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XXXIX-2013 ÉTUDES CELTIQUES FONDÉES PAR J. VENDRYES CNRS EDITIONS 15 rue Malebranche – 75005 Paris

Pagi Etudes Celtiques

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XXXIX-2013

É T U D E S

C E LT I Q U E S

FONDÉES PAR

J. VENDRYES

CNRS EDITIONS15 rue Malebranche – 75005 Paris

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ÉTUDES CELTIQUESFondées par J. VENDRYES

Revue soutenue par l’Institut des Sciences Humaines et Sociales du CNRS

COMITÉ DE RÉDACTION

Président :Pierre-Yves LAMBERT

Président d’honneur :Venceslas KRUTA

Secrétaire :Jean-Jacques CHARPY

Membres :Brigitte FISCHER

Pierre FLOBERT

Patrick GALLIOU

Donatien LAURENT

Hervé LE BIHAN

Jean LE DÛ

Thierry LEJARS

Bernard MERDRIGNAC

Secrétaire d’édition :Virginie DURAND

La rédaction remercie chaleureusement Christophe BAILLY pour sa contribution à l’iconographie de ce volume.

Pour tout ce qui concerne la rédaction de la revue, s’adresser àPierre-Yves Lambert212 rue de Vaugirard75015 [email protected]é LeroyLaboratoire d’Archéologies d’Orient et d’Occident (CNRS-ENS)[email protected]

Renseignements :CNRS ÉDITIONS15 rue Malebranche75005 ParisTel. : 01 53 10 27 00Fax : 01 53 10 27 27

© CNRS ÉDITIONS, Paris, 2013ISSN 0373-1928

ISBN 978-2-271-07760-8

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ETHNICITÉ, POLITIQUE ET ÉCHELLES D’INTÉGRATION : RÉFLEXIONS SUR LES « PAGI » GAULOIS AVANT LA CONQUÊTE

PAR

Manuel FERNÁNDEZ-GÖTZ

Niveaux sociopolitiques en Gaule avant la conquête romaine

Les sociétés de la Gaule préromaine se trouvaient articulées en différents niveaux d’organisation sociopolitique (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2011a ; FICHTL 2004, 2006 ; ROYMANS 1990 ; VERGER 2009), qui à leur tour constituaient divers cadres identitaires de réfé-rence. Cette constatation est en consonance avec les approches les plus récentes en sciences sociales, qui soulignent le caractère multidimensionnel des attributions iden-titaires et des réseaux socio-organisateurs dans lesquels s’intègrent les personnes : il n’existe jamais une seule identité, mais de multiples niveaux qui apparaissent super-posés, parallèles, et dont l’importance varie en fonction des situations (JENKINS 2008). À la fin de l’âge du fer – étape sur laquelle nous nous concentrerons, puisque la majeure partie des sources disponibles provient d’elle – il est possible de distinguer, suivant un ordre ascendant, trois niveaux sociopolitiques principaux : 1) groupes fami-liaux élargis (clans) ; 2) pagi (sous-ethnies) ; et 3) civitates (ethnies). On peut dire pour résumer qu’une civitas est une « fédération » de pagi, qu’un pagus se compose de diverses familles élargies, et que ces derniers, à leur tour, incluent plusieurs maison-nées (FERNÁNDEZ-GÖTZ à paraître ; FICHTL 2004, p. 17-18 ; ROYMANS 1990, p. 18-23). Ces différents niveaux se trouvent mentionnés dans les textes gréco-romains. La source la plus explicite est César1, qui affirme : « En Gaule, non seulement toutes les cités [civitatibus], tous les cantons et fractions de cantons [pagis partibusque], mais même, peut-on dire, toutes les maisons [singulis domibus] sont divisés en partis rivaux [ factiones] » (BG 6, 11, 2). Malgré le fait que tous les niveaux sociopolitiques ébau-chés présentent un indubitable intérêt, je me concentrerai dans le présent article sur l’échelle représentée par le pagus2.

1. Une analyse critique récente du texte de César et de son utilité dans le cadre de l’étude de la société gauloise dans DUNHAM 1995 ; KRAUS 2009 ; SCHADEE 2008.

2. Pour une étude exhaustive sur les civitates gauloises préromaines, voir FERNÁNDEZ-GÖTZ à paraître et FICHTL 2004 ; pour les institutions politiques FERNÁNDEZ-GÖTZ 2011a ; pour un regard anthropologique lucide sur des aspects comme l’honneur ou les factions rivales VERGER 2009.

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À côté des niveaux sociopolitiques superposés, nous trouvons également des éléments transversaux qui sont fondamentaux pour comprendre le fonctionnement des sociétés gauloises à la fin de l’âge du fer : opposition entre ligues traversant tous les niveaux de la société (formation de factions) ; rôle d’autres types d’identité sociale (genre, groupes d’âge…) ; relations de clientèle à toutes les échelles (entre personnes des groupes sociaux défavorisés et membres de l’élite, entre aristocrates, même entre civitates…) ; règles de l’honneur qui régissent l’ensemble du fonction-nement des sociétés gauloises ; druides comme médiateurs religieux, etc. (FIG. 1). Le tableau que nous offrent les sources est par conséquent celui de sociétés gau-loises structurées en de multiples niveaux superposés, traversés à leur tour par des conflits transversaux entre factions et par des liens complexes d’alliance et de dépendance (VERGER 2009, 2011).

FIG. 1 : En haut : schéma simplifié représentant l’organisation sociopolitique de la Gaule à La Tène finale. En bas : éléments transversaux fondamentaux pour comprendre le fonctionnement des sociétés gauloises (élaboration personnelle à partir de ROYMANS 1990 et VERGER 2009).

Par ailleurs, il faut prendre en compte le fait que le degré de centralisation et de complexité socio-économique varie considérablement d’une région à l’autre. En général, les groupes les plus hiérarchisés et centralisés sont dans le centre de la

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Gaule (Éduens, Arvernes… qui constituaient à La Tène finale de véritables États archaïques) et les moins hiérarchisés dans les régions plus septentrionales (Morins, Ménapes…). Le monde gaulois de la fin de l’âge du fer ne constitue pas, en effet, une réalité uniforme (BRUN ET RUBY 2008 ; FERDIÈRE 2005 ; GARCIA ET VERDIN 2002). Aussi bien les textes classiques que les données archéologiques chaque fois plus abondantes mettent en évidence l’extraordinaire diversité des populations qui habitent le territoire ainsi défini. C’est pourquoi il faudrait parler « des Gaules » plus que de « la Gaule ». Cependant, il est possible d’identifier une série de traits partagés, qui font que la Gaule – entendue ici comme le territoire ébauché par César au début de De Bello Gallico, c’est-à-dire, les terres situées entre les Pyrénées, l’Atlantique, les Alpes et le Rhin – continue de constituer une unité d’analyse cohérente, plus encore lorsque l’on prend en compte le fait qu’elle représente un cadre d’étude bien défini depuis l’Anti-quité jusqu’à nos jours (FICHTL 2004 ; JULLIAN 1908a, 1908b).

Entités politiques et cadres identitaires

Durant les dernières années, différents auteurs ont défendu la thèse selon laquelle les civitates préromaines constituaient avant tout des entités politiques (FICHTL 2004, 2006 ; ROYMANS 1990, p. 26-27 ; TESTART 2010, p. 211). Bien qu’exacte, cette affirma-tion ne doit pas conduire à sous-estimer leur caractère de groupes ethniques puisque ces deux éléments – le politique et l’ethnique – non seulement ne sont pas en contra-diction mais se trouvent au contraire être parfaitement complémentaires. En effet, l’identité ethnique se juxtapose souvent à l’identité politique et contribue à renforcer sa cohésion, comme le montrent clairement de nombreux exemples du monde antique (COLLIS 2007 ; CRUZ ANDREOTTI ET MORA SERRANO 2004 ; DERKS ET ROYMANS 2009 ; HALL 1997 ; WENSKUS 1961). En ce sens, les pagi et les civitates gaulois rencontrés par César au milieu du Ier siècle av. J.-C. sont simultanément des entités politiques et des groupes ethniques3 (FERNÁNDEZ-GÖTZ à paraître ; GERRITSEN et ROYMANS 2006, p. 255 ; ROYMANS 2004, p. 2-3 ; VERGER 2011, p. 160). De fait, ces deux sphères ont dû être pratiquement indissociables puisque les composants de la communauté politique se concevaient eux-mêmes comme des membres d’un groupement ethnique, générant ainsi un sentiment d’identité partagée (FIG. 2).

3. Devant l’opinion de quelques chercheurs qui considèrent que l’ethnicité et l’organisation en tribus sont une simple invention de puissances impérialistes comme Rome ou du colonialisme européen, GODELIER (2004, 291) a déclaré pertinemment que « Le concept de tribu n’est pas une invention de la période coloniale. Bien entendu certains groupes ont été arbitrairement transformés en tribus ou en ethnies différentes dans les recensements que les puissances coloniales faisaient des populations qu’ils voulaient contrôler. […] C’est sur ces faits que des auteurs comme Jean-Loup Amselle ont attiré l’attention mais en ont conclu, de façon selon nous erronée, que la tribu est une invention de l’occident. L’organisation tribale était une réalité qui existait bien avant l’expansion coloniale de l’Europe ».

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FIG. 2 : Les civitates et les pagi de la Gaule préromaine comme entités à la fois politiques et ethniques, constituant des groupements de personnes avec une identité commune fondée sur des liens de parenté fictive (élaboration personnelle).

Indépendamment de ses acceptions dans le monde classique (JACQUES et SCHEID 1990 ; TARPIN 2002a), la meilleure définition de pagi et de civitates dans le contexte de la Gaule préromaine est celle offerte par Gerritsen et Roymans (2006), auteurs pour les-quels il s’agit de « groupes tribaux fonctionnant en tant que communautés politiques », c’est-à-dire « identités ethniques politisées ». Comme l’indiquent ces auteurs, « We therefore emphazise not only the political nature of tribal groups, but also their basis in constructed collective identities » (GERRITSEN et ROYMANS 2006, p. 255). Les perspec-tives instrumentalistes ont souligné le rôle important que peut jouer l’ethnicité à l’heure de renforcer et de préserver la cohésion de formations sociopolitiques (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2008, p. 69-74 ; WENSKUS 1961, p. 299). Pour DERKS et ROYMANS (2009, p. 1), « C’est la politique qui définit l’ethnicité et non l’inverse ». Il a même été dit que la construc-tion d’un groupe ethnique nécessite un pouvoir politique qui donne forme, promeut et soutient le sentiment ethnico-généalogique et territorial, ce qui – sans que cela soit nécessairement généralisable – paraît parfaitement applicable aux pagi et aux civitates gaulois, où coïncideraient les groupes ethnique et politique (FERNÁNDEZ-GÖTZ à paraître ; GERRITSEN et ROYMANS 2006, p. 255 ; VERGER 2011, p. 160). Ces entités possédaient leurs propres ethnonymes, allaient à la guerre ou convenaient de la paix, échangeaient les otages, avaient des leaders politiques et militaires, et disposaient d’institutions poli-tiques comme l’assemblée populaire, le senatus et dans certains cas également la royauté (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2011a). Nous disposons également de quelques témoignages concer-nant l’existence de mythes d’origine et un langage de « parenté métaphorique » était même employé dans les relations entre civitates (FERNÁNDEZ-GÖTZ à paraître ; ROYMANS 1990, p. 27), comme le montrent par exemple les expressions consanguinei (BG I, 11, 4) ou fratres consanguineosque suos (BG II, 3, 5).

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Un argument fréquemment invoqué pour nier ou sous-estimer le caractère ethnique des entités sociopolitiques gauloises est le fait, amplement vérifié, que la distribution des éléments de la culture matérielle ne se superpose généralement pas avec les limites des civitates (sauf exception comme celle des Mandubiens). Ainsi, à travers l’analyse des faciès céramiques, BARRAL (2003) a pu démontrer de manière convaincante l’hé-térogénéité au niveau de la culture matérielle des civitates comme celle des Éduens. Néanmoins, penser qu’une civitas doit présenter une culture matérielle totalement homogène afin de pouvoir être considérée comme une ethnie, c’est rester ancré dans une vision profondément normative de la culture, proche de celle exprimée jadis par des auteurs comme Childe. Cette conception a été déjà durement critiquée par plu-sieurs des principales figures de l’archéologie processuelle et elle se trouve actuelle-ment amplement discréditée dans des champs comme l’ethnologie (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2008). Pour ne citer qu’un seul exemple, dans son célèbre et influent livre Ethnic Groups and Boundaries, BARTH (1969) signale que les Pathanes de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan se concevaient eux-mêmes comme appartenant à un même groupe ethnique doté de frontières sociales, malgré la grande variété de formes cultu-relles et sociales qu’ils présentaient du fait de vivre dans un vaste territoire écologique-ment diversifié. L’anthropologie et la sociologie montrent clairement que les groupes ethniques sont rarement homogènes et, de surcroît, l’ethnicité peut, mais ne doit pas forcément, trouver un reflet dans la culture matérielle (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2008 ; JONES 1997 ; ROYMANS 2004). Le double caractère à la fois politique et ethnique des pagi et des civitates gaulois est par conséquent indubitable, ce qui est fondamental pour une compréhension correcte de ces entités. C’est pour cela que des distinctions comme celle établie par LEVEAU (2002, p.  13-14) entre « territoire ethnique » et « territoire civique » se révèlent, dans le contexte ici analysé, être une fausse dichotomie.

Ethnies, sous-ethnies et tribus : réflexions terminologiques

Au-dessus des groupes familiaux élargis mais en-dessous de la civitas se situe-rait en Gaule une échelle intermédiaire pour laquelle la majorité des chercheurs emploient, s’appuyant sur César, le nom de pagus4, et qui en français se traduit sou-vent par « canton » et en allemand par Gau (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2011a ; FICHTL 2004 ; ROYMANS 1990 ; VERGER 2009). Ce terme de pagus apparaît 11 fois dans le texte de César (FICHTL 2004, p. 14 et 166) : cinq fois pour les Helvètes (BG I, 12, 4 ; I, 12, 5 ; I, 13, 5 ; I, 27, 4), une pour les Arvernes (BG VII, 64, 6), une autre pour les Morins (BG IV, 22, 5), deux pour les Suèves (BG I, 37, 3 ; IV, 1, 4) et une de manière géné-rique pour la Gaule (BG VI, 11, 2) et pour les Germains (BG VI, 23, 5).

Les termes pagus et civitas présentent l’important inconvénient d’être des noms romains utilisés pour faire référence à une réalité gauloise, avec les distorsions, pro-blèmes et confusions que cela peut occasionner (DUNHAM 1995). Cependant, ils sont

4. Pour le choix de ce terme et les différences entre pagi italiques et gaulois voir MOMMSEN (1881, 450) et TARPIN (2002a, 31-33).

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employés dans le présent article pour deux motifs principaux : d’une part parce que ce sont ces noms que nous trouvons de manière prédominante dans nos principales sources d’information, en commençant par César ; d’autre part parce que leur usage est amplement répandu et accepté dans les traditions spécialisées dans l’étude du monde gaulois, aussi bien en France qu’en Allemagne, car ce sont les termes utili-sés par la majeure partie des chercheurs (par exemple DOBESCH 1980 ; FICHTL 2004 ; GARCÍA QUINTELA 2002 ; ROYMANS 1990).

Comme cela a déjà été indiqué, les civitates gauloises étaient composées de divers pagi. Ainsi, si les premières doivent se comprendre comme l’équivalent de groupes ethniques dotés d’importantes connotations au niveau de l’organisation politique, les seconds peuvent recevoir la dénomination de « sous-ethnies » (Teilstamm en alle-mand ou subtribe en anglais). Bien sûr, un pagus constitue en réalité une ethnie (KARL 2008), mais à une échelle moindre que la civitas, le mot « sous-ethnie » étant utilisé ici uniquement dans le but d’exemplifier la superposition de niveaux de grou-pement sociopolitique et identitaire. En ce sens, la réflexion émise par MOMMSEN (1881, p. 449) dans ses études sur les pagi celtiques reste très éclairante : « Der kel-tische pagus ist gewissermassen die civitas im Kleinen, ein zugleich örtlich und poli-tisch abgegrenzter Kreis, von denen eine gewisse Zahl die civitas bilden ». De même, DOBESCH (1980, p. 380-381) signale que « Offenbar sind Gesamtvolk und pagus von durchaus paralleler Struktur und Organisation und wechseln daher unschwer ihre Rollen ».

Parallèlement à ces considérations terminologiques, j’aimerais faire une brève digression sur l’usage des mots « ethnie » et « tribu ». Bien que soient employés dans le présent travail les noms « groupe ethnique », « ethnie » et « sous-ethnie », il est important de rappeler que, dans le contexte de la Gaule préromaine, ces termes font référence à ce que traditionnellement on a nommé « peuple » ou « état-peuplade », et non au sens de minority avec lequel ils apparaissent fréquemment dans la littérature anglo-saxonne actuelle (JONES 1997). Dans tous les cas, les connotations négatives associées au concept de « peuple » – instrumentalisation nationaliste, caractérisation en tant qu’entités homogènes et clairement délimitées… – justifient le fait qu’on a opté ici pour le terme « groupe ethnique », lequel est, en outre, celui employé actuel-lement majoritairement dans des disciplines telles que l’anthropologie ou la sociologie (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2008). Un fait similaire apparaît avec le mot « tribu », qui présente deux problèmes : d’un côté, la charge péjorative qu’il porte en raison fondamentale-ment du colonialisme et du racisme (JONES 1997) ; de l’autre côté, la confusion que peut générer son utilisation néo-évolutionniste pour décrire un stade d’organisation sociale antérieur à la chefferie (SERVICE 1962). Pour des motifs similaires, j’ai évité l’usage de l’expression « sociétés segmentaires » puisque, s’il est vrai que les sociétés de la Gaule préromaine étaient composées de divers segments ou niveaux superposés (ROYMANS 1990 ; VERGER 2009, 2011), dans les modèles de « typologie sociale » cette dénomination est habituellement comparée à des « sociétés tribales », c’est-à-dire à une échelle intermédiaire entre bandes et chefferies (SERVICE 1962). Ce dernier point peut logiquement engendrer des problèmes de correspondance incomplète avec les formes d’organisation que présentent les ethnies gauloises de La Tène finale, même lors d’occasions à caractère étatique (BRUN et RUBY 2008 ; COLLIS 2007).

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Le témoignage des Helvètes

En nous centrant sur l’étude des pagi gaulois proprement dits, le passage de la lit-térature antique le plus important pour la connaissance que l’on a d’eux est la célèbre référence de César à la subdivision de la civitas helvète en quatre pagi : « Ces hommes étaient ceux du canton des Tigurins : l’ensemble du peuple helvète se divise, en effet, en quatre cantons (pagi). Ces Tigurins, ayant quitté seuls leur pays au temps de nos pères, avaient tué le consul L. Cassius et fait passer son armée sous le joug. Ainsi, soit effet du hasard, soit dessein des dieux immortels, la partie de la nation helvète qui avait infligé aux Romains un grand désastre fut la première à être punie » (BG I, 12, 4-6).

Malgré l’immense valeur de cet extrait, les informations sur les pagi restent assez maigres dans les sources antiques, surtout en comparaison avec les témoignages dis-ponibles pour les civitates (BRUNAUX 2004, p. 17 ; FICHTL 2004, p. 14 ; ROYMANS 1990, p. 19). De fait, peu de pagi peuvent être identifiés par leur nom, et c’est principalement grâce aux inscriptions d’époque gallo-romaine. Historiographiquement, l’apport le plus remarquable en la matière reste le célèbre article de Jullian « À propos des pagi gaulois avant la conquête romaine » (1901), même si des travaux antérieurs comme ceux développés par MOMMSEN (1881, 1884) ne doivent pas être oubliés. Plus récem-ment, le thème a été abordé par des auteurs tels que DOBESCH (1980, p. 376-388), ROYMANS (1990, p. 19-21), GOUDINEAU et PEYRE (1993, p. 165-169), TARPIN (2002a, p. 31-37, 2002b) ou FICHTL (2004, p. 14-18), pour ne citer que quelques-unes des contributions les plus significatives.

En poursuivant l’argumentation développée au début du présent article, les pagi gaulois constitueraient des groupements qui englobent différentes familles élargies (BRUNAUX 2000, p. 26, 2004, p. 17 ; KARL 2008, p. 216). L’union de divers pagi don-nerait lieu, à son tour, à des entités de plus grande envergure comme le sont les civi-tates décrites par César au milieu du Ier siècle av. J.-C. (DOBESCH 1980, p. 381-382 ; FICHTL 2006, p. 49-51 ; GARCÍA QUINTELA 2002, p. 74 ; JULLIAN 1901, p. 87). Étant donné qu’habituellement le processus d’agrégation sociopolitique et identitaire se déroule « de bas en haut », il est logique de penser que la configuration des pagi a dû précéder généralement celle des civitates (BRUNAUX 2000, p. 26 ; FICHTL 2006, p. 51 ; KARL 2008, p. 218 et 221). Ainsi se façonnerait une structure à différents niveaux qui serait gérée par la tenue de conseils et assemblées (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2011a). Malheureusement, nous ignorons les modalités concrètes de ces processus de groupe-ment, mais on peut imaginer qu’il ne s’est pas toujours agi de décisions approuvées à la majorité, puisque certains pagi étaient plus influents et puissants que d’autres. Les relations hiérarchiques de pouvoir, bien attestées au travers des réseaux complexes d’alliances et de dépendances présentes aussi bien parmi les civitates que parmi les personnes, ont dû exister également dans les relations entre pagi (KARL 2008, p. 218). Ainsi, la prééminence d’un pagus ou de son chef(s) sur les autres et même l’existence de changements diachroniques dans les constellations de pouvoir sont des éléments qu’il convient de prendre en compte (DOBESCH 1980, p. 382).

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Groupements d’hommes… mais avec des territoires bien définis

Il est important de signaler que les pagi et les civitates de la Gaule indépendante étaient en premier lieu des communautés humaines définies par des dénominations ethniques (Personenverbände). C’est-à-dire des groupements de personnes avec une identité commune, fondée sur des liens de parenté fictive, qui à un moment donné pouvaient changer d’emplacement par une émigration totale ou partielle, tel que le montre la migration frustrée des Helvètes (ROYMANS 1990, p. 21 et 28 ; VERGER 2011, p. 160-161 ; WENSKUS 1961, p. 44-46). Les mots de ROYMANS (1990, 21) reflè-tent bien cette réalité : « Il y a une différence substantielle entre le pagus tribal et le pagus gallo-romain – le premier était avant tout […] un groupe de personnes et seulement en second lieu une unité territoriale ». Ainsi, ce que César désigne comme pagus Tigurinus chez les Helvètes est de toute évidence un groupe humain qui disposait d’une certaine autonomie (TARPIN 2009, p. 136). De la même manière, il est intéressant de signaler également le changement de signification du mot civi-tas : tandis que pour César il fait référence à une ethnie ou à l’aire occupée par cette dernière, durant l’époque impériale il s’agit d’un district ou unité administrative (ROYMANS 1990, p. 23).

Selon PEYRE (1996, p. 7), le mot latin pagus était apparemment la transposition du mot gaulois corios, reposant sur *ko-wiriyos, ce qui signifierait originellement « réu-nion d’hommes » ou « de guerriers ». Cette étymologie de « groupements d’hommes en armes » est celle qui à mon sens reflète le mieux le caractère des pagi d’époque pré-romaine. Un bon exemple apparaît dans les noms des peuples des Tricorii (« Les trois troupes ») et des Petrocorii (« Les quatre troupes » : petro- gaulois = quattuor latin), qui renvoient à des groupements d’hommes au combat ou en migration. En prenant en compte la subdivision des civitates gauloises en pagi, on entendra de fait « Les trois pagi » et « Les quatre pagi » (FICHTL 2004, p. 16 ; PEYRE 1996, p. 7). En suivant les idées déjà émises par JULLIAN (1901, p. 82-83), les Petrocorii seraient le peuple formé de quatre pagi, et qui marche sous quatre étendards associés.

Quoi qu’il en soit, la reconnaissance du fait que les pagi et les civitates préromains constituaient avant tout des groupements de personnes ne doit pas conduire à sous-estimer l’importance jouée par la territorialité dans les sociétés gauloises préalables à la conquête (FICHTL 2004, p. 16 ; ROYMANS 1990, p. 28), plus encore lorsque l’on prend en compte le processus d’urbanisation croissante que l’on observe à La Tène finale (FICHTL 2005). Les groupes humains se trouvaient indubitablement liés à un cadre physique qu’ils contrôlaient et exploitaient, même lorsque ce dernier changeait ou connaissait des modifications. Comme FICHTL (2004, p. 31-32 et 163, 2006, p. 44) le signale à juste titre, les civitates gauloises avaient majoritairement des limites bien définies mais en perpétuelle évolution, et il est possible de penser qu’il en était de même des pagi. Dans ce contexte, il est utile de rappeler que dans le monde latin l’étymologie du mot pagus, utilisé par César, remonte à la même racine que le verbe pa(n)gere, « ficher en terre, enfoncer, planter », et par extension « planter une borne » (GOUDINEAU et PEYRE 1993, p. 165 ; PEYRE 1979, p. 57, 1996, p. 7).

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Le pagus gaulois serait en définitive une formation à la fois politique, ethnique et en dernier lieu, par dérivation, aussi territoriale. D’une manière comparable à ce qui se passait dans de nombreuses communautés de l’Antiquité, l’identité partagée de chacune de ces entités politico-ethniques se fonderait en grande partie sur l’existence d’un mythe d’origine commun, centré sûrement sur le culte porté au héros ou ancêtre fondateur (ALMAGRO-GORBEA et LORRIO 2011). En ce sens, l’hypothèse émise en son temps par Jullian (1901, p. 91-93) selon qui les noms de plusieurs pagi dériveraient de noms personnels, pouvant s’agir des noms des ancêtres mythiques respectifs, est de grand intérêt. Ainsi, sur les trois noms de pagi helvètes connus, deux ont une termi-naison patronymique : Verbigenus et Tôygeni, formés de -genus (« né de »). Nous nous trouverions par conséquent devant les noms des héros fondateurs qui donneraient leur dénomination à chacun des groupes respectifs. En comparaison, nous pourrions citer le cas, utilisé comme exemple par JULLIAN lui-même (1901, p. 91), des 12 tribus d’Israël qui portaient les noms des fils de Jacob : tribu de Judas, tribu de Lévi, tribu de Benjamin, etc.

Un exercice de calcul

Dans ses Vies parallèles, Plutarque (César XV, Pompée LXVII) mentionne le fait que César soumit 300 « nations » au cours de la conquête de la Gaule, tandis que Flavius Josèphe (BI II, 16, 4, 372) en cite 305 et Appien (BC II, 150) parle de 400. Ces chiffres – qui dans le meilleur des cas sont simplement indicatifs – ont été à juste titre comparés aux pagi (DOBESCH 1980, p. 379 ; GARCÍA QUINTELA 2002, p. 74 ; Jullian 1901, p. 90-91), puisque cette interprétation cadrerait relativement bien avec la liste de 60 civitates contenue dans l’Autel des Trois Gaules de Lugdunum (Strabon IV, 3, 2). Ainsi, les données de Plutarque donneraient une moyenne de cinq pagi par civitas, ce qui se rapproche assez des quatre connus parmi les Helvètes. JULLIAN (1908a, p. 180, 1908b, p. 16), pour sa part, calcule environ 500 pagi, un chiffre obtenu par l’ajout aux 300 ou 400 nommés dans les sources de quelques 100 ou 200 autres cor-respondant aux populations situées au sud des Cévennes.

Dans tous les cas, les estimations commentées révèlent également l’imprécision, en de multiples occasions, de l’usage des termes dans les sources gréco-latines. Par une simple question d’échelle, il est évident que les 100 pagi attribués aux Suèves ne peuvent être des groupements équivalents aux quatre pagi helvètes (DOBESCH 1980, p. 379 ; FICHTL 2004, p. 15-16 ; ROYMANS 1990, p. 46). Un simple exercice de calcul comme celui réalisé par Tarpin (2002a, p. 33 ; voir également FICHTL 2004, p. 16) sur la base des chiffres de population donnés par César montre clairement la dis-proportion existante (FIG. 3). Il paraît donc évident qu’un même terme a été utilisé pour désigner deux réalités sociopolitiques différentes. Ma proposition – similaire à celle exprimée par GOUDINEAU et PEYRE (1993, p. 168), FICHTL (2004, p. 15-17) ou STROBEL (2009, p. 125) – est que les mentions de 100 pagi suèves (BG I, 37, 3 ; IV, 1, 4), 112 tribus boïennes (Pline NH III, 116) ou 183 populi galates (Pline NH V, 146) feraient référence à des entités assimilables à des groupes familiaux élargis ou clans, cités au début de l’article.

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FIG. 3 : Calcul comparatif des effectifs des Suèves et des Helvètes (d’après FICHTL 2004 et TARPIN 2002a). Les chiffres montrent que le pagus suève et le pagus helvète cités dans les textes ne peuvent pas correspondre au même type de population et donc à des groupes comparables.

L’autonomie des pagi

Le degré d’autonomie des pagi de la Gaule indépendante est un thème qui a généré des débats importants. À en juger par les témoignages des sources, cette autonomie dut être considérable, au moins lors de certaines occasions, aussi bien sur le plan politique et militaire que probablement religieux, dernier aspect véri-fié indirectement par les inscriptions genio pagi d’époque gallo-romaine (FICHTL 2004, p. 16-18 ; GARCÍA QUINTELA 2002, p. 73-74 ; JULLIAN 1901, 1908b, p. 37-43 ; KARL 2008, p. 218 ; ROYMANS 1990, p. 19-22 et 50-51). Il a été proposé que les pagi préromains fonctionnaient comme des centres de recrutement militaire for-mant leur propre armée, agissant en tant qu’unités de combat séparées pendant les opérations militaires (BRUNAUX 2004, p.  18 ; DOBESCH 1980, p.  378-379 ; GARCÍA QUINTELA 2002, p. 74 ; JULLIAN 1901, p. 80-83 et 87 ; ROYMANS 1990, p. 19). L’armée des Helvètes, par exemple, marchait par pagi, ce qui implique que chaque pagus formait une division distincte (BG I, 12). En outre, en se fondant sur une série de preuves indirectes, JULLIAN (1901, p. 82) émit l’hypothèse que chaque pagus gaulois aurait servi sous son étendard particulier : ainsi pourraient être interprétés, par exemple, les 74 signa militaria que César captura lors de la bataille d’Alésia (BG VII, 88, 4) (FIG. 4).

Comme l’indiqua JULLIAN (1901, p. 83), l’indépendance militaire était sûrement le signe ou le reflet de certaines libertés publiques : « si le pagus faisait sa partie dis-tincte sur le champ de bataille, c’est qu’il la faisait dans la cité en temps ordinaire ». Et en effet, les exemples disponibles nous montrent que la capacité de décision des pagi leur permettait de prendre des chemins parfois différents de ceux du reste de la civitas, même en matière de relations avec l’extérieur, pouvant émigrer séparément ou même se fractionner pour former une nouvelle entité indépendante. Un cas paradig-matique est celui déjà mentionné du pagus Tigurinus, qui de manière autonome au reste des Helvètes prit part à la migration de Cimbres et Teutons (BG I, 7, 4 ; 12, 4-7 ; 13, 2). Un autre exemple remarquable est l’épisode des Morins en 55 av. J.-C., où l’on

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voit que seule une partie des pagi obtint un accord avec César en lui envoyant des députés, tandis que d’autres refusèrent de le faire. Apparemment, chaque pagus des Morins décide pour lui-même : « Pendant que César s’attardait chez les Morins pour apprêter sa flotte, beaucoup de leurs composantes envoyèrent des députés lui présen-ter des excuses au sujet de leur conduite passée » (BG IV, 22, 1). « Le reste de l’armée fut confié aux légats Q. Titurius Sabinus et L. Aurunculéius Cotta, avec mission de la conduire chez les Ménapes et dans les pagi morins qui n’avaient pas envoyé de députés » (BG IV, 22, 5).

FIG. 4 : Monnaies gauloises représentant des sangliers-enseignes, autant enseigne militaire que symbole de pagus (d’après FICHTL 2004).

Occasionnellement un pagus pouvait même se fractionner en se constituant en une civitas autonome, et inversement un groupe pouvait être incorporé dans un autre en tant que pagus (DOBESCH 1980, p. 380-381 et 385 ; KARL 2008, p. 218 ; ROYMANS 1990, p. 20, 22 et 26 ; WENSKUS 1961, p. 431-439). Cette politique aurait été poursui-vie par Rome pour son propre bénéfice dans le cadre de la réorganisation de la Gaule après la conquête (FERDIÈRE 2005, p. 141-148 ; FICHTL 2004, p. 55-60 ; GOUDINEAU 2007, p. 304-432).

Dans un autre ordre d’idées, il faut évoquer la possibilité, assez plausible si l’on se fonde sur les sources, qu’il existât en Gaule préromaine des « rois » sous le niveau de la civitas, c’est-à-dire à l’échelle des pagi (BRUNAUX 2004, p. 28-29 ; DOBESCH 1980, p. 379-380 ; KARL 2008, p. 216 ; ROYMANS 1990, p. 20 et 37), situation similaire à celle de l’Irlande avec les petits rois des túatha (MAC NIOCAILL 1972). Ce sont pro-bablement ces rois des pagi que Polybe (Hist. III, 50, 2) désigne sous l’expression de « chefs de secteur » à propos des Allobroges (BRUNAUX 2004, p. 28 ; DOBESCH 1980,

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p. 380). Selon Roymans (1990, p. 37), le terme plus général de principes peut inclure quelques-uns de ces petty kings gaulois.

Dans tous les cas, divers auteurs ont signalé à juste titre que la reconnaissance de l’autonomie notable des pagi ne doit pas conduire à sous-estimer le rôle des civitates (DOBESCH 1980, p. 380-381 et 385 ; ROYMANS 1990, p. 22). Après tout, ce sont ces dernières qui apparaissent majoritairement en tant que protagonistes dans la Guerre des Gaules (182 mentions du nom civitas contre seulement 11 de celui de pagus, voir FICHTL 2004, p. 8 et 165-166), et elles seront également les unités de base choisies par Auguste pour sa réforme administrative (FERDIÈRE 2005 ; GOUDINEAU 2007). À côté des tendances centrifuges déjà citées, d’autres centripètes agiraient, qui se trouve-raient en constante dialectique avec les premières (GARCÍA QUINTELA 2002, p. 75). Comme l’indique ROYMANS (1990, p.  22), les nombreux exemples de fission et de fusion montrent qu’il s’agissait de formations suffisamment dynamiques pour pouvoir s’adapter continuellement à de nouvelles circonstances politiques. Ces mécanismes se retrouvent dans de nombreuses sociétés traditionnelles, comme par exemple dans celles de l’Afrique du Nord et du domaine musulman en général (DAWOD 2004). D’un autre côté, nous devons prendre en compte la variabilité diachronique et synchronique qui a dû exister entre les diverses populations de la Gaule préromaine, avec une ample gamme de degrés d’autonomie et de centralisation (BRUN et RUBY 2008 ; ROYMANS 1990). Ainsi, tandis que certains groupes comme les Éduens avaient développé des institutions politiques centralisées qui dénotent une structure étatique au niveau de la civitas (COLLIS 2007 ; GOUDINEAU et PEYRE 1993), en incluant des magistratures centrales comme le vergobret (LAMOINE 2006), dans d’autres civitates gauloises dans lesquelles le processus de centralisation se trouvait moins avancé – c’est le cas par exemple des Morins – le fonctionnement est sûrement resté similaire à celui décrit par César dans sa description ethnographique des Germains : « En temps de paix, il n’y a pas de magistrat commandant à tous, mais les chefs de régions et de cantons (regionum atque pagorum) rendent la justice et apaisent les querelles chacun parmi les siens » (BG VI, 23, 5).

Pagi, tétrarchies et túatha

De nombreux auteurs ont établi des comparaisons entre les pagi gaulois et d’autres groupements telles les tétrarchies galates d’Anatolie (STROBEL 2009) ou les túatha irlandaises (MAC NIOCAILL 1972), tout comme avec les données sur la Gaule Cisalpine (PEYRE 1979). Ce dernier domaine présente un intérêt particulier puisque nous y trouvons certains ethnonymes qui coïncident avec ceux de la Gallia Comata (comme Cénomans, Lingons ou Sénons), un fait mis en relation avec les célèbres migrations celtiques en Italie (TOMASCHITZ 2002), décrites par des auteurs tels que Tite-Live (V, 33-35) ou Polybe (Hist. II, 17-35) et étudiées archéologiquement depuis le XIXe  siècle et jusqu’à aujourd’hui (SCHÖNFELDER 2010 ; VITALI 2007). En ce qui concerne l’objet de cette étude, nous pouvons indiquer que le nom pagus est cité à deux occasions (PEYRE 1979, p. 57), une fois par Pline (NH III, 124 : Vertamocoris, Vocontiorum hodieque pago) et l’autre par Tite-Live (V, 34, 9 : Insubribus pago

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Haeduorum). Si le premier extrait est d’une grande aide pour qui veut différencier les 112 tribus boïennes (Pline NH III, 116) de l’échelle représentée par le pagus en confrontant ces deux notions (FICHTL 2004, p. 15), le deuxième est surtout important pour la chronologie, puisqu’il constitue l’information la plus ancienne connue sur un pagus gaulois (JULLIAN 1901, p.  78-79) – indépendamment de la discussion sur la chronologie engagée par Tite-Live – ce qui permet de faire remonter l’existence de cette subdivision à plusieurs siècles avant sa mention par César. Comme le remarque JULLIAN (1901, p.  78), dans la mention de Tite-Live sur « les Insubres, pagus des Éduens » le mot latin pagus traduirait non pas un canton territorial, mais un groupe d’hommes, un ensemble de familles élargies.

Les tétrarchies galates sont, pour leur part, parfaitement assimilables aux pagi de la Gaule (DOBESCH 1980, p. 387 ; GARCÍA QUINTELA 2002, p. 60-61 ; MOMMSEN 1884 ; STROBEL 2009, p. 124-125). Comme nous le savons, chacune des trois ethne galates (Tolistoboges, Trocmes et Tectosages) se trouvait divisée en quatre sous-groupes ou « tétrarchies » (Strabon XII, 5, 1), desquelles nous connaissons certains noms comme Voturi, Ambitouti et Toutobodiaci. Ces groupements mineurs avaient leur propre struc-ture politique indépendante et étaient dirigés par un tétrarque, assisté d’un juge et également d’un chef militaire et de deux autres sous-chefs.

Finalement, la comparaison que l’on trouve le plus fréquemment dans la littérature spécialisée est celle établie avec les túatha de l’Irlande antique. Selon MAC NIOCAILL (1972, p. 28), ces dernières pourraient se définir comme « a group of people suffi-ciently large to be ruled by a king, and conscious of their otherness from neighbour-ing groups ». Même s’il est certain que les royaumes provinciaux irlandais (Ulster, Connacht…) formés à partir des túatha peuvent être comparés en taille aux civitates (ROYMANS 1990, p. 20), il est également vrai qu’il existe quelques problèmes d’échelle, qui ne peuvent être niés, quand on veut établir une comparaison entre túatha et pagi gaulois. Effectivement, les 3 000 habitants calculés en moyenne par túath (KELLY 1988) sont très éloignés de ceux que nous obtiendrions à partir de la division en quatre pagi des 263 000 helvètes cités dans le recensement (BG I, 29). Bien que les chiffres fournis par César aient pu être exagérés et même si on admet la réelle possi-bilité qu’une bonne partie des civitates aient eu une population considérablement infé-rieure à celle des Helvètes, les indications numériques disponibles sont si inégales en Irlande et en Gaule qu’il ne peut ne pas y avoir d’implications sociopolitiques (GARCÍA QUINTELA 2002, p. 101). De même, on imagine que les 20 à 40 túatha qui composaient les provinces irlandaises (MAC NIOCAILL 1972) étaient plus nombreuses que les pagi que subdivisaient les civitates gauloises.

Divisions quadripartites et symbolisme numérique

Le symbolisme du chiffre quatre (ALMAGRO-GORBEA 2009, p. 110-111 ; DOBESCH 1980, p.  405-406 ; GARCÍA QUINTELA 1995 ; VERGER 2003, p.  337-338) a attiré l’ attention en de nombreuses occasions et est en relation au moins tangentielle-ment avec la subdivision en pagi de quelques ethnies. En effet, l’organisation quadripartite s’observe clairement dans le cas des Helvètes (BG I, 12, 4 : nam omnis

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civitas Helvetia in quattuor pagos divisa est) ou dans les quatre tétrarchies dans lesquelles était divisé chacun des trois ethne galates (Strabon XII, 5, 1). Sans vou-loir être exhaustif, nous pourrions également citer d’autres exemples comme celui déjà commenté des Petrocorii de Périgueux, dont le nom signifierait « Les quatre troupes » (JULLIAN 1901, p.  82-83 ; PEYRE 1996, p.  7), les informations de César (BG V, 22, 1) concernant les quatre rois qui gouvernaient dans la région de Kent et même celui des tétrarchies de Thessalie (MOMMSEN 1884, p. 318). Dans la Péninsule ibérique, Pline (NH III, 3, 26) cite quatre peuples parmi les Turmoges et également parmi les Pelendons. Quant à l’Irlande, la division en quatre provinces en plus d’un centre symbolique situé à Tara est amplement connue (MAC NIOCAILL 1972) ; une structure similaire a été proposée par GARCÍA QUINTELA (1995) pour les Celtibères. Selon ALMAGRO-GORBEA (2009, p.  110), le modèle d’organisation territoriale qua-dripartite pourrait procéder d’une conception indo-européenne fondée sur le croi-sement des axes cosmiques en un point omphalique, ce qui est caractéristique des diverses communautés de l’Antiquité. Il est évident qu’en plus de la division en quatre, il existait également beaucoup d’autres formes de subdivision, aussi bien en Gaule que dans d’autres zones (par exemple en trois, cinq ou six pagi). Quoi qu’il en soit, la prolifération d’exemples d’ethnies composées de quatre sous-ethnies est frappante, d’autant qu’il est également possible de proposer des cas déjà connus par les sources classiques et d’autres identifiables par la méthode régressive et l’ar-chéologie, comme par exemple le territoire des Bellovaques (vid. infra). Il ne s’agit pas de s’étendre ici davantage sur ce thème, qui est cependant d’un grand intérêt dans la perspective d’une méthode comparative comme celle proposée par GARCÍA QUINTELA (2002).

Les chefs-lieux des pagi

Tout au long de l’article, nous avons déjà fait allusion à l’importance des assem-blées et conseils comme arènes privilégiées de négociation et régulation des relations sociales et des affaires collectives à l’échelle des pagi et des civitates (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2011a), comme le révèle César lui-même : « on n’a le droit de parler des affaires publiques qu’en prenant la parole dans le conseil » (BG VI, 20, 3). Cette thématique est directement en lien avec la question des sites centraux puisqu’il est possible d’as-sumer le fait que ce serait en ces points que se célèbreraient les grandes réunions collectives, fondamentales pour promouvoir la cohésion sociale, l’auto-conscience et l’identité partagée (DERKS et ROYMANS 2009). Dans de nombreux cas, à La Tène finale, ce furent les oppida qui servirent de lieux de réunion pour ces assemblées et par extension de chefs-lieux des pagi (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2011b ; FICHTL 2004, p. 76-77, 2005, p. 145 ; ROYMANS 1990, p. 35 et 200). L’application par FICHTL (2004, p. 69-77, 2006, p. 47-48) de la méthode des polygones de Thiessen aux oppida de diverses civitates de la Gaule centrale et orientale offre des résultats très révélateurs. Cela est particulièrement vrai en ce qui concerne le territoire de groupes comme les Trévires ou les Médiomatriques, où les oppida se répartissent d’une façon assez régulière, montrant un découpage de ces deux civitates en unités plus petites qu’il est tentant

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d’assimiler aux pagi. Dans le cas trévire, des fouilles récentes ont attesté la présence d’espaces publics avec installations cultuelles dans six des sept oppida (Titelberg, Martberg, Wallendorf, Kastel-Staadt, Otzenhausen et Donnersberg, avec l’exception de Bleidenberg), ce qui, ajouté à leur distribution régulière dans l’espace, indique une organisation du territoire à partir de ces sites majeurs qui serviraient de chefs-lieux des divers pagi qui composaient la civitas (FERNÁNDEZ-GÖTZ 2011b ; METZLER et al. 2006) (FIG. 5). Le politique et le religieux constitueraient par conséquent deux notions indissociables (FICHTL 2005, p. 145-152). C’est à travers les rites que se rassemblaient des groupes humains auparavant dispersés, et c’est également à travers le cultuel que la communauté prenait ses décisions collectives, donc politiques (FICHTL 2007, p. 283).

FIG. 5 : Organisation du territoire trévire à partir de l’application de la méthode des polygones de Thiessen (d’après METZLER et al. 2006, modifiée).

Dans tous les cas, il faut prendre en compte le fait que dans la Gaule existèrent également des pagi dans lesquels il n’y avait aucun oppidum, ou dans lesquels, malgré la présence d’un oppidum, la fonction centrale était assumée par un autre type d’en-clave. D’un côté, il est possible d’émettre l’hypothèse selon laquelle certains habitats ouverts jouaient ce rôle, comme cela a été proposé par exemple pour le territoire des Ségusiaves ou pour le site d’Acy-Romance (FICHTL 2005, p. 173-178). Dans d’autres cas, la fonction de chefs-lieux pourrait avoir été assumée par des sanctuaires non inclus dans les oppida, ou dont l’origine était antérieure au développement des oppida aux mêmes emplacements, comme on peut l’observer dans la région de Belgium

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(FICHTL 2003, p. 105-106, 2006, p. 49-50). Ainsi, dans le cas de la Picardie, il a été suggéré que des sanctuaires tels Gournay-sur-Aronde et Bailleul-sur-Thérain auraient été liés à un pagus (BRUNAUX 2000, p.  84 ; FICHTL 2003, p.  105-106), tandis que Ribemont-sur-Ancre pourrait peut-être avoir été en relation avec une confédération guerrière (BRUNAUX 2000, p. 91).

Les pagi gallo-romains : continuités et discontinuités

Une dernière problématique est celle de la continuité ou de la discontinuité entre pagi préromains et gallo-romains (ROYMANS 1990, p. 21 ; TARPIN 2002b, 2006, p. 43-44). Comme cela a déjà été indiqué auparavant, il existe une différence quali-tative substantielle entre ces deux étapes. Effectivement, tandis qu’à l’époque préro-maine un pagus était avant tout un groupement de personnes, un Personenverband, et seulement en second lieu une entité territoriale, pendant l’époque gallo-romaine la situation s’inversa (ROYMANS 1990, p. 21 et 46). En outre, les réformes augustéennes auraient limité l’autonomie politique du pagus en le subordonnant à la civitas. Cette diminution, plus que notable, dans la capacité d’action des pagi représente une cer-taine « dépolitisation » de ces groupements, qui, dans tous les cas, jouèrent le rôle d’entités territoriales (ROYMANS 1990, p. 21 et 23 ; TARPIN 2002b, p. 202, 2006, p. 43). En ce sens, les témoignages épigraphiques suggèrent qu’à l’époque romaine leur auto-nomie resta restreinte surtout, bien que non exclusivement, à la sphère religieuse (ROYMANS 1990, p. 21 et 50-51).

Au niveau territorial, les transformations survenues durent beaucoup osciller selon les régions et les cas concrets, étant plus importantes dans certaines zones que dans d’autres (TARPIN 2002b, 2006). La zone septentrionale de la Gaule Belgique fournit un exemple de communautés fortement affectées par la conquête césarienne ; ses populations (Nerviens, Éburons…) furent tout particulièrement tou-chées et d’importants changements se produisirent sur la carte ethnique (ROYMANS 1990, p.  21 et  23, 2004, p.  23-30) (FIG.  6). Le « démantèlement » auquel furent soumis les Suessions, mentionnés comme l’une des principales civitates au début des campagnes de César et dont le territoire postérieur se trouve être parmi les plus modestes de la région, est également significatif, en parallèle avec l’inversion du rapport de force en faveur des Rèmes, fidèles alliés de Rome (FICHTL 2004, p. 135-137 ; ROYMANS 1990, p. 23). Nous connaissons également le cas des groupes nommés dans la Guerre des Gaules, mais qui n’apparaissent pas en tant que civitates à l’époque impériale (comme les Mandubiens), tandis qu’au contraire d’autres attei-gnirent ce statut, tels Meldes et Silvanectes, alors qu’antérieurement ils formaient probablement deux pagi des Suessions, ensuite détachés de leur civitas (FERDIÈRE 2005, p. 141-142 ; FICHTL 2004, p. 60).

Néanmoins, les discontinuités logiques et abondantes ne doivent pas occulter la continuité de nombreux éléments entre les étapes préromaine et gallo-romaine, aussi bien à un niveau territorial qu’organisationnel, identitaire, religieux, etc. (DOBESCH 1980, p. 436-441). Dans certains cas, nous pouvons même trouver des continuités significatives dans la « longue durée ». Parmi ces dernières, nous pourrions souligner

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FIG. 6 : Carte ethnique du Bas-Rhin et des aires adjacentes à l’époque de la conquête césa-rienne (en haut) et migrations datées historiquement durant la deuxième moitié du Ier siècle avant J. C. (en bas) (d’après ROYMANS 2004).

celle que l’on observe dans l’aire des Bellovaques, où a été proposée de façon plausible une origine préromaine pour les quatre pagi mentionnés à l’époque mérovingienne (BRUNAUX et MÉNIEL 1997, p. 244-245 ; FICHTL 2004, p. 92-96, 2007, p. 284-287). L’existence dans cette civitas de quatre oppida – trois d’entre eux associés à des sanc-tuaires qui remontent au moins à La Tène C – tout comme leur distribution territoriale a amené à établir un lien entre les chefs-lieux des divers pagi bellovaques de La Tène finale et les subdivisions territoriales du haut Moyen Âge : Gournay-sur-Aronde (pagus rossontensis), Vendeuil-Caply (pagus vindoliensis), Bailleul-sur-Thérain (pagus belva-censis) et Gouvieux (pagus camliacensis) (FIG. 7). L’analyse de ce type de phénomène constitue un champ d’étude plein de possibilités, et qui malgré ses inévitables lacunes et incertitudes peut être une aide à l’approfondissement de la connaissance des formes de structuration des communautés aussi bien d’époque protohistorique que posté-rieure (ALMAGRO-GORBEA 2009, p. 106-117 ; DOBESCH 1980, p. 405-406).

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FIG. 7 : L’organisation de la civitas des Bellovaques : continuités entre époque préromaine et mérovingienne (d’après FICHTL 2006).

Conclusions

L’étude des pagi préromains est fondamentale pour comprendre l’organisation des sociétés gauloises en divers niveaux sociopolitiques superposés. Malgré le manque d’informations disponibles, les arguments exposés dans le présent article permet-tent de retenir les conclusions générales suivantes : 1) aussi bien le pagi que les civitates constituaient des entités qui étaient à la fois politiques et ethniques, pou-vant être qualifiées respectivement de sous-ethnies et d’ethnies ; 2) ces deux types d’entités représentaient tout d’abord des « groupements d’hommes », mais avec des territoires bien définis qui avaient fréquemment des oppida pour chefs-lieux ; et 3) les pagi gaulois pouvaient parvenir à jouir d’une autonomie notable aussi bien dans la sphère militaire que politique. Bien qu’il reste encore beaucoup de travail, l’axe de recherche prometteur, initié il y a déjà plus d’un siècle par des érudits comme Jullian, peut continuer dans le futur à être enrichi par des apports interdisciplinaires mêlant la littérature antique, l’épigraphie, l’archéologie ou la comparaison historique et ethnologique.

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Remerciements

Je remercie les professeurs Stéphane Verger et Nico Roymans pour leur soutien durant les séjours de recherche que j’ai réalisés à Paris et à Amsterdam en 2009-2010. Une première version des réflexions contenues dans le présent article a été exposée dans le cadre d’une conférence invitée au cours du séminaire de l’EPHE « Sociétés protohistoriques et cultures méditerranéennes au premier millénaire avant J.-C. ». Et je remercie le professeur Marco García Quintela pour les précieux commen-taires transmis en vue de l’élaboration de ce travail.

Manuel FERNÁNDEZ-GÖTZ Landesamt für Denkmalpflege Baden-Württemberg

[email protected]

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