Panier, Louis - Discours, Cohérence, Énonciation. Une Approche de Sémiotique Discursive

Embed Size (px)

Citation preview

  • 8/11/2019 Panier, Louis - Discours, Cohrence, nonciation. Une Approche de Smiotique Discursive

    1/6

    1

    Discours, cohrence, nonciation

    Une approche de smiotique discursive

    Louis PANIER

    Sattachant rendre compte des conditions de la production et de la saisie de la signification et des

    procdures de sa description, la smiotique rencontre ncessairement les questions lies la cohrence

    du discours.

    Il sagit de construire comme objet de connaissance la signification telle quelle se trouve

    manifeste dans des textes. Le texte nest pas la signification, la signification nest pas le contenu du

    texte tel quil pourrait tre dtach du texte qui le manifeste. Nous reprenons ici les termes de Jacques

    Geninasca

    Lcrit le dit - nest pas le texte. Pralablement sa prise en charge par un sujet, la

    construction que doit encore effectuer une instance nonciative, il nest pour le lecteur, pour

    lauditeur, que la promesse ou la virtualit dun texte : un objet textuel, ce sur quoi partir de quoi -

    il convient dinstaurer un (ou plusieurs) texte(s). Chaque usage, chaque pratique discursive a pour

    effet dactualiser certaines des virtualits de cet objet textuel, par et travers lactualisation

    simultane dun sujet (une instance nonciative) et dun objet (le texte proprement dit). Lire,

    interprter un nonc, en constituer la cohrence, cela revient actualiser le texte dont lobjet textuel

    nest encore que la promesse en vue de le saisir comme un tout de signification, comme un

    ensemble organis de relations, autrement dit comme un discours. 1

    Nous envisageons pour linstant le discours comme une totalit cohrente articule, dont la

    cohrence relve dun acte nonciatif. Parler de discours cest donc introduire ncessairement la

    composante de lnonciation, prise en particulier du ct de lnonciataire, et cest orienter leffort

    danalyse du ct des grandeurs figuratives, de leur statut smiotique et des oprations smantiques

    dont elles sont le lieu.

    Pour le smioticien, la cohrence du discours ne relve pas seulement dun jugement port sur letexte, mais elle est leffet dun parcours dynamique de la signification, lapplication dune stratgie

    que soutiennent des formes de rationalits. Parler de cohrence, plutt que de jugement, cest retenir

    lide dun projet de lecture, dun acte nonciatif appliqu lobjet textuel, dun parcours interprtatif,

    dune ngociation ou dun affrontement entre le projet de lecture et la rsistance dun texte2.

    Discours et grandeurs figuratives

    Le discours est un objet smiotiqueconstruit par lanalyse et dont lapplicabilit permet de passer

    de lobjet textuel au texte. Lire en smiotique, cest construire un discours. Cet ensemble signifiant est

    institu comme totalit, ensemble clos, champ dfini pour loprativit smantique des lments qui le

    constituent. Relevant dun acte de lecture, linstauration de cet ensemble signifiant est galementlinstauration dune instance nonciative. La lecture smiotique actualise tout la fois le discours et

    1J.Geninasca, La parole littraire, Paris, PUF,1997, p. 86.2Ce dispositif de linterprtation est trs prcisment dcrit dans ce passage dOrigne propos de linterprtation de la

    Bible : Cependant, si dans le dtail du rcit historique avait t maintenue la cohrence de la loi et prserv son ordre, notre

    comprhension aurait suivi un cours continu et nous nous naurions pas pu croire qu lintrieur des Saintes Ecritures tait

    enferm un autre sens en plus de ce qui tait indiqu de prime abord. Aussi la Sagesse Divine fit-elle en sorte de produire des

    pierres dachoppement, et des interruptions dans la signification du rcit historique, en introduisant au milieu des

    impossibilits et des discordances. Il faut que la rupture dans la narration arrte de lecteur par lobstacle de barrires pour

    ainsi dire, afin de lui refuser le chemin et le passage de cette signification vulgaire, de nous repousser et de nous chasser pour

    nous ramener au dbut de lautre voie : ainsi peut souvrir par lentre dun troit sentier dbouchant sur un chemin pus noble

    et plus lev, lespace immense de la science divine . (Origne, Trait des Principes (Peri Arhn), IV,2,9, traduction M.

    Harl, Paris, Etudes Augustiniennes, 1976, p.224)

  • 8/11/2019 Panier, Louis - Discours, Cohrence, nonciation. Une Approche de Smiotique Discursive

    2/6

    2

    son sujet. La smiotique discursive est aussi une smiotique de lnonciation conue comme lacte qui

    donne lieu lensemble signifiant du discours et aux conditions de sa cohrence.

    On appellera grandeurs figuratives (ou parfois figures ) les units sur lesquelles sappliquent

    les stratgies de cohrence et les oprations interprtatives qui instaurent lensemble signifiant du

    discours. Il convient de prciser les conditions de leur identification, les relationsqui les articulent, les

    oprationsqui les prennent en charge et lesfonctionsquelle assurent dans la construction du discours

    et de son sujet. Sur ces diffrents points se distinguent les stratgies de cohrence qui permettentdactualiser le discours et son sujet.

    Dans la terminologie tablie par Greimas et Courts dans le DRTL3, la dfinition hjelmslevienne

    4

    de lafigure(un non-signe intervenant dans la construction des signes) se trouve restreinte dans la

    notion de figuratif qui oriente la problmatique du discours du ct de la reprsentation et de la

    rfrence(envisage en termes dinter-smioticit). Le figuratif y est en effet dfini comme

    Un contenu donn (dune langue naturelle par exemple) quand celui-ci a un correspondant au

    niveau de lexpression de la smiotique naturelle (ou du monde naturel) 5

    Elment de contenu, la figurenest pas quivalente un lment de lexpression linguistiqueou

    lexicale dun texte ; elle est un lment de contenudiscursifreconnaissable dans un texte et qui peut

    avoir un corrlat hors du texte, soit dans le monde que la figure est susceptible de reprsenter

    (impression rfrentielle), soit dans dautres textesqui la manifesteraient, en tant quelle est toujoursune entit de discours (statut intertextuel). Ltablissement du statut smiotique des figures est assez

    complexe : il faut en effet distinguer leur identification, leur dploiement figuratif et leur

    smantisation. Ces grandeurs sont identifies dans le discours comme des units discrtes et

    intgrales, prises dans des relations mtonymiques (du type appartenir ... , ou comprendre telle

    ou telle partie... ) qui les installent dans des rseaux, dans des scnarios, dans des sries

    syntagmatiques ou paradigmatiques organises par le savoir commun (ou la mmoire discursive du

    lecteur. Par ailleurs, elles sont susceptibles de se voir attribuer des prdicats figuratifs qui, eux,

    sorganisent en catgorieset en traits distinctifs(haut vsbas, vaste vstroit, ancien vsnouveau). La

    smantisationde ces grandeurs figuratives suppose un troisime type dorganisation, spcifique la

    mise en discours6, et la singularit de lensemble signifiant (discours) qui les articule.

    Runissant lensemble des grandeurs figuratives, le plan figuratif du discours sorganise autour destrois axes que sont la spatialit, la temporalit et lactorialit. La saisie figurative du discours suppose

    linstauration dacteurs dans un cadre spatio-temporel et il nest pas de discours qui nagence cette

    triple dimension. Acteurs, temps et espaces sont susceptibles de produire en aval limpression

    rfrentielledu discours, comme effet de sens (de ralit) produit par le dispositif figuratif. Mais la

    figurativit peut aussi, en amont, rejoindre lexprience de lapparatre des choses (la fonction

    figurativechez Husserl)

    Discours et stratgies de cohrence

    La saisie des grandeurs figuratives et de leur existence discursive constitue le point de dpart de la

    construction smiotique du discours, et le donn sur lequel viennent sappliquer les stratgies decohrences constitutives de lensemble signifiant du discours. Ces stratgies correspondent des

    pratiques interprtatives et discursives (des dcisions de lecture et dinterprtation) dont lobjectif et

    leffet sont de smiotiser les figures. Elles correspondent galement des modes de saisie du sens,

    3A. J. Greimas & J. Courts, Smiotique, Dictionnaire Raisonn de la Thorie du Langage, Paris, Hachette Universit vol. 1,

    1979, vol. 2 1986 (DRTL)4L. Hjelmslev,Prolgomnes une thorie du langage, Minuit, 1971, p. 63-64.5DRTL p. 146.6 Les figures nassument un statut smantique dfini qu lintrieur de lensemble signifiant du discours. Elments

    densembles clos, en nombre finis, elles sont du fait mme de leur quivalence comparables et opposables entre elles. Le

    travail interprtatif consiste donc, en une seconde tape de lanalyse, exprimer les oppositions indexes de lorganisation

    discursive en termes darticulations smantiques, de manire assurer linvestissement smique et syntaxique des diverses

    figures du discours (J. Geninasca, Place du figuratif ,Actes Smiotiques - Le Bulletin, n20, 181, p. 13.

  • 8/11/2019 Panier, Louis - Discours, Cohrence, nonciation. Une Approche de Smiotique Discursive

    3/6

    3

    des rationalits. Elles prsupposent enfin des types distincts dinstance dnonciation (des types

    dnonciataire).

    On peut distinguer trois types de cohrences prsidant lanalyse smiotique des textes La

    premire correspond la perspective dune smiotique interprtativeouvertetelle que la propose U.

    Eco7, la seconde correspond au projet de la smiotique classique de Greimas et la perspective

    gnrative de constitution du discours, la troisime enfin, correspond aux propositions de J.

    Geninasca, telles que nous avons pu les pratiquer dans notre propre pratique danalyse smiotique.Infrences et cohrence discursive.

    Le dispositif figuratif du texte est conu comme le foyer (loccasion) doprations interprtatives

    infrentielles dans lesquelles sont mises en uvre les lois de labduction (Peirce). Les grandeurs

    figuratives reconnues sont des signes ou representamen renvoyant un objet moyennant un

    interprtant. Le plan figuratif est une occasion dinterprter et le texte fournit des consignes orientant

    linterprtation infrentielle et la coopration du lecteur. Linterprtation du texte se ralise dans les

    renvois dune smiosis infinie que permettent les infrences, dans le jeu des hypothses et des

    vrifications. On trouve dans Lector in Fabulade U. Eco la construction de ce parcours interprtatif

    qui permet dactualiser le texte. Les grandeurs figuratives reconnues dans le texte sont interprtes et

    justifies partir de la construction dun monde du texte (ou monde possible ) dont les rseaux

    et les rgles sont compars aux rgles du monde factuel . Linterprtation infrentielle labore une fabula , lhypothse dun monde qui fournira la rgle partir de laquelle les lments figuratifs

    du texte (les faits observs) se trouvent justifis comme des cas de cette rgle (tel est le

    fonctionnement de labduction). Le texte est justifi par les lois de lobjet qui lui correspond, on est

    dans le cas dun discours transitif relatif lobjet quil vise, instaur sur la base dune rationalit

    pratique et dune saisie ponctuelle des lments (ou saisie molaire selon lexpression de J.

    Geninasca).

    Parcours gnratif et cohrence structurale.

    Dans le projet smiotique initial de Greimas, auquel nous faisons rfrence ici, une smantique

    structurale(modlise par le carr smiotique ) engendre un dispositif gnratif (aboutissant la

    proposition dun parcours gnratif de la signification) qui soutient et analyse le plan figuratif du

    discours. Sappuyant sur les principes poss par Hjelmslev pour la description dunlangage (ncessaire sparation de deux plans plan de lexpression et plan du contenu), le

    parcours gnratif de la signification8. dploie les niveaux constitutifs de lanalyse du plan du contenu.

    Il prvoit un niveau des structures lmentaires (relations et oprations) modlis par le carr

    smiotique, un niveau des structures narrativeso ces structures lmentaires sont converties dans

    les formes syntaxiques et smantiques de la narrativit (rles actantiels, schma narratif canonique,

    structures modales...) et un niveau discursif dans lequel les structures prcdentes sont prises en

    charge sur les plans thmatique et figuratif. La composante discursive appartient donc au plan du

    contenu, elle est indpendante de la manifestation textuelle (plan de lexpression). Les grandeurs

    figuratives sont les units constitutives de la composante discursive, mais elles sont le produit,

    laboutissement des oprations de discursivisation, inscrites dans le processus gnratif et par

    lesquelles se poursuivent llaboration et la complexification du sens commences au niveau desstructures smio-narratives. Elles assurent la concrtisation des valeurs thmatiques logiquement

    organises par les paliers plus profonds o elles trouvent leur cohrence. La cohrence du discours se

    joue sur le palier des structures profondes. Comme le note Geninasca9., le parcours gnratif de

    Greimas tmoigne dune smiotique inscrite dans un paradigme logique et soutenue par une

    smantique structurale plus que par une thorie du discours et de linterprtation.

    7U. Eco,Lector in Fabula, Paris, Grasset, 1985.8Cf. DRTL, article Gneratif (parcours) , p. 157-160.9 J. Geninasca : Que la cohrence des discours littraires chappe aux contraintes proprement linguistiques ( paratre

    dans Champs du Signe.

  • 8/11/2019 Panier, Louis - Discours, Cohrence, nonciation. Une Approche de Smiotique Discursive

    4/6

    4

    Le parcours gnratif de la signification reprsente une tape dans litinraire de la recherche de

    Greimas. DansDe lImperfection10,il propose pour la smiotique un nouveau projet et un dplacement

    de la stratgie de cohrence permettant dinstaurer lensemble signifiant du discours. Il sagit

    dapprhender la signification non plus seulement dans larticulation des carts diffrentiels

    constitutifs dun systmeou dune structure, mais partir de lapparatredu mondepour un sujet. La

    saisie de la signification et sa description mettent alors en avant les effets sensibles, affectifs de

    lesthsie. On ouvre la smiotique les voies dun paradigme phnomnologique qui trouve ses

    rfrences chez Husserl et Merleau-Ponty 11 et ses dveloppements dans les recherches smiotiquesqui marquent les annes 90. La catgorisation logique du carr smiotique se trouve situe par rapport

    aux tensivitsdune smiotique du continu et du sensible, forme et cohrence pr-catgorielle du sens,

    lie lvnement du discours en acte12

    .

    La perspective gnrative situe donc la cohrence du discours en amont de la figurativit, soit dans

    la perspective logique de Greimas, soit dans la perspective phnomnologique de la smiotique

    tensive .

    Cohrence et instauration du discours.

    La mise en discours est considre ici comme le rsultat de la disposition singulire des grandeurs

    figuratives dans la totalit du texte considr comme ensemble signifiant. On cherchera donc la

    correspondance entre des formes perceptibles de ces dispositifs figuratifs, narratifs, et textuels,observables la lecture, et une organisation smantique.

    Le discours se manifeste dabord comme un ensemble de grandeurs figuratives, une totalit o lon

    peut reconnatre et segmenter des parcours figuratifs, des squences discursives (articulant acteurs,

    temps et espace dans des dispositifs unifis13

    ), des parcours narratifs, des dispositifs dnonciation

    nonce, mais aussi, dans certains cas, des dcoupages textuels topologiques (paragraphes,

    strophes...). Si les grandeurs figuratives sont bien les formants de la smiotique du discours, ces

    dcoupages, ces formes dagencement des figures constituent, selon les termes de J. Geninasca un

    dispositif relationnel pralable (et indpendant) de toute interprtation, et contraignant par rapport

    lassignation dune valeur chacun des termes. Considrant que le texte correspond un tout de

    signification, on prend les agencements de figures comme des propositions de segmentation de ce tout

    en parties et darticulation de ces parties ; linterprtation consiste alors envisager les relations et lesoprations proprement smantiques correspondant ces articulations figuratives.

    Nous retiendrons trois types de dispositifs susceptibles dagencer les grandeurs figuratives et de

    fournir des formes pour linterprtation : on parlera de dispositif figuratifpour dsigner les parcours

    figuratifs dans lesquels les grandeurs figuratives se trouvent singulirement dployes dans un texte

    donn, en portant attention la forme de ces parcours. Il pourra sagir de la mise en corrlation

    dacteurs, despaces, de sries descriptives14

    . Ce qui pourrait donner lieu reprsentation(le monde

    construit ou voqu par le texte, lintrigue dveloppe dans le rcit) est considr comme dispositifde

    contextualisation par lequel et dans lequel les grandeurs figuratives trouvent place et signification et

    dans lequel, recatgorises, elles acquirent un statut proprement discursif. La smantisation des

    figures est leffet de la mise en discours.

    On sintressera galement aux parcours narratifs. On parlera de dispositif narratifpour dsignerlagencement des oprations, des transformations et des rles actantiels et modaux quelles supposent

    pour les acteurs. L encore, il sagit dune attention aux formes dans lesquelles le dispositif de la

    narrativit met en corrlation les grandeurs figuratives. Dans la perspective greimassienne classique, la

    narrativit au niveau smio-narratif du parcours gnratif est une forme (logique) du contenu,

    10A.J. Greimas,De lImperfection, Prigueux, Fanlac, 1987.11P. Ouellet Signification et Sensation ,Nouveaux Actes Smiotiquesn20, Limoges, PULIM, 199212 A.J. Greimas J. Fontanille - Smiotique des Passions, Paris Seuil, 1992 Voir galement J. Fontanille, Smiotique du

    discours, PULIM, Limoges, 1998..13 On enregistre une nouvelle squence discursive lorsquon peut observer dans un texte une modification du dispositif

    dacteurs, de temps ou despace (cf. le dcoupage en scnes au thtre), considrant que chaque squence correspond un

    tat particulier de la signification.14Cf. J. Geninasca, Lnumration, un problme de smiotique discursive ,La Parole littraire, PUF, 1997, p. 53-67.

  • 8/11/2019 Panier, Louis - Discours, Cohrence, nonciation. Une Approche de Smiotique Discursive

    5/6

    5

    une forme smantique. Pour la narratologie, la narrativit obit une stratgie de communication du

    narrateur (elle entre dans une perspective rhtorique). Ici nous retenons la forme narrative du discours

    pour reconnatre des dispositifs relationnels pralables linterprtation des figures, et fournir les

    rgles dune interprtation smantique.

    Appartiennent galement lorganisation du discours les agencements de lnonciation nonce,

    les dispositifs internes dembrayage et de dbrayage partir desquels il devient galement possible de

    dcouper en squences le tissu figuratif du texte. Ainsi se trouvent mis en quivalence des parcoursfiguratifs et mises en discours les figures quils dveloppent.

    On parlera de dispositif textuelsi lon considre lobjet textuel comme un espace global dcoup en

    parties (chapitres, paragraphes, strophes) qui permettent de poser lquivalence, la comparabilit

    entre des grandeurs figuratives mise en correspondance du fait de leur disposition textuelle.

    Dans ces diffrents cas de disposition discursive, il sagit denvisager la cohrence dun ensemble

    signifiant, dune totalit articule ; la perspective est globale et structurale : le global rgit le local,

    selon lexpression de F. Rastier, et cest partir du tout que sont considres les parties : le discours

    est conu comme un tout de signification, dont la cohrence est de nature structurale.

    On pourrait ainsi suggrer que, dans le parcours de la lecture, un texte offre plusieurs possibilits

    de saisie, mettant en perspective des stratgies de cohrence diffrentes, et des rationalits diffrentes.

    Ces rationalits ouvrent des possibilits de stratgies de lecture, constituant les textes dans des

    genres diffrents et constituant les lecteurs dans des statuts nonciatifs diffrents. On pourrait

    distinguer :

    une saisie de type impressif par laquelle, antrieurement toute reprsentation formellement

    constitue et stabilise, le plan figuratif convoque du reprsentable . Le texte manifeste une

    possibilit de reprsentation, une figurativit potentielle ds linstant que des grandeurs figuratives

    sont reconnaissables. Cette saisie est la plus proche du sensible : on est dans un mode perceptif

    ou dans une perception esthtique.

    une saisie de type figuratif par laquelle le texte en appelle une reprsentation de monde (acteur,

    temps, espaces, intrigues reconnaissables et prvisibles). On peut parler de saisie molaire, dans la

    mesure o les grandeurs figuratives sont rapportes, comme des signes des ralits extra-textuellespralablement organises dans les rseaux de l encyclopdie (rationalit des objets discrets, des

    pratiques programmes, des espaces norms et du temps linaire). On peut alors voquer la relation

    dun sujet au monde extra-textuel, et faire appel la mmoire dexpriences perceptives mettant en jeu

    le corps propre de la perception. Les grandeurs figuratives se prsentent comme des adresses pour

    la mmoire du lecteur, ce en quoi elles concernent en lui la puissance de limaginaire. Cette saisie est

    oriente vers le visible : le texte offre un monde voir et savoir.

    une saisie de type proprement discursif dans laquelle les contenus smantiques associs

    pralablement aux figures en discours sont suspendus au profit des formes-sens par lesquelles le

    discours labore les conditions de la signifiance. Du fait de leur mise en discours, ces lments

    figuratifs, grandeurs figuratives, acteurs, temps et espaces, deviennent les formants dans (grce ) la

    forme desquels sarticule une signification pour un sujet. Paraphrasant une expression de Benveniste,

    nous pourrions dire que bien avant de (ou au lieu de) parler de quelque chose, ou de reprsenter

    quelque chose, le discours signifie. Prises dans le dispositif propre du discours, les figures ont le

    pouvoir de brouiller les cartes , dobscurcir le sens obvie . La question qui se pose alors est celle

    de la cohrence discursive du figuratif. Les transformations qui affectent les dispositifs figuratifs dans

    le discours attestent de la singularit dun acte nonciatif et convoquent une instance dnonciation.

    Mise en discours et nonciation.

    Quest-ce qui fait tenir le discours, si lon ne sarrte pas la ligne claire du racont, ni la

    reprsentation du monde (possible ou rel), ni au sens symboliqueque les figures viendraient ouvrir

    sous le sens obvie, ni la structure smantique profonde sous-jacente.

    La mise en discours est une mise en discours. Elle opre dans les enchanements figuratifs

    singuliers, soit dans des textes particuliers o les figures se trouvent disposes, soit dans des corpus

  • 8/11/2019 Panier, Louis - Discours, Cohrence, nonciation. Une Approche de Smiotique Discursive

    6/6

    6

    tablis o se tissent des rapports figuratifs. Ces dispositifs manifestent un tat singulier de la

    signification, ils appellent un mode particulier de saisie du sens. Pour le lecteur, sindique l un tat du

    sens, qui ne se confondrait ni avec la reprsentation du monde auquel renvoient les grandeurs

    figuratives, ni avec larticulation dun systme de valeurs thmatiques, un tat du sens qui en

    appellerait la rencontre de la langue et du sujet Comment nommer cet tat du sens ? Barthes

    proposait la signifiance15

    On peut rappeler ici la proposition de Benveniste : Au fondement de

    tout, il y a le pouvoir signifiant de la langue, qui passe bien avant celui de dire quelque chose 16

    .

    On peut ainsi reprendre litinraire de la figure et les transformations quelle subit du fait de sa

    mise en discours, transformations corrlatives diffrentes stratgies de cohrence appliques au texte

    et diffrentes positions de linstance nonciative

    En tant quunit de discours, la figure est convoque (et reconnaissable) dans un texte partir

    dune configuration virtuelle (ou mmoire discursive17

    ). La figure, hypertextuelle,fonctionne comme

    une adresse en mmoire, au sens o, partir dune figure singulire manifeste dans un texte

    donn, peut souvrir la perspective vaste des discours possibles tenus ou tenir.

    Convoquant les grandeurs figuratives partir de ces configurations pour les actualiser dans la

    totalit du discours, l'instance d'nonciation (et pour nous cette instance est dabord celle de

    lnoncaitaire) ralise une opration par laquelle ces grandeurs se trouvent disjointes des contenus

    smantiques qui taient les leurs dans les configurations discursives, et deviennent disponibles pourentrer dans l'articulation, les formes propres au discours. Convenons d'appeler opration figuralecette

    opration correspondant l'acte d'nonciation. Cette opration correspond un suspens du sens, une

    dissociation de la relation de signe entre le plan figuratif et son contenu thmatique initial, et/ou entre

    la figure (representamen) et l objet auquel elle renvoie . L'opration nonciative modifie donc

    le statut des grandeurs figuratives. Ainsi transforme, la figure n'est plus seulement relative un

    "sens", mais elle est relative l'enchanement et la forme du discours. Le discours est une totalit

    construire, une chane figurative parcourir. Enchanes dans le discours, les figures provoquent

    un surplus (un excs) du figuratif qui rvle toujours un manque du ct du thmatique (un trop de

    signifiant, qui rvle un manque dans le signifi). Cette rupture signale le dbat, la division,

    constitutifs de l'instance d'nonciation, partage entre un sujet relatif un contenu de sens organis (

    un objet de savoir et de reprsentation, objet imaginaire) et un sujet relatif l'acte de parler, c'est--

    dire la mise en discours18.

    C'est ainsi que l'analyse smiotique devient un acte de lecture: non pas seulement la recherche de

    la valeurdes figures (et des systmes de valeurs qui articulent le plan thmatique d'un texte), mais

    l'exploration des parcours figuratifs et de la signification qui advient entreles figures. Que dire de ce

    qui sindique l comme l orient (P. Ricoeur) de la mise en discours? Cest quelque chose qui ne

    relve pas dune intention dauteur , mais qui pourtant va faire, pour le lecteur effet de paroledans

    la mise en uvre de la langue. Leffet de signifiance, produit par la mise en discours des figures, en

    appelle pour le lecteur, lexprience de la parole dans la langue, sa capacit construire et

    assumer une cohrence du discours, son statut de sujet (de lnonciation) inscrit dans un corps par la

    parole.

    Louis PANIER

    Universit Lumire Lyon 2UMR 5191 ICAR CNRSLyon 2

    15Lexpression est galement celle que propose E. Benveniste. Voir aussi Martin F. Devenir des figures, ou Des figures

    au corps , in Fontanille J. (d.),Le Devenir, Limoges, PULIM, 1995, repris dans Smiotique & Bible, n100.16E. Benveniste, La forme et le sens , Problmes de Linguistique Gnrale, II,229. Et Benvniste poursuit en citant

    Hraclite propos de loracle de Delphes : Oude legei, oude kryptei, alla semainei, il ne dit ni ne cache, mais il signifie .17J. Calloud Sur le chemin de Damas. Quelques lumires sur lorganisation discursive dun texte , Smiotique & Bible,

    n 37, 38, 40 (1985) et n 42 (1986).18Cf. B. Gelas La question de lindicible. Pralable une smiologie du pome , in CADIR (L. P ANIER, d.) :Le Temps

    de la Lecture, Paris, Cerf, 1993, p. 87-93.