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31 Voici venir ... V oici avec nous une nouvelle année, que nous souhaitons à tous meilleure que celle passée, en tout, et premièrement la santé : « Amagara ni amazi aseseka ntibayore » - La santé est l’eau qui se verse par terre et qu’on ne peut ramasser, nous rappelle la sagesse burundaise. Voici, avec nous, la 10ème parution des pages littéraires du Magazine Iwacu en cette année 2013 que nous avons voulu commencer avec un chant à la vitalité et à la vigilance de l’écriture en Afrique. De la centaine et plus d’écrivains répertoriés par Bernard Magnier dans le Panorama des littéra- tures francophones d’Afrique au monumental chef-d’oeuvre de David Van Reybrouck Congo, une his- toire, en passant par la passionante étude des Violences dans le roman négro-africain francophone : cas du Rwanda, on se rend compte que depuis des décennies, sur le continent ou en dehors de lui, l’Afrique écrit. Note. Témoigne. Rappelle. Signe. Condamne. S’interroge. Crie. Et vit. Voici l’Afrique qui vient, comme le proclame si bien «Étonnants Voyageurs», le beau Festival du livre et du film traditionnellement basé à Saint-Malo mais qui a décidé de jeter l’ancre en février prochain à Brazzaville. Alain Mabanckou, qui accueille l’événement en terre natale, dit : «Beaucoup de manifestations ont été organisées sur l’Afrique, mais trop souvent hors d’Afrique, privant, hélas, toute une jeunesse en éveil de la possibilité de l’échange, et donc de l’opportunité de dire un mot sur le monde, en face du monde et avec le monde.» C’est ce monde-là que nous revoyons dans ces quatre pages, offertes comme promesse d’une année littéraire riche en textes et en rencontres. g Roland Rugero Découverte LITTÉRATURE Éditorial Panorama des littératures francophones d’Afrique L e 6 décembre dernier, à l’Alliance française Paris Ile-de-France était présenté ce livret numérique gra- tuit qui recense 150 écrivains africains d’expression francophone à travers 250 ouvrages publiés entre 1930 et 2012. Pourquoi faut-il le télécharger ? 1 «Si l’on excepte quelques rares pion- niers qui les ont précédés, c’est essen- tiellement dans les années 1930 que les écrivains africains ont fait leur appa- rition sur les rayons des bibliothèques. Pour l’essentiel, leur mission était alors 1 Sur http://www.institutfrancais.com/fr/ invitation-%C3%A0-la-d%C3%A9couverte-des- litt%C3%A9ratures-africaines d’affirmer une présence,de dire cette partie du monde qui avait été jusqu’alors absente si ce n’est au tra- vers du prisme déformant d’une lorgnette occi- dentale, souvent exotique ou colo- niale. [Ils] ne vou- laient plus être les sujets d’ob- servation d’un regard extérieur, fût-il bienveillant ; ils ne voulaient plus être pho- tographiés mais se saisir de l’appareil, prendre eux-mêmes la photo et dire : « Voilà comment nous sommes ! » Ce sont les mots de Bernard Magnier, Directeur de la collection «Lettres afri- caines» aux éditions Actes Sud et qui introduit son Panorama des littératures francophones d’Afrique avec le premier des sept chapitres intitulé Photogra- phier ... Ne plus être photographiés. Suivent Histoires d’enfants, de femmes, de famille, puis Les traces de l’Histoire, De la révolte aux lendemains qui dé- chantent, Au cœur des années 1990: des guerres, un génocide, des enfants-sol- dats, Afrique/Europe : aller-retour? et enfin D’autres horizons littéraires. En tout, 106 pages au cours desquelles on (re)découvre des romanciers, nou- vellistes, poètes, essayistes, auteurs de bandes dessinées ou dramaturges d’Afrique avec un seul fil conducteur : «Présenter la richesse et la diversité des littératures africaines écrites en fran- çais, ... dans la globalité géographique du continent en défiant les habituelles partitions établies entre le Nord (essen- tiellement le Maghreb auquel il convient d’adjoindre l’Égypte et la Libye souvent oubliées) et le Sud saharien» 2 L’objectif second est en forme d’invi- tation, le panorama étant « un outil de découverte, un travail destiné aux en- seignants, bibliothécaires, documen- talistes mais aussi à tous les lecteurs curieux », souligne Bernard Magnier. Souvent commises par des Africains qui occuperont un rôle politique dans leurs pays ultérieurement à leur car- rière, couchées dans un contexte édi- torial douloureusement dépendant de Paris et se voulant témoin à la fois de l’Afrique et du monde, à quoi ont servi ces littératures des pays africains fran- cophones ? « À tout. À rien ! Comme dans n’importe quel autre lieu de la pla- nète. Comme toute œuvre d’art : parfai- tement inutile et totalement indispen- sable ! » répond son auteur. g RR 2 Extraits de l’entretien de Stéphanie Dongmo avec Bernard Magnier pour le compte de http://www.africultures.com/

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Voici venir ...Voici avec nous une nouvelle année, que nous souhaitons à tous meilleure que celle passée, en

tout, et premièrement la santé : « Amagara ni amazi aseseka ntibayore » - La santé est l’eau qui se verse par terre et qu’on ne peut ramasser, nous rappelle la sagesse burundaise.

Voici, avec nous, la 10ème parution des pages littéraires du Magazine Iwacu en cette année 2013 que nous avons voulu commencer avec un chant à la vitalité et à la vigilance de l’écriture en Afrique. De la centaine et plus d’écrivains répertoriés par Bernard Magnier dans le Panorama des littéra-tures francophones d’Afrique au monumental chef-d’oeuvre de David Van Reybrouck Congo, une his-toire, en passant par la passionante étude des Violences dans le roman négro-africain francophone : cas du Rwanda, on se rend compte que depuis des décennies, sur le continent ou en dehors de lui, l’Afrique écrit. Note. Témoigne. Rappelle. Signe. Condamne. S’interroge. Crie. Et vit.

Voici l’Afrique qui vient, comme le proclame si bien «Étonnants Voyageurs», le beau Festival du livre et du film traditionnellement basé à Saint-Malo mais qui a décidé de jeter l’ancre en février

prochain à Brazzaville. Alain Mabanckou, qui accueille l’événement en terre natale, dit : «Beaucoup de manifestations ont été organisées sur l’Afrique, mais trop souvent hors d’Afrique, privant, hélas, toute une jeunesse en éveil de la possibilité de l’échange, et donc de l’opportunité de dire un mot sur le monde, en face du monde et avec le monde.»

C’est ce monde-là que nous revoyons dans ces quatre pages, offertes comme promesse d’une année littéraire riche en textes et en rencontres. g

Roland Rugero

Découverte

Littérature

Éditorial

Panorama des littératures francophones d’Afrique

Le 6 décembre dernier, à l’Alliance française Paris Ile-de-France était présenté ce livret numérique gra-

tuit qui recense 150 écrivains africains d’expression francophone à travers 250 ouvrages publiés entre 1930 et 2012. Pourquoi faut-il le télécharger ?1

«Si l’on excepte quelques rares pion-niers qui les ont précédés, c’est essen-tiellement dans les années 1930 que les écrivains africains ont fait leur appa-rition sur les rayons des bibliothèques. Pour l’essentiel, leur mission était alors 1 Sur http://www.institutfrancais.com/fr/invitation-%C3%A0-la-d%C3%A9couverte-des-litt%C3%A9ratures-africaines

d’affirmer une présence,de dire cette partie du monde qui avait été jusqu’alors absente si ce n’est au tra-vers du prisme déformant d’une lorgnette occi-dentale, souvent exotique ou colo-niale. [Ils] ne vou-laient plus être les sujets d’ob-servation d’un regard extérieur, fût-il bienveillant ; ils ne voulaient plus être pho-

tographiés mais se saisir de l’appareil, prendre eux-mêmes la photo et dire : « Voilà comment nous sommes ! »

Ce sont les mots de Bernard Magnier, Directeur de la collection «Lettres afri-caines» aux éditions Actes Sud et qui introduit son Panorama des littératures francophones d’Afrique avec le premier des sept chapitres intitulé Photogra-phier ... Ne plus être photographiés. Suivent Histoires d’enfants, de femmes, de famille, puis Les traces de l’Histoire, De la révolte aux lendemains qui dé-chantent, Au cœur des années 1990: des guerres, un génocide, des enfants-sol-

dats, Afrique/Europe : aller-retour? et enfin D’autres horizons littéraires.

En tout, 106 pages au cours desquelles on (re)découvre des romanciers, nou-vellistes, poètes, essayistes, auteurs de bandes dessinées ou dramaturges d’Afrique avec un seul fil conducteur : «Présenter la richesse et la diversité des littératures africaines écrites en fran-çais, ... dans la globalité géographique du continent en défiant les habituelles partitions établies entre le Nord (essen-tiellement le Maghreb auquel il convient d’adjoindre l’Égypte et la Libye souvent oubliées) et le Sud saharien»2

L’objectif second est en forme d’invi-tation, le panorama étant « un outil de découverte, un travail destiné aux en-seignants, bibliothécaires, documen-talistes mais aussi à tous les lecteurs curieux », souligne Bernard Magnier.

Souvent commises par des Africains qui occuperont un rôle politique dans leurs pays ultérieurement à leur car-rière, couchées dans un contexte édi-torial douloureusement dépendant de Paris et se voulant témoin à la fois de l’Afrique et du monde, à quoi ont servi ces littératures des pays africains fran-cophones ? « À tout. À rien ! Comme dans n’importe quel autre lieu de la pla-nète. Comme toute œuvre d’art : parfai-tement inutile et totalement indispen-sable ! » répond son auteur. g

RR2 Extraits de l’entretien de Stéphanie Dongmo avec Bernard Magnier pour le compte de http://www.africultures.com/

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Les mots pour le dire

Violences dans le roman négro-africain francophone : cas du RwandaDrames, tragédies, massacres,

génocides, ou « simplement » meurtres : les littératures

africaines, en miroir à l’histoire du continent, en parlent souvent. Un sujet qui a passionné Emmanuel Ahimana à la tête du département de Littérature à l’Institut Supérieur Pédagogique de Kigali (KIE) depuis février 20021.

La Shoah et l’Itsembabwoko : résurgences intertextuelles ?

La contribution arborée par « de-voir de mémoire » est avant tout un geste de compassion, de solida-rité fraternelle, « profondément hu-maine, nécessaire et respectable.2» Elle est aussi une « réaction au long silence des Africains3 » passifs face à un désastre singulier sur le continent. L’absence immédiate de textes litté-raires serait-elle imputable à une pa-ralysie qui correspondrait à la pensée d’Adorno4 ? Bien entendu, le romancier ne peut jamais « parler du génocide avec la froideur scientifique qu’exigerait l’historien.5 » Son acte d’écrire implique certes un engagement personnel mais l’œuvre produite est le reflet de la conscience collective.

La lecture des trois romans, ainsi que d’autres textes autant fictifs que testi-moniaux, « du dedans et du dehors », permet de repérer quelques échos in-tertextuels, d’abord, entre eux, ensuite, par rapport à la littérature de la Shoah. Les atrocités des violences extrêmes apparaissent en toile de fond de la peinture des figures symboliques qui sont, d’un côté, représentées générale-ment par les enfants immaculés « sym-boles du paradis perdu6 » et les images des femmes martyrisées, et de l’autre, par les représentations diaboliques des bourreaux vus sous l’image de « monstres » dont l’accent est souvent

1 Ce texte est le résumé d'une thèse doctorale en Etudes Françaises, Francophones et Comparées obtenue à l’Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3 (France)2 Africultures, n° 30, Rwanda 2000 : Mémoires d’avenir, septembre 2000, Paris, L’Harmattan, p. 4. 3 Ibidem., p. 5. 4 Allusion à la célèbre formule d’Adorno : « Après Auschwitz, c’est un acte barbare que d’écrire un poème. »5 Africultures, n° 30, Op. cit., p. 5. 6 Nous empruntons l’expression à Isabelle Favre, « Hannah Arendt, Boris Diop et le Rwanda : correspondances et commencements », Présence Francophone, n° 66, p. 119.

mis sur leurs actes barbares, comme par exemple le fait de brûler à l’essence les vaches des voisins.

L’interprétation de ces leitmotive et surtout la recherche du sens dans un univers « insensé » exigent au préa-lable une lecture des théories en la matière. Celles-ci permettent en effet d’ « approcher » objectivement les différents aspects relevés. Les mani-festations intertextuelles sont parfois enclines à une herméneutique particu-lière ; la méthode dialectique semble la mieux indiquée pour apporter des éclaircissements fructueux.

Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement de révéler les réminiscences intertex-tuelles mais il faut aussi interpréter les processus de basculement dans les violences extrêmes. Enfin, il faut égale-ment retenir que les fictions et les té-moignages sur le génocide constituent généralement une écriture mémorielle et une parole thérapeutique. Par-delà l’engagement, bien plus loin que le témoignage, les écrivains appellent à la vigilance, pour que « le plus jamais ça » ne devienne « l’intertexte de tous les génocides passés » et ne continue probablement de l’être au cours des siècles à venir.

Une littérature voyoue ?

L’écrivain africain se sent constam-ment « obligé » de pointer du doigt la misère et la violence qui rongent son continent. Les romans dits de « la pour-ritique » mettent au ban les régimes politiques « pourris », gangrenés par

la corruption, le népotisme, la dicta-ture, et caractérisés par le maintien de la population dans la misère qui se métamorphose parfois en une spirale de violence. Comme s’il n’avait plus confiance aux humains, l’écrivain, tel par exemple Patrice Nganang (Temps de chien : Chronique animale, Paris, Le Serpent à Plumes, 2003), choisit « le chien », lui qui a toujours été re-jeté et méprisé dans les sociétés afri-caines, de perpétuer la parole sage et lucide, capable de réveiller certaines consciences endormies. Celles-ci se réfugient dans les bars de « la honte »,

et à l’ombre, elles partagent égale-ment la misère sexuelle.

Sans prétendre démontrer que les violences extrêmes dont a souffert

l’Afrique sont à l’origine d’une telle situation, la plupart des guerres civiles ou de libération ont été menées en vue de mettre fin à cet état de choses. Certains romanciers, sans doute dans une perspective de témoignage et de dénonciation, jouent sur les cordes de la cruauté et du voyeurisme pour rete-nir l’attention du lecteur. Les années les plus sombres du continent africain sont traduites dans les fictions quali-fiées entre autres par Michel Naumann de « littérature voyoue ». Les roman-ciers, dépassés par les événements à représenter, s’en prennent surtout à la langue qu’ils dénaturent et violentent comme si elle y était pour quelque chose. Ils la nourrissent d’une écriture scatologique, et l’omniprésence de la chair ou du « bas matériel » leur sert d’ingrédient. La violence de l’oppres-sion trouve ainsi écho dans la violence de la création.

Le génocide survenu en 1994 au Rwan-da et qui a donné lieu à la publication d’une série de fictions écrites par « devoir de mémoire » ne s’inscrit-il pas dans la continuité de cette spirale de violences extrêmes ? Continuité ou rupture (?) toujours est-il que l’année 2000 aura signé une nouvelle page de la littérature négro-africaine avec essentiellement la sortie des textes de fiction sur le génocide des Tutsi au Rwanda. Parmi eux, trois romans, Murambi le livre des ossements de Boubacar Boris Diop, La Phalène des collines de Koulsy Lamko et L’Aîné des orphelins de Tierno Monénembo, sont singulièrement intéressants, non seu-

Emmanuel Ahimana (ici avec l'écrivaine malgache Michèle Rakotoson) travaille actuellement sur la traduction en kinyarwanda des "Carnets secrets d’une fille de joie", un roman de Patrick Ilboudo.

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Pêle-mêle

Rencontrelement parce qu’ils traitent d’un même référent (une violence extrême indescriptible) dans une langue variée et recourant aux emprunts parfois un peu forgés/forcés du kinyarwanda, mais aussi du fait de la fonction référentielle avec d’impor-tantes allusions intertextuelles à la littérature de la Shoah ou encore en ce qui concerne la notion d’engagement et de témoignage.

En fin de compte, les fictions littéraires africaines, tout en décriant toutes les formes de violences extrêmes, ont favorisé, de manière générale, une écriture où « demain serait toujours l’évolu-tion positive d’hier7 », pour reprendre la pensée de la philosophe Isabelle Favre. Cette formule récapitule tous les « mots de la fin8 » des romans de notre corpus. Diop et Lamko croient en la vie qui sera perpétrée par les enfants de Zakya (et Cornelius) ou celui de Pelouse et Muyango. Pour Monénembo, même après le passage du diable, il y a toujours de la vie qui reste. Ce happy-end débouche, selon les théories d’Hannah Arendt, sur un commencement, une affirmation de vie, de liberté et d’espoir. g7 FAVRE, I., Op. cit., p. 118. 8 LARROUX, G., Le Mot de la fin. La clôture romanesque en question, Paris, Nathan, 1995.

Congo, une histoire à lire

Prix Médicis, dans la caté-gorie "Essai", ce pavé de 700 pages est ce qu’il y

a à la fois de plus humain et d’exigeant en matière d’écri-ture sur une histoire riche, très large, longue, africaine, mondiale, violente et actuelle, celle d’un pays, la République Démocratique du Congo. Sur-vol1.

Il est des livres à être lus, par l’ampleur du regard qu’ils offrent sur la marche du monde. Ainsi est Congo, une histoire (Actes Sud, 2010) dans lequel David Van Reybrouck, un archéologue flamand, nous entraîne dans les 90.000 ans de la touffeur de l’histoire de l’actuelle RDC, dense comme sa forêt. Un travail de fourmi pour lequel l’auteur, par ailleurs jour-naliste, prélèvera 6 ans de sa vie pour consulter, entre autres, 5.000 sources, après avoir re-noncé à une brillante carrière académique.

Voici donc le vieux Nkasi, 126 ans, un miracle de la vie, qui per-mettra à l’essayiste belge d’avoir « une vue panoramique de l’his-toire du Congo, depuis la fin du 19ème siècle jusqu’à nos jours. » Voilà Regine et Ruffin, l’une di-rectrice d’une école catholique pour filles, l’autre jeune écolier, tous Zaïrois de l’an 1990, au cours duquel Mobutu annonce la fin du parti-État. Pierrot Bus-hala qui analyse un mariage raté au début des années 1990, pour cause de la montée des tensions ethniques. Les sœurs Fatima et Fina, commerçantes, harassées par les aléas des affaires dans ce pays-continent qui, au pas-sage, possède « les douanes les plus chères au monde.» Com-mandant César qui a servi sous Mobutu, Kabila père puis fils, avant de s’offrir une brochette de pays de l’Asie à la recherche d’un asile. Albert Tukeke, 80 ans, guichetier avant l›indépendance et lointaine parenté de Patrice Lumumba, qui parle des mille et unes humiliations infligées par 1 Cet article est rédigé entre autres avec des extraits de l’émission « Idées » du 2 novembre 2012 sur RFI, dans laquelle Edouard Deldique accueillait David van Reybrouck ...

les colons belges aux Congolais. Les écrits du père Tempels sur La Philo-sophie Bantoue, etc.

Une tonalité originale

Au total, 500 témoins oraux qui donnent au texte une richesse hu-maine unique sur le sujet : «J’étais mal à l’aise sur le Congo avec ce que j’avais appris à l’école ou les his-toires familiales», concède David, en expliquant les raisons qui l’ont poussé à se consacrer au sujet. Son père était au Katanga comme coo-pérant de 1962 à 1966. Et « dans ma jeunesse, j’étais toujours fier de dire : Mon père n’était pas au Congo en colon, mais après l’Indé-pendance ! Mais je me suis rendu compte, plus tard, que l’époque et la région dans lesquelles il a travaillé étaient caractérisées par une espèce de "colonialisme tardif" … »

A travers cette Histoire du Congo, écrite à l'aide d'histoires du quoti-dien, émerge des millions de voix d'un peuple, à l'origine composé des centaines de tribus, dont les membres seront bientôt exilés, séparés, rassemblés ou tués pour assouvir les besoins de la métropole belge en matières premières pour ses industries.

Cela commence avec la mainmise du roi Léopold II sur le Bassin du Congo, avec la « fameuse » Confé-rence de Berlin à l'issue de laquelle il devient, par union personnelle, roi-souverain de l’État Indépendant du Congo (EIC) : «Il faut remonter loin, dans l›histoire occidentale, au 6ème siècle, pour voir une telle iden-tité entre un souverain et son terri-

P Parution de La guerre des nez au burundi de Cyriaque Muhawenayo (collec-tion “Écrire l’Afrique”, L’Harmattan, 2013, 19Euros)

Le journaliste à la BBC, né à Nyamurenza en 1973, revient sur ses années de guerre, de pri-son et de camps de réfugiés. Avec une année dans l’armée nationale, puis le maquis (le Pali-pehutu puis le Cndd-Fdd), avant d’embrasser la carrière journalistique, il y a à raconter : “Ce livre relate la vie d’un jeune Burundais qui a connu la guerre et ensuite a vécu comme réfu-gié dans différents pays de la région des Grands Lacs comme le Rwanda et la Tanzanie. Il parle sans ambiguïté de la situation vécue, et sur le champ de bataille et dans les camps de réfugiés, et prêche la non-violence et le dialogue.” g

P Pour ceux qui s’intéressent à la « lit-térature féminine » d’Afrique, une adresse intéressante : http://aflit.arts.uwa.edu.au/

Romans, nouvelles, poésie, théâtre, interviews et même une section ‘L’Afrique écrite au fémi-nin à l’époque coloniale’ comprenant un récit des années 1660 sur l’es-clavage, des r é f é r e n c e s p r é c i e u s e s pour com-prendre un peu plus l’His-toire et les histoires du continent.

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Il ont dit

Étonnants Voyageurs, le Festival international du livre et du film traditionnellement basé à Saint-Malo (France) se passe cette année du 13 au 17 février 2013 à Brazzaville (Congo). Pourquoi ce voyage ?

Dans un éditorial intitulé "L'Afrique qui vient"1, l'écrivain franco-congolais Alain Mabanc-kou répond ...

Beaucoup de manifestations ont été organisées sur l’Afrique, mais trop souvent hors d’Afrique, privant, hélas, toute une jeu-nesse en éveil de la possibilité de l’échange, et donc de l’opportunité de dire un mot sur le monde, en face du monde et avec le monde. La littérature, la musique, le cinéma sont autant de domaines où s’affirment de plus en plus une génération de créateurs qui rêve d’une Afrique consciente de marquer par l’imaginaire ce que sera notre huma-nisme. Dans l’espace anglophone de grands noms ont reçu le prix Nobel de littérature : le Nigérian Wole Soyinka (1986), l’Egyptien Naguib Mahfouz (1988), les Sud-Africains Nadine Gordimer (1991) et J M Coetzee (2003). En langue française, l’année 2006 fut marquée par l’émergence de nouvelles voix : Léonora Miano (Goncourt des Ly-

1 http://www.etonnants-voyageurs.com/spip.php?article10596

céens, 2006) Alain Mabanckou (Prix des Ouest-France/Etonnants Voya-geurs 2005 ; prix Renaudot, 2006), Kossi Efoui et Wilfried N’Sondé (res-pectivement prix des Cinq Continents de la Francophonie, 2007 et 2011), Gilbert Gatore (prix Ouest-France/Etonnants Voyageurs 2008). La lit-térature de l’espace lusophone, peu connue en France compte des noms prestigieux (Mia Couto, Jose Agualu-sa) et le monde hispanophone reste à découvrir. Le Festival Etonnant Voyageurs – qui avait consacré en

2002 une édition sur les Nouvelles voix d’Afrique à Saint-Malo, et plusieurs à Bamako – a vu la plu-part de « ses » invités alors inconnus ou presque du public s’imposer dans le paysage littéraire français, avec la même préoccupation : contribuer non seulement à faire le bilan de l’Afrique contem-poraine mais aussi dessiner les contours de celle qui vient. L’édition d’Etonnants Voyageurs à Braz-zaville confirmera la place du Festival dans cet élan et aura pour ambition d’illustrer cette vitalité de l’imaginaire à travers le monde. Une centaine d’auteurs, de cinéastes et de musiciens d’Afrique et des quatre coins du globe diront non seulement ce continent qui bouge, mais aussi celui qui naît sous nos yeux. Brazzaville redeviendra le carrefour des Lettres africaines qu’il fut jadis avec la revue Liai-son et la consécration des voix majeures comme

toire», explique David van Reybrouck. Le commerce d'ivoire du roi ayant échoué (tous les éléphants ont été abattus), la « rentabilité » de la colonie sera assurée avec l'explosion de la demande mondiale en caoutchouc, suite à l›invention du pneu par l'Écossais Dunlop. En 1908, face au tollé mondial que suscitent les atrocités commises dans l'exploitation du Congo, Léopold II fait brûler les archives sur son aventure africaine, avant que la Belgique reprenne officiellement la colonie.

Les péripéties d’un peuple

Saviez-vous, par la suite, que la force pu-blique congolaise a pourchassé les Alle-mands en Tanzanie lors de la première guerre mondiale et les Italiens en Éthiopie lors de la seconde ? Qu’il y a eu des mili-taires congolais jusqu’en Birmanie ? Qu’à l’heure de l’indépendance, en 1960, le Congo était le pays de l’Afrique sub-saha-rienne le plus alphabétisé, avec 140.000 km de routes goudronnées, des centaines d’hôpitaux et d’écoles contre … 16 diplô-més d’université, en psychologie et en pédagogie principalement, pour gérer un pays de 2,345 millions de km², du jour au lendemain ? Que l’Église catholique a activement participé à freiner le dévelop-

L’ouvrage est à lire à la mé-diathèque de l’Institut Fran-çais du Burundi, qui propose par ailleurs, à partir de février :

• Le Sermon sur la chute de Rome (Actes sud) de Jérôme Ferrari , Goncourt 2012

• «Ce qu’il advint du sauvage blanc» (Gallimard) de Fran-çois Garde, Goncourt du premier roman 2012

• Féérie générale (L’Olivier) d’Emmanuelle Pireyre, Médicis 2012

• Rétrospective (Grasset) d’ Avraham B. Yehoshua, le Médicis étranger 2012

• Certaines personnes n’avaient jamais vu la mer (Phébus) de Julie Otsuka, Fémina du roman étranger 2012

• Le Veau suivi du Coureur de Fond (Seuil) de Mo Yan, le Nobel de littérature 2012

"Le rôle de la littéra-ture n'est ni de changer l'homme, ni de le restau-rer, mais de le rêver, de le construire ... Il faut le rê-ver avec ce qu'il est dans la réalité, ses défauts, son caractère ambigu, parfois un peu truand, pas forcément beau, souvent avili, de le rêver avec cette magie que confèrent les mots. Tous les personnages ont tou-jours quelque chose de plus que la vie ne donne pas, cette dimension de l'ambivalence, de la pos-sibilité d'autre chose. [Ils] deviennent magiques quand on les écrit.”

Extrait de l'interview accordée par l'écrivain tunisienne Azza Filali à Yves Chemla1 (de la re-vue Cultures Sud) g

1 http://www.culturessud.com/contenu.php?id=756

Tchicaya U Tam’si, Sony Labou Tansi, Henri Lopes ou Emmanuel Dongala ...

pement intellectuel de l’élite congolaise ? Que la musique y a toujours joué un rôle politique ? Que l’africanisation de l’armée congolaise par Lumumba dans les 15 jours qui suivirent l’obtention de l’Indépendance fut une terrible erreur dont les conséquences se font toujours sentir ? Que durant les 6 premiers mois de son indépendance, le Congo allait connaître une grave mutinerie dans l’armée, une fuite massive des Belges suivie de l’invasion de l’armée belge, puis l’intervention militaire des Nations Unies (dont un secrétaire général tué, fait unique dans l’histoire de l’organisme), le soutien politique de l’Union Soviétique, une crise constitutionnelle sans égal, deux séces-sions (au Katanga, puis au Kassaï) portant sur un tiers de son territoire, en plus de la mort tragique de son premier ministre arrêté et tor-turé ?

Et qu’en renommant « Zaïre » le pays qu’il a pris dans le sang et par la ruse, en 1965, Mo-butu Sese-Seko copie une faute d’orthographe commise par un cartographe portugais du 16 ème siècle qui, à l’origine, voulait écrire Zadi (« rivière », en kikongo) ?

Voilà pourquoi il faut lire Congo, une histoire. g

Roland Rugero