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Pamela, ou le français pour milliardaires Jeffrey H. Fox

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Pamela,ou

le français pour milliardaires

Jeffrey H. Fox

26.5 627170

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 350 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 26.5 ----------------------------------------------------------------------------

Pamela, ou le français pour milliardaires

Jeffrey H. Fox

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Du même auteur :

Romans :

Les Confessions du trompettiste, Le Manuscrit, 2011 La voix souterraine – Edilivre 2013 Comment se débarrasser de son amant américain – Edilivre 2014

Poésie :

Je soupire… Poèmes d’amour, Baudelaire 2012

Livres académiques :

French Class texte et mémoire numérique JHF 2010

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… à la mémoire

… à celles, ou ceux, qui l’ont perdue

… aux proches, qui ont à vivre avec ceux/celles qui l’ont perdue

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Première partie

Je me souviens… non, attendez, je ne me souviens pas

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Il me semble bien que j’étais plus drôle avant… Je ne faisais jamais grande chose dans la vie, mais

au moins j’étais amusant… je faisais rire tout le monde, et j’étais bien reçu par les gens les plus chics.

Puis, au fil des ans, j’ai beaucoup perdu de mon éclat, et enfin je ne faisais plus rire personne.

Alors comme tous les non-conformistes, j’ai fait le contraire de ce que je devais faire. J’ai persévéré, insistant à demeurer dans un mode comique, de vivre dans un registre du drôle, au lieu de devenir un homme sérieux.

D’ailleurs, je ne faisais encore moins dans la vie qu’avant. Je n’amusais plus personne, à part moi-même, bien sûr… oui, je me trouvais drôle, je l’avoue.

Donc, en fin de compte, j’étais seul à m’aimer en drôle, mais j’étais vraiment fâché quand même que personne ne riait. J’en voulais aux gens, alors, vexé, je suis parti, oui, je suis carrément parti.

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J’ai quitté la France, mon pays.

Je suis parti de Paris, et de la province aussi. Non, je n’ai pas opté pour la Belgique, la Suisse, le Luxembourg, ou Monaco… C’était adieu, l’Europe, surtout. Oui, adieu, auf wiedersehen, arrivederci, amore, farewell, old chap, ciao Europa, até logo !

J’avais une idée de génie. Je n’allais pas vraiment quitter la France, au fait.

J’allais être intelligent en plus d’être drôle. J’allais suivre un chemin historique et partir à la conquête de l’Amérique, oui de l’Amérique française. Si on ne me trouvait plus drôle du tout en France, peut-être que je plairais en Amérique, c’est-à-dire en Amérique française.

Je me suis donc mis à la rechercher, cette Amérique-là.

Oui, parce qu’en plus je ne m’entendais pas forcément quitter ma langue française ! Astuce ! Je me trouvais toujours tout aussi drôle, tout aussi chic. Si les français ne me suivraient plus dans l’Hexagone, peut-être que je trouverais un accueil chez les francophones d’Amérique… alors j’ai pris un vol pour les États-Unis d’Amérique… un aller simple.

J’avais choisi un chemin le moins parcouru possible pour un européen… l’ouest, oui, mais pas le far west, non. J’ai atterri dans les états un peu moins à l’ouest, dans le Nebraska, dans le Kansas, voire dans les Dakota.

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C’était comme si je me plongeais dans un décor de film. J’avais de l’argent et la vie ne coûtait pas chère… Des années passèrent comme ça… d’abord j’ai essayé les états de la grande prairie des États-Unis, atterrissant chez ces quelques francophones isolés, par ici et par là, dans les plus grandes villes des prairies. Oui, il y en avait, des francophones.

Mais rien ne changeait… je ne plaisais toujours pas assez. Je ne faisais tordre de rire personne, et j’estimais que je n’étais pas devenu plus drôle.

Au fait, on m’aimait pour la cuisine, que je proposais toujours loyalement de faire. J’étais apparemment doué pour la cuisine, et aux États-Unis, on peut tout trouver comme nourriture. Des plats français classiques sont assez simples à préparer si vous avez été habitué dans votre enfance… et c’est le sort de presque tous les français, non ? Bon, ça disparaît un peu, d’accord, mais il y a toujours le gigot d’agneau, la blanquette de veau, le bœuf bourguignon, le coq au vin, le poulet rôti aux pommes de terre sautées… et je faisais du pain, voire les croissants, et je leur préparais des gâteaux aux chocolats…

D’abord j’allais travailler dans un restaurant à Sioux City, Iowa… et puis j’ai essayé Chicago et ces restaurants français chics, meilleurs qu’en France, au fait… enfin, je glissais vers New York… mais j’étais tant déçu ! C’était comme la France, plein de français, et vraiment aucun rire ! Oui, des plaisanteries en anglais, certes ! Mais le rire en français ?

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J’étais atterri. Je m’avouais battu. C’était soit se conformer au rire en anglais, ou accepter une dialectique du sérieux en français.

Alors, j’ai décidé de quitter les États-Unis d’Amérique…

Mais ce n’était que pour aller à quarante kilomètres de la frontière, à Montréal… après tout, le français y est langue officielle, n’est-ce pas ? On ne me ferait pas ce choix impossible au Québec, non ?

Au début, je pensais avoir trouvé la solution, là. Malgré la présence toujours gênante de la langue

anglaise, et surtout en dépit des sondages persistants affirmant le contraire, l’Amérique française se trouvait bien là ! Voilà, c’était au Québec, cette Amérique Française. Et la devise du Québec, comme on le sait si bien, est « je me souviens ».

Mais, au fait, paradoxalement, et après toutes ces années, arrivé enfin au Québec, je me demandais bien pourquoi j’avais décidé de quitter la France. C’était comme un cercle vicieux, comme le paradoxe de Zénon : tout mouvement est impossible, ou, disons, complètement inutile.

Car je me trouvais dans un monde francophone, et le problème était le même : je ne faisais plus rire les gens, comme quand j’étais enfant. Non seulement que les gens au Québec trouvaient que je ne suis pas très drôle… ils m’ignoraient carrément, en disant que j’avais l’accent français.

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Alors, généralement exclu, à l’écart, marginalisé, j’ai même parfois la sensation d’être très peu vivant, là, dans mon Montréal solitaire. Et si j’étais carrément mort ? C’est ce que je me demande parfois en me promenant dans les rues de Montréal…

Oui, quand je me promène, que je déambule dans la foule montréalaise, personne ne fait attention à moi. Au moins si j’étais resté aux États-Unis, je pourrais sourire aux gens, et ils me souriraient aussi. Ils me diraient « passez une bonne journée ». Bien sûr, ce serait en anglais, mais un sourire est un sourire, non ?

Mais ici au Québec, c’est pratiquement comme en France.

On ne sourit à personne et personne ne vous sourit.

Ce n’est même pas la peine que je fasse un sourire aux gens. Leur dire « bonjour » constituerait presque une atteinte à la vie privée… donc je ne peux même pas avoir un sourire, comme j’avais aux États-Unis, ce sourire qui me donnait l’impression que j’étais vivant, au moins.

Bien sûr que poser la question si je suis mort ou vivant ne m’empêche pas de me promener, bien sûr.

Mais plus largement, je me demande où est passée ma capacité de faire rire les gens. Et puis, surtout, si c’était enfin pareil en Amérique du Nord, que je ne faisais plus rire personne, pourquoi rester ici ? Sans parler du fait que j’avais enfin trouvé l’Amérique

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française, et on me fuyait comme la peste, pourquoi pas repartir aussi sec ?

Peut-être, je pensais en me promenant, là, rue Saint-Denis à Montréal, qu’il valait mieux au moins essayer de retourner aux États-Unis, pour avoir droit aux sourires dans la rue… même si on ne pouvait pas dire « bonjour » parce que personne ne parle français…

Le problème était plus grand, donc, que le lieu, et cette pensée me poussait, dès mon arrivée au Québec, à considérer ce que je perdrais si je retraversais l’Atlantique, pour retrouver la France. Et puis donc j’avais aussi l’option de revenir aux États-Unis… Ces visages américains, si souriants, si accueillants, mais si peu français… c’était quand même une forme de vie. On vous sourit, même si on ne vous connaît pas. Vous souriez aussi… Vu sous cet angle, la rue en France n’est pas aussi sympathique, et c’est le moins qu’on puisse dire. Personne ne se sourit. Personne ne se parle non plus… alors est-ce bien raisonnable de retrouver la France pour la langue française, si personne ne se parle à personne ?

Bon, j’ai donc considéré que le sourire suffisait à rester en Amérique. J’ai aussi compris que ça ne faisait pas vraiment de différence si on parlait français. Si je souriais, au moins ça me suffirait. Donc, j’allais rester en Amérique, même si je devais éventuellement refaire le trajet des quarante kilomètres, et que je retrouve les États-Unis, le pays du sourire…

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Mais surtout, dans ma pensée, la cuisine française me réussissait au Québec aussi. J’avais du travail dans un restaurant français tout de suite en arrivant à Montréal, et de l’argent aussi…

Justement, de ce point de vu, ce n’est pas la peine de retraverser l’Atlantique, au fait. Pas pour travailler. Il y en a encore moins qu’ici ! Pour la famille ? Je n’ai plus de famille depuis longtemps. Pour les amis ? Je n’ai plus d’amis… mais ce n’est pas grave en plus. J’ajouterai des amis sur Facebook. Mon arrivée en Amérique du Nord aura au moins servi à ça, je veux dire à m’informatiser à la première heure…

Alors pour récapituler, en quittant la France, j’ai appris à sourire aux gens, même si je n’ai pas récupéré le secret de les faire rire. J’avais pris jadis l’avion pour les États-Unis d’Amérique… et je me suis découvert cuisinier. Enfin, ça fait quelques années, d’accord, plusieurs années, au fait, que je suis en Amérique du Nord, d’abord aux États-Unis, puis enfin, que je suis ici à Montréal.

Je menais en Amérique une vie relativement mouvementée, je veux dire pour moi, un homme qui ne fait rien, qui aime ne rien faire, et qui se spécialise en ne faisant rien du tout, je veux dire. Oui, je m’étais mis à travailler, chose nouvelle dans ma vie. J’étais carrément payé, et je mangeais bien, bien sûr.

Je me faisais à ma vie à Montréal, Québec…

Alors je me suis mis à me promener par tout,

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dans les rues, quoi, puisque je ne travaille plus tout le temps, et j’ai quand même un tout petit peu d’argent. Bon, j’avoue que les promenades m’aident… côté santé, mais j’aime aussi quand même me promener. C’est facile d’être en excellente santé : suffit de ne pas fumer, ne pas trop boire, ne pas trop, allez, disons le mot, on est français ou pas, baiser. C’est ça, the American way of life, quoi.

D’ailleurs, je suis en si bonne santé que c’est dommage que je sois exclu…

Je suis donc en train de me promener, là, actuellement, en ce moment je veux dire, dans Montréal, Québec, Amérique du Nord. Ce n’est pas en plein hiver, non, mais il fait frais, au fait, il fait froid… j’ai bien fait de porter un pull.

Je marche comme ça partout à Montréal, et comme d’habitude je me perds un peu, et je ne sais plus très bien où je me trouve, là, et puis tout d’un coup, smack ! Je me heurte à quelque chose sur le trottoir parce que je ne regardais pas où j’allais.

Et pour tout arranger, je viens de donner un coup de pied dans un truc tout mou. Alors je m’arrête, et je regarde et je ne comprends pas très bien parce que je n’arrive pas bien à me situer…

Mais… c’est un cadavre, mon Dieu ! Et moi qui me demandais si j’étais mort, voilà que j’ai mis les pieds sur un cadavre dans la rue.

Moi, qui pense souvent que je suis mort, je me heurte à la mort. Je me demande si tout le monde est

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mort, comme ce cadavre. Je pense soudain que j’ai failli tomber dessus – sur

ce cadavre mal placé au milieu du trottoir. Vous parlez d’une promenade ! Bon, je m’arrête et je regarde un peu mieux. Il s’agit d’un type allongé inconvenablement par terre, avec un sac en papier, plein d’argent, dans la main. Assassiné, il semble, avec une balle dans le cœur.

Tiens, le cœur, je pense, j’en avais un, quand je faisais rire tout le monde. Mais comme je ne suis plus drôle, et qu’une succession de femmes froides fatales ont fait irruption dans ma vie, le cœur me manque, parfois.

C’était sans doute ça, le point déterminant dans ma chute vers l’inexistence, je pense soudain, le manque d’amour.

Mais revenons à ce cadavre sur le trottoir. Je me penche, et je l’entends gémir (donc, mon annonce de sa mort était un peu prématurée).

– Monsieur, il gémit doucement, mystérieusement. Il essaie de bouger, et il arrive à faire une

grimace… ses traits sont un peu mats, latino-américains, ou nord-africains, peut-être. Il essaie de toutes ses forces de résister à la mort, à être gelé dans le temps et l’espace pour toujours. Je dois dire que je suis soulagé, non seulement que l’homme soit vivant, mais aussi que moi aussi, je dois l’être, car il essaie de me parler… et je ne suis donc pas mort, moi non plus.

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D’ailleurs je dois dire que je m’estime être en meilleure posture que ce pauvre homme par terre, au moins…

Naturellement, comme je m’étais perdu en me promenant, et que j’ai erré dans la ville, j’ai fini par me trouver près d’une autoroute… et peu de gens passent par là à pied…

On ne voit pas grand monde, dans certains quartiers de cette ville, d’ailleurs. Enfin, on a l’habitude d’aller partout en voiture… l’autoroute est juste là. Donc, mis à part moi-même, et quelques autres non-conformistes comme moi, il n’y a personne à pied dans cette ville, surtout dans les coins sombres et perdus comme ici, où j’ai atterri, moi, avec cet homme blessé par terre. La voiture est reine, partout en Amérique du Nord. Il faut dire que le piéton est disparu de beaucoup d’endroits de ce continent depuis très longtemps, je veux dire.

Paradoxalement, la plupart de ces gens qui se déplacent toujours en voiture glissent, eux aussi, vers la mort, faute d’exercice physique… ce qui me ramène à mon homme blessé sur le trottoir devant moi.

– J’appelle une ambulance ?, je dis, enfin, à l’homme par terre.

Mais en inspectant le corps, je ne vois pas beaucoup d’espoir pour lui, tristement. Il saigne vraiment beaucoup, et il semble être touché au cœur, clairement il s’agit d’une blessure par une arme à feu. Je crains le pire, là, et je comprends subitement que

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j’ai dû manquer de peu une agression mortelle… où j’aurais pu aussi trouver la mort.

– Non, il me dit en me prenant ma main, non, non, non.

Il arrive à secouer la tête et il essaie de me parler encore. J’essaie de l’aider.

– Qui est l’assassin ?, j’ose demander, et pourquoi pas lui poser cette question essentielle, je pense.

Encore une fois il se secoue, mais il ne parle pas de ce qui lui est arrivé. Il ne me dit rien du tout sur l’assassin.

Bon, il faut dire que ce n’est pas une question si utile que ça, dans l’immédiat, je veux dire. Mais c’est normal que je la pose, car, comme tout le monde, je veux savoir qui l’a tué, enfin, presque tué… Je reconnais que c’est une pensée trop simple.

Et en regardant cet infortuné, là, je commence à élargir un peu mes horizons. Quelle importance ça a, finalement ?

On doit penser aux questions plus philosophiques. Par exemple, pourquoi pas recommencer à fumer ? D’ailleurs il ne m’a pas demandé une cigarette… et j’en ai souvent sur moi, avec un briquet de luxe, rien que pour en donner aux gens qui m’en demanderaient une… ce qui n’arrive presque jamais en Amérique du Nord.

Je pense que ce pauvre bonhomme regrette d’avoir commencé à regarder un feuilleton nul à la télé, alors qu’il ne pourra plus regarder la suite et la fin ? Il y en a

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tant de questions sur l’avenir constitutionnel du Québec pas encore définitivement résolues… sans parler du drame de la saison actuelle de hockey sur glace qui vient tout juste de commencer.

Mais ce pauvre infortuné a du ressort, apparemment. Il lève la tête, et se penche vers moi. Je me mets plus près de sa tête.

– Alors, l’assassin ? Je ne résiste pas. Je chute, car ça m’intrigue

finalement. Apparemment, il pense que ce n’est pas la peine

de me dire son nom, ou son prénom. Mais quelque chose apparaît comme une lueur ultime dans ses yeux, et il me glisse juste un mot à l’oreille, juste un prénom.

J’entends juste deux mots : – C’est Pamela. – Pamela qui ? Mais c’est tout ce qu’il dit. Mais je suis sidéré, là :

il y un homme qui est en train de mourir, assassiné sur le trottoir… pour finir en cadavre, en pleine rue… et il ne peut pas me dire un nom de famille ?

– C’est Pamela, qu’il répète. C’est tout ce qu’il a à me dire ? Mais mon attention est attirée soudain par le sac

qu’il tient dans ses mains, un sac d’argent. Mais cet homme est riche ! Il y a plein d’argent dans ce sac, là, sur lui. C’est dommage qu’il ne pourra pas en profiter.

En plus, quelles sont les chances de trouver une

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dénommée Pamela, sans nom de famille. Voilà un crime presque parfait, je pense aigrement. Ce pauvre bonhomme par terre !, je pense, soudain…

Mais Il n’est pas tout à fait mort. Il reprend de la force et commence à s’exprimer,

même très bien. Mais je me demande vraiment où il prend toute cette énergie, là, avec son sang qui se vide. C’est ça, je pense, c’est à cause de tout cet argent qu’il y a sur lui, dans ce sac… son argent l’inspire.

– Pamela s’occupe de tous ceux et toutes celles qui sont trop vivants, me dit-il tout doucement, ceux qui aiment, qui souffrent de chagrins d’amour. Ceux-là sont trop dérangeants. Pamela empêche la mémoire, effectue une mise en abîme du sentiment humain. Donc Pamela fait disparaître, implacablement, l’esprit humain, elle nous laisse le plus souvent avec notre fortune à la main.

J’écoute le pauvre bonhomme, il n’est que trop vivant, là, tout d’un coup.

– J’appelle une ambulance, là !, je lui dis, exaspéré de le voir mourir comme ça sans aide. J’appelle de l’aide sur mon portable. C’est facile à faire.

– Non, j’ai dit ! – Trop tard. J’ai déjà appelé. Je pense qu’il vaut mieux dire « tu » à un

mourant… mais c’est mon éducation française, alors je le vouvoie.

– Cette Pamela, alors, expliquez-moi, je lui demande, affolé. C’est que vous l’aviez aimé, c’est ça ?

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Elle voulait peut-être vous quitter, et vous avez résisté, et elle vous a tué ? C’est ça ? Expliquez-moi s’il vous plaît. Laissez-moi vous aider ! C’est Pamela qui ?

– Non, ce n’est pas ça du tout. C’est Pamela, quoi. Je prends un instant d’essayer de comprendre,

mais je ne vois pas. SI elle l’avait quitté, come elles finissent toutes par nous quitter, ça arrive à nous tous, je veux dire, je ne vois pas pourquoi qu’elle se serait transformée en assassin…

Et puis c’est Pamela qui ? J’essaie encore d’avoir une explication, avant que

ce ne soit trop tard. Et puis l’ambulance va arriver aussi…

– C’est que vous vous êtes violemment disputés, et dans un moment de délire, vous vouliez la tuer, et c’est elle qui vous a tué, en auto-défense, cette Pamela ? C’est ça ?

Mais hélas, l’homme est pris de secousses et il ne répond pas, j’espère que ce n’est pas la fin. Je continue :

– Et puis l’argent ? Elle vous a laissé l’argent, je ne comprends pas. Vous vouliez le lui donner, peut-être ?

– Mais Pamela ne m’a pas assassiné, non, elle m’a tué. Tu ne comprends pas ?

J’avoue être pris de court, là, tout en regrettant de l’avoir vouvoyé. Voilà que l’affaire est compliquée. C’est tellement bouleversant que je reprends, en le tutoyant.