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THE QUEST: ENERGY, SECURITY AND THE REMAKING OF THE MODERN WORLDDaniel Yergin

Londres, Allen Lane, 2011, 816 pages

Faut-il présenter Daniel Yergin ? Enseignant à Yale, intervenant réguliersur les chaînes d’information américaines, cet expert en matière de poli-tiques et de marchés énergétiques dirige le cabinet CERA1, qui dispenseses conseils à une pléiade d’entreprises et d’institutions. Il est aussi connucomme l’auteur de The Prize: The Epic Quest for Oil, Money and Power(New York, Free Press, 2008), monument de 900 pages consacré à l’histoirede l’industrie pétrolière. Après avoir remporté le Pulitzer en 1992, cebest-seller avait eu le privilège de se voir adapté au petit écran, sous formed’un documentaire PBS.

D. Yergin nous revient ici avec un texte non moins imposant, baptiséThe Quest. L’ouvrage prolonge The Prize, en ce qu’il détaille les chan-gements survenus dans le secteur pétrolier depuis la fin de la guerre froide.Mais cette fois, l’or noir et son exploitation ne figurent plus seuls au centredu récit. The Quest suit un autre fil conducteur. Partant du constat que lesbesoins en électricité ne cessent de croître, aussi bien dans les économiesémergentes qu’en Occident, le texte passe en revue les sources d’approvi-sionnement énergétique susceptibles, à échéances variables, de satisfaire lademande mondiale. En complément, il fait une large part aux compli-cations – interférences mal calibrées des autorités politico-administratives,désastres techno-écologiques – et aux incertitudes – bouleversementsclimatiques, rééquilibrages géopolitiques – susceptibles de contrarier lesprocessus d’adaptation en cours.

Bons et mauvais points

The Quest se divise en six parties d’inégale importance. La première,baptisée « The New World of Oil » (p. 19-224), se montre la plusdistrayante. Nourrie d’une myriade d’aperçus vivants, elle évoque lespoussées irrégulières de la demande en pétrole, stimulée par la montée enpuissance de la mosaïque BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), célèbre l’ingé-niosité des techniciens qui ont repoussé les limites de l’extraction enmilieux difficiles mais stigmatise aussi les conséquences néfastes desjeux de pouvoir à courte vue. Divers responsables gouvernementaux setrouvent ainsi mis au piquet. C’est le cas du président Hugo Chavez,auquel D. Yergin prête un tropisme « fidéliste » peu compatible avec lemanagement d’une industrie de pointe (chap. 5). C’est le cas encore du trioBush-Rumsfeld-Cheney, épinglé pour n’avoir su ni planifier l’occupation

1. Cambridge Energy Research Associates. La firme a été rachetée en 2004 par IHS (propriétaire entreautres du Jane’s Information Group). Daniel Yergin a conservé le poste de chairman.

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de l’Irak, ni moderniser à marche forcée l’infrastructure énergétique dupays (chap. 7). Cette partie, toutefois, se conclut sur une note optimiste,l’auteur considérant que les autorités chinoises suivent une ligne réfléchieet cohérente et contribuent ainsi à stabiliser le fonctionnement du marché.

La deuxième partie, intitulée « Securing the Supply » (p. 225-341), poursuitdans la même veine. Son credo : « Ne succombons pas au mythe du picpétrolier tout proche, sinon déjà franchi. Parlons plutôt de plateau étale. »Aux yeux de D. Yergin, les majors ont montré à maintes reprises qu’ellespouvaient tirer parti de ressources sous-exploitées. Par ailleurs, l’exploi-tation du gaz fournit des alternatives. L’auteur admet néanmoins que cesdeux sources d’énergie sont exposées à de graves incertitudes. Qu’ils’agisse des poussées révolutionnaires dont le bassin méditerranéen estle siège, de la constitution de l’Iran en puissance nucléaire ou de la sophis-tication croissante des cyberattaques (p. 277-279), les motifs d’alarme nemanquent pas. De là à se lancer dans des politiques agressives de sécuri-sation de l’approvisionnement national, il y a un pas, que D. Yergin inviteà ne pas franchir à la légère. Y compris au niveau rhétorique (p. 267-268) :les discours agressifs d’indépendance énergétique, accompagnés deraclements de sabre, ne sont plus de mise dans un monde multipolaire. Enrevanche, l’auteur invite les politiques à s’engager sur la voie de la diver-sification des filières, des partenariats et des vecteurs. C’est là, selon lui,que réside la vraie sécurité.

Sus aux idées noires

Ces deux parties constituent un ensemble cohérent et se lisent avec aisance.On peut s’interroger sur la solidité de certaines prédictions ou sur l’équitéde certains commentaires, comme ceux visant Marion Hubbert, théoriciendu pic pétrolier. Mais, à défaut d’adhérer, on doit saluer la manière dontD. Yergin déshabille un système hautement complexe, puis articule le jeude variables qui gouverne ses métamorphoses. Le tout sans jargonner. Lasuite du texte se montre en revanche plus malaisée à digérer. Au pointqu’on peut se demander si l’auteur et son éditeur n’ont pas cédé à latentation de l’hyperextension. La troisième partie (p. 343-416) évoque ladomestication de l’électricité, sa place centrale dans la civilisation urbainedu XXe siècle, puis s’interroge sur la capacité du charbon et du nucléaire àsatisfaire la demande ; la quatrième (p. 417-520) revisite la controverse surl’effet de serre et les recherches de compromis entre sociétés industriellesavancées et puissances émergentes ; la cinquième (p. 521-639) traite desénergies renouvelables et des vagues d’espérance cycliques qu’ellessuscitent ; quant à la sixième et dernière partie (p. 640-710), elle nousexplique comment l’industrie automobile, longtemps soumise à la domi-nation du moteur à explosion, est en train de s’adapter sans trop de heurts

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à la nouvelle donne énergétique. Message implicite : évitons tout excès depessimisme. Si un secteur aussi « sensible » que celui-là réussit sa mue,notre lifestyle a encore de beaux jours devant lui.

Comparé au premier volet, ce bloc se montre inégal. On y trouve, enprolongement de ce qui a été dit sur le pétrole, une série d’aperçustouchant aux arènes de délibération et aux systèmes de gouvernancepropres à chaque filière énergétique. The Quest, vu sous cet angle, fournitdes clés pour décrypter la dynamique des négociations internationales etdes codifications législatives. Mais il est aussi question, dans ce secondvolet, de percées intellectuelles – découvertes scientifiques, innovationstechnologiques – à mettre à l’actif d’individus hors norme (John Tyndall,Roger Revelle). Ce mélange des genres va dans le sens de la dramatisationnarrative. Il reprend la recette appliquée dans The Prize, avec sa galerie detitans (Rockefeller, Churchill, Roosevelt, etc.). Il occupe aussi une placeimportante dans les dispositifs de réassurance symbolique qui sous-tendent le discours de D. Yergin et qui contribuent à son succès commeexpert médiatique et comme conseiller de puissants déboussolés par lacomplexité ambiante. En contrepartie, la cohabitation des deux registresnarratifs laisse une impression de flottement. Une explication parmid’autres ? Ce qui fonctionnait bien pour un récit à dominante historique– The Prize – fonctionne moins bien pour The Quest, agrégat à vocationprospective.

Effets de prisme

S’agissant du fond, on doit également exprimer de sérieuses réserves.Le projet annoncé dans le sous-titre concerne 1) les interactions entreénergie et sécurité et 2) la manière dont elles affectent la trame du mondeémergent. The Quest ne répond pas à ce cahier des charges. L’ensemblelivre une masse considérable d’informations structurées. Tableaux, gra-phiques et cartes appuient à point nommé les explications. Mais on peineà discerner les modèles analytiques sous-jacents, propres sinon à rendrecompte des articulations complexes entre demandes énergétiques ettensions géopolitiques, du moins à conceptualiser les développementsatypiques survenus dans telle industrie ou telle région. The Quest est unproduit commercial destiné à toucher le plus grand nombre. Plutôt que des’encombrer d’explications abstraites, l’ensemble tend à considérer lesproblèmes et leur traitement à travers un prisme simplificateur : appré-hensions diffuses des opinions nationales, aveuglement et complaisancedes hommes de pouvoir, industriosité diligente des dirigeants d’entrepriseet de leurs équipes, curiosité et résilience des hommes de science, etc. Etmalheur à ceux qui s’imaginent échapper aux lois du marché, nous avertitl’auteur à maintes reprises. Le lecteur impliqué, lui, reste sur sa faim.

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Dans un ordre d’idées proche, le texte se montre également enclin sinon àminorer les catastrophes écologiques, du moins à esquiver la question desgarde-fous censés prévenir les répliques. Le récit de la catastropheDeepwater Horizon offre à ce sujet un bon exemple. L’épisode occupe à luiseul six pages de The Quest. On y décrit les efforts frénétiques de la BritishPetroleum (BP) pour colmater la brèche. Mais on n’y évoque pas la culturede la négligence et de l’approximation qui est directement à l’origine dudésastre. Fukushima fait l’objet d’un traitement de même acabit. Une foisles faits relatés, The Quest mentionne les mouvements de rejet venus ciblerle nucléaire à vocation civile. Mais l’ouvrage se désintéresse des dysfonc-tionnements lourds qui affectent le secteur : déprofessionnalisation,autonomisation des technostructures, incurie des structures de contrôleétatiques, délégitimation des organisations non gouvernementales (ONG),etc. Bref, sur ces sujets comme sur d’autres (quid de la corruption ?), TheQuest pratique l’occultation sélective. De quoi donner du grain à moudre àtous ceux qui accusent D. Yergin de moduler ses prophéties en fonctiondes craintes et des vœux de ses clients.

Faiseur d’opinions

Faut-il pour autant faire la fine bouche ? Non. De toute évidence, lessociétés surdéveloppées sont en train de traverser une crise de transitionqui les oblige à reconsidérer leurs modes de fonctionnement. Plus encoreque les dérives du secteur financier ou les coûts des modèles de protectionsociale, la question énergétique va tenir un rôle central dans les réorgani-sations en cours. Chacun le sent confusément. D. Yergin n’est pas le seulexpert à porter ce message. Mais peu exercent autant d’influence que lui.On peut sourire lorsqu’il évoque d’hypothétiques technologies disrup-tives, restant à découvrir mais susceptibles de bouleverser le marché del’énergie. On ne doit pas pour autant ignorer le fait que sa parole porte loinet qu’elle contribue à rassurer les venture capitalists ayant déjà investi dansles start-ups positionnées sur ce créneau. D. Yergin est un faiseur d’opi-nions, conscient de son propre pouvoir, et bien déterminé sinon à défendreles groupes d’intérêts dont il s’est fait la voix, du moins à tenir tête auxdiscours millénaristes. Tout observateur sensible à l’importance de cettevariable « idéologique » se fera donc un devoir de lire The Quest, pourmieux appréhender les mécanismes de framing actuellement à l’œuvredans le domaine de l’énergie.

Jérôme Marchand

Intervenant à la Rouen Business School

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RELATIONS INTERNATIONALES

LES NOUVELLES PUISSANCES MONDIALES : POURQUOI LES BRIC CHANGENT LE MONDEAlexandre KatebEllipses, 2011, 272 pages

Les travaux sur les puissancesémergentes connaissent une voguecertaine et, comme souvent dansles phénomènes de mode, lemeilleur y côtoie le pire. L’ouvraged’Alexandre Kateb se range dans lapremière catégorie, car l’auteur atenté une synthèse aussi intelli-gente que difficile en s’appuyantsur une bibliographie honnête.Difficile parce qu’il faut bienavouer que le concept de BRIC(Brésil, Russie, Inde, Chine) estnébuleux. Les BRIC sont des puis-sances économiques en phase derattrapage, comptant désormaisparmi les dix ou douze premièrespuissances mondiales. Pour le reste,l’ensemble est hétéroclite. Toute-fois, l’ouvrage parvient à mettre enlumière quelques convergences.

En premier lieu, l’émergence secaractérise par un type de dévelop-pement qui remet en cause les pré-conisations du libéralisme écono-mique. Si l’orthodoxie financièreest généralement respectée, cespuissances se caractérisent par unfort interventionnisme étatique. Cedernier s’exprime particulièrementen matière de politique industrielle,qui bénéficie d’une stratégie de« champions nationaux », grandesentreprises solidement tenues par

les autorités nationales via desnoyaux durs d’actionnaires et uneréglementation protectrice contreune prise de contrôle par les étran-gers. L’intérêt national primantcelui des actionnaires privés, lesgroupes industriels peuvent menerune politique d’investissement àlong terme. Enfin, une habile mani-pulation des taux d’intérêts et unepolitique bancaire prudente – lesleçons de la crise de 1997-1998 ontété tirées – permettent de profiterd’une sous-évaluation des mon-naies ou au moins de garantir lastabilité de celles-ci contre les spé-culations.

Mais si le rattrapage industriel a étéspectaculaire, ces économies pour-raient peiner à franchir la frontièretechnologique : en effet, malgréd’importants investissements dansl’éducation, les BRIC rencontrentdes succès mitigés dans l’économiede la connaissance. La faiblessede la recherche fondamentale, unenvironnement intellectuel peupropice et un effort généralementinsuffisant dans la recherche etdéveloppement (R&D) limitentla maîtrise de l’innovation. Le« Cyberabad » des informaticiensindiens ne doit pas faire illusion : iln’exerce guère d’effet d’entraî-nement sur le reste de l’économiedu pays. Toutefois, ces pays ontpris conscience de leurs lacunes etréalisent déjà des percées sur quel-ques niches.

Ces puissances économiques abri-tent des sociétés encore marquéespar les vestiges du sous-dévelop-

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pement ou d’une mauvaise adapta-tion à la modernité démocratique :bien que la proportion de pauvresait baissé, le niveau de vie moyendemeure modeste. Ces sociétés, en-trées en transition démographiqueou l’ayant achevée, doivent encoregérer l’exode rural ou faire face audéclin démographique (Russie). Lesystème de protection sociale de-meure lacunaire et faible et les trèsfortes inégalités sociales suscitentdes questions sur la stabilité politi-que à moyen terme. Enfin, les dom-mages causés à l’environnementprésentent des défis considérables.

Puissantes émergentes, les BRICsont également des sociétés en tran-sition : régimes autoritaires (Chine,Russie) ou sociétés conservatricesdominées par des castes (Inde,Brésil), elles peinent à accepter lesstandards occidentaux de l’état dedroit et de la démocratie. Le Brésilse détache peut-être du groupe :n’ayant pas subi de subordinationrécente à l’Occident, il semblemoins marqué par le nationalismeet le besoin de revanche sur les paysdu Nord. Toutefois, ces politiquesétrangères convergent pour remet-tre en cause le statu quo post-guerrefroide régissant le système interna-tional : remise en cause de la domi-nation occidentale, de l’ingérencedans les affaires intérieures desÉtats et de l’unipolarisme présumédes États-Unis.

Un nouvel équilibre des forces,source de définition d’un nouvelordre mondial ? Pas certain, car lesBRIC ne sont ni un groupe cohé-

rent, ni une force d’entraînementdes pays du Sud. Non, au fond,les BRIC incarnent une vision dumonde westphalienne, face à la-quelle l’Europe se trouve biendésarmée.

Yannick Prost

LE POÈTE ET LE DIPLOMATE.LES MOTS ET LES ACTESWernfried Koeffler et Jean-Luc PouliquenParis, L’Harmattan, 2011,156 pages

Le dialogue d’un ambassadeur(autrichien), spécialiste entre autresdu désarmement, et d’un poète etcritique littéraire (français) estassez rare pour intéresser tous ceuxqui savent que les mots de la diplo-matie sont créateurs et stratégiques,dans cette vaste dynamique derapports de forces que constituentles relations internationales.

C’est tout naturellement sous lesigne des grands anciens, à la foislittérateurs et diplomates, que s’ins-crit ce dialogue : pour s’en teniraux Français, Claudel, Morand,Giraudoux, Saint-John Perse ou, plusloin, Chateaubriand et Stendhal…

À partir de ces exemples histori-ques, mais surtout de l’expériencedes deux auteurs qui ont tous deuxconnu les missions extérieures,c’est l’ensemble des rapports entrel’écrit et l’action, l’art et la stratégiequi sont passés en revue. D’où demultiples réflexions sur le rôle del’écrit dans la diplomatie – on sedoute que ce rôle a fortement évo-

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lué ces derniers temps…–, sur lerapport des diplomates à leur pro-pre culture et à celle des pays où ilssont en poste, sur l’ampleur devision que procure l’éloignementphysique. Il s’agit bien pour lesauteurs de réfléchir sur « l’inter-section entre la trajectoire du diplo-mate et celle de l’écriture », dansune vue à la fois théorique etconcrète.

Tous deux médiateurs, « passeurs »,l’écrivain et le diplomate appartien-draient-ils à un même monde : celuiqui par les mots met à distance lespassions pour en faire de l’art ?Puisque la stratégie n’est passcience mais art…

Cette réflexion, qui mêle le retoursur l’histoire et les enjeux les plusconcrets, est d’une certaine manièrejubilatoire : elle nous rappelle uneforme des relations internationalesque la culture de la force, le déve-loppement technologique et lerythme médiatique ont tendance àmarginaliser ; et que les mots et laculture peuvent faire taire lescanons.

Dominique David

AGIR À TOUT PRIX ? NÉGOCIATIONS HUMANITAIRES : L’EXPÉRIENCEDE MÉDECINS SANS FRONTIÈRESClaire Magone, Michaël Neumanet Fabrice Weissman (dir.)Paris, La Découverte, 2011,344 pages

Les débats actuels sur l’actionhumanitaire semblent converger

sur le constat d’un « espace huma-nitaire » de plus en plus réduit.Les besoins humanitaires restentimportants et le volume global del’aide est même en expansion maisl’assistance humanitaire, victimede son rapprochement conceptuelet opérationnel avec l’action desforces armées, est en butte à desdifficultés croissantes d’accepta-bilité par les acteurs locaux etdonc d’efficacité dans sa miseen œuvre.

Sans remettre directement en causece constat, cet ouvrage porte sur« la conquête et la défense » par lesorganisations humanitaires de leur« espace de travail », lequel est pré-senté comme le « produit d’un pro-cessus de transaction permanentavec les forces politiques et mili-taires locales et internationales ».Loin d’être garanti – ou non – pardes acteurs tiers, l’espace humani-taire est le fruit d’une négociationmettant en jeu les intérêts communset divergents des acteurs en pré-sence. Se pose donc la question dela nature des compromis obtenuset de leur caractère acceptable pourl’organisation humanitaire. Sur leterrain s’ensuit une série de dilem-mes inhérents à toute négociationet susceptibles de remettre en causeles principes fondamentaux del’action humanitaire. Si « tout estnégociable », comme le souligne undes auteurs à propos de la Somalie,la difficulté réside dans la capacité àremplir la mission première d’assis-tance sans franchir la ligne rougede la compromission.

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Du Sri Lanka au Nigeria en pas-sant par l’Éthiopie, l’Afghanistanet Gaza, 12 études de cas illustrentcette problématique de la conquêted’un espace de travail et de l’ambi-guïté des compromis qui en décou-lent. Le mythe de l’indépendancede Médecins sans frontières (MSF)en ressort largement écorné. Ainsi,alors que l’intervention dans ledébat public constitue l’une de sesraisons d’être, le « renoncement leplus fréquent auquel MSF consentest celui de sa liberté de parole ».Au Sri Lanka, MSF finit par« accepter les diktats du gouver-nement » et devient un « rouagedu dispositif militaro-humanitairedans l’espoir d’en atténuer la bru-talité » ; au Yémen, l’organisationfait profil bas pour finalementnourrir la « propagande du gou-vernement en niant les difficultésd’accès aux soins » de la popu-lation ; en Somalie, MSF a « peurdes Shabaabs » et privilégie unecommunication publique « uni-quement factuelle ». La gestion deces dilemmes passe par l’attache-ment à quelques principes clés : ils’agit de savoir « à quelle politiquel’association participe » et deveiller en toutes circonstances à ceque « l’aide aux victimes ne setransforme pas en soutien auxbourreaux ». En d’autres termes,« il s’agit moins pour MSF deconquérir une totale liberté d’ac-tion que d’être en mesure de choi-sir ses alliances… »

L’ouvrage paraît à l’occasion du40e anniversaire de la création de

MSF. Sa grande vertu réside dansune analyse détaillée et sansconcession des dilemmes perma-nents auxquels l’organisation estconfrontée. Surtout, le travailrévèle une très louable capacitéd’autocritique des auteurs, tousreprésentants de MSF. Puissentd’autres acteurs, États ou organi-sations internationales impliquésdans le vaste champ des interven-tions multidimensionnelles, fairepreuve de la même objectivité etcapacité d’introspection. Dans cecontexte, il est dommage que lesessais de la deuxième partie soientaussi peu connectés à la probléma-tique générale – l’analyse de RonyBrauman sur les dilemmes de lanégociation humanitaire aurait étéparticulièrement appréciée. Enfin,on pourra regretter que presquerien n’indique dans le livre quela quête d’indépendance et lescompromis auxquels MSF consentaient eu des effets bénéfiquestangibles sur le but ultime de sonaction : l’assistance aux popula-tions en danger.

Thierry Tardy

ÉCONOMIE

FAUT-IL SORTIR DE L’EURO ?Jacques SapirParis, Seuil, 2012, 204 pages

L’euro est en crise, faut-il sortir del’euro ? La réponse de Jacques Sapirest oui, car il existe une vraie alter-native. Pour l’auteur, l’euro est mal

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parti et il est vain de vouloir redres-ser la barre par des aménagementscirconstanciels ou des incantations.La démarche est courageuse etprovocante. L’auteur analyse etdémontre, mais il assène aussi desavis pas toujours suffisammentdifférenciés. Le ton, le style et lefond oscillent entre propos acadé-miques et polémiques. Du coup,J. Sapir produit un livre stimulant,documenté, instructif et parfoisirritant. À l’évidence, il le sait etl’assume.

L’ouvrage est construit en troistemps. D’abord, une présentationcritique des origines et des enjeuxde la monnaie unique. Puis unexposé des défauts de l’architectureinstitutionnelle de l’union moné-taire et des limites des politiquesnationales soumises à la présencede l’euro. Enfin, la démonstrationque l’Europe et le monde peuvent,somme toute, se passer de l’euro.L’issue proposée est la mise enplace de ce qu’il nomme une« monnaie commune » qui permet-trait aux États-nations de retrouverleurs marges de manœuvre.

Sur le fond, J. Sapir s’appuie sur lesthéories des zones monétaires opti-males pour rappeler que la zoneeuro ne remplit pas toutes lesconditions requises pour légitimerla création d’une monnaie unique.C’était vrai dès l’origine et celareste d’une actualité brûlante. Lacrise qui frappe depuis fin 2007 n’afait qu’exacerber et rendre pluslisible cette réalité. La grille delecture théorique utilisée ici est

appropriée puisqu’elle éclaire etexplique les dysfonctionnementsde la zone euro. À ce propos, cer-tains jugements abrupts sur lestravaux de Robert Mundell sontquelque peu déconcertants lors-qu’on sait que cet économiste estjustement à l’origine de toutes cesanalyses.

J. Sapir accentue sa vision pessi-miste de l’euro en dénonçant éga-lement les approches « essentia-listes » de la monnaie, selon les-quelles la seule présence de l’euroconduirait à la création endogèned’une zone monétaire optimale.

Pour l’auteur, l’explosion desdettes souveraines révèle les fai-blesses structurelles de la zoneeuro et pointe les méfaits du néo-libéralisme. Les causes profondesde la crise sont l’hétérogénéité deséconomies nationales, l’austéritébudgétaire installée comme norme,la politique de la Banque centraleeuropéenne (BCE) arc-boutée surle dogme de la stabilité des prix etla déconstruction des systèmes deprotection sociale. D’ailleurs, cesont les populations les moins pro-tégées qui sont les premières vic-times. La Grèce est ici exemplaire.

Mais ce n’est pas tout : pourJ. Sapir, la crise de la zone europroviendrait également du com-portement de l’Allemagne. La dé-fiance envers cet État parcourt toutle livre. L’Allemagne voulait l’europour installer sa suprématie écono-mique. Elle a imposé sa vision mo-nétaire pour sédimenter ses avan-

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tages en termes de compétitivité-prix et pour drainer des fonds quifinanceront les retraites d’unepopulation vieillissante. Elle n’ajamais voulu de mécanismes detransfert entre les États membres.Le jugement est sans appel, mêmesi l’auteur rappelle plusieurs foisqu’il n’a rien à voir avec unedéfiance vis-à-vis de ce pays. Cepoint de vue offre une lecture unpeu grossière du processus d’inté-gration monétaire européen.

Au total, J. Sapir prend dans cetouvrage le contre-pied du récitd’une Europe vertueuse cherchantle chemin de l’union politique,notamment grâce à l’euro. Il dé-nonce la mise en place d’un « fédé-ralisme furtif » qui dépolitisel’Europe et désenchante les Euro-péens. Il propose donc un retour àl’Europe des Nations en rempla-çant l’euro par une monnaie dite« commune », c’est-à-dire, pourlui, un système de taux de changefixes et ajustables entre monnaiesnationales. Il propose égalementun contrôle des capitaux. L’auteurfait ici le pari que la fin de l’europermettrait un nouveau mode decoordination souple, seule méthoderaisonnable lorsque les États nesont pas assez homogènes. Cettesolution admet implicitement quela dynamique de la constructioneuropéenne peut être réversible etqu’un nouveau départ fondé surles États-nations est possible etsouhaitable : la voie est périlleuse.

Michel Dévoluy

LA CRISE DANS TOUS SES ÉTATSYann Échinard et Fabien Labondance (dir.)Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2011, 174 pages

Cet ouvrage fournit d’utiles repè-res. La crise des caisses d’épargneaméricaines aurait pu être évitéesi les autorités l’avaient anticipée,en fermant rapidement les insti-tutions insolvables. Comme pourla crise des banques japonaises,une lenteur dans la révélation de lasous-capitalisation a renforcé l’aléamoral. D’abord parce qu’une insti-tution au bord de la faillite estincitée à prendre des risques. En-suite parce que des pertes latentesnon révélées érodent la confianceaccordée au secteur financier, enempêchant une distinction entreinstitutions saines et contaminées.

La crise asiatique de 1997 a permis,lentement mais sûrement, auxmembres de l’Association desNations de l’Asie du Sud-Est(ASEAN) élargie à ses voisins duNord, Chine, Japon et Corée duSud, de jeter les bases d’un régimemonétaire et financier régionalstable. Furent institués desréunions régulières des ministresdes Finances, un renforcement deséchanges d’informations et de lasurveillance, sans oublier une amé-lioration de l’offre de ressourcesétendant les accords de swaps. Ànoter aussi une initiative visant àrendre les marchés obligatairesdes membres plus efficaces et plusliquides, en favorisant la capitali-

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sation des marchés obligataires enmonnaies locales, l’accès aux don-nées étant facilité par le site Asian-BondsOnline.

Dans la crise grecque, la Banquecentrale européenne (BCE) a sus’affranchir des traités européensen achetant directement des em-prunts d’État. Les responsablesgouvernementaux ont créé unfonds d’assistance financier. Maisl’union monétaire souffre d’un pro-blème de crédibilité, qui résulte enpartie de stratégies non coopéra-tives, liées à l’absence de coût dunon-respect du Pacte de stabilité etde croissance (PSC). Une unionbudgétaire pourrait y remédier.Elle serait assortie d’une agencefiscale européenne, qui rendraitpublics les écarts à la cible, afind’améliorer l’application des règlesou les réajustements. ECOFIN réa-liserait des statistiques fiables desfinances publiques. Cette transpa-rence permettrait la surveillancedes finances publiques par lesmarchés financiers.

Marc Crapez

SÉCURITÉ

SIPRI YEARBOOK 2011. ARMAMENTS, DISARMAMENT AND INTERNATIONAL SECURITYStockholm International Peace Research InstituteOxford, Oxford University Press, 2011, 570 pages

Dès sa création, l’Institut interna-tional de recherche sur la paix de

Stockholm (SIPRI) a publié unAnnuaire rendant compte descapacités militaires des États, del’évolution du commerce des armeset mettant l’accent sur les efforts dela « communauté internationale »en faveur du désarmement. À cettepréoccupation initiale s’est ajoutéle souci d’analyser la politique desécurité des États et d’examiner lesvoies et moyens permettant d’ins-taurer un nouvel ordre de paixaprès la fin de l’antagonisme Est/Ouest. Cette ouverture a été décidéepar Adam Daniel Rotfeld à l’épo-que où il dirigeait l’Institut deStockholm et cette ligne a été suiviepar ses successeurs. L’Annuaire duSIPRI est donc devenu un ouvragede référence et il est significatif quele général Jean-Louis Georgelin,ancien chef d’état-major des armées,l’ait cité lors d’un récent débat télé-visé sur les conflits dans le monde.

L’Annuaire de 2011 s’ouvre par unessai pénétrant sur le phénomènede la corruption liée au commercedes armes. En se fondant sur l’ana-lyse de la négociation d’un contratd’armement conclu par la Répu-blique Sud-Africaine, les auteursdénoncent les effets pervers d’unecollusion frauduleuse entre toutesles parties concernées et soulignentson incidence négative sur les poli-tiques de sécurité et de dévelop-pement du pays acquéreur. Maisleurs conclusions débordent le casd’espèce et incitent à une réflexiongénérale sur les dérives auxquellespeuvent donner lieu les trans-actions sur les matériels de guerre.

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Sous les rubriques traditionnelles,on trouvera une évaluation desdépenses militaires mondiales, desdonnées sur la production et lecommerce des armes, un inventairedes forces nucléaires existantes etun état des accords et négociationsen vue d’une réduction concertéedes armements.

S’agissant du désarmement et de lamaîtrise des armements, les cher-cheurs du SIPRI s’expriment avecprudence et réalisme et se gardentbien de voir dans la conclusion dunouveau traité START (StrategicArms Reduction Treaty) en avril 2010l’amorce d’un processus qui pour-rait déboucher sur l’éliminationtotale des armes nucléaires. À pro-pos de l’interdiction des armes bio-logiques et chimiques, ils mettentl’accent sur les difficultés aux-quelles se heurte l’application destraités de 1972 et 1993 et attirentl’attention sur les risques liés à ladissémination des connaissanceset des matières susceptibles d’êtredétournées à des fins militaires outerroristes. Quant au traité sur laréduction des forces convention-nelles en Europe (FCE), signé en1990 et révisé en 1999, il n’est tou-jours pas entré en vigueur et lesdivergences de vues entre la Russieet l’Occident sur la fonction qui luiest assignée dans l’organisation dela sécurité dans l’espace euratlan-tique ne laissent pas bien augurerde son avenir. Faut-il en déduireque les méthodes traditionnellesde la maîtrise des armements et dudésarmement ont épuisé leurs

virtualités et qu’il convient d’explo-rer des voies nouvelles pour conte-nir la prolifération des armes dedestruction massive (ADM) ? Lespropositions tendant à renforcer lesrégimes de contrôle des exporta-tions de matières et d’équipementssensibles vont dans ce sens mais lesuccès d’une telle démarche pos-tule une concertation étroite desgrandes puissances et la mise enplace d’un système de vérificationstrict, auquel répugnent la plupartdes États.

Les conflits et les politiques desécurité font l’objet de développe-ments substantiels et une attentionparticulière est prêtée à la dimen-sion économique des « nouvellesguerres » et au rôle des organisa-tions transnationales dans le dé-ploiement de la violence collective.Par ailleurs, les opérations de main-tien et de rétablissement de la paixfont l’objet d’une analyse approfon-die de Thierry Tardy, qui s’inter-roge notamment sur la significationd’une contribution accrue de qua-tre pays émergents – Brésil, Chine,Inde et Afrique du Sud – à leur miseen œuvre et met en garde contre lesdérives que pourrait entraîner uneinterprétation extensive du prin-cipe de « protection des popula-tions ». Enfin, les chapitres consa-crés aux dépenses militaires, à laproduction des armements et aucommerce des armes éclairent desaspects particuliers de la politiquedes États, tels que la volonté de laChine de ne pas se laisser distancerpar les États-Unis, le fléchissement

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de l’effort de défense des pays del’Union européenne (UE) et lacréation d’industries d’armementpar des puissances moyennessoucieuses d’accéder à une certaineautonomie pour l’équipement deleurs forces armées.

Par l’ampleur et la diversité desdonnées produites, la rigueur deses analyses et l’originalité de sonapproche des problèmes de la paix,le 42e Annuaire du SIPRI est unesource d’information précieuse surles aspects militaires des relationsinternationales et devrait retenirl’attention des lecteurs de Politiqueétrangère.

Jean Klein

UNDERSTANDING PEACEKEEPING (Seconde édition)Alex J. Bellamy, Paul D. Williamset Stuart GriffinCambridge, MA, Polity Press, 2010, 376 pages

Les opérations de maintien de lapaix ne peuvent être étudiées enfaisant abstraction des contextespolitiques locaux et internationaux.Ainsi relèvent-elles de deuxconceptions opposées du systèmeinternational : l’une, westpha-lienne, assimile les opérations à larésolution pacifique et consen-suelle des différends ; pour l’autre,postwestphalienne, les opérationsse caractérisent par une plusgrande immixtion dans les affaireslocales et par une forme d’imposi-tion d’une paix libérale, combinantsystème démocratique et économie

de marché. Derrière cette opposi-tion classique se profilent différen-tes conceptions de l’ordre mondialet des principes qui le régissent– souveraineté, non-interférence,recours à la force – et en consé-quence différentes vues sur ledegré d’interventionnisme – possi-ble ou souhaité – des opérations.De telles divergences, souventréduites à une opposition Nord/Sud, ont largement politisé lesdébats récents sur la protection descivils dans le cadre des opérationsde l’Organisation des Nationsunies (ONU), sur le maintien de lapaix robuste ou plus généralementsur la notion de souverainetécomprise comme responsabilité del’État.

Cet ouvrage se divise en quatreparties. La première pose le cadreconceptuel et établit le lien entreopérations de maintien de la paixet politique internationale. Ladeuxième propose une analysedétaillée de l’évolution des opéra-tions depuis la fin de la guerrefroide, en s’interrogeant sur lafaçon dont les échecs passés ontfaçonné le maintien de la paixcontemporain. Cela conduit, dansla troisième partie, à une typologieen sept catégories d’opérations : ledéploiement préventif, le maintiende la paix traditionnel, le maintiende la paix élargi, l’imposition de lapaix, l’assistance à la transition, lesadministrations transitoires et lesopérations de soutien à la paix.

Une telle typologie offre une revuesystématique d’opérations appar-

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tenant à un large spectre d’acti-vités, mais atteint également seslimites. D’abord, comme reconnupar les auteurs, un bon nombred’opérations pourraient apparaîtredans plusieurs catégories (parexemple la Mission des Nationsunies en République démocratiquedu Congo [MONUC] est simul-tanément « maintien de la paixélargi », « assistance à la transi-tion » et « opération de soutien à lapaix »), remettant en cause lesfacteurs discriminants retenus.Deuxièmement, la césure concep-tuelle entre maintien et impositionde la paix aurait mérité de plusamples développements, à la lu-mière des évolutions de la dernièredécennie. En particulier, la plupartdes opérations contemporaines re-lèvent du chapitre VII de la Chartedes Nations unies, notammentpour permettre la protection descivils. En conséquence, une carac-téristique des opérations postwest-phaliennes conduites par l’ONUn’est-elle pas de contenir unedimension coercitive sans pourautant relever de l’imposition de lapaix ? La dernière partie présenteles défis contemporains et apporteun éclairage sur cinq domainesclés des opérations : la régionalisa-tion et la privatisation, présentéescomme des réponses possibles à lapénurie des Casques bleus ; la pro-tection des civils, la question dugenre et les capacités de police.

Comme la grande majorité destravaux d’A. J. Bellamy et P. D.Williams (sur la responsabilité de

protéger, entre autres), cette nou-velle édition de UnderstandingPeacekeeping est un ouvrage préciset rigoureux, qui a le mérite dereplacer intelligemment les opéra-tions de maintien de la paix dansle cadre élargi des relations inter-nationales. La combinaison d’uneapproche conceptuelle et d’étudesde cas en fait un travail relative-ment complet sur une activité qui,par bien des aspects, reflète les ten-dances lourdes de la globalisation.

Thierry Tardy

ZONES GRISES : QUAND LES ÉTATS PERDENT LE CONTRÔLEGaïdz MinassianParis, Autrement, 2011, 204 pages

C’est à un sujet passionnant et par-ticulièrement d’actualité que s’estattaqué Gaïdz Minassian dans unouvrage ambitieux, celui de l’exten-sion des « zones grises » où lepouvoir de l’État s’est érodé aupoint d’avoir de facto disparu. Lanature ayant horreur du vide, l’Étatse trouve, dans ces zones grises,remplacé par d’autres pouvoirsnon étatiques : bandes plus oumoins organisées aux activitésdélictueuses dans nos banlieues,mafias impliquées dans des acti-vités criminelles structurées enItalie et en Amérique centrale,guérillas dont les motivations poli-tiques se fondent dans le narco-trafic en Colombie, proto-États quese disputent deux pays en situationde conflit latent au Haut-Karabagh,milices tribales et islamiques dans

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cet État failli qu’est devenue laSomalie, Hamas et Fatah dans ceterritoire au statut ambigu qu’estGaza, pirates largement tolérésdans une zone maritime que sedisputent Chine et autre pays rive-rains de la mer de Chine, enfinTalibans, groupes fondamentalisteset restes d’organisations tribaleshistoriques dans les zones tribalesdu Nord-Ouest pakistanais.

Ce simple énoncé souligne l’ambi-tion de l’ouvrage, qui comprenddeux grandes parties : une pre-mière partie qui est plutôt unelongue introduction à caractèrethéorique sur le concept des zonesgrises, ce qui les caractérise et cequi permet ou facilite leur dévelop-pement. Puis une seconde partie,qui procède à une présentationsynthétique des différents cas déjàlistés. Cette dernière est particuliè-rement attrayante, facile à lire etbien documentée, même si le spé-cialiste pourra ici et là trouver àredire. Elle regroupe en fait des castrès variés et dissemblables et raresseront ceux qui ne s’instruirontpas à sa lecture. Ces présentationsmettent l’accent sur des similitudesentre des situations radicalementdifférentes et c’est à la fois l’intérêtet les limites de l’exercice, carclasser dans une même catégoriela mer de Chine et nos banlieuespeut susciter quelques réserves.Mais rapprocher les deux extrémi-tés des filières de la drogue et mon-trer que, in fine, ce sont les carencesde l’État qui permettent aux narco-économies de proliférer tant dans

les banlieues françaises qu’enColombie ou dans le Nord-Ouestdu Pakistan est fort juste.

La première partie à caractère théo-rique est moins convaincante. Ilaurait sans doute été plus logiquede partir des études de cas pour endéduire des leçons, plutôt que decommencer par une analyse théo-rique du problème, mais ce pointest mineur. On pourra regretterau plan de la forme une rupturede style et une expression parfoisinutilement compliquée. On auraitaimé que l’auteur pousse son ana-lyse pour lier le développement deces zones grises aux probléma-tiques des États fragiles et au déve-loppement des guerres civiles, lessujets étant étroitement liés. Lechoix de l’auteur explique sansdoute l’absence de référence à lamasse considérable de travaux etde recherches conduits depuis30 ans dans les pays anglo-saxonssur ces sujets ; on pense bien sûr,concernant la fragilité des États, àl’ouvrage de base de Jeffrey Herbst(States and Power in Africa: Compara-tive Lessons in Authority and Control,Princeton, NJ, Princeton UniversityPress, 2000) et, sur les guerresciviles et zones de conflits, auxrecherches de Paul Collier, quitte àcritiquer ces ouvrages et leursthèses, qui ont leurs faiblesses.

L’absence de référence aux auteursanglo-saxons, il est vrai non dispo-nibles en français, est un peu re-grettable : elle aurait permis àl’auteur d’approfondir une conclu-sion fort juste, qui souligne que ce

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sont les faiblesses et les dysfonc-tionnements graves des États quiexpliquent leur perte de contrôlesur certaines régions ou certainspans de leurs sociétés. Il auraitainsi pu insister sur les engrenagesdramatiques qui conduisent de laperte de contrôle par l’État du mo-nopole de la violence à la dispari-tion des autres services de l’État,au développement des activités il-licites, à la mise en place de milicesarmées pour protéger ces activités,puis au développement d’uneadministration parallèle qui sesubstitue à l’État, rend la justice,etc. La conclusion de l’ouvrage,fort juste et particulièrement im-portante, aurait mérité d’être déve-loppée : elle souligne en effet le ca-ractère déséquilibré et finalementinefficace de tout traitement pure-ment sécuritaire de ces questions.Au total, un livre intéressant et sti-mulant sur un sujet déjà extrême-ment préoccupant, en passe de de-venir un problème majeur duXXIe siècle.

Serge Michailof

GCHQ. THE UNCENSORED HISTORYOF BRITAIN’S MOST SECRETINTELLIGENCE AGENCYRichard J. AldrichLondres, HarperPress, 2011,688 pages

Richard J. Aldrich, enseignant àl’université de Warwick, comptedéjà à son actif plusieurs ouvragesde référence consacrés aux services

spéciaux et aux questions de sécu-rité. Avec GCHQ (acronyme deGovernment Communications Head-quarters), publié en 2011 et récem-ment réédité en version écono-mique, il a entrepris de retracer lamontée en puissance du principalorganisme d’interception britan-nique, depuis la Seconde Guerremondiale (avec le centre établi àBletchley Park) jusqu’à nos jours, encouvrant simultanément les anglestechnologique, organisationnel, opé-rationnel, politico-diplomatique eten procédant par tranches décen-nales. Le résultat est des plus remar-quables.

Lectures et entretiens à l’appui,l’auteur apporte de précieux éclai-rages tant sur les fondations straté-giques du renseignement britanni-que – suivi des grandes menacesexternes et internes (URSS/IRA),consolidation de la « relation spé-ciale » avec Washington – que surles difficultés managériales – con-traintes budgétaires, tensions syn-dicales, résistances politiques –auxquelles se trouve logiquementconfronté un appareil de sur-veillance semi-clandestin opérantdans un cadre démocratique.

Fiascos et scandales tiennent unepart importante dans le récit, dansla mesure où ce sont eux qui ontpermis à l’opinion britannique deprendre peu à peu conscience dupoids effectif (budgets/influence/attentes) du GCHQ dans le systèmede gouvernement. Autre aspectimportant, R. J. Aldrich fait bien

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ressortir la dynamique ambivalentequi a présidé au développementhégémonique du GCHQ. D’uncôté, les autorités ont rapidementcompris qu’il leur faudrait indus-trialiser la chaîne de production durenseignement SIGINT et faire ensorte que celui-ci échappe à latutelle du MI5 et du MI6, orga-nismes préoccupés à l’extrême parles histoires de « fausses barbes »et les schémas de manipulation/domination/subversion, pas assezrigoureux et pas assez sophistiquéspour tirer le meilleur des outilsdisponibles (qui dit cryptanalysemoderne dit mathématiques dehaut niveau). De l’autre, les logi-ques de confidentialité propres aupetit monde des décrypteurs n’ontcessé d’entraver la diffusion desdonnées exploitables, notammenten direction des unités militairespassées en mode combat, maisaussi en direction des instancespénales chargées de traiter les casde trahison. De là des tensionsrécurrentes.

Pour ce qui est du présent, R. J. Al-drich apporte également de pré-cieux éléments de compréhensionsur les dangers que posent les ins-truments d’interception contempo-rains. Grâce aux progrès de latechnologie, aux reculades succes-sives des autorités parlementaireset judiciaires, aux mensonges dela haute administration, le GCHQse trouve désormais en mesured’exercer une surveillance appro-fondie sur l’ensemble de la popula-tion britannique. Mais les moyens

humains du service restent limités,ce qui le rend vulnérable. Ayantdéjà beaucoup de mal à faire le tridans la myriade de données qui luiparviennent et qui concernent lesnuisances premières (puissancesantagonistes, nébuleuses terro-ristes, mouvances mafieuses), leGCHQ se trouve de facto sous la me-nace de « faux positifs » à grandeéchelle (labellisation erronée decitoyens quelconques comme des« suspects » et amputation de leursdroits élémentaires) et de polé-miques judiciaires ciblant ses in-trusions arbitraires. Une fois leconsensus antiterroriste fragmenté,ce type de matériau donnera auxmédias et aux groupements liber-taires de quoi déclencher une mobi-lisation protestataire de masse.

Jérôme Marchand

AFRIQUE

LE SCANDALE DES BIENS MAL ACQUIS : ENQUÊTE SUR LES MILLIARDS VOLÉSDE LA FRANÇAFRIQUEXavier Harel et Thomas HofnungParis, La Découverte, 2011,238 pages

En mars 2007, trois organisationsnon gouvernementales (ONG)déposent plainte contre cinq chefsd’État africains et leur famillepour « recel de détournement defonds publics ». Elles leur repro-chent l’acquisition en France d’unimpressionnant patrimoine immo-

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bilier au coût sans communemesure avec leurs revenus offi-ciels. Une enquête policière estconfiée à l’Office central de répres-sion de la grande délinquancefinancière (OCRGDF), qui lève unepartie du voile sur le train de vieubuesque de ces chefs d’État :hôtels particuliers, berlines deluxe, comptes en banques par cen-taines, etc. Las ! le parquet classe laplainte sans suite pour « infractioninsuffisamment caractérisée » ennovembre 2007.

Les ONG, auxquelles s’est ralliéeTransparency International, ne sedécouragent pas. Elles déposentune nouvelle plainte avec constitu-tion de partie civile le 2 décembre2008, qui vise les présidents duCongo, du Gabon et de la GuinéeÉquatoriale. Sa recevabilité est dou-teuse. La procédure pénale n’auto-rise pas n’importe qui à attaquern’importe quoi : un plaignant doitinvoquer un préjudice « direct etpersonnel » pour espérer voir saplainte aboutir. Est-ce le cas enl’espèce ? La doyenne des jugesd’instruction est de cet avis ; mais leparquet fait appel et la chambre del’instruction de la cour d’appel deParis lui donne raison. Les ONGforment un pourvoi en cassation etla Cour de cassation, à leur grandsoulagement, déclare dans un arrêtdu 9 novembre 2010 leur plainterecevable. L’arrêt, historique, dé-passe le cadre des relations franco-africaines en ouvrant un champimmense aux ONG. Ainsi l’ONGAnticor l’a-t-elle invoqué en se

constituant partie civile dansl’affaire de Karachi.

C’est cette histoire que racontentd’une plume trempée au vitriolThomas Hofnung et Xavier Harel.Le premier l’avait suivie pourLibération, signant notamment aulendemain de l’arrêt de la Cour decassation un article, « Le crépus-cule de la Françafric », primé auGrand Prix 2010 des quotidiensnationaux dans la catégorie« meilleure enquête d’investiga-tion ». Le second est un spécialistedes circuits de blanchiment et desparadis fiscaux. Leur livre estautant une chronique du scandaledes biens mal acquis, vite pliéedans la première partie, qu’unedescription sans concession desdernières frasques de la França-frique auxquelles sont consacréesles deux parties suivantes. Elles selisent sans déplaisir mais n’ap-prennent pas grand-chose quen’aient déjà révélé François-XavierVerschave, Stephen Smith ouAntoine Glaser.

Au-delà des révélations croustil-lantes qu’il livre sur l’hubris déli-rant de quelques autocrates afri-cains (les pages consacrées au filsdu président équato-guinéen sontsaisissantes), dont l’enrichissementpersonnel n’a d’égal que la misèredans laquelle leur population crou-pit, le scandale des biens mal acquisest révélateur de l’intrusion d’unnouvel acteur dans les relationsfranco-africaines. Le temps n’estplus où les réseaux Foccart pou-

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vaient agir dans l’ombre. Après lapresse, c’est la justice qui s’y inté-resse. De plus en plus souvent, lecours tranquille des relationsfranco-africaines est compliqué pardes affaires judiciaires : enquêtesur la disparition de Guy-AndréKieffer en Côte-d’Ivoire, sur le« suicide » du juge Bernard Borrelà Djibouti, sur l’attentat contre leprésident Juvénal Habyarimana auRwanda, sur les « disparus duBeach » au Congo-Brazzaville. Leschefs d’État africains visés direc-tement ou indirectement par cesenquêtes y voient un geste d’hosti-lité de la France et de sa justice. Ilscroient que cette dernière est auxordres, quand elle l’est de moinsen moins.

Au-delà du scandale, la questionse pose de la pérennité de la Fran-çafrique. Les auteurs, dont c’est lefonds de commerce, y croient etfont leur l’adage de Lampedusa :« Il faut que tout change pour quetout reste pareil. » Pour eux, Totalperpétue le même système qu’Elfet Nicolas Sarkozy a financé sescampagnes politiques comme sesprédécesseurs. Pourtant, la mortd’Omar Bongo en juin 2009 sonnele glas d’une « certaine Françafri-que ». Le tonitruant déballage deRobert Bourgi, en septembre 2011,doit être analysé à cette aune : ilest l’œuvre d’un homme blessé,congédié sans ménagement, quifait le constat désabusé que sontemps est passé.

Yves Gounin

AMÉRIQUES

COUNTERSTRIKE. THE UNTOLD STORYOF AMERICA’S SECRET CAMPAIGN AGAINST AL QAEDAEric Schmitt et Thom ShankerNew York, Times Books, 2011,324 pages

Dans les jours qui suivirent lesattentats du 11 septembre 2001, lesÉtats-Unis se lancèrent dans une« guerre contre le terrorisme » auxmultiples conséquences. Dix ans etdeux guerres plus tard, la mortd’Oussama Ben Laden offre l’occa-sion de dresser un bilan de cettegigantesque « contre-attaque », surlaquelle s’attardent ici deux jour-nalistes renommés du New YorkTimes. Eric Schmitt et ThomShanker insistent sur le caractèrebrutal de cette contre-attaque etsur la territorialisation de la luttecontre le terrorisme, en Afghanistanpuis en Irak.

Les deux journalistes ne se limitentcependant pas à la description desfaits ni à une critique de la luttecontre le terrorisme post-11 sep-tembre. Ils opèrent une intéressantecomparaison entre la lutte contreAl-Qaida et les théories de ladissuasion élaborées par ThomasSchelling dans les années 1960 etdémontrent dans quelle mesure lesmécanismes hérités de la guerrefroide furent remis au goût du jouret adaptés au nouvel ennemi deWashington. Ils constatent ainsique la méthode a évolué en une

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décennie, en particulier après laréélection de George W. Bush etplus encore après l’arrivée deRobert Gates au Pentagone en 2007.L’erreur des premières années dela lutte contre Al-Qaida fut, selonles auteurs, de trop territorialiser laguerre contre le terrorisme (enAfghanistan puis en Irak), oubliantau passage les fondamentaux,comme le renseignement et l’iden-tification des causes du terrorisme.On remarque ainsi, au fil des pages,que la coordination de la guerrecontre le terrorisme était mal assu-rée après les attentats de New Yorket de Washington et surtout qu’ilétait difficile de savoir qui dirigeaitvéritablement les opérations, à laMaison-Blanche ou au Pentagone.Depuis 2005, la lutte contre le terro-risme s’est considérablement adap-tée et s’est servie de cette territoria-lisation, étendue à d’autres pays,pour responsabiliser des États hé-bergeant des groupes terroristes etne luttant pas suffisamment active-ment, selon le Pentagone, contre cefléau. L’équation, inaugurée sousl’administration Bush et perpétuéeaprès l’arrivée au pouvoir deBarack Obama, est simple : toutÉtat ne renforçant pas ses dispo-sitifs pour identifier et détruire lescellules terroristes tombe sous lecoup d’une nouvelle dissuasion, enétant potentiellement la cible de re-présailles (celles-ci pouvant être dediverse nature, allant des sanctionséconomiques à l’usage de la force).

Cette méthode associant maintendue et coercition a radicalement

modifié la manière dont le pro-blème du terrorisme transnationalest appréhendé à Washington. Onpeut s’interroger, comme le fontE. Schmitt et T. Shanker, sur seseffets dans l’élimination de BenLaden au Pakistan. Mais on peutégalement s’interroger sur le risquede voir les groupes terroristes pro-fiter de ces pressions parfois inte-nables pour des États faillis pourrenforcer leur capacité de recrute-ment de nouveaux membres. Enimposant la théorie de la dissuasiondans la lutte contre le terrorisme,les États-Unis mènent un combatglobal et sans limite. Mais ils jouentégalement le jeu du terrorismetransnational, qui s’alimente desproblèmes rencontrés par des Étatsen difficulté, pris entre la nécessitéde renforcer le partenariat avecWashington et une populationsouvent majoritairement hostile àune présence américaine accrue. End’autres termes, il est encore troptôt pour savoir si cette nouvelledissuasion sera couronnée desuccès dans la durée.

Barthélémy Courmont

AMERICAN NEOCONSERVATISM.THE POLITICS AND CULTURE OF A REACTIONARY IDEALISMJean-François DroletLondres, Hurst, 2011, 256 pages

Alors que commence la quatrièmeannée du mandat du présidentBarack Obama, on peut légitime-ment s’interroger sur la pertinence

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d’un ouvrage traitant du néo-conservatisme américain, mouvementpolitico-philosophique habituelle-ment associé à l’administration deGeorge W. Bush et que l’on adéclaré responsable de la guerre enIrak, des détentions secrètes etautres violations du droit inter-national. N’est-on pas entré dansune nouvelle ère postnéoconser-vatrice, où s’affrontent désormaisles réalistes de l’administrationObama et les néoisolationnistes del’opposition républicaine, menésentre autres par le libertarien RonPaul ?

L’ouvrage de Jean-François Drolet,enseignant en politique interna-tionale à la City University deLondres, a pour ambition dedécrypter les fondements de philo-sophie politique du néoconser-vatisme américain et de nous rap-peler que ceux-ci s’inscrivent dansune démarche bien plus ancienne etcomplexe que la « guerre contre laterreur » post-11 septembre. Dansla lignée du très bon livre de JustinVaïsse Histoire du néoconservatismeaux États-Unis (Paris, Odile Jacob,2008), l’auteur explique que cemouvement s’est construit en réac-tion aux bouleversements desannées 1960, rejetant à la foisl’émergence d’une contre-cultureet la réaffirmation d’un conserva-tisme classique. Toutefois, il se dé-marque profondément de J. Vaïsseen contestant l’idée, souvent auto-proclamée, que le néoconserva-tisme serait une variante conserva-trice du libéralisme américain. Il

affirme au contraire que les néocon-servateurs se sont détachés de leurécole de pensée originelle, l’écolelibérale, pour réinvestir le champdu conservatisme, tout en y appor-tant une dimension idéologique.

Alors que le contexte historiquede l’émergence et du développe-ment du néoconservatisme améri-cain est présenté un peu rapide-ment dans le chapitre I, J.-F. Droletse concentre sur les racines philo-sophiques du mouvement dansles cinq chapitres suivants. Pourétayer sa thèse, il démontre que laprincipale influence intellectuelledes néoconservateurs, le philo-sophe allemand Léo Strauss, étaitlui-même profondément conser-vateur, antidémocratique, culti-vant le mépris des discours surles Droits de l’homme : en sommeantilibéral. De cette philosophie estné un discours néoconservateurhostile à l’individualisme libéral,critique du système de redistri-bution de l’État providence jugéintrinsèquement faible et rejetantsans réserve le multiculturalisme(que l’auteur appelle global liberalgovernance), dénoncé commeune forme de relativisme moralmettant à tort en équivalencel’Amérique et des ennemis mora-lement inférieurs.

Alors que s’ouvre une nouvellecampagne présidentielle aux États-Unis, le néoconservatisme revientsur le devant de la scène commeune force vitale du débat de politi-que étrangère. Les primaires répu-

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blicaines ont révélé que les posi-tions néoconservatrices militaristeset idéologiques occupent toujoursune place de choix dans le discourspolitique de la droite américaine etque les néoconservateurs se tien-nent prêts à investir de nouveaules couloirs du gouvernement encas de victoire du Parti républi-cain. À la lecture de l’ouvrage deJ.-F. Drolet, cela ne présage rien debon. Selon lui, le néoconservatismea pour modus operandi « la subli-mation des crises intérieures par lamilitarisation de la politique étran-gère américaine ». Citant FrancisFukuyama – qui s’est depuis dis-tancié du mouvement néoconser-vateur –, il rappelle que les néo-conservateurs croient dans lesbénéfices de la guerre pour renou-veler le patriotisme et l’esprit civi-que : « Une démocratie libérale quimènerait une guerre courte etdécisive à chaque génération oupresque pour défendre sa propreliberté et son indépendance seraitbien plus saine et plus satisfaiteque celle qui n’expérimenteraitrien d’autre qu’une paixcontinue. »

Évaluant le mouvement intellectuelà la lumière des grands auteurs dephilosophie politique, J.-F. Drolettransmet un message : celui ducaractère régressif, réactionnaire etautoritaire du néoconservatisme,bien loin de l’image moderne etdémocratique que ses hérauts pré-féreraient mettre en avant.

Célia Belin

THE POLITICAL ECONOMY OF LATIN AMERICA. REFLECTIONS ON NEOLIBERALISM AND DEVELOPMENTPeter KingstoneNew York, Routledge, 2010, 182 pages

Peter Kingstone livre une analysedépassionnée des politiques écono-miques successivement mises enœuvre en Amérique latine depuisla seconde moitié du XXe siècle.L’auteur analyse les choix réalisés,notamment en termes de placeaccordée aux marchés et à l’actiondes États, et leurs impacts surla croissance et plus largementsur le développement de la région.Si la réflexion se veut centrée surl’expérience néolibérale, le textecouvre en réalité une période pluslarge allant des années 1960 à nosjours.

P. Kingstone dédie trois chapitresau modèle d’industrialisation parsubstitution des importations (ISI,de 1950 à 1970 environ), à lapériode néolibérale (1990) et auretour de la gauche et de l’inter-vention de l’État (depuis les an-nées 2000). Il ressort de son ana-lyse que la politique économiqueen Amérique latine a eu tendance àévoluer d’un extrême à l’autre,chaque courant tendant à refusertout héritage de la période précé-dente, considérée comme un échec.Or l’auteur montre que l’Amériquelatine a connu au cours du XXe siè-cle des transformations profondes,auxquelles chaque modèle a contri-bué. Ainsi, le modèle ISI a permis

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un processus d’industrialisationet d’urbanisation important, alorsque la période néolibérale a assisles bases d’une plus grande stabi-lité macroéconomique (succès ducontrôle de l’inflation en parti-culier). En revanche, il soulignequ’aucun n’a trouvé de solution audéfi de la pauvreté et des inéga-lités. À ce titre, les bénéfices dunéolibéralisme n’ont pas été à lahauteur des promesses des tenantsdu modèle.

Dans ce contexte, après plus d’unedécennie de quasi-hégémonie dunéolibéralisme, les années 2000 ontété marquées par la résurgencede la gauche, qui s’est accompa-gnée d’un réengagement de l’Étatdans l’économie, en particulier viale renforcement des politiquessociales. S’il qualifie les politiquesmenées par la gauche « contesta-taire » (Équateur, Venezuela, etc.)de retour en arrière, P. Kingstonevoit dans la gauche « modérée »(Brésil, Chili, Uruguay, etc.) uneévolution vers un néolibéralismeplus pragmatique, alliant écono-mie de marché et intervention del’État, porteuse d’espoirs pour ledéveloppement de la région.

L’auteur est plus décevant dans sondernier chapitre intitulé « Govern-ment, Markets, and Institutions –Reflections on Development », quiaurait mérité d’être approfondi.Après l’analyse synthétique desdébats d’économie politique enAmérique latine depuis un demi-siècle, P. Kingstone s’y essaie à une

réflexion transversale sur le rôledes institutions et notamment surleur dimension qualitative, pourexpliquer à la fois les échecs despolitiques économiques précéden-tes et les défis auxquels se heurteaujourd’hui le développement de larégion. Au-delà des divergencesidéologiques qui alimentent lesdébats, la question institutionnelleest certainement importante pourexpliquer pourquoi la politiqueéconomique en Amérique latine aglobalement échoué depuis plus de50 ans à promouvoir une croissancedurable et équitable. Dans cecontexte, une réflexion plus fine surles caractéristiques institutionnellesde l’Amérique latine, sur les diffé-rences entre les pays et sur lamanière de renforcer les institu-tions dans la région aurait sansdoute ajouté à l’originalité dutexte.

Bénédicte Baduel

ASIE

AU PAYS DES ENFANTS RARES. LA CHINE VERS UNE CATASTROPHE DÉMOGRAPHIQUEIsabelle AttanéParis, Fayard, 2011, 274 pages

Les travaux d’Isabelle Attané sur ladémographie chinoise font aujour-d’hui largement référence. Dansson précédent et récent ouvrage (Enespérant un fils : la masculinisation dela population chinoise, Paris, INED,2010), elle faisait le constat drama-

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tique d’une Chine en proie à lamasculinisation. L’auteur, démo-graphe, sinologue et chargée derecherches à l’Institut nationald’études démographiques (INED),dresse ici le tableau d’une Chine aucarrefour de son histoire : uneRépublique populaire objet d’unevéritable scission sociétale quis’exprime notamment dans le sortréservé aux enfants.

Si la politique de l’enfant uniquea favorisé une certaine maîtrise,surtout urbaine, de la fécondité, lastabilité de ce phénomène réponddésormais à de nouveaux pro-cessus, par ailleurs relativementdistincts suivant la situationurbaine ou rurale des structuresfamiliales.

« Baromètre du changement so-cial », pour reprendre l’expressionde l’auteur, le jeune Chinois sesitue entre deux époques, entredeux mondes. Cet enfant uniqueconnaît un destin différent suivantqu’il est issu d’une famille riche eturbaine ou d’une famille pauvre etrurale. En ville, l’enfant unique sefait enfant inique. Centre desattentions, il est le petit « maître àdeux valets » qu’on peine à édu-quer et que l’on se presse de « réé-duquer », y compris de force.Louis Dumont nous avait pré-venus : l’individualisme prendcorps dans les sociétés modernes.La Chine est en pleine accession àla modernité. Le revers en est que,centre de toutes les attentions,l’enfant porte tous les espoirs de la

famille, en assume tous les sacri-fices. Jusqu’à l’excès parfois.

Comme le précise par la suitel’auteur, tous ne connaissent pas lemême sort. De ceux qui échappentà l’infanticide jusqu’à ceux quidemeurent en marge d’une sociétéchinoise dont la prospérité répondà des choix stratégiques de déve-loppement plutôt qu’à une volontéde redistribution uniforme, lesjeunes sont loin d’être les premiersbénéficiaires du « miracle écono-mique chinois ». Certes, la morta-lité infantile a reculé. Certes, desmesures contre l’élimination desfilles ont été prises. Mais l’auteurmet parfaitement en exergue lafaible efficacité des mesures gou-vernementales. Elle souligne avecforce les failles du système édu-catif de masse, la menace perma-nente du sous-développement ouencore la marginalisation crois-sante de l’enfance, qu’il s’agissedes enfants des migrants, orphe-lins ou mendiants ou encore desenfants travailleurs.

Cet État-continent est souventdépeint de manière univoque parson rang de première puissancedémographique au monde et parune croissance forte et rapide quil’amène progressivement à contes-ter l’hégémonie américaine. Le pré-sent ouvrage contribue à nousrappeler le coût d’une telle muta-tion. Il y parvient, dans un styletoujours accessible, sans que celanuise au caractère scientifique dela démarche. Une place certaineest accordée aux sources journalis-

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tiques, qui doivent cependantêtre abordées avec précaution. Demême, le lecteur sera invité à corré-ler les évolutions sociétales misesen lumière par l’auteur avec la taillede la population chinoise – ce quiest souvent mais pas systématique-ment fait par l’auteur – et avec lescaractéristiques géographiques deson territoire. Plus encore, si lesdonnées démographiques et écono-miques sont nombreuses et perti-nentes, une approche comparativeplus développée aurait été fort utilepour apprécier la situation démo-graphique, et donc stratégique, dela Chine par rapport aux paysémergents comme l’Inde et auxpuissances occidentales.

En filigrane, le message d’IsabelleAttané est clair : la Chine est dansl’urgence. L’exigence d’une crois-sance économique pour s’assurerde façon pérenne la maîtrise desfacteurs de puissance, ainsi quel’obligation de traitement du pro-blème du vieillissement de sapopulation l’invitent à faire deschoix qui portent en eux les germesd’une division de sa population. Orl’observateur comme le stratègesavent pertinemment qu’une telledivision précéderait celle de sonterritoire national : perspective im-pensable là où parfaire l’unité terri-toriale est un objectif stratégiquehistorique. Les premiers à pâtir deces mutations sont les enfants d’au-jourd’hui et donc les décideurs dedemain : de la Chine, et au-delà.

Gaylor Rabu

STORMING THE WORLD STAGE. THE STORY OF LASHKAR-E-TAIBAStephen TankelLondres, Hurst, 2011, 354 pages

Révélé sur la scène internationalepar les attaques de Bombay denovembre 2008, le Lashkar-e-Taiba(l’« armée des purs » [LeT]) estune des organisations salafistes-djihadistes les plus actives du sous-continent indien. Fondée à la findes années 1980 par des vétéranspakistanais du djihad afghan,l’organisation s’est initialementfocalisée sur la libération duCachemire indien, avant d’étendreson djihad à l’Inde tout entière.Affilié au courant minoritairedes Ahl-e-Hadith, variante sud-asiatique du wahhabisme, le LeTs’est rapidement singularisé dans lepaysage islamiste régional par sesopérations fedayin spectaculaires,d’abord au Cachemire puis dans lesgrandes villes indiennes. Et tandisque l’État pakistanais prenait sesdistances avec la plupart des orga-nisations djihadistes de la région aulendemain des attaques du 11 sep-tembre 2001, le LeT a conservé lesoutien de l’armée et de ses puis-sants services de renseignement (enparticulier de l’Inter-Services Intel-ligence [ISI]), qui continue de voiren lui un proxy aussi loyal queperformant.

Storming the World Stage est le pre-mier ouvrage entièrement consacréau LeT, depuis sa formation jusqu’àsa réinternationalisation au contactdes militants d’Al-Qaida. C’est pré-

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cisément sur ce point – l’évolutiondu LeT vers le djihad global – quel’ouvrage est le plus stimulant.Stephen Tankel démontre ainsi quele LeT – ou tout au moins certainsde ses cadres – s’est internationaliséau cours des dernières années, àtravers des « vacations » (free-lancing) pour le compte d’Al-Qaida,des Talibans afghans ou des djiha-distes irakiens. En sens inverse, leLeT a mis son expertise au servicede groupes étrangers, tout en ser-vant de point d’entrée en « AfPak »aux volontaires du djihad en prove-nance d’Europe ou des États-Unis.Cette évolution, qui d’une certainemanière constitue un retour auxorigines (aux dires de l’organi-sation elle-même, les premiersmilitants du LeT auraient combattudans les Balkans, dans le Caucaseou encore en Asie du Sud-Est), estcependant restée incomplète. Outrela barrière de la langue (la plupartdes recrues du LeT sont des Pakis-tanais ourdouphones ou pendjabi-phones, ce qui handicape leurdéploiement hors de l’Asie duSud), les militants du LeT tentés parl’aventure du djihad global ont dûcompter avec une hiérarchie restéeattachée à une stratégie très indo-centrée, sans doute en grande par-tie sous l’influence de ses patronsmilitaires pakistanais.

En dépit de cette réflexion inno-vante sur l’extraversion hésitanted’une organisation djihadiste res-tant finalement très stato-centrée,l’ouvrage de S. Tankel laisse sur safaim. On peut éventuellement com-

prendre que l’auteur ait souhaitéanonymiser les militants du LeTinterrogés mais il aurait fallu pré-senter quelques éléments biogra-phiques permettant de les distin-guer les uns des autres, de les situerdans le paysage social et religieuxdu Pakistan et de percevoir lesséquences successives de leurs par-cours militants. Plus surprenanteest la négligence des sources verna-culaires, en ourdou notamment.L’auteur évoque la « propagande »du LeT et ses nombreuses publi-cations mais l’intégralité des réfé-rences bibliographiques est… enanglais. Des travaux antérieursavaient pourtant ouvert la voie àune analyse de cette littératuremilitante en ourdou, de l’étude deMariam Abou Zahab1 sur les testa-ments de martyrs du LeT à cellede Choudhri Mohammed Naim surl’ouvrage Ham Maen Lashkar-e-Taibaki2 (« Nous les mères du Lashkar-e-Taiba »).

La singularité de cette entreprise àla fois terroriste et humanitairequ’est le LeT méritait un travailplus approfondi, par exemple enprolongement des interrogationsde Faisal Devji sur le « terroriste enquête d’humanité », autre contri-bution récente mais d’une toutautre ampleur sur les transfor-

1. M. Abou Zahab, « I Shall Be Waiting at the Doorof Paradise: The Pakistani Martyrs of Lashkar-e-Taiba (Army of the Pure) », in A. Rao et al. (dir.),The Practice of War. Production, Reproductionand Communication of Armed Violence, NewYork, Berghahn Books, 2007, p. 133-158.2. C. M. Naim, « The Mothers of the Lashkar »,Outlook (Delhi), 15 décembre 2008.

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mations idéologiques et straté-giques du terrorisme à l’heure de laglobalisation3.

Laurent Gayer

EUROPE

PANIQUE AUX FRONTIÈRES. ENQUÊTESUR CETTE EUROPE QUI SE FERMEÉric L’Helgoualc’hParis, Max Milo, 2011, 318 pages

Telle Janus, l’Europe a deux visa-ges. Le premier est souriant, c’estcelui de la libre circulation des per-sonnes sur le continent. Le secondl’est moins, c’est celui des contrôlesrenforcés aux frontières de l’espaceSchengen. Ces deux visages sontindissociables : si les États membresont accepté de lever les contrôles àleurs frontières, c’est avec l’assu-rance que les contrôles pratiquésaux frontières extérieures del’Union européenne (UE) les pré-muniraient des flux migratoiresqu’ils redoutent à tort ou à raison.Ces deux visages sont inconci-liables : l’Europe sans frontières dumarché unique et d’Erasmus se voitcontrainte de renier ses valeursd’humanisme et d’ouverture enconstruisant, autour de Ceuta ou enface de Lampedusa, de nouvellesfrontières.

Le renforcement des contrôles auxpoints de passage des migrants n’a

pour l’instant eu que des effetstemporaires. Loin de tarir les flux,il les a déplacés. C’est ce que lesspécialistes appellent, selon uneimage très expressive, l’effet water-bed. Les « migrerrants » cherchentpar tous les moyens à entrer enEurope : en escaladant les barbelésautour des enclaves espagnoles deCeuta ou Melila, en risquant leurvie sur des pirogues sénégalaisesou libyennes à destination desCanaries ou de Malte, en passantpar la Turquie pour franchir lafrontière grecque, etc.

Éric L’Helgoualc’h nous emmènesur tous ces théâtres pour y faire lemême constat désabusé : la réponsepolicière, qui fait peu de cas desrègles de droit censées gouvernerl’accueil des réfugiés, est souventimpuissante, toujours inhumaine.Les États de la « ligne de front », quidoivent faire face à cet affluxmassif, se plaignent du manque desolidarité des autres États euro-péens : les règles de Dublin II leurfont obligation de gérer les deman-deurs d’asile qui ont transité parleur territoire. La tentation est fortede « laisser passer » les immigrés.C’est ce qu’a fait la Grèce avec unsuccès paradoxal : constatant l’im-péritie de son système d’asile, laCour européenne des Droits del’homme vient de suspendre enjanvier 2011 le renvoi des deman-deurs d’asile parvenus dans unautre pays de l’UE vers son terri-toire, l’excluant de facto de laconvention de Dublin II. C’est aussice qu’a fait l’Italie au moment de la

3. F. Devji, The Terrorist in Search of Humanity:Militant Islam and Global Politics, Londres, Hurst,2008.

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chute du régime de Zine el-AbidineBen Ali en Tunisie au début del’année 2011 : les 28 000 immigréstunisiens se sont vus délivrer untitre de séjour provisoire aveclequel ils se sont empressés degagner la France, provoquant côtéfrançais la tentation de rétablir lescontrôles à Vintimille.

Les leçons de l’Histoire sont par-lantes : aucune forteresse, aucuneligne Maginot ne résistent durable-ment. La réponse policière ne suf-fira pas, seule, à endiguer les fluxde migrants qui veulent gagnerl’Eldorado européen. Le chapitreconsacré à Frontex, la nouvelleagence européenne chargée de lacoordination du contrôle des fron-tières extérieures, est révélateur deslimites de cette politique, auxquel-les une sophistication des contrôlespoliciers (le Système d’informationSchengen deuxième génération[SIS-II], le système d’informationsur les visas [VIS], la base dedonnées Eurodac, Eurosur, etc.) nepermettra pas de remédier.

La solution pourrait passer par l’ex-ternalisation de la question migra-toire. C’est avec la collaboration duSénégal et de la Mauritanie que lesdéparts de pirogues, si nombreuxen 2006, ont été stoppés net. C’estgrâce à la Libye de MouammarKadhafi, au terme d’un accord mo-ralement douteux mais efficace,que les Italiens ont réussi à limiterles vagues migratoires vers la pé-ninsule. A contrario, c’est à causedu manque de collaboration de laTurquie que l’essentiel des entrées

illégales en Europe se fait parl’Évros à la frontière gréco-turque.

L’enquête fouillée d’É. L’Helgoualc’hévite les caricatures qu’un titre ra-coleur, probablement choisi par sonéditeur, laissait redouter. Même sises convictions personnelles en fa-veur d’une politique moins répres-sive affleurent et finissent mêmepar s’exprimer par la bouche dudirecteur général de France terred’asile dans une postface inutile-ment militante, É. L’Helgouac’h faitson travail de journaliste et le faitbien, en nous donnant à compren-dre les ressorts compliqués d’unequestion qui conditionne l’avenirdu projet européen.

Yves Gounin

QUE RESTE-T-IL DE L’INFLUENCE FRANÇAISE EN EUROPE ?François-Xavier Priollaud et David SiritzkyParis, La Documentation française, 2011, 184 pages

À la question posée, les auteursrépondent sans ambiguïté qu’elleconnaît une sérieuse diminution.Un « déclassement relatif », certesdû à des considérations institution-nelles mais aussi à un facteur poli-tique : une faiblesse de la cohérenceet de l’ambition et un manque devision du futur souhaitable del’Europe et du rôle particulier quela France peut et doit y jouer.

Une longue première partie del’ouvrage effectue un rappel histo-rique des rapports entre la France et

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l’Europe et montre toute l’ambiva-lence de ces relations. Cette histoirea été ambiguë du temps non seule-ment du général de Gaulle maiségalement de ses successeurs. Ellea souvent donné lieu à des posi-tions incantatoires et contradic-toires, en particulier en ce quiconcerne l’Europe puissance oul’Europe politique, dont on affir-mait d’autant plus le projet qu’onen refusait certaines conditions, ycompris en termes de transfertsde souveraineté, d’acceptation descompromis et de refus de voir enl’Europe autre chose que « la Franceen grand ». Des rapports contrastésavec l’Allemagne, la césure de lacrise irakienne et le « non » françaisde mai 2005 ont brouillé d’autantplus notre rapport à l’Europe queles politiques ne paraissent guèrecapables de mobiliser les citoyensautour d’un projet européen partagé.

L’évolution institutionnelle del’Europe a également conduit à lafin de ce que les auteurs appellentl’« âge d’or européen ». Les élar-gissements successifs ont conduitmécaniquement à une érosion rela-tive du poids de la France dansles institutions européennes. MaisF.-X. Priollaud et D. Siritzky remar-quent que ce facteur est moinsdéterminant qu’une mauvaise« pratique » des institutions euro-péennes. Ils rappellent que, toutesformations du Conseil confondues,la France est l’un des pays qui se ca-ractérisent par l’absentéisme minis-tériel le plus fort. La situation estencore plus grave au Parlement

européen, alors même qu’il estdevenu colégislateur. Outre l’ab-sentéisme régulier de nombred’eurodéputés, choisis par leurparti pour des raisons qui n’ont rienà voir avec leurs compétences ouleur engagement européens, ilssont, malgré une légère améliora-tion, encore mal représentés dansles groupes politiques les plus im-portants et, surtout, n’ont que peuaccès aux postes à responsabilité.Malgré quelques exceptions, ilssont moins actifs que ceux d’autrespays, effet notamment du cumuldes mandats. Si la France reste bienreprésentée dans les cabinets descommissaires, mais pas toujours lesplus sensibles, et dans l’encadre-ment de la Commission, son in-fluence pâtit d’une insuffisanteproximité de son admi-nistrationavec ses ressortissants dans les ins-titutions européennes. On pourraitajouter que les relations avec lesexperts nationaux détachés et l’ex-ploitation de leurs compétences etde leurs connaissances lorsqu’ilsrentrent dans l’Hexagone restentlargement perfectibles. Il en va demême du lobbying effectué par lesecteur privé qui, malgré là aussiquelques progrès, est moins profes-sionnel que celui des Allemands etd’autres nationalités.

La troisième partie s’attache auxstratégies d’influence. Si l’on peutdiscuter l’importance que, sansnaïveté certes, les auteurs accor-dent à la langue française, ils mon-trent qu’une position plus cons-tructive sur le siège du Parlement

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européen devrait être élaborée.Après un utile rappel sur les avan-cées en Europe de la notion deservice public, ils insistent sur l’in-térêt que nous avons à ce quel’Europe réussisse : sans elle, laFrance serait encore plus margina-lisée. Si cette dimension est bienprise en compte dans l’administra-tion, elle ne l’est pas dans le pays,en partie parce que le traitementdes affaires européennes manquede politisation et de vision straté-gique – les auteurs reprennentnotre proposition d’un Conseilpour les affaires européennes etinternationales placé auprès duprésident de la République et d’unministre des Affaires européennesrattaché au Premier ministre. Ilsplaident aussi pour une Franceexemplaire sur les questions euro-péennes et proposant un desseineuropéen sans ambiguïtés.

On pourrait ajouter à une pro-chaine édition de cet excellentouvrage une autre dimension : cellede la présence de la France sur lesmarchés d’expertise lancés parl’Union européenne (UE), qui parti-cipe de notre influence à la fois enEurope et dans les pays tiers. Uneattention accrue pourrait aussi êtreportée aux représentations del’Union hors de ses frontières, quijouent un rôle clé et méconnu. Demanière plus générale, la construc-tion d’un système d’informationplus performant, associant admi-nistrations, secteur privé et mondeuniversitaire, entre la capitale et lesdifférents services et institutions

de l’UE – y compris les nombreuxcomités techniques – reste encoreà bâtir.

Nicolas Tenzer

MOYEN-ORIENT

OSAMA BIN LADENMichael ScheuerNew York, Oxford University Press, 2011, 280 pages

Chef de l’unité de la Central Intelli-gence Agency (CIA) chargée detraquer le chef terroriste saoudiende 1996 à 1999, Michael Scheuerconnaît bien Oussama Ben Laden.Auteur de plusieurs ouvragesremarqués sur la lutte contre leterrorisme et les réponses auxattentats du 11 septembre 2001,notamment Imperial Hubris: Why theWest is Losing the War on Terror(Londres, Brassey’s, 2004), il signeici une biographie du fondateurd’Al-Qaida qui apporte des élé-ments essentiels pour comprendrece personnage dont la mort n’a pasentièrement résolu l’énigme.

L’intérêt de ce petit livre est double.D’une part, M. Scheuer s’appuieessentiellement sur des sources depremière main. Documents d’Al-Qaida, communiqués d’OussamaBen Laden ou encore résultatsd’enquêtes menées par les servicesde renseignement américains sontainsi abondamment utilisés et cités(avant d’être répertoriés dans unebibliographie particulièrement riche

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et précieuse). D’autre part, se distin-guant très nettement des multiplesbiographes du milliardaire d’originesaoudienne, M. Scheuer ne cherchepas à dresser un portrait caricaturaldu fondateur d’Al-Qaida et ne suc-combe pas à l’émotion souvent rele-vée dans les textes faisant référence àl’inspirateur des attentats du 11 sep-tembre 2001 publiés aux États-Unis.On remarque même, au fil des pa-ges, une sorte de respect pour celuiqu’il présente sans ambages comme« le plus formidable ennemi desÉtats-Unis ». Le but de M. Scheuern’est évidemment pas de glorifierBen Laden mais d’en déconstruire leportrait afin de le présenter de la ma-nière la plus objective possible. L’au-teur mentionne ainsi le parcours decelui qui se cache derrière les atten-tats de New York et de Washington,cherchant à comprendre commentl’ancien volontaire aux côtés desmoudjahidin est progressivement en-tré dans un radicalisme extrême etcomment il a désigné les États-Uniscomme l’ennemi à abattre. C’estdonc un plan chronologique quepropose M. Scheuer, des jeunesannées de Ben Laden à son ultimecombat, replié en Afghanistan puisau Pakistan. Au final, décrit commeun homme profondément pieux,patient, talentueux et intelligent, leBen Laden de M. Scheuer n’a pasgrand-chose à voir avec le fanatiqueimprévisible et irrationnel si sou-vent dépeint.

Ce sont cependant les premier etdernier chapitres, consacrés l’unà l’étude de Ben Laden commeun « sujet » et l’autre à l’héritagelaissé par le chef d’Al-Qaida, quiapportent les éléments de réflexionles plus solides, l’auteur analy-sant avec soin les différentes per-ceptions, souvent erronées, de BenLaden aux États-Unis. Il soulèvel’une après l’autre les idées reçueset part du principe qu’elles eurentpour effet de renforcer la marge demanœuvre du chef terroriste, tan-dis que ceux qui avaient pourmission de le combattre s’enfer-maient dans de fausses certitudes.C’est ainsi un véritable procès àla lutte contre le terrorisme quelivre M. Scheuer. Il s’attarde enfinsur l’évolution du terrorismetransnational et la question desavoir comment ce dernier pour-rait survivre au fondateur d’Al-Qaida, dont la mort, redoute-t-il,ne marque finalement pas la find’un combat de près de deux dé-cennies mais une simple étapedans la lutte qui oppose le terro-risme aux démocraties. M. Scheuern’en reste cependant pas moinsoptimiste, estimant que si les diri-geants politiques cherchent àmieux comprendre le terrorisme,ils seront sans doute en mesure dele combattre plus efficacement.

Barthélémy Courmont

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À L’OMBRE DU MUR. ISRAÉLIENSET PALESTINIENS ENTRE SÉPARATIONET OCCUPATIONStéphanie Latte Abdallah et Cédric Parizot (dir.)Arles, Actes Sud, 2011, 334 pages

Parmi les nombreuses représen-tations saturant les imaginairescollectifs sur la réalité vécue parles Israéliens et les Palestiniens, lemur que les autorités israéliennesont commencé à construire enCisjordanie depuis 2002 occupeune place symbolique forte, enparticulier pour les Européens.Matérialisation de l’échec du pro-cessus de paix, cette réalisationunilatérale est un point d’affron-tement politique majeur.

Cédric Parizot et Stéphanie LatteAbdallah ont rassemblé les fruitsde rencontres universitaires aux-quelles ont participé des cher-cheurs (notamment en début decarrière, mérite qu’il faut souligner)explorant les nouvelles dynami-ques à l’œuvre sur les enjeux d’es-pace et de déplacement dans leconflit.

Cette étude, remarquable par l’ori-ginalité de son approche, offre aulecteur habitué à des récits où sesuccèdent affrontements, négocia-tions secrètes et conférences inter-nationales la possibilité de com-prendre les nouvelles relations quise tissent entre les acteurs du conflità travers le prisme des mobilités etdes usages de l’espace.

Ce livre est une invitation à uneanalyse rigoureuse des phéno-

mènes qui se jouent « à l’ombre dumur ». C’est en portant son regardau-delà de cet édifice que les nou-velles dimensions du conflit peu-vent être saisies. Alors que le tracéunilatéral de cet ouvrage nonencore achevé semblait donnercorps à une frontière définitiveentre Israéliens et Palestiniens, c’estun flou, une reconfiguration desenjeux, des stratégies et des échan-ges qui s’opèrent entre les acteurslocaux et internationaux dans cesquelques milliers de kilomètrescarrés.

L’occupation n’a pas cessé et le murne signifie pas une souverainetéeffective pour les Palestiniens. Lesdispositifs de contrôle israélienss’inscrivent dans une logique tout àfait contraire à une délimitationterritoriale claire et les quelquesreprises de négociation en vue d’unaccord de paix ne modifient en riencette situation. Les contributions dulivre effectuent d’ailleurs un retourutile sur les décennies qui précè-dent l’érection du mur, à savoir lapremière intifada et le temps desaccords dits d’Oslo. Derrière le pro-cessus des négociations de paix,l’organisation administrative et po-litique des territoires palestiniens aété remodelée, divisée et nomméedans un système kafkaïen. Le livre,sans emprunter à la rhétorique par-tisane, n’occulte aucun aspect de lapolitique d’occupation par Israëldes territoires palestiniens.

Les modes du contrôle israélien surles territoires occupés ont connude profondes modifications, délé-

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guant à des acteurs palestinienscertaines prérogatives de la viecivile tout en maintenant une domi-nation militaire et économique.Quelles sont les conséquences deces nouvelles fragmentations del’espace cisjordanien et de l’enfer-mement de Gaza sur les relationsentre les Palestiniens citoyensd’Israël et ceux des territoires pales-tiniens, occupés ou autonomes ?Que peut nous dire un barragemilitaire sur les transactions écono-miques, légales comme illégales,entre les différents acteurs ?

Voici quelques-unes des problé-matiques étudiées ici avec préci-sion et nuance. Le pari, nous fairedécouvrir les hors-champ de lareconfiguration des logiques depouvoir dans le conflit israélo-palestinien, est très réussi. Dessujets peu étudiés en France,comme la politique carcérale israé-lienne à l’égard des détenus pales-tiniens, ainsi que les voyages demilitants venus de France, pour yexprimer une solidarité avec l’unou l’autre des belligérants ou pourmontrer une certaine réalité duconflit à des décideurs (journalistesou élus) hexagonaux, étoffent cetteriche analyse.

Seul regret, qui n’enlève rien à l’ex-cellence de ce livre collectif, labande de Gaza, au cœur des conflitsde ces dernières années – entre leHamas et le Fatah et avec Israël – nefait, hélas, pas l’objet d’une contri-bution spécifique, peut-être enraison des grandes difficultés maté-

rielles que rencontrent les cher-cheurs pour y effectuer un terraind’enquête.

Samuel Ghiles-Meilhac

A HIGH PRICE. THE TRIUMPH AND FAILURES OF ISRAELI COUNTERTERRORISMDaniel BymanNew York, Oxford University Press, 2011, 464 pages

AIR OPERATIONS IN ISRAEL’S WARS AGAINST HEZBOLLAH. LEARNING FROM LEBANON AND GETTING IT RIGHT IN GAZABenjamin S. LambethSanta Monica, CA, Rand, 2011, 388 pages

Daniel Byman signe un ouvragevolumineux sur la manière dontIsraël a lutté contre le terrorismedepuis sa naissance et même bienavant. Dans sa première sectionsont analysées tour à tour lesannées suivant la création de l’État,puis celles qui vont de la guerre desSix Jours à 1970, année où l’Organi-sation de libération de la Palestine(OLP), expulsée de Jordanie, s’ins-talle au Liban et crée Septembrenoir, auteur d’attentats notammentcontre les athlètes israéliens auxJeux olympiques de Munich. Vientensuite un chapitre sur la « débâ-cle » bien connue au Liban dans lesannées 1970-1993. La deuxièmesection traite de la période qui vades accords d’Oslo de 1993 à l’opé-ration Plomb durci de décembre2008. La troisième section analysele conflit entre Israël et le Hezbollah.Sur la question de savoir si cette

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organisation, ou le Hamas, sont« terroristes », D. Byman prend lesoin de définir cette notion endistinguant les attaques contre descivils de celles visant des militaireset qui ne peuvent relever de la caté-gorie « terrorisme ». Une quatrièmesection est utilement consacrée au« terrorisme juif » visant des Pales-tiniens mais également des Israé-liens accusés de trahir la cause dugrand Israël, et dont Yitzhak Rabinsera une des plus illustres victimes.Le contenu de la cinquième sectionest plus indéfini. On y trouve uneanalyse des effets des assassinatsciblés, une autre sur la barrière desécurité (mur), auxquelles succè-dent des chapitres « transversaux »et plus globaux sur les « dilemmes »d’Israël, les leçons transposables àd’autres démocraties et les erreurscommises.

De cette somme, l’auteur tire quel-ques conclusions fortes. La lutted’Israël contre le terrorisme n’est niun succès total ni un échec complet.C’est un tableau en « gris » qu’ilbrosse. Du côté positif : les succèsdes services secrets qui ont déjouéde multiples attaques, arrêté denombreux responsables terroristeset sauvé ainsi la vie de quantitéd’Israéliens. Les assassinats ciblésont prouvé leur efficacité. Labarrière de protection a compliquéles efforts des groupes terroristes.Malgré les pratiques d’interroga-toires musclés, Israël a réussi, endeux décennies, à concilier lutteantiterroriste et respect des Droitsde l’homme. La population israé-

lienne a fait preuve d’une résiliencequi lui a permis de surmonter lavague des attaques suicide en pour-suivant une vie normale. Du côténégatif, il y a d’abord l’ignorancedes « conséquences politiques » decette lutte, le fait qu’elle a entraînéune radicalisation armée et la créa-tion de groupes comme le Hezbol-lah ; les effets dissuasifs : beaucoupde groupes armés hésitent certesaujourd’hui à provoquer Israël,mais les actions punitives sont plusdifficiles à conduire, notamment enraison de la vigilance des médias ;l’ignorance de l’importance desmédias dans ce type de conflit ; lefait que la construction de labarrière complique la recherched’une issue politique. Il y a enfinl’insuffisante attention portée auterrorisme juif et la politique de« deux poids deux mesures »consistant à punir bien plus sévè-rement le terrorisme palestinien.L’auteur conclut par des recom-mandations encourageant Israël àtrouver une issue politique auconflit.

Ce livre est richement documenté etd’une grande clarté pédagogique. Ilsuscite toutefois quelques réserves.Une des premières critiques qu’onpourrait lui faire serait qu’il man-que de cadre d’analyse. Le conceptde « guerre asymétrique » aurait pului en fournir un. Un deuxièmeregret concerne l’incapacité à déga-ger une idée forte sur cette guerrede l’ombre et souvent guerre toutcourt. L’auteur hésite trop dans sonbilan entre positif et négatif, sans

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conclure par un effort de hiérarchi-sation. Enfin, le livre est sansgrande originalité. Le spécialisten’y trouvera aucun élément nou-veau. L’auteur s’appuie beaucoupsur des sources secondaires. Il acertes effectué de nombreux entre-tiens côtés israélien et palestinienmais les propos rapportés ne sontpas toujours d’un grand intérêt.Cet ouvrage reste toutefois un outilde travail d’une grande richesseet d’une grande honnêteté intellec-tuelle.

Le rapport de la Rand Corporationrédigé par Benjamin S. Lambeth sefocalise sur la deuxième guerre duLiban, qui a opposé Tsahal auHezbollah en juillet-août 2006. Sonobjectif affiché est de tenter deconvaincre les dirigeants améri-cains, via ce cas d’école, de l’utilitéde l’aviation dans une guerre detype asymétrique. Contrairementaux critiques émises contre le chefd’état-major général de l’arméeisraélienne Dan Haloutz, ancienchef d’état-major de l’armée del’air, ce dernier n’a jamais penséque l’aviation seule, aussi perfor-mante soit-elle, aurait pu venir àbout du Hezbollah. Le fait est, noteB. S. Lambeth, que les dirigeantsisraéliens civils et militaires étaientréticents à engager des troupes ausol pour éviter le risque d’un enli-sement rappelant le « bourbier liba-nais » de l’opération Paix en Galiléeen 1982. L’erreur n’a donc pas été

de croire que l’armée de l’air pour-rait résoudre tous les problèmes.D’ailleurs Tsahal avait procédéd’emblée à des bombardementsterrestres, concomitamment auxattaques aériennes. L’erreur tient,d’une part, à la définition d’objec-tifs politiques irréalistes et, d’autrepart, à l’état d’impréparation deTsahal lorsqu’on décida d’engagerdes troupes au sol. Enfin, notel’auteur, il y a eu une très mauvaisearticulation entre attaques aérien-nes et contre-offensive terrestre. Lapreuve que les performances del’aviation ne sont pas en cause estfournie par l’opération Plomb durci.Sachant tirer les leçons des fai-blesses de la guerre du Liban de2006, en entraînant ses forces àtravailler de manière combinée,Israël mènera une attaque réussiedans la bande de Gaza. Sur cedernier point, pourtant, la démons-tration ne convainc pas vraiment.Comparer l’offensive contre leHamas à celle contre le Hezbollahest surprenant. Les combattants duHamas ne se sont quasiment pasbattus. Tsahal a mené l’opérationavec des moyens disproportionnés,causant la perte de nombreux civilset attirant à Gaza des sympathiesinternationales dont elle ne bénéfi-ciait pas jus-qu’alors. Le Hamas acertes perdu militairement : maiscela suffit-il à prouver une efficacitéisraélienne retrouvée ?

Samy Cohen

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BAAS ET ISLAM EN SYRIE. LA DYNASTIE ASSAD FACE AUX OULÉMASThomas PierretParis, PUF, 2011, 336 pages

De tous les régimes arabes contem-porains, l’autocratie syrienne estprobablement celui qui présente leplus de contradictions et qui a misen place un des systèmes politiquesles plus opaques de la région. Pour-tant, bien avant que le parti Baasdevienne parti unique, le projet deshommes politiques syriens étaitlaïc, socialiste et panarabe ; et aumilieu du XXe siècle, ce pays était,avec l’Égypte et la Jordanie, un desfers de lance des guerres de libé-ration des territoires occupés parIsraël.

En politique intérieure, la prise dupouvoir par Hafez Al-Assad aurapermis de cultiver répression etmensonge d’État. Régionalement,la Syrie a arrêté de lutter pour récu-pérer les territoires perdus depuisla fin du mandat français (dusandjak d’Alexandrette au nordjusqu’au plateau du Golan au sud)mais aussi de soutenir la causepalestinienne. Ses changementsd’alliances militaires au Liban, avecla Turquie ou l’Iran, son soutien à lacoalition occidentale lors de laguerre du Golfe (1991) ou plusrécemment sa coopération avecles États-Unis dans la lutte contreAl-Qaida font d’elle un pays craintou admiré.

Les « années de plomb » de la dé-cennie 1980-1990 ont laissé unetrace indélébile de peur et de sou-

mission dans la mémoire collectivesyrienne. Jusqu’aux événements deDeraa en mars 2011 : dans cetteville du Hauran, région située entreDamas et la frontière jordanienne,la mort d’un adolescent tué par lesforces de l’ordre déclenche larévolte qui s’étend aujourd’hui àtoutes les grandes villes.

Thomas Pierret comble un vide dela recherche francophone en sepenchant sur « l’établissement d’unpartenariat ambigu entre le régimeet une partie croissante du clergé[ainsi que sur] le rapprochementopéré par le pouvoir baasiste avecses anciens ennemis, les élites ur-baines ». S’il fonde son analyse surles travaux d’autres chercheurs telsque Volker Perthes, Joseph Bahout,Sakina Boukhaima ou plus récem-ment Sari Hanafi, l’intérêt de sontravail repose en grande partie sursa monographie de l’élite religieusesavante, qui a su s’adapter auxchangements sociaux et à l’autori-tarisme baasiste tout en tirant partidu clientélisme ambiant. Parallèle-ment, T. Pierret explique clairementcomment le régime, bien que do-miné par la minorité alaouite, a sutisser des liens étroits avec les clercssunnites par lesquels il a fini par sefaire légitimer, sans même avoir re-cours à une politique délibérée etméthodique de manipulation. Caren Syrie comme ailleurs dans leMachrek, le retour à un piétismedépolitisé s’est effectué pas à pas etdans un contexte globalisé de trans-formation de l’autorité religieusedans les sociétés musulmanes

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contemporaines. Cette enquêteminutieuse sur l’élite religieuse qui,bien que relativement fidèle auxmuftis de la République, ne se re-connaît ni dans l’islam officieldamascène ni dans le courant desFrères musulmans syriens en exiloffre aux lecteurs une analyseapprofondie de la structuration duclergé syrien, des différentes per-sonnalités et confréries qui le com-posent ou encore de l’environne-ment sociopolitique des muhafaza(gouvernorats) dans lesquelles ils’est formé.

T. Pierret permet ainsi de compren-dre comment les oulémas syrienssont devenus « les acteurs lesmieux à même de mobiliser lesressources des entrepreneurs afinde développer l’aide sociale privéedans un contexte d’inégalités crois-santes. [… Ils bénéficient] d’uncapital symbolique qui poussedésormais les grandes figures ducapitalisme de copinage à échangerleur générosité contre l’onction deshommes de religion dans le but desoigner une image écornée oud’obtenir un siège au Parlement ».

Jusqu’au début des années 2000,l’État a contrôlé et centralisé l’ensei-gnement religieux ; mais ce quel’auteur appelle la « fuite des tur-bans » vers l’étranger est moins uneconséquence de la répression quede la pénurie d’emploi qui toucheautant les oulémas que les centai-nes de milliers de jeunes qui arri-vent tous les ans sur le marché dutravail.

L’apport le plus intéressant del’ouvrage dans la compréhensionde la complexité syrienne est l’ana-lyse des raisons pour lesquelles les« ingénieurs pieux » ont choisi depromouvoir des intérêts sectoriels,plutôt que de profiter de l’affaiblis-sement du régime en 2004-2005pour « tenter d’imposer de nou-veaux pactes politiques ».

Il apporte quelques éléments deréponse aux questions des obser-vateurs des révoltes arabes sur leclergé musulman, un clergé qui, enSyrie, s’est divisé entre oulémassoutenant encore le régime et oulé-mas s’engageant physiquement etmoralement aux côtés des mani-festants.

Judith Cahen

FILS DE CONQUÉRANTS. LE MONDE TÜRK ET SON ESSORHugh PopeLaval, Presses de l’Université Laval, 2011, 452 pages

« Nous avons les mêmes racines ;nous formons une seule et grandefamille. Si nous ne commettons pasd’erreur, le XXIe siècle nous appar-tiendra. » Lorsque Turgut Özal,président turc de 1989 à 1993,s’exprime au premier sommet despays turcophones en 1992, HughPope, correspondant du Wall StreetJournal à Istanbul, découvre l’exis-tence du monde turcique. Cetteentité méconnue forme une des dixplus grandes familles linguistiquesde la planète avec près de 140 mil-lions de locuteurs répartis entre la

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Chine, l’Europe ou même l’Améri-que. Cet ouvrage rend compte deprès de 30 ans de découvertes et devoyages dans ces contrées turci-ques – le terme utilisé par l’auteuren anglais est Turkic, que le tra-ducteur a choisi de traduire par« türk ».

C’est l’effondrement de l’URSS quipermet la redécouverte du mondeturcique et entraîne le timide réveild’une identité éparse, diffuse etencore affaiblie par des sièclesd’oppression. Les « fils de conqué-rants », ces descendants de tribusnomades d’Asie centrale, ont assezen commun pour avoir suscité l’en-thousiasme de beaucoup : Améri-cains soucieux de répandre en Asiecentrale l’influence d’une Turquiealliée des États-Unis contre l’Iran, laRussie, voire la Chine ; idéologuespanturquistes en Turquie ; chefsd’États turciques opportunistes,ou simples romantiques en mald’identité…

À travers ses pérégrinations,H. Pope identifie l’héritage com-mun des peuples « türks » selonlui : une langue et une religion biensûr, mais aussi un attrait pour lavocation militaire – tout Türk serêvant soldat, d’où l’importance del’armée dans les États et sociétésturciques. Le culte du leader, le sensdes affaires, la capacité à émigrerpour améliorer son sort, unealimentation typique de la steppesont autant de caractéristiques.

Pourtant, à l’instar de H. Pope lui-même, on peut s’interroger sur la

réalité du socle commun. Les popu-lations turciques ne parlent pasexactement la même langue. Seuls15 % à 20 % des mots en turc ontune racine turcique, et on compteplus de 20 formes d’alphabet diffé-rentes. De la même façon, la prati-que de l’islam est très hétérogène :les Ouïgours pratiquent un sun-nisme plutôt rigoriste qui n’a pasgrand-chose à voir avec le chiismedes Azéris ou le sunnisme modérédes Turcs, sans parler de l’islamhybride pratiqué dans certainesconfréries de l’alévisme ou des pra-tiques chamaniques existant un peupartout dans le monde turcique. Envérité, comme un Turc en convientlui-même dans l’ouvrage, « lesTurcs ne savent toujours pas com-ment accepter leur caractère hy-bride et débattent pour se trouverun dénominateur commun, géogra-phique, racial ou religieux, qui leurpermettrait de se donner une iden-tité officielle ».

De plus, la solidarité supposéeentre les membres de la familleturcique n’a guère été au rendez-vous depuis 1990. Peu de voix sesont élevées pour défendre les« frères » ouïghours contre le rou-leau compresseur chinois ou pourdénoncer la situation désespéréedes riverains d’une mer d’Aral quidisparaît peu à peu. La plupart desÉtats turciques sont des régimesautoritaires, certes riches de leurshydrocarbures mais relativementdéconnectés les uns des autres, etqui ont plus en commun la pau-vreté, le mépris des Droits de

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l’homme et une corruption endémi-que qu’une identité « türke » sou-vent introuvable.

Dès lors, que reste-t-il de ce mondeauquel l’auteur voue une curiositéqui dépasse parfois l’intérêt deses interlocuteurs turciques eux-mêmes ? C’est peut-être à traversla survie de ces liens distendus quese dessine l’idée « türke », même sielle relève parfois du fantasme.Malgré des siècles d’éparpillementet d’oppression, un résidu d’iden-tité subsiste. Enfin débarrassés del’étreinte russe, favorisés par leséchanges que permet la mondia-lisation, les peuples turciquespeuvent, selon H. Pope, regarderl’avenir avec espoir. L’existenced’un monde « türk », réel ou sup-posé, permet aujourd’hui à cer-tains (notamment en Turquie, cen-tre historique retrouvé du monde« türk ») d’explorer un terrain pro-metteur (l’Asie centrale, ancienne

terre mère) pour développer leursactivités, qu’elles soient de com-merce ou d’influence : un nouveauterrain de conquête pour ces « filsde conquérants ».

Recueil de voyage plus qu’enquêtescientifique, l’ouvrage rassembleles impressions personnelles d’unjournaliste à l’ancienne, organi-sées autour de thèmes qui ne pré-tendent pas à l’exhaustivité. Si l’onest conquis par l’enthousiasme del’auteur, le lecteur sera parfois dé-concerté devant l’absence de « tur-cité » constatée au cours de sonparcours, ce qui fait perdre de laconstance au récit, avec des passa-ges parfois déconnectés les uns desautres. Fils de conquérants demeurecependant une très bonne intro-duction pour les novices ou lesvoyageurs à venir d’un mondetrop souvent ignoré.

Julien Cécillon

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