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BCA.RUE DES ARCHIVES Pâques, la catho pride Les catholiques, décomplexés, proclament leur foi et sont de plus en plus visibles dans l’espace public. Une démarche revendiquée par Amanda Lear ou Olivier Py. PAGES 2-6 Syrie:le choix de la répression L a Syrie a probablement connu vendredi sa journée la plus sanglante depuis le début des troubles il y a cinq semaines. Dans une vingtaine de villes et d’agglomérations du pays, pour ce jour baptisé «vendredi saint» par l’op- position syrienne, les forces de sécurité sont pas- sées à l’attaque. Sans sommation. Le bilan de ces attaques oscille entre 76 et 112 morts. Damas at- tribue les fusillades à de mystérieux «gangs ar- més», qui ne sont autres que les services de sé- curité ou les chabbiha, des milices contrôlées par des cousins du président, Bachar el-Assad. PAGE 7 Les politiques tweettent dans le vide Ministres ou députés utilisent de plus en plus les micromessages. Mais leur com est trop souvent à sens unique. PAGES 14-15 MARIE-FRANCE PISIER L’ÉCHAPPÉE BELLE PAGES 24-26 1,40 EURO. PREMIÈRE ÉDITION N O 9314 LUNDI 25 AVRIL 2011 WWW.LIBERATION.FR IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,10 €, Andorre 1,40 €, Autriche 2,80 €, Belgique 1,50 €, Canada 4,50 $, Danemark 25 Kr, DOM 2,20 €, Espagne 2,10 €, Etats-Unis 4,50 $, Finlande 2,40 €, Grande-Bretagne 1,60 £, Grèce 2,50 €, Irlande 2,25 €, Israël 18 ILS, Italie 2,20 €, Luxembourg 1,50 €, Maroc 15 Dh, Norvège 25 Kr, Pays-Bas 2,10 €, Portugal (cont.) 2,20 €, Slovénie 2,50 €, Suède 22 Kr, Suisse 3 FS, TOM 400 CFP, Tunisie 2 DT, Zone CFA 1 800 CFA.

Pâques, la catho pride

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Dossier du jounal Libération à l'occasion de Pâques 2011

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Page 1: Pâques, la catho pride

Projet22:Mise en page 1 24/04/11 11:19 Page1

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Pâques,lacathoprideLes catholiques, décomplexés,proclament leur foi et sont deplus enplus visibles dans l’espacepublic.Unedémarche revendiquéeparAmandaLear ouOlivier Py.

PAGES 2-6

Syrie:le choixde la répressionL a Syrie a probablement connu vendredi sa

journée la plus sanglante depuis le débutdes troubles il y a cinq semaines. Dans une

vingtaine de villes et d’agglomérations dupays,pour ce jour baptisé «vendredi saint» par l’op-position syrienne, les forces de sécurité sont pas-sées à l’attaque. Sans sommation. Lebilande cesattaques oscille entre 76 et 112morts. Damas at-tribue les fusillades à demystérieux«gangs ar-més», qui ne sont autres que les services de sé-curité ou les chabbiha,desmilices contrôlées pardes cousins du président, Bachar el-Assad.

PAGE 7

Lespolitiquestweettentdans levideMinistres oudéputésutilisent de plusenplus lesmicromessages.Mais leur comesttrop souvent à sensunique.

PAGES 14-15

MARIE-FRANCE PISIERL’ÉCHAPPÉE BELLE

PAGES 24-26

• 1,40 EURO. PREMIÈRE ÉDITION NO9314 LUNDI 25 AVRIL 2011 WWW.LIBERATION.FR

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,10 !, Andorre 1,40 !, Autriche 2,80 !, Belgique 1,50 !, Canada 4,50 $, Danemark 25 Kr, DOM 2,20 !, Espagne 2,10 !, Etats-Unis 4,50 $, Finlande 2,40 !, Grande-Bretagne 1,60 £, Grèce 2,50 !,Irlande 2,25 !, Israël 18 ILS, Italie 2,20 !, Luxembourg 1,50 !, Maroc 15 Dh, Norvège 25 Kr, Pays-Bas 2,10 !, Portugal (cont.) 2,20 !, Slovénie 2,50 !, Suède 22 Kr, Suisse 3 FS, TOM 400 CFP, Tunisie 2 DT, Zone CFA 1 800 CFA.

Page 2: Pâques, la catho pride

Entre célébrationspascalespubliqueset comingoutdecélébrités, les croyantsaffirment leurdésirdevisibilité.

Lescatholiquesfontentendreleur foiL e catholicismeest-il en trainde ressusci-

ter? Les catholiques n’hésitent plus entout cas à sortir des catacombes pourproclamer leur foi urbi et orbi. Chez les

people, le «coming out catho» est très in.Ces dernières années, plusieurs célébrités ontproclamé leur appartenance à la religion catholi-que.«Longtemps, j’ai gardéma foi secrète», con-fie la chanteuse et comédienneAmanda Lear (lire page 4 et 5).«En parler m’a véritablement li-béré», déclare le producteur etécrivain Thierry Bizot. Autremanifestationde cette recherchede visibilité nouvelle, en ceweek-end de Pâques plusieursdiocèses ont organisé des célé-brations dans l’espace public,hors les murs des églises et destemples.

FORCE. S’agit-il des dernierssursauts d’une religion agoni-sante? Le fait est que la situationdu catholicisme n’est pasbrillante. Le nombre de baptêmes continueinexorablementdebaisser. Commecelui desma-riages à l’église. Oudes séminaristes et des prê-tres en exercice. Seul celui des catéchumènes–ces adultes inscrits au catéchisme envuede sefaire baptiser– se maintient à peuprès, ce qui permet à l’Eglise catholi-que de publier des communiquéstriomphants. «Depuis dix ans, de plus en plusd’adultes demandent le baptême»,pavoise-t-elle.En réalité, si le chiffre est effectivement passé de8945 en 2001 à 9846 en 2009, il est redescenduà 9538 en 2010.Bref, et quoi qu’endise l’épiscopat, la crise de foi

est bien là. «Nous sommes passés d’un catholi-cismemajoritaire qui imprégnait toute la société, àun catholicisme minoritaire», reconnaît Pierre-HervéGrosjean, prêtre du diocèse deVersailles.D’après une enquête Ifop pour la Croix, 64%desFrançais se déclaraient catholiques en 2009contre 87%dans les années 70. Et 4,5% seule-ment vont à l’église chaque dimanche.Mais, pour les responsables catholiques, lamessen’est pas dite. La faiblesse du catholicisme serait,

au contraire, une force. «Leschrétiens d’aujourd’hui ne le sontpas à moitié. Ils ne le sont pluspour obéir à unmodèle social, oupar convention. On a affaire dé-sormais à un christianisme deconviction», affirme le pèreGrosjean.«Dans dix, trente ans,il n’y aura peut-être plus que 10%de Français catholiques, mais ilsseront très pratiquants», pour-suit-il.L’actuelle recherche de visibilitédes catholiques résulte-t-elle enpartie de l’émergence de l’islamenOccident? Le cardinal fran-çais Jean-Louis Tauran, prési-

dent duConseil pontifical pour le dialogue inter-religieux, le dit explicitement:«Comment a faitDieu pour revenir dans nos sociétés?» s’était-il in-terrogé dans l’Osservatore Romano, organe offi-ciel du Vatican, le 28 novembre 2008. Et de ré-

pondre:«Ce sont les musulmans qui,devenus en Europe uneminorité impor-tante, ont demandé de l’espace pour

Dieu dans la société.» «Nous vivons aujourd’huidans une société pluriculturelle et plurireligieuse:c’est une évidence», ajoutait le prélat français. Etpour lui ça n’est pas un problème car«la thèsede Huntington, sur le choc des civilisations, s’estrévélée fausse». Ce week-end, les musulmans

ParCATHERINECOROLLER

L’ESSENTIEL

LE CONTEXTEPour Pâques, l’Eglisecatholique choisit uneplus grande visibilité.

L’ENJEUCette nouvelleaffirmation peut-ellenuire au pacterépublicain ?

ParFRANÇOISSERGENT

Ensemble

«En un mot, je veux l’Eglisechez elle, et l’Etat chez lui»,disait Victor Hugo, commele rappelait ce week-enddans Libération lephilosophe de la laïcitéHenri Pena-Ruiz.C’était il y a 150 ans.Depuis, l’Eglisen’est plus unique niexclusivement romaine.Et, en ces jours de Pâques,l’Eglise catholique revientdans le siècle et occupemême les rues et les placesde France. Entrepèlerinages et pardons,processions et flashmobs.Elle se défend de vouloirrivaliser avec l’islamdevenu la seconde religiondu pays et qui, dans unexplosif mélange decontrainte et d’ostension,entend pouvoir prierdans les rues.Jean Paul II fut au siècledernier le premier pape àaffirmer cette Eglisecatholique visible etdécomplexée. Avec lui,les catholiques sortent descatacombes et occupentl’espace public. Desmillions de jeunes cathosaffichent leur foi aux JMJ àl’étonnement d’uneFrance qui se croyaitdéchristianisée.Mais, la laïcité à lafrançaise ne se définit pascontre les croyances, ellene définit pas un cadre detolérance qui ne serait quela forme juridique d’unesubordination. Elle donnela liberté de croire, ou nonà ses citoyens. Egaux endroits et devoirs.Il ne faudrait pas en cecontexte largement apaisé,que la surenchère entreles religions du verbe ou,pire encore, unemanifestation identitairenuisent à ce vivreensemble que laRépublique a sumaintenir.Et qui finalement fondela République.

ÉDITORIAL

2952C’est le nombre d’adultes qui ont souhaitérecevoir en ce week-end pascal, lesacrement du baptême. 60% des nouveauxbaptisés à l’âge adulte ont moins de 35 ans.

REPÈRES 64C’est le pourcentage de Français qui sedisent catholiques selon une enquête Ifop/laCroix, en fin 2009. Et 15,2% assistent réguliè-rement à la messe (environ une fois par mois).

PÂQUESCette fête commémore la résurrectionde Jésus-Christ, le troisième jour après sapassion. La solennité commence le dimanchede Pâques qui marque la fin du jeûne ducarême, et dure pendant huit jours (semainede Pâques ou semaine radieuse ou semainedes huit dimanches).

étaient d’ailleurs de sortie, eux aussi. L’Uniondes organisations islamiquesdeFranceorganisaitson rassemblement annuel au Bourget, près deParis (lire page 6).

«DÉPASSÉ».Ainsi, désormais les catholiques semontrent. Et Pierre-HervéGrosjean veut croireque les réactions leur sont très favorables:«Lesgens font preuve d’une curiosité étonnée et positive,car on vit dans un désert spirituel, et nous sommesporteurs d’un message qui donne du sens, or lesgens sont hyper à la recherche de ça.»

ANALYSE

LIBÉRATION LUNDI 25AVRIL 20112 •EVENEMENT

Page 3: Pâques, la catho pride

AntoineGuggenheim, prêtre et chercheurau collège des Bernardins analyse le nouveaudésir d’expositionde l’Eglise catholique:

«Etreminoritairesnous a libérés»A ntoine Guggenheim est prêtre,

docteur en théologie, et direc-teur du pôle de recherche du

collège des Bernardins à Paris,«lieu derecherche et de débat pour la société», quia ouvert ses portes en 2008 à l’initiativedu cardinal Lustiger. Il analyse le nou-veau désir de visibilité del’Eglise catholiqueaujourd’hui en France.Les catholiques veulent-ilsêtre plus visibles et audiblesdans la société aujourd’hui?Notre civilisation est un peunarcissique, si on n’est pasvisible, on n’existe pas, il faut voir etêtre vu. Dans le passé, le catholicismea été très visible mais il s’y est un peubrûlé les ailes et les doigts ! En mêmetemps, il y a toujours eu, cheznous, unetension entre la visibilité et l’intériorité.Les cathédrales disent quelque chosedumystère de Dieu. Elles ex-priment par leur architec-ture quelque chose d’unmystère plus grand que nous. L’inté-rieur, le plus intime, peut également setraduire par une action sociale visible.Êtes-vous d’accord avec la déclarationdu cardinal Tauran lorsqu’à la question«Commenta faitDieupourrevenirdansnos sociétés?», il a répondu:«C’est legrand paradoxe : grâce aux musul-mans» car ce sont eux qui «ont de-mandéde l’espacepourDieudans la so-ciété» ?Je dirais que c’estmai 1968 qui a fait re-venir Dieu. En proclamant le retour del’Esprit et la fin dumarxismemonoli-thique. Je crois que ça peut se démon-trer. Un seul nom: Philippe Sollers !Dieu revient, mais différent, mort etressuscité !L’ouverture du collège des Bernardinsrépondait-elle àunevolontédevisibilitédes catholiques?Les Bernardins sont un lieu qui permet

à l’Eglise de s’incarner dans le visible.Sa beauté renvoie à quelque chose degrand et de profond. Le fait qu’on yaccueille tous ceux qui sont prêts audialogue fait que ce lieu a été acceptécomme lieu d’écoute et de proposition,donc de visibilité.

LesBernardinsont-ils trouvéleur public?La réponse est assez éton-nante et donne du courage.Ça n’était pas gagné au dé-part, et certains ont été trèssurpris du dynamisme decette institution, et du fait

que, comme catholiques, nous ayonsété capables de faire vivre un tel lieu.LeNouvelObservateury a organisé deuxfois ses journées pour ses abonnés, cequi est un signe que cette ouverturefonctionne ! Aux Bernardins, j’ai ob-servé lamanifestation d’un désir d’en-

tendre assez étonnant, aussibien de la part desconférenciers que des

«vrais gens». Il y a vingt ans, on étaitencore dans une époque de fermetureidéologique, ça n’est plus le casaujourd’hui. Les intervenants non-croyants que nous faisons venir, ontenvie de débattre avec nous parce qu’iln’y a pas beaucoup d’institutionscomme le catholicisme qui soient à lafois historiques et universelles. J’ob-serve aussi une grande attente, plusspirituelle. Les gens nous disent:«Mesgrands-parents étaient très croyants,mesparents ont été baptisés mais pasmoi, jen’ai pas la foi, qu’est-ce que je peux fairepour l’avoir?» Lors des préparations aubaptême, il arrive que le parrain ne soitpas baptisé, et qu’il passe la soirée àvous assaillir de questions énormes,magnifiques : «Quel est le sens de lavie?»; «est-ce qu’un chrétien peut êtreun humaniste, et est-ce qu’un humanistepeut dialoguer avec Dieu?» On

Samedi à Orléans, lorsd’un flashmob. Lesparticipants miment la mortpuis la résurrection du Christ.PHOTO OLIVIER COULANGE. VU

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Qu’est-ce qu’un catholique? Pour 15% des3000 jeunes catholiques de 16 à 30 ansinterrogés par la Croix (édition de ce week-end) et le Service national pour l’évangélisa-tion des jeunes et pour les vocations, c’estd’abord quelqu’un «qui prie, qui pense à Dieu»et qui «a été baptisé». La messe est «essen-tielle» pour 59% d’entre eux, «très impor-tante» pour 18%. Ces jeunes attendent

d’abord de l’Eglise qu’elle promeuve la placede la spiritualité dans la société (pour 47%)et défende davantage la vie (44%).Pour 70% d’entre eux, l’engagement dans lasociété est très important. 55% affirments’investir dans une action de solidarité:secteur associatif (66%), soutien financier(44%), services ponctuels (27%), syndicat ouparti (8%).

«Laquestionde la visibilitése pose, certainement parceque l’Eglise amoins pignonsur rue qu’autrefois et queson impact sur la société estmoins important.»Jean-PierreRicardarchevêque

«Les chrétiens devraientrendre visible aumondeleDieu vivant, en témoigneret conduire à lui.»BenoîtXVI lors de la messe du Jeudisaint qui commémore le dernier repasdu Christ avec ses apôtres

INTERVIEW

Les outés sont un peumoins enthousiastes. Ladivulgationde leur foi a suscité des réactions re-flétant l’ambivalence de la société face au reli-gieux.«Ma décision n’a pas étémal accueillie auniveau de mon entourage, mais elle a suscité unecertaine incompréhension car la vie spirituelle cheznos concitoyens est très faible, et beaucoup de gensont l’impression que la religion, c’est dépassé», té-moigne Francis, catéchumène sexagénaire, veufdepuis peu, qui doit être baptisé ceweek-end.Journaliste et écrivain, Alix de Saint-André faitpartie de ces people dont la célébrité tient en

partie à son coming out. Pour témoigner desréactions de son entourage, elle reprend à soncompteunedéclarationdupapeBenoîtXVI selonlaquelle«enEurope, les chrétiens qui revendiquentleur foi ne risquent pas de persécutions, commependant les catacombes autrefois –ou dans une trèslarge partie dumonde aujourd’hui–,mais risquentle ridicule». Avec humour, elle poursuit : «Apartir d’un certain niveau d’études et de situationsociale, afficher sa foi vous fait passer pour quel-qu’un d’idiot ou demal informé. Et, en plus, je suisblonde!»•

LIBÉRATION LUNDI 25AVRIL 2011 • 3

Page 4: Pâques, la catho pride

entend des questions inouïes, di-tes avec une grande liberté, sans ta-bous.Qu’est-ceque les catholiques ont àdireaumonde d’aujourd’hui?Le fait d’êtreminoritaires nous a libé-rés du complexe d’avoir été trop puis-sants, trop liberticides. Aujourd’hui, lecatholicisme n’est plus perçu commeune religion dangereuse. On est dansun autre temps, dans unmonde où lescroyants qui se reconnaissent croyantset les incroyants qui se reconnaissentcomme incroyants peuvent débattre dufond. Il y a chez les chrétiens la prise deconscience que l’on peut dialoguersans perdre son âme avec des gens aveclesquels on n’est pas d’accord sur l’es-sentiel. Enmême temps, notre civilisa-tion est face à des enjeux de sociétéinédits, et si les catholiques sont capa-bles de parler un langage, pas seule-ment de témoignage, mais d’huma-nisme et de raison, ils peuvent êtreentendus sur des questions gravescomme le sort de la planète, l’Europeet le monde.Les catholiques ont-ils le désir des’adresser aumonde?Ils ont envie de laisser leurs convictionssortir de la sacristie. On adopte peu àpeuuneposition où l’on est à la fois en-racinés et ouverts. Les deuxne sont pascontradictoires. Cela nous donne de laliberté pour agir et rencontrer lemondecomme il est. En même temps, celanousdonneune responsabilité.Nousnesommesplus dansunephased’évangé-lisationdemasse,mais d’inculturation.Notre comportement doit être encohérence avec la foi que nousproclamons.Avec ce retour dans l’espace public,avez-vous l’espoir de reconquérir lesâmes?Onne reviendra jamais à une situationde foimassive. L’individualisation vueparMarcel Gauchet est quelque chosede très vrai. Aujourd’hui, les parcourssont individuels. Le risque est un ren-forcementdes identités oudes compor-tements identitaires alors que l’identitéde chacun est plurielle.Comment analysez-vous les «comingout cathos» de personnalités commeOlivier Py?La foi fait partie des choses intimes quel’on arrive mieux à dire aujourd’huiqu’il y a une vingtaine d’années, parcequ’on se respecte plus les uns et lesautres, et qu’il y a un besoin de sens.Même les non-croyants sont prêts àreconnaître une sorte de dette enversles grandes traditions. Et le catholi-cisme en est quandmême une, et passeulement un truc vieillissant et dé-passé. Si vous «googlisez» lemot «es-poir», c’est très intéressant: vous arri-vez sur des congrès demédecins et riend’autre. Si vous «googlisez» le mot«espérance», vous arrivez sur des sitescatholiques–àpart«espérancedevie»qui renvoie plutôt à des sites médi-caux–, comme si notre société avait dumal avec cemot. L’espérance est-il unconcept qui ne concerne que les catho-liques ? Sans doute, sinon d’autresqu’eux emploieraient ce mot. Or, lasanté du corps, c’est super, mais il vabien falloir mourir un jour. Notrevisibilité a aussi pour finalité de rendrecompte de cette espérance, si cemot aencore un sens.

Recueilli parCATHERINE COROLLER

ALINAREYES auteurede romansérotiques,a fait soncomingout il y a trois ans:

«Auprès demafamille, je passe unpeupour une folle»

«J e suis issue d’unefamille complètementathée, communiste,

anticléricale, où l’on n’évo-quait pas du tout la religion.Alors, quand mes prochesont appris que j’étais catho-lique il y a environ trois ans,ils l’ont mal pris. Cela peutparaître surprenant, maismes écrits érotiques pas-saient beaucoup mieuxauprès de ma famille que lefait que je croie en Dieu.C’était véritablement aussiviolent qu’un coming out.Depuis, onn’enparle plus, jepasse un peu pour folle.«Dieu c’est le tabou par ex-cellence. La religion toucheles gens au plus profond.Quand elle fait son appari-tion dans des films, commeDes hommes et des dieux, oudans des livres, elle apparaîtcomme une belle image,lointaine. Dès qu’elle est ré-

vélée par des proches, letiraillement entre désir etrépulsion devient très fort.Du coup, je parle plutôt de lareligion dans mes livres ousur mon blog.«La religion, comme lasexualité auparavant, mepermetdenourrir des idéauxd’une vie autre. Cela vientpeut-être demon côtémili-tant, combattant. Je gardeun idéal de justice, d’unmonde changé. La religionest unmoyende faire évoluerles choses. Mais elle a aussibesoin d’évoluer, en phaseavec la société. Au fond, jevoudrais lutter contrel’image néfaste que peutavoir la religion catholique,commebiend’autres. Et touslesmalentendus qui peuventengendrer une fracture dansla société.»

Recueilli parVIRGINIE BALLET

OLIVIERPYmetteur en scène, a révélésa conviction il y a quatre ans:

«Çam’a coûté trèscher, personnen’y croyait»

«L ongtemps, j’ai gardéma foi secrète. Lorsde mon arrivée à la

tête du théâtre de l’Odéonen 2007, il y a parfois eu desréactions très violentes à cecoming out. Ça m’a coûtétrès cher, car lemilieu danslequel j’évolue est fermé aumessage chrétien. Dans lemême temps, certains jour-naux ont écrit que j’étais“prétendument catho”. Per-sonne n’y croyait, ça a cho-qué. On considère monhomosexualité comme unparadoxe par rapport à mafoi. Ce prétendu paradoxe,mes études de théologiem’ont permis de m’endéfaire. C’est une chose dif-ficile à faire entendre,d’autant que la religion ca-tholique continuede souffrird’unemauvaise image. Elleest associée à la moralitébourgeoise du XIXe siècle,

autoritaire, pudibonde.Aujourd’hui, plus que ja-mais, cette image est encorelà, associée à l’intolérance età l’homophobie. Peut-êtreque j’ai permis à certainscroyants qui vivaient undéchirement, de se sentirmieux, mais je ne suisqu’une voix parmi d’autres,d’une époque, d’unegénération qui affirmequ’onpeut être homosexuel etcatholique.«J’ai le sentiment qu’il est deplus en plus difficile d’affir-mer sa foi. On donne trop laparole aux imbéciles, aux in-tégristes, à ceux qui atta-quent lesmusées, lesœuvresd’art en général. Je pensequ’il faut commencer parconnaître ce qu’on cherche àcombattre : il y a une réelleméconnaissance des reli-gions en général.»

Recueilli par V.B.

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Despersonnalitésracontentleur comingoutcatholiqueLIBÉRATION LUNDI 25AVRIL 20114 • EVENEMENT

Page 5: Pâques, la catho pride

Les Egliseschrétiennes sesont réunies hierdans plusieursvilles de France.

Pâquescélébrédansla rue

T ous dans la rue, sanscroix, ni autel. Ceweek-end, coïnci-

dence du calendrier aidant,les Eglises catholique, pro-testante et orthodoxeont cé-lébré Pâques ensemble.«Unrassemblementœcuménique etfestif»,organisé dansunedi-zaine de villes de France. Aufond, une envie de visibilité.«Aumême titre qu’unemani-festation civile, la composantereligieuse exprime qu’elle estlà, sans tapage, analyseMgr Bernard Podvin, porte-parole de la Conférence desévêques de France. Ces ren-dez-vous sont liés au besoindes catholiques d’être moinscomplexés.»Hier, la placeRoyale deNan-tes (Loire-Atlantique) a vibréaux sonsdes chants gospel etd’un message d’espérance,lu par les trois représentantsdes Eglises chrétiennes,oubliant les différends del’histoire. Samedi, en pleincentre-ville d’Orléans (Loi-ret), quelque 150 personnesse sont allongées àmême lesol puis relevées pour unflashmob symbolisant larésurrection du Christ.D’autres rassemblements onteu lieu, comme sur les bordsdes lacs d’Enghien(Val-d’Oise) et d’Annecy(Haute-Savoie).«L’idée était aussi d’interpel-ler. Nous pensons que dansune société laïque, il doit yavoir la liberté pour chacun dedire ses convictions sans quecela ne représente une me-nace», explique le pasteurGuillaume de Clermont, del’Eglise réformée d’Orléans.ANantes, où ClaudeGuéants’était attaqué auxprières derue audébut dumois, le pas-teur Caroline Schrumpf re-grette seulement que ce dé-bat«parasite»unévénementprévudéjà depuis un an.Unecélébration inspirée par cellede LaDéfense, près de Parisl’année dernière, qui avaitalors rassemblé 5000 chré-tiens pour la fête de Pâques.

JULIE URBACH

THIERRYBIZOT producteur et écrivain,a affiché son catholicisme à 44 ans:

«Parler dema foim’a libérédemes angoisses»

«E n parler m’a libéré.Jusqu’à mes 44 ans,âge où j’ai fait mon

coming out catholique, je nepouvais pas dire que j’étaisunhomme. J’étais unmecouun type, et, à l’intérieur, uncanichemouillé qui tremblaitdepeur. J’avais des angoisseschroniques, despeurs enfan-tines, un manque deconfiance enmoi.Quand j’aiparlé de ma rencontre avecJésus àunami, j’ai été envahiparune émotion très forte, etlui aussi. Je me suis renducompte qu’en parlerme fai-sait découvrir des chosesnouvelles sur ma foi et merendait plus serein. C’étaitautant un processus pourmoi quepour les autres.Avecle livre (1), puis le film (2), onm’ademandédevenir parlerde ma foi dans les écoles, jesuis devenu“le cathode ser-vice”. Il ne s’agit pas de faire

du prosélytisme, mais d’unbesoin de parler demon ex-périence, qui pourrait enaider d’autres. Car il y a unevéritable attente, les gens seposent des questions et sontsoulagés de voir des person-nes enparler. C’est vrai qu’ily a un tabou à avouer qu’onest catholique. Et souvent,les cathos qui s’exprimentpubliquement sont les plusmilitants, les plus conserva-teurs, voire les extrémistes.Du coup, l’image qu’ils ren-voient suscite la peur chez lesautres croyants. Peur d’uneimage ringarde, d’être criti-qués. Et puis tout cela toucheà l’intime.Moi, jeme sens li-bre, aimé de manière indé-fectible.»

Recueilli par V.B.

(1) Catholique anonyme,éditions du Seuil, 2008.(2) Qui a envie d’être aimé?d’Anne Giafferi, sorti le 9 février.

AMANDALEAR chanteuse et comédienne,n’a jamais cherché à dissimuler sa foi:

«Dire qu’on est catho,c’est le comblede la provoc’»

«A ffirmer “oui, je suiscatho” est bien plusprovocateur à mes

yeux que des œuvres blas-phématoires comme ce PissChrist, cette création d’An-dres Serrano qui représenteun crucifix trempé dansl’urine. C’est d’autant plusvrai dans la société actuelle,où tout le monde cherche àprovoquer.«En ce qui me concerne, jen’ai pas fait à proprementparler de coming out, car jen’ai jamais vraiment cherchéàdissimuler quoi que ce soit.Il y a une certaine pudeur àadmettre sa foi catholique,comme une marque de fai-blesse. Probablement à causede toutes ces interdictions:pas de viande le vendredi,pas de baise hors mariage,pas de capotes… Et puis, il ya parfois un fanatisme in-supportable. Peut-être que

l’on parle plus de notre foiquand on traverse une pé-riode difficile.«Certaines personnesm’ontaccusée de vouloir me fairede la pub et ontmoqué cettefoi contraire à mon côtéfemme fatale, glamour.Maiscette image publique liée àmonmétier ne m’empêchepas de prier au volant, dansma loge au théâtre, en pei-gnant… Cela me donne lecouragede continuer, de lut-ter, de tenir le coup face auxépreuves. A l’inverse,d’autres semblent se recon-naître dans ce que je dis,dans mon admiration poursainte Rita, la sainte des pe-tites gens. D’une certainemanière, je transmets unmessagede tolérance. Je vaisparfois à l’église à Pigalle.Les filles qui font le trottoir yprient, elles aussi.»

Recueilli par V.B.

GIN

IES.

SIPA

Despersonnalitésracontentleur comingoutcatholique

R.RO

IG.A

FP

LIBÉRATION LUNDI 25AVRIL 2011 EVENEMENT • 5

Page 6: Pâques, la catho pride

A l’occasiondu rassemblement de l’UOIF, desmusulmans témoignent des difficultés qu’ils rencontrent.

L’islampas en odeur de saintetéD e son jilbeb, ce long

voile anthracite quil’enveloppe de la tête

auxpieds, n’émerge que sonvisage souriant.Ence samedimatin, ça n’est pas encore lacohueauparcdesexpositionsduBourget, prèsdeParis, quiaccueille (jusqu’à ce lundimidi) la 28e édition du ras-semblement de l’Union desorganisations islamiques deFrance (UOIF). La jeunefemme quitte uneminute lestand d’Ariij, petite entre-prise familialedeprêt-à-por-termusulman,pourdiscuter.La semaine, elle est chargéedes relations clientèle chez leprincipal groupeénergétiquefrançais.«Jeporte unpantalonlarge et une tunique, j’enlèvemon foulard sur le parking, etjemetsunpetit bandana.»Elletravaille dans un environne-mentmixtemaisne serrepaslamain à ses collègueshom-mes, ni ne leur fait la bise.La patronne d’Ariij dit sonâge, 38 ans, mais pas sonprénomni son nom. Elle estFrançaise, mais se «sentmal»dans ce pays où sa reli-gion lui semble montrée dudoigt. Elle n’exclut pas deporter, un jour, le niqab. Pasici, mais «dans un pays où ily a la charia [loi islamique,ndlr]».«En France, on prendle parti d’être discrètes.»Châle.Hizia, 29 ans, fonc-tionnaire à la Sorbonne,d’origine algérienne, flan-quéede samère, feuillette unlivre. Elle arbore (pour l’oc-casion) un châle violet nouéà lamanière touareg, autourde la tête. Elle aussi se sent«agressée par ce débat sur lalaïcité centrée autour desmu-sulmans» : «Nous sommesune famille réservée, nous pra-tiquons notre religion tout en

respectant les règles de la Ré-publique.Mon arrière-grand-père a fait la guerre 14-18,mon grand-père 39-45. Je nevois pas pourquoi je devraism’intégrer : je suis française,algérienne et musulmane.»Bayan est française, d’ori-gine syrienne. A 21 ans, entroisième annéede chirurgiedentaire, elle est présidentede la branche lilloise de l’as-sociation des Etudiantsmu-sulmans de France. «J’aicommencé à porter le hijab enfac, par envie. On nem’a rienimposé. Je ne me suis jamaisposé la question de savoir sij’étais ou pas intégrée.»La loidu 15mars 2004 interdisantle port des signes religieux àl’école a été un déclic : «Jepense qu’il faut laisser les gens

s’habiller comme ils veulent.Pour être tranquille, j’ai choisiune profession libérale.»AuBourget, toute la sociolo-giemusulmaneest représen-tée. Immigrés de la premièregénération, familles, jeunes.Bienquedenationalité fran-

çaise, ces derniers racontentdes parcours professionnelscompliqués.Hilel, 29ans,bacpro compta, est chauffeur li-vreur après deuxans et demide chômage. Il porte la barbedesmusulmans pratiquants,mais«pasdepuis longtemps»,

précise Abdellak Eddouk,responsable de l’associationgestionnaire des salles deprière de Grigny (Essonne),qui le connaît bien.Enthéorie,Mamadou,27ans,rencontré sur le stand desJeunesmusulmansdeFrance,

groupementprochede l’in-tellectuel TariqRamadan, atoutpour réus-sir. «Bac+2 encommunica-

tion et trois ans d’expériencecomme chef de projet» dansune agence de pub deLaCourneuve (Seine-Saint-Denis)dont lavocationestdedonner aux jeunes diplômésla première expérience pro-fessionnelle qui leur fait dé-

faut. Les juniors sont censésn’y rester que deux ans.«Mais ça fait un an que jecherche du boulot et que je netrouve pas.» Explication?«Dans la pub, la palette decouleur unique est le blanc.»Pour ces jeunes, l’insertiondans lemonde du travail estcompliquée. L’obstacle, pourles filles, est le voile. Aprèsun bac secrétariat, Rania,28 ans, a «galéré» trois ansavant de trouver un job.«Achaque rendez-vous à PôleEmploi, la conseillèreme pro-posait un boulot. J’appelais, etje demandais si onm’accepte-rait avec mon foulard. Onmerépondait “non” et je laissaistomber. Là, je n’ai rien de-mandé, j’y suis allée.» Deprime abord, elle trouve que

le patronde cebureaud’étu-des médicales a «l’air ra-ciste». «En fait, il est adora-ble, ouvert, compréhensif.»Elle est française (d’originealgérienne), se considèrecomme une citoyennecomme une autre, mais es-time qu’en tant quemusul-mane d’originemaghrébineelle«ne sera jamais considé-rée comme une Françaisecomme les autres». «Quandj’ai mis le foulard, il y a troisans, il y a des regards qui mefaisaient pleurer», dit-elle.Elle aussi envisage dansl’avenir de porter le jilbeb.De tous les jeunes rencon-trés, aucun ne votera pourl’UMP.«Je neme vois pas vo-ter pour Sarkozy ni pour unparti qui divise les Français enles montant les uns contre lesautres»,prévientMamadou.Plainte. Mounir Diari,35 ans, votera «ouvrier». Ilest né à Soufflenheim (Bas-Rhin), se dit«alsacien et fierde l’être». Celane l’a pas em-pêché d’être l’objet d’unediscrimination qu’il n’a tou-jours pas digérée, quinze ansaprès. «Avec des amis, j’aivoulu fêtermonBEP [Equipe-ments techniques et énergie,ndlr]àHaguenau.Onm’a re-fusé un café en me disant“club privé”.» Il a déposéplainte et gagné. A caused’unehistoire familiale«pasgrave» dont il ne souhaitepas parler, il a fait un an etdemideprison.Après sa sor-tie, il a créé l’associationJ’veux m’en sortir. Il a larage.Mais aussi«un bonmé-tier»: il travaille comme ins-tallateur sanitaire, en Franceet en Allemagne, commebeaucoup de frontaliers.

CATHERINE COROLLERet FATIMA RIZKI

«Quand j’aimis le foulard, il ya trois ans, il y a des regardsquime faisaient pleurer.»Rania28 ans

Samedi, au Bourget.PHOTO JEAN-MICHEL SICOT

HORS-SÉRIE EN VENTE EN KIOSQUE164 PAGES-7!

HORS-SÉRIE

MITTERRAND

UNEVIEHORS-SÉRIE LIBÉRATION MAI 2011

FRANCE MÉTROPOLITAINE: 7!

10MAI 1981 TRENTEANSAPRÈS

C’est l’histoire d’une génération qui rêvait d’une autre politique. L’histoire d’un hommequi voyait aboutir le combat d’une vie. Et l’histoire d’un journal renaissant après des moisde crise. Trente ans après, Libération s’est replongé dans ses archives et a sélectionnééditos, grands reportages et unes emblématiques pour dessiner les multiples visagesde ce président tacticien, homme d’Etat, bâtisseur, manipulateur… Le roman d’une vie,maîtrisée de bout en bout pour la postérité.

VENDREDI 6MAI

LIBÉRATION LUNDI 25AVRIL 20116 • EVENEMENT