la journée a été longue.- Oui.

Brenton me relâche doucement les épaules. Je pose un instant le front contre son torse. Il caresse mon dos. Putain ! Je vais en baver, je le sais. Je m’écarte lentement, style sparadrap qu’on n’a pas envie de retirer d’un coup. Je me détourne. Bonjour la bonne nuit que je vais avoir !

J’ai dormi. Bizarre, mais vrai ! Lorsque j’ai repris conscience, j’ai écouté attentivement tous les sons de mon appart, à la recherche de certains qui ne seraient pas habituels. Rien ! Tout est conforme à ce que j’entends chaque matin. Il doit dormir ou alors, il est sorti sans faire de bruit ou… une chasse d’eau ! Non ! Brenton est là. Je souris. Espérons qu’il rabaissera le couvercle de la toilette, mon frère ne le faisait jamais ce qui me faisait rager à mort ! Il doit se laver les dents, j’ai entendu le bruit un peu sec que fait le robinet en s’actionnant. Il doit être changé, mais je n’ai pas encore trouvé le temps. Plus rien… Ah ! La douche. Encore un robinet qui devrait être changé. L’eau dans les tuyauteries. Sept minutes. Bigre ! C’est un rapide ! Des pas feutrés dans le couloir qui passe devant la porte de ma chambre sans s’arrêter. Il a les reins ceints d’un essuie ou pas ? Je suis tentée de le vérifier illico presto, mais je me retiens ! Non, je ne suis pas curieuse et encore moins de savoir comment est la plastique de Brenton ! Et si je mens, c’est juste un petit peu !

Un quart d’heure plus tard, j’arrive dans la cuisine. Il est habillé. En partie. Un pantalon en cuir noir tombant bas sur ses reins, moulant une paire de fesses qui n’a rien à envier à celle du David de Michelangelo, met en valeur un torse large, glabre dont les muscles n’ont rien à envier à un sportif de haut niveaux qui se les serait taillés sous stéroïdes ou muscu hystéro dans salle de sport. Il est nonchalamment assis sur une chaise haute devant le plan de travail qui fait aussi office de table.

- Bonjour. J’ai préparé du café pour toi… mais je n’ai rien fait à manger…- Je… j’ai oublié d’acheter des trucs hier…- Je peux faire du pain perdu avec ce qu’il te reste de pain…- Tu sais cuisiner ?- J’aime cuisiner.- Mm !

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J’aurais dû m’en douter. Brenton est l’incarnation masculine de la perfection. Ne cherchez plus, je l’ai trouvé et je l’ai presque sous la main. Il se lève et vingt minutes plus tard, j’ai un petit déj complet devant moi. Parfait, je vous dis ! Trente minutes plus tard nous partons à l’agence.

17.Je ferme d’un coup sec le troisième dossier, une affaire en cours qui n’aboutit pas. J’ai beau

tourné tous les éléments d’enquête en tous sens, il y a quelque chose qui m’échappe. Finalement ma première impression va s’avérer la bonne, à savoir que le propriétaire de l’entreprise veut un dossier qui lui permettra de frauder le fisc afin de récupérer un déficit budgétaire dans son bilan comptable annuel. Il a su me donner suffisamment d’indices pour que je ne voie qu’une erreur administrative due à un employé malveillant et ainsi il pensait avoir gain de causes, sauf que les conclusions que j’ai émises dans l’affaire ne vont pas dans son sens à lui et encore moins après avoir compris que son but n’était pas de confondre quelqu’un et une administration, mais bien d’escroquer en toute impunité. Etant donné que nous sommes la seconde agence d’investigation qu’il consulte – détail qu’il s’est bien gardé de nous fournir, mais le monde des agences est un petit univers en soi – avec un résultat similaire au mien, Monsieur Peterbuik ne va pas apprécier le résultat de mes recherches. Ça ne va pas me fendre le cœur ! Et on ne peut pas toujours avoir son goût, comme dit toujours un de mes oncles !

J’ouvre un nouveau fichier où se tient un nouveau dossier. Normalement, j’aime les nouvelles enquêtes. Pas aujourd’hui ! Je me sens légèrement… Je ferme le document. Je pivote sur ma chaise. Brenton est assis en face de moi. Il termine de lire un dossier qui est clôturé. Demain Madame Glandeur viendra pour apprendre ce qu’il en est. Je pense qu’elle sera satisfaite de savoir que ses doutes étaient plus que raisonnables. Son mari a bien fait le nécessaire pour la dépouiller légalement d’une partie de ses biens, tout en continuant à être marié avec elle. Jusqu’à présent, ce dernier a réussi à détourner trente-sept milles euros, mis à son nom une parcelle de terrain héritée depuis longtemps par sa femme et jamais utilisée jusqu’alors. Une de ses intentions est de la vendre pour son unique profit. Je suis satisfaite d’avoir pu aider cette charmante femme bien sous tous rapports, mais un peu trop crédule ou confiante. Et comme toujours, il a fallu une petite circonstance anodine pour qu’elle subodore que les choses n’étaient pas comme elles devraient être, pire qu’elles jouaient carrément en sa défaveur.

Mon regard parcourt le corps musclé de Brenton. Je vois mieux combien il est canon depuis la rencontre culinaire de ce matin ! Son air concentré n’est pas feint. Il a une énorme capacité à se focaliser totalement sur un sujet. Rien ne peut le distraire. Un atout assurément.

- Je veux aller sur les lieux des crimes…

Brenton relève la tête. Je n’ai pas dit qu’il était incapable de percevoir ce qui l’entoure. Il semble avoir une sorte de vigilance complète sur ce qu’il fait et ce qui est autour de lui. Maintenant je sais pourquoi.

- Je veux voir s’il y a des traces…- Mm !- Ça veut dire quoi ? Que tu approuves, désapprouves, pense que c’est inutile ?- Peu judicieux, mais si je m’y oppose, tu iras toute seule. Je n’aimerais mieux pas.- Quoi ?- Que tu t’y rendes seule.- Quelle différence ? J’ai toujours été sur les lieux de ses méfaits. Il doit le savoir à l’heure qu’il

est.- Sans aucun doute. Sauf que ce n’est plus pareil. Il y a deux victimes. - Et ?- Il ne joue plus.

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J’ouvre la bouche. Il veut dire quoi ? Il sort une pomme d’un rouge vif et croque à belle dents. Le croc croc est puissant. Je grince des dents.

- Tu expliques ?- Mm !

Croc croc. J’attends. Et je peux attendre longtemps. Il n’en dira pas plus.

- On part quand ?- Quand tu veux, Vinouha…

Je le regarde fixement. Comment connait-il mon vrai prénom ? Officiellement, je m’appelle Virna Cosanta. Tout le monde m’appelle Vir ou Virna ou Cosanta, mais jamais Vinouha. Plus depuis le décès de ma mère. Mon père est inconnu au bataillon depuis ma naissance. Quant à mon frère… il est devenu une sorte de baroudeur du monde. Un an ici, un autre là, plusieurs autres là-bas… et pratiquement plus jamais ici. Nous n’étions pas trop proches. Il a sept ans de plus que moi, issu d’un autre père inconnu. Ma mère aimait les inconnues dans une équation amoureuse qu’elle n’arrivait jamais à assumer pleinement. Le pouvons-nous toujours ? Donc père inconnu… Du moins il l’était pour moi. Je suppose que ma mère savait qui il était. Je pousse un soupir. Non. Je ne poserai pas la question qui me brûle les lèvres.

- Comment connais-tu mon prénom ?

Lapsus involontaire ou curiosité insatiable, chez moi les deux forment un couple imparable. Je fais une affreuse grimace. Il me sourit énigmatiquement en déposant le dossier sur mon bureau.

- Nous y allons.

OK ! Vous avez déjà essayé d’interroger Brenton ? Essayer à l’occasion, c’est un ticket assuré vers le burn-out !

18.

La rue qui mène à la discothèque fermée n’est pas très grande. Elle est proche du centre-ville, mais pas tellement, ce qui en fait un lieu de passage restreint. Il semble que c’est l’endroit à la mode qu’il faut absolument fréquenter si on veut « être in » ou « à la page », quel que soit le terme utilisé actuellement. Le quid : si tu ne vas pas là, t’es personne ! OK ! Je ne suis personne et ça m’arrange vachement ! Vu de l’extérieur, l’endroit a l’air plutôt petit, sauf que ce n’est pas le cas. L’intérieur peut contenir près de cent septante personnes, facile. J’imagine qu’une bonne partie de la fête se passe à l’extérieur, surtout pour les fumeurs. L’idéal pour notre tueur. Les trottoirs sont plus petits qu’ailleurs, je suppose que pour permettre aux véhicules de mieux circuler. La rue a dû être habitable à une époque, mais maintenant elle n’abrite plus que des magasins, deux vides et peut-être quelques appartements loués. J’imagine que peu de monde se pousse au portillon pour habiter une rue qui voit quatre jour à la semaine une discothèque ouverte toute la nuit. Un élément dissuasif des plus efficaces. La scène du crime est conforme aux desideratas de machin !

Je n’ai eu aucune peine à savoir où étaient les corps. Le bâtiment aujourd’hui utilisé comme discothèque a été construit plus tard que la maison qui la jouxte. Celle-ci est un des magasins fermés et personne n’habite là, ce qui en fait un édifice voué à la démolition ou à la rénovation, selon le plan urbanistique prévu par les autorités compétentes. La maison est plus petite et se retrouve plus en arrière que la façade de la discothèque, ce qui fait une sorte de renfoncement de trois mètres qui donne sur une sorte de petit espace étroit d’un mètre cinquante, trop petit pour être nommé impasse ou même ruelle. Cette séparation et cet interstice débouche au fond sur un mur de brique qui doit être le mur arrière d’une maison dans la rue suivante. La longueur est de cinquante mètres à vue de nez. L’endroit

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est décidément parfait pour Minao. Une nuit, une foule, un endroit propice, tout ce qu’il apprécie. La question est de savoir pourquoi a-t-il décidé de tuer ces deux victimes ? L’autre est un jeune homme de vingt-trois ans, drogué lambda, vendeur à l’occasion, petits trafics en tous genres. Il semblait aller à voile et à vapeur et tapinait de temps en temps. En gros, une petite frappe comme il y en a beaucoup. A moins qu’il n’ait été coupable de bien pire, on ne peut pas l’associer au profil-type de victime de Minao. Dans chacune des victimes précédentes, il y avait un côté pervers ou vicieux, qui les rendait à mes yeux nettement moins sympathiques qu’une victime habituelle. Je n’irai pas jusqu’à dire que je me réjouissais de ce qui arrivait à ces déchets de l’humanité, mais c’est un peu l’idée. Ici, ce Robert Crijstens, était plus un petit malfrat à la manque que réellement un pervers de la société. La femme affiche le CV ad hoc pour les critères que Minao semble rechercher, mais il y a eu d’autres femmes avec un pedigree bien pire et il ne les a pas tués pour autant. Alors pourquoi eux et pourquoi maintenant ?

Je ratisse les lieux avec minutie, sachant que je ne trouverai sans doute rien. La criminelle a fait impec son boulot. J’entends le croc croc de Brenton qui se trouve non loin de moi, adossé au mur de la faille dans cette pose nonchalante qu’il affectionne particulièrement et qui me fait craquer à donf. Ses bottes de motards sur son pantalon en cuir noir scellé autour de son corps comme une seconde peau me donne envie de me jeter contre lui et de lui faire passer un quart-d’heure à ma façon  ! OK ! Pas très politiquement correct, mais vous ne connaissez pas Brenton ! Je marche penchée en avant lentement pour essayer de repérer quelque chose, un indice, une anomalie. Rien. Le sol est en béton disjoint et craquelé ici et là par des mauvaises herbes persistantes qui ne sont pas gênées par le manque de luminosité. J’arrive au mur du fond. Ce dernier n’est pas en meilleur état que le sol. Je lève la tête sur la faible luminosité qui arrive jusqu’à moi d’un ciel passablement gris annonciateur de pluie. Je regarde les murs qui m’entourent. Ils sont dans un état précaire, mais solides. Les deux bâtiments ont été construits pour durer. Je reviens sur mes pas en regardant les deux murs simultanément. De temps en temps je regarde en l’air et laisse errer mon regard ici et là. La pénombre incite à lever le nez vers le ciel, même s’il n’est ni gai ni lumineux. C’est en abaissant les yeux que je le vois. Une petite excroissance en terre séchée. On ne dirait pas que c’est d’origine. On ne dirait pas non plus que c’est récent. On dirait une sorte de sceau en terre cuite avec des marques, mais que je ne connais pas. Je m’attendais à des graffitis et autres décorations urbaines, mais ça, c’est autre chose.

- Brenton…

Ma voix ne porte pas très fort. Ces espaces restreints ont tendance à faire des sons de grottes et cela me crispe toujours. Je ne l’entends pas arriver. Il se déplace toujours très silencieusement. Je sais maintenant pourquoi. Ou, du moins, c’est ce que je crois. Je lui désigne la chose du doigt. Il ne bouge pas. Je me tourne vers lui, très surprise par son immobilité et son silence. Normalement dès qu’il est près de moi il dit quelque chose ou fait un geste, là rien. Immobilité minérale.

- C’est quoi le blème, Brenton ?- C’est la signature de Minao.- Pourquoi la police ne l’a pas trouvé ?- Il ne leur était pas destiné.- Et alors ? - Cet artefact ne s’est révélé que parce que tu es là, sinon, personne n’aurait pu le voir. - Mais toi tu le peux ?- Oui. Je suis en partie yengo. Je possède cette faculté.- Et un sceau comme celui-ci ?- Oui. On l’appelle la «  Marque du Chasseur » dans notre langue.- Ah ! Et c’est mal ?- Pas habituellement.- Mais maintenant, si ?- Il t’est destiné.- Mais… je ne le veux pas ! Ça veut dire quoi d’ailleurs ?- C’était un signe honorifique dans l’ancienne civilisation. On le donnait à quelqu’un qui nous

importait pour les raisons les plus variées.

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- Une sorte de trophée ?- A peu près. - Je ne le veux pas.- Il se dissoudrait si tu le prenais dans tes mains. Il est juste placé là en ton honneur afin que tu

le vois…- Et toi aussi ! Il sait qui tu es !- Oui.- Que sait-il d’autres ?- Suffisamment pour te garder saine et sauve. Allons-y ! Monsieur Dupré-Chausson nous

attend.- Qui ?- La personne qui soupçonne sa fille d’avoir pour amant son partenaire en affaire.- Ah oui ! Je me demande ce qu’il désire qu’on trouve. - Ce qui lui conviendra le mieux en ce moment.- Mm !

19.Monsieur Dupré-Chausson est un homme d’une petite cinquante bien entretenue, en

apparence. Il doit faire soixante au bas mot, mais rien ne le laisse supposer depuis son maintien souple, à son costume de bonne facture, mais avec une touche de décontraction pour finir par son excellente condition physique. Voilà un homme qui sait prendre soin de son corps. Il n’est pas beau, mais il a un charme certain. Il doit plaire aux femmes… et aux hommes aussi. Il dépose la fine tasse de porcelaine sur sa sous-tasse avec un geste élégant et mesuré. C’est cela le terme. Il est dans une éternelle mesure, autrement dit, un frappadingue du contrôle. Merveilleux ! J’avais juste besoin d’une telle personne en ce moment si ennuyeux de mon existence. Il me regarde dans les yeux, tout en croisant ses jambes d’un mouvement fluide. Il serre les paumes de ses mains avec tout autant d’élégance que tout ce qu’il a déjà fait jusqu’à présent.

- Je suppose, Mademoiselle Cosanta que vous avez eu le temps de lire le dossier que je vous ai envoyé…

- Cela va de soi…

Je l’ai tout au plus feuilleté, mais j’ai une excellente mémoire. Je prends un air inspiré. Brenton est dans un coin de mon bureau, le dos collé au mur et aussi silencieux qu’une ombre. Je vois du coin de l’œil le petit sourire qu’il a. Je déteste.

- Eh bien ? Est-ce assez d’informations pour commencer une enquête ?- Sans aucun doute, Monsieur Dupré-Chausson. Nous avons là suffisamment d’éléments pour

pouvoir réunir des informations pertinentes dans la situation présente.- Je veux des preuves, pas des informations pertinentes ! Ma fille a un comportement très

étrange et encore plus chaque fois qu’elle voit mon partenaire en affaire, Guy Ronchon-Sulfure !

- J’entends bien ! Nous allons procéder comme nous le faisons d’habitude. - Parfait ! Il n’est pas question que Guy, qui est marié, comme vous le savez, s’en prenne à une

jeune fille aussi naïve et impressionnable que ma petite Veronika, malgré ses vingt-deux ans. Qui l’aurait dit ? Guy qui a toujours été un parfait gentleman se comporter de la sorte et avec ma propre fille, qui plus est !

Monsieur Dupré-Chausson n’a pas élevé la voix, mais le ton est glacial et d’une violence extrême. Elle n’aimerait pas l’avoir contre elle dans une affaire, il doit être des plus redoutables ! Ceci dit… cette affaire est déjà déplorable. Quoi qu’on trouve, cela ne plaira pas au père de cette Veronika. Il y a sans doute plus sous cette affaire que le désir paternel de protéger sa fille.

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Monsieur Dupré-Chausson se lève d’un mouvement fluide. Il replace sa veste de costume qui est plus qu’impeccable.

- Bien ! J’attends de vos nouvelles aussi vite que possible. Vous comprendrez que dans ma position, il est impératif que je sache sur qui je peux compter.

- Je comprends.

Oui. Très bien même. Ecarter un partenaire devenu indésirable est évidemment un excellent motif. Brenton se tient près de la porte. Notre client me serre la main à la façon pro des vrais commerciaux. Cinq minutes plus tard Brenton revient. Il prend place sur sa chaise habituelle, la fait basculer sur deux pieds, se balance un peu et porte à ses lèvres pleines et finement ourlées une pomme jaune piquetés de petites taches de rousseur brun pâle.

- Cette affaire pue.

Croc croc.

- J’ai un mauvais pressentiment. La chaste Veronika n’est sans doute pas aussi chaste, ni clean que le pense ou le croît son paternel.

Croc croc… croc…

- On va devoir la jouer finement.

Croc croc croc...

- Allons-y…

20.Traverser Bruxelles entre l’heure du midi est un vrai cauchemar. La circulation passablement

mal embouchée à longueur de journée, avec de très faibles accalmies ici et là, met les nerfs de tout le monde en pelote. Brenton est silencieux. Il l’est souvent. Je suis bavarde pour deux. J’ai eu le temps de relire le dossier pendant qu’il manœuvre avec dextérité notre berline officielle, la vraie voiture passe-partout. Le trafic autour de nous est pénible. La grossièreté se décline aujourd’hui tant à pied qu’en voiture, sans parler des manquements au code de la route qui donne l’impression d’avoir des amateurs qui ont reçu gratuitement leur permis ou comme disait Béranger : «  ils ont dû l’acquérir en bonus avec un paquet de lessive ! » Je ne reconnais pas les rues, ni les avenues et autres boulevards que l’on traverse. A partir de la fin des tunnels, je n’ai plus su où je me trouvais. Brenton si. C’est d’ailleurs une chose de lui – encore une- qui me bluffe depuis le début. Il connaît Bruxelles comme sa poche. Question d’âge ? D’avoir étudier les plans de la capitale comme on charge un GPS ? Quoi qu’il en soit avoir Brenton avec soit dans un périple citadin est mieux qu’un GPS. De temps en temps il fait une remarque sur un quartier ou un bâtiment. Maintenant je comprends mieux. En tant qu’espèce différente d’un être humain et donc plus âgée, il a eu le temps de circuler dans celle qu’on appelle la capitale de l’Europe et qu’entre nous, les amis intimes, disons que c’est une appellation typique blague belge !

Brenton ne dort pas vraiment. J’ai constaté qu’il n’a pas besoin de beaucoup de sommeil. Ma pause pipi de milieu de nuit – 3 heures 37 – m’a fait découvrir qu’il était encore éveillé à cette heure-là. La lumière sous sa porte était allumée et je doute que ce soit parce qu’il a peur du noir. Il serait plutôt parfait dans le domaine « monstre nocturne guettant dans la nuit noir ». Je divague. Un chouïa. J’ai toujours cette sensation bizarre lorsque j’étais collée au plafond. C’était flippant !

- On arrive.

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- OK !

Nous arrivons dans une rue résidentielle avec maison de standing, jardin devant, sur les côtés et derrière. Ça pue le fric à tout berzingue. Cependant la rue est discrète et même insipide. Un bel endroit froid et aseptisé, de ceux qui affichent « vie parfaite », alors que c’est mort de chez mort.

- T’es sûr que c’est ici ?- Oui.- Curieux. Si la fille a vraiment un truc avec le partenaire, ça me paraît un drôle d’endroit.- Pourquoi ? Les incartades sexuelles et les infidélités doivent avoir lieu dans des bouges

sinistres de quartiers malfamés ?- Vu comme ça… Non ! Je me disais, vu qu’elle kot à l’unif, elle pourrait le faire là-bas.- Trop risqué et aisément vérifiable.- Et pas ici ? C’est quartier chic et bourgeois à mort.- Oui. Un lieu qu’ils connaissent bien tous les deux…- Oui. Vu où ils crèchent… mais c’est bizarre. Encore plus que le paternel ait cette adresse.- Pas tellement. Nous sommes sa troisième agence d’investigation, après avoir cuisiné très

« père la colère » sa fille sans succès et avoir questionné habilement son partenaire en affaires, sans plus de succès, d’ailleurs.

- Eh bé ! Il a de la suite dans les idées.- Surtout le désir de confondre son partenaire.- Ça pue l’histoire de fric…- Ou simplement un désir légitime de ne plus avoir son partenaire en affaires qui s’est tapé sa

femme durant cinq ans à son nez et à sa barbe !- Génial ! Et tu sais ça comment ?- Un coup de fil à Geignard.- Celui de l’agence Pascual ?- Oui. - Tu le connais ?- J’ai travaillé avec lui avant de travailler chez Béranger.- Ah bon ! Et le Dupré-Chausson l’a su comment ?- Par inadvertance et au moment précis où sa femme et lui arrêtaient leur liaison. D’après

Geignard, la pratique était courante, étant donné que Dupré-Chausson a eu une liaison quoi qu’éphémère – deux mois- avec la légitime de son partenaire.

- Tu parles d’un chassé-croisé… Et la fille dans tout ça ?- D’après Geignard, elle aurait eu un problème avec l’alcool durant une époque. Durant cette

période, elle a eu pas mal d’histoires de sexes avec n’importe qui. Elle aurait eu un avortement lié à une de ces histoires de nuit alors qu’elle était dans un état d’ébriété total. La théorie de Geignard est que Ronchon-Sulfure a aidé Veronika pour l’avortement et la réhabilitation.

- Tu veux dire qu’il serait une sorte d’ami de la famille qui se charge de remettre dans le droit chemin la fille qui a mal tourné ?

- Un peu trop biblique à mon sens, mais c’est un peu l’idée. - Et elle aurait décidé de le remercier en nature ?- D’après Geignard, il n’y a pas de plan cul entre ces deux-là.- Et le père n’a rien suspecté ?- Les parents sont toujours les derniers avertis, s’ils le sont un jour.- Pas faux ! Donc, si je résume, on va trouver une situation de non relation sexuelle perverse

avec des conclusions d’une affaire qui déplairont au paternel.- En gros, c’est ça.- Putain ! Je déteste les affaires à la mords-moi le nœud comme celle-ci !- Regarde le bon côté de la chose.- Ah oui ? Lequel ?- On va découvrir une histoire étrange et extraordinaire comme seules le sont les histoires

humaines.- Mm !

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Génial ! Je comprends mieux pourquoi les Outre-Vivant aime tellement les humains, on est un constant spectacle « étrange et extraordinaire » pour eux. Et eux pour nous ? Match nul ? On est garé devant une très belle maison qui se trouve un peu en arrière avec un immense jardin devant. On accède à la porte d’entrer par un petit chemin en pierres taillées incrustées dans l’herbe, ce qui donne un air de petit chemin de maison de conte de fée. Ouais ! Je ne m’étais pas trompé. Une histoire qui pue.

21.Le plus fastidieux est l’attente. Quand on pense « détective privé », on ne pense jamais 

« heures creuses à se tourner les pouces ». La vigilance constante que l’on doit assumer dans pas mal d’investigations décevrait plus d’un candidat à ce poste. Pour ma part, aujourd’hui, je ne trouve pas ennuyeux d’attendre. J’ai tellement d’idées qui circulent dans ma tête que je frise l’overdose synaptique. Je jette un regard à Brenton. Il a sorti une pomme verte brillante et totalement ronde. On a tort de penser que les pommes sont rondes, elles ont des formes qui diffèrent selon leur couleur et leur nature. Croc, croc. Brenton n’a pas l’air plus préoccupé que cela. Je me demande quelle tête il a quand il jouit. Merde ! Pas bon ces sortes de pensées ! Perd-il le contrôle de lui-même quelquefois ? Je ne l’ai jamais vu hors de lui. Peut-être est-ce mieux ainsi. Aujourd’hui, il a un jeans troué. Il est canon. Et pour quelqu’un de son âge… Info ou intox ? Utilise-t-il du glamour comme les Fae ?

- Tu es aussi Fae ?

Croc, croc.

- Les Fae n’existent pas.- Wep ! Si c’est toi qui le dit, je te crois, mais…

Il reste impassible. Le pire… Vous avez déjà essayé d’avoir de vraies infos sur l’existence de ces sortes de « mythes » ? Ben, n’essayez pas, c’est impossible. C’est comme les extra-terrestres. On a des « preuves » ou pas, mais le doute est la seule certitude au moment d’estimer la réalité de cette existence.

- Et les loups garous ?- Les garous sont une espèce en voie d’extinction.

J’ouvre la bouche démesurément. Quoi ?

- Tu veux dire que les loups garous…- Ils existent ainsi que d’autres natures garous. Mais ils commencent à disparaître des races

vivantes. - Pourquoi ?- La Nature ne donne jamais de raisons, elle agit.

Et ça veut dire quoi au juste ?

- Tu en connais ?- J’en ai connu.- Ils sont morts ?- Pas que je sache.- Ils sont comme les yengo ou toi ?- Dans quel sens ?- L’âge.- Non. Mais leur longévité est très grande comparée à celles des humains.

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- Je suppose que ce n’est pas difficile compte-tenu de notre espérance de vie.- Mm !

La porte qui donne sur la rue s’ouvre et apparait le couple que nous sommes venus débusquer. Les photos ne rendent pas justice à Veronika. Elle est très belle et possède cette classe innée qui n’a rien à voir avec les vêtements ou les accessoires, mais bien avec la personne. L’homme est conforme à la photo du dossier, sauf qu’il fait plus grand en vrai et plus athlétique. Il fait plus jeune aussi et possède cette étincelle qui suscite la confiance chez l’autre. Oui. Ronchon-Sulfure est quelqu’un qui inspire d’office la sympathie. Ses vêtements sont simples, mais de bonne facture et il a un air de santé qui ne trompe pas. Que Dupré-Chausson soit partenaire et plus avec Ronchon-Sulfure est un mystère. Le couple s’arrête sur le trottoir. Veronika parle avec animation et Ronchon-Sulfure lui sourit en hochant la tête. Elle baisse les épaules en signe de reddition. Ronchon-Sulfure lui caresse les cheveux. Veronika se pend à son cou. Il la presse contre lui en la berçant un peu. C’est émouvant et tendre. Ils s’écartent. Elle hoche la tête par rapport à ce qu’il lui dit. Elle se retourne, traverse la rue pour rejoindre une petite voiture noire avec toit peint en rouge, ainsi que les rétroviseurs latéraux. Une bagnole très coquette qui dénote le bon goût chez la jeune femme. Ronchon-Sulfure lance quelques mots. Elle se retourne pour lui répondre avant d’entrer dans le véhicule. La voiture enfile la petite rue. Ronchon-Sulfure la regarde partir. Il se passe une main lourde dans les épais cheveux bruns striés de blancs. Il tourne son regard vers l’autre côté de la rue et son regard tombe pile sur nous. Il a un mince sourire. Il marche vers nous, la démarche paisible, mais ferme. Arrivé à ma portière, il frappe sur la vitre avec un long doigt. Brenton met en marche le moteur silencieux – la voiture est une hybride, ironique, non – et je peux baisser la vitre.

- Bonjour. Je suppose que vous avez été engagé par Henri ?- Oui.- Vous permettez que je m’assoie avec vous, ce sera plus commode pour les explications que je

désire vous fournir.

Je tourne mon regard vers Brenton qui termine de mastiquer le dernier morceau du trognon. Beurk ! Il hoche la tête.

- Je vous en prie.- Merci.

Il ouvre la portière et se glisse sur le siège en soupirant.

- Je suppose que vous savez l’essentiel de la situation. Cependant, je suis las de cette farce. Je vais vous dire ce qu’il en est. Veronika a passé une mauvaise étape. Drogue, sexe et finalement un viol dont elle n’a aucun souvenir, parce qu’elle était trop soule pour s’en rappeler. Le résultat, elle s’est retrouvée enceinte. Quand elle a décidé de venir m’en parler, je n’ai pas reconnu celle qui est ma filleule. Ma femme et moi n’avons pas eu d’enfant. C’est ma faute. Cependant, Veronika a tout de suite été mon enfant, en quelque sorte. Nous parrainons pas mal d’enfants de par le monde, mais… bref. Nous n’avons pas choisi d’être parents. Comme vous avez pu le constater, Henri est un père très autoritaire. Veronika aime son père, mais elle sait jusqu’où elle peut aller avec lui. Je me félicite tous les jours de la décision qu’elle a pris de venir me trouver. Pendant un an et demi, j’ai été près d’elle, constamment, essayant de la sortir de l’enfer dans lequel elle s’était fourvoyée. Je dois dire qu’elle a mis autant d’obstination à se détruire qu’à se réhabiliter à ses propres yeux. Je suis si fier d’elle ! Depuis sept mois elle est clean. La maison où nous sommes est celle d’une amie très chère qui a décidé de l’aider. On peut dire que c’est une sorte de guérisseuse. Entendons-nous bien  ! Lorsque j’ai suggéré à Veronika une clinique et des spécialistes pour la soigner, j’ai failli la perdre pour de bon. Je connais Fidalia depuis mon adolescence. Elle a un don particulier avec les personnes comme Veronika. Peu de gens la connaisse. C’est le bouche à oreille qui prime. Elle ne demande pas d’argent, mais exige des résultats. Ceux qui décident d’avoir son aide, doivent se soumettre à cet unique paiement, leur réhabilitation à leurs propres yeux. Elle est

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intransigeante et je dois dire qu’elle a des taux de réussites spectaculaires. Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais eu de rapport incestueux avec Veronika. Je sais aussi le désir d’Henri de me voir rompre notre partenariat. Ce sera chose faite dès que Veronika parlera sincèrement avec son père. Avant cela, je suis tenu à la confidentialité. Ce n’est pas mon agrément, mais j’aime Veronika et je ne veux pas lui faire du tort. Voici une adresse…

Il nous tend un carton que Brenton prend d’un mouvement véloce et fluide.

- C’est un appartement que j’ai loué à Veronika et qui n’est connu que de nous deux et de vous, maintenant. Elle a un appartement près de l’unif où elle continue ses études, malgré tout. Allez la voir, lui parler, lui montrer la situation, à une exception près, ne pas lui révéler les dessous de l’affaire qui est mon limogeage comme partenaire d’affaires de son père. Je lui en parlerai moi-même. Mais si vous voulez bien lui parler du dossier, des soupçons, sans entrer dans les détails, afin qu’elle comprenne qu’il est temps de mettre un point final à cette situation absurde ! Malgré tous ses défauts, Henri est surtout un père angoissé. Son air engoncé est aussi le fait d’une confiance en soi défectueuse et d’un amour total pour sa fille. Je le comprends, soyez-en certain. Puis-je compter sur vous ?

Brenton tourne le carton couleur chair entre ses longs doigts. Il se tourne vers Dupré-Chausson.

- Nous le ferons, mais nous ne pouvons garantir les résultats.- Personne ne le peut, mais c’est un pas vers l’issue la plus souhaitable pour nous tous. Du

moins, je l’espère. Merci. Envoyez-moi vos honoraires à l’adresse qui se trouve dans le dossier.

Il ouvre la portière et en nous saluant brièvement sort en la refermant soigneusement. Nous le voyons rejoindre une petite berline familiale. Il a deux grands chiens. Il fait un salut avec la main avant de s’engouffrer dans l’habitacle et de partir.

- Génial ! Les conclusions d’un dossier sous forme d’imbroglio familiale. Tout ce que j’adore !- Mm !

Brenton met en marche la voiture. Je suppose qu’on va vers notre rendez-vous non concerté. Pourquoi pas ? J’ai bien aimé Falcon Crest, alors… Je regarde le profil magnifiquement ciselé de Brenton. Le temps modèle-t-il les traits des yengo ? J’ai entre-aperçu du coin de l’œil une petite lueur particulièrement fugace lorsque notre passager surprise a parlé de la guérisseuse en donnant son nom. Serait-elle une yengo ? Je ne vais pas poser la question. En fait… ai-je vraiment envie de savoir toutes les choses étranges qui circulent en réalité dans le monde ? Mm ! Non ! Si après être collé au plafond, je dois être scotché au mur par pleins de révélations flippantes, je préfère passer la main ! Quoi que… Mm !

22.Le temps est changeant comme les rues, avenues, ronds-point que nous traversons. Le tunnel

que nous prenons est sale et la clarté diffusé par les lampes peu claires, donnant un aspect encore plus sinistre aux lieux. Le trafic est relativement fluide pour l’heure. Cela ne va pas tarder à se gâter, l’heure de pointe pointue est sur le point de se mettre en marche. Depuis quelques mois les heures de pointe sont à toutes heures, aussi on peut les distinguer de celles réellement pointues.J’aimais bien rouler avant, maintenant c’est galère et coton ! Durant tout le trajet nous ne disons rien. Je ne sais pas quoi penser de toute cette affaire. Dupré-Cahausson semble sincère et ce qu’il a raconté sonne juste. Mais qui peut réellement savoir ?

- Tu crois qu’il dit vrai ?

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- Cela importe-t-il ?- Non. Je suppose que non. Tu as une idée de ce qu’il faut dire à Veronika ?- L’essentiel et le moins possible. Il y a trop de mots dans cette situation.- Mm !

Nous arrivons dans la rue où se situe l’appartement de Veronika. Il trouve à se garer. Une habileté que je lui envie vraiment, celle de toujours trouver à se garer, même lorsque c’est hautement improbable. La rue étroite est à sens unique, pas très éloigné du campus, quoi que… La rue n’est pas très éclairée compte-tenu de son étroitesse. Il y a pas mal de maison de Maître, ces demeures qui ont de grandes portes donnant sur un couloir large et débouchant sur une ample cour intérieure. D’autres maisons semblent avoir été construites ensuite et divisées à certaines époques en appartement. Je gage que ceux-ci sont d’envergure avec de hauts plafonds ouvragés. Nous passons devant un lieu qui me rappelle vaguement quelque chose. Brenton a sorti une pomme rouge. Il la passe sur sa veste en cuir pour la faire reluire. Un tic qu’il a parfois. Pas très hygiénique, mais je suppose qu’à cet âge-là, les microbes et autres bestioles microscopiques à tendance mortelle n’a plus de prise sur lui. De plus, associé hygiène et capitale, c’est une blague de mauvais goût. La pollution de la ville est partout. Ici ou ailleurs…

Brenton arrive devant une maison assez haute. Cinq, six étages ? Il trouve la bonne sonnette et pousse sur le bouton. Aucun son. Normal. On dirait qu’elle habite au dernier étage. Sans ascenseur, bien sûr, un vrai bonheur ! L’interphone se réveille. Veronika demande qui on est. Brenton lui explique brièvement qui nous sommes en utilisant les mots clefs ad hoc. Un bref clic nous avertit que la porte est ouverte. Quelques minutes plus tard nous sommes sur le pas de la porte d’une Veronika sourcilleuse et circonspecte. Je ne peux pas la blâmer. Nous sommes des étrangers et sans doute porteur de mauvaise nouvelle. C’est du moins l’impression qu’elle donne en nous regardant nous approcher d’elle. Brenton lui sourit et cela me fait toujours le même effet. Waouh ! Quand il s’y met…

- Bonjour. Excusez-nous de vous déranger, MademoiselleRonchon-Sulfure. Je suis Brenton et voici ma collègue Cosanta.

- Oui. Vous me l’avez dit. Entrez… Nous serons plus à l’aise pour parler.

Nous entrons dans un séjour ample et très bien éclairé par des fenêtres larges, à double vitrail et peint dans une couleur vert d’eau très apaisant. L’appartement est sobre, mais très élégant, à la mesure de sa locataire. Tout y est de bon goût et fonctionnel. Elle nous fait signe de prendre place dans un large fauteuil qui est un régal pour le corps. Je suis à deux doigts de lui demander où elle l’a acheté, parce que j’en veux un identique.

- Puis-je vous offrir un café ou…- C’est très aimable, mais ne vous dérangez pas pour nous.- D’accord. Que puis-je pour vous alors ?- Nous sommes venus sur l’instigation de Monsieur Dupré-Chausson…- Desmond ?- Oui.- Pourquoi ?

En quelques mots choisis et précis, Brenton expose la situation sans entrer dans les détails et en utilisant les mots justes, sans cesser de sourire et d’utiliser cette voix douce et prenante qui me rend toute chose. Veronika le regarde fixement dans une immobilité fascinée. Je ne sais pas si c’est parce qu’elle est choquée par ce qu’elle apprend ou parce qu’elle succombe à la voix de Brenton. Un peu des deux, peut-être. Brenton conclut. Le silence est assourdissant. Veronika baisse la tête et serre les mains fortement. Je ne dis rien. Brenton tient à l’œil la jeune femme avec cette attention qu’il met en tout. Rien ne lui échappe. Veronika relève la tête. Son regard est hagard et douloureux.

- Je ne savais pas… j’étais si certaine… mais… je ne peux pas lui dire. Comment je le pourrais ? Papa m’a toujours vu comme… comme une fille bien et là… je ne peux vraiment pas…

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Brenton soutient son regard.

- Vous n’êtes pas obligé de tout lui dire.- Comment ça ?- N’en dîtes que le minimum, celui qui mettra un point final à la suspicion erronée de votre père

sur la relation avec votre parrain. - Mais… je ne peux pas dire cela sans parler du reste…- Dîtes-en le moins possible. Faîtes en sorte qu’il sache combien votre parrain vous a aidé à

votre demande et combien vous êtes désolée de n’avoir pas pu demander son aide à lui, votre père.

- Il ne me croira jamais.- Pas si vous doutez.- Je vais douter. Papa et moi avons toujours su nous comprendre…- Vraisemblablement pas autant que cela cette dernière année et demi.

Veronika ouvre la bouche, puis la referme. Elle ferme les yeux, puis les rouvres. Son regard est encore plus hagard qu’avant.

- Je… vous avez raison. La distance s’est installée et… j’ai cru en me taisant que je préservais notre complicité, alors que je la mettais en quarantaine ou la…

- Non. Elle est toujours là, mais si vous ne faites pas quelque chose, elle pourrait bien mourir.

Veronika se relève d’un bond et se place devant la fenêtre, le dos raidi. Elle ne parle pas, mais on la sent concentrée, prête à prendre une décision capitale.

- Oncle Desm a raison. Il faut que cela finisse. J’ai passé trop de temps la tête enfouie dans le sable. Et vous avez raison, Monsieur Brenton. Il m’appartient de savoir ce que je suis prête à révéler. Mais se taire n’est plus une option.

Elle se retourne et nous regarde avec un pâle sourire.

- Quand devez-vous remettre les conclusions de l’enquête à mon père ?- Demain après-midi.- Bien. J’aimerais vous demander une faveur.

Nous hochons la tête affirmativement, mais je crains le pire.

- J’aimerais être présente lorsque vous le lui remettrez. Et j’aimerais avoir l’explication avec lui dans vos locaux.

J’ouvre la bouche pour dire… je ne sais pas quoi dire ! Ce n’est pas un confessionnal, merde, c’est un bureau de Détectives Privés !

- Considérer nos locaux comme acquis pour le temps que vous aurez besoin.

Je regarde Brenton. C’est quoi ce binz ? Brenton se lève et je fais pareil par mimétisme. Non mais des fois !

- Nous allons vous laissez. Voici notre carte. Nous sommes à votre disposition. Merci de nous avoir reçus.

Les deux minutes suivantes se passent en formules de politesse échangées. J’assiste à tout comme à un spectacle imposé par le prof de français. Nous entrons dans la voiture.

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- Je ne sais pas pour toi, Cosanta, mais je pense que nous pouvons rentrer à la maison. Je vais te cuisiner quelque chose de bon. J’ai rapporté des bouteilles de rouge dont tu me diras des nouvelles.

Il met la voiture ne marche, déboîte et roule avec calme et efficacité. Je regarde son sourire en biais et sa mine satisfaite. C’est ça ! Brenton le sauveur de ces dames ! S’il croît qu’il peut m’avoir comme ça… il n’a pas tout à fait tort !

23.Je n’ai pas péter un mot de tout le trajet. Je n’arrive toujours pas à assimiler. Cela va contre

mon éthique professionnelle, mais bon… le fait que je soupçonne Brenton d’avoir succombé aux attraits certains de la donzelle est le vrai quid de l’affaire. Dès que je me serais calmée, je verrais illico presto le bien-fondé de la décision prise. Brenton entre dans la maison et nous prenons les escaliers l’un à la suite de l’autre. Arrivé sur le palier devant ma porte, je vais pour le dépasser quand d’un mouvement preste je me retrouve collée au plafond, son corps pressé contre le mien. Allons bon ! Ça le reprend ! J’ai toujours pensé que s’envoyer en l’air était une expression surfaite jusqu’à maintenant ! Il colle sa bouche contre mon oreille.

- Ne bouge pas ! Minao est venu ici. Il a laissé quelque chose pour toi, j’en suis presque certain… Je vais redescendre et entrer dans ton appart…

- Mais…- Chut ! N’aies pas peur, j’ai placé un champ de force autour de toi qui te protègeras et

soutiendra aussi efficacement que si j’étais avec toi.

Il pose ses lèvres sur les miennes et m’embrasse à pleine bouche. J’écarte mes lèvres et sa langue enroule la mienne avec passion et urgence. Bouh ! Je me sens… au septième ciel. Une seconde plus tard, je me retrouve seule, plaquée au plafond et dans l’obscurité. Génial ! Je ne vois quasiment rien. La nuit s’est installée sans que je ne m’en aperçoive. Je pourrais flipper à mort, mais j’ai trop la tremblote pour ça ! J’écarquille les yeux devant la vivacité de la lumière qui éclaire le palier. Pas étonnant, j’ai presque le nez collé au lustre. J’essaie de focaliser ma vue, mais je n’ai pas le temps de bien le faire. Brenton me soutient contre son corps. Il a ôté son long pardessus en cuir noir, celui qui lui donne un air de mauvais garçon sexy à donf ! J’imagine que c’est bon signe. A quoi se raccroche-t-on quelquefois !

- Viens, entrons. Ça va ?- J’ai déjà été mieux, mais pire aussi, donc je suppose que ça va.

Il a ce petit rire qui me fait des trucs pas trop catho vers le sud, sud de mon corps. Nous entrons dans le salon-salle-à-manger. Il me porte presque. J’ai toujours la tremblote. Adieu l’idée que je me faisais de moi-même en étant « la » grande méchante et forte détective ! J’écarte ma tignasse de mon visage et je me statufie. Il y a un type assis dans mon fauteuil à bascule, mais il est attaché par des menottes. Je plisse les yeux. Je regarde brièvement Brenton qui me tient toujours contre lui.

- C’est un invité ?- Surprise, du type mauvaise surprise.- Ah ! C’est toi qui l’a…- Oui. - Tu le connais ?- Pas vraiment. C’est un émissaire de Minao.- Le fameux « quelque chose » qu’il allait me laisser ?- Entre autre. Il a apporté une autre breloque de ton bracelet…- Ah ! Bien. Avec un peu de chance je vais le récupérer en kit ! Et autre chose, à part ça ?

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- Notre convive est un « cadeau »  pour moi et pour toi si tu le désires.

Je regarde Brenton. Je ne suis pas toujours certaine de bien comprendre ce qu’il veut dire, mais là, c’est encore plus glauque.

- Un cadeau ? Tu peux développer ou tu attends que je résolve l’énigme ?- Disons que Minao nous offre cette personne pour que nous l’utilisions comme ça nous plaira.- Tu vas dire que je suis bouchée à l’émeri, mais je ne te suis pas, là  ! Pour moi, notre « invité »

est un délinquant qui s’est introduit illégalement chez moi et que je vais remettre aux autorités, point barre ! D’ailleurs, comment se fait-il qu’il ait pu entrer avec les protections et autres verrous sophistiqués que tu as placé ici?

- Crois-moi, chérie, tous les verrous du monde ne pourront empêcher quelqu’un d’entrer. Quant aux autres protections, la réponse est l’invité surprise. Minao ne peut pénétrer ici ni dans les endroits où j’ai placé les protections.

- Pourquoi ?- Parce qu’il ne peut m’atteindre.- Mais moi si, si je suis seule, par exemple.- Plus maintenant.- Comment ça ?- Disons que notre rituel de l’autre jour m’a permis d’insuffler en toi une sorte de talisman

virtuel et animique qui l’empêchera de t’atteindre.- Je… tu m’as marquée ?- On peut le dire comme cela.- Où ?- Cela n’est pas visible. Du moins pas par tes perceptions…- Humaines, tu veux dire ?- C’est ça ! - OK ! Et quel rapport avec notre délinquant ?- C’est une manœuvre de la part de Minao. Disons qu’à certaines époques lointaines, il n’était

pas rare de proposer une offrande à l’un de nous pour nous rendre hommage ou pour nous demander un service…

- Non ! Tu veux dire… Mais enfin, à quelle époque croît-il être ? L’esclavage et ce genre de… saletés ne sont plus d’actualité…

Brenton ne sourcille pas, mais je sais qu’il n’est pas d’accord et c’est idem pour moi. S’il y a des lois, des droits et des possibilités bien réelles d’échapper à ce genre d’exactions abjectes, il n’en reste pas moins que ces dernières existent toujours.

- Peu importe ! Je refuse ce genre d’attitudes et de comportements.- Eh ! Ne me regarde pas comme cela ! Minao sait combien j’ai toujours réprouvé cela et ça ne

date pas d’hier ! C’est encore un de ces jeux pervers. - Alors pourquoi l’avoir menotté de cette manière ?- Regarde-le bien.

J’observe le jeune homme qui n’a pas ouvert la bouche. Il n’est pas très grand, ni très musclé, mais agréable à la vue. Il a un visage plaisant et… Bigre ! Il a les yeux d’une couleur inhumaine et changeante et maintenant que Brenton le dit, il a aussi une sorte de couleur de peau… enfin, c’est comme s’il avait un halo autour de lui.

- C’est la sénescence yenguienne.- La quoi ? - Disons que c’est une sorte de traitement que peuvent appliquer les yengo et qui consiste à

pousser les cellules d’un être vivant à vieillir prématurément à vitesse très accélérée.

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- Tu veux dire que cet homme pourrait devenir une momie en très peu de temps ? Je refuse d’avoir un cadavre dans mon salon ! Y-a-t-il un remède pour le sortir de ce vieillissement radical ? Un baiser comme pour la Belle au Bois dormant, le crapaud et la bête ?

- Il y a un peu de cela.- Non ! Je refuse de l’embrasser.- Ce n’est pas obligatoire. Disons que l’un des remèdes est de le baiser.

Je le regarde fixement.

- Je ne vais pas « baiser » un inconnu, tu peux…- J’ai dit « un » des remèdes.- Je dois me sentir rassurée ?- Plutôt. Il m’a fallu quelques dizaines d’années pour trouver un remède, comme tu dis… Minao

ne le sait pas. Ils sont peu à le connaître. Et encore moins à utiliser cette forme d’asservir un être vivant.

- Là, tu me rassures. Donc, que doit-on faire

24.Brenton a pris sur ses genoux le jeune homme en état de… je ne me souviens plus le mot. Ah

oui, sénescence yenguienne. OK ! Il lui a pris les poignets et les a réuni d’une certaine façon pour qu’ils restent unis par les mêmes… quoi ? Veines ? Muscles ? Tendons ? Le jeune garçon semble toujours aussi out, sauf qu’il a l’air un peu plus âgé, mais de manière très subtile. Il n’a aucune expressivité ni dans son corps ni dans ses yeux. On dirait qu’il est comme halluciné et c’est probablement le cas. Génial !

- Vinouha ! Approche-toi !- Pourquoi ?- Parce que j’ai besoin de toi.- Oui, mais pourquoi faire ? Je n’ai pas l’intention d’avoir… euh… quoi que ce soit de sexuel

avec ce garçon… homme… futur vieillard… bref avec notre invité surprise.- Et tu n’en auras pas.

Il me regarde avec ce regard qui me fascine autant. Qui est halluciné ici et par qui  ? Je soupire ostensiblement en m’approchant de lui.

- Agenouille-toi…

Je me crispe illico.

- … s’il te plaît…

Je déglutis et le fais.

- Prends ces deux poignets et ne les lâche à aucun moment. Pose tes pouces là… Non, là…

Il me pose les pouces de chaque côté des poignets au milieu de ceux-ci. Il me lâche les mains.

- Inspire profondément et pense que tu lui insuffle un peu d’énergie…- Je… c’est un truc de yoga ?- Non. De yengo.- Mais je ne suis pas une yengo…

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- Tu l’es virtuellement, puisque je t’ai assujetti à moi avec ma protection. Laisse seulement ton souffle sortir de toi lentement et imagine qu’il passe par tes mains aux poignets de notre convive.

J’imagine ce qu’il me dit. Je ferme les yeux pour essayer de mieux faire ce que sa voix envoûtante me dit. Lentement je sens que mes paumes irradient. C’est puissant et incroyable. Je ne dévie pas de mon souffle, ni de ma concentration, je la suis, la précède, suis elle. Mon corps se balance doucement comme si j’étais dans un rocking chair. Une sorte de murmure sort de ma gorge. Cela ressemble à un petit air, mais sans en être vraiment un. J’ai l’impression d’avoir fait cela depuis toujours, alors que je ne l’ai jamais fait. Je n’entends rien, ne perçois rien, si ce n’est le désir de lui apporter plus d’énergie, plus d’apaisement. Au bout d’un temps infini, je fini par ouvrir les yeux. Un regard trouble et d’une couleur noisette châtaigne m’observe. Merde ! L’invité est revenu à lui. Chouette ! Juste comme je veux qu’on me visualise la première fois.

- Euh… Ça va mieux ? Vous vous êtes évanoui et j’appliquais une recette de ma grand-mère pour ce genre de situation…

Le garçon ne dit rien, sa confusion s’approfondit de minute en minute. Je lâche ses poignets qui tombent mollement de part et d’autre de ses jambes étendues et flasques. Je me redresse lentement. Ouh là ! Pas très stable ! Où est passé Brenton ?

- Ah ! Parfait ! Je vois que vous allez mieux, jeune homme. Tenez, prenez ce verre, il contient de l’eau et un sirop qui va vous redonner du punch !

J’ai réussi à m’asseoir sur un fauteuil à larges oreillettes le plus naturellement possible. Inutile de poursuivre le navrant spectacle ! A genoux ? Merde ! Brenton tend un verre à ras-bord plein. Un sirop reconstituant ou un élixir d’oubli ? Note mentale : restez sur mes gardes avec Brenton, en sait plus qu’il ne dit ! Il vient se percher sur un accoudoir en me passant une main sur la nuque d’un geste distrait. Je ressens aussitôt une sorte de frisson énergisant qui manque me faire gémir. Waouh ! C’est vraiment… Waouh !

- Alors, ça va mieux ?

Brenton regarde en souriant, gentil et prévenant, le jeune homme qui a fini de boire son verre sans grimacer. Bon ! Au moins s’il m’empoisonne, cela n’aura pas mauvais goût ! Le jeune homme joue avec son verre sans savoir très bien ce qui se passe. Tant mieux ! Ceci dit… il pourrait nous donner des indices, peut-être…

- Oui… je crois… je ne me souviens de rien…- Pas étonnant ! Vous nous rapportiez un courrier qui est arrivé par mégarde chez vous, mais

dès que vous êtes rentré, vous êtes tombé dans les pommes ! Depuis quand n’avez-vous rien manger ?

- Je ne sais pas… je ne me souviens pas…- Trop longtemps, alors !

Une minute plus tard, le jeune homme tombe inanimé dans le siège. J’ouvre la bouche ! Oh non ! Il n’a tout de même pas…

- Mais… tu es fou ? Que lui as-tu fais ?- Rien ! C’est juste un léger narcotique. Il faut que je lui insuffle quelques idées pour qu’il

puisse repartir d’ici sans problème.- Mais… Et Minao ? Il ne va pas aller derrière lui et…- Non ! Ce jeune homme part dès ce soir avec un billet de train chez ses grands-parents qui

vivent en Cornouailles et ne reviendra que dans quelques mois ! Il a trouvé un travail là-bas,

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même si ce dernier ne commence que dans un mois. Mais il a décidé de passer un mois avec sa famille.

- Comment sais-tu tout cela ?- Intrusion mentale. Ne t’inquiète pas ! Minao n’a que faire de ce jeune homme, surtout qu’il est

certain que nous avons fini par faire ce qu’il fallait - ce qu’il pensait qu’il fallait - pour le sauver de la sénescence yenguienne.

- Mais alors, il est voué à une mort certaine !- Il l’aurait été si nous avions eu un rapport sexuel avec lui.- Mais… je ne comprends pas… peu importe ce qu’on faisait, ce garçon était mort ?- Oui.- Quel intérêt ?- Il joue ! Cependant, j’ai assez d’expérience pour déjouer ses plans. Maintenant va t’habiller en

noir intégral.- Pourquoi ?- Parce que toute affaire criminelle doit se perpétrer en noir intégral !

J’ouvre la bouche. Je ne comprends plus rien. Il m’aide à me relever et pose sa main sur ma joue un bref instant. Son visage s’abaisse vers le mien et ses lèvres effleurent les miennes. Mm ! Dix minutes plus tard – j’ai eu du mal à trouver tous les accessoires – j’entre dans le salon-salle-à-manger. Le jeune homme est toujours dans le même état. Flippant !

- Bon ! Qu’est-ce qu’on fait ?- On le sort comme s’il était un cadavre et on s’ingénie à l’amener à un endroit où il croupira

calmement jusqu’à ce que mort s’ensuive !- QUOI ?- Disons que nous devons simuler cela. Nous allons le mettre dans une couverture. Le déposer

dans un endroit sûr, sauf que ce ne sera pas lui, mais une poupée gonflable et notre invité sera rendu à ses foyers demain. Nous allons passer par l’un de mes appartements qui possèdent un garage souterrain. Minao ou un de ses sbires ne pourra nous suivre. Ensuite, demain, je ferai le nécessaire pour qu’il prenne le train. Je vais également le munir de suffisamment d’argent pour qu’il puisse se constituer le nécessaire chez ses grands-parents.

- Ça va pas leurs sembler bizarre qu’il arrive comme cela, sans bagages ?- Il leur dira qu’à nouvelle vie, renouvellement complet !- Ah ! Bien !

L’heure qui suit est totalement hallucinante. Brenton n’a pas eu besoin de se changer. Il est presque toujours vêtu de noir ! On a suivi son plan à la lettre. A un certain moment, il m’a soufflé de regarder vers un certain endroit et j’ai pu voir une ombre humanoïde. Ça me fait froid dans le dos !

- Minao ?- Non ! Un de ses sbires ! Je suppose qu’il est trop tôt pour qu’il entre en scène.

Je n’ai commencé à respirer qu’après m’être affalée sur un large divan en cuir. Je n’ai même pas eu envie de fureter partout, chose que j’aurais fait deux fois plus qu’une en temps normal ! Mais voilà ! Je ne sens plus rien de normal depuis… que j’ai été collée au plafond ! Brenton a terminé son plan. J’ai décroché à un certain moment jusqu’à ce que je me réveille couchée dans un grand lit, presque totalement déshabillée ! Merde j’ai mis des dessous de grand-mère, bonjour le glamour ! Une odeur de petit déj me chatouille les narines ! Je meurs de faim !

25.Finalement l’appart de Brenton est très bien. Enfin, mieux que très bien. Grand, spacieux, très

bien décoré, sobre et fonctionnel avec des touches d’œuvres d’art d’un goût exquis. J’imagine

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qu’après tant de temps de vie, on finit par avoir une sorte de baromètre pour tout. Ou pas. Je suppose que cela tient à la personnalité et à la sensibilité des uns et des autres. Si une personne est un désastre au niveau de certaines choses, qu’il ait un siècle ou mille ans ne va rien arranger du tout. Il a deux salles de bain, comme chez moi. Tout est propre et soigné. J’aime bien. La couleur des murs est d’un vert d’eau très clair. Cela me rappelle ses yeux. Il a cette couleur, translucide par moment, qui me rend toute chose. Cela doit expliquer pourquoi je ne m’oppose jamais beaucoup à lui. Un coup d’œil à ses prunelles et je suis partante pour ce qu’il veut. A sa décharge, il n’en profite pas. Maintenant que je sais qui il est, enfin en partie, j’apprécie d’autant. Après un tour de son appart, balcon compris,  j’ai décidé de m’offrir un petit déj aux frais de Brenton. Il me doit bien cela ! D’ailleurs où est-il ? Pas trace non plus de notre invité mystère devenu macchabé par la force des choses. Bonne ou mauvaise nouvelle ? Nous utilisons des moyens peu conventionnels pour résoudre des affaires. La plupart du temps ils sont légaux. Inutile de donner des bâtons pour nous faire abattre. Les autres moyens sont hors visibilité, personne n’a envie de savoir de ces méthodes-là. On vit une époque formidable. Les résultats priment sur le reste. Un atout à ne pas dédaigner. De là à abroger le dicton « la fin justifie les moyens » est un pas que nous sommes amenés à franchir très souvent. La preuve hier soir. Une porte claque. Brenton est là. Enfin, je l’espère. Nous avons rendez-vous à l’agence avec Veronika et son paternel. Après tout ce foutoir, un peu de normalité sera le bienvenu. Enfin, quand je dis « normalité »…

- Je vois que tu as trouvé mes réserves.- Oui. Tu as pas mal de provisions ici. Un lieu de villégiature habituel pour toi ?- Le terme villégiature est bizarre étant donné que je suis ici chez moi. Disons que cet

appartement me sert d’appart habituel, mais aussi pour des amis et connaissances.- Ah !

Des amis ou des amies ? Je ne pose pas la question, après tout ce ne sont pas mes oignons, n’est-ce pas ?

- Et à part ça… Tout va bien ?- Si tu parles de notre hôte, je te dirai que cela suit son cours. Il doit déjà être proche du tunnel

sous la manche.- Déjà ? Vous êtes partis tôt…- Oui. - Tu aurais pu me réveiller ?- J’aurais pu.

Le café est dans les tasses, le pain grillé et tout est sur la table pour savourer un bon petit dej. C’est le seul repas dont j’excelle dans la préparation. Brenton sort une pomme jaune et la fait reluire sur sa manche. Il ne risque pas de la voir briller, la peau est de celle qui ressemble le plus à une vieille peau après un certain temps. Ce qui n’est pas le cas pour les pommes rouges ou vertes. Crooooccccc croc. Mm !

- Tout ira bien pour lui ?- Oui. J’ai quelques contacts en Angleterre. Dès son arrivée il sera pris en charge par des amis

fidèles et loyaux. Ils sauront aussi masquer les traces. - Espérons ! Ton Minao me fout les j’tons !

Croc croc. Il sourit un peu. Il laisse refroidir son café. Il ne l’aime que, presque, glacé. D’ailleurs, il est plus adepte des plats froids que chauds. Bizarre. Sans doute un effet de sa nature.

- Nous partons dans une demi-heure. Tu es prête ?- Je n’ai pas fait le lit. - Inutile. Une personne vient s’occuper de l’appartement deux fois par semaines.- Ah ! Bien…

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Cinq minutes plus tard, nous descendons dans l’ascenseur. Je me sens étrange. Vannée aussi, d’une certaine façon. Vingt minutes plus tard nous entrons dans l’agence. Home sweet home. Qui a dit que la routine était tuante ?

26.Ronchon-Sulfure entre dans mon bureau avec cette morgue qui le caractérise. C’est tout juste

s’il ne souffle pas de manière méprisante. Que Monsieur pardonne de devoir s’abaisser à un niveau si bas ! Excusez du peu ! Non, j’te jur’ des fois !

- Monsieur Ronchon-Sulfure, bonjour.

Je me suis levée lorsqu’il est arrivé.

- Asseyez-vous, je vous prie.- Merci.

Il prend place avec componction et vaguement dégoûté. OK ! Mes sièges ne sont plus de la première jeunesse, mais doit-on, parce qu’ils sont vieux, les mettre au rébus pour autant ?

- Nous vous avons préparé un plateau avec un thé… si cela vous agréé…- Ah !

Il regarde le plateau et semble décontenancé pendant quelques secondes. Bien ! Veronika est dans le bureau de Brenton et elle a besoin d’un papa un peu plus relax que l’homme d’affaires super stressé et vaguement ombrageux qui se tient en face de moi.

- Merci ! C’est très aimable et j’avoue que cela me va très bien.

Je lui sers une tasse qu’il accepte en me souriant. Je vois le reflet de sa fille dans ce visage soudain plus agréable et sympathique. Nous avons convenu avec Veronika qu’elle n’entrerait que dix minutes après la venue de son père. Il ne reste plus longtemps à attendre. J’imagine que la pauvre petite doit être sur des charbons ardents, malgré la petite séance de relaxation que Brenton, en la fixant dans les yeux, lui a offerte. Il semble qu’une des capacités des yengo soient l’hypnotisme allant jusqu’à l’envoûtement. Brenton n’est pas très chaud pour l’un comme pour l’autre, même s’il m’a avoué qu’en d’autres temps et dans d’autres lieux, des villages, je pense, il a usé celle-ci pour alléger des douleurs chez des malades ou lors d’accouchement. Et ça m’a fait un effet très guilin-guilin tout chaud, tout mou, tout tendre de le savoir. Je le savais. Brenton est un brave gars, même s’il est flippant à donf, des fois ! Il se tient contre le mur dans une pose qu’il affectionne. Je ne le regarde pas, il a ses vêtements qui me crient avec violence : « vient me les ôter de son corps et fais-lui sa fête ! » Mais je ne peux pas faire ça, c’est politiquement incorrect !

Durant quelques minutes je lui explique les résultats de nos recherches sans entrer dans les détails. Je gagne du temps. Puis la porte s’ouvre avec un chuintement que je reconnaîtrais entre mille. Ouf ! Sauver par les gonds ! Je la vois du coin de l’œil se déplacer lentement vers son père qui termine sa tasse de thé avec un soupir de bien-être. Tant mieux ! Il va avoir besoin de toute sa patience et de son « relax » !

- Papa…

La tasse frappe violemment sur la sous-tasse. Eh doucement, c’est de la porcelaine de Limoges, merde ! Il se tourne vers sa fille en se levant en partie. Elle lui pose la main sur l’épaule pour qu’il reste assis, ce qu’il fait en se laissant retomber lourdement. Une chaise apparait derrière elle, mise de biais pour pouvoir voir son père et moi-même. Quel gentleman ce Brenton !

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- Veronika ? Mon Dieu ! Que fais-tu ici ? Tu vas bien ? Tout va bien ? C’est Desmond qui…

Les derniers mots sortent comme un coup de fouet, hargneux et glaciaux. Veronika prend la main de son père.

- Non ! Oh non, papa ! Je… je dois te parler et je suis désolée de tout ce qui s’est passé, c’est ma faute et…

- Que dis-tu là ma petite fille ? Si jamais Desmond t’a…- Non ! Bien sûr que non ! Que du contraire…

Le père se tourne vers moi.

- Vous êtes responsable de ceci ? Que cherchez-vous ?

J’ouvre la bouche, mais Veronika tourne le visage de son père vers elle.

- Non ! C’est moi qui aie voulu qu’ils soient présents, parce que je dois te parler. J’avais peur de le faire et… je me rends compte que ce n’est plus le cas. S’il vous plaît, Mademoiselle Cosanta et Monsieur Brenton, auriez-vous l’amabilité de nous laisser seuls ?

- Cela va de soi, Mademoiselle…- Veronika…- Veronika… nous vous laissons. Nous sommes dans mon bureau, à côté, si vous avez besoin de

nous.

Brenton s’est approché de moi en parlant. Il prend le dossier de la chaise et le retire pendant que je me relève, indécise et surprise. Que lui prend-il ? Il n’a jamais fait un geste pareil ! Il ne va pas commencer maintenant, si ? Il me prend par le coude en faisant un petit salut amical. Nous entrons dans la pièce qu’il appelle bureau, mais qui ressemble plus à un antre ou une garçonnière. Il me fait signe de m’assoir derrière l’immense bureau en bois brut. Son siège est un plaisir lombaire. Je m’y accommode avec un soupir d’aise. Y’a pas à dire Brenton sait vivre ! Il vaut mieux vu son âge !

- Bien. Assieds-toi, ils en auront pour une heure au moins. Profitons-en pour nous mettre à jour. Pernel a laissé une enveloppe.

- Une enveloppe ? Quand ?- Je n’en sais rien. Il semble que nos allées et venues l’ont perturbé au point de nous laisser une

enveloppe ici-même.- OK ! Space ! Voyons voir…

Brenton tire une chaise et s’assoit près de moi. Très près. Il a un after-shave qui est… délectable. Je me demande s’il sent aussi bon de partout… Glups ! Mauvaise pensée libidineuse hors lieu !

27.Je n’entends rien. Je suis sûre que Brenton avec ses super pouvoirs de machin-truc pourrait

savoir ce qui se dit de l’autre côté. Enfin ! Pas de cris, de gémissements, de lamentations, de bris d’objets, c’est déjà ça !

- Tu ne m’écoutes pas, Cosanta !- Si, si, bien sûr que je t’écoute.- Ah oui ? Qu’ai-je dit il y a quelques secondes ?

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- Je… tu parlais du second dossier de Pernel sur le décès suspect d’une jeune fille de dix-huit ans dans une discothèque qui est sous surveillance policière, mais dont on n’a jamais pu prouver le trafic d’une nouvelle drogue synthétique qui ne laisse pas de trace, mais provoque une léthargie mortelle par la paralysie des sens, puis l’arrêt du cœur après une longue séance d’hallucinations psychotropes.

- Oui. C’est bien ce que je t’ai expliqué, mais c’était avant. Après j’ai dit autre chose, lorsque tu étais l’oreille vrillée à ton bureau pour savoir ce qui se passe.

- Non. Oui. OK ! Mais je suis inquiète. Et si le père a trucidé sa fille, parce qu’il ne peut pas supporter ce qu’elle s’est fait à elle-même ?

- Peu probable ! Il a déjà un coupable tout trouvé dans cette situation et une victime désignée, peu importe ce que Veronika dira, il ne changera pas d’avis ! Tu as trop d’imagination ! Donc… qu’ai-je dit ?

- C’est bon ! Je ne sais pas ! Alors, quelles paroles incontournables ai-je eu l’outrecuidance de ne pas entendre ?

- J’espère que tu as mis un string noir qui ira de pair avec ton soutien-gorge, sinon cela va jurer. Et tu m’as répondu : c’est toi qui vois ! Tu as toujours été très bon pour détecter les indices !

Je le regarde fixement. Il a le visage impassible comme d’habitude. Quel con ! La porte s’ouvre. Veronika passe la tête. Une heure et sept minutes de discussion. Brenton a encore vu juste.

- Vous pouvez venir ?

Je me lève prestement pour rejoindre Veronika.

- Ça va ? - Oui. Je… c’est un peu tôt, mais papa a compris et… j’espère que ça va s’arranger avec oncle

Desmond…

Je fais une moue intérieure. M’étonnerait ! Ronchon-Sulfure trouvera le moyen de mettre ça sur le dos « d’oncle Des ». Brenton a raison. Mais si le père et la fille se sont retrouvés, sur d’autres bases plus saines, alors c’est déjà ça de pris. Brenton s’approche de nous deux. Je sens son corps près du mien. Je ne sais pas pourquoi, mais je suis devenue très, très, mais alors très sensible à la proximité de Brenton. Je dirais même que je suis carrément brûlante dès qu’il est près de moi. Génial ! Brenton sourit à Veronika et pousse le battant de la porte pour nous permettre d’entrer dans notre bureau.

Une heure plus tard, nous sommes tous devenus amis, notre client délesté d’une belle somme pour « l’excellent travail fourni et je me ferai un plaisir de vous recommander à mon entourage si besoin était » ! Un peu de pub n’est jamais à dédaigner. Veronika nous a embrassés avec effusion. J’ai le cœur plus festif. C’est toujours un bonheur lorsque des liens d’amours se renouent. Une histoire qui finit bien. Je m’affale dans mon siège. La journée laborieuse va être sur le point de s’achever, mais…

- Ça s’est bien passé…- En doutais-tu, Vinouha ?- Oh non ! Pas avec toi comme « bon génie » de toutes les situations ! N’empêche, ça fait

plaisir. On y va ?

Il prend sa longue veste et l’enfile. Il me fait toujours un tel effet avec elle. On pourrait croire qu’elle pèse lourd, mais ce n’est pas le cas. Elle est légère, quoi que très résistante. Du très beau matériel !

Le trajet a été très court. Brenton a conduit. Je me sens fébrile et je ne sais pas pourquoi. Je suis heureuse de rentrer chez moi. Rien de tel que son chez soi ! J’entre dans l’appartement sans problème. J’apprécie.

- J’aimerais que tu ne me colles plus au plafond, vraiment. C’est déstabilisant !

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- Etre coincé par un yengo est pire !- Sans doute ! On se fait un p’tit chinois via traiteur ?

Brenton éclate de rire. Je rougis violemment. Bien ! Parfait ! Quelle biaisse, alors ! Je retire furieusement ma veste, mais je n’arrive qu’à m’empêtrer dedans, ce qui finit par me rendre complétement enragée.

- Laisse-moi faire !

Brenton est devant moi et pose ses mains sur mes épaules. Je m’immobilise. Doucement, il tire sur mes manches et la veste glisse avec facilité. Saleté de vêtement ! Il accroche la veste au porte-manteau qui se trouve à un bras tendu de nous, genre sale voyeur immobile. Je regarde toujours fixement son torse, totalement furieuse.

- Vinouha…- QUOI ?- Regarde-moi, s’il te plaît.

Je relève la tête et le regarde ostensiblement.

- Voilà ! Je te regarde ! Satisfait ?- Non.

Il se penche et pose ses lèvres sur les miennes sans s’appesantir, me laissant l’initiative. Je suis tellement fâchée pour des raisons que je ne m’explique pas, que je ne réagis pas tout de suite jusqu’à ce que je me rende compte. BRENTON M’EMBRASSE ! Waouh ! Je lève mes bras précipitamment, les passe autour de son cou et l’embrasse à pleine bouche ! Il a un rire bas que j’entends à peine. Je me colle à son corps, ma jambe se lève et s’agrippe à ses jambes, je me hausse tant que je peux et je me frotte encore et encore. Trop de vêtements ! Je gémis en remontant mon autre jambe. Je suis accrochée à se reins. Je chaloupe, j’ondule. Il me serre les fesses à pleines mains et me frotte contre lui, contre sa verge dure et prête à entrer en moi, mais... Trop de vêtements, merde ! Je veux l’avoir en moi, je veux qu’on le fasse pleins de fois, ici, là, partout et de toutes les manières. Je veux qu’on orgasme à donf et après on remet ça encore et encore… je tire sur son sweet, sur la ceinture de son pantalon, fébrilement… Je gémis dans sa bouche, alors que sa langue me pénètre avec passion, avec… je veux…

- Alors, tu viens ?

Brenton me tient la portière ouverte. Il me regarde fixement, énigmatique et fair-play.

- Tu n’as pas l’air dans ton assiette, Vinouha ! Entrons ! Je vais te cuisine quelque chose…

Il me tend la main. Ces longs doigts fins et musclés, nerveux, si élégants, si habiles, si… Merde ! Je ne vais vraiment pas bien du tout ! J’ai qu’une envie c’est de sauter sur lui pour lui faire son affaire ! Et en plus j’ai des hallucinations sexuelles en plein jour, parquée devant chez moi  ! Sûr, je vais vachement très mal ! Brenton fronce le sourcil. J’ai déjà vu cet air. Il est en train de me sonder et vu mon état de chaleur corporel, il ne va pas tarder à se rendre compte de ça ! Et ça, jamais ! La honte totale !

- Oui ! Tu as raison ! J’ai les neurones qui s’fritent à force ! Faut que je graye un machin !

Je lui prends la main en espérant qu’il ne va pas sentir combien elle est moite. J’ai des frissons partout ! Un coup de chaleur grippal, peut-être ? Il ne dit rien. Il ferme la portière. Il n’en a pas fini avec moi.

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28.L’appart est clean ! Autrement dit, pas d’entourloupe « yenguienne ». J’apprécie vu mon état

libidineux total ! Le pire… je ne sais pas ce que j’ai. Depuis le temps que je côtoie Brenton, j’ai réussi à faire la contre mon penchant pour lui. Alors, pourquoi maintenant ? Je le regarde me préparer une omelette légère à souhait. Il est aussi efficace ici qu’au boulot. Au pieu ? Mauvaise question ! Il dépose une assiette devant moi. Le café est déjà dans ma tasse comme je l’aime. Il a préparé un steak pour lui avec une salade combiné pour les deux. Je n’avais pas envie de viande et Brenton a décrété que les œufs étaient bons pour moi. S’il le dit… Nous mangeons en silence. L’omelette est vraiment délicieuse, fondante et un peu craquante sur les bords. Je sens mon corps redevenir normal, la température baisse lentement, mais sûrement. Je finis de manger et je me sens bien, comme d’hab. C’est un soulagement ! J’ai jamais eu de tendance nympho et je m’en suis pas portée plus mal  pour autant! Il prend une gorgée de vin. Son plat est saucé. Il dépose ses couverts et me regarde doucement.

- Tu peux me dire ce qui s’est passé dans la voiture ?

Je déglutis fortement. Il veut savoir quoi au juste ?

- Ben, j’avais la dalle !- Je t’ai vu avoir la dalle et ça ne ressemblait pas à ça !

Il me regarde fixement. Je ne veux pas croire qu’il sait. Je déglutis encore et dévie le regard.

- Alors ?- Alors quoi ?

Je lui rends un regard franc et direct.

- Pourquoi tu veux savoir, d’abord ?- Parce que c’est mieux si tu me dis pour que je sache vraiment.- Parce que tu ne sais pas vraiment ?

Il a un demi-sourire et j’ai une autre pointe de chaleur qui court plus au sud. Eh merde !

- Je… merde, Brenton ! Tu le sais, hein ! Alors pourquoi je dois te le dire ?- Je sais quoi, Vinouha ?- Ben… que j’ai eu un coup de chaleur et que j’avais envie de me jeter sur toi pour tu sais quoi !

Brenton me regarde intensément, puis baisse les yeux en soupirant.

- On appelle cela de l’ardeur.- Ardeur ? De quoi tu parles ?- Normalement ce sont les succubes et les incubes qui génèrent cela, mais les yengo, hybride

compris, ont également cette capacité. - Je ne comprends pas.- L’ardeur est… une sorte de désir irréfrénable de sexualité. Ce que tu appelles un coup de

chaleur et « me sauter dessus ».- Mais… enfin, comment j’ai chopé un truc pareil ? - Je crains que le rituel de l’autre jour ne soit la cause ?

Je le regarde en plissant les yeux. De quoi il parle ? Quel rituel ? Eh merde !

- Oui, celui-là !

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- Mais… enfin, c’est… tu veux dire que chaque fois que je vais être près d’un mec, je voudrais me le faire ? Mais c’est horrible ! Et tu le savais avant de… le rituel ?

- Je n’en étais pas certain ! C’est un « effet secondaire » qui ne se développe pas toujours. Sauf dans certains cas, disons, bien précis.

- Ah oui ? Et dans ton énorme bonté, tu peux me dire lesquels ?- Dans le cas où la personne ressent déjà une forte attirance vis-à-vis de celui qui pratique le

rituel.

Brenton a parlé doucement en regardant son assiette. L’effet est foudroyant. J’ouvre la bouche. La honte totale ! Je-ne-veux-pas-en-parler ! Non !

- Et il y a un antidote ?- Ce n’est pas si évident que cela. Il faut seulement que tu apprennes à contrôler ton ardeur.- Et c’est permanent ?- Je n’en sais rien.- Et qu’est-ce que tu sais alors ? Merde, Brenton ! Je n’ai jamais été une marie-couche-toi-là !

JAMAIS ! Et maintenant…

Brenton s’est relevé d’un bond que j’ai vu à peine. Il est d’une rapidité flippante à donf  ! Il s’agenouille devant moi !

- Tu ne l’es pas, jamais, Vinouha ! L’ardeur que tu ressens ne peut pas s’étendre à d’autres, contrairement aux succubes et aux incubes. L’ardeur que ressentent les yengo et ceux qu’ils assujettissent est ciblé, en quelque sorte…

- Vis-à-vis de celui dont il ressent quelque chose...- Oui.- Et si ce n’est pas le cas ? - Alors le rituel ne développe pas cet « effet secondaire ».

Je ferme les yeux. Il me tient les mains. Je me sens dévastée et trahie.

- Tu le sais depuis combien de temps ?- Tu ne veux pas le savoir, Vinouha.- Si, je veux !- Depuis la première fois où tu as posé les yeux sur moi.

Oh non ! C’est pire que ce que je pensais ! Mais comment a-t-il su ? Qu’est-ce que j’ai fait pour me trahir ?

- Je suis plus âgé que toi, Vinouha…

J’ai un rire étranglé !

- Wep ! C’est ce qui paraît ! Quel rapport ? Ah oui ? Suis-je bête ! Une petite éternité à jouer les jeux de l’amour, sans parler des bonnes copines que tu t’es farcies…

Ma voix est acariâtre ! Génial ! Après nympho, mégère ! Je cumule.

- Pour moi elles avaient toutes ton visage et ton corps.

Je fais un arrêt sur image. Je rembobine. Quoi ?

- Je… tu veux dire quoi ?- Elles n’étaient que des doublures, des pâles copies, des fac-similés. - Mais… alors, pourquoi être avec elle ?

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- L’ardeur n’est pas à sens unique.- Je… tu veux dire que… tu as de l’ardeur… enfin, je veux dire tu as…- Si je n’avais pas cette aptitude, je n’aurais pas pu te la transmettre.- Oh ! Mais… tu as dit que ce n’était pas avec tout le monde…- Si mon ardeur n’a pas trouvé sa correspondance en liens de chairs et d’émotions, elle doit se

nourrir autrement pour le yengo et les hybrides.- Oh ! Alors… tu m’as piégé lorsque tu m’as assujetti !- Non ! Crois-moi ! Tu as besoin de cette protection, plus que jamais ! Jusqu’à maintenant tu

n’as fait que suivre des traces, mais Minao est passé à la vitesse supérieure. Il a transgressé le pacte de sang.

- Le pacte de sang ?- C’est un tabou qui stipule que si on prélève du sang, le « donneur » ne pourra être vidé de son

sang et ainsi lui ôté sa vie. Il l’a fait deux fois et rien ne dit qu’il ne continuera pas. Il joue selon d’autres règles et tu es sa cible maintenant.

- Je déteste tout ça, Brenton ! ET ça me fout la pétoche totale !

Il me prend contre lui doucement et je me laisse faire. Je devrais être brûlante, totalement prête à lui régler son compte, mais je me sens seulement vidée et confondue.

- Je vais dormir près de toi. Je peux t’aider avec l’ardeur.- Et si je te viole durant la nuit ?- C’est peu probable. Les œufs ont apaisé l’ardeur durant quelques heures. Demain matin, je

t’aiderai. Pour ce soir, on part en discothèque.- Je n’ai pas envie de danser.- Oui, mais le cas de Pernel requiert notre présence dans cette discothèque pour trouver les

indices que Pernel recherche. Fais-toi belle et sexy, plus que tu l’es déjà en temps normal.- Je… tu as vraiment envie de moi depuis quand ?- Depuis que j’ai posé les yeux sur toi.- Pourquoi n’as-tu rien fait si tu savais que je…- Parce que ce n’était pas le moment.- Maintenant, si ?- J’aurais aimé d’une autre manière, mais ce qui est fait est fait.

Brenton me regarde dans les yeux. Il a ce regard si étrange qui n’est pas si humain que cela quand on y regarde de plus près. Comment ne l’ai-je jamais remarqué avant ? L’amour rend aveugle ? Ouais ! On peut dire ça ! Bravo pour la détective privée ! Je ferme les yeux.

- Vinouha, regarde-moi…

J’ouvre les paupières. Je me sens si… bizarre.

- On va prendre le temps, tout le temps que tu voudras. Je déplore comment cela s’est passé, mais pas que cela se passe. Je te veux depuis très longtemps. J’attendrai. Peux-tu me faire confiance ?

J’hoche la tête. Il me reprend contre lui. Je me sens cassée, mais vivante. Moi aussi je déplore comment ça se passe, mais pas que cela se passe. Je veux Brenton. Mais… je ne sais pas quoi faire, ni comment.

- Je te désire et je ne regrette pas que cela se passe. Je… on verra, je crois…- Oui, on verra.

Une heure plus tard, je me sens plus moi-même, comme d’hab. J’ai mis une jupe en cuir noir pas trop courte, mais collante comme un gant, un décolleté qui met en évidence mes seins taille XL, tout en ne dévoilant rien, juste souligner. J’ai des bottes avec des talons carrés, bien pour tout, danser, marcher et

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écraser des orteils ! Je me sens un chouïa salope et sûre de moi. Après tout… ça, j’en ai vraiment besoin. Brenton est habillé avec pantalon de cuir pas trop moulant, une chemise noire en soie pas trop échancrée et ses bottes en cuir noir toujours aussi usées. Il a sa courte veste en cuir. Il est sexy et mauvais garçon à donf, genre canaille qui s’affiche. Ses cheveux sont en catogan. Je suis heureuse que son pantalon ne soit pas moulant. J’aurais trop envie de… Mieux vaut ne pas y penser. J’ai une autre petite poussée de fièvre libidineuse. De la discipline, du professionnalisme et de la retenue, surtout beaucoup de retenue ! Brenton fait reluire la peau d’une pomme rouge brillante. Crooooccccc, croc ! Un sous-entendu particulier ?

29.La salle de la discothèque est bien plus grande qu’elle ne semble, vue de l’extérieur. Elle est

proche du centre-ville, mais pas trop, un bon emplacement y compris pour se garer, ce qui est un plus, à mon sens. La musique ne s’entend pas vraiment à l’extérieur, plutôt une sorte de vibration saccadée. Je suppose que le local est insonorisé en grande partie. Merci pour les voisins ! La foule commence à arriver. Minuit trente, c’est la bonne heure, avant c’est trop tôt. Nous n’avons pas dit un mot de tout le trajet. J’ai la peau qui frémit et ce n’est pas de froid, plutôt de sa proximité. Brenton est resté fidèle à lui-même, flegmatique. Il n’a croqué qu’une pomme, je vois ça comme un indice, celui qu’il est moins calme qu’il n’y paraît. Tant mieux ! Je détesterais être la seule à ne pas savoir garder mes hormones sous contrôle !

Il y a une file d’attente. Grâce à des contacts ou je ne sais pas trop quoi, Brenton a réussi à avoir des entrées. Il semble que la discothèque soit très populaire. On dit encore « in » ? Des fois, j’ai un peu de mal avec les nouvelles expressions ! Sûr que c’est dû à mon âge et aussi au peu d’intérêt que j’ai pour le côté « être à la page » ! Du moment que mes vis-à-vis comprennent ce que je leurs dit, j’estime que c’est bien assez d’effort dans la communication verbale ! Je repense au dossier, prétexte de notre venue dans l’antre assourdissant du centre-ville. Elle s’appelait Erwana Vanputten. Elle était en deuxième année universitaire en Sciences Economiques. Pas d’antécédents pénaux, pas même un procès-verbal. Précoce et surdouée en études, elle semble avoir suivi les sentiers battus sans jamais dévier. Une jeune fille qui ne faisait pas d’histoire, mais qui avait sans doute une histoire, la sienne. Pas de petit ami affiché, des amis, mais pas des masses. Elle n’avait pas l’habitude d’aller dans des fêtes ou autres soirées. Sa meilleure amie, nettement plus délurée, l’aurait entraînée ici. Hélas  pour elle ! La substance chimique qui l’a tuée est détectable, mais on ne sait pas encore sous quelle forme on l’administre. Il se peut qu’elle soit ingérable via une boisson, étant incolore, inodore et vraisemblablement sans goût particulier, mais ce ne sont que des conjectures. La drogue dite de « viol » est administrée de cette façon-là, à l’insu de la victime. Cependant celle-ci qui n’a pas de nom connu, mais appelé par la Crime, « Anesthésique », parce qu’elle semble avoir une propriété d’anesthésiant très puissant, ne permettant pas à la victime de réagir dans un sens ou dans un autre. Cela pourrait être le cas de toutes les drogues, mais celle-ci a cette capacité beaucoup plus marquée et il semble aussi que la personne soit en partie consciente, malgré la puissance de la drogue. La file avance assez rapidement. Je me sens un peu raide et je n’arrive pas à quitter cette sourde angoisse de ma tête. Brenton me prend par la taille.

- Détends-toi… - Facile à dire !

Je ferme les yeux. Le son devient plus fort à mesure que nous avançons. Un « tchica-boum » qui me vrille déjà le crâne à donf ! J’enterre mon visage contre son épaule. Il resserre son étreinte. Je crève de trouille !

- Promets-moi que tu ne me laisseras sauter sur aucun mec et l’emmener ailleurs pour me le faire !

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- Je te le promets. Et si tu as la nécessité absolue de sauter sur quelqu’un, je me porterai totalement volontaire.

D’abord je crois que j’ai mal compris, puis je m’écarte et lui donne une bourrade dans le ventre.

- Malin, va !- Qui ne tente rien, n’a rien…

Je vois son demi-sourire et ses yeux briller. Une onde de chaleur glisse dans mon bas-ventre. Je me crispe. J’ai tellement envie, même si je ne veux pas.

Nous sommes entrés dans la salle. Le son est assourdissant. Des lumières stroboscopiques cisaillent la salle et la masse des gens en diverses couleurs. Les mouvements syncopés de ceux qui sont sur les pistes de danses donnent plus d’immobilité à ceux qui sont debouts en solo, en couple ou en groupe. Des serveurs slaloment vite ici et là, surtout pour retirer des verres. Il semble que pour obtenir une consommation, il faut aller directement aux bars qui sont pris d’assaut continuellement. La plupart des visages sont sérieux, presqu’emmerdés, comme s’ils se trouvaient là parce qu’ils ne sont pas ailleurs et même ailleurs… Deux petites cabines de DJ placées stratégiquement dans l’immense salle sont là pour animer la soirée à tour de rôle. Certains groupes rient beaucoup. D’autres dansent sur place. Il règne une anarchie savamment orchestrée. Les conversations ne sont pas particulièrement bannies, mais à moins d’avoir une voix de stentor et de ne pas craindre l’aphonie le jour suivant, il vaut mieux se taire. Nous nous dirigeons vers un des bars à thème bleu. Les trois autres sont dans d’autres thèmes de couleur, l’un orange, l’autre blanc et le dernier vert fluo. Nous devons attendre un certain temps. J’observe le ballet des cinq serveurs avec admiration. Ça c’est de la jonglerie fine ou je ne m’y connais pas ! Je me hausse sur mes talons dix centimètres, s’il vous plâit bien. Brenton se penche vers moi sans quitter des yeux les alentours. Il fait tout cela avec tellement de discrétion que personne à part moi ne peut le voir. Il scanne la foule, le lieu, tout ce qui est là et il retient tout cela pour plus tard. Il passera au crible ce qu’il a enregistré mentalement et en tirera les conclusions qui lui paraissent les plus plausibles. Il est très fort en cela.

- C’est quoi comme musique ?

Je lui hurle dans l’oreille. Je ne devrais pas. Il a des sens surdéveloppés, mais c’est plus fort que moi et parfaitement débile, mais la force des habitudes, etc. Il colle ses lèvres pleines et bien ourlées contre mon oreille.

- Un pot-pourri de musique électronique.- Un quoi ?- Un mélange de musiques ambient, breakbeat, dance, électro-rock, électroacoustique, house,

industrielle, techno et sans doute, trance…- Quoi ?- Le mieux est que tu écoutes. C’est juste de la musique.- Et tu connais tout ça comment ?- Wikipédia, bonnes copines et fréquentations aléatoires des mêmes sortes de soirées.

Je le regarde fixement. OK ! Il a fait ses devoirs pas moi, mais bon… j’en étais resté aux musiques… audibles et après ça… plus rien. J’ai jamais aimé les discothèques, ni les fêtes à grande masse fluctuante et mouvante. Ça me donne un peu le mal de mer. Nous avons nos boissons, grâce à Brenton qui sait comment faire. S’il ne m’avait pas dit qu’il était déjà venu dans des lieux comme celui-ci, j’aurais pu le déduire. Ça ou il a une grande capacité à se mouvoir n’importe où avec n’importe quoi ou qui. Vrai aussi. La question est : fréquentation de tels lieux avec ou sans bonne copine ? Bien sûr, je ne poserai pas la question, trop… indiscret !

- Je suppose que tes rendez-vous aimaient ce genre d’endroit...

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Eh merde ! Je n’ai jamais pu tenir ma langue !

- Je suppose que oui.

Il prend une gorgée d’un liquide bleu noyé dans d’autres liquides bleus qui s’attirent sans jamais se mélanger. Ce n’est pas mauvais et je préfère ne pas savoir ce que c’est. Brenton est là. Nous nous mettons à circuler. Avec ces genres de musique, les slows sont over, j’imagine. C’est sans doute mieux. Vu mon état actuel, autant ne pas tenter le diable ou… un yengo, même hybride ! Les gens se trémoussent autour de nous. En fait, il n’y a pas vraiment de piste de danse, mais c’est comme si tout le local était une piste de danse avec des espaces aménagés pour s’assoir, boire un verre ou seulement rester là un peu à l’écart. Tout est créé afin que la dynamique et l’agencement de la pièce soient gérés selon la foule avec le DJ comme chef d’orquestre. Brenton continue à regarder autour de lui. Nous sommes un peu à l’écart, un peu dans une sorte d’ombre aussi. Il n’y a pas beaucoup de monde autour de nous. Cela circule pas mal. Je regarde les mouvements aléatoires de la masse des gens. C’est fascinant. Il doit y avoir une logique dans tout ceci, mais je ne me sens pas compatible avec elle. C’est comme si j’étais dedans et hors d’elle. Brenton me sourit doucement, puis reprend sa vigilance constante. Je pense qu’il utilise des sens que ni moi ni personne de vivant de moins d’un siècle n’a. Je porte mon verre à ma bouche, quand Brenton m’agrippe fermement et me pousse vers un des murs en se plaçant devant moi. Le verre déborde et m’éclabousse.

- Eh ! Qu’est-ce qui te prend ?

Il m’a tourné le dos, tout en me protégeant de tout son grand corps !

- Ne bouge pas !Pendant une seconde, je crois rêver ! Il est bien en train de me parler dans ma tête ? Bouh ! Il y avait de l’ « Anesthésiant » dans mon verre ou quoi ?

- Non, il n’y en avait pas ! Mais il faut que tu restes immobile. Je vais chercher un gardien qui restera avec toi. Ah ! Il est là !

J’entends des voix ! Plutôt sa voix ! Non ! Impossible ! C’est cette musique…

- Je t’expliquerai plus tard. J’y vais, tu es saine et sauve jusqu’à mon retour, ne bouge pas.

Je sens une sorte de champs de force autour de moi comme quand il m’a collé au plafond. Sauf que je suis collée au mur. Je dois sans doute le remercier de ne pas m’avoir collée au plafond, vu la hauteur où il se trouve, je m’estime heureuse ! Je le vois à peine filer dans la foule. Eh merde ! Qui est là ? J’ai à peine fini de formuler la question qu’il revient accompagner d’un homme de très haute taille, un géant quoi, avec une sorte d’uniforme – sans doute un gardien de la discothèque – et un visage très avenant. Il a une longue tresse noire qui pend dans son dos et ses yeux sont de couleurs changeantes. Ça ou les lumières stroboscopiques me jouent des tours ! Il a l’air à la fois amical et dangereux. Bad Boy ? Flippant ! Brenton se place devant moi, l’énergie qui me retenait tombe d’un coup, moi, presque. Il me retient contre lui.

- Ouh là ! - Ne t’inquiète pas, tu ne tomberas pas, je te l’ai promis ! Voici Tobias, il va rester avec toi le

temps que je fasse ma ronde !- Je…- Chut…

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Il place un doigt sur mes lèvres, puis les siennes. Une vague de chaleur se déploie rapidement partout. Avant que je ne m’enroule autour de lui, je me retrouve au plafond, Tobias contre moi à une distance prudente et un puissant filet électromagnétique nous retenant là. Je soupire profondément ! Quelle manie avec les plafonds, vraiment !

30.

Heureusement que nous ne sommes pas trop près des lumières ou autres focus lumineux. Nous sommes dans un endroit relativement vide de choses. Le plafond est entièrement peint en noir. Je suppose que c’est pour donner une impression d’ampleur à la salle. Tobias regarde vers le bas.

- Ça va durer longtemps ?- Ça dépend, mais Lukius est le meilleur dans ce genre de traque et aussi pour les champs de

force.- Ah ! - Oui. Il a lié son énergie à la mienne qui est très basse, quasi basique même et la reliée à

l’électricité de la discothèque, de cette façon personne ne peut nous atteindre. Trop fort !- Mm ! Vous êtes aussi un yengo ?

Merde ! Ma langue a fourché ! Ça doit être le fait d’être collée au plafond, de voir tout bouger en-dessous, mais sans rien entendre. Notez, c’est plutôt un plus ! La cacophonie rythmée qu’ils appellent musique est à peine audible ! Enfin, des goûts, dégoûts et des couleurs, hein…

- Je suis d’essence yenguiste, mais pas aussi puissant que Brenton ou… d’autres !- Minao…- Oui…

Tobias me regarde en souriant. Il est vraiment très agréable, même s’il y a un bord menaçant dans sa manière de bouger, de parler et de sourire aussi.

- Vous le connaissez depuis longtemps.- Pas mal de temps…- Vous êtes amis ?- Quelque chose comme cela…- Mm ! Que pouvez-vous me dire vraiment ?- Pas grand-chose…- C’est ce que je pensais…

Je tousse un peu. Tobias fronce les sourcils.

- Ça va ?- Ben… je serais mieux dès que j’aurais touché le plancher des vaches ! - Nausées ?- Non ! Malaise ! Je n’ai pas l’habitude, mais je pense me rendre à un centre de parachutisme

pour apprendre à me tenir en l’air sans problème ! Je suis sûre que ça aidera !

Tobias a un petit rire qui le rend vraiment très beau. Il doit en emballer des nanas, surtout dans une discothèque ! Il me regarde longuement avec une drôle de lueur dans les yeux. Quoi ?

- Je comprends mieux ce qui l’attire tant chez vous…- Ah oui ?

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- Oui. Vous êtes faite pour lui…- Mm ! Ça veut dire quoi au juste ?- Que Lukius n’est pas quelqu’un qui se donne facilement. De fait, je n’ai connu personne qui

ait réussi à être aussi proche de lui !

Eh bé ! S’il trouve que Brenton se « donne » beaucoup maintenant vis-à-vis de moi, nous n’avons pas la même définition du verbe !

- Croyez-moi, Lukius est très proche de vous et ses sentiments pour vous sont très surprenants venant de lui ! Il s’est lié à vous… c’est quelque chose qu’il n’a jamais fait auparavant.

- Tout le monde peut voir cela ?- Non ! Seulement les yengo et ceux d’essence yenguiste. - Et les hybrides…- Et les hybrides…

Je ne suis pas certaine de ce qu’il m’explique. Mais… s’il dit vrai, alors je me sens déjà mieux. Une seconde plus tard, je suis sur le plancher des vaches. Je manque m’écrouler par terre, mais Brenton me prend contre lui et me serre doucement. Je me laisse aller. Merde ! Il faut vraiment qu’il arrête de me coller au plafond, c’est très flippant !

- J’ai perdu la trace, mais il y a une victime de plus. Tu devrais y aller, Tobias. Il se trouve à l’arrière du bâtiment, dans un espace occulté partiellement depuis la rue. Je pense que c’est là que l’on place les containers de poubelles. Merci de ton aide, frère ! Je t’en dois une !

- Non ! Les comptes sont soldés. Prends soin de ta compagne… c’est le principal. J’avise les autres !

- Oui. Il faudra que nous trouvions une autre approche, Minao devient imprudent…

Un long regard passe entre eux. J’imagine qu’ils communiquent par pensée. Ok ! Ça me va ! Je ne me sens vraiment pas très bien !

31.Nous nous frayons un chemin vers la sortie. Le « tchicaboum » de la musique me vrille le

crâne. Tobias nous suit, mais pas de trop près. Les gens s’écartent devant lui. C’est alors que je me rends compte qu’il irradie littéralement d’énergie brute. Je dois vraiment être à l’est pour ne pas m’en rendre compte ! La musique électronique n’est vraiment pas mon truc ! Je me sens un peu anesthésiée, mais pas de bonne manière. La foule semble plus importante et plus mouvante qu’avant, une longue marée fracassante qui suit ses propres vagues déferlantes. Brenton me tient contre lui, me portant pratiquement. J’ai les idées qui se cognent dans ma tête essayant de s’organiser sans vraiment y parvenir. Tout à coup, j’y suis. Je m’arrête d’avancer. Brenton s’incline vers moi, me questionnant du regard.

- Et l’enquête ?- J’ai les indices suffisants pour que Pernel puisse en faire quelque chose.- Mais… comment ? On est à peine resté quelques minutes, pas suffisamment pour…- Suis-moi !

Il me prend à bras-le corps par la taille et nous ramène dans le coin où nous nous trouvions. Tobias circule toujours autour de nous, casuellement. Les gens fluctuent autour de lui. Certaines filles le regardent de manière significative, selon un code d’échanges de regards particuliers. J’ai jamais pu entraver un code verbal ou non, alors le côté échanges de regards, très peu pour moi ! Ou alors avec des sous-titres écrits, peut-être, mais ce n’est sûrement pas la même chose !

Brenton me place au même endroit qu’avant. Il me souffle dans l’oreille.

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- Regarde autour de toi…

Je regarde autour de moi, sans rien voir de plus que précédemment. Des gens qui vont, viennent, reviennent, se croisent, se recroisent, s’arrêtent, stoppent, font un break, ondulent, criaillent, rient, se dandinent, boivent… Gestuelle comme d’hab, si on s’en réfère à une discothèque. Brenton se penche vers moi.

- Qu’est-ce que tu remarques ?

A part le fait que j’aime qu’il soit si proche, qu’il sent bon et que j’ai bien envie de lui passer la langue partout et prendre son sexe gonflé entre mes lèvres pour lui faire sa fête, puis l’enserrer entre mes jambes…

- Concentres-toi, Vinouha !

Merde ! J’avais oublié qu’il peut lire dans mes pensées ! Super ! J’avais vraiment besoin de cela ! J’avale ma salive – pour ne pas dire que je remballe ma bave de chienne en chaleur – et regarde à nouveau en faisant attention. Durant quelques minutes je ne vois rien de spécial, jusqu’à ce que je « vois » ce qui se passe réellement. A la base, il y a sept groupes apparemment distincts disséminés à des distances apparemment aléatoires. Les groupes sont constitués de filles et de garçons qui semblent faire partie d’une même bande. Sauf que dans chaque groupe il y a un couple mixte qui ne bougent jamais. Ils sont habillés avec l’uniforme habituel des discothèques, sauf que ces couples-là ont tous une sorte de petit pin sur le devant de leur t-shirt. Apparemment le pin peut être un élément décoratif porté au hasard, ayant une explication comme pour, par exemple – appuyer une cause comme le Sida. Et à première vue, j’ai pensé que c’était cela, sauf que les personnes qui s’adjoignent à ces groupes ne portent pas les pins et après un certain moment et quelques propos échangés comme des potes, ils s’en vont et ne reviennent plus. Tout se passe avec une telle fluidité et normalité qu’on ne remarque aucun échange d’argent ou de substances. Et c’est là la perfection du système. Le va-et-vient constant dans ces groupes, ainsi que les mouvements des couples d’un des sept groupes à l’autre, occultent le véritable objectif de ce ballet. Je regarde Brenton. Il hoche la tête. Je me penche vers lui.

- Je ne vois pas d’échange…- Non ! Mais moi bien ! Avec nos conclusions, Pernel et l’équipe qui s’occupe de cette mission

auront suffisamment de preuves.- Et Tobias ?- Tobias ne dira rien. Sortons, maintenant ! Il doit se rendre sur place pour pouvoir alerter les

autorités.- Le cadavre ? Minao ?- Oui.- Je veux y aller. Je veux trouver des traces !- Non ! Pas maintenant ! Tu as eu ta dose. Rentrons ! Demain nous reviendrons. Tobias

scannera la scène et me donnera les indices qu’il aura collectés.- Et s’il a laissé quelque chose pour moi comme…- Tobias le laissera. Il saura que cela t’est destiné- Comment ? - Il a été pisteur en d’autres temps et Minao laisse une empreinte particulière qui est détectable

par les yengo, mais pas par les humains, sauf par toi !- Quel privilège !

Brenton a un sourire en demi-teinte. Il m’embrasse légèrement, puis me reprend par la taille.

- Allons-y…

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32.

Je me sens éreintée. Non, vidée plutôt. Brenton a fini par me prendre dans ses bras en me sortant de la voiture. Je vais finir par me ramollir si ça continue comme cela ! J’ai encore une vague de chaleur. C’est épuisant ! Nous arrivons dans le couloir devant ma porte, lorsque c’est reparti pour un tour ! Collée au plafond ! Faut vraiment qu’il arrête. Le champ de force m’enveloppe et je ferme les yeux fortement ! Merde ! C’est quoi encore le problème ? La porte d’entrée s’ouvre largement et une haute silhouette se carre dans l’entrée. Il lève la tête et nous regarde. Il a les yeux d’un bleu très clair, surprenant. Un bleu céruléen, mais plus ciel que le ciel que j’ai déjà vu. Un bleu de ciel… primordial. C’est possible, ça ? Il est magnifique. Plus grand que Brenton, large carrure, une allure de bel homme sûr de son charme. Les cheveux longs d’un blond presque blanc et ces yeux tellement bleu que l’on pourrait si perdre… il ressemble à un ange, un fichu ange tellement bien foutu que je sens une gigantesque vague de chaleur me fouailler le corps avec une fringale démoniaque. Je déglutis fortement. Brenton me tient serrée contre lui.

- Lukius… ne me dis pas que tu en es encore à plaquer les gens contre le plafond…- Glorios…

Ainsi Brenton le connaît ? C’est quoi le blème avec mon appart ? Ils ne peuvent pas attendre que je sois chez moi pour s’y introduire ?

- Descendez et entrez dans l’appartement. Je pense que nous serons plus à l’aise pour parler.

Sympa ! Voilà qu’un parfait étranger m’invite chez moi ! Génial ! L’homme a un petit rire amusé en me regardant. Il me fait une courbette genre Mr.Darcy.

- Désolée d’avoir investi votre demeure, ma chère Vinouha. Il m’est apparu plus sûr de venir jusqu’ ici discrètement. Votre demeure est sous surveillance constante. Je ne t’apprends rien de nouveau, Lukius…

- Non, père…

Le ton de Brenton est un peu ironique sur les bords. Bien ! Encore une histoire de famille tendue et sûrement tordue ! Je les collectionne ou quoi ? Brenton me fait passer le pas de ma porte et je me retrouve dans mon siège préféré, ramassée sur moi-même comme une écharpe lâche. L’homme, Glorios – c’est quoi ça pour un nom ?- s’assoit à son tour. Une autre vague de chaleur parcourt mon corps. Plus je regarde ce Glorios, plus je me sens irrémédiablement attirée par lui. Je regarde en panique totale Brenton. Il devait s’assurer que je ne sauterais sur personne, non ? Il vient se percher sur le large accoudoir du siège et me pose la main sur le cou. La chaleur s’atténue un peu ainsi que mon désir. Les yeux si magnifiques et si clairs de Glorios n’ont pas perdu une miette de ce qui se passe.

- Tu l’as liée à toi, mais tu n’as pas complété le rituel. - Je ne suis pas un bestiau…- Lukius… encore cette vieille discussion ? Ta jeune compagne souffre par trop de l’ardeur et il

m’est pénible de la voir ainsi. Je vais t’apporter mon aide.

Brenton se crispe près de moi. Quoi ? Et c’est quoi ce rituel ? Je ne veux pas être l’objet de rituel, ni de quoi que ce soit d’autre chtarbé à donf ! Brenton laisse sa main sur mon épaule. Il ne bouge pas, mais je le sens en alerte, tendu.

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- Allons… Tu es si focalisé sur ton rejet pour ta nature que tu refuses d’accéder à ses enseignements. Laisse-moi t’aider, petit… je ne t’ai jamais été contraire…

Brenton est face à Glorios. Ce dernier est légèrement plus grand, mais leur gabarit est quasi identique. Il y a une certaine ressemblance entre eux maintenant que je les ai en face de moi. Je sens combien Brenton lutte. Mais contre qui ou quoi ? Glorios ? Lui-même ? Brenton rétrocède d’un pas et l’ange appelé Glorios s’approche de moi. Il s’accroupit doucement à mon côté et me regarde en souriant. Le Loup et Chaperon Rouge ? Il sourit avec amusement. Merde ! J’oublie qu’il a accès à mon cerveau. Génial ! Wi-Fi mental et tout pur bio, quelle chance j’ai !

- Fermez les yeux, chère Vinouha. Voilà… laissez mon esprit atteindre le vôtre. Oui, comme cela…

Sa voix est si douce, si enjôleuse, si merveilleuse, si… Une lueur s’approche de moi, à l’intérieur de moi et m’encercle lentement. Je sens mon corps réagir, mes sens s’assoupir sans perdre le contact avec la réalité. La vague de chaleur se replie doucement et mon corps redevient comme toujours. Je pousse un soupir et me relâche complètement. Lorsque j’ouvre les yeux, Glorios est assis sur la chaise en face de mon siège et Brenton me regarde, préoccupé. Il est si beau, mais différemment que Glorios.

- Tu vas bien, tramania (ma vie) ?- Oui. C’est parti… enfin, ça s’est rétracté quelque part en moi. Je me sens… moi-même et

j’apprécie vraiment. Merci, Monsieur Glorios…- Glorios est suffisant.

Je hoche la tête avec gratitude.

- C’est provisoire, mon fils…- Je le sais…- C’est quoi le rituel ?- Pour empêcher l’ardeur de « déborder », vous devez vous unir intimement. A partir de là, tant

votre corps que votre esprit peuvent manier et contrôler l’ardeur selon vos désirs et vos projets.

Je rougis violemment. Pas de quoi. Glorios a été très délicat pour parler du fait que Brenton et moi ont doit jouer la bête à deux dos ! Brenton a un bref grognement quand Glorios éclate de rire. Son rire est si magnifique… S’il a une compagne ou une femme, elle doit être la plus heureuse des femmes !

- Elle l’est, du moins je l’espère. Elle s’appelle Vera. Vous vous entendriez très bien. Mikaïl vous plairait aussi, je pense.

- Mikaïl ?- Notre compagnon à Vera et à moi.- Je… je… vous voulez dire que vous formez un trio ?- Un quatuor en réalité.- Ah ! Et cette… enfin votre…- Trio… Nous fûmes d’abord un trio, John est apparu plus tard…- Ah ! Euh… et cette façon de vivre… enfin, je veux dire votre… trio, puis quatuor… ce… ce

n’est pas lié à votre nature yengo, alors ?- Non. C’est lié à l’amour qui nous unit tous les quatre.- Ah, d’accord !

Et Vera est humaine ?

- Elle l’est plus que beaucoup, mais disons qu’elle a acquis certaines essences qui l’ont… bonifiée encore plus, si je puis dire…

- Ah ! OK !

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Glorios a un sourire qui dit plus que mille paroles. Je sais. Je suis claire comme de l’eau de roche, mais bon… ardeur, vagues de chaleur, yengo, trio qui finit en quatuor et… euh… Brenton… ça fait vraiment beaucoup en même temps !

- Je… je suis un piètre amphitryon ! Vous désirez prendre quelque chose ? Un verre d’alcool, vu l’heure ?

- Non, mais merci !

Brenton vient me prendre dans ses bras et m’assoit sur ses genoux en me serrant de très près. Je le regarde fixement. Il n’a jamais fait une chose pareille. Glorios a un petit sourire en coin en nous regardant. Il se détend et croise les doigts en équerre.

- Vous formez un excellent couple. Je vous félicite tous deux de votre choix. Maintenant, si vous le désirez, Lukius, détends-toi, il est temps de parler de ce qui se passe.

33.

Finalement, on a d’abord mangé un morceau. J’ai appris que Glorios est également un vampire, que c’est l’autre de ses natures « basiques », outre qu’il possède différentes essences et d’autres natures. Je n’ai pas très bien compris, mais bon… dois-je m’en inquiéter ? De toute façon, je n’ai pas la tête à cela. Tout ce que je peux dire, c’est que Glorios a un sens de l’humour que j’adore. J’ai eu plus de fou rire avec lui que durant toute ma vie. Je suis certaine que sa femme doit être ravie de l’avoir comme compagnon. Réciproque si j’en juge par les scintillements qui traversent son regard si lumineux les rares fois où il fait allusion à elle. C’est beau l’amour ! J’ai l’air de plaisanter, mais je suis sincère. Voir des gens amoureux me rend toute tendre de l’intérieur. C’est comme voir un coucher de soleil ou un lever de soleil, on se sent plein de toute cette beauté, de toute cette splendeur, comme si quelque chose d’elle s’insinuait en nous. Je me sens ramollie, mais il faut qu’on parle.

Glorios dépose sa tasse de café. J’ai encore un grand sourire étalé sur le visage. Brenton a été plus mutique que jamais. Déjà en temps normal il a tendance à être énigmatique, ici, c’était pire. Wep ! Les histoires de famille, etc. Brenton le regarde fixement. Il ne m’a pas lâchée, assis près de moi. Il ne m’a laissé que pour chercher un léger en-cas et, encore, parce que je l’y ai poussé. Ah, je t’jure des fois…

- Comment sais-tu ce qui se passe ?- La question, fils, est de savoir comment je ne l’ai pas su plus tôt !

Brenton baisse la tête et se tend visiblement. Glorios sourit légèrement.

- Je vois. C’est tout à ton honneur de vouloir te débrouiller seul. Cependant il est temps de ne plus te défier de moi de cette façon. Je ne me suis jamais immiscé dans tes affaires et il me semble avoir été plus que discret ces deux derniers siècles.

- Tu t’es pourtant enquis régulièrement de moi !- Je suis ton père putatif. C’est mon devoir et mon désir de m’enquérir de toi de temps à autre.

Tu le sais et je le sais !

La voix de Glorios s’est faite plus froide et plus acérée en disant ces derniers mots. Il soupire ostensiblement.

- Je ne te demande ni d’oublier ni de me pardonner ce que je t’ai fait. J’ai donné mes raisons alors et t’ai présenté mes excuses, je ne puis en faire davantage. Mais, pour ton bien, le mien

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et de ceux qui nous sont chers, je te propose une trêve pour régler cette situation.  Qu’en dis-tu, fils ?

Brenton se tient raide à mes côtés, mais je le sens fléchir. Je pousse un petit soupir. J’ai passé trop de temps à retenir mon souffle. Il pose ses yeux aux couleurs changeantes sur moi un bref instant et une vague de chaleur me vrille le bas du ventre. Je ressers tout rapidement pour la contenir. Peine perdue, mais réflexe oblige ! Il pose sa main sur mon ventre et je me détends. Il me sourit. Il est si beau…

- Tu as raison, youmounsa (père), il est plus que temps…

Ils se regardent avec intensité. Un accord vient d’être scellé. J’aime mieux ça. Brenton se ressaisit le premier. Je soupçonne Glorios d’être plus sentimental et romantique que Brenton, quoi que ce dernier soit plus sensible ou aussi sensible que Glorios. Les deux hommes me regardent fixement et sourient à pleines dents en hochant la tête, appréciant manifestement mes réflexions ! Tant mieux ! Brenton se tourne vers Glorios.

- Depuis quand le sais-tu ?- Quelques jours ! J’avais entendu des rumeurs, mais rien de précis. Tu sais comme moi que

parmi les Outre-Vivant les rumeurs vont toujours bon train. Cependant, j’ai eu confirmation voilà quelques mois qu’un yengo faisait des siennes. Je n’ai pas pu déterminer qui il était…

- Minao !

Glorios fronce les sourcils et son regard devient noir.

- Ton frère ? - J’ai tout lieu de croire que c’est lui.- J’ai du mal à le croire, mais je te fais confiance. Les dernières informations que j’ai eues sont

des plus alarmantes, mais je suppose que tu en sais plus que moi sur le sujet.- Oui.

Durant un quart-d’heure Brenton expose de façon précise, concise et claire les éléments d’enquêtes que nous avons, ainsi que les traces que nous suivons. Lorsque nous lui avons dit que nous irions jeter un coup d’œil sur la dernière scène de crime, son visage s’est contracté jusqu’à devenir un masque terrorisant. Me voyant totalement scotchée sur le siège, il reprend son visage souriant.

- Quand pensez-vous aller sur les lieux ?- Pas avant demain soir lorsque les lieux seront plus calme. Tobias fera le nécessaire pour que

nous puissions nous trouver sur place sans problème.

Glorios hoche la tête.

- Bien. Je viendrai plus tard. Il se peut que je trouve quelque chose d’autre.- J’ai suffisamment de…- Lukius ! Je ne remets pas en doute, ni en cause tes habiletés. Elles sont exceptionnelles, mais

tu oublies un peu vite qui je suis !

Brenton soutient son regard, puis baisse les yeux. Qui est-il ? Glorios se tourne vers moi et me sourit.

- Je suis devenu yengo lorsque le dernier existant s’étaignait, c’était il y a fort longtemps, et qu’on décide de me convertir. Ce n’est que bien plus tard que j’ai converti un autre. Tous ceux qui existent sont issus de lui et de moi par légat organistique.

- Oh, je vois ! Vous êtes une espèce d’Adam, mais version yengo.- Juste analogie, à part le fait que je peux affirmer que je suis bien plus séduisant que votre

Adam !

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J’ouvre la bouche, puis j’éclate de rire ! Il est vraiment space de chez space !

34.

L’endroit est surprenant. A la fois à l’écart, mais bien visible si on fait attention. Un lapsus révélateur ? Un indice significatif ? Il y a près du bâtiment un espace restreint qui est beaucoup plus plausible que celui-ci. Alors ? Je regarde ce que les enquêteurs venus sur place ont fait, la manière qu’ils ont procédé pour chercher des traces probantes. Je n’aurais pas mieux fait, mais je sais qu’il doit y avoir plus, comme pour les autres scènes de crime. Seulement ici… ici…

- Minao commence à devenir plus agressif, plus violent.

Je me tourne vers Brenton qui se trouve appuyé contre un mur. J’entends le croc, croc, croc habituel. Une pomme verte brillante. Je ne vois pas bien ses traits. J’ai apporté une lampe de poche qui donne suffisamment de lumière, mais sans être trop éclairant. Inutile d’alerter une brave personne qui nous enverra les flics, « juste au cas où, Monsieur l’agent ! » La discothèque est fermée, ce qui est habituel puisqu’elle n’ouvre pas en temps normal un soir comme celui-ci. Le silence autour de la bâtisse rend les lieux un brin sinistre. Je voyage le flux lumineux sur les murs autour de moi, passant lentement sur chaque centimètre carré. Des murs en béton partiellement peint avec quelques graffitis incompréhensibles, des signatures, sans doute avec des dessins à la bombe qui représentent je ne sais pas trop quoi. Des caricatures ? L’espace n’est pas très grand, l’ampleur suffisante pour placer l’équivalent de trois containers de poubelles de taille habituelle. Le faisceau passe sur une gouttière qui me semble bizarrement placée là. Pourquoi en moitié d’un mur, plutôt que près du toit ? Je m’approche d’elle avec précaution. J’imagine qu’ils ont déjà vérifié celle-ci consciencieusement, mais je ne sais pas… elle m’interpelle. Je sais que c’est con, mais… J’introduis la lumière dans l’étroit canal et suit des yeux ce qu’elle me révèle. Saleté, poussière, dénivellement dans le tracé originel, quelques feuilles mortes, ce qui est encore plus étrange et un dépôt d’eau fangeuse et nauséabonde. Rien de particulier, sauf le fait qu’elle ne semble pas à sa place. Je regarde plus attentivement et me rend compte que cette portion a été rabaissé du toit extérieur et ramené dans ce lieu clos, tordu de telle façon pour qu’il s’incruste dans le mur. Pourquoi faire une chose pareille ? Je repasse la ligne lumineux sur ce morceau de plastique maltraité et décide de sortir voir où commence la gouttière. Je lève ma lampe et regarde comme le tube concave plastifié se trouve à l’endroit où je m’attends à le trouver autour de ce petit appendice bétonné. Je ne suis pas certaine, mais j’aimerais bien regarder dans la cavité, mais je ne vais pas y arriver, trop petite.

- Attends, je vais t’aider. Tu vas grimper sur mes épaules…- Je pèse trop lourd, voyons !- Tu sous-estimes ma force, Vinouha…

Je grogne vaguement quelque chose. Brenton sourit. Ses dents ont toujours été si blanche et si parfaite ? Une spécificité des yengo ?

- D’un excellent dentiste lié à une bonne dentition et une bonne hygiène buccale.- Ah oui… Bien sûr ! Donc, comment fait-on ?

Je ne vous explique pas le topo, je ne suis vraiment pas faite pour le sport ou le sport n’est pas fait pour moi, mais bon, je suis juchée sur ses épaules et une vague de chaleur est venue me lécher tout le corps. Glups ! Il pose sa main sur mon ventre et cela me calme. Il va falloir que nous passions à la casserole, j’ai l’impression d’avoir cinq ménopauses en même temps et je n’ai pas encore l’âge, merci bien ! D’ailleurs… Les yengo peuvent-ils avoir des enfants ? Question idiote ! Brenton est bien là, non ? Donc les pilules anticonceptives et jusqu’à plus d’infos le petit latex…

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- Nous ne pouvons avoir de maladies, quant au risque de grossesse, la femme décide si elle le désire. Tant que ce désir n’est pas clairement exprimé verbalement et physiquement, le yengo ne peut féconder sa compagne.

- Ah !

Je me sens à l’aise sur les épaules de Brenton, bien que toute la situation soit légèrement surréaliste. Je penche le trait lumineux d’abord à l’extérieur du tuyau, puis à l’intérieur. Une chance qu’il ne soit pas totalement couvert, sinon… Brenton me fait avancer lentement afin que je puisse voir tout ce qu’il y a à voir. Pas grand-chose de plus que pour le reste, sauf à la fin, j’ai l’impression qu’il y a un bref éclat scintillant partiellement occulté par un amas de détritus innommable et d’eau stagnante et puante.

- Je crois qu’il y a quelque chose ici… Je vais me tendre pour essayer de l’attraper. Ça ira ?- Parfaitement.

Il me tient les cuisses légèrement afin de m’aider à arriver jusqu’à l’endroit où je vois cette chose briller. J’arrive du bout des doigts à écarter la saleté pestilentielle et je le vois. Une sorte de… Je l’agrippe précautionneusement, prenant en même temps une partie des répugnants déchets. Heureusement que je me sers toujours de gants en latex, sinon… Le remugle est à gerber, mais j’en ai vu d’autres, gages de l’office.

- Je l’ai…

Je le glisse dans un plastique que je tiens dans ma poche de ma veste noire à capuche et à multiples poches. Le sachet dument scellé, je le range dans une des poches.

- Tu peux me descendre, merci…

Il fléchit lentement les cuisses, puis prend les miennes et dans un mouvement chaloupé et leste me descend de ses épaules. Il remonte ses mains sur mes hanches, se relève et doucement en me frôlant me dépose sur mes pieds. Il le fait avec tellement de lenteur, une autre vague de chaleur fond sur moi avec tellement d’intensité que je me hausse sur mes pieds pour atteindre sa bouche. Pomme, odeur légère de bois de santal, arôme personnel de lui, lui, lui… Il m’agrippe les fesses et frotte son érection contre mon ventre. Je lève mes jambes pour encercler sa taille… Sous mes paupières, je vois une lumière fuser ici et là en d’étranges arabesques lumineuses, mais je ne m’en inquiète pas. Je verrouille mes jambes à ses hanches, à sa taille, je le veux en moi, profond, violent, fort, puissant, tendre…

- Je ne veux pas vous presser, mais si vous avez fait le nécessaire, il est temps d’y aller…

La voix de Tobias est comme un seau d’eau glacée. La vague de chaleur se rétracte avec peine. Je défais mes jambes un peu tremblantes de la pression que j’ai mise pour être plus près de Brenton. Il pose son front contre le mien tendrement.

- Plus tard… plus tard…- Oui… oui…

Brenton me passe le bras sur les épaules en me serrant brièvement contre lui. Je réajuste le faisceau lumineux, jusqu’à me rendre compte que je n’ai plus besoin de la lampe pour voir clairement ! Bouh ! Cinq minutes plus tard, nous revenons chez moi. Dans la voiture j’essaie de me calmer. Je ne me reconnais plus et c’est flippant ! Tobias nous a salués avec un léger rire dans la voix avant d’échanger une date de rendez-vous avec Brenton.

35.

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Je tourne dans le salon. Notre retour s’est fait sans problème et je devrais être pleinement rassurée, mais ce n’est pas le cas. Je tourne les faibles indices que nous avons de Minao et je ne vois pas comment on pourra le prendre. Je n’ai pas encore vu ce qui a été dit sur le corps retrouvé assassiné dans cet abri pour containers. Demain… si j’arrive à mon bureau. Trois heures et demi ou presque. Génial ! Insomnie quand tu nous tiens ! Je regarde ce que Minao a laissé à mon intention. Presque l’entièreté du bracelet à breloques. Il ne reste que deux ou trois maillons. Pourquoi ? Ces derniers maillons seront aussi le dernier crime ? Que cherche-t-il ? A arriver jusqu’à moi ? Mais il pourrait, je suppose, si ses habiletés et sa puissance sont telles ! Alors pourquoi ne le fait-il pas ? Une histoire avec Brenton ? J’ai beau chercher des traces d’une quelconque logique, je ne trouve rien !

Je prends le dossier qui se trouve sur la table. Je ne sais pas comment il est arrivé ici. J’imagine que c’est Tobias qui a donné une copie à Brenton. D’où l’a-t-il eu ? Un autre mystère et je déteste les mystères ! Je sais. Paradoxal. Je suis détective privée, mais la seule chose qui m’intéresse ce sont les indices et d’après eux trouver une logique cohérente à la situation. Pas de mystère, juste une équation avec une ou deux inconnues qu’il me revient de découvrir pour résoudre celle-ci. J’ouvre le dossier. Je m’affale bruyamment dans mon siège préféré, une sorte de machin informe qui aurait dû prendre sa retraite depuis longtemps, mais puisqu’il sert encore, pourquoi le ferais-je  ? Je place mes deux jambes sur le large accoudoir en cuir craquelé et moelleux. Ma tête se niche contre l’autre accoudoir. J’ouvre la carpette et regarde la première page. Génial ! Tout est consigné d’une manière claire, concise et précise.

Je survole les phrases de ce jargon si particulier pour ne retenir que quelques mots ou parties de phrases. « … vidée de son sang… grandes souffrances pré-mortem… hématomes sous-duraux… vêtements retirés… corps nu exposé, bras et jambes amplement écartées… yeux ouverts… visage figé dans un masque d’horreur… bouche grande ouverte… » J’arrête de rire. Rien à voir avec les deux précédents cadavres. On dirait qu’il a décidé de changer de modus operandi. Pourquoi ? Ce n’est pas logique. Je prends les deux photos qui représentent un gros plan du visage et un autre du corps figé dans cette pose indécente et crapuleuse. Le visage est celui d’une femme dans la trentaine, les traits anguleux, un visage étroit, un long nez fin et un peu busqué, des lèvres minces, des joues creuses, des yeux bleus délavés, des sourcils très fins, blonde naturelle et d’un de ces blond terne, sans éclat, coiffure en forme de casque carré, peu de cheveux et très fins également. Le corps est similaire au visage, long, 1 m. 73, de longs bras maigres aux muscles secs et noueux, des mains fines et longues osseuses, des jambes aussi fines et tendant à la maigreur, des pieds osseux longs et fins. Pas belle, malgré sa minceur. Elle dégage même dans cette pose avilissante une sorte de sentiment antipathique et vaguement condescendant, méprisant. Son nom était Vandenstaerte et son prénom Geerta. Elle travaillait comme manutentionnaire dans une grande surface. Divorcée, sans enfants. Elle a eu deux dénonciations pour mauvais traitement à deux personnes âgées, mais qui n’a pas donné lieu à une condamnation. Aucune plainte formelle n’a été officiellement déposée, elle a juste eu les services sociaux sur le dos durant un certain temps. Il semblerait, d’après un autre dossier qui n’est pas ici, qu’elle aurait l’habitude de maltraiter les personnes âgées, mais toujours sans preuves formelles, juste de graves présomptions. La dernière vieille personne – une femme de nonante ans, une voisine – qui a « profité » de ses mauvais soins a été vue par un médecin. Son corps comportait un nombre très précis d’hématomes. Cependant le beau-fils a déclaré que sa grand-mère - assez valide par ailleurs et entourée de suffisamment de personnes extérieures pour subvenir à ses besoins – que celle-ci se cognait facilement et trébuchait encore plus facilement et qu’elle avait facilement des hématomes. On n’est jamais mieux trahi que par les siens !

Je reprends la photo du visage. Pas à dire, mais c’était vraiment une méchante personne, mais de là à lui faire subir cela. Je comprends mieux les hématomes sous-duraux et les autres précis disséminés sur tout le corps. Pourquoi les autres avaient un visage figé dans un masque d’extase  et celui-ci d’horreur ? Pourtant les autres n’avaient pas meilleure réputation que celle-ci, dans le genre exactions. Alors ? Minao aurait-il une échelle de valeurs morales dans le domaine des actes délictueux ? Voilà qui serait vraiment vicieux ! Mais c’est un yengo et qui sait de quoi ils sont capables ! Enfin, en plus de ce que je peux voir ici…

- Tu comptes résoudre l’affaire cette nuit ?

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Je sursaute violemment et tombe du siège. Un brouillon mouvant plus tard, Brenton me replace sur le siège. La photo reste à terre aux pieds de Brenton. Je relève les yeux. Il est seulement habillé d’un pantalon en satin noir qui lui tombe légèrement sur les hanches. Il a un torse musclé, mais sans excès et une peau légèrement cuivrée et lisse. Elle semble si douce, si… Une vague de chaleur déferle en moi, m’inonde, me propulse, me… Brenton s’agenouille et pose sa main sur mon sternum. La vague reflue et je respire profondément.

- Tu… ça fait longtemps que tu es là… je ne t’ai pas entendu arriver…- Je sais… Je suis désolé de t’avoir fait peur, ce n’était pas mon intention, mais tu cogites trop et

depuis trop longtemps. Tes déambulations mentales me tiennent éveillé et je pense qu’elles finissent par tourner en rond dans ta tête. Demain, nous avons un rendez-vous à neuf heures. Tu te souviens ?

- Oui. Madame VanKlipelen…- Exactement. Il conviendrait que tu te reposes un peu…- Je n’y arrive pas.- Je sais. C’est pour cela que je suis là…- Ah…

Brenton me regarde. Il attend. Moi aussi. J’ai tellement rêvé d’être proche de lui, de le toucher, de nous caresser, de nous aimer de toutes les manières possibles. J’ai fantasmé tant de nuits sur lui et même durant la journée, cela m’est arrivé. Je l’ai observé durant des mois à son insu… du moins je le pensais, mais maintenant, je n’en suis plus si sûre. Je sens des tourbillons de plaisirs qui s’enlacent en moi prêts à exploser au moindre affleurement, à la moindre allusion. J’ai fermé les yeux. J’ai tellement envie de lui que je me sens paralysée. Je déglutis. Je sens un léger effleurement. J’ouvre les yeux. Il passe un doigt sous un de mes yeux, sur cette cerne persistante que je n’arrive jamais à faire partir complètement, même avec de l’anticerne.

- Tu es épuisée…- Oui.- Nous pourrions nous allonger dans ton lit. Je ne te toucherai que si tu le désires, mais je serais

là pour toi à chaque seconde…- Tu ne vas pas dormir, alors…- Ma nature n’a pas besoin de sommeil quotidien. Je peux, à l’égale des miens, rester trois mois

sans dormir et rester actif. Nous devons veiller à comptabiliser l’équivalent d’un mois de sommeil par an.

- Waouh ! J’en connais qui adorerait avoir cette capacité. Les affairistes sont légions aujourd’hui…

- Il s’agit d’une faculté innée de gérer nos réserves énergétiques pour vivre au mieux.- Ça me rappelle un documentaire sur un batracien qui arrive à vivre 100 ans tout en gérant ses

réserves énergétiques comme vous. C’est votre ancêtre ?- Le Proteus anguinus… Nous connaissons cet animal et ses capacités hors du commun. Les

études que certains des miens ont menées sur celui-ci ne nous permettent pas de déterminer une quelconque similitude génétique ou autre avec nous.

- Pourquoi mener des études sur cet animal ?- Nous le faisons sur une grande quantité d’espèces.- Oh ! Un peu comme nous…- Si l’on veut…

Génial ! Pourquoi ne pas nous installer devant ma télé pour voir des documentaires animaliers, tant qu’on y est ! Je n’y crois pas, là ! Je suis près de la seule personne qui me fait vraiment de l’effet et je… Brenton passe un doigt sur mes lèvres.

- Viens… j’ai toujours rêvé de te border…- Avec une berceuse…- Si cela peut t’aider…

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- Non… enfin, je ne sais pas, personne ne m’a jamais chanté de berceuse…- Je peux le faire…- Je… oui, mais… tu peux me tenir contre toi dans le lit. J’ai un peu de mal…

Il me sourit en me soulevant dans ses bras. Un brouillon plus tard, il me place sur le matelas, me borde soigneusement, puis s’installe à mon côté. Je me tourne vers lui. Il me hale doucement. Lorsque ma joue sent la douceur satinée de sa peau, je pousse un soupir. Black-out !

36.

J’ouvre les yeux tous grands. Je ne sais pas ce qui m’a réveillé. Je ne vois goutte. Il doit faire encore nuit. Tous mes sens sont en alerte. Le lit est chaud. J’ai chaud. J’essaie de me souvenir de… Brenton, le lit… Je suis seule ! C’est ça ! Brenton n’est plus dans mon lit. Je sens mon ventre se nouer. Il est parti ! Je ne sais pas si je dois me mettre à hurler de rage ou à pleurer désespérément toutes les larmes de mon corps. Merde ! En proie à une fièvre sexuelle, mes sentiments totalement exposées vis-à-vis de lui et complètement larguée en ce qui concerne ma difficulté de gérer toute la situation et Brenton me…

- Tu perds ton efficacité de déduction, si tu penses que ta confusion me tient éloigné de toi et de ta couche.

La voix est douce et provient de l’entrée de la chambre. Je ne vois toujours rien. Normal, j’ai la tête sous l’édredon ! Quelle biaisse ! Le matelas s’incurve légèrement. Je sors de ma cachette et il est là avec ce même pantalon noir qui met en évidence ses magnifiques jambes, son torse musclé dénudé et… le reste ! Une vague de chaleur m’incendie des hanches aux seins et retour. Bouh ! Il fait tellement chaud… Il pose sa main sur mon ventre et la vague reflue.

- Je te désire, tramania à un point tel… mais tu as la préséance…

Je ne veux pas fixer mes yeux sur le tissu noir du pantalon, mais je… déglutis fortement. Waouh ! Je me lèche les lèvres et les yeux de Brenton vacillent et deviennent presque phosphorescents. Ma respiration devient erratique, mes seins lourds deviennent plus lourds désirant la caresse d’une bouche, le tact de doigts… Je pousse un faible gémissement. Sans y penser, je tends la main et la pose sur son impressionnante érection. La dureté et la suavité du tissu mouille mon vagin et le pousse vers un orgasme que je sais fulgurant. Je gémis encore… Brenton ferme les yeux. Son corps est tendu, mes doigts massent la dureté. Il pousse un feulement et tout mon corps frémit d’anticipation.

- Ne me laisse pas, Lukius, je te veux maintenant, s’il te plaît…

Il ouvre les yeux, sonde de son regard changeant et lumineux mes yeux, mon esprit, mon âme… Il se penche vers moi et nos lèvres s’unissent enfin. Le baiser s’intensifie. Ma main tente de repousser le pantalon sans succès. Mon autre main caresse le dos, griffant doucement. Nus, nous sommes nus. Brenton glisse contre mon corps, me cloue au matelas, pose ses lèvres sur mon cou, ma clavicule, puis fond sur mes tétons. Il tiraille, suce, mords. Les chairs de mon vagin convulsent. L’orgasme éclate. Je me tords, brûle, m’éparpille. Son visage atteint mon entre-jambe, je sens ses dents mordiller l’intérieur de mes cuisses, l’une de ses mains flagellent doucement mes seins, alors que l’autre glisse deux doigts dans mon vagin palpitant. Il va et vient avec deux, trois doigts, je perds le compte lorsque sa bouche se cerne sur mon clitoris le mordant, le suçant, l’affolant. Un orgasme me propulse partout et nulle part. Je perds la notion du temps, la notion de ce qui m’entoure, mais pas moi, pas lui. Il se redresse. Ma respiration laborieuse m’empêche de savoir avec précision, je suis une, deux à la fois, son corps me frôle, s’installe, cherche. Sa longue verge puissante entre en moi d’une estocade. Je pousse un cri. Ses lèvres prennent d’assaut les miennes. Nos corps s’accouplent, se jouent, se nouent, s’impatientent et se

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dénouer pour mieux renouer. Ses lèvres quittent les miennes. Je sens soudain se dents contre mon épaule, puis descendre à la jonction entre elle et mon bras dans cette zone tendre qui rejoint l’aisselle. Il me mord violemment, mais je suis si pleine de lui, que je ne ressens qu’un plaisir accru, une nécessité désespérée. La morsure se joint à notre danse sexuelle. Quelque chose craque dans mon esprit et soudain je me sens propulsée dans des souvenirs que je sais appartenir à Brenton. Brenton pousse un cri assourdi, ses dents toujours agrippée doucement à cette partie de mon corps.

« Le plateau aride et désertique surplombe une mer déchaînée. Les vagues frappent avec violence la dentelure rocheuse des parois, éclaboussant d’écume tourbillonnante et blanchâtre tout alentour. Les lieux sont à une hauteur très élevée. Les hurlements des vents sont rythmés par chaque ondée sauvage créant une mélodie furieuse et violente. L’air salin emplit chaque once d’air sous un ciel de plomb où des nuages alliant toutes les nuances du gris jusqu’à la noirceur se battent en un duel acharné et menaçant. Brenton se tient au bord de la falaise. Le tumulte sous lui ne l’inquiète pas. Tout ce déferlement agressif se marie parfaitement avec ce qu’il ressent. Un homme âgé est près de lui, habillé tout de noir, il arbore un air sinistre. Brenton fixe son regard sur les vagues sans les voir. Les mots prononcés par ce message de haine l’ont laissé furieux et blessés. Sa mère est morte. Après tant de temps d’existence, il avait fini par croire qu’elle serait éternelle. C’est l’erreur. Ne jamais se croire à l’abri de la mort. Sa rage est telle qu’il n’hésiterait pas à balancer le messager dans ce bouillon salin ! » 

« Une vaste étendue d’une vallée s’étend devant lui. Il est dans les bras de sa mère. Elle le tient serré. Le petit groupe des siens est sur le point de se mettre en danger, mais l’ancien abri est devenu périlleux et il faut bouger, chercher un autre lieu, de préfèrence avec de l’eau à proximité et de la nourriture. Le soleil est déjà haut dans le ciel et la chaleur étouffante. Les mâles encadrent les femelles et les petits. Ils ont pris des lances et des pierres taillées. Il a soif, mais il sent la peur autour. Des rugissements surgissent au loin. Le groupuscule reste en alerte. Ils se savent à la merci de n’importe quel prédateur. Les temps ont été difficiles. Chaleur excessive, pluies torrentielles… Les risques sont leur pain quotidien. Sa mère lui pince le cou, sa manière de le tenir éveillé lorsqu’il risque de sombrer dans la torpeur, voire le sommeil. Elle souffle quelquefois : youna, youna… Son nom. Elle sait qu’il est encore trop jeune pour se défendre, même si en lui coule le sang de la bête, le sien. Elle ne peut pas se transformer, mais elle le fera si c’est nécessaire, au risque d’être bannie du groupe qui les a accueillis. Elle ne peut pas se permettre de rester isolée. Les autres bêtes pourraient la retrouver. Les bêtes ne peuvent pas vivre longtemps ensemble. Elles doivent bouger vite et loin. »

« Une salle brillamment éclairé. L’habit est somptueux, la cravate de soie nouée à la dernière mode, celle de Brummell, le Beau Brummell. S’il n’avait tenu qu’à lui, il se serait passé de telles fariboles, mais son majordome ne l’aurait pas permis. Peste soit de cette engeance qui prône comme parangon de toutes les vertus une belle mise ! Il regarde les couples danser autour de lui. La foire des enchères l’ennuie avec férocité. Cependant, les informations qu’il détient ne donnent lieu à aucune erreur. Un des leurs est ici et projette une exaction inadmissible. Sa nature hybride est celle qui permettra à la situation de ne pas dégénérer. Il a la capacité de lancer des protections autour des personnes qui sont en danger. Il regarde les fastes de la soirée en souriant amèrement. Aucun de ces pitres ne sait à quoi ils s’exposent et il est là pour garantir que personne ne pâtira de cette méconnaissance. Son factotum lui fait un geste. Il regarde la personne qui vient d’entrer. C’est lui  ! Il le sent, il le sait. »

« La bataille fait rage. L’armure qu’il porte pèse presqu’autant que lui. Il est plus grand que ses vis-à-vis. On l’appelle le « Géant d’Ardoise » pour son habitude de porter des vêtements de tonalité grise. Il taille lourdement ses adversaires. Le sang, tripes, boyaux et membres sectionnés gisent autour de lui alors qu’il avance furieusement à travers les champs de l’ennemi. Etant nobliau, il pourrait prétendre à rester loin du carnage, mais nenni… il n’est point de ces sortes de couards qui se prétendent fiers et vaillants, mais qui ne pratiquent assidûment qu’une ignominieuse couardise. La violence ne le rebute point, il n’en est plus à cela près. »

« La chambre est en pénombre. Ses mains parcourent le corps alangui de sa compagne. Ses seins lourds emplissent la paume de ses mains durcissant sa verge plus encore. Le gémissement des lèvres pleines lui donnent plus de jouissance encore à pincer les tétons bruns à large aréole. Les jambes de la belle s’ouvrent l’invitant à s’introduire dans le sexe trempé et excité. Il gifle les seins, la femme s’arque. Il la tourne sur le côté pinçant un des tétons alors que sa verge s’introduit avec fureur

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dans le fourreau de chair. Il chaloupe longuement, la pénétrant avec force et puissance. Elle gémit secouant ses hanches, exprimant des sons de plaisir et… »

Les images cessent subitement d’assaillir mon esprit dans une avalanche d’idées, de sentiments, d’émotions qui me laissent épuisée et hébétée. Je respire lourdement, éreintée par le tourbillon d’images, de sons, d’odeurs, de sensations et d’émotions qui ne m’appartiennent pas, mais que j’ai senti comme miennes, comme si je les avais vraiment vécues. Brenton me tient contre lui. Une légère pointe de douleur pulse là où il m’a mordue. Je me sens over et ultra présente. Brenton souffle contre moi. Son cœur tambourine comme un tambour. Je sens mon corps si parfaitement aimé que j’ai l’impression de n’avoir jamais fait l’amour. Trois histoires d’ « amour » ne donnent pas une expérience très grande, mais bon… là, c’est confirmé ! Je relève la tête et regarde Brenton. Son regard est perdu, avec cette brillance qui est à la fois fascinante et inquiétante.

- C’était quoi ça ?

Il me regarde avec un faible sourire tout en me caressant les cheveux.

- L’union permet d’avoir accès aux mémoires et aux ressentis du partenaire.- Tu as vu des choses de moi ?- Oui. Et toi de moi. - C’est toujours comme cela ?- Non. Seulement si les sentiments partagés lors de l’union sont ceux dits « d’amour ». Du

contraire, les partenaires occasionnels…- Plan baise, quoi…- En gros oui…s’ils ne partagent pas ce lien d’échange émotionnel.- Je vois. Et tu sais… je veux dire… on peut savoir ce que l’autre voit ?

Brenton me regarde en souriant. Son regard est redevenu normal, ce vert clair plus liquide que jamais avec ce fin cercle azuré autour de cet iris aussi noir qu’un four. Le contraste est toujours si surprenant. Je me demande pourquoi il change de telle façon ? Un effet d’une forte émotion ?

- Non. Pourquoi ? As-tu vu certaines choses qui t’ont… déplus ?- Non, non ! C’est juste pour savoir !

Son sourire s’amplifie, mais il ne rit pas, du moins distinctement. Il ment. Je le sens. Brenton me serre contre lui avec infiniment de tendresse.

- Dormons maintenant. Je te tiens…

Je me laisse glisser dans sa douceur. Black-out !

37.

Madame VanKlipelen est comme sa voix au téléphone l’indiquait, désagréable, arrogante, dédaigneuse et totalement idiote. Elle a ce sourire qui ferait honte à une hyène si elle souriait. Elle suinte l’hypocrisie de bon ton que donne ceux qui se croient supérieurs à tout le monde, présentement à nous deux. Grand bien lui fasse ! Je suis certaine qu’elle n’aura pas d’ulcère à l’estomac de ne pas être autrement, ni d’avoir de vrais amis. Enfin… je m’avance peut-être, là ! Il se peut qu’elle ait toute une flopée d’amis qui sont comme elle. Un troupeau de « fiertecut » ? Alors… Alors, ça ne me regarde pas. Brenton lui a servi un thé avec les manières exquises qu’il sait adopter. Je pense savoir d’où elles lui viennent. Dix-neuvième siècle, époque Régence, Londres… Je me demande s’il a connu Jane Austen, le Beau Brummell, le poète Shelley et sa surprenante épouse Mary Shelley et toute cette

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clique de dandys… J’aime bien les films d’époque… Brenton me lance un regard en biais. Il a un fin sourire, preuve qu’il a tout entendu ! Misère ! Va falloir que je trie mes pensées. Génial !

Madame VanKlipelen dépose avec mille précautions la tasse sur la sous-tasse. Pas à dire ! Elle a de l’élégance, sûr ! Mais quelle engeance, ma doué ! Elle se tourne vers Brenton et lui décoche un petit sourire pincé et poli. Sa manière de le remercier pour la tasse de thé, sûr  ! Brenton lui délivre ce sourire qu’il réserve pour les cas difficiles et ça marche. Elle se dégèle un brin. Elle reporte rapidement son regard d’un gris acier sur moi et glisse sans s’attarder. Je ne suis qu’un ajout à la décoration, c’est clair ! Ça m’va ! Moins de souci et de salamalecs !

- Je suppose que vous avez eu le temps de lire les informations que je vous ai envoyé. Ma requête est simple. Je désire que vous établissiez de façon claire et précise le nombre de fois où mon fils a vu cette… personne.

- Votre fils est majeure…- Je ne le sais que trop, c’est pour cela que j’ai fait appel à votre agence. Monsieur Dupré-

Chausson m’a dit grand bien de vos méthodes. Comprenez-moi bien, je ne désire nullement savoir ce qu’ils font, cela ne me regarde pas, mais il est d’une vitale importance que je sache le nombre de fois qu’ils se voient. Etes-vous à même de me fournir ce genre d’informations ?

Je regarde le visage fermé et glacial de cette femme qui gagnerait sans aucun doute plus de sympathie en souriant et en se détendant. Il y a dans la rigidité de ses traits fins une tension que me dit mieux que ses mots ce qu’elle vit actuellement. Sa demande n’est pas invraisemblable, nous en avons eu de pire. Elle est juste peu commune.

- Désirez-vous savoir le temps qu’ils passent ensemble et les lieux ?- Je connais les lieux et le temps qu’ils occupent à se fréquenter lors de leur rendez-vous n’est

pas utile pour moi.- Sur quelle durée de temps voulez-vous que nous enquêtions ?- Un mois. Je peux vous dire qu’ils se voient grosso modo depuis six mois, si cela peut vous

êtes utile…- Toutes les informations que vous nous fournirez est un plus pour le bon déroulement de

l’enquête et de son résultat.- Alors, vous devez savoir que mon fils n’est pas très constant dans sa manière d’être et de faire.

Imprévisible est un mot qui est faible s’il s’applique à mon fils.

Elle baisse les yeux sur ses mains élégamment croisées sur le devant de son corps. Son maintien se relâche un peu. Cela m’impressionne.

- Merci de vos informations. Nous en prenons bonne note et nous ferons le nécessaire pour diligenter au mieux votre demande.

Elle relève la tête et me sourit franchement. Oui. Elle gagne vraiment à être connue sous cette facette souriante. Cinq minutes plus tard, Brenton l’escorte jusqu’à la sortie. Sa poignée de main a été ferme et sincère. Finalement, Madame VanKlipelen est quelqu’un de bien !

Brenton est assis sur la chaise en face de mon bureau. Il sort une pomme verte brillante et tentante. J’espère que je ne vais pas me mettre à croquer des pommes aussi. Quoi que… je l’ai fait d’une certaine manière, non ?

- Alors, t’en pense quoi ?- Intrigante.- Qui l’affaire ou la femme ?- Les deux qui ne sont qu’une, en fait.- Comment ça ?

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- Elle veut être rassurée, mais elle ne le peut pas, parce qu’elle sait déjà tout ce qu’elle veut qu’on lui rapporte comme infos.

- Pourquoi ferait-elle appel à nous ?- Pourquoi pas ? C’est une manière comme une autre de faire passer son angoisse et sa peur.- Mm !

Pourquoi ai-je toujours l’impression d’avoir besoin de sous-titres et d’un mémorandum lorsqu’il me parle ?

38.

Nous sommes sur une petite place où le propriétaire a eu la bonne idée de placer une terrasse couverte et ouverte, avec deux chaufferettes électriques placés en hauteur qui donnent à l’espace semi clos un bon air tiède et agréable. C’était cela ou attendre en planque dans la voiture. J’aime mieux comme c’est maintenant. Nous avons l’air d’un couple qui prend un peu de bon temps en plein après-midi. Pourquoi pas ? Le bon côté d’une capitale ou d’une grande ville, personne ne se préoccupe trop de ce que fait son voisin, à moins de vouloir s’en préoccuper. Nous sommes assis à une table qui donne pleine vue sur une petite maison enchâssée entre deux autres plus grandes et plus imposantes. Rien de particulier à dire sur cet habitat. Il est anodin, peu attrayant, une construction parmi tant d’autres. Trois étages, maison unifamiliale, construction datant des années 1960 ou à peu de chose près. Fonctionnelle et pratique, elle ne semble exister que pour faire partie des blocs d’habitations tous azimuts qui dépareillent les grandes villes et les grandes cités urbaines. La personnalité d’un tel lieu réside sans doute dans les locataires. Ou pas.

- Tu peux me rappeler pourquoi ici et pas dans une des sept autres demeures où se rend le fils depuis trois ans ?

- D’après le patron coutumier de ce dernier, il devrait avoir choisi ce lieu pour cette rencontre puisqu’elle est la dernière où il s’est rendu.

- Mais ce n’est pas si évident que cela.- Non. Au pire, on ira se poster devant les autres.- Et l’horaire ?- Il a un creux dans son agenda très garni. Il y a de fortes chances que ce soit maintenant.- Mm ! C’est de plus en plus glauque comme histoire.- Sans doute.

J’aime ce demi-sourire un peu moqueur qu’il arbore. Cela me donne envie de l’embrasser longuement et de lui passer la langue, puis de lui mordiller le tout en me pressant contre lui pour sentir son… Wep ! J’ai des vagues intermittentes de chaleur mentale ! Flippant ! Les trois rues qui donnent sur la place sont calmes. Ce n’est pas vraiment un quartier résidentiel où les familles sont unies par la magie des jardins. Ce sont des rues où n’importe qui s’installe, parce que ce n’est pas trop loin d’une autoroute, pas trop cher niveau loyer et plutôt calme. De plus, ils peuvent accéder très vite au centre-ville. Vu l’heure, la majorité de ces personnes sont au turbin ou dans une quelconque activité faisant partie de leur quotidien et routine. Je n’aimerais pas vivre ici. Un jeune homme de taille moyenne, cheveux châtain clair, type passe-partout, fringué normal et plutôt anodin dans sa mise en général arrive près de la maison. Une seconde plus tard arrive le fils de Madame VanKlipelen, Johan. Plutôt pas mal, taille 1 m 80, des cheveux coupés courts, un visage d’ange, des fringues sans rien de particulier, mais de bonne facture. Il s’approche de l’autre homme et l’enlace par derrière avec tendresse et malice. L’autre se retourne et se serre contre lui. Ah ! D’accord ! J’avais pas imaginé ça, mais bon…

- C’est ça le souci de la mère ?- Non. Elle le sait depuis toujours ou presque.

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- Alors ?- L’angoisse. La simple angoisse.- Je n’y comprends rien.

Ils entrent, enlacés, dans la maison. L’attente peut commencer. Je fronce les sourcils. Brenton me regarde avec ce sourire énigmatique qu’il me réserve depuis que je le connais. 

- Quoi ?- Rien. Tu es très en beauté.

Je le regarde fixement. Il se fout de ma gueule ou quoi ? J’ai mis le jeans troué habituel avec le sweet à capuche gris souris délavé et chaussés mes pompes de prédilection, des boots qui en ont vu de toutes les couleurs, odeurs et déjections canines !

- Wep ! Sûr… T’as des problèmes de vue ?- J’ai retrouvé la vue, plutôt…

Le regard qu’il me lance est une incitation à la luxure la plus débridée. Je ressens un désir latent me nouer les tripes et plus bas et…

- Vous désirez autre chose ?

Je regarde le garçon qui vient d’apparaître devant notre table en sursautant. Bouh ! Il débarrasse nos tasses de café. Mon ventre gargouille distinctement. La honte totale !

- Nous désirons une assiette fromages- saucissons et deux cocktail-maison à base d’orange et de citron. Merci.

Le garçon prend note diligemment et s’éclipse avec une interjection passe-partout. Je n’y prête pas attention. J’ai une faim de loup.

- C’est normal.- Quoi ?- Ta fringale.- Ah oui ? Pourquoi ?- C’est un des effets secondaires de la condition dans laquelle tu te trouves.- Et ça comporte une masse graisseuse supplémentaire, genre surcharge pondérale ?- Non. Ce que tu manges de plus ne s’additionne pas à ce dont ton organisme a normalement

besoin. L’une des caractéristiques de ta situation est que ton organisme gère au plus juste et au mieux tes besoins.

- Tant mieux ! Je n’aimerais pas devenir une baleine.

Une heure passe et la collation n’est plus qu’un souvenir. Brenton ne mange pas beaucoup. Presque rien. Il semble que sa nature n’a pas besoin d’absorber des quantités de nourritures ou de liquides normales pour n’importe quel humain lambda. Je suppose que cela tient à son essence yenguiste. Sauf les pommes…

La porte s’ouvre et le fils sort. Il arbore une mine souriante et rêveuse. Une heure. Wep ! C’est rapide ! Quoi que… savons-nous bien ce qu’ils ont fait ? Comme j’ai l’esprit tourné sexe pour l’instant, je m’imagine que…

- Allons-y…

Je n’ai pas remarqué que Brenton s’est levé pour régler la note. Le fils VanKlipelen enfile une rue sans se presser. Temps mort jusqu’à sa prochaine destination. 

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39.

- Tu peux me dire à quoi rime ce suivi débile d’un appart à l’autre ?

Je me suis affalée dans mon siège super parfait de mon bureau. Brenton est dans la position qu’il affectionne le plus. Les épaules collées au mur, les chevilles croisées, une main dans une poche et croquant une pomme rouge à la peau piquetée. Croc, croc, croc…

- A suivre les instructions de notre cliente et être payer pour cela.- Oh, hein ! Fais pas le malin, tu veux ! On s’est tapé les sept apparts. Il a rencontré devant la

porte de trois apparts un homme. Je ne vais pas dire qu’ils se ressemblent tous, mais c’est presque le cas. C’est quoi le problème avec VanKlipelen fils ? C’est genre un amant dans chaque commune ?

- Croc, croc, croc…- Tu m’aides beaucoup, là ! Tu n’éprouves aucune curiosité ?- Aucune, croc…- Pourquoi tu fais ce métier alors ?- Il paie bien et il n’est pas routinier !- Mais tu ne veux pas savoir le pourquoi des affaires ?- Pourquoi le voudrais-je ? - Parce que c’est normal de vouloir savoir le pourquoi des choses, tiens ! - Mm ! Croc… La tendance du dernier siècle et de celui-ci à vouloir tout savoir est épuisante et

absurde. Croc, croc, croc…- Absurde ? Mais enfin… on a toujours voulu savoir le comment du pourquoi du qui ou quoi

des choses, c’est ce que l’humanité a toujours fait !- Sans aucun doute, croc, croc… mais jamais de manière aussi compulsive et tendant vers les

modes d’emploi sur tout et n’importe quoi !- Et toi, bien sûr, vu ton grand âge, tu sais tout sur tout sans avoir besoin de mode d’emploi !- Ce serait vrai si la vie n’était pas aussi imprévisible et libre.- Tu veux dire quoi ? Que tu n’as rien appris de tous ces siècles d’existence ?- Oui et non. Le savoir est unique, les connaissances multiples, mais cela ne fonctionne que par

temporalité. Croc, croc, croc…

Il est arrivé au trognon qu’il s’apprête à manger également. Je ne sais pas comment il fait, mais il le fait. Il se détache du mur et s’approche de moi. J’ai terminé mon rapport journalier du dossier en cours. Nous pouvons repartir. Il s’arrête à côté de mon siège. Je fronce les sourcils. Il me fait pivoter face à lui. Ses mains glissent sur mes épaules, jusqu’à mon sweet à capuche, se moulent à mes seins lourds. Je laisse tomber ma tête en arrière en fermant les yeux. C’est si bon…

- J’ai toujours voulu te prendre dans ce bureau… Me le permettras-tu, tramania ?

Je le regarde penché sur moi, le regard changeant en ces tonalités si merveilleuses et si peu humaines.

- Oui… Oh, oui…

Il me retire le sweet et dépose avec lenteur le vêtement sur une chaise. Je le regarde contempler mes seins dressés et excités. Il descend les bonnets et les placent sous mes seins. Ceux-ci se dressent. Il touche lentement les tétons, les pincent, les étirent. Je gémis le regard vrillé à ses doigts qui prennent si bien soin de mes seins. Il les prend dans ses mains, les redressent, se penchent et les portent à sa bouche, les mordillant, les taquinant, tirant durement sur les pointes. Une déflagration de plaisir se loge entre mes cuisses, baigne mon vagin, un spasme me tend. Il tiraille les monticules et le plaisir devient ardent, sourd, pressant dans mon sexe. L’orgasme arrive. Il torture plus encore la chair de mes

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globes alourdis et l’orgasme explose. Je pousse un cri. Il continue à tourmenter mes seins. Mes mains s’agrippent aux bras du siège. Je suis presque couchée sur le large fauteuil. Il s’accroupit, tire sur mon pantalon. Il retire mes chaussures, ôte mon jeans et écarte mes jambes amplement. Ses yeux changent de couleur, deviennent brillants, lourd de luxure, de désir. Il tire sur mon tanga et jette les morceaux par terre. Il souffle sur ma fente trempée.

- Magnifique…

Il passe ses mains sur mes cuisses avec une lenteur exacerbée, mes lèvres s’écartent laissant s’écouler le liquide du plaisir. Je gémis plus fort. Il donne une tape sur mes seins et triture violemment mes tétons. Ma vulve convulse, construisant un autre orgasme. Sa main gifle à nouveau mes globes excités et durcis. Il pénètre mon vagin durement, plaçant un pouce sur le clitoris qu’il a sorti de sa capuche, nu et sensible, si sensible. Il tapote sur la petite crête et l’orgasme explose, me laissant totalement exposée et tremblante. Ses lèvres se posent sur mon clitoris, ses doigts me fouaillent le vagin. Je crie avec violence. Le plaisir est insoutenable. Ses dents râpent sur la chair exposée, lèche, mordille sans pitié. Une de mes mains se pose sur un téton et le tire violemment. Une vague de jouissance déferle dans mon sexe. Ses lèvres continuent sa tâche divine, alors qu’un troisième orgasme m’éparpille. Lorsque je reviens à moi, je tremble de partout. Lukius me regarde toujours accroupi. Il se penche et m’embrasse doucement. Je goûte ma propre saveur.

- Mets tes bras autour de mon cou…

Je le fais avec torpeur. Il me soulève. Il me pose sur le divan du bureau. Je m’étale. Il se déshabille lentement, ne me quittant pas des yeux. Mes jambes sont ouvertes, quémandant son attention. Je le veux en moi, fort, dur, puissant. Il s’approche. Son sexe est long, large, aussi dur qu’une barre. Je pose une main dessus. Il me sourit. Je me soulève, pose mes lèvres sur le gland et l’englouti, enroulant ma langue sur lui. Je savoure les gouttes de spermes qui jaillissent.

- Doucement… je veux jouir en toi…

Je glisse ma paume le long de la chair douce et palpitante. Il me retire la main.

- Soulève ton bassin… Oui, comme cela…

Il me prend les hanches et les tournent légèrement, puis sa verge m’investit d’une longue estocade. Je retiens mon souffle. Il est si grand…

- Respire… Je désire faire de ce moment une danse longue et plaisante pour les deux. Accroche-toi…

Le va-et-vient commence et je me sens dériver. Des images inondent mon esprit, alors que mon corps n’est que sensation, désir enchevêtré, presque douloureux. Je gémis. Les images se succèdent à une grande vélocité… Une chambre, plusieurs corps enchevêtrés, des gémissements, des rires, des cris… une Cour d’Armes, un bataillon, des chevaux qui hennissent… La nuit, un pont levis, un bruit métallique, l’odeur âcre d’une surface d’eau putride, une flamme qui s’agite au vent, des poulies qui grincent, des bois qui craquent, l’avancée lente et silencieuse, la peur… un bal, des valseurs, une luminosité voilée, des rires, des paroles lancées, des regards indiscrets, des commentaires voilés… une université, un auditoire, un professeur, des élèves, tous hommes… un hôpital, des pauvres hères… l’odeur de la souffrance, du sang… un champs de bataille… une alcôve, un corps lascif… un homme qui le pénètre… un râle d’agonie… des mots sans suite, le fracas des armes, des cris, des gémissements, des sons, des rugissements, une bête affolante… tout se mêle comme un tourbillon de plus en plus vite, de plus en plus violemment jusqu’à disparaître soudain dans une gerbe blanche et étincelante… Je reviens à moi, mon corps toujours uni au sien, la jouissance m’a propulsée hors de moi. Brenton me tient serré contre lui, sa verge encore durcie en moi. Bouh ! Les yengo sont endurants !

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- Nous le sommes plus que la moyenne et les êtres humains en général…- Ben ! C’est impressionnant…- Tu ne dois pas accepté mon « endurance » si cela t’endolorit, tramania…- Oh non ! Tu ne vas pas y couper, Lukius ! Maintenant que j’ai vu, senti et suis venue, j’en

veux encore et sans doute plus…- Alors… je n’en ai pas fini avec toi…- J’aime quand tu me dis des choses comme ça…

40.

Nous avons pris une douche. Il y a une petite salle de bain adjointe au bureau de Brenton. Béranger habitait plus dans son agence que dans l’appartement étriqué qu’il possédait près de son lieu de travail. Béranger détestait sentir autre chose qu’un after-shave ou une eau de Cologne discrète. Si je dois me souvenir de lui, c’est de son odeur à propre, à cette senteur délicate et subtile qui émanait de son grand corps puissant et légèrement en surpoids. Je me rappellerais aussi son sens de l’humour si particulier, l’air de ne pas y toucher. J’imagine qu’entre lui et Brenton, cette particularité a compté. Je n’ai jamais très bien saisi ce qui les unissait, mais il y avait une connivence indéniable entre eux. Avec moi… un genre de sentiment paternel métissé de fraternel. Il me manque. Vraiment.

Lukius m’a séché doucement et je me suis laissé faire. Je me sens légèrement mollassonne. Il faut dire qu’avant je pensais avoir eu une vie sexuelle plutôt active et satisfaisante. Ça c’était avant d’avoir fait l’amour avec Lukius. Rien à voir. D’ailleurs ai-je vraiment eu une expérience sexuelle valable avant Lukius ? Non. Désolé pour mes ex, mais s’ils sont ex, il doit bien y avoir une part de raison « sexuelle » dans le fait qu’ils ne sont plus que cela, des ex ! Brenton me dépose sur le large siège en cuir de son bureau, bien emmaillotée dans le grand drap de bain moelleux à souhait. Je soupire d’aise. C’est si… agréable ! Je recommande. Il se dirige vers une petite penderie qui se trouve derrière un panneau. Son dos est splendide et si large. Ses hanches, ses fesses minces et musclées, légèrement rebondies là où il faut. Je les mordrais bien, tiens… Et les muscles souples… Bouh ! Mon vagin vient d’avoir une petite contraction. Waouh ! Je me concentre sur cette pointe de plaisir, les yeux fermés, le corps sensible. C’est si délicieusement bon ! Un frôlement me tire de mon voyage épidermique, j’ouvre un œil et voit un visage pelu aux yeux brillants me fixer.

- AAHHHH !!!!

Une seconde plus tard, Brenton entre dans la pièce, dégoulinant d’eau.

- Quoi ?- Je…

Brenton se penche en avant et prend… Poupinette ? Que fait la pomme de discorde poilue, dentue et miaulant, ici ? Brenton la lève à hauteur du visage et fronce les sourcils. La chatte se débat un peu. Il la dépose sur le sol moquetté et s’accroupit dans une pose… féline. Ses yeux brillent de cette luminescence étrange et attrayante. Il passe une main sur le petit corps crispé. La chatte se détend et se couche en fermant les yeux. Il me regarde.

- Habille-toi. Nous devons aller chez Monsieur Prompteur.- Y a-t-il un problème ?- Sans aucun doute. Je m’habille.

Il sort de la pièce en un mouvement véloce et presque invisible à mes yeux. Je regarde la féline qui semble abattue, mais calme. Je me relève et va vers la penderie où je trouve quelques vêtements. Je m’habille tout en regardant la petite bête. Brenton a communiqué avec elle ? L’idée est flippante, mais

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bon, ce n’est pas comme si je vivais des choses normales depuis quelques semaines ! Brenton sort de la salle de bain, habillé de pied en cap en noir, bottes comprises. Il est sublime, tout simplement. Je finis de lasser mes chaussures de sports préférées, un modèle usé et tellement commode.

- Allons-y ! Je t’explique en chemin.

Il se baisse doucement et prend Poupinette dans ses bras. La chatte se love contre lui en poussant une sorte de miaulement attristé. Il passe sa main sur le corps et pousse une sorte de ronronnement qui semble apaiser la petite bête.

La nuit est tombée et il ne pleut pas. Tant mieux. Brenton marche de son même pas élastique, mais tranquille. Je le suis en fronçant les sourcils. J’ai un peu de mal à suivre.

- Que se passe-t-il ?- Monsieur Prompteur est décédé.

J’ouvre la bouche, la referme. Poupinette pousse un petit feulement désespéré. Brenton la caresse en émettant une sorte de son assourdi.

- Elle te l’a dit…- Oui.

Nous arrivons dans l’immeuble de Monsieur Prompteur. La rue est déserte, les deux trottoirs flanqués de voitures parquées pour la nuit. Il y a des lumières aux fenêtres. Beaucoup sont devant leur télé et d’autres prêts à dormir. Ils doivent turbiner tôt et huit heures de sommeil sont nécessaires. Brenton sort un jeu de clé de sa poche et ouvre le portail de la maison divisée en appartements spacieux. Un gain pour ceux qui ont décidé de réformer la maison de maître pour en faire un bâtiment d’appartements à louer ou à acheter. Je pense qu’il doit y avoir les deux possibilités. Peu importe.

- Tu as les clefs des appartements de Monsieur Prompteur ?- Et ceux de Madame Gentille.- Depuis quand ?- Deux ans.- Oh !

Béranger les avait-il ? Je me pose la question…

- Non.- Oh !

Nous entrons dans la demeure où il règne un silence sépulcral. Brenton dépose Poupinette sur le sol. Celle-ci se met à feuler et à gémir avec tellement de force que je me sens émue. Même sans savoir ce qui se passe, je l’aurais compris à l’attitude de la chatte et à l’ambiance statique qui règne ici. Brenton s’est recroquevillé en tendant ses sens. En le regardant, j’ai la sensation de le voir se déstructurer devant mes yeux comme une vague de chaleur. Une sorte de halo invisible, mais tangible apparaît autour de lui. On dirait une sorte d’immense félin en juxtaposition de son propre corps solide. Je cligne furieusement des yeux. Je ne fume rien, même pas la carpette. Alors ?

- C’est ma forme yenguiste que tu perçois. Je ne peux pas me transformer, mais j’ai les mêmes sens et dans une autre dimension, je peux prendre ma nature de yengo.

Comment ça « dans une autre dimension » ? Attends, on est dans un foutu épisode de Star Trek ou quoi ? Brenton a un léger sourire en coin, tout en gardant ses sens en vigilance.

- Je t’expliquerai… Reste ici.

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Il regarde la chatte et émet des sons qui devraient être inaudible pour moi, mais que je perçois légèrement. La féline file vers ce qui doit être la chambre de Monsieur Prompteur. Je suppose. Je n’ai jamais visité l’appartement. Je suis mal à l’aise ici, mais… Que puis-je faire ? J’aime autant ne pas voir Monsieur Prompteur à l’état de cadavre. Le silence semble s’épaissir autour de moi. Jusque-là je n’ai pas pris conscience des lampes allumées dans le hall d’entrée et aussi dans plusieurs pièces. Breton revient accompagné de Poupinette qu’il tient contre lui. La chatte pousse un long lamento. Brenton essaie de la rassurer, mais il me semble que cela ne sert pas à grand-chose. C’est la première fois que j’assiste à un si grand chagrin de la part d’un animal et ça fait mal.

- Il est…- … mort.- Oh ! Naturellement ?- Oui. Son heure était arrivée.- Ah ! Bien ! Enfin, je veux dire…- Je sais. Tu devrais aller voir Madame Gentille et rester avec elle. J’appelle la police et ensuite

nous ferons le nécessaire pour Madame Gentille et Poupinette.- Elle n’a plus vraiment de famille.- Non. Plus « vraiment ». Elle a une amie très proche où elle pourrait rester quelques jours.

Comment sait-il tout cela ?

- Tu penses qu’elle devrait être mise à l’abri…- Minao n’est pas responsable de cette mort. Mais je pense qu’il faut nous en assurer. Va,

maintenant, tramania. Madame gentille aura besoin de toi les prochaines heures.

Il me prend contre lui et m’embrasse légèrement sur les lèvres et le front. Il semble m’insuffler une part d’énergie et je me sens apaisée. Je soupire. La nuit promet d’être longue.

41.

L’heure qui a suivi notre découverte macabre a été pénible. Lorsque j’ai annoncé la nouvelle à Madame Gentille, avec ménagement et douceur, elle n’a pas émis un son. Elle a juste hoché la tête et m’a proposé un thé. Je n’ai pas osé refuser. Je suppose que chacun réagi à sa façon face à la peine et la douleur. Après avoir bu le thé, elle a dit.

- C’était pas un mauvais bougre. On s’est connu trop tard… on aurait pu… c’était pas un méchant homme, mais… c’est comme ça.

Nous avons entendu du bruit et là elle a blêmi.

- Il faut y aller. Poupinette…- Elle est restée avec Brenton…- C’est bien qu’elle soit là-bas avec lui, comme ça il ne part pas tout seul de l’autre côté…

J’ai hoché la tête. Je ne sais que dire. D’ailleurs… doit-on dire quelque chose dans des cas comme celui-ci et si oui, quoi ? Nous sommes sortis sur le palier juste au moment où ils sortent le corps sur un brancard. Brenton tient une Poupinette gémissante dans les bras. Il la caresse, la console, émet ce son que je suis, manifestement, la seule à percevoir. Poupinette se calme, mais pas très longtemps. Je pose une main sur le bras de Madame Gentille lorsque le brancard passe devant nous, mais elle me prend la main avec violence. Je la sens trembler près de moi et son visage est un masque de cire. J’aimerais la prendre dans mes bras, mais nous n’avons pas cette sorte d’intimité. Brenton salue le responsable qui

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se chargera de l’affaire. Poupinette saute des bras de Brenton et va vers Madame Gentille qui la prend contre elle en enfouissant son visage dans le pelage doux et soyeux. Elle lui parle doucement et sa voix se brise plusieurs fois. Brenton se place devant elle, puis lentement la hale et l’étreint. Je l’entends sangloter entre des mots inaudibles. Poupinette ne bouge pas, même si sa position n’est pas des plus aisées. L’amie de Madame Gentille vient d’entrer. Après quelques minutes, elles partent toutes deux après nous avoir longuement remerciés pour tout. J’ai le sentiment de n’avoir été d’aucune utilité. L’impuissance face à la douleur… Je suis comme anesthésiée. Brenton me prend par les épaules et nous montons dans la voiture vers… Qu’importe ! J’ai juste besoin d’être nulle part, histoire de me resituer. Monsieur Prompteur décédé ? Pourquoi est-on toujours si surpris de la mort d’un être connu lorsque nous savons que c’est ce qui nous attend tous un jour ou l’autre ?

Nous sommes dans son garage en sous-sol. Je n’ai rien vu du trajet jusqu’ici. Je me sens lasse, infiniment lasse. Brenton descend de la voiture, m’ouvre la portière et doucement me sort de l’habitacle. Je me laisse faire comme une poupée de chiffon. Je sais que Brenton s’est occupé de tout, sauf que je ne sais pas trop ce que ce « tout » englobe. Il me prend dans ses bras, je m’y love comme une petite fille que je n’ai pas eu le temps d’être. Quelques minutes plus tard, je suis dans son très grand lit. Il m’a ôté les vêtements. Je suis si molle, si… Il se couche près de moi, me prend contre lui. Sa peau, son odeur, sa douceur et sa puissance me font soupirer d’aise et de soulagement. J’ai besoin d’être consolé d’une peine qui ne m’appartient pas. Brenton semble le comprendre. Je frotte mon visage contre son torse lisse et chaud. Il me caresse les épaules, le dos. J’ai besoin de lui, de sa force.

- Tu as perdu beaucoup de personnes ?

Je susurre les mots contre son torse. Il est si ancien, mais…

- Oui.- C’est comment ?

Il ne dit rien pendant un long moment. J’ouvre la bouche pour lui reposer la question quand il me répond.

- Comme pour toi. Comme pour chacun, je suppose. Quand quelqu’un que l’on aime ou apprécie meurt, une part de nous meurt avec elle. Je crois que c’est toujours pareil pour chacun…

Je repense à mon grand-père, à mes parents, à mon petit frère. Des pertes. Des morts que je n’avais pas prévues. Et pourtant… on part tous… non ?

- Oui. Même moi, un jour. Tout tend à mourir. C’est une loin universelle…- Il n’a pas souffert ?- Non. - Tu peux le sentir quand ils souffrent ?- Non. Je n’ai pas cette capacité et je m’en réjouis. Mais l’expression de son visage disait assez.

Il a sombré du sommeil, une sieste qu’il consommait chaque jour, à la mort. Il est parti très vite.

- Je… tant mieux.- Oui…

Il me serre contre lui. Des larmes sourdent de mes yeux sans discontinuer. Je ne comprends pas bien. Monsieur Prompteur était presque un étranger pour moi. Alors ?

- Tu as besoin de pleurer les tiens à travers Monsieur Prompteur.

Je cligne des yeux en continuant à pleurer. C’est ça ? Seulement ça ? Brenton me berce doucement. Je sens un long susurrement m’emplir toute et m’apaiser, un peu comme il a fait pour Poupinette. Les larmes tarissent et mes pensées dérivent. Je me soumets à sa tendresse, à sa consolation, à tout son

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être. Peut-on aimer si vite, si bien, si fort ? Les émotions s’apaisent, mes sens s’alanguissent. Black-out !

42.

Pernel nous attends devant la porte de l’agence. Il affiche un air de… Excédé ? Il a l’air super à bout de tout ! Bien ! Juste celui que je voulais voir ce matin. Brenton a un demi-sourire qui me fait baladoum sous la ceinture. Génial ! C’est le bon moment pour cela. Nous entrons dans le bureau. Rien n’a changé depuis hier soir, sauf que je trouve tout différent. Je m’assois dans mon fauteuil ergonomique. Inutile de ne pas faire ce que j’ai l’habitude de faire en arrivant au turbin, Pernel devient la priorité number one ! Brenton se place contre le mur dans la pose qu’il affectionne toujours. Il sort une pomme verte super brillante et croque dedans avec componction. D’où les sort-il ? Croc, croc. Pernel me sourit légèrement. C’est pire que lorsqu’il a son air de flic arrogant !

- Bien ! Je vois que vous êtes devenu raisonnable !

Il nous regarde tour à tour avec un petit air entendu qui ne me plaît que moyennement. Raisonnable ?

- J’ai toujours pensé que vous alliez bien ensemble. Félicitation !

Bigre ! On pue le stupre à plein nez ou quoi ?

- Euh… merci ! Je suppose.- De rien ! Ça fait plaisir de voir du bonheur, parce qu’avec le reste…

Il fronce les lèvres de dégoût ! Il redevient sérieux.

- L’autopsie n’a rien donné. Monsieur Prompteur est mort de mort naturelle.

Brenton hoche la tête et un regard passe entre les deux hommes.

- Qu’avez-vous trouvé pour les autres affaires ?- Rien de probant.

Croc croc croc. Brenton désigne de la tête un dossier assez épais qui se trouve sur le bord de mon bureau. Je ne l’avais pas remarqué. Mes habiletés de déduction sont au top niveau dernièrement  ! Pernel le prend et le feuillette rapidement.

- Pour « rien de probant », c’est un dossier plutôt épais…- Cela devrait maintenir les hautes sphères calmes durant un certain temps.

Croc croc croc. Pernel pince les lèvres en regardant Brenton qui ne bronche pas. Comment fait-il ça ?

- Et après ?- Le temps aura fait son œuvre et ils passeront à autre chose.- Tout n’est pas classement vertical ?- La majorité l’est. - Jusqu’aux prochains cadavres ! Ou bien avez-vous une piste solide qui mettra fin aux

spéculations de toutes sortes ? Jusqu’à présent ce sont des cadavres suspects en trop et ça fait tache dans le service !

- Les taches finissent par s’estomper et même disparaître !

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- Vous avez réponse à tout, n’est-ce pas Brenton ! J’ai mené mon enquête sur vous et je n’ai rien trouvé de suspect.

- Ma vie est un livre ouvert !- Pour le CCP surtout !

CCP ? Brenton est fiché dans le Centre de Confidentialité Professionnelle ? Qui est-il vraiment ? Je le regarde avec effarement ! Pernel le scrute aussi, mais avec méfiance et fureur. Croc croc croc. Brenton arrive au trognon et est toujours aussi impassible. Je suppose que vu son âge et ses expériences, il faut plus qu’un Pernel suspicieux pour l’inquiéter. Pernel soupire profondément et se passe une main lasse sur le visage. Il a les traits tirés et semble abattu. Il doit supporter le poids de la hiérarchie en sus de celui d’un chef qui est plus préoccupé par les retombées médiatiques et politiques que par la recherche de la « vérité », pour ainsi le dire. Je n’aimerais pas être à sa place.

- Van Rachtaad a pleine confiance en vous et cela vaut pour moi toutes les accréditations, mais n’en abusez pas, Brenton ! J’ai assez sur le dos.

- J’en prends bonne note, Pernel. Ce dossier devrait vous donner une marge suffisamment grande de temps et d’espace pour que vous souffliez un peu. Van Ouders sera en charge de ce dossier.

- Van Ouders ?

Pernel semble estomaqué. Qui est-ce ?

- Comment êtes-vous arrivé… Laissez tomber ! Je ne veux rien savoir, mais… Merci !

Un poids semble s’ôter des épaules de Pernel. Waouh ! Brenton sait y faire. Les deux hommes échangent un regard qui ressemble à une franche poignée de main. Bien ! Le côté testostérone endiablée s’est calmé. J’aime mieux ça ! A force d’être une spectatrice impuissante du jeu de mâles en duel, j’ai les boules ! Pernel nous tend un dossier qu’il tenait à l’intérieur de son manteau.

- Deux cas pour vous. Pas de date précise pour les éléments de recherche, mais urgent comme d’habitude. 

- Comme d’habitude !

Ben voyons ! Il en a de drôle, le p’tit flicaillon !

- Et des détails, Pernel ?

Je ne peux pas m’empêcher d’être sarcastique. Il m’agace profondément.

- Le premier cas est un crime domestique. Apparemment. La femme a, semble-t-il, tué son mari à coup de poêle, mais elle n’a pas avoué et personne n’a été témoin de l’acte. Elle argue qu’il la maltraitait, mais il n’y a aucune plainte, ni aucun dossier dans aucun commissariat ni dans un service social ou autre. Les voisins n’ont rien remarqué et les proches non plus. Il n’y a pas de fortune à la clef. Couple sans enfants, sans rien de particulier à noter. Elle n’a pas de marques ni anciennes ni récentes qui viennent appuyer ses dires. Elle a été relâchée faute de preuves contondantes. L’expertise psychiatrique a révélé un état de stress très élevé et ce qui pourrait s’apparenter à ce que ressentent des personnes victimes de maltraitance. Les détails sont dans le dossier.

- Que cherchez-vous ? - Le mari est le frère d’un ami intime de mon boss. Il n’a jamais aimé la femme, Doriane

Stemans, 35 ans, marié à Guerart Classens depuis neuf ans. Il désire des éléments qui prouveront qu’il s’agit d’un crime de sang froid et pas d’un crime en état de légitime défense.

- Le second dossier ?- La mort d’un nouveau-né. Apparemment mort subite, mais les parents Marieke Stempels et

Frans Ceupelens ont un comportement étrange.

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- Comment « étrange » ?- Difficile à dire. Ils ont fait toutes les démarches habituelles dans ces cas-là, mais l’officier qui

les a reçus pour leur déclaration de décès a eu des doutes. La procédure a suivi son cours et tout semble normal, sauf que l’officier de garde est totalement fiable et a montré auparavant avoir un certain « flair » pour détecter des situations suspectes. Tout est dans le dossier.

Pernel déplie son grand corps. Je veux un café et une couque au chocolat. Mon ventre rugit  ! Génial ! Pernel a un franc sourire.

- L’amour, ça creuse, hein ! Bien ! Déposer les conclusions des dossiers à l’endroit prévu. Vous trouverez les coordonnées dans le dossier.

Il me salue de la tête. Je ne me lève même pas. A quoi bon ! Pernel est un jean-foutre de première ! Brenton le raccompagne. Il a fini le trognon. Je devrais m’informer sur les propriétés particulières des pommes. Il y a forcément quelque chose qui m’échappe. Je me laisse aller dans le siège. Je crève la dalle et je suis crevée. Un mélange détonnant. Quand j’ouvre les yeux, Brenton a apporté un plateau avec du jus d’orange pressé frais, une cafetière et une assiette avec des couques au chocolat, au beurre et même un éclair moka. Je l’aime ! Il a ce sourire en demi-teinte qui me rend toute chose ! Morale d’une histoire de couple : jamais attendre quand il y a possibilité d’un bonheur à partager !

43.

Depuis une heure, Brenton est assis sans bouger et lit attentivement les dossiers remis par Pernel. Je ne sais pas comment il fait pour être aussi concentré. J’ai passé le même temps, mais à le regarder en loucedé et à m’astreindre à écrire le rapport pour Madame VanKlipelen au sujet de son fils Johan « aux sept demeures et  possible amants ». Nous avons fait le tour des apparts avec une vigilance de deux heures et à chaque fois, le même scénario s’est répété. Johan arrive devant l’habitation, salue avec effusivité son « amant », ils entrent très complices, puis Johan sort et se perd dans les rues. On le retrouve à la prochaine demeure ou appart. Le même modus operandi, mais je ne sais toujours pas à quoi ça rime. Il paraît que ça ne me regarde pas. Bref. Un pensum, ce rapport  ! Je caresse des yeux Lukius. Il est splendide et j’ai encore un peu de mal à croire que nous sommes ensemble. Je ne sais pas si… en fait, je ne veux pas y penser. Je veux vivre et vibrer chaque instant à ses côtés. Pour ne pas tomber dans le romantisme, restons sentimentale et susurrons cette strophe d’une chanson de : « … comme si c’était la dernière fois ». Une chanson d’amour qui me plaît, même si ce n’est vraiment pas ma génération, mais bon… Génial, c’est génial !

- Tu as trouvé quelque chose ?

Brenton glisse son regard sur mon visage, puis sur mon torse. Mes seins se mettent au garde à vous. Wep ! J’ai envie de lui.

- Oui.- Oui ? Quoi ?- Ce n’est pas une mort subite.- Non ? Pourtant le médecin légiste n’a pas émis d’avis contre ce diagnostic. - Il n’en a pas émis pour, non plus.- Pourquoi tu penses cela ?- Je ne le pense pas. Mais d’après les conclusions du légiste, la description des symptômes, il

est clair que ce bébé n’est pas décédé des suites de la mort subite.- Et tu sais ça comment ?- J’ai beaucoup travaillé avec des femmes enceintes et des nourrissons.- Oui. Mais le légiste est un pro.

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- Sans aucun doute, mais je doute qu’il ait autant d’années d’expérience que moi.

Vu comme ça.

- Tu peux le prouver ?- Ce n’est pas à moi de le faire. Je peux relever ce qui « cloche » dans la situation et Pernel fera

les liens correspondants.- Mm ! Et il est mort de quoi ?- D’abandon.- Comment ça ?- La mort subite n’a pas encore été clairement expliquée. On méconnait les causes, mais on peut

relever les symptômes les plus courants et flagrants. Il y a deux éléments dans la description des symptômes mis en évidence par le légiste qui ne sont pas propre à la mort subite, ni même des caractéristiques d’exception que l’on peut trouver dans toutes les autres maladies à prendre en considération dans un cas similaire à la mort subite. Ces deux éléments sont plus le fait d’un abandon, autrement dit, d’une négligence de la part des parents. A première vue on peut confondre ces deux éléments comme faisant partie des spécificités de la mort subite, mais pas après un examen exhaustif. Si Pernel peut mettre en évidence ces deux éléments, il peut inculper les parents.

- Cas résolu ?- De notre côté oui. De celui de Pernel, à voir. Du côté des parents, c’est le début de la fin et

l’enfer pour eux.- Je n’arrive pas à avoir pitié d’eux. C’est un petit bébé, merde ! Ça doit bien vouloir signifier

quelque chose, non ?

Brenton ne dit rien. Il sort une pomme jaune de sa poche et croque dedans avec volupté. Même ça il sait le faire de façon sexy ! Bouh ! Je continue le rapport pour Madame VanKlipelen. Elle arrive dans un peu plus d’une heure. Brenton reprend sa lecture et sa concentration. Croc, croc, croc.

Madame VanKlipelen place précautionneusement la tasse sur la sous-tasse. Ses gestes sont posés, empreint d’une sérénité pleine de grâce. Cela me fascine. Brenton est debout derrière moi, les mains derrière le dos. Il n’a jamais fait une chose pareille et je ne sais pas comment je dois le prendre. Je risque quelque chose de la part de Madame VanKlipelen ? Qui sait ce qui se passe dans la tête d’une mère lorsqu’il s’agit de son enfant. Elle regarde Brenton, puis vrille son regard sur le mien.

- Je suppose que vous avez conclus l’investigation que je vous aie demandée.- C’est le cas.- Parfait ! Je ne tiens pas à ce que vous m’en fassiez un rapport verbal. Je lirai vos conclusions

avec grand intérêt. J’aimerais juste que vous me donniez une appréciation personnelle.

Elle baisse son regard sur ses mains qui soutiennent encore la sous-tasse et la tasse. Elle se perd quelques instants dans des pensées qui ne semblent pas folichonnes du tout. Elle pousse un léger soupir et son maintien se relâche légèrement. Elle relève la tête et reprend son attitude compassée. Quel art !

- Je vous en demande trop, sans doute et vous n’êtes aucunement tenu à me répondre. Cela n’entre pas dans les attributions dont je vous ai chargé. Cependant… j’espère que vous voudrez bien accéder à ma requête…

Elle regarde Brenton en disant ces mots. Il doit lui avoir fait un geste d’assentiment, car elle a un bref sourire de soulagement et de gratitude.

- Je voudrais votre opinion sur mon fils. Était-il heureux ? Nerveux ?

Elle passe son regard sur Brenton et sur moi avec une expectation qui m’émeut.

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- Heureux.

Brenton et moi avons parlé en même temps. Madame VanKlipelen a un petit rire mélodieux et nous sourit avec un zeste d’amusement.

- Merci.

Elle se penche en avant et dépose la sous-tasse sur mon bureau. Elle prend le dossier que j’ai préparé à son intention. Elle le dépose sur ses genoux et sort une enveloppe de son sac.

- Voici un chèque comme décidé préalablement.

Brenton contourne la table de travail et aide la dame à se mettre debout en retirant la chaise. Elle sourit à mon homme avec un peu de tristesse, mais aussi de cordialité.

- Je vous remercie. Vous formez un bon… tandem…

Brenton lui offre ce sourire éblouissant qu’il ne sort qu’en certaines circonstances et vis-à-vis de certaines personnes. Brenton lui prend délicatement le coude et ils sortent du bureau. Ben mes aïeux ! Je me laisse aller contre le dossier. Que s’est-il réellement passé ici ?

44.

- Où allons-nous ?- Quelque part…

Je freine aussi sec des deux pieds. Pas de ça, Lisette ! Nous avons soupé chez moi et je me préparais pour une soirée et une nuit… romantique avec option à… plus, si affinités. Mais sitôt le dessert avalé – une crème brûlée qu’il a confectionné, dingue ce qu’il cuisine bien, le bougre – il m’a dit : «  Viens ! Nous sortons. » Je n’ai pas vraiment rouspété, mais là, non ! Brenton retourne sur ses pas et s’arrête devant moi. Il se baisse pour me regarder en face.

- S’il te plaît…

Je regarde ce regard changeant et ce sourire en demi-teinte. Le bon de mon ventre convulse délicieusement et mes seins durcissent. Je voudrais tirer sur mes tétons pour réduire le désir qui s’insinue dans toutes mes zones érogènes, mais en pleine rue, même déserte et à cette heure de la nuit, impossible pour moi. Il a un franc sourire.  Il sait !

- Mm… un indice ?- Des traces.- Minao ?- Probablement.- Pourquoi tu ne l’as pas dit plus tôt ! Toi et tes mystères !

Je fulmine plus pour la forme qu’autre chose et… Sa bouche cerne la mienne, sa langue s’introduit, envahissant ma cavité buccale et… je veux plus, beaucoup plus. Il se détache. Non !

- Pas maintenant. Les traces ne vont pas restés indéfiniment…

Je soupire ;

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- OK ! Mais ne me refais plus un coup pareil. M’allumer, puis me laisser en plan !- Je te laisse… sur ta faim. Moi de même…le festin ne sera que plus savoureux, plus tard…

Salaud ! Il m’embrasse le bout du nez et nous repartons ! Je veux savoir ce qu’il en est. Aussi, Minao n’a que trop joué avec moi !

Un parc. Je ne m’y attendais pas. Il semble que le crime ait eu lieu juste avant la fermeture des portes principales, mais il y a suffisamment de trous dans les haies et autres endroits pour pénétrer ici. Cependant… Cela ne ressemble pas au modus operandi de Minao.

- Tu es sûr que c’est Minao ?- Tout semble concorder. Homme, bras défectueux par naissance ou accident, corps mince,

cinquante-deux ans, est dans la politique, cumulant les diplômes de notaire et d’avocat, il était actuellement bourgmestre dans un pays européen. Il n’a jamais été inculpé, mais pas mal de soupçons ont pesé sur lui, sa gestion des affaires courantes, les finances des caisses, les pots-de-vin, les traitements de faveur, les commissions occultes. Il semble avoir abusé de son mandat et de ses prérogatives pour lui et ses proches. De plus, ses discours penchaient vers l’extrême droite avec des comportements et des discours teintés de néonazisme. Très manipulateur, des rapports avec des call-girls sont également possibles. N’hésite pas à évincer tous ceux qui gêneraient ses mouvements qu’ils qualifient de politique. Prends les gens pour des imbéciles et les traitent comme tels. Son « électorat », ce sont ces gens-là.

- Comment sais-tu tout cela ?- Internet fait des miracles et je connais certains de ces « imbéciles » qui vivent là-bas.- Que fait-il ici ?- Il était en voyage d’agrément et aussi de « promotion », semble-t-il. - Je vois ! La promotion ne lui a pas fait grand bien. Pas vraiment génial comme mec ! - C’est peu de le dire. Son état actuel devrait réjouir certains des « imbéciles » en apprenant la

nouvelle.- J’imagine bien d’après ce que tu me racontes d’un tel individu. Encore un manipulateur

déviant et qui plus est corrompu. Les caractéristiques du crime ?- Vider de son sang à un litre près. Il était conscient tout du long, semble-t-il. Il a subi une

grande extase mêlé à une extrême souffrance, selon l’expression du visage.- Viol ?- Oui. On a également trouvé l’autre bras complètement démis et se retrouvant dans le même

état que celui déjà handicapé. Un objet – probablement une batte de baseball – a été introduit dans l’anus avec violence. Il semble qu’il ait d’abord utilisé des doigts, sans doute, pour amener la personne à un certain état d’excitation, mais l’objectif était la « batte » ou tout objet de ce même calibre.

- Répugnant !

Je fais quelques pas autour de la scène du crime. C’est relativement éloigné des sentiers et à l’abri direct des regards. Il ne doit pas faire très clair, même en journée. Les arbres, haies et autres arbustes doivent donner pas mal d’ombre. Cependant…

- Il a dû crier ?- Pas nécessairement. Et même si c’est le cas, Minao a la capacité de « congeler » les réactions

telles que les cris et autres manifestations de résistance.- Tu veux dire qu’il est capable de « fasciner » comme un serpent ou alors d’hypnotiser pour

que sa proie ne puisse pas réagir ?- L’analogie est assez juste, sauf que c’est plus direct. Minao peut neutraliser complètement la

partie du cerveau qui régit les réactions de peur ou autres.- C’est une caractéristique des yengo ?- Oui et non.- Comment ça ?

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- Dans le cas de Minao c’est un « don » particulier. Chez les autres, c’est une particularité de plus à notre nature ou essence. Cependant, il n’est pas le seul à le posséder parmi ceux de notre nature.

- Ah ! C’est une question d’intensité, alors ? - Oui. Minao est un maître dans ce domaine, alors que les autres n’ont qu’une certaine habileté

en la matière.

La surface sur laquelle a été retrouvé le corps est en partie terreuse et pierreuse, ce qui constitue un problème pour détecter des traces. Cependant, il est possible d’en trouver. Je passe le faisceau lumineux de forte intensité avec circonspection. Le feuillage présente divers états, allant des jeunes pousses à celles plus anciennes et assez poussiéreuses aux dernières qui sont mortes et sur le point de tapisser le sol. Les indices et autres preuves sont déjà dans le dossier. Je n’aurais qu’à lire le tout. Je cherche… autre chose. Si c’est bien Minao, il a dû me laisser un petit… présent ! Brenton est appuyé contre un arbre et croque une pomme de couleur indéfinie. Je fixe le faisceau lumineux sur la pomme. Jaune. Mm ! Je me demande si la couleur des pommes a une signification particulière ? D’ailleurs la pomme d’Eve était de quelle couleur ?

- Aucune signification !

Je fais un bond ! Merde ! J’oublie toujours qu’il peut lire dans mon esprit.

- Simple mesure de précaution, tramania.- Oui, je sais, mais c’est bizarre ! Pourquoi des hommes maintenant ?

Le jet de lumière parcourt lentement chaque coin et recoin autour de la scène du crime. Où a-t-il placé l’indice ou le « présent » ? Croc croc croc. Brenton prend son temps. Il fait toujours ça comme s’il mesurait les mots qu’il désire prononcer.

- Il n’y a sans doute aucune logique dans son modus operandi.- Je n’en suis pas si sûre.- Pourquoi ?- Parce qu’il ne semble pas du genre à faire les choses au hasard. Cependant… jusqu’à présent,

nous avons 3 types qu’il n’a pas tué, ensuite il les a tous tué. 2 hommes tués et 4 femmes dont une jeune fille qui n’avait pas de passé délictueux.

- Y vois-tu une logique ?- Non ! Tu as raison ! Pourtant… je sens qu’il y a un patron logique derrière ces crimes, mais je

ne sais pas quoi. Les yengo sont des « tueurs » ?- Les humains sont des tueurs ?- Touché !

Je fixe du regard ce que le flux lumineux me montre. Herbes écrasées, saletés urbaines d’origine indéterminée, feuilles mortes, morceaux de branches, traces de pas semi-effacées, espace de terre battue sèche et humide, racines d’arbres tordues et à fleur de sol. Tout à coup je sens comme une vibration et une brillance violente frappe mes rétines. Un moment je suis stupéfaite par ce… Quoi ? L’autre moment, je suis élevée à hauteur d’une haute branche et serrée contre le corps de Brenton. Quoi encore ? Je suis devenue une « Batwoman » et j’ai touché de trop près de la kryptonite ou quoi ?

- Ça change du plafond…- Désolée, tramania, mais tu ne peux pas t’approcher de la « ratmak » ?- La quoi ?- La ratmak est une fine corde métallique qui lie une énergie vitale personnelle à une autre.- Je ne comprends pas ! - C’est comme une sorte de filin qui permet de retrouver quelqu’un partout où il se trouve.- Ça veut dire quoi ?- Quoi ?

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- Ra-machin ?- L’attrapeur.- Tu veux dire que si je touche ou prend ce « filin » il pourrait m’attraper n’importe où ?- Oui. Partout et même si tu as mes protections autour de toi et en toi.

Je glisse le faisceau lumineux sur le petit objet qui scintille violemment.

- Ça ressemble plus à un de ces bracelets que portent les jeunes…- Oui. C’est une illusion. En fait, cela ressemble en réalité à un mini harpon.- Oh ! C’est comme un dispositif électronique que l’on place pour les missions de suivi d’un

suspect ?- Oui. Cela va dans les deux sens.

Je fronce les sourcils. Dans les deux sens ? Bien sûr ! Les deux sens !

- Ben, voilà la solution ! C’est même parfait ! Je vais me faire harponner et on pourra l’attraper facilement. Toi tu n’auras qu’à lui tendre un piège !

- NON !- Pourquoi ? C’est la solution idéale !- NON !

Brenton me serre contre lui. Je sens son aura s’amplifier de telle sorte que je me recroqueville. Sa puissance est si forte que je suffoque. Il inhale fortement. Un grondement sourd roule dans sa gorge. Ses yeux brillent et changent de couleur à une grande vélocité. Je me fais toute petite. Il se calme lentement et je me relâche un peu. Je susurre contre son corps bouillant.

- Que fait de plus le ra…, Lukius ?

Il doute un instant. C’est imperceptible, mais je commence à bien le déchiffrer, Monsieur Super flegmatique !

- Il était utilisé parmi les miens comme artefact de la séduction.- Tu veux dire pour « harponner » un possible compagnon sentimental ?- Oui.- Ah ! Bien sûr, vu comme ça, je comprends. Mais…- NON ! Tu es mienne comme je suis tien et je ne

permettrais pas à Minao de t’approcher suffisamment de lui pour qu’il puisse te détruire et me détruire aussi.

Je ne sais que dire. Un mouvement subtil me fait baisser les yeux. Brenton pousse un rugissement et avant que je ne comprenne ce qui arrive, je me retrouve dans les airs à passer d’un arbre à un autre. Jane, au secouuuuuuuuuurs, y a un Tarzan urbain qui a attrapé la folie galopante ! Je risque un regard par-dessus l’épaule de Brenton. Le bracelet ou harpon nous suit avec une égale vélocité, évitant branchages et autres écueils. Tout à coup, je le vois devant mes yeux prêt à me toucher, mais sans que je ne prenne conscience pleinement de ce qui se passe, le poing de Brenton est sous mon nez puis… Black-Out !45.

Je me réveille en sursaut. Je suis tombée dans un trou noir et je me réveille dans l’obscurité. Enfin, presque. Je dirais pénombre. Ma tête semble entière. Je bouge doucement. Il semble que je ne sois pas attachée. Je suis habillée et sous un édredon. Le lit est bon… Qu’est-ce que je raconte  ? Je suis dans un lit, OK, mais de qui et où ? En fait, je me sens bien, sauf que j’ai un peu de mal à me

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remettre de… Je ne m’en souviens plus. Je me rappelle être dans un parc, il fait nuit. Puis, black-out total ? Comment, pourquoi, qui ? Que dalle ! J’essaie de voir autour de moi, mais c’est quasiment impossible. Tout à coup, je le sens. Je ne suis pas seule dans la chambre. Il y a quelqu’un. Je ne peux pas le voir, ni savoir exactement où il se tient. Il est immobile et c’est comme s’il n’était pas là, sauf qu’il est bien là ! Une petite lampe s’allume, suffisamment puissante pour me permettre de voir la pièce, sans me griller les rétines. C’est déjà ça ! Je tourne la tête d’un côté, fenêtre, rideaux tirés, mur, de l’autre côté, table de nuit, intersection de murs, porte fermée. Verrouillée ? De toute façon, si mon geôlier est avec moi ici, quelle importance ! Il doit être devant moi, au pied du lit. Je relève un peu la tête qui ne me fait pas mal et je le vois. Il est à contre-lumière, mais son gabarit me semble impressionnant, de ceux dont je ne pourrais jamais venir à bout, même avec prises de karaté et compagnie !

- Tu es réveillée ? Tant mieux !- Qui êtes-vous ?- Allons… tu dois t’en douter…

Sa voix est mélodieuse, suave, douce, envoûtante et me fout illico presto les jetons. Je ne la connais pas. Qui ?

- Où suis-je ?- Qui suis-je, où vais-je, où suis-je, que fais-je, que sais-je, qui puis-je, qu’ai-je ? La ritournelle

des questions sans réponses n’a jamais de fin avec vous autres !

Son ton est sardonique et vaguement désenchanté. C’est flippant !

- Que voulez-vous de moi ? Et où est Brenton ?- Ah ! Une question intéressante ! Enfin !

Laquelle ?

- Ne vous inquiétez pas, tout ira bien.- Je… C’est une blague ?- A peine ! As-tu besoin d’aller au petit coin ? Au réveil, la vessie a souvent une nécessité

impérieuse.

Maintenant qu’il le dit…

- Et un brin de toilette te plairait sûrement. Il y a tout le nécessaire ainsi que des vêtements.- Mes vêtements ? Pourquoi prendre mes vêtements si vous me séquestrer ?- Séquestrer ? Voilà un bien grand mot et très vilain, de surcroit! On a juste pris soin de

t’amener ailleurs.- Ailleurs où ? Et qui êtes-vous ?- Vraiment pas un petit tour par la salle de bain, maintenant ?

Une porte s’ouvre derrière lui. Je vois de la lumière. La salle de bain, je suppose. Je relève l’édredon. C’est bon ! J’ai un pyjama. Pas une chemise de nuit, un bon pyjama bien recouvrant. J’aime mieux ça. Mais, prudence… ce type ne me dit rien qui vaille.

- Qui êtes-vous ? Vous ne m’avez pas répondu et… pourquoi suis-je ici ?- C’était trop beau ! Il m’avait bien prévenu que tu étais têtue !

Qui a pu lui dire cela ? Un ex ?

- Qu’avez-vous fait de la personne qui vous a dit cela ?

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- Rien. Il n’est pas de ceux qui permettent qu’on lui fasse des choses sans son consentement, crois-moi sur parole !

Il a un petit rire musical et je me surprends à sourire. Merde ! Le Syndrome de Stockholm, déjà ? Je ne sais même pas qui il est. Et ce petit jeu de questions sans réponses… JEU ! Et merde ! Lui.

- Minao…

J’ai soufflé le nom tout bas avec terreur !

- Qu’avez-vous fait à Brenton, crapule ?

Minao souffle fortement. On dirait qu’il s’amuse sans vraiment s’amuser.

- Je te l’ai déjà dit… il ne permet pas qu’on lui fasse quelque chose sans son consentement !- ARRÊTEZ CA TOUT DE SUITE !

Je respire profondément. Surtout ne pas s’énerver. Voilà… inspirez, expirez, inspirez, expirez…

- Salaud ! Si jamais vous avez fait du mal à Brenton, je… je… je…

La porte de la chambre s’ouvre lentement. Et merde ! Il a un complice ! Génial ! Ce n’est pas comme s’il m’avait fait du mal, mais maintenant avec mes cris et mes menaces inarticulées…

- Ah ! Pas trop tôt ! Dis-moi, où l’as-tu trouvée ? C’est tout juste si elle ne m’attaque pas pour te protéger…

Un homme de haute taille s’arrête près du lit en me détaillant. Je ne le vois pas bien, mais il a l’allure menaçante. Ou alors c’est ma propre peur qui parle. Je m’enfonce sous l’édredon, espérant qu’il me protègera. Après tout, ça marche avec les enfants et leurs terreurs nocturnes, pas vrai  ? Attendez-là… de qui il parle ? Je regarde Minao, enfin sa forme physique, puis l’homme qui est près de lui et…

- Brenton !

J’aurais aimé crié le nom, mais c’est un pitoyable coassement qui sourd de mes lèvres. La lampe de chevet à côté de mon lit s’allume et je les vois. Minao est… splendide. Il ressemble à une sorte d’ange déchu sans les ailes, mais avec un côté canaille qui me fait un effet bœuf. Il a des yeux bruns clairs presque dorés et aussi étranges que ceux de Brenton. Il est assis nonchalamment sur un siège avec des oreillettes, les jambes élégamment croisées et un sourire railleur aux lèvres. Brenton est debout près de lui. Il est tout de noir vêtu, un polo noir, un pantalon noir en cuir, ses bottes usées aussi. Il vient de la douche, ses cheveux sont humides. Je déglutis. C’est quoi ce foutoir ?

- Minao, peux-tu me laisser quelques minutes avec Vinouha, s’il te plaît ?- Une heure, si tu veux ! Même pour quelqu’un comme toi, tu n’es pas plus performant que

quelques minutes et encore!

Minao a un petit rire. Brenton a toujours le regard rivé sur moi et je fais de même. Je me sens si…

- Tu peux fermer la porte en sortant, Minao ? Merci.

Minao se lève souplement, étire le pantalon à pince sur ses longues jambes. De fait il est aussi grand que Brenton, quoi que plus fin, plus nerveux, mais tellement élégant. Un modèle pourrait prendre ombrage de quelqu’un comme Minao. Il est pratiquement parfait ! Il nous regarde, me fait un clin d’œil et quitte la chambre en sifflotant. Le léger clic de la serrure me vrille les tympans. Je crois que je vais pleurer, mais je ne veux pas pleurer. Pas devant lui. Pas pour lui. Pas pour moi, pour nous.

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- Pourquoi ?

Il soupire longuement en se passant les mains dans les cheveux humides et ébouriffés. Il est si beau, si puissant, si traître ! Il fait quelques pas devant le lit. Je ne le quitte pas des yeux. On dirait un félin sur le point de bondir. Sur quoi ? Sur qui ? Moi ? Il s’arrête en bordure du matelas et me considère longuement. Son regard vert si clair est quasi translucide. Je déglutis fortement.

- Je n’avais pas le choix.- Pas le choix ? Nous avons passé des mois à traquer ton demi-frère. Il n’a pas cessé de jouer

avec moi, mes terreurs, ma… Et toutes ces protections, ces…- Ce n’était pas Minao.- Comment ça, ce n’était pas Minao ? Tu te fous de ma gueule ?- Tout ce temps, c’était Tremor.- Tremor ? Ecoute, si c’est pour me raconter des conneries, laisse-moi tranquille et fous le

camp ! Fais de moi ce que tu veux, vous voulez… de toute façon, je suis poings et pieds liés, alors… et puis, vous êtes des yengo, n’est-ce pas, donc c’est foutu de chez foutu pour moi !

Je me tourne sur un côté, rabat l’édredon sur ma tête et me crispe. Je sais  ! Désolant, vu mon âge, mais bon, à situation désespérée, attitude débile ! C’est bien connu ! Na ! Je sens le matelas s’incurver légèrement. Une main douce rabat le drap. Je ne bouge pas. Il peut bien danser sur sa tête, rien à branler !

- Vinouha… regarde-moi…- Non ! Je ne vais pas te faciliter la tâche, je te préviens ! Syndrome de Stockholm ou pas !

Il écarte les mèches de mes cheveux et considère longuement mon profil buté.

- Je n’en attends pas moins de toi. Cependant, il faut que tu m’écoutes. Ceci n’est que le début de la traque.

- Quelle traque ?

Merde ! J’avais décidé de ne rien dire, mais dès qu’il est question de piste, de traque ou de trace, c’est plus fort que moi. J’ai dû être un fin limier dans une autre vie !

- Celle de Tremor. Minao va nous aider.- Ah oui ! Le parfait psychopathe qui va me donner un coup de main aidé par son fidèle demi-

frère qui n’a de cesse de me donner à lui sur un plateau d’argent !- Nous n’aimons pas l’argent, mais plutôt les pierres précieuses. - Peu importe ! Tout ça, ce ne sont que des zieverderaa pour mieux m’embrouiller.- Tremor a failli t’avoir hier avec la ratmak. Il a fait un faux pas ! A ma décharge, je pensais

qu’il avait été éliminé voilà plus de deux siècles lors de la Révolution Française et le règne de la Terreur, mais je me trompais. Il a manifestement survécu et a pris soin de se tenir bien éloigné de moi et de Minao. Du contraire, nous l’aurions éradiqué comme la vermine qu’il a toujours été. Mon erreur a été de n’avoir pas vérifié à l’époque qu’il n’existait plus. Les temps étaient si troublés…

Je ne peux pas m’empêcher d’écouter ce qu’il dit. Il est si avare de mots, mais quand il parle, je suis subjuguée. Sa voix, ses intonations, son débit, sa manière d’utiliser les mots, de susciter des émotions, des images, des sensations, des sentiments, tout concourt pour me fasciner complètement. C’est pareil maintenant.

- Tremor m’accuse de beaucoup de choses, mais surtout de lui avoir enlevé la femme qu’il aimait. L’état du corps roué trop souvent de coup de cette dernière était déjà une incitation à la sauver des griffes de Tremor, aussi lorsqu’elle m’a demandé de la sortir de cet enfer qu’elle

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subissait avec lui, j’ai agi aussitôt. Elle a refait sa vie et est morte très âgée. Je sais qu’il y a encore des descendants d’elle. Aux dernières nouvelles, ils vont tous bien ! Lorsque j’ai compris ce qui se passait réellement, j’ai pris soin de savoir comment ils allaient. J’ai pris des dispositions pour que cet état perdure pour chacun d’eux et leur famille respective. Cependant, il semble que Tremor avait une meilleure option pour se venger de moi. Toi.

- Moi ? Qu’ai-je à faire dans vos histoires ?

Il me caresse la joue, puis le nez, le front. Il ne répond rien, me laissant cogiter mes propres conclusions.

- Tu veux dire qu’il fait ça parce que je… t’importe ?- Beaucoup de personnes m’importent.- Alors, il s’en est pris à beaucoup de personnes dans ton entourage ?- Non. Personne. - Et moi bien ? Pourquoi, Brenton, pourquoi moi ?

Je le regarde fixement. Il m’embrasse doucement.

- Tu le sais. Vas-tu m’obliger à te le dire ?- Quelqu’un qui semble très bien te connaître m’a dit que tu n’étais pas quelqu’un qu’on

pouvait obligé à faire quelque chose qu’il ne voulait pas faire.- Une règle générale qui comporte une exception.- Et l’exception serait moi ? Pourquoi je ne suis au courant que maintenant ?

Il sourit et m’embrasse à nouveau. Mes doigts de pieds se recroquevillent et c’est le boxon plus au sud et au centre. Bouh ! Il me le fait à donf !

- Blague à part… et arrête de me distraire comme ça…

Deux heures plus tard, je suis éreintée et repue. Tout n’est pas éclairci. Je ne sais toujours pas pourquoi Minao est là. Je sais que j’ai été dans le cirage dix-sept heures d’affilé grâce ou à cause d’une particularité de Brenton qui consiste à mettre ko les gens pour des durées variables selon les situations. Il a par exemple fait échouer un guet-apens en mettant ko durant deux jours trois malfrats. Lorsqu’ils se sont « réveillés », leur proie se trouvait ailleurs dans un lieu qu’ils n’ont jamais pu vérifier. Je suppose qu’il a des milliers d’histoires comme celle-là pour expliquer cette caractéristique.

- Une petite centaine seulement.

Je repose sur son torse écoutant son cœur battre sourdement et rythmiquement. Il semble que leur fréquence cardiaque est différente que celle des humains ou vivants. Je ne sais plus si c’est plus vite ou plus lent.

- Plus lente. Pas aussi lente que la baleine grise, neuf pulsations par minute, mais guère plus. - Combien.- Entre trente-sept et septante-sept pulsations pour les animaux et entre soixante et cent-vingt

pour les humains.- Ah !

OK ! Il n’y a pas de moment précis pour apprendre de nouvelles infos! Je sais que Minao est apparu chez Brenton sans prévenir et qu’il n’a pas fallu plus d’une minute pour comprendre la situation de danger dans laquelle je me trouve. Enfin, nous nous trouvons, si l’on compte que nous sommes alliés dans cette circonstance. Minao se trouvait depuis un an plus ou moins dans le Bush Australien pour y faire je ne sais quoi. Un truc mystique sans doute.

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- Cela s’appelle une retraite, tramania ou une « résurgence ». C’est, disons, la meilleure traduction pour cette expérience vitale pour les yengo.

- Ah !

Aucune idée, mais bon, dois-je en avoir une en particulier et en général ? Les lieux où nous nous trouvons sont éloignés des villes principales, autrement dit, on est dans un trou perdu hyper-sécure si je connais bien mon Lukius.

- Tu commences à bien me connaître.- Wep ! C’est ce que je m’imagine…

On y restera le temps qu’il faudra. Sauf que je ne sais pas ce qu’il faut pour faire ce temps. Il semble que Brenton et Minao aient une sorte de plan. Je suppose qu’on m’en fera part au moment donné. Et enfin, Brenton a pris des dispositions pour postposer durant une semaine notre retour à la vie « normale ». Parfait ! Il semble que j’avais aussi besoin d’une résurgence et comme celle-ci va se passer avec Lukius, je ne dis pas non. Quant au reste… ça peut attendre !

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Home sweet home. Je suis dans mon appart pour quelques heures, le temps d’empaqueter ce qui m’importe le plus et après… départ vers la demeure de Brenton. Celui-ci suit mes directives avec une docilité qui me ravit. J’en abuse un peu, beaucoup, jusqu’à ce qu’il m’accule contre un mur pour me faire subir une séance fébrile de chatouillis. Je hurle et me trémousse autant que je peux, mais il est infiniment plus fort que moi. Nous finissons par une prise de langues et un jeu de mains qui me motive à accélérer le mouvement du mini-déménagement. J’ai bien compris la question de la sécurité et tout le toutim, aussi, je ne le violerai que bien à l’abri entre les murs de sa forteresse sécurisée.

Nous avons passé les cinq derniers jours dans son domaine. J’ai pu l’explorer et il est vraiment gigantesque. Je ne sais pas où il se trouve et je n’ai pas demandé. D’après ce que j’ai compris, Tremor pourrait avoir accès à ma mémoire. A ce stade, ce n’est plus du piratage électronique, c’est carrément du vol mental ! Je n’ai pas remis en question ce que Brenton m’a dit, j’ai eu trop de preuves des bizarreries de leur nature et espèce. De plus, j’ai confiance en lui, pas aveuglément, il faudrait que je sois autrement chtarbée pour ça ! Les deux premiers jours après mon réveil, je n’ai pas eu de contact avec Minao. D’abord j’ai cru qu’il voulait nous laisser seul pour plus d’intimité jusqu’à ce qu’il m’éclaire sur son attitude lors du seul moment où je l’ai vu – une minute – durant ces deux jours.

- J’ai du retard sur mes comptes Twiter et Facebook et je ne te parle même pas de mes deux boîtes mails, la privée et la pro !

J’ai pensé qu’il plaisantait jusqu’à ce qu’il hausse comiquement les sourcils en me clignant de l’œil et souriant d’un air… débile !

- Ne faites pas plus que je ne ferais moi-même…

Puis il s’est enfermé durant quarante-huit heures non-stop. J’étais tellement flippée par ça que j’ai pensé lui demander si les yengo avaient aussi un site web particulier pour eux. La réponse m’est venue en un éclat de rire vertigineux. C’est là que j’ai su qu’il avait également accès à mon cerveau. Génial !

- Il ne peut avoir accès qu’à tes pensées clairement énoncées dans ton esprit. Pas au niveau plus profond et plus personnel. Quand nous sommes ensembles il ne peut nous percevoir de cette façon !

- Encore heureux !

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Les explications de Brenton m’ont rassuré. Un peu, pas trop, assez sans doute. Lorsqu’il est sorti de ses appartements, je croyais qu’il serait mort de fatigue. Ben pas du tout ! Frais comme un gardon ! Si j’avais encore des doutes sur leur endurance et leur puissance, j’aurais été fixée. Quoi que… avec Brenton et nos rapprochements physiques, j’ai déjà pu l’évaluer pleinement. J’ai accueilli Minao avec une certaine réserve, ne sachant pas trop quelle contenance adopter avec lui. Il faut dire que plus d’un an à le pister, pour nous rendre compte que ce n’était pas le bon gibier, a de quoi déstabiliser  ! Nous étions dans la cuisine pour un frugal repas tardif. Nous étions passablement débraillés et pour parachever le tableau, j’étais affalée contre le corps partiellement dévêtu de Brenton. Il nous a contemplé depuis le chambranle de la porte massive, puis nous a souri amplement à tour de rôle.

- Alors, ça roule ? J’espère, parce qu’on va pouvoir se détendre un peu… enfin, pour vous un peu plus, moi je vais rattraper le retard… j’ai trouvé certaines petites choses intéressantes…

J’ai senti Brenton se détendre sous moi. Je n’avais pas compris que mon amour était si inquiet. Il faut dire que dans le domaine du flegme il peut donner des cours à l’unif dès qu’il veut  ! Après ce moment-là, nous avons passé trois jours à socialiser. Je ne peux pas dire autrement, c’est le terme. Et, devinez quoi ? Je ne sais toujours pas quoi penser de cet homme. Une autre énigme. Je ne sais même pas dire s’il me plaît ou pas. Je suis déroutée. Pourtant… j’ai comme une sorte d’attirance vis-à-vis de lui et ça me fout les chocottes ! J’aime Brenton, mais si j’aimais aussi Minao, autrement mais dans le même genre ? J’ai des sueurs froides, puis brûlantes rien que d’y penser. Et pourtant…

Nous avons fini d’empaqueter. Au finish, une grande valise, deux sacs de sports et le panier à linge à ras-bord. A quoi tient l’essentiel ? A un beau foutoir de machins et de trucs hétéroclites, m’est avis !

- Tu as tout ce qu’il te faut ici ?- Oui.- Allons-y ?

Brenton prend une respiration profonde et un anneau d’énergie brute émane de son être. Je n’aurais jamais vu cela avant. Depuis que nous sommes unis, je vois des choses incroyables. Avant j’aurais juste vu Brenton prendre son souffle et rien de plus. Ici, je vois son corps briller subtilement, acquérir un halo mouvant spécial qui filtre et sourd de lui en rayons de plus en plus denses et expansifs. C’est un peu comme ces traits translucides que l’on aperçoit à travers les rayons du soleil lorsqu’il pleut. Cela ne devient pas toujours un arc-en-ciel, c’est juste ces faisceaux colorés qui semblent danser dans l’air frais, humide et ensoleillé. J’aime cette vision, elle m’émerveille comme je le fais avec mille fois plus de ferveur de ce que projette Brenton. Son énergie diminue jusqu’à disparaître. Brenton est à nouveau Brenton normal.

- Waouh ! Je pourrais faire un jour comme toi ?- Non. Mais tu pourras d’autres choses.- Merci pour le lot de consolation.- Je t’en offrirai un autre plus tard.

Nous sommes devant le coffre de son van d’une marque dont les prix ne font pas dans la dentelle. Une preuve matérielle supplémentaire qu’il n’est pas dans le besoin. De moi, peut-être…

- De toi, toujours… Grimpe dans la voiture. Minao nous attend. Il a décidé de nous concocter un festin.

Je freine d’un coup mon avancée.

- Je ne sais pas toi, mais j’ai subitement envie d’un menu hyper-super-supra-total calorique d’un Fast-Food !

Brenton fait « Tsss-tsss » avec les lèvres en hochant la tête de droite à gauche. 

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- Je suis certain que tu n’aimerais pas peiner Minao et ses efforts pour nous être agréable…- Je…

En fait, oui, je suis prête à le « peiner » pour échapper à un de ses repas « concocté » ! Mais, en même temps, il est si touchant. Maudits cours de cuisine télévisés qui font croire au premier bitu lambda qu’il a les dons d’un Chef de resto Cinq Etoiles !

- Tu as raison… On ne peut pas « peiner » Minao… Mais, c’est pas interdit d’acheter des provisions, genre plats pré cuisinés, avant de rentrer, non ?

- Tu as lu dans mon esprit, tramania. C’est justement l’intention que j’avais. Il est toujours bon d’avoir des provisions de bouche au cas où !

- Wep ! Je te le fais pas dire !

J’ai subitement comme des crampes au niveau de l’estomac. Sûr que ce n’est pas à cause d’une fringale !

Minao est ravi du résultat de ses efforts. En fait, s’il a testé quelques choses ces cinq derniers jours c’est l’endurance, l’esprit de rébellion, d’initiative et de soumission de Vinouha ! Ses compétences culinaires sont excellentes. Il a appris auprès des meilleurs chefs lors des divers siècles écoulés. Tant chez les femmes que chez les hommes il a trouvé du talent, de l’ingéniosité et surtout le désir de créer une cuisine qui ravirait tous les sens. Cette constance chez tous ces êtres de conditions, d’âges et d’époques différentes lui prouve que l’Art ne se soucie que d’une seule chose, la recherche d’une certaine perfection. Il redresse un couvert et tourne autour de la table. Sa supercherie n’a pu aller jusqu’à ne pas dresser une table. Il aura au moins offert cela à la torture des repas servis ces derniers jours. Vinouha lui plaît. Elle a de l’envergure et une forte personnalité. Il comprend Omna, son frère de toujours. Voilà longtemps qu’il n’a plus évoqué ce prénom, le premier qu’il utilisa voilà si longtemps. Lui s’appelait Yumo. Omna signifiait « celui qui sait tout » et Yumo, « celui qui attrape tout ». Les significations des noms sont assez justes pour l’un et pour l’autre. Il se souvient encore des courses poursuites à travers les grandes esplanades des temps passés immémoriaux et sa dextérité à débusquer des proies qui pouvaient nourrir leur petit clan. Il a réussi à maintenir ce premier clan durant longtemps. Les changements climatiques ont défait ce qu’il protégeait, mais nul ne peut lutter contre la Nature à ce niveau-là, même pas eux, Yumo et lui-même. Depuis ces temps-là, ils ont acquis bien d’autres atouts et capacités. Du moins, il l’espère. Il relève la tête. Les voilà ! Il est curieux de voir ce qu’ils ont achetés comme barquettes cuisinées et autres substituts culinaires au supermarché. Mais s’il est sûr d’une chose, celles-ci finiront au congélateur et avec un peu de chance à la poubelle après un temps avéré.

47.Nous entrons avec circonspection dans la demeure de Lukius que je connais maintenant

relativement bien. La dernière fois, je n’ai pas vraiment eu la tête à la visiter de fond en comble, chose à laquelle je vais remédier incessamment sous peu. Nous déposons les achats dans la cuisine et c’est là que Minao nous débusque à sa manière si particulière. Il entre d’un bond dans la pièce.

- Ah ! Vous êtes là ! Génial ! Juste à temps pour le repas que je vous ai concocté. Vous allez m’en dire des nouvelles. Allez, allez ! Pressons ! Il ne faut pas laisser refroidir ces délicatesses !

Brenton me fait discrètement une grimace. Je réponds par une autre. Vu comme ça, on va pas vexer et doucher un tel enthousiasme, même si j’ai l’estomac dans les talons, prêt à se carapater vite fait ailleurs ! On passe devant Minao qui nous tient solennellement la porte. Il continue à dégoiser sur le

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menu qui a des noms aussi ridicules que « Mouillade caramélisée aux viandes hachées ». Je ne veux même pas savoir de quoi il s’agit. Je ne me souviens même pas des autres, tant j’ai le crâne qui se fissure. J’ai un mal au ventre, je vous dis pas ! On arrive à la salle-à-manger qui est parée comme pur recevoir des rois, pas moins. Et la table… Ma doué ! Ça c’est de la déco de table, oui, Madame ! Je me retiens de siffler, mais le cœur y est. Minao est encore plus satisfait de lui en voyant nos airs ahuris. Et il a de quoi, je lui concède cela !

- Asseyez-vous… j’ai zappé sur l’apéro et les entrées fanfreluches… Cette manie de noyer les estomacs avec des mets insipides qui font de l’ombre aux plats principaux ! Ah, je vous jure, quelle époque, mes aïeux !

Minao roule des yeux tout en fichant le camp vers une petite salle qu’il a aménagé en une cuisine minimale. Wep ! Flippant ! Il revient avec trois plats qu’il tient cérémonieusement avant de nous en déposer un devant chacun. Ce qui se trouve dans l’assiette est indescriptible, mais n’inspire pas vraiment confiance. J’évite de faire la moue. Surtout que Minao arbore toujours cette mine extasiée qui ne demande qu’à nous complaire. Je souris d’un air pincé.

- Allez-y tant que c’est chaud. Vous m’en direz des nouvelles.

Brenton et moi prenons les couverts comme des condamnés à mort se dirigeant vers l’échafaud. OK ! Quand faut y aller, faut y aller ! Je prends un petit bout de la… chose qui est sur mon assiette, le porte précautionneusement à mes lèvres et là… Surprise totale ! C’est absolument divin. J’avale la bouchée avec effarement pour en reprendre très vite une autre. Brenton me regarde et je vois la même stupéfaction chez lui que chez moi. Nous finissons en un temps record ces mets inconnus, mais délectables. Minao a terminé avant nous sa portion nettement plus petite et savoure notre étonnement.

- Parfait ! Je vois que ça vous a plu ! Tant mieux ! La suite ne devrait pas vous décevoir.

Il part rapidement vers la cuisine en prenant au passage nos assiettes dûment vidées pour revenir aussitôt avec trois autres assiettes. Je regarde ce que contient la mienne et j’ai du mal à ne pas grimacer. Je déglutis fortement. Je ne sais pas ce que c’est, mais la couleur jaune diarrhée avec des touches verdâtres me donne la gerbe. Pas plus rassurée, même si le plat précédent a été somptueux, je prends une mini fourchetée, certaine que ça va être répugnant, mais dès que ma langue entre en contact avec ce… truc… c’est le nirvana. Brenton pousse un petit grognement et nous avalons aussi vite que nous pouvons tout ce qui se trouve dans le plat. Minao a encore l’air plus ravi et il n’attend même pas que nous ayons déposé nos couverts pour prendre la vaisselle et se diriger vers la cuisine ou une salle où tient son menu culinaire prêt à être… déguster. Enfin, déguster… J’avoue qu’on a dévoré, mais… qui l’eut cru ? Pas nous, c’est clair. Les trois autres plats sont à la hauteur des deux premiers, totalement dégueulasses à la vue. Pourtant on reste sur nos gardes. Brenton me file un regard neutre, mais que je décrypte comme un avertissement à ne pas être trop confiante. Merci du conseil !

- Ah… voilà le clou de mon menu… Vous allez vous régaler. Je l’ai préparé spécialement pour vous…

Ce qui se trouve sous notre nez est abject. Je ne peux même pas dire à quoi ça ressemble, sauf que c’est complètement… Beurk ! On fait pareil que pour les deux autres plats, mais là… LA ! C’est sublime, totalement sublime. Je suis tellement estomaquée par ce que je goûte que je n’en crois pas mes yeux. Tant mieux d’ailleurs, parce que ma croyance en quoi la vue est le sens le moins précis vient de se confirmer drastiquement. Bon sang ! Mais c’est de la cuisine des Dieux, ça ou je ne m’y connais sûrement pas ! Minao se fend d’une petite salve d’applaudissements, je ne sais pas, si à notre intention ou à la sienne. C’est à ce moment-là que sitôt son assiette finie, Brenton saute hors de sa chaise, par-dessus la table et atterri sur le torse de Minao qui s’écroule en arrière sur sa chaise alors qu’il est… mort de rire ? Brenton lui hurle des grognements… à moins que ce ne soit des mots, mais dans une langue inconnue et particulièrement gutturale, alors que Minao hulule carrément de rire. Je les regarde complètement larguée. Quoi encore ? C’est un cas de folie furieuse à la sauce yengo ?

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Cinq minutes plus tard les pugilistes débiles décident d’arrêter leur connerie. Bien ! Ce fut plutôt drôle et sexy de voir Minao rire et leurs corps enchevêtrés m’ont donné des idées, genre à censurer à partir de deux ans, mais pour le reste, je fatigue ferme, là. Quand on a leurs âges, c’est normal de se comporter comme des ados attardés ? Finalement, je ne sais pas grand-chose des coutumes des yengo. Pour ce que j’en sais, ils sont plutôt énigmatiques, flegmatiques et complètement hermétiques à certains moments. Ils sont toujours couchés par terre, les yeux de Minao sont larmoyants et les joues de Lukius d’un rouge surprenant. L’un à côté de l’autre, je peux voir leurs similitudes. Ils sont d’égale grandeur, de corpulence sensiblement pareille, l’un plutôt blond, Minao, l’autre noir corbeau et peau mate, des muscles bien définis et… J’arrête de mater, surtout là ! Quoi que c’est sans doute la partie d’eux que je… NON ! Mauvaise, très mauvaise idée ! Je me rassois sur la chaise et j’attends qu’il se passe quelque chose. Brenton est debout en une seconde et tend la main à Minao qui la lui prend pour se hisser. Un mouvement que je suis des yeux, fascinée par leur souplesse. Je me racle le fond de la gorge. Très sexy !

- Si quelqu’un pouvait m’expliquer…

Minao se retrouve à mes genoux sans que je ne le voie bouger.

- Moi ! Je te le dois, même. Disons que j’ai menti en vous servant les infâmes mixtures des jours précédents. En réalité j’ai été bien puni, puisqu’il m’a fallu des efforts considérables pour cuisiner ces déjections.

- Alors pourquoi l’avoir fait ?

Il me tient les mains et son beau visage me dévisage avec lenteur et douceur. Je rougis violemment. Il fait pas un peu chaud, là, soudain ?

- C’était un test.- Pourquoi faire ? Voir si j’ai un palais qui permet de savourer tous tes plats culinaires, même

les plus répugnants à la vue ?- Pas exactement. Cela n’a rien à voir avec la cuisine, mais plutôt sur ta manière de gérer une

situation… difficile ou du moins délicate…- Je ne vois toujours pas l’intérêt ! Tu t’attendais à quoi, que je pique une colère et t’envoie

l’assiette en pleine tronche ?- Je l’aurais mérité, mais ton attitude m’a démontrée que tu savais gérer des situations délicates

avec brio et sensibilité.- J’aurais pu te le dire ! Dans mon métier, il faut souvent du tact.

Brenton ricane doucement à côté de moi. OK ! Je ne suis pas la reine du tact, mais bon, j’assure un max et c’est déjà pas mal compte-tenu des bitus que des fois on se chope!

- Je le crois sans peine, ma jolie. Cependant, je devais m’en assurer.- Pourquoi ?- Il va te falloir toute cette capacité pour pouvoir attraper notre proie.- Tu veux dire Tremor ?- Oui, mais pas seulement lui. Il s’est entouré d’autres… je n’ai pas encore défini de quelle clan

d’Outre-Vivant ils appartiennent, mais c’est une question de temps.

Il caresse doucement mes mains, embrassent les paumes, puis les déposent sur mes genoux avant de se relever et me regarder quelques infimes secondes avec une lueur qui… me rend toute chose. Brenton grogne prêt de moi. Bien ! Encore de la testostérone furieuse dans l’air.

- Tu peux être plus clair, s’il te plaît ?

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48.

Nous sommes assis autour d’une table dans une pièce qui ressemble à un quartier général militaire. La pièce se trouve dans une zone de la maison que je serais bien en peine de localiser. Pourtant j’ai le sens de l’orientation, mais il semble qu’il soit brouillé par ici. Effet voulu ? Sans aucun doute. Je suppose qu’une certaine parano est presqu’inévitable arrivé à cet âge-là. La pièce en soi n’a rien d’insolite. Pas de cartes militaires, ni d’autres choses qu’on pourrait trouver dans ce genre d’endroit et ce n’est pas ça qui me fait penser à un tel lieu. C’est l’atmosphère. On sent que c’est un espace « logistique » mis sur pied pour réfléchir et mettre en place des plans stratégiques très précis. Pour ma part un bain moussant est suffisant. Je me détends, mes sens se détendent, mon esprit vagabonde et toutes les pièces d’un conflit ou d’un problème concret s’emboitent d’eux-mêmes et finissent par me faire voir la clef, la solution, le remède, la sortie. Mais bon, je suppose que c’est un moyen trop… féminin ? Sans vouloir dire par là que les mâles en puissance ne pourraient pas faire aussi simple que moi, mais… c’est peu probable ! Traitez-moi de sexiste, mais jusqu’à preuve du contraire il n’y a aucun mâle qui a crié « Eurêka » dans un bain moussant ou dans sa cuisine en touillant sa marmite ou en faisant le ménage. Bon ! Archimède ! Il fallait bien qu’il y ait une exception, mais pour le reste, hein, citez-m’en un qui ferait une telle chose… Ah ! Pas fastoche, hein ! Mais bon, je suis prête à réviser mon point de vue, je n’aime pas me…

- Tu m’écoutes, Vinouha ?

Merde ! Brenton expliquait quelque chose et j’ai zappé. Super !

- Euh ! Tu peux répéter la question ?

Minao est affalé sur une chaise, les mains derrière la tête et le corps en position relax. Il se balance sur deux pieds et celle-ci ne grince même pas. C’est un tour de passe-passe, non ? Il me fait un clin d’œil salace. Vraiment, j’vous jur’ … Brenton se place devant moi et je sursaute.

- Si tu pouvais te concentrer sur mes explications, tramania…

Je pousse un gros soupir et ferme un instant les paupières. Je les garde fermé. Je suis…

- Je voudrais bien, mais je ne peux pas, j’ai juste envie d’un bon bain chaud avec triple mousse, d’un massage sur tout le corps et un bon matelas avec édredon tout doux après et pioncer un chouïa…

J’ouvre les yeux. Brenton me regarde fixement, puis son regard plonge dans mon décolleté. Waouh !

- Pour le massage, je suis un véritable expert, presqu’aussi bon qu’en cuisine… c’est une question de mains et de doigté…

Brenton grogne un peu, sans quitter des yeux mes seins qui sont déjà durs et désireux de caresses. Je me mordille la lèvre.

- … en tout bien, tout honneur…

Je glisse un regard sur Minao qui a l’air de ne pas avoir l’air de ce qu’il a l’air normalement.

- Tu es vraiment un expert ?- Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en Enfer !

Il me fait le signe des scouts en plus. Vraiment ? S’il fallait le croire sur parole…

- Tu peux me tester, ce serait de bonne guerre…

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- Je… Sérieux, là ! Tu sais masser ? Vraiment ?- Oui. Mets-moi à l’essai…

Je regarde son visage, puis essaie de le percevoir autrement. Je vois des volutes claires l’entourer. Je sais qu’il dit vrai, mais pas totalement. Seulement démêler l’écheveau de ce qui est vrai ou faux chez lui et, j’imagine chez les Outre-Vivant en règle générale, doit être quasi impossible. Autant ne pas le faire, ce serait trop épuisant.

- OK ! Je te prends au mot… mais, attention, pas d’entourloupe…- Rien que tu ne voudras d’abord, ma belle !

C’est bien ce qui m’inquiète. Brenton pousse un soupir désabusé. Je lui lance un regard.

- Vas-y ! Minao est un masseur très compétent… A la différence de moi. - Mais tu danses divinement…- Pas de lot de consolation, tramania… Je n’ai besoin que de te savoir heureuse…

Je suis couchée sur une table. Oui, je sais, ça fait un peu séance d’autopsie, sauf qu’on a mis un léger matelas sous moi avec un grand essuie de bain tout moelleux pardessus. Que le tout n’est pas trop mou est également un atout supplémentaire. La lumière est tamisée et quelques bougies au parfum subtil et relaxant se trouvent disséminées ici et là donnant des halos lumineux mouvants et mystérieux. Une musique étrange, mais sereine est diffusé par des haut-parleurs occultes. Je sens mon corps s’amollir, se détendre, même si une partie de moi est en alerte maximum. Je sais que Minao est là. Je sens sa présence, même si je ne peux pas la situer clairement autour de moi. Un mouvement furtif me tend le corps. Il est là ! Son grand corps mince et musclé est sur un côté de la table. Il pose ses mains au-dessus de ma peau lentement. Une chaleur diffuse gagne chaque pouce de ma peau, de mes membres. Il glisse silencieusement autour de moi. Son corps, tout son être semble éthéré jusqu’à ce qu’il pose ses mains sur la plante de mes pieds, puis le long de mes chevilles sans appuyer, seulement en prenant contact. Le mouvement fluide s’étale tout le long de mon dos jusqu’à la racine des cheveux. Il répète le mouvement inlassablement, pressant plus fort de la paume ou des doigts certains endroits. Mon corps se dilue dans une mare de félicité charnelle. Un plaisir sain et cru monte de chacune des cellules de ma personne. Je sais alors que j’en avais besoin, délicieusement et douloureusement besoin. Je ne compte pas les minutes qui passent, je passe dans le temps comme une ombre évanescente, un éphémère moment d’éternité. D’un mouvement leste, il me tourne sur le dos, gardant une main sur ma jambe, sur ma cuisse. Me savoir nue ne m’interpelle nullement. Je me sens en harmonie avec cet instant de plaisir intense et global. Ses mains recouvrent chaque partie de mon corps, modulant, appuyant, remodelant chaque partie de moi selon un dessin d’apaisement précis. Mon esprit n’est qu’une brume flottant au milieu de mes perceptions assoupies et si vivantes. Chaque chose, chaque élément devient présent en moi d’une manière insolite et concrète. Les doigts passent sur les turgescences de mes seins, titillant un désir latent, ne s’attardant que peu, juste ce qu’il faut. Il glisse sur mon ventre, entre mes cuisses que j’entrouvre machinalement. Il ne s’attarde pas, préférant garder l’unité de ma jouissance passive. La musique s’arrête soudain, mais pas ses mains. Je me sens si volatile, si pleine, si forte.

- Tu as la présence des félines en toi, Vinouha. Elle te sera utile. Tremor ne peut pas te trouver lorsque tu laisses ton corps au repos comme maintenant et que tes sens sont totalement exacerbés, mais disciplinés. Il ne peut qu’anticiper des mouvements et agir en conséquence. C’est ton atout majeur…

Ses doigts parcourent mes épaules, se glissent sur mon cou qu’il pétrit lentement. Il passe sur mes cheveux, prenant toute ma tête dans sa large main et la massant continuellement de l’autre. Je m’amollis plus encore. Ses paumes restructurent mon visage, imposant doucement un bien-être parfait, détendant chaque crispation du bout des doigts, redessinant chaque partie avec affection et dextérité.

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Ses doigts descendent jusqu’au cou quelques secondes. Elles repartent vers mon torse, entourant mes seins et les massant avec une lenteur bienfaisante.

- Il ne sait pas que tu possèdes cette force en toi, c’est ce qui nous permettra de l’attraper. Actuellement, il joue gagnant puisqu’il pense que nous ne savons pas son identité. Il me croit toujours loin d’ici, en régénérescence. Un second atout. Les sous-fifres qu’il emploie ne sont que très légèrement yengo et l’un est un hybride garou-hyène. Leurs aptitudes sont très en-dessous de ce qu’elles pourraient être, mais ils ne savent pas vraiment gérer leur essence. Un autre atout pour moi et Brenton. Quant à toi, il te veut…

Ses mains glissent entre mes cuisses et les malaxent lentement, son pouce à l’orée de ma vulve enflammée. Le lourd battement de mon vagin me fait désirer l’exultation. Il continue de me masser en glissant le long de mes jambes pour remonter aussitôt pour glisser à l’intérieur de mes cuisses. Il pose une main sur mon sexe et la laisse là une infime fraction de seconde, puis la passe et la repasse dessus en s’attardant sur les petites lèvres, sur mon clitoris, juste des millièmes de secondes. Une main remonte à mes seins qui se tendent anxieusement. Il les palpe, les soulève, les agite, puis pincent les mamelons d’abord doucement, mais en exerçant une pression chaque fois plus forte, plus excitante.

- Il ne t’aura pas. Il te désire afin d’extraire en toi ton essence vitale, un rituel qui ne s’est plus pratiqué depuis des millénaires. Je doute qu’il en connaisse chaque détail. Ce qu’il ne sait pas c’est que tu es lié à Brenton par des liens de liberté et de sentiments mutuels, ce qui fera aussitôt avorter le rituel.

Il pose deux doigts sur mon clitoris et le tapote. Un index s’insinue dans les plis de mon vagin et frotte doucement les parois humides et brûlantes. Je sens l’orgasme se construire. Son autre main tapote mes seins et hérissent mes tétons, les rendant insupportablement sensibles.

- Les prochains jours sont capitaux. Il doit croire que tu suis une routine, celle de tout couple qui s’apprécie. Que tu emménages chez Brenton ne sera perçu que comme cela, puisqu’il ne sait pas que tu sais… Un autre atout en notre faveur. Aussi…

Un second doigt pénètre dans le vagin et pompe lentement d’avant en arrière. Mes hanches se cabrent. Il continue son va-et-vient tout en malaxant plus durement mes seins.

- Il te faudra rester toi-même. Par ce massage, je permets à l’une de mes essences d’occulter tout ce qui pourrait trahir le lien avec Brenton et avec moi. J’ai cette faculté. Un autre point en notre faveur. Cependant, Tremor n’est pas idiot. Il est un fin prédateur. Il ne faut pas le sous-estimer. Ses actes apparemment fous ne le sont pas. Tout est médité, pesé et préparé avec soin et minutie. Il possède un plan magistral, mais il ne sait pas que je l’ai partiellement décrypté. Un atout pour moi et Brenton. Quant à toi…

Il se penche en avant et claque la langue sur mon clitoris plusieurs fois, avant de remonter et prendre mes mamelons entre ses dents, puis dans sa bouche en aspirant violemment. Il me relâche sans s’écarter, sa chaleur m’imbibant férocement.

- Je te délivre… maintenant…

Trois doigts me masturbent lourdement, il m’embrasse à pleine bouche, ses doigts tiraillent mes seins alors que l’orgasme explose violemment, m’éparpillant et me réunissant. Le baiser devient plus lascif, plus profond, je le désire en moi. Ma gorge gémit, ronronne, prise dans l’étau d’une jouissance qui s’attarde. Ses mains restent immobiles. Je veux le retenir, mais il recule lentement.

- Pas maintenant… Mais un jour. Brenton le sait… et toi aussi, ma belle. Reste ici et repose-toi le temps que tu désires. Rejoins-nous quand tu te sentiras prête.

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Il reste près de moi. Ses lèvres embrassent mon front avec douceur. Ses mains se posent sur mes épaules doucement. Il m’insuffle quelque chose, je ne sais trop quoi, mais une seconde plus tard, je me sens alanguie et heureuse. Je sens une petite brûlure sur une de mes paumes alors que la porte de la petite pièce se referme silencieusement. Je soulève ma main à hauteur des yeux comme au ralenti. Il y a une petite marque dessus, un dessin, sans doute un tatouage. Je devrais m’en étonner, mais je me sens trop à l’est. Plus tard… bien plus tard… Black-Out !

49.

J’ouvre les yeux. Qu’ai-je fait ? Ou plutôt… Qu’ai-je permis qu’on me fasse ? Merde, merde, merde ! Bon sang, comment est-ce possible que… OK ! Il me botte, rien à redire il est super canon et mes hormones ne sont plus ce qu’elles étaient. Mais sont-ce des raisons suffisantes ? J’aime Brenton depuis la première fois que je l’ai vu. Evidemment, je ne m’en suis rendue compte que plus tard. L’amour est aveugle, c’est bien connu et la manière d’interpréter l’adage est personnelle. Alors  ? Pourquoi ai-je laissé Minao me faire ce… Bouh ! Il a un doigté et… Oh non ! Mais… si Brenton sait ce que m’a fait Minao, il va… Eh merde ! Je saute à bas de la table, trébuche, me rattrape malhabilement, m’enroule dans l’essuie, celui que j’ai apporté de la salle-de-bain après ma douche avec bonnet de bain inclus pour protéger mes cheveux. J’ouvre la porte après m’être repris deux fois. Le couloir est en pénombre, tant mieux, surtout après mon demi-sommeil et la lumière tamisée de la pièce de « massage ». Je tourne dans un premier couloir. Heureusement que j’ai le sens de l’orientation, sinon je risquerais de me perdre dans ce labyrinthe. J’imagine que la construction d’icelle a été orchestrée de telle manière en toute conscience. Je claque des pieds sur le parquet. Je m’arrête. Rien ! Pas un son ! Nom de Dieu ! Il l’a tué, à moins qu’ils ne se soient entre-tués… Oh misère ! Je continue à avancer, un autre couloir, deux portes ouvertes sur des pièces obscures. Deux autres fermées. Je m’arrête. Rien ! Personne là et là… je poursuis en galopant presque. Où sont-ils. Où peuvent-ils être pour se tuer ou s’entre-tuer ou encore tuer l’un et blesser à mort l’autre ou… Mon souffle devient hiératique, je suis de plus en plus angoissée… Je ne veux pas qu’ils se tuent, qu’ils… je ne veux pas, ils sont frères, j’aime Brenton… Je devrais hurler, mais s’ils ne sont pas… conscients, alors… je me cogne aux murs étroits d’un couloir qui mène à la cuisine. La cuisine… Oh non ! Il y a des couteaux effilés et s’ils se sont plantés avec dans… Je reprends mon souffle sans y parvenir vraiment. Je m’écroule un instant contre le mur pour me soutenir, pour me reprendre, pour me… NON ! Non, non… où sont-ils ?

Un brouillon plus tard, Brenton est devant moi avec Minao. Vivants ? Ils sont vivants ? Brenton m’attrape avant que je ne m’effondre. Je m’agrippe à lui avec violence, mes jambes encerclant sa taille, mon visage enterrée dans sa poitrine. Il sent si bon…

- Quoi ? Qu’y-a-t’il Tramania ? Qui t’a attaqué ? Tu ne m’avais pas dit, Minao, que tu avais assuré le périmètre autour de la maison en renfort de ma propre sécurité ?

- Oui. Je l’ai fait et aussi ici, je ne comprends pas…- Tremor est un génie de la…- Non, non, non… c’est… non…

Minao s’approche de moi et pose sa main sur ma tête. Je sens un filament s’introduire en moi et m’apaiser.

- Allons dans le salon, nous y serons mieux.

Je sens Brenton se raidir autour de moi avant de nous déplacer vers le salon à une vitesse mortellement impossible. Il s’assoit sur un profond siège. Je m’agrippe à lui avec un tremblement de tout le corps.

- Que t’arrive-t-il, tramania ? Dis-moi…

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Il me caresse le dos et les cheveux. Il ramène l’essuie qui avait glissé de moi comme une peau morte, me laissant à découvert et démunie. Je tremble encore.

- Je croyais que tu étais mort…

Il y a un silence, puis un long soupir.

- Techniquement nous le sommes… en quelque sorte…- Mais vous n’êtes pas des vampires…- Nous sommes au-delà de la mort, mais pas vraiment en vie… Pourquoi croyais-tu que j’étais

mort ?- Je croyais… je pensais… j’ai cru que… enfin que toi et Minao vous alliez vous… disputer et

vous…

Je me sens rougir furieusement pendant que je bredouille lamentablement. Il m’écarte un peu de lui afin de regarder mon visage et mes yeux.

- Pourquoi croyais-tu cela ? - Je…

Je regarde Minao du coin de l’œil. Il se trouve assis sur l’accoudoir de notre sofa à trois places et nous regarde avec un semblant neutre et impassible.

- Il me semble, vieux frère, que c’est évident !

Brenton se tourne vers Minao et le fusille du regard.

- Ah oui ? Eh bien peux-tu m’éclairer du haut de ta grandissime intelligence, petit frère ?- Bien volontiers ! Tu permets…

En une fraction de seconde il est accroupi devant moi et me prend la main gauche en tournant la paume vers Brenton. C’est alors que je vois que Brenton comprends, sauf que moi pas. Brenton me serre contre lui avec une tendresse incroyable et un petit rire résonne dans son ample poitrine.

- Tu as la marque de Minao, le « Krouna ».- Je…

Je regarde le petit tatoo. Il s’agit d’un petit animal en mouvement, un canidé ou un loup ou un…

- Yengo ? C’est un yengo ?- Oui. On l’appelle le « Krouna » et c’est devenu une sorte de signature de Minao. Ce tatoo te

protègera des incursions des autres yengo quel que soit l’essence yenguiste qu’ils aient et des autres natures Outre-Vivant dans ton esprit en état d’éveil ou de sommeil et t’occultera de ceux que tu ne désires pas rencontrer.

- Je… je suis liée à toi… - Oui. - Ah !

OK ! On dirait que c’est un truc à la yengo de lier les gens etc… mais ce qui s’est passé durant le massage reste un… Oh bon sang !

- Tu ne comprends toujours pas, vieux frère ?- Que tu as placé le Krouna… Oh !

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Voilà, c’est fait ! Il a tout compris. Enfin, je crois…

- Tramania, regarde-moi. Tu penses m’avoir trahi, parce que Minao a placé la marque en toi en te touchant sexuellement ?

Au temps pour ma honte et ma pudeur !

- Je… je l’ai laissé faire…- Et tu as bien fait.

Je le regarde fixement. Bien fait ?

- Ma belle… Les yengo sommes comme tout le monde exclusif avec ceux que nous aimons, mais dans un cas comme celui-ci il s’agissait d’un rituel. D’une autre manière, tu aurais souffert terriblement. Nos espèces ne sont pas vraiment compatibles en tout et insuffler une marque tant intérieurement qu’extérieurement peut être potentiellement dangereux pour vous, même si dans ton cas, tu as plus de force, de puissance et de capacités grâce à ton lien avec Brenton. Mais même comme cela, à cru, c’est extrêmement douloureux et dangereux.

- Il dit vrai.- Tu le savais ?- Oui.

Je regarde Brenton. Il le savait et il ne m’a pas prévenue ?

- Pourquoi n’as-tu rien dit ? Tu as idée du mal que j’ai eu lorsque je croyais que je t’avais trahie et que j’ai imaginé que tu avais pu tuer Minao pour cela ou alors que vous vous seriez entre-tuer ou…

Ma voix se casse et je m’affaisse. Minao pose sa main sur mon cou et me le masse alors que j’enterre mon visage contre le torse de Brenton. J’ai eu si foutrement peur…

- Je suis désolé, sincèrement désolé, tramania… je n’ai pas pensé que cela t’affecterait de cette façon-là…

- Je suis également désolé, même si je sais par expérience que t’en avoir préalablement averti n’aurait rien arrangé, sinon retardé les choses. Ta marque se devait d’être posée… Aurais-tu préféré vivre une torture ?

Je relève la tête. J’ai les yeux embués, mais je n’arrive pas à pleurer. Il continue à me masser le cou et cela me détend.

- Je… Non ! Enfin, je ne sais pas, mais…- Crois-moi, le dernier à avoir décidé de passer outre le « massage » a failli y passer ! J’ai eu

toutes les peines du monde à le maintenir vivant.

Je regarde Minao. Il a le regard limpide, mais décidé et sérieux. Donc, c’était juste un rituel un peu chaud, rien à voir avec…

- Ma belle… ton angoisse et ta gène ne proviennent que de ta culpabilité vis-à-vis de ce que tu ressens pour moi. Nous sommes certes exclusifs, ma jolie, mais dans notre monde les choses sont différentes. Nous n’avons pas les idées aussi enfermées dans la « fidélité » comme il semble que vous l’ayez. Nous envisageons d’autres manières de relation sentimentale.

J’écarquille des yeux, pas très sûre de bien comprendre. Je regarde Brenton qui n’a pas cessé de passer ses mains sur mon corps pour m’apaiser et me rassurer. Je l’interroge du regard.

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- Tu penses comme lui ?- Je suis comme lui. Si tu aimes Minao, je l’accepte comme ton couple également.- Mais tu n’es pas… jaloux ?- Cela n’existe pas chez nous. Je ne permets pas que d’autres s’approchent de toi et te défendrai

de ceux-là, sauf si tu émets le souhait et le désir de les avoir pour couple.

Je ne suis pas certaine de comprendre, ni même de…

- Ma belle… trop d’émotions… prends ton temps, je ne suis guère pressé et je me conformerai avec ta décision. Je propose maintenant que nous ajournions ce sujet et que j’aille préparer quelque chose de léger pour manger. Nous avons besoin de nous restaurer…

J’hoche la tête. Minao sort. Je reste recroquevillée contre Brenton. Je m’y sens en sécurité, même si je ne sais plus où j’en suis vraiment.

 

50.Le bureau n’a pas changé. La ville non plus. Toujours autant de trafic débridé avec sa

ribambelle de tocards surexcités, hystériques, grossiers et mal embouchés. Toujours les mêmes embouteillages dans les mêmes quartiers, les mêmes avenues, tunnels, rues et boulevards. Toujours la même sinistrose citadine qui se déploie sous un ciel uniformément gris. Les sourires sont bannis et les rires n’en parlons même pas ! Ça risquerait de provoquer des maladies nouvelles si je m’avisais de me montrer hilare. Pourtant on peut penser qu’on a tout ce qu’on désire. Un but dans l’existence, une voiture, un lieu d’habitat, de quoi bâfrer, la possibilité de se carapater sous d’autres cieux plus cléments et la latitude de s’octroyer et s’acheter quelques caprices. Bon ! L’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue ! Etc. Les dictons sont là pour s’en servir et pour ne servir rien ni personne, ni à rien ni à personne, si ça se trouve. La ville n’a pas changé, le bureau non plus, alors c’est donc moi ! Mais… Merde ! J’ai un coup de cafard bizarre au creux des neurones et ça court-circuite tout mon être. Je déteste à donf !

- Viens là, tramania…

Brenton me prend contre lui, j’enterre mon visage dans son pull-over noir moelleux à col roulé. C’est si bon, si apaisant…

- Sorry ! J’ai un coup de pompe…- Ça arrive ! Ça va mieux ? Pouvons-nous nous y mettre ?- Oui.

Il me serre contre lui et m’embrasse… Bouh ! Chaud devant ! Puis il me laisse aller. Du coup, le cafard géant vient de se carapater chez quelqu’un d’autre ! Grand bien lui fasse ! Durant une demi-heure nous gérons l’amas de courrier qui gisait dans et hors la boîte aux lettres. Un peu plus et le courrier aurait fini par disparaître mystérieusement. C’est ce qui arrive quand on le laisse faire des petits. Dès que la masse des fascicules publicitaires et autres avis a été mis de côté pour remplir deux poubelles de bureaux et ensuite le container spécial poubelle « papier », un autre tas se forme. Il s’agit des lettres de demandes d’aide. Normalement il n’y en a pas autant. Nous ne sommes partis qu’une semaine et on dirait que l’agence a fermé ses portes des mois entiers ! Bizarre ! Affalée dans mon fauteuil ergonomique, le favori toutes catégories confondues de mon dos, je regarde la pile avec perplexité.

- Tu as fait de la pub pour l’agence ?

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Brenton assis dans son siège de prédilection relève la tête. Il a les yeux qui brillent comme lorsqu’il est concentré. Il me passe en revue et son regard me réchauffe toute entière. Il sort lentement une pomme rouge brillante et la frotte sur le tissu molletonné de son pull-over. Croc, croc.

- Pourquoi ?- Ben… je ne sais pas si tu as remarqué, mais il y a beaucoup de courrier…- Oui.- Oui, quoi ? Que tu l’as remarqué ou qu’il y a beaucoup de courrier ?- Oui aux deux.- Et ?- C’est bien.- Brenton ! Ce n’est pas normal ! On a jamais autant de courrier et moins après sept malheureux

jours d’absence.- Quel est ton explication, tramania ?- Je… On a parlé de nous dans les enquêtes…- Non. - C’est à cause de la mort de Monsieur…- Non.- Alors, je ne sais pas, sauf que c’est bizarre…- Tu penses à Tremor ?- Oui. Non. Enfin, j’y ai pensé…- C’est possible, mais peu plausible. Tremor est un prédateur astucieux en tout ce qui concerne

la traque et attraper, mais ses plans ne vont pas au-delà. Il n’a jamais brillé par une astuce fine et élaborée lorsqu’il s’agissait d’affuter une action ou un plan à long terme, même s’il est extrêmement efficace pour coordonner un plan précis et direct et le mettre en action. Il n’est vraiment dangereux que dans la matérialisation concrète et directe à court terme.

- Il ne fait pas dans le détail.- En gros, c’est cela.- Il peut se faire aider ?- Il se fait aider, mais jamais par des acolytes qui pourraient lui faire de l’ombre. Il devrait pour

cela avoir l’âme d’un leader qui n’aurait pas peur d’avoir quelqu’un de plus intelligent que lui dans son équipe. Il est patient comme tous les prédateurs nés, mais il n’a pas de vision à longue portée.

- Tu veux dire que c’est un fou sanguinaire basique ?- Je ne sais ce que tu entends par là, mais si c’est quelqu’un qui ne va plus loin que les bases

d’une chasse ou d’un traquenard conventionnel, quel que soit la durée de ceux-ci, alors Tremor est cette personne-là.

- C’est un atout pour nous.

Brenton a un demi-sourire moqueur et malin.

- Tu commences à parler comme Minao.- Cela te pose un problème, Lukius ?

Un brouillon plus tard, je me retrouve les jambes autour de la taille de Lukius, lui sous moi. Je ne l’ai même pas vu bouger ! Waouh ! Ça c’est rapide !

- Si l’idée c’est de jouer sur la corde de la jalousie pour savoir où tu en es de tes sentiments et où j’en suis, il suffit de me demander. Tu es mienne, même si tu décides que Minao est tien et que tu es sienne. Cela ne va pas détruire l’amour que je te porte. Cela ne créera qu’une tension inutile où tu seras la plus blessée. Nous n’avons pas de sentiment de jalousie, seulement d’appartenance dans le plus large des sens. Chaque personne s’appartient et décide d’appartenir à l’autre, mais cela n’ôtera jamais ce qu’elle est.

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Je regarde son regard changeant. Cette étrange lueur verte au fond de l’iris, ce liseré mordoré, cette luminosité me fascine. Je ne suis pas sûre de le comprendre. Je ne suis pas sûre d’avoir voulu le rendre jaloux. Ca me pique juste dans l’amour propre quand il me parle de mon insécurité vis-à-vis de mes sentiments, preuve qu’il a vu juste. Suis-je certaine de vouloir jouer à ce petit jeu avec quelqu’un qui est nettement plus vieux que le temps que je connais ? Pas certaine, mais sûre que je le referais. Ce sera plus fort que moi. J’ai tellement en moi l’idée de « la princesse » aimée jusqu’à ce que la mort la sépare de son « prince », que je vais avoir un peu de mal à changer de concept. Et pourtant… Lukius m’embrasse à pleine bouche avant de me laisser sur mon siège, le corps fourmillant d’un désir inassouvi.

- Pour le courrier… Il est trop tôt pour savoir si c’est un bon ou un mauvais présage. Minao se chargera de savoir ce qui se passe. Il excelle dans ce type de recherches. Pour l’instant, nous avons deux cas dont nous pourrions nous charger. Les autres que j’ai passé en revue sont hors de nos compétences et conviendrait mieux à AI et Bruyssens Investigation.

J’hoche la tête. Je lui fais confiance. Il a le don pour savoir repérer les affaires qui nous conviennent. Jusqu’à présent il ne s’est jamais trompé et je n’ai pas peur qu’il le fasse dans l’avenir. Je prends les deux dossiers potentiels qu’il me remet sous forme de lettre circonstanciée. Il est temps que je m’y mette ! On a une affaire à faire tourner !

Je lève la tête des dossiers que je compulse. Une tasse gigantesque de café bien sucré est devant moi sur la table. Je souris à pleines dents. Voilà qui est adorable. Je lève les yeux, prête à envoyer un de mes sourires sexy à Lukius, quand je vois que c’est Minao qui est là devant moi et qui m’a apporté la tasse. Du coup, je reste bouche bée, genre arrêt sur image.

- Tu peux me remercier, ma belle. J’adore recevoir des gratitudes et, venant de toi, ça m’émoustille encore plus…

Je cligne les yeux. Non mais, des fois !

- Merci !

Je reporte mon regard sur la feuille du dossier, mais la senteur du café me distrait et m’attire. Je ne résiste pas. J’allonge le bras et prend la tasse à deux mains. Mm ! Quel bonheur ! Je sens le regard de Minao sur moi. Ne pas le regarder ! Il a beau jeu avec ses incessantes insolences !

- Où est Brenton ?- Il affûte ses armes.- Pardon ?- Il fait l’inspection des armes que nous possédons.- Pourquoi ?- Tremor ne sera pas sensible à celles-ci, mais son équipe, oui. Nous comptons là-dessus pour

éclaircir le paysage.- On ne va pas trucider comme à OK, Corral, non ?- Pas si c’est à éviter, mais je ne peux rien garantir. Ces personnes ont choisi leur camp et ils

savent ce qu’ils risquent. S’ils ne le savent pas, c’est alors une erreur fatale pour eux !

Le visage de Minao a pris un sérieux mortellement atterrant. Derrière sa façade de dandy, je vois le prédateur et le génie militaire qu’il a sans doute été dans d’autres existences. On sonne à la porte. Je me disais aussi. Plusieurs heures sans personne arrivant dans nos bureaux n’est pas normal  ! Ceci dit, j’ai apprécié. J’ai l’impression d’avoir avancé dans mon boulot. Toujours ça de gagné ! Brenton sort de la pièce. Il me jette un regard en me souriant à demi. Je palpite de désir en le voyant. Il jette un regard à Minao et à sa pose nonchalante, une jambe assise sur le coin de mon bureau, les mains croisées sur sa cuisse et légèrement penché en avant vers moi. Il est… sublime et il le sait. Connard  ! Minao a un petit rire provocant qui me le fait vachement. Brenton soupire ostensiblement.

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- J’y vais…

51.Brenton revient peu après suivi de Pernel. La dégaine de ce dernier est encore pire que

d’habitude. Il me salue à peine, passe deux mains nerveuses et fébriles sur ses cheveux clairsemés et mal-lavés, puis se campe au milieu du bureau. Minao n’a pas bougé. Il a juste levé un sourcil avec ce geste de dandy qui essaie de comprendre ce qu’il a devant les yeux. Je ne le condamne pas pour cela. Pernel suscite toujours ce genre de réaction, même si elle s’exprime différemment. Brenton se poste contre le mur dans cette posture qu’il affectionne toujours. De fait, c’est le souvenir que j’ai le plus de lui. Son grand corps délié et musclé, habillé de sombre la plupart du temps, un pied contre le mur, jambe pliée et sortant une pomme de sa poche, que ce soit de son pantalon noir en cuir moulant, d’un jeans troué également moulant, d’un pantalon à pinces ou d’un de ces pantalons de paramilitaire qu’il met quelquefois. Il lisse la pomme rouge contre son pull à col roulé noir et la porte à ses lèvres. Croc, croc, croc.

Pernel tourne sur lui-même, genre derviche en période d’essai. Je me dis qu’il va s’affaler dans son siège habituel. Pas du tout ! Il se met à tourner en rond de plus belle. Il s’arrête au milieu de mon bureau.

- Où étiez-vous passé ? Tant pis ! Maintenant que vous êtes enfin là… Vous ne vous rendez pas compte de la situation… On a retrouvé un autre cadavre… et vous, vous jouez à cache-cache et…

Il se tourne vers moi pour me fustiger du regard, mais ses yeux injectés de sang aperçoivent Minao.

- Qui c’est çui-là ?- Minao. - Qu’il sorte ! Ce que j’ai à dire est confidentiel, aussi, dégagez !- C’est mon frère, Pernel et on peut lui faire confiance.

La voix de Brenton est lancinante et sereine.

- Ah ouais ! On dit toujours ça, puis on se retrouve avec une balle au milieu des deux yeux !

Merde ! Si Pernel sort des répliques dignes d’un cinéma catégorie Z, on est mal-barre  ! Il ferme les yeux et pousse un énorme soupir qui agite sa bedaine imposante. Depuis quand l’affiche-t-il ? Ca n’a pas l’air de s’arranger pour lui ! Son gabarit gigantesque paraît rapetisser d’un coup. Il a l’air d’aller vraiment mal. J’aurais presque de la compassion pour lui, si je ne le connaissais pas mieux. Il a dû être rat dans une autre vie. Il est le champion toute catégorie de la défile ! Dans son cas, c’est carrément Prix Nobel ! Croc, croc, croc.

- Bon ! De toute façon, avec le bordel qui arrive. La presse est sur la touche et moi aussi. Le grand chef va pas me rater ! Alors, foutu pour foutu… J’ai un dossier classé secret ici… Officiellement, je n’ai plus aucun dossier à vous donner pour « éclaircir » des cas insolubles. C’est une copie. Je n’ai pas la version papier et plus le temps. Faudra vous contenter avec.

Il jette un stick USB sur la table. Il stoppe près de l’énorme tasse de café. Bien visé ! Un peu plus fort et il se payait une dose de caféine ! Bravo !

- Je sais que vous… saurez faire le nécessaire. C’est un adieu, au cas où vous n’auriez pas pigé !

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Brenton se détache du mur. Croc, croc, croc. Le trognon est à deux coups de dents d’apparaître. Il se poste devant Pernel.

- Je peux vous donner les moyens de partir et de continuer votre vie ailleurs.- Je sais. Pas tout, Brenton ! Béranger a fait le nécessaire pour que je n’en sache pas trop. J’ai

accepté le deal, même si je vous ai jamais trouvé très net, Brenton ! J’espère juste que vous ferez rien de mal à la petite, hein. J’aimerais pas vous casser, Brenton !

Brenton hoche la tête. Il a une attitude réservée qui m’étonne un peu.

- Je ferais en sorte, Pernel.- Il vaut mieux ! Y a trop de choses moches dehors pour ne pas protéger les autres qui sont

belles.

Brenton hoche à nouveau la tête. Ils semblent se comprendre.

- J’y vais ! Le compte-à-rebours a commencé et je suis dans le collimateur.- Vous n’êtes pas obligé d’y être…- Si. D’une certaine manière. Des fois, il faut savoir en finir, un peu genre la fin justifie les

moyens.- Ils ne vont pas vous rater…- J’espère bien. Tant qu’à faire, vaut mieux que ça aille vite et franco ! Prenez bien soin de la

petite... Elle est coriace, mais pas comme… vous… Je me trompe ?

Pernel se tourne vers Minao toujours aussi impassible et vaguement amusé. Brenton a le regard qui scintille et le corps parfaitement immobile. Je me crispe. Pas de doute ! Pernel sait plus qu’il ne veut le dire. Brenton hoche la tête. Je me détends lentement.

- Bon ! J’y vais. Inutile de manquer les festivités, surtout lorsqu’elles sont en partie données en votre honneur.

Il ricane sinistrement. Je suis atterrée. Il a toujours été bizarre, mais là c’est pire ! Il fait une sorte de salut circulaire et sort du bureau. La porte d’entrée claque légèrement. J’ai la sensation que c’est la dernière fois que je le verrai et… Ça me fait tout drôle ! Je me tourne vers Brenton.

- Tu vas l’aider ?- On ne peut pas vraiment aider quelqu’un qui ne veut pas être aidé.- Ma grand-mère disait pareil… Mais s’il est limogé ou pire…- On choisit sa vie, mais quelquefois aussi sa mort.- Il ne veut pas vraiment… comme cela… mourir ? Enfin, je veux dire… socialement…

Croc, croc, croc. Le trognon y passe. Je soupire longuement. Merde ! Minao claque ses mains sur ses cuisses musclées.

- Bien ! Je me suis beaucoup diverti, mais je ne sais pas vous, ce petit morceau de plastique intelligent me tue de curiosité. Quelque chose me dit que c’est peut-être un atout supplémentaire pour nous !

52.

J’ai ouvert le dossier du stick USB dans l’ordinateur flambant neuf que Brenton a acquis il y a deux mois. Un client pas très heureux des conclusions de notre enquête – son épouse, mère de trois adultes vivants déjà hors de la maison familiale – qui démontrait que sa « douce moitié » entretenait deux liaisons avec deux jeunes hommes, simultanément et qu’elles ne rechignaient pas à se rendre dans des clubs échangistes, alors qu’elle disait aller dans des soirées avec sa meilleure amie. Nous savions que le client n’allait pas apprécier la teneur des infos, aussi Brenton se tenait en alerte. Pas

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suffisamment puisqu’il s’est lancé en avant et a flanqué l’ordinateur – écran et tour – par terre en hurlant de plus belle. Je n’ai pas réagi tant j’étais estomaquée. Aucunement le cas de Brenton qui a attrapé le type par le collet et l’a menotté à sa chaise pour qu’il se calme. Le gars est resté immobile pendant quelques secondes, en état de choc, puis a commencé à sangloter convulsivement. C’était encore pire ! Bref, on a fini par régler la situation au mieux – deux heures en tout et pour tout - et Brenton a acheté un mac avec un grand écran et disque dur incorporé. Le grand luxe ! Quant au client… Ben, on a laissé filer ! Avec une telle merde dans sa vie, qu’est un ordi écrabouillé ? On n’a pas eu de nouvelles, donc je peux penser que pas de nouvelles, bonnes nouvelles, non ?

Lukius est assis sur le large accoudoir de mon siège ergonomique, alors que Minao se tient près de moi, beaucoup trop près. Je ne bouge pas, je ne vais pas lui donner ce plaisir, mais… Bouh ! Je me sens devenir toute chose. J’ouvre le dossier et là c’est le foutoir. On voit que Pernel a téléchargé tout et n’importe quoi et dans le désordre, qui plus est. Il y a même des scans qui semblent à peine lisibles. Génial ! Tout ce que j’aime. J’ouvre plusieurs documents à en-tête de la Police Criminelle. Je les minimalise pour que chacun de nous puisse au moins en lire un. Avec leur vue, je ne m’inquiète pas, ils sauront parfaitement lire.

- Laisse-moi faire, ma toute belle ! J’adore les « foutoirs » à organiser. Quelque chose me dit que ce monsieur est loin d’être bête et qu’il a su exactement piocher dans les informations tous azimuts à sa disposition celles qui nous seront utiles.

- Mm !

Pas faux ! Malgré le brouillon qui semble être de mise dans le fichier global, quand on le regarde de plus près, on se rend compte que Pernel est vraiment un fin limier et très perspicace. Il a le don de savoir ce qui est important ou pas dans une situation ou dans ce qui se dit. De plus, il sait condenser et résumer à merveille, ce qui est appréciable. Il est juste bordélique pour la présentation. Mais bon… Si Minao aime mettre de l’ordre, qui suis-je pour le lui interdire ? Il se penche sur le clavier, apparemment, pour mieux voir ce que j’étale sur l’écran, comme s’il ne voyait pas bien avec un peu plus d’espace entre nous! Petit malin, va ! Les yengo ont une vue excellente ! Même moi, je sais ça ! Son avant-bras musclé frôle mon sein, puis la pointe qui se durcit rapidement. Je serre les cuisses, mon vagin s’humidifiant et palpitant. Il fait mine de ne rien savoir. Brenton grogne doucement. Minao a un sourire insolent, mais il ne bouge pas.

- Là…

Il montre du doigt un document officiel. Je reconnais le genre. C’est un compte-rendu du premier agent arrivé sur place. Il décrit ce qu’il a vu et ce qu’il a fait. Rien de très remarquable. La routine. Pourtant Minao semble avoir détecté quelque chose. Il a ce regard brillant qui nous incite à voir ce que lui voit. Je lis le texte – un PV- très concis, précis et clair. Non, vraiment, je ne vois rien de bizarre. J’en ai lu des centaines comme celui-ci depuis que je travaille à l’agence.

- Et toi, Brenton, tu ne remarques rien comme notre chère amie ici présente ?

Merci de le souligner ! OK, je ne suis pas très fute-fute toujours, mais bon, je m’y emploie. Brenton relève les yeux et regarde quelques secondes Minao, puis reprend sa lecture. Soudain, il plisse les yeux.

- Alors ? Tu y es ?- L’agent a déclaré qu’il avait remarqué sur le corps, au niveau du thorax côté cœur, un

« triangle d’étoiles qui ressemblaient à un tatouage, mais bizarre, parce que couleur chair et presque invisible ». Dans le compte-rendu du médecin-légiste, il n’apparaît nulle part ce détail.

- Persea.- Bingo !

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Brenton ferme les yeux. Je sens qu’il se tend comme une corde, son aura vibre et je vois son essence l’englober virtuellement. J’ai le désir de le toucher, mais je sais que c’est une très mauvaise idée. Brenton se reprend et arbore cette mine impassible qui m’impressionne toujours. Comment fait-il  ? Qui est Persea ?

- C’est sa marque. !

Brenton hoche la tête. Il a les mâchoires serrées. Minao ne le quitte pas des yeux. Je le sens tendu, prêt à bondir pour… Bon ! J’en mène pas large !

- Qui est Persea ?- La Guérisseuse. La Passeuse d’Ombres. La Mère de la Nuit. Elle a eu des milliers de noms

selon les légendes et les époques. C’est sa marque. On ne peut l’apercevoir que si la mort est récente, du contraire, aux yeux des humains, elle est invisible.

- Pourquoi cette marque ?- Elle purifie le corps et l’âme lorsque ceux-ci ont subi une mort violente, cruelle ou encore

injustifiée.- A priori toutes les morts semblent injustifiées…- C’est un point de vue très occidental et judéo-chrétien. D’autres époques et d’autres cultures

ne pensaient pas ainsi. La mort n’a pas toujours été une ennemie… mortelle pour l’Humanité d’aujourd’hui dans sa grande majorité!

Evidemment, quand on a un tel âge, on a l’atout de la distance et de la perspective. Comme un super historien ou Dico Universel ? Minao me fait une petite salutation du buste. Je lève les yeux au ciel en soupirant.

- Que fait-elle là ? Et si elle est là, elle sait pour Tremor et peut être…- Sa complice ? Non ! Du moins, pas la Persea que j’ai connue. Tremor a été son compagnon

voilà des millénaires. Elle a pu enfanter trois jumeaux en étant sa compagne, ce qui n’est pas surprenant chez les yengo. Il s’est passé certains évènements qu’il ne m’appartient pas de rapporter, mais Tremor s’est vengé en éventrant et éviscérant sa propre progéniture. Lorsque j’ai rencontré Persea, elle était au bord du gouffre, proche de sombrer dans la démence. La démence chez les yengo n’est souhaitable pour personne et encore moins lorsqu’elle provient d’une personne ayant les aptitudes et capacités de Persea. J’ai fait ce que j’ai pu alors en l’isolant et en la soutenant dans son no man’s land émotionnel. Sa souffrance était si profonde… Brenton est arrivé lorsque je me sentais prêt à baisser les bras, sans plus savoir que faire pour l’aider.

- Une personne qui ne veut pas être aidée ne peut pas l’être, disait ma grand-mère. - Une femme sage et compatissante…- Tout elle ! Mais continue…- Brenton est arrivé et il a su trouver ce qu’il fallait pour l’aider…- L’amour…

Je porte mes deux mains à la bouche. Oupsy dou ! J’ai encore raté l’occasion de me taire…

- Tu as raison, tramania… L’amour que j’ai ressenti pour elle, que j’ai eu pour elle a porté ses fruits.

- Pourquoi n’êtes-vous plus ensemble, Lukius ?- Nous n’avions plus d’affinités après un certain temps. Nous avons décidé de continuer à

exister chacun de notre côté.- Je vois.

Pas vraiment, mais bon, qui le peut dans les affaires de cœur ? De plus… Je veux vraiment savoir ? Non !

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- Mais si elle arrive sur le lieu juste après, elle pourrait aussi arriver juste avant la mort des victimes, non ?

- Non, ma jolie. Persea ne peut percevoir la présence de Tremor que lorsqu’il verse le premier sang de la victime. Elle peut retracer sa présence, mais pas complètement. C’est un peu comme si un GPS t’indiquait une petite ville où se trouve la rue que tu cherches, mais sans t’indiquer où elle se trouve exactement. Ce qui rendrait définitivement obsolète un tel appareil, bien sûr. Persea peut se trouver très rapidement à proximité de Tremor, mais jamais assez pour arriver à temps et empêcher la victime de mourir. La connaissant, je devine son angoisse et sa rage impuissante.

- Elle le suit toujours comme cela ou bien…- Ça c’est l’inconnue dans l’équation, tramania. Si mes soupçons sont justes, elle semble le

suivre à la trace comme nous. Pourquoi ? Persea suit des objectifs très particuliers qui dépendent de sa nature, ses essences et les aptitudes de ses fonctions multiples dans la Communauté des Outre-Vivant. D’une façon ou d’une autre, elle doit se douter que nous sommes également en lice sur cette affaire. D’une manière ou d’une autre, elle a compris bien avant moi que ce n’était pas Minao, mais Tremor qui était derrière tout cela, ce qui m’amène à penser qu’elle a eu vent d’informations qui me sont inconnues.

- Pourquoi n’être pas venue te trouver avant ? Après tout nous poursuivons un même but, arrêter Tremor.

- Oui et non, ma toute belle. Persea peut avoir un tout autre objectif qui viendrait contrecarrer le nôtre d’une manière ou d’une autre. C’est le pendant de l’inconnue de l’équation.

- Alors, on va faire comme si on ne savait pas qu’elle est sur le coup ?- Pas exactement, tramania. Plus maintenant. Persea ne se trouve pas dans un territoire

personnel.- Tu veux dire quoi ? Que c’est une « illégale » ?- Ce n’est pas comparable, bien qu’il y ait de l’idée. Disons que nous fonctionnons selon des

territoires où nous avons des privilèges en forme d’accès direct. D’une autre manière, la présence de certains ne peut être acceptée sur le territoire. Il y a des exceptions.

- Qui décide d’accepter ou pas ?- Un ancien des Outre-Vivant. Généralement, il s’agit de Glorios dans ce cas-ci.- Sait-il qu’elle est là ?- C’est l’une de ses filles, il doit le savoir, mais Glorios ne s’en mêlera pas pour lui interdire

l’accès. Il considère qu’il le lui doit pour ne pas en avoir fini avec l’existence de Tremor en ces temps lointains.

- Pourquoi ? - Parce que Persea le lui a interdit. Sur le moment, il a fallu une armée entière pour retenir

Glorios. Ils ont dû littéralement camper durant un long mois pour empêcher Glorios de faire un authentique massacre alentour. Certains s’en souviennent encore et en parle dans certaines réunions d’Outre-Vivant. C’est Mana qui a fini de le calmer. A notre connaissance, seul Mana le peut vraiment. 

- Mana ?- Un ancien vampire qui est plus que cela. C’est un vampire de naissance, autrement dit, il est le

plus puissant de cette nature. C’est aussi un grand chaman pour la Communauté des Outre-Vivant. Il vit majoritairement en Australie.

- Ah !

Je ne suis pas certaine de bien tout comprendre. Pour ce que j’en sais c’est comme d’être dans une légende vivante à titre d’invité d’honneur.

- Donc…

Minao me regarde, les yeux plissés et un sourire nonchalant au coin des lèvres. Il parcourt mon buste sanglé dans un pull semi-moulant que j’adore. Mon corps tressaille, mes cuisses se resserrent autour de mon vagin pour l’empêcher de palpiter douloureusement.

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- Donc… ma toute belle, nous allons éplucher ce dossier pour récolter tout ce que nous pouvons, puis il est temps que nous te présentions à l’un des fleurons de notre valeureuse nature, Dame Persea en personne.

Génial ! Tout ce dont je rêvais. Une petite réunion avec une ex super puissante !

53.

Il est près de minuit. Nous avons passé au peigne fin et plusieurs heures d’affilé le dossier de la clef USB. Pernel a fait un boulot remarquable, malgré le peu de temps qu’il a eu pour le faire. Je ne veux pas qu’il disparaisse du panorama comme cela. Je n’en ai pas parlé avec Brenton, mais si je connais bien « mon » homme, il fera quelque chose pour lui, en toute discrétion. Je le sais. Il a fait cela pour d’autres. Je ne sais pas au juste qui, mais Béranger avait un jour dit l’admiration qu’il portait à Brenton pour savoir « aider si efficacement » les gens. A l’époque le ton plus que le commentaire m’avait surpris. Aujourd’hui, je pense que je comprends ce qu’il voulait dire. Je me demande toujours si Béranger savait qui est Brenton, sa nature. Pernel sait quelque chose, c’est évident, mais Béranger ? Si les « humains » nous n’avons qu’une « nature » et pas d’ « essence », selon ce que j’ai compris des explications de Brenton sur les Outre-Vivant, c’est faux de le prendre au premier degré. Nous avons différentes natures selon qui nous sommes, même si tout cela reste sous une même enveloppe charnelle. Pas toujours le cas pour les Outre-Vivant, ce qui me laisse supposer qu’ils peuvent également avec des « natures et des essences » à l’égale de celles qu’ont les humains.

Je ne reconnais pas le chemin que nous prenons. Minao est resté très discret depuis que nous avons commencé le travail de prise de connaissances des documents. Il est assis devant, près de Brenton qui a pris une sorte de voiture ressemblant à une jeep, mais qui n’est pas vraiment une jeep. Le bruit du moteur est pratiquement inaudible et la couleur sombre doit le rendre une ombre mouvante dans l’obscurité. Je n’ai pas demandé le pourquoi d’un tel véhicule, il me semble que cela va de soi. Où on va, la discrétion est de rigueur ! Minao a décidé de se calquer sur la bagnole ? J’aimerais le croire, mais il arbore une attitude un peu trop concentrée à mon goût. Je pourrais demander où on va, mais si je ne connais pas l’endroit, à quoi bon ? Je verrais bien et ils peuvent toujours décider que je fais partie « à part entière » de cette équipée sauvage et me le dire. Un brouillon plus tard, Minao est assis contre moi. Merde ! Je n’ai même pas le temps de me surprendre.

- J’aime mieux être tout contre toi, ma jolie ! Et tes pensées sont toujours si amusantes…- TU essaies de rester en dehors de ma tête, Minao ! Je n’apprécie pas ce viol !- Ouh là ! Désolée… je ferai en sorte de ne plus m’immiscer dans tes pensées…- Ouais, sûr…

Il est si près de moi que je pourrais presque être sur ses genoux. Non ! Ne pas penser cela ! Et voilà ! Aussitôt pensé, aussitôt agi. Je me retrouve sur ses genoux avec la ceinture de sécurité nous encerclant, encore bien ! Quel con ! Mais… waouh ! Je me sens devenir toute chose et CE N’EST VRAIMENT PAS LE MOMENT, MERDE !

- Chuuuut… même si j’adore t’avoir comme cela tout contre moi, ici, il s’agit de protection. Assise sur moi, ta présence n’est pas perceptible.

J’ouvre la bouche, mais ses lèvres sont sur les miennes et sa langue fouaille la mienne qui ne reste pas inactive longtemps. Mon vagin palpite. Je le veux. Mes seins deviennent durs et lourds. Je veux ses mains sur eux à me palper, à me caresser, à me mordiller les… Je gémis dans sa bouche. Mon bassin danse sur ses cuisses jusqu’à se frotter contre son érection. Il écarte ses lèvres des miennes.

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- Tu ne vas pas me faciliter les choses et, en d’autres circonstances, j’apprécierais grandement, mais… S’il te plaît, essaie de te calmer… Nous arrivons et je ne veux pas que quoi que ce soit t’arrive.

Le ton de sa voix susurrante est sérieux et pressent. Je le sens en alerte, mais aussi divisé et aussi désireux que moi de nous unir. J’imagine que pour lui ce doit être encore pire que pour moi. Je sais qu’il y a en moi inscrite une acceptation de lui dans l’union que j’ai avec Lukius. C’est comme une évidence, un constat, même si j’ai aussi des réticences qui me tiraillent. Le poids de ma culture, de mon éducation et de quelques idées qui sont aussi hermétiques que des certitudes pèsent lourdement sur mon consentement maintenant tacite. Lukius n’a pas bronché, même si je le sais parfaitement au courant de ce qui se passe. Rien ne lui passe inaperçu, je l’ai maintes fois constaté, y compris à mes dépens. Je lui envoie une onde d’amour. Je ne veux pas qu’il pense, qu’il croit que…

- Rien ne pourra me faire croire autre chose que ce que je sais de toi et de nous, tramania. Ne te torture pas et suis les instructions de Minao au pied de la lettre. Il est le seul qui peut nous mener à Persea et à nous défendre d’elle, dans le cas où elle ne désire pas nous voir débarquer !

J’hoche la tête, ce qui est d’emblée idiot, mais je suis encore un peu… étourdie. Je regarde par les vitres teintées et sans doute à l’épreuve des balles. Mais pour les yengo, les balles sont efficaces ?

- Pas vraiment, mais elles nous handicapent sérieusement. Il vaut mieux utiliser un missile, c’est plus efficace !

La voix ronronnant de Minao me glissent les mots au creux de l’oreille. Il plaisante, non ?

- Nous sommes arrivés. Brenton va sortir pour repérer le terrain alentour. Normalement à cette distance, nous ne risquons rien. Dès que cela sera fait, nous sortirons et nous irons au-devant de Persea.

- Tu sais où elle habite ?- Non. Mais je peux retracer ses allées et venues et la débusquer. - Ah ! Et elle sait où nous habitons ?- Autant que Tremor, mais jamais avec certitude. Nous savons brouiller les pistes et effacer

presque totalement nos traces. C’est ce « presque » que je peux suivre.- C’est l’une de tes capacités ?- On peut le dire comme cela. Même si tous les yengo, y compris, les hybrides savent le faire

dès leur plus jeune âge. C’est une question de survie, tout simplement.

Je ne saisis pas tout ce qu’il me dit. Je n’ai jamais dû brouiller les pistes ou effacer mes traces. Enfin si, mais seulement lorsque je piquais des bonbons ou des biscuits, il fallait que je fasse attention à bien remettre le tout à la même place sinon je me faisais sonner les cloches, mais ce ne doit pas être pareil  ! Ou si ? J’essaie de voir où nous sommes, mais ce n’est pas facile avec les vitres teintées et l’obscurité extérieure. J’ai l’impression que nous sommes dans une allée carrossable d’un immense parc ou bois. Bruxelles, encore ? Bois de la Cambre ? Forêt de Soigne ? Sans doute. J’espère qu’ils savent.

- Nous allons descendre. Dès que je serai dehors, tu grimperas sur mon dos. J’ai plus de capacité que Brenton pour t’occulter. Le Krouna fera son travail, mais ce n’est pas suffisant lorsqu’il s’agit de Persea. Tu te presses autant que tu peux contre moi, tu m’encercleras la taille avec tes jambes. Je vais mettre un filet énergétique autour de toi pour te soutenir. Ne bouge à aucun moment, quoi que tu perçoives…

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- Ne vaudrait-il pas mieux qu’elle reste ici…- Va-t-elle restée ici ? Resteras-tu ici si nous te le demandons, ma jolie ?- Non ! J’aime mieux pas. Je veux tout savoir…- Tu as ta réponse, vieux frère.

Un brouillon plus tard, Brenton est sur le siège arrière à côté de moi. Il me prend le visage et m’embrasse à pleine bouche. Mon désir oscille et s’étend dans tout mon corps. Je suis toujours sanglée à Minao et je le sens durcir sous mes cuisses. J’ai tellement envie… Brenton pince mes tétons, les tapote, les étire. Je gémis. La main de Minao s’insinue dans mon pantalon et titille mon clitoris, raclant un ongle dessus. Un doigt s’insinue alors que son autre main frappe du bout des doigts mon clitoris. Mon gémissement se transforme en cri dans la bouche de Brenton. L’orgasme explose soudain. Les vagues se succèdent sans fin. Je retombe contre le torse de Minao. Sa main apaise la brûlure et les palpitations de mon sexe. Brenton caresse mes seins lentement. Je recouvre un peu de sérénité. Il libère ma bouche de la sienne.

- Maintenant, nous pouvons y aller, tramania.

54.

Lorsque nous sortons dans la froidure de la nuit, je suis à peine remise de mes orgasmes. J’avais bien entendu parler d’orgasmes multiples, mais je pensais que c’était propre à des situations porno ou de la littérature en général, bref un conte à dormir debout. Ben, va falloir que je révise sérieusement mon Kâma-Sûtra avec sous-titres et images incorporés, parce que j’avais tout faux ! Ou alors je ne connais pas aussi bien mon corps ou ma libido comme je le pensais. Bref, encore! Peu importe… je recommande à donf ! Je ne vois rien ou presque alentour tant il fait sombre. Mes yeux s’adaptent lentement. Mes compagnons n’ont aucun mal à marcher d’un pas silencieux et rapide entre… fourrés, branches, taillis, branchages, arbres, talus ? Je ne sais pas trop. Juste que c’est en pleine nature. Curieusement, d’être sur le dos de Minao est plaisant. Je n’ai pas l’impression d’être sur son dos, cette position malaisée qui demande une somme considérable de crispations musculaires pour qu’on puisse tenir comme cela. Non. Je me sens totalement soutenue, sans effort et c’est vraiment bien. J’imagine que les bébés ressentent la même chose que moi. Ce filet de contention ou je ne sais plus comme il l’a appelé est vraiment génial ! C’est clair, je vais demander à être sur le dos de Brenton très souvent. Puisque mes yeux sont peu opérationnels, mon ouïe devient extrêmement sensible. Je n’imaginais pas que j’avais cette capacité. De fait… j’entends tout avec une clarté inquiétante. Le bruissement des feuilles agités par des courants d’air légers, le bruitage des troncs qui craquèlent, des sortes de gémissements émanant d’animaux, des soupirs de terre lorsqu’on passe sur une déblayée de sa végétation, une gamme surprenante de bruitages et d’autres sonorités qui m’émerveille et me fout la chkoumoune totale ! Tout un assortiment de sons étranges qui forment une symphonie apparemment disparate, mais totalement en harmonie. Mon odorat est également plus sensible. Des odeurs fortes, humides, spongieuses et d’arômes fermentant assaillent mes narines au fur et à mesure qu’on avance à pas diligents. J’inspire à fond, essayant de déterminer à qui ou à quoi correspondent ces odeurs. Peine perdue ! Je suis une citadine à part entière et le mieux que je puisse faire en matière d’odeurs végétales est ce que je sens de bouquets de fleurs que j’ai reçu et comme celles-ci viennent immanquablement de serres industrielles… J’aime ces odeurs. J’ai l’impression de me sentir… revivre  ! La température extérieure est d’un froid humide et caillant, typique de la Belgique. Je ne la sens pas ou presque pas, je n’ai conscience que de la chaleur… animale que dégage Minao et… j’adore !

Nous arrivons à l’orée d’une petite clairière au milieu de la nature. Il y a plusieurs sentiers bien délimités qui partent de là. Minao se tend légèrement sous moi. Il scanne les environs. Je peux presque sentir comment il emmagasine tout ce qu’il voit, perçoit et procède à l’analyse de ces données. J’ai bien vu comment il fonctionne, pas seulement à l’instinct, mais aussi à l’étude drastique de tout ce qui se passe autour de lui, genre super radar. Il est encore pire que Brenton. Dire que rien ne lui passe inaperçu est un euphémisme ! Nous prenons un des sentiers balisés par des « trottoirs » herbeux

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délimités par des blocs de bétons alignés les uns après les autres dans un ordre précaire. Il y a un peu plus de clarté. Je suppose que c’est le fait qu’il y ait moins de végétation ou alors qu’on approche d’une zone peuplée. Difficile à dire. Je ne bouge toujours pas, mais ce n’est pas gênant. Les odeurs sont plus neutres ici, presque citadines, autrement dit, ce que je ne sens plus « naturellement », habituée que je suis de vivre en ville. Les sons sont atténués comme s’ils savaient leur règne en passe d’être rejetés dans la touffeur des bois environnants. Le silence est assourdissant pendant que l’on s’éloigne rapidement de la nature semi domestiquée. Des véhicules sont rangés dans certaines portions de chemins peu éclairés. Il y a bien quelques lampadaires, mais disséminés à des distances insolites. Peut-être ne sont-ils là que pour éclairer des zones d’habitations particulières… Je ne distingue pas les maisons, mais je sens qu’elles sont là, assoupies, en stand-by pour certaines. Ca dort ferme alentour !

Nous approchons de plus en plus lentement d’une maison. Elle semble grande et spacieuse. Aucune lumière. J’imagine que nous sommes arrivés à destination. Même s’il est très agréable d’être dans ma position de « grand bébé attaché au dos de papa », j’aimerais autant être sur mes deux pieds maintenant ! Un brouillon plus tard et un air particulièrement frais m’englobant durant le mouvement véloce, nous nous retrouvons dans un salon ample, divinement décoré et d’une simplicité qui chlingue le luxe à plein nez. Rien à redire ! La personne qui a agencé cette pièce a un goût exquis et sobre. J’apprécie vraiment. Je regarde tout avec une curiosité émerveillée, sans me rendre compte que nous ne sommes plus seuls. Pour l’art de l’observation, je repasserais, sûr  ! Une femme est appuyée contre le chambranle. Elle porte une sorte de caftan mordoré et noir et avec un peu d’imagination, je ne vais pas tarder à lui voir tenir entre ses longs doigts fins et déliés un porte-cigarette en or. Plus je la regarde, moins je sais la décrire, mais plus elle me paraît magnifique et sobre, à l’image de son salon. Je sais maintenant qui est la décoratrice. Félicitations !

- Voilà une visite inespérée, Minao et Lukius et… pouvez-vous me présentez cette charmante humaine ? Je reconnais bien là ton sens de la prudence, Minao, mais tu devrais mieux me connaître et savoir que je suis au-delà de tel subterfuge ! De plus… nous sommes vraisemblablement dans la même bande.

Minao a un bref ricanement élégant.

- Tu n’as jamais eu qu’une seule bande, la tienne. Quand a cette « charmante humaine », elle est parfaitement bien là où elle se trouve.

- Je note, avec énormément de peine, que tu n’as pas confiance en moi.

Minao éclate de rire avec un amusement jovial qui me fait sourire, même si la situation ne s’y prête guère. Il y a autour de… Persea, je suppose… une aura de danger et de puissance qui me fait friser les poils des bras. Minao cesse de rire, mais je le sens sourire. Dire que je croyais Brenton le Dieu du flegme !

- Allons, ma chère Persea, ce ne serait guère prudent de ma part de te faire « entièrement » confiance.

- Sage de ta part, mais vexant…- Je m’en excuse, très chère… Trêve d’amabilité… Tu te doutes du pourquoi de notre présence.- Bien évidemment ! Cependant… j’aurais préféré que vous restiez en dehors de cela. Et

Glorios également.- Oh ! Tu prétends pouvoir empêcher Glorios de se mêler de ce qu’il désire se mêler ? Voilà qui

est fort courageux de ta part ou… suicidaire. De plus, il ne m’appartient pas de le conseiller sur ses faits et gestes, tu ne crois pas ?

Persea se détache élégamment du chambranle et avance jusqu’à Minao d’une démarche lente et chaloupée. Cobra ? Fascinant ! Elle sourit légèrement à Minao, puis se penche sur le côté et me regarde fixement. Elle a un regard… insoutenable de beauté. Les couleurs de ses yeux sont étranges et semblent miroiter et onduler. Je déglutis fortement. Je ne sais pas de quelles couleurs ils sont, mais cela m’attire.

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- Bonsoir… En d’autres circonstances, j’aurais été ravie de vous accueillir comme il se doit dans ma modeste demeure, mais il semble que vous ne soyez pas présente actuellement parmi nous…

J’ouvre la bouche et la referme. Je suis censée dire quoi ? Brenton s’approche et reste à deux pas d’elle, ne la quittant pas des yeux. Elle détourne le regard.

- Lukius… voilà bien longtemps. Tu as toujours un goût exquis pour choisir tes compagnes, même si celle-ci semble si fragile… Je vois ce que Tremor lui trouve.

Je me sens tout à coup comme Frodon lorsqu’il s’est vu emmailloté dans la toile de l’araignée géante. Impuissante et en état de choc complet ! Minao se recule et Brenton fait un pas supplémentaire envahissant l’espace privé de Persea. Elle ne bouge pas, provocante, magnifiquement létale. Puis elle rétrocède doucement comme lorsqu’on se retrouve devant un prédateur particulièrement violent et dangereux. Glups ! Flippant à donf ! Minao a augmenté le filet d’énergie autour de moi et je sais que je suis en sécurité, quoi que… Elle s’arrête à deux mètres de nous. Brenton pose sa main sur mon dos. Sa chaleur m’irradie complètement. Je le sens sur le point de rompre sa patience, ce qui n’est jamais bon.

- Je te conseille d’arrêter ce petit jeu. Bande ou pas, nous avons un problème plus important à régler. Et tu ne désires nullement que Glorios ou l’un des Anciens des Outre-Vivant commencent à s’intéresser d’un peu trop près à cette histoire. De plus… tu as besoin de notre aide. Jusqu’à présent, Tremor est toujours un pas devant nous, mais il se peut que nous arrivions à le mettre au pas, autrement dit, au nôtre.

55.

Persea est restée immobile pendant une éternité. Enfin, c’est l’impression que j’ai eu. Elle semble si puissante et si… violente. Le pire, on ne voit rien, mais c’est comme la quintessence de la violence. J’ose à peine respirer, mais je dois le faire sinon… Bouh ! Toute cette situation commence à me courir gravos ! Bon ! Ils ont leurs manières, c’est respectable et tout ça, mais merde ! Faut-il que je me sente toujours aussi en porte-à-faux avec tout ça ? Le porte-bébé versus adulte commence à devenir pesant. Je ne vais pas tarder à péter un câble, yengo et Outre-Vivant ou pas  ! Minao me regarde par-dessus son épaule et je sens son aura m’envelopper tendrement. Brenton se poste derrière moi et me soutient de tout son corps. 

- Courage, tramania, si nous pouvions nous fier entièrement à elle nous le ferions, mais dans le doute, il vaut mieux s’abstenir.

- Pourquoi ?- Elle n’a qu’un geste à faire et nous serons certains

de ses bonnes intentions à notre égard.- Est-elle naturellement traîtresse ou…- Il ne faut jamais sous-estimer, surestimer ou

mésestimer une personne.- Moui !

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Il m’embrasse sur le haut du crâne tout en m’insufflant un peu de son énergie. Je soupire profondément. Bon ! S’il le faut… Persea nous vrille de son regard si particulier. Je déglutis. Sa magnificence est parfaitement létale et subjuguante. Je me sens attirée et horrifiée à part égale par elle. Elle sourit et je frisonne.

- Suivez-moi !

Elle sort de la pièce sans nous attendre, ni même s’assurer que nous la suivons. Minao se place derrière Brenton qui reste sur ses gardes. J’applaudirais bien à leur prudence si j’avais les mains libres, mais… Nous dépassons plusieurs pièces obscures, plusieurs portes. Le long couloir à peine assez large pour que deux personnes l’enfilent épaule contre épaule est en semi-pénombre. C’est d’un lugubre ! Elle s’engouffre dans une pièce. Brenton s’arrête sur le pas de la porte et ses sens scannent tout ce qui entoure l’entrée du lieu. Un piège invisible ou magique ? La pièce est un vortex ou un trou noir ? Minao a un petit rire étouffé ! Heureuse que quelqu’un s’amuse ! Il me tapote les fesses gentiment et je grogne tout bas ! Connard ! Attend que je me libère et tu vas voir comment je vais te « tapoter » les fesses, tiens ! Minao rit encore, se gardant bien d’émettre toute parole ! Le sagouin ! Brenton se tourne vers nous et fusille des yeux Minao qui rit de plus belle ! J’te jure !

- Entrons ! Et arrête de faire l’idiot ! Persea n’a jamais eu le sens de l’humour et le tient empeste vraiment !

- Oups ! Tu viens de me fendre le cœur, grand frère !

Brenton soupire et pénètre dans… l’antre du diable ? Wep ! Vu trop de films de mauvaises qualité, m’est avis ! La pièce est assez moyenne. Elle n’a pas de fenêtre, ce qui ne me surprend pas, puisque je repense à une chambre dans la demeure de Brenton. Lorsque celui-ci m’a dit que je pouvais fureter dans la maison autant que je voulais, je l’ai pris au mot. Je suis partie en visite lambda, ouvrant les portes, entrant dans les pièces, sentant tout ce qui fait l’atmosphère d’un lieu. Certains endroits de la maison me plaisent plus que d’autres. Les couloirs tantôt étroits, tantôt larges m’ont donné la sensation d’un vrai labyrinthe. Arrivant dans un coude d’un de ces longs couloirs, je suis tombée sur une porte. C’est assez étrange et je ne m’y attendais pas. Contrairement aux autres pièces, j’ai tout de suite senti que je ne voulais pas entrer là-dedans, indépendamment de ce qu’il y avait derrière. J’ai pensé à un lien énergétique qui m’écarterait de cette porte en me donnant ce désir de ne pas passer le seuil, mais je voyais bien que ce n’était pas cela. Alors quoi ? J’étais presque décidée à passer mon chemin lorsque Minao m’a soufflé au creux de l’oreille.

- Que décides-tu ? Ce suspense risque de me casser !

J’ai à peine sursauté et je subodore maintenant que c’est parce que j’ai su qu’il était là. Un instinct, si on peut dire, a détecté se présence. Un bon point pour moi, je crois  ! La pièce était spartiate comme celle-ci et je me souviens m’être dit que c’était étrange surtout venant de quelqu’un comme Minao qui a tout d’un dandy moderne.

Je regarde autour de moi. Spartiate est bien le terme. Un lit d’appoint, une table, trois chaises, un fauteuil à bascule – bizarre – et un meuble, genre commode, des plus usuels. Les murs sont chaulés, ce qui est également étrange et pas de fenêtre. Minao se tourne un peu et je vois un immense tapis mural qui semble très ancien. Les dessins sont incompréhensibles, comme s’ils reflétaient un autre monde ou une autre dimension, ce qui est peut-être le cas. Qu’est-ce que j’en sais ? J’ai à peine le temps de m’habituer à l’endroit et à la situation que Minao met un genou en terre, en ployant dans un certain angle l’échine et en tendant la main gauche, la paume largement tendue, doigts écartés. Je regarde Brenton qui est près de moi et il fait de même. Je me demande si je devrais faire de même quand je me souviens que je suis en position de grand bébé harnaché. Bien ! Au moins je ne dois pas prendre de décision. Je comprends mieux l’espèce de sérénité bovine qu’arborent certains mioches  ! C’est reposant de se laisser porter ! Si, si je vous assure, vous devriez essayer… Je jette un regard furtif sur Persea et je sursaute. Celle-ci paraît plus grande et surtout plus… bestiale, mais d’une belle animalité, de celle craint et admirée dans la nature. Je frémis longuement, me disant que Minao a bien fait de continuer à me porter. J’ai comme l’impression que Persea serait capable de ne faire qu’une

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bouchée de moi ! Elle a les deux paumes aux doigts écartés qui sont au-dessus de celles de Minao et de Brenton. Je vois une sorte d’énergie purpurine émaner de ses paumes et se mêler à une autre énergie plus pâle émanant des paumes de mes deux compagnons. Une sorte de synergie s’instaure me faisant plisser les yeux comme s’il y avait eu un éclair. La puissance concentrée ainsi générée me fait trembler incoerciblement. Persea retire ses mains et fait un pas en arrière. Ses yeux fulgurent littéralement comme ceux de Brenton et de Minao. Je déglutis fortement tout en continuant à frissonner violemment. Persea fait signe aux hommes de s’asseoir alors qu’elle prend place dans le rocking-chair. Il semble usé, mais d’aspect doux et commode. Durant une fraction de seconde, elle m’apparaît comme une mère. Mater dolorosa ? Peut-être et c’est flippant à donf ! Brenton me détache de l’appareillage pour bébé adulte dans lequel je suis emmaillotée et me prend doucement contre lui. J’ai le corps un peu courbaturé, mais moins que ce que je craignais. Minao vient me frictionner les membres avec dextérité et mon désir pour lui s’éveille et pulse. Je rougis violemment. Brenton me serre contre lui et j’enterre mon visage dans son large torse.

- Très touchant ! Sait-elle la chance qu’elle a ?- Elle le sait sans aucun doute…

Brenton la regarde fixement. Elle a un sourire doucereux.

- Pourquoi m’avez-vous retiré le harnais ?

La question m’a échappé, comme tout ce qui m’arrive dernièrement d’ailleurs !

- Tu es en sécurité ici.- Pourquoi ?- C’est la pièce privée et exclusive de Persea. Nul n’entre ici si elle ne le désire pas.- Une sorte de terrier ?- L’idée est un peu primaire, mais oui, tramania. C’est un privilège et aussi un gage de

confiance.- Je vois…

Je me souviens de l’autre pièce et je comprends mieux. C’est un peu comme ces chambres secrètes que l’on trouve encore, sans doute, dans des châteaux-forts et qui servaient à occulter quelqu’un en cas d’assaut d’ennemi. Comment les nommait-on déjà ?

- Des trous de prêtre…

Je me tourne vers Minao qui semble avoir suivi de près les circonvolutions de mes pensées. Génial  ! Tout ce que j’aime, un voyeur mental ! Le crétinisé du bulbe me fait un ersatz moqueur de révérence ! Je soupire bruyamment. Persea me regarde fixement, promenant son étrange regard lumineux et kaléidoscopique sur moi en dedans et au dehors et je flippe à donf ! On dirait qu’elle me scanne, mais aussi qu’elle a envie de moi comme si… Elle est bi ?

- Nous le sommes tous, plus ou moins, petite humaine !

Merveilleux ! Mon cerveau est une place publique ! Je devrais peut-être mettre un prix d’entrée, je gagnerais peut-être quelque chose… Persea fronce les sourcils. Il faut croire qu’elle n’a vraiment pas le sens de l’humour ! Wep ! Les choses s’améliorent au fur et à mesure que la nuit avance, sûr !

- Cela suffit ! Il est temps de parler stratégie. Je te suis reconnaissant de nous accueillir dans ton « abanka », mais cela ne doit pas te permettre d’outrepasser les prérogatives de bienséance.

- Toujours aussi juste en tout, Lukius ! Tu m’as manqué… - Pas toi, Persea !

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Persea a un petit rire rauque qui me fait frissonner. C’est tellement sexuel. Je déglutis fortement. Brenton me serre contre lui, alors que Minao me prend les mains doucement et me les masse. Je me sens automatiquement protégée. Du coup, je me dis qu’être dans le harnais pour bébé adulte n’est pas si mal…

56.

- Depuis quand suis-tu Tremor ? Et que sais-tu de ses objectifs ?

Brenton ne perd pas de temps. Il pose ses questions comme il le fait toujours avec précision et un sérieux immuable. J’admire cela en lui. Rien ne peut le distraire quand il est concentré. Il me lance un bref regard de côté comme pour démentir mes pensées. OK ! Il semble que je suis assez bonne pour le distraire. Je ne sais pas si c’est bon ou mauvais, mais Brenton a l’air d’apprécier cela en moi. Vaut mieux ! Un Brenton fâché est un Brenton qui me fout la terreur à donf ! Persea se balance mollement dans son siège et c’est hypnotique. Tout chez elle semble sinueux comme un serpent. Je ne sais pas si je déteste les serpents, il y en a peu qui circule librement à Bruxelles.

- Depuis près de quarante-sept semaines…

Ça fait combien ça ?

- Dix mois, vingt-quatre jours, sept heures et douze minutes.

Je regarde Minao avec la bouche grande ouverte ! Mince ! Il est plus rapide qu’un ordi ou une calculette. Un don particulier ?

- On peut le dire comme cela… Les mathématiques sont un passe-temps très agréables quand on a l’éternité devant soi !

Wep ! A voir ! Je n’ai jamais eu la bosse des maths ! Beurk ! Bonjour l’enfer ! Il a un rire bas qui me rend toute chose. Brenton nous lance un regard glacial. Glups ! Concentration et tempérance ! Il se tourne vers Persea qui a un regard… lubrique ou affamé ! Bouh !

- Et que sais-tu de ses objectifs ?- Pas grand-chose ! Tremor a toujours su occulter ses projets. C’est une de ses essences plus

celle d’effacer ses empreintes.- Qui ou quoi t’a mis sur sa trace ?- Je suis toujours sur sa trace, ne fut-ce que pour ne pas le perdre de vue. Tu sais ce qu’il a été

pour moi et ce dont il est capable.- Oui. Mais tu ne réponds pas à ma question…

Persea vrille son regard sur Brenton comme si elle pensait à ce qu’elle devrait nous dire ou nous taire. C’est mal connaître Brenton qui ne lâchera pas le morceau tant qu’il n’aura pas toutes les réponses à ses questions.

- Il s’est attaqué à une de mes protégées…

Brenton et Minao sursautent violemment.

- Quand ?- Il y a un siècle et demi.- Pourquoi ?

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- Il aime jouer au chat et à la souris.- Oui, mais cela ne réponds pas à la question, Persea.- Parce qu’elle ressemblait à ma petite !

Persea a hurlé la phrase. Une vague d’énergie souffle sur nous comme une rafale orageuse. Brenton et Minao se placent de façon à me protéger entièrement. L’air crépite autour de moi et c’est flippant à donf !

Une petite éternité plus tard, l’air se stabilise, moi pas ! Waouh ! C’était quoi ça ? Persea a repris sa place dans le rocking-chair comme si de rien n’était. Brenton me soutient, mais plus lâchement et Minao se tient près de moi, mais il ne quitte pas des yeux Persea.

- Je suis désolé, Persea.- Merci. Je vous prie d’accepter mes plus plates excuses. La fureur est un état permanent en

moi, lorsque je pense à cette petite qui ressemblait tant à la nôtre. Je n’ai pas cessé de le traquer depuis, mais il sait si habilement s’occulter que j’ai souvent perdu sa trace. Il a commis plusieurs méfaits, mais avec les temps qui ont couru au siècle dernier, ce n’était pas si évident de retrouver sa marque criminelle. Lorsque j’ai enfin pu la retrouver le mal était fait. Curieusement, il a changé son modus operandi. Cela m’a confondue et fait perdre du temps. Ce qui m’a également fait perdre du temps, c’est le dispositif policier mis sur pied  ! Et vos enquêtes parallèles ne m’ont guère aidé. J’ai d’abord pensé que c’était un yengo, un des anciens qui avait perdu la tête, puis j’ai compris qu’il s’agissait bien de Tremor.

- Pourquoi n’as-tu pas pensé que c’était Minao ?

Persea éclate d’un long rire cristallin qui me fait froid dans le dos. Le rire s’arrête abruptement alors qu’elle affiche un sourire tordu et lumineux.

- Allons, Brenton, tu me connais suffisamment pour savoir que nul camouflage ne peut me confondre. J’ai su que c’était lui dès que j’ai pu sentir une de ses victimes. De plus, la manière qu’il a d’occulter sa trace est très spécifique. Il a toujours été le meilleur à l’exception de Glorios.

- Oui, tu as raison. Je n’y ai pas pensé. - Tu t’es humanisé trop longtemps, tranme (petit rusé)…- Sans doute. Je crois qu’il est temps que tu nous aides. Jusqu’à présent nous ne sommes nulle

part.- Nulle part est un peu vite dit, Brenton ! Nous avons suffisamment d’indices pour savoir

comment il opère et ce qu’il choisit pour ses tueries.- Oui, mais cela ne nous amène nulle part ! Tout au plus avons-nous de vagues conjonctures,

mais quid de son prochain mouvement, de sa prochaine victime ? Rien ! - Allons, allons, du calme, partenaires. Minao a raison. Pour ma part, j’ai pu arriver sur les

lieux, mais toujours trop tard. Je pense que nous pouvons unir nos informations et trouver un point d’appui.

- Un point d’appui ? Voilà longtemps que je n’avais pas écouté ces mots !- Heureuse qu’il t’apporte du plaisir, Brenton ! Si vous le voulez bien, nous allons prendre place

ici…

Elle fait se soulever la lourde tapisserie murale et une sorte de grand tableau blanc apparait avec une foule d’informations et de photos. On dirait un QJ militaire, ce qui me paraît encore plus bizarre. Minao me serre la main et me sourit.

- Elle a été un des plus grands stratèges dans les temps anciens. Redoutable, aussi. - Ah !

Nous nous levons et nous plaçons devant le grand tableau. Minao et Brenton englobent tout en quelques regards. Il m’en faut plus. Bigre ! Ça c’est du taf bien fait !

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57.

La bonne nouvelle d’être encore en ce moment éveillé à cinq heures du matin, c’est que je n’ai plus besoin d’être sur le dos de Minao. La mauvaise, c’est que je crève d’envie de m’allonger n’importe où pour pioncer ferme. D’ailleurs si je devais faire un débriefing complet sur la réunion avec la grande méchante super belle et les deux super beaux à se faire des infections oculaires, ce serait la cata. Je me demande même si je n’ai pas pioncé en loucedé et de manière chronique durant les heures précédentes. Sûr que j’ai zappé pas mal et la preuve, j’entendais des choses qui ne semblait pas se connecter entre elles, genre : « un filet de sécurité est nécessaire à certains endroits » avec « inutile de se préoccuper pour garder sécure les lieux ». Ce qui à priori est contradictoire, sauf si entre j’ai zappé la majeure partie du plan discuté alors. Heureusement, les trois grands stratèges n’avaient pas besoin de mes lumières, tant mieux, je carburais plutôt en pleine obscurité. Super la partner ! Mais bon, aux dernières nouvelles, je suis toujours une « petite humaine », donc pas vraiment Super Woman ! Pour le reste… Il y a eu une discussion furibarde au sujet de moi. J’ai pas tout saisi, il causait dans un idiome complètement étranger. Je ne sais même pas s’il existe toujours à part pour eux trois actuellement. C’était assez guttural et profond à l’oreille. J’ai juste pigé : Vinouha…. Et rien d’autre. Mais en faisant les raccords, parce que je suis tout de même encore une détective privée, il devait parler de mon implication dans la chasse au vilain yengo en tant qu’appât. Persea a eu un sourire particulièrement prédateur et désagréable à mon encontre, sûr que cela la ravit de me voir de ce mode-là. Brenton était presqu’incandescent. J’ai eu peur qu’il fume par les oreilles ! Flippant ! Minao est resté zen et médiateur. Ça lui va super bien, ce qui me fait penser qu’il a dû être diplomate à certains moments de son existence. Il l’est peut-être encore, qui sait… Je n’ai pas compris la conclusion de l’algarade, mais je me doute qu’on en a pas fini, d’autant qui je pense avoir mon mot à dire sur la question. Tremor a plusieurs longueurs d’avance et on ne peut pas, malgré toutes leurs conjectures et autres plans de bataille, la certitude de quand et où il va frapper. D’autres meurtres sont vraiment inenvisageables, sous peine de se trouver dans un état d’alerte qui favorise les erreurs tactiques, psychologiques et humaines, ce qui est propice aux dommages collatéraux. D’une façon ou d’une autre, je reste le meilleur atout dans cette affaire. Tremor me veut, soit parce que j’ « appartiens » à Brenton, soit par pur plaisir de la chasse, mais il me veut. Quelqu’un comme lui ne peut comprendre les relations sentimentales qu’en termes de possession et de domination. Cela m’étonnerait qu’il voie ma relation avec Brenton, en tenant compte de nos natures respectives et nos autres spécificités, autrement que comme « Grand Fort et Méchant Brenton » tient sous sa coupe « petite humaine fragile, vulnérable et imbécile » avec sexe incorporé, cela va de soi. Hors, si je suis certaine d’une chose c’est que j’aime Brenton, que lui aussi et que nous nous respectons suffisamment pour éviter ce stuut de dominant-dominé. Si je dois « appartenir » à quelqu’un, ce sera à moi-même. Pour le reste, je veux croire que j’aime librement et que l’on m’aime pareillement.

- Waouh ! J’aime ta façon de penser, ma jolie…- Moi aussi, tramania et je t’aime aussi…

Je rougis violemment. J’oublie toujours qu’ils peuvent avoir accès libre à mes pensées, surtout formulées et elles le sont souvent. De plus si je suis sur un mode émotionnel, c’est encore plus facile pour eux d’y avoir accès. Ils vont devoir m’apprendre à déposer un système de verrouillage pour qu’ils ne puissent pas pénétrer dans celles-ci comme cela, sans mon consentement. Pas que j’ai honte de ce que je pense, mais bon, privé, c’est privé, non !

- Nous le ferons, ma toute belle. Je me ferais un plaisir de le faire...

La voix de Minao pénètre en moi avec une intensité très forte et réveille mon désir. Il semble que je ne suis vraiment pas immunisé contre lui. Tant mieux ou tant pis ? Je suis crevée ! J’aimerais bien m’asseoir quelque part, au moins. Je n’avais pas compris que nous étions si loin du véhicule. Avant de

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terminer de penser, Brenton me prend dans ses bras et tous deux partent dans un galop qui fait siffler le vent à mes oreilles. Waouh ! Ça c’est du sprint ! Quelques minutes plus tard, je suis couchée dans la voiture et je soupire d’aise. Brenton m’embrasse sur les lèvres avec tendresse en me caressant les cheveux. Minao m’embrasse à pleine bouche en me passant la main sur les cuisses, histoire, je suppose de ne pas assoupir mon désir naissant. Satané obsédé !

Durant le trajet du retour, je somnole, pas assez pour endormir mes sens, suffisamment pour me souvenir de certains des plans pour capturer Tremor. L’un d’eux me paraît risqué, mais faisable. Ils ont décidés de prendre dans un filin de contention énergétique – ne me demandez pas ce que c’est, j’en sais que dalle, sauf que c’est yenguiste en plein – deux sbires de Tremor. Il semble que Persea a pu repérer une partie de l’équipe de Tremor, d’autant qu’elle n’est pas visible, ni même repérable par ces derniers ni par Tremor lui-même, d’après ce que j’ai compris. Dès qu’ils les auront, ils feront en sorte de leurs faire cracher des infos importantes, mais de façon à ne pas alerter à aucuns moments Tremor. Le hic du plan, c’est qu’il s’agit des deux hommes de confiance de Tremor qui sont avec lui depuis quelques millénaires. Ils ne sont pas faciles à appréhender de part leur longévité et leurs capacités, mais en plus ils sont liés à Tremor de telle façon que s’ils tombent, Tremor le saura immédiatement. Cependant, Persea pourrait avoir trouvé un moyen qui marcherait. Je l’espère. Un combat yenguiste, c’est au-dessus de mes forces ! Black-out !

58.

Je me réveille en sursaut. J’ai encore pioncé ! C’est dingue comme je suis crevée dernièrement. Une fatigue saisonnière ? Le stress ? Peu importe. Je suis… dans mon lit. Avec tout ce qu’il faut faire, il faudrait que j’arrête de piquer du nez, mais… Je me suis réveillée avec le bruit de la pomme. Croc, croc, croc. Brenton. J’ouvre grand les yeux en me mettant sur le dos. Je sais. Je dois sur le ventre, ce qui n’est pas excellent, mais c’est comme ça. Je tourne mon visage en souriant béatement, prête à séduire et à me laisser séduire et je sursaute violemment. Minao.

- Hé ! Du calme, ce n’est que moi, même si tu préfèrerais que ce soit un autre que moi.

Minao est couché sur le côté, en bout de l’immense matelas, un bras replié et soutenant la tête d’une manière des plus élégante. Poseur ! Il me sourit à pleine bouche ! Dragueur à la petite semaine ! Il sourit de plus belle en commençant à rire. Où est Brenton ? J’ai bien entendu…

- La pomme. Oui. Il est passé et est reparti ouvrir l’agence. Il m’a dit de te dire de ne pas te presser. Il fera le nécessaire.

- Ah ! Je… vais prendre une douche…- Et moi te préparer un breakfast en bonne et due forme, tu as besoin de forces. Nos énergies

yenguiste t’ont boosté très rapidement et cela a diminué ta force vitale d’autant. Il faut du temps pour qu’une balance se fasse. Et nous n’avons pas le temps. J’essaierai de te donner une « transition » énergétique qui te permettra de vivre beaucoup mieux ces changements qui s’opèrent en toi.

- Des changements ? Quels changements ?- Pas de crocs, poils et autres conneries de l’imagerie monstrueuse habituelle concoctée par des

esprits créatifs survoltés ! N’aies crainte, ma jolie, il ne s’agit qu’une augmentation de la capacité de tes sens, une plus fine intelligence, une capacité mémorielle plus grande et une longévité plus importante.

- Je vais devenir immortelle ?- Pas dans un premier temps. Ton organisme et ta physiologie doivent s’adapter et cela prend un

certain temps. - Combien de temps ?- Six mois au maximum. Mais tu as un atout supplémentaire pour ces indexions de

changements.

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- Quel atout ?- Moi, bien sûr ! Allez ! Vas te doucher… à moins que tu ne veuilles que je vienne te frotter le

dos et…

Il saute avec souplesse hors du lit et se retrouve près de la porte de la chambre.

- NON !- Mm ! Pas très flatteur, mais tu as raison. Prends ton temps. Je serai dans la cuisine… Crie si tu

changes d’avis pour le dos et le… reste…

Il sort avec une pirouette et un sourire qui puent l’insolence. Crétin !

J’avale tout avec un appétit qui devrait me foutre la honte, mais j’ai trop faim pour ça. Minao a la tête du cuisinier qui voit toutes ses certitudes se confirmer concernant son génie culinaire et je ne peux pas lui en vouloir pour son arrogance. C’est un vrai génie de la cuisine  ! Il me fait un bref salut du buste avec un sourire en demi-teinte. Je savoure le café préparé comme je l’aime, surtout le matin. Enfin, disons, au saut du lit. En journée je suis Miss Thé, tous saveurs et arômes confondus. Brenton a toujours su me dénicher des thés extraordinaires. Je le soupçonne de s’approvisionner en grande partie dans un magasin près de la Gare Centrale et ailleurs. Quand je dis ailleurs, j’imagine que c’est carrément là où on le produit, c’est-à-dire in situ. Et je ne l’en aime que plus. Minao fait claper la langue. Pour le romantisme, on repassera, oui, Madame ! Il débarrasse la table avec rapidité et dextérité. Cinq minutes plus tard, je suis assise dans un coupé grand classe d’une marque sûrement connue des communs des mortels dont je ne fais sans doute pas partie, les bagnoles m’emmerdent à donf ! Minao pousse un grand gémissement, ainsi qu’un gros soupir. Les goûts, dégoûts et couleurs, hein… On arrive à l’agence et il trouve à se parquer immédiatement. Brenton a la même chance, sauf que je sais maintenant que ça n’a rien à voir. En fait, ils arrivent à détecter un conducteur de bagnole à travers je ne sais quelle habileté démoniaque et celui-ci ou celle-ci arrive dare-dare peu de temps avant pour libérer la place. Ça ne peut se faire qu’avec un véhicule qui vient d’être garé et qui ne restera pas longtemps là.

- Pas démoniaque. Les démons sont de purs mythes, comme les anges !- Ah ! Merci de me le dire, j’ai eu peur de devoir aussi m’inquiéter de ceux-là !

Sauf que j’y crois pas un mot de c’qu’il vient de m’affirmer ! S’ils existent alors bien d’autres natures existent, sauf qu’elles font en sorte de ne pas se faire remarquer. Quand je les vois, je sais que j’ai raison. Ils sont même la preuve matérielle que j’ai raison. Mais bon… S’ils veulent m’induire en erreur pour des raisons raisonnables qui n’appartiennent qu’à eux, je m’incline ! Minao a refermé la portière derrière moi après m’avoir aidé galamment à sortir du véhicule un peu bas à mon goût. Nous nous dirigeons vers la maison. Maintenant que j’ai vu la demeure où j’habite actuellement avec Brenton, je vois bien combien celle-ci fait grise mine. La façade est défraichie et même carrément dégueulasse et tout à l’avenant ! On peut dire qu’être situé à Bruxelles où ça bouchonne pas mal à toutes heures du jour et de la nuit, n’arrange rien et la vétusté du bâtiment n’indique pas qu’il est matériel pour être considéré patrimoine architectural de la ville. Bref, il durera le temps qu’il faudra, après il sera un tas de gravats vite déblayé pour qu’on y érige un nouveau bâtiment plus moderne, plus cher et moins séduisant. Décrépi la vieille baraque, mais quel charme et quel caractère !

J’entre dans le bureau qui me semble merveilleux. Je sais, bizarre de dire ça d’un lieu de travail, mais j’aime vraiment ce lieu. Il y a une bonne atmosphère, même si les meubles et l’ensemble sont un peu, beaucoup, fanés. Il faudrait qu’on fasse quelque chose pour lui donner un petit coup de jeunesse. Après, plus tard, si je suis encore en vie… Brenton est assis dans mon fauteuil et il y a une femme assise en face de lui. Elle tourne la tête en nous voyant. Elle est sublime. Brenton me regarde et il a un bref éclat dans l’œil qui me dit plus que des mots son plaisir de me revoir. C’est idem pour moi ! Je tourne mon regard vers une chaise libre, ne voulant pas éjecter mon amour de mon siège ergonomique si sublime et je tombe sur le visage de Minao. Il est… Un masque hiératique. C’est à ce moment-là que je me dis qu’elle n’est pas une inconnue et que ce qui se profile à l’horizon ne va pas me plaire. Ou si ? Minao se déplace sans que je le vois et me présente un siège. Il se retire lentement

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vers le mur sans quitter la femme du regard. Il se tient dos à celui-ci dans la même posture que Brenton affectionne et reste parfaitement immobile. Au bout de quelques secondes, j’ai la sensation qu’il disparaît à la vue ou plutôt que l’endroit où il se tient s’assombrit lentement, mais sûrement. Je ne vois plus que deux yeux qui fulgurent dans l’espace sombre. Illusion d’optique ? Je me tourne vers Brenton et la femme pour voir leur réaction. Ils n’en ont aucune d’appréciable. OK ! C’est quoi c’foutoir ?

59.La femme me sourit. Elle est encore plus splendide et Minao finit par se confondre avec la

peinture couleur neutre d’un jaune très clair des murs.

- Bonjour. Vous devez être Vinouha…

Elle prononce Vainoouhaa et c’est du coup nettement plus exotique. Martinique, Polynésie, Maori  ? Elle est de sang mêlé comme tout le monde, mais son mélange à elle est… waouh ! Flashy et chaud devant ! Je n’ai pas d’inclinaison sexuelle vis-à-vis des femmes, mais je me sens vachement attirée par elle et ça commence à me casser menu ! A moins que…

- Vous êtes un incube ?

J’ouvre grand les yeux, puis jette mes paumes sur ma bouche comme si ça allait l’empêcher de dire des âneries ! Et merde ! Elle a un éclat de rire qui sonne comme un chant céleste et je révise mon idée. C’est un ange sans aile, mais un ange quand même ! Son rire s’éteint doucement laissant un éclat sonore émerveillé dans l’air.

- Pas du tout ! Je ne suis qu’un yengo.- Ah ! oui… j’aurais dû m’en douter.- Je m’appelle Manowa…

Elle prononce Maanuwaa et c’est aussi beau que toute sa personne. Je vire ma cuti ou quoi ?

- Enchantée !

Je m’avance et lui tend la main qu’elle serre gentiment, avant de me rendre compte que donner la main à un yengo n’est pas vraiment adéquat. Minao me l’a bien dit, mais… j’ai les idées un peu brumeuses dernièrement ! Je m’assois sur la chaise posée là par Minao. Je ne le regarde pas, il doit être mortifié comme je le suis !

- Manowa est venu nous aider.- A quoi ?

La jeune femme a un autre rire bas et sensuel.

- A vous rapprocher de Tremor.- Nous rapprocher ? Pourquoi faire ? On doit plutôt essayer de l’arrêter…- Pas nous. - Qui alors ?- Persea.- Vous êtes une amie à elle ?

Elle éclate franchement de rire. C’est fou comme je suis amusante ! L’eusse-tu cru, hein !

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- Non et je crains fort que cela soit définitif.

Son sourire est radieux.

- Elle a dit aussi qu’elle nous aiderait.- Ce sera le cas. Mais elle sera plus efficace à un autre niveau que celui que je compte atteindre.- Et ce serait quel niveau ?- J’ai la capacité de retrouver tout ce qui se perd.- Comme une trace ou une piste ?- Oui. - Et c’est efficace ?- Pour quelqu’un comme Tremor, sans nul doute.- Mais sera-ce suffisant ?- En retrouvant des vieilles traces, j’arrive à anticiper une nouvelle piste.- Comment cela ?- Difficile à expliquer, mais c’est ma spécificité.

Je n’ajoute pas que c’est aussi celle de rendre absent Minao. Je ne le détecte presque plus. Se fondre dans le décor, c’est encore rien à côté de ça.

- Un peu comme une profiler ?

Manowa me regarde fixement, les sourcils en accent circonflexe.

- Comment connaissez-vous mon métier ?- Je suis encore une détective privée, même si j’en ai plus l’air. Désolée, blague à part, je ne le

savais pas. C’est juste que… j’ai vu un documentaire à la télé qui en parlait et ce que vous venez de dire m’a rappeler ce qu’ils expliquaient dans leurs témoignages. Mais… Si vous pouvez anticiper un mouvement de Tremor, pourquoi ne l’avez-vous pas fait avant ?

- Tremor a éliminé un de mes descendants.- Oh ! Je suis désolée, je ne voulais pas vous accuser de…- Et vous ne l’avez pas fait, Vinouha. Si je n’avais pas passé ce temps à mettre de l’ordre dans

l’enfer que Tremor a mis dans mon existence et celle de sa propre lignée, j’aurais pu vous aider plus tôt. Ce n’est que hier soir que j’ai su ce qui se passait et… me voilà !

Brenton lui sourit avec affection. Reste à savoir pourquoi Minao a ce drôle de comportement. Je ne le connais pas très bien, encore, mais je gagerais qu’il n’est pas de ceux qui se cachent ou disparaissent à la vue lorsqu’il y a un pépin. L’autre rébus est de comprendre jusqu’où est allé Tremor pour invalider ceux qui peuvent le retrouver et l’anéantir.

- Très bonne réflexion, ma toute belle.

Minao est assis sur le large accoudoir et me caresse la nuque. Je ne l’ai même pas senti s’approcher.

- Oui, tramania. C’est ce dont nous parlions avant votre venue.- Et ?- Cela ne met en évidence que sa longue préméditation, mais…- Qui pourrait encore l’arrêter, à part Glorios qui semble être votre « père » à tous ?- Glorios le pourrait, mais il n’interviendra que sur demande expresse. Ce n’est pas son combat,

pas encore du moins et il me l’a clairement signifié. Tremor le sait et il compte là-dessus. - Qui encore ?- Nous n’avions pas pensé à cela et il nous faudrait y réfléchir.- Oui. Mais… vous n’êtes pas si nombreux et les Outre-Vivant ne pourraient pas vous aider ?- Non. Ils ne le feront pas. Chaque Communauté a acquis la prérogative de s’occuper elle-même

de ses affaires sans intervention extérieure, si ce n’est sur demande expresse.

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- Mais dans certaines circonstances, n’est-il pas utile d’intervenir ?- Nous ne sommes pas vivants et nos manières d’agir ne sont pas similaires aux vôtres. Nous

fonctionnons sur d’autres critères qui ne sont pas des lois ou un système législatif ou administratif particulier. Notre longévité et nos natures et essences sont très diverses et complexes, ce qui nous a valu de longs millénaires à essayer d’établir des règles qui pourraient nous convenir à tous. Nous n’en avons trouvé qu’une douzaine que nous respectons rigoureusement. Les autres règles sont propres à chaque Communauté.

- Pas d’ONU ou d’OTAN ?- Non. - Bon ! On fait quoi maintenant ?- On s’occupe du cas d’un nouveau client qui arrive dans cinq minutes, puis on ira sur la

dernière scène de crime.- Bien ! On y va ?

60.L’homme tourne depuis cinq minutes sur lui-même dans notre bureau. Je dis nôtre, parce que

définitivement ce qui fut mon bureau un jour est dorénavant partagé par Minao et Brenton. Minao, d’accord, il n’a pas vraiment une pièce à lui dans l’agence, mais Brenton oui. Je pourrais y voir une marque d’un indéfectible amour à mon encontre, de celui qui le rend incapable d’être éloigné de moi, ne fut-ce que de quelques mètres, mais… j’y crois à donf ! Hé ! Qui n’a pas envie de se croire si irrésistible qu’un homme a du mal à se séparer de vous en espace et en temps ? Ne comptez pas sur moi pour être cette personne-là. Pendant que Monsieur Van Gutenhof bouge en cercle, il parle aussi. Il nous a d’abord longuement expliqué la situation et, étant donné que je n’ai pas eu le temps de prendre connaissance du dossier, Brenton, oui, c’est vraiment nécessaire, quoi que… Je n’ai pas encore bien compris ce qu’il voulait que l’on fasse pour le fils de la nièce de sa grand-tante. Le mal au crâne risque de me casser la tête dans pas très longtemps et je n’aurais même pas la consolation de me dire que j’ai enfin compris le fin mot de l’histoire. Et ce qui me chagrine encore plus, c’est que Minao a l’air de suivre ce qui se dit. Il s’arrête de tourner et se dirige vers le coin de ma table – j’ai pris ma place dans mon siège juste avant l’entrée de notre client – où il plante durement avec un bruit sec ses deux paumes, doigts écartés.

- C’est simple, il faut que ça cesse et vite !

Il me regarde fixement, s’attendant à ce que je l’éclaire d’une répartie sobre, contondante et déterminée. Sauf que je suis toujours dans le brouillard.

- Cela va de soi, Monsieur Van Gutenhof ! J’ai déjà mis en avant les premières démarches pour que vous ayez les preuves tangibles le lundi en huit.

- Merci ! J’étais sûr que je pouvais compter sur vous. Maître Juliénard m’a vanté votre professionnalisme et il n’est pas homme à faire des éloges sur quiconque.

- C’est fort aimable à lui.- Parfait !

Il tape le plateau de la table avec force. Il me fait un grand sourire comme si je venais de lui faire le plus beau des cadeaux. Il sort une paire de gros gants en cuir de sa poche et les enfile. Il réajuste son long pardessus en cuir et se dirige vers la porte en nous saluant tous trois d’un hochement de tête profond et quasi militaire. Je m’attends presque à ce qu’il claque des talons !

- J’attends donc le résultat de l’enquête et les preuves.

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ET il claque des talons ! Quand je vous disais… Il ouvre la porte. Minao le suit et le précède juste au moment où il s’apprête à enfiler notre petit hall d’entrée. La porte se referme doucement sur les deux hommes. Je me laisse aller contre le dossier plus qu’appréciable de mon fauteuil ergonomique.

- C’était quoi ça ?- Monsieur Van Gutenhof.- Et ?- Il a besoin des preuves de « tromperie extra-matrimoniale avec un adolescent sexuellement

adulte, mais pas encore indépendant légalement pour les remettre au fils de la nièce de sa grand-tante », dixit Monsieur Van Gutenhof.

- Il les trouve où, Maitre Juliénard ?- Une partie dans son club de tennis, une autre dans son club de poker, une autre encore dans

son club de golf et la dernière via sa bonne réputation au sein de la profession.- Et il fait partie de quel club ?- D’aucun. Monsieur Van Gutenhof est neveu par le mari de la grand-tante de Maitre Juliénard.- Wep ! Ça reste en famille, quoi !

Brenton s’est déplacé si vite que je ne le vois pas arriver. Il me soulève de mon siège, me presse contre lui, prend mes cuisses pour que je place mes jambes autour de sa taille et m’embrasse à pleine bouche. Je gémis doucement. J’ai tellement envie de lui. Comment le fait-il ?

- Tu m’as tant manqué…- Quelques heures…- … de trop…- On ne peut pas le faire ici…- Non… mais…

Ses lèvres mordent dans mon cou, puis lèchent la peau enflammée. Je sens mon sang criblé mes veines de fines piqures toutes faites d’un plaisir exacerbé. Je le veux. Maintenant, là, tout de suite… La porte claque violemment.

- Je n’aimerais pas jouer les troubles fêtes, mais j’accepterai votre aparté seulement si j’y participe.

Je regarde sur le côté et voit Minao poser son regard enflammé sur mes seins dénudés et durcis. Quant m’a-t-il dépouillé de mon haut ? Je sens une nouvelle vague de désir crépité dans mon bas ventre. Oh oui ! Lui aussi. Je le veux ! Brenton grogne contre ma peau. En quelques mouvements prestes et agiles, il me rhabille et me redépose doucement dans le siège en m’embrassant brièvement sur les lèvres. Minao soupire profondément.

- Dommage ! Mais ne nous lamentons pas, ce n’est que partie remise !

Je rougis violemment. Cet homme est un satire lubrique !

61.Nous sillonnons les rues de la capitale à une allure moins que soutenue. Il semble que

l’embouteillage soit à toutes heures désormais. Il semble aussi que Bruxelles est devenue une des capitales où il y a le plus d’embouteillages. Un titre honorifique de plus pour la Capitale dite de l’Europe ! N’est-ce pas merveilleux ? Je soupire longuement. Je suis affalée dans le siège arrière. Je me sens… toute chose ! Ce qui ne veut rien dire, mais tout dire vu l’état dans lequel je me trouve.

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- Et tu penses trouver les preuves comment ?- En allant les trouver auprès de la seule personne qui peut nous les donner.- Ah !

Autant interroger le Sphinx lui-même.

- Et on va où ?- Chez cette personne.- Ah !

CQFD ! Je suppose ! On passe près du Cinquantenaire, ce qui me fait supposer qu’on va à Woluwe-Saint-Pierre ou Saint-Lambert. Je ne sais jamais très bien lequel des deux Saints il s’agit. Les avenues sont amples et les habitats cossus et légèrement m-as-tu vu, si on demande mon avis  ! Il y a assez bien de piétons et c’est normal. Il fait froid, mais ensoleillé, ce qui est déjà une motivation suffisante en soi pour un pays comme la Belgique. Quoi que… si on ne sortait que lorsqu’il fait ensoleillé ou juste clément, on ne sortirait jamais. Je regarde par la lunette arrière du grand mono volume. L’arc de triomphe ou ce qui ressemble à cela, même s’il est composé par plusieurs bâtiments jumelés ou entourant les arcs, s’éloigne à tire-pneus de ma vision me laissant l’image carte postale d’un monument gigantesque, pompeux et passablement froid. L’Arc de Triomphe de Paris que j’ai vu en faisant le tour en bus autour de lui m’a semblé tout aussi glacial et m’as-tu vu, mais il est commercialement et touristiquement rentable, ce qui l’exonère de toute critique artistique. Quoi que… le spectacle d’un soleil couchant sur ligne d’horizon impalpable avec le bruit du ressac en musique de fond, image, bien que galvaudé, a encore le pouvoir de me stopper net dans mes déambulations physiques et mentales, me tenant totalement subjuguée par ce spectacle naturel et mille fois millénaires.

Nous tournons sur une rue assez ample. Je ne sais pas où nous sommes, le GPS oui et le conducteur attitré, autrement dit, Brenton aussi. Il a le sens de l’orientation, ça aide. ET puis… Qui me dit qu’il n’était pas présent lorsque Bruxelles « bruxellais », s’agrandissant avec de grands axes ? Et même avant… Notez si j’avais l’âge de Brenton, je ne resterai pas en Belgique. Non ! Je ferais en sorte de me retrouver ailleurs, dans un pays plus… vrai, réel ou alors plus mirifique, plus à même de faire rêver. Qui pense en considérant Bruxelles et le reste de la Belgique : « Oh ! Quel pays sublime, quel pays de rêve, quel pays magnifique, quel enchantement, on sent bien qu’il a une âme, etc.  » ? Vous ! Ben, tant mieux. Moi, pas ! Bruxelles est là où je me trouve actuellement, où je vis, mais de là à la voir comme une ville enchanteresse et qui incite à l’émerveillement, il y a un pas que je ne ferais jamais.

- Quand on a vu le monde dans tous les sens, lorsqu’on a passé du temps un peu partout… Bruxelles et la Belgique ne sont pas si mal, crois-moi, tramania. Et ils sont commodes, neutres, aseptisés en quelque sorte, un lieu qui est un peu comme un reflet de miroir, on peut y voir refléter ce que l’on veut, comme on veut, où on veut, quand on veut, avec qui on veut.

- Tu veux dire une illusion ?- La réalité n’en est-elle pas toujours, dans une certaine mesure, une ?- Je ne sais pas. C’est un peu confus pour l’instant dans ma tête, Lukius…- Je sais… - Ce sera dégagé comme dans « aujourd’hui, ciel dégagé avec éclaircies entre averses » quand? - Pff ! Tu es trop accro aux prévisions météorologiques, ma belle. C’est d’un ennui !- Parle pour toi, vieux singe savant Minao…- Ouh là ! Ça, ça a fait très, très mal !- Quoi le singe ?- Non, le vieux…- Bon ! Si vous arrêtez les chamailleries, les enfants… On a une personne importante à voir

pour trouver les preuves incriminantes.- Ah oui ! Et c’était qui encore ?- Je ne te l’ai pas dit.- Mais tu vas le faire maintenant ?

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- Oui. La compagne, puisqu’ils sont cohabitant, du fils de la nièce de sa grand-tante.

J’ouvre la bouche, la referme. C’est une blague, non ?

Nous entrons dans un hall qui est princier. Ces maisons de maîtres réformées en appartements ont vraiment une classe folle et pour le coup, elles, oui, dégagent une aura de magnificence et de splendeur. Elles ont une âme, un cœur qui bat, ou alors tout simplement une atmosphère. Peu importe le terme, mais j’y suis sensible. L’ascenseur est nouveau, bien qu’on l’aie transformé en un de ces vieux ascenseurs avec porte en partie vitrée avec un entrelacs métallique noir brillant formant des arabesques seyantes et magnifiques et une grille coulissante qui se referme ou s’ouvre sur une cabine avec des panneaux en bois brillants au trois-quarts de celle-ci et le reste avec des grilles qui permettent de voir l’extérieur. Nous devons monter au cinquième, ce qui laisse supposer une belle vue extérieure. La montée se fait relativement vite. Je m’attendais à un mouvement grinçant et poussif de l’élévateur. C’est mal connaître le soin apporté à de telle bicoque. Vu le prix de la maintenance, il peut !

Sur le palier où le génial ascenseur nous dépose, il y a deux portes qui sont d’une couleur beurre frais. Waouh ! Il y a une sonnette qui est une sorte de bouton à l’ancienne. Vraiment le souci du détail. J’apprécie. Nous sonnons. Je regarde la cage d’escaliers, les murs, les hautes fenêtres artistement disséminées pour donner un maximum de luminosité aux lieux, mais de manière discrète. La porte s’est ouverte, mais je ne l’ai pas entendu le faire. Une jeune femme enceinte de cinq mois, pas plus – j’ai toujours eu l’œil pour détecter le mois de grossesse à une semaine près – se tient sur le pas de la porte. Elle fronce les sourcils un peu, étonnée de nous voir. Je suppose qu’elle a supposé que Brenton était seul lorsqu’il s’est présenté par l’interphone.

- Je ne savais pas…

Je m’avance vers elle, solidaire. Une femme avec deux spécimens comme mes… je veux dire comme eux, c’est un peu too much.

- Bonjour ! Nous travaillons avec Monsieur Brenton, ses collaborateurs. Nous aimerions vous parler…

- A quel sujet ? Vous m’avez dit qu’il s’agissait de Pierre, mais…

Brenton s’avance d’un pas et reprend la parole. Il a raison ! Je n’ai pas tout saisi du plan, autant ne pas le foutre en l’air avec ma maladresse !

- Oui. Pourrions-nous entrer ?- Comment avez-vous eu mon adresse ?- Voici notre carte. Nous avons eu les informations vous concernant de la part de Monsieur Van

Gutenhof.- Gustav ? Mais… pourquoi ? Entrez, entrez ! Je commence à être intriguée.

Elle nous précède dans un hall superbe, assez grand sans être vaste. Elle nous fait entrer dans un salon qui semble très commode avec deux énormes vantaux qui donnent sur le toit plat d’un immeuble en vis-à-vis, mais suffisamment éloigné pour ne pas être dérangeant, ni indiscret de part et d’autre.

- Asseyez-vous ! Désirez-vous une boisson, un café, un thé ?- Non. C’est très aimable à vous. Nous ne désirons pas vous importuner plus que nécessaire.- D’accord.

Elle s’assoit lentement, nous tenant à l’œil, intriguée, mais pas vraiment inquiète. J’aime autant. Etre enceinte, c’est déjà pas une sinécure, autant ne rien ajouter de néfaste à la situation.  La pièce est vraiment plaisante. Je me laisse distraire par les meubles simples, mais de bonnes factures, les tableaux sobres, mais très seyants et les objets de décoration qui semblent intimes, mais que je suppose d’un certain prix. Il y a des cadres photos un peu partout. La pièce est lumineuse et riante, de celle

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d’où on ne veut pas partir. Mon regard s’égare vers la vitre. Je suis tellement distraite dernièrement… cela ne me ressemble pas vraiment… Il faudra que j’en parle à Brenton.

Brenton sort un dossier de l’intérieur de sa longue veste en cuir noir soyeux et lustré par endroit. Il sort deux photos. Je suis du coin de l’œil ses mouvements. Je les reconnais, sans être plus concernée que cela… Il les étale sur la table.

- Reconnaissez-vous cette personne ?

Elle se penche doucement en avant et fronce les sourcils. Le ciel est assez dégagé maintenant et vraiment la vue est fascinante.

- Oui, bien sûr. C’est Colin… Un problème avec lui ? Je sais qu’il est un peu rebelle et pas toujours très… correct comme on l’entend aujourd’hui, mais c’est un brave garçon.

- Il a dix-sept ans ?- Oui. Presque dix-huit, d’ailleurs, mais il fait plus jeune. - En réalité, il vient à peine d’avoir seize ans…- Oh ! C’est tout lui, ça ! Cela ne m’étonne pas qu’il se soit ajouté un an de plus… Je suppose

qu’il veut paraître plus âgé, même si je dois dire qu’il est très mature pour son âge et étonnamment conscient des autres et des choses.

- Vous le connaissez bien. - C’est beaucoup dire, mais étant son professeur de « rattrapage », oui, on peut dire que je le

connais « bien ». Depuis que nous avons commencé les cours, alors qu’il était censé continuer des cours de piano… je suis professeur de piano indépendant… quoi que je donne aussi quelques heures dans une Académie de Musique, maintenant… Il est très doué et à mon sens, puisqu’il ne désire pas en faire une carrière, il n’a guère besoin de cours particuliers. Il doit surtout pratiquer, mais ses parents…. Ils sont un peu… psychorigides comme il le dit lui-même. J’appuie l’affirmation pour les avoir côtoyé plusieurs fois… Bref ! Ses résultats scolaires sont assez navrants et nous avons décidés d’un commun accord, après en avoir longuement discuté, que des cours de « rattrapage » seraient plus intéressants pour lui. En échange, il s’est engagé à pratiquer chaque jour son piano. Les parents ont des horaires assez chargés, pour ne pas dire des agendas surbookés, aussi il peut, à n’importe quel moment de la soirée, pratiquer au piano chez lui sans être interrompu…

Elle en parle avec animation et aussi passion. Je détecte de la fierté aussi. Mais de là à les voir dans une situation sexuelle… Mm !

- Il semble être très intéressant comme personne. - Oui. J’avoue qu’il s’est épanoui depuis que nous avons entamé ces cours. Il semble plus

concentré et moins agressif. Lorsqu’il est arrivé, j’ai bien vu qu’il préférait être partout ailleurs qu’ici et qu’il devait se retenir pour ne pas être grossier…

- Apprivoise-moi…- Pardon ?

Ils se tournent tous vers moi qui regarde toujours par la fenêtre, totalement fascinée. Je rougis violemment.

- Je… désolée ! Je pensais au Petit Prince et au renard…- Ah oui ! Eh bien, merci ! J’aimerais avoir cette capacité, mais ce n’est pas faux… A-t-il des

soucis ? Je suis très étonnée de vous voir…- Entretenez-vous des contacts amicaux avec Monsieur Van Gutenhof ?- Gustav ? Quel rapport avec Colin ? Je le vois surtout lors des rassemblements familiaux et

quelquefois où il vient voir mon compagnon, son neveu ou quelque chose comme ça, je n’ai jamais très bien compris leur lien de parenté…

- C’est le fils de la nièce de la grand-tante.

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J’ai parlé comme dans un brouillard. Tous me regardent avec des degrés de stupeur.

- Oui, vous avez raison… c’est d’un compliqué, c’est une très grande famille… très unie aussi… Mais…

- Puis-je être franc ?- Oui. Bien sûr ! J’avoue que je suis intriguée par toute cette affaire et encore plus avec Gustav

au milieu de celle-ci.- En fait, il a fait appel à nous et en nous remettant ce dossier, parce qu’il craint que vous n’ayez

des rapports, disons, d’ordre plus intime avec Colin Freirdeur.

Elle fait clairement un arrêt sur image mental et physique, puis la machine repart sur un formidable éclat de rire. Elle rit tellement qu’elle en pleure même. Je souris aussi. C’est beau les rires, surtout quand ils sont si franco, si sincères, si jouissifs. Quelques minutes se passent. Brenton et Minao restent impassibles. Rien d’étonnant, ils sont comme cela, même si intérieurement ce ne doit pas toujours être aussi imperturbable. Je me demande ce qui a pris Brenton de lui parler aussi clairement  ? Mais dans son cas, le côté… intuition, pour le dire ainsi, ou flair est plutôt toujours bien vu. Je lui fais confiance. Il vaut mieux, j’ai l’impression d’être dans une sorte de sas un peu glauque. Elle arrête de rire, mais certains petits bruits laissent entendre qu’ils sont encore là au fond de sa gorge, prêts à repartir de plus belle. Elle s’essuie les yeux avec un mouchoir en papier qu’elle a retiré d’une boîte près du siège où elle est assise.

- Ah ça, c’est la meilleure ! Notez, je ne suis pas vraiment étonnée… j’ai eu la bêtise d’en parler lors d’une soirée où il était venu. J’étais très enthousiasmée parce que Colin avait eu un bulletin « impec », comme il m’a dit et j’en ai longuement parlé lors de cette veillée. Je n’aurais jamais cru que Gustav le prendrait ainsi. Gabriel, mon compagnon, le connaît, je veux dire, Colin et il l’apprécie beaucoup. De fait, Gabriel a eu un très bon ami qui était un peu comme Colin. Il s’est tué lors d’un voyage en moto. Un trente tonnes s’est brusquement déporté et… Cela a été le drame de la vie de Gabriel. Aussi il est tout aussi enthousiasmé que moi par Colin et il s’est même prêté à l’aider en math, matière où il a toujours excellé. Ce Gustav, alors ! Gabriel m’avait dit qu’il était un peu parano, mais là…

- Si cela peut vous rassurer, nous sommes arrivés à la conclusion que ces assertassions n’étaient pas réelles.

- Merci ! Je suppose que vous allez devoir fournir des preuves…- Nous avons votre parole et nous allons procéder à certaines vérifications, mais nous sommes

d’accord pour remettre un dossier qui engage votre probité.- Merci ! Je vais en parler avec Gabriel. Il n’est pas méchant… je veux dire Gustav, mais son

épouse l’a trompé durant vingt ans et depuis… il se méfie de tout et de tout le monde. Je vais voir avec Gabriel ce que nous allons faire. Je vous remercie vraiment de vous être déplacé jusqu’ici et de m’en avoir parlé… cela aurait pu se compliquer et avec la famille de Gabriel si unie, c’est aussi quelquefois un véritable labyrinthe pour s’en sortir et éclaircir situations et circonstances.

62.L’ascenseur est parfait, ni trop lent ni trop rapide, ça doit être ça la vitesse de croisière. Minao

et Brenton mettent au point verbalement le dossier à remettre à Gustav. Brenton savait déjà ce qu’il en était avant de partir, ou je ne m’y reconnais pas. J’aime ces cloisons solides et aériennes. Ça me fait penser à cette chanson de Calogero, « En apesanteur ». Je fredonne entre mes dents quelques notes et c’est divin. L’ascenseur, les cloisons, la descente, les voix de mes deux hommes, l’air qui se respire dans l’immeuble, un air de propre, d’impeccable même, un air de riche, mais pas nouveau, discret… En apesanteeeeuuuuur… Je vois des papillons, des farfale en italien… C’est joli, un peu comme farfadet, sans le côté joueur un peu malicieux… en apesaaaaaannteuuuuuuurrrrrr… les grilles sont vraiment… vraiment… vraiment…

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J’ouvre les yeux d’un coup. Où suis-je ? Qui suis-je ? Comment suis-je ? Je suis dans un lit… maison de Brenton… Mm ! On n’avait pas dit que je reviendrais chez moi quelques temps pour… A moins que…

- Ah ! La Belle au Bois Dormant est réveillée… Tout doux, la belle, tout doux…

Minao. Cette manie qu’il a d’être toujours où à mon chevet ou au pied du lit lorsque je reprends conscience !

- C’est le plus près que tu me laisses aller, mais j’ai bon espoir d’être dans le lit avec toi très prochainement.

- Où est l’ascenseur ?

Minao me regarde fixement, assis sur le coin du matelas en me soutenant pendant que j’essaie malhabilement de m’asseoir.

- On n’a pas pu le détacher de son câble et de sa cage, il y tenait beaucoup trop. Parlez-moi de ces obsessions matérialistes qu’on a toujours ! Pff ! Quand il est clair que l’élévation spirituelle est nettement plus recommandable pour le bonheur que ce côté bassement matérialiste !

J’écarquille les yeux. De quoi parle-t-il ? Passons… Je ne veux pas le savoir !

- Où est Lukius ?- Je l’ai envoyé balader.- Pourquoi ?- C’était ça ou le raccourcir d’une tête et comme tu tiens à sa taille…- Je… Pourquoi je suis dans ce lit et pourquoi tu es là ?- C’était ça ou te laisser par terre n’importe où. On a pensé que tu serais mieux dans un lit et, oh

joie, celui-ci étant le tien, on a choisi celui-ci. Quant à ma présence… Oh, femme cruelle, n’es-tu pas heureuse de m’avoir à tes côtés, dévot et empressé, disposé au-delà de tous mots à te complaire totalement?

Il a bouffé quoi le peye?

- Ok ! Disons qu’après nous avoir fait une peur de tous les diables en t’évanouissant dans l’ascenseur, celui-là même qui a refusé de t’accompagner ici, nous t’avons ramené le plus rapidement possible dans cette demeure pour te soigner.

- Je suis malade ? De quoi ? Et depuis quand suis-je ici ?- Vingt-sept heures. Nous nous sommes relayés.- Evanouie ? Mais c’est atroce ! Vous auriez dû aller aux urgences.- Ils n’auraient pas pu t’aider.- C’est si grave que ça ?- Non ! Regarde-moi, ma toute belle… Si je n’appréciais pas autant Brenton et s’il n’était pas

mon frère, je l’aurais sans doute démoli ! La seule excuse qu’il a est qu’il est novice dans ce domaine.

- Je ne comprends rien ! En quoi Brenton est responsable de mon problème de santé ?- Il t’a assujetti à lui…- Oui. Le rituel, je sais. Glorios a fait le nécessaire…- Oui. Glorios oui, mais pas Brenton !- Je ne comprends pas !- Le rituel et ce que Glorios a mis en place dans ta psyché permet à l’ardeur de se contrôler au

niveau des neurones, en passant par les neurotransmetteurs. Mais en ne te donnant pas le temps suffisant et nécessaire pour adapter ton organisme humain à ce que Brenton t’a transmis

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de son essence de yengo, il a provoqué un « collapsus », terme que nous utilisons dans notre jargon, qui se traduit par un état de confusion, de fatigue généralisée, d’agueusie intellectuelle.

- On dirait les symptômes d’une déprime gravos ou d’un début de dépression… J’y suis ! En apesanteur ! Voilà pourquoi je me sentais vaseuse…

- C’est un terme adéquat !- Mais on aurait pu me donner des soins en urgence pour ça…- J’en doute ! De plus…- De plus, mon fils aîné aurait pu combler toutes les attentes d’un père en accumulant un

nombre incroyable de titres universitaires, sans parler qu’il est plusieurs fois diplômé en diverses matières médicales et scientifiques. Il est à même de soigner tout le monde, de vivant ou d’Outre-Vivant !

- Père…- Oh ! Monsieur Glorios…

L’ange qui est le père de Brenton et de Minao entre dans la chambre, mais reste près du pas de la porte. Je m’enfouie sous le duvet.

- Je te prie d’excuser mon intrusion, mais j’ai frappé au battant et comme votre discussion semblait s’éterniser. Puis-je entrer plus avant ?

- Oh oui ! Je suis désolée de ne pas vous avoir accueilli…

Je sursaute. Je ne l’ai pas vu venir à moi, qu’il est déjà assis sur le lit dans l’attitude du bon médecin de famille.

- Tu n’aurais pu le faire, ma fille. - Brenton vous a peut-être accueilli…- Non ! Mais il est mieux en ballade…- Ah oui ! Pourquoi tu l’as envoyé balader, Minao ? Le pauvre ! Il a dû s’inquiéter tellement…

et s’en vouloir…- Il avait besoin de retirer un excès d’adrénaline et le mieux est de l’envoyer faire un petit

jogging…- Nous avons un organisme qui secrète un taux d’adrénaline qui serait anormal et même mortel

pour un vivant, mais qui est nécessaire pour nos natures et essences. Dans certains cas, il est essentiel d’en éliminer une bonne part, ma chère fille.

- Ah !- Bien ! Comme Minao te l’a expliqué succinctement, par manque d’information et d’habitude

et, si je ne m’abuse tu es la première qu’il s’assujetti, il n’a pas fait le nécessaire. C’est une des raisons pour laquelle je suis ici.

- Ah !- Oui. Cependant, il semble que tu n’aies pas trop de temps devant toi, étant devenue la cible de

Tremor bien malgré toi. Il est temps de mettre un terme à cette situation. Mais nous en parlerons plus tard. Maintenant, je vais devoir t’incorporer un tatoo qui donnera à ton organisme la capacité de fusionner tes nouvelles habilités issues du yengo et ta nature de vivante.

- Un tatoo ? Je déteste les tatoo ! J’ai toujours refusé de m’en faire, même la nuit où j’étais plus que… Bref ! Peu importe ! J’ai toujours refusé ça. Et puis, j’en ai déjà un… C’est pas assez ?

- Et je n’aurais jamais proposé cela en d’autres temps, mais maintenant c’est devenu primordial.

Je me tourne vers Minao qui hoche la tête en me souriant doucement. Je me sens attirée par lui, de plus en plus. Il me attire doucement contre lui et je me laisse aller. Je regarde Glorios. La couleur de ses yeux est si bleu… c’est un bleu azuré, comme un ciel, mais un ciel rêvé, pas de ceux que j’ai déjà vu, mais je sais qu’un jour le ciel a eu cette couleur. C’est fascinant et flippant. Il a l’air d’un ange, mais un ange… bizarre, presque trop beau pour être vrai. Glorios sourit. Il doit lire en moi comme dans un livre ouvert, mais cela ne me dérange pas.

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- Il ne sera pas voyant ?- Je dois le poser sous votre cage thoracique, du côté gauche.- Près du cœur ?- Pas vraiment. C’est sous la dernière côte.- Une raison particulière ?- Oui et non. Disons que dans votre situation, c’est l’endroit le plus adéquat pour faire son

travail. - Ça va faire mal ?- Non. Du moins, personne ne s’en est plaint jusqu’à présent. Vous sentirez comment il

s’installe et comment il impulse ses capacités dans votre organisme.- Comme un vaccin ?- Mm ! C’est une excellente analogie. Je crois que ma chère Vera sera ravie de vous rencontrer.

Vous avez de nombreux points communs…- Oui, sans doute. On doit attendre Lukius ?

Minao échange un regard avec Glorios. Oui ? Non ? L’étreinte de Minao s’intensifie.

- Si tu le désire, ma toute belle…- Mais ?- Disons que Brenton est un peu trop…- Enervé ?- Inquiet, plutôt. Il vaut mieux le faire.- Il ne sera pas fâché ?- Peut-être, mais il comprendra.- Je m’en assurerai, ma chère fille. - Mais… vous avez déjà un contentieux et je ne veux pas ajouter à…- Ne crains rien ! Lukius sait que c’est nécessaire. Minao en a parlé avec lui. Et le temps

presse…- Oui. Tu as raison, Glorios ! Allons-y !

63.Minao m’aide à me coucher dans le lit. Je suis loin d’être dans ma meilleure forme, mais je me

sens rassurée. Mon état de… confusion est bien réel et pas le fruit de quelque chose de psychosomatique, autrement dit, en ces jours de gloires scientistes, un mal inventé de toute pièce par un esprit encore plus malade que le problème de santé lui-même ! Il soulève mon haut de pyjama. Pyjama ? Quand me l’a-t-il passé et d’où sort-il ? Je dois être encore plus à l’est qu’il n’y paraît ! Minao s’écarte de moi. Il s’assoit près du lit à bonne distance. Je regarde Glorios s’approcher. Il me sourit tendrement et je crois vraiment que c’est un ange. Ou un Elfe ? Ça existe ?

- Oui. Ils ne sont plus très nombreux parmi nous. Cette dimension ne leur est guère clémente, mais ils viennent régulièrement. Les êtres humains les… divertissent et les émeuvent.

- Et les nains ? - Il me semble que la question ne se pose pas. Détends-toi…

Il passe sa main sur le bas de mon torse et je sens une chaleur étrange irradier. Ce n’est pas désagréable, juste bizarre. Au moment où il s’apprête à poser sa main sur le côté gauche de mon thorax, la porte s’ouvre violemment et un courant d’air plus tard, Lukius est là. Lui aussi irradie, mais pas de chaleur plutôt de… colère, rage, angoisse, confusion ? Un peu de tout. Il a l’air si… à l’est aussi ! Minao pousse un petit soupir désabusé. Glorios laisse sa main au-dessus de ma dernière côte. La chaleur continue à irradier. C’est peut-être une sorte d’anesthésiant ?

- Je veux le faire, père.

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Lukius n’a pas quitté des yeux Glorios. Je regarde son splendide visage. Il souffre. Pourquoi  ? On m’a expliqué, alors… Il s’assoit précautionneusement sur le coin du matelas, près de moi. Je me hausse et enterre mon visage dans le cuir doux et glacial de sa veste fétiche. J’inhale fortement. Il me manque toujours. Je souffle contre son torse si bien habillé.

- Je voulais que tu sois là…- Je suis là.

Je relève la tête. Je vois Minao se lever prêt à quitter la chambre. Je tends mon bras et ma main vers lui.

- Reste !

Je ne peux pas le savoir loin d’ici. Je sais qu’il est aussi… mon amour ? Sans doute. Je sais juste que je ne peux pas le savoir loin de moi. Maintenant. Après. Jamais. Il a un sourire lumineux, mais ses yeux sont si graves, si sérieux. Je crois qu’il n’y croyait pas, plus. Moi si. Pour lui, pour moi, pour nous. Nous deux, nous trois. Minao garde ma main dans la sienne. Il se rapproche suffisamment pour que nous soyons assez proches les uns des autres, mais sans nous gêner. Glorios a un sourire encore plus angélique, si possible. Je me demande jusqu’à quel point il n’a pas compté sur ceci. Je veux dire…

- Ne fais jamais de pari avec Glorios, notre auguste père, ma jolie ! Tu perdrais à tous coups ! - Bon ! On fait comment maintenant…

Glorios échange un regard avec Lukius. Ils s’échangent sans doute des mots dans leur tête. Ils semblent arriver à un accord. Lukius me soulève et me place sur son torse dénudé. Dénudé  ? Quand a-t-il ôté ses vêtements ? Soit… Je sens mon dos contre son ample torse tiède. Il pose ses mains sur mes épaules en les caressant doucement, puis il laisse ses mains sur mes avant-bras. La main de Minao me soutient plus fermement. J’ai une pointe d’angoisse subite. Ça va faire super mal ou quoi ?

- Détends-toi, ma chère petite. Ceux qui ont mal, ce sont ces deux trouffions !- Pff ! Père, tu as toujours le mot pour rire…- Tu as toujours été un bon public, Minao…

Les lèvres de Lukius frôlent mes cheveux et mon front. Je relève la tête pour lui sourire, mais abaisse mon regard vite fait. Un doigt court sur ma dernière côte, puis une brève pointe et quelque chose s’inscrit dans ma chair. D’où je suis, je ne vois pas très bien ce que c’est. Des sortes de filaments chauds et froids courent sous ma peau, s’insinuent dans mon torse, dans mes organes, dans mes muscles, mes tendons. J’ai l’impression que tout est passé en revue rapidement, sans me faire mal, c’est juste… drôle. Tout à coup, j’ai l’impression de sentir chaque cellule de mon organisme comme jamais. C’est comme si la vie venait revisiter mon être tout entier en me faisant son visiteur privilégié et particulier. La sensation est si extraordinaire que je m’agrippe aux mains de Lukius avec une force insoupçonnée.

- Quoi ? Tu as mal ? Où ? Comment ?- Non ! Non ! C’est juste… Oh, merde alors ! C’est juste comme si j’étais encore plus vivante…

je ne peux pas expliquer, c’est magique, magique et très… physique aussi…

Glorios a un rire mélodieux qui parcourt chaque extrémité de mon être. Je souris de plus belle. Je ferme les yeux pour mieux sentir, vibrer, vivre. La main de Glorios s’éloigne. La main de Minao est plus fermement ancrée à la mienne. Je sens qu’il gémit doucement comme s’il ressentait ce que je ressens.

- C’est le cas, ma toute petite fille. Minao a la faculté de sentir ce qu’un autre être sens à des niveaux insoupçonnés, même par ceux qui le sentent.

- Oh ! Alors, tu sais…

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- Oui.

Il passe une main sur mes joues, mon visage tourné vers lui.

- Merci…- De rien. Enfin, je veux dire que…- Je sais, ma toute belle, je sais…

La sensation perd de son intensité comme si elle venait à terme de son voyage intérieur. Je soupire, m’abandonnant contre le corps de Lukius qui ne dit rien. Je le sens ému et aussi inquiet. Il me resserre contre lui tout en me caressant légèrement. Glorios se lève du lit.

- Bien. Il vous faut du repos à tous les trois. Je vais vous quitter, mais demain soir, je reviendrai. Il est temps de mettre un terme à la situation actuelle. Tremor devra rendre compte de ses actes…

- Je veux lui régler son compte.- Tes raisons sont légitimes, Lukius, mais tu sais que je ne te laisserais pas faire. - Sauf si…- Ne prononce rien que tu ne regretteras plus tard, fils. Laisse faire notre justice. Mikaïl

Versakari est là pour cela et tu sais qu’il ne laissera pas impuni Tremor. - Oui, mais…- Fais-moi confiance, fils…

Il ajoute quelques mots dans une langue gutturale et suave qui semble se répercuter sur les murs de la chambre. Minao n’a pas lâché ma main. Il caresse les doigts lentement. Il ne semble pas s’inquiéter, ce qui me rassure. Lukius et Glorios ont une telle énergie et puissance… Je regarde le visage de Lukius qui a le regard vrillé à celui si irréellement bleu de Glorios.

- Je te fais confiance, père.

Glorios se détend visiblement. Je n’ai pas eu conscience qu’il était inquiet jusque-là. J’aime bien Glorios. Il est… magique.

- Toi aussi, ma tendre enfant. Prenez bien soin d’elle. Elle est précieuse…

64.J’ouvre grand les yeux, les sens en alerte, l’esprit en berne, la mémoire en page blanche. Où

suis-je ? Dans un lit ? Lequel et où ? Et… Pourquoi suis-je seule ? Une petite piqure lancinante irrite ma peau, sous mon sein gauche, enfin, un peu plus bas. Dernière côte ? Comment le saurais-je ? Je passe ma main dessus. Je suis toute nue. Normal, je dors toujours comme cela. Bien ! Je ne suis pas totalement amnésique, bon à savoir ! Je retire le léger et chaud édredon pour voir où cela fait mal et qu’est-ce qui fait mal. Je le vois. Pas très bien. On dirait un tatoo, sauf que ce n’est pas un tatoo. Une marque ? Une décalcomanie ? Non ! Glorios ! J’y suis. Ouf ! J’ai eu un instant la pétoche… Bien ! Alors… Je sors du lit rapidement et me place devant la grande glace de l’énorme armoire en bois massif qui tient lieu de dressing. Je vois la marque. C’est une sorte de petit… Mm ! Je ne vois pas très bien. On dirait un ours… non ! C’est un grand chien, sauf qu’il a des dents qui ressemblent plus à celles d’un tigre à dents de sabre, comme je me souviens l’avoir vu dans un des tomes d’une encyclopédie universelle qu’avait ma grand-mère. Il n’a pas de couleur, sauf si on considère le blanc de ma peau à l’intérieur des traits noirs comme une « couleur ». Il a deux yeux d’un vert si clair qu’on le croirait translucide. Les pattes sont énormes et on sent qu’il a des griffes à la hauteur des crocs. Son museau est étrange… A la fois carré, il est aussi allongé. En fait on dirait le museau d’un ours, sauf que cela fait penser à un loup ou à un chien. Les oreilles sont petites, mais pas trop. C’est comme si elles avaient la forme exacte pour que rien, ni personne ne puisse les agripper. La tête est à la fois

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carrée et allongée, parfaitement proportionnée. Le luxe de détails est hallucinant, compte-tenu que le tatoo n’est pas très grand. Cinq, six centimètres ? J’ai un peu de mal avec les mesures. Je passe un doigt dessus en essayant de suivre les contours du petit animal, qui doit être en réalité d’une envergure plutôt gigantesque, si je vois bien. Au moment où je m’approche de la tête pour passer un doigt entre les oreilles, les yeux scintillent vivement avec des cercles vert et dorés autour… Comme les yeux de Brenton ! Oh, merde ! C’est la forme de Brenton en yengo, j’en suis certaine. Je retire précipitamment mon doigt, mais les yeux semblent me regarder fixement dans le miroir et une certaine chaleur se diffuse dans mon corps. Je frémis de tous mes membres ! Flippant ! Je fais quelques pas en arrière. Je jette un regard alentour pour voir où sont mes fringues. Je repère un jeans troué et un vieux débardeur. Pas de sous-vêtements. Tant pis ! Je veux être avec Lukius et Minao. Je veux qu’ils me disent, qu’ils m’expliquent… qu’ils me rassurent !

J’enfile le tout à la vitesse VPrime et sort de la chambre précipitamment. J’enfile couloirs et escaliers sans bien voir où je suis, mais guidée par une sorte de GPS interne. J’arrive dans le couloir qui mène à la cuisine. Ils sont là. Je ne sais pas comment je le sais, mais je le sais et les voix qui me parviennent entre la mince ouverture du battant et du chambranle me le confirme. Je m’arrête devant, essoufflée. J’entends vaguement les propos, sans bien tout saisir, sauf les voix.

- Nous pouvons la laisser ici. Je suis sûr qu’on pourra traquer Tremor sans la mettre en danger.- Fils, je ne la connais pas depuis très longtemps, mais tu fais injure à qui elle est.- Pour ne pas vouloir la mettre devant un prédateur fou comme Tremor ?- Non ! Pour la sous-estimer ! - Il n’a pas tort, vieille branche ! Depuis combien de temps êtes-vous partenaire dans

l’affaire de Détective Privé?- Plus de deux ans.- Suffisamment pour qu’elle ait fait ses preuves !- Ce n’est pas pareil ! Il s’agissait d’affaires qui ne présentaient pas forcément de caractère

dangereux.- Vraiment ? Ce n’est pas ce que j’ai lu dans les rapports, frérot ! - Oui, d’accord ! Il y a bien eu quelques cas de violence extrême où elle a dû se défendre…- Avec brio ! J’ai lu le compte-rendu ! Elle sait se défendre ! C’est toi-même qui l’as écrit noir

sur blanc…- Oui ! OUI ! Mais c’étaient des vivants…- Oh ! Bien sûr ! Excuses-moi si je me trompe, mais l’Histoire de l’Humanité n’est pas composé

en partie d’actes plus violents les uns que les autres ou c’est une vue de l’esprit de quelques historiens surmenés et qui s’ennuyaient ferme ?

- Fils ! Ce n’est pas vraiment le moment de débattre de ceci ! Si nous demandions à la principale intéressée ce qu’elle en pense ?

Glorios s’approche de la porte, l’ouvre délicatement et me prend la main en me tirant à l’intérieur de la chaude pièce. Je me perds dans son merveilleux sourire et ses yeux si bleus… tellement bleus… Le ciel devait avoir ce bleu dans les débuts des temps, non ? Minao vient me prendre par la taille.

- Ça va ? Viens t’assoir…

Brenton est contre le mur dans une attitude qu’il a toujours et croque une pomme verte. Croc, croc, croc. Ses yeux me vrillent, mais ils ne bougent pas. Il a la tête de… Brenton quand il était Brenton et pas encore Lukius pour moi. Parfait ! Moi je vais prendre la tête que j’ai quand je suis moi-même plutôt plus moi-même que d’habitude. Ca nous fera égalité ! Une autre petite pique de douleur me fait porter la main sur le tatoo par-dessus le débardeur. Je prends un air dégagé et ôte ma main. Je me laisse aller contre Minao en me déplaçant légèrement pour que mon dos aille se caler contre l’épaule de Minao. Celui-ci m’attire tout de suite et je me retrouve assise sur ses genoux, le dos tout contre le torse musclé de Minao, ses bras et ses mains m’enserrant la taille avec douceur et fermeté. Croc, croc, croc. Bien ! Que le spectacle commence ! Minao a un petit rire qu’il étouffe dans mes cheveux emmêlés.

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- Si je comprends bien, on a décidé, sans me consulter bien sûr, de me tenir éloigner de l’affaire, parce que, si j’ai bien compris, je ne serais pas assez apte, intelligente et nécessaire à l’action ! Ce n’est pas un peu… macho comme attitude ?

Croc, croc, CROC ! Bien ! On dirait que le message est passé.

- Mais si j’ai bien compris, je suis un atout, pratiquement même, le meilleur atout que nous ayons, non ? Ce n’est pas un peu arrogant de ne pas l’utiliser et mettre enfin un terme à la situation plus que dramatique et terrifiante qui sévit actuellement ? D’autant que, si je compte bien, nous avons comme renforts, et non des moindres : Persea, Minao et Glorios, votre père. Egalement celui de Manowa ?

- On peut considérer que je suis le « père » de tous ceux qui sont yengo, qu’ils ne le soient que par essence, par nature, qu’ils se transforment ou pas !

- Bon ! Donc, Glorios, vous êtes le père de Tremor, aussi.- Oui.- Bon ! Fondamentalement, on peut dire que nous avons quelqu’un en la personne de Glorios

qui est, théoriquement, plus à même de venir à bout de Tremor et s’il a comme acolytes d’autres yengo avec des habiletés autrement formidables que celle de Glorios… Qui peut imaginer que ma petite personne pourrait être un inconvénient dans la résolution de l’affaire ?

CROC… Un trognon de pomme file à ras de mon nez et s’écrase contre le mur en face de Glorios  ! J’ai un petit rire un peu tremblant ! Bon ! Le grand méchant hybride a perdu les pédales ! Waouh ! Qui l’eut cru ? Le grand flegmatique en personne qui se laisse aller à une petite crise de rage… je ne sais pas si je dois être fière de moi ou commencer à chercher une grotte où me cacher en espérant que Batman viendra me protéger…

- Batman ne viendra pas, mais moi oui et… tu ne perds rien pour attendre, tramania… Tu devras me rendre compte de cette… Petite insolente ! Si jamais il t’arrivait quelque chose, je…

- Lukius, je t’aime ! Crois-tu que je veuille te faire autant de mal ? Je ne peux pas, mais… tu sais que j’ai raison, dans les grandes lignes… j’ai confiance en toi… J’ai confiance en nous tous comme une équipe. Il est temps, maintenant de faire face ensemble. Est-ce mal de désirer la même chose que toi pour moi-même ?

Un brouillon plus tard, Lukius est accroupi devant moi. Il pose sa joue sur mes cuisses. Minao rit silencieusement dans mon dos. Il est vraiment taré le mec !

Une heure plus tard, je suis un peu plus tranquille. Ce que peuvent faire un bon repas, une douche et avant cela un bon sommeil… Inégalable ! Les trois hommes se sont mis à parler stratégie et à considérer le meilleur terrain d’« appréhension », autrement dit, de la capture pure et simple de Tremor. J’ai émis quelques commentaires, surtout lorsqu’ils ont parlé des lieux où devraient se tenir le plan concocté. Il se fait que je connais bien Bruxelles et alentours. Je n’irai pas jusqu’à dire que mieux qu’un GPS, mais j’ai une bonne mémoire visuelle et un sens de l’orientation très fiables. Les lieux qu’ils suggéraient avaient, à mes yeux et bientôt aux leurs après ma démonstration, pas mal de points faibles qui auraient pu nous défavoriser, voire nous mettre plus encore en danger que ce qui est raisonnablement permis dans de telles circonstances. Nous avons fini par trouver le lieu idoine. Tobias, le videur- gardien- ami-informateur-yengo en essence de Lukius, ira sur place et aménagera certaines choses qui nous seront utiles au moment même, ainsi qu’un certain périmètre de sécurité. Une des choses qu’ils ont déjà fait, du moins d’après ce que j’ai compris, c’est de diffuser l’idée que

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j’avais l’intention de suivre des traces qui me semblent prometteuses dans un certain lieu et que, pour des raisons d’horaire, j’irais de nuit et seule puisque Brenton – Minao est resté discret et Tremor ne sait pas qu’il est revenu – était accaparé ailleurs. Pour le lieu-dit, nul doute que Tremor s’informera comme il se doit. Cela semble simple comme hameçon, mais connaissant l’arrogance et l’espèce de frénésie dont il est dernièrement victime, je pense que cela sera suffisant pour l’appâter. Si cela ne l’est pas, ils ont en réserve un plan B, C, D jusqu’à M. C’est bon à savoir et cela me rassure un peu. N’est pas chèvre de monsieur Seguin qui veut, ni peut !

Nous en sommes à parler de la manière dont nous pensons anéantir Tremor, mais aussi sa bande, quand Persea est inopinément apparue dans la cuisine. Les hommes n’ont pas paru surpris, mais moi bien, tellement que je suis carrément tombée de mon siège en plein sur mes fesses. Heureusement que j’ai un peu d’Airbag naturel, sinon… Elle est restée une fraction de seconde au-dessus de moi dans un habit digne d’une vampirella chasseuse et je me suis sentie vraiment ridicule ! Un brouillon plus tard, Lukius me tenait sur ses genoux et discrètement me massait les fesses. OH oui ! Encore… Glups ! Persea a alors eu un drôle de comportement, après avoir fait une sorte de bruit méprisant avec les lèvres à mon encontre. Elle s’est retournée sur elle-même, genre serpent venimeux qui fait un saut périlleux à l’envers et est restée pétrifiée durant quelques secondes à quelques pas de Glorios. Puis sans faire aucun son, elle a posé un genou en terre, baissé la tête et rentré le menton.

- Père… Pardonnez mon intrusion. Si j’avais su votre présence en ces lieux, je serais venue à vous avec tous les honneurs qui vous sont dus.

Je regarde l’amazone orgueilleuse et désagréable dans sa position de… vassale ? Esclave ? Soumise ? Quoi ? Je regarde Glorios. Il me fait un clin d’œil impertinent et j’étouffe un petit rire dans la chemise de Lukius.

- C’est l’intention qui compte, Persea. Relève-toi, nous avons du travail sur la planche. Mais avant…

Un brouillon plus tard, tenant par le bras Persea, ils se tiennent devant moi.

- J’aimerais que tu t’excuses pour ton comportement méprisable envers cette charmante enfant. Tu devrais savoir après tout ce temps que je ne tolèrerais jamais de telles manières !

Persea grimace. Eh bé ! Je ne bouge pas, un brin tétanisée. Le visage de Persea est un véritable poème et ode au flegme. Je n’ai pas vraiment l’impression qu’elle soit très sincère au moment où elle s’excuse laconiquement, mais je suppose que n’ayant pas le choix… J’aurais préféré qu’elle ne soit pas obligée de s’excuser, c’est pas comme si franchement je l’appréciais. J’ai hoché la tête en signe d’assentiment à ses excuses et Glorios, apparemment satisfait, a repris le court des opérations. Espérons que Persea ne me gardera pas un… yengo de sa yengo !

J’ai participé autant que je pouvais aux conciliables. Il est vrai qu’ils savent ce qu’ils disent et j’ai la sensation que ce n’est pas la première fois qu’ils débattent stratégie. A leurs âges, les guerres et autres batailles ont dû faire partie de leur existence. Ça fait drôle d’avoir des acteurs directs de l’Histoire Humaine et autres devant soi. Sans que je me rende compte, j’ai peu à peu sombrer dans la léthargie. C’est mieux que dans l’ennui, quoi que de l’extérieure, ça pourrait le paraître. A un moment donné… Black-Out !

65.Nous sommes dans une grande esplanade en dehors de la ville, en périphérie. Au loin, il y a

les lueurs orangées et blondes sales des réverbères des entrées et des sorties des autoroutes. Plus près on peut distinguer des raies de luminosité ténue qui échappent aux rideaux et autres voilages qui couvrent les fenêtres des habitats. Alentour, il y a un ersatz de bois et une sorte de parc délimité par des grillages et fermé ostensiblement par de très hautes grilles. L’espace aménagé où nous nous

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trouvons tient lieu sans doute de décharge, de parking sauvage en période de bon temps ou encore de futur terrain à bâtir. Les trois sont d’ailleurs plausibles et viables en même temps. Je m’avance seule jusqu’à l’endroit où a eu lieu un des crimes de Tremor, il y a trois semaines. Nous n’avions pas pu venir pour que j’y traque des traces. Je tends l’oreille, mais je n’entends que le léger brouhaha qui émane de tout lieu urbain. Bien que Lukius m’ait affirmé que je pouvais lui parler mentalement - Minao s’est assuré de sécuriser mon esprit afin d’être indétectable - je n’ose pas. Je ne sens aucune présence autour de moi. Tobias s’est proposé pour venir comme une sorte de garde du corps – il a aussi quelque chose à reprocher à Tremor – mais cela n’aurait servi qu’à mettre la puce à l’oreille de Tremor. Je regarde les arbres qui semblent se serrer frileusement les uns contre les autres pour donner l’impression, sans doute, d’être une vraie foret. Nul bruit ne m’arrive de là alors que Minao doit s’y trouver. Je ne sais pas vraiment où sont Persea, Lukius et Glorios, mais ils sont là.

Je pousse sur l’interrupteur de ma petite lampe. Le faisceau est puissant et précis, il découpe le sol comme un scalpel. La nuit vient à peine de tomber, mais les nuages menaçants donnent plus d’obscurité aux lieux. De vagues ombres bougent ici et là, donnant un cachet sinistre à l’endroit. Tremor a bien mordu à l’hameçon. Je ne sais pas comment Lukius obtient ses informations, mais depuis le temps, j’ai appris à m’y fier aveuglément. Le périmètre où on a trouvé les deux corps, un homme d’une trentaine d’années, récidiviste en attouchements d’ordre sexuels avec les enfants, mais n’allant jamais trop loin, ni suffisamment loin pour se faire inculper de pédérastie. Un triste sieur, par ailleurs, puisqu’il torture sa femme verbalement et physiquement avec l’argument fallacieux qu’elle est stérile. La dernière fois et unique fois où cette femme a voulu fuir cette saleté d’individu, il l’a retrouvé et lui a donné une telle raclée qu’elle a dû rester une semaine à l’hosto, mais comme elle n’a pas porté plainte et qu’il n’y avait pas suffisamment d’indices, ni de preuves que ce soit lui qui lui avait infligé un tel traitement, il s’en est tiré et elle est rentré au bercail comme un mouton à l’abattoir. Il a été retrouvé exsangue, le sexe arraché et emplissant sa bouche et battu à mort avant cela. Il semble, c’est Minao qui me l’a dit, que Tremor a poussé le vice en le paralysant d’une manière que seuls sont capables de faire les yengo. L’horreur crapuleuse assassinée est ainsi restée totalement consciente, mais sans pouvoir même émettre un cri ou un gémissement. Rien que d’y penser, ça me fout la trouille ! Il semble que la femme soit enceinte, mais pas des œuvres de la racaille tuée. Heureusement ! Je lui souhaite une meilleure vie sans lui. L’autre corps est une femme d’un certain âge. Elle se conservait bien. Sa spécialité est d’acculer les jeunes hommes dans son travail – elle a un haut poste dans une multinationale – afin qu’ils se soumettent sexuellement à elle. Elle est assez habile pour avoir échappé à plusieurs condamnations pour harcèlement sexuel. Aucun des jeunes garçons, tous majeurs, ne se sont plaints et ont subi ce type de comportement jusqu’à ce qu’elle trouve un autre « jouet » pour sa domination insatiable. Elle a réussi à casser plusieurs couples et ces victimes, la plupart, ont démissionné et une s’est suicidée, mais rien n’a pu être prouvé. Elle a été retrouvée les poignets et les chevilles attachées avec des menottes en fer. Elle avait les genoux brisées, de telle façon qu’elle était écartelée. On avait placé un énorme vibromasseur qui l’avait littéralement déchirée. Ses seins n’ont pas été touchés, ce qui a semblé très suspect aux enquêteurs. Je ne me l’explique pas, ni même Lukius et Minao. Elle a été fouettée, semble-t-il, mais pas trop durement pour déchirer la peau, juste la marquer. Pourtant certaines entailles judicieusement placées ont permis une exsanguination lente. Elle n’a pas pu se plaindre, mais a été pleinement consciente de son calvaire. Elle laisse derrière elle un mari qui semble beaucoup l’aimer et une pelletée de neveux et nièces de ses cinq frères et sœurs. Ses parents sont morts dans un accident de yacht. Je n’ai pas demandé de détails. Les yachts peuvent-ils être un danger mortel ? Quant aux jeunes gens qui ont subi une telle plaie, j’imagine qu’ils ne l’ont ni pleuré ni plainte et encore moins regretté. De fait personne de son travail n’assistait aux funérailles, ce qui en soit était déjà un non-hommage à sa dépouille. Je me demande toujours comment fait Lukius pour savoir ce genre de détails.

Je progresse lentement. Il a plu plusieurs fois, aussi les traces sont pratiquement effacées. Pourtant je sens des résidus de quelque chose. Ce qui est surprenant, c’est que je ne les vois pas avec mes yeux, mais avec… autre chose en moi. Quoi ? Je devrais demander à Lukius ou à Minao. J’imagine que cela fait partie de ce que je suis maintenant. Mes sens sont alertes, mais rien ne me prévient d’un danger imminent. J’ai l’impression d’être dans une espèce de sas d’insensibilité et c’est troublant. Je passe le faisceau de la petite lampe sur l’emplacement des cadavres. Je vois des sortes de filaments évanescents, comme des filets de brumes. Je sais maintenant qu’il ne s’agit pas d’un trouble de la vision. Minao m’a expliqué que c’était ce qui restait de l’énergie destructive de Tremor. Quand

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je lui ai demandé s’il voyait la même chose, il m’a répondu que « ça et le reste ». Quand j’ai demandé c’était quoi le reste, il m’a dit : « Tu n’as pas envie de savoir ! » Erreur ! Je veux savoir, même si par après je regrette de savoir. Sans le vouloir, Lukius m’a fourni des éléments de réponses. Le reste correspond à des visions plus ou moins claires de ce que Tremor a fait. C’est comme s’il avait accès à des réminiscences mémorielles de ce que Tremor commet. Effectivement, je ne veux pas savoir  ! Un mouvement d’air me fait lever la tête. Un homme de haute taille est prêt de moi. Je ne l’ai pas entendu, ni senti venir, jusqu’à ce déplacement d’air. Ça doit être lui. Je gémis intérieurement, mais je ne bronche pas, ça met en appétit les prédateurs tels que lui.

- Bonsoir… Vous cherchez quelque chose ?

Je me relève lentement en le regardant tranquillement.

- Oui…- Il est sans doute un peu tard pour trouver quelque chose…- Sans doute… J’ai mal calculé mon timing…- Il n’est pas si tard… Je peux peut-être vous aider…- Je ne sais pas. C’est peu probable, même…- Je n’en suis pas si sûr, Vinouha…

Je tressaille à peine…

- Minao ?

Il éclate de rire. L’écho des vagues d’hilarité me hérisse les poils du corps. Merde ! Son rire s’éteint lentement.

- Allons, allons, ma chère… ne feignez pas la surprise… Si ce n’est pas moi, vous seriez très en danger dans un espace si isolé… On ne sait jamais à quel genre d’individu on peut être confronté…

Je ne peux pas m’empêcher de pousser un léger ricanement. « C’est ça ! Et le grand méchant loup est une pauvre victime mal-aimée de la méchante et sanguinaire Chaperon Rouge et, de surcroît, abandonné de tous ! »

- Tss-tss-tss… Vous n’avez pas l’air de me croire… Pourtant, je ne vous veux aucun mal, je suis même disposé à vous aider. Allez-y, posez-moi toutes les questions que vous voulez… J’y répondrai totalement. N’avez-vous pas été une de mes plus fidèles limiers ? Je vous admire, Vinouha… Je peux, presque, comprendre la fascination que Brenton a pour vous…

Connard ! Ce n’est pas de la fascination, mais de l’amour ! Il reste parfaitement immobile, les mains derrière le dos, dans une pose faussement relâchée et inoffensive. J’imagine bien que personne n’a pu le prendre pour un vilain-pas-beau sadique et monstrueux ! Les pires…

- Toutes les questions ?- Toutes…

Je réfléchis. Le monstre aime jouer avec ses victimes. Moi je n’aime ni jouer ni être une victime potentielle. J’imagine que je dois encore créer l’illusion. Lukius m’a dit qu’il m’enverrait une faible décharge d’adrénaline pour m’avertir de me tenir prête à m’écarter pour les laisser appréhender Tremor. Je regarde le visage que je perçois de moins en moins dans l’obscurité croissante. Ses yeux scintillent légèrement, ce que j’ai déjà remarqué chez mes deux amours. Ils n’ont pas des yeux comme les vivants, ni comme les animaux, mais un peu entre les deux. Flippant !

- Pourquoi eux ?

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- Pourquoi pas eux ?- Ah non ! La technique de retourner les questions, très peu pour moi ! J’aime autant partir

d’ici…

Je fais mine de m’éloigner de lui. Il vacille une fraction de seconde, ne s’attendant manifestement pas à ma vive réaction. Mais… Bon ! Je sais, idiot, mais toute cette histoire commence vraiment à me courir sur le paletot et j’en ai ma claque ! Un petit courant d’air et il est devant moi, les mains levées devant son torse en signe de reddition.

- Vous avez raison ! C’était une piètre façon de faire. Recommençons tout depuis le début, vous voulez bien ?

Je ne vois pas bien son visage. Il se fond dans l’ombre. J’imagine que c’est une autre manière de jouer avec ses victimes. J’inspire doucement. Je reviens sur mes pas, sans m’en rendre compte. Il faut que je reste concentrée et surtout très sereine. Génial ! Rien que du simple ! J’avance toujours, puis je m’arrête brusquement. J’observe l’obscurité pour essayer de le localiser. Il est là, près de moi, mais… Un petit courant d’air. Il est passé de l’autre côté où mes regards se portaient. Je n’ai rien vu venir. Il est là. Je le sens, le vois du coin de l’œil. Le jeu du chat et de la souris commence vraiment.

- Allons, petite Vinouha ! Pas de nouvelle question ? Pour quelqu’un de si curieux d’habitude, je suis très déçu.

- Oui… euh… Pourquoi les avoir tués et pas remis à la justice ?- Question inutile, mais soit. La justice les aurait rendus à la vie civile et ils auraient continué

leur funeste et criminel destin.- Mais pourquoi les avoir torturés ainsi ? Vous pouviez les tuer et c’était déjà bien suffisant.- Question naïve et réflexion innocente. Parce qu’ils n’auraient pas compris et parce

qu’aujourd’hui il faut avoir une cause de décès pour que la mort soit considérée valide par la Société, la vôtre. J’ai donc décidé de leur donner leur vraie cause de mortalité… Moi ! Cadeau personnel aux vivants ! Ne me remerciez pas, ce fut un réel plaisir !

J’ouvre la bouche et la referme, puis la rouvre. Ce type est dingue, complètement frappa-dingue, mais c’est pas comme si je ne le savais pas, hein ! Question… encore… Laquelle ? Je respire lentement. Pas transpirer, pas trembler… Un petit courant d’air et il est un peu sur la gauche et en partie derrière moi. Bouh !

- Qui gagnez-vous, à part vous mettre à dos pleins d’entités officielles et autres ?- Question idiote et peu productive. Parce que c’est mon plaisir et je le peux. Sinon quel intérêt,

évidemment ! Autre question ! Allons, allons, vous pouvez sûrement faire mieux, non ?

Un autre courant d’air, il est pratiquement sous mon nez, sans me toucher dans une position inhumaine. Je sursaute et fait un petit bond en arrière. Connard ! Merde ! Respirer lentement, pas transpirer, pas m’inquiéter. Bon ! Question, question… Ah oui ! Question !

- Pourquoi les tuer alors que ce n’était pas le cas avant ?- Ah ! Voilà qui est mieux, bien mieux ! Vous.- Quoi ?- Vous.- Pourquoi moi ? Je ne comprends pas. Quel rapport ?- Enfin ! La seule et unique question !

Un autre courant d’air, dans mon dos. Je frémis longuement. Son souffle balaie mes cheveux. Je ne bouge pas, je laisse faire. Merde, merde, merde ! Respirer lentement, pas trembler. Son souffle est près de mon oreille. Pas bouger, rester calme, toujours… respirer lentement, très lentement…

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- Comment attirer ton attention, ma chère Vinouha ?- J’étais déjà intéressée avant…- Remarque imbécile ! Pas assez… Le Grand Brenton n’a donc rien dit ? Voilà qui est

troublant…

Un autre courant d’air, il est devant moi, formidable, les yeux brillants. N’est-il pas devenu plus grand? Je divague, sans doute la terreur ou une vue de l’esprit… Respirer encore… lentement, encore…

- J’aurais donc quelque chose à t’apprendre sur moi, chère Vinouha ? Je suis très flatté… Jusqu’à ma première victime, Brenton ne pouvait être sûr que c’était moi le coupable. En les tuant, je signais d’une manière que seul un yengo peut reconnaître et sentir… Comme je sais qu’il t’a marqué… tu sens si… lui et toi… un mélange si excitant…

Il se penche au-dessus de moi et respire mes cheveux, puis mon visage. Il descend lentement le long de mon corps et me flaire. Je me tétanise. Je ne suis pas un morceau de steak, je ne suis pas une côtelette, je ne suis pas un poulet, je ne suis pas un morceau de viande… respirer, respirer…

- J’ai pris tant de plaisir à suivre tes traces, alors que tu suivais les miennes. C’était si merveilleux, si juste… Nous étions comme deux joueurs d’échecs dont je marquais les règles et tu as été si douée, si parfaite… Puis nos pas de danses… Entends-tu le son de la symphonie que j’ai créé avec toutes ces petites scories humaines ? Nous vois-tu, toi et moi dans cette ronde infinie…Veux-tu danser avec moi, chère Vinouha ? Il y a tellement de petites crapules qui ne valent pas la peine, sauf pour passer le temps, alors que nous avons notre propre danse à toi et moi…

Je pousse un cri étouffé. Je n’en peux plus, je ne veux plus, je ne… Un grand courant d’air plus tard, Brenton me tient contre lui, me tenant fermement. Minao est derrière Tremor. Je respire lourdement, je me sens si mal, si mal. Les images qui parcourent mon esprit me lacèrent la raison sans pitié. Qu’a-t-il fait, bon sang ? Brenton passe sa main sur mon front et ma tête, il pousse sur certaines zones et tout s’efface rapidement comme lorsqu’on éteint un ordinateur. Je respire profondément. La senteur de Brenton envahit mes sens et je m’y abandonne, tremblante et terrorisée. Il me glisse derrière lui et place un filet de rétention autour de moi. Je me détends enfin, anesthésiée et en sécurité.

- Ah ! Je ne pensais pas que la fête allait être si complète. Le duo comique en personne! Parfait ! Plus il y a de fous, plus on rit. Je suis infiniment flatté de votre présence ! C’est inattendu, mais j’apprécie aussi l’inattendu. Quoi que… Tu me déçois vraiment beaucoup, ma chère Vinouha. Tu étais si convaincante, si naturelle, si humaine… j’étais tellement content que tu sois venue à moi et là… Que m’amènes-tu ? Ces deux charlots ! Quelle terrible déception !

- Ne lui adresse plus la parole ! C’est fini !- Fini ! Tu crois donc, petit frère, que toi et ton binôme vous pourriez me battre, alors que j’ai

mon équipe prête à…- Avais…

Les yeux de Tremor fulminent. Il cherche quelque chose dans son esprit et ne trouve rien. Il pousse un rugissement qui me glace les sangs ! Je reste derrière Lukius, même si je glisse un regard par-dessus l’épaule de Lukius. Je déglutis. Le spectacle est effroyable et fascinant.

- Qu’importe ! Je peux vous battre et elle aussi et je vous laisserais suffisamment en vie pour que vous la voyez comment je m’approprie de sa vie, d’elle.

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Minao pousse un rugissement. Son envergure commence à changer. Tremor commence à changer et je tremble convulsivement. Il s’élance en avant, mais avant d’atteindre Minao qui ne s’est pas encore transformer, Persea se met devant lui. Il dérape et il change à sa forme humaine avec une sorte de flizz soyeux qui me fait grincer des dents.

- Tu peux peut-être contre eux deux, Kranlisjn, mais pas avoir moi dans l’équation !

Tremor bouge si vite que je ne vois rien qu’un brouillon. Je sens une pression sur le bras et une brève douleur aigue comme celle d’une pointe d’aiguille, puis je me retrouve dans les bras de Brenton. Un animal immense s’élance vers nous, se jette violemment sur Tremor qui pousse un hurlement terrifiant Des bruits d’os rompus et de chairs arrachées se font entendre. Tremor hurle de plus belle. La magnifique bête d’un blanc surnaturel, avec un regard fascinant qui fluctue continuellement, des crocs incroyables comme de gigantesques sabres, des griffes qui sont comme des serpes et une envergure de trois mètres au moins grogne férocement. Je tremble convulsivement, incapable de détacher les yeux de ce qui se passe. Flippant ! Je reste la bouche ouverte. Il est si magnifique. Il pousse un rugissement très violent et les hurlements de Tremor s’éteignent. Je crois qu’il s’est évanoui. La bête dirige son groin ou museau qui ressemble à celui d’un ours ou d’un canidé vers le cou du monstre. Je retiens ma respiration et…

- NON !

Je me tourne vers le simili-bois et vois une femme qui arrive en courant vers nous. J’ouvre la bouche. Quoi ?

66.- NON ! Non ! Tu ne dois pas le faire, Glorios, mon amour ! La dernière fois que tu as dû

exécuter un des tiens, tu es parti durant un siècle en pleine jungle de l’Amazonie. Je ne crois pas que je pourrais t’attendre autant de temps ! S’il te plaît ! Laisse Mikaïl et Crisold s’en charger, ce sont leurs fonctions… S’il te plaît, mon amour, ne t’inflige pas cela, je te connais, tu n’es pas comme ça…

Un homme est derrière la femme. Il a un air si sérieux et si sévère, mais en même temps il est si beau, si magnifique. Grand aussi, comme tous les yengo, semble-t-il. Elle regarde Glorios fixement, tout son être tendu vers la bête qui tient une patte sur Tremor toujours dans le coaltar. Je déglutis. Comment fait-elle ça ? Je ne pourrais pas. Glorios pousse un rugissement, ses yeux roulant et fulminant vers elle. La différence de taille est plus notable en les voyants comme cela, mais cela ne semble pas l’empêcher d’affronter la magnifique bête, si formidable, si puissante. Glorios hoche la tête. Il se transforme dans un long flizz soyeux qui me fait grincer des dents. Il apparaît dans une nudité qui me fait rougir. Waouh ! Vraiment il est bien… Oupsy ! Glorios attire la femme contre lui et elle s’engouffre dans l’étreinte, soulagée. L’homme qui est là près d’elle se ceint au corps de la femme – que j’imagine être Vera et lui, Mikaïl. Il pose la main sur l’épaule de Glorios en signe d’assentissement face à la décision prise. Je suis moi-même dans les bras de Brenton. Je ne ressens rien, le contrecoup viendra plus tard. J’ai eu la terreur de ma vie. Je ne regarde pas du côté de Tremor qui est maintenant subjugué et attaché, seuls les yeux de celui-ci scintillent dans la nuit, partiellement éclairée pour moi et Vera, les deux humaines du lieu. Vera se détache de ses hommes et vient vers moi. Deux hommes puissants s’approchent de Tremor et le prennent avec célérité et violence. Un brouillon plus tard, ils ne sont plus là.

Vera pose sa main sur l’épaule de Brenton. Minao est derrière moi, solide et rassurant. Je me sens protégée, en sécurité entre eux. Pour le moment.

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- Pauvre petite ! Tu aurais dû, Glorios, me faire rencontrer cette jeune femme avant tout ceci! J’aurais pu lui donner des trucs ! Ce n’est pas comme si c’était la première fois que j’aurais été la chèvre de Monsieur Seguin !

Un petit rire échappe à Mikaïl et cela me surprend venant d’un homme à l’apparence si rigide, austère même. Glorios lève un peu les yeux en l’air. Je souris malgré moi.

- Brenton et… Minao ? Puisque Glorios n’arrive pas à être suffisamment civilisé, je le serai pour lui ! Je vous invite à la maison la semaine prochaine. J’ai très envie de rencontrer ses enfants. Et vous, toi… je peux te tutoyer, Vinouha ?

- Oui, oui, bien sûr !- Génial ! Bon, alors c’est décidé ! Je fais une paella ! Mon abuelo m’a appris. Enfin, il me

tenait près de lui quand il la préparait et me demandait de faire l’une ou l’autre chose, mais jamais le principal. Pour lui, la paella ne devait avoir qu’un cuisinier, en l’occurrence lui. Je vous attends alors, hein… On va y aller ! Je ne sais pas vous, mais cet endroit me fout la pétoche !

Elle se penche et m’embrasse doucement sur la joue. Glorios me fait un clin d’œil.

- Je reste à ta disposition, ma petite fille, si tu as besoin de moi. Mes fils s’occuperont très bien de toi.

- Merci…- A toi, surtout à toi ! Je suis désolé que tu aies dû vivre cela, en passer par là…- Je ne regrette pas ! Il le fallait…- Oui, sans doute… Hélas !

Minao et Brenton saluent leurs vis-à-vis. Ils parleront plus tard, je suppose. Un brouillon plus tard, ils sont partis. Nous faisons de même. Ils me soutiennent sans me charger dans leurs bras. J’apprécie vraiment. S’ils le faisaient et, ils meurent envie de le faire j’en suis sûre, je ne pourrais plus avancer librement plus tard. Un pied devant l’autre, respirer, respirer, surtout respirer… doucement, lentement… pas trembler, jamais trembler… un autre pas, un second, un troisième…

Nous sommes dans le grand lit dans la demeure de Minao. Je ne savais pas qu’il en avait une. J’aurais dû le savoir ou alors je le savais et je ne l’ai plus su à un certain moment ou… Lukius me serre contre lui. Je n’arrête pas de trembler. Minao a proposé un antidépresseur léger, une tisane calmante, un massage relaxant, une séance de boxe, une séance de… Bref ! J’ai seulement dit : vous deux ! Et c’est ce que j’ai eu pour me rassurer et me calmer, mais si ma tête dit oui à leurs présences autour de moi, mon corps a l’air de vouloir dire non. Il tressaille, transpire, frémit, tremblote, puis se statufie subitement, me laissant vide et concassée de partout. Minao se serre contre moi tout en me caressant dans des endroits étranges, mais qui me font du bien. J’imagine que ses années passées en Chine et en Inde en d’autres temps lui ont appris certaines choses sur le corps humain. Je ne reconnais rien de ce que ses mains me font, sauf que c’est très bien. Mon esprit s’engourdit par moment, puis reprend comme lorsqu’un générateur manque d’énergie, puis reprend force et énergie. Je résiste. A quoi ? A la terreur, à la peur, à moi-même ? J’apprécie au-delà de tous maux et mots que ni Lukius ni Minao ne m’aient servis les poncifs d’usage en ces circonstances : «  Ne t’inquiète pas, tu es saine et sauve, il ne peut plus t’atteindre ! » Faux ! Il continuera à m’atteindre tant que ma mémoire vive me projettera les images, sons et non-lumières de ces moments-là. « Tu vas voir, ça va passer très vite. C’est juste le contrecoup, c’est normal ! » Faux ! Ça passera quand ça voudra ou pourra et pas avant, contrecoup ou pas !

Je me laisse aller progressivement entre eux, les laissant me happer dans leur amour, dans notre amour.

- Que va-t-on faire de Tremor ?- Tu n’as pas envie de le savoir, ma jolie.

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Faux ! Je veux le savoir, je dois le savoir parce que… parce que… parce que !

- Ils vont le démembrer.- Pardon ?- Ce serait à lui de te demander pardon ! C’est la procédure pour ceux de notre nature.

D’abord on tue son esprit par une manière difficile de t’expliquer, ensuite on le démembre et on le brûle !

- Pourquoi ne pas le brûler tout de suite ?- Parce que notre capacité de régénérescence est similaire au mythique Phénix.- Il existe ?- Plus maintenant. Glorios a dû en rencontrer quelques-uns lorsqu’il avait déjà sa nature de

yengo et d’une façon ou d’une autre il a acquis l’essence de phénix.- Pas sa nature ?- Non. Si quelqu’un a pu l’avoir, je ne la connais pas. Mikaïl Versakari doit le savoir ainsi

que Mana.- Mana ? Comme la chanson ?- Oui. Mais je t’assure qu’il est infiniment plus âgé que la chanson. C’est un des Gardien

des Vampires et un chamane. Il te plairait. Il plaît à tout le monde. - Comment est-il ?- Difficile à dire, mais lorsque tu le vois, tu as la sensation d’être devant la Beauté

personnifiée et c’est assez troublant.- Génial ! C’est quand que j’peux le voir ?- A la Saint Glin-Glin !

J’ai un petit rire, ce qui me vaut un petit mordillement sur mon téton. Je frémis, mais de plaisir anticipé. Lukius le perçoit aussi. Minao me mordille l’autre téton et je gémis doucement. Lukius me déplace pour m’embrasser profondément. Le plaisir monte. J’ai un peu d’appréhension pour ma première fois avec Minao et de manière un peu perverse, j’aime savoir que Lukius est là, comme s’il pouvait me guider pour suivre le chemin du désir avec son frère d’âme. Les mains de Lukius descendent à mon sexe trempé et nécessiteux. Je gémis plus fort. Ses doigts passent sur mon clitoris, sur mes lèvres vaginales moites, les écartent. Ses doigts me pénètrent. Je lance mes mains au hasard et la main d’un de mes hommes attirent mes doigts à une érection que je veux dans mon vagin, maintenant, tout de suite ! Un corps se déplace, Lukius et moi sommes soudés par les lèvres. La passion monte et je grimpe sur les crêtes violentes d’une jouissance inassouvie. Un grognement me dit tout le plaisir de Minao qui pénètre mon sexe et danse d’abord doucement, puis de plus en plus vite en moi, sur moi, autour de moi. Je détache ma bouche de celle de Lukius qui masse, pince et tapote mes seins. Ma main glisse sur le fourreau de chair. Lukius feule de plaisir. Je regarde Minao, son corps uni au moins par nos sexes. Il me regarde, son regard a changé et est devenu étrange, fascinant. Je m’y accroche, savourant ses profonds et rapides va-et-vient. Nos yeux sont sereins, se disant ce que je ne peux encore lui dire, mais que je sens si fort… Je détache mon regard de celui de Minao à contrecœur. Je veux donner du plaisir à Lukius. Celui-ci me sourit. Il lance un regard entendu à Minao qui sort de mon sexe. Je grogne de frustration jusqu’à ce que je comprenne. Ils me placent, Lukius tend sa verge à ma bouche avide. J’ai un petit rire. Minao m’agrippe la taille et son sexe me pilonne plus vite, plus fort qu’avant. Nous chaloupons tous les trois, je ne suis plus qu’un corps et un esprit en dérive, en recherche du port, notre port. Lorsque j’atteins celui-ci, que les râles de leurs éjaculations se joignent à mes râles d’orgasme, je me sens partir à la dérive encore plus, la respiration hiératique, l’esprit en déroute, tout mon être en extase. Je suis arrivée. Minao et Lukius me prennent contre eux, je crois que je les aime vraiment et... Black-out !

67.- Tu es prête ?

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Je cligne des yeux. L’espace reprend consistance à mes sens. Lukius me regarde en souriant entre croc, croc, croc d’une pomme tellement rouge qu’elle ferait pâlir de jalousie la méchante sorcière de Blanche-Neige et les sept mains. De quoi me parle-t-il ?

- De la soirée chez Glorios.- Ah oui ! Je crois que…- Que se passe-t-il, ma jolie ? Toujours anxieuse ?

Je regarde Minao, l’homme de ma vie, puis Lukius. Croc… croc… croooooc…

- Je… c’est trop tôt, j’imagine.

Je pousse du doigt une feuille d’un dossier papier étalé devant moi sur mon bureau plutôt désordonné. Je fronce les sourcils. Le boulot a repris à l’agence comme si de rien n’était, sauf que ce n’est pas rien pour moi. Pas encore, peut-être jamais. Minao relève la tête et entend quelque chose que je n’entends pas encore. Lukius ne me quitte pas des yeux. Je le sens sonder dans mon cerveau, mais il n’arrive à rien. Je le sais, moi-même j’essaie de m’entendre penser et j’ai un peu de mal. Fog quand tu me tiens… Une minute plus tard, Pernel entre dans le bureau, suivi par Minao. Il est méconnaissable  ! Toujours aussi grand, mais tellement aminci et attifé comme un vrai inspecteur de police. Enfin, comme on imagine un inspecteur de police habillé. Bouh ! Il se place devant mon bureau, Brenton reprend sa pose nonchalante habituelle contre le mur, croc, croc, croc. Minao s’assoit sur une chaise qui se trouvait là, mais que je n’ai pas vu jusqu’à maintenant.

- Cosanta…- Pernel…- Vous avez une mine épouvantable, Cosanta…- Pas vous !- Ouais, c’est ce qu’on m’a dit.- Je suis surprise de vous revoir ici.- Moi aussi. J’étais sur la touche, puis on m’a réincorporé avec des honneurs en plus, même

si ça été fait en privé !- Waouh ! Félicitations ! Ça baigne pour vous, alors !- Ça pourrait encore plus si je savais exactement le pourquoi des choses !- Pourquoi vouloir savoir le pourquoi ?- Mm ! Brenton déteint sur vous, Cosanta et je ne vois pas trop l’intérêt. Je serais tenté de

vous demander d’enquêter.- Sur quoi ?- Sur cette affaire. Tout ce que j’ai appris c’est qu’on avait expliqué les circonstances de

toute l’affaire du « Criminel V » et mon implication en elle, après on m’a réincorporé et le dossier était clôturé et archivé.

Personne ne dit rien. Croc, croc, croc.

- Bien ! Je vois que vous en savez autant que moi. Donc, trêve de bavardages ! J’ai deux cas pour vous.

- Les affaires reprennent, alors…- C’est vous qui devrait reprendre du poil de la bête, Cosanta ! Béranger n’aurait pas aimé

vous voir comme cela.

Je tousse violemment. Merde ! Quel con !

- Bien ! Soignez-vous !

Il se tourne vers Minao.

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- Minao, c’est ça ? J’imagine que vous êtes aussi un citoyen modèle comme Brenton…- La seule manière d’être, inspecteur.- Mm ! Bien ! Voilà la clef USB. J’attends de vos nouvelles au plus vite.

Il nous fait un vague salut global et sort d’un pas énergique de l’officine. Croc, croc, croc. Les affaires reprennent. Wep ! Faudra faire avec. Je cligne des yeux. Brenton est accroupi devant moi.

- Tramania… regarde-moi. Concentre-toi sur moi…

Il place une main sur ma tête et la palpe. Je me sens flotter. D’ailleurs tout est en apesanteur comme dans l’ascenseur. Je chantonne quelques notes de la chanson de Calogero en souriant. Minao est accroupi près de Brenton et me palpe le corps. Génial ! On va remettre ça encore et c’est tellement bon que je ne sais pas pourquoi je n’ai pas fait ça avant. Je veux dire… avec les champoings, c’est deux en un et c’est tout bénef, avec deux hommes, c’est presque la même chose… sauf que c’est moins… plus… et qu’ils ne sont pas du savon, enfin, je veux dire… rien à voir, sauf que c’est deux pour un, enfin deux, un et un et…

- Ma toute belle, regarde-nous, concentre-toi.

Je souris à Minao. Il est si beau. C’est un truc de yengo ou quoi d’être si beau ? Ils pourraient devenir modèle international ! Wep ! En apesanteeeeeuuuuurrrr… j’aime bien cette chanson et les paroles… Moi aussi, j’aimerais faire comme dans la chanson… en apesanteeeeuuuuurrrr…

- T’en pense quoi ?- Que nous devons filer chez Glorios immédiatement, vieux frère !- Comment ça ?- Notre tramania a la marque de Tremor sur elle.- Comment est-ce possible ? J’ai fait le nécessaire pour qu’il ne puisse pas l’atteindre…- Tu oublies que Tremor pouvait passer outre les protections habituelles et celles des yengo

de nature, d’essence ou hybride à fortiori…- Bon sang ! J’avais oublié cela, d’autant que la dernière fois il…- Ecoute, tu te flagelleras plus tard, Minao ! Maintenant il faut que Glorios la voie. Il est le

seul à pouvoir la déposséder de la marque.- Oui… Allons-y !

Minao est si fort. Il me prend dans ses bras. Je ne comprends pas pourquoi ils ont l’air si inquiet ! Je ne suis pas très habile encore avec le sexe, enfin les sexes, mais j’apprends vite et… Black-out !

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