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Garzettespeciale35Chatte Association Patrimoine Marche de Bretagne Marais Breton (P2MB) des Moutiers en Retz More majorum (selon les coutumes des ancêtres) L A G A R Z E T T E Numéro spécial N°35 (10 octobre 2013) Les Chattes de la Bernerie par Bernard Imbert Association Patrimoine Marche de Bretagne Marais Breton (P2MB) des Moutiers en Retz Déclarée en Sous-préfecture de Saint Nazaire en 1997 n°0443009654 Loi de 1901

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Garzettespeciale35Chatte

Association Patrimoine Marche de Bretagne Marais Breton (P2MB) des Moutiers en Retz

More majorum (selon les coutumes des ancêtres)

L A G A R Z E T T ENuméro spécial N°35 (10 octobre 2013)

Les Chattes de la Bernerie par Bernard Imbert

Association Patrimoine Marche de Bretagne Marais Breton (P2MB) des Moutiers en Retz Déclarée en Sous-préfecture de Saint Nazaire en 1997 n°0443009654 Loi de 1901

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Domaine de Lyarne 44760 Les Moutiers en RetzAntenne de la Société des Historiens du Pays de Retz

LES CHATTES DE LA BERNERIELouis Lacroix et la Baie de Bourgneuf

Maquette de la famille Lacroix

La Chatte, navire oublié mais autrefois présent entre autres en baye de Bretagne, suscite autant l'intérêt des passionnés de la mer que ceux de la Baie. Le capitaine Louis Lacroix nous donne une description très détaillée de cette embarcation et de son usage.

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Maquette du musée des Salorges à Nantes

Sommaire

Les sources de documentation (Page 2)Le Capitaine Louis Lacroix (page 4)Description d'une Chatte (page 7)La Manœuvre (page 9)La chatte et le transport de marchandises (page 10)La chatte et la pêche (page 11)La baie de Bourgneuf et le port de La Bernerie (page 12)Conclusion (page 15)

Maquette exposée à l'école René Guy Cadou de La Bernerie

La Chatte de La Bernerie ou Chatte de la Baie de Bourgneuf

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Navires oubliés de la Baie De Bourgneuf, les Chattes sont des embarcations fascinantes à

plus d’un titre.

Les sources de documentation

Il n’existe, malheureusement, plus aucune trace physique de la Chatte. Aucune épave

connue et contrairement à de nombreux sites, il n’y a pas de cimetière à bateau dans la baie de

Bourgneuf hormis à Noirmoutier.1 Quelques écrits, quelques plans de formes ou dessins nous

permettent d’en connaître les caractéristiques principales, l’utilisation et les manœuvres si

particulières. Peu de maquettes d’époque peuvent venir à notre secours et aucune demi-coque

servir à effectuer des relevés de formes et tracer des plans2

Il est très difficile de se faire une idée des origines de ce bateau. Comme nous venons

de le dire, il n'y a que peu d’écrits. Le terme de Chatte est assez générique et correspond à

plusieurs types de bateaux. Pierre Morineau, vers 1752-1762, directeur des constructions à

Rochefort décrit une chatte qui n’est pas totalement amphidrome3. Il présente le plan vertical

d’une chatte de 72 pieds de long. Mais le bateau qui nous intéresse est un navire amphidrome

avec un gréement très simple. Auguste Jal dans son traité d’archéologie navale4 trouve une

analogie frappante entre les chattes, les vaisseaux de la Suione5 et la Navis Longua6 des

Romains. Au gré des échanges maritimes ou des invasions (de -II é av J.-C. au III e siècle pour

les Romains et au IXe siècle pour les Vikings7), Il est probable que les marins et charpentiers

de marine de la Baye de Bretagne aient subi de fortes influences dans leurs constructions.

L’amiral Willaumez8, au début du XIXe siècle, décrit la chatte (Amphidrome) dans son

1 Les navires en fin de vie étaient transformés, quelques-unes des dernières chattes ont dû être transformées en chaloupes (par le chantier Fortineau de Pornic) d’autres probablement servirent comme bois de construction2 Nombreux chantiers n’utilisaient que des maquettes ou demi-coque comme base à la construction des navires3 Un navire amphidrome a la particularité de pouvoir se déplacer indifféremment en avant et en arrière de la même manière4 Archéologie navale 1840 volume 1, mémoire 2 page 1245 Les Suédois, Suiones, Sueones, Sweonas, Suehans, Svíar, Svear étaient un ancien peuple germanique établi en Scandinavie (peut être ancêtres des Danois)6 Long vaisseau à quille mince et aiguë7 On pense aux Drakkar et aux Cogues8 Jean-Baptiste Philibert Willaumez, né le 7 août 1763 à Palais (Belle-Île) et mort le 17 mai 1845 à Suresnes, est un officier de marine français

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dictionnaire de marine (planche 15 figure 5). Captivé par ce navire particulier, et

certainement dans un esprit de progrès, il s’intéresse fortement à ce type de bateau et dessine

les plans d’une corvette amphidrome (planche D’ figure). Cette corvette ne fut jamais

construite.

Même l’amiral François Edmond Paris9, conservateur du musée national de la marine,

qui publia de 1882 à 1892 « les souvenirs de marine conservés » ne nous apporte pas de

renseignements complets quant aux Chattes. Cet homme consacre une grande partie sa vie,

avec l’appui de la marine, à l’étude quasi scientifique des bateaux dits traditionnels. Dans

l'ouvrage10 qui fait suite à « l’essai sur la construction navale des peuples extra européens »,

l’amiral Paris donne le plan vertical d’une chatte et ses principales dimensions (L= 13.90

mètres) ; il précise que ce type de bateau était présent principalement sur les côtes

atlantiques. Il servait d’allège dans les ports de Rochefort, de transport de marchandises dans

les baies du Morbihan et dans les ports de Sud Bretagne. Mais c’est dans la baie de Bourgneuf

que les chattes, amphidrome, utilisées tant pour le transport que pour la pêche furent les plus

nombreuses. Les dernières Chattes cessent leurs activités à la fin du XIXe siècle. Après

plusieurs siècles de cohabitation, elles laissent place aux célèbres chaloupes de la baie11.

Si nous retrouvons quelques écrits dans différents ouvrages des XVIIIe et XIXe siècles

qui évoquent ce bateau, c’est le capitaine Louis Lacroix qui, dans ses livres « La Baye De

Bretagne » et « La Bernerie à travers les âges », nous apporte le plus de précisions sur ce

bateau et son utilisation au cours des siècles passés.

Le Capitaine Louis Lacroix12

Louis Lacroix, originaire de La Bernerie en Retz13, issu d’une lignée de marins14, est

très tôt attiré par la mer et les bateaux. Benjamin Lacroix son père, notaire à la Bernerie en

Retz, épouse Marie Thuillier 15et de leur union nait le 07 janvier 1877 Louis Lacroix. Il eut

9 François-Edmond Pâris, né à Paris le 2 mars 1806 et mort à Paris le 8 avril 1893, est un officier de marine français du XIXe siècle10 Souvenirs de marine conservés, … recueillis et publiés par l'amiral Pâris, album, Paris, 187911 Voir les nombreux ouvrages de Gilles Fortineau de Pornic12 Chasse-Marée a consacré trois article sur le capitaine N° 177 / 185 / 21313Discours de sa fille à l’occasion de l'inauguration de l’esplanade L.LACROIX à La Bernerie14Arrière-petit-fils de Benjamin Leray (qui défendit la baie de Bourgneuf en 1795 à bord de « La rude ») et qui fut maire des Moutiers, La Bernerie n’ayant pas encore le statut de commune.15 Fille de Wenceslas Thuillier qui commanda en particulier « le Cimandef »trois mats basé à Paimboeuf.

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une enfance heureuse. Est-ce à cause de ces ancêtres marins, la proximité d’un plan d’eau ou

ses contacts avec les pêcheurs que l’appel de la mer se fait sentir ? C’est très tôt que son

regard se tourne vers la mer. Il est interne au collège de Saint Stanislas de Nantes. Bon élève,

il attend malgré tout avec impatience les vacances pour revenir au bord de l’eau. A 17 ans, il

passe son bac avec succès et en 1894, embrasse la carrière de marin. Il est probable que son

père aurait préféré qu’il suive la même voie que lui mais Louis embarque en 1895 comme

pilotin16 sur le trois-mâts " l’ESBROUF " puis sur le "Fréderic Suzanne". Embarquements

qu’il apprécie tout particulièrement et qui le confortent dans l’idée de devenir officier de

marine marchande. Dès 1899, il passe avec succès le diplôme de capitaine au long cours. Il

navigue comme lieutenant sur le trois-mâts " Duchesse Anne " pour un tour du monde. Le

navire quitte Cardiff et les noms qui font rêver tant de marins défilent : Cap de Bon

Espérance, Madagascar, Rangoon, Rio de Janeiro, Le cap Horn, Iquique et une nouvelle fois

le Cap Horn. C’est sur ce même bateau qu’il devient second capitaine. En cours de voyage, il

remplace le commandant qui vient de décéder, alors qu’il n’a pas encore le brevet de

commandement17. En juin 1903, il réussit son examen pratique de capitaine au long cours et le

05 Août de la même année, il prend le commandement du trois-mâts barque " Maréchal de

Gontant " grand navire de 84 mètres de long. Grâce à la prime à la navigation octroyée par le

gouvernement afin de redresser la marine marchande, de nombreux voiliers sont construits et

les officiers de marine marchande se voient très tôt confier des commandements. Il n’est pas

rare de voir des « Vieux18 » ayant 25 à 26 ans. Il enchaine les commandements19 et sillonne

toutes les mers du monde. Les voyages durent longtemps 14 mois voire plus. En 1909, il se

fiance avec Germaine Lorfray et réembarque le 21 juillet 1909. Il débarque le 21 septembre

1910 après 14 mois d’absence et leur mariage fut célébré le 20 Octobre 1910. A 33 ans, il ne

repartira pas pour de nouvelles navigations mais il ne quitte pas le monde maritime pour

16 Avant de devenir élève officier, les jeunes peuvent embarquer sur un navire marchand et se faire une idée dumétier17 Dans la marine marchande après avoir réussi le diplôme théorique, il faut naviguer un certain pour obtenir le brevet complet.18 Appellation familière pour les commandants19 Il commande, à plusieurs reprises, le Maréchal Gontant, le Babin Chevaye et le Jean

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autant20. Il est tour à tour, capitaine d’armement, pilote du canal de Suez, directeur de

compagnie de navigation. Il revient définitivement à La Bernerie en 1926 et se consacre à

l’expertise. Expert maritime, il entreprend de nombreux déplacements. Il navigue maintenant

pour son plaisir en baie de Bourgneuf et possède ses propres voiliers armées à la plaisance :

"le Léon" puis "La souveraine". C’est à cette période qu’il commence à vivre une autre

passion : l’écriture. Et c’est bien naturellement qu’il se concentre sur la marine à voile et la

vie des marins en publiant de nombreux ouvrages sur le sujet. Ces écrits font références dans

le milieu tout en s’adressant au plus grand nombre. Son premier ouvrage « Les derniers

Grands Voiliers » est un grand succès et il obtient le 1er prix de l’Académie de Marine. Les

livres s’enchainent, treize ouvrages sont édités. Très attaché à son pays natal, il consacre un

ouvrage à « La Baye de Bretagne » en 1942 et un deuxième à l’histoire de La Bernerie en

Retz en 1953. Son dernier livre « Les tragédies de la mer aux derniers jours de la voile »

parait 1 mois après son décès le 27 octobre 1958 à l’âge de 82 ans.

Les bateaux et les marins ne sont pas oubliés dans ces deux livres et Louis Lacroix

consacre dans chacun d’eux de longs chapitres à la « chatte de la Bernerie » et aux marins de

la baie de Bourgneuf. Comme il aime à le souligner, ses longues discussions avec les anciens

lui ont permis de recueillir les témoignages des derniers marins et charpentiers à avoir

navigué ou travaillé sur ces bateaux. De plus, son goût pour la recherche historique et ses

nombreuses sorties en baie de Bourgneuf sur différents bateaux, lui ont permis de comprendre

ce bateau si particulier. En utilisant un vocabulaire très technique et très précis, Louis Lacroix

a pu faire une synthèse très complète et grâce à cela, nous pouvons nous faire une idée précise

de ce que furent les Chattes et de leurs utilisations en baie de Bourgneuf.

20 1911 / 1912 Capitaine d'Armement (Société des Armateurs Nantais)1913 / 1919 Pilote au Canal de Suez. Mobilisé sur place, il est blessé à l'oeil et réformé à la navigation.1919 / 1922 Capitaine d'Armement à Paris (Société des Armateurs Français), puis Directeur Technique.1922 / 1925 Directeur de l'Agence de Saint-Nazaire de l'Union Française Maritime (remorquage et sauvetage entre Brest et Oléron).1925 / 1926 Directeur de la Société de Pêche " Vendée- Bretagne " à Saint-Jean-de-Luz.1926 / 1950

Expert des Assureurs Maritimes à Nantes Expert maritime près le Tribunal de Nantes, Expert maritime-visiteur du Port de Nantes

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C’est probablement au XVIIIe siècle que les chattes sont les plus nombreuses dans la

baie. Elles survécurent jusqu’à la fin du XIXe siècle. Les particularités géographiques de la

Baie de Bourgneuf et les caractéristiques techniques des chattes font qu’elles ont été très

nombreuses pendant plusieurs siècles en baie de Bourgneuf.

Le capitaine Louis Lacroix à sa table de travail

Description d’une chatte

En reprenant les descriptions très techniques du capitaine L. LACROIX, qui s’appuie

sur un vocabulaire maritime précis, nous pouvons visualiser assez distinctement les

caractéristiques principales des chattes et imaginer ce que fut la navigation sur ces bateaux.

La Chatte est un bateau de petite taille pouvant être armée par un équipage réduit (3 à

4 hommes). Elle peut entreprendre des navigations au cabotage et au bornage21, servir d’allège

21 Navigation faite entre le port d'attache et un autre point déterminé sur la cote mais peu éloigné.

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pour les plus gros navires, pénétrer profondément dans les étiers et pratiquer la pêche. Avec

une longueur de 10 à 12 mètres (certaines pouvant atteindre 14 mètres), une largeur de 3.5 à 4

mètres et un tirant d’eau de 1.20 mètre, elle avait une jauge de 10 à 12 tonneaux 22. La coque

est parfaitement symétrique et n’a, à proprement parler, ni avant ni arrière. Ces bateaux ne

virent jamais de bord. Quand ils veulent changer de route, il garde la même amure, l’avant

devient l’arrière et vice et versa. On parle alors de navire Amphidrome.

Louis Lacroix poursuit sa description en apportant des précisions quant à sa solide

construction. Navire amphidrome (symétrique et sans assiette) la chatte en baie de Bourgneuf

devait être capable d’échouer dans des abris parfois précaires soumis aux vagues, d’affronter

une mer difficile surtout quand le vent soufflait dans une direction opposée à celle du courant,

de remonter les étiers et enfin, navire de charge, de subir les chargements et déchargements de

marchandises diverses. Ces contraintes imposent une construction fortement échantillonnée.

La quille massive en chêne, d’une seule pièce, reçoit varangues et membrures sur lesquelles

un bordé vient donner cette forme si particulière. Les varangues, très plates sur plus d’un tiers

de la longueur et acculées aux extrémités donnent une très bonne stabilité de forme. La

stabilité est complétée par un lest d’environ 3 tonnes, arrimé sous le vaigrage en fond de cale,

ce qui apporte la stabilité de poids nécessaire à une bonne marche. Hormis un poste

d’équipage et une soute à voile situés aux extrémités, le reste de la cale est libre et dédié à la

marchandise. On accède au poste d’équipage et à la soute à voile grâce à une ouverture très

exiguë. L’accès à la cale principale quant à elle se fait par l’intermédiaire de deux grands

panneaux de part et d’autre du grand mât.

Tantôt poupe et tantôt prou, les extrémités reçoivent des ferrures pour installer un

gouvernail. Si l’on peut déplacer le gouvernail à chaque changement de direction, la

possibilité d’avoir deux gouvernails et de bloquer celui de « l’avant » (taille mer) était

également utilisée. Avec une bonne stabilité de route, la chatte peut pratiquement se passer de

barre. Seul un espar, côté amure (tribord), fixé sur le safran perpendiculairement à l’axe du

22 Ancienne unité internationale de volume servant pour le jaugeage des navires équivalent à 100 pieds cubes soit 2.83 M3

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gouvernail, permet d’orienter ce dernier. L’angle de barre est obtenu grâce à un palan entre

cet espar et le plat-bord.

A l’image de la construction, les mâts sont fortement échantillonnés en pitchpin. Posé

sur la quille, le mât central n’est haubané que d’un seul côté (côté au vent). Les deux petits

mâts ne sont tenus que par la drisse et l’itague de leur voile. Le grand mât perpendiculaire à la

quille a une hauteur égale à la longueur du bateau. Les deux petits mâts d’une hauteur des 2/3

de celle du mât principal ont une quête de 5° sur le centre. Ce gréement d’une solidité

remarquable peut résister au roulis et au tangage : alors que le mât principal n’est haubané que

d’un côté, ceux de misaine ne sont tenus que par la drisse. Pour en finir avec cette

description, le capitaine Lacroix précise que la grand-voile a une forme trapézoïdale,

s’établissant comme sur un bateau à trait carré. Les voiles dites de misaine sont gréées

comme nos voiles au tiers modernes. La grand-voile mesure 1 ½ la surface du rectangle

circonscrit au pont soit environ 72 m² alors que les voiles de misaine en font le tiers.

Manœuvre

Après cette description, on comprend parfaitement que les chattes sont bien adaptées à

la navigation régulière en baie de Bourgneuf tant pour le transport que pour la pêche. A cette

époque, les navires remontent très difficilement au vent et les virements de bord sont

délicats23. L’avantage du navire parfaitement amphidrome est de pouvoir changer de direction

en un espace restreint sans risquer le manque à virer. Cet avantage est aussi utilisé lors de la

23 : Pour mémoire, il n’était pas rare de voir des bateaux en fond de baie attendre des semaines que les vents soient favorables pour appareiller

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navigation dans les étiers où les demi-tours sont problématiques voire impossibles. On peut

avoir une idée assez précise du principe des « virements de bord » en observant cette

technique sur les praos de Micronésie24. Sur les chattes, pendant un virement de bord,

plusieurs opérations doivent être réalisées en même temps : Le changement de place du

gouvernail, le changement des voiles de misaine, le changement des points de tire de la

grand-voile. Il est bien évident que ces manœuvres, surtout avec un équipage réduit,

demandent une très grande maitrise surtout lorsque les conditions météorologiques deviennent

difficiles.

Du fait de la longueur de coque et de leur égal tirant d’eau, les chattes possèdent une

très bonne stabilité de route et, comme le souligne le capitaine Louis Lacroix, le gouvernail

est peu sollicité. Le cap est maintenu en réglant l’écoute de la grand-voile afin de faire varier

la position du centre vélique de la voile par rapport au centre de gravité du navire. La voile de

misaine établie est en avant du grand mat par rapport au gouvernail ; la troisième voile n’est

établie que pendant le chalutage. Le gouvernail, lui, n’est utilisé que pour provoquer une

aulofée. Le bateau, de par la disposition des voiles, était naturellement mou.

La chatte et le transport de marchandises

Avant l’avènement des grandes routes et du chemin de fer, les liaisons terrestres sont

très difficiles. Imaginer le transport de marchandises lourdes ou volumineuses est impensable

par voie terrestre et seul le bateau peut répondre aux besoins d’échanges.

Les chattes sont de vrais navires de transport (certains auteurs les comparent même à

des camions des mers) qui naviguent soit entre les ports de Sud Bretagne et la baie de

Bourgneuf, soit entre les différents ports et abris de la Baie de Bourgneuf. Les chattes sont

principalement armées pour le cabotage et assurent le « porte à porte » en Baie de Bourgneuf.

Néanmoins, à la belle saison, certaines peuvent s’aventurer bien plus loin25. Mais, pour

entreprendre des navigations plus lointaines, ce genre de gréement et la taille des navires ne

sont plus adaptés. Le transport en Baie de Bourgneuf consiste principalement au départ de

24 Livres du Vice-amiral E.Desclèves, Le peuple de l’océan.25 Une chatte aurait traversée l'atlantique pour aller à Terre Neuve.

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l'île de Noirmoutier à charger des cendres de goémon26 pour les ports du Pays de Retz. De ces

ports, les chattes embarquaient du bois, des céréales, du vin, des matériaux de construction

pour l’île de Noirmoutier. En tant qu'allège, les chattes ont largement contribué au commerce

du sel. On peut ajouter qu’en plus de leur service pour les marchandises, les chattes ont pu

être utilisées pour le transport de passagers27 et également comme bateaux de servitude

pendant certains conflits en baie de Bourgneuf.28

La chatte et la pêche

Louis Gautier La Bernerie son histoire. Les Chattes

Les chattes sont aussi employées pour la pêche et principalement pour la pêche au

chalut. Pour cette pêche, il faut ouvrir au maximum la gueule du chalut. La position

d’équilibre naturelle de la chatte étant travers au vent (navire parfaitement symétrique)

permet très facilement la pratique de cette technique de pêche. Certaines gravures montrent

des chattes ayant établi des tangons aux deux extrémités pour permettre une plus grande

ouverture. La dérive est maitrisée en utilisant les trois voiles. Cette technique avait ses limites

car il faut que la dérive soit suffisamment rapide pour un bon établissement du chalut dans

l’eau et pour que le poisson ne puisse s’échapper. Les courants assez forts de la baie de

Bourgneuf et les vents dominants font que cette pêche est tributaire de l’heure de la marée et

des conditions météorologiques. Les pêcheurs de la Bernerie font des jaloux et ceux de

26 Engrais27 La chatte « La Bien Aimée » embarqua le 22 juin 1794, 65 prisonnières en direction de Noirmoutier (Les miraculés de Noirmoutier. JP. Vallee revue souvenir vendéen.28 De nombreuses chattes furent réquisitionnées pour le blocus de Noirmoutier 1794.

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Noirmoutier protestent contre leurs engins car, à leurs yeux, ils pillent la ressource. Ces

chaluts peuvent à chaque trait balayer, avec une ouverture de plus 12 mètres, une surface très

importante et ramener un très grand nombre de poissons.

La baie de Bourgneuf et le port de La Bernerie

Carte de la baie de Bourgneuf en 1823

A observer la baie aujourd’hui, on a peine à imaginer que cette baie fut pendant de

nombreux siècles fréquentée assidûment par des navires de toutes tailles, en offrant un havre

apprécié des capitaines. Louis Lacroix29 indique que les premiers navires de charge à

fréquenter la baie furent les nefs romaines. Puis les Anglos saxons et les pirates normands

fréquentent les ports de la baie jusqu’au XIIIe siècle avant d’être remplacés par les marchands

de la ligue hanséatique. La piraterie contrarie le commerce au XIVe siècle mais celui-ci

reprend son essor aux XVe et XVI e siècles. En 1542, il y avait plus de 400 navires au

mouillage devant Bourgneuf. Au XVIII e siècle, les ports de Bourgneuf et de la Bernerie

armaient pour Terre Neuve et la pêche à la morue. Les navires de forts tonnages fréquentent

les ports de Noirmoutier et de Pornic jusqu’au début du XX e siècle.

Mais cette Baie n’est pas sans danger pour la navigation. Hormis au Nord et à

l’entrée de la baie, la cote est basse, encombrée de plateaux rocheux recouverts d’eau et de

banc de vase. Pour éviter tous ces dangers, seuls quelques amers remarquables aident les

pilotes30. Pour augmenter la difficulté, comme le rappel le capitaine L. Lacroix, les courants

29 Dans son livre "La Baye de Bretagne"30 Pilotes des cotes entre la Loire et La Bidassoa 1873. Edition de l’estran

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de marées sont parfois forts et capricieux. Par exemple, au passage du Gois, il n’y a que 4

heures de flots et 8 heures de jusant alors que partout ailleurs, le courant de marée s’inverse

toutes les 6 heures. Seuls les habitués de la baie et les pilotes pouvaient se jouer de ces

difficultés et ne pas risquer l’échouement.

Le commerce maritime est très répandu dans tous les ports et abris de la baie. Les

échanges se font entre les ports de la baie (Bourgneuf, Noirmoutier, Bouin, La Bernerie..),

avec les ports situés en Loire (Paimboeuf, Le Pellerin, Nantes), les ports de la façade

atlantique (Bordeaux, Port Louis…), les ports de la Manche et de la mer du Nord (le Havre,

Dunkerque..). Il ne faut pas oublier également les destinations internationales avec les ports

de la mer du Nord et de la Grande Bretagne. A cela, il convient d’ajouter l’activité de

construction navale qui était très importante et ce pendant plusieurs siècles. La baie de

Bourgneuf est également un vivier énorme pour les armateurs, de toute la région voir des pays

étrangers, en quête d’équipage. Les marins et capitaines de la baie sont très appréciés pour

leurs nombreuses qualités.

Le Port de la Bernerie ou plus exactement la rade foraine abritée des vents dominants

par le plateau des petits et grands rochers, ou plateau de la Forme, est un abri prisé par les

chattes. C’est à l’abri des « grands rochers » et de ceux de « Fort Avril » que sur des corps

morts et ce jusqu’en 1868 mouillèrent les chattes. De là, elles pouvaient gagner le large par la

passe du Rocher Vert et aussi par le passage de Chattes. Les chattes peuvent dès que la

hauteur d’eau leur permet de flotter, rejoindre les lieux de pêche avant les autres bateaux, du

fait de leur fond plat et de leur quille horizontale. Les courants sont sensibles en baie de

Bourgneuf et conditionnent les heures de départ des bateaux suivant les lieux de pêche

choisis. L’évolution naturelle de l’environnement a rendu cet abri de plus en plus exposé au

mauvais temps. Louis Lacroix estime que l’érosion de la ceinture rocheuse pouvait atteindre 2

à 3 millimètres par an. Deux causes principales peuvent expliquer cette érosion : L’action de

la mer avec le mouvement journalier des vagues qui viennent user cette roche friable et

l’action de l’homme venant récolter le goémon, voir prélever des pierres pour la construction.

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Au fil des siècles, l’envasement de la baie de Bourgneuf devient de plus en plus

important : les étiers du marais s’envasent, l’accès aux différents ports du fond de baie est

très délicat et finit par être impossible (l’accès au port de Bourgneuf fut impossible à la fin du

XVIII e siècle)31. La modification naturelle de la baie, l’action de l’homme avec l’assèchement

du marais, l’absence d’entretien des étiers et les nouveaux moyens de transports ont fait que

les échanges commerciaux évoluèrent et l’activité maritime ne perdura que sur l’île de

Noirmoutier et le port de Pornic.

Le port de la Bernerie réussit à garder une petite activité, avec des hauts et des bas,

jusqu’au XX e siècle grâce à la pêche. Peu de travaux d’infrastructures furent engagés pour

créer un véritable abri et les chattes disparurent définitivement de la baie au cours de la

deuxième moitié du XIX e siècle.

Zone de mouillage devant La Bernerie

Conclusion :

La Chatte de La Bernerie (ou de la Baie) est un bateau véritablement intéressant à

plus d’un titre et mériterait que l’on puisse entreprendre une reconstitution. Nous ne pouvons

pas, faute de modèle ou de plan d’époque, nous appuyer sur un support tangible.

L’association PATRIMOINE MARCHE DE BRETAGNE MARAIS BRETON a déjà avec

31 Documents de Jean Pierre Rivron (AP2M)

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l’aide de l’école d’architecture de Nantes réfléchit sur le sujet et dessiné un plan. Ce travail a

permis la fabrication d’une maquette navigante qui apporte déjà quelques réponses

encourageantes. Il n’est pas déraisonnable, dans un avenir proche, d’envisager la construction

d’une Chatte de La Bernerie avec probablement de nouveaux plans et une démarche plus

patrimoniale. Ceci nous permettrait de retrouver le savoir-faire de nos anciens tant pour la

construction que pour la manœuvre d’un bateau amphidrome typique (voir emblématique) de

notre baie. On peut également penser qu’une reconstitution de pêche au chalut en dérive

latérale présenterait un intérêt patrimonial (ethnique et culturel) certain. Les interrogations

sont encore nombreuses mais les écrits du capitaine Louis Lacroix sont incontournables et

s’imposent comme source principale de notre réflexion.

Exposition à l'école René Guy Cadou de La Bernerie

Cette Garzette est une contribution à la démarche plus générale « identité du Pays deRetz » menée par la Société des Historiens du Pays de Retz.Ce numéro spécial est diffusé gratuitement aux membres de l’Association Patrimoine Marchede Bretagne Marais Breton des Moutiers en Retz. Hors Association, il est diffusé gratuitementsur demande sous forme électronique et moyennant 5 euros sous forme papier et parcourrier. Toutes les remarques de lecteurs sur ce texte sont les bienvenues ([email protected])

Association Patrimoine Marche de Bretagne Marais Breton (P2MB) des Moutiers en Retz Déclarée en Sous-préfecture de Saint Nazaire en 1997 n°0443009654 Loi de 1901Domaine de Lyarne 44760 Les Moutiers en RetzAntenne de la Société des Historiens du Pays de Retz

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