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CAS CLINIQUE 20 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale n° 335 - octobre-novembre-décembre 2013 Mots-clés Pédiatrie – Détresse respiratoire aiguë Keywords Paediatrics – Acute respiratory distress Détresse respiratoire aiguë d’une enfant de 7 ans A 7-year-old child’s acute respiratory distress J. Majer* * Hôpital Robert-Debré, Paris. L es détresses respiratoires aiguës sont des situations d’urgence, fréquentes et angoissantes en pratique quotidienne, pour lesquelles les ORL sont souvent sollicités, conjointement aux médecins anesthésistes- réanimateurs. Une analyse méthodique de la dyspnée permet habituellement une orientation étiologique (1). L’examen initial d’un enfant dyspnéique doit rechercher en premier lieu des signes de gravité, dont la présence exige un traitement symptomatique et étiologique urgent (1-3). Hors contexte fébrile, une des étiologies fréquentes de la dyspnée aiguë en pédiatrie est la présence d’un corps étranger (CE) au niveau des voies aériennes. L’interrogatoire oriente habituel- lement vers ce genre d’étiologie, car il permet de retrouver, dans les heures précédentes, un syndrome de pénétration corres- pondant à un accès brutal de suffocation ou de toux, suivi de signes d’atteinte bronchique (toux, wheezing) qui peuvent persister ou se résoudre spontanément, masquant alors les signes d’un CE qui se manifestera à distance. Cependant, ce syndrome de pénétration est absent dans 25 % des cas de CE bronchique (1, 4). Les dyspnées aiguës atypiques, dont l’interrogatoire est peu clair ou les signes cliniques abâtardis par une pathologie sous-jacente ou le délai de prise en charge, sont souvent source d’erreurs diagnostiques. Présentation du cas Il s’agit d’une petite fille de 7 ans, ayant pour antécédents des épisodes de bronchiolite du nourrisson et un asthme en cours de traitement par fluticasone deux fois par jour et salbutamol à la demande en cas de crise. Elle ne présente par ailleurs aucune autre pathologie, pas d’allergie médicamenteuse connue, mais une notion d’atopie. Cette jeune patiente consulte aux urgences d’un hôpital près de son domicile pour une dyspnée aiguë, brutale, apparue en milieu de nuit, au début du printemps, sans fièvre. L’interrogatoire de la patiente et de sa maman ne retrouve pas de cause évidente de dyspnée aiguë, en particulier pas de syndrome de pénétration. L’examen clinique met en évidence des signes de gravité de la dyspnée, avec une tachycardie et une polypnée à 70/mn, une saturation en oxygène stable mais abaissée entre 83 et 86 % en air ambiant. La patiente est donc prise en charge rapidement et bénéficie d’aérosols de bronchodilatateurs qui ne font aucun effet. Les urgentistes décident alors de réaliser une radiographie du thorax. Le premier cliché en inspiration retrouve un CE radio- opaque bas situé (figure 1). À la découverte de ce CE, il est réalisé un second cliché en expiration forcée (figure 2). La radiographie est interprétée comme diagnostiquant un CE bronchique, car mobile à la ventilation. Les urgentistes valident ce diagnostic au vu de l’interrogatoire, de l’examen clinique et de l’inefficacité des bronchodilatateurs, et décident un transfert en urgence de la patiente dans un centre disposant d’une équipe ORL pouvant la prendre en charge rapidement, en raison de la mauvaise tolérance. Ce transfert a lieu en fin de nuit, par Samu. Les médecins du service de transport d’urgence valident également ce diagnostic et transportent la patiente dans le service de réanimation pédiatrique attenant au département d’ORL du deuxième hôpital. Les réanimateurs examinent l’enfant, vérifient les radiographies, confirment le diagnostic de CE des voies aériennes inférieures et contactent les ORL pour qu’ils puissent l’extraire. Ceux-ci valident l’indication d’extraction de CE sous sédation au bloc opératoire. La patiente entre en salle opératoire et la radiographie est à nouveau analysée sur négatoscope avant sédation de l’enfant. Sur le second cliché, le corps étranger paraît situé en dehors de la filière trachéobronchique. Il pourrait s’agir d’un CE œsophagien comprimant la trachée. Devant la dyspnée aiguë persistante, il est décidé de retirer ce CE sous anesthésie générale. L’œsophago- scopie est réalisée à l’aide d’un œsophagoscope pédiatrique de taille 5 et ne retrouve pas de CE œsophagien jusqu’aux 2/3 de

Paediatrics – Acute respiratory distress Détresse

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Page 1: Paediatrics – Acute respiratory distress Détresse

CAS CLINIQUE

20 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 335 - octobre-novembre-décembre 2013

Mots-clésPédiatrie – Détresse respiratoire aiguë

KeywordsPaediatrics – Acute respiratory distress

Détresse respiratoire aiguë d’une enfant de 7 ansA 7-year -old child’s acute respiratory distress

J. Majer*

* Hôpital Robert-Debré, Paris.

Les détresses respiratoires aiguës sont des situations d’urgence, fréquentes et angoissantes en pratique quotidienne, pour lesquelles les ORL sont souvent

sollicités, conjointement aux médecins anesthésistes- réanimateurs. Une analyse méthodique de la dyspnée permet habituellement une orientation étiologique (1).

L’examen initial d’un enfant dyspnéique doit rechercher en premier lieu des signes de gravité, dont la présence exige un traitement symptomatique et étiologique urgent (1-3).Hors contexte fébrile, une des étiologies fréquentes de la dyspnée aiguë en pédiatrie est la présence d’un corps étranger (CE) au niveau des voies aériennes. L’interrogatoire oriente habituel-lement vers ce genre d’étiologie, car il permet de retrouver, dans les heures précédentes, un syndrome de pénétration corres-pondant à un accès brutal de suffocation ou de toux, suivi de signes d’atteinte bronchique (toux, wheezing) qui peuvent persister ou se résoudre spontanément, masquant alors les signes d’un CE qui se manifestera à distance. Cependant, ce syndrome de pénétration est absent dans 25 % des cas de CE bronchique (1, 4).Les dyspnées aiguës atypiques, dont l’interrogatoire est peu clair ou les signes cliniques abâtardis par une pathologie sous-jacente ou le délai de prise en charge, sont souvent source d’erreurs diagnostiques.

P r é s e n t a t i o n d u c a s

Il s’agit d’une petite fille de 7 ans, ayant pour antécédents des épisodes de bronchiolite du nourrisson et un asthme en cours de traitement par fluticasone deux fois par jour et salbutamol à la demande en cas de crise. Elle ne présente par ailleurs aucune autre pathologie, pas d’allergie médicamenteuse connue, mais une notion d’atopie.

Cette jeune patiente consulte aux urgences d’un hôpital près de son domicile pour une dyspnée aiguë, brutale, apparue en milieu de nuit, au début du printemps, sans fièvre. L’interrogatoire de la patiente et de sa maman ne retrouve pas de cause évidente de dyspnée aiguë, en particulier pas de syndrome de pénétration. L’examen clinique met en évidence des signes de gravité de la dyspnée, avec une tachycardie et une polypnée à 70/mn, une saturation en oxygène stable mais abaissée entre 83 et 86 % en air ambiant. La patiente est donc prise en charge rapidement et bénéficie d’aérosols de bronchodilatateurs qui ne font aucun effet. Les urgentistes décident alors de réaliser une radiographie du thorax. Le premier cliché en inspiration retrouve un CE radio-opaque bas situé (figure 1). À la découverte de ce CE, il est réalisé un second cliché en expiration forcée (figure 2).La radiographie est interprétée comme diagnostiquant un CE bronchique, car mobile à la ventilation. Les urgentistes valident ce diagnostic au vu de l’interrogatoire, de l’examen clinique et de l’inefficacité des bronchodilatateurs, et décident un transfert en urgence de la patiente dans un centre disposant d’une équipe ORL pouvant la prendre en charge rapidement, en raison de la mauvaise tolérance.Ce transfert a lieu en fin de nuit, par Samu. Les médecins du service de transport d’urgence valident également ce diagnostic et transportent la patiente dans le service de réanimation pédiatrique attenant au département d’ORL du deuxième hôpital. Les réanimateurs examinent l’enfant, vérifient les radiographies, confirment le diagnostic de CE des voies aériennes inférieures et contactent les ORL pour qu’ils puissent l’extraire. Ceux-ci valident l’indication d’extraction de CE sous sédation au bloc opératoire.La patiente entre en salle opératoire et la radiographie est à nouveau analysée sur négatoscope avant sédation de l’enfant. Sur le second cliché, le corps étranger paraît situé en dehors de la filière trachéobronchique. Il pourrait s’agir d’un CE œsophagien comprimant la trachée. Devant la dyspnée aiguë persistante, il est décidé de retirer ce CE sous anesthésie générale. L’œsophago-scopie est réalisée à l’aide d’un œsophagoscope pédiatrique de taille 5 et ne retrouve pas de CE œsophagien jusqu’aux 2/3 de

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CAS CLINIQUE

▼ Figure 3.

◀ Figure 3. Radiographie thoracique de face, postopératoire, sur table.

Figure 2. ▶ Radiographie

thoracique de face, en expiration forcée.

◀ Figure 1. Radio-graphie thoracique de face, en inspiration.

La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 335 - octobre-novembre-décembre 2013 | 21

l’œsophage. Une radiographie de contrôle peropératoire est donc réalisée, qui montre l’absence de CE au niveau du thorax (figure 3), mais aussi de l’abdomen. L’examen de l’enfant, sur table opératoire, sous anesthésie générale, constate qu’un élastique, comportant une barre métallique, maintenait une natte dans les cheveux de l’enfant. On décide d’interrompre l’intervention et de réveiller l’enfant, qui sera extubée 45 minutes plus tard. La détresse respiratoire persistera, cependant améliorée par l’induction anesthésique, et s’amendera progressivement avec un traitement médical de l’asthme. Le diagnostic retenu a finalement été : décompensation aiguë d’asthme.

D i s c u s s i o n

Le terrain de l’enfant en question pouvait tout à fait expliquer une dyspnée aiguë nocturne brutale. Il s’agit d’une enfant asthmatique, en pleine période de recrudescence de son asthme, liée au retour d’allergènes en grande quantité dans l’air (floraison printanière). Elle présentait des crises d’asthme à répétition, dont certaines étaient sévères, car nécessitant une corticothérapie systémique. Les signes de gravité de détresse respiratoire aiguë étaient présents chez cette patiente et ont affolé les personnes la prenant en charge. Les signes fonctionnels, l’interrogatoire et l’examen clinique n’ont pas été analysés avec le temps et le recul nécessaires pour un raisonnement fondé. On ne note pas d’éléments obstructifs hauts dans l’analyse sémiologique de cette dyspnée, en l’occurrence, il n’existait pas de tirage, ni de bruit laryngé (stridor) ou trachéal (cornage).La radiographie a montré un CE qui se déplace sur la radio-graphie entre l’inspiration et l’expiration. Or, ce corps étranger était extra-aérien sur ces 2 clichés, mais au vu de l’examen clinique et de la détresse respiratoire, il a été interprété à tort comme bronchique.Le contexte, hors du caractère urgent et angoissant de cette pathologie, est également en jeu. L’enfant se présente en fin de nuit, période des gardes où les équipes médicales sont habituellement en activité depuis presque 24 heures, et présente un changement de lieu de traitement, donc une prise en charge par plusieurs médecins, dans 2 hôpitaux différents, avec des transmissions par un intermédiaire (Samu) [5].Les contrôles habituellement systématiques des patients radiographiés n’ont pas été réalisés en raison du caractère urgent de la situation. Les multiples contrôles des clichés ont été effectués en les analysant rapidement à la lumière ambiante d’une pièce, en raison du contexte urgent et du stress engendré par la situation. L’étude de la luminance ambiante d’une pièce correctement éclairée est de 50 lux, contre près de 600 à 1 000 lux pour un négatoscope classique. L’étude d’une radiographie sur un négatoscope permet de mettre en évidence des détails qui ne sont pas visibles à une luminosité insuffisante (6).

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22 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 335 - octobre-novembre-décembre 2013

Un corps étranger œsophagien provoque rarement des complica-tions respiratoires (4). Le corps étranger œsophagien, s’il existe vraiment, n’est jamais une urgence, en dehors d’une pile, dont l’effet corrosif impose l’extraction la plus rapide possible (1, 4) .On notera que le rapport bénéfice/risque de sédater et d’intuber une enfant en crise d’asthme pour un corps étranger œsophagien est plus en faveur du risque. L’extubation, bien qu’elle ait été possible dans notre cas, aurait pu être impossible en raison de la dyspnée préexis-tante de l’enfant. L’effet d’une induction anesthésique lors d’une crise d’asthme est variable et celle-ci doit être évitée si possible, car il existe un risque non négligeable d’aggravation de la crise d’asthme (7).

C o n c l u s i o n

Une prise en charge rapide ne doit pas être pour autant bâclée sous prétexte que le diagnostic est évident dans le contexte. L’interro-gatoire et l’examen clinique, notamment l’analyse sémiologique de la dyspnée, sont fondamentaux et doivent être effectués avec le plus grand soin et la plus grande attention, même dans un contexte urgent ou angoissant, afin d’éviter de tirer de conclu-sions hâtives. L’association de plusieurs médecins, de plusieurs spécialités, en différents lieux de soins, ne prémunit pas contre des erreurs d’interprétation clinicoradiologiques. Au moment de la

1. Bremont F, Rittie JL. Détresse respiratoire aiguë du nourrisson, de l’enfant, Corps étrangers des voies aériennes supérieures, UPS-TLSE 2008, Item 19. http://www.medecine.ups-tlse.fr/dcem3/pediatrie/Item%20193%20Detresse%20respiratoire%20aigue.pdf2. Cheifetz IM. Pediatric acute respiratory distress syndrome. Respiratory Care 2011;56(10):1589-99.3. Chabernaud JL, Lebars G. Détresse respiratoire de l’enfant. 51e Congrès de la SFAR, Elsevier-Masson, 2009. http://www.sfar.org/acta/dossier/.../inf_B978-2-8101-0173-3.c0016.html4. Collège français d’ORL. Détresse respiratoire aiguë du nourrisson, de l’en-fant et de l’adulte - Corps étranger des voies aériennes supérieures et autres corps étrangers ORL. Masson, 2009:Item 193. http://www.orlfrance.org/college/DCEMitems/DCEMECNitems193.html5. Freund Y, Bokobza J, Goulet H et al. Facteurs associés aux erreurs médicales graves : analyse de la cohorte RESEAU (Recueil d’Erreur au Service d’Accueil des Urgences), SFMU 2012;poster CP011. http://www.sfmu.org/urgences2012/urgences2012/donnees/communications/resume/resume_11.htm6. Noël A, Desquerre-Aufort I, Lisbona A, Heid. Protocole de contrôle qualité des installations de mammographie, Direction générale de la santé, univer-sité technologique de Compiègne, édition révisée 1998. http://www.utc.fr/~farges/textes_off/guides/cq_mammo.pdf7. Salmeron S, A. Bergeron et al. Asthme aigu grave. Diagnostic, prise en charge, prévention. MAPAR. Urgences 2001;643-55. http://www.mapar.org/article/pdf/313/

Références bibliographiques

réalisation du cliché, il faut vérifier si aucune pièce d’habillement ne peut introduire un artefact. ■

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts concernant la rédaction de cet article.