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Mémoire 53 par Jean-Claude TRINQUET AUTEMPS DUCAÏFFA C a ï f f a «CAÏFFA ! CAÏFFA !»… C’est ainsi que s’annonçait dans nos villages, il y a plusieurs décennies, un marchand ambulant poussant devant lui une petite voiture. Certains lecteurs s’en souviennent- ils ? ou en ont-ils tout simplement entendu parler par leurs parents ? Mais qui était «le Caïffa» ? En réalité ce nom était donné au per- sonnage colporteur employé par la maison «Au planteur de Caïffa». Celle-ci, fondée à la fin du 19e siècle par M. et Mme Michel Cahen, était, à l’origine, une société importatrice de café qui en assurait la torréfaction et la distribution. Cette société connut très vite un certain succès, dû parti- culièrement à la qualité de son café, et prit rapidement de l’extension : elle ouvrit de nombreux magasins en province, surtout en milieu rural, lieu où les gens connaissaient des diffi- cultés d’approvisionnement. Elle créa ainsi de nombreuses succursa- les (environ 400 avant la Seconde Guerre Mondiale) dans de petites vil- les et de gros bourgs : par exemple, en Morvan et en bordure, nous en trouvons à Saulieu, Arnay-le-Duc, Avallon, Corbigny, Luzy, Château- Chinon … C’est à partir de celles-ci que de nombreux colporteurs parti- ront en tournée dans la campagne environnante comme ont pu en constater de nombreuses personnes.

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Mémoire

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par Jean-Claude TRINQUET

AUTEMPS DUCAÏFFA

Caï

ffa«CAÏFFA ! CAÏFFA !»…C’est ainsi que s’annonçait dans nosvillages, il y a plusieurs décennies,un marchand ambulant poussantdevant lui une petite voiture.Certains lecteurs s’en souviennent-ils ? ou en ont-ils tout simplemententendu parler par leurs parents ?Mais qui était «le Caïffa» ? En réalité ce nom était donné au per-sonnage colporteur employé par lamaison «Au planteur de Caïffa».Celle-ci, fondée à la fin du 19e sièclepar M. et Mme Michel Cahen, était, à l’origine, une société importatrice decafé qui en assurait la torréfaction etla distribution. Cette société connuttrès vite un certain succès, dû parti-culièrement à la qualité de son café,et prit rapidement de l’extension :elle ouvrit de nombreux magasins enprovince, surtout en milieu rural, lieuoù les gens connaissaient des diffi-cultés d’approvisionnement. Ellecréa ainsi de nombreuses succursa-les (environ 400 avant la SecondeGuerre Mondiale) dans de petites vil-les et de gros bourgs : par exemple,en Morvan et en bordure, nous entrouvons à Saulieu, Arnay-le-Duc,Avallon, Corbigny, Luzy, Château-Chinon … C’est à partir de celles-cique de nombreux colporteurs parti-ront en tournée dans la campagneenvironnante comme ont pu enconstater de nombreuses personnes.

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C’est ainsi que nous avons retrouvé des clichésde leur passage à Alligny-en-Morvan et à laFiole, à l’époque hameau important de

Planchez. On peut lire sur les voitures que celuid’Alligny vient de Saulieu, celui de la Fiole étant rattaché à Corbigny.Au même moment, d’autres marchands ambulantscirculaient également, comme le montre cette cartepostale ancienne représentant la digue des Settons,mais on ne peut les confondre avec le Caïffa : onreconnaissait facilement celui-ci grâce à sa petitevoiture en bois – caisson monté sur 2 roues à essieu

et une roue mobile à l’avant et peint au nom du«Planteur de Caïffa» - ainsi qu’à sa casquette, salivrée vert foncé, et sa sacoche en bandoulière. Anoter l’attribution par la «Maison» d’une tenue griseen été et verte en hiver.Il s’approvisionne donc à la succursale locale qui,elle-même, reçoit ses commandes d’abord par voiturespuis à la gare la plus proche ; ainsi se crée un réseaude distribution très dense dans pratiquement toutela France (dans l’Est, la Normandie, la Bretagne, leCentre, l’Auvergne … notamment).

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La maison-mère est située à Paris : les bureauxet l’usine de torréfaction dans le 14e arrondis-sement. Une usine de conditionnement est

construite en 1909 à Malakoff où l’on trouve égale-ment les ateliers d’emballage (sacs puis caisses pourl’expédition en province) : c’est le point de départ dela marchandise à bord d’un grand nombre de voitu-res à chevaux et de charrettes à bras. A cette époque, la Société possède même sonHarmonie (75 exécutants) et ses colonies de vacancesréservées aux enfants des employés. Elle participeégalement à la diffusion de cartes postales«réclame», en Auvergne notamment, où figure le slogan : «les meilleurs cafés sont au «Planteur deCaïffa».

Dans les années 20, on trouve l’existence d’un jour-nal «Le Caïffa» (photos-reproduction du journalpage suivante) (peut-être en existait-il déjà avantcette date …). Il s’agit d’un mensuel illustré édité au13, rue Joanès à Paris; il était destiné aux clients etl’on y trouvait «la nomenclature des produits propo-sés» ainsi que «les ventes réclames» et les cadeauxremis aux bons clients par les Service des Primes : eneffet, il est intéressant de noter la création par laSociété d’un service de timbres de fidélité que les ménagères collaient sur un carnet qui, une foisrempli, leur permettait de choisir un cadeau offertpar la Maison (petite astuce pour fidéliser la clien-tèle et que l’on retrouve encore de nos jours sousdifférentes formes…) Figurent également des articles sur la mode ou des notes politiques, desarticles divers, des mots croisés et de nombreux dessins et histoires humoristiques. �

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Sur le numéro de l’été de l’année 1937, onsignale même les nombreuses succursales desbords de mer (près de 200) à la disposition des

baigneurs en vacances !

La spécialité de base restant avant tout le café dontelle peut proposer plusieurs variétés, la Maison aélargi progressivement sa gamme de produitsrépondant ainsi aux principales demandes desclients : épicerie générale et mercerie entre autres.C’est donc une voiturette d’un demi-mètre cube,bien garnie, que les colporteurs avaient à pousserpar tous les temps et sur toutes sortes de chemins,allant de maison en maison et de ferme en ferme,pour proposer aux ménagères aussi bien sardines enboites, sucre, lessive, poivre brut … que café ! S’yajoutaient parfois fil, aiguilles, boutons et dés à coudre. Leurs tournées étaient souvent longues etépuisantes et ils devaient, dans ce cas, trouver chezdes fermiers ou des particuliers compatissants unabri pour la nuit, dans la paille le plus souvent, parfois dans un vieux lit.

Par ailleurs, le métier rapportait peu car les habi-tants des villages étaient pauvres et le bénéfice prélevé par le colporteur était de l’ordre de 10% , cequi n’était guère payé pour ce travail pénible.

C’est ainsi que pour le soulager un peu, le colporteurutilisait quelquefois un précieux auxiliaire : le plussouvent un chien, parfois deux, ou encore un petitâne.En effet, autour des années 20, dans certainesrégions de France, l’utilisation du chien était assezcourante pour l’accomplissement de tâches à lamesure de ses moyens. Employé fréquemment dansle Centre, on le trouve également lié au petit com-merce dans d’autres régions. Des cartes postalesanciennes nous le montrent notamment à Briarepour le ramassage du lait, dans les Cévennes où ilest utilisé pour le Service de la Poste, en Normandiepour ramener les produits de la mer, à Sully-sur-Loire pour conduire les enfants à l’école loin de leurdomicile ou encore à Pont-de-Beauvoisin (Isère) oùil est utilisé par un médecin de campagne (appelé«médecin des pauvres»)…

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En Morvan, il semble que plusieurs de ces atte-lages aient existé, dans la région deVillapourçon notamment (renseignements

oraux) ; mais, à ce jour, un seul a pu être identifiéavec certitude (celui que l’on retrouve en tournée àla Fiole).L’animal était attelé à la voiture soit par un collierrembourré, soit par une bricole de poitrine. A l’époque, les préfets étaient chargés de veiller à l’uti-lisation de ces animaux et même d’interdire leuremploi dans certains cas ; il existait d’ailleurs uneloi, la loi Grammont (de 1850) sur la protection deces animaux contraints de tirer certaines charges.

Ce personnage du «Caïffa», à la silhouette bien par-ticulière, participait comme de nombreux ambulantsde cette époque (rémouleurs, vanniers, rempailleursde chaises…) à la vie de la France rurale. Toutefois,contrairement à certains trimardeurs (vagabonds,nomades sans travail, maraudeurs, mendiants …)souvent auteurs d’actes malveillants, le Caïffa,visage connu, était très attendu dans les campagnes,aussi bien par les enfants dans l’espoir d’une sucre-rie («M’man, vins vite v’lai l’Caïffa !» ) que par lespersonnes isolées qu’il approvisionnait et auprèsdesquelles il « colportait » les dernières nouvelles.

C’est ainsi que, pendant plusieurs décennies, nosaïeux habitants bourgs et villages guettaient sasilhouette devenue familière (caïffa était mêmedevenu dans la plupart des régions un nom communde métier).Concernant son activité pendant la Première GuerreMondiale, nous avons peu de renseignements ; maison peut penser que, vu l’approvisionnement difficileet la mobilisation humaine importante, elle connutune période de ralentissement. Puis ce fut à nouveau, entre les 2 guerres, une époque de prospérité ; l’épicier ambulant avait toujours sa casquette mais les moyens de locomotion n’étaient

plus les mêmes : le cheval,tirant une charge plus impor-tante, avait remplacé lechien…

Au début de la SecondeGuerre Mondiale, le fils dufondateur, Albert Cahen, vic-time d’une loi contre les juifs,dut céder la direction de «laMaison» à M. Couture, l’un deses adjoints. La guerre 1939-45affaiblit considérablement lamaison et amena une modifi-cation de son fonctionnement :beaucoup de petites succursa-les furent supprimées et, parsuite, le colporteur à la cas-quette verte disparut définiti-vement du paysage…Toutefois, quelques magasinssubsistèrent encore un certain

temps après la guerre. Considérons le cas deChâteau-Chinon : la boutique «le Caïffa», situéeavant la guerre, rue des Fossés, était tenue par M. etMme Devière (on se souvient encore du personnage,de ses tournées en ville avec la célèbre petite voitureà 3 roues ainsi que de son passage dans certainshameaux d’Arleuf – à Voucoux notamment – avecune voiture à cheval vers 1927-1930). Leur succédè-rent M. et Mme Delacroix de 1934 à 1939 dans unmagasin situé rue du Marché ; mobilisé pendant laguerre, M. Delacroix ne reprendra son activité qu’en1950. A l’époque, les tournées dans les villages sefont avec une camionnette Citroën. �

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Pendant une courte période, en l’absence de M.Delacroix, le commerce fut en partie assuré parM. Boulet avec un dépôt au Pont - d’Yonne

(hameau de Château-Chinon Campagne).La Maison-mère «au Planteur de Caïffa» se séparede sa succursale de Château-Chinon en 1951. C’estalors que M. Delacroix décide de reprendre l’épicerieà son compte, mais... on l’appellera toujours «leCaïffa»…(A noter que le cas de rachat de succursa-les est fréquent après la guerre). Son secteur devente reste le même : Château-Chinon Ville et sur-tout les hameaux de Château-Chinon Campagne etArleuf ; il se déplace alors avec un fourgon Renaultacheté en 1951; c’est ainsi qu’à Arleuf il prend sesrepas à l’auberge Druon-Leroy .Il cessera définitive-ment son activité vers les années 1970, ayant atteintl’âge de la retraite.

D’ailleurs, à partir de cette époque , prenant en quelque sorte le relais, un certain nombre de commerçants ambulants (épiciers, boulangers, bouchers, poissonniers …) sillonneront les villagesdans les zones rurales et même, un peu plus tard,des camions frigorifiques apporteront plats cuisinéset surgelés à domicile…

Revenons à la Société elle-même : qu’est-elle deve-nue ? En 1962, elle fusionne avec une autre sociétécréée à peu près à la même époque «La Maison duCafé», fondée par les deux frères argentins DellaValle , et ce, sous le nom d’UFIMA. En 1977, cettedernière est rachetée par Douwe Egberts qui est elle-même rachetée par Sara Lee Corporation. Elle faitactuellement partie des trois plus grands torréfac-teurs du Monde.

De la société «Au Planteur de Caïffa» du départ, quereste-t-il actuellement ?

- Quelques cartes postales anciennes, témoignagesde l’importance de cette société et de la vie ruralede l’époque.

- Des documents (journaux, réclames …) et desobjets (voitures, tenues vestimentaires) que l’onpeut trouver dans les musées, en particulier au

«Musée des anciens commerces» au quartier deSoulanger à Doué-la-Fontaine, près de Saumur.

- Des témoignages de l’existence et des activitésdes premiers colporteurs de «Caïffa» (on en parledans des livres régionaux, notammment dans l’ouvrage «Pierres qui roulent» de Gérard Boutet,Jean-Cyrille Godefroy éditeur…)

- Le nom d‘un pont («Pont Caïffa») situé au-dessusde la voie ferrée qui relie Gouzeaucourt à Villiers-Guislain (département du Nord) et qui a été mentionné pendant la guerre de 1914-1918, cartémoin de combats meurtriers

- Quant aux anciens bâtiments «Au Planteur deCaïffa» à Malakoff qui servirent un moment àFrance Tétécom, leur démolition programmée en2004 devrait permettre la construction de bureauxdestinés à des Caisses de Retraite Complémentaire(en 2008) …

SOURCES• Wikipédia : Caïffa.• «La France paysanne» Serge Zeyous (Larousse).• «Le Caïffa» par Joseph Richard.• Renseignements et documents

fournis par M. Guy Delacroix (Guy «Caïffa»).• C.P.A. collections privées.• Témoignages oraux.• Remerciments : M. Guy Delacroix. Mme Michèle Leclerc.

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