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Hoboken, dans le New Jersey, a comme beaucoup de villes américaines une
origine européenne. En effet, il existait une ville du nom de Hoboken dans
le nord de la Belgique. Cependant, cette origine « étrangère » de la ville
prend tout son sens dans la deuxième décennie du XXe siècle : Hoboken,
par sa proximité d'Ellis Island, où débarquent les immigrants, voit sa
population se développer notamment grâce à l'arrivée d’européens
cherchant à vivre le « rêve américain ». Ainsi, les Allemands, les Irlandais,
puis les Italiens s'y installent successivement (sans compter les
Yougoslaves, Grecs, Belges, Néerlandais…). C'est dans cette vague
d'immigration qu’arrivent aux États-Unis les parents de Frank Sinatra,
Marty et Dolly Sinatra. Son père arrive en Amérique avec ses parents en
1895 et sa mère en 1897. Originaires respectivement de Sicile et de
Gênes, ceux-ci, avec leur famille, s'intègrent tout naturellement dans la
communauté italienne présente à Hoboken. En effet, comme dans
beaucoup d'autres villes américaines, une « Little Italy » s'y est
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constituée. Ainsi repliée sur elle-même, la communauté italienne cherche à
se protéger en préservant sa culture, organisée en particulier autour de
l'église catholique et du système du padrone, système de népotisme
proche de l'entraide familiale, qui donnera notamment naissance à la
Mafia.
Francis Albert Sinatra naît le 12 décembre 1915 dans l'appartement de
ses parents Marty et Dolly Sinatra dans la ville de Hoboken dans le New
Jersey. Il est ainsi le fils unique d'immigrants italiens de première
génération. Son contexte familial est celui de centaines de milliers
d'autres. Étant né à Hoboken, il passe sa jeunesse en face de New York
et des gratte-ciel de Manhattan, de l'autre côté de l’Hudson. Son origine
italienne représente beaucoup pour lui et constitue une des clés de sa
personnalité. Son milieu familial et son éducation sont essentiels pour
comprendre la tonalité et l'orientation de sa carrière, ainsi que maints
aspects de sa vie personnelle. Ce sont eux qui le conduisent à réaliser le
fameux rêve américain, qu'il partage avec des millions de gens.
Les parents de Frank Sinatra, comme tous les nouveaux immigrés, sont
trop pauvres pour bénéficier des avantages de la société de consommation
des années 20. Ainsi Marty Sinatra est employé comme cordonnier, puis
comme docker mais pratique la boxe pour arrondir ses fins de mois sous le
3
pseudonyme Marty O’Brien, parce qu'il vaut mieux alors à Hoboken passer
pour un Irlandais que pour un Italien. Dolly Sinatra, elle, est employée
dans une confiserie industrielle. Cependant, avec la Prohibition à partir de
1920 et la crise économique en 1929, tous deux se mettent à exercer des
activités à la limite de la légalité. Marty entretient des relations avec les
bootleggers, contrebandiers d'alcool pendant la Prohibition ; « il faisait
partie des tâcherons, a dit Frank en 1986. Son travail consistait à suivre
les camions d'alcool pour qu’ils ne soient pas détournés ». Dolly, quant à
elle, est aussi sage-femme et pratique des avortements clandestins. Les
activités illégales du cercle familial dans lequel grandit Frank Sinatra
seront souvent employées par ses plus grands détracteurs pour expliquer
les relations étroites qu'il entretiendra plus tard avec la pègre et ses
représentants les plus notoires.
L'enfance de Frank, dans les années 1920, est très différente de celle de
ses petits voisins pour une raison simple, il est enfant unique, chose rare à
l'époque dans la communauté italienne. Bien plus tard, il confiera à sa
femme Nancy, quant elle a eu son premier bébé : « j'espère que tu ne
manqueras pas d’en avoir d'autres. Moi-même, j'ai été solitaire. Très
solitaire. ». Frank souffre du fait qu'il n'a ni frère ni soeur : il n'a
personne pour le protéger face aux autres enfants, pas toujours tendres
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dans le quartier. C'est dans ses années d'enfance qu'il forge son
caractère, notamment sa détermination et son indépendance : Frank est
avant tout un solitaire.
Frank entretiendra une relation étrange avec sa mère tout au long de sa
vie. C'est une femme autoritaire et manipulatrice, qui n'hésite pas à être
grossière autour de son fils. Par exemple, elle surnomme une de ses
petites-filles «Little S*** » (« Petite M**** »). Dolly gâte énormément
Frank : elle consacre une grande partie de son budget à l'habillement de
son fils, elle lui achète une voiture pendant la Grande Dépression...
Cependant il lui arrive d'être violente avec lui : parfois, elle le frappe avec
un bâton pour après le prendre dans ses bras. Elle aimera son fils pendant
toute sa vie comme n'importe quelle mère, mais elle aura toujours
l'impression que son succès ne suffit pas. Pour elle, « le verre sera
toujours à moitié vide ». « Sa relation avec sa mère aura même un impact
sur sa musique : Frank ressentira toujours le besoin de faire en sorte que
les mères de son public l’aiment dans ses spectacles, afin de les manipuler
et de les cajoler jusqu'à ce qu'il soit exactement comme sa mère. Sa
relation avec sa mère fera de lui ce qu'il sera avec ses maîtresses » .
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Frank ne se sent pas à sa place à l'école. Il passe le plus clair de son
temps à imiter les chanteurs qu’il écoute à la radio, en rêvant de suivre
leurs traces. Il ne reste qu'un trimestre à la Drake Business School de
Hoboken avant de se mettre à chercher du travail. Il travaille
successivement dans un chantier naval, dans une papeterie, sur les docks...
Mais il ne pense qu'à la musique et commence à se produire avec de petits
orchestres dans les bars et les clubs de la ville, au grand dam des
ambitions de ses parents. La scène musicale américaine de l'époque est
marquée notamment par Bing Crosby. Avec son style décontracté et
naturel, il apparaît comme un antidote à la crise. Il se produit ainsi à
guichets fermés au Paramount Theater de New York en 1932. Son humour
fait mouche, au cinéma comme la radio. Il se met à vendre des milliers de
disques, ce qui est inespéré pour une industrie sinistrée. C'est ce même
Bing Crosby que Frank Sinatra aperçoit, assis au milieu d'une foule de
trois mille spectateurs au théâtre Loew de Jersey City. À cette époque,
Bing Crosby est le héros de Frank. « Je me disais : il a l'air si facile. À
cette époque, son style était si coulant. Je me disais que, si j'arrivais à
être coulant comme ça, je ferais moi aussi un vrai malheur » déclare
Frank en 1958. C’est ce concert qui donne à Frank sa véritable conviction
de devenir chanteur.
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Après être devenu une petite gloire locale en se produisant dans plusieurs
clubs de Hoboken, Frank intègre le groupe The Three Flashes, qui devient
les Hoboken Four. Le groupe passe une audition en 1935 pour l'émission
The Amateur Hour. Retenu, le groupe remporte son premier succès à la
radio avant de partir en tournée sur tout le territoire des États-Unis.
Cependant, le succès monte à la tête de Frank et celui-ci devient irritable.
Son tempérament, hérité de son père, et son mauvais caractère, accumulé
durant toute sa jeunesse solitaire, le mènent à se disputer régulièrement
avec les trois autres. Un jour, à Spokane, Frank se prend un coup de poing
de son partenaire Fred Tamburro : il rentre alors à Hoboken. La nouvelle
carrière solo de Frank a du mal à décoller. Après plusieurs petits
engagements, Frank est finalement engagé au Rustic Cabin en 1938, où il
se produit régulièrement, accompagné seulement du pianiste du club.
« Il y avait des nanas à la pelle autour de lui. Je me demandais ce qu’elles
lui trouvaient. » (Harry Schumann, membre des Bill Henri’s Headliners, à
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propos des spectacles de Frank au Rustic Cabin)
Le mauvais caractère n'est pas la seule facette de la personnalité de
Frank qui se manifeste à cette époque. En effet, Frank est déjà un
véritable séducteur. Après avoir fait l'expérience de plusieurs amours de
jeunesse, c'est en 1934 que Frank rencontre Nancy Barbato. La légende
voudrait que Frank, âgé alors de 18 ans, ait séduit Nancy en lui chantant
une chanson accompagné à la guitare hawaïenne sous un porche. Bien que
les deux tourtereaux soient amoureux et aient prévu leur mariage pour le
4 février 1938, leur couple se heurte à plusieurs écueils. Tout d'abord,
comme ses propres parents, les parents de Nancy voient d'un mauvais oeil
les ambitions artistiques de Frank. C'est pourquoi Mike Barbato, le père
de Nancy, essaie en vain de l'employer comme plâtrier… Ensuite, Frank
reste un séducteur dans l'âme et ne peut s'empêcher de faire la cour à
d'autres jeunes filles. Ainsi, le 26 novembre 1938, Frank est accusé de «
violation de promesse de mariage » après avoir fréquenté une certaine
Antoinette Della Pente et lui avoir promis de l'épouser. Antoinette étant
déjà mariée, elle dépose une nouvelle plainte contre Frank, cette fois-ci
l'accusant d'adultère. L'affaire fait grand bruit dans les journaux locaux
et n'échappe pas à Nancy. Malgré cet épisode le mariage a bien lieu.
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« A cette époque, le swing est la musique. Les Count Basie, Benny
Goodman, Glenn Miller ou encore Tommy Dorsey sont les musiciens
emblématiques de l'ère des big bands. Ces temps heureux suscitent la
nostalgie : ils sont habités par l'effervescence, le plaisir et le style, et
par un charme fou. Les big bands sont avant tout des orchestres de
danse. Apparus dans les années 20, ils se développent dans les années 30,
et connaissent leur apogée dans les années 40, avant de décliner ensuite.
En effet, l'arrivée du rock & roll et de la télévision change les goûts et
condamne les grandes formations. Mais ces big bands sont importants car
ils comblent le fossé entre le « hot jazz », popularisé par des musiciens
comme Louis Armstrong, et quelque chose de plus « acceptable ». Pour
l'américain blanc moyen, les big bands sont en effet une fenêtre sur les
rythmes noirs, une possibilité d'écouter de la musique de jazz sans
franchir la ligne. »
« J'ai senti les cheveux se dresser sur ma nuque. J'étais sûr qu'il allait
devenir un grand chanteur ». Harry James, en écoutant Frank Sinatra au
Rustic Cabin
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Alors qu'il écoute la radio, Harry James entend Frank Sinatra chanter
depuis le Rustic Cabin. Envoûté par sa voix, et puisqu'il cherche un
nouveau chanteur pour son orchestre, Harry se rend dans le New Jersey
pour le rencontrer. En voyant Harry James au Rustic Cabin, Frank est
éberlué. Angoissé, il chante quand même Begin the Beguine, au premier
rang du hit-parade à la fin de 1938 grâce à son interprétation par Artie
Shaw. Harry James est véritablement subjugué. Il offre à Frank un
contrat de 75 $ par semaine : Frank fait désormais officiellement partie
de l'orchestre de Harry James.
En tant que chanteur de Harry James, Frank donne plusieurs concerts à
New York au long de l'année 1939 et amorce même une tournée nationale.
Au début, Harry considère que « Sinatra » sonne beaucoup trop italien. En
effet, à l'époque, les chanteurs et musiciens italo- américains ne sont pas
légion. Harry propose alors à Frank de changer son nom en « Frankie Satin
», comme sa chanteuse, Marie Antoinette Yvonne Jasme, l’a fait en
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devenant « Connie Haines ». Bien entendu Frank refuse (« Le changer ?
C'est une blague ? »). Bien que l'orchestre travail sans arrêt, il a des
soucis d'argent, et Frank est toujours aussi ambitieux. Harry James
confie d'ailleurs à son propos au magazine Downbeat : « Il se considère
comme le plus grand chanteur du show-business. Vous imaginez ? Personne
n'a entendu parler de lui. » Cependant, c'est en tant que chanteur de
Harry James que Frank est cité pour la première fois dans une revue
musicale. En effet, le journal Metronome écrit de bonnes critiques à son
encontre. L’ego et l'ambition de Frank sortent alors grandis de la lecture
de ces premières bonnes critiques.
Lorsque Tommy Dorsey, dont l'orchestre est numéro deux dans le pays,
lui propose en novembre 1939 un contrat à 125 $ par semaine, Frank
accepte sans hésitation. C'est un grand pas pour sa carrière mais Frank
regrette de devoir quitter Harry James, pour qui il garde une grande
estime et qui restera pour lui un grand ami tout au long de sa vie.
Dès le départ Frank est inquiet. Compte tenu du niveau de l'orchestre de
Tommy, il sait que ce ne sera pas facile. Alors que dans l'orchestre de
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Harry James Frank avait été chaleureusement accueilli et appréciait
l'atmosphère détendue, Tommy est très exigeant et fait régner une
discipline très stricte au sein de son orchestre. Cependant Frank
s'illustre rapidement comme la deuxième vedette du groupe. Il est
annoncé comme « virtuose romantique » dans ses tournées. C'est même
avec l'orchestre de Tommy que Frank entre pour la première fois au hit-
parade en mars 1940 avec Polka Dots and Moonbeams.
Le professionnalisme de Tommy impressionne énormément Frank. En
particulier, la maîtrise technique de Tommy fascine Frank. « En effet, le
jeu de Tommy au trombone lui apporte beaucoup pour sa technique vocale
: « la chose qui m'a le plus influencé, c'est la manière dont Tommy jouait
du trombone. Il jouait longtemps en continu, apparemment sans respirer,
pendant huit, dix, peut-être seize mesures. Je m’asseyais derrière lui, sur
le banc de l'orchestre, et je l'observais, pour essayer de voir où il
respirait. Mais sa veste ne bougeait même pas. Finalement, j'ai découvert
qu'il avait un petit trou secret au coin de la bouche, pas un véritable trou
mais un petit coin par où il respirait. Il prenait une brève inspiration et
jouait encore quatre mesures de plus sans respirer. Pourquoi un chanteur
ne pourrait-il pas faire la même chose ? ». En fait, Frank va le faire, ce
qui lui vaudra de devenir «The Voice ». Cette manière de prendre une
inspiration au milieu d'une note sans la casser est aussi un truc des
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chanteurs amérindiens. » Frank travaille aussi son souffle d'une autre
manière : il s'entraîne, fait de la course en chantant et fait des longueurs
en récitant sa chanson dans la tête.
« En scène, même alors, Frank se comportait comme le président. Son ego
était très développé » (Connie Haines)
Lorsque des crispations apparaissent au sein du groupe, le tempérament
de Frank refait surface. Tout d'abord, des crispations naissent entre
Frank et Buddy Rich, le batteur du groupe et troisième forte personnalité
de l'orchestre. En effet, il semble que Buddy devient jaloux du succès de
Frank et commence à montrer de l'hostilité à son égard. La tension
culmine à New York, dans les coulisses de l'hôtel Astor. Après avoir été
insulté par Buddy, Frank lui jette un guichet plein d'eau et de glaçons à la
figure, l’évitant de justesse. D'après des témoins, le pichet a heurté le
mur si fort que les glaçons sont restés plantés dans le plâtre. Ensuite, des
tensions naissent entre Frank et Connie Haines après qu'elle est engagée
comme deuxième vocaliste en avril 1940. Frank voit cette nouvelle
concurrence d'un mauvais oeil. Elle racontera que Frank ne l'a pas laissée
s'approcher de son micro. En manière de rétorsion, elle choisit un type en
uniforme dans la salle et ne chante que pour lui. La chose n'est guère
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appréciée par le public et met Frank dans l'embarras.
Tout au long de l'année 1940, le succès monte véritablement à la tête de
Frank : des groupies l’accueillent en criant à chacun de ses spectacles, il
tourne son premier film (Las Vegas Nights) dans laquelle il fait une très
brève apparition et il « tombe amoureux » de l'actrice blonde Alora
Gooding. Nancy apprend cette dernière incartade et son mariage avec
Frank est de nouveau en danger, malgré la naissance de leur première
fille, Nancy, le 8 juin 1940. Cependant Nancy reste pragmatique : elle
habite dans un bel appartement, et son mari gagne bien sa vie... Après
avoir constaté que sur les 15 titres classés par l'orchestre au hit-parade
en 1941, seuls trois sont des morceaux où Frank ne chante pas, ce dernier
commence à sérieusement envisager une carrière solo. Sy Oliver,
arrangeur de Tommy Dorsey, dit de lui : « même alors, Frank avait
l'étincelle, cette énorme confiance en lui, et on savait déjà qu'il ferait un
malheur. Quand il se trouvait sur la scène, on sentait qu'il était le patron.
Tommy était comme ça. » Frank finit par enregistrer quelques titres en
solo parallèlement à sa tournée avec Tommy en 1942 (Night and Day entre
autres).
« Maintenant, j'appartiens à moi-même » (Frank, après le procès qui
l'opposait à Tommy)
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Vers la fin de la collaboration entre Tommy et Frank, leurs relations se
détériorent: un problème de contrat contraint Frank à payer 33 % de ses
bénéfices à Tommy, et Frank se lie d’amitié avec Axel Stordahl,
arrangeur de Tommy, pour ses futures chansons. Finalement, Frank paie
Tommy pendant six mois avant de décider que ça suffit. L'opposition
entre les deux hommes atteint son paroxysme lorsque Tommy décide en
1943 d'attaquer Frank en justice. La chose est jugée en août : Frank
accepte de payer 60 000 dollars qu'il se fait prêter par Norman Weiss
(son nouvel agent) et par la Columbia, avec qui il a signé un nouveau contrat
en 1942. Cependant, cet épisode de la vie de Frank voit apparaître les
premières rumeurs à propos de ses liens supposés avec le crime organisé.
En effet, il est dit que de supposés gangsters, amis de Frank, ont
contraint Tommy à abandonner sa « créance »... Frank est enfin
indépendant et peut véritablement se lancer dans une carrière solo.
La séparation de Frank et de l'orchestre de Tommy coïncide avec un
grand tournant de la musique populaire. « Les chanteurs et chanteuses
vont devenir les rois et les reines, et les orchestres vont passer au rôle
de faire valoir. Sans doute, dans cette évolution, le talent et la popularité
de Frank ont leur importance. Quand un phénomène de ce type émerge
dans une maison de disques, les autres essaient de trouver un autre
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champion pour lui damer le pion. Pendant longtemps, c'est Frank qui va
ainsi faire office de lièvre pour la Columbia. Par ailleurs, en même temps,
une grève des musiciens commencée en 1942 plante le dernier clou dans le
cercueil des big bands. Un chanteur comme Frank peut enregistrer sans
orchestre, mais pas un orchestre... »
Le succès est au rendez-vous pour Frank. Déjà, jusqu’en décembre 1942,
Frank joue dans beaucoup de shows radiodiffusés sur CBS. En 1943,
beaucoup de ses titres sont diffusés à la radio, dont quelques nouveaux (A
Touch of Texas, Please Think of Me…) et certains anciens qu'il a chantés
avec l'orchestre de Tommy (Just As Though You Were Here…). Il
commence de plus à donner quelques récitals en solo. Cependant, le
premier de ses engagements qui témoigne de son succès est celui qui
l'amène à chanter dans un spectacle au Paramount Theater de New York
dont Benny Goodman est la vedette à la fin décembre 1943. Au moment
d'entrer en scène, Frank est annoncé comme The Voice That Has Thrilled
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Millions (« la voix qui est électrisé des millions de fans »). C’est à partir
de ce moment que le surnom de The Voice lui colle à la peau. Frank
enchaîne alors les succès. En 1943, Frank participe pour la première fois à
une émission susceptible de le propulser vers la gloire. Your Hit Parade
diffuse en direct et devant un public les succès du moment, avec un
chanteur, une chanteuse et un orchestre.
Comme il est écrit en mai 1943 dans Metronome : « Your Hit Parade
apporte à Frank une audience nationale, même si elle ne lui permet pas
d'exprimer vraiment sa personnalité ». Cependant, l'émission
hebdomadaire rencontre un véritable succès. Frank enchaîne aussi les
spectacles (au Hollywood Bowl de Los Angeles en août 1944 notamment)
et les tubes enregistrés en studio (You’ll Never Know est classé sixième
en octobre 1943…). Il se voit aussi enfin offrir son premier rôle en
vedette de cinéma dans Higher and Higher (Amour et Swing). Comble du
bonheur, son deuxième enfant, Frank Jr. naît en janvier 1944. Ces succès
témoignent de la nouvelle tendance dans le monde de la musique : le
chanteur est désormais la vedette du groupe, et Frank en est le premier
et le meilleur exemple.
« C'est lui qui a permis au chanteur de devenir la vedette de l'orchestre »
(Le jazzman Jon Hendricks)
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C'est à cette époque que naît ce qui sera plus tard appelé le Sinatra
Swoon, c'est-à-dire la réaction presque hystérique des fans les plus
fidèles lors des concerts de Frank. En fait, George B. Evans, l'attaché de
presse de Frank y est pour beaucoup. En effet le plan de George est
simple. Il engage quelques filles et les entraîne à cette sorte
d'évanouissement et de gesticulation qui va devenir célèbre comme la
Sinatra Swoon (« vapes de Sinatra »). « En même temps, il apprend à
Frank à utiliser le micro dans son jeu de scène, à le toucher et à le
caresser. L'aspect sexuel de la prestation de Frank est alors déjà
manifeste, et il va encore largement s'affirmer dans les années qui
viennent. Dans certains morceaux, Frank dialogue en chantant avec les
adolescentes, lesquelles doivent hurler des réponses suggestives!
Rapidement, les trépignements mémorisés des fausses fans entraînent la
contagion chez les vraies, et l’hystérie collective s'installe » . Les plus
jeunes et plus hurlantes des adolescentes qui viennent à ses concerts sont
baptisées bobby-soxers (« fillettes en socquettes »). Le succès auprès
des jeunes filles est d'autant plus au rendez-vous que beaucoup des petits
copains ou des maris de ces filles sont enrôlés dans l'armée et envoyés
sur le front. Cette sensualité dans le jeu de scène de Frank lui attire la
foudre de beaucoup de détracteurs. En effet, dans une société encore
très conservatrice, un tel spectacle est jugé tendancieux, choquant et
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immoral.
Dès le début de la guerre, et comme beaucoup d'autres artistes, Frank
s'engage en faveur de l'effort de guerre. Déjà en 1941, alors qu'il est
encore un membre de l'orchestre de Tommy Dorsey, Frank apparaît dans
un spot publicitaire diffusé à la radio en compagnie de Tommy
encourageant les auditeurs à financer l'effort de guerre par des
emprunts. De 1943 à 1947, Frank grave des V-Discs, CD destinés
exclusivement aux forces armées, dont une version très appréciée par les
G.I. de Nancy (With the Laughing Face). Il participe de plus à des
événements visant à recueillir de vieux disques destinés à être vendus au
poids en soutien de l'effort de guerre. Cependant, bien que les G.I. et la
société américaine tout entière apprécient l'effort mis en oeuvre par
Frank, il est beaucoup question de son éventuelle incorporation dans
l'armée. En effet, énormément de stars hollywoodiennes se sont non
seulement engagées dans l'armée, mais ont aussi risqué leur vie sur le
front : Clark Gable devint commandant et participa à des missions de
forteresses volantes à travers l'Europe, James Stewart pilota des
bombardiers B-17 et B-24...
Le 22 octobre 1943, à Jersey City, Frank répond à la convocation d'un
médecin de l'administration locale de l’US Army. Officiellement, Frank
vient confirmer son aptitude au service militaire. Normalement, il pourrait
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s'attendre à être appelé dans les jours qui suivent compte tenu du stade
crucial atteint par l'effort de guerre contre le Japon et l'Allemagne à
cette époque mais Frank se préoccupe plus de ses spectacles et de ses
émissions de radio. Entre ce 22 octobre et le 9 décembre, Frank, d'abord
jugé apte au service, est finalement déclaré inapte. Sur le bulletin
d'examen physique et d’incorporation visé par le médecin-capitaine en
charge de son dossier, J. Weintrob, il est indiqué que Frank est classé 4-
F (inapte au service, pour raisons médicales). Les résultats de l'examen
physique mentionnent en effet une perforation du tympan gauche, une
mastoïdite chronique et, concernant l'état mental du chanteur, une
instabilité émotionnelle. Le médecin-capitaine déclarera plus tard que «
lors de l'entretien psychiatrique, le patient a déclaré être parano, avoir
peur de la foule, des ascenseurs, avoir envie de s'enfuir en courant quand
il est entouré de gens ». Quand on connaît la personnalité de Frank, on a
des raisons de se poser des questions sur la légitimité de ce rapport, ce
que feront rapidement les autorités et la presse.
Le FBI s'empresse d'enquêter sur l'élaboration de ce rapport et sur les
conditions de l'examen. Selon le New York Mirror, le FBI enquêterait sur
une somme de 40 000 $ remise par Frank aux médecins qui l'ont examiné.
Par ailleurs, un ancien camarade d'école de Frank aurait déclaré que celui-
ci n'avait « pas plus de problèmes de tympan que le général MacArthur ».
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Après avoir auditionné le médecin en charge de l'examen, le FBI ne
parvient pas à prouver l'existence d'un quelconque pot-de-vin. Cependant,
ce n'est pas le FBI qui heurte le plus la sensibilité de Frank. En effet, les
critiques de la presse sont très virulentes. Le journal de l'armée lui-
même, le Stars and Stripes, qualifie Frank de « trouillard ». Un autre
journal, avec plus d'humour mais non moins de cruauté, le dit « sourd à
l'appel du clairon ». Frank souffre de plus d'une très mauvaise image
auprès des G.I. qui, en plus de manquer de courage, séduit leur petite amie
restée à la maison... Pour redorer son image, Frank participe à partir de
juin 1945 en Italie aux spectacles de l’USO Tour, destiné à divertir les
soldats à l'étranger. Contrairement à ce qui aurait pu être prévu, Frank
est plutôt bien accueilli. Le spectacle a été bon selon les critères de
l'USO, et les G.I. ont aimé. Au cours de sa tournée pour l'USO Tour,
Frank se produira 17 fois en 10 jours, devant 97 000 membres des forces
armées.
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Malgré toutes les mauvaises critiques dont il est l'objet, Frank enchaîne
les succès : dans les charts avec, entre autres, If You Are But A Dream,
I Should Care et You’ll Never Walk Alone et au cinéma avec en 1944 la
sortie de Anchors Aweigh, dont il partage la vedette avec Gene Kelly. Les
deux marins US dansant sur des lits reste un morceau d'anthologie... De
plus, Frank signe un contrat de cinq ans avec la MGM. Cependant, cette
époque de la vie de Frank est surtout marquée par ses engagements en
faveur de la tolérance raciale.
À cette époque, Frank est parfois trop direct dans ses commentaires, et
ses opinions politiques commencent à poser problème. George Evans
s'inquiète de ce qu'il va dire et faire, alors qu'en vérité c'est en partie à
l'incitation de celui-ci que Frank exprime davantage ses opinions. George a
voulu que Frank soit considéré comme plus qu'un simple chanteur. Si, d'un
point de vue professionnel, George est mis en difficulté par les
conséquences de certaines prises de position, sur le plan personnel, il
partage les mêmes idées que Frank. Ce dernier décide alors de s'engager
publiquement en faveur de causes qui lui tiennent à coeur. Frank va
notamment s'illustrer comme un fervent défenseur de l'égalité raciale.
On peut trouver l'origine de cet engagement notamment dans l'admiration
qu'il a toujours éprouvée pour certains chanteurs noirs comme les Boogie
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Woogie Boys, dont il partage l'affiche dans un concert donné en 1939,
Billie Holliday, Mabel Mercer, les Mills Brothers ou encore Nat King Cole.
Dans un sens, la musique est l'un des principaux vecteurs de la lutte
contre la discrimination raciale.
« Hier soir, je t’ai vu dans un court-métrage, je suis fier de toi, Frank,
parce que ce film sera une grande contribution à la cause de la tolérance.
» (Gene Kelly, le 28 novembre 1945)
Le premier grand coup médiatique de Frank est la sortie du court-
métrage The House I Live In, dans lequel Frank, en répétition pour la
radio, s'interrompt pour parler à un groupe de jeunes des dangers des
préjugés et de l'antisémitisme. Si le film semble aujourd'hui un peu
désuet, son contenu et les messages de Frank restent valables. « Vous
voyez, les gars, la religion ne fait pas de différences, sauf peut-être pour
un nazi ou quelqu'un d'aussi crétin. Des gens dans le monde entier adorent
Dieu de plein de façons différentes. Dieu a créé tout le monde, il n’a pas
créé un peuple meilleur qu'un autre. » De plus, les paroles de la chanson
interprétée par Frank, The House I Live In (That’s America To Me) sont
à la fois importantes et pertinentes. Frank se doit alors de prendre
position, et cela n'a a priori rien de promotionnel. Il cherche là à
23
manifester une intégrité qui sera sa marque au long de sa carrière, et de
sa vie. Ce film lui vaudra non seulement un grand respect de la part des
autres artistes et une grande partie de la société américaine, mais aussi
l'Oscar du meilleur court-métrage en 1946.
Dans l'entourage de Frank, on prend la décision de capitaliser sur la
couverture médiatique positive suscitée par ce court-métrage. Étant
donné les réactions négatives provoquées par l'absence de service
militaire de Frank, c'est là un parfait antidote. Frank s'identifie
pleinement aux messages de tolérance raciale, qu’il n'adopte pas
seulement pour des raisons purement altruistes... Comme presque
toujours en pareil cas, le mélange des genres (showbiz et politique) est
une stratégie à haut risque. Frank commence alors une tournée des écoles
pour transmettre son message de tolérance, de Harlem à Philadelphie en
passant par Gary dans l'Indiana, où un groupe d'élèves refusant d'avoir
des noirs pour condisciples a amorcé une grève, soutenu par certains
notables locaux.
En décembre 1945, Frank est honoré par la Conférence nationale des
chrétiens et des juifs pour sa « contribution à la cause de la tolérance
religieuse et de l'unité parmi les Américains ». En janvier 1946, il se voit
remettre une autre récompense, cette fois « pour son combat courageux
en faveur de toutes les minorités ». Le 11 février, à l'issue d'un sondage
24
national, Frank figure parmi six blancs et douze noirs honorés dans le
cadre de la Semaine de l'Histoire des Noirs pour leur contribution à
l'unité nationale... Dans le film It Happened In Brooklyn (Tout le Monde
Chante), Frank interprète Ol’ Man River, chanson qui relate les
lamentations d'un esclave dans une plantation du Sud (voir les paroles
Annexe 5). Cependant, dans le film Frank est en costume blanc, entouré
d'un orchestre lui aussi tout de blanc vêtu ; le magazine Life qualifie la
prestation de Frank de « summum du mauvais goût ».
« Il suffit de parler cinq minutes avec Frank Sinatra pour se rendre
compte combien il est sincère dans son combat pour les enfants ». (Louella
Parsons, LA Examiner, 30 Septembre 1945)
En 1946, la cote de popularité de Frank n'a jamais été aussi élevée : non
seulement il bénéficie d'une très bonne image grâce à son engagement en
faveur de la tolérance raciale, mais artistiquement il enchaîne les succès
(les tubes se succèdent, il sort son premier album, The Voice, il figure à
l'affiche de plusieurs films et il a même reçu un Oscar...). Cependant, ce
succès ne change pas sa personnalité. Au contraire, celle-ci aura
largement l'occasion de resurgir dans les années qui suivent. Cette fois-ci,
l’hyper médiatisation de toutes ses frasques lui coûtera très cher, non
25
seulement pour sa carrière, mais aussi pour sa vie personnelle.
A cette époque, la vie de Frank va devenir un enfer pour son attaché de
presse : son image va souffrir pour plusieurs raisons. Son image de
manifestant politique pacifiste tombe en ruine lorsque ses relations avec
la mafia deviennent de plus en plus évidentes. Accusé d'avoir un caractère
exécrable et d'être un communiste militant, Frank est mis au ban de la
société conservatrice des années Truman et Eisenhower. Le chanteur
romantique perd de son charme lorsque ses relations extra conjugales
sont révélées au grand public. Pour couronner le tout, Frank essuie des
échecs retentissants dans sa vie professionnelle.
La Prohibition en 1920 a donné naissance à la mafia telle qu'on la connaît
aujourd'hui aux États-Unis. Beaucoup de mafiosi qui ont émigré là-bas
depuis le début du XXe siècle et qui se sont employés dans l'extorsion des
infortunés nouveaux immigrants italiens, sont devenus conscients des
profits réalisables dans le domaine de la contrebande et du trafic
clandestin d'alcool, ce qui leur permit d'accroître leur pouvoir. Beaucoup
26
des survivants de ces « années folles » du crime organisé ont émergé
comme de véritables parrains dans les années 30 et ont conservé leur
pouvoir depuis. » A Hoboken, dans les années 20, la communauté Italo-
américaine fut confrontée à ce genre de crime organisé. Frank a de ce
fait grandi dans un environnement marqué par le pouvoir des gangsters.
Marty n'a-t-il pas été employé par les bootleggers pour assurer la
sécurité de leur chargement ? En tant que fils d’immigrants siciliens ayant
grandi dans un tel environnement, Frank répond à presque tous les
critères pour être soupçonné par les autorités d'entretenir des relations
avec la mafia, dont le pouvoir après la guerre atteint un niveau inégalé
jusqu'alors.
En 1947, après avoir accepté une invitation, Frank se rend à Miami Beach
pour séjourner chez la famille Fischetti. Les trois frères Fischetti,
27
Rocky, Charlie et Joe, sont des cousins d'Al Capone que Frank aurait
rencontré à la fin de 1945. Au début de 1946, Frank leur aurait rendu de
petits services à New York en échange de chemises confectionnées par un
tailleur. Nul ne sait si Frank est au courant des activités des Fischetti,
mais il est difficile de croire qu'il ne sait pas quel genre d'hommes ils
sont. Les hommes du milieu possèdent la plupart des lieux où Frank se
produit depuis le début sa carrière. Ainsi vont les choses à l'époque.
Après avoir rendu visite aux frères Fischetti, Frank se rend à Cuba afin
de retrouver Lucky Luciano, le chef de la mafia. Luciano est en exil à Cuba
depuis qu'il a fui les États-Unis. Dans cette période précastriste, Cuba
est le paradis du jeu, de la drogue et de presque tout ce qui est illégal.
C'est presque devenu un protectorat de la mafia Italo américaine. Luciano
a décidé de réunir les principaux acteurs de la mafia. Personne n'est en
mesure de dire si Frank connaît ou non les véritables motifs de la réunion
ou s'il a simplement cru ce que Luciano racontera plus tard à son
biographe : « c'était en l'honneur d'un garçon italien venu du New Jersey
et du nom de Frank Sinatra. » Si l'on a pensé un temps qu'il s'était
montré naïf en se rendant à La Havane, on s'est également aperçu qu'une
fois sur place il n'a pas été pressé de s'en aller...
« Tout cela était le fruit d'un pur hasard » (Frank au sujet de l'affaire de
Cuba)
28
Lorsque l'affaire est rendue publique, beaucoup de journalistes en
profitent pour prendre le train en marche. Lee Mortimer du New York
Daily Mirror contacte discrètement le FBI pour obtenir des
renseignements complémentaires ; en échange, il donne au FBI une photo
de Frank prise à Cuba prétextant qu'elle pourrait aider à identifier un
autre homme présent sur le cliché. Mortimer a fouillé dans le passé de
Frank et découvert les inculpations d'atteintes aux bonnes moeurs dont
ce dernier a fait l'objet dans le New Jersey avant la guerre. Il est facile
d'imaginer la colère de Frank au vu de ces révélations. L'affaire ne
s'arrête pas là. L'une des premières rumeurs colportées veut que Frank
ait donné deux millions de dollars en liquide à Luciano de la part des
frères Fischetti en la transportant dans une mallette. Lorsque cette
allégation est rendue publique, Frank répond avec dérision : « si vous
pouvez me trouver une mallette qui peut contenir 2 millions de dollars, je
vous offre les 2 millions de dollars ! ». Jerry Lewis, un ami de Frank
depuis très longtemps, rapportera plus tard que Frank a transporté de
l'argent pour la mafia à plusieurs occasions. Une fois, il aurait presque été
pris : « selon Jerry Lewis, Frank serait passé à la douane avec une
mallette contenant 3,5 millions de dollars en liquide mais les officiers se
seraient résolus à ne pas la fouiller à cause de la foule qui criait et qui
poussait autour de Frank… »
29
En décembre 1950, une commission spéciale chargée d'enquêter sur les
crimes commis dans le cadre du commerce entre Etats est créée sous la
présidence du sénateur démocrate Estes Kefauver. Après avoir interrogé
certains des plus puissants mafiosi, Kefauver décidé d'interroger Frank
Sinatra. Frank affirme ne connaître aucun des mafiosi soupçonnés, même
s’il les a croisés ici ou là. Il résume ses relations avec ces personnages en
ces termes : « bon sang ! Quand on est dans le showbiz, on rencontre plein
de gens, et on ne sait pas qui ils sont ni ce qu'ils font. » Il y a un soupçon
de vérité dans ses propos. En effet, il est probable que beaucoup d'autres
artistes aient rencontré des personnages de ce genre en jouant à travers
les États-Unis. Mais Frank les connaissait plutôt mieux que la plupart de
ses confrères. En 1947, au sommet de sa gloire, n'a-t-il pas chanté au
mariage de la fille de Willie Moretti ?... Heureusement pour Frank, la
commission décide de ne pas le convoquer pour les audiences télévisées,
ce qui aurait pu ruiner sa carrière. Ainsi, rien n’est prouvé quant aux
relations entre Frank et le crime organisé. Ces rumeurs ne suffisent pas à
réduire sa carrière en morceaux, mais l'image de Frank sera très
sérieusement affectée.
Les excès d’humeur de Frank ne sont pas chose nouvelle. Cependant,
maintenant que c'est une vedette hyper médiatique, le moindre de ses
excès fait les choux gras de la presse.
30
« Hier soir, Frank Sinatra, l'idole des midinettes, a été impliqué dans une
bagarre aux poings typique de Hollywood » (extrait d'un article du Los
Angeles Times du 9 avril 1947)
« Frank ne va pas bien. Et je parie que, quand il ira mieux, nous
n'entendrons plus parler de son fameux tempérament. » (Louella Parsons,
Modern Screen)
Frank éprouve une haine particulièrement vive contre les journalistes.
Déjà en 1946, il se voit décerner le prix de « la star la moins coopérative
» de l'année par le club de la presse féminine de Hollywood. Cette même
année, il expédie un télégramme incendiaire au critique théâtral Erskine
31
Johnson : « continuez à publier des mensonges, et mon humeur, et non
mon tempérament, fera en sorte que vous preniez un gnon dans votre
méchante et stupide tronche. » Cependant, l'illustration la plus célèbre du
mauvais tempérament de Frank a lieu le 8 avril 1947. Lee Mortimer, celui
qui avait fouillé dans le passé de Frank lors de l'incident de La Havane,
écrit une mauvaise critique à l'égard de Frank pour son film It Happened
in Brooklyn. C'est la goutte qui fait déborder le vase pour Frank ; il
déclare à son entourage « qu'il veut casser la gueule de Mortimer ».
Trois semaines plus tard, par un pur hasard, les chemins de Frank et de
Mortimer se croisent à la sortie d'un restaurant très fréquenté
d'Hollywood. À la fin du repas, Mortimer se lève et s'en va. Au même
moment, Frank se lève aussi avec trois de ses amis et le suit, le rattrape
sur le trottoir, et le frappe devant le restaurant en le traitant de f***ing
homosexual. La presse s'empresse de relater l'incident et Frank se
retrouve inculpé pour coups et blessures. Bien qu'il soit libéré sous
caution, la presse du groupe Hearst, pour lequel travaille Mortimer,
s'acharne contre lui. Par exemple, un article publié par le Los Angeles
Examiner l'accuse d'avoir attaqué Mortimer, le questionne sur ses
relations avec Luciano, conteste ses positions sur la tolérance raciale et le
défie de nier « avoir soutenu les communistes ou des associations
32
affiliées au front communiste ».
Le tribunal fini par lui imposer de présenter des excuses publiques à
Mortimer. « Frank déclare « regretter amèrement » l'avoir frappé « sans
avoir été provoqué » et poursuit en assurant que Mortimer n'a fait aucune
remarque désobligeante à son sujet. Il a dû lui en coûter beaucoup si l'on
songe au caractère haineux de certaines insultes proférées par le
journaliste (voir l’exemple d’un de ses articles contre Frank Annexe 7).
Ironie du sort, deux jours après la bagarre, il s'est rendu à New York
afin de recevoir le prix Thomas Jefferson en hommage à son engagement
contre la ségrégation raciale… » Cet incident illustre la complexité de la
personnalité de Frank, et alimente la confusion entre les véritables
opinions de Frank et ses idées pour entretenir son image.
« Je suis aussi communiste que l’est Winston Churchill » (Frank, dans une
interview le 15 avril 1947)
L'un des problèmes de Frank et d'autres artistes réside dans la paranoïa
qui, après la guerre, touche le communisme est tout ce qui y ressemble
vaguement. Le FBI et certains journalistes oeuvrent main dans la main
pour établir des liens entre nombre des associations pro-juives et anti-
33
ségrégation et le communisme. Par exemple, Frank se rend en 1946 à un
bal organisé par la Free Italy Society. Cette organisation est réputée
antifasciste, ce qui, dans l'esprit de certains, la rend de facto
communiste. Les investigations du FBI se feront plus pressantes dans les
années qui suivent. Un rapport du FBI daté du 13 septembre 1946 indique
que Frank et l'un des parrains de la Croisade pour mettre fin au Lynchage.
Cette organisation projette un pèlerinage à Washington le 23 septembre,
un défilé « mené par des anciens combattants blancs et de couleur ». Le
rapport poursuit : « ce spectacle rouge est encore une manifestation
ourdie par les communistes dans le but de répandre l'agitation et la
méfiance envers le mode de vie américain ». Toutes ces accusations,
relayée par la presse du groupe Hearst, perdureront encore des années.
En 1948, Kenneth Goff écrit un pamphlet contre Frank en l'accusant non
seulement d'être communiste, mais aussi de chercher à endoctriner de
force ses jeunes fans hystériques…
En 1951 est publié à Chicago, patrie des Muddy Waters ou encore de John
34
Lee Hooker, un single annonciateur de la révolution musicale à venir, le
bouillonnant Rocket 88 de Jackie Brenston & his Delta Cats sur lequel
brille le piano de Ike Turner. Certains n’hésitent pas à dire que Rocket 88
est le premier disque de rock’n roll, mais il est plus adapté de dire que ce
disque a contribué à ouvrir la voie à une nouvelle ère musicale inspirée des
rythmes du sud des Etats-Unis, qui prendra toute son ampleur grâce aux
succès de Jerry Lee Lewis, Chuck Berry, Fats Domino, Little Richard, Bo
Diddley ou encore Elvis Presley dans les années cinquante. L’irruption de
cette nouvelle mode ne menace pas immédiatement les tenants de
l’ancienne école dont Sinatra est le fleuron, mais les maisons de disques,
de plus en plus conscientes des retombées possibles du phénomène
affichent un intérêt croissant pour ces nouveaux artistes, tout en
mettant la pression sur les épaules des chanteurs traditionnels. En effet,
ceux-ci ont de plus en plus des exigences de résultat. La musique n’est pas
la seule à subir une métamorphose. Le cinéma américain connaît après-
guerre une forte expansion due en partie à l’internationalisation de sa
diffusion. De plus, l’arrivée de la télévision, sans pour autant menacer
l’hégémonie de la radio, influence radicalement la manière dont les gens
entendent et voient la musique. Frank va subir de plein fouet ces
métamorphoses.
35
Le contrat de Frank avec la MGM, signé en 1944, a été très longtemps
menacé par son comportement imprévisible, ses caprices, ses relations
extraconjugales avec Ava Gardner notamment (voir infra) et par ses
accusations de sympathie pour le communisme. Cependant, depuis Anchors
Aweigh en 1945, aucun film avec Frank à l’affiche n’a été un succès,
notamment The Miracle of the Bells (Le Miracle des Cloches), the Kissing
Bandit (Le Brigand Amoureux) et Double Dynamite. Le nom Sinatra ne
semble plus attirer les foules. Dans l'ensemble, Frank n'a pas rapporté à
la MGM les dollars escomptés, ce qui constitue une raison suffisante pour
se débarrasser de lui, sans compter sa « grande gueule ». En 1950, Louis
B. Mayer, le producteur de Frank, se blesse dans un accident de cheval.
Un jour, Frank se gausse de cet accident, disant que Louis est plus
certainement tombé de Ginny Simms (une actrice, maîtresse de Mayer).
Lorsque celui-ci l’apprend, furieux, il déclare à Frank : « je veux que vous
partiez, et que vous ne reveniez jamais ! » Cet accrochage contribue à
mettre fin de facto au contrat de Frank avec la MGM.
La première de The Frank Sinatra Show a lieu le 7 octobre 1950 sur la
chaîne CBS. L'émission est diffusée le samedi soir. Apparemment, Frank
se comporte très mal sur le plateau. Son producteur déclarera : « il
détestait répéter et refusait de discuter du format hebdomadaire.
Généralement il ne prêtait aucune attention aux prestations des invités. »
36
Il arrive souvent trois heures en retard aux répétitions. Une première
série d'émissions dure jusqu'au 9 juin 1951, la deuxième commence le 9
octobre 1951 et s'achève le 11 juin 1952. Selon Jack Gould du New York
Times, Frank ne possède pas « la personnalité nécessaire pour soutenir
une émission de soixante minutes ». Lorsque les chiffres d'audiences sont
publiés pour la deuxième saison, on constate que Frank est loin derrière
son concurrent direct sur la chaîne NBC, Miton Berle. Frank devra
attendre cinq ans pour avoir une nouvelle émission régulière.
Petit à petit, jusqu'en 1950, les concerts de Frank attirent de moins en
moins les foules. Frank lui-même conscient de cette tendance, perd de son
enthousiasme sur scène, ce qui contribue à dissuader encore plus le public
de venir à ses spectacles. De plus, pour la première fois de sa carrière,
Frank a des problèmes de voix. Le 26 avril 1950, vers deux heures du
matin, lors du dernier concert de la soirée ou Copacabana, alors qu'il
chante I Have But One Heart, Frank va chercher une note aiguë et...
rideau. « Rien n'est sorti, absolument rien. Que de la poussière » : c'est
ainsi que, plus tard, Frank se remémorera l'incident. Un médecin annonce
à Frank qu'il souffre d'une hémorragie des cordes vocales. En 1952, après
deux années de concerts médiocres, Frank est engagé au Paramount
Theater de New York pour quelques représentations. C'est pour lui non
seulement le moyen d'entretenir sa carrière, mais aussi de gagner de
37
l'argent dont il a tant besoin. Mais cette série de concerts est un échec.
Selon Downbeat, « Frank Sinatra a l'air fatigué, il semble s'ennuyer, et,
par-dessus le marché, il n'est pas en voix. » Cet échec est retentissant
pour Frank. C'est à ce moment-là qu'il se rend compte qu'il n'est plus la
vedette d'autrefois.
« Voilà, c’est fini, Frank » (Mitch Miller, à la fin de la dernière séance
d’enregistrement de Frank avec Columbia en 1952)
Frank subit de plus en plus la pression de Columbia pour enregistrer des
succès. Cependant aucun de ses titres n'atteint des sommets depuis Good
Night Irene, n°5 en 1950. De plus, Frank est de plus en plus désagréable
lors des séances d'enregistrement. En particulier, ses relations avec
Mitch Miller, son directeur artistique en 1952, sont devenues exécrables.
Quelques années plus tard, Frank dira de celui-ci : « je reconnais que
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c'est un grand musicien, mais je ne peux m'entendre avec lui. » Même les
techniciens ne supportent plus Frank. L'un d'eux, Harold Chapman,
déclarera : « Sinatra était l'un des types et les plus désagréables pour qui
nous avons travaillé, alors nous autres, techniciens et musiciens, nous nous
sommes contentés de nous croiser les bras en le regardant tomber. » Ses
piètres performances dans les charts, associées à son tempérament de
moins en moins supportable ont contribué à l'inéluctable : en juin 1951,
Columbia ne renouvelle pas son contrat. Pire encore, en février 1952,
Frank perd son agent, Lou Wasserman, qui décide de ne plus le
représenter. À cette époque, les tumultes de la vie personnelle de Frank
contribuent à sa descente aux enfers. En particulier, ses relations avec
Ava Gardner seront fatales à sa carrière au début des années 50.
Les dysfonctionnements du mariage de Frank et de Nancy ne sont pas
chose nouvelle. À trente ans, Frank est tout, sauf un mari modèle. Dans ce
monde de paillettes, adulé par les midinettes et par les amis qui lui
répètent qu'il a du génie, il perd peu à peu le contact avec la réalité de la
vie familiale et se révèle incapable d'assumer les engagements et les
responsabilités inhérents au mariage, et la naissance de sa fille Tina en
1945 ne résout rien. Son sens de l'autodiscipline dans le domaine
professionnel l’a pourtant propulsé vers les sommets, mais s'il est une
chose à laquelle il n'a jamais su résister, c'est bien la tentation. Durant
39
l'été 1944, il est révélé que Frank entretient une relation avec Marilyn
Maxwell. Puis c'est sa liaison avec Lana Turner qui lui attire les foudres
de la presse et de sa femme. En effet, « amoureux » de cette dernière
comme un adolescent il annonce à Nancy qu'il la quitte pour l'épouser.
Finalement il reviendra vers Nancy, sauvant de justesse un mariage dont
la précarité de l'équilibre sera mise en péril par une actrice « au visage
d'ange et au corps de déesse », Ava Gardner.
Frank a rencontré Ava pour la première fois alors qu'elle était encore
mariée à Mickey Rooney. Ava et Mickey étaient au Mocambo Club sur
Sunset Boulevard, où Frank donnait un spectacle en 1942. Après avoir
chanté, il se tourna vite vers Ava. Il vint vers elle et lui dit : « Eh,
pourquoi est-ce que je ne t'ai pas rencontré avant Mickey ? Alors j'aurais
pu t’épouser moi-même. » C'est en 1949 qu'ils se retrouvent et
deviennent amants. « Nous sommes devenus amants pour toujours, pour
l'éternité. Je sais que ce sont de grands mots. Mais je pensais vraiment
que, quoi qu'il arrive, nous nous aimerions toujours. Et mon Dieu il s'en est
passé, des choses. » C'est en ces termes qu'Ava raconte les débuts de
leur liaison dans son autobiographie. Ava allait devenir le grand amour de
Frank, un amour désespéré qui sera prêt de le détruire. En décembre
1949, leur relation devient publique lorsqu'ils se rendent ensemble à la
première de Les Hommes Préfèrent les Blondes. C'est alors que se
40
détériorent les relations entre Frank et George Evans. Non seulement il
est devenu difficile de gérer l'image de Frank (George est en effet
opposé à l'idée du couple Frank et Ava), mais Nancy lui demande de régler
la situation avec Ava. Finalement le destin s’en mêle, empêchant tout
espoir de réconciliation : le 26 janvier, George meurt d'une crise
cardiaque.
En 1950, Nancy en a assez des sorties publiques de Frank et d’Ava et
annonce qu’elle se sépare de Frank : « la vie conjugale avec Frank est
devenue très malheureuse et presque insupportable ». Cette séparation
est un coup dur pour elle et pour les enfants dont la mère a la garde. Tina
est alors trop jeune pour comprendre la situation, mais, plus tard, elle se
41
souviendra avoir eu affaire à « un Monsieur très gentil qui traversait nos
vies de temps à autre ».
Frank souffre dès lors d'une très mauvaise réputation. Non seulement il
viole la « clause morale » de son contrat avec la MGM, mais l’Amérique
conservatrice de l'après-guerre a du mal à pardonner à Frank l'abandon
de sa femme et de ses enfants, et ses relations extra conjugales. Ava
aussi est la cible des critiques les plus virulentes. En effet, la « briseuse
de ménage » ne fait pas l'unanimité. Qui plus est, le couple Frank-Ava est
soumis à une médiatisation très intense. Nombreux sont les incidents qui
opposent Frank à des journalistes, un peu trop indiscrets. Malgré tout,
Frank et Ava sont amoureux et ils se marient le 7 novembre 1951, six
jours après l'officialisation du divorce de Frank avec Nancy. Bien que ce
soit un événement heureux pour Frank, ce mariage ouvre la voie à des
années de souffrance. En effet, Frank est extrêmement jaloux, non
seulement des autres hommes qu'Ava fréquente, mais aussi du succès de
sa carrière. Par exemple, en 1950, Frank simule une tentative de suicide
au revolver pour manifester sa jalousie après qu’Ava a rendu visite à Artie
Shaw, son ex-mari, et à sa femme. Lorsque la carrière d'Ava décolle et la
sienne plonge, Frank est plus que jaloux, il est humilié. En 1952, alors que
Frank a été viré de la MGM, Ava obtient un nouveau contrat pour 12 films,
pour 1,2 millions de dollars. Pour couronner le tout, elle y fait insérer une
42
« clause Frank Sinatra », par laquelle la MGM accepte de faire un film
avec Ava où Frank figurera.
À tout juste 35 ans, Frank est déjà un « has been ». Sa carrière semble
derrière lui et l'évolution des modes ne semble pas pouvoir inverser cette
tendance. Sa fierté et son honneur sont bafoués quand on l'accuse de
tous les maux (relations avec le crime organisé, communisme, immoralité,
violence...) et l'humiliation est totale lorsque sa femme non seulement a
plus de succès que lui mais doit l'aider financièrement. Frank plonge alors
dans une dépression. Il va jusqu'à tenter de se suicider en 1951 à Lake
Tahoe en ingurgitant une surdose de somnifères, bien qu'il déclarera
toute sa vie avoir pris par erreur des pilules auxquelles il était allergique.
C'est une dispute avec Ava qui constituait la goutte qui a fait déborder le
vase. Paradoxalement, il s'avère que cette Ava, qui lui a fait tant de mal
pour son image, contribuera au come-back de son mari.
« Frank est fini. Dans un an, on n’entendra plus du tout parler de lui »
George Evans, entretien avec Earl Wilson en 1949
C'est par la grande porte que Frank reviendra sur le devant de la scène :
son art. Il réussira à aller au-delà de son image et à faire ses preuves,
d'abord au cinéma puis dans les studios d'enregistrement, avec l'aide
43
précieuse de ses amis.
Quel plaisir que celui du come-back, même si Frank n'avoue pas être de
retour, puisqu'il n'est jamais parti... Pour Harry Cohn, qui a pris le risque
de confier à Frank le rôle de Maggio dans From Here To Eternity (Tant
qu’il y aura des Hommes), le fait de signer avec Frank représente un pari
risqué. Tout comme Capitol Records, qui relance la carrière musicale de
Frank, Cohn se félicitera d'avoir eu foi en lui, car, durant cette période, il
donnera ses disques les plus homogènes dans l'excellence et certains de
ses meilleurs films.
« Pour l’amour de Dieu, Harry, je vous ferai un film gratuitement si
seulement vous lui faites faire un bout d’essai » (Ava à Harry Cohn)
« Frank a toujours beaucoup lu ; un best-seller en particulier l’a séduit :
From Here To Eternity, un roman de James Jones. Or, il apprend que
Columbia Pictures veut l’adapter au cinéma. Il a envie de jouer le rôle
d’Angelo Maggio, un petit Italien du New Jersey, maigre et opprimé, qui,
malgré tout, garde une fière dignité. Frank s'identifie à cet homme, il sait
d'instinct que ce rôle a été écrit pour lui, il est alors le seul à penser ainsi.
Le réalisateur, Fred Zinneman et le patron de la Columbia, Harry Cohn,
ont déjà décidé d'engager Eli Wallach. Si l’on en croit Ava, elle se serait
44
alors mise à « travailler » Harry Cohn, d'abord par l'intermédiaire de sa
femme, Joan, qu'elle appelle pour plaider la cause de Frank. Ava s'adresse
ensuite à Harry en personne qui lui annonce que le rôle est déjà pourvu.
Frank lui-même ne reste pas inactif : il envoie à Cohn et à Zinneman des
télégrammes qu'il signe « Maggio », exigeant le rôle » . Finalement, après
avoir tourné quelques bouts d'essai, Frank est engagé.
Dès sa sortie le 5 août 1953, le film est un immense succès, à la fois
public et critique. Le New York Post adresse des louanges particulières à
Frank : « il prouve qu'il est un véritable acteur en interprétant le
malheureux Maggio avec une sorte de gaieté lugubre qui est à la fois
authentique et immensément émouvante. » En 1953, c'est le triomphe.
Frank décroche l’Oscar du meilleur second rôle masculin. Lors de la
cérémonie, la foule lui fait une longue ovation. Des millions de
téléspectateurs revoient enfin Frank sourire sur leur écran. S'ensuit une
longue liste de succès cinématographiques, dans lesquels Frank tient le
premier rôle : Suddenly (Je Dois Tuer), Guys and Dolls (Blanches
Colombes et Vilains Messieurs), The Tender Trap (Le Tendre Piège), The
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Man with the Golden Arm (L’Homme au Bras d’Or), qui lui vaudra une
nouvelle nomination aux Oscars...
En 1953, Frank signe un contrat avec Capitol Records. Même si l'agence
William Morris, qui représente à présent Frank, est créditée de la
réalisation de ce contrat, Axel Stordhal y a beaucoup contribué. En effet
sa femme, June Hutton, est une artiste Capitol et son avis a donc pesé
dans la balance. Ce contrat est une aubaine pour Frank.
Paradoxalement, celui qui l’a aidé à obtenir ce contrat, Stordahl, est
remercié par Capitol, qui lui préfère un autre arrangeur, Nelson Riddle.
Frank, conscient de la précarité de ce contrat, ne peut s'opposer à cette
décision. Avec Capitol, Frank enregistre certains de ses plus grands
disques dont Songs for Young Lovers, incluse la chanson I Get A Kick Out
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Of You, Swing Easy, inclus Just One Of Those Things, tous deux sortis en
1954 et Songs for Swinging Lovers, inclus You Make Me Feel So Young et
I’ve Got You Under My Skin en 1956. Au total, Frank publie onze albums
avec Capitol entre 1954 et 1959, sans compter les compilations, un recueil
de Noël et les bandes originales de ses films. Cependant, Frank se pose
des questions sur son avenir chez Capitol. Aucun nouveau 33-tours n'est
apparu sur le marché depuis la sortie en août 1959 de No One Cares. En
réalité, ce silence traduit le mécontentement grandissant de Frank vis-à-
vis d'une maison de disque qui fait la sourde oreille à chaque fois qu'il
demande la renégociation de son contrat.
Après des mois d'un conflit qui oppose Frank à son producteur Glen
Wallichs, PDG de Capitol, ils trouvent un accord : en échange de cinq
nouveaux albums, Capitol accepte de le libérer de ses obligations vis-à-vis
de la compagnie. En 1960, Frank fonde Reprise Records. Il souhaite lancer
une compagnie susceptible de conjuguer intérêts économiques et
artistiques. Pour y parvenir, il compte offrir aux artistes une liberté
créative qu’ils n'avaient pas ailleurs tout en leur proposant des parts de la
société pour mieux les impliquer. Pendant trois ans, Frank enregistre des
disques à la fois pour Capitol et pour Reprise avant de devenir
véritablement son propre patron en n’enregistrant que pour Reprise. En
1963, Frank vend ses parts dans Reprise à la Warner en échange d'un
47
tiers des actions du nouveau label Warner-Reprise. Frank devient alors
véritablement le « Chairman of the Board » (« le Président »), surnom qui
lui sera attribué à partir de cette époque.
« La télévision est un art très difficile. » (Frank Sinatra en 1955)
En novembre 1956, Frank signe un contrat avec ABC qui prévoit vingt et
une émissions musicales de une heure ainsi que dix émissions dramatiques
de une demi-heure. En sa qualité de producteur exécutif, Frank a une idée
très précise de ce qu'il souhaite proposer au public : « si je me plante, je
serai le seul responsable. » En tant que producteur, Frank est très
capricieux au sujet du déroulement de ses shows télévisés. Il n'hésite pas
à bouleverser l'ordre des chansons, le décor, l’ordre de passage des
invités au dernier moment. Finalement, la critique n'est pas unanime au
sujet de son émission. Variety parle d'un « show qui manque encore un peu
de contenu ». En mai 1958 est diffusée la dernière des émissions de
Frank. Décidément, le succès ne sera jamais au rendez-vous à la télévision
pour Frank, le chanteur romantique de la vieille école ne sera jamais aussi
à l'aise devant des caméras de télévision que devant des caméras de
cinéma.
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Au cours des années 50, avec le retour de Frank sur les plateaux de
télévision et de tournage, il a su agrandir son cercle de connaissances. En
particulier, il se lie d'amitié avec certains grands artistes de l'époque qui
finiront par devenir son entourage et former une célèbre bande : le Rat
Pack. Le premier de ces artistes est le chanteur noir de music-hall Sammy
Davis Jr. Déjà lié d'amitié avec lui avant 1955, c'est après l'accident de
Sammy, où celui-ci perdit un oeil que Frank et lui deviennent très proches.
En effet, c’est Frank qui l'aide à se remettre sur pied et l’encourage à
remonter sur scène. Après cela, Frank n'hésite pas à jouer de son
influence pour que la MGM engage Sammy, comme en 1956 avec le film
The Jazz Train. Le deuxième acolyte de Frank est Dean Martin. Bons
amis, Frank donne un rôle à cet ancien duettiste de Jerry Lewis dans
Some Came Running après leur séparation en 1958. La même année, Frank
assure la direction d'orchestre sur le nouvel album de Dean, Sleep Warm.
Le troisième des amis de Frank est Peter Lawford, acteur anglais que
Frank connaît depuis qu'ils ont joué ensemble dans It Happened in
Brooklyn en 1947. Mais c'est surtout sur le tournage de Never So Few en
1958 qu'ils sympathisent et deviennent inséparables dans les événements
mondains. Le dernier à intégrer la bande est le comique Joey Bishop.
Après avoir rencontré Frank plusieurs fois dans des soirées, celui-ci finit
par lui plaire, notamment grâce à son humour pince-sans-rire
49
caractéristique.
Il semble que Sammy ait le premier utilisé le mot «clan » en parlant de la
bande à Sinatra. Quant à Frank et à ses acolytes, ils parlent volontiers de
« sommet » pour désigner l'amicale qu’ils forment ensemble, qualifiant
leurs retrouvailles de « rencontres au sommet ». Ce comportement
adolescent peut prêter à sourire, mais il est bien dans l'air du temps : le
projet cinématographique dans lequel s'est lancé Sinatra, Ocean’s Eleven
(L’Inconnu de Las Vegas), sorti en 1960, évoque une histoire d'amitié au
sein d'un groupe de casseurs. Le livre Rat Pack Confidential de Shawn
Levy, publié en 1998, s'est chargé d'élever ce film au rang de mythe. Las
Vegas constitue un décor idéal pour ce film et pour leurs acteurs. Selon
l’auteur, « contrairement à une légende tenace, les membres du sommet
n'étaient pas surmenés et ne passaient pas leur journée devant les
caméras, leurs soirées à chanter et leurs nuits à boire ». En effet, le
tournage n'est pas éprouvant et quand vient le soir, le spectacle du clan au
casino Sands se déroule dans une ambiance improvisée et bon enfant. Dès
50
lors, cette bande deviendra presque inséparable et incarnera aux yeux du
public la classe et les paillettes du music-hall. Cependant, cet entourage
révèle le besoin toujours pressant de Frank de ne pas se sentir seul.
Constituer une telle bande de copains lui sert sans doute à pallier le
manque d'amour dont il souffre après sa séparation avec Ava et avec
Lauren Bacall (voir infra).
« Je n’arrive ni à manger ni à dormir. Je l’aime » (Frank, au sujet de
l’absence d’Ava en 1953)
Malgré le retour du succès pour Frank, les crises de jalousie perdurent.
En 1953, ils sont souvent amenés à se séparer : Frank doit respecter ses
engagements et Ava doit partir sur des lieux de tournage à l'étranger.
Les crises de jalousie atteignent leur pic à ces moments-là. Selon diverses
sources, les disputes à longue distance au téléphone tiennent souvent
Frank et Ava éveillés toute la nuit. Une fois, pour se venger des
infidélités d'Ava, notamment avec Mario Cabre, un acteur espagnol, il
l’appelle pour lui dire qu'il est au lit avec une autre femme. Ce
comportement montre à quel point Frank peut être comme sa mère. « Bien
qu'il aime Ava de tout son coeur, comme Dolly aimait son fils, il peut être
incroyablement cruel envers ses maîtresses » . La situation devient si
51
tendue que, le 20 octobre 1953, le directeur de l'hôtel dans lequel reste
Frank, le Sands de Las Vegas, diffuse une note à l'attention du personnel
de l'hôtel, au nom de Frank, pour indiquer que l'accès de l'établissement
est interdit à Ava pour le reste de la durée de l'engagement de Frank et
qu'aucun de ses appels téléphoniques doit être transféré vers sa suite.
Une semaine plus tard, Howard Sickling, agent de publicité de la MGM,
annonce au nom d'Ava que « la séparation est définitive et que Miss
Gardner va demander le divorce ». Leur union aura duré presque deux ans,
soit un an de plus que les deux mariages précédents d’Ava.
« Je suppose que c’est fini, si c’est ce que dit Ava. » (Frank, au sujet de
sa rupture avec Ava)
Frank vit très mal cette séparation. Il essaie à tout prix de sauver son
couple. Il décide de se rendre à Rome pour fêter Noël avec Ava, sur le
tournage de La Comtesse aux Pieds Nus, mais celle-ci est déjà partie en
Espagne, vivre une idylle avec le torero Luis Miguel Dominguin. Après que
Frank l’a rejointe, le couple ne passe pas des fêtes très joyeuses et Frank
regagne New York sans avoir réussi à reconquérir le coeur de sa femme.
Humphrey Bogart, grand ami de Frank, expose à Ava une autre façon de
considérer la situation : « la moitié de la population féminine de la planète
52
se jetterait aux pieds de Frank, et te voilà qui gesticules aux côtés de
types qui portent des capes et des petits chaussons de ballerine ». Il est
assez stupéfiant que, dans ce contexte, Frank soit parvenu à remettre sa
carrière sur ses rails. Mais peut-être la raison pour laquelle il a fait cet
effort, c’est l'espoir qu’il lui ramènerait Ava.
Malgré toutes ses nouvelles conquêtes (Debbie Reynolds, Deborah Kerr ou
encore Peggy Connelly...), Frank ne réussira jamais à combler le trou
affectif laissé par Ava. Cependant, il reste pragmatique sur l'état de
leurs relations. En 1954, Frank ne s'oppose pas à la demande de divorce
formulée par Ava, et en 1956 après qu’Ava s'est remariée avec le comique
italien Walter Chiari, il déclare « j'ai trop aimé Ava pour me sentir le
droit de l'empêcher d'être heureuse ». Ava elle-même déclarera plus tard
: « il est si sauvage, si plein d'amour, qu'il est comme trois hommes en un
seul. Mais, derrière la façade du grand buveur et du fêtard, c'est un
homme extrêmement sensible et intelligent, avec un coeur en or. »
Comme avec Ava en 1948, Frank entame une relation qui menace sa
réputation. En effet, Frank s'éprend de Lauren Bacall, et leur relation
s'officialise trois mois et demi après l'enterrement de Humphrey Bogart,
grand ami de Frank et mari de Lauren. Cette relation fait couler beaucoup
d'encre, car non seulement elle est considérée par la presse comme une
sorte de trahison envers Bogart, mais l'absence de Frank à son
53
enterrement laisse supposer que cette relation dure depuis déjà un
moment. Qu'importe, les deux stars forment un « couple régulier ». Leur
relation fait beaucoup jaser, mais, au moins, Frank est-il divorcé à
présent. Et si la plupart de leurs amis sont convaincus qu'il s'agit d'une
simple passade, Lauren Bacall n'hésite pas à parler d'un « amour fou ». En
1958, Frank propose à Lauren de l'épouser. Personne n'est mis au courant
sauf un de leurs amis respectifs, qui finit par tout raconter à la presse.
Frank, convaincu que la fuite vient de Lauren elle-même, se comporte mal
envers elle. Finalement, Lauren en a marre de la volatilité de sa
personnalité et ils finissent par se séparer quelques jours après. Cette
même année, Lauren déclare : « il était tellement marqué par ses
expériences passées et tellement amer après son échec avec Ava. Il
n'était pas prêt à recevoir quoi que ce soit d’une femme. »
L'Amérique de la fin des années 50 est marquée à la fois par la
persistance du conservatisme social des années Eisenhower et par les
balbutiements du mouvement des droits civiques. Dans un tel contexte, les
positions de Frank, exprimées déjà depuis les années 40 trouvent tout
leur écho. Il n'est donc pas surprenant de constater que Frank manifeste
ses opinions de plus en plus ouvertement.
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L'implication de Frank dans le monde de la politique est croissante à
partir de 1960. En plus d'être la simple continuation de son engagement en
faveur des droits civiques, cette implication semble aussi l'expression
d'une ambition affichée de vouloir côtoyer les hommes les plus puissants.
En effet, l'une des raisons pour lesquelles Peter Lawford a intégré le Rat
Pack si facilement et peut-être le fait qu'en 1954, il épouse Pat, la soeur
de John Kennedy… Dans une émission télévisée, il chante une chanson en
l'honneur d’Eleanor Roosevelt, la veuve de l'ex-président américain. Le 7
février, il accueille au Sands, hôtel dont il est devenu le propriétaire (voir
infra), le sénateur John F. Kennedy, en campagne pour les primaires du
parti démocrate. Dolly Sinatra n'est pas peu fière du penchant politique
de son fils, elle qui était la responsable démocrate de son quartier dans
les années 20. Le 11 juillet, lors de la convention nationale démocrate qui
officialise l'investiture de Kennedy par son parti, Frank interprète
l’hymne américain en duo avec Sammy Davis Jr. Au lendemain de la
victoire de Kennedy, l'entourage du nouveau président demande à Frank
d'organiser le bal d'inauguration prévu pour janvier 1961. Son penchant
pour le parti Démocrate et presque aussi fort à cette époque que son
ressentiment envers le parti Républicain. En particulier, la simple
apparition de Ronald Reagan dans une soirée, à l'époque simple acteur
conservateur de série B, suffit à mettre Frank en rogne : « Je déteste ce
55
p***** de Ronnie ! Dès que tu t’approches de ce connard, il se lance dans
un discours et il ne sait jamais de quoi il parle » . Le battage médiatique
entretenu autour de la campagne de Kennedy aura aussi pour effet de
servir de publicité à Frank.
Frank n'a jamais cessé d'avoir des opinions tranchées sur les inégalités
raciales notamment. Seulement, à une époque où le débat fait rage en
Amérique, les prises de position de Frank font énormément parler d’elles.
Par exemple, une semaine après l'arrivée au pouvoir de Kennedy, Frank
participe à un gala organisé au Carnegie Hall de New York par la Southern
Christian Leadership Conference, principale association de lutte pour les
droits civiques des Noirs, où Frank partage la scène avec d'autres
artistes venus en nombre, en présence de Martin Luther King. En dépit de
tous ses efforts, Frank continue d'irriter les plus conservateurs, en
particulier dans les Etats du Sud où des membres du Ku Klux Klan brûlent
56
un pantin à son effigie en 1962, affublé d'une pancarte sur laquelle on
peut lire : « mort au plus grand ami des nègres. » Loin de l'effrayer, de
telles menaces renforcent, d'un côté, sa fidélité aux musiciens afro-
américains avec lesquels il travaille, d'un autre côté, son amitié pour
Sammy Davis Jr. En effet, ce dernier, artiste noir converti au judaïsme,
épouse en 1961 Mai Britt, actrice blanche d'origine suédoise, ce qui fait
couler beaucoup d'encre dans une Amérique encore mal à l'aise vis-à-vis
des mariages racialement mixtes. Sammy honore la fidélité de Frank en
lui demandant d'être son témoin.
« La tournée autour du monde d’un privilégié, pour des enfants qui ne le
sont pas » (Commentaire du film Frank Sinatra for All God’s Children)
Frank ne s'engage pas seulement en faveur des droits civiques, il consacre
beaucoup de temps à d'autres oeuvres caritatives. En effet, sa descente
aux enfers à la fin des années 40 a provoqué en lui un sursaut d'humilité
qui l'amènera plus tard à notamment venir en aide à d'autres artistes
dans la même situation. Par exemple, en 1955, il soutient l'acteur Bela
Lugosi, qu'il connaît à peine sinon par le biais de ses films, après que ce
dernier est hospitalisé pour héroïnomanie. Lugosi déclare : « c'est la seule
star dont j’ai eu des nouvelles ».
57
En 1962, il consacre une tournée internationale à réunir un million de
dollars pour les œuvres qu’il soutient, et évoque l'exemple d'une fillette
aveugle croisée dans un hôpital : « sous l'effet d'un courant d'air, ses
cheveux se sont abattus sur ses yeux et je lui ai dit que c'était le vent.
Alors elle m’a demandé : de quelle couleur est le vent ? » Frank prend
également à sa charge non seulement ses frais, mais aussi ceux de ses
musiciens. Ses récitals en Grande-Bretagne ont donné lieu à un court-
métrage, Frank Sinatra for All God’s Children.
En 1962, Frank est à l'apogée de sa gloire. Il est nommé meilleur chanteur
de l'année 1963, l'un des acteurs les plus prolifiques de la décennie
passée, le « chef » du Rat Pack, emblème des paillettes du music-hall, un
proche du président des États-Unis et une vedette internationale. Que
demander de plus ? Une vie personnelle moins agitée peut-être...
A partir de 1962, les succès ne sont plus aussi récurrents pour Frank. Les
temps changent, et les modes aussi. Ceci coïncide avec un enchaînement
de problèmes personnels et d'événements qui contribuent une fois de plus
à ternir sa réputation. Frank ne retrouvera le succès que des années
après, lorsque le monde verra en ce vieil homme une légende à célébrer.
Peu importe l'époque, Frank reste un chanteur romantique de l'ancienne
école et le retour en force du rock & roll sera fatal pour ces chanteurs, y
compris Frank. De plus, sa carrière cinématographique semble derrière
58
lui. Pour couronner le tout, ce déclin est accompagné d'une lente baisse de
réputation, imputable en particulier à son caractère et ses relations avec
la pègre.
Ainsi que l’a chanté Bob Dylan, « les temps changent », et l'on assiste à
d'importants bouleversements sur les charts avec l'arrivée des premiers
rockers anglais, l'avènement de groupes tels que les Beach Boys et les
Four Seasons, ou encore le début du règne des Supremes et de leur
maison de disques, Motown. De plus, cette décennie est marquée par la
remise en cause des valeurs traditionnelles américaines, incarnées par
Frank aux yeux du grand public. En effet les années 60 voient la naissance
du phénomène hippie.
En 1963, Frank sort Sinatra’s Sinatra, un album plutôt bien accueilli par le
public, mais celui-ci est un recueil de reprises de chansons déjà
enregistrées par Frank. La même année, son recueil des plus belles
chansons de Hollywood est un échec, et son album America I Hear You
Singing est un échec encore plus cuisant. En 1966, le manque d'inspiration
de Frank le contraint à sortir une compilation, A Man And His Music.
Jusqu'en 1971, le déclin musical de Frank est sensible. Cet essoufflement
coïncide avec le début de la carrière musicale de Frank Jr. et de Nancy,
tous deux soutenus très haut par leur père. Cependant, deux grands
classiques constituent des exceptions à ce déclin artistique : Strangers in
59
the Night enregistrée en 1966 et My Way en 1969.
Depuis Ocean’s Eleven en 1960, les succès se font rares pour Frank. Même
le Rat Pack n'est plus une valeur sûre et n'attire plus le public : leur deux
autres films, Sergeants Three (Les Trois Sergents) et Robin and the
Seven Hoods (Les Sept Voleurs de Chicago) sont loin de la qualité de leur
premier. En solo, il arrive que Frank soit encore un grand acteur
dramatique. Dans The Manchurian Candidate (Un Crime dans la Tête),
sorti en 1962, Frank joue le rôle d'un G.I. capturé par les communistes ;
après un lavage de cerveau, ses ravisseurs le programment pour
assassiner le président des États-Unis. Bien que salué par la critique,
Frank insistera pour que le film soit mis au placard après l'assassinat de
Kennedy. Il ne rencontrera jamais le succès qu'il méritait. La longue liste
60
de films qui suivent The Manchurian Candidate seront soit des échecs,
soit des films vite oubliés. Frank tourne notamment des comédies qui
s'avèrent être des navets : Come Blow Your Horn en 1963 et 4 For Texas
(Les Quatre du Texas) la même année. Puis viennent une ribambelle de
films d'action médiocres, dont None But The Brave en 1964, première
réalisation de Frank, Von Ryan’s Express (L’Express du Colonel Von Ryan)
en 1965 et The Naked Runner (Chantage au meurtre) la même année.
Frank est plus connu que jamais. Ses moindres faits et gestes sont hyper
médiatisés. Bien que la presse dit souvent du bien de l'engagement de
Frank contre les discriminations et en faveur d’oeuvres caritatives, celle-
ci se délecte aussi et surtout de toutes ses frasques. La vie personnelle
agitée de Frank contribue à son déclin.
« Le succès n'a pas changé Frank Sinatra. Avant d'être célèbre, il était
déjà connu pour son mauvais caractère, son égocentrisme et son
extravagance. » (Dorothy Kilgallen dans La Véritable Histoire de Frank
Sintra)
Frank ne s'est pas assagi avec le temps, son ressentiment est toujours
aussi fort envers les journalistes. En 1957, Dorothy Kilgallen, journaliste
du Los Angeles Examiner, devient véritablement l’ennemie jurée de Frank.
61
Sa série « la véritable histoire de Frank Sinatra » met le feu aux poudres
: la guerre est désormais déclarée et elle durera jusqu'en 1965. Il
commence par lui envoyer une pierre tombale gravée à son nom, la prend
pour cible pendant ses spectacles, et raille son physique de fouine en la
surnommant « the chinless wonder » (« la merveille sans menton »). Il vise
tellement bas que les critiques se rangent du côté de Kilgallen.
« Le Paradis, pour Sinatra, c’est un endroit où il n’y aurait que des femmes
et pas un journaliste » (Humphrey Bogart)
Loin de s'assagir dans les années 70, Frank se fait de nouveaux ennemis,
et provoque presque des incidents diplomatiques... En janvier 1973, à
Washington, il qualifie Maxine Cheshire, journaliste à scandales, de « pute
à deux dollars ». Peu de temps après, il accepte de s'excuser sur scène, à
sa manière : « j'ai eu tort et je m'excuse. En réalité, c'est une pute à
seulement un dollar. » « En 1974, il annule une tournée en Allemagne parce
que les journaux de là-bas ont fait allusion à ses accointances avec la
pègre. Frank leur rappelle leur passé nazi... La situation se reproduit, en
pire, durant sa tournée australienne de 1974. À Sydney, il refuse de
répondre aux questions de la presse. Durant le concert, l'attaque fuse : «
c'est un ramassis d'abrutis et de parasites qui n'ont jamais rien fait de
62
leur dix doigts ». Scandale national, le pays entier se ligue contre lui et le
gouvernement est obligé de s'en mêler pour permettre à Frank de quitter
le pays » . Il ne remettra plus jamais les pieds en Australie jusqu’en 1989.
« Ils m'ont aidé à devenir ce que je suis aujourd'hui » (Frank, au sujet de
ses « amis » à Frank Ragano en 1962)
Les relations entre Frank et la pègre font encore parler d'elles, et la
décennie de succès que vient de vivre Frank n'est pas épargnée. En
particulier, d'après certains, le retour de Frank en 1953 ne serait pas
seulement dû à Ava... Cette hypothèse devient très répandue lorsque
Mario Puzo publie son roman Le Parrain, dans lequel un personnage
traverse une situation proche de celle de Frank à l’époque. Johnny
Fontane, le crooner du livre, a quitté sa femme et ses deux enfants pour
63
une actrice. Il chante au mariage de la fille Corleone. Dans le bureau du
parrain, il pleurniche sur son sort. Le cinéma ne veut plus de lui. Les
ventes de ses disques sont minables. Sa voix n'est plus ce qu'elle était. Il
voudrait relancer sa carrière d'acteur en jouant dans un film de guerre
inspiré d'un best-seller, mais le propriétaire des studios refuse d'en
entendre parler. Johnny finira par avoir le rôle en question, et un Oscar
pour la même occasion. Même si Frank a toujours assuré n'avoir aucun
point commun avec ce personnage, il est très remonté contre l'auteur et
envisage même de lui coller un procès. L'adaptation du roman en film rend
la situation encore moins supportable pour Frank.
Après la révolution castriste, Las Vegas remplace La Havane en tant que
capitale du jeu et des activités de la pègre. En 1953, Frank devient
copropriétaire du Sands de Las Vegas, dont les nombreux actionnaires
comptent quelques personnages louches dans leurs rangs. En 1961, il
achète le Cal-Neva Lodge, à la frontière entre la Californie et le Nevada,
qu’il transforme en complexe hôtelier de luxe. Cet hôtel va poser
énormément de problèmes à Frank. En effet, en octobre 1962, Frank y
accueille Sam Giancana, le célèbre mafieux, bien que la Commission des
jeux du Nevada lui a strictement interdit de mettre les pieds dans cet
État. La raison de cette invitation demeure floue mais certains affirment
qu'il s'agit d'un renvoi d'ascenseur : Giancana aurait aidé Kennedy à
64
gagner les primaires Démocrates en Virginie occidentale... En 1963, la
Commission convoque Frank et lors de son audition, celui-ci reconnaît que
Giancana a résidé au Cal-Neva Lodge. Le fait que Skinny D’Amato, engagé
par Frank au Cal-Neva, ait tenté d'acheter l'un des hommes de la
Commission ne fait qu’aggraver la situation. Résultat : on lui retire sa
licence et il est contraint de vendre ses parts dans les casinos dont il est
actionnaire. Lors de l'enquête, la Commission a étroitement collaboré avec
le FBI dont le dossier sur Frank s’épaissit chaque année.
En février 1970, Frank est convoqué par une commission du New Jersey
dans le cadre d'une enquête relative au crime organisé. Interrogé sur ses
liens avec Luciano, Fischetti, Giancana et les autres, Frank affirme n'avoir
jamais rien su des activités illégales de ses amis. Au terme de cette
audition, le président de la commission renonce à poursuivre Frank, se
félicitant qu'il ait accepté de coopérer avec la justice. Frank n'est
cependant pas blanchi de tout soupçon, et sa réputation le précède
lorsque la reine d'Angleterre, sur les recommandations de Scotland Yard,
ne le rencontre pas comme prévu lors de son passage à Londres.
En 1960, Frank dépenses des milliers de dollars pour rénover sa résidence
de Palm Springs car il est convaincu que cette maison deviendrait la
Maison-Blanche de l'Ouest pour John Kennedy, et elle servirait de lieu de
vacances pour le président quand il viendrait à Palm Springs. Il construit
65
un héliport, un nouveau bâtiment avec une salle à manger pouvant contenir
jusqu'à quarante personnes et installe même un poteau pour mettre le
drapeau présidentiel. Cependant quand le président Kennedy vient dans le
désert, il ignore celui qui a organisé son gala inaugural, et réside chez Bing
Crosby qui est ouvertement républicain. Pour Sinatra, l'humiliation
publique est totale. Bobby Kennedy mène à l'époque une guerre contre le
crime organisé, il refuse de laisser son frère ternir la présidence en
restant chez Frank, lui qui a accueilli des mafieux comme Giancana ou
encore Fischetti. Frank est fou de rage, il se sent trahi et, après avoir
traité Bobby de tous les noms, reporte sa rancune sur Peter Lawford,
dont les connexions avec la famille Kennedy devaient assurer à Frank une
confiance totale du président. D'après certaines sources, Frank aurait
même donné un coup de poing à la figure de Peter. Inutile de dire qu'ils ne
se reparleront plus jamais... Après sa carrière d'acteur et de chanteur, ce
sont ses ambitions d'être proches du pouvoir qui sont les victimes de la
mauvaise réputation de Frank.
A partir de la moitié des années 60, la mélancolie s'installe dans le cœur
de Frank. Dans September of My Years, qu'il enregistre en 1965, la façon
dont il chante sa jeunesse perdue trouve un écho dans sa situation
personnelle : « moi qui ai toujours vécu libre, je me prends à présent à
penser au passé, en attendant mon amour oublié ». Cause ou effet de
66
cette crise de la cinquantaine, Frank n'oublie pas ses devoirs de père. On
peut l'apercevoir en Europe avec sa fille Tina, qui vient d'achever ses
études secondaires. De retour à New York, le père et la fille passent
quelque temps ensemble dans l'appartement de Frank. Celui-ci lui fait
alors visiter le Hoboken de son enfance, où il déclare à sa fille avec fierté
«voilà d'où je viens».
« Mon whisky est plus vieux que Mia Farrow » (Dean Martin)
En 1965, Frank se lance dans une liaison avec Mia Farrow, 20 ans, de
trente ans sa cadette. La presse ne peut laisser échapper une si belle
occasion de vendre du papier, et les comiques d'Hollywood s'en donnent à
coeur joie. Un an après, ils se marient dans la plus stricte intimité. Frank,
avec sa nouvelle épouse, s'installe dans une nouvelle vie, entre Palm
Springs et Bel Air, où ils viennent d'acheter une maison. Tina, la fille
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cadette de Frank, garde un excellent souvenir du mariage de son père
avec celle qu'elle nomme affectueusement « Mama Mia ». Dans son
autobiographie, Mia déclare qu'il ne faisait aucun doute que Frank l’aimait
du fond du coeur, mais il se comportait de la même façon avec Tina
qu’avec elle, la seule différence étant qu'il embrassait Mia sur la bouche.
Frank semble trouver une nouvelle jeunesse en compagnie de Mia, mais ils
ne partagent pas les mêmes goûts au quotidien. En particulier, Mia
préfère les soirées à deux que celles au restaurant avec les amis de Frank
où l'alcool et les vantardises coulent à flots. Deux ans seulement après
leur mariage, Frank comprend sûrement son erreur en épousant une
femme trop jeune pour supporter le cadre étouffant dans lequel il
voudrait l'enfermer et lance une procédure de divorce.
Contrairement à ses autres femmes, Mia ne se fait pas au mode de vie de
son mari. Pour ce dernier, cette séparation est un véritable déchirement.
Mia déclarera plus tard « des années difficiles nous avait formés l'un et
l'autre […] L’aveuglement était un élément clé tandis que chacun espérait
que l'autre le compléterait » Après leur divorce, Mia se rend en Inde, où
elle retrouve les Beatles, Mike Love des Beach Boys et le chanteur
Donovan afin d'acquérir la sagesse auprès du Maha rishi, un univers qui
convient infiniment mieux à Mia que celui de Palm Springs. Frank finit par
s'intéresser à ce mouvement hippie que Mia l’a aidé à découvrir, le poids
68
de l'âge est sûrement trop lourd à supporter : il découvre de plus en plus
de visages barbus à ses concerts et apparaît désormais en public portant
un col Mao et un collier de perles…
Ces années 60 apportent aussi à Frank des problèmes personnels graves.
Le 8 décembre 1964, son fils Frank Jr. est enlevé et libéré avec une
rançon de 240 000 $. En 1969, Marty, le père de Frank, meurt d'une crise
cardiaque. Frank se rend compte qu'il est temps de se calmer. Qui plus
est, sa carrière musicale et cinématographique est derrière lui. Fin 1971,
il décide de prendre sa retraite. Sammy Davis Jr. déclare alors
«maintenant qu'il est en retraite, il est enfin libre de faire des come-
back »...
Frank n'a jamais imaginé que sa retraite serait synonyme d'inactivité, il
passe ses journées à jouer au golf et à peindre dans sa propriété de Palm
Springs. Cinq mois après ses adieux, il monte à nouveau sur scène, cette
fois au Madison Square Garden afin de soutenir l’Italian American civil
Rights League. Il continue d'ailleurs de chanter tout au long de la saison
1972, soit pour de bonnes causes à la demande de ses amis, soit pour le
parti Républicain, dont il devient un sympathisant (voir infra). L'envie de
se remettre à la musique le démange. En avril 1973, il enregistre quelques
chansons en studio, certaines ne survivront pas, d'autres seront
conservées précieusement. Frank déclarera plus tard : « au début, j'ai
69
pensé que ce serait marrant de ne rien faire et de jouer au golf. Je me
débrouillais plutôt bien, j'avais un handicap 17. Et puis un jour, j'ai voulu
passer un coup de téléphone à l'étranger, et la standardiste m'a demandé
d’épeler mon nom. Et quand je lui ai donné mon prénom, elle m'a demandé :
« Frank Junior ? » ». Frank veut retrouver le succès, et celui-ci est au
rendez-vous lorsque Frank décide de franchir le pas.
Décidé à faire un nouveau come-back, Frank n'a pas droit à l'erreur. Il
sait que c'est sa dernière chance de laisser sa marque dans l'histoire.
Aucun artiste avant lui n'a fait durer le succès aussi longtemps. Frank sait
qu'il doit soigner son répertoire, il commence par reprendre le chemin des
studios, sans négliger les concerts pour autant. En l'espace d'un an, deux
albums vont sortir sous son nom, mais il comprend rapidement que seule la
scène peut lui apporter une réussite durable.
Frank sort alors une série d’albums, dont le premier en 1973 est au nom
évocateur de Ol’ Blue Eyes Is Back. Cette nouvelle vague
d'enregistrement lui apportera en 1980 l'un de ses plus grands succès, la
bande originale de New York, New York, qui est depuis devenue l'hymne
officieux de la ville. Cette chanson sera aussi la dernière fois que Frank
place un titre dans le Top 100 du magazine Billboard. En tout, il en aura
placé 146, seul Elvis Presley a réussi à le battre.
70
« Plus encore que le public, Sinatra a besoin de ces retrouvailles. Il a fait
de ce retour une affaire personnelle » (extrait d'un article du Billboard
en 1974)
Le grand retour de Frank sur scène a lieu le 25 janvier 1974 au Caesars
Palace de Las Vegas. S'ensuit une tournée triomphale aux États-Unis. Le
New York Post déclare alors « Frank Sinatra est devenu un dieu vivant ».
Le public de Frank, rarement aussi nombreux, n'a jamais été aussi
disparate. D'un côté, on y trouve les nostalgiques de l'ancienne école, d'un
autre, les adultes qui ont grandi avec Frank à la radio dans les années 60
et enfin ces jeunes qui viennent découvrir celui dont parlent tant leurs
parents. Ses concerts à l'étranger sont tout aussi triomphaux : Tokyo,
Londres, Paris, Vienne, Munich... Partout où il passe, Frank fait salle
comble. La presse anglaise déclare : « ceux qui avaient peur de découvrir
un presque sexagénaire époumoné et pétri de nostalgie n'avaient rien à
71
craindre. La voix reste belle, le phrasé conserve toute sa magie, et les
cassandres qui prédisaient la mort artistique du chanteur sont allés un
peu vite en besogne. »
En 1980, Frank donne le plus grand concert de sa carrière au stade
Maracaña de Rio de Janeiro. Capable d'accueillir 180 000 personnes,
c'était le lieu idéal pour que Frank chante à guichets fermés. Au sujet de
ces concerts, James Bacon du LA Herald Examiner déclare « lorsque
Frank Sinatra a fait ses débuts en Amérique du Sud hier soir dans la salle
des congrès du New Rio Palace Hotel sur la plage de Copacabana, on se
serait cru à la grande époque du Paramount à New York. Des femmes de
tous âges criaient et gémissaient ; une dizaine d'entre elles sont même
montées sur scène et lui ont offert des roses. » Le succès de Frank à
l'étranger est bien expliqué par Jonathan Schwartz dans son introduction
de Sinatra de Richard Havers : « sa vive personnalité, son génie musical et
sa présence naturelle lui permettaient de susciter des émotions
universelles dans l'âme réceptive de millions de gens dont beaucoup, sans
parler l'anglais, percevaient et comprenaient cependant ce qu’il exprimait
et finissaient par le considérer comme un messie » .
En 1970, Frank chante à Los Angeles, San Francisco et San Diego dans le
cadre de la campagne pour la réélection de Ronald Reagan au poste de
gouverneur de Californie. Sur le plan politique, Frank prend donc un virage
72
à droite, sans doute au grand dam de sa mère. « Steve Allen,
présentateur de télévision de l'époque, publie une lettre ouverte à Frank
le 7 septembre 1970 lui demandant comment un libéral convaincu comme
lui peut soudain soutenir une des figures de proue du conservatisme. Il lui
prie alors de mettre de côté sa « vendetta sicilienne » et de retourner
dans le camp Démocrate. » En effet, ce virage politique semble plus le
résultat d'une vengeance personnelle que d'un changement d'opinion
politique. Alors qu'il traitait Reagan de tous les noms dix ans auparavant,
Frank n'hésite pas à s'afficher avec lui, ce gouverneur qui n'a pas peur de
la réputation de Frank. Il est clair qu'il a été très déçu par le
comportement des frères Kennedy. De plus, en se liant d'amitié avec
Reagan, Frank assouvit son plaisir de côtoyer le pouvoir.
L'écrivain Tommy Thompson écrit : « une des clés pour comprendre Frank
Sinatra est le fait qu'il apprécie le pouvoir. Il s'en délecte plus que
n'importe quelle autre figure publique. Peut-être qu’à présent, sa logique
est que parce qu’il occupe le sommet du showbiz depuis si longtemps, le
droit lui est donné de s'asseoir, comme leur égal, à la table d'autres rois,
ceux de l'industrie, de la médecine, de la politique, du gouvernement. Son
évolution de libéral passionné en un conservateur dolent n'est pas difficile
à expliquer. »
73
« Nous entendons ces choses au sujet de Frank depuis des années. Nous
espérons juste qu'elles sont toutes fausses » (Ronald Reagan, au sujet
des relations de Frank avec la mafia)
À présent, Frank devient un habitué de la Maison-Blanche. Il participe aux
cérémonies d'inauguration du président Nixon, où il rencontre le premier
ministre italien en visite officielle à Washington. Mais c'est surtout son
amitié avec le couple Reagan qui permet à Frank de côtoyer les hommes
les plus puissants du monde. Il devient même très proche du couple. En
tant que gouverneur, Ronald Reagan joue déjà de son influence pour
convaincre la Commission des jeux du Nevada de rendre sa licence à
Frank. En 1980, il lui demande d'organiser son gala d'inauguration. À ce
74
moment naissent des rumeurs comme quoi Frank serait nommé à
l'ambassade américaine en Italie, ce qui provoque un tollé dans les
journaux italiens.
Frank devient particulièrement proche de la première dame, Nancy
Reagan. Il est en effet son « entertainer » officiel, en organisant tous les
spectacles aux dîners de la Maison-Blanche. Il soutient également la
première dame dans ses campagnes pour améliorer son image auprès des
médias. A la télévision, Frank déclare « Nancy est une dame très classe.
Elle est plutôt timide, contrairement à ce que l'on dit sur elle... elle est
chaleureuse et amusante. Elle a un très bon sens de l'humour... elle est
juste super. » Certains iront même jusqu'à dire que Frank et Nancy sont
devenus amants... Cependant, Frank demeure un ami à gérer avec des
pincettes. Un rapport du FBI donné au président préconise à celui-ci
d'entretenir des relations prudentes avec Frank, sans pour autant
confirmer ses liens avec le crime organisé.
Frank n'a jamais cessé de récolter des fonds en faveur d'œuvres
caritatives. Par exemple, en 1975, il participe à un gala de la Croix-Rouge à
Monaco, en 1982 c'est en faveur du Desert Hospital et en 1984 il
participe à un concert pour la recherche contre le cancer. Frank semble
s'être assagi avec l'âge, et il est désormais considéré comme presque
convenable de rendre hommage à la fois à sa générosité et à son influence
75
sur la culture populaire américaine. En 1985, Frank reçoit des mains de
Ronald Reagan la Medal of Freedom, plus haute distinction pour un civil
américain. La remise de cette médaille ne manquera pas de faire du bruit :
une des secrétaires de Nancy Reagan se souvient « ce fut un tollé terrible
quand le président lui donna ce prix, j'ai dû répondre à beaucoup d'appels
venant de personnes disant que Frank était un criminel et un membre de la
mafia ». La première dame défend son ami : « Frank mérite ce prix pour
tout le travail humanitaire qu'il a entrepris ».
La même année, le NAACP (Association Nationale pour la Condition des
Gens de Couleur) lui décerne un prix pour l'ensemble de sa carrière.
Cinquante ans après The House I Live In, un tel honneur paraît justifié,
même si la personnalité de Frank reste ambiguë. Sammy Davis Jr décrit
76
parfaitement la réalité des choses dans son discours, même si son
affection pour Frank est manifeste. « Il a été mon ami bien avant qu'il
soit bien vu d'être mon ami. Il n'y aurait jamais eu de croupiers ou de
clients noirs dans les hôtels de Las Vegas si Sinatra n'avait amorcé le
mouvement en 1946 ». Ce prix est cependant contesté par certains, qui lui
reprochent de s'être produit au Bophuthatswana, un « État indépendant »
contrôlé par un régime d'apartheid en Afrique du Sud, en 1981. Frank
s'était alors expliqué : « je chante pour les publics de toutes races et de
toutes confessions, alcooliques y compris. »
« Par de nombreux côtés, Frank est un paradoxe. Il présente tant
d'aspects négatifs qu'il est facile d'oublier son extraordinaire gentillesse
et sa loyauté envers ses plus fidèles amis. Il donne l'impression d'avoir
besoin d'un antidote à son tempérament irascible et à ses accès de
colère, et sa compassion pour autrui lui permet certainement de trouver
un certain soulagement. Nul ne sait vraiment s'il s'agit d'une forme
d'expiation, d'une confession publique ou privée ou, comme c'est souvent
le cas, d'une manière de compenser ses défauts, mais il n'y a aucune
raison de douter que Frank est un homme d'une grande gentillesse. »
Cependant, Frank n'a jamais considéré que ses relations avec des mafieux
notoires étaient condamnables. En effet, ce sont ses amis. Ils lui ont
rendu des services quand il en avait besoin (au début de sa carrière
77
surtout). Et comme pour tous ses amis, il leur restera fidèle tout au long
de sa vie. Il niera toujours avoir été impliqué dans des affaires mafieuses
mais assumera haut et fort son amitié pour des mafiosi comme Lucky
Luciano, Sam Giancana et les frères Fischetti.
Le jour de la Saint-Sylvestre 1972, Frank rencontre Barbara Marx,
épouse de Zeppo Marx depuis 1959, en procédure de divorce depuis
quatre jours. Jusqu'en 1975, leur relation connaît des hauts et des bas
mais Frank estime qu'il est temps pour lui, à 60 ans, de se poser. Le 11
juillet, Frank et Barbara se marient. Mais Barbara ne s'entend pas bien
avec la famille de Frank. En particulier, après la mort tragique de Dolly
dans un accident d'avion en 1975, Frank renoue avec la foi catholique de
son enfance et fait annuler son mariage avec Nancy pour épouser Barbara
à l'église, pensant que c’est ce que sa fervente catholique de mère aurait
aimé. Cependant cette décision provoquera énormément de remous dans la
famille. Les enfants de Frank considèrent en effet que c’est Barbara qui a
fait pression sur lui pour prendre sa décision. Jusqu'à la mort de Frank,
et même après, Barbara sera toujours en mauvais termes avec eux. Frank
n'en a que faire, il est heureux avec elle, et elle l’accompagne partout où il
va et le soutient lors de la mort de ses plus proches amis.
Frank est un septuagénaire, et certains de ses plus grands amis sont ses
contemporains. Il est conscient qu'il est en train de dépasser l'espérance
78
de vie moyenne et malheureusement la mort de beaucoup de ses proches
le lui rappelle. En 1974, la mort de Hank Sanicola, ami de Frank depuis leur
association à la tête du Cal-Neva Lodge, l’attriste profondément. En 1983,
Frank doit se rendre aux obsèques de son grand ami Harry James. C'est
cependant la mort de Sammy Davis Jr. en 1990 qui est le coup le plus dur
pour Frank. En effet, il considérait Sammy comme son frère. « C'était un
artiste de grande classe et il me manquera toujours. » Dans un tel
contexte, Frank ne peut que penser au fait que son tour viendra
irrémédiablement. Au moins il ne mourra pas seul. Il a passé sa vie à
combler la solitude de son enfance, et ceci est probablement la chose qui
le rassure le plus.
Pour les vedettes de la chanson des générations qui ont succédées à celle
de Frank, c’est un honneur de le rencontrer. Ainsi, en 1983, Michael
Jackson assiste à un de ses enregistrements et Frank participe à un
concert avec Elton John. En 1985, Frank apparaît même dans un épisode
de Magnum en « guest star ». En 1993 est mis au point le projet
d’enregistrer un album avec les plus célèbres interprètes du moment, tous
styles confondus, les candidats à un tel privilège étant légion. Ainsi
naissent les albums Duets et Duets II, le second n’étant que le résultat du
succès du premier. A eux deux, ces albums se vendent à plus de 4 millions
d’exemplaires. Parmi les artistes qui ont participé à l’enregistrement de
79
ces albums, on peut citer Aretha Franklin, Julio Iglesias, Gloria Estefan,
Bono, Stevie Wonder ou encore Willie Nelson. Malgré leur célébrité et
leur professionnalisme, ceux-ci demeurent impressionnés par la figure que
représente Frank à leurs yeux. Phil Ramone, producteur des deux albums
se souvient : « Aretha Franklin se comportait comme une petite fille ».
Outre le fait que ce sont ses derniers enregistrements en studio, ces
disques ont fait véritablement connaître Frank à un public qui n’était pas
le sien. A l’inverse, certains de ses fans ont crié au sacrilège en le voyant
s’acoquiner avec des rockstars. Il n’empêche que la jeune génération s’est
procuré ses meilleurs albums par la suite, après l’avoir découvert grâce à
ces deux recueils.
Sur scène, Frank s’associe à d’autres artistes pour donner des concerts
aux couleurs de légende. Déjà en 1984, Frank participe à un concert pour
la recherche contre le cancer en compagnie de Luciano Pavarotti, Diana
Ross et Montserrat Caballe. En 1988, Frank retrouve Sammy Davis Jr. et
Dean Martin, et ils partent en tournée ensemble. Comme le déclare un fan
: « On se croirait au Super Bowl ! » Le succès est immense, mais Dean
Martin jette l’éponge à cause de sa condition physique et de dissensions
dans la bande. Liza Minelli le remplace alors au pied levé. Le succès est tel
que les trois se lancent dans la tournée internationale « The Ultimate
Event », qui les fait jouer à guichets fermés de Tokyo à Paris, en passant
80
par Melbourne et Stockholm.
En 1992, Frank donne une série de récitals en compagnie de son amie de
toujours, Shirley MacLaine, sixième membre officieuse du Rat Pack. On le
sent diminué dans sa voix et dans sa manière de swinguer mais Frank
continue de se produire sur scène, elle qui lui a procuré tant de plaisir au
long de sa vie et à qui il doit tout. En 1994, il donne un concert dans son
New Jersey natal, très émouvant de l’avis de tous les spectateurs. Deux
mois plus tard, il joue avec Natalie Cole au Fukuoka Dome de Tokyo, le
dernier vrai concert de Frank. En février 1995, il trouve le moyen de
chanter chez lui, à Palm Springs, à l’occasion d’un tournoi de golf au profit
d’une association caritative. A la fin du concert, Bill Miller, son pianiste,
regarde la télévision en sa compagnie : « Il y avait quelqu’un qui chantait à
81
la télé et il me dit : « J’adore cette chanson. Si jamais je remonte un jour
sur scène, je la chanterai. » Alors je lui ai dit : « Qu’est ce que vous
attendez, Frank ? Allez-y ! » et il me répond : « Non, c’est trop tard. Je
crois que j’ai assez donné comme ça ». »…
« On ne vit qu’une fois, mais de la façon dont j’ai vécu, ça me suffit »
(Frank Sinatra)
En 2006, à l’initiative de Nancy Sinatra, le Palladium Theater de Londres
accueille le spectacle Sinatra at the London Palladium. Sur scène, une
troupe danse sur les plus grands succès de Frank, joués par un orchestre
et interprétés par… Frank lui-même, sur écran géant. La « présence » de
Frank Sinatra sur scène suffit à attirer les foules et à faire de ce
spectacle un succès. « Frank est mort, mais sa voix est éternelle » comme
l’a dit Tony Bennett. C’est sans doute comme cela que Frank voudrait que
l’on se souvienne de lui. La scène a tout représenté pour lui, il lui doit tout.
The Voice n’a fait que chanter, à sa manière, les chansons que l’on écrivait
pour lui, mais il arrivait à donner vie à ces partitions grâce à sa voix
inimitable, son swing légendaire et son charisme. Ses succès
internationaux témoignent à quel point la sensibilité du public aux
émotions procurées par une simple interprétation peut être universelle.
82
« Les gens associent un grand nombre de chansons avec Sinatra, alors qu’il
ne les avait pas écrites. Mais en les enregistrant, il se les appropriait »
(Frank Sinatra Jr.)
En 30 ans, Frank illustre le rêve américain : fils unique de pauvres
immigrés italiens à la marge de la prospérité économique des années 20, il
devient la première vedette de la chanson. Cependant, sa personnalité
complexe et les modes successives (rock & roll, disco...) le rattrapent à
plusieurs reprises, menaçant à jamais sa carrière (fin des années 40 et
milieu des années 60) mais Frank parvient toujours à revenir sur le devant
de la scène et finit sa vie en tant que légende de la culture populaire.
Ce qui constitue en premier lieu la légende de Frank Sinatra, c’est la
richesse du répertoire musical qu’il laisse derrière lui : 146 chansons
placées dans le Top 100 du magazine Billboard, dont certains des plus
grand classiques du siècle, comme New York, New York, devenue l’hymne
de la ville qui ne dort jamais, et My Way, que Frank s’amusait à appeler «
l’hymne national » en réaction à son succès phénoménal. Les hommages des
jeunes générations aux succès de Frank sont légion : Les Sex Pistols
reprennent My Way dans les années 80, Robbie Williams chante Somethin’
Stupid en duo avec Nicole Kidman... De plus, un chanteur qui joue la
comédie, ce n’est pas rare, mais seulement quatre ont gagné à la fois un
83
Grammy et un Oscar d’interprétation : Barbara Streisand, Bing Crosby,
plus récemment Jamie Foxx... et Frank Sinatra. Périodiquement, tel
nouveau chanteur est annoncé comme « le nouveau Sinatra ». Ce n’est
guère étonnant, mais c’est futile. Pour cela, il faudrait déjà avoir une
carrière de presque cinquante ans…
« L’oeuvre de Sinatra est sa légende, sa légende est son œuvre » (John
Lahr, The New Yorker)
En second lieu, Frank ne serait pas la légende qu’il est devenu si ce n’était
pour sa personnalité hors norme. Parce qu’il menait un style de vie si
contesté, Frank a été successivement admiré, détesté, envié, critiqué, et
traité de tous les noms, de communiste à criminel, en passant par
trouillard, escroc et « grande gueule ».
Cependant, il a significativement contribué à la cause de la tolérance
raciale et religieuse aux Etats-Unis, à une époque où on n’en parlait même
pas, il a recueilli des centaines de milliers de dollars pour des œuvres
humanitaires et, de l’avis de tous ses amis, il a toujours été d’une loyauté
à toute épreuve. Ainsi, Frank a été un homme à deux visages, à la fois
généreux et colérique. Il a vécu tout ce qu’un homme pourrait espérer
vivre (le succès, la gloire, en compagnie des chefs d’Etat... et des femmes)
84
et éviter (une enfance solitaire, une descente aux enfers, un cœur brisé à
plusieurs reprises...). Cette succession d’épreuves et de succès a
contribué à doter Frank d’une grande humilité qui l’amènera à toujours
éprouver de la reconnaissance pour son public. Néanmoins, un mystère
demeure : toute cette générosité était-elle une forme d’expiation, un
moyen de se soulager de son comportement irascible, une stratégie
purement marketing ou l’expression d’une véritable conviction ? Une chose
est sûre ; Frank n’a jamais cherché à cacher son amitié pour des mafieux
notoires, sachant pertinemment que ces relations pouvaient être fatales
pour sa carrière. Si Frank n’était pas fondamentalement généreux,
pourquoi avoir été d’une si grande loyauté ?
« Son originalité, son style de vie controversé et sa classe font de Sinatra
un personnage sans égal. Une véritable usine à lui tout seul, avec le
charisme en plus » (Paul Anka)
Le talent n’a pas été le seul facteur du succès de Frank : certaines
personnes lui ont ouvert les portes de la gloire, Frank n’avait qu’à en
franchir le seuil. Harry James et Tommy Dorsey ont été les premiers à
véritablement croire en Frank. George Evans a façonné ce qui deviendra le
« style Sinatra ». Ava Gardner l’a aidé à remettre sa carrière sur les rails
85
en 1953. Enfin, même si on ne peut pas la mesurer, l’aide des hommes de
l’ombre (Lucky Luciano, Sam Giancana...) a du être relativement
significative, vu la reconnaissance de Frank...
Cependant, Frank a créé son propre univers, sans l’aide et l’avis de
personne. Néanmoins, il a toujours cherché a comblé le vide laissé par la
solitude de sa jeunesse, et a constitué l’un des entourages les plus
prestigieux de l’époque : des présidents, des stars du cinéma, de la
chanson (les membres du Rat Pack lui doivent même la gloire), certaines
des plus belles femmes au monde... De plus, il ne finit pas seul sa vie : il a
une femme qu’il aime profondément, des enfants et des petits enfants qui
le respectent, et une foule d’amis et d’admirateurs. C’est probablement un
profond soulagement, et l’une de ses plus grandes satisfactions. Frank a
façonné sa propre personne, a créé son propre monde à lui, fait d’amour,
de haine, de paillettes et de Jack Daniels. Et c’est ce qui l’a rendu unique.
86
« Il a été davantage qu’un chanteur : l’expression culturelle d’une nation
toute entière. Il a été notre conception de la classe et de l’élégance »
(Jimmy Webb)
« Sinatra a dépassé l’homme pour devenir un mythe » (David Jacobs, New
Musical Express)
Les adolescents n’oublieront jamais l’époque où, jeune et frêle, Frank
montait sur scène et chantait de toute son âme en faisant hurler les filles
de plaisir. Les cinéphiles verront toujours en lui le malheureux deuxième
classe Maggio, un rôle tout en finesse qui lui a valu un oscar. Les
romantiques comprendront que ce champion de la ballade sentimentale a
voulu recréer pour eux l’atmosphère des petites heures de la nuit. Les
amateurs de la psychologie humaine se souviendront de la personnalité
complexe de cet homme au bras d’or qu’il campait récemment à l’écran.
88
Frank Sinatra est mort. Depuis longtemps. L’heure précise à laquelle The
Voice rendrait son dernier souffle demeurait, ces deux dernières années,
la seule incertitude d’un macabre pronostic. Mais les jeux, quant à eux,
étaient faits. Parfois, on croyait pouvoir vérifier au jour près les bulletins
de santé du chanteur en parcourant les travées des disquaires : à chaque
nouvelle alerte en provenance de l’hôpital Cedars-Sinaï de Los Angeles,
rééditions, compilations, anthologies et coffrets fleurissaient telles
d’intempestives couronnes. Car cette mort-là mieux qu’aucune autre - au
moins depuis Presley - promettait d’enclencher un frénétique et juteux
business. Avec quelque 600 millions de disques vendus de son vivant, l’ex-
gringalet d’Hoboken est devenu au bout de soixante-deux ans de carrière
l’un des méga poids lourds d’une industrie discographique à laquelle il
laisse une oeuvre pléthorique dont le partage, désormais, risque de
tourner au mauvais western.
Entre les foies jaunes du clan Sinatra et les coyotes qui détiennent une
part du butin (éditeurs, multinationales du disque), sans compter les
vautours qui ne tarderont pas à se faire connaître (maîtresses délaissées,
enfants naturels, mafiosi), la bataille promet d’être longue et sans pitié.
En attendant, un partie conséquente des enregistrements de Sinatra est
disponible, pour peu qu’on ait le courage d’y faire un tri, la meilleure
méthode étant encore celle qui consiste à procéder par périodes.
89
A l’instar des grands jazzmen, Sinatra connut plusieurs périodes
importantes, quatre au moins, chacune étant liée à un changement de label
: RCA pour les premiers enregistrements, Columbia jusqu’à la fin des
années 40, Capitol durant les fifties et enfin Reprise, qu’il fonda en 1960
et pour lequel il enregistrera quasiment jusqu’à la fin, ne retrouvant
Capitol que le temps de publier Duets 1 & 2, ses deux derniers disques.
Le plus vieil enregistrement de Sinatra gravé sur CD, Shine, date de 1935.
Il s’agit d’un titre très court des Hoboken Four, groupe vocal au sein
duquel Frankie n’est alors qu’un quart anonyme. C’est, disons, un
témoignage. Comme l’est également cette version préhistorique de Our
love, d’après un thème de Tchaïkovski, qui date de l’époque où Sinatra
traverse l’Hudson River chaque matin pour aller répéter avec des
90
formations new-yorkaises.
Officiellement, la carrière de Sinatra débute pendant l’été 39. Avec
l’orchestre du trompettiste Harry James, l’un des plus chauds de l’époque,
il se produit à l’hippodrome de Baltimore et enregistre dans la foulée
From the bottom of my heart et Melancholy mood. James ne s’est pas
seulement adjoint les services d’un vocaliste pour répondre aux exigences
du public. Il devine qu’en Sinatra sommeille l’étoffe d’un futur héros des
théâtres de Broadway et redéfinit la topographie de son orchestre
spécialement pour offrir des boulevards à cette voix de jeune premier
appelé à devenir un premier tout court. Harry James n’aura pas le temps
de faire mûrir Sinatra car, en raison de difficultés financières, il se voit
contraint de laisser filer son poulain, qui vient de recevoir une proposition
du tromboniste Tommy Dorsey dont le chanteur-vedette, Jack Leonard, a
choisi la voix solitaire.
Sinatra, qui a passé seulement sept mois chez James, rejoint la formation
de Dorsey au début de l’année 40. Les enregistrements de cette époque,
qui court jusqu’en 42, sont nombreux et essentiels. Grâce à Dorsey, ainsi
qu’à une pratique intensive de la natation et du jogging, Sinatra acquiert
des techniques de respiration qui en feront vite une sorte d’athlète des
cordes vocales, capable d’avaler les mesures presque sans reprendre son
souffle. L’influence du bel canto italien dont il se réclame - autant que de
91
Bing Crosby et Billie Holiday, ses deux héros - confère également au
chant de Sinatra une saveur spéciale, un peu angélique, qui plaît beaucoup
aux dames. A l’époque pourtant, selon ses propres souvenirs, Frankie est
encore vert : “J’avais au moins sept kilos de cheveux sur la tête, il
m’arrivait de tituber”, plaisantera-t-il bien des années plus tard. Mais la
cause, plus vraisemblablement, provient de l’ivresse dégagée par
l’orchestre de Dorsey, de son swing redoutable comme de sa retenue sur
les morceaux sentimentaux, registre de prédilection de Sinatra. Un
psychologue des années 40 : “Sinatra effectue une sorte de strip-tease
musical et laisse apparaître son âme à nu.” Duke Ellington, pas moins fin
psychologue : “Chaque chanson qu’il interprète est compréhensible et,
surtout, vraisemblable.”
92
Grâce à I’ll never smile again, qui accroche la tête des hit-parades
pendant l’été 40, Sinatra devient immensément populaire. Son nom,
jusqu’alors relégué en troisième ou quatrième position, occupe désormais
le haut de l’affiche. En 42, Dorsey ajoute une section de cordes à son
orchestre, tapis satiné sur lequel The Voice gravit les dernières marches
qui conduisent aux sommets, avant de voler sous ses propres couleurs.
Sinatra signe comme artiste solo avec Columbia et entame une période de
dix ans, riche de 285 enregistrements, qui est celle de tous les
contrastes. Poursuivant majoritairement dans la veine sentimentale,
tantôt accompagné d’une formation de jazz, tantôt d’un orchestre, la
plupart du temps conduit par Axel Stordahl, il puise abondamment dans le
répertoire de Broadway - Irvin Berlin, Gershwin, Rodgers & Hammerstein
- et se venge des années de vaches maigres à Hoboken, menant la grande
vie et n’hésitant pas à roupiller sur des lauriers qu’il croit tressés pour
l’éternité.
Après avoir atteint le zénith de sa popularité en 45 avec The House I live
in, qui récolte un Academy Award, il entre dans une période noire qui va
durer jusqu’en 53 : divorce, relation à scandale puis mariage avec Ava
Gardner, flops successifs des disques et des concerts, redivorce, séjour à
l’hôpital… Pour finir, il se fait débarquer par Columbia. Alors qu’on le pense
fini et que le rock’n'roll balbutiant commence à cogner au portillon,
93
Sinatra a un coup de génie lorsqu’il signe avec Capitol et enrôle celui qui
sauvera sa carrière : l’arrangeur Nelson Riddle, un musicien pointilleux et
intransigeant, notamment connu pour avoir travaillé avec Nat King Cole.
On est entré depuis peu dans l’ère des albums et ceux que Sinatra publie
jusqu’à la fin des années 50 figurent parmi les plus éblouissants de sa
carrière. Songs for young lovers, Songs for swingin’ lovers, Close to you
and more ou Only the lonely, reconnaissables à leurs fameuses pochettes
peintes mettant en situation un Sinatra mélancolique, entouré d’amants en
fleur dont il symbolise à la fois l’ange protecteur et le démon intérieur,
font des Capitol Years la période unanimement célébrée comme étant
celle d’un état de grâce jamais retrouvé ensuite. Sinatra s’empare des
standards comme personne, au point qu’on se demande s’ils ne sont pas
devenus des standards le jour où il les a chantés.
Riddle, pour les albums les plus flamboyants, puis Gordon Jenkins pour
ceux de la fin, plus introspectifs, contribuent à faire à nouveau du Ol’Blue
Eyes une vedette, malgré les Bill Haley, Presley et autres jeunes loups qui
envahissent l’Amérique. Le jour de son quarante-cinquième anniversaire,
en décembre 1960, Sinatra est en studio pour enregistrer Ring-a-ding-
ding!, le premier album à paraître sur sa propre firme, Reprise, sur
laquelle il hébergera tous ses vieux potes noceurs - Sammy Davis Jr, Dean
Martin - ainsi que sa fille Nancy. Même s’il cédera Reprise à la Warner
94
deux ans après son lancement, il restera fidèle pendant plus d’un quart de
siècle au label, sortant près d’une quarantaine d’albums, dont les plus
célèbres et les plus vendus - Strangers in the night, My way.
Les années Reprise sont celles où Sinatra se fait plaisir, notamment
lorsqu’il enregistre deux albums (ainsi qu’un live) en compagnie de Count
Basie - “J’ai attendu ce moment pendant trente ans”, dira-t-il -, puis un
avec Ellington et deux autres avec Antonio Carlos Jobim. C’est aussi
l’époque où aucun chef d’orchestre ne peut refuser ses services à La Voix
: se succèdent ainsi au pupitre des noms aussi prestigieux que Quincy
Jones, Claude Ogerman, Don Costa, Eumir Deodato (futur arrangeur des
cordes de Björk) et à nouveau Nelson Riddle. Au cours des années 60,
Sinatra chante plusieurs chansons pétillantes en duo avec sa fille, sous la
haute direction du génie méconnu Lee Hazlewood, que l’on trouve réunies
95
sur l’album Frank & Nancy de 67. En 70, Sinatra est embarqué par deux
anciens Four Seasons dans une aventure qui donnera lieu à l’album le plus
singulier de sa carrière, en même temps que l’un des plus beaux.
Watertown raconte en onze tableaux noirs et ocre l’errance d’un homme
lâché par les siens et Sinatra campe ce rôle sablonneux avec une vérité
dont Nick Cave et quelques autres seront éternellement redevables. Un
authentique chef-d’oeuvre méconnu. L’année d’après, en bon cabot, Sinatra
annonce son retrait définitif, puis revient deux ans plus tard avec l’album
Ol’Blue Eyes is back, la bonne blague. Néanmoins, les sorties d’albums
s’espacent et le triple album Trilogy de 80, salué par le magazine Rolling
Stone comme son meilleur disque depuis quinze ans, fait figure de
testament prématuré. En 84 enfin, son dernier disque estimable, arrangé
une nouvelle fois par Quincy Jones, porte un nom prédestiné : L.A. is my
lady. Dans la nuit du 14 au 15 mai, Ol’Blue Eyes mourra dans ses bras. Les
meilleurs albums: Masters of jazz vol. 1-7 (Média 7), The Popular Frank
Sinatra & Tommy Dorsey Orchestra (RCA/BMG), Portrait of Sinatra
(Columbia/Sony), Swing and dance with Frank Sinatra (Columbia/Sony),
The Capitol Years - coffret (Capitol/EMI), Sinatra and strings
(Reprise/WEA), Sinatra-Basie (Reprise/WEA), Strangers in the night
(Reprise/WEA), Frank Albert Sinatra & Antonio Carlos Jobim
(Reprise/WEA), Watertown (Reprise/WEA).
97
C’est l’une des plus grandes ventes immobilières de l’année à Los Angeles.
Selon The Hollywood Reporter – dont les informations proviennent du
marché de l’immobilier – l’accord de vente de l’ancienne maison des collines
de Holmby appartenant à Frank Sinatra et située au 320, promenade N.
Carolwood, a été conclu depuis la mi-novembre avec Brad Grey, président
de la Paramount depuis 2005. Située dans un quartier prestigieux de Los
Angeles, la propriété s’étale sur un hectare et comprend quatre chambres
à coucher principales, une aile pour le personnel avec trois autres
chambres, deux bibliothèques, un jardin d’hiver, un emplacement très
étendu pour les voitures, un logement pour le chauffeur et une piscine.
Son voisinage n’est autre que Danny DeVito et son épouse Rhea Perlman, la
philanthrope Suzanne Saperstein, et le producteur de télévision Bradley
Bell, fils de William J. Bell, créateur d’Amour, Gloire et Beauté et des
Feux de l’Amour (The Bold and the Beautiful, The Young and the
Restless).
Selon certaines sources, Brad Grey, admirateur de longue date du crooner
international, a pris contact avec la famille de Sinatra, avant d’acheter la
maison. Ses plans concernant la propriété restent encore flous, mais il a
dit souhaiter s’en réserver une partie. Avec un peu plus de huit cent
mètres carrés, la maison méditerranéenne de briques rouges est
considérée par certains comme petite pour la taille de la propriété et le
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voisinage. Elle se trouve à côté de la succession Saperstein Fleur De Lys,
qui est sur le marché pour 125M$. L’identité du vendeur de la maison de
Sinatra, qui a été mise en vente depuis le 8 septembre, n’est pas connue.
Un porte-parole de Grey s’est refusé à tous commentaires. Le président
de Westside Agence Immobilière qui a représenté Grey, a également
refusé de commenter, tout comme l’agent immobilier en charge de publier
l’annonce..
Grey - âgé de 18 ans – a rencontré Sinatra à Buffalo dans l’état de New
York, alors qu’il travaillait en tant que promoteur de concerts. Plus tard, il
a repris contact avec la famille de Sinatra, lorsqu’il a souhaité utiliser sa
musique sur la production des Sopranos. Selon James Kaplan, auteur de la
récente biographie The Voice, le chanteur aurait acheté la maison en 1948
pour 250 000$. Il a acquis cette propriété alors qu’il faisait une pause
dans sa carrière et que sa vie personnelle était en plein bouleversement. «
C’était une fortune en 1948, et il ne pouvait pas se le permettre. Il ne
vendait plus de disques et il venait de construire ce lieu extravagant à
Palm Springs » raconte Kaplan selon THR. « Tout ça pour se retrouver
près de la MGM et dans ce quartier chic fréquenté par des personnalités
telles que Humphrey Bogart et Walt Disney ». Kaplan précise qu’en février
1950, sa future ex-femme Nancy Barbato Sinatra a changé les serrures
de la maison de Carolwood. « Ce fut le début de la fin de leur mariage. Ils
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Le seul fils biologique de l'actrice Mia Farrow et du cinéaste Woody Allen
serait-il celui de Frank Sinatra? C'est possible, à en croire la comédienne
américaine.
Dans une interview exclusive, publiée mercredi par le mensuel Vanity Fair,
Mia Farrow (ici en photo avec Woody Allen sur le tournage de "La rose
pourpre du Caire" en 1985) a répondu d'un simple "peut-être", à la
question de savoir si Frank Sinatra était le père de son fils Ronan, né en
1987.
Elle a affirmé qu'elle n'avait "jamais vraiment rompu" avec Sinatra, dont
elle avait divorcé en 1968, deux ans après leur mariage. C'était, a-t-elle
ajouté, le grand amour de sa vie.
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Ronan, 25 ans, est né alors que la comédienne américaine était en couple
avec Woody Allen - ils ne vivaient cependant pas ensemble -. Ronan est
considéré comme le fils biologique du cinéaste. Les deux n'ont cependant
aucune ressemblance physique, Ronan ayant de grands yeux bleus.
Aucun test d'ADN n'a été mené pour confirmer ou infirmer cette
paternité. Sinatra avait 72 ans quand Ronan est né et le chanteur est
mort en 1998.
Sollicitée par Vanity Fair, la fille de Sinatra, Nancy, a répondu que Ronan
était "une part importante de nous, et nous sommes heureux de l'avoir
dans nos vies".
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L'intéressé s'est lui contenté d'une plaisanterie sur ses comptes Twitter
et Facebook. "Nous sommes tous 'peut-être' le fils de Frank Sinatra", a
écrit le jeune homme qui se présente comme un journaliste et avocat.
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FILMOGRAPHIE SELECTIVE
-1943 Higher And Higher (Amour et Swing)
-1945 Anchors Aweigh (Escale à Hollywood)
-1949 Take Me Out To The Ball Game (Match d'Amour)
-1949 On The Town (Un Jour A New York)
-1953 From Here To Eternity (Tant Qu'il Y Aura Des Hommes)
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-1955 The Tender Trap (Le Tendre Piège)
-1955 The Man With The Golden Arm (L'Homme Au Bras d'Or)
-1956 High Society (La Haute Société)
-1957 The Joker Is Wild (Le Pantin Brisé)
-1957 Pal Joey (La Blonde Ou La Rousse)
-1958 Some Came Running (Comme Un Torrent)
-1959 Never So Few (La Proie Des Vautours)
-1963 The Manchurian Candidate (Un Crime Dans La Tête)
-1965 None But The Brave (L'Île Des Braves)
-1965 Von Ryan's Express (L'Express Du Colonel Von Ryan)
-1967 The Naked Runner (Chantage Au Meurtre)
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Le célèbre interprète de « New York, New York » a vécu un temps dans
un superbe duplex… à New York ! L’appartement est désormais à vendre
pour un peu plus de six millions d’euros.
7,7 millions de dollars, soit 6,263 millions, voilà la somme qu’il vous faudra
débourser si vous souhaitez devenir le futur propriétaire de cet élégant
Penthouse situé dans un immeuble de l’Upper East Side à Manhattan.
Malgré son architecture audacieuse et ses pièces spacieuses, le prix
semble un peu élevé. Ce dernier s’explique par le fait que ce logement de
la 72e rue a appartenu à l’une des plus grandes stars de la chanson aux
Etats-Unis : Frank Sinatra. Entre ses 150 millions de disques vendus et
ses films à succès, The Voice aurait disposé de son vivant d’une fortune
d’au moins 75 millions de dollars. Rien d’étonnant à ce que le chanteur ait
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pu s’offrir cet appartement et sa vue imprenable sur le fleuve et la
Roosevelt Island. L’agence Rubicon Property, chargée de la vente,
renchérit : « Il y a beaucoup d’appartements de ce type à vendre à
Manhattan, mais il n’y en a qu’un seul comme celui-ci, l’unique qui ait été
suffisamment bon pour Ol Blue Eyes ! »
Pas de crainte, le bien n'est pas dans le même état qu'il y a vingt ans. Il a
depuis été entièrement rénové, du parquet aux peintures, en passant par
la grande cuisine américaine aménagée. Cet appartement de 1 000 m²
contient de plus quatre chambres et autant de salles de bains. Vous y
trouverez également de belles pièces à vivre, ainsi qu’une imposante baie
vitrée qui, en plus des murs blancs, offre un espace clair et lumineux. A
l’étage, la chambre principale dispose de sa propre terrasse, un lieu de
prestige qui mérite le coup d’œil.
En plus de ces belles et grandes pièces, l’ancien logement de Frank
Sinatra dispose d’un élément assez original et intéressant : la cave
contient une salle privée de gymnastique et de musculation ! Sans doute
souhaitait-il rester en forme sans avoir à quitter son immeuble ? En tout
cas, ce n’est pas banal pour les amateurs de sport, qui n’auront pas besoin
de transformer une des quatre chambres en salle de fitness. Une
économie d’argent et de place en somme. Au sous-sol, on trouve également
des chambres de bonne, où il sera possible de loger un éventuel personnel,
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La chanson «My Way» est la plus iconique de la carrière du chanteur. Elle
a été en partie écrite par Claude François et plus tard adaptée par Paul
Anka pour les dieux à la scène de Frank Sinatra annoncés en 1969… C’était
de faux adieux et il a continué à chanter pendant 25 ans.
Quand Frank Sinatra a fait son retour, il a découvert avec stupéfaction
que tout le monde voulait entendre «My Way». Or le Wall Street Journal
souligne qu’il ne supportait pas de chanter quelque chose qui le mettait en
avant, qui parlait de lui et qui en plus affirmait qu’il n’avait aucun regret
dans sa vie.
Le plus étonnant est que Frank Sinatra a souvent dit à son public qu’il
détestait cette chanson. Au Caesars Palace à Las Vegas, il avait ainsi
expliqué à la foule: «je hais cette chanson et si vous la chantiez depuis
huit ans vous seriez comme moi». Quelques temps plus tard au Los
Angeles Amphitheater, il laissait échapper avant de la chanter: «et bien
sûr, c’est le moment de la séance de torture, pas pour vous mais pour
moi».
Le 25 novembre 1938, le crooner qui était un grand séducteur, a été jeté
en prison sur des accusations de «séduction» ce qui dans les années 1930
aux Etats-Unis était un vrai délit. Frank Sinatra avait été attrapé dans un
lit avec une dame de bonne famille.
Après une petite enquête, la police découvrit que la dame en question
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était mariée et l’accusation est alors devenue celle d’adultère. Finalement,
l’affaire fut classée mais Frank Sinatra passa 16 heures dans une cellule.
Il haïssait Marlon Brando, les deux acteurs ne pouvaient pas se voir. Leur
rivalité commença en 1955 sur le tournage du film Guys and Dolls
(«Blanches colombes et vilains messieurs») réalisé par Joseph L.
Mankiewicz. Sinatra était jaloux de Brando qui jouait un personnage de
séducteur tandis que lui était cantonné au rôle de comique.
Sinatra changea donc le registre de son personnage ce qui déplut
beaucoup à Marlon Brando. Pour se venger Brando sabotait des scènes
parce que Sinatra ne supportait pas de tourner plusieurs fois la même
scène. A un moment du tournage, Frank Sinatra devait manger un morceau
de cheesecake et Brando oublia sciemment neuf fois de suite une partie
de son texte contraignant Sinatra à manger neuf fois de suite du gâteau.
Les liens de Frank Sinatra avec la mafia n’ont jamais été un secret bien
gardé. En dépit de ses multiples dénégations, il était proche de plusieurs
parains dont Carlos Gambino et aurait même présenté à John Kennedy,
futur Président des Etats-Unis et au parain Sam Giancana la même
femme. Frank Sinatra a même inspiré le personnage du crooner Johnny
Fontane dans le film le Parain.
Ce n’est pas une surprise mais le directeur du FBI (police fédérale
américaine), le redoutable, maniaque et dictatorial J. Edgar Hoover avait
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ouvert un dossier sur Frank Sinatra. Après tout, il était une star
immensément populaire de la chanson qui corrompait la jeunesse
américaine et en plus soutenait le mouvement des droits civiques en
faveur des noirs. Mais le dossier en question, déclassifié en 1998 après la
disparition de Frank Sinatra, ne contenait pas grand chose même s’il
faisait 1 300 pages. Certains s'attendaient à des révélations fracassantes
sur la mafia, sur le clan Kennedy dont Frank Sinatra était proche. Rien!
Voilà un épisode surprenant. Frank Sinatra Jr, le fils de son père, voulait
être un chanteur comme lui sans en avoir tout le talent. Le 8 décembre
1963 à l’âge de 19 ans il était dans une chambre d’hôtel dans la petite ville
de Stateline au Nevada où il venait de chanter et attendait qu’on lui livre
de quoi manger. En fait, les livreurs s’emparèrent de lui, le mirent dans le
coffre de leur voiture et foncèrent vers la Californie. Les deux malfrats,
Barry Keenan et Joseph Amsler, et leur complice John Irwin étaient
plutôt des minables et même des malades mentaux un peu faibles d'esprit
selon la justice américaine. Frank Sinatra leur proposa un million de
dollars contre son fils et ils n’en voulaient que 240 000! L’échange entre la
rançon et Frank Sinatra jr se passa sans problèmes et... les trois hommes
furent arrêtés quelques jours plus tard.
Frank Sinatra acheta des montres en or aux agents du FBI qui avaient
mené l’enquête et les refusèrent. Mais ils acceptèrent quand J. Edgar
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Hoover en reçut une.
Neuf ans avant que la Cour suprême des Etats-Unis ne contraigne les
écoles de tout le pays à accepter les élèves africains-américains, la
Froebel High School de Gary dans l’Indiana accepta 200 étudiants afro-
américains. S’en suivit des échauffourées et des appels au boycott. Frank
Sinatra se rendit immédiatement sur place et s’adressa à l’ensemble des
élèves pour dénoncer le racisme.
Frank Sinatra avait des fréquentations douteuses mais combattit
toujours pour l'égalité. Il ne se produisit jamais dans des salles où les
noirs étaient interdits et chanta souvent avec Billie Holliday, Ella
Fitzgerald, Nat King Cole et Sammy Davis Junior à une époque où cela
n'était pas évident. Il chanta pour recueillir des fonds pour Martin Luther
King. «Aussi longtemps que la plupart des blancs pensent «negro» d’abord
et homme ensuite, nous aurons un problème. Je ne sais pas pourquoi nous
ne pouvons pas grandir» avait-il déclaré à la télévision.
FIN