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TRIMESTRIEL N°58 – OCTOBRE/NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2013 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130 palestine BULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL Belgique/België P.P. Bruxelles X 1/1624 Plage au Nord de Gaza, juillet 2012. Madeline Kullab est seule femme pêcheur de Gaza. Madeline est devenue pêcheur quand la blessure de son père a empêché de ce dernier de travailler. C'est la seule source de revenus de la famille. Son intégration au sein des autres pêcheurs s’est faite dans la douleur. Le Hamas la harcèle quotidiennement pour qu’elle abandonne son métier. Ce petit bateau à fond plat est celui qu’utilisait Madeline à ses débuts. Depuis que le Hamas a confisqué sa barque à moteur, elle le réutilise les fois où elle ne peut pas louer l’embarcation d’un autre pêcheur. Son frère l’accompagne pour l’aider. Photo et texte Yann Renoult (http://cargocollective.com/yannrenoult) SOMMAIRE DOSSIER 20 ans d’Oslo > 3 News du BDS > 11 Analyse de la situation à Gaza > 12 Interview de Mehdi Dehbi > 16

Palestine n°58

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Trimestriel de l'Association belgo-palestinienne - octobre-novembre-décembre 2013

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TRIMESTRIEL N°58 – OCTOBRE/NOVEMBRE/DÉCEMBRE 2013 – DÉPÔT BRUXELLES X – AGRÉATION P401130

palestineBULLETIN DE L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE / WALLONIE-BRUXELLES ASBL

Belgique/BelgiëP.P.

Bruxelles X1/1624

Plage au Nord de Gaza, juillet 2012. Madeline Kullab est seule femme pêcheur de Gaza. Madeline est devenue pêcheur quand la blessure de son père a empêché de ce dernier de travailler. C'est la seule source de revenus de la famille.

Son intégration au sein des autres pêcheurs s’est faite dans la douleur. Le Hamas la harcèle quotidiennement pour qu’elleabandonne son métier. Ce petit bateau à fond plat est celui qu’utilisait Madeline à ses débuts.

Depuis que le Hamas a confisqué sa barque à moteur, elle le réutilise les fois où elle ne peut pas louer l’embarcation d’un autre pêcheur. Son frère l’accompagne pour l’aider.

Photo et texte Yann Renoult (http://cargocollective.com/yannrenoult)

SOMMAIREDOSSIER 20 ans d’Oslo > 3News du BDS > 11Analyse de la situation à Gaza > 12Interview de Mehdi Dehbi > 16

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QUEd’hypocrisie…

par Pierre Galand, Président

palestine 02 ÉDITO

C’est à bon droit que la Commission européenne a adopté enjuillet dernier de nouvelles Lignes directrices sur la participationd’Israël aux programmes de l’Union européenne. Ces règles sont censées empêcher Israël de bénéficier de soutiens finan-ciers européens à la recherche et au développement dans lescolonies de peuplement en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

Voilà enfin une initiative conforme à la légalité internationale. Leprésident Peres et le gouvernement Netanyahou s’en sont aussi-tôt offusqués et ont dépêché de toute urgence à Bruxelles nombrede délégués pour dénoncer à cor et à cri ces nouvelles mesureseuropéennes. John Kerry, le Secrétaire d’État américain encharge des négociations dites « de paix », est intervenu lui aussi,arguant que ces mesures étaient malvenues au moment où devaient démarrer les négociations du soi-disant « processus depaix ». Cela s’appelle de la tentative d’ingérence…

Il nous faut nous mobiliser pour que l’UE applique ces nouvellesmesures car elle n’est que trop coutumière de belles déclarationsmais aussi d’engagements qui restent tous lettre morte. Qu’a-t-elle fait, en effet, pour empêcher la mise en chantier de 1 708 logements au cours des 6 premiers mois de cette année 2013dans les colonies en Cisjordanie et à Jérusalem-Est? Ces chiffressont révélés par le mouvement israélien La Paix Maintenant. Qui, des responsables européens, a condamné fermement lesnouvelles constructions dans les colonies et les nouvelles im-plantations sauvages ailleurs dans les territoires occupés?

C’était pourtant la seule condition de la partie palestinienneposée à M. Kerry pour reprendre les négociations. Des sanctionseuropéennes ou étatsuniennes ont-elles été prises et lesquelles?Bien au contraire, la Commission européenne s’exonère à boncompte de ses obligations liées au respect du droit internationalet poursuit avec persévérance la mise en œuvre d’un ensembled’accords de coopération, de recherche, de libéralisation de soncommerce, d’échanges culturels avec l’État d’Israël et son gou-vernement populiste d’extrême-droite. Elle le fait d’ailleurs avecla complicité de tous ses États membres.

On ne laisse pas tomber un aussi fidèle allié dans une région oùtant les Européens que les États-Unis et l’Otan le considèrentcomme le porte-avions de la défense occidentale. C’est ainsiqu’au mépris de toutes les règles de droit et des conventions internationales, Israël peut poursuivre imperturbablement son occupation et le grignotage incessant des territoires palestiniens.

Seule une pression cohérente et continue des associations de défense des Droits de l’Homme, des syndicats, des ONG et des comités de solidarité avec les justes revendications des populationspalestiniennes et de leurs organisations pourra contraindre les décideurs politiques européens à axer véritablement leur politiqueextérieure vers la promotion de la démocratie et du respect desdroits de l’Homme dans leurs partenariats euro-méditerranéens.

palestine no 58Comité de rédaction Marianne Blume, Ouardia Derriche,

Nadia Farkh, Pierre Galand, Julien Masri, Christiane Schomblond,Gabrielle Lefèvre, Rabab Khairy, Hocine Ouazraf,

Nathalie Janne d’Othée / Ont contribué à ce numéro RachelDe Plaen, Antoine Yassine / Relecture Ouardia Derriche

Association belgo-palestinienne Wallonie-Bruxelles asblSiège social rue Stévin, 115 à 1000 Bruxelles

Secrétariat quai du Commerce 9 à 1000 Bruxelles tél. 02 223 07 56 / fax 02 250 12 63 / [email protected]

www.association-belgo-palestinienne.be IBAN BE30 0012 6039 9711 / Tout don de plus de 40 euros

vous donnera droit à une exonération fiscale Graphisme Dominique Hambye & Élise DebounyAvec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles

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palestine 03 DOSSIER 20 ANS D’OSLO

Il y a vingt ans déjà, le monde entier a pu voir la fameusepoignée de main échangée entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, sur

le perron derrière la Maison Blanche. L’annonce d’un accord secret entre Palestiniens et Israéliens avait alors suscité d’immenses espoirs, des espoirs

qui ont pourtant été rapidement déçus. Ce dossier entend à la fois revenir sur les grands faits du processus de paix, des pourparlers secrets à Oslo

jusqu’à leur récente et peu crédible relance de juillet 2013 (page 4), mais aussi analyserles acquis et les erreurs d’Oslo ainsi que les perspectives pour l’avenir, le tout sous

différentes perspectives (interview en pages 5 à 8 et article en pages 9 et 10).

DOSSIER

20 ans D’OSLO ©

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Sur fond de reprise des négociationsentre Israéliens et Palestiniens en juillet

2013, les Palestiniens « célébraient », le 13 septembre 2013, les 20 ans de la signature

des Accords d’Oslo et de ce qui allait devenir par la suite le « Processus d’Oslo». L’occasion de revenir

sur les grandes lignes et principaux enjeux d’un processus de paix d’abord encensé puis tant décrié.

tion des territoires palestiniens et les nombreux retards dans le redé-ploiement sur le calendrier prévu, la tension monte dans les territoirespalestiniens avec pour seule réponse la répression violente de l’ar-mée israélienne. Conscient de la gravité de la situation, le PrésidentClinton convoque un sommet de la « dernière chance » à Camp Daviden juillet 2000. Affaiblis, les Palestiniens n’en voulaient pas. Selon eux, ce sommet était insuffisamment préparé alors que l’on devait yaborder les questions les plus complexes. Il se terminera d’ailleurs le25 juillet sur un échec cuisant dont les administrations israélienne etaméricaine rendront Yasser Arafat, le Président de l’AP, entièrementresponsable. Une ultime tentative de sauver un processus de paix entotale décomposition est lancée par Clinton en 2001 au sommet deTaba. Un accord de paix est à portée de main et de l’avis même deséquipes présentes à ce sommet, jamais Israéliens et Palestiniensn’ont été si proches d’un accord de paix. Malheureusement, l’arrivéeau pouvoir d’Ariel Sharon en 2001 en Israël et de Georges Bush auxÉtats-Unis, l’éclatement de la Deuxième Intifada et le déclenchementde l’Opération « Rempart » en 2002 avec la destruction systématiquede tous les symboles de l’AP mettront définitivement à mal un pro-cessus déjà moribond, voire à l’agonie.

En 2003, on assiste à une nouvelle relance du processus de paixavec la « Feuille de route ». Gérée collectivement par le Quartet (Unioneuropéenne, Russie, États-Unis et Nations Unies), le document prévoit l’établissement en trois étapes d’un « État palestinien indé-pendant, démocratique et viable » avant fin 2005. Aucune des étapesn’a été réalisée, alors même que la « Feuille de route » a été dûmentapprouvée par le Conseil de sécurité des Nations Unies.

Enfin, en 2007, à l’invitation des États-Unis, Israéliens et Palestiniensse rencontrent à Annapolis dans le Maryland en compagnie de re-présentants de seize États arabes avec pour seul résultat la lecturepar G. Bush d’une déclaration prévoyant un État palestinien pour lafin 2008 au plus tard.

Cinq ans plus tard, même s’il n’est pas déclaré officiellement mortavec la reprise en juillet dernier des pourparlers de paix entre Israé-liens et Palestiniens, il ne fait aucun doute que le processus connaîtun état de mort clinique qui cache mal sa mort véritable.

Le processus d’Oslo QUELQUES REPÈRESpar Hocine Ouazraf

Alors qu’en 1991, le monde entier avait les yeux tournés vers Madridoù se déroulait la Conférence de paix sur le Moyen-Orient, qui réunissait l’ensemble des États de la région, pendant ce temps, Israéliens et Palestiniens menaient en secret des pourparlers qui allaient déboucher sur la signature, sur le perron de la Maison Blancheen septembre 1993, d’accords dits d’Oslo – Déclaration de principessur des arrangements intérimaires – (ci-après DP). Saluée par l’en-semble de la communauté internationale, la signature de ces accordsavait été précédée d’un échange de lettres dans lequel Israël recon-naissait l’OLP comme le représentant légitime du peuple palestinien etl’OLP reconnaissait officiellement l’existence de l’État d’Israël.

L’accord prévoyait la mise en place d’un « redéploiement » négociéet graduel de l’armée israélienne des Territoires autonomes palesti-niens et un régime d’autonomie intérimaire ne devant pas dépassercinq ans. Une Autorité palestinienne (ci-après AP), véritable gouver-nement avec des prérogatives semi-étatiques, chargée de mettre enœuvre ces accords et de poursuivre leur négociation, allait voir le jour. Parallèlement aux différents « redéploiements », la DP stipulait queles deux parties ouvriraient des négociations sur les dossiers épineux(réfugiés, colonies, Jérusalem, frontières, …) avec pour point d’orguela conclusion d’un « statut final » pour le 4 mai 1999 au plus tard. La mise en œuvre de ces accords débute en mai 1994 (Accords du Caire) par l’évacuation de Gaza et Jéricho. L’accord de Taba signéen septembre 1995 étend l’autonomie à l’ensemble de la Cisjordanieet prévoit l’élection d’un Parlement palestinien. Il est à noter que laDP ne fait pas mention d’un État palestinien en tant que tel.

Conformément aux termes de l’accord de Taba, les premières élec-tions palestiniennes avec l’élection d’un Parlement et d’un Présidentde l’AP auront lieu en 1996. Le processus d’Oslo sera ponctué par différents cycles de négociations débouchant chacun sur la signa-ture d’un accord élargissant les zones autonomes (Accords de WyeRiver en 1998, Accords de Charm El Cheikh en 1999, …).

Dès février 1994, avec le massacre d’Hébron qui a vu un colon extrémiste tuer 29 Palestiniens en prière au Caveau des Patriarches,les premières brèches dans le processus de paix se font sentir. L’assassinat de Rabin en 1995 lui portera, quant à lui, un coup fatal.Devant l’absence de résultats concrets, la poursuite de la colonisa-

palestine 04 DOSSIER 20 ANS D’OSLO

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À l’occasion du vingtième anniversaire des Accords d’Oslo, le comité de rédaction de Palestine a estimé opportun de dresser un bilan de ces 20 années de négociations au travers

d’un entretien croisé avec Leila Shahid, Ambassadeur de Palestine auprès de l’Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg, et Pierre Galand, Président de l’Association belgo-palestinienne.

Pierre Galand: En mai 1993, j’étais en Palestine et en Israël où je pilotais une délégation de personnalités belges de haut niveau appartenant à différents milieux (syndicats, universités, …). ColetteAvital, députée travailliste à la Knesset et membre de l’Internationalesocialiste, nous avait alors informés d’un évènement important à venir.Quelques mois plus tard, nous apprenions l’existence des accordsd’Oslo. C’était une époque où les travaillistes croyaient encore à une solution négociée. En tant que mouvement de solidarité avec lepeuple palestinien et comme c’était l’OLP – son représentant légitime–qui avait mené les négociations, nous les avons soutenues bien quecertains points restaient flous. Oslo était à défendre car l’existencedu peuple palestinien était enfin reconnue. Une partie du mouvementde solidarité, il faut le dire, avait des doutes quant aux possibilitésd’aboutir à une solution équitable avec ces accords.

20 ans d’Oslo ENTRETIEN CROISÉ AVEC LEILA SHAHID ETPIERRE GALANDpropos recueillis par Hocine Ouazraf

Quel a été votre sentiment lorsque vous avez appris l’existence des accords d’Oslo? Leila Shahid : La surprise totale parce que je n’étais absolument pas au courant des négociations secrètes d’Oslo. En revanche, jesuivais de très près les négociations à Washington qui ont suivi laConférence internationale de Madrid (1991) et où, pour la premièrefois, une délégation palestinienne dirigée par le Dr Haidar Abdel Shafinégociait au nom des Palestiniens. Celles-ci ont duré deux ans et jepense qu’on aurait dû les poursuivre. Malheureusement, dans undossier aussi complexe et difficile que le conflit israélo-palestinien, il y a beaucoup d’éléments qui entrent en jeu : le local, le régional etl’international. La position du Président Arafat à Oslo les prenait tous en compte. Et puis n’oublions pas, pour le Président Arafat, lasymbolique importante du retour en Palestine après un long exil !

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juste et durable entre Israéliens et Palestiniens. Pendant toutes cesannées de négociations, nous avons huit premiers ministres israé-liens, dont deux seulement étaient favorables à un accord avec lesPalestiniens ! Dans la stratégie palestinienne, il n’y a pas eu de visiond’un plan B au cas où certains dirigeants politiques israéliens rejet-teraient Oslo. L’idée de la création d’un État de Palestine vivant auxcôtés d’Israël, en filigrane de la logique d’Oslo, n’a jamais rencontréd’écho favorable au sein du Likoud. On le voit bien aujourd’hui avec Netanyahou qui fait tout pour anéantir l’espace vital de l’État palestinien en intensifiant la construction de colonies. Pour le Likoud,la Palestine existe déjà en Jordanie !

PG: Oslo n’a pas abouti à cause des différents gouvernements israéliens successifs et en cela, je partage l’analyse de Leila. Mais ilfaut ajouter que les Israéliens ont réussi, dès la signature des accordsd’Oslo, à marginaliser les Nations Unies en tant qu’instance interna-tionale qui devait soutenir les Palestiniens dans leur lutte légitime pour leur droit à l’autodétermination. Certains préconisaient même la dissolution du Comité pour les droits inaliénables du peuple palestinien aux Nations Unies. L’Ambassadeur à la tête de cette instance n’osait même plus affirmer haut et fort le rôle des NationsUnies dans le soutien à la lutte du peuple palestinien !

LS: Les Américains iront même jusqu’à dire aux Palestiniens que les Nations Unies devaient maintenant renoncer au vote annuel desrésolutions 242 et 338, comme cela se faisait depuis des années.Celles –ci n’auraient plus eu de raison d’être ! Jusqu’à l’UNRWA quidevait disparaitre pour les Israéliens ! Les Américains et Israël onttout fait pour éliminer les arbitres objectifs (ONU, UE, …) pour nouscoincer dans un tête-à-tête bilatéral avec Israël. Il faut rappeler qu’àpartir de 2001, le contexte international n’était plus favorable à notrelutte. Les attentats de Ben Laden et la réponse de l’administrationBush ont complètement dévoyé la nature de notre résistance. Eneffet, on a versé la lutte du peuple palestinien dans le camp du terrorisme, ce qui a porté un coup fatal à la négociation politique

Quels ont été les acquis d’Oslo pour le peuple palestinien ?LS: La spécificité du mouvement national palestinien est qu’il a prisnaissance dans l’exil parmi les réfugiés. Les Palestiniens menaientleur lutte en exil (Jordanie, Liban, Tunisie, …). Avec Oslo, le mouvementnational palestinien revenait chez lui au sein de la mère patrie. Arafat disait : « Oslo ne nous donne pas un État mais il ramène la Palestine en Palestine ! ». Grâce à Oslo, nous avons connu des électionsen 1996 et 2006, certes sous occupation militaire, mais elles ont eu lemérite d’exister. Nous avons créé des institutions qui sont uneébauche de traduction du projet national palestinien et de son cheminvers son droit à l’autodétermination, même si je reconnais les ques-tions qui se posent quant à une vraie souveraineté. Mais il y a eu làun fait irréversible : le mouvement national palestinien est rentré danssa patrie.

PG: Oslo n’a pas été un acquis que pour les seuls protagonistes directement concernés ; il l’a été aussi pour le monde entier et pourtous ceux qui voulaient s’impliquer dans la question. Un des acquisd’Oslo dans le monde post-guerre froide a été l’émergence d’un espoir au niveau planétaire d’une nouvelle ère de paix ! L’Internationalesocialiste, qui a servi d’intermédiaire entre Israéliens et Palestiniens, enest une illustration. De plus, le processus euro-méditerranéen de Barcelone avec la Palestine comme partenaire de la rive Sud de la Méditerranée a signifié que les Européens reconnaissaient la Palestinecomme acteur à part entière avec un rôle central dans la stabilisationde la région. Là aussi, c’était un acquis du processus.

Pourquoi les accords n’ont-ils pas abouti à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination ?LS: Rappelons que la « Déclaration de principes » qui a lancé la dynamique d’Oslo était un accord intérimaire qui devait, au termed’une période de 5 ans, aboutir à la création d’un État palestinien enmai 1999. Or l’assassinat de Rabin, qui avait été fomenté par ce quele Président Arafat appelait une « OAS israélienne » (ndlr. « organisa-tion armée secrète ») a mis à mort la possibilité d’un accord définitif

palestine 06 DOSSIER 20 ANS D’OSLO

« Oslo était à défendre car l’existence du peuple palestinien était enfin reconnue.Pierre Galand

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juillet 2013, s’est donné un maximum de neuf mois de négociationsavant de décider quoi que ce soit. Aujourd’hui, on ne peut pas direque les choses évoluent positivement, sachant que les négociateursn’arrivent même pas à se mettre d’accord sur les termes de référencequi doivent servir de base à la négociation (frontières, capitale, …). Lemouvement national palestinien a connu plusieurs phases en fonctionde la réalité politique du moment : l’exil d’abord avec l’OLP et l’inté-rieur ensuite avec l’Autorité palestinienne. Peut-être trouvera-t-on une troisième voie post-Autorité palestinienne qui sera déterminéepar nos rapports avec Israël et le reste du monde. En tous les cas,pour Abbas, ces négociations sont les dernières dans le cadre duprocessus dit d’Oslo. Si elles échouent, nous entrerons dans cettenouvelle phase dont je vous parlais, la phase où ce sera la commu-nauté internationale qui devra imposer l’État de Palestine !

PG: On ne peut pas parler de l’échec d’un processus qui était légitime.Il a été dévoyé ! Quand les Nations Unies admettent la Palestine entant que Membre observateur, pour moi, ça s’inscrit totalement dansces différentes phases dont parle Leila.

Quels impacts peuvent avoir les révolutions arabes sur la situation en Palestine ?LS: Les printemps arabes que j’appelle personnellement « Intifadaarabe » sont le fruit de mouvements sociaux qui émanent des forcesvives des sociétés arabes, d’où la tendance à parler d’Intifada à leurpropos. Malheureusement, ces mouvements ont été récupérés pardes forces conservatrices comme les islamistes. La société civile palestinienne, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur, est connectéeà ce mouvement ; elle s’enrichit et souffre en même temps de ces révolutions. Mais aujourd’hui, Israël considère que la Palestine n’occupe plus la position centrale qu’elle avait auparavant. Netanya-hou l’a encore répété il y a quelques jours à Bar Ilan. Aujourd’hui pourIsraël, la menace majeure contre la paix en Méditerranée, ce n’estplus le conflit israélo-palestinien mais l’idéologie islamiste incarnéepar le « Grand Satan » qu’est l’Iran. Au lieu d’encourager les chan-

entre Israéliens et Palestiniens. Il faut dire que ça a été savamment orchestré par Israël qui y avait le plus grand intérêt. Les forces progressistes israéliennes qui avaient soutenu le processus d’Oslosont rentrées elles aussi dans cette logique de confrontation. C’estune des raisons de l’échec d’Oslo. L’aboutissement de la « guerrecontre le terrorisme » menée par Israël contre le peuple palestinien aété l’enfermement d’Arafat dans son bunker de la Mouqata’a. Sanscompter la destruction systématique de tous les symboles d’une Autorité palestinienne qui pouvaient s’apparenter de près ou de loinà un État palestinien émergent en devenir.

Selon vous, existe-t-il des hommes politiques israéliens « pragmatiques » à l’image de Rabin capables de mener leurpeuple vers la paix ?LS: Aujourd’hui, très franchement, avec l’équipe actuelle qui comprenddes idéologues du racisme comme Liberman ou Naftali Bennett, il n’y a pas moyen d’avancer d’un iota. Mais il faut dire que les forces politiques progressistes israéliennes qui pourraient voir l’émergencede nouveaux Rabin sont totalement marginalisées par l’Union euro-péenne et les États-Unis. Pourquoi les électeurs israéliens voteraient-ils pour les forces progressistes alors que ce sont les partis de droitequi sont les enfants chéris des Occidentaux ? Netanyahou peut montrer à ses électeurs qu’il obtient tout de l’Union européenne, quoiqu’il fasse d’illégal en jouissant d’une totale impunité. Et aux États-Unis, on peut même avancer que sa parole pèse plus que celled’Obama. Il n’y aura de nouveaux dirigeants israéliens de gauche capables de s’imposer que le jour où le monde entier rendra les Israéliens redevables d’explications sur leur politique à l’égard des Palestiniens. L’échec de la gauche en Israël n’est pas seulement l’échecdes Israéliens, c’est aussi l’échec de la communauté internationale !

Comment l’Autorité palestinienne voit-elle son avenir face à l’échec des accords d’Oslo?LS: Nous n’avons pas encore officiellement déclaré Oslo mort. LePrésident Abbas, lors de la récente reprise de pourparlers de paix en

« »Dans la stratégie palestinienne, il n’y a pas eu

de vision d’un plan B au cas où certains dirigeants politiques israéliens rejetteraient Oslo.

Leila Shahid

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gements vers la modernité politique des mouvements sociaux dansle monde arabe, Israël préfère se lancer dans une offensive militairecontre l’Iran. C’est dire quel est l’impact de ces mouvements sur Israël qui craint l’avènement de la démocratie dans le monde arabe.Israël est réactionnaire ; au lieu de saisir cette opportunité de chan-gement dans le monde arabe, il lui préfère la confrontation. Israël a un penchant avéré pour la guerre dans laquelle il voit sa seule possibilité de survie au Moyen-Orient.

PG: La Palestine garde aux yeux des populations du monde arabetoute son importance. À Tunis lors du Forum social mondial, tous lesparticipants ont réaffirmé la centralité de la question palestinienne.Pour eux, à travers le règlement de cette question, on réaffirmera laprimauté des droits des peuples. Or aujourd’hui, avec les États-Uniset Israël, on assiste à la volonté de remettre en cause les normes fondamentales du droit international qui sauvegardent les droits despeuples. Par ailleurs, le sionisme déstabilise toute la région duMoyen-Orient, comme l’apartheid en son temps était un facteur detroubles en Afrique australe. Plusieurs États de la région, regroupésen une « ligne de front » (Angola, Mozambique, Zimbabwe, …), sesentant déstabilisés par l’apartheid, ont réagi en luttant contre cetteidéologie raciste, étant conscients que leur situation ne changeraitpas sans le règlement du problème sud-africain. C’est un peu lemême phénomène que nous vivons au Moyen-Orient où les peuplesarabes en lutte savent que leur salut passera par la résolution duconflit central israélo-palestinien.

Quel rôle l’Union européenne peut-elle jouer à l’avenir pour soutenir une solution juste et durable de ce conflit ? LS: Les Américains et les Européens ont salué les accords d’Oslosans accompagner le processus. Pour eux, il s’agissait d’une questionbilatérale entre Israéliens et Palestiniens. Comme s’il était imaginablequ’une Puissance occupante soit capable de traiter d’égal à égalavec une entité occupée. Les Européens ont aidé financièrement les

Palestiniens mais n’ont pas aidé à mettre fin à l’occupation israéliennede la Palestine. Les Européens n’ont vu après Oslo qu’une opportu-nité de réorganiser leurs relations économiques et commercialesavec les pays du pourtour méditerranéen et de créer un espace delibre échange. Seul le critère commercial entrait en ligne de compte.Avec les printemps arabes, l’Union européenne a compris qu’elles’était trompée de stratégie dans cette région du monde. Commentcréer une zone de libre échange dans cette région avec une caused’instabilité aussi grave que le conflit israélo-palestinien et l’absencede démocratie? Les Européens comprennent aujourd’hui qu’ils doiventassurer les bases politiques d’une véritable politique de voisinage.

PG: Je voudrais faire un parallèle avec l’Afrique du Sud. L’aveugle-ment coupable de l’UE à l’égard de l’apartheid dans les années 70 et 80 ressemble à s’y méprendre à la politique de l’UE à l’égard d’Israël aujourd’hui. L’Afrique du Sud disposait d’armes atomiqueset on faisait entière confiance aux Blancs pour régler le problème. Ila fallu l’intervention des sociétés civiles à travers le monde pour voirles États assumer leurs responsabilités en décrétant l’apartheid crimecontre l’humanité.

CITOYEN D’HONNEUR DE LA PALESTINEDe passage à Bruxelles, le 23 octobre 2013, le président palestinienMahmoud Abbas a décerné la citoyenneté d’honneur palestinienne àPierre Galand, président de l’Association belgo-palestinienne, « pour son rôle dans le renforcement des liens d’amitié et de coopération entre la Belgique, l’Europe et la Palestine au niveau des sociétés civiles et des institutions étatiques et pour son inestimable soutien à l’application du droit international, en particulier le droit à l’autodétermination, à la souveraineté et à l’indépendance ».

Une belle reconnaissance après 40 ans d’engagement et de militantismepour les droits du peuple palestinien.

Il a fallu l’intervention des sociétés civiles à travers le mondepour voir les États assumer leurs responsabilités en décrétant l’apartheid crime contre l’humanité.Pierre Galand « »

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palestine 09 DOSSIER 20 ANS D’OSLO

VINGT ANS D’OSLO…

et après ?par Nathalie Janne d’Othée

DES ACTEURS DES NÉGOCIATIONS SE SOUVIENNENTCertains occupaient des postes centraux et ont été les témoins privi-légiés de la mise en place du processus d’Oslo. Après une réunionsecrète à Tel Aviv avec Jan Egeland, le ministre adjoint aux Affairesétrangères norvégien et le négociateur israélien Yair Hirschfeld, YossiBeilin rapporte comment il a été décidé que le partenaire pour la paix serait la représentation de l’OLP à Tunis. Des premiers contactseurent lieu avec Ahmed Qurei à Oslo avant que Hirschfeld et Beilin enavertissent Shimon Peres, alors ministre des Affaires étrangères, depeur que ce dernier leur dise d’abandonner ce canal pour privilégierles négociations multilatérales initiées à Madrid. De son côté, HananAshrawi faisait partie du leadership palestinien durant la Première Intifada et à ce titre, a participé aux négociations multilatérales à Madrid. Dans un entretien accordé à l’université Brown en septembredernier, elle dit néanmoins regretter que les accords d’Oslo aient été négociés en secret, sans consulter l’équipe qui négociait à Washington. Les conséquences ont été des accords d’Oslo fondéssur le principe de « terres contre paix », alors que les accords de Madrid se construisaient sur le droit international.

Hanan Ashrawi souligne aussi la difficulté d’une administration palestinienne gérée par des Palestiniens exilés depuis des décennieset cela, à plusieurs niveaux. Premièrement, leur connaissance desréalités du terrain était faible, ce qui les a empêchés d’anticiper correctement les conséquences des propositions mises sur la tablepar les négociateurs israéliens. Par ailleurs, l’OLP était auparavant lareprésentante de tous les Palestiniens, ceux de l’intérieur mais aussiles 5,5 millions de réfugiés de l’époque. L’installation de l’OLP sur laterre palestinienne a été perçue par les réfugiés comme un abandonde leur cause.

1993 : SOUTIEN SANS ENTHOUSIASMED’autres se souviennent de la période des accords d’Oslo, mêmes’ils n’en étaient pas directement parties prenantes. Ils semblent touspartager à peu près le même sentiment. Uri Avnery dit avoir pensédès le départ qu’il y avait un déséquilibre flagrant dans l’accord, ledéséquilibre entre un occupé et un occupant. Malgré cela, il se rappelle avoir soutenu les accords parce qu’il y voyait le lancementd’une dynamique de paix. Pour Michel Warschawski, il s’agissait dela moins mauvaise des solutions. Denis Sieffert relit son opinion dans la revue française Politis à cette occasion : « Il y est question de « bantoustans » et de territoires « sillonnés par des colonies depeuplement dont la protection justifiera l’omniprésence militaire » etd’un accord « lourd de toutes les crises futures ». Mais paradoxale-ment, il se souvient avoir approuvé ces accords. Le nouvel historienisraélien Avi Shlaim se souvient aussi avoir soutenu ces accords, mais admet aujourd’hui qu’Edward Saïd avait raison en les qualifiantde « Versailles palestinien ». L’engouement n’était donc pas à son comble en 1993, mais beaucoup ont soutenu les accords, préférantcette solution au statu quo.

LES DÉTERMINANTS DE L’ACCORD Pourquoi ces accords ont-ils été conclus à ce moment-là ? PascalBoniface répond en précisant qu’aucun accord n’aurait vu le joursans le réalisme des dirigeants palestinien et israélien de l’époque.Yasser Arafat et Yithzak Rabin avaient tous deux la conviction qu’ilétait dans leur intérêt de faire des concessions réciproques. Du côtéisraélien, on sentait que l’aide des Américains n’était plus si incondi-tionnelle que par le passé. G.H. Bush avait en effet menacé le précédent Premier ministre Yithzak Shamir de ne plus garantir lesprêts américains à Israël si la colonisation se poursuivait de la sorte.

Ils sont Palestiniens, Israéliens, internationaux ; ils ont été acteurs ou penseurs des accords d’Oslo ou en ont subi les conséquences;ils ont commenté les vingt ans du processus « de paix » né en 1993. Des propos communs reviennent sur les maigres acquis et surtout les faux espoirs du processus. Certains aussi se souviennent de l’époque.

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Michel Warschawski constate en outre que les accords étaient fina-lement avantageux pour les Israéliens puisqu’ils leur ont permis dedéléguer à la fois le financement de l’occupation et la gestion d’unepartie de l’appareil sécuritaire aux Palestiniens. Si les concessionsont été nombreuses pour parvenir à un accord en 1993, c’est doncsurtout du côté palestinien.

La rencontre historique entre Yasser Arafat et Yithzak Rabin est sansconteste le fait qui reste dans tous les esprits. Les deux leadersétaient animés d’une même conviction qu’il fallait conclure la paix etétaient capables de convaincre une majorité dans leur camp de les suivre. La fameuse poignée de main à la Maison Blanche et la reconnaissance mutuelle qu’elle symbolise est sans doute l’acquisle plus important de ces accords, pour ne pas dire le seul.

DES LACUNES Les opinions parues à l’occasion des 20 ans d’Oslo ne sont pas enthousiastes, loin de là. Elles sont en effet beaucoup plus prolixessur les lacunes que comportaient les accords et sur les raisons de leur échec. On a déjà évoqué le fait que la nouvelle Autorité palestinienne était une autorité issue de l’exil et donc pas la mieuxrodée pour administrer des territoires nouvellement autonomes.

Mais le plus important est ce qu’Avi Shlaïm souligne : l’absence dansles accords de la mention d’un État palestinien indépendant. HananAshrawi fait également remarquer que si les Palestiniens reconnais-saient l’existence d’Israël, les Israéliens, eux, ne faisaient que recon-naitre l’OLP comme représentant du peuple palestinien. Selon elle,lorsque Rabin se lance dans les négociations, il assure au départ lesIsraéliens qu’il n’y aura pas d’État palestinien pour les convaincre delui faire confiance. Dans son opinion sur les 20 ans d’Oslo, l’Anglais Ben White explique de la même manière que le plan était de « créerune entité palestinienne qui soit moins qu’un État » pour « gérer demanière indépendante les vies des Palestiniens sous son autorité »,tandis qu’Israël garderait une « Jérusalem unie » et les plus grandsblocs de colonies. La colonisation israélienne n’a en effet pas cessédurant toutes les négociations d’Oslo. De 260 000 en 1993, les colonsisraéliens sont passés aujourd’hui à 515 000 en Cisjordanie et Jéru-salem-Est. Selon l’historien Avi Shlaïm, la colonisation est le principalfacteur d’échec des accords d’Oslo puisqu’elle rend caduque la base même du compromis « paix contre terres ».

Le militant palestinien Omar Barghouti revient sur l’absence dans lesaccords d’Oslo de référence à l’ensemble des droits inaliénables dupeuple palestinien, en particulier le droit à l’autodétermination et le

palestine 10 DOSSIER 20 ANS D’OSLO

droit au retour des réfugiés. Uri Avnery souligne quant à lui l’erreurdes Israéliens qui est de ne pas avoir mis en place un système pourqu’il y ait une continuité géographique entre la Cisjordanie et la bandede Gaza. Ce qui a contribué de fait à la division du leadership pales-tinien qu’on connait aujourd’hui.

Les accords d’Oslo étaient donc marqués par de nombreux manquesqui, dès le départ, ont miné leurs chances de réussite.

OSLO EST MORT, QU’EST-CE QUI LUI SUCCÈDE ?Une chose est sûre pour tous : le processus d’Oslo est mort. Seull’Israélien Yossi Beilin semble encore espérer quelque chose du cyclede négociations initié l’été dernier mais souligne qu’il s’agit de la der-nière chance d’une solution à deux États. Les autres constatent la find’une période, la nécessité même d’y mettre fin. Mais qu’est-ce quisuccèdera à ces vingt ans ponctués de négociations de plus en plusvaines ? La solution à deux États est-elle encore viable ? Quel avenirpour la lutte du peuple palestinien pour son autodétermination ?

Pour beaucoup, l’échec des accords d’Oslo signifie l’échec de la so-lution à deux États. Pour la juriste palestino-américaine Leila Farsakhcomme pour beaucoup d’autres, la seule solution est celle d’« un Étatunique, incluant Juifs et Arabes, et basé sur les valeurs d’égalité et dejustice pour tous ».

Mais, quelle que soit la solution, comment y parvenir ? Pascal Bonifacerappelle l’urgence de la situation qui, aujourd’hui, ne fait que s’enve-nimer. Israël ne peut sans cesse ignorer le droit international et le droitdes Palestiniens à disposer d’eux-mêmes sous peine de se retrouveraux prises avec une véritable « bombe à retardement ».

Dans le contexte actuel, les négociations ont montré toutes leurs limites. Ali Abunimah, le chroniqueur de Electronic Intifada, revientsur les initiatives issues de Palestiniens oubliés par les accords d’Oslocomme les Palestiniens de la diaspora qui, aux États-Unis, ont crééun mouvement qui prend de l’ampleur. Certains Palestiniens d’Israëlont également décidé de réoccuper leurs villages sans attendre quele droit au retour leur soit accordé. Et enfin, le mouvement Boycott,Désinvestissement et Sanctions initié en 2005 ne fait que grandir depuis. Ce sont autant de fenêtres d’espoirs dans un horizon qui,après vingt années de prétendues négociations, semble à premièrevue bien bouché.

Les opinions sur lesquelles se basent cet article sont référencées sur le site de l’Association belgo-palestinienne.

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Quelques actualités et victoires du mouvementBoycott, Désinvestissement et Sanctions…

palestine 11 NEWS DU BDS

Du côté académique Des appels d’académiques en appui aux Lignes directrices de l’UE

On ne peut réellement parler de « boycott académique » pour cette nouvelle, mais elle vaut la peine d’être relevée. six cents intellectuels israéliens ont en effet adressé à José Manuel Barroso, Président de la Commission, ainsi qu’à Catherine Ashton,la Haute représentante de l’UE, une lettre pour les encourager àmaintenir l’application des Lignes directrices excluant de tout financement européen les entreprises israéliennes opérantdirectement ou indirectement dans les territoires palestiniens occupés. Parallèlement, cinq cents académiques de treize pays européens – dont dix-neuf Belges – ont également écrit à CatherineAshton afin que l’UE maintienne ses Lignes directrices malgré lespressions. (Sources : ECCP et BRICUP)

Sanctions 40 organisations palestiniennes demandent à l’UE de ne pas céder aux pressions américaines

Une quarantaine d’organisations de la société civile palestinienne ont, dans un communiqué, encouragé l’UE à ne pascéder aux pressions américaines contre les Lignes directricesqu’elle a promulguées en juillet dernier. Elles demandent égalementà l’UE de prendre d’autres mesures, afin de contraindre Israël àrespecter le droit international, telles que la suspension de l’accordd’association UE-Israël, des mesures pour que les acteurs privésne puissent plus opérer dans les territoires occupés, en ce compris Jérusalem-Est, des mesures en vue de s’assurer que les fonds européens pour la recherche ne bénéficient pas à des entreprisesmilitaires ou des initiatives publiques visant à développer les capacités militaires israéliennes, l’application d’un embargo militaire bilatéral total envers Israël.

(Source : BDSMovement.net)

News du BDS

DésinvestissementsRetrait d’un projet de traitement des eaux usées à Jérusalem-Est

L’entreprise d’ingénierie néerlandaise Royal HaskoningDHV a annoncé qu’elle se retirait d’un projet de traitement des eauxusées dans Jérusalem-Est occupé. Le projet aurait bénéficié aux seuls colons installés à Jérusalem-Est et cela, alors que les autorités israéliennes refusent des projets sanitaires et environnementaux essentiels aux Palestiniens. Royal HaskoningDHV a précisé dans un communiqué que leur retrait était motivépar une volonté de la société de respecter le droit international.

(Source : Electronic Intifada)

Un syndicat norvégien met fin à son contrat avec G4S

Industri Energi Norway, un important syndicat norvégien, a misfin à un contrat avec l’entreprise de sécurité G4S afin de marquerson opposition au rôle joué par l’entreprise dans l’équipement etles services fournis aux prisons et colonies israéliennes. Le leader du syndicat a expliqué dans la presse que ce geste étaitun acte de solidarité avec la lutte du peuple palestinien.

(Source : BDSMovement.net)

Veolia Transport se désengage des lignes de bus qu'elle gérait en Palestine occupée

Veolia Transport Israel (aussi connue comme Connex Israel) arevendu les lignes de bus qu’elle exploitait dans les colonies à lasociété israélienne Afikim. Jusqu’il y a peu, Veolia Transport possédait des lignes de bus opérant sur des routes réservées auxseuls colons et desservant les colonies de Cisjordanie. Néanmoins,malgré la revente de ses lignes de bus, la multinationale Veoliareste impliquée dans l’occupation par le transfert des déchets israéliens qu’elle assure via une filiale vers la décharge de Tovlan située en Palestine occupée, ainsi que par ses parts dans les sociétés Citypass et Connex Jerusalem qui chapeautent le fonctionnement du tramway reliant Jérusalem-Ouest aux coloniesde Jérusalem-Est. (Source : Who Profits)

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palestine 12 GAZA

L’ÉGYPTE : DESTRUCTION DES TUNNELS ET PASSAGE DE RAFAHLes tunnels ont constitué depuis le blocus une sorte de poumon pourla bande de Gaza, notamment pour le carburant, le gaz ménager etles matériaux de construction mais aussi pour l’approvisionnementen nourriture et autres biens de consommation. Sous Moubarak, lepassage de Rafah était difficile et lors de l’opération « Plomb durci »(2008/2009), l’Égypte n’a pas ouvert ses frontières. Après la destruc-tion partielle de la frontière à Rafah (2009), Moubarak a fait construireun mur de fer enfoncé jusqu’à 20 m de profondeur et l’armée a inondédes tunnels. Néanmoins, bon nombre d’entre eux ont continué à fonc-tionner. Avec le gouvernement de Morsi, la population a espéré uneouverture. En réalité, il y eut peu de progrès. Depuis le renversementde Morsi, l’armée égyptienne aurait détruit 80% des tunnels et a entrepris de créer un no man’s land le long de la frontière. Pour le PAM (programme alimentaire mondial), cette situation menace lasécurité alimentaire des habitants et, selon OCHA, la fermeture des tun-nels provoque d’importantes pénuries et une hausse considérable desprix, notamment pour les matériaux de construction et les combustibles.Par ailleurs, des navires militaires égyptiens tirent sur les pêcheurs etdes avions survolent le sud de la bande de Gaza.Enfin, le nombre de voyageurs autorisés à passer a chuté dramati-quement, notamment parce que le terminal est régulièrement fermésous prétexte de violences dans le Sinaï dont l’armée accuse leHamas d’être l’instigateur.

L’EUROPE ET LES USA SONT COMPLICESEn 2006, l’Europe et les USA ont non seulement refusé le résultat des élections mais ils ont refusé de traiter avec le Hamas qu’ils ontmis sur la liste des organisations terroristes. Cette politique a renforcéle blocus imposé par Israël à Gaza. Aujourd’hui, pris entre deux feux, ce sont 1701437 personnes quisont donc soumises à une punition collective et à une vie indigne.

UNE SEULE SOLUTION: LA LEVÉE IMMÉDIATE DU BLOCUS DE GAZA.

LE BLOCUS ISRAÉLIENOn dit qu’il a commencé après l’élection du Hamas et a été renforcéaprès la prise de pouvoir du Hamas (2007) quand Israël a déclaréGaza « entité ennemie ». En fait, il existe depuis les accords d’Oslo.C’est le COGAT (organisme militaire) qui décide des biens qui peu-vent entrer et en calcule la quantité. Les matériaux de construction, legaz, les produits nécessaires à l’assainissement des eaux mais aussicertains aliments sont/ont été interdits. Actuellement, sur les 4 pointsde passage des marchandises, trois ont été fermés et seul KeremShalom fonctionne encore mais il est sous-équipé. Le passage despersonnes est restreint aux marchands, aux malades avec accom-pagnant et aux employés des organisations internationales. Mêmepour ces catégories, les refus de permis sont nombreux. Résultats : chômage : 34,5% ; dépendance à l’aide humanitaire : 80%de la population ; insécurité alimentaire : 57% (OCHA).Les terres cultivables sont à 35% inaccessibles (zone de 300 à 500 m le long de la frontière avec Israël) ; les pêcheurs ne peuvent dépasser les 3 milles marins (contre les 20 milles prévus dans les accords d’Oslo) sous peine d’être l’objet de tirs, de voir leur bateauarraisonné et confisqué ou d’être emprisonnés: le nombre d’incidentsa doublé depuis 2012.L’eau de l’aquifère est à 90% impropre à la consommation, ce quioblige la population qui le peut à acheter de l’eau potable. D’ici 2020,Gaza n’aura plus d’eau potable (ONU). Ce sont 90 millions de litresd’eaux usées non traitées qui sont rejetés dans la mer, faute d’avoirpu être traitées (produits de traitement interdits).Vu les restrictions en fourniture d’électricité imposées par Israël et lemanque de carburant pour la centrale électrique de Gaza (qui, à pleinrégime, couvre 30% des besoins de Gaza), les coupures d’électricitésont quotidiennes. Au niveau santé, 27 des 128 médicaments essentiels sont en rupturede stock et 16 d’entre eux sont en nombre limité.Les exportations sont quasi inexistantes.

Prises entre deux feux, 1 701 437 personnes sont donc soumises

à une punition collective et à une vie indigne.

GazaDANS L’ÉTAU

par Marianne Blume

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GazaÉTOUFFE SOUS LE PIRE DES BLOCUSpar Ayman QwaiderPublié sur Info-Palestine.net, 16 octobre 2013. Traduction Info-Palestine.net

palestine 13 GAZA

ble pour l’environnement à cause des émanations toxiques qui s’enéchappent, mais aussi parce que cela perturbe gravement la tran-quillité psychologique des habitants. Je vis pour ma part dans unquartier très peuplé de la ville de Gaza. De la fenêtre, on ne peut voirque des murs de parpaings, à cause du taux de concentration deshabitations. Un voisinage si dense rétrécit votre horizon et votre espoir et cela a un impact dévastateur sur votre vie. Chaque nuit, lesgens commencent à compter les minutes et les heures, jusqu’à ceque les générateurs s’arrêtent et qu’ils puissent enfin dormir.

En ce qui me concerne, les coupures d’électricité à Gaza ont toujourseu un impact psychologique extrêmement négatif sur moi. Sans électricité, j’ai le sentiment d’être coupé du reste de ce qui est macommunauté humaine hors les frontières de Gaza. Ces 8 derniersmois, j’ai dû faire l’acquisition de deux chargeurs et de batteries, sim-plement pour conserver ce lien si vital avec mes amis à l’étranger.

La catastrophe humanitaire qui se produit aujourd’hui à Gaza est unehonte pour l’humanité et pour tous ceux qui restent les témoins silencieux de cette politique de punition collective, qui s’attaque àl’espérance et à l’humanité d’une population de 1,7 million de personnes dont les 50 pour cent ont moins de 18 ans. Ce blocusinhumain doit cesser immédiatement et il n’est pas question d’argu-ties politiques mais simplement de la vie quotidienne des gens.

Les impacts dévastateurs du blocus israélien actuel sont très visiblesdans la vie quotidienne des habitants du territoire. Les conversationsquotidiennes entre les gens ici à Gaza traitent des pénuries en énergie,de la fermeture du point frontalier de Rafah, de la disponibilité ou nondes produits alimentaires sur les marchés de Gaza.

Le blocus a encore poussé plus loin ses effets en attaquant le tissu social de la communauté et l’état psychologique des individus. Enguise d’exemple, l’essentiel des discussions, les soirées en famille,vont consister à parler des coupures d’électricité qui ont atteint la duréesans précédent de 12 heures par jour. Ma mère tentait de se réjouir dufait que l’autre jour, comme l’électricité n’avait pas été coupée au mo-ment prévu, elle ait pu terminer ce qui restait de travaux domestiques.

Pour apprendre leurs leçons, mes frères et soeurs doivent gérer leurtemps selon les moments de fourniture en électricité. Quand celle-ciest coupée, ils font leurs devoirs à la lueur de bougies. Ma mère pré-pare les repas et s’occupe de ses enfants à la lumière des mêmesbougies. C’est cela, la vie quotidienne à Gaza et ce, depuis 7 ans...

Les soirées dans Gaza sont incroyablement bruyantes car les Palesti-niens utilisent des générateurs pour remédier aux pénuries en énergieélectrique. L’utilisation de générateurs est non seulement dommagea-

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Pénurie d’essence à Gaza

Page 14: Palestine n°58

J’ai passéun peu plus de

deux semaines àGaza. Comme je ne

vis plus sur place, je m’efforce donc de décrypter

la situation au travers desconversations, des expressions

qui sortent spontanément, des récriminations et bien sûr des réponses

à mes questions. Au travers aussi de ce que je vois en me promenant, en allant à l’université,

en faisant mes courses, en allant au restaurant...

leur et des tentures assorties, petit délire de N* qui pense que celane peut qu’influer positivement sur l’atmosphère et le moral.

N*dirige tout avec sa sœur. Dans un coin, sur une table, des petits bis-cuits emballés sans étiquettes. Une idée de N* pour que les femmesdivorcées, veuves ou dont le mari n’a pas de travail aient une activitérentable. Elles fabriquent les biscuits et le centre se charge de leur « commercialisation » : tout le bénéfice va aux femmes. N* m’apprendentre deux portes qu’elle a constitué un groupe informel de femmesdivorcées. Divorcée deux fois, elle refuse que ces femmes longent lesmurs tête basse et veut leur donner le courage de se battre. Je suissoufflée. Même si elle me dit bien que ce n’est qu’un essai.

Mais ce n’est pas tout. Le papa de N* est à l’hôpital, gravement malade. Et bien sûr N* passe ses soirées et ses nuits auprès de lui. Unsoir, arrive une vieille dame qu’on est obligé de placer dans la sectionhommes, faute de place ailleurs. Aucun infirmier ne l’approche. N* perd patience et, forte de sa connaissance approfondie de la religion et des interprétations du Coran, entame un dialogue avec

FEMME…On fait souvent état de la régression des droits des femmes depuisl’avènement du Hamas. Cette fois, je me devais de porter toute monattention à la question. Et les événements se sont enchaînés sansque je n’aie rien à faire.

Cela commence par un petit détail. C’est N* qui m’accueille à la fron-tière avec son enthousiasme habituel. Elle est venue en taxi et ellem’embarque avec elle. Le chauffeur de taxi est comme un ami. Et N*sort des cigarettes et fume. Je n’en reviens pas. Une sorte de pied denez aux us et coutumes locales. Mais aussi au régime en place ? Jeris avec une complicité qui me rajeunit.

Je vais revoir N* plus d’une fois, notamment dans le petit centrequ’elle a créé à Beit Lahyia. Un centre où les enfants du village peuvent s’épanouir, trouver un soutien pour leurs devoirs et leçons,jouer, apprendre autrement. Tout commence par la «concierge», unefemme qui vit seule dans deux petites pièces avec ses enfants et faitson possible pour les nourrir. Puis, à l’intérieur, encore des femmesqui s’occupent des enfants et des jeunes. Chaque salle a une cou-

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Choses vues À GAZA

par Marianne Blume

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de la nouvelle bourgeoisie des tunnels, née avec le blocus et l’auto-rité du Hamas. Là, l’atmosphère est très détendue: on rit, hommes etfemmes; de jeunes couples se parlent à l’oreille, se prennent par lamain. Des femmes fument la chicha. Une ambiance décontractéepeu ordinaire. Le lieu aurait dû être un Movenpick mais, l’alcool étantinterdit, le nom n’a pu être gardé. De pareils lieux existaient aupara-vant mais là, le luxe et la richesse sont plus troublants quand on saitles restrictions et les pénuries que subit la population. Alors que chezmoi, je n’ai d’électricité que 8 heures par jour (et je suis privilégiée),dans les lieux de ce genre, la lumière brille partout et rien ne laisse deviner le blocus. Sûrement pas non plus la carte sur laquelle ontrouve toutes sortes de boissons, de pâtisseries et de glaces sophistiquées. Je suis médusée par le nombre de nouveaux cafés,restaurants, épiceries qui se sont ouverts. Sidérée aussi de voir qu’ily a beaucoup de gens qui peuvent s’y rendre…

À côté de cela, M* nous raconte ses souvenirs quand, après la prisede pouvoir du Hamas, la police est venue l’interroger parce qu’elletravaille dans une ONG qui organise avec des enfants des activitésmixtes, qui est soutenue par des ONG étrangères et parce que, depuis toujours, elle ne porte pas de voile et met des pantalons… La police l’a bousculée, lui a mis une arme sur la tempe avant de renoncer à fermer le centre. D’autres membres d’ONG, internatio-nales ou pas, disent aussi la surveillance dont leur association et eux-mêmes font l’objet …

Et puis, pour compliquer tout, A*, militant du Fatah de toujours, m’an-nonce tout de go qu’il votera – quand et s’il y a des élections –Hamas. Et qu’il n’est pas le seul ! Pourquoi ? Parce que le Fatah deGaza n’a pas tiré les leçons de sa défaite, qu’il refuse d’entendre lesplus jeunes et de changer sa stratégie. Cela me laisse perplexe.Même si, avec le recul, je comprends que beaucoup étaient dé-sorientés et indignés par la répression des manifestations à Gaza etla répression d’autres manifestations en Cisjordanie… À part cela, leHamas, comme avant lui, le Fatah au pouvoir, est rendu responsablede tout ce qui va mal, à tort et à raison. J’ai parfois envie de demandersi le climat ne dépend pas d’eux aussi.

ET LE BLOCUS ?La population souffre des coupures d’électricité, de la nécessitéd’acheter de l’eau, de la hausse des prix, du chômage, de la pressionmorale et politique du Hamas, de l’isolement, de la division. Beau-coup –surtout les jeunes– rêvent de s’évader de cette prison. Hier, je téléphonais à un ami pour savoir comment ça allait depuis qu’aublocus, s’ajoutait la fermeture de la frontière avec l’Égypte. Il a ri : àGaza, on s’habitue à tout. «Durant la 2e Intifada, ne disait-on pas quequand les Israéliens nous empêcheraient d’aller par la plage, nousachèterions des tubas et nous marcherions sous l’eau ?»

l’infirmier pour le convaincre de soigner la dame. Dialogue au boutduquel, défait par les arguments de N*, il s’est plié aux injonctionsd’une femme qui en savait plus que lui…

Un détail : N* est du Fatah.

ENCORE FEMME…Deux réunions entre femmes : mes anciennes étudiantes et moi chezdeux d’entre elles. Toutes sont mariées sauf une. On se redit nos souvenirs et on rit. On papote de la vie et un peu de la « situation ».Première surprise : pour la première fois, j’entends parler des femmesde contraception sans fard, sans grandes déclarations de principe.Et j’apprends le mot stérilet en arabe. Les discussions vont bon train.L’une d’entre elles n’a qu’un fils et déclare haut et fort, devant son mari qui acquiesce, que cela lui suffit. Une autre va essayer le stérilet. Une autre encore se réjouit de l’aide que son mari lui apportedans les travaux ménagers. Deux d’entre elles travaillent mais cellesqui ne travaillent pas (pas facile de trouver un emploi) n’oublient paspour autant de lire et même de revoir leur français. Quant à I*, endépit de la pression sociale, elle a décidé de divorcer : elle habiteseule avec son fils et travaille.

J’ai l’impression que ces jeunes femmes ont gardé quelque chose de leur passage à l’université, qu’elles vont de l’avant et elles me donnent l’espoir d’un changement dans les relations homme/femme.

HAMAS : NIHIL NOVI SUB SOLE ?Cette fois, personne ne me propose de venir chez moi. Il semble évident que garçon ou fille, il vaut mieux se rencontrer dehors ou chezeux. Les hommes me semblent très prudents et J* me confirme quele contrôle des mœurs par le pouvoir s’est accentué. Je note avecdéplaisir. Dans mon appartement, je suis seule mais très vite, onsonne pour voir qui est là. Jusque là, rien que de normal. Ce qui l’estmoins, c’est de sonner plusieurs fois. La voisine veut savoir à qui je loue, pour combien de temps, à combien, pourquoi je suis là, comment il se fait que d’autres sont venus se réunir chez moi en mon absence, etc. Tout cela, avec la gentillesse de mise : sourire, thé,biscuits. La curiosité est naturelle mais cette fois, j’ai eu l’impressionqu’on tâchait d’avoir des renseignements. Paranoïa ?

Une consolation, deux de mes anciens étudiants préférés, devenusde vrais amis, n’hésitent pas, la première fois qu’ils me revoient, àme faire l’accolade en public.

Dans ma redécouverte de Gaza, je veux absolument aller voir les nouveaux lieux « in ». On m’emmène dans un lieu paradisiaque avecfontaine, palmiers, meubles en bois et architecture de goût où se rendla bourgeoisie. Beaucoup font partie, comme le propriétaire du lieu,

palestine 15 GAZA

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palestine 16 THÉÂTRE

médias. Mais loin de moi l’idée de vouloir faire l’éloge du terrorisme,ni même de prendre parti pour quelque cause que ce soit. Ma proposition est de faire entendre Les Justes joués par des acteursqui sont au cœur de différents conflits politiques et qui éventuelle-ment les subissent au quotidien. Ce que, personnellement, je n’ai jamais vécu. Mais ces acteurs sont avant tout des artistes et non despoliticiens et encore moins des terroristes. Leur manière de résisterest de faire du théâtre. Il s’agit de théâtre, pas de politique. Camusd’ailleurs ne fait pas l’éloge du terrorisme avec Les Justes, il décrit surcinq actes la difficulté qu’ont ces hommes et femmes de se mettre en« accord avec le meurtre ». Stepan demande à Dora combien debombes il faudrait pour détruire Moscou, ce à quoi elle lui répondqu’il est devenu fou. L’acte II dans son entièreté est un débat sur les moyens et les limites de la révolution : peut-on tuer des enfantspour abolir la dictature? La réponse est claire et Camus va mêmejusqu’à nous dire que le meurtre d’un homme n’ajoute rien à la paixd’un peuple, quel qu’il soit.

Dans votre texte de présentation, qui date de 2011, vous faisiezréférence à Darwish et à la cause poétique comme à un au-delàde la cause politique, pouvez-vous nous en dire plus là-dessus?Je suis toujours d’accord avec ça même si le processus de créationprend ses distances avec les intentions premières. Les choses évo-luent et on rencontre des contradictions ou des confirmations. Maisfondamentalement, ce qui compte, c’est de raconter avec le plus declarté et de justesse possible Les Justes de Camus et que ce soit enarabe n’est probablement pas anodin dans le contexte actuel maiscela n’est pas le fond. Le choix s’est imposé du fait que c’est la seulelangue commune à tous les acteurs. Ma priorité est et reste donc

Ne vous semble-t-il pas quelque peu provocateur d’associer,aujourd’hui, les termes « justes » et « terroristes » ? Cela peutêtre provocateur pour certains, mais je ne cherche à provoquer personne dans le sens où je reprends le texte d’un auteur français etpied-noir, un texte, à mon avis universel, qui s’adresse donc à tout lemonde et est absolument intemporel. C’est Camus lui-même qui intitule sa pièce, dont le sujet principal est le terrorisme, Les Justes.Bien que le terrorisme d’aujourd’hui ne soit pas le même que celui ducontexte russe de 1905 – chaque époque a ses enjeux. Mais jeconçois que le fait de choisir des acteurs du Moyen-Orient, majori-tairement palestiniens, et de les faire jouer en langue arabe, puisseparaître provocateur. L’idée n’est pas de servir telle ou telle optionpolitique, mais de se saisir puis de transmettre l’œuvre de Camus. Sije n’échoue pas en cela, étant donné la grandeur du personnagequ’est Albert Camus (à la fois penseur, philosophe, auteur de théâ-tre,...), le projet semblera alors forcément cohérent aux yeux desspectateurs et non provocateur. Mon projet personnel est de ne pastrahir la pensée de Camus.

Il est pourtant notoire, aujourd’hui, qu’il y a une pensée uniquequi condamne sans appel le terrorisme, quelle que soit lacause défendue. Or Les Justes de Camus nous font entrer dansl’esprit de ces jeunes qui, au nom d’une cause juste (volontéd’un monde meilleur), débattent des moyens d’action, de l’assassinat du dictateur – le Grand duc en l’occurrence– àl’installation d’un climat de terreur. Ce qui, en quelque sorte,ouvre le débat sur le bien-fondé du terrorisme : jusqu’où peut-on aller pour défendre une cause juste ? Je crois qu’en généralil y a beaucoup d’ignorance sur le sujet, entretenue aussi par les

INTERVIEW DE MEHDI DEHBI, PORTEUR ET DIRECTEUR DU PROJET

Les Justesd’Albert Camus

propos recueillis par Nadia Farkh

De gauche à droite Hala OmranAssaad BouabSumaya Al-AttiaHusam Alazza et Firas Farrah.

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messe à Gaza. Et bien que je n’aie pas pu le monter là-bas ni mêmepour le moment le jouer sur place, j’ai malgré tout tenu ma promesse.

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ? Je voudrais revenir surle choc à lire des commentaires violents exprimés par des gens maisaussi et surtout par des hommes politiques en Belgique qui ont leculot de s’exprimer sur un spectacle qu’ils n’ont même pas vu et surlequel ils ne savent rien. Nous vivons dans un monde absolument superficiel bouffé par l’a priori et l’amalgame. C’est cela aussi quicrée le terrorisme, et ces gens que l’on ne montre jamais du doigt, quivivent dans leurs petites zones suffisantes de confort, qui n’ont ni l’intelligence ni le respect de comprendre le monde et les choses,sont pour moi les terroristes les plus blâmables aujourd’hui ! Laissonsle fait que je sois indigné de n’être belge que parce que je mène unecarrière au cinéma et que je sois suspect au quotidien, laissons lefait que cela est absolument insultant et humiliant. Soyons au moins,ici, dans nos pays confortables, dans l’effort et moins dans l’igno-rance et l’aveuglement qui créent la pensée unique et la condition. Lacréation n’a pas de frontières, c’est toute la mission de l’artiste depousser ses limites, de créer des espaces de libertés à partager avecle monde.

LES JUSTES Théâtre des Tanneurs – Rue des Tanneurs, 75 à 1000 BruxellesDu 3 au 7/12/2013 & du 10 au 14/12/2013 à 20 h 30Infos & réservations 02 512 17 84 – www.lestanneurs.be

poétique. Un poète est un homme ou une femme qui parle aumonde. La Palestine comme métaphore pour Darwish et l’Algériepour Camus.

Revenons donc à Camus, c’est quand même un grand classiquefrançais, comment les gens prennent-ils le fait que vous le jouiezen arabe ? J’ai été très choqué en Belgique par certains retours : Il y aquelques mois, un journaliste m’a manipulé et écrit un article à viséepolitique à propos du projet, ce qui a laissé cours à une vague de commentaires sur Internet complètement racistes et dont la bêtise m’aabasourdi! En dehors d’attaques racistes personnelles, j’ai surtout ététouché par l’association de la langue arabe avec le terrorisme. Commesi le terrorisme était propre aux Arabes et comme si les Arabes étaientétrangers à la poésie, au théâtre, à la culture. Cela souligne un niveaud’ignorance très grave, qui justifie le gouffre grandissant entre l’Occi-dent et l’Orient. Le public qui a vu Les Justes à Liège a été cependantréceptif et intelligent par rapport à ce choix linguistique.

Je voudrais revenir sur un point, même s’il me semble que vousy avez déjà répondu. Vous dites que l’esprit de révolte est uni-versel mais alors pourquoi avoir choisi des acteurs palestiniensou syriens et pas par exemple des Espagnols ou... ? Parce qu’ily a eu promesse à l’univers : Les Justes, c’est une œuvre qui m’ac-compagne depuis longtemps. J’ai passé les concours du Conserva-toire avec ce texte et il a été la colonne de plusieurs rôles que j’aiinterprétés au théâtre comme au cinéma. C’est une vraie référencepour moi. En 2009, je me suis rendu à Gaza dans le but de rencontrerle monde du théâtre gazaoui. J’ai évidemment été bouleversé par lesrencontres que j’ai faites et par ce que j’ai vu. J’ai donc fait une pro-

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Visage davantage connu du cinéma, Mehdi Dehbi a joué dans de nombreux films. Nous avons eu leplaisir de le voir dernièrement dans le « Fils de l’autre ». Ici, il met en scène la pièce Les Justesde Camus, interprétée en arabe par des acteurs de différentes nationalités. Après des représentations au théâtre de Liège, la pièce sera jouée au Théâtre des Tanneurs àBruxelles en décembre prochain. Nous l’avons interviewé pour le bulletin « Palestine».

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palestine 18 LIVRES/FILM

Depuis la fin de la guerre de 1967, au mépris du droit international, des citoyensjuifs d’Israël se sont installés, au-delà de laLigne Verte, sur des terres palestiniennesqu’ils estiment leur appartenir depuis lestemps bibliques. Ce livre, richement documenté, fait le point sur la question des colonies juives en Palestine et sur l’importance croissante des colons dans lavie publique israélienne, à la Knesset, au gouvernement, à l’armée, à l’universitéet dans le système judiciaire.

Il apparaît que les gouvernements successifs d’Israël, de toutes couleurs politiques, ont tous encouragé l’établisse-ment de ces colonies. La montée en puis-sance de l’occupation s’est accompagnéede violations répétées de la loi israélienne,qui n’ont pas été condamnées par l’État nipar ses institutions censées promouvoir etprotéger celle-ci. Il en résulte un affaiblisse-ment de la démocratie en Israël. Le payss’est empêtré dans le bourbier humain,moral, social, financier, militaire et politiquede la colonisation. C.S.

livresLES SEIGNEURS DE LA TERRE par Idith Zertal (historienne israélienne,auteure de nombreux ouvrages dont « La Nation et la Mort » et Akiva Eldar(ancien éditorialiste de Haaretz), Éd. du Seuil, 2013

L’INTRUSE par Roannie et Okotome 1 La découverte (2008), tome 2Les Palestiniens, peuple invisible ?(2008), tome 3 Les Israéliens (2010),tome 4 Gaza, carnet de non-voyage(2012), Paris, Éd. Vertige Graphic

Roannie décide, un jour et avec un peud’appréhension, de se rendre en Palestineavec une organisation de solidarité. Elle devient une observatrice, un témoin,une intruse et petit à petit, une militante. « L’intruse », c’est le titre de cette série debandes dessinées écrite par Roannie.Quatre albums sont sortis depuis 2008.Les dessins d’Oko sont simples, réalistes,en noir et blanc.À travers l’expérience de Roannie, sesvoyages, ses rencontres, son témoignage,nous découvrons la réalité des Palestiniensqui vivent, survivent et tentent de garderleur dignité malgré la gravité et la précaritéde leur situation sous occupation israé-lienne. Le témoignage est émaillé decartes, d’extraits d’ouvrages d’historiens,de rapports d’organisations.

J’avais lu le témoignage de « l’intruse »avant mon premier voyage en Palestine. Je l’ai relu après. Et j’ai éprouvé souventles mêmes sentiments, nourri les mêmesquestionnements que son auteur. On nesort pas indemne de la lecture du témoignage de Roannie. « L’intruse » : unesérie de bandes dessinées-témoignage àdécouvrir, que vous soyez novice en la matière ou bien très au fait de la situationen Israël-Palestine. Bonne lecture. A.Y.

Cet ouvrage parcourt et retrace les annéesAbbas, de 2005 à nos jours ; il analyse lapolitique européenne en direction de la Palestine. Son regard sur l’Europe est féroce: Véronique De Keyser y dénoncepurement et simplement la trahison européenne. « L’Europe n’a pas su protéger,en 2006, la démocratie palestinienne émergeant des urnes. (…) Elle n’a pas suprotéger Abbas des pressions israélienneset américaines qui en ont fait tantôt unmendiant, tantôt une marionnette (…). Ellen’a pas su protéger la voie de la négociationque l’extension des colonies dément et bafoue chaque jour. Elle a trahi. (…) »Malgré le financement généreux et le soutien logistique apportés à la Palestine,depuis 1948, l’Europe a manqué à sa première responsabilité, sa responsabilitépolitique: aujourd’hui, après 65 ans, la population palestinienne est toujours sousune occupation qui lui fait la vie dure ; elleest immobilisée, exsangue.

(Extrait du chapitre 10)C.S.

PALESTINE, LA TRAHISON EUROPÉENNE par feu Stéphane Hessel (ambassadeurde France) et Véronique De Keyser (députée européenne), Éd. Fayard, 2013

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THANK GOD IT’S FRIDAYDocumentaire de Jan Beddegenoodts, 2013

film

Thank God it’s Friday n’est pas un documentaire qui célèbre la joie du shabbat. Non, ce documentaire relate larésistance d’un village palestinien face àl’occupation israélienne. Ce village n’estautre que Nabi Saleh, village de plus enplus connu pour ses manifestations hebdomadaires contre l’occupation israélienne et contre la colonie israélienne‘Halamish’. Thank God it’s Friday décrit lamanière dont est célébré le vendredi àNabi Saleh et dans la colonie. Côté palestinien, la célébration a des odeurs degaz lacrymogènes et parfois le goût dusang. De l’autre côté de la route, à Halamish, on accueille avec joie le shabbatmême si l’agitation à quelques mètres dela colonie dérange tout de même les colons. Lorsque le réalisateur Jan

Beddegenoodts présente aux colons lesimages de la vie des habitants de NabiSaleh, de leurs manifestations pour revendiquer leurs droits sur leurs terres, lescolons sont choqués. Selon ces derniers,la terre sur laquelle vivent les habitants deNabi Saleh leur appartient à eux, et la Palestine n’a jamais existé.

Thank God it’s Friday donne le vertige. On a l’impression qu’il n’y a pas d’issue,pas de paix possible. Les colons sont eneffet de plus en plus protégés et légitimésdans leur arrogance par le gouvernementisraélien. Et on se dit qu’après quatre ansde manifestations, d’emprisonnements, de violence coloniale ininterrompue, les habitants de Nabi Saleh seraient bien endroit de ne plus être aussi pacifiques.

R.D.

BIEN COMMUNIQUER AVEC VOS INTERLOCUTEURS ARABES par Magda Fahsi, Afnor, 2013

À vrai dire, avant de lire cet ouvrage, sontitre m’avait fait peur. Je craignais les généralisations abusives, les conseils dugenre recettes toutes faites et en définitiveune vision un peu angélique de la commu-nication. C’était compter sans la sensibilitéet l’intelligence de l’auteure qui, d’emblée,prend le parti d’expliquer le monde arabe,son histoire en relation avec la politique internationale (chapitre 1), la religion et lestraditions (chapitre 2) avec le regardd’un/une Arabe. Un parti-pris qui du coup,nous renvoie à notre propre vision, à nospropres clichés et a priori. Pour plus declarté, Magda Fahsi n’hésite d’ailleurs pasà souligner les écarts de perception.

Dans le chapitre 3, intitulé « Communiqueravec les Arabes : orientations culturelles »,elle précise d’emblée qu’elle met en lu-mière des tendances générales et non descaractéristiques immuables, applicables àtout le monde arabe, à tous les Arabes et àchaque Arabe. Malgré tout, le souci dedonner rapidement des clefs de lecture aufutur interlocuteur a fait que j’ai parfois eu lesentiment d’une généralisation excessive,par exemple à propos de la perception dutemps. Le chapitre 4, pour sa part, décritplus particulièrement le Maroc et le problèmeberbère ainsi que l’Arabie Saoudite. Un livreà conseiller à qui veut rencontrer l’Autre etcommuniquer avec lui. Ici, en l’occurrence,l’Autre arabe. M.B.

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La Journée internationale

de solidarité avec

le peuple palestinien

SAMEDI 30 NOVEMBRE 2013 À PARTIR DE 17H3O

Entrée libre – Traduction simultanée FR-EN

CENTRE CULTUREL JACQUES FRANKChaussée de Waterloo 941060 Bruxellesmétro Parvis de Saint-Gilles

INFOS02 223 07 56

L’ASSOCIATION BELGO-PALESTINIENNE

VOUS INVITE À

18h COLONIES, COLONS, COLONISÉS…

Le terrain, le droit et l’actionJawad Siyam, directeur du Centre

d’information de Silwan, JérusalemNada Kiswanson, chargée de recherche, Al-Haq,

organisation des droits de l’Homme, RamallahEness Elias, membre de la Coalition des femmes

pour la paix, Who profits, Tel Aviv

Pause

20h SYRIE, LIBAN, TUNISIE, ÉGYPTE... ET LA PALESTINE DANS TOUT ÇA ?

La Palestine à l’agenda politique dans l’ère des révoltes arabesRoger Heacock, historien, professeur à l’université de Birzeit,

auteur de nombreux ouvrages sur la question palestinienneJean-François Legrain, spécialiste du monde arabe,

chargé de recherche au CNRS, affecté à l’IREMAM, Aix-en-Provence

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