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Vendredi 5 avril 2013 - 69 e année - N˚21216 - 1,80 ¤ - France métropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directrice : Natalie Nougayrède M Que n’avait-on entendu, aulendemainde la convul- sion financière mondiale de 2007-2008 ! Les mots d’ordre claquaient : la finance internationale serait mieux régulée, les paradis fiscaux impi- toyablement combattus, bref, on en finirait avec lestrous noirs d’un systèmecouvrant tous les abus. Les conclusions d’un G20 tenu à Lon- dres se voulaienttrès vertueuses. Les Etats de ce cénacle promettaient « des mesures contre les paradis fiscaux », brandissaient la menace de sanctions et assuraient à tout-va que « l’époque du secret bancaire [était] terminée ». Après la crise qui vient de secouer Chypre, place offshore prisée par les oligarques russes et autres amateurs d’opacité dans la gestion de leursaffaires,nous voici, enFrance, dansle tour- billon de l’affaire Cahuzac, un scandale d’Etat qui met en cause la probité et la transparence élémentaires réclamées de tout responsable politique, a fortiori de haut rang. L’actualité est parfois faite d’enchaînements vertigineux. Que les choses soient claires : l’enquête que Le Monde commence à publier aujourd’hui, consacrée au maquis des paradis fiscaux à l’échelle mondiale, à leur fonctionnement occulte et à leurs bénéficiaires de tous hori- zons, ne prend son point de départ ni dans les tumultes de Nicosie ni dans les démêlés de M. Cahuzac. Cette investigation a été lancée voici des mois. Elle se base sur l’accès sans précédent qu’un consortium international de journalis- tes d’investigation a pu avoir à une gigantes- que base de données, révélant les dessous du monde offshore. 2,5 millions de fichiers ont été épluchés, comparés, recoupés. Le résul- tat : la mise à nu du maillage tentaculaire de la finance de l’ombre. Dans cette masse de documents, deux banques françaises sont mentionnées. Ainsi que l’ancien trésorier de la campagne de François Hollande en 2012, Jean-Jacques Augier, qui assure ne rien avoir fait d’illégal en recourant, pour un partenaire chinois, à des montages offshore. L’exposition de cas individuels, aussi saisis- sants soient-ils, ne doit pas masquer le fond du problème : les paradis fiscaux sont une menace pour la démocratie. Ils minent l’état de droit en jouant sur la dissimulation. Ils sont l’aubaine absolue des fraudeurs de tous bords. Ils favorisent le détournement de richesses publiques dans les Etats où fleuris- sent concussion et corruption. Dans cet uni- vers de créativité juridique semble-t-il illimi- tée, ce sont des sommes colossales qui se cachent derrière des sociétés écrans. De riches particuliers y détiendraient au total, l’équivalent des PIB des Etats-Unis et du Japon additionnés. Nul ne pourra prétendre, à la lumière de cet- te enquête, que les dirigeants politiques, mal- gré leurs dires, se soient donné les véritables moyens d’agir. Il est urgent de renforcer les règles, les moyens de contrôle, la coopération transfrontalière. La lutte contre le blanchi- ment passe par là. Et les banques occidentales amatrices de schémas opaques pourront diffi- cilement faire l’économie de réponses claires. Du moins si elles veulent que, à l’heure de la crise, crédit soit accordé à leurs professions de foi sur l’« éthique ». p HOLLANDE : LES SCÉNARIOS POUR TENTER DE REBONDIR POLITIQUE – LIRE PAGE 10 LES LIAISONS SULFUREUSES ENTRE CAHUZAC ET L’EXTRÊME DROITE LIRE PAGE 12 CAHUZAC : CE QUE SAVAIT LA POLICE POLITIQUE – LIRE PAGE 13 MAKING OF Comment les journalistes ont enquêté. P.2 PÉPITES Ce que recèlent les documents. P. 3 PORTRAIT Jean-Jacques Augier, l’homme du président et des îles Caïmans. P. 4 et 5 INFOGRAPHIE La carte des 96 paradis fiscaux recensés dans le monde. P. 6 SYSTÈME Ceux qui, dans l’ombre, prêtent leur nom. P. 6 DÉBATS Pour en finir avec l’évasion fiscale. P. 20-21 GUY DEBORD François-Mitterrand Paris 13 e 27 mars | 13 juillet 2013 | bnf.fr Réservations Fnac–0892 684 694 (0,34 D ttc/mn)–www.fnac.com Photo D.R. BnF, dpt. des Manuscrits L’infante d’Espagne devant la justice Cristina, la fille du roi Juan Carlos, a été mise en exa- men, mercredi 3 avril, dans l’affaire de détournement de fonds publics qui écla- bousse déjà son époux. INTERNATIONAL – PAGE 7 Le mariage gay sur le gril du Sénat L’examen du projet de loi par les sénateurs débute jeudi 4 avril. Le vote pourrait se jouer à une ou deux voix. SOCIÉTÉ – PAGE 14 Bonté, amitié, probité… Le joli conte des anciens SDF Un iPad perdu, et Pascale Robert-Diard nous raconte le lumineux trajet de Patrice Balzac et Didier Janus. ENQUÊTE – PAGE 18 ÉDITORIAL NATALIE NOUGAYRÈDE Révélations sur les fichiers secrets des paradis fiscaux AUJOURD’HUI Le système offshore, cet ennemi patenté de la démocratie LE MONDE DES LIVRES L’homme connecté UK price £ 1,70 C ’est un hasard de calendrier qui pour- rait réconforter Jérôme Cahuzac : il n’est pas le seul à avoir abrité une par- tie de sa fortune dans un paradis fiscal. Jeudi 4 avril,deuxjoursaprèssesaveux,unréseau de 36 médias internationaux, dont Le Mon- de, le Washington Post, le Guardian, la Süddeutsche Zeitung, publient le résultat d’une longue enquête. Ils ont eu accès, grâce au consortium de journalistes d’investigation ICIJ, à 2,5 mil- lions de documents en provenance de deux sociétés offrant des services offshore. C’est 160 fois plus que les câbles diplomatiques révélés par WikiLeaks en 2010. Cette masse de courriels, de livres de comptes, de docu- ments scannés a nécessité des mois de trai- tement par 86 journalistes de 46 pays pour que tout soit recoupé et lisible. Elle révèle les secretsde plusde 120 000 trusts et socié- tés prête-noms domiciliés aux îles Vierges, aux îles Caïmans et ailleurs. Parmilesayants droitde cessociétés offs- hore, on trouve des dentistes américains, des villageois grecs, des enfants de dicta- teurs,desaigrefinsdeWall Street,des oligar- ques russes, des trafiquants d’armes ainsi qu’une société considérée comme un roua- ge du programme nucléaire iranien. On trouve aussi plus d’une centaine de contribuables français. Le Monde s’apprê- te à publier les noms d’une dizaine d’en- tre eux, comme aujourd’hui celui de Jean- Jacques Augier, trésorier de la campagne de Hollande en 2012. Il a ouvert, en 2005 et 2009, deux sociétés dans les îles Caï- mans relatives à ses affaires en Chine. Ces flux d’argent (légaux ou non, appar- tenant à des particuliers ou à des entrepri- ses), qui transitent par des sociétés offsho- re, ont le pouvoir de déstabiliser des éco- nomies, comme celles de la Grèce ou de Chypre. Ils font aussi monter la pression fiscale sur les contribuables honnêtes : ce sont près de 1 250 milliards d’euros qui échappent chaque année aux administra- tions fiscales, dont 50 milliards pour la France. p LIRE PAGES 2 à 6 LE REGARD DE PLANTU a Bonnes feuilles : « Le Monde » publie des extraits de « La Condition numérique » a Jean-François Fogel et Bruno Patino y analysent l’impact d’Internet sur notre rapport au réel SUPPLÉMENT t Associé au Consortium international de journalistes d’investigation, « Le Monde » dévoile l’opération « OffshoreLeaks » t 2,5 millions de fichiers livrent les secrets d’un système mondialisé d’évasion fiscale à travers plus de 120 000 sociétés-écrans t Dans la liste apparaît le nom de l’homme d’affaires Jean-Jacques Augier, ancien trésorier de la campagne de François Hollande Algérie 150 DA, Allemagne 2,20 ¤, Antilles-Guyane 2,00 ¤, Autriche 2,40 ¤, Belgique 1,80 ¤, Cameroun 1 600 F CFA, Canada 4,25 $, Côte d’Ivoire 1 600 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 28 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,80 ¤, Gabon 1 600 F CFA, Grande-Bretagne 1,70 £, Grèce 2,20 ¤, Hongrie 750 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,20 ¤, Luxembourg 1,80 ¤, Malte 2,50 ¤, Maroc 12 DH, Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,20 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 600 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 35 KRS, Suisse 3,20 CHF, TOM Avion 380 XPF, Tunisie 2,00 DT, Turquie 6,50 TL, USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 600 F CFA,

Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

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Page 1: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

Vendredi 5 avril 2013 - 69e année - N˚21216 - 1,80 ¤ - Francemétropolitaine - www.lemonde.fr --- Fondateur : Hubert Beuve-Méry - Directrice: Natalie Nougayrède

MQue n’avait-on entendu,aulendemaindelaconvul-sion financière mondialede 2007-2008! Les mots

d’ordre claquaient: la finance internationaleseraitmieux régulée, les paradis fiscaux impi-toyablement combattus, bref, on en finiraitaveclestrousnoirsd’unsystèmecouvranttousles abus. Les conclusionsd’unG20 tenuà Lon-dressevoulaienttrèsvertueuses.LesEtatsdececénacle promettaient «des mesures contre lesparadis fiscaux», brandissaient la menace desanctionsetassuraientàtout-vaque«l’époque

dusecretbancaire [était] terminée».Après la crise qui vient de secouer Chypre,

place offshore prisée par les oligarques russesetautresamateursd’opacitédans lagestiondeleursaffaires,nousvoici,enFrance,dansletour-billon de l’affaire Cahuzac, un scandale d’Etatquimet en cause la probité et la transparenceélémentaires réclamées de tout responsable

politique,a fortioridehautrang.L’actualitéestparfois faite d’enchaînements vertigineux.Que les choses soient claires: l’enquête que LeMonde commence à publier aujourd’hui,consacrée au maquis des paradis fiscaux àl’échelle mondiale, à leur fonctionnementocculte et à leurs bénéficiaires de tous hori-zons, ne prend sonpoint de départ ni dans lestumultes de Nicosie ni dans les démêlés deM.Cahuzac.

Cette investigation a été lancée voici desmois. Elle se base sur l’accès sans précédentqu’unconsortiuminternationalde journalis-tes d’investigation a pu avoir à une gigantes-que base de données, révélant les dessous dumonde offshore. 2,5millions de fichiers ontété épluchés, comparés, recoupés. Le résul-tat : la mise à nu dumaillage tentaculaire dela finance de l’ombre. Dans cette masse dedocuments, deux banques françaises sontmentionnées. Ainsi que l’ancien trésorier dela campagne de François Hollande en 2012,Jean-Jacques Augier, qui assure ne rien avoirfaitd’illégalen recourant,pourunpartenairechinois, à desmontagesoffshore.

L’expositiondecasindividuels,aussisaisis-

sants soient-ils, ne doit pas masquer le fonddu problème: les paradis fiscaux sont unemenace pour la démocratie. Ils minent l’étatde droit en jouant sur la dissimulation. Ilssont l’aubaine absolue des fraudeurs de tousbords. Ils favorisent le détournement derichesses publiques dans les Etats où fleuris-sent concussion et corruption. Dans cet uni-vers de créativité juridique semble-t-il illimi-tée, ce sont des sommes colossales qui secachent derrière des sociétés écrans. Deriches particuliers y détiendraient au total,l’équivalent des PIB des Etats-Unis et duJaponadditionnés.

Nulnepourraprétendre,àlalumièredecet-teenquête,que lesdirigeantspolitiques,mal-gré leurs dires, se soient donné les véritablesmoyens d’agir. Il est urgent de renforcer lesrègles, lesmoyensdecontrôle, la coopérationtransfrontalière. La lutte contre le blanchi-mentpassepar là.Et lesbanquesoccidentalesamatricesdeschémasopaquespourrontdiffi-cilementfaire l’économiederéponsesclaires.Dumoins si elles veulent que, à l’heure de lacrise, crédit soit accordé à leurs professionsde foi sur l’«éthique».p

HOLLANDE : LES SCÉNARIOSPOUR TENTER DE REBONDIRPOLITIQUE – LIRE PAGE 10

LES LIAISONS SULFUREUSES ENTRECAHUZAC ET L’EXTRÊME DROITE – LIRE PAGE 12

CAHUZAC : CE QUESAVAIT LA POLICEPOLITIQUE – LIRE PAGE 13

MAKINGOFCommentlesjournalistesontenquêté.P.2

PÉPITESCequerecèlentlesdocuments.P.3

PORTRAIT Jean-JacquesAugier,l’hommedu présidentet des îles Caïmans. P.4 et5

INFOGRAPHIELacartedes96paradis fiscauxrecensésdans lemonde.P.6

SYSTÈME Ceux qui, dansl’ombre, prêtent leur nom. P.6

DÉBATS Pour en finir avecl’évasion fiscale. P.20-21

GUYDEBORDUN ARTDE LA GUERRE

François-Mitterrand Paris 13e

27 mars | 13 juillet 2013 | bnf.fr

Réservations Fnac–0892 684 694 (0,34 D ttc/mn)–www.fnac.comPhoto D.R. BnF, dpt. des Manuscrits

L’infante d’Espagnedevant la justiceCristina, la fille du roi JuanCarlos, a étémise en exa-men,mercredi 3avril, dansl’affaire de détournementde fonds publics qui écla-bousse déjà son époux.INTERNATIONAL – PAGE 7

Lemariage gaysur le gril duSénatL’examenduprojetde loiparlessénateursdébute jeudi4avril. Levotepourrait sejoueràuneoudeuxvoix.SOCIÉTÉ– PAGE 14

Bonté, amitié,probité…Le joli contedes anciensSDFUniPadperdu, etPascaleRobert-Diardnousraconte lelumineuxtrajetdePatriceBalzacetDidier Janus.ENQUÊTE– PAGE 18

ÉDITORIALNATALIE NOUGAYRÈDE

Révélationssurlesfichierssecretsdesparadisfiscaux

AUJOURD’HUI

Le systèmeoffshore, cet ennemipatentéde ladémocratie LE MONDE DES LIVRESL’hommeconnecté

UKprice£1,70

C ’estunhasarddecalendrierquipour-rait réconforter Jérôme Cahuzac: iln’estpasleseulàavoirabritéunepar-

tiedesafortunedansunparadisfiscal. Jeudi4avril,deuxjoursaprèssesaveux,unréseaude36médias internationaux,dontLeMon-de, le Washington Post, le Guardian, laSüddeutsche Zeitung, publient le résultatd’unelongueenquête.

Ils ont eu accès, grâce au consortiumdejournalistes d’investigation ICIJ, à 2,5mil-lionsdedocumentsenprovenancededeux

sociétés offrant des services offshore. C’est160 fois plus que les câbles diplomatiquesrévélésparWikiLeaksen2010.Cettemassedecourriels,de livresde comptes,dedocu-mentsscannésanécessitédesmoisdetrai-tementpar86journalistesde46payspourque tout soit recoupé et lisible. Elle révèlelessecretsdeplusde120000trustsetsocié-tésprête-nomsdomiciliésaux îlesVierges,auxîlesCaïmansetailleurs.

Parmilesayantsdroitdecessociétésoffs-hore, on trouve des dentistes américains,

des villageois grecs, des enfants de dicta-teurs,desaigrefinsdeWallStreet,desoligar-ques russes, des trafiquants d’armes ainsiqu’unesociétéconsidéréecommeunroua-geduprogrammenucléaire iranien.

On trouve aussi plus d’une centainedecontribuables français.LeMonde s’apprê-te à publier les noms d’une dizaine d’en-treeux,commeaujourd’huiceluideJean-Jacques Augier, trésorier de la campagnede Hollande en 2012. Il a ouvert, en2005et 2009, deux sociétés dans les îles Caï-

mans relatives à ses affaires enChine.Cesfluxd’argent(légauxounon,appar-

tenantàdesparticuliersouàdesentrepri-ses),quitransitentpardessociétésoffsho-re, ont le pouvoir de déstabiliser des éco-nomies, comme celles de la Grèce ou deChypre. Ils font aussi monter la pressionfiscale sur les contribuableshonnêtes: cesont près de 1250 milliards d’euros quiéchappentchaqueannéeauxadministra-tions fiscales, dont 50milliards pour laFrance.p LIRE PAGES2 à6

LE REGARD DE PLANTU

a Bonnes feuilles :«LeMonde» publie desextraits de «La Conditionnumérique»

a Jean-François Fogel etBruno Patino y analysentl’impact d’Internet surnotre rapport au réelSUPPLÉMENT

tAssociéauConsortiuminternationalde journalistesd’investigation,«LeMonde»dévoilel’opération«OffshoreLeaks»

t2,5millionsde fichiers livrentles secrets d’un systèmemondialiséd’évasion fiscale à traversplusde 120000sociétés-écrans

tDans la liste apparaît lenomdel’hommed’affaires Jean-JacquesAugier, ancien trésorierde lacampagnedeFrançoisHollande

Algérie 150 DA,Allemagne 2,20 ¤,Antilles-Guyane 2,00 ¤,Autriche 2,40 ¤,Belgique 1,80 ¤, Cameroun 1 600 F CFA, Canada 4,25 $, Côte d’Ivoire 1 600 F CFA, Croatie 18,50 Kn, Danemark 28 KRD, Espagne 2,00 ¤, Finlande 2,80 ¤, Gabon 1 600 F CFA, Grande-Bretagne 1,70 £,Grèce 2,20 ¤, Hongrie 750 HUF, Irlande 2,00 ¤, Italie 2,20 ¤, Luxembourg 1,80 ¤,Malte 2,50 ¤,Maroc 12 DH,Norvège 28 KRN, Pays-Bas 2,20 ¤, Portugal cont. 2,00 ¤, Réunion 2,00 ¤, Sénégal 1 600 F CFA, Slovénie 2,20 ¤, Suède 35 KRS,Suisse 3,20 CHF, TOMAvion 380 XPF, Tunisie 2,00 DT, Turquie 6,50 TL,USA 3,95 $, Afrique CFA autres 1 600 F CFA,

Page 2: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

2 0123Vendredi 5 avril 2013

Plongéeaucœurdes«juridictionsàpalmiers»Desdocumentssecrets jettentune lumièrecruesurunsystèmed’évasionfiscalemondialisé

l’événement

D ans l’avion de Paris àMadrid, ce 28jan-vier2013, difficiledemeconcentrer surles dernières pages du roman de Joël

Dicker. L’«affaire Harry Québert» attendradonc pour livrer sa «vérité». C’est une autreenquête quime conduit dans la capitale espa-gnole et qui m’occupe l’esprit. Une liste de130Français détenteurs de sociétés offshore aété extraite par le Consortium de journalistesd’investigation international (ICIJ), àpartir defichiers secrets, parmi des milliers de noms,des riches particuliers et de puissantes hol-dingsfinancières,Européens,Américains,Rus-ses ou Asiatiques, dissimulés derrière des prê-te-noms.ElleestparvenueauMondevoilàquel-ques semaines, par l’intermédiaire de monconfrère Serge Michel, sur une messageriecryptée.Un comité restreint a étémis en placepour enquêter sur ce qui a aussitôt été appelé«l’opérationOffshoreLeaks».

La liste françaisen’a laissé filtrerquepeudenoms de personnalités connues. Le voyage àMadrid doit permettre d’en savoir plus. ICIJ,qui a une correspondante en Espagne, est prêtà nous ouvrir ses précieux fichiers. Une mined’informationsconfidentielleslivréespard’an-ciens salariés de deux entreprises de servicesfinanciersoffshore,PortcullisTrustNetetCom-monwealthTrustLimited, surdescentainesdemilliers de sociétés créées à la fin des années1990et au longdesannées 2000dans lespara-dis fiscaux.

Jamais les Etats et les administrations fisca-les n’accèdent à de telles données. Seules leurparviennent des bribes d’information. Desindicesdedétentiondecomptesnondéclarésàl’étranger, qui, souvent, butent sur le secretbancaire…

Je vérifie l’adresse griffonnée sur mon car-net:unepetiteplacedubariodelPilar,aunord-est de la ville, un rendez-vous entouré de cequ’il faut de mystère. Et surtout, la clé USB«d’aumoins 32gigabits»,m’a-t-onprécisé, quime permettra de rapporter à Paris les fameuxfichiers.

Les listings d’ICIJ sont détonants par leurampleur: ils représentent une masse de don-nées informatiques brutes de 260gigabits.C’est 162fois plus que les documents renduspublicsparWikiLeaks.Ilsfourmillentderensei-gnements précis, souvent codés, sur l’identitédes administrateurs et les actionnaires de cessociétés établies dans les îles Vierges britanni-ques, aux Caïmans, aux îles Cook, aux Samoa,

àSingapour,dontl’existenceàl’abrideces juri-dictions opaques aurait dû rester secrète, loindesyeuxdes régulateurs et des autorités fisca-les. Une porte entrouverte sur le monde descentres financiers offshore.

Les recherches, cependant, s’annoncent dif-ficileset l’ICIJn’acessédelerépéterauxmédiasassociés à l’« ICIJ Offshore Project», du Wash-ingtonPostàl’AsahiShimbun, enpassantparlaCanadian Broadcasting Corporation (CBC), leGuardianàLondres, lePremiumTimesauNige-ria,LaNaciónenArgentineouLeMatinDiman-che en Suisse (liste complète sur Lemonde.fr).

Là où WikiLeaks donnait à voir des câblesd’ambassade, des conversations parmail, brefdes documents explicites et immédiatementexploitables, les fichiers d’ICIJ exigent, eux,d’être décodés, comparés,mélangés, analysés.

Des heures de plongée informatique sontaumenuavantdepouvoireffectivementcom-mencer la véritable enquête journalistique:lesrecherchessur lesdiversesentrepriseset lespersonnes,puis les appels téléphoniqueset lesrendez-vous…La confrontationdes faits à leurvérité.

Mar Cabra, la correspondante d’ICIJàMadrid,m’accueilleavecunlargesourire.Ellea pour mission d’aider les journalistes euro-péensànaviguerdansles fichiers.C’est,dit-elled’emblée, une coopération internationale iné-dite.Rompueàce«data-journalisme»quipro-met de révolutionner le métier, elle donne leton des trois jours que nous allons passerensemble : l’interprétation des données estcomplexe, il faudra travaillersans relâche, tarddans la nuit. C’est ce que nous ferons, avec,pour tenir le coup,unethéière toujourspleine.

Devant nous, deux écrans allumés en per-manence. Nous passons de l’un à l’autre poursélectionner les données qui nous intéressentpuis les sauvegarder. Depuis quinze mois, auprixd’untravail intense, ICIJarecensélessocié-tés offshore, pays par pays. D’où cette liste de130Français.

Baptisée OMET (de l’anglais offshore mainentity tables, liste des principales entités offs-hore), la basededonnéespour laquelle chaquemédia obtient un code sécurisé ouvre l’accès àdes milliers de tableaux Excel, de documentsWord, de PDF, certains explicites, d’autresabscons: desmails échangés entre les sociétésPortcullis TrustNet et Commonwealth TrustLimited et des avocats, suisses, américains oudes banques; la correspondance privée d’avo-catsavecleursclients;descertificatsd’enregis-trement de sociétés ; des transferts d’actions;des piècesd’identité.

Une jungle qu’il faudra explorer patiem-ment. Jusqu’à trouver la pièce probante, quipermettra d’identifier les propriétaires réelsdes sociétés ou de reconstruire l’architectureque l’on cherchait à cacher.

De retour à Paris, les véritables investiga-tions commencent. Des heures en apnée. Unnom ou un code dans la base de données endonne un autre, puis un autre, puis un autre…Des recherches sans fin.

C’est un voyage virtuel de Paris à Genève,puis deGenève à Singapour, de Singapour jus-qu’aux îles Vierges. C’est un jeu de saute-mou-ton international qui doit se jouer des piègesposéspar les experts de la haute finance et quinous conduit jusqu’au cœur des « juridictionsà palmiers », comme les surnomment lesexperts. Les moments de découragement nemanquentpas. L’opacitén’est pas aisée à com-battre.

Des interrogationssurviennentaussi. Sur lesens à donner aux résultats de nos investiga-tions. Sans connaissance précise des flux d’ar-gent qui ont transité par ces sociétés offshore,etontpuéchapperàl’impôt, impossibledetra-cer la ligne rouge entre optimisation fiscale etfraude.

Et, jusqu’où aller dans la révélation desnoms? Le gros entrepreneur régional quicache ses plus-values aux Caïmans vaut-ilautant que le responsable politique à qui lacharge confère un devoir d’exemplarité? Quedisentnosrecherchesduvisagedel’évasionfis-calede la société et du rapport à l’impôt?

Puis arrive, sur le Forum d’échanges créépour le projet, un message d’un journalisteétranger, François Pilet ou Titus Plattner enSuisse, Harry Karanikas enGrèce, Ivan Ruiz enArgentine, qui rouvreundossierdans l’impas-se, lui donneun senspolitiquenouveau.

Surtout, il y a ICIJ et ses équipes, àMadrid etàWashington,mobiliséesàpleinsur ledossier,qui, à travers leurs messages d’encourage-ment, rappellent finalement l’essentiel.Que laluttecontrel’opacitéfinancière,quioffrel’ano-nymat aux fraudeurs, et se retrouve mise encausedanstouteslescrisesfinancières,faitpar-tie des grands combatsdémocratiques.p

AnneMichel

C’estunejunglequ’il fautexplorerpouridentifier lespropriétairesdessociétésetreconstruireunearchitecturequel’oncherchaitàcacher

Photographies extraites de la série «Offshore», de Philippe Durand, réalisée dans divers paradis fiscaux des Caraïbes. De gauche àdroite et de haut en bas, le siège de la banque Stanford aux îles Vierges,unemarina située dans la partie néerlandaise de Saint-Martin, une salle des coffres de la First Bank, un établissement bancaire situé àAntigua. COURTESY LAURENT GODIN

Page 3: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

30123Vendredi 5 avril 2013

Chers Sénateurs,Comme nous, une majorité deFrançais vous appelle à voterPOUR le mariage pour tous.Toutes les familles comptent.

313 290 Français pour l'égalité avec All Out :

allout.org/egalite

Cet encart est financé par plus de 500 membres d'All Out.

Dans l’éditiondatée du6avril :

aDeuxbanques françai-ses, BNPParibas etCrédit agri-cole, ont aidé leurs clients àcréerdes sociétés offshore, àpartir de leurs filiales suissesouasiatiques. C’est ce qui res-sort des documentsobtenuspar l’ICIJ.

a Le vrai visagede l’éva-sion fiscale française. Lesayantsdroit des sociétés offs-hore, le plus souvent, ne sontpasdes personnalités à laCahuzacouDepardieu,maisdesnotables deprovince etdes entrepreneurs, comme lafamilleGrosman, propriétai-re de lamarqueCelio.

a L’archipel offshoredubaronElie de Rothschild.

aPourquoi le fisc françaisa tant depeine à lutter contrele phénomèneoffshore.

Dans l’éditiondatéedes 7 et 8avril

a La boîte de Pandoredela fiduciaire Reyl, qui a géré àGenèvepuis à Singapour lesavoirs de JérômeCahuzac.

aPetitwho’swho russede l’évasion fiscale.

aOffshoreLeaks livre unmaillonmanquantdans l’en-quête quemenait l’avocatrusseMagnitski avantdemourir.

a Les cas de l’opposant dji-boutienBoreh oudeMariaImeldaMarcos, fille de l’ex-dictateurdes Philippines.

ICIJ L’International Consor-tiumof Investigative Journa-lists est une initiative duCen-ter for Public Integrity, baséàWashington. Son enquêteOffshoreLeaks est publiéedès le 4avril par 36médiasqui lui ont chacun apporté desinformations propres.

OffshoreLeaks 2,5millionsde fichiers qui concernentplusde 170Etats et territoi-res, 120000trusts et socié-tés écrans domiciliés aux îlesVierges britanniques, aux îlesCook, aux Samoa, et ailleurs.Lalistefrançaise,elle,compor-tait 130noms.

Fraude, optimisationet évasion fiscale La fraudefiscaleviseàcontourner illéga-lement l’impôt, de manièredélibérée, ce qui la différenciedel’optimisationfiscale.Celle-ci relève de pratiques utilisantdes moyens légaux et viseàdiminuer la charge d’impôts.Iln’existepasdedéfinitionpré-

cise de l’évasion fiscale. Engénéral, ce terme est utilisépour désigner à la fois la frau-de et l’évasion fiscale. Cettedernière est donc considéréepar nature comme illégale.

OffshoreDans la finance, ceterme recouvre des place-mentsdecapitauxà l’étranger,souvent dans des paradis fis-caux.

Activités financièrescriminelles La circulationtransfrontalière du produittiré d’activités financières cri-minelles, à l’échelle mondiale,représenteraitaujourd’hui jus-qu’à 1250milliards d’euros,selon le programme STAR(Banquemondiale, ONU).

Trusts, internationalbusiness companies…Il s’agit d’entités opaques,sans obligation comptable,conçues notamment pour dis-simuler l’identité du (ou des)propriétaire(s).

l’événement

Une mine d’informationssur le système financieroffshore telle qu’aucunmédia n’en a jamais euentre les mains, étalant augrand jour les opérations

financièresopaquesdepersonnalitéspoli-tiques, d’escrocs et de super-riches dans lemondeentier.C’estcequereprésententles2,5millions de fichiers obtenus par leConsortium de journalistes d’investiga-tion international (ICIJ). On y trouve desmédecins et des dentistes américains, desvillageois de la classe moyenne grecque,desprochesd’indéboulonnablesdespotes,desaigrefinsdeWall Street, desmilliardai-res d’Europe de l’Est et d’Indonésie, descadres russes et des trafiquantsd’armes.

DeMoscouàManilleParmi les clients de ces paradis fiscaux

identifiésdanslesdocumentsfigurentaus-si desparticuliers et des entreprises impli-qués dans l’affaire Magnitski, ce scandaledefraudefiscalequiajetéunfroidentrelesEtats-Unis et la Russie et s’est traduit parl’interdiction en décembre 2012, pour lesAméricains, d’adopter des orphelins rus-ses.Ony trouveégalement le gestionnaired’un fonds spéculatif américain accusé derecouriràdesentitésoffshoredanslecadred’unsystèmeplanétaireà laPonziqui lui apermis de verser quelque 30millions dedollars (23,4millions d’euros) de pots-de-vin àdes responsables gouvernementauxvénézuéliens.

Estaussirévéléel’identitédedizainesdeclients américains ayant eu des démêlésavec la justice dans des affaires de fraude,de blanchiment d’argent et autres délitsfinanciers. Parmi eux, deux anciens gol-denboys deWall Street: Paul Bilzerian, unspécialiste des OPA hostiles condamné en1989pour fraude fiscale et infractionsauxlois sur les valeursmobilières, et lemilliar-daire Raj Rajaratnam, gestionnaire d’unhedge fund incarcéré en 2011 dans l’unedesplusscandaleusesaffairesdedélitd’ini-tiéde l’histoiredes Etats-Unis.

Il y a encore cemagnat des affaires quiaremporté des contrats de plusieurs mil-liards de dollars grâce aux chantiers pha-raoniques lancés en Azerbaïdjan tout endirigeantde trèssecrètescompagniesoffs-hore détenues par les filles du présidentazerbaïdjanais, Ilham Aliev. Sans oubliercesmilliardaires indonésiens liés audicta-teur défunt Suharto, dont le règne(1967-1998) a favorisé l’enrichissementd’unpetit cercled’élites.

Ou cette responsabledugouvernementthaïlandais, liée au dictateur zimbabwéenRobertMugabe,qui amontéen 2008poursonpropre compteuneentrepriseaux îlesViergesbritanniques.Nalinee JoyTaveesinest l’actuelle représentante au commercede son pays, après avoir quitté en 2012 sesfonctionsdeministreauseindugouverne-mentdeYingluckShinawatra.Washingtona gelé ses avoirs aux Etats-Unis, l’accusantde«soutenir en secret lespratiques “clepto-cratiques” de l’un des régimes les plus cor-rompusd’Afrique» en participant au traficdepierres précieuseset à d’autres activitéspour le compte de l’épouse deM.Mugabe,Grace, etd’autrespuissantsZimbabwéens.

Ces données éclairent parfois d’un journouveau des affaires criminelles tombéesen déshérence. Ainsi, apprenant que l’ICIJavait identifiéMariaImeldaMarcosMano-toc, la filleaînéede l’ex-dictateurphilippinFerdinand Marcos (1965-1986), commel’unedesbénéficiairesd’untrustdomiciliéaux îles Viergesbritanniques, les autoritésphilippines se sont déclarées impatientesde pouvoir déterminer si une partie desfondsainsiplacésprovenaitdes5milliardsde dollars amassés par son père grâce à lacorruption. MmeManotoc, gouverneured’uneprovinceauxPhilippines,arefuséderépondreànosquestions.

Parmi les autres personnalités identi-fiées dans la liste des détenteurs d’avoirsoffshore, en l’occurrence aux îles Viergesbritanniques, figurent aussi l’épouse duvice-premier ministre russe Igor Chouva-lov et deux cadres dirigeants du géantpublic russe Gazprom, numéro un mon-dial de l’extraction de gaz naturel. Aucunn’avoulu répondreànosquestions.

Sur la liste espagnole, on trouve labaronne Carmen Thyssen-Bornemisza,illustre mécène des arts, qui utilise unesociété domiciliée aux îles Cook pouracquérirdesœuvresd’artauprèsdeSothe-by’s et Christie’s, dont unMoulin àeau àGennepdeVanGogh. Son avocat le recon-naît– labaronnebénéficied’avantagesfis-

cauxendétenantà l’étranger les piècesdesa collection. Mais il souligne que si ellepassepardesparadisfiscaux,c’estd’aborden raison de la « souplesse maximale»qu’ils offrent quand il faut transférer desœuvresd’art d’unpays à l’autre.

L’équivalentduPIBduJaponetdesEtats-Unisréunis

L’anonymatderigueurdanslesparadisfiscauxne facilite pas la tâche de qui veutremonter… la piste de l’argent. Selon uneétudeconduitepar JamesS.Henry, ancienéconomiste en chef au cabinetMcKinsey,les riches particuliers détiennent entre21000et 32000 milliards de dollars depatrimoinepersonneldansdes territoiresà la fiscalité réduite, l’équivalent du pro-duit intérieur brut (PIB) des Etats-Unis etdu Japon additionnés.Alors même quel’économiemondiale chancelle, l’offshorecontinueàcroître,ditM.Henry,aussimem-bre du conseil d’administration del’ONGTax Justice Network, qui militecontre lesparadis fiscaux.

Commelemontresontravail, lesavoirsen gestion dans les 50 plus grandes ban-ques privées dumonde – qui passent sou-vent par des centres offshore pour servirles intérêts de leurs «grands comptes» –sontpassésde5400milliardsdedollarsen2005 à plus de 12000milliards en 2010.Pour M.Henry, le secret financier a deseffetscorrosifssur lesEtatset leursystèmejudiciaire : il permet àdes responsablespublics véreux de piller des trésors natio-nauxet il sertdeparaventauxtrafiquants,aux mafieux, aux braconniers et autresexploiteursen tout genre.

Les partisans des paradis fiscaux répli-quent que la plupart des clients de ces pla-ces financières ont des activités parfaite-mentlégales.Lescentresoffshore,arguent-ils,permettentauxentreprisesetauxparti-culiers de diversifier leurs investisse-ments, de nouer des alliances commercia-les par-delà les frontières et de faire desaffaires dans des territoires qui favorisentl’esprit d’entreprise et ignorent les lour-deurs réglementaires et administrativescaractéristiquesdu restedumonde.

CTLetPortcullisauservicedeleursclients

L’enquêtedel’ICIJaportépourunelargepartsurletravaildedeuxentreprisesdeser-vices financiers offshore, Portcullis Trus-tNet, installée à Singapour, et Com-monwealthTrust Limited (CTL), basée auxîles Vierges britanniques, qui ont aidé desdizainesdemilliersdepersonnesàmonterdes sociétés et des trusts offshore et àsedoterde comptesbancairesdiscrets.

Les autorités des îles Vierges britanni-ques ont établi que CTL avait à maintesreprises, entre2003 et 2008, enfreint lalégislation antiblanchiment de l’archipelen ne procédant pas aux vérifications etàl’enregistrementde l’identité et des anté-cédentsdesesclients.CTLaainsiconstitué,en2006 et 2007, pas moins de 31 sociétéspourlecompted’unindividuquela justice

britannique a identifié comme étant unhomme de paille de Moukhtar Abliazov,un puissant banquier kazakh accuséd’avoir volé 5milliards de dollars à l’unedesprincipalesbanquesdel’anciennerépu-bliquesoviétique.M.Abliazovnie toutacterépréhensible.

A en croire ThomasWard, un Canadienqui faisaitpartieen1994des fondateursdeCTL et qui travaille comme consultantpour le cabinet, les procédures de contrôledesclientsmenéesparCTLsontconformesaux pratiques du secteur aux îles Viergesbritanniques.Par ailleurs, laplusdrastiquedes sélections n’empêchera jamais dessociétéscommeCTLd’être«dupéespardesclients malhonnêtes», dit-il, ni de signeravec «quelqu’un qui, après tous les contrô-lespossibles, se révéleramalhonnête».

Cessociétésoffshoreaident leursclientsà tisser des structures financières comple-xes qui s’étendent au-delà des continentsetdesocéans.Ceux-cipeuventcomptersurunréseaud’intermédiaires,decomptables,d’avocats et de banques, tous grassementrémunérés,pourleurfournirunecouvertu-re,monter les structuresfinancièresnéces-saireset transférer leursavoirsà leurplace.Les documents révèlent aussi que deuxprestigieusesbanquessuisses,UBSetClari-den, ont collaboré avec Portcullis TrustNetpour offrir à leurs clients des sociétés opa-ques domiciliées aux îles Vierges britanni-quesetdansd’autresparadis fiscaux.

Clariden,fusionnéedepuisàCréditsuis-se, exigeait pour certains de ses clients detelsniveauxdeconfidentialitéquesaquêtea été qualifiée par un responsable de Port-cullis de «Graal»des entités offshore: unesociété jouissant d’un tel anonymat que lapolice et les autorités de réglementation,cherchantàdécouvrir l’identitéde sespro-priétaires se fracasseraint inévitablement«surunmuraveugle».Claridenn’apassou-haitérépondreànosquestionssursesliensavec TrustNet. UBS, elle, assure appliquer«les normes internationales les plus stric-tes» enmatière de lutte contre le blanchi-ment:PortcullisTrustNet«n’estqu’unpres-tatairedeservicesparmiplusde800danslemondeaveclesquelslesclientsd’UBSchoisis-sent de travailler pour répondre à leursbesoins de gestion de patrimoine et de suc-cession. Les clients d’autres banques fontappelauxmêmesprestataires».

De son côté, TrustNet se présente com-meun «guichetunique», avec des équipesde juristes, comptables et autres expertscapablesdeconcevoirdessolutionsperson-nalisées, parfois simples et bon marchécomme la constitution d’une société auxîlesVierges,parfoisplus complexesavec lasuperposition de trusts, sociétés, fonda-tions,produitsd’assuranceetprête-nomsàladirectionetdanslesparticipationsdesfir-mes.

De fait, les sociétés de services offshoredésignent souvent à la tête des entreprisesconstituéespourleursclientsdefauxdirec-teurs et actionnaires – des hommes depaille qui servent de doublures quand lesvéritables propriétaires ne veulent pasdévoilerleuridentité.Grâceàlamultiplica-tiondeprête-nomsdece type, lesenquêtessur les affairesdeblanchimentd’argentoud’autres délits débouchent souvent sur un

cul-de-sac.Uneenquêtemenéepar l’ICIJ, laBBC et TheGuardian a identifié un groupede vingt-huit «directeurs fictifs» servantdeprête-nomsàplusde21000sociétés,cer-tains pouvant représenter individuelle-mentplus de 4000entités. Parmi eux: unindividu installé au Royaume-Uni, quiadirigéunesociétédesîlesViergesbritanni-ques, Tamalaris Consolidated Limited,considérée par l’Union européenne (UE)comme une société écran de l’armateurpubliciranienIslamicRepublicofIranShip-pingLines (IRISL). Cedernier est accuséparl’UE,mais aussi par lesNationsunies et lesEtats-Unis, de soutenir le programmenucléaire iranien.

Lesparadisfiscaux,des«zonesd’impunité»

Pourtant, depuis des décennies, desorganisations internationales luttentcontre la fraude fiscale et la corruptionfavorisées par les plates-formes offshore.Dans les années 1990, l’Organisation decoopération et de développement écono-miques (OCDE) avait incité les centresfinanciers offshore à lever une partie dusecret sur leurs activités et à se montrerplus vigilants face au blanchiment. Mais,comme le rappelle Robert Goulder,ex-rédacteuren chef de TaxNotes Interna-tional, les efforts ont faibli dans les années2000 avec le retrait du soutien américaindécidépar le gouvernementBush.

Une deuxième «grande croisade»contre les paradis fiscaux, pour reprendreles termes de M.Goulder, a été lancéequand Washington s’en est pris à UBS,contrainte en 2009 de débourser 780mil-lions de dollars pour clore l’affaire danslaquelle elle était accusée d’avoir aidé desAméricainsàsesoustraireàl’impôt.Wash-ingtonet Berlin font aujourd’hui pressionsur les banques et les Etats pourqu’ils par-tagent leurs informationssur les clients etles comptes offshore. Au Royaume-Uni, lepremier ministre, David Cameron, s’estengagé à utiliser la présidence du G8, leforumdes pays les plus riches de la planè-te, comme levier dans la lutte contre l’éva-sion fiscale et le blanchiment.

Lespromessesdecegenrelaissentscep-tique quand on connaît le rôle des princi-paux membres du G8 que sont les Etats-Unis, le Royaume-Uniet la Russie dans lesréseauxd’argentsale,dont ils sontà la foisémetteurs et récepteurs.

En dépit des nouveaux efforts entre-pris, lescentresoffshorerestentune«zoned’impunité» pour tous les délinquantsfinanciers, déplore Jack Blum, ancienenquêteurpour le Sénat américain et avo-cat spécialisé dans les affaires de blanchi-ment et de fraude fiscale. «De temps entemps, la puanteur qui s’échappe de cettepoubelle devient si pestilentielle qu’il fautquequelqu’unviennes’asseoirsurlecouver-cle,histoiredelemaintenirbienfermé,résu-me-t-il. Il yaeudesprogrès,mais le cheminest encore sacrément long.»p

DuncanCampbell, StefanCandea,NickyHager,MichaelHudson ,

GérardRyleetMarinaWalkerGuevara

Liste complète des signataires page 6

DuvillageoisgrecauxaigrefinsdeWallStreetLamassededonnéesanalysées représenteplusde 160fois celledes fichiersWikiLeaks

La suitede nosrévélations

Glossaire

Page 4: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

4 0123Vendredi 5 avril 2013

E n plein scandale Cahuzac, larévélation tombe au plusmal. Jean-Jacques Augier,

59ans, homme d’affaires et figurediscrètedumondede l’édition, quifut le trésorier de François Hollan-de pendant la campagneprésiden-tiellede2012,voitsonnomapparaî-tre dans les documents auxquelsLeMondea euaccès.

Ceux-ci montrent qu’il estactionnairededeuxsociétésoffsho-redans les îlesCaïmans,par lebiaisde sonholding financierEurane.

L’enquête conduitepar LeMon-de, sur la base des fichiers duConsortiuminternationalde jour-nalistesd’investigation(ICIJ),aper-mis d’établir qu’une sociétédénomméeInternationalBooksto-res Limited a été constituée en2005 par plusieurs actionnaires,dontM.Augier,dansceparadis fis-caldesCaraïbes sous souverainetébritannique.

Non sans un certain embarras,M.Augier confirme les faits, maisaffirmen’avoir«nicomptebancai-re personnel ouvert aux Caïmansni investissement personnel directdans ce territoire». « J’ai investidanscettesociétéparl’intermédiai-re de la filiale d’Eurane en Chine,Capital Concord Limited, un hol-ding qui gère toutes mes affaireschinoises, précise ce proche duchef de l’Etat. L’investissementdans International Bookstoresapparaît au bilan de cette filiale.Rienn’est illégal.»

Polytechnicien, énarque del’emblématiquepromotionVoltai-re et ancien (et brillant) inspecteurdes finances,M.Augierdoit l’origi-nedesafortuneàsonmentordanslemondedesaffaires,AndréRous-selet, l’ami intimedeFrançoisMit-terrand,quilerecruteen1987pourdiriger la compagnie de taxis G7,

alorsmalenpoint. Il enrepart trei-ze ans plus tard, la société redres-sée et fortune faite, avec un para-chutedoré de 11millionsd’euros.

En 2004, poussé par l’appel dularge, M.Augier met le cap sur laChine où il a l’ambition d’implan-ter un nouveau modèle de librai-riesà l’occidentale. Ily investitunepartie de sa fortune. C’est dans cecadre qu’il crée, en 2005, Interna-tional Bookstores avec deux asso-ciés, un Français installé en Chinecomme lui, Jacques Rougeaux, uningénieur centralien, et un hom-med’affaires chinois.

Trois ans plus tard, en2008-2009, M.Augier, toujoursinstallé en Chine, où il conduit sesaffaires, participe à la créationd’une deuxième entité offshore,également localisée aux Caïmans,cette fois avecplusieursactionnai-resinternationaux,destour-opéra-teurs parmi lesquels des Euro-péens.

Sur ces deux opérations,M.Augier accepte de s’expliquer.Selonl’éditeurfrançais(propriétai-re du magazine Books et, depuisjanvier2013, de Têtu, le premiermagazine de la communautéhomosexuelle), InternationalBookstoresa été créé auxCaïmansà la demanded’unde sespartenai-res chinois de l’époque, un certainXiShu,trèsenvuedanslepays,pro-priétaired’un réseaude librairies.

Intéressépar l’expérienceeuro-péenne de M.Augier, Xi Shu sou-haitait s’associer à lui, en luicédantunepartie ducapital de seslibrairies. Mais à la condition sinequa non de créer une structure deportagedesactifsauxCaïmans,unmontage alors très à la modeauprèsdes entrepreneurschinois.

S’agissait-il, pour ce haut digni-tairechinois,denepaspayerd’im-pôt sur sa plus-value de cession?Toujours est-il que l’homme d’af-faires français accepte et acquiert,avec M.Rougeaux, environ 30%ducapitald’InternationalBooksto-res, dont il prend la direction. L’in-génieur français s’occupedemon-ter la structure. Et puis très vite,dès 2006, survient le clash avec XiShu. M.Augier estime avoir été

trompé. Les librairies, dit-il s’êtrerendu compte, sont endettées. Ildémissionnera sans pouvoirrevendre ses parts.M.Augier affir-me aujourd’hui ne pas savoir ceque fait la société.

Quantàladeuxièmeentitéoffs-hore, constituée en 2008-2009avec des voyagistes de plusieurspays,etquiporteraituninvestisse-ment que M.Augier se refuse àdévoiler, l’éditeuraffirmeune foisencore qu’elle a été créée à lademande de ses partenaires enaffaires, aux Caïmans. Elle auraitété depuis rapatriée àHongkong.

« Vous me trouvez léger ?,répond-il auMonde, qui l’interro-ge sur le calendrier de ce secondmontage, en pleine crise financiè-re mondiale, au moment de ladéclaration de guerre des pays du

G20 contre les paradis fiscaux.C’est à mettre sur mon caractèreaventurier. Peut-être ai-jemanquédeprudence.»

Peut-être, en effet. Car deuxquestions se posent à la suite desinvestissements offshore de l’édi-teur français. La première concer-nebien sûr la légalitéde cesopéra-tionset lefaitdesavoirsiM.Augier– un Français ayant des activitésinternationales,et ayantcréépourles abriter une société, Eurane,dont le patrimoine est effective-ment distinct de son patrimoinepersonnel – s’estmis en infractionvis-à-vis de la loi française.

La loi est claire : selon l’arti-cle 209-B du code général desimpôts, si une société françaisedétient une entité juridique dansunpaysdotéd’unrégimefiscalpri-

vilégié, directement ou par unefiliale, et que cette entité n’a pasd’activité économique réelle maisporte des actifs dits «passifs» (desdividendes, des prêts, etc.), alorselle est imposable en France. Et ce,au prorata de son investissementoffshore. M.Augier ne semble passe placer dans ce cas de figure. Ilaffirme d’ailleurs que ses opéra-tions sont légales et déclarées.

Maiscommentlevérifiers’agis-sant d’entités qui ne publient pasleurs comptes? De plus, M.Augierne s’est-il pas mis en risque dansune société dont il ne peut se reti-rer?

Lasecondequestionestévidem-mentd’ordreéthique.Mêmesi cesopérations sont légales, fallait-ilqu’un inspecteur des finances,membre de l’un des grands corps

de l’Etat, et porteur des valeurs dela République, participe à de telsmontages,cautionnantainsil’opa-cité financière des territoires offs-hore?

Sous couvert d’anonymat, unhaut fonctionnaire livre cet élé-ment de réflexion: «Nous vivonsdans un monde où le contrôle deschanges a été supprimé, mais oùles pays ne sont pas à égalité dedroits en termede fiscalité. Il y aunmaquisde règles, et la viedes affai-res autorise beaucoup de choses.Beaucoup de gens confondent laloi et la morale. L’impôt, c’est uneaffaire de loi. Si on veut traiter lesujet de l’opacité financière, on estdans tout autre chose. Une autredimensionoù chacunest juge.» p

AnneMichelavecRaphaëlle Bacqué

l’événement

LesinvestissementsauxCaïmansdutrésorierdecampagnedeFrançoisHollandeJean-JacquesAugierditavoiragidans la légalitéet invoquece«caractèreaventurier»quil’aurait conduitàparticiperàdetelsmontages

Lesindégivrables XavierGorce XiShu, l’énigmatiquepartenairechinois

«Vousmetrouvezléger?, répond

Jean-JacquesAugierau“Monde”.Peut-êtreai-jemanquédeprudence»

Jean-Jacques Augier dans son appartement parisien, en janvier. STÉPHANE LAVOUÉ/PASCO

X i Shu doit sa réussite à l’art d’écri-re. Cet homme, né en 1963, s’estfait un nom au début des années

1990 en lançant une technique permet-tant d’allier l’intérêt des Chinois pour lacalligraphie et l’utilisation d’outilsmodernespeuadaptésà cette fin, le styloà bille et le stylo à plume. Il publie, en1992, un livre d’apprentissage qui sevendbien, car sescompatriotesvoientenlabelleécritureunemarquede l’individudistingué.

M.Xi capitalise sur ce succès en mon-tant des écoles où l’on apprend à amélio-rersongesteetproposedesservicesd’en-seignement à distance, avant de lancerdes vidéos pédagogiques. Sa méthode,dite des «3S», lui vaudra une célébritépassagère,associéeauslogan:«Vousvou-lez améliorer votre écriture, venez chez XiShu».

De là à l’intérêt pour les livres, il n’y aqu’un pas. Xi Shu lance, en juin1996, unréseau de librairies dumême nom. C’estun pari risqué dans un pays où l’éditionest très largement contrôléepar l’Etat.

En deux ans, il ouvre dix boutiquespuis développe unmodèle de franchisesquivapermettred’accélérerledéveloppe-mentdesonréseau.Sanicheestdepropo-ser, outre la traditionnelle littérature, unlarge choix d’ouvrages en sciences socia-les.

Xi Shu crée égalementun«clubde lec-ture», inspirédes réseauxLeGrandLivredu mois développés en Occident. Il faitappel à des experts, dont le célèbre écri-vain Yu Hua et l’économiste Mao Yushi,pourproposerunesélectionbimestrielled’ouvrages.

Uneexpansion trop rapideAu début des années 2000, le groupe

Xishu se vante d’être « le premier réseauprivé de librairies du pays», avec plus de600magasins,cequi leplacemalgrétoutbien loin derrière les librairies publiquesXinhua.

M.Xi, fidèle du Parti communiste, estmembre de la Conférence consultativepolitiquedupeupledeChine,uneassem-blée symboliqueassociantdespersonna-

litésde la société civile à l’imageduparti.A l’heuredue-commerce, il se tourne,parailleurs, vers la vente en ligne, mais estrapidement éclipsé par des acteurs telsque Dangdang, qui s’impose comme l’A-mazon chinois.

C’est en mars2005 qu’est publié uncommuniqué faisant état de l’arrivéed’un actionnaire étranger, Jean-JacquesAugier, dans la société dont Xi Shu resteprésident.Mêmesi des librairies franchi-sées Xishu subsistent encore aujour-d’hui, le réseaua largementdéclinéaprès2006.

Quelques internautes se demandentencorecequia tuéces librairies,dontcer-tains écrivent qu’elles étaient, à leursyeux, lesplusagréablesdeChine.La foca-lisationélitistesurl’économieoul’histoi-reempêchaitd’accéderaustatutdelibrai-riedequartier.L’expansionfuttropambi-tieuse et rapide. Et l’Etat ne s’est toujourspas décidé à donner auxdistributeurs delivres privés davantage d’espace.p

HaroldThibault(Shanghaï, correspondance)

Page 5: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

50123Vendredi 5 avril 2013 l’événement

Portrait

A u téléphone, Jean-JacquesAugiera toutdesuitepropo-séunrendez-vous.Etlà,dans

ce bel hôtel particulier de la rueSaint-André-des-Arts,à Paris, où il aélu domicile, il cherche dans sonordinateur quelques éléments surce compte aux îles Caïmans pourlequel on est venu le voir. Dans lesalon, un piano quart de queuecôtoie une grande statue deBouddhaachetée chezunantiquai-re du quartier et la collection quasicomplètedes livresde«LaPléiade»tapisse lemurde labibliothèque.

D’emblée,l’ancientrésorierdelacampagne de François Hollandeabalayé le soupçon qui pourraitmettreendifficultélechefdel’Etat,enpleineaffaireCahuzac.«Biensûrque non», assure-t-il, ce derniern’était pas au courant de ses affai-resetdesaparticipationàlaconsti-tution d’une société, InternationalBookstores Limited, dans un para-dis fiscaldesCaraïbes.

Ses copains de toujours parais-sent tout autant ignorer ses inves-tissements, eux qui se sont réjouisdelevoirprendreenmainlescomp-tesdecampagneducandidatsocia-listeen2012parceque,assurel’avo-cat Jean-Pierre Mignard, ami detrente ans de François Hollande etde Jean-Jacques Augier, «c’est untype rigoureux et on peut avoirconfianceen lui pourne pasmettrele candidatendanger».

Car Jean-Jacques Augier est unanciende lapromotionVoltaire del’ENA dont les membres formentaujourd’huiunpack amical et pro-tecteur autour du chef de l’Etat.Une personnalité atypique, cepen-dant, assez éloignée de celle de ceshauts fonctionnaires et de ces élus

qui entourent M.Hollande. Uncaractèresensible,uneculturelitté-raire sophistiquée, mais un sensdesaffaires tranchant.

Capable de naviguer de l’indus-trie à l’édition, de la France à laChine, ce militant du «mariagepour tous», pacséavec son compa-gnon chinois, a racheté pour uneurosymboliqueàl’hommed’affai-res et actionnaire duMonde PierreBergé le magazine gay et lesbienTêtu. Et, tandis qu’il semble cher-cher, sur son ordinateur, les dos-siersdesesactivitésoffshore,ilévo-queleplanderestructurationdras-

tiquequ’ilvientd’engageretquiluia valu une grève : «Je comprendsque cela soit rude, mais il n’y a pasde raison que cette presse ne gagnepasd’argent.»

Ce Lyonnais, issu d’une familled’ingénieurs, a débarqué à 25ans,en 1978, à l’ENA, avec un diplômede polytechnicien. Dans ce milieuoù les gens bien nés promènentleur aisance «très coude sur la che-minée», legrouped’élèvesquimili-te à gauche a vite repéré l’espritbrillantet iconoclaste.

François Hollande et SégolèneRoyal,MichelSapin,Jean-PierreJou-yet, Frédérique Bredin et BernardCottin, le grand ami de Jean-Jac-ques Augier, se retrouvent alors, lesoir, chez leur condisciple, dans lenorddeParis. L’hommese cherche

unpeu. La petite bande est folle depolitique. «Moi, sourit-il, j’admi-rais follement la carrière de Mar-ceau Long, vice-président duConseil d’Etat.»Bûcheur et doué, ilsortdans labotteetoptepour l’ins-pectiondes finances.

Dès l’année suivante, Jean-Jac-ques Augier pantoufle dans le pri-véetrejointlaCompagniegénéraled’électricité (CGE), dirigée alors parGeorges Pébereau. C’est une sortede coup de foudre intellectuelentre le grand patron et l’énarquedéfroqué. Et le début d’une amitiéfidèle : lorsqu’en 1986 le premierministre Jacques Chirac évinceGeorges Pébereau pour caser sonami Pierre Suard, Jean-JacquesAugier s’enva avec sonmentor.

Ce sera le début de sa fortune.AndréRousselet, l’anciendirecteurdecabinetdeFrançoisMitterrand–et trésorier de sa campagne – estdevenu patron de Canal+ et d’Ha-vas et cherche un homme capabledegérerG7, sonaffairede taxis.

« J’ai quitté les somptueuxbureaux de CGE, rue de La Boétie,pour les locaux sombres de la G7àClichy», se souvient Jean-JacquesAugier. Mais les deux hommes,férusd’artetd’affaires,s’entendentparfaitement.

André Rousselet lui cède pourun euro symbolique les éditionsBalland, après quoi il reprendra60%ducapitaldePOL,quesonfon-dateur,PaulOtchakovsky-Laurens,veutsauver.Jean-JacquesAugiervabientôt installer ses deuxmaisonsrue Saint-André-des-Arts, à deuxpas du splendide hôtel particulieroù lui-mêmes’est établi.

Lesaffairesnevontpassimal.LaG7 est florissante. «Par chance, lamaison d’édition s’est mise aussi àmarcher,sesouvientPaulOtchako-

vsky-Laurens. En 1995, LaClasse deneige, d’Emmanuel Carrère, a obte-nu le prix Femina, l’année suivante,Truismes, deMarie Darrieussecq, aété traduit dans plus de quarantepays et, en 1998, La Maladie deSachs, deMartinWinckler, a été unimmensesuccès.»

Chez Balland, Jean-JacquesAugieracréé,avecsonamiGuillau-meDustan – énarque lui aussi –, lacollection «Le Rayon gay» quipublierapourlapremièrefoiscettepièce de théâtre devenue succèsmondial,LesMonologuesduvagin.AParis, il a aussi lancé, rueMouffe-tard, une charmante librairie, L’Ar-breduvoyageur.

Il n’a pourtant pas totalementabandonnélapolitique.Le soir,parla fenêtre de leurs bureaux, lesemployésdePOLvoientdeplus enplus souvent François Hollande seglisser dans l’une des arrière-sallesdonnant sur la cour. C’est là que seretrouvent lesmembresdesTrans-courants, petit club deloriste deve-nu le Club Témoins. Jean-JacquesAugier est le seul de la bande à dis-poser de l’argent nécessaire pourles recevoir et éditer leur revue.

Lui croit à l’arrivée au pouvoirde Jacques Delors. « Il y croyaitd’autant plus, souligne Louis Gau-tier, l’un des compères de l’épo-que, qu’il n’entretenait pas de rela-tionavec le Parti socialiste.» Il tom-be de haut en entendant JacquesDelors renoncer devant Anne Sin-clair, le 11décembre 1994. «C’estsansdoute, denous tous, celui qui amarqué la plus vive désapproba-tion», reconnaîtMeMignard.

Est-ce ce genre de déception quil’a rendu moins confiant? Il com-mence à rompre ses anciennesamarres. A la G7, les relations avecAndré Rousselet se sont tendues. Il

se croyait dauphin; il comprendque Nicolas Rousselet, le fils dupatron,seraleseulhéritierdugrou-pe. L’explication est orageuse.«Vousdevriezmeremercier!», s’ex-clame Augier. «Mais justement,vous êtes remercié!», lui répond lepropriétairedelaG7.«Jen’aijamaissu renoncer àunbonmot», avanceaujourd’hui en guise d’explicationAndré Rousselet. Depuis, les deuxhommesneseparlentplus.

Il n’empêche, le contrat pré-voyait qu’il partirait avec 20% desplus-valuesacquisespar laG7 soussa direction. Le 1er février 1999,l’homme d’affaires se retrouveavec unbeau capital de 75millionsde francs (près de 11millions d’eu-ros). Il se désengagepourtant ausside sesmaisonsd’édition.«Un jour,

en 2003, j’ai appris par hasard qu’ilrevendait ses parts, raconte PaulOtchakovsky-Laurens. Curieuse-ment, il nem’avaitpasprévenu…»

L’hommeadécidéde voyager. Ilpart faire des affaires en Chine. «Jeneparlaispaschinois»,reconnaît-ilaujourd’hui. Il acquiert trois bou-cheries dans Pékin et y crée la pre-mière librairie française. C’est làqu’il est approchéparuncertainXiShu, propriétaire d’un réseau de600librairies, qui lui propose dereprendre le contrôle de sa chaîne.

Il s’associe dans l’affaire avec uningénieur centralien, Jacques Rou-geaux, dont il dit aujourd’hui que«c’est lui qui a créé la structure auxCaïmans,à lademandedeXi Shu».

L’affaire se révéleradésastreuse.«Il était illusoire de rendre rentablece réseau qui fonctionnait sur unsystème de franchises impossible àcontrôler, assure Jean-JacquesAugier. Un jour, nous avons aban-donné.» La rupture avec JacquesRougeauxetXiShuparaîtconsom-mée.Mais, maintient Jean-JacquesAugier,«jen’ai paspumeretirerdelasociétéetnousl’avonslaisséesub-sister sansactivité».

MaisJean-JacquesAugiern’atou-jours pas abandonné la politique.En 2007, il n’avait pas cru bon s’in-vestir dans la campagne de Ségo-lène Royal. Deux ans plus tard,alors que FrançoisHollande a quit-té la direction du Parti socialiste etparaîtsansgrandavenir, il l’inviteàdînerchezluiet lui lance:«Je t’aideautantque tuveux.»

C’est lui qui, avec son ami Ber-nardCottin,monte l’associationdefinancement de la candidature deFrançoisHollandepourlaprimairesocialiste d’octobre2011. «Grâce àson entregent, l’association avaitrécolté 500000 euros auprès dedonataires, de loin le plus gros bud-get de tous les candidats de la pri-maire», note Régis Juanico, alorstrésorier du Parti socialiste. Il rem-pilepourlacampagneprésidentiel-le. Une fois par semaine, Jean-Jac-ques Augier retrouve son équipeau café des Deux-Magots, et seconcentre sur la réduction descoûts des prestataires de la campa-gne. C’est là qu’il s’est depuis taillé,dansl’équipeHollande,uneréputa-tiond’implacablecost killer. p

RleB.

Jean-JacquesAugier,unamidetrenteansduprésidentdelaRépublique

AndréRousseletchercheunhommecapabledegérerG7,sonaffairedetaxis.Cesera lui.Ledébutd’unegrandeamitié

En2009,alorsqueFrançoisHollandeaquitté ladirectionduPSetparaîtsansgrandavenir, il luilance:«Jet’aide

autantquetuveux»

Page 6: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

6 0123Vendredi 5 avril 2013

COURRIERSélectroniques,basesdedonnées, tableurs,copiesdepapiersd’identité,lettres: l’ensembledesdon-nées récupéréespar le Consor-tiumde journalistesd’investi-gation international (ICIJ) com-posant les «OffshoreLeaks»utilisésparLeMonde etd’autresmédias internatio-nauxest vertigineux.

Pour trouver son chemindans les 2,5millionsde fichiersen sapossession, l’ICIJ a dûeffectuerunprétraitementavantd’en tirerune informa-tionexploitable.Car contraire-mentàWikiLeaks, où lesfichiersétaient structurés,tousprésentésde lamêmefaçon, lesdocumentssont icimultipleset le traitementnepouvait être automatisé.Plu-sieursprogrammesontdoncétéutilisés, voir conçus spécia-lementpour l’ICIJ.

Un logiciel de reconnaissan-cede caractères (OCR) a per-mis de transposernumérique-ment le texte contenudansles images, les papiers d’identi-té et les autresdocumentsscannés. Les bases de donnéestrouvées sont ainsi reconsti-tuées, puis exploitées.

Des logiciels de free textretrieval (FTR) professionnelsontpermis la recherchedansl’ensembledes fichiers, d’iso-ler desnomspropres et/oudes adresses par exemple. Cesprogrammesdétectent dansles fichiers les entités –ce quiressemble àunnompropre etune adresse– et les indexentpour accélérer la recherche.

S’y adjoignentplusieursprogrammesspécifiquesdedata-mining, des outils defouille dans les données. Unscript pour associernomsetadresses et supprimer les dou-blons a été développéainsiqu’unautrepour attribuerautomatiquementunpays au

fichier analysé.Unesélectionmanuelledansces fichiers adès lorspermisde les répartiren fonctiondespays, avecautotal 122000entreprisesoffs-hore répertoriéeset130000entrées concernant lespersonnesquidétiennent,contrôlentouse cachentderriè-re ces sociétésCes informa-tions sont ensuite communi-quées auxmédiaspartenairesde l’opération, chacundispo-santdes données relatives àsonpays.

Audépart, la navigationdans la base, baptiséeOMET,n’est pas simple. Elle nécessi-te, pour les journalistes, l’assis-tancedepersonnesde l’ICIJ.

«Patience»Devant lamultiplication

dunombredepartenaires,une interfacedédiée, appeléeInterdata, a été développée enmoinsde deux semaines. Lesdocumentspeuventy êtrerecherchés et téléchargésparles enquêteursdes titres parte-naires. L’interface, sécurisée,est ouverte aux journalistes:ils y effectuentplus de28000recherches, téléchar-geantplus de 53000docu-ments.

La recherchen’endevientpaspour autant simplifiée.Desnomsn’apparaissentquerarement sur l’écran,mais cesfichierspermettentdepatiem-ment recomposer la toile dedifférentsmontages comple-xesdans les paradis fiscaux,inconnuspubliquement.

«La leçon fondamentaleduprojet est la patience et la per-sévérance. (…)Mais unepatien-ce récompenséequand ces don-nées ont dévoiléunnouvelhorizon sur les paradis fis-caux», conclut l’ICIJ.p

DuncanCampbellAdaptation:

AlexandreLéchenet

l’événement

Prête-nom:unjobpeurémunérateurIlsvendent leurpatronyme,parfoisàdesmilliersdesociétés sisesdansde lointainsparadis fiscaux

Commentlesdonnéesdu«OffshoreLeaks»ontététraitéesUntravailde fourmiquiapermisd’analyser2,5millionsde fichiers

Brunei

Botswana

Guatemala

Iles Marshall

Niue

Nauru

Cuba

Namibie

Mongolie

Corée du Nord

Kenya

Syrie

Zimbabwe

Yémen

Sao Toméet Principe

VietnamNicaragua

Bangladesh

Tanzanie

Soudan CambodgeThaïlande

Birmanie

Iran

Argentine

Nigeria

Indonésie

Ethiopie

Tadjikistan

Népal

Kirghizistan

Angola

Equateur

Afghanistan

Sri Lanka

PakistanKoweït

Bolivie

Delaware (EU)

Labuan(Malaisie)

Dubaï(E. A. U.)

Bahreïn

Bermudes

Philippines

Vanuatu Samoa

Iles CaïmansBelize

Jordanie

Macau

Maldives

Costa Rica

Liban

Singapour

Iles Cook

Bahamas

Liberia

Ile Maurice

Seychelles

Panama

Uruguay

HongkongIles Turks et Caicos

Montserrat

Antigua-et-BarbudaIlesVierges

(RU)IlesVierges

(EU)

Grenade

DominiqueSainte-Lucie

BarbadeSaint-Vincent-et-les-Grenadines

Anguilla

Antillesnéerlandaises

Saint-Kitts-et-Nevis

Aruba

Curaçao

Saint-Martin

MarocGibraltar

Algérie

TurquieAlbanieMonaco

Luxembourg

Jersey

Ile de ManLettonie

Jordanie

Liechtenstein

Malte

Suisse

Chypre

AndorreSaint-Marin

Guernesey

Irlande

Europe

etAfriq

uedu Nord

Petites

Antille

s

Groupe d’action financière (GAFI),organisme intergouvernemental

Ministère français de l’économie,des finances et de l’industrie

Government Accountability Office(GAO), organisme du Congrèsdes Etats-Unis chargé du contrôledes comptes publics du budget fédéral

Conseil des prélèvements obligatoiresde la Cour des comptes (France),listes A et B confondues*

Les paradis fiscaux selon des organismesofficiels et selon la France

* 51 pays ou territoires pour la liste A, construite à partir des travauxdu FMI, et 50 pour la liste B qui exclut de la précédente liste l’Irlande,Hongkong et Singapour,mais y ajoute les Bermudes et les îles Viergesaméricaines.

96 paradis fiscaux recenséspar des organismes officiels et par la France, en l’absence de liste noire de l’OCDE*

Etats ou territoires les plus opaques, selon l’indice de l’ONG Tax Justice NetworkINDICE D’OPACITÉ SUPÉRIEUR À 90100

96

92 91

90

Bahamas, Barbade, Belize,Brunei, Dominique, îles Turkset Caicos, Labuan (Malaisie),Sainte-Lucie, Saint-Vincent-et-les-Grenadines, Samoa,Seychelles, Suisse, Vanuatu

Israël, Liberia

Antigua-et-Barbuda, Barheïn,Bermudes, Costa Rica, Delaware(EU), Dubaï (E.A.U.), Gibraltar(RU), Grenade, îles Caïmans, îlesCook, îles Marshall, îles Vierges(EU), îles Vierges (RU), Madère(Port.), Nauru, Panama,Saint-Kitts-et-Nevis

Autriche

Ile MauriceSOURCES : GAFI 2013 ; GAO 2008 ; JOURNALOFFICIEL,ARRÊTÉ DU 4 AVRIL 2012 ; CPO 2013 ; TAXJUSTICE NETWORK 2013 — INFOGRAPHIE : LE MONDE

* La liste noire établie en 2009 recensant les pays noncoopératifs n’a plus cours. L’OCDE mène actuellementune revue internationale des conventions fiscalessignées par les paradis fiscaux qui pourrait aboutirà une nouvelle liste.

D e prime abord, rien de commun entretoutes ces affaires : un ex-banquierkazakh accusé de détournement de

fonds ; un navire transportant des armes, en2008, de l’Ukraine vers le Soudan du Sud, alorssous le coup d’un embargo des Nations unies;une prison secrète de la CIA en Lituanie où desterroristes présumés d’Al-Qaida auraient étédétenus…

Sauf que dans ces dossiers, commedans descentaines d’autres, on retrouve les noms deStan Gorin et d’Erik Vanagels. Des hommes del’ombre? Non, des hommes de paille. Ces deuxpersonnes, bien réelles, ont prêté leurpatrony-me,contrerémunération,àdessociétésoffsho-re.Certaines sontmêléesàdu traficd’armesouà du blanchiment d’argent, d’autres agissentpour le comptede gouvernements.

Dans la «vraie vie», Stan Gorin est courtieren assurances à Riga, la capitale de la Lettonie;c’est ce qu’arévéléune enquêtede la télévisionbalte TVi. Erik Vanagels, lui, serait, selon untémoignagelocal…unsans-domicile-fixeàmoi-tiéaveugleerrantdansles ruesdeRiga.Commeeux, des hommes et des femmes lambda, sansaucun lien avec le monde des affaires, devien-nent les directeurs d’entreprises installéesdansdesparadisfiscaux.Moyennantdesrému-nérations n’excédant parfois pas les 90dollars(70euros).

Une société de services financiers au Pana-marésumeainsi l’intérêtdece subterfugeà sesclients : «Peu importe qui est à la tête de votre

entreprise, du moment que ce n’est pas vous.»Lasociétépanaméenneseportegarantequelesprête-noms qu’elle fournit «n’auront pas lamoindre idée des agissementsde l’entreprise».

Ces «directeurs fictifs» ne risquent quasi-ment rien. Bien souvent, les statuts de l’entre-prise à laquelle ils vendent leur patronyme lesprotègent. Aux Etats-Unis, comme au Royau-me-Uni, les prête-noms d’une société ne sontpas tenus responsablesdes agissementsde cel-le-ci, comme l’expliqueun rapport de l’organi-sation non gouvernementale Global Witnesspubliéenjuin2012.D’autantquelapratiqueestlégale dansdenombreuxpays.

Vingt-huit hommes de pailleSelon Jason Sharman (Griffith University,

Australie), coauteur d’une étude pour la Ban-quemondialeet lesNationsuniesen2011 :«Lesjuridictions offshore portent un regard indul-gent sur la responsabilité des prête-noms, sur-tout si ceux-ci sont domiciliés ailleurs.» Quantauxautoritésdesautrespays,«il ya trèspeudechance qu’elles enclenchent une demande d’ex-tradition pour un quelconque homme depaille», ajoute-t-il.«Bien trop galère…»

Ce système garantit l’anonymat aux vérita-blesdirigeantsetpréserveuneopacitécomplè-tesur lessociétésoffshoreparlesquellestransi-tent desmilliardsde dollars chaqueannée.

Le Consortium de journalistes d’investiga-tion international (ICIJ) s’est procuré des mil-lions de documents – fichiers clients et e-mails

internes– en lien principalement avec deuxsociétés financières, Commonwealth Trust etPortcullis TrustNet. Ils mettent en lumière lemaillage serré entre les deux entreprises, leursprête-noms et des centaines de conseillers fis-caux, de cabinets d’avocats et de banques par-toutdans lemonde.

Comme nos deux Lettons, les hommes depaille apparaissent souvent dans de très nom-breux dossiers, éparpillés partout à la surfacedu globe. L’ICIJ, en collaboration avec le quoti-dien britannique The Guardian et la BBC, en aidentifié vingt-huit qui officient pour21000sociétés, certains d’entre eux manœu-vrant vaillamment à la tête de 4000 sociétésenmême temps!

Ainsi, un certain Jesse GrantHester, qui rési-de à Sercq, une île anglo-normande, dirigeaitune entreprise irlandaise qui fut utilisée par lerégimedeSaddamHussein lorsquecelui-cidiri-geait l’Irak pour contourner le programme desNations unies «Pétrole contre nourriture». Lemême homme était à la tête d’au moins 1500autressociétésdanslesîlesVierges,enNouvelle-Zélande,auRoyaume-Uni…

Ses compatriotes n’étaient d’ailleurs pas enreste: selonlaBBC,auplusfortduSarkLark (« lafarce de Sercq»), dans les années 1990, les 600habitantsde l’îleanglo-normandedirigeaient,àeuxseuls, 15000entreprises. p

GerardRyle et StefanCandeaavecArtaGige

(versionfrançaise : ClaraGeorges)

Cette enquête est une collaboration entre LeMonde, 35médias internationaux et leConsor-tiumde journalistes d’investigation internatio-nal (ICIJ). Basé àWashington, l’ICIJ est unréseau indépendant de journalistes qui tra-vaillent sur des enquêtes transnationales.Gerard Ryle, journaliste d’investigation aus-tralien, a longtemps travaillé pour The Age etpour leSydney Morning Herald. Il dirige leconsortium ICIJ et ses 160 journalistes dansplus de 60pays depuis septembre2011.MarinaWalker Guevara, née enArgentine, estla directrice adjointe de l’ICIJ. Ses enquêtesinternationales lui ont valu plus d’une quinzai-ne de prix.Michael Hudson a été l’un des enquêteurs duWall Street Journal. Il a travaillé sur les frau-des financières et les subprimes.NickyHager, originaire deNouvelle-Zélande,

est un enquêteur spécialisé dans les affairesmilitaires et de sécurité.DuncanCampbell, d’origine britannique, estun des cofondateurs de l’ICIJ, spécialisé dansle journalisme de données.StefanCandea, journaliste roumain, a tra-vaillé sur les liens entre le crime organisé etles hommespolitiques de son pays. Il ensei-gne l’investigation à l’université deBucarest.De nombreux autres journalistes ont contri-bué à cette enquête, dontMar Cabra àMadrid,Kimberley Porteous (Washington), FrédéricZalac (Vancouver), Alex Shprintsen (Toron-to), Prangtip Daorueng (Bangkok), Roel Lan-dingin (Manille), François Pilet (Lausanne),Emilia Diaz-Struck (Caracas), RomanShley-nov (Moscou), Harry Karanikas (Athènes),SebastianMondial (Hambourg)et EmilyMenkes (Wellington).

Des dizaines de journalistes sur la piste des paradis fiscaux

Page 7: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

international

L’infante Cristina embrasse le drapeau espagnol lors d’une cérémoniemilitaire, à Séville, en octobre2011. JOSÉMANUEL VIDAL/EFE/MAXPPP

L’infanteCristinaaccuséed’avoircautionnédesdétournementsdefonds

MadridCorrespondance

L a justice est la même pourtous»,avaitdéclaréleroid’Es-pagne, Juan Carlos, lors des

vœux officiels de Noël 2011, quel-ques jours avant la mise en exa-mendesongendre IñakiUrdanga-rin pour un détournement présu-méde fondspublics.

Le juge José Castro, qui instruitl’affaire depuis 2010, l’a finale-mentpris aumot,mercredi3avril,et a appelé à témoigner sa fillecadette, l’infante Cristina, duches-sedePalmadeMajorqueetépoused’IñakiUrdangarin. Pour la pre-mière fois, unmembredirect de lafamille royale espagnole devradonc répondredevant la justice, le27avril.

L’étau se resserre autour de lamonarchie, qui se trouve depuisdes mois au centre de plusieursscandales et polémiques. Les révé-lations au compte-gouttes dis-tillées dans la presse au fur et àmesure qu’avance l’enquête judi-ciairesurl’affaire«Noos»,dunomde la fondation sans but lucratifprésidée par Iñaki Urdangarinentre2004et 2006etdont l’infan-teétaitmembreduconseild’admi-nistration,menacent laplushauteinstitution de l’Etat. Les dizainesd’e-mails remis au juge par l’an-cien associé du gendre du roitémoigneraient de l’utilisationprésumée par IñakiUrdangarindu prestige et des contacts de sonépouse et de son beau-père pourfairedes affaires.

Dans ce contexte, de plus enplusdevoixs’élèventpourdeman-der l’abdicationdu roi auprofit desonfils, leprinceFelipe,avantqu’ilne soit trop tard. «C’est lemeilleurmomentpourque leroiabdique: leprince est populaire, mais il fautqu’il fasse vite, avant qu’il ne soitsali à son tour», estime le sociolo-gue Fermin Bouza. «Si le roi abdi-que, celapermettraà lamonarchiede procéder à sa régénération»,souligne le politologue FernandoVallespin. Une réflexion dont lesprincipaux quotidiens espagnolsse font l’échoet qui a été formuléeen mars par le premier secrétairedu Parti socialiste catalan, PereNavarro,alorscritiquépar ladirec-tionnationaleduPSOE.

«Durant trente-cinq ans, lesdeux grands partis, socialiste etconservateur, ont conclu un pactepour protéger la monarchie etempêcher toute critique», affirmele sénateur du Parti nationalistebasque IñakiAnasagasti, auteurdulivre,paruen2009,Unemonarchieprotégée par la censure. « Si

M.Urdangarin s’est permis d’agircomme il l’a fait, c’est parce qu’ilsavait que la monarchie jouissaitd’impunité et d’immunité», ajou-te-t-il.

Alorsquelepaysestplongédansla crise économique et frappé parun taux de chômage qui touche26% de la population active, lesécartsprésumésde la famille roya-lenepassentpas.Selonunsondagepublié en janvier, seuls 50,1% desEspagnols ont une opinion favora-ble du roi, contre 76% un an plustôt, et 54% à peine soutiennent lamonarchie, le niveau le plus basjamaisobtenu.Mais le plus inquié-tant pour l’institution est que 58%des jeunesEspagnolsde 18ans à 29ans rejettent lamonarchie,des jeu-nes qui n’ont pas vécu la dictaturedugénéralFrancoetn’ontpaslagra-titude de leurs aînés envers JuanCarlospoursonrôlelorsdelatransi-tiondémocratique(1975-1982).

Ce rejet menace l’avenirmême

de la monarchie espagnole.D’autant plus que l’affaire Noosn’estpas la seule raisonde lachutede popularité du roi. En avril2012,quelques jours après avoir déclaréque « le chômage des jeunes [plusde 50%] l’empêchait de dormir»,JuanCarlosaparticipéàunepartiede chasse à l’éléphant au Botswa-na,unvoyagesecretpeuopportunenpleinecriseetquiaébranlél’ins-titution monarchique. Devantl’ampleur du scandale, il a dû pré-senterdes excusespubliques.

Lapresseaalorsrévélél’existen-ce d’une «amie intime» de JuanCarlos, Corinna Sayn Wittgens-tein, organisatrice du safari, ajou-tant un parfum de scandale à lapolémique. En février, cette der-nière a accordé une série d’entre-tiens à la presse, y affirmantnotamment avoir réalisé des tra-vaux «délicats et confidentiels»pour le gouvernement espagnol,provoquant une tempête politi-

quequines’estpasencorecalmée.Le roi, qui vient de subir sa qua-

trième opération en un an, d’unehernie discale, apparaît affaibli.Considéré comme le symbole del’unité territoriale de l’Espagne etle garant de sa stabilité, il est de

plus en plus contesté, alorsmêmeque l’unité du pays est menacéepar lamontée de l’indépendantis-me en Catalogne, les scandales decorruption qui touchent tous lespartis et toutes les régionset la cri-se économique. «Le fait que lesaffaires de corruption s’étendent à

laCasaRealdéstabiliselepaysetris-que de faire monter un sentimentde révolte», prévientM.Bouza.

En décembre2011, la Maisonroyale d’Espagne avait écartéIñakiUrdangarin pour son «com-portement non exemplaire». Elleavait ensuite décidé depublier sescomptes et la répartitiondesquel-que 8millions d’euros qui lui sontalloués chaqueannée.Mais ellenes’est pas incluse, pour lemoment,dans le projet de loi sur la transpa-rence qui l’obligerait à détaillerl’utilisation de ces fonds. Le Partipopulaire (PP, conservateur aupouvoir) s’y oppose, mais le Partisocialiste et les autres partis degauche l’exigent.

Le lourd silence du palais royalaprès les dernières révélations duquotidien El Mundo, dimanche31mars, selon lesquelles lepèreduroi d’Espagne, Don Juan de Bour-bon, lui aurait légué 375millionsde pesetas à samort (2,25millions

d’euros), répartis dans trois comp-tes bancaires en Suisse, soulèvedes doutes quant à cette possibili-té. Lundi 1eravril, tous les partis, àl’exception du PP, ont demandédevant le Congrès des députés desexplications. Ils exigent de savoirsi ces comptes existent toujours,s’ils sont déclarés et ont été sou-mis à l’impôt.

Après 2012, unenouvelleannushorribilis semble attendre le roid’Espagneen2013. Son fils, leprin-ceFelipe,qui estparvenuàresteràl’écart des scandales et conserveune cote de popularité de plus de60%,multiplie les voyages – en cemoment au Pays basque – pourtenterdes’attirer lasympathiedesanciens « juan-carlistes» afinqu’ils deviennent «felipistes». Ilse prépare, consciencieusement, àmonter sur le trône, mais le roi,malgrélapressionmontante,refu-se d’abdiquer.p

SandrineMorel

Seuls50,1%desEspagnolsont

uneopinionfavorableduroi,et54%,àpeine,

soutiennentencorelamonarchie

Un règne écorné

Juillet2010Ouverture de l’ins-truction sur la fondationNoos.

11 juillet 2011DiegoTorres, asso-cié d’Iñaki Urdangarin, gendre duroi, à la tête deNoos, estmis enexamen.

29décembreMise en examend’Iñaki Urdangarin, épouxde l’in-fanteCristina, pour détourne-ment présuméde fonds publics.

13avril 2012 Le roi est victimed’une chute lors d’unepartie dechasse à l’éléphant auBotswana,alors que les Espagnols sont auxprises avec la crise économique.Cinq jours plus tard, il présentedes excuses officielles.

29janvier 2013 Le juge de l’affai-reNoosmet en examen le secré-taire particulier des infantes.

31mars Le quotidienEl Mundorévèle que JuanCarlos aurait héri-té de 375millions de pesetas,déposés sur trois comptes enSuisse.

3avril L’infanteCristina estmiseen examen.

LamonarchieespagnoleenpleinetourmenteUnefilleduroiestmiseenexamen; l’abdicationdeJuanCarlosauprofitduprinceFelipeestouvertementévoquée

MadridCorrespondance

Commentpouvait-elle ne riensavoir? Depuis samise en exa-men le 29décembre 2011, il y aplus d’un an, le gendre du roi d’Es-pagne, l’ancien championde han-dball Iñaki Urdangarin, a soutenuque l’infante Cristina, pourtantmembredu conseil d’administra-tionde la fondationNoos, neconnaissait rien de ses activités.Que son épouse, copropriétaire à50%de leur société patrimonialeAizoon, vers laquelle le juge soup-çonnequ’aurait été déviéeunepartie des fonds publics détour-nés, ne se posait pas de questionssur l’originede l’argent qui auraitservi, par exemple, à payer 3mil-lionsd’euros de travauxdansleur ancienne luxueusedemeureàBarcelone.

Nonseulement cette stratégiede la défense, destinée à protégerl’infanteet plus largement l’ima-gede lamonarchie, insultait l’in-telligencede la fille cadettedu roi,âgéede 47 ans,mais elle provo-quait aussi l’indignationde la

société espagnole. Selonun sonda-geparu en février dans le quoti-dienElMundo (droite), 84%desEspagnolspensaientque le jugedevaitmettre en examen l’infan-teCristina.

Il aura fallu que l’ancienasso-cié d’IñakiUrdangarin,Diego Tor-res, fournisse au jugede PalmadeMajorquechargéde l’instruction,

JoséCastro, unenouvelle série decourriels compromettants, le27mars, pour qu’il la convoquepour témoigner le 27avril. Le jugesouligne, dansunarrêt rendumer-credi 3avril, qu’il est nécessaire«d’éclaircir les inconnues» et d’évi-ter «le discrédit de lamaximeselon laquelle la justice est lamêmepour tout lemonde».

Il y détaille quatorze indices de«coopérationnécessaire» avec lesdeuxprincipauxaccusés, qui«semblent indiquer que l’uniquefonctionde l’infante Cristinaet de[son secrétaire auPalais royal]Car-losGarciaRevenga soit celle d’unefigurationutilitaire».

En clair, IñakiUrdangarinetDiegoTorres auraientutilisé leursliens avecdesmembresde laMai-son royale afind’obtenir, desrégionsdes Baléares et deValen-ce, de 2003à 2007, des contratspublicspour l’organisationd’évé-nements (commedes salons)pour la promotiondu sport. Cescontratsobtenuspar la fondationsansbut lucratifNoos sont esti-méspar la justice à plusde sixmil-lionsd’euros.Unepartie de cesfonds aurait ensuite été détour-née vers plusieurs sociétés etcomptes à l’étranger.

IñakiUrdangarin etDiegoTor-res sontmis en examenpourmal-versation, fraude, faux, prévarica-tion, trafic d’influence, blanchi-ment et fraude fiscale. Ancienpré-sidentde la régiondes Baléares,JaumeMatas est lui aussimis en

examendans cette affaire.Le parquet anticorruptiona

décidéde formerun recourscontre lamise en examende l’in-fante.Unporte-parolede laMai-sond’Espagnea exprimésa «sur-prise, après avoir été prévenuparlesmédias, du changementdeposition»du juge. Enmars2012, lemagistrat avait rejeté la demandeformuléeparunedesparties à l’ac-cusationdemettre en examenl’infanteCristina.Mais enunan,la pression s’est resserrée autourde la fille de JuanCarlos.

Après les premières déclara-tionsd’IñakiUrdangarindevantle juge, en février2012, lors des-quelles il a rejeté toute la respon-sabilitédes décisionsprisespar lafondation sur sonancien associé,DiegoTorres amenacéde révélerles liens entre les affairesdeNooset le Palais royal. Dès lemoisd’avril, il a commencé à fournirdes courriers électroniques aujugeCastrodans lesquels appa-raissaientdes allusions au roi et àl’infante, censésdémontrer qu’ilsétaient au courant des activitésd’IñakiUrdangarin.Au total, il a

transmis sept groupesdemailsau juge José Castro.

En novembre2012, le juge afixé une caution de 8,2millionsd’euros pour IñakiUrdangarin etDiego Torres, dont les biens ontcommencé à être saisis. Et en jan-vier, laMaison royale, qui l’avaitdéjà exclu des actes officiels unan plus tôt, a supprimé de sonsite Internet toute référence àIñaki Urdangarin. A la fin dumois, ce fut au tour du secrétairepersonnel des infantes Cristinaet Elena, trésorier de Noos, d’êtremis en examen.

Apeine lanouvelle de lamiseenexamendeCristina connue,des voix se sont élevéesdans lesmédiaspourdemanderd’écarterl’infantede la lignede succession– elle est au 7e rang. Ce serait unnouvel affrontpour elle et sonmari. Ils ont déjà été exclus del’agendaofficiel duPalais royaldepuisplus d’unan et lamunici-palité de PalmadeMajorque adébaptisé la principale artère dela ville, qui s’appelait, en leur hon-neur, rambladesDucs de Palma.p

S.M.

L’argentdétournéauraitserviàpayer3millionsd’eurosdetravauxdans

l’anciennedemeureducoupleprincier

70123Vendredi 5 avril 2013

Page 8: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

international

Centrafrique

LenouveaupouvoiràBanguidésavouéparsesvoisinsN’DJAMENA. Les dixpaysmembresde la Communauté économiquedes Etats d’Afrique centrale (CEEAC) ont refusé,mercredi 3avril, àN’Dja-menaoù ils étaient réunis en sommet, de reconnaître le chef rebelleMichelDjotodia (photo) en tant quenouveauprésident de la Centrafri-

que.Deux semaines après le renver-sementdu régimede François Bozizépar la rébellion arméede la Séléka, laCEEAC réclame lamise enplaced’unenouvelle instancede transitionchargéede conduire le pays à des élec-tionsd’ici à dix-huitmois et de rédi-gerunenouvelleConstitution.«Ilnous semble impossible de reconnaî-tre unhommequi s’est autopro-clamé», a déclaré le président tcha-dien IdrissDéby. L’Unionafricaine asuspendu laCentrafriquede ses ins-tances à la suite du coupde force des

rebelles et elle a décrétédes sanctions contreMichelDjotodia. Avantl’annoncedes décisionsdu sommetde la CEEAC, sa porte-parole avaitformulé l’espoir que les paysde la régionapporteraient leur soutien aunouveaupouvoir enplace àBangui.Par ailleurs, l’Afriquedu Sud–qui a perduplusieursdizainesde soldatsdans les combats contre la Séléka, selonRadio France internationale – adécidéde retirer ses troupes deCentrafrique.– (Reuters, RFI.)p PHOTO: AFP

Afghanistan

Aumoins44mortsdansuneattaquedestalibansHÉRAT.Aumoins44Afghans (34civils et 10membresdes forces de sécu-rité) ont été tués,mercredi 3avril, au cœurd’un tribunal de la ville deFarah, dans l’ouest de l’Afghanistan, dans l’attaquedes talibans la plusmeurtrièredepuis seizemois. SelonNajibDanish, l’adjoint auporte-paroleduministèrede l’intérieur, neuf talibansont enoutre péri dansl’assaut. Cette action, qui a duré aumoins septheures, est la plus violen-te survenueenAfghanistandepuis le 6décembre 2011, quanddes kami-kazes s’étaient fait exploser lors de la fête chiite de l’Achouraà Kaboulet àMazar-e-Sharif (nord), tuant plus de 80 civils.«Cinqassaillants sont arrivés au tribunal de la provincedans deuxvoitu-res ressemblantà celles de l’armée. L’un des véhicules a exploséà la portedubâtiment. Trois hommes sont entrés», avait racontéplus tôt dans lajournéeAghaNoorKentos, chef de la police de Farah. Le porte-paroledes talibans, Yusuf Ahmadi, a affirmédansun communiquéque seshommesavaientmené l’offensive avant le «procès injuste [de]plu-sieursprisonniers, dont desmoudjahidines [combattants talibans]pardes autorités provinciales fantoches». – (AFP.)p

CoréeduNordLes Etats-Unis vont déployerune batterie antimissile sur l’île deGuamWASHINGTON. Les Etats-Unis vont déployer«dans les prochainessemaines»unebatterie antimissile THAADsur l’île deGuam, où ilsdisposentd’une importantebasemilitaire, pour répondre auxmenacesnord-coréennes, a annoncé le Pentagonemercredi 3avril. – (AFP.)

MoscouEnvoyé spécial

I l est unique, il le sait, et s’enmoque. Le journaliste AntonKrassovski a commis un acte

retentissant, dans le petit mondedes élites moscovites. Il a révélésonhomosexualité.

C’était le25janvier,sur lachaîneconfidentielleKontr TV, qu’il avaitcontribuéà lancer. Ledébatportaitsur la dernière initiative duKremlin : l’adoption à la Douma(chambre basse du Parlement)d’une loi réprimant la promotionde l’homosexualité auprès desmineurs, sous peine d’amendeallant jusqu’à 12000euros. De tel-les mesures existaient déjà dansdesvillesdeprovince.Mais jamaisauparavant,depuissadécriminali-sation en 1993, le pouvoir russen’avait organisé une telle attaquecontre cette identité sexuelle, tou-jours considérée comme unedéviance par unemajorité de Rus-ses. Triste héritage soviétique.

Agé de 37ans, Anton Krassovskiest immunisé contre toute sensi-bleriepouravoir tropfréquentélesallées du pouvoir. Ce soir-là, sur leplateau,illâchaunegrenadedégou-pillée. Il expliqua qu’il était«homo» mais, surtout, qu’il étaitunêtrehumainen toutpoint sem-blableauprésidentVladimirPouti-ne.Sonrenvoidelachaîneétaitscel-lé. Les vidéos, elles, ont été effacéesdusitedeKontrTVetdeYouTube.

«La Russie se trouve dans untrou noir philosophique, rien n’ad’importance. Mon action nonplus.»Maisalors,pourquoice«ges-te social», selon son expression?Acause de l’évolution inquiétantedupaysdepuis le retourdeM.Pou-tineauKremlin, enmai2012.

Lamultiplicationdesloisrépres-sives et le développement d’unpopulisme d’Etat, basé sur la pro-motiondupatriotisme,sur l’Egliseorthodoxeetsurl’anti-américanis-me, ont fini par dissoudre la cou-che de cynisme qui protégeait lejournaliste. Cela porte un nom: laconscience.

«Tout conduit vers un fossédans lequel je ne veux pas tomber,explique Anton Krassovski. Peut-être que j’y finirai comme tout lepays. Mais je ne veux pas quemonnom soit associé au processus. Jeme bats pour les droits humains,paspour lesgays.Letempsestvenude prendre des risques pour sesdroitssansattendrequ’onte lesser-vesurunputaindeplateau.MartinLutherKing, on l’a buté, lui !»

AntonKrassovski a été le rédac-teurenchefd’uneémissionenvuesurlachaîneNTV,armefavoriteduKremlin pour discréditer l’opposi-tion. A l’automne 2011, l’homme,qui jure comme un charretier dès

quesaréflexions’emballe,estdeve-nu le pilote d’un drôle de projet :l’entrée enpolitique, à la demandedu pouvoir, du milliardaireMikhaïl Prokhorov. «Un excellentmanagerpour tempsde paix,maispas un nouveau Eltsine émergeantde toute cette boue», juge-t-il.

Aujourd’hui, Anton Krassovskiestimequesesperspectivesdecar-rière sont nulles en Russie. Il vas’expatrier pour quelques mois,«en Italie ou aux Etats-Unis»pourécrireunlivre.«Çaparleradelatra-versée des années 1990, des peurs,d’unhérosqui sementà lui-même,des gays, du business, de la politi-que.»Tout unprogramme.

Anton Krassovski mélange defaçon étonnante le courage et ledéni. Il estime qu’«il n’y a pas deréelle homophobie en Russie» etque le fait de vivre caché, pour ungay russe, traduit avant tout «descomplexespsychologiques».

La réalité est plus sombre. Etregay à Moscou et à Saint-Péters-bourgcontraintsouventàdesstra-tégies de dissimulation. Pas ques-tiondumoindre contact physiqueen public. Les lieux de rencontresont discrets. En octobre, vingthommes masqués et armés ont

fait irruptiondans un clubmosco-vite,le7FreeDays.Plusieursperson-nesontétéblessées,donttroisgriè-vement.Aucunresponsablepoliti-que, acteur ou chanteur de renomnerevendiquesonhomosexualité.

Selon un sondage du centreLevada, publié en mars, la moitiédes Russes se disent «dégoûtés oueffrayés»parlesgayset18%«réser-vés» à leur égard. Pour plus d’unRusse sur trois (34%), l’homo-sexualité est une «maladie à soi-gner», le«résultatd’unemauvaiseéducation» (23%)oud’un«détour-nement» (17%).

En province, la situation vire àla catastrophe. L’homophobies’est renforcée. Selon Igor Kot-chetkov,présidentdel’associationVykhod («coming out») à Saint-Pétersbourg, la loi contre la propa-gandehomosexuelle,votéeenjan-vier, s’inscrit dans un cadre pluslarge, celui de la pente répressiveempruntéedepuisunan.«Lepou-voir joue avec la partie la moinséduquée, laplusconservatricede lapopulation,quiagrandià l’époquesoviétique, a beaucoup perdu pen-dant la perestroïka et cherche sansfin des coupables. Ça peut être lesmigrants, ou bien les gays.»

Selon Igor Kotchetkov, il est ini-maginable,enprovince,devivreencouple. Mieux vaut s’enregistrerchez ses parents. «Si tu es homo, ilest impossible d’avoir un travaildans l’éducation, dans les servicespublics.»Acelas’ajoutelaviolence,sous toutes ses formes. «Chaqueannée,on fait un sondagesur Inter-net.Jusqu’à3000personnesyparti-cipent:30%disentavoirdéjàétévic-

timesd’agressionsphysiques.»L’un des vétérans de la cause

gay se trouve dans un apparte-ment anonyme –pour raisons desécurité–aunorddeMoscou.C’estlà qu’est installée la rédaction deKvir, premiermagazinede la com-munauté, crée en 2003. VladimirVolochine, 46ans, en est le rédac-teur en chef et le seul permanent.

Kvir a récemment décidé d’arrê-ter sa version papier pour seconcentrer sur leWeb. A Kazan, leskiosquiers vendant le magazineavaient été menacés d’être incen-diés.ASaint-Pétersbourg,lecontratde distribution avait été rompu.Heureusement, le trafic sur le Net,dans l’intimité du domicile, estbiensupérieuraulectorattradition-nel. «Beaucoup de gens avaientpeur d’aller au kiosque, reconnaîtVladimir Volochine. L’homopho-bie,quiexistaitauquotidien,estpas-séeàunniveauétatique.Laloivotéeestamoraleetdiscriminante.»

Les parents du journaliste sontrestés en Ouzbekistan, où il est né.Il ne leur a jamais dit où il tra-vaillait.«Laplupartdeshomosrefu-sent de faire leur coming out, carc’est dangereux.Onpeut perdre sesproches.» De ce point de vue, il«envie les jeunes», qui s’assumentplusaisément.M.Volochineaparti-cipéauxmanifestationsde l’oppo-sition après les fraudes électoralesdedécembre2011.«Maisj’étaistou-jours dans la cortège principal. Leshomos n’ont pas de droits particu-liers. Les invalides, les orphelins, lesmédecins sans le sou… tout lemon-deest négligé, sansprotection.» p

Piotr Smolar

L e Sénat uruguayen a voté leprojet de loi qui institue lemariage entre personnes du

même sexe, mardi 2avril, à uneécrasantemajorité (23 voix sur 31).Lemariage gay a été approuvé parlessénateursdelacoalitiongouver-nementale de centre gauche, leFrente Amplio («Front large»), etaussi par des élus de l’opposition,issus des deux formations tradi-tionnelles, le Parti national (centredroit) et le Parti Colorado (droite).

La Chambre des députés devraréexaminer le texte, légèrementamendé,maisc’estunesimplefor-malité, puisque le projet de loi surle «mariage égalitaire» avait étélargement approuvé, en décem-bre2012, par 81 députés sur les 87présents. Un amendement duSénat vise à relever l’âge minimalpour le mariage : 16 ans quel quesoit le sexe, au lieu de 12 ans pourles filles et 14 anspour les garçons.

L’Uruguay devient ainsi ledeuxièmepays d’Amérique latineà adopter le mariage pour tous,après l’Argentine en 2010.

La ville de Mexico a égalementlégalisé lemariagehomosexuelen2009. Au Brésil, les Etats de SaoPaulo et d’Alagoas commencent àcélébrerdesmariagesgays, depuisque la Cour suprême a approuvé,en2011, lesunionscivilesentreper-sonnesdumêmesexe.

Danstoute l’Amériquelatine, lesujet suscite une forte résistancede la part de l’Eglise catholique etdes Eglises évangéliques, qui fontde la surenchère sur les questionsde société. Selon leurshiérarchies,le mariage gay serait « contraireau projet de Dieu», l’union entre

un homme et une femme en vuede la procréation.

Le poids du catholicisme expli-que que l’avortement reste inter-dit et passible du code pénal,même dans les pays où des fem-mesprogressistesontétééluesà laprésidencede la République, com-melaChilienneMichelleBachelet,laBrésilienneDilmaRousseff, l’Ar-gentineCristinaKirchneroulaCos-taricaineLauraChinchilla.

AuChili, laministrechargéedesfemmes, Carolina Schmidt, assureque « l’avortement n’est pas unepriorité de santé publique». A sonavis, l’avancée des minorités gays«estdueà leur fortemobilisation».

Pays de tradition laïqueL’Uruguay est un pays de tradi-

tionlaïque. Il aétéundespremiersàadopter laparticipationdes fem-mes aux élections et à légaliser ledivorce. Depuis que le centre gau-che est arrivé aupouvoir, en 2005,les Uruguayens ont approuvé lesunions civiles, les adoptions pardes couples homosexuels, leschangements de sexe dès l’âge de18ans, laprésencedesgays auseindes forces arméeset la dépénalisa-tion de l’avortement. La légalisa-tionde lamarijuanaest à l’étude.

L’organisation de défense desdroits de l’hommeHuman RightsWatch a salué l’avancée des Uru-guayens vers « l’égalité du maria-ge et la réduction des discrimina-tions». L’adoption définitive de laloi et sa promulgation devraientavoir lieuavant la finavril. Lespre-miers mariages pourraient êtrecélébrésdès lemois de juillet.p

PauloA.Paranagua

NewDelhiCorrespondant

Q uatre jeunes femmes âgéesentre20et26ansontétéatta-quées à l’acide, mardi 2avril,

dans un village de l’Etat de l’UttarPradesh, dans le nordde l’Inde, à lasortie de l’école oùelles sont ensei-gnantes. Les deux agresseurs àmotoontpris la fuite.Deuxdesvic-times, gravement brûlées au visa-ge, ont étéhospitalisées tandis queles deux autres, plus légèrementatteintes, ont pu rejoindre leurfamille après avoir subi un traite-mentd’urgence.

Cette nouvelle affaire de violen-ce contre les femmes survient àunmomentoù ledébatpublic est tou-jours agité par la forte fréquencedes cas de viols. Et prouve que l’In-de n’est pas épargnée par les atta-

quesdefemmesàl’acide,unphéno-mèneplus souventassocié, enAsieduSud, à des pays comme lePakis-tanoudel’Afghanistan.Danslaplu-partdes cas, les assaillants sontdesprétendants éconduits assouvis-sant leurdésirdevengeance.

En Inde, l’ampleur des agres-sions est difficile à évaluer car lesstatistiquescriminellesne réperto-rient pas ce type d’attaques. Selondes chiffres officieux, leur nombres’élèveraitàunecentainedecasparan sur un total de 1500 à l’échellemondiale, selon l’ONG Acid Survi-vors Trust International basée àLondres. L’une des revendicationsrécurrentes des organisations dedéfense des droits des femmes enInde est l’interdiction de la ventelibre de l’acide (connu sous le nomde «tezaab»), couramment utilisépournettoyer les outils rouillés.

L’agression de l’Uttar Pradeshrelance le débat sur la manièredont les femmes sont traitées enIndealorsquelacontroverseouver-te par un viol collectif à NewDelhien décembre2012 – une étudianteavait succombé à ses blessures –n’est pas retombée. L’affaire avaitdéclenchédesmanifestations sansprécédent sur une question restéejusqu’alors largementtaboue.

Vingt ans de prisonLes cas d’agressions sexuelles

n’en finissent toutefois pas dedéfrayer la chronique, ledernierendateétantceluid’unetouristesuis-se victime d’un viol collectif à lami-mars alors qu’elle campait encompagniede sonmari à proximi-téd’unvillageduMadhyaPradesh.

Le gouvernement du Parti ducongrès a été contraint de réagir

face à l’émotion collective suscitéepar le viol de Delhi. Il a soumis auParlementunenouvelle loi –adop-tée le 21mars – renforçant l’arsenallégislatif en matière d’agressionssexuelles. Un violeur encourradésormais une peine d’au moins20ansdeprison– jusqu’à laperpé-tuité, voire la peine capitale en casde récidiveousi lavictimedécède.

L’attaque à l’acide est considé-rée comme un crime passible – encasdeblessuresgraves –d’unepei-ne d’au moins dix ans et pouvantaller jusqu’à la perpétuité. Dans lecas de blessures moins graves, lapeine de prison oscille entre 7 et10ans. Les ONG militent désor-mais pour le remboursement desfrais –engénéral très élevés–occa-sionnés par des opérations dechirurgieesthétique.p

Frédéric Bobin

L’InderenforcesalégislationcontrelesagressionssexuellesLecasdequatreenseignantesbrûléesà l’aciderelance ledébatsur lesviolences faitesauxfemmes

LaChambrebasseduParlementaadoptéuneloiréprimantlapromotion

del’homosexualitéauprèsdesmineurs

EnRussie, leshomosexuelsconfrontésàl’intoléranceetàlarépressionPlusde30%desRussespensentque l’homosexualité est«unemaladieàsoigner»

Vladimir Volochine est rédacteur en chef de «Kvir», premiermagazine de la communauté gay, qui a cesséde paraître en kiosques à la suite demenaces. Il continue d’être publié sur Internet. OKSANA YUSHKO POUR «LE MONDE»

L’UruguaylégaliselemariagepourtousL’avortement reste interditdans laplupartdespaysd’Amérique latineàmajorité catholique

8 0123Vendredi 5 avril 2013

Page 9: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

planète

Q uels peuvent être les effetsd’une exposition auxchamps électromagnéti-

ques, commeceux généréspar lesantennes-relais de téléphoniemobilequi fleurissent sur les toitsdes immeubles et parfois des éco-les? Existe-t-il un réel risque sani-taire pour les riverains, comme lesoupçonnent certaines associa-tions? La littérature scientifiques’est multipliée ces dernièresannées sans conclure à un risqueavéré, laissant les personnes dites«électrosensibles» dans l’incom-préhension.

Pourlapremièrefois,uneétudesur des jeunes rats, conduite parl’Institut national de l’environne-mentindustrieletdesrisques(Ine-ris)et l’universitédePicardieJules-Verne, publiée par la revue Envi-ronnement Science and PollutionResearch et rendue publiquemer-credi 3avril, conclut à des effets

biologiques des radiofréquencessur les fonctions de l’équilibreénergétique.Lesommeil,larégula-tion thermique et la prise alimen-taire sont perturbés.

Le niveau d’exposition auquelont été soumis les rats, expliquentles chercheurs, correspond à celuirencontréàproximitéd’uneanten-ne-relais. Treize jeunes rats ont étéexposés en continu pendant sixsemaines à des ondes d’une fré-quencede900MHzetd’uneinten-sitéde1voltparmètre(V/m),beau-coup plus faible que les seuilslégaux. Un groupe témoin d’onzerats a été constitué, non soumis àces champsélectromagnétiques.

Les chercheurs soulignent queles rongeurs ont un comporte-ment alimentaire et suivent desrythmesbiologiquesassezsimilai-res à ceux des nouveau-nés et queleur régulation thermique esttransposable à l’homme. L’expé-

riencea été répétéedeuxfois, avecdes résultats cohérents.

L’expérimentation montre deseffets des radiofréquences sur larégulation thermique: lorsqu’ilssont soumis à une augmentationde la température ambiante, lesrats exposés aux ondes réduisentleur stratégie de refroidissement.Lesanimauxcontractentleursvais-seaux périphériques pour conser-ver la chaleur (vasoconstriction),commes’ilsressentaientunesensa-tion de froid, alors qu’ils ont pluschaud. Ils économisent leur éner-gie, comme s’ils en avaient unbesoinaccru.

«Interférences»Pourquoi? «Nous n’avons pas

de réponse. Nous constatons seule-mentque l’animalneressentpas lachaleur.L’adaptationàlatempéra-ture est modifiée», explique Renéde Seze, directeur de recherche àl’Ineris.

Par ailleurs, les chercheurs ontobservé que les animaux exposésn’avaient pas la même sensationdesatiétéque lesratsnonexposés.Ils constatent une prise alimen-taire plus importante chez les ratssoumis aux ondes. Les mécanis-mesd’économied’énergiechez lesrats exposés pourraient doncconduire à une augmentation delamasse corporelle.

Dernier enseignement: les ratssoumis aux radiofréquences pré-sentent un fractionnement dusommeil paradoxal, comme si lesanimaux étaient en état d’alerte.

Les chercheurs soulignent qu’il nes’agit pas de troubles du sommeilau sens strict, mais précisent quedes perturbations du sommeilparadoxal pourraient «engendrerdes difficultés demémorisationoudes troubles de l’humeur chezl’homme».

«Ce que nous constatons, c’estqu’àde très faiblesniveauxd’expo-sition, les effets sont réels sur lemétabolisme, explique René deSeze. Il faut maintenant qued’autres laboratoires mènent desexpériences similaires pour confir-mer ou infirmernos conclusions.»

Chercheurà l’universitédeBor-deaux, BernardVeyret, qui n’a pasparticipé à l’étude, est plus pru-dent : «Ces résultats sont assezcontre-intuitifs.L’étude de l’Inerismontre qu’il se passe quelque cho-se, mais j’ai un doute sur lesniveaux réels d’exposition auxchamps électromagnétiques. Lesanimaux sont appareillés. On leurplace des sondes, des câbles, quipeuvent avoir des interférencesavec les ondes. Par ailleurs, il fautbien préciser que les effets décritssont des effets biologiques et nonpas sanitaires», rappelle-t-il.

Ce spécialiste des champs élec-tromagnétiques réalise depuis1985 des études sur les effets desradiofréquences sur la croissancedes tumeurs, la reproductionou lesystèmeimmunitaire.«Nosconclu-sions, c’est qu’il ne se passerien. Jamais nous n’avons observéquoique ce soit de significatif.»p

Sophie Landrin

P our l’Etat, l’excès de nitratesdans l’eau douce et son pen-dant maritime, la proliféra-

tion d’algues vertes, sont un dos-sier poisseux dont il ne se dépêtrepas. Deux nouvelles décisions dejusticeviennentdesoulignerl’inef-ficacitédespouvoirspublics faceàcette pollution chronique. Ellespourraient contribuer à aggraverle cas de Paris vis-à-vis de la Courde justice de l’Union européenne.Une condamnation, qui sembleinéluctable, pourrait survenir fin2013 oudébut 2014.

D’ici là, l’Etat va devoir indem-niserquatrecommunesdesCôtes-d’Armor(Plestin-les-Grèves,Saint-Michel-en-Grève,Trédrez-Locqué-meau et Trédurer) pour le ramas-sage des algues vertes sur leursplages durant l’été 2010, a décidé,le 22mars, la cour administratived’appeldeNantes.La factures’élè-ve à 122932 euros.

Au-delàducoûtdudéblaiementdes tonnes d’ulves du littoral qui,été après été, leste les financespubliques, les juges mettent ledoigt sur « les carences de l’Etatdans la mise en œuvre de la régle-mentation européenne et nationa-le destinée à protéger les eaux detoutepollutiond’origineagricole».

ARennes,letribunaladministra-tif a décidé, le 29mars, d’enjoindreles préfets des quatre départe-ments de Bretagne de revoir leurs4es programmes d’action, jugéstroppeusévèrespourenrayer l’ex-

cès de « fertilisants azotés» – lelisier de porc et le fumier devolaille. Les préfets ont trois moispourinciterlesagriculteursàrédui-re cet étalage d’engrais organiquesur des terres qui en sont déjà gor-géeset interdiretoutépandagesurla terre nue aumoment des pluiesd’hiver, quitte à investir dans desfossesdestockagesuffisantespourtenir jusqu’au31mars aumoins.

MolesseLetribunalavait reçupasmoins

de 14 requêtes de la part d’associa-tions,duconseil général desCôtes-d’Armor, mais aussi d’organisa-tions agricoles, qui, elles, trou-vaient ces programmes d’actiontrop contraignants. Le rapporteurpublic a clairement pris le partiinverse, celui de l’environnement,et a souligné les contradictions del’Etat. Celui-ci affiche l’ambitiond’atteindre des taux de 10mg à25mg de nitrates par litre dansl’eau des rivières, mais autorise àépandre jusqu’à 210kg d’azoteorganiqueetminéralparhectare.

Ces décisions de justice inter-viennent alors que le gouverne-ment prépare – avec retard – les5esprogrammesd’action,qu’il sou-mettra à la consultationdupubliccetété.Bruxellesdevraientlesétu-dier à la loupe: c’est précisémentla mollesse des plans précédentsqui a suscité la procédure euro-péennede contentieux.p

MartineValo

LeParlement adéfinitivementadopté,mercredi 3avril, la propo-sitionde loi écologiste visant àprotéger les «lanceurs d’alerte»sur les risques sanitaires ouenvi-ronnementaux et à renforcer l’in-dépendancedes expertisesscientifiques.Médicaments,expositionàdespollutions chimi-quesouauxondes électromagné-tiques: les lanceurs d’alerte sontdes chercheursoude simplescitoyensqui attirent l’attentionsur des risques émergents. La loi

adoptéemercredi stipule que«toute personne physique oumorale a le droit de rendre publi-que ou de diffuser de bonne foiune information (…), dès lors quela méconnaissance de ce fait, decette donnée ou de cette actionlui paraît dangereuse pour la san-té ou pour l’environnement». Undroit d’alerte est créédans lesentreprises. Et uneCommissionnationalede la déontologie etdes alertes enmatière de santéet d’environnement verra le jour.

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L’Etatdenouveausomméd’agirpourenrayerlesmaréesd’alguesvertesLa justiceadonnétroismoisauxpréfetsdeBretagnepour faire réduire les rejetsdenitrates

LeParlement adopte la loi sur les «lanceurs d’alerte»

UneétudeconclutauxeffetsbiologiquesdesondesélectromagnétiquesDesperturbationsdusommeil, de la thermorégulationetde l’appétitontétéobservées surdes rats

90123Vendredi 5 avril 2013

Page 10: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

france

- CESSATIONS DE GARANTIE

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE FRANCE, sis Etoile Saint-Honoré– 21 Rue Balzac – 75406 Paris Cedex 08(RCS Paris 414 108 708), succursale de QBEInsurance (Europe) Limited, Plantation Placedont le siège social est à 30 Fenchurch Street,London EC3M 3BD, fait savoir que, la garan-tie financière dont bénéficiait la :

VALL DE QUEROLAGENCE SARL12 avenue du Belvédère de Cerdag

66760 ENVEITG RCS: 532 244 340depuis le 1er avril 2011 pour ses activitésde : GESTION IMMOBILIERE depuisle 1er janvier 2011 pour ses activités de :TRANSACTIONS SUR IMMEUBLESET FONDS DE COMMERCE SANSPERCEPTION DE FONDS cessera de por-ter effet trois jours francs après publicationdu présent avis. Les créances éventuelles serapportant à ces opérations devront être pro-duites dans les trois mois de cette insertion àl’adresse de l’Etablissement garant sis EtoileSaint-Honoré – 21 Rue Balzac – 75406 ParisCedex 08. Il est précisé qu’il s’agit de créanceséventuelles et que le présent avis ne préjugeen rien du paiement ou du non-paiement dessommes dues et ne peut en aucune façonmettre en cause la solvabilité ou l’honorabilitéde la SARL VALL DE QUEROL AGENCE.

LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 -ARTICLES 44QBE FRANCE, sis Etoile Saint-Honoré – 21Rue Balzac – 75406 Paris Cedex 08 (RCS Paris414 108 708), succursale de QBE Insurance(Europe) Limited, Plantation Place dont le siègesocial est à 30 Fenchurch Street, London EC3M3BD, fait savoir que, la garantie financière dontbénéficiait la :

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LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRETD’APPLICATION N° 72-678 DU 20

JUILLET 1972 - ARTICLES 44QBE FRANCE, sis Etoile Saint-Honoré– 21 Rue Balzac – 75406 Paris Cedex 08(RCS Paris 414 108 708), succursale deQBE Insurance (Europe) Limited, PlantationPlace dont le siège social est à 30 FenchurchStreet, London EC3M 3BD, fait savoir que,la garantie financière dont bénéficiait la :

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I l y a les bavards qui, une foisn’est pas coutume, se murentdans le silence. Les optimistes

qui, contrairementà leurhabitude,fontpartde leurdésarroi. Et les tai-seux,généralementavaresdeconfi-dences,quin’hésitentplusàs’épan-cher.Deux joursaprès les aveuxdeJérômeCahuzac, c’est peudire queles ministres sont chamboulés.«Sans voix», dit l’un. «KO», ditl’autre. «Sonné», dit un troisième,pourqui«le choc»estpresquepireque celui provoqué par l’arresta-tion de Dominique Strauss-Kahnen 2011 : «A l’époque, aumoins, lesFrançais voulaientque l’unde nousgagne laprésidentielle.On suscitaitcollectivement un désir, et c’est çaqui nous apermis de nous ressaisir,de rebondir. Là, le désir, il estoù?»

Seressaisir.Rebondir.Cesverbessont désormais sur toutes les bou-ches. Ce n’était pas le cas il y a unesemaine. A l’époque – «presqueune éternité», soupire un ami duprésident – beaucoup pensaientqu’ilsuffiraitde«tenirbon».Qu’enattendant le retourde la croissanceet l’inversion de la courbe du chô-mage, l’urgence était de faire de la«pédagogie», de fixer une nouvel-le fois le fameux«cap», en sommed’expliquer les réformes mises enœuvre et de donner un sens auxefforts demandés. D’où l’interven-tiondeFrançoisHollandesurFran-ce 2, jeudi 28mars. D’où la longueinterview de Jean-Marc Ayrault auJournal du dimanche, trois joursplus tard.

Or après le choc provoqué parlesaveuxde l’ancienministredélé-guéaubudget, tout celaparaît déjàloin,pournepasdiredérisoire.«Laquestion posée aujourd’hui n’estplus tant celleducapàfixerquecel-ledusursautàprovoquer.Pourcela,il faut qu’on se voie, qu’on réfléchis-se collectivement, et qu’on en tiredes conséquencesà lahauteurde lacrise qu’on traverse. Sinon, on vadroit dans le mur», résume unpoids lourd du gouvernement. «Jecrains qu’on ne puisse éviter l’élec-trochoc», ajouteunautre,pourtantpeufamilierd’untel vocabulaire.

Qui dit électrochoc, dans un telcontexte, pense bien sûr remanie-ment. Jamais, depuis la formationdu gouvernement, l’hypothèsen’est autant discutée. Chacun, enmêmetemps,enmesureladifficul-té. Changer de premier ministre?Les proches de François Hollanden’y croient guère, pour deux rai-sons. La première est que le prési-

dent a toujours considéré qu’ils’agissait d’un «fusil à un coup»,autrement dit que le quinquennatne lui permet d’user de cette armequ’uneseule fois.

Or le chef de l’Etat s’est toujoursréservé cette possibilité pour leprintemps 2014, après des élec-tions municipales qui risquentd’être difficiles et des élections

européennes qui le seront à coupsûrdavantage.

La seconde raison tient à la per-sonnemêmedeJean-MarcAyrault.En privé, François Hollande conti-nue de répéter qu’il le juge «soli-de». Et il ne lui a pas échappé que,dans lamajorité commeauseindugouvernement, les critiques par-foisravageusesquis’exprimaientà

sonencontre il y a encorequelquessemaines,sesontraréfiées.Cefutlecas, mercredi 3avril, pendant laséance des questions au gouverne-ment où le groupe socialiste a faitbloc. «Ayrault fait le job, il encaisseles coups, et c’est déjà pas si mal»,observeunhabitué de l’Elysée. «Ledégager maintenant, ça n’auraitaucun sens», explique un premierministrable.

A défaut d’un changement depremierministre,certainsplaidentpourungouvernement«resserré».L’idée ne date pas d’hier. Certains,commeManuelValls,ensontparti-sans.D’autres, enprivé, regimbent.«En soi, c’est séduisant : un com-mando, c’est plus rassurant qu’unearméemexicaine, convientun amidu chef de l’Etat.Mais il faut antici-per les conséquences: tousceuxque

vousfoutezdehors,vousnelestenezplus, et là bonjour lebordel…»

Reste le recours aux «poidslourds», ces personnalités censéesrassurer par leur expérience ouleur compétence. A discuter avecles ministres, ils se comptent surles doigts d’unemain, mais aucunnes’imposeavecévidence.MartineAubry? «Elle a déjà fait compren-dre que c’était premier ministre ourien»,rappelleundesesamis.Ségo-lène Royal? «On ne va pas ajouterlacriseconjugaleàlacrisegouverne-mentale», évacue un proche duchef de l’Etat. Pascal Lamy? «Tech-niquement, ça aurait de la gueule,maispolitiquementçapeut-êtrecas-se-gueule», glisseunfidèledeFran-çoisHollande, pour qui les compé-tencesdudirecteurgénéral de l’Or-ganisationmondialeducommerce(OMC),dontlesecondmandatexpi-re en septembre, ne pourront faireoublier son image très libérale.

Reste Bertrand Delanoë. En pri-vé, le maire de Paris dit qu’il veut«prendredu large»après lesmuni-

cipales de 2014, et que le périmètred’un simple ministère lui sembleunpeuétroitquandonadirigéuneville commeParis pendant près dequinzeans.Pourautant, iln’insultepas l’avenir: «Je ne suis pasétran-gerà lanotiondedevoir», dit-ilpar-fois.

HorsPS, très peudenoms circu-lent.«SiHollandeveutélargir, quiya-t-il?Asagauche,RobertHue?Asadroite, François Bayrou? Ils pour-raients’entendre,çan’estpas lepro-blème,mais franchement, çava fai-re rêver qui ? », s’interroge unconseiller du chef de l’Etat, avantd’ajouter : «En terme d’équilibremajoritaire, ce seraitparailleursunvrairisque.Déjàqueçan’estpassim-pleaujourd’hui…»

S’ils n’ont pas le même avis surl’ampleur d’un éventuel remanie-ment, tous lesministres sont d’ac-cord surunpoint. L’und’entre euxrésume l’état d’esprit général :«Remanier n’aurait de sens que s’ily a unmessage politique; sinon, ceseraperçucommepurementcosmé-tique et, aubout dedeux jours, toutle bénéfice aura disparu.» En ter-mes de «message», plusieurs pis-tes sont évoquées. Certains, y com-pris parmi les plus «libéraux» del’équipe gouvernementale, n’hési-tent plus à dire qu’il faut «un vraidébat sur les 3%», aller «beaucoupplusloindanslebrasdeferavecMer-kel», être «dix fois plus offensif surle terrain européen». Le seul hori-zonpourtrouverlacroissance,esti-ment-ils.Leseul,aussi,pour«mobi-liserlepaysautourd’unidéaldesou-veraineté, c’est-à-dire de reprise enmaindenotredestincollectif», ana-lyseunministreprochedu chef del’Etat.

Autrepiste:la«verturépublicai-ne». Un jeuneministre y voit «unimpératif». Et estime qu’«on peutêtrebeaucoupplusaudacieuxsurlecumul des mandats, l’oxygénationde la vie démocratique, l’inventionde nouvelles pratiques, lamoderni-sation des institutions…» Y a-t-ilurgence?Commebeaucoup, ilesti-mequeprécipiter les choses risquede«donnerlesentimentqu’onpani-que».Maisilenestconvaincu:«Ona une fenêtre de tir de quelquessemaines.Pasplus.» p

ThomasWieder

Affaire Cahuzac

Et,pendantcetemps,FrançoisHollandeauMaroc…

Adéfautd’unchangementdepremierministre,

certainsplaidentpourungouvernement

«resserré»

Hollande:lesscénariosd’unélectrochocDenombreuxministresplaidentpourunremaniement,voireuneremiseenquestionde lapolitiquederigueur

Casablanca (Maroc)Envoyé spécial

Ladéclaration téléviséede Fran-çoisHollande, enregistrée à l’Ely-sée juste avant le décollage, n’arien changé à l’affaire. Le prési-dent et son équipe entendaientainsi déminer aminima le terrainavant sa visite d’Etat auMaroc et«éviter d’exporternos problèmesdomestiques», dit un conseiller.Mais la première journéedudéplacementdans le royaumechérifien,mercredi 3avril, ne pou-vait qu’êtrepolluéepar le casCahuzac.

Auvude l’incendiepolitiquequi s’étend àParis, les imagesduvoyagedu chef de l’Etat, accueilliparMohammedVI avec la pompequi sied à l’aéroport, puis apparuavec le roi sur la place oùavait étéorganiséun «accueil populaire»aumomentprécis oùunegrosseaverse se déclenchait, ne pou-vaientqu’apparaîtredécalées.«Çamontre aussi que lemondenes’arrête pas à l’affaire Cahuzac»,tenteunministre.Mais lacontraintede l’agendaprésiden-tiel, qui éloigneM.Hollandedel’œil du cyclone, en cette crisepoli-tiquemajeure, ne tombepas au

mieux.«Certes, ça fournit des ima-ges régaliennes.Mais çan’auraitpas été plusmal d’être à Paris»,consentunde ses collaborateurs.

«Tristesse»Dans la délégation, proches et

collaborateursduprésidentdemeurent sous le choc.«Il nousa eus, enrageunautre conseiller,visant JérômeCahuzac. J’ai enviede lui en coller une!»Auconseildesministres, lematinmême,M.Hollande avait pourtant tentéd’utiliser l’affaire pourpromettredes lendemainsmorauxet remo-biliser l’équipe. «Tout lemondea

signéune charte. Tout lemondedoit la respecter», avait-il indiqué,expliquantà sesministresque l’af-fairedevait «conforternotre exi-gencedeRépublique exemplaire».Mais lemoral desministres, lui,est bel et bien auplus bas.

«Ça pèse. On a beau signer desaccords, on pense à ce qui va nousarriver quand on va rentrer», glis-se leministre de l’agriculture, Sté-phane Le Foll, en sortant d’une«cérémonie de signature d’ac-cords et contrats bilatéraux» aupalais royal. «Il y a un fond de tris-tesse, une blessure», concèdeYamina Benguigui,ministre délé-guée à la francophonie. «C’esttout notre travail qui est piétiné»,s’insurge Frédéric Cuvillier,ministre délégué aux transports.«C’est extrêmementpénible, etc’estmauvais pour tout lemonde,pas seulement pour la gauche»,diagnostique leministre desaffaires étrangères, LaurentFabius.

Quant auprésident, difficiledelire l’intensité de la secoussepoli-tique sur sonvisagequine laisse,commeà l’accoutumée, transpa-raître aucune émotion.De toutecette journée,M.Hollanden’apasconsenti lemoindremotpublicsur l’affaire. Tout juste cette trèslégère allusion, dansundiscoursprononcédevant la communautéfrançaise au lycée Lyautey: «Nousavonsnos problèmes, nous avonsnos oppositions, nos séparations,nos difficultés.Nous les connais-sons.Nous essayonsde les réduire,aussi bien les clivages inutiles queles difficultés qui ne sont jamaisinsurmontables.»p

DavidRevaultd’Allonnes

PierreMoscovici répond aux députés lors de la séance des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, mercredi 3avril. JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR «LE MONDE»

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Récit

A près la haute «trahison», letout petit espoir d’un «sur-saut». Au lendemain des

aveuxdeJérômeCahuzac,lesdépu-téssocialistesonttantbienquemaltentéde fairebonne figuremercre-di 3avril à l’Assemblée, sonnés etchoqués par une vérité que beau-couppensaient impossible.

Faute de mieux dans l’immé-diat, lesmembres de lamajorité seraccrochent comme des naufragésauxmaigresannoncesdel’exécutifsur un renforcement des règles demoralisation de la vie politique.Réuni le matin devant Jean-MarcAyrault, le groupe parlementaire aété invité par lepremierministre àrester soudé et à «se projeter dansl’avenir, sur l’horizon», relate sonprésidentBrunoLeRoux.«Onnousa dit “N’apparaissez pas abattusdans l’Hémicycle”», raconte undéputé,résumantlemessagegéné-ral d’un «Souriez puisque c’est gra-ve»plusdépitéqu’ironique.

Rares sont les parlementaires àtraîner dans la salle des QuatreColonnes envahiepar lesmicros etles caméras, commec’est pourtantl’habitude le jour des questions augouvernement. Jérôme Guedj(Essonne) confesse qu’« il y a desjours où on préférerait aller se pro-mener dans le jardindes Tuileries».Le jeune député, membre de l’ailegauche du PS, cache mal sonspleen. «Le dernier point sur lequelon pouvait se distinguer du précé-dentquinquennat,celuide lamora-lepolitique, vientdepasserpar-des-susbord», se lamente-t-il.

L’argumentestpartagéparbeau-

coup.«Hollandeavaitmis en scènel’exemplarité de son pouvoir com-me seul palliatif face à la droite et ànotre absence d’innovation sur lefond. Notre seul supplément d’âmeétait moral. Il est à présent mort.Nous sommesàpoil, Hollande est àpoil, la gauche est à poil», dramati-seun autre élu. Ajouter le scandaleCahuzac à la hausse continue duchômage et à la politique decontractionbudgétaireestuncouprude pour tous. «Il y avait déjà ladure couche économiqueet sociale,sionajoutemaintenant ladisquali-fication morale, il faut être surhu-main pour faire face», reconnaîtThierry Mandon (Essonne), porte-paroledugroupePS.

Amoureux trompésCes députés qui appréciaient

tantlesdirectsportésàladroiteparle boxeur Cahuzac dans l’Hémicy-cle sont comme des amoureuxtrompés: leurdépitestà lahauteurde leur admiration d’hier. «JérômeCahuzac a démonétisé la parole dupolitiqueetcellequirécupèreladon-ne, c’estMarineLePen.Maintenant,on ne croira plus personne et onauratout le tempsundoute»,enra-ge Yann Galut (Cher) qui comparel’événement pour la gauche au«21avril2002»etcraintleretourdeflammesdans l’opinion.

«J’aidumalà imaginerceque jevais dire à mes électeurs qui vontnous accuser d’être des irresponsa-bles, explique-t-il. La colère quenousavons, ils l’ontencoreplus for-tement.Toutes les semaines, sur lesmarchés, j’expliquais qu’il fallaitfaire des efforts, que tout lemondedevait y contribuer…»

BeaucoupdecesdéputésPSsontde nouveaux entrants au Palais-Bourbon et cette plongée dans lefeudesaffaires leur faitpenserauxheures anciennes qu’ils n’ont pasconnues. «Notre génération a étémarquéepar les affairesauPSdanslesannées1990.Nousnoussommesconstruitspolitiquementsurl’ambi-tiond’unerénovationdescodespoli-tiques. Avec l’affaire Cahuzac, ontombede trèshaut»,déclareCarlosDa Silva (Essonne), quadragénaireprochedeManuelValls.

Lespluscyniquestententderela-tiviser, espérant une rapide amné-sie générale.Mais craignent de fai-reunrêvepieux.«Onessaiedefairecomme si onmaîtrisait quoi que cesoit,commesicen’étaitqu’unmau-vaismomentàpasser.Onsedit quedans cinq jours, il ne restera rien del’affaireCahuzac,maisonsementànous-mêmes. On sait qu’on estentré dans une crise politique pro-fonde»,admet l’und’eux.

Car derrière le cas Cahuzac, c’estunepartiedel’identitédelagauchequi est questionnée, y compris parses représentants nationaux.«Mon grand-père était à la CGT-Mineurs,mon père était syndicalis-te. Mardi soir, j’ai pleuré car pourmoi,Cahuzac,cen’estpas lagauchepour laquelle je m’engage», expli-queNicolasBays (Pas-de-Calais).

Si la troupe espère un rebondpolitique autant que moral, il esttrop tôt pour remettre en cause laligne générale. C’est en «off» quenombre de députés disent leurespoir de changement : «On doitrevoir collectivement notre rapportà l’argent, notre tolérancecoupableenvers les paradis fiscaux et lesrèglesdu jeu libéral. Si on se conten-te de répondre aux Français endemandant pardon comme lesAméricains,on finirapar sauter.»

«Notreproblème,c’estquemajo-ritairement, ceux qui incarnent lagauche aujourd’hui sont endoga-mes avec le système qu’ils sont cen-séscombattre.Danscemonde,pourles Cahuzac, la fraude fiscale estsommetoutequelque chose denor-mal», ajoute un second qui craintdéjà«leprochainépisodedufeuille-tonàscandales».p

BastienBonnefous

L’UMPVEUTPROPAGER l’ondedechocde la «bombeCahuzac». Leprincipalparti d’opposition tented’éclabousserenpremier lieu lechefde l’Etat,mais aussi le pre-mierministre et leministredel’économie. Leprésident, qui avaitfait campagnepourune «Républi-queexemplaire», reste la cibleprincipale.«Il faut cogner sur Fran-çoisHollandeet son systèmediscré-dité»,ont convenu lesdirigeantsde l’UMP, lorsdubureaupolitiqueduparti,mercredi 3avril.

Pour ladroite, l’exécutifnepou-vaitpasnepasêtre informédel’existenceducomptebancaireàl’étrangerdeM.Cahuzac, avant sesaveux.«Quipeut croireaujour-d’huiqueFrançoisHollandeet Jean-MarcAyraultn’étaientaucourantde rien?», s’est interrogé leprési-dentde l’UMP, Jean-FrançoisCopé.

La responsabilitédeMM.Hol-landeet Ayrault est clairementengagée, selon l’opposition.«Soitils ne savaient pas queCahu-zac avait un comptebancairecaché et dans ce cas, c’est de la légè-reté et de la naïveté. Soit ils lesavaient et l’ont couvert», résumeledéputéduPas-de-CalaisDanielFasquelle.«Personnene peut croi-re que cette affaire commence ets’arrête à la seule personnedeCahuzac», tranche JérômeChar-tier, député duVal-d’Oise.

L’ensembledesélusUMPesti-mentque les explicationsdeM.Hollande,quiaannoncémercre-diplusieurs lois sur la transparen-cede laviepolitique,ne suffisentpas. Pour Jean-PierreRaffarin, lesmotsduprésident«n’étaientpasàlahauteurduchoc ressenti». «Lesréactionsdugouvernementrestentendessousdes circonstances»,abondeFrançois Fillon.

Appels à la démissionL’offensivede ladroite vise à

contrer la tentativede l’exécutif etduPSde circonscrire l’affaire àunedérivepersonnelledeM.Cahu-zac.A l’UMP, l’attitudeà adopter adonné lieuàunvif débat, lorsdubureaupolitique.Deux lignes sesontdégagées: une radicale etunemodérée, incarnéeparBrunoLeMaire.«Nousdevons faire preu-vede laplus grande retenuedansnos réactions», apréconisé l’ex-ministrede l’agriculture.«En tantqueparti de gouvernement, l’UMPdoit formulerdes propositionspourétablir davantagede transpa-rence», estime-t-il. A l’opposé, l’ex-ministre LaurentWauquiezesti-meque le parti s’estmontré tropcompréhensifà l’égarddeM.Cahu-zac cesdernières semaines, au ris-quededonner l’impressiondevouloir le couvrir.

Aufinal, la«lignede fermetésur

les faits» l’a emporté. Elle consisteàposerdesquestionsprécises, enprioritéàM.Hollande, sanss’achar-ner surM.Cahuzac.«Ilne fautpasquecela se termineparunsuici-de»,metengarde ledéputéSébas-tienHuyghe (Pas-de-Calais).

De son côté, ClaudeGoasguenapréconiséde ciblerPierreMoscovi-ci. Le députéde Paris a demandéla démissionduministre de l’éco-nomie, lui reprochantdenepasavoir effectuéun contrôle fiscalassezpoussé dans l’affaire. Chris-tian Jacoba lancéune autre char-ge contreM.Moscovici, lors desquestionsau gouvernementà l’As-semblée. Le chef de file des dépu-tésUMPa sommé leministre d’as-surer qu’il n’avait pasutilisé l’ad-ministration fiscale pour essayerde«blanchir»M.Cahuzac.M.Mos-covici a rejeté ces soupçons.

Faceauxdénégationsdugou-vernement, lesdéputésUMPontexigédes sanctions.«FrançoisHol-landedoit identifier les fautifs etprendredesmesurespourquecettefautemoralene se transformepasen faillitemorale», selon JérômeChartier.Plusdéfinitifs, Jean-Fran-çoisCopéetHervéMaritononttousdeuxdemandéunremanie-mentdugouvernementdegrandeampleur,«premierministrey com-pris».p

AlexandreLemarié

L es «trois décisions» annon-cées par François Hollandelors de son allocution télévi-

sée, mercredi 3avril, avaient déjàété avancées. Celles-ci ressem-blent fort à de simples effets d’an-nonce qui ne devraient pas boule-verser le codepénal.

L’indépendance de la justice Leprésidentde laRépubliqueentendd’abord«renforcer l’indépendancede la justice» avec le vote, «dès cetété»,delaréformeduConseilsupé-rieurde lamagistrature (CSM), qui« donnera aux magistrats lesmoyens d’agir en toute liberté, entoute indépendance, contre tousles pouvoirs». Ce n’est pas nou-veau – François Hollande l’avaitdéjà annoncé le 18 janvier devantla Cour de cassation – et celan’aurait rienchangéaucasde Jérô-meCahuzac.

LesmembresnonmagistratsduCSMdevraientêtredésormaisdési-gnés, non plus par la majorité enplace, mais par «un collège indé-pendant», et ce choix sera validépar les trois cinquièmes des com-missionsdes lois. C’est unprogrès,mais mesuré: le garde des sceauxpourra toujours assister aux séan-ces duCSM, continuera àproposerses candidats pour les magistratsduparquet,mêmes’ilfaudradésor-maisunavis conformeduConseil.

On voitmal le rapport avec l’af-faire Cahuzac: c’est un procureur,nommépar la droite, anciendirec-teurdecabinetduprécédentminis-tre de la justice, qui a ordonnéuneenquête préliminaire. Et ce sontdeux juges déjà statutairementindépendants qui instruisent l’af-faire, la réforme du CSMn’y chan-gerait rien. En revanche les jugesd’instructionseplaignentduman-que de moyen et de volonté pourlutter contre la corruption, à cejourenvain.

Les conflits d’intérêts Le prési-dent entend « lutter de manièreimpitoyablecontre les conflitsd’in-térêts» et assurer « la publicationet le contrôle sur les patrimoinesdes ministres et de tous les parle-mentaires», un projet de loi seradéposé «dans les semaines quiviennent». C’est un serpent demer. Une commission pour latransparence financière de la viepubliqueaété instituéeen1988, et« le fait pour un député d’omettresciemment de déclarer une partsubstantiellede sonpatrimoineoud’en fournir une évaluation men-songère» est puni par le code élec-toral de 30000eurosd’amendeetde cinqans d’interdiction desdroits civiques.

Le président de la commission,Jean-Marc Sauvé, également vice-

président du Conseil d’Etat, a ren-duenjanvier2011untrèsstrictrap-portsur laquestion,etunprojetdeloi nettement en retrait a été pré-senté au conseil des ministres enjuillet2011,mais jamaisvoté.

La commission Jospin s’estenfin inspirée du rapport Sauvépour proposer en novembre2012la créationd’uneAutoritédedéon-tologiedelaviepublique,avecobli-gationpourlesministreset lespar-lementairesd’unedéclarationd’in-térêts et d’activité qui sera rendupublique. Sans suite à ce jour.

L’interdiction demandat électifLe chef de l'Etat a décidé que « lesélus condamnés pénalement pourfraude fiscale ou pour corruptionseront interdits de tout mandatpublic».«Avie», avaitmêmeavan-cé Jean-Marc Ayrault devant lesdéputés PS. C’était l’engagementdecampagne49ducandidatsocia-liste:«Jeporterailaduréed’inégibi-lité des élus condamnés pour faitsde corruption à dix ans» – au lieudes cinq ans que peuvent aujour-d’huiprononcer les tribunaux.

L’engagement du président estparticulièrement flou. Les éluspoursuivis pour fraude fiscale oucorruption se comptent sur lesdoigts de la main : moins de1000personnes sont d’ailleurscondamnéestouslesanspourfrau-

deàl’impôt (795en2010, ledernierchiffre définitif disponible). Et lacorruption,outrequ’elleestdiffici-le à caractériser, recouvre unchamp si vaste que le mot estvague au pénal : s’agit-il du trèsrare «pacte de corruption», pourlequelAlainCarignon,l’ancienmai-re deGrenoble, a été condamnéen1996 à quatre ans de prison etcinqans d’inégibilité, de la priseillégale d’intérêt, du détourne-ment de biens publics, des abus deconfiance ou de biens sociaux, dutrafic d’influence, de l’atteinte àl’égalitédescandidatsdanslesmar-chés publics ? La chancellerierépondprudemmentqu’elleestentrain«de travailler sur lepérimètredes infractions».

Autre difficulté, le caractèreautomatique de la peine. LeConseilconstitutionneladéjàtran-ché le 11 juin 2010 : «Le principed’individualisation des peines (…)implique que la peine emportantl’incapacité d’exercer une fonctionpublique élective qui en résulte nepuisse être appliquée que si le jugel’a expressémentprononcée.»

Il est en revanche relativementsimplededoubler la peined’inégi-bilité maximale de cinq ans, pré-vue par le code pénal, «en cas decondamnation pour délit» et dedixanspouruncrime.p

Franck Johannès

LefloudesannoncescenséesmoraliserlaviepolitiqueLorsdesonallocution télévisée,M.Hollandeapromisunprojetde loi sur lesconflitsd’intérêts

Lesdéputés dedroite lors des questions augouvernement,mercredi 3avril. COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR «LEMONDE»

Al’UMP,la«lignedefermeté»l’aemporté

Affaire Cahuzac

Le député PSDominique Lefeb-vre, ami de longue date de Jérô-meCahuzac, amultiplié lesdéclarations,mercredi3 et jeudi4avril, pour dire son inquiétudepour l’ex-ministre du budget.L’élu du Val-d’Oise, qui dit luiavoir parlé récemment, décrit unhommed’une «grande fragili-té», «détruit, dévasté» et qui luiaurait envoyé un«SMS particu-lièrement difficile à lire».

Jeudimatin, sur RTL, le député amêmedit craindre que lemis enexamenne s’enprennephysique-ment à lui-même. «Parce quecette idée lui a traversé l’esprit,parce que c’est dur, parce qu’il aprobablement honte», a dit l’élu,selon quiM.Cahuzac«est quel-que part en France, pas à Parisoù résident ses enfants, sa mère,son frère, sa sœur» mais«n’estpas seul».

LesdéputésPSsontsonnés:«Lagaucheestàpoil…»Mercredi3avril, à l’Assemblée, les socialistescachaientmal leurdésarroi.Certainsconfient leurespoird’unchangementdespratiquespolitiques

J ean-LucMélenchonet les sienscontinuentà taperduraprès lesrévélationsde JérômeCahuzac.

«Dubalai l’oligarchie.Dubalai laVeRépublique.Dubalai la caste cor-rompuequipleureavecCahuzaclamaladresse coupabledumeilleurdes siens», écrit ainsiFrançoisDelapierre, lebrasdroitducoprésidentduPartidegau-che, sur sonblog.Mardi2avril,M.Mélenchonavait employé lesmêmesmotsdansuncommuni-qué lapidaireoù ildénonçait«unmondedementeurs, de fuyardsdufisc et de cyniques».«Dubalai»,intimait-il après s’être interrogépoursavoiroù«s’arrête la chaînedesmensonges».

AuFrontdegauche, les explica-tionsdugouvernementsontjugées insuffisantes.«Je récusel’idéeque laseule lecturesoit indivi-duelle, indiqueM.Delapierre.C’estunemanièrecommodede sedébar-rasserduproblème.»MêmesondeclocheauParti communiste.«Il vafalloirque tout lemonde s’ex-pliqueetPierreMoscovici, leminis-trede tutelle, enpremier lieu»,jugeégalementOlivierDartigol-les,porte-paroleduPCF.M.Dela-pierrevaplus loin:«Aminima,Moscovicidevraitpartir.»

Lesmesuresannoncéespar leprésidentde laRépubliquemer-

credinesontpasnonplusdenatu-reà rassurer.«Uncautère surunejambedebois», pourMartineBillard, coprésidenteduPG.«Ilfautallerà la racineduproblè-me», réclamePierreLaurent,secrétairenationalduPCF,quidéploreque la lutte contre la frau-de fiscalen’aitpas étémise«aucentredesproposalors que l’affai-reCahuzacenest le symbole».

«Autorité fracassée»Touspartagent lamêmecertitu-

de: le gouvernementet sapoliti-quesontaffaiblis.«Lagauchen’estpas ladroiteet lepartiprishis-toriquede lagauche, c’est le peu-ple, la transparenceet ladémocra-tie, regardez cequevientdeperdrelegouvernementen24heures»,souligneMarie-PierreVieu,de ladirectionduPCF.«L’autoritédugouvernementsort fracasséede laséquence, renchéritM.Delapier-re.Ça jetteunvoile sur la réalitéducombatcontre la financedeFran-çoisHollande.»PourEricCoque-rel, c’estun«momentpossibledebifurcation» : le secrétairenatio-nalduPGappelle ceuxquiàgau-chene sontpas satisfaitsdecettepolitiqueàchoisir leur camp.«Sinon, ils serontemmenéspar cet-teboue», juge-t-il.p

RaphaëlleBesseDesmoulières

Mélenchonetlessiensfustigent«l’oligarchie»

M.Cahuzac est «détruit, dévasté», selon un proche

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C ’estlasurprisedanslasurpri-se. Le2avril, JérômeCahuzaca été mis en examen pour

«blanchiment de fraude fiscale»par les juges devant lesquels il areconnuavoirdétenuuncompteàl’étranger. «Ce compte n’a pas étéabondédepuis2001et l’essentieldeses revenusprovenait de sonactivi-té de chirurgien et accessoirementde son activité de consultant», adéclaré le nouvel avocat deM.Cahuzac,Me JeanVeil. Selon lesinformationsduMonde, les chosessontpourtantmoins simples.

C’est par une figure de la droiteextrême, Philippe Péninque, pro-che conseiller de Marine Le Pen,quelecomptede JérômeCahuzacaétéouverten 1992,a révélémercre-di 3avril LeMonde : desmicrofilmsde la banque UBS en attestent. Cen’est qu’en 1993 que ce compte aété récupéré en nom propre parl’ancien ministre, via la sociétéfinancièreReyl&Cie,baséeàGenè-ve, qui ne possédait alors pas delicence bancaire. Plus tard, en2009, le compte aurait été transfé-ré à Singapour dans la filiale localede la banque helvétique JuliusBaer.Lecompteétaitalorstoujourssousgestionde lasociétéReyl.

Mieux: l’argent proviendraitd’aumoinsdeuxplacementsdansdes mines d’argent du Pérou, audébut des années 1990, via uneSCI, La Rumine, créée en 1998 pard’anciens militants du GUD, uneorganisation étudiante d’extrêmedroite musclée, que fréquentait àl’époque le couple Cahuzac.

«Penser que je pourrais éviterd’affronter un passé que je voulaisconsidérer comme révolu était unefaute inqualifiable», a glissé audétour de sa lettre d’excuses l’an-cienministredubudget,mardi.Cepassé, ce n’est pas seulement celuid’un chirurgien devenu députépuisministre – homme politique.Car si l’histoire du compte nondéclaré de Jérôme Cahuzac est unlourdsecret,c’estaussiparcequ’el-le ressuscite une histoire defamille inavouable. Celle d’unchirurgien qui épouse une jeunefille de bonne famille, Patricia, quil’entraîne, dans ces années1980 et1990, à fréquenter une petite ban-de issue du GUD d’Assas – « la facdes assassins» – qui dix ans plustôt, faisait trembler Paris.

Il y a là Lionel Queudot, un ges-tionnairedefortunequipassebeau-coupde temps à Genève, l’homme

quicréeraen1998,avecsonépouseIsabelle, laSCI LaRumine. Il y aaus-si Benoît André, dit «Petit Benoît»,alors gendre de Jacques Lafleur, lechef des anti-indépendantistescalédoniens.Etencorel’avocatpari-sien Jean-Pierre Emié, dont la fem-me, Dorothée, est la cousine dePatricia Cahuzac. Au milieu desannées 1970, celles des bagarresavec l’extrême gauche et aussi desratonnades, on appelait Emié«Johnny le Boxeur». Ses études dedroit achevées, Jean-Pierre Emiés’installe rue Marbeuf, dans le8earrondissementde Paris avecunassocié qui vient comme lui duGUD: Philippe Péninque. L’hom-me qui a ouvert le compte de Jérô-meCahuzacà l’UBSen 1992.

Philippe Péninque? Etudiant, ilconsacrasonmémoiredeSciencesPo à l’extrême droite extraparle-mentaire, intitulé «La politique àcoupsdepoing».Aujourd’huiavo-cat «omis» (il a décidé lui-mêmede suspendre ses activités au bar-reau), il se consacre plus quejamais, à 60 ans, à ses affaires. Etjoue le rôle de conseiller auprèsde

Marine Le Pen, sa «grande amie»,comme il le dit lui-même. Discret,il n’apparaît sur aucun organi-gramme officiel du FN. On le voittrèspeuausiègedupartiàNanter-re. C’est en revanche un familierde Montretout, la résidence deMarine Le Pen à Saint-Cloud. Et le«parrain» d’une fratrie qui gravi-te autour de la présidente du FN,dans l’un des cercles les plus fer-més et les plus rapprochés.

Dans les années 1990, la petitebanded’anciensduGUDseretrou-verégulièrementautourd’ungolf,à Garches, dans les Hauts-de-Sei-ne, ou à La Baule, en Loire-Atlanti-que. Ou encore dans la jolie mai-son du cap Benat, près du Lavan-dou, dans le Var, chez le coupleEmié. Jérôme Cahuzac se met à laboxe et au vélo, comme ses amis.On voit souvent le chirurgiendéjeuner avec eux chez André,l’Ami Pierre ou autour de pasta,chez l’italien Romano, au pied ducabinetdel’avocat,prochedesacli-nique. Mariages, anniversaires,baptêmes, « tout cela forme unepetitefratrietrèsfamiliale»,racon-

tait un proche. Les Emié auraientmême invité à dîner les Cahuzac,un soir, dans leur appartementparisien de la villa Ségur, avec…Jean-Marie Le Pen.

Avec ses amis Emié et Pénin-que, Jérôme Cahuzac fraye alorsavec ces anciensmilitants d’extrê-me droite radicale reconvertis

dans le «GUDbusiness».Uneban-devirile,ununivers clos,oùnefaitdes affaires que dans l’entre-soi.Lesentreprises s’imbriquenttellesdespoupéesgigogne. Les prises departicipation se font entre amis,parfois avec des prête-noms,d’autant que les avocats-conseilssont eux-mêmes d’anciens duGUD, commeEmié et Péninque.

Les deux hommes jouent les

«rabatteurs». Le premier adressedes clients au spécialiste desimplants capillaires. Pour rire, ceshommes qui aujourd’hui portentbeauleurs«bananes»etautrescri-nièresd’argentsoigneusementtra-vaillées dans la clinique Cahuzac,s’appellent entre eux «le gang desimplants». Grand manitou desactivités du clan, Philippe Pénin-que s’occupe, lui, des placementset en fait profiter ses amis.

C’est ensemble que cette petitebande décide d’investir dans desmines d’argent au Pérou par lebiais de la SCI La Rumine, fondéepar Lionel Queudot et sa femme.Ce dernier a expliqué à ses amisqu’ilyavaitde l’argentà faire,«dixà quinze fois lamise». Trois opéra-tionssontréalisées,dontladerniè-revire au fiasco. Legouvernementpéruvien en a assez que ces socié-tés domiciliées à l’étranger se fas-sent de l’argent sur le sous-sol dupays. Il met le holà, les cours s’ef-fondrent. Plusieurs investisseursperdentsèchementleurmise. Jérô-me Cahuzac, lui, a déjà une petiteaura. Il ferapartie, comme Jacques

Lafleur, des clients chanceux quiauraient été remboursés par Lio-nelQueudot,expliquait il y aquel-ques jours auMondeun financier,assurantque«l’argentallaitensui-te sur un compteUBS».

On a, depuis, beaucoup enten-duparlerdeLionelQueudot,enrai-son notamment du rôle qu’il ajoué dans la délivrance en 1998,d’un vrai-faux passeport à AlfredSirven, l’ancien « numéro deux »de la société pétrolière Elf. Curieu-sement, de l’argent de M.SirvenavaittransitésurcertainscomptesdeM.Queudot,découvrentàl’épo-que le juge genevois Paul Perrau-din et son homologue parisienRenaud Van Ruymbeke. Celui-làmêmequi, aujourd’hui, est chargéde l’«affaireCahuzac».

Aujourd’hui, Lionel Queudot adisparu des écrans radars de sesamis. Philippe Péninque, lui, estl’homme des missions spécialesdu clan Le Pen. Au lendemain desscrutins de 2007, c’est lui, parexemple,quiaprisenmain ledéli-cat dossier de la restructurationfinancière du FN, mis sur la pailleaprès de calamiteux résultats auxlégislatives.Ce qui lui a valud’êtredécoréde la «flammed’honneur»– une distinction interne au partid’extrême droite – des propresmains de Jean-Marie Le Pen lui-même, en janvier 2011, à Tours,lors du congrès qui a sacré sa fille.

Entre la nouvelle présidente duFN et l’homme qui a ouvert lecompte de Jérôme Cahuzac, lesrelations sont anciennes. C’est elled’ailleurs qui le fait venir au FN,danssonsillage,àlaveilledelapré-sidentielle de 2007. Aumilieu desannées 90, lorsque cette dernièreétait jeune avocate et que lui plai-dait encore, ils avaient défendu,ensemble, avec Jean-Pierre Emié,sixmembresduGUDpoursuivis àla suite de l’occupation sauvageaccompagnée de voies de fait deslocauxde FunRadio.

Sans doute, PhilippePéninquequi n’aime rien plus que le secretet l’ombre, se serait bien passé dece coup de projecteur imprévu. Ilne nie pas néanmoins ses rela-tions amicales avec Jérôme Cahu-zac. Pas davantage de lui avoirouvert un compte. «Jérôme Cahu-zacavaitbesoind’uncompte, je l’aiaidéà l’ouvrir»,dit-il auMonde.pArianeChemin, AgatheDuparc

(àGenève), AbelMestre,CarolineMonnotet SimonPiel

MarineLePenenporte-à-fauxdanssacroisadecontrelesaffairesPRENDRE ça avec légèreté. C’estl’attitude queMarine Le Pen et leFront national ont immédiate-ment adoptée après les révéla-tions duMonde, mercredi 3avril,qui établissaient que PhilippePéninque, proche conseiller deMarine Le Pen, a ouvert le comp-te en Suisse de JérômeCahuzac.«C’est un acte complètement ano-din. Un demes amis avocats aouvert, il y a vingt-cinq ans –quand j’étais en licence de droit –un compte à l’étranger pour lecompte de son client. Ouvrir uncompte à l’étranger est complète-ment légal, c’est de ne pas décla-rer les fonds qui est illégal», a ain-si affirmé auMondeMme Le Pen.Elle reconnaissait aussi queM.Péninque lui avait dit, dèsmar-di, qu’il avait ouvert le compte deM.Cahuzac a l’étranger.Mme lePen considère ces informationscomme «une attaque» contreelle. «Le système se défendmal»,conclut-elle. Bref, tout ceci neserait qu’une vaste «manœuvre»visant à «salir» sa «veste imma-culée».

Des élémentsde langagesrepris commeun seul hommeparles frontistes sur les réseauxsociauxainsi quepar toute la«fachosphère».Mêmesi, en inter-ne, certains, qui n’apprécientpasM.Péninque, enprofitentpourdire qu’il faudrait«queMarineLePen fasse leménage»parmi ses

conseillersofficieux.Mais le partid’extrêmedroite a beau essayerofficiellementdeminimiser l’im-pact de l’apparitiond’unprochedeMme LePendansune affaired’Etat, il n’endemeurepasmoinsque celabrouille lemessagedel’ex-candidateà l’Elysée qui sevoit toujours comme la force«antisystème».

Avec le retourdes«affaires» au

premierplande l’actualité,MarineLePenavaitunbeaucoupà jouer:celuidu «touspourris». Ellepou-vait seprésentercommeunealter-native«propre» faceà cequ’elleappelle«le systèmeUMPS».

«Contradictions»Ce sera désormais plus compli-

qué de le faire. «A force de joueravec le feu, on se brûle», juge un

membredu bureau politique.Qui ajoute : «Elle estmise devantses contradictions.»

Ainsi,Marine Le Pen assuraitencore,mercredimatin, lors deson déplacement dans les Arden-nes, que le FN serait le seul parti«honnête». Faisant la liste desaffaires qui touchaient «tous lespartis», elle assurait qu’avec leFN, les Français auraient « la

garantie que nous pourrons gou-verner sans être les otages de telleou telle influence, de tel ou telascenseur à renvoyer», enarguant que son parti «n’a pasd’amis chez les grands patrons,dans la grande finance ou dansles grands laboratoires pharma-ceutiques». Un peu plus tard,devant quelques journalistes,elle appellera à «une opérationmains propres et à siffler la fin dela récréation» dans ce qu’ellenomme « la caste». L’apparitionde l’un des proches conseillers dela présidente du FN dans l’affaireCahuzacmet doncMarine Le Penen porte-à-faux.

Hasard du calendrier, ce rebon-dissement arrive quelques joursaprès un épisode passé presqueinaperçu et qui avait déjàmis àmal le discours intransigeant deMarine Le Pen sur lamoralité enpolitique: sa rencontre avec lesénateurGaston Flosse – chira-quien aux innombrables procé-dures judiciaires ouvertes contrelui, et auxnombreuses condam-nations –, lors de son déplace-ment en Polynésie française.

Interrogée sur cette rencontreplus que surprenante,Marine LePen a expliqué,mardi 26marslors d’une conférence de presse,qu’elle préférait «une Républiqueimmorale» que «pas de Républi-que du tout». p

A.Me.

politique

Marine Le Pen, à Charleville-Mézières (Ardennes), mercredi 3 avril. FRANÇOIS NASCIMBENI/AFP

Riennedisposait les avocats Phi-lippe Péninque et Jean-PierreEmié à croiser le chemin des frè-res Tiozzo, boxeurs profession-nels. Rien, si ce n’est un troisiè-meancien duGUD, Jean-Christo-pheCourrèges, agent sportif.C’est lui qui présente Christo-pheTiozzo àM.Péninque.Voici le récit de Franck Tiozzo, legrand frère deChristophe, rela-té dans le livre des journalistesduMondeAbelMestre et Caroli-neMonnot intitulé Le Systè-meLePen (Denoël, 2011) :«L’idée nouvelle de la boxequ’avait Courrèges plaisait bienà Christophe: il lui disait qu’ilpouvait amener des sponsors,organiser ses combats, créer dessociétés pour payer moinsd’impôts… Gérer tout ça autre-ment. A l’époque, les boxeursétaient imposés à 70 % sur leursgains, comme les artistes.»Pour payermoins d’impôts, ilsuffit de créer des sociétésimbriquées les unes dans lesautres, pour faire de«l’optimisa-tion fiscale». «Courrèges a dit àChristophe qu’il avait un copainavocat qui allait gérer sesgains», continue Franck Tiozzo.Cet avocat, «c’est PhilippePéninque». Des sociétés sontainsi créées enSuisse, au Pana-maou encore aux Etats-Unis, oùl’argent gagné par ChristopheTiozzo y est réinvesti.

Affaire Cahuzac

LesEmiéauraientmêmeinvitéàdîner,unsoir, lecoupleCahuzac,avec…

Jean-MarieLePen

Les frères Tiozzoont aussi profitédes conseils fiscaux

Philippe Péninque (à gauche), lors d’une visite deMarine Le Pen, àAulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 5avril 2007. DOCUMENT «DIMANCHE +» CANAL+

LesliaisonsinavouablesdeM.Cahuzacavecl’extrêmedroiteUnprochedeMarineLePenaouvert, en 1992, le comptebancairede l’ex-ministre,qui fréquentait avec sa femmedesanciensduGUD

12 0123Vendredi 5 avril 2013

Page 13: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

politique

A lors que le gouvernementse bat pour réduire les défi-cits publics et la dette, les

Françaissontprêtsàdessacrifices,mais pas n’importe lesquels. C’estce qui ressort d’un sondage IpsosCGI Business Consulting, réalisédu 15 au 20mars auprès de1006personnes pour LeMonde etLire la société, à l’occasion de la22e Journéedu livrepolitique.

A la question « s’il fallaitdemain faire des sacrifices pouraméliorer la situationéconomiqueen France», 64% d’entre eux sedisent «personnellement prêts» àaccepter davantage de flexibilitésur lemarchédu travail. 57%affir-ment qu’ils pourraient renoncer àtrois ou quatre jours de congéspayés dans l’année. En revanche,toutcequipourraitporteratteinteau pouvoir d’achat, qui a connuune baisse historique en 2012(–0,4% selon l’Insee), est vive-mentrejeté:85%desFrançaisrefu-sent l’idée d’une augmentationde10%des impôts et des taxes.

Rejet des hausses d’impôts Legouvernement, qui a fortementjoué sur les hausses d’impôts audébut du quinquennat, est préve-nu: l’allergie fiscale guette et il n’aplus beaucoup de marge demanœuvre dans ce domaine, saufà s’aliéner un grand nombre deFrançais. Le refus d’une hausse de10%des impôtsetdes taxesest lar-gement partagé, quelle que soit lasensibilitépolitique. Il atteint 76%chez les sympathisants PS, PCF etFront de gauche, et franchit la bar-re des 85% chez les sympathisantsMoDem et UMP et culmine à 97%chezceuxduFrontnational.

Qu’ilssoientdedroiteoudegau-che,lesFrançaisrejettentaussimas-sivement l’hypothèse d’une baissede 10% des revenus, avec des picsde 94% chez les sympathisants FNet de 91% chez ceux du PCF et du

Frontdegauche.Lesprojetsconsis-tant à désindexer les pensions deretraitesouàréduirelemontantdecertaines aides sociales s’annon-centdélicatsàmettreenœuvre.

Clivage à gauche sur le marchédu travail L’idée d’une flexibilitéaccrue dumarché du travail bous-culelatraditionnellefrontièregau-che-droite. Elle est plébiscitée parles électeurs de droite (83%) etmajoritairement acceptée par lessympathisants MoDem (64%) etsocialistes (62%). Elle est en revan-che massivement rejetée par lessympathisants PCF et FDG (78%),cequiexpliquelestensionsactuel-les autourde l’accord sur la sécuri-sation de l’emploi. Chez ces der-niers, s’il y avait des sacrifices àconsentir, c’est le partage du tra-vail qui reste l’idée à privilégier :72% y sont favorables, contre seu-lement 59% chez les sympathi-sants du PS, 54% chez ceux duMoDem, 40% chez ceux de l’UMPet 24%chez ceuxduFN.

En revanche, dès que l’on abor-de l’hypothèse de repousser l’âgede la retraite à 65 ans, le clivagedroite-gauche domine. L’électoratUMP (66%) et MoDem (62%)acceptent majoritairement l’idée.L’électorat de gauche la repousse,en majorité, et est rejoint par lessympathisants FN (63%).

Unesociété françaiseprofondé-ment divisée Le reste du sondageconfirme la division du pays et lesdifficultésrencontréesparl’actuel-lemajorité:63%desFrançaisconsi-dèrentquelasituationde laFrances’est aggravée depuis mai2012 et33% pensent que l’oppositionferaitmieuxque le gouvernementactuel. Cette proportion monte à82% dans l’électorat UMP qui n’apas été du tout démobilisé par ladéfaitedemai2012.p

Françoise Fressoz

A accepter d’avantage de flexibilitésur le marché du travail

Renoncer à trois ou quatre joursde congés payés dans l’année

A partager votre travail avec ceuxqui n’en ont pas

Travailler jusqu’à 65 ans

Accepter une baisse de 10 % devos revenus (salaires, pensions, aides, etc)

A une augmentation de 10 %des impôts et des taxes

S’il fallait demain faire des sacrifices pour améliorer la situationéconomique en France, seriez-vous personnellement prêt à...réponses oui en %

Sondage Ipsos, réalisé pour Lire la société et Le Monde, du 15 au 20 mars 2013 par Internet,sur un échantillon représentatif de 1 006 personnes âgées de 18 ans et plus(méthode des quotas, sexe, âge, profession de la personne de référence du foyer, régionet catégorie d’agglomération).

64

57

49

46

16

15

DOSSIER : LE NOUVEAU DÉSORDRE MORALavec Pascal Bruckner, Marcel Gauchet, Brice Couturier,

Philippe Bilger, Ruwen Ogien…

Affaire Baby Loup : Si le droit se trompe, changeons le droit !par Élisabeth Badinter, Élisabeth Lévy,

Daniel Leconte, Richard Malka, Paul Thibaud, Philippe Val...

Et aussi :Les journaux d’Alain Finkielkraut et de Basile de Koch

Les chroniques de Roland Jaccard et François Taillandier

N° 1

4,90 €CAUSEURNOUVEAU EN KIOSQUE

Mensuel d’actualité animé par Élisabeth Lévy

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Affaire Cahuzac

Lescontrôlestrèslimitésdupatrimoinedesministres

J usqu’au plus haut niveau del’Etat, parfois, il vautmieux nerien savoir. Ou tout au moinslaisserpenserqu’onn’a riensu.

C’est tout l’enjeu de l’offensive decommunication lancée, mercredi3avril, par Matignon et la PlaceBeauvau dans l’affaire Cahuzac.Jean-Marc Ayrault a tiré le pre-mier, vers midi, devant les dépu-tés socialistes, puis, peu après l’in-tervention télévisée du chef del'Etat, Manuel Valls a publié uncommuniqué.

Non, il n’y a pas eu d’«enquêteparallèle» sur l’existence d’uncompte suisse caché du ministredéléguéaubudget,ousurl’authen-ticité de l’enregistrement surlequelM.Cahuzac reconnaît avoirdétenu ce compte. Non, la PlaceBeauvau n’a pas eu connaissance,après l’ouverturede l’enquêtepré-liminairepar leparquetdeParis, le8 janvier, d’éléments à chargeissus des investigations de la poli-ce judiciaire.

La réaction fait suite, à retarde-ment, aux révélations du Canardenchaîné du mercredi 27mars :«Hollande dispose depuis Noëld’unenotepourlemoinsembarras-sante émanant de Beauvau. (…) Cedocument affirme que, d’une pre-mière analyse de la bande enregis-trée, il ressortqu’ellen’apasété tra-fiquée et que la voix est proche decelle duministre dubudget.»

Le ministre de l’intérieur tenteen fait de contrecarrer deuxrumeursrécurrentesqui tournentautour de la direction centrale durenseignement intérieur (DCRI),depuisledéclenchementdel’affai-re. L’une suruneenquêteparallèlemenéepar le servicede renseigne-mentà sademande,après les révé-lations de Mediapart le 4décem-bre 2012 et confirmant l’existencedu compte; l’autre concernant undossier sur le sujet détenu par laDCRI avantmêmedécembre.

«Je n’avais aucune information

avant décembre, et je n’ai évidem-ment demandé à personne uneenquête parallèle ou une expertiseconcernant cette affaire», affirmeauMondeM.Valls. Mais, à la suitedes bruits persistants, il a deman-dé à Patrick Calvar, le patron de laDCRI, de vérifier que ses servicesne détenaient aucun élément surM.Cahuzac. «Patrick Calvar m’aaffirmé qu’il n’y avait eu aucuneinitiative aujourd’hui ou hiervenantde lui, assure leministredel’intérieur. Il n’y a riendans les car-tonsde laDCRI.»

Des éléments concordantsSelon nos informations, il n’y

aurait certes pas eu de «note»par-venant à l’Elysée,mais néanmoinsdes éléments concordants, findécembre. Et ceux-ci ne seraientpar forcément issus du ministèrede l’intérieur, mais sans doute de

Bercy. Par ailleurs, le 15décembre,l’ancien maire RPR de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), MichelGonelle, avait contacté unconseiller de François Hollandepour revendiquer la paternité del’enregistrement. Il avait été ren-voyévers les autorités judiciaires.

Puisvientl’ouverturedel’enquê-te préliminairepar le procureur dela République de Paris, FrançoisMolins, le 8janvier. Les enquêteursdeladivisionnationaledes investi-gations financières et fiscales(DNIFF) de la direction centrale dela police judiciaire (DCPJ) sont sai-sis. L’enregistrement est envoyépour expertise à Ecully (Rhône),dans les laboratoires de la policetechnique et scientifique. Selon lecommuniqué envoyé parM.Molins le 19mars, pour annon-cer l’ouverture d’une informationjudiciaire,lerapportd’authentifica-

tionde la voix de l’ancienministreest revenule 18mars.

Le ministre de l’intérieur a-t-ilété tenu au courant des avancéesde l’enquête, entre le 8janvier et le18mars ? Dans les dossiers tou-chantàlasécuriténationaleoutrèsmédiatiques, le ministre de l’inté-rieur est traditionnellement infor-mé.«Ilavaitdes informationsselonlesquelleslespoliciersallaientprocé-der à telle ou telle initiative, maissans avoir les résultats, reconnaîtun proche du ministre. De toutefaçon, le seul élément de preuvedans ce dossier, c’est l’enregistre-ment.» Et sur ce sujet, « je n’ai euaucunprérapport»,assureM.Valls.«Danscedossier, il n’ya rieneu,pasd’expertise provisoire», confirmeune source à la DCPJ, qui précisequ’iln’yapaseude«sollicitations»de lapartdeM.Valls. p

LaurentBorredon

MedefPatrickBernasconi déclare sa candidaturePatronde la Fédérationnationale des travauxpublics et ex-lieutenantde LaurenceParisot, PatrickBernasconi s’est déclaré candidat à la prési-denceduMedefdans Le Figarodu jeudi 4avril. Lenégociateurde l’ac-cord emploidéfendundialogue social à l’allemande «plusmature».

JusticePrison ferme à Evry pour trois trafiquantsde cannabis remis en liberté en févrierTrois personnes, dont la remise en liberté par des juges, en février, avaitprovoqué la colère despoliciers, ont été condamnées,mercredi 3avril, àdespeines allantdeneuf à dix-huitmois deprison fermepour trafic decannabis auxUlis (Essonne). Quatre autres ont été condamnéesà despeinesde sursis. La procureure du tribunal d’Evry avait requis des pei-nesdeunàdeuxans fermepour cinqd’entre eux.

DiscriminationUn prêtre campe avec desRomsdevantletribunal de Lyonpour demander leur relogementLePèreMatthieuThouvenot, unprêtrequi a accueilli enurgenceune cin-quantainedeRomsdansune salleparoissiale, à Lyon, s’était installé,mercredi 3avril, devant le tribunaladministratif deLyonpourypasserlanuit à leurs côtésdans l’attented’unedécisionsur leur relogement.«Jenepouvaisplusmatériellement leshéberger et jenevoulais pas lesabandonner», a-t-il expliqué.Cesdouze familles romsavaientété expul-sées, le 28mars, d’un campementàVilleurbanne (Rhône). – (AFP.)

LEMENSONGEdure depuisdesannées. En tant quedéputé, puiscommeministre, JérômeCahuzaca rempli denombreusesdéclara-tionsdepatrimoine, transmises àla Commissionpour la transpa-rence financière de la vie politi-que, dans lesquelles il a omissciemmentdementionner sesavoirs à l’étranger.

Dirigéepar le vice-présidentduConseil d’Etat, cette commissionest chargéede comparer les diffé-rentesdéclarationsde tous lesélus,ministres oudirigeantsd’or-ganismespublics, pour vérifiers’il n’y a pasde variationdepatri-moine inexplicable.

Lorsque JérômeCahuzac a éténomméministre, sondossier adonc atterri automatiquemententre lesmains de la commission.Sa déclarationa été étudiée à l’au-nede celle qu’il avait faite en tantquedéputé. Le cas desministresest étudié en formationplénière

(une réunionpar anenmoyenne).Siègent autourde la table le pre-mierprésidentde la Courde cassa-tion,Vincent Lamanda, le premierprésidentde la Cour des comptes,DidierMigaud, et le vice-prési-dentduConseil d’Etat, Jean-MarcSauvé, six autresmembresperma-nents et douze rapporteurs, char-gés de l’examendesdossiers.

«Tradition républicaine»«Si nous constatonsdes varia-

tionsdepatrimoine,nousposonsdesquestions écritesà lapersonne,expliqueBriceBohuon, secrétairegénéralde la commission.Si lesexplicationsne sontpas satisfai-santes, on la convoque. Siundoutesubsiste,onpeut transmettre ledos-sierauparquet.»Depuis la créa-tionde la commissionen 1988, surlesmilliersdedossiers, seulsdou-zeont fini chez le procureur.

Par ailleurs, la déclarationneporteque sur le patrimoineet ne

mentionnepas les revenus.«Onregarde le stock,mais onadumalà regarder les flux», résumeBriceBohuon. Surtout, la commissionne travailleque sur la foi desdécla-rationsdes dirigeantspolitiques.«Nousn’avonspas lesmoyens, nimême lamission, d’enquêter surla véracité des déclarations»,reconnaîtM.Bohuon.

L’investigationest plus pous-sée auniveaude laDirectiongéné-rale des finances publiques(DGFiP). L’administrationn’a pasl’obligationde contrôler tous lesministresmais elle le fait systéma-tiquement.«C’est une traditionrépublicaine», glisse-t-onà ladirection.

Toutnouveaumembredugou-vernementa droit après sanomi-nationà «un contrôle sur pièce»,c’est-à-direunexamende sondos-sier fiscal. Il ne s’agit pas d’uneinvestigation lourde, qui duregénéralementunan,mais d’une

enquête rapide, en quelquesjours. «Il est impossible avec cetexamende détecter quelque chosed’occulte, expliqueun responsa-ble de laDGFiP. Engénéral, lesgensne déclarentpas dans leurdossier leurs comptes cachés parexemple…» Les résultats sonttransmis auministredu budget–à l’époque, JérômeCahuzac.

La commissionpour la transpa-rencen’a eude cesse, depuis sacréation, de demanderun élargis-sementde ses prérogatives. Elle aobtenuen 2011 undurcissementde la législation. Le fait de cacherunepartie de sonpatrimoineoude le sous-évaluer dans sa déclara-tion est puni de 30000eurosd’amendeet, le cas échéant, de l’in-terdictiondesdroits civiques.Mais pour l’heure, cette disposi-tionn’a euquepeud’effet.Depuis2011, un seul dossier a été trans-mis auprocureur. p

NicolasChapuis

Leministre de l’intérieur, Manuel Valls, à l’Assemblée nationale, mercredi 3avril. ERIC FEFERBERG/AFP

M.VallsdémenttouteenquêteparallèleLeministredel’intérieurtentedecontrecarrerlesrumeursconcernantlesservicesderenseignement

LesFrançaisgagnésparuneallergiefiscaleUnsondagepour«LeMonde»etLire la sociétémontre lerejetdenouvelleshaussesd’impôts

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Page 14: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

L es folles nuits de l’Assembléenationale sur le projet de loiouvrant le mariage et l’adop-

tionaux couples demêmesexenese reproduiront pas au Sénat. AuPalais du Luxembourg, où l’exa-mendutextesur le«mariagepourtous» débute jeudi 4avril, tous lesprotagonistes l’assurent: le débatsera«serein» et«constructif». Soitloin, très loin,dumarathonlégisla-tif et de l’obstructionparlementai-re menée par l’opposition qui sesont tenus au Palais-Bourbonentre le 29janvieret le9février.

Le président du groupeUMPauSénat, Jean-Claude Gaudin (Bou-ches-du-Rhône) prévient : «LeSénat,cen’estpasl’Assembléenatio-nale. Nous souhaitons décortiquersérieusementce texte et nous abor-donsledébataveclavolontéd’obte-nir des améliorations sans faired’obstruction systématique pourfaire durer les débats de manièredéraisonnable.»

La droite n’a ainsi déposé que200amendements sur le texte –«qui ne sont ni répétitifs ni redon-dants», assure M.Gaudin –, soitvingt-cinqfoismoinsquelesdépu-tésUMPquienavaientdéposéprèsde 5000. Outre les trois motionsdeprocéduresquedéfendra l’UMPen ouverture des débats – uned’«irrecevabilité», portant sur laconstitutionnalité du texte ; unedeuxième de «renvoi en commis-sion» et une troisième de «ques-tion préalable» – la plupart desamendementsontpourbutd’amé-liorer le pacs et notamment lesquestionsdesdroitsde succession.

Quatre-vingt-dix d’entre euxserontdéfendusaunomdugroupeetprincipalementportéspar Patri-ceGélard(Seine-Maritime),orateurde la droite sur ce texte et surtoutconnupouravoirdirigélaCommis-

sion d’organisation et de contrôledes opérations électorales (Cocoe)lorsde la criseà l’UMPfin2012.

Pour autant, et malgré les qua-tre à six sénateurs qui pourraientvoter le texteous’abstenir, legrou-pe UMP au Sénat – qui compte131 élus – maintient dans sonensemble son opposition «car lemariage crée un lien de filiationque nous ne souhaitons pas modi-fier», précise lemairedeMarseille.

Les 32membres du groupe cen-tristes de l’UDI-UC, qui ont signéune trentaine d’amendements,sont égalementdans leurmajoritéopposésauprojetde loi,mis àpartune «élite médiatisée de deux àcinq sénateurs», dont la sénatricedeParis, Chantal Jouanno.

Dans lamajorité, peu de surpri-ses sont à attendre des écologistesetdes communistes. Les sénateursécologistes approuvent dans leurintégralité le texte, et le présidentdu groupe, Jean-Vincent Placé(Essonne), se félicite de pouvoiraborder le débat dans un «climatapaisé». Songroupeporteratoute-fois, comme à l’Assemblée, desamendements visant à ouvrir laprocréation médicalement assis-tée (PMA) qui ne semble toujourspas avoir été inscrite à l’ordre dujour gouvernemental. Cette ques-tion devrait être traitée dans unefuture « loi famille» et le chef del’Etat, François Hollande, a assuré,jeudi 28mars, sur France2, que legouvernement «respectera» l’avisrendu par le comité consultatif dedéontologie qui s’est auto-saisi dusujet.«Noussentonsbienqu’iln’estpas mal de faire de l’appel et de lapédagogie sur ce sujet», expliqueM.Placé, lucide quant au devenirde ces amendements.

Pour lamêmeraison,unepartiedes sénateurs du groupe Commu-niste, républicain et citoyen (CRC),portera également des amende-ments en ce sens afin de «prendreactepour les débats à venir et avoirl’avis des ministres concernés defaçon claire », indique CécileCukierman (Loire).

Malgré cela, et même avec lesquelques abstentions ou votesfavorablesde l’opposition, lamajo-ritéestsifragileauSénatquel’adop-tion finaledutexten’estpasacqui-se. D’autant que, dans les groupes

du Rassemblement démocratiqueet social européen (RDSE) et dessocialistes, quelques défectionssont à attendre, notamment chezles élus ultra-marins. «Tant que levoten’estpas finalisé, c’est impossi-bled’êtrecertain.Mais letextepour-rait passer, à une ou deux voixprès», explique-t-onaugroupePS.

Le rapporteur, Jean-PierreMichel (Haute-Saône) veut croireque le texte sera voté avec unemajoritépluslargequelaseulegau-che.Mercredi 20mars, la commis-sion des lois ne l’avait pourtantadopté que par 23voix contre 21,grâceàdeuxsénateursUMP,Chris-tophe-André Frassa et ChristianCointat, tous deux représentantsdesFrançaisétablishorsdeFrance.

En soi, un éventuel rejet du tex-teparleSénatn’entraverapasl’ave-nir du projet de loi puisque l’As-semblée, qui a le derniermot, l’en-térinera sansproblème.Mais sym-boliquement, «cela serait embê-tantcar les sénateurssont les repré-sentants des collectivités et doncdes maires», reconnaît-on côtésocialisteoù l’on craintqu’un rejet«discréditeunpeu le texte».

Le climat des premières heuresdudébatsurl’article1–quiouvreledroit au mariage aux couples demême sexe – devrait permettred’envisagerun peumieux la suite.L’examen pourrait être terminé àla fin de la semaineprochaine et letexteadegrandeschancesdereve-niràl’Assembléepourunesecondelecture,probablement finmai. p

HélèneBekmezian

société

Lessénateursdedroiteontdéposé200amendementssurletexte,soit

vingt-cinqfoismoinsqueleurscollèguesdel’Assemblée

Lesopposantsseradicalisentetrêventd’un«contre-Mai68»

C ertains appellent déjà «l’af-faire Bernheim», « l’affaireCahuzac de la communauté

juive». L’aveu, par le grand rabbinde France, Gilles Bernheim, queson ouvrage Quarante médita-tions juives (Stock, 2011) compor-tait des éléments empruntés à unlivre d’entretien du philosopheJean-François Lyotard paru en1996, a provoqué la « stupeur»dans lemilieu rabbiniquedeFran-ce. A cette «stupéfaction», s’ajou-tent une réelle «gêne» et une cer-taine « tristesse», qui incitent laplupartdesinterlocuteursinterro-gés à conserver l’anonymat.

Car s’il a reconnu,mardi 2avril,«une terrible erreur», l’aveu deM.Bernheim arrive plus de dixjours aprèsunpremier communi-qué dans lequel il niait le plagiatdont l’accusait le site Strass de laphilosophie, puis l’universitaireJean-Noël Darde, auteur du blog«Archéologie du copier-coller».

«Ma réaction devant la premièreévidence de plagiat a été émotion-nelle, précipitée et maladroite. Jel’analyse rétrospectivement com-me du déni. Aujourd’hui, je laregrette», confie-t-il dans le com-muniquédemardi,envoyédeJéru-salem où il passait les fêtes de laPâque juive.

Il a également reconnu qu’il yaurait dans ce livre «d’autres pla-giats qui n’ont pas été identifiés àce stade». Il a demandé que cetouvrage soit retiré de la vente etsuppriméde sabibliographie.

Dans un premier temps, legrandrabbindeFranceavaitpour-tant suggéré que le philosopheétait coupable d’avoir utilisé desélémentsdesesproprescours,don-nésàParisdans lesannées1980.Le25mars, le journal Tribune juivepouvait donc écrire: «Gilles Bern-heim n’a commis le plagiat que deses propres écrits.»

Mais certains voient aujour-

d’hui dans ce premier «menson-ge»une«maladresse», voire«unefaute» plus grave encore que lerecours du rabbin à un nègre pla-giaire.

Assurantparailleursquec’est laseule et unique fois qu’il s’est livré«à un tel arrangement», M.Bern-

heimle justifiepar«un contexte»,en 2011, où sa charge de travail etses obligations étaient trop lour-des pour «porter l’attentionnéces-saire à la rédactiond’un livre».

L’émotion dans la communau-té juive est d’autantplus forte que

lalégitimitédugrandrabbinBern-heim, élu en 2008 pour sept ans,est fondée sur sa carrure intellec-tuelle et sa réputation de philoso-phe et de talmudiste.

«Depuisqu’ilaétéélu,mêmes’iln’a pas fait grand-chose sur le ter-rain pour la communauté juive, etque certains voient un peu en lui“le rabbindes goys” [les non-juifs],on lui reconnaît une stature degrand philosophe, celle d’un reli-gieux qui donne à penser aux juifsde France et écrit des textes intelli-gents en se levant “à 3 h 30 dumatin”, comme il le disait lui-même régulièrement», souligneunjeunerabbinquelquepeudépi-té par « la communication désas-treuse»du grand rabbin.

«Cette histoire est surprenantecar ceux qui le connaissent saventbien qu’il n’a vraiment pas besoind’aller chercher ses idées chez lesautres», ajoute un responsabled’une institution juive.

Parfois contesté pour sa com-plexité, voire sa rugosité, dans lesrapports humains, connu pourson rapport anxieux face aux pri-ses de parole orale ou son «man-que de charisme», Gilles Bern-heimpasse en effet pour un hom-me de l’écrit par excellence. Endécembre2012, le papeBenoîtXVIavait même salué et longuementcité son texte argumentant sonopposition au «mariage pourtous» et à la théorie du genre.

«On pouvait tout attendre deBernheim, mais pas cela. Cetteaffaire ne peut que le fragiliser; cequi est un péché véniel pour unpolitique ou un écrivain est plusgravepourunrabbin,dontlalégiti-mitéest fondéesurlaparole», assu-re un membre du consistoire.«Heureusement, nous ne sommespas en campagne électorale, carcette triste affaire aurait pu êtreexploitée contre lui», estime unautre.

«C’est vrai que cela peut êtregênant pour l’image d’autoritémorale qui est celle de Gilles Bern-heimdans lacommunauté juiveetau-delà. Il faut espérer que l’aveudemardi va clore ce début de polé-mique, indique pour sa part Jac-ques-Yves Bohbot, vice-présidentduconsistoire central.Alors que lasociété est touchée de toutes parts,il ne faut pas que des personnesécoutées, des points de repèreimportants comme l’est Gilles Ber-nheim, soient remis en cause.»

Sur son site Internet, lemagazi-ne Tribune juive écrivait le 3avril :«Les ennemis des juifs vont peut-être essayer de tirer profit de cettepéripétie. Les juifs seront attristésde la mésaventure mais se senti-ront fiers de l’attitude de vérité etde courage du grand rabbin deFrance.» Pour l’heure, personnene parle ouvertement de démis-sion.p

Stéphanie Le Bars

Desmanifestants contre le «mariage pour tous» devant le siège de France Télévisions,le soir de l’intervention de François Hollande sur France2, le 28mars. KENZO TRIBOUILLARD/AFP

L’émotionestd’autantplusfortequesa

légitimitéestfondéesursaréputationdephilosopheetsa

carrureintellectuelle

L’adoptiondutextesurle«mariagepourtous»resteincertaineauSénatL’examenduprojetde loidébute jeudi4avrilauPalaisduLuxembourg. Levotepourraitse jouer«àuneoudeuxvoixprès»

LEURAMBITIONest de transfor-mer la «Manif pour tous» en«Manif partout». Les opposantsauprojet de loi sur lemariage gaydevaientmanifester jeudi 4avrilen fin de journéedevant le Sénat,oùdébute l’examendu texte.

Dans lamatinée, le tribunaldevait se prononcer sur la plaintepourdiffamation, déposéeparl’unedes responsablesdumouve-ment, FrigideBarjot, contre le rap-porteurdu texte au Sénat, Jean-PierreMichel, qui avait qualifié ladémarchedes «anti» de «la piredes homophobies» et refusé de lesrecevoir.

Le collectif envisageait encorededéposer un recours devant letribunal administratifpour tenterd’obtenir les vidéos tournéesparla Préfecturedepolice durant lamanifestationdu 24mars. Lesopposants contestent le chiffre de300000manifestants, annoncépar les policiers, et s’accrochentaux «1,4million»depersonnesestiméespar leurs soins, espérantque les imagesparlent pour eux.

Contrairementà ce qui s’étaitpassé lors de lamanifestationdu13janvier, la Préfecturen’a pasmis ses enregistrementsà ladispo-sitiondes journalistes.

Les opposants essayent ausside constituerdes «comitésd’ac-cueil» lors de chaquedéplace-mentdeministres et assurents’appuyer sur leurs «réseauxd’élus locauxpour convaincre lessénateurs des dangers de cette loipour la famille et la filiation». Cesinitiatives tous azimutsn’échap-pent pas àune certaine radicalisa-tion, que dénonceunepartie desorganisateurs.

«Notremouvementn’est pasorienté contre le gouvernementHollandemais contre ce projet deloi», insiste FrigideBarjot,conscientede la récupérationpoli-tiquedumouvementpar la droiteetunepartie de l’extrêmedroite.«Mais lemensongepolitiqueexplosede partout, ajoute-t-elle,en référence à l’affaire Cahuzac. Etonn’y peut rien si la “Manif pour

tous” est en train d’engrangerunsoulèvementpopulaire, de cristalli-ser tous lesmécontentements.»

Cependant, préfèrent insisterles responsables,«c’est surtout lacrispationdugouvernement, samanièredene pas nous voir, de nepasnous entendre, dene pas nouscompter qui nourrit l’exaspéra-tiondes gens.»

PourErwanLeMorhedec, blo-gueur influent de la cathosphèreet partie prenante auxmanifesta-tions, «le fait de cantonner lesmanifestantsà des espèces dedélinquantsde la pensée et à deshomophobesn’a fait que radicali-ser les positions.» «Depuis ledébut, le gouvernement les a trai-tés par lemépris et n’amêmepasfaitmine deménager les apparen-ces. Onne les écoute pas, aumêmetitre que l’onn’écoutepas les racis-tes ou les négationnistes!»

Laprochainemanifestationnationale est prévue enmai, lors-que le texte reviendradevant l’As-sembléenationale.«Onprépareun “contre-Mai68”, s’enflammedéjà FrigideBarjot.On inverse lelibertarismede68pourdire nonàl’ultra-libéralismeappliquéauxêtres humains!»

S. L.B.

LacommunautéjuiveestatterréeparlesplagiatsdugrandrabbindeFranceGillesBernheimafinipar reconnaître«uneterribleerreur»etdemandéderetirer son livrede lavente, aprèsdix joursd’atermoiements

«Cantonnerlesmanifestantsàdesdélinquantsde

lapenséearadicalisélespositions»Erwan LeMorhedec

blogueur de la catosphère

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150123Vendredi 5 avril 2013 économie

L esrésultatsannuelsdelaCais-se des dépôts et consigna-tions (CDC), les premiers pré-

sentés par Jean-Pierre Jouyet, ceprocheduchefde l’Etatnomméenjuillet2012 à la tête de la puissanteinstitution financière publique,étaient très attendus, jeudi 4avril.Or, s’ils portent, côté portefeuillefinancier, la trace de la crise finan-cière et du naufrage de la banquefranco-belge Dexia, dont la Caissedesdépôtsestactionnaire,cesrésul-tats attestent aussi de la résistancedu groupe financier dans sesmétiersplustraditionnelsdefinan-cement de l’économie, au servicedespolitiquespubliques.

Ainsi, fait rare dans l’histoire, lerésultatnetpartdugroupedubrasarmé de l’Etat dans le domainefinancier, pour l’année 2012, estnégatif. La perte atteint 458mil-lionsd’eurossur l’année, contreunbénéfice de 206millions d’eurosen 2011. Les comptes de l’institu-tion ont en effet été plombés paruneimportantedépréciationfinan-cière,liéeàlachutedel’actionFran-ceTélécom.

Le Fonds stratégique d’investis-sement (FSI), dont la Caisse desdépôts est le co-actionnaire aux

côtés de l’Etat, est en effet le pre-mier actionnaire de l’opérateur detélécommunicationsfrançais,avecuneparticipationde13,6%ducapi-tal. L’effondrement du titre enBourse a pesé sur les comptes dugroupeCaissedesdépôtsàhauteurde 1milliardd’euros.

SoliditéDe plus, le naufrage de Dexia,

placésousoxygènedel’Etatdepuisla crise de l’euro en 2010, a conti-nué d’affecter les résultats, avec,pour 2012, une nouvelle déprécia-tionde 450millionsd’euros. Enfin,les dépréciations d’actifs consta-tées par sa filiale Veolia Transdev,spécialiste français du traitementde l’eau et des déchets, ont égale-ment contribué à cette perte. Autotal, la facture de Dexia pour laCDC s’élève à 2milliards d’eurosdepuis2009!

En revanche, malgré ces tempsdifficiles, le résultat récurrent dugroupes’établità 1,55milliardd’eu-rosen2012,àpeineinférieuràceluide 2011 (1,62milliard). Ce montantintègre lesmétiers cœurs du grou-pe et ses grandes filiales, maisexclut les éléments exceptionnelset les moins-values sur le porte-

feuille d’investissement enactions. Ilmesure sa «vraie perfor-mance» économique. «Ce résultatconfirme la solidité du groupe»,estime la direction de la Caisse desdépôtsdansuncommuniquéparujeudi.A l’appui, celle-ci rendcomp-te d’un renforcement significatifdes fonds propres, à désormais23,7milliardsd’euros.

En dépit d’une année 2012contrastée, M. Jouyet, qui avaittrouvé à son arrivée des dossiersépineux(outreDexia,lasuccessiondélicate à la tête de la filiale d’assu-rance-vie CNP et le partenariatcondamné avec Veolia dans leurfiliale commune Veolia Transdev),a de quoi s’estimer satisfait. Ce quidevrait aussi être le cas de l’Etatactionnaire, qui percevra, au titrede l’année écoulée, un généreux«dividende» (selon le vocabulairemaison,unecontributionfinanciè-re) de 500millions d’euros. Pourl’avenir, la Caisse des dépôtsentend optimiser ses actions enfonction d’unemarge demanœu-vre financière serrée. Ce qui n’ex-clut pas de nouvelles ambitionscomme de renforcer son actionauprèsdes collectivités locales. p

AnneMichel

Malgrélacrise, laCaissedesdépôtspréserveledividendeverséàl’EtatLachutede l’actionFranceTélécomacoûté 1milliardd’eurosà l’institution

C e qui manque à CarmoGomes, ce n’est pas le dyna-misme.Nil’envied’endécou-

dre. Patronne depuis douze ans deDadavox,uneagencedecommuni-cation et de publicité basée à Lis-bonne, cette Portugaise sedémèneet frappe à toutes les portes pourfaire tourner son affaire. Et tenterd’obtenircequi luifaitaujourd’huicruellementdéfaut: uncrédit.

Pourtant, Dadavox se portebien. Malgré une conjoncturedéprimée, cette PME de moins dedix salariés a gardé tous ses clientsréguliers. Elle vient encore dedécrocher un nouveau budget.Mais sans trésorerie suffisante,commentpayer les fournisseurs?

«Cette année, même si je satis-fais à tous les critères, les banquesrefusent systématiquement mesdemandes de crédit, se désoleMmeGomes au téléphone. Il nes’agit pourtantpasde grosses som-mes, on parle ici de 25000 euros.»Sans compter, rappelle-t-elle, quelesderniersprêtsobtenus l’étaientdéjà àdes tauxexorbitants.

LasituationdeDadavoxest loind’être un cas isolé. La raréfactiondu crédit bancaire pénalise grave-ment les très petites, petites etmoyennes entreprises des paysd’EuropeduSud,làoùlacriseconti-nuede fairedes ravages.

Ce « credit crunch», commedisent les experts, donne dessueursfroidesà laBanquecentraleeuropéenne (BCE). Et figurait entête des sujets à l’agendade la réu-nionmensuelledel’autoritémoné-taire, prévue jeudi4avril.

Taux prohibitifsMaisquefaire? Jusqu’ici, lapoli-

tique de taux bas de la BCE et lesliquiditésdontelleainondéleséta-blissements financiers ne se sontpas traduites en prêts abondantsdans les pays les plus fragiles. Lasituation est d’autant plus criti-quequelefinancementdel’écono-mie en Europe dépend largementdes banques. Contrairement auxEtats-Unis, où il passe d’abord parlesmarchés.

Les dernières statistiques per-mettent de cerner l’ampleur duphénomène.Lescréditsauxentre-prises en zone euro ont reculé de2,6%en février surunan. La situa-

tion est très contrastée d’un paysàl’autre. Tandis que la France oul’Allemagneenregistrentunelégè-re progression (+1%), la baisse estsévèreenEspagne(–8%),auPortu-gal (–4%) ouen Italie (–3%).

Ces chiffres reflètent une fai-blesseà la fois de la demandeet del’offre. D’un côté, les entreprises,peuconfiantesdansl’avenir,rédui-sent leurs projets d’investisse-mentet ne seprécipitentpas pouremprunter.De l’autre, lesbanquesdistribuent l’argent à des condi-tions très strictes. Pour faire faceaux nouvelles contraintes régle-mentaires,ellescherchentd’abordà alléger leurs bilans. Sans oublierlamorositéduclimatéconomiquequi les dissuadedeprêter.

Résultat, lestauxd’intérêtprati-qués par les banques dans le sudde la zone euro sont prohibitifs.Une entreprise espagnole ou ita-lienne emprunte presque deuxfois plus cher (6% à cinq ans)

qu’une concurrente allemande(3,5%). «C’est là où il y aurait vrai-ment besoin de crédit pas cherqu’on n’en trouve pas», résumeGuillaume Menuet, économistechezCitigroup.

Que lesPMEsoient les plus tou-chées ajoute à l’inquiétude : en

Espagne ou en Italie, elles sont lasubstance même du tissu écono-mique et font travailler plus d’unsalarié sur deux.

Début mars, un rapport de laCofindustria, le Medef italien,tirait la sonnette d’alarme : untiersdesentreprisesde laPéninsu-

le souffrent aujourd’hui d’uneinsuffisancede liquidités.

«En tout, 15,3% des sociétés ita-liennes demandant un crédit ban-cairese sontvuopposerunrefusenfévrier,décritaussiCiroRapacciuo-lo, l’auteur de l’étude. C’est troisfois plus qu’enmai2011!»

Cet économiste rattaché à laCofindustria s’alarme de la miseen place d’un « cercle vicieux» :dansunenvironnementéconomi-que déprimé, les banques, crainti-ves, refusent de desserrer les cor-donsdelabourse.Maiscettefrilosi-té est précisément l’un des freinsau retour de la croissance.

VoilàdoncledéfiquiseposeàlaBCE: rétablir la bonne «transmis-sion» de sa politique monétaireà l’économie réelle. En clair, faireen sorte que toutes sesmesures sediffusent bel et bien jusqu’auxménagesetauxentreprises.Et,par-tant, réduire l’hétérogénéitéd’unezone euro plus que jamais divisée

entre un nord dynamique et unepériphérie engluéedans la crise.

MaisàFrancfort,onn’apastrou-vé la martingale. « Il n’y a pas desolution évidente, dont la BCE estsûre qu’elle serait efficace», décritCédric Thellier chezNatixis.

Plusieurs chantiers sont à l’étu-de. La BCE songe ainsi à élargir lagammedes actifs qu’elle accepteàson guichet en contrepartie desliquidités accordées auxbanques.

Certains experts suggèrent quel’institutmonétaire s’engagedansune voie plus directe en garantis-santauxbanquesun financementpas cher, sur quelques années, enéchangedeprêtsàl’économie.Voi-re qu’elle les aide à nettoyer leurbilan en reprenant leurs mauvai-ses créances.

«Mais il y ade fortes résistances,notamment en Allemagne, enversde telles mesures», relève FabriceMontagné, chezBarclays. p

MariedeVergès

EnEuropeduSud, le«creditcrunch»étranglelesPMELaBCE,quidevaitse réunir jeudi, cherchelesmoyensdemieuxtransmettresapolitiquemonétaireà l’économieréelle

LondresCorrespondant

D epuis la tourmentedes cré-ditsàrisque, lessubprimes,en2008, la réputationde la

City de Londres a souffert d’unesérie de scandales liés aumanqued’éthique, qui ont éclaboussé, enparticulier,lesdeuxgéantsbancai-resbritanniques,BarclaysetRoyalBankof Scotland (RBS).

La course au gigantisme et auxbonus a dilué les valeurs commu-nes au profit du chacun pour soi,souligne un rapport, publié mer-credi 3avril, sur Barclays. Dans cedocument, l’enquêteur indépen-dant, mandaté par la banque à lasuite de l’affaire de la manipula-tion du taux interbancaire Libor,critique « les défaillances de laculture d’entreprise.»

Le même jour, un groupe de12000actionnairesdeRBSaannon-célelancementd’uneactioncollec-tive contre l’ancienne directionqu’ils accusentd’avoirmenti sur lasituationde l’établissement lorsdel’augmentationde capitalde 2008.Aujourd’huinationalisée, l’institu-tiond’Edimbourgestlesymboledel’amoralitéde certains financiers.

Pour lutter contre ce fléau,depuis le 2avril, les aspirants tra-ders et courtiers doivent obligatoi-rement passer un test d’éthiqueavant de pouvoir s’inscrire à l’exa-menofficield’accèsà laprofession.

«Il s’agit de restaurer la confian-ce dupublic dans les services finan-ciers», souligne Simon Culhane,directeurgénéralduCharteredIns-titute for Securities and Invest-ment, chargé de l’organisation dela première épreuve de ce type aumonde qui est destinée à jaugerdesvaleurséthiquesdesfutursopé-rateursdes sallesdemarchés.

Esprit de corpsQue faire d’un client qui veut

deuxbilletspourassisterà la finalede la Coupe d’Angleterre, mena-çant, en cas de refus, de changer defournisseur? Faut-il dénoncer untrader juniorqui imite la signatured’un supérieur pour sauver unetransactionsur lepointd’échouer?Quel sort réserver à un collèguetalentueux mais qui a menti surson CV? Telles sont quelques-unesdes questions qui pourraient êtreposéesauxcandidats.

L’objectifdel’initiativen’estpasde trier le bon grain de l’ivraie,

mais de faire comprendre auxfuturs professionnels l’importan-cedurespectdelamoraledesaffai-res, affirment sespromoteurs.

Pour ses détracteurs, l’épreuvene s’attaquepas auxproblèmesdefond : la culture du profit et laconcurrence à couteaux tirés quiobscurcissentle jugementdespro-fessionnels, sans compter la lour-de charge de travail, le stress et lafatigue qui réduisent la capacitéàréfléchir sur l’essencedumétier.

En outre, l’esprit de corps, lespressions exercées par les mem-bresdel’équipeoul’egosurdimen-sionné de dirigeants, supprimanttoute dissidence, amènent tropsouvent à franchir la fragile lignerouge. « Les employés de baseregimbentàtirer lasonnetted’alar-me en raison des réticences bienconnues de l’état-major à êtreconfronté à des problèmes», faitvaloirAndreSpicer,professeurà laCassBusiness School.

Surtout,letestest jugétropfaci-le pour encourager les futurs ban-quiers à rester dans les clous. Letaux de réussite à cette épreuve,qui était auparavant volontaire,était de…93%! p

MarcRoche

AlaCity, lestestsd’éthiquesontdésormaisobligatoirespourlesaspirantstradersLacourseauxbonusadilué lesvaleurs, selonunrapport sur laBarclays

FINANCEMENTDES ENTREPRISES DANS LAZONE EUROTaux de croissance annuel des crédits accordés aux sociétés non financières, en%*

* données cvs SOURCE : BANQUE DE FRANCE

France

Zone euro Allemagne

ItalieEspagne

– 10

– 8– 6

– 4

– 20

2

46

Déc. 2010 Déc. 2011 Déc. 2012Juin 2011 Juin 2012

j CAC40 3773,41 PTS +0,5 % |J DOWJONES 14 550 PTS –0,8% |j EURO-DOLLAR 1,2833 |J PÉTROLE 107,5 $ LE BARIL |J TAUX FRANÇAIS À 10 ANS 1,96% | 04/04-9H30

Page 16: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

économie

P our la deuxième annéeconsécutive,lessommesver-sées par les vingt-cinq pays

membres du Comité d’aide audéveloppement(CAD)de l’Organi-sation de coopération et de déve-loppement économiques (OCDE)ont reculé de 4%, pour atteindre125,6milliards de dollars (97mil-liards d’euros), contre 130,9mil-liards de dollars en 2011, où ellesavaient diminuéde 2%.

Commentant ces chiffres mer-credi 3avril, AngelGurria, secrétai-re général de l’Organisation, s’estinquiétéde ce repli imputable aux«difficultés budgétaires des paysmembres». Les variationsà la bais-se les plus fortes ont été enregis-trées dans les pays en crise de lazone euro, soit l’Espagne (–49,7%),l’Italie (–34,7%) et laGrèce (–17%).

«L’aide aux pays pauvres estsacrifiée sur l’autel de l’austérité»,a estimé Coordination Sud, le col-lectifdesONGfrançaisesdesolida-rité internationale.

Si l’aide bilatérale affectée à desprojets de développement (horsallégementdeladetteetaidehuma-nitaire)aaugmentéde2%,cellequia été octroyée aux pays les moinsavancés est en repli de 12,8%. Pourl’Afrique subsaharienne, la chutes’élève à 9,9%. «C’est un lâchagedes pays les plus pauvres», a ditGuillaume Grosso, directeur del’ONG ONE France, qui dénonce«une chute dramatique de l’aideàl’Afrique subsaharienne».

Au palmarès des donateurs,seulsl’Australie,l’Autriche,leCana-da, la Corée du Sud, l’Islande, le

Luxembourg, la Norvège, la Nou-velle-Zélande et la Suisse ont aug-menté leur contribution. Les plusgénéreux en volume demeurentdansl’ordrelesEtats-Unis(30,5mil-liards de dollars), le Royaume-Uni,l’Allemagne, la Franceet le Japon.

Mais ils sont loin de consacreràl’aideaudéveloppementles0,7%deleurrevenunationalbrut,objec-tif préconisé par les Nations unieset qu’atteignent, une fois de plus,le Danemark, le Luxembourg, lesPays-Bas, laNorvègeet la Suède.

Le discours et les actesLa France s’est attirée une volée

de bois vert des ONG, parce que sacontribution de 12,78milliards dedollars est en recul de 1,6%. Ensui-te, parceque cemontant représen-te 0,45% de son revenu nationalbrut, très loindes0,7%demandés.

Selon Christian Reboul, d’Ox-famFrance,«lerespectdecetenga-gement était unminimumpour laFrance, cinquième puissance éco-nomiquemondiale. Elle ne se don-nepas lesmoyensde ses ambitionsenmatièrededéveloppementdansles pays pauvres.»

Le cas de l’aide auMali est sym-bolique de l’écart existant entre lediscours et les actes. A ce jour, ditM.Reboul, « l’appel d’urgence desNations unies pour l’aide humani-taire au Mali n’est financéequ’àhauteur de 82millions de dol-lars surun totalde409,5millions.»Faudra-t-il moins aider d’autresrégions défavorisées pour tenircettepromesse? p

AlainFaujas

D epuis le 21mars, la sociétéfrançaise Teleperforman-ce, leadermondial des cen-

tres d’appels, a retrouvé le label de«responsabilité sociale de la rela-tion client» qu’elle s’était vu reti-rer à l’automne 2008, après unepremièreattribution.

Pour autant, cette réattributiond’un label, qui concerne les socié-tés–ycomprisleurscentresdéloca-lisés– dont les clients finaux sontfrançais, est assortie d’une mise àl’épreuve. C’est que le dialoguesocialpêchetoujourschezTeleper-formance, a estimé l’audit menédans le cadre de la procédure delabellisation.

Dans ce contexte, le conflitsocial que le groupe doit gérer enTunisie,oùildisposedesixcentresd’appels,pèsera forcémentdans ladécision.Les salariésyontobservétroisjoursdegrèvegénérale,quisesont achevés mercredi 3 avril àminuit. Soutenu par le syndicatfrançais SUD-PTT et la fédérationCGTdesbureauxd’études,cemou-vementavaitétéprécédéd’unegrè-ve de la faim, observée pendantdix jours par quatre salariés (LeMondedu 13mars).

Selonl’Uniongénéraletunisien-ne du travail (UGTT), la grève a ététrès suivie dans trois centres sursix.Les2et 3avril, les tauxdeparti-cipation étaient de 75% à 90%,indique le syndicat. La directionestimeque, le 1eravril,53%dessala-riés ont fait grève et le 2avril, 26%.

Les revendications portent surl’annulation de sanctions et de

licenciements, prononcés le26février à l’issue d’un conseil dediscipline.Lessalariésexigentaus-si qu’un accorddedécembre2010,prévoyant la mise en place d’unegrille de classification, soit appli-qué.

Envainpour lemoment.La grè-ve n’a permis aucune avancée.«On a même reculé, puisque lecontrat de quinze nouveauxembauchés, en période d’essai, aété rompu parce qu’ils avaient faitgrève»,dénonceSlimBenRomdha-ne, secrétaire général adjoint del’UGTT chez Teleperformance àBen Arous, dans la banlieue deTunis. Le syndicat envisage derelancerunmouvement.

C’est dans ce climat houleuxque les salariésont appris que leuremployeurvenaitdesevoirréattri-buer le label de responsabilitésociale.Celui-ciavaitétéobtenuenseptembre2008, puis retiré le1eroctobre de lamême année. «Lesefforts n’étaient pas suffisants,

notamment en matière de dialo-guesocial», explique-t-onà l’Asso-ciation pour la promotion et ledéveloppementdulabelderespon-sabilité sociale (ALRS).

Cinq ans plus tard, le dialoguesocialpèchetoujourschezTeleper-

formance, selon l’audit réalisé enFranceetenTunisie. IsabelleLejeu-ne-To, secrétaire nationale de lafédération CFDT Conseil, culture,communication (F3C), avance un«constat affligeant» de la situa-tion: «Pas d’accord salarial depuiscinq ans, pas d’accord de gestionprévisionnelle des emplois et des

compétences malgré deux planssociaux,pasd’accorddetélétravail,refusde lagrillede classificationenTunisie…»

Cescarencesn’ontpasfaitobsta-cle à l’attribution du label, le21mars. «Nous avons constaté uneévolution positive de la situationdepuis le retrait du label», justifieEric Lestanguet, président del’ALRS. Mais le label a été assortid’une mise à l’épreuve de neufmois, à l’issue desquels un auditauralieupourvérifierque«l’entre-prise a mis en œuvre le plan d’ac-tion que nous allons définir dansles prochains jours», ajouteM.Les-tanguet. Habituellement, cecontrôle a lieu auboutde 18mois.

Si, dans neufmois, « la CFDT neconstate aucune amélioration,nous n’hésiterons pas à demanderle retrait pur et simple du label»,prévientMmeLejeune-To, qui saluecette solution médiane: «Le labelest un levier parmi d’autres pourfaire progresser le dialogue socialet les conditionsde travail.»

Enrevanche,pourXavierBurot,secrétairefédéralCGTdesbureauxd’études, ce label n’est qu’«uneescroquerie». «En France commeenTunisie, ledialoguesocialserésu-me pour Teleperformance à impo-ser ses choix. L’entreprise a lesmoyensde tenir faceàunegrève etfait du chantage au ministre del’emploi et aux salariés en mena-çant de se délocaliser au Maroc ouen Algérie.» Sollicitée, la directionn’apas souhaité s’exprimer. p

FrancineAizicovici

Aveclacrise, lespaysrichesaidentmoinsEn2012, lesdonsetprêtsdespaysdéveloppésauxpaysendéveloppementontbaisséde4%

Le label de responsabilité socialede la relation client a été crééen2004par la profession, sous l’égi-deduministèredu travail. Il visetoute la chaînedu secteur: lesdonneursd’ordre (cinq label-lisés, dontOrange,GDFSuez,BouyguesTelecom), évaluésnotamment sur leurs pratiquesd’achat; les centresd’appels inté-grés (cinq, dontCanal+distribu-tion) et les centres externalisés

(vingt-trois) évalués essentielle-ment sur leurs pratiques socia-les. La société candidate reçoitun référentiel de30à60pagesàremplir, complété parun auditréaliséparVigeo, agencedenota-tionsociale. Uncomité de labelli-sation vote sur l’octroi du label.Les représentants des sociétés ysontmajoritaires. Ils siègent auxcôtésdes syndicats représenta-tifs auplannational, sauf laCGT.

Teleperformanceetsespratiquessociales«àl’épreuve»pourneufmoisLespécialistedescentresd’appels a retrouvé le labelde«responsabilité sociale»perduen2008

Ledialoguesocialpêchetoujoursdanslegroupe,ajugé

l’auditmenédanslecadredelaprocédure

delabellisation

Responsabilité sociale : trente-trois sociétés labellisées

16 0123Vendredi 5 avril 2013

Page 17: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

O range se lance à son tourdans la bataille de la «4G».Dès le 4avril, l’ex-monopo-

le –toujourspremieropérateurdumarché français–, commercialiseses premières offres pour le grandpublic d’accès à l’Internet à haut-débitdepuis lesmobiles.

La «4G», qui fait intervenir unnouveau réseau, coûtera le mêmeprix que la «3G» pour les forfaitsles plus chers. Il faudra dépenseruneuro de plus par mois pour lesautres, jusqu’à fin décembre, etdixeurosdeplusau1er janvier2014.

L’offre n’est disponible pourl’instant que dans cinquante villes(Marseille, Lyon…), Orange n’ayantpas, loin s’en faut, encore déployéson infrastructure à l’échelle del’Hexagone. A Paris, seuls les 1er, 2e,8e et 9e arrondissements sontconcernésdans l’immédiat.

Chez SFR, on prétend avoir prisune longueur d’avance. Le numé-ro deux du marché a lancé sesoffres 4G grand public fin novem-bre2012, uniquement à Lyondansun premier temps. Aujourd’hui,septvilles sont couvertes (Lyon,Montpellier, Puteaux…).

«Nousne sommespasen retard.Aucontraire,nousaccélérons,nousdéployons la 4G deux fois plus viteque la 3G, au début des années2000; il avait fallu sept ans pourparvenir à 98% de la populationcouverte», dit Delphine Ernotte-Cunci,directrice exécutived’Oran-ge France. La société vise un mil-lionde clients 4Gen find’année.

Ces derniers mois, les deuxgroupes se sont livrés à une vraieguerre de communication, ausujet de ces nouvelles «autorou-tes » mobiles, chacun voulantapparaître aux yeux du publiccomme le plus innovant, sur unsecteur laminé par les offres lowcost de FreeMobile.

Lebutest,avanttout,demainte-nir un appétit pour les forfaits lesplus coûteux et d’éviter que toutela base clientmigre vers les offressans engagement, les moins chè-res et lesmoins rentables.

SFR a lancé ses campagnes depublicité autour de la 4G dès ledébut 2012, avant d’avoir installéune seule antenne. Au grand damd’Orange,qui tenteaujourd’huidereprendre lamain.

«Réglage complexe»Surle terrain, ledéploiementde

la 4G pose des problèmes techni-quesinédits,quiexpliquentenpar-tie pourquoi les réseaux de SFR etd’Orange ne sont pas disponiblesplus rapidement. Il y a évidem-ment la difficulté, pour les deux

groupes, à décrocher auprès despropriétaires des toits (en ville) etdespylônes(àlacampagne), l’auto-risation d’installer de nouvellesantennes. Cela peut prendre plu-sieurs années, surtout dans leszonesurbaines.

Il y a aussi le fait que cette nor-me4Gaétéconçuepourfairetran-siter des données (vidéos, texte)selon le protocole Internet –ellessont sectionnées, puis transpor-tées par paquets, selon un chemi-nement non défini au préalable.Maiscelan’apasétépensépourfai-re «passer» de la voix.

Du moins dans un premiertemps.Carlesopérateurs,lesfabri-cants de matériel de réseau et desmartphones travaillent à «nor-maliser»ce transportde lavoixau

protocole Internet. «Mais ils neseront pas prêts avant deux ans»,selon le responsable techniqued’unopérateur.

Enattendant,lesopérateursdoi-vent paramétrer tout leur maté-riel afin que, quand un utilisateurveut téléphoner avec son smart-phone, celui-ci rebascule sur leréseau 3G, sans s’en apercevoir. Etsurtout, sans que cela stoppe, parexemple, le téléchargementde sese-mails sur sonmobile.

«Le réglage est particulière-mentcomplexe.Iloccupelestechni-ciensdepuisdessemaines», témoi-gne un consultant. «On est prêt»,assure MmeErnotte-Cunci. «Nousaussi, depuis déjà des semaines»,jure-t-onchez SFR. p

CécileDucourtieux

économie

Vivendi-SFR

I l y a deplus enplusde frituresur la ligne chez SFR. Si la com-municationestmauvaise, ce

n’est pas unequestionde réseaumais de stratégie.Ouplutôt d’ab-sencede stratégie.Alors, en atten-dant, on s’agite en coulisse.Adéfautde savoir où onva, on esttentéde changer les têtes.

L’opérateur téléphoniqueserait enpassede connaître soncinquièmepatronenunan, selonLes Echosdu jeudi 4avril. Jean-YvesCharlier, actuel directeurgénéral déléguédeVivendi, rem-placerait StéphaneRoussel. Pas

encore fait,mais, commeondit,c’est l’intentionqui compte.

Jean-RenéFourtou, le présidentdeVivendi, avait promis à sesactionnairesque çabougerait auseindugroupe.«Pasde tabou»,avait-il annoncé il y aunan, lais-sant la porte ouverte àune venteà la découped’une entreprisepré-sente à la fois dans les télécoms, lamusique, les jeuxet la télévision.

Onattend toujours de voir. Lescessionsd’actifs sontmoins évi-dentesqueprévu, alors il fautquandmêmedonner l’illusiondumouvementenpermutant leshommes.Histoired’avoir quel-que chose à annoncer le 30avril

lors d’une assembléegénérale,qui risquedenepas être de toutrepos.

Le repos et la sérénité, c’estpourtant ce dont à besoin SFRpour retrouver ses repèresdansunpaysage français du téléphonemobile chamboulépar l’arrivéede Free. Prise de court, la filiale deVivendi doit avoir les idées clairespour repartir de l’avant. Et pour lemoment, onn’enprendpas le che-min. Après avoir fait sentir que les

télécomsn’étaient plusnécessai-rementau cœurdes préoccupa-tionsdeVivendi,M.Fourtou aprisle risquede fragiliser SFR. En inter-ne, les troupesont lemoral dansles chaussettes. Les 1120 suppres-sionsd’emploi en coursn’aident

pas.D’autant que les départsconcernent tous les étages de lamaison,même les plus élevés.

Le doute est également demisesur le plande la stratégie. SFR enlançant sa 4Gquasimentauprixde la 3G a fait grincer desdents laconcurrence, alors qu’il s’agit del’undes leviers pour recréer unpeude valeur dansunmarchéravagépar le «lowcost».

Dans ce contexte,mettreChar-lier à la place deRoussel ouvice-versan’est pas à lahauteurdesenjeux.Ce n’est pas en jouant autiercé queM.Fourtouva créer dela valeurpour les actionnairesdeVivendi. Le premierd’entre eux,VincentBolloré, est aussi le der-nier arrivé au capital. Cen’est pasla garantie qu’il soit le pluspatient en attendantqueM.Four-tou trouveuneporte de sortie àl’impassedans laquelle il s’estengagéde sonpropre chef. p

Retrouvez Pertes &profits sur le Net :lauer.blog.lemonde.fr

Espace

LapolitiquespatialedanslecollimateurdelaCourdescomptesL’accès européen à l’espace, garanti par le Centre spatial guyanais (CSG)et le lanceurAriane,est«essentiellementfinancépar laFrance», soulignejeudi4avril laCourdes comptes,préconisant«unerépartitionplus équi-table» de l’effort financier entre ses bénéficiaires. «Actuellement, c’esttoujours la France qui supporte, à près de 80%, l’ensemble des coûts rela-tifs au CSG, et à près de 60% le soutien à l’exploitation du lanceur Aria-ne5», précise laCourdansun référépubliépar Le Figaro. «Laquestion sepose d’une répartition plus équitable de l’effort financier» entre les Etatsmembresde l’Agence spatiale européenneet de l’Unioneuropéenne,bénéficiairesde l’accès garanti à l’espace. p

Jean-Yves LeGall nomméà la présidence duCNESJean-YvesLeGall, 53 ans, PDGd’Arianespacedepuis 2007, a éténommé,mercredi 3avril en conseil desministres,présidentduCentrenationald’études spatiales (CNES), l’agence spatiale française, succédant à Yan-nickd’Escatha. Il a déjà été directeurgénéral adjoint auCNES (1996-1998)avantde rejoindreArianespaceen 2001 commedirecteurgénéral.

Finance

50000milliardsdeyensSoit 410milliardsd’euros. C’est lemontantdes rachatsd’obligationsd’Etat que réalisera chaqueannée la Banquedu Japon (BOJ), a annoncécettedernière, jeudi 4avril. L’opérationvise à enrayer la spirale de défla-tionqui frappe l’Archipel depuis des décennies. La BOJ s’est ainsi enga-gée à ce que l’inflationde la troisièmepuissance économiquemondialeatteigne 2%d’ici à deuxans.

Pertes&profits | chroniquepar Stéphane Lauer

Stratégiedubougisme

La SNCF continuedepratiquerdes prixd’éviction.Nous

retourneronsnousplaindre»AlainThauvette, le patron d’ECR, filiale de la Deutsche Bahn, annoncedans Les Echos du jeudi 4avril qu’il va de nouveau saisir l’Autoritéde la concurrence, quatre ans après une première plainte.

CasinoLa holding Financière Partouche en sauvegardeL’exploitantde casinosGroupePartouche a annoncémercredi 3avrilque FinancièrePartouchedétenteurde66,45%du capital a obtenul’ouvertured’uneprocédurede sauvegarde auprèsdu tribunalde commercedeValenciennespour renégocier sa dette. – (AFP.)

MédiasBertelsmann va vendre une partie de RTLGroupLe groupeallemanda annoncé, jeudi 4avril, qu’il allait vendre enBour-seunepartie de sa participationdansRTLGroup.Détenteurde 92,3%desparts, Bertelsmann, qui souhaite lever des fonds pour financer desacquisitions, veut en conserver aumoins 75%. – (AFP.)

CroissancePossible recul du PIB italien de 1,5%en2013Legouvernement italienaadmis, jeudi 4avril, que le reculduPIBattein-drait 1,5%ou 1,6%cetteannéeet renvoyédequelques jours l’adoptiond’une loi facilitant le remboursementd’arriérésdedette au secteurprivé.

vendredi à 11h45

avec

au micro d’Agnès Soubiran sur France Info

franceinfo.fr

Plantudévoilesondessindu jour

NucléaireAreva vend ses équipements demesureDans le cadrede sonplande cessiond’actifs, le groupenucléaireAreva aannoncé,mercredi 3avril, la vente de sa filiale d’équipementsdemesu-rede radioactivitéCanberra (1050salariés) au fonds français Astorg.

RotativesGoss International en redressement judiciaireVictimede la crise de la presse, le fabricant de rotativesGoss Internatio-nal France, qui emploie 433personnes, a été placémercredi 3avril enredressement judiciairepar le tribunal de commercedeCompiègne(Oise). L’entreprise appartient au groupeaméricainGoss International.

AutomobileHyundai-Kia rappelle 1,9million de véhiculesLeconstructeurcoréenHyundaietsafilialeKiarappellentprèsde1,9mil-lion de véhicules aux Etats-Unis pour des problèmes de freins et d’air-bags, ont-ils annoncémercredi 3avril.

SFRseraitenpassedeconnaîtresoncinquièmepatronenunan

L’offre d’Orange n’est pour l’instant disponible que dans cinquante villes en France. FRANCK PENNANT/AFP

AprèsSFR,OrangeproposeaugrandpublicdutéléphonemobileàhautdébitLa«4G»posedesproblèmes techniques inédits.D’oùundéploiement trèsprogressif

Q uels sont les responsables del’affaire dite de la viande decheval et à quelles sanctions

seront-ilsexposés?C’estpourobte-nir des réponses à ces questionsque l’association de consomma-teursCLCVa,commeellel’aannon-cé mercredi 3avril, porté plaintecontreX auprès du parquet deParis.

«Ce scandale d’une ampleursans précédent où se mêlent prati-ques frauduleuses et négligencesmultiples ne doit pas en rester là»,explique l’association. «Nous vou-lonséviterlescénariooùl’ontourne-rait la page sur cette affaire», ajou-teCharlesPernin, de laCLCV.

Aprèsunephased’enquêtepréli-minaire, menée par le parquet deParis, une information judiciairevient d’être ouverte par le tribunalde grande instance de Paris. LaCLCV espère que la procédure nes’éterniserapas.Commedanslecasde la sociétéCovi suspectéed’avoirutilisé des déchets d’abattoir dansla fabrication de corned-beef en2006,uneaffairedanslaquellel’as-sociation a porté plainte et dontl’instructionest toujoursencours.

Coviestunedessociétésfrançai-ses qui a fabriqué des produitsdans lesquels on a retrouvé de laviandedecheval,en lieuetplacedela viande de bœuf. Au même titre

queComigel, Toupnot, FraisnorouDavigel (groupeNestlé). Ou encoreGelAlpeset Spanghero.

Précédente affaire de fraudeLe gouvernement a, dès l’origi-

ne, pointédudoigt la responsabili-tédeSpangheroquiauraitmodifiésciemment les étiquettes. La filialede la coopérative basque Lur Berritravaillait avec le trader néerlan-dais Draap Trading, déjà condam-néenHollandepouruneprécéden-teaffairedefraude.Elle s’enditvic-time.

Spangheroest aujourd’huidansune situation financière plus quedélicate.Selonlessyndicats, l’usine

tourneà20%desescapacités.L’an-nonce, mi-mars, du stockage parl’entreprise de Castelnaudary(Aude) de 57tonnes de viande demoutoninterditeàlacommerciali-sation a porté un nouveau coupdurà sa crédibilité.

Reste que l’affaire ne se limitepas à la France, ce qui rend pluscomplexel’établissementdeschaî-nes de responsabilité. Sur le siteInternet bruxellois qui regroupeles alertes des autorités sanitairesdes Etats membres, on dénombre45cas de présence frauduleuse deviandedechevaldétectésdepuis le8février. p

LaurenceGirard

Viandedecheval: laCLCVporteplaintecontreXL’associationdeconsommateursveutque la lumièresoit faite surcescandale

170123Vendredi 5 avril 2013

Page 18: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

décryptages ENQUÊTE

Une pochette oubliée dansle panier d’un vélo enfilant à un rendez-vous.Dans la pochette, un iPadet un clavier. Dans l’iPad,des pans entiers dema vie

professionnelle et personnelle. Le tout –négligence, inconscience – non ver-rouillé. On est mercredi. Déclaration deperte au commissariat, signalement desquelquesnuméros«sensibles», récapitu-lation mentale de tout ce qui est peut-être entre les mains d’un inconnu. Désa-gréable sentiment. Passe jeudi. Arrivevendredi. Coup de téléphone d’uneconsœur du journal. Elle vient de rece-voir un appel d’une personne qu’elle neconnaît pas et qui me cherche. Il a mapochette. Il a laissé un numéro de porta-ble, il s’appelle Patrice.

C’est son copain Didier, m’expliquePatrice, qui a tout retrouvé. Didier estmitrondansuneboulangerie, il commen-cesa journéede travail à 1heuredumatinet la termine à 9. Ce matin-là, commed’habitude, il fumait une cigarettedevant la porte de la boulangerie avantde rentrer dormir chez lui. Il a vu lapochette oubliée dans le panier avec soncontenu,il l’a rangéedansl’atelieretapré-venu l’une des vendeuses. Jeudi était lejourde congédeDidier.Quand il est reve-nu vendredi, la pochette était toujours làet Didier s’est dit qu’il fallait faire quel-que chose. Comme il n’y connaît rien, il aappelé Patrice, un as en technologie. Ilsontcherchéunnomauhasarddanslecar-net d’adresses et composé le numéro detéléphone.

Rendez-vous est pris cour du Louvre,devant la Pyramide. Patrice m’avait dit :«Ça nous arrangerait comme endroit, onest bénévoles dans une association, et cetaprès-midi, on emmène des handicapésaumusée.» J’aipenséqu’iln’yavaitpasdehasarddans la vie.

Je leur avais demandé si, en remercie-ment, ilsvoulaient«quelquechose»,Patri-ce avait répondu: «Bennon!»

Je les ai vus arriver de loin, un grand etunpetit, la cinquantaine.Legrand,Didier,m’a tenduunsacenplastiquebleuavec laprécieuse pochette dedans. Il a dit : « Jem’excuse pour les traces de farine.» On abuuncafé, j’ai glisséuneenveloppe sur latable en jetant quelquesmotsmaladroitssur l’honnêteté qui n’a pas de prix maistoutdemême,vousboirezduchampagneàma santé, etc.

–Bah!Nous, en fait, on boit pas.LevisagedeDidier disait que çan’avait

pas toujours été le cas. Patrice a dû voirmon regard. Il a ajouté sur un ton trèsdoux.

–C’est plutôt qu’on boit plus.On a discuté de ce qu’ils faisaient. Le

bénévolat, c’est tous les jours, oupresque.Ils ont fondéuneassociationquiorganisedes sorties pour les handicapés. «On lesemmène aumusée, au restau, au théâtre,au cinéma, dans les parcs d’attractions.Hier soir, on était à Mogador. On voit desspectacles qu’on pourrait pas se payer. Onfait aussi les Salons, l’agriculture, l’auto-mobile, le chocolat, et la Foire de Paris»,raconte l’un. «On amême fait de l’ULM»,raconte l’autre. «Et à la belle saison, c’estencore mieux, on organise des pique-niques, des visites de parcs animaliers etmêmedes virées au bord de lamer.»

Pour eux, c’était l’heure. Cinq person-nes en fauteuil, aidées par d’autres béné-voles de l’association, venaient d’arriverpour la visite du jour consacrée aux«chefs-d’œuvreduLouvre». Ils s’embras-sent, échangentdesnouvelles, rigolent. Jedemande à Patrice et Didier si on peut serevoir.

–Vous êtes des types bien.Patrice tire sur la cigarette qu’il vient

de rouler. Didier semordille les ongles.– On l’est peut-être devenu. On l’a pas

toujours été.Il hésite unpeu à continuer.–Onavraiment connu la galère.Mais y

a des gens qui nous ont tendu la main,alorsmaintenant, on rend.

Quelques jours plus tard, autour d’undéjeuner, Patrice et Didier ont racontéleur histoire. Patrice Balzac est parti dechez lui à l’âgede 17 ans, il était toxicoma-ne. Quand il a arrêté l’héroïne, il s’estmisà boire. Pendant vingt ans, il a vécu dans

la rue. « Je connaissais les gens par leurspieds.» Didier Janus a eu plus de chanceaudépart, ilétaitboulanger-pâtissier.L’al-cool le rattrape, il bascule.AvecPatrice, ilspassent leur journée à siffler des bières.Ils dorment rue de Rivoli ou sous lesponts. Didier a l’alcool mauvais, il cogneet se bat. «Je passais trois nuits par semai-ne en cellule de dégrisement. A la fin, lemédecin avait même interdit de me met-tre en garde à vue parce que je faisais descrises de delirium tremens.»

Au début des années 2000, leurs che-minsseséparent.Patriceest tombégrave-ment malade. Un foie dévasté par la cir-rhoseetunpoumonrongépar la tubercu-lose. Il estenvoyésixmoisdansunsanato-rium, puis trois mois dans un foyer.«Commeilsm’onttrouvésympa, ilsm’ontgardé troismois de plus», le tempsque selibèreunechambre individuelleauPalaisdu peuple, une institution parisiennegérée par l’Armée du salut. L’assistantesociale qui suit Patrice croit en lui et sedémènepour l’aider à accéder à une nou-velle étape de la réinsertion, le RMI et« l’appartement-relais». «C’était un stu-dio tout équipé, avecuneboîte aux lettres.C’était la première fois de ma vie quej’étais chez moi. Ça me faisait bizarre. Audébut, j’arrivais pas à réaliser. Quandj’étais dehors le soir, je continuais à regar-der ma montre pour rentrer à 22heures,commedans les foyers.»

Dans cet appartement, Patrice reste unpeu plus de trois ans. Il ne boit plus unegoutte d’alcool, découvre l’informatiquegrâceàuneresponsabled’Emmaüs,Floren-cedeGrammont.«C’estellequim’apousséà prendre des cours au début. Et puis ellem’adonné un vieil ordinateur et j’ai apprisà me débrouiller tout seul. Je me suis pas-sionné,jepassaismontempssurlesforums.C’estmoiquiai construitmatour,pièceparpièce.»Patricel’aenphoto,sursontélépho-ne, il est fier de lamontrer. Depuis six ans,il vit dansunpetit appartementde la Ville

deParisdont il est locataire,«unvrai trucàmonnom,pasàdesassociations».

Un jour de 2005 où il allait justementvoir FlorencedeGrammontchez Emmaüsdans le quartier du Châtelet, Patrice estretombé surDidier. Lui aussi était en trainde s’en sortir. « Il y a un moment qui estsuper durparce que, endehors de la rue, onconnaît plus personne,mais ceux de la ruene nous connaissent plus. Alors, avec Patri-ce, on s’est aidés.»Trois ansplus tôt,Didieravait saisi unemain qui se tendait. Il étaitcouchéaupiedd’undistributeurdebillets,ivre comme toujours, et faisait lamanchequand une femme s’est arrêtée pour luiparler.«Ellem’aditqu’ellenemedonneraitpas d’argent, mais qu’elle pouvait m’aiderpour l’alcool. Elle m’a donné sa carte, elleétaitmédecinaddictologueàl’hôpital,àVil-lejuif, elle m’a dit qu’elle m’y attendait.»Didiers’interrompt:«Elles’appellePaulinedeVaux,D.E.V.A.U.X, fautnoter sonnom.»

L’hôpital de Villejuif, dans le Val-de-Marne, Didier le connaissait un peu. C’estlà que son père étaitmort et, à l’époque, ilavait trouvé lesmédecins et les infirmierssuper. «J’ai acheté dix bières pour la routeet j’y suis allé.» Il fait beaucoup de foin enarrivant, tout le monde veut le virer, lamédecin est alertée. «Elle est venue et elleleuradit : “Laissez-le, jem’enoccupe.”»Elleluidonned’aborddesrendez-vous,deuxàtroisfoisparsemaine,quinesuffisentpas.Un jour, elle décide de l’hospitaliser danssonservice.«Elleaprismesbières,m’apro-mis deme les garder jusqu’àmasortie.»

Psychiatrie, cure de sevrage, sortie,rechute. Didier revient voir le docteur deVaux. «Elle m’a dit : “On va recommen-cer.”»Cette fois, çamarche.C’estencore ledocteur de Vaux qui se charge d’aiderDidier à se remettre au travail, commeboulanger, au sein d’une association cari-tative, La table de Cana. Un anplus tard, iltrouve un premier vrai emploi dans uneboulangerie, puis un deuxième. «Et là,depuis sept ans, je suis dans lamême pla-

ce. » Lui aussi vit désormais dans uneHLMde laVille de Paris.

C’estDidierquiacommencélebénévo-lat. «La seule chose que je savais faire, endehors de travailler, c’était boire. Alors, ilfallaitabsolumentqueje trouveautrecho-se pourm’occuper.»Chez Emmaüs, on luipropose de s’engager dans une associa-tiond’aide auxhandicapés.«Audébut, çame faisait peur. Et puis, ça m’a plu. Et j’aientraînéPatrice.»En2008, ils décidentdecréer leur propre association, baptiséeViens, je t’emmène.

L ’association, qui a passé un contratde six ans avec le service de la Villede Paris chargé d’aider au transport

des personnes àmobilité réduite, perçoitune subvention de fonctionnement etcompteaujourd’huiplusde70bénévoles.«Depuis qu’on fait ça, on connaît les plusbeaux endroits de Paris. Tous les ans, pourle 14-Juillet, on monte voir le feu d’artificeavec les VIP à la tour Eiffel», raconte Patri-ce. Didier poursuit : «Ce qui est génial cejour-là, c’est de traverser Paris escortés parles motards, avec tous les gens qui nousregardent. Et je me dis que là-dedans, y atous ceux qui nous refusaient la pièce.»

Depuis qu’ils ont l’un et l’autre uneadresse postale et Internet, desmembresde leur famille ont retrouvé leur trace.«Avant, ils ne pouvaientpas, on était effa-cés. » Chez lui, Didier a des chats et deslivres, Patrice des bonsaïs. Je ne sais pluslequel des deux a dit : «Quand on com-menceà s’en sortir, il faut jamais s’arrêter.Parce que si on s’arrête, on recule. Mainte-nant, oui, je crois qu’onpeut commencer àse reposer.»p

J’aiglisséuneenveloppesurlatableenjetant

quelquesmotsmaladroits

surl’honnêtetéquin’apasdeprix

Contedeprintemps

Didier Janus (à gauche)et Patrice Balzac,le 27mars à Paris.ANTONIN SABOT POUR «LE MONDE»

Pascale Robert-Diard

C’est l’histoired’un iPadperduetdedeuxinconnusauxviesgénéreusesetpleinesdebosses.PatriceBalzacetDidier Janusontrestituélamachineetsonprécieuxcontenuàsapropriétaire.Sansrienattendreenretour

18 0123Vendredi 5 avril 2013

Page 19: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

A vec sonbongros visagedepouponnourri augâteaude riz, Kim Jong-undéfie les

Etats-Uniset inquiète ses voisins.Troisièmemembrede ladynastiedesKimàdiriger –martyriserserait plus exact – laCoréeduNord, il vientd’annoncer le retourà l’état de guerre avec la CoréeduSud.

Le 30mars, vareuseMao san-glée jusqu’audoublementon,Kimaordonnéà ses troupesdepréparerune frappedemissilesstratégiquescontre les Etats-Uniset les bases américainesdans lePacifique.Rodomontades?

AWashington,Tokyoet Séoul,onesthabitué auxprovocationsdu régimenational-communistedePyongyang.On les tientpour cequ’elles seraient: du chantagepour assurer la survie d’unedicta-ture sinistre.

Annéeaprèsannée, les éructa-tionsguerrièresnord-coréennesprennent cependantune tournu-replus intimidante. Pourune rai-son: le pays est enpassedemaîtri-ser «la»bombe. Trois semainesavant lesdernières fanfaronnades

deKim Jong-Un, laCoréeduNordprocédait à son troisièmeessainucléaire.

Le casnord-coréendépasse laquestionde la stabilité enAsie. Ilillustre les dangersde laproliféra-tion.Unnombresans cesse gran-dissantdepays se familiariseavecla technologiedesmissiles et celledunucléaire.

Depuis 1968et la conclusiond’unTraité denon-prolifération,l’ONUdivise endeux lespaysnucléaires: laChine, les Etats-Unis, la France, laGrande-Breta-gneet laRussie, forment le groupedes«autorisés», ceuxqui avaientla bombeavant lemilieudesannées 1960; ceuxqui l’ont acqui-sedepuis – l’Inde, Israël, le Pakis-tanet peut-être laCoréeduNord –représententcelui des «non-auto-risés».

Question: la dissuasion,qui amarqué l’époquede la guerre froi-de, peut-elle fonctionnerdans lemonded’aujourd’hui? La doctri-nede la dissuasionest affairederationalité. Elle pose l’armenucléaireen armedenon-emploi.Aucunde sespossesseursne

serait assez foupour l’utiliser: ilrisqueune frappeen retour sus-ceptibled’annihiler sonpays. Elleestunmoyende sanctuarisation,pasd’agression. Elle dissuaderaitla guerreparceque, depuisHiroshimaetNagasaki, la guerrenucléaire serait impensable – tropeffroyable.

Kim Jong-unest-il accessible àce raisonnement? Polytechnicien,ancienministre socialistede ladéfense (1985-1986), PaulQuilèsendoute. Avec deuxexperts – legénéralBernardNorlainet Jean-MarieCollin–, il réclameundébatdansun livre-injonction:Arrêtezla bombe! (ChercheMidi, 220p.,16, 50euros). PaulQuilèsquestion-ne la pertinencede la doctrinedeladissuasionen cedébutdeXXIesiècle. Il reconnaîtque«l’équi-librede la terreur» apu contri-buer aumaintiende lapaix entreles Etats-Unis et l’URSSdudébutdes années 1950à la chutedumurdeBerlin en 1989. C’était lemonded’hier,«partagé endeuxblocs, oùl’échiquier stratégique comportaitpour l’essentiel deux joueurs». Ilen compteplusieursdenos joursetnulne sait si lesnouveaux inter-venants sontunanimementconvaincusdesméritesde ladis-suasion.

Le groupedespayspossédant«la» bombes’élargit et celle-ci

s’améliore. Elle gagneenminiatu-risationet enprécision, ce qui larapproched’unearmed’emploi,observeQuilès.Or «plus le nom-bredepaysnucléaires est élevé,écrit-il,plus le risqueest grandqueles armesnucléaires soientutili-sées». Il conclut à lanécessitéd’al-ler vers undésarmementnucléai-remultilatéral et contrôlé.

S’il est peu écoutéà Paris, lesocialiste français est enbonnecompagnieauxEtats-Unis.Vété-rans couturésde la guerre froide,quatreAméricainspraticiensdesquestionsstratégiques –GeorgeShultz,WilliamPerry,HenryKis-singer et SamNunn–disent lamêmechose: «Riennegarantitque lemonded’aujourd’huipuisserépliqueravec succès ce que la théo-rie de la dissuasionapermis pen-dant la guerre froide», écrivent-ils.

Leur thèse est exposée le 7marsdans leWall Street Journal :«Quandunnombregrandissantdepaysnucléaires s’estimentconfrontésàdesmenacesmulti-ples (…) le risqueaugmenteconsidé-rablementque ladissuasionnemarchepas et que les armesnucléaires soientutilisées». C’esttoujours lemêmedoute: laposses-sionde «la» bombeest-elle com-patible avec les boufféesparanoïa-quesd’unKimJong-un?

Depuis son fameuxdiscoursde

Pragueenavril2009, BarackOba-ma tient lamême ligne. Il veutréduire l’arsenalnucléairede sonpays – il n’est pasdu tout sûr quelesChinois et lesRusses soientprêtsà le suivre. Pasplusque Fran-çoisHollande. Le présidentde laRépublique redisait, le 27mars,sonattachementà l’armenucléai-re; «notre garantie, notreprotec-tionultime».

Il a quelques solides argumentsà faire valoir. Comme l’expliquel’undes experts lesplus familiersdudossier à la Fondationpour laRecherchestratégique (FRS),BrunoTertrais, la dissuasiona faitsespreuves. Il n’y a pas eudeconflit direct entre les grandes

puissancesdepuis desdizainesd’années,«faituniquedans l’his-toire» ; il n’y a jamais eudeconflitouvert entre Etatsnucléaires; ladissuasion limite l’ampleuret l’in-tensitédesdifférendsentre gran-despuissances – lenucléaire inter-dit d’aller à la guerre totale.

A cettedate, rienneprouve,poursuitM.Tertrais, que les «non-

autorisés»du clubnucléairen’aientpas intégré la singularitéde«la» bombe, armedenon-emploi. Ladissuasion fonctionne-rait à huit ouneuf, commeelle amarchéàdeux. Pourquoi? Parcequ’« il n’existe aucune raisondepenser»que les «non-autorisés»soient«irrationnels», expliqueBrunoTertrais.

Bref, l’armeserait inséparablede sadoctrine.Mêmeminiaturi-sée et deplus enplusprécise, ellereste«l’armededestruction laplusmassive». Elle ne sebanalisepas. L’éventualitéde sonemploifait toujours aussi peur, ren-voyantaux imagesd’HiroshimaetNagasaki.Dansundocument

de la FRSdemai2011, BrunoTer-trais n’en jugepasmoinsque ladissuasionn’est pasgarantiepourtoujours.Ne serait-ce queparceles imagesdesbombardementsatomiquesau Japonvont «s’es-tomperde lamémoire collective».Etde celle du jeuneKim? p

[email protected]

décryptagesANALYSES

Après les aveux de JérômeCahuzac, FrançoisHollande a annoncé un projet de loi visant à ren-dre inéligible à vie un élu condamné pour corrup-tion ou fraude fiscale. Est-ce la bonne réponse?

La France est écœurée, moi aussi, et les mots duprésident ne sont pas à la hauteur du choc que lepaysressent.Avecl’affaireCahuzac, lagauchemora-le s’est effondrée. Au lieud’aller au fondde l’affaire,le président propose des lois de circonstance. Unministre des impôts qui échappe aux impôts, c’estquandmêmetrèsgrave.Cequicompte,c’estdecom-prendre pourquoi personne n’a prévenu le prési-dent du risque que représentait JérômeCahuzac augouvernement.Que voulez-vous dire?

Ilyadesservicesderenseignements,depolice,dejustice, ilyadesservicesàBercyquiauraientdûpré-venir le président de la fragilité de sa situation.Vous voulez faire tomber des têtes?

Je ne suispas procureur. Je veuxsimplementquele président puisse nous dire où s’est située ladéfaillancedans l’appareil de l’Etat.Marine Le Pen demande la démissiondugouvernement et la dissolutionde l’Assemblée nationale. L’approuvez-vous?

Non,c’estuneréponsebrutaleàunesituationbru-tale. Le pays vit une crise politique et morale quis’inscrit dans une crise économiquemajeure. Noussommes dans une situation d’extrême fragilité. Cen’est pas aux extrêmes de trouver les solutions.Nousdevonsrepensernotreorganisationpolitique,réfléchir à ce qu’est le mandat politique. L’idée decarrièrepolitiquequiastructurénotreviepolitique,avectoutcequecelasupposeentermesdecumuldefonctionsetd’indemnités,doitêtreremiseencause.Le citoyenne la supporteplus.Craignez-vous lamontée dupopulisme?

Cequiest clair, c’estqu’ily aunpotentield’explo-sion dans le pays. La peur du chômage, alliée àl’écœurementmoral, peutdéboucher sur la colère…Jene conseilleraispasàM.Hollanded’aller trop loinsur la réforme des allocations familiales. Parce quesur la famille, la contestation dans le pays, liée à laréforme dumariage, est une contestation puissan-te. Si la grogne sociétale rejoint la grogne sociale,nousaurons desmoments très difficiles.Pourriez-vous entrer dans un gouvernementd’union nationale?

Mais pour quoi faire? La question posée est cellede la ligne.Depuisdixmois, le gouvernementestensituationd’extrêmefaiblessefaceàlacriseetauchô-mage. Il fautqueleprésidentrebâtissed’urgenceunprojetpolitique. p

Proposrecueillis par FrédéricHaziza,Françoise Fressoz,Marie-EveMalouines

et SylvieMaligorne

C’esttoujours lemêmedoute: lapossessionde«la»bombeest-ellecompatibleaveclesboufféesparanoïaques

d’unKimJong-un?

International | chroniqueparAlain Frachon

LaCoréeduNordsecouel’équilibrede laterreur

Questionsd’info

Jean-PierreRaffarin:«Lagauchemorales’esteffondrée»

Jean-PierreRaffarin

sénateur (UMP),de la Vienne,

ancien premierministre

¶« Questions

d’info »,une émission

politiqueà suivre tousles mercredis

sur LCPà 19 h 30, enpartenariat

avec« Le Monde »,

l’AFP,France Info,

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diffusée enavant-première

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LES SUJETSDÉTAILLÉS

+LES ARTICLESDUMONDE

190123Vendredi 5 avril 2013

Page 20: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

MyretZakiRédactrice en chef adjointe dumagazine

«Bilan» à Genève

Quand une élue Europe Ecolo-gie-Les Verts (EELV) de Parisfut accusée de blanchimentd’argentsale, sonavocataffir-ma: «Beaucoup de bruit pourrien!», parce qu’il n’y avait là

selon lui qu’un cas banald’évasion fiscale.Cela se passait il y a six mois. Deux ansplus tôt, un ministre du budget, ensuiteministre du travail, considérait qu’on luicherchait querelle quand on lui rappelaquelaprofessiondesonépouseétaitl’opti-misation fiscale – dont Denis Healey,ancienministrebritannique, avait dit quela différence entre elle et l’évasion fiscalenedépassepasl’épaisseurd’unmurdepri-son. Voilà quel était le climat d’une épo-quepas si lointaine.

Celapourdire que JérômeCahuzac, quivient de tomber pour avoir eu un compteen banque en Suisse et en avoir peut-êtreencoreunàSingapour,neconstituecertai-nementpasun cas isolé : il y a fort à parierqu’ilsetrouvaitenbonnecompagniedansla classepolitiqueetque labanalitéde soncas aux yeux de l’opinion il y a peu expli-que qu’on n’ait attaché au départ qu’uneattentiondistraiteàdesragotsdontl’Inter-net fourmille après tout. D’autres domi-nos sont donc maintenant alignés, com-me à une époque Bear Stearns, LehmanBrothers et Merrill Lynch, et plus récem-mentlaGrèce, l’Irlande, lePortugaletChy-pre.

Pourquoi les mieux nantis au sein denossociétésveulent-ilséchapperàl’impôtet pourquoi ont-ils jusqu’à très récem-ment considéré le fait de s’y soustrairecommeunpéchévénieldontonplaisanteentregensdubeaumonde?Parceque leursentiment était que les sommes qui leursont réclamées servent à une redistribu-tiondelarichessedontilssontlesdonatai-res et non les bénéficiaires.

Or, de ce point de vue-là en tout cas, leschoses ont changé: si la concentration dela richesse s’est accélérée depuis 2007,c’est parce que les Etats de la zone euro,tout comme les Etats-Unis d’ailleurs, ontréglé rubis sur l’ongle, aux frais du contri-buable, la totalité des reconnaissances dedette, y compris celles sans rapport aucunavec l’économie réelle que sont les parisspéculatifs, la somme due étant multi-pliée du coup par cinq environ. Depuis2007,même si l’affaire de Chypre annon-ce un retournement de situation, lesmieuxnantisontétélesprincipauxbénéfi-ciairesde la solidariténationale.

Pourquoi le climat a-t-il changé? Pouruneraisontrèsbienaperçueenson tempspar JohnKennethGalbraith: parceque lesapparences sont trompeuses et qu’à l’op-posé de ce qu’il semblerait la fraude et lacorruption n’augmentent pas en périodede crise : si elles deviennent plus visibles,c’est uniquement parce que la tolérance àleurégardestàlabaisse.Quandlesaffairesvontbien,chacunvaqueprécisémentàsesaffaires, quand elles vont mal, chacunguette la turpitude de l’autre comme cau-

seéventuelledupourquoiellesvontmain-tenant simal.

Etc’estàcelaquesontaujourd’huiexpo-sés les abonnés aux paradis fiscaux, jus-qu’ici généreusement exonérés à leurspropresyeux:unefoislatolérancedel’opi-nionpubliqueenbaisse, laclassepolitique(qui comprend sans nul doute certainsd’entre eux) cesse de pouvoir déterminerà quel niveau se stabilisera l’étiage. Carrienn’empêchelabaissed’êtrevertigineu-se. Notre régime proclamé de démocratiefondée sur le suffrage universel supposel’égalité des citoyens ainsi que la transpa-rence. Or, dans son fonctionnement, il estquasiment censitaire, le pouvoir se déter-minant au prorata de la fortune de cha-cun. Grâce à la formule juridique du«trust» opérantdans le secret desparadisfiscaux, les individusaccèdent aupouvoirélargi dont bénéficient les personnesmorales.

Les Etats pratiquent, eux, une realpoli-tikquetoutetransparencemenacedirecte-ment; l’affaireWikiLeaks et la brutalitédelaréponsedesEtats l’ontpleinementmiseenlumière.Lesparadisfiscauxsontenréa-

lité paradis de l’opacité en général etjouent dans l’exercice de cette realpolitikunrôle-clé:ilssontutiliséspourlefinance-ment illicite de campagnes électorales et,par le truchement de fonds secrets, pourcelui de mercenaires à l’étranger, voireencorepourdestransactionssecrètesavecdespreneursd’otages.

La question qui se pose est celle-ci : est-il de notre intérêt que les membres de laclassepolitiqueayant encoredes comptesen banque dans des paradis fiscaux tom-bent l’un après l’autre, pareils à des domi-nos, et que, quand le dernier aura chu,notredegrédeconfiancedans ladémocra-tieatteigneà labaisse leniveauqu’onlui aconnu, pour mentionner une date, en1934? Ceux qui se trouvent dans la posi-tion devenue inconfortable de détenteurdecompte(s)dansunouplusieursparadisfiscaux devraient envisager un «comingout» collectif simultané. Notre respectpourlapoignéed’incorruptiblesquiémer-gerait du lot par contraste nous rassure-rait sur l’avenir de la démocratie et l’onsaurait où situer les autresquant audegrédeconfianceàleuraccorder,selonlagravi-té des faits qui leur seront reprochés; il nes’agirait pour eux que d’un mauvaismomentàpasser.

Le cours des choses pourrait reprendredans un cadre qui se serait rapproché enamont de son idéal d’«un citoyen, unevoix» et où les considérationshabituellesde realpolitik, justifiant aujourd’hui toutet n’importe quoi, en auraient pris pourleurgrade, au soulagementde tous.p

Tout se passe comme si, pour la premièrefois dans l’histoire, un politicien françaisavait eu un comptenondéclaré en Suisse.Mais de qui se moque-t-on? Cessons uninstant d’hyperventiler et intéressons-nousauxchiffres.Sur lesquelque830mil-

liardsd’eurosd’avoirseuropéensgérésparlesbanquesen Suisse, on peut estimer à près de 166milliards lesavoirsfrançaisexilés,soitunmontantpresqueéquiva-lent aux avoirs allemands abrités du côté helvétiquede la frontière. Selon diverses études (KPMG,Helvea),ces avoirs européens sont à 90%-98% non déclarés àleur pays d’origine. Sur les 166milliards estimés pourla France, quelque 60milliards seraient gérés nonpar

des banques suisses, mais par les succursales de ban-ques françaisesenSuisse.

Or166milliardsd’euros,celafaitunpeuplusqueles600000eurosdeJérômeCahuzac.Etl’argentdepoliti-ciens français s’y trouve en bonne place. Souvenons-nous des comptes suisses de Jean-Marie Le Pen, dissi-mulés à la banque UBS, puis transférés chez Darier.C’est Pierrette LePen, sonépouse, qui en a fait état à lapresse suisse en 1997. Une enquête de Swissinfo en2002amêmerévélélenuméroducomptedeM.LePenà l’UBS. Et on parlait alors de 8millions d’euros, soit13foisplusquelesavoirsde JérômeCahuzac.Pourtant,lesautoritésfrançaisesn’ontpas,àcejour,ouvertd’en-quête à la suite de ces soupçons fondés, et n’ont pasdemandéderenseignementsà la Suisse.

C’est le regard sur la fraude fiscale internationalequi a radicalement changé suite à la récessionpostcri-sede 2008qui a conduit ausurendettementdesEtats.Rappelons que, depuis 2009, les nouvelles conven-tions de double imposition négociées par la Suisse laforcent désormais à lever le secret bancaire pour descas de soustraction fiscale, ce qui n’était pas admis endroit suisse, la soustraction fiscale n’étant pas jusque-là assimilable à une infraction préalable au blanchi-ment, seulmotif alorsvalablepour lever le secret.

Sur la place de Genève, les avoirs liés à des politi-ciens français ne sont pourtant qu’un demi-secret, etdes émissaires continuent d’aller et venir. On sait enoutrequ’unbanquierprivégenevoisa longtempsgérédepuis ses bureauxdeVevey (pourplus dediscrétion)lesavoirsdumaride l’actionnaireprincipaldeL’Oréal,André Bettencourt, homme politique français décédéen 2007. Est-il nécessaire de préciser que, depuisl’après-guerre, lesbanquesprivéesde laplacedeGenè-ve ont servi de refuge des plus commodes aux politi-ciens français pour dissimuler les revenus annexes àleur fonction? C’estmêmeune des activités principa-les du private banking traditionnel, y compris, répé-tons-le, celui pratiqué par les succursales des banquesfrançaises, bien que celles-ci se défendent énergique-mentdegérerdes avoirs françaisdepuis la Suisse.

Si JérômeCahuzacpouvaitparler, ildiraitdoncqu’iln’est pas le seul. Peut-être ajouterait-il que ses collè-guesayantd’emblée choisi d’autresplaces financières(Singapour ou Nassau) pour dissimuler leurs avoirsont été plusmalins que lui. Les demandes d’informa-tionsfrançaisesàGuerneseyouauxîlesViergesbritan-niques ne recevraient pas, selon toute probabilité, lemêmeaccueilqu’enSuisse.Surtoutsi, commel’argentde la plupart des potentats, celui-ci est organisé sousformede structurescomplexes (trusts et sociétésoffs-hore sous-jacentes),qui sont les véritables schémasdel’évasionfiscalemoderne.Ces schémas, avec lahaussecontinuedelachargefiscaledanslespaysdel’OCDE,etenparticulierenFranceetenAllemagne,ontdebeauxjours devant eux et constituent le véhicule de choixdesplus grandes fortunes françaises. Et ces structures,domiciliées bien loin de la Suisse, le gouvernementfrançaisn’estpasprèsd’ensoupçonner l’existence.p

JérômeCahuzac, ancienministredubudget, a finale-mentavoué le 2avril posséderuncompteenSuisse.L’ouverturepar leparquetd’une informationjudiciai-re, le 19mars, l’avaitdéjàpousséà ladémission.Maissesmensongespuis ses confessionsaffaiblissentplusencore laparolepolitiqueet la confiancedes citoyensen leurs représentants.Ce séisme,qui ébranle legou-vernement,amèneà s’interrogersur l’ampleurdel’évasionfiscale enFrance.Une fraudemassive, sou-ventcommiseenSuisseet insuffisammentenrayéepar ladroiteet lagaucheaupouvoir.Commentsortirde cette crisequi accroît le fosséentre lepeupleet lesélites?Comment lutter contre lesparadis fiscaux?

PaulJorionEconomiste et anthropologue

pLaSuisse,coffre-fortdespolitiquesfrançais

décryptagesDÉBATS

Lacriseaccroît l’intoléranceàlafraudefiscaledesélites

AffaireCahuzac:unecrisedémocratique?

Ceuxquisontdétenteurdecompte(s)dansunouplusieurs

paradisfiscauxdevraientenvisagerun«comingout»collectifsimultané

Onpeutestimeràprèsde166milliardslesavoirsfrançaisexilés,soitunmontantpresqueéquivalentauxavoirsallemands

20 0123Vendredi 5 avril 2013

Page 21: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

Mardi 2avril, les aveuxd’unseulhomme, Jérô-me Cahuzac, ont faitbasculernotreRépubli-que dans la suspicionet le soupçon. Cette

défiance, je la comprends. Depuis plu-sieursmois avec mon collègue Alain Boc-quet, député communiste du Nord, nouspréparonspourlacommissiondesaffairesétrangères un rapport sur les paradis fis-caux. En quelques années, ces paradis fis-cauxpour lesmultinationales et quelquesgrandesfortunessontdevenusdes«parasi-tes» fiscauxpour lesdémocraties. Evasionfiscale, fraude fiscale, escroquerie fiscale,blanchimentd’argentsale…Touscesdélitsfinanciers ont un véhicule commun: lescomptes bancaires domiciliés dans lesparadis fiscaux.

Selon l’enquête d’Antoine Peillon, lesavoirs français dissimulés dans ces paysatteindraient 600milliards d’euros. Et,chaque année, cet exil fiscal coûterait60milliardsderecettesaubudgetdel’Etat,soitprèsdes troisquartsdudéficit.

Aussi, l’affaireCahuzacnemesurprendpas compte tenu de l’ampleur du phéno-mène. Il est évident que, depuis desannées, quels que soient les gouverne-ments, la lutte contre la fraude fiscalea étéunmirage. D’après beaucoupde spécialis-tes, ce sont plusieurs milliers de comptesoffshore que détiendraient des Français.Sans parler des multinationales, notam-mentcellesduCAC40,quiontfaitde l’éva-sion fiscale leurmodèleéconomique.

Comment s’étonner, dans ces condi-tions, de la concurrence faussée entre desPME accablées de charges et des multina-tionales qui échappent à l’impôt? Com-ment s’étonner du sentiment d’injusticeentre les classes moyennes qui n’en peu-vent plus de payer et les plus fortunés quiontmis leurargent à l’abri?

M.Cahuzac est un symbole, mais leretentissementde cette affaire ne doit pasdevenirl’arbrequicachelaforêt!Pourabat-tre la forêt, il fautuncouragepolitiquequi

manque cruellement auxgouvernementsdepuis trente ans. Surtout quand on saitquedespays comme lesEtats-Unisou l’Al-lemagnesesontdonnédesmoyensperfor-mantspour faire la guerreà l’exil fiscal !

Parexemple,uneloirécenteduCongrèsaméricainobligetouteinstitutionfinanciè-requiveut travaillerauxEtats-Unisà com-muniquerau fisc la listedes citoyens amé-ricainsquidétiennentuncompteàl’étran-ger. En Allemagne, Angela Merkel n’a pashésité à acheterdes listingspour quelquesmillionsd’euros.

En France, au fil de nos auditions, AlainBocquetetmoi-mêmeavonsconstatéaveceffroiledéséquilibreentreuneadministra-tionfiscaleauxmoyenstechniquesetjudi-ciaires obsolètes, d’un côté, et des particu-liers ou des multinationales encadrés pardes cabinets de conseil qui structurent lesévasions fiscales, de l’autre.

Unpréalable : la volontéDans notre rapport nous allons propo-

ser des solutions techniques simples, quiontfaitleurspreuvesdansd’autrespays,etqu’ilsuffiraitd’appliquerenFrance:durcirles sanctions avec des peines de prisonplus lourdes, autoriser les procureurs àouvrir des informations judiciaires pourfraude fiscale – ce qui est réservé aujour-d’hui au ministre du budget –, intégrerdans la loiPerben2 [loidu9mars2004des-tinéeà lutter contre ladélinquanceet la cri-minalitéorganisée]desmoyensdérogatoi-res pour infiltrer les bandes organiséescommepour la lutteantiterroriste,obligerlesentreprisesàdétailler leursbénéficesetleurs prix de transferts par pays et filiale,mettre en place une plate-forme commu-ne entre les services des douanes, desimpôtset de la justice…

Mais, bien évidemment, toutes cesmesures demandent un préalable indis-pensable: le vouloir. Mercredi, FrançoisHollandea juréde lutter demanière impi-toyable contre les conflits d’intérêts. Pre-nons-le aumot. Si vraiment le président ale courage que laissent entendre sesmots,ildoitdemanderàsonministrede l’écono-mie de tout faire pour se procurer immé-diatement la listedesdétenteursdecomp-tes à l’étranger.

Osez, monsieur le Président! Osez cequ’aucundevosprédécesseursn’a osé. Oualors arrêtez cettemascarade et dites toutdesuitequevousêtestropfaiblepourfaireleménage.p

décryptagesDÉBATS

NicolasDupont-Aignan

Député de l’Essonne,président de Debout la République

LaurentBouvetProfesseur de science politique

GabrielZucmanChercheur à l’Ecole d’économie de Paris

Les aveux de l’ancien ministre du budgetsont un tristemomentpour la démocratie,mais il serait choquant que le pouvoir secontente de fustiger une «faute morale»dans l’espoir de limiter les dégâts politi-ques, sans saisir l’occasion de s’attaquer

enfinsérieusementauxparadis fiscauxqui, commelaSuisse et Singapour, permettent aux plus fortunésd’échapperà l’impôt en toute impunité.

Lasituationestsimple: l’évasionfiscaleestmassiveet, jusqu’àprésent, laFranceetles institutionsinterna-tionales ont brillé par leur refus d’ymettre un terme,alorsmêmequedes solutions concrètes existent. L’af-faireCahuzacaurasonutilité si ellepermetde rompreaveccette situationdélétère.

Quesait-onde l’ampleurde la fraudefiscaleoffsho-re?N’importequipeutseconnectersur lesite Internetde la banque centrale suisse et y découvrir que desétrangers détiennent plus de 2000milliards d’eurosen liquidités et placements financiers dans les coffresdesbanqueshelvétiques.Bienqu’onmanquedestatis-tiques suffisamment fiables, il ne fait guère de doutequ’une part importante de ces fonds appartient à desFrançais. Tout laisseàpenserégalementque lagrandemajorité des fortunes détenues sur les comptes suis-ses échappe à l’impôt, en profitant du secret bancaireet en se cachant derrière des pyramides de sociétésécrans.N’importe qui peut aussi consulter les statisti-ques de la Banque des règlements internationaux etconstaterque,depuisquelquesannées, lesdépôtsoffs-hore diminuenten Suisse et augmentent à SingapouretHongkong.

Tout le monde le sait, mais rien ou presque n’estfait. L’affaireCahuzac illustre àmerveille la vacuitédelapolitiqueactuellede luttecontrela fraudefiscale.Enavril2009, les pays du G20 proclament « la fin dusecret bancaire». Des dizaines d’accords d’entraideadministrative sont signées par lesmembres du G20avec les paradis fiscaux, dont un entre la France et laSuisse. Quatre ans plus tard, le ministre des finances,Pierre Moscovici, sollicite les autorités suisses poursavoirsi sonministredéléguépossèdeuncomptenondéclaré.Laréponse,d’aprèsM.Moscovici,estnégative.Voici donc l’utilité de l’entraide administrative: ellepermetdeblanchir les blanchisseurs.

Les accords signés avec les paradis fiscaux ne fonc-tionnentpascar ilsnevontpasassezloin.Les informa-tions bancaires ne sont pas échangées automatique-ment, mais seulement à la demande. Et, pour qu’unedemande aboutisse, il faut que la France ait un soup-çonpréalableetbienétabliqu’unde ses ressortissantsfraude le fisc, ce qui dans la pratique est quasimentimpossible. Il faut égalementqu’elle fournisse le nomet l’adressede la banque suspectéed’abriter un comp-te non déclaré –et seule la banque en question sera

interrogée.L’entraideadministrative,enfin,neremon-tepasdans le temps.

Voilà pourquoi les plus hautes autorités de l’Etatn’ont aucunmoyen de savoir que leministre du bud-get a un compte offshore sur la base du seul accordfranco-suisse. Personne ne l’aurait jamais su si, il y adix ans de cela dans le Lot-et-Garonne, une conversa-tion privée n’avait été captée fortuitement sur lerépondeur d’un téléphone portable, alimentant uneenquête judiciaire indépendante. FrançoisHollandeabeaujeudesesentiraujourd’hui«trompé» : il nepeuts’enprendrequ’à lui-mêmeet à sesprédécesseurs, carlaFrancen’a jamais rienentreprispourvéritablementpercer le voile du secret bancaire. Comment s’étonnerdans ce contexte du sentiment d’impunité qui règneparmilesfraudeurs?Comments’étonnerquelessom-mesd’argentdétenuesdans les paradis fiscaux soientaujourd’hui lesmêmesqu’avant leG20deLondres?

La situation actuelle est d’autant plus scandaleusequ’il existe une solution simple et définitive: l’échan-ge automatique d’informations bancaires entre pays.Chaqueannée,l’administrationfiscalefrançaisereçoitautomatiquementdesmillionsd’informationsenpro-venance des banques domestiques, qui alimententensuite les déclarations préremplies des contribua-bles. Ce système rend la fraude par l’intermédiaire debanques françaises impossible. Il serait technique-

ment simple de l’étendre aux pays de l’espace écono-mique européen: les banques luxembourgeoises etchypriotesseraienttenuesd’envoyeraufisc lalistedesressortissantsfrançaisqu’ellesontpourclients,aveclemontantde leurs avoirs et de leurs revenus, qui appa-raîtraientainsidans lesdéclarationsd’impôts.Riennes’yoppose:ni latechnologie,quipermettraitdetraiterlesinformationsobtenues,nilavolontédesparadisfis-caux de défendre leur secret bancaire, qui ne pèseraitriencontreunecoalitiondesgrandeséconomieseuro-péennes,FranceetAllemagneentête.Aterme,l’échan-ge automatique, étendu aux pays du monde entier,mettraitunpoint final à la fraudefiscaleoffshore.

Les condamnations ronflantes des fautes de l’an-cien ministre permettront peut-être au pouvoir delimiter les dégâts politiques. Elles ne feront rien pourfaireprogresser la justice fiscale. Pasplus qu’unenou-velle loi sur la publication du patrimoine des élus,annoncéepar le président de la République, dont on adumalàvoirenquoielleauraitpermisd’éviter lacriseactuelle: comment l’authenticitédes déclarations fai-tes par les élus sera-t-elle vérifiée? La seule solutionréside dans une initiative multilatérale. Jusqu’à pré-sent, le gouvernement a brillé par son absence de lea-dership sur la scène européenne. Espéronsque l’affai-reCahuzac soit l’occasiond’un tournant.p

L’affaire Cahuzac est un séismedont l’onde de choc n’a pas finid’ébranler un système politi-que français déjà bien mal enpoint. Elle peut être un clou deplus planté dans le cercueil

d’uneclassepolitiquefrançaiseà ladérive,ou l’occasion d’un sursaut, voire d’unerefondation. En tout cas, tout plutôtqu’uneoccasionsupplémentaired’affron-tement partisan ou de règlements decomptes à gauche, comme certains ten-tentdelefaire,enconfondantl’accusationlégitime portée contre les agissementscondamnablesd’unhommeet sonappar-tenancesocialeou lapolitique (de rigueurici) dont il a endossé la responsabilité augouvernement.

Malgré son caractère étonnant auregard des mœurs politiques de notrepays – l’aveu public de M.Cahuzac met-tantenévidencesonmensongeau-delàdesesactesdélictueuxeux-mêmesdevant lepays tout entier ressemble davantage à ladramaturgie américaine ou britanni-que–, le cas sert de révélateurspectaculai-re du dérèglement systémique qui estannoncéetdénoncédepuisdesannées. Ladroite devrait d’ailleurs seméfier des crishorrifiés qu’elle pousse à cette occasion.Cela fait unmoment que le Titanic politi-que français a quitté sonport d’attache, etil nemanquepersonne à bord.

Une des conséquences les plus immé-diatesde l’affaireest lamiseau jour, auvuetausudetouslesFrançais,dugouffrequisépare le pays de son élite transforméeenoligarchie. Une élite et non des élites, carau-delà de la précision sociologique habi-tuellementnécessaire, le spectacle qu’elledonne à voir par ses manquements, sesécarts et ses privilèges depuis des annéesen unifie l’image et la représentationauprèsde celles et ceuxquin’en sont pas.

Le langagepopulisteest ici,hélas,parti-culièrement bien adapté, ce qui est déjàun signe en soi. Le signe aussi d’un profitdirect et immédiat pour ceux qui jouenthabilementdupopulismedubascontrelehaut, pour Marine Le Pen évidemment,qui n’amêmeplus d’effort à faire.

Le délit doublé demensonge public deM.Cahuzacjette,denouveau,unelumièrecrue sur la trahison des élites. Une trahi-sonrendueplusaiguëparl’approfondisse-ment de la crise. Il laisse apparaître toutel’évolution politique, morale, économi-que, sociale…decesdernièresannées.Ain-si, par exemple, l’effacement des frontiè-res droite-gauche quand il s’agit de lienavec les puissances d’argent malgré lespétitions pour une «République irrépro-chable» deNicolas Sarkozy et une «Répu-bliqueexemplaire»deFrançoisHollande.Ainsi, encore, le durcissement et l’accrois-sement des inégalités en raison de l’envold’unepartie,hyper-privilégiée,delasocié-té,participanteetbénéficiaired’unemon-dialisation, «heureuse», au regard d’uneimmensemajorité du pays pour laquelletoutestdevenuplusdifficile: travail,salai-re, éducation…

Ainsi, surtout, l’injonction toujoursplus forte et pressante de cette nouvelleoligarchie à l’égard des autres, citoyensordinaires,desuivre loisetrègles,de l’aus-térité budgétaire aux contraintes sécuri-taires, alors qu’elle-même s’en affranchitde plus en plus souvent et aisément. Etqu’elle en affranchit ses enfants en leurréservant les meilleures écoles, lesmeilleures études et les meilleursemplois!

Dans laRépublique,celledeMarcBloch(1886-1944) par exemple, dont L’EtrangeDéfaite (Folio, 1990) fait lugubrementécho à la situation contemporaine, l’élite

n’est pas en soi condamnable et critiqua-ble, elle est même indispensable au pays.Mais encore faut-il pour cela qu’elle soitouverte et accessible à tous, et surtoutqu’elle soit au service de tous plutôt qu’àla satisfactionde ses seuls intérêts.

Pour ce faire, des réformes, profondes,sont indispensables, au-delà des ajuste-ments de circonstances tels que ceuxannoncés par le président de la Républi-quedans sonallocution télévisée à chaud,mercredi 3avril, sur l’affaire.

Sans doute sera-t-il rapidement indis-pensablederendreobligatoiresdesprocé-dures d’enquête approfondie, au-delà deladéclarationdepatrimoinedesélusetdesapublication, sur lesministreset lesplushauts responsables de l’Etat qui doiventêtre nommés. On pourrait ainsi imaginerdesprocédures«à l’américaine»,aucoursdesquelles des questions précises sontposées et des engagements fermes sontpris, voire des investigations sontdiligen-tées (pardes services judiciaires,policiers,fiscaux…), en cas de doute, sur les futursnomméspourêtre sûrquedescascommecelui de M.Cahuzac ne puissent se repro-duire.

La question de la formation des élitesdu pays, en lien avec ce qui se fait au-delàdes frontières, devra être sérieusementposée. La crise de Sciences Po ces derniersmoisetsaconclusionenformedenomina-tion d’un représentant de la haute admi-nistrationdel’Etatplutôtqued’ununiver-sitaire a témoigné spectaculairement del’importancedu sujet.

La reproductionorganiséede l’éliteparelle-même, sa fermeture aux influencesextérieures et à la pluralité sociale –à l’ex-ception d’une très étroite diversitémulti-culturelle consentie pour se donner bon-ne conscience–, dans des établissementsplacés à l’abri, loin desmouvementsd’en-semble de la société française, provoquenon seulement une anxiété mais un res-sentiment. L’oligarchie se délégitimeplusquand elle bloque ainsi l’horizon pour lajeunesse. Celle-ci était au cœur de la cam-pagnedu candidatHollande.

Demanière plus générale, en finir avec

lasociétédeconnivenceetdecomplaisan-cequiliedespansentiersdelaclassepoliti-que, des dirigeants économiques, desmilieuxde la communication et différen-tes sphères de pouvoir, médiatiquenotamment, passe par une mobilisationde l’ensembledes citoyens.

Elle passe aussi par le fait de ne plusaccorder ses suffrages à des élus condam-nés par la justice ; par un contrôle plussourcilleux de la tenue des engagements.De la même manière, au-delà de la ques-tion, cosmétique, du cumul des mandatsdes parlementaires, le bannissement detout risque de conflit d’intérêts passe parl’interdiction du cumul entre unmandatélectif et une fonctionprofessionnelle, ouparlecontrôlebeaucoupplusstrictde l’ac-tivité des lobbies, du pantouflage deshauts fonctionnaires dans le privé et desnominations.

Il est en outre indispensable de s’inter-roger sur les conséquencesd’une certainecommunication politique, installée dansla connivence et la complaisance elle aus-si, liée aux intérêts des différentsmilieuxpolitiques et économique, afin d’éviterque se reproduisent des cas comme ceuxauxquels on a assisté ces dernièresannées, quand des communiquants quilisent plus volontiers les cours de la Bour-se queMachiavel entraînent l’image de lapolitiqueaveccelledeleurclientversl’abî-me.Et l’instaurationd’unedosedepropor-tionnelle et le renforcement du rôle decontrôleduParlementpourraientdonnerde la cohérence, par le haut, à cet ensem-ble de dispositifs. L’affaire Cahuzac pour-rait ainsi êtreutile à quelque chose.p

Pourquoi la luttecontrel’exilfiscalestdifficileenFranceDel’audace,monsieurHollande!

Cetteaffaireestunrévélateurspectaculaire

dudérèglementsystémiquequiestannoncéetdénoncédepuisdesannées

Ilexisteunesolutionsimpleetdéfinitive:l’échangeautomatiqued’informations

bancairesentrepays

p Enfiniraveclaconnivencequilie lesoligarchiespolitiqueetéconomique

pMettrefinsansattendreausecretbancaireUnemesurenécessaireetfacileàimposer

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Page 22: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

culture&styles

Musée Jacquemart-AndréMusée Jacquemart-André

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une exposition

avec le soutien du

OUVERT 7/7J - 10H / 18H - NOCTURNES LUNDI et SAMEDI / 20H30RÉSERVATION COUPE-FILE SUR INTERNET :www.musee-jacquemart-andre.comet www.fnac.com

Bandedessinée

BruxellesEnvoyé spécial

C ertainsde ses amis lui ontditqu’il était carrément “cin-glé”. » D’autres se sont

inquiétés de sa santé, sur l’air de :«Tu esmalade? Il est vrai que tu asbeaucoup maigri ces temps-ci…»D’autres encore lui ont demandépourquoi il faisait «ça si jeune», àbientôt 57 ans, genre : «Le jour oùtuserasdanslamouise, tu leregret-teras.»Mêmesonépouse,avantde

se rétracter, s’était interrogée surle bien-fondé de son projet : «Tuvasdéshériter nos enfants!»

Mais François Schuiten n’a paschangéd’avis. Sadécisionétaitpri-se, etquelledécision! : fairedonde80% de sa production artistique –soit 1500 planches et illustrationsde bande dessinée – à des institu-tions françaises et belges, dont lesprincipales sont la BibliothèquenationaledeFrance(BNF)et laFon-dationRoi-Baudouin.Rarepournepas dire unique dans le 9eart, cegenre de démarche n’est pas unacte irrationnel. Plutôt la réponse

àunvide juridique, fiscal etartisti-queà la fois.

Egalementillustrateuretscéno-graphe, François Schuiten estl’auteurd’uneœuvredenseet fan-tastiquecommencéedanslemaga-zine Pilote alors qu’il n’avait que16ans. Traduites dans une dizainedelangues,seshistoiresfonttrans-paraître deux passions ancienneschez lui : l’utopie et l’architecture(métier qui fut celui de son père etqui est celui de son frère Luc avecqui il a cosigné plusieurs livres).Grand Prix d’Angoulême 2002,François Schuiten vient de rece-voir le Grand Prix Manga lors dudernier Japan Arts Festival. Lescinéphiles connaissent égalementson travail de décorateur sur lesfilmsde JacoVanDormael.

S’il continue de réaliser desalbums avec son fidèle scénaristeBenoît Peeters, le père de la sérieLes Cités obscures n’en est pasmoins arrivé à s’interroger – aprèsquarante ans de carrière – sur ledevenir de ses originaux après samort.

La logique voudrait qu’il lescède à ses quatre enfants, âgés de20 à 30 ans. « Le problème,confie-t-il, est qu’ils devront payerdes droits de succession calculés enfonctiondemacote.Or, commej’aivendu peu d’originaux dans mavie, mes travaux ont atteint unevaleur excessive (entre 4000et5000 euros la planche ; plus de30000 euros une illustrationgrand format). Mes enfantsn’auraient alors pas d’autre choixquede revendre certaines planchespourpayer cesdroitsde succession,et donc de disperser le contenu desalbums.Sanscompterlerisqued’ex-plosion familiale que ce genre desituation peut provoquer. Une suc-cession est une bombe à retarde-ment dans les mains de vosenfants.»

La dispersion est la hantise deFrançois Schuiten. S’il lui est eneffet arrivé – commede très nom-breuxauteursdebandedessinée–de céder des planches anciennesafin de «financer» des albums encours de réalisation, le Belge

connaît l’importancedeconserverdes originaux dans la fabricationdes livres. «Qu’on ne lise plus mesalbumsdans vingtou trente ans, jem’en fiche. Mais je ne veux pasqu’on les imprime mal ! », assè-ne-t-il ce jour-là dans un restau-rant de la commune bruxelloisede Schaerbeek, où il vit.

L’auteur cultive en réalité uneméfiance totale à l’égard desfichiers numériques sur lesquels

sont scannés les originaux, necroyantpasunesecondeàleursup-posée fiabilité : «L’autre jour, il yen a un que je n’ai pas réussi àouvrir.» Pire, à l’entendre: les ditsfichiers ne résisteront pas au pro-grèstechnologique.«Sionréimpri-me La Tour [album sorti en 1986]dansvingtans, lesgarsvont rigoleravecmes fichiers en 300dpi [unitéde résolution d’une image]. Lafaçonde scanner aura évolué, l’im-pression également, les papiersserontdifférents…Onvoudrapéné-trer dans la matière, dans le grain.Cela n’aura plus rien à voir.» Rienne remplacera alors, commeaujourd’hui, l’œuvre brute, faitede papier à dessin, d’encre deChine et d’aquarelles.

François Schuiten appartient àcette catégorie d’auteurs qui,quand sont imprimés leurs livres,ne quittent pas d’une semelle lechef de fabrication afin que soitobtenulemeilleurrendu.Lefaitdepasser plusieurs années sur unalbum explique pareille obstina-tion, mais pas seulement. «Le lec-teur est tout autant propriétaired’unlivrequesonauteurousonédi-teur. On se doit donc de respecterson exigence, poursuit-il. Le livre,c’est sacré. Le monnayer est per-vers», formule-t-il un peu plustard en se félicitant de son initiati-ve qu’il voit comme un « brasd’honneur aux marchands» quesont les galeries d’art et les sallesdes ventes : « Il est important dedire que tout n’est pas achetabledans la vie, précise-t-il. Jem’estimeprivilégiéd’avoir vécude cemétier.Ce sont les lecteurs, la société, quiont rendu cela possible. Il est nor-mal que cela leur revienne.»

Après avoir renoncé à créerunefondation à son nom – « Celaauraitfaittrèsprétentieux»–,Fran-çoisSchuitenadoncoptépourunedonationauprèsd’institutionsquisauront préserver et entreposerson œuvre. Outre la BNF (qui arécemment reçu des planches deGeorges Wolinski et d’Albert Ude-rzo) et la Fondation Roi-Baudouin(qui va créer un fonds Schuiten),ses originaux rejoindront la Mai-sonAutrique à Bruxelles (maison-musée conçue dans le style ArtNouveau), le Musée de la bandedessinée d’Angoulême, le Centre

de l’imagedeLaLouvièreet leCen-tre belgede la bandedessinée.

«Tout» ne sera pas cédé. Le scé-nariste Benoît Peeters recevra untiers des planches de La Frontièreinvisible, double album paruen2002 et 2004. Les enfants deFrançois Schuiten, quant à eux,récupérerontdesillustrationsréali-sées dans le cadre de commandesextérieures.

Qu’en pensent ces derniers, à cepropos, de ce non-héritage? «Dubien, répond leur père. Ils ont com-pris leprojet.Machanceestqu’ilsnesont pas intéressés par l’argent. Jesuis très fier de cela.» L’auteur necache pas un petit pincement aucœur cependant. Les deux coffresd’une banque de Bruxelles où dor-maient jusqu’ici quarante ans delabeur ficelés dans des cartons àdessin sontdésormais vides. «Celame fait bizarre de voir tout ça par-tir», confesse-t-il.

Mais l’illustrateur avoue enmême temps son «soulagement».L’histoire de la bande dessinée – etde l’art en général – est émailléed’histoiresdesuccessionayantmaltourné.JacquesTardi,avecquiFran-çois Schuiten échangeait récem-ment,luidisaitàproposdelapéren-nisation de ses propres originaux:«Moi, je vais toutbrûler!»p

Frédéric Potet

François Schuiten et Benoît Peetersparticiperont à un colloque intitulé «Dunumérique au papier : allers-retours»,organisé à la Bibliothèque nationale deFrance le 11avril. Bnf.fr

«Lelecteuresttoutautant

propriétaired’unlivrequesonauteurousonéditeur»

Schuitenprotègesonhéritage…enledonnantGesterare:poussépar le soucideconservationdesesœuvres, l’illustrateurbelgeadécidédeconfier80%decelles-ciàdes institutions,dont laBNF

Dessin extrait de «La Tour»(1986). CASTERMAN

Ci-dessus et à droite, dessins extraits de «L’Archiviste», de la série «Les Cités obscures» (2000). CASTERMAN

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Page 23: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

DisparitionLepèredePhilémon,auteurdu«PetitCirque»,cofondateurde«Hara-Kiri»,spécialistedesdéviations,desfugues,etdestélescopagespoétiques,estmortàl’âgede82ans

Freds’estencoreévadé

culture&styles

L efonddel’airest frais», aimaitfairedire Fredà sespersonna-ges pour combler ces grands

moments de vacuité auxquels ilsétaient parfois confrontés. Le fonddel’airestsurtouttristedésormais.DesonvrainomFredOthonAristi-dès, l’auteur de bande dessinée estmortmardi 2avril, à 82ans.

Disparaît avec lui l’un des plusgrands créateurs de l’histoire du9eart alorsmêmeque vient de sor-tir Le trainoùvont les choses…, toutdernier épisode des aventures dePhilémon. Fred était aussi l’auteurduPetit Cirque, chef-d’œuvred’hu-mour féroce publié en 1973: «Monalbum préféré», nous confiait-il, ilyaunmois,dans lapetitechambred’unemaisonderetraiteoùilvivaitdepuisunan.

Né le 5mars 1931 à Paris, Fredcommenceàdessineravecrégulari-téà l’âgede4ans. Ilpublieplustardun dessin dans le courrier des lec-teurs d’un journal pour enfants,avant d’en placer un autre à IciParis, à18ans.Asonretourduservi-cemilitaire, il fait le tourdes rédac-tions : France dimanche, ParisMatch et Le Hérisson lui ouvrentleurs colonnes, de même qu’unepublication confidentielle, Quar-tier latin, dirigée par Georges Ber-nier, le futur Professeur Choron.C’est avec lui et François Cavannaque Fred créeHara-Kiri en 1960. Ilendevient ledirecteurartistiqueetréalise les 60premières couvertu-resdu«journalbêteetméchant».

Doté d’un coup de pinceau uni-que, mélange de charbon et decoupsde serpe, Fred se lanceparal-lèlement dans des récits précur-seursdesongéniecommeLesPetitsMétiers, Le Manu-Manu, Tarsingel’homme-zan. En 1965, il donne vieau personnage de Philémon, un

adolescent à pull rayé ouvert auxrêveries.LeJournaldeSpirourefusesa toute première histoire, d’unequinzaine de planches. Pas Pilote,alorsdirigéparRenéGoscinny.

Lepublicne tarderapas àporteraux nues cette série d’une poésieinégalée dont le premier tome sedéroule sur les lettres de l’océanAtlantique. Sous l’influenceconsciente (ou inconsciente) deLewis Carroll et Winsor McCay,Fred s’amuse à bousculer les codesnarratifs de la bande dessinée,détournantà sonprofit l’artducol-lageet celuiducadrage.

Son héritage sera énorme. «Jepeuxdire que je suis entré enbandedessinéegrâceàFred,raconteJoannSfar. Il a ouvert en grand les portesd’une bande dessinée poétique,bizarre et en même temps accessi-ble à tous. Quand Philémon traver-sait une case pour aller dans la sui-vante, ce n’était pas seulement “in-ventif”dupointdevuedumédium,cela servaitun récit, unpropos.»

Sfar se souvient que Fred avaiteu le projet de traverser l’Atlanti-quesuruneplancheàdessin:«Uneidée pareille ne peut que vous don-ner envie de faire le même métier.J’aimaisaussi beaucoupcette capa-cité qu’il avait de se jeter d’une caseà l’autre sans savoir où il retombe-rait, commeun trapéziste qui igno-resisonpartenaireseralàpours’ac-crocher à lui. Fred disait souventqu’il ne faut pas écrire des histoirespourle lecteur,maispoursoi.Sesur-prendre soi-même est une chosebeaucoupplusdureà faire.»

Parallèlement à Philémon, Fredaaussientreprisunecarrièredescé-nariste qui lui donna l’occasion detravailler avec des dessinateurscomme Jean-Claude Mézières,Georges Pichard ou encore Alexisavec qui il créa la série Time is

Money, une désopilante adapta-tion du thème de la machine àremonter le temps. Au début desannées1970,Fredestunartistesolli-cité de toutes parts. JacquesDutronc lui demande d’écrire deschansons,cequ’il feraencosignantLe fond de l’air est frais et en réali-sant deux livres-disques pourenfants: LaVoiture du clair de luneet Le Spectre. Il écrira plus tard unequarantaine de courts-métragespour la télévision.

Dix années d’expérimentationsdiverses s’intercaleront au passa-ge : auto-édition (Magic PalaceHôtel, Parade), portfolio (Manège),imageried’Epinal (LaMagiqueLan-ternemagique), illustrationlittérai-re (Le Journal de Jules Renard)…Autant de défis marqués par unmême sceau: celui d’une libertéinsolente. «Il a été en ce sens un demes modèles, indique Enki Bilal,dont le style réalistene revendiquepourtant aucune filiation aveccelui de son aîné. Fred étaitimperméableauxmodes etauxpressions. Jamais il n’a été obsédépar la nécessité d’avoir un scénario,se laissant porter par son imagina-tion. J’ai souvent pensé à lui à uneépoqueoùjecherchaisuneespècede “confort” dans la création. Jepensais à lui comme je pensais àGodard et à sa façon de construiredes films demanière qui paraissaitabsurde à certains. Il y avait chezFredcettecapacitéàimposersesloisnarrativesdemanièreludique,com-melegrandenfantqu’ilestrestéjus-qu’aubout.»

Comparé à d’autres auteurs desa génération, Fred produira peud’albumsaucoursdesacarrière.Lafauteàsesvaguesàl’âmerépétésetà quelques excès. En 1993, L’Histoi-re du corbac aux baskets inaugurele début d’un nouveau cycle oùl’auteur aborde parmétaphores satendance à la dépression. SuivrontL’Histoire du conteur électrique,puis L’Histoirede la dernière imagesur le thèmede lamort.

Fred va alors peu à peu à com-menceràdisparaîtredupaysagedelabandedessinée francophone.Un

projet ne cessera cependant de lehanter: terminerladernièrehistoi-re de Philémon, commencée il y avingt-cinqans puis reprise millefois, avant qu’une opération ducœurne lui fasse comprendrequ’iln’avaitplusassezdedextéritépouryparvenir.«Jemesuis renducomp-te en sortant de l’hôpital que je nepourrai plus jamais dessiner, nousdisait-il ce jour-là, à la veille de son82e anniversaire. Le dessin n’est pasqu’une affaire de représentationgraphique sur dupapier, c’est aussiunequestiondemémoire.»

Fredafinalementpucomplé-ter l’album de la dizaine depages qui lui manquait, faisantainsihonneuràcedonpourl’im-provisationquia toujourscarac-

térisé son œuvre. Le vieil hommenourrissait un autre espoir : voirl’adaptation cinématographiquedePhilémonparleréalisateurcana-dienRogerFrappieràqui il s’apprê-taità accorder lesdroitsd’exploita-tion. Conscient que ses problèmesdesanté l’empêcheraientdevoir cefilm,Fredtrouvaitlemoyendes’enamuser: «Je le regarderaipeut-êtredesnuages.Jeseraialorsassisaupre-mierrangavecjen’osepasdireDieuà côtédemoi.» Fredestmort. Cettefoisoui, il n’y aplusde saison. p

F.P.

Sfarsesouvientqu’ilavaiteuleprojet

detraverserl’Atlantiquesuruneplancheàdessin

Parcours

1931Naissance à Paris.

1960 LanceHara-Kiri avecCavan-na et le professeur Choron.

1965CréePhilémon.

1973Publication duPetit Cirque.

1979Sortie deCythère l’appren-tie sorcière, dans Pif Gadget.

1993Publie L’Histoire du corbakaux baskets.

2013Mort à Eaubonne (Val-d’Oise).

L’amiAcquefacquess’inviteaufestivaldeBDdeBastia

DANSLASÉRIE «cher lecteur, voi-ci un livre qui vavousdéstabili-ser», celui-ci fait plutôt fort. L’al-bumapournom LeDécalage,maisne cherchezpas le titre sursa couverture: il n’y en a pas. Yfigure, en revanche, sur cettemêmecouverture cartonnée, ledébutde l’histoire. Dumoins cequ’on croit être sa premièrepagemais s’avère en réalité…la septième!

Assis sur un tapis volant, unhommeen imperméable et cha-peaumouest en traindepasser lemurdu son, ouplutôt le «mur dutemps», comme l’expliqueplusloinunpersonnage secondaire.

Inutilede vousdemander sil’exemplaireque vous tenez entrelesmains est un rebutd’imprime-rienégligemment sorti de son car-tonpar un librairepressé. Il s’agitdudernierouvragedeMarc-Antoi-neMathieu.Du«pur»Marc-AntoineMathieu. Invité au festi-val de BDdeBastia où il fait l’objetd’uneexposition (et dont LeMon-de est partenaire), l’auteur ange-vin remet en scène sonpersonna-ge fétiche, Julius CorentinAcque-facques, abandonnéneuf ansplustôt à ses rêveries.

Les évocationsdeKafka, Bec-kett, Borges reviennent souventpourdécrire l’universmis enpla-ceparMarc-AntoineMathieudans ses bandesdessinées,mon-deoù l’absurde et le dérisoire ledisputent aunoir et blanc.

Ajoutons-ydésormais le nomdeRaymondDevos. Victimed’unsabotage spatiotemporel, notreamiAcquefacques (l’enverspho-nétiquedeKafka) se trouve être lehérosd’unehistoire qui a com-mencé sans lui – d’où ce «décala-ge» deplusieurspages entre deuxrécits qui n’en font évidemmentqu’un seul.

Sans filet, le procédé est, com-me souvent chezMarc-AntoineMathieu,unprétexte à laréflexion.Dansundécordépouillé, les protagonistesphilo-sophent, ici, sur lesnotions derien et de vide. «Le défi principalquandvous vous lancez dans cetyped’histoire, confie l’auteur, estdene pas tomber dans l’exercicede style. La rêverie doit être perma-nente d’unbout à l’autre del’ouvrage. Je la vois commeuneespèced’éthiquemême si cemotest unpeudéplacépourmes livresqui ne sont quedes “divertisse-ments intelligents”. Toute la diffi-culté est de se laisser aller dans cet-

te rêverie,mais en échafaudantunedisciplineau récit.»

A l’instar de ses deuxgrandsmaîtres que sont Fred (le père dePhilémon– lire ci-contre) etWin-sorMcCay (le créateurde LittleNemo),Marc-AntoineMathieuatoujours aimédéstructurer les for-mespourmieuxdonnerdu fondaux choses.

Dans L’Origine (1990), l’albumqui le fit connaître, une case étaitremplacéeparun trou – unvraitrou, permettantun jeude lectureavec les pages d’avant et d’après.Dans Le Processus (1993), une spi-rale en volumes’invitait au cœurdu livre.

Dans La 2,333eDimension(2004), Julius perdait son relief enemportantdans sa chuteunpointdeperspective. Pour LeDécalage,Marc-AntoineMathieua, cettefois-ci, carrémentdéchiré despages – trois en tout – aumilieude l’album.

Figure de proue de l’OubapoOnsedit quepareils projets ne

sontpas simples à vendre à unemaisond’édition.Mêmepas:«L’éditeurprête l’oreille. C’est plu-tôt la chef de fabricationqui faitde grands yeux»,dit-il.

Il n’empêche: face à la radicali-té de ce livre sans couverture, leservicemarketingdeDelcourt aimposé la présenced’unbandeaurouge sur lequel figureun titre,unvrai, autourde l’album.Roi delamise enabymeet figure deprouede l’Oubapo (Ouvroir debandedessinéepotentielle, cou-sin iconographiquede l’Oulipo),Marc-AntoineMathieudistille ain-si depuisplus de vingtansunebandedessinéequi réfléchit surelle-mêmeet sur ses codes auxpotentialités infinies.

«Parce qu’il a toujours été sous-traité, cemédiumoffre finalementune très grande liberté à sesauteurs, ce qui expliquepourquoiles expérimentationspeuvent s’yfaire sans pression, et avec l’assen-timentdugrandpublic. Je ne suispas sûr qu’on retrouve cela dansdes arts plus institutionnels. Ilmeparaît difficile de faire dunon-théâtre oude la non-littérature.Mais de la non-BD, si. Il faut voir labandedessinée commeun labora-toireniché dansun coinde ban-lieuede l’art.»p

F.P.

BD à Bastia, du 4 au 7avril. Centreculturel Una Volta. www.una-volta.org

Fred en 1983, à Paris.THIRE/GAMMA/RAPHO

Dessin extrait de «Philémon:L’Ane en atoll» (1987). DARGAUD

230123Vendredi 5 avril 2013

Page 24: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

Musique

GrenobleEnvoyée spéciale

C e samedi de Pâques, pasquestiondetoucherauxclo-ches. Les élèves percussion-

nistes répètent donc dans l’écoleduSyndicatintercommunalMusi-que JeanWiener, au Pont-de-Claix(Isère), dans la banlieuegrenobloi-se. Le 6 avril à 22heures, ils sedéploieront dans les clochers deséglises du centre-ville grenoblois(Saint-André, Saint-Bruno, Saint-Louis, Saint-Laurent), de la basili-que Saint-Joseph, de l’ancien cou-vent Sainte-Cécile, pour unconcertdevilleimaginéparlecom-positeur,performeuretmusicolo-gue espagnol Llorenç Barber, dansle cadre du festival isérois desDétoursdeBabel.

Pour l’instant, ils frappent parpetits groupes sur des casseroles,seaux en fer blanc et wood-block,une partition bigarrée: «Ça com-mence à sonner à Saint-Bruno,expliquelecompositeur,puisçasepropage à Saint-André: il faut quele groupe Saint-André commencetrois secondes avant, que celui deSaint-Brunoterminetrois secondesaprès, pour donner l’impressiond’un flux continu et d’un lien topi-que entre les clochers, comme unpont sonore.»

Prémonitoire Rimbaud et sesmagiciennes Illuminations : «J’aitendu des cordes de clocher à clo-cher ; des guirlandes de fenêtre àfenêtre; des chaînes d’or d’étoile àétoile et je danse.» Llorenç Barbers’attache à rendre la voix de la vie,de la réalité, de la communication.De sa pièce Campana, il commen-te le petitMenuetto à trois temps,la danse slovène pour les joueursdeclochesentreeux,unnocturne:«Le presque rien de la nuit, seule-ment les couleurs.»Avant le grandfinal, une immense accélérationde 37minutes, 20 secondes de«silencede ville» –une éternité!

Glas des deuils publics, tocsinsdes déclarations de guerre ou depaix, cloches civiles sonnant lesheures au beffroi, cloches sacréesappelant aux offices religieux…Longtemps le son des cloches arythmé la vie de l’homme.Habillées d’airain (un alliage de78%decuivreet22%d’étain), ellescraignent le froid et supportentmal d’être sonnées à partir de dixdegrés au-dessous de zéro. Maisleur pire ennemi est la guerre, quiles transforme en canons. Elles sesont faites plus discrètes dans nosvilles modernes soucieuses dusommeil de leurs habitants maisdemeurent dans l’inconscient col-lectif. « La ville est le véritableorchestre de notre civilisation, rap-pelle Llorenç Barber, les cloches

l’idéalisation d’un design sonorede la vie.»

A64ans, leCatalanasonnéplusde 500 villes depuis 1987. Nulbesoin d’être pour cela amoureuxetsourdcommelebossudeNotre-Dame. Encore que tout nécessiteune intense préparation. «La pre-mièrechoseestd’obtenirl’autorisa-tion de monter dans les clochers,puis de contracter une assurancespécifique. Il faut ensuite se munirde bouchons d’oreille et de gantscomme ceux des ouvriers sur leschantiers urbains.»

Llorenç Barber s’amuse d’avoir

d’abord eu un parcours classiquedemusicienpianisteavantde«sor-tir de la musique». Il a touché àtout. Le festival Wagner à Bay-reuth, où il jouait, en marge desopéras, dupianooude l’orgue. Lescours de composition, l’été, àDarmstadt, entre György Ligeti,Mauricio Kagel et Karlheinz Stoc-khausen.Londresenfin,oùilaren-contréaudébutdesannées1970la

musique de Michael Nyman, la«free improvisation» et les mini-malistes,découvert JohnCageet lecontexte Fluxus, se réclamant del’esthétiquepostmodernedugrou-pe Zaj dès son retour à Madrid.Avantdetrouversavoiede«musi-cien utile» à travers le concept du«Projet mondial d’environne-mentsonore»duCanadienR.Mur-ray Schafer. « J’étais à Madrid entrain de faire réparer la cheminéedemon appartement, raconte-t-il.J’ai avisé une plaque de fer et l’aifrappée. Elle sonnait comme unecloche.»

C’est ainsi que Llorenç Barbers’est fait construire un carillon,qu’il en a ensuite joué partout, l’autilisé pour tout : «Le théâtre, lesconcerts, les voyages, et pour fairel’amour…» Il est même allé unefoisenforêtà la findumoisd’août,dans la montagne au-dessus deTolède,pourparticiper,sesclochesdans les arbres, aubramedu cerf!

Dans les villes, c’est toujours lamêmechose.«Jedoisd’abordhabi-ter lavillequelquessemaines. Jemelève tôt, je vais sur les marchés, jeparle avec les vieilles personnes.Peuàpeu, je construisunréseauderésonances à l’aide d’un plan. Puisjemontedans les clocherspour fai-re des photos, des mesures. » Llo-renç Barber tient à ce que les son-neurs (une bonne quarantaine)soient tous des gens de la ville,musiciensounon.

«Les cloches produisent unemusique surhumaine, entre ciel etterre, remarque Llorenç Barber.Impossible de tout contrôler. Si letempsest sec, le tonesthaut; s’il esthumide, il est bas.Quant auvent, ilpeut déplacer un concert d’un côtéde la ville ou de l’autre.»

Ce 6avril, à Grenoble, une foistirés les trois rituels feuxd’artificesans fusée qui déclenchent leschronomètres, Campana uniraaux voix des clochers et ducarillonambulantduNord-Pas-de-Calais, jouéparStefanoColetti,cel-les de musiciens munis de porte-voix, «muezzins d’un temps nou-veau». Cachées dans les cabinesdu téléphérique qui monte desbords de l’Isère au fort de la Bas-tille, les trompettes d’une douceapocalypse : bonne nuit bravesgens! p

Marie-AudeRoux

Festival Les Détours de Babel, jus-qu’au 20avril. «Campana», de LlorençBarber, le 6avril à 22heures.Tél. : 04-76-89-07-16. Detoursdebabel. fr

culture&styles

Glasdesdeuils ,tocsinsdesdéclarationsdeguerre...Longtemps,lesondesclochesarythmélaviedel’homme

Llorenç-Barber estime que « les cloches produisent unemusique surhumaine, entre ciel et terre». CIMN

LlorençBarber,sonnezpournous!Lecompositeuramontédesconcertsdeclochesdansplusde500villes.C’estautourdeGrenoble

LeprocèsEgglestonquipourraitfairejurisprudence

Sobriétéetsensualité:lesnégociationsdeGatDans«BrilliantCorners», lechorégraphefaitdanser jusqu’auxmursduthéâtre

Jazz

RouenEnvoyé spécial

R évélé en 1993 au concoursnational de jazz de LaDéfen-se (Hauts-de-Seine), le trom-

pettisteErikTruffaza commencéàêtre connu d’un large public aprèsla publication, par le label BlueNote, en 1997, de l’album Out of aDream. Encore classique dans sonapproche, dans les pas assumésdeMilesDavis, période cool et appro-chemodale de jeux avec les notesau sein d’une même tonalité– façon Kind of Blue. Depuis, lesoreillesouvertesauxsonsdumon-de,duplus lointainOrientauxder-nières évolutions électroniques,Erik Truffaz, 53 ans, n’a cessé d’ex-ploreretfusionnerlesgenres:tour-neriesgroovedu funket de la soul,ambiances planantes venues dePink Floyd, expressionsmusicalesde l’Inde, détours par le Mexique,l’Afrique, le jazz acoustique…

On le retrouve le vendredi29mars à la veille d’un concert au106, salle de belle allure, sur la rivegauche de la Seine, à Rouen. Il ditqu’il fait «de la pop instrumenta-le», insiste sur « l’importance du

silencedans lamusique»et sur sonsouci constant lorsqu’il composede « trouver une mélodie quiretient, parce que ça améliore lavie».

Tout ce dont témoigne un nou-vel album, El Tiempo de la Revolu-cion – toujours publié par BlueNote, chezqui lesventes cumuléesde Truffaz en plus de quinzealbums dépassent les500000exemplaires, un exploitdans la catégorie jazz –, et lesconcerts qui vont avec. Sur scène,le groupe est unemerveilledepuisplusieursannéeset lefaitentendreà nouveau, dans cet excitant para-doxe de sembler se découvrir àl’instanttoutendégageantunplai-sir familier. Benoît Corboz aux cla-viers(dontunpianoélectriqueFen-der Rhodes grande époque avecécho, distorsion, effets percussifs),MarcelloGiulianià labasseetMarcErbetta à la batterie, duo rythmi-que de feu et d’air avec Truffazdepuisunevingtained’années.

Le répertoirepuisedans cenou-vel album, avec un doublé enouverture, commesur le disque,ElTiempodelaRevolucionet IstanbulTango.Unephaselente,placementd’uneatmosphère,endériveavantque le tempos’accélère, la basseen

boucle rythmique, qui soutientl’édifice,marquentlaclartémélodi-quede lamusique de Truffaz et deses compagnons. Le trompettistepasse d’un son naturel, aux noteschoisies, pensées, à des effets detype wah-wah – le terme suffit àexpliquer le résultat – contrôlés, àl’écartde ladémonstration.

Unélan partagé«Ledisqueaétéenregistrédesep-

tembre à décembre2011, durantunepartie des événements dits “duprintemps arabe”, raconte Truffazà propos du titre de l’album. Ausein du groupe, nous sommes plu-tôt des humanistes, méfiants dulibéralisme.Mais de là à raccrochercet albumàune thématique politi-que, comme j’ai pu le lire, ce seraittrèsexagéré.D’autantqu’ilestpourl’essentiel instrumental, pas dansun traitement “guerrier”, et que lestrois chansons interprétées parAnnaAaron ne sont pas dans cetesprit.»

Aux thèmes de l’album (AfricaMist, La Lunamentirosa…), dont leconcert amplifie les reliefs, lescontrastes,avecdesparties impro-visées qui témoignent d’un élanpartagé, s’ajoutent des retoursvers un passé plus ou moins pro-

che. Ainsi de Siegfried, tiré de Ben-ding New Corners, sorti en 1999.L’une des plus belles balladesentrées dans la mémoire, écriteavec un superbe sens du place-mentet de la dramaturgie,magni-fiée en concert. Trompette bou-chée, souffle en suspension, pré-sencemontantede l’orchestre.

Après un peu plus d’une heurede concert, Anna Aaron rejoint legroupe. Elle chante d’abord TheDrainout,quine figurepas sur l’al-bum de Truffaz, mais sur Dogs inSpirit (2011), de la chanteuse origi-naire de Bâle. Puis vient BlueMovie et sa ressemblance sur lescouplets avec le refrain de Stai-rway to Heaven, de Led Zeppelin.Voixet trompettesechevauchent,lamusique passée par des empor-tements, des tornades, se fait dou-ceur et rêverie.On est bien. p

SylvainSiclier

Erik Truffaz Quartet en tournée, jus-qu’au 2 juin. Prochains concerts :LeRadiant-Bellevue, à Caluire-et-Cuire(Rhône), le 4avril ; La Laiterie, à Stras-bourg, le 5avril ; l’Olympia, à Paris, le6avril ; Cully Jazz Festival, à Cully (Suis-se), le 9avril… Eriktruffaz.com/concertsEl Tiempo de la Revolucion, 1CD BlueNote records/EMI.

ErikTruffaz,millemilliardsdemilletrompettesA53ans, le compositeur revientavecsongroupeetunalbum«ElTiempode la revolucion»

V oilàunenouvellequi ris-quederemettreenques-tion lespratiquesdumar-

chédes tiragesphotographiques,déjà complexe.Le28mars,unejugedeNewYorkadonnéraisonauphotographeWilliamEggles-ton,pionnierde la couleurdanslesannées 1970, traînéen justiceparuncollectionneur.Soncrime?Enmars2012,WilliamEgglestonafaitproduiredes tiragesnuméri-ques,engrandformat, àpartirdesnégatifsdeses imagesanciennes,et lesavendusavec succèschezChristie’s.

Le collectionneurnew-yorkaisJonathanSobel, lui, avait collec-tionnécesphotographiesdansleurversionoriginale, c’est-à-diredes«vintage»: 190petits formatstirésdans lesannées 1970et impri-mésselon la techniquedudye-transfer.Ces images lui ayantétévenduescommedeséditions limi-téesetnumérotées, il s’estimaitflouéendécouvrantquehuitdecesphotographies rarissimess’étaient retrouvées reproduitesetvendueschezChristie’s.«Lavaleurdesphotographiesenédi-tion limitéedeSobela étédimi-nuéepar l’existencede copies sup-plémentairesde lamêmeimagesur lemarchéde l’art»,affirmait laplaintedéposéeauprèsdutribu-nalnew-yorkais.

Le collectionneurdemandaitautribunalde lui accorderdesdommageset intérêtsetd’interdi-reàWilliamEgglestonde réaliserd’autres tiragesàpartirde sespho-tographies.Mais la jugeDeborahBatsne l’apas entendudecetteoreille: elleadébouté le collection-neurde toutes sesdemandes,jugeantque lesdeuxsériesdepho-tographies,quoiqueréaliséesàpartirdesmêmesnégatifs, étaient«manifestementdifférentes», lephotographeayantchangédetechniqued’impressionetde for-mat. Elle aaussi statuéque lepho-

tographe,en réalisantunenouvel-leéditionde ses images,n’avaitpasenfreint les loisde l’EtatdeNewYork: selonelle, la seuleobli-gationduphotographeétantderévéler lenombre totald’exem-plairesexistant«aumomentde lavente».

Lapertedevaleurdes tiragesd’époqueducollectionneurétaitdifficileàprouver, laventechezChristie’senmars2012ayantbat-tudesrecords, confirmant lacotetrèshautedeWilliamEggleston:lesnouveauxtiragesvendusparlamaisondeventesauxenchèresavaientatteintun totalde5,9mil-lionsdedollars (4,6millionsd’eu-ros).Alorsque les tiragesd’époquesontengénéral considérés com-meplusprécieux, cetteventea, enfait, confirméque lemarchés’élar-gitàunpublicmoinsspécialisé,davantageversédans l’art contem-porainet intéressépardesgrandsformats.Augranddamdescollec-tionneurscommeJonathanSobel.

Des galeristes inquietsLa réimpressionestdevenue

unepratiqueassez courantechezlesphotographesquiont com-mencé leur carrièreàuneépoqueoù lemarchédes tiragesétaitbal-butiant,voire inexistant:onapuvoirainsi l’AméricainWilliamKleinvendreàParisPhoto, en2012,des tiragescontemporainsdephotosanciennes, engrandfor-matet avecunenouvelle techni-qued’impression.SaufqueWilliamKlein, contrairementàWilliamEggleston,n’avaitpaslimité ses tiragesoriginaux.

Le jugementpeutsemblerunevictoirepour lesphotographes,libresde réinterpréter leursœuvresà leurgoût.Mais il inquiè-tedéjà certainsgaleristes,pourqui lanumérotationestunenga-gementsur la raretéde l’œuvre,présenteet àvenir.p

ClaireGuillot

Danse

U ne danse comme un tricotsouple entre les maillesduquel on se coule ; qui

épouse les formes du corps sansperdre son élasticité. Une dansetendance textile secondepeauquihabille en caressant, enveloppeenlaissant libre. Ces sensations dou-ces irriguent le spectacle BrilliantCornersd’EmanuelGat.Pourlapre-mière fois à l’afficheduThéâtredela Ville, à Paris, le chorégrapheisraélien, qui a créé sa compagnieen 2004 et s’est installé en Franceen 2007, livre un précis d’écrituresophistiqué porté par neuf inter-prètes.

La sensualité de Brilliant Cor-ners est inversement proportion-nelleàsasobriétéapparente.Ledis-positifsignéparGatfaitdansl’épu-re.Plateauvide, lumièresblanchesou pénombre argentée, musiqueminimaliste trouée d’immensesplages de silence. Dans ce contex-te, la texture de la pièce palpiteplus fort. Quelles que soient leshumeurs des interprètes, nerveu-ses ou rêveuses, elles sont gainéesparunemêmefibremoelleusequise propage dans l’espace et les ras-semble. S’ils se touchent rare-ment, s’ils ne forment jamais detableau d’ensemble, les danseurssont branchés sur lamêmeprise.

Avec Brilliant Corners, EmanuelGat renforce l’écriture kaléidosco-pique qui a fait sa réputationdepuis K626 (2006) sur la parti-tiondeMozart. Lapremière imageduspectacledonneleton.Ensilen-ce, le groupe de danseurs, posédroit et face public, explose sou-

dain en éclats de gestes. Un seulélan pour autant de facettes qued’interprètes.Sanscesse,lemouve-ment semble diffracté, démulti-plié selon un système de contre-points et de ricochets. Ce miroite-ment permanent, magnétique,même si l’enjeu global de la piècemanque de nerfs, transforme legroupe de danseurs en chambred’échos.

Auplus près du vivantLacohésiondesinterprètesdon-

ne sa solidité à Brilliant Corners.Elletémoignedelaméthodedetra-vail d’Emanuel Gat qui débarquedans le studio de répétition sansavoirdepland’attaquemaiscomp-te sur la qualité des relations pourfaire émerger une pièce. Cettefabrication au plus près du vivantlui a donné l’idée de proposer unspectacle en train de se créer endirect sous les yeux des specta-teurs. Cette performance intituléeThe surprising complexity of sim-ple pleasures, qui se déroulera augré de douze rendez-vousde deuxheures, sera l’une des quatre pro-ductions d’Emanuel Gat présen-tées au festivalMontpellier Dansedont Gat est cette année le choré-grapheassocié.p

RositaBoisseau

Brilliant Corners d’Emanuel Gat. Théâ-tre de la Ville, place du Châtelet, Paris4e. Jusqu’au 6avril, à 20h30.Tél. : 01-42-74-22-77. Puis le 19avril, auThéâtre Agora, à Evry (Essonne).The surprising complexity of simplepleasures.Montpellier Danse. Du 23 au30 juin. Entrée libre.Tél. : 0800-600-740.

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Nouvel album à la croisée du jazz, de la country et du blues.Inclus des reprises de Ray Charles, Leonard Cohen…

MADELEINE PEYROUXTHE BLUE ROOM

EN CONCERT•4 mai Coutances•6 mai Paris-Olympia

Infos, tournée et réservations :magasins Fnac, mobile etfnac.com

Fnac. On ne peut qu’adhérer

S a renommée auprès deschauffeurs de taxi lui aapporté un début de noto-

riété qui ne lui a pas tourné latête. La Skoda Octavia, dont latroisième génération vient toutjuste d’être dévoilée, s’est forgéune réputation de grande voitu-re toute simple, sérieuse, prati-que et classique, dont elle n’a pasl’intention de s’écarter. Cetteimage volontairement lisse estun peu trompeuse. Tout commeles clichés qui collent auconstructeur tchèque, intégrédepuis vingt-deux ans au sein dela vaste famille Volkswagen.

Cette marque, qui n’évoquepasgrand-choseauprèsdugrandpublic – certains se souviennentque les Skoda d’avant la chute duMur apparaissaient comme lesautomobiles les plus sophisti-quées, si l’on ose dire, en prove-nance du bloc communiste –,cache bien son jeu. Derrière lelogo un peu saugrenu de la flè-cheétoiléeà têted’Indiensedissi-mule l’une des réussites indus-trielles les plus remarquables deces dernières années.

En 2012, Skoda a encore battuson record de production avec940000véhicules, neuf foisplusqu’il y avingt ans. EnFrance,ses immatriculations ont bondideprèsde7%en2012, surunmar-ché en recul de 14%.

Figuredeprouedecette réussi-te discrète mais têtue, l’Octaviareflète les valeurs très rationnel-les – et à nettedominantegerma-nique – de l’automobile tellequ’on la conçoit en Europe cen-trale. Sansêtre lourdes, ses lignessont strictes et cherchent moinsà exprimer la sportivité ou le sta-tut social qu’à inspirer confianceet rassurer le chaland.

Ce parti pris de retenue vireaurigorisme lorsque l’ons’instal-le à bord. La qualité de fabrica-tion et les matériaux utilisés nesont pas en cause, mais il fautbien admettre que l’ambiancen’est pas très folichonne. Idempour la suspension, trop raide auregard des standards d’Europede l’Ouest, et les sensations deconduite, désespérément neu-tres.

L’Octavia, conçue sur la plate-forme de la Volkswagen Golf,bénéficie des mêmes moteurs,des mêmes excellentes boîtes devitesses automatiques à doubleembrayage et (pratiquement)des mêmes équipements que laplus connue des VW. Pour le res-te, l’amateur de voitures raison-nables, logeables, généreuses (lecoffre, d’une contenance de 590

litres, est immense) et plutôtbiendotées,y trouverasoncomp-te. Pas enthousiasmant maisconvaincant. Les tarifs, qui débu-tentà 17850euros, sont compara-bles à ceux d’une Renault Méga-ne, d’une Peugeot 308 ou d’uneCitroën C4.

Si ce n’est que l’Octavia, quis’est allongée de 9 centimètres,propose l’habitabilité et la tailled’un modèle de catégorie supé-rieure.

Hormis l’Octavia, le construc-teur tchèque vend surtout desvéhicules à l’architecture archi-classique : la Superb, un brin col-

letmonté, ou la Fabia, petite ber-line au style assez ingrat. Ce n’estpas demain la veille que Skodacommercialiseraun coupéouuncabriolet. Cette vision empreintede sobriété rencontre un échofavorable dans les pays émer-gents, y compris en Chine, deve-nue le premiermarchéde lamar-que. Mais aussi dans les paysd’Europe septentrionale, en par-ticulier en Allemagne, où la fir-me tchèque arrive en tête desimportateurs.

Une performance qui ne tientpas seulement à la crédibilitécommerciale qu’offrent les lienstrès étroits qui la relient à Volk-swagen. En revanche, l’Europedu Sud se laisse plus difficile-ment conquérirpar les sages ber-lines et les breaks type «bétaillè-re» de la firmedeMladaBoleslavqui souffrent, sous nos latitudes,d’un «déficit émotionnel», com-medisent les gens dumarketing.

On a beau faire la fine bouche,cette capacité à prospérer enpro-

posant un rapport prix-presta-tions avantageux sans gêner lesventes et la montée en gammede marques sœurs constitue unjoli cas d’école. Qui semble avoirinterpellé les dirigeants de PSA.

Soucieux de se réorganiserpour assurer sa survie, le groupefrançais a décidé de reposition-ner Citroën selon un schéma quiévoque peu ou prou la placequ’occupeSkodaauseindugrou-pe VW.

A l’avenir, la marque au dou-ble chevron, laissant à la gammeDS le soin d’occuper le segment«premium», devrait proposerdes modèles un peu moins hup-pés que ceux de Peugeot.

Sans pour autant hisser lepavillonlowcost,Citroëndévelop-pera une gamme simplifiée avecun rapport prix-prestations trèsaffûté. Tout en cultivant, promet-tent ses dirigeants, une réelle ori-ginalité stylistique. Là s’arrêtentles convergences avec Skoda. p

Jean-MichelNormand

culture&styles

L’Octaviareflètelesvaleurstrèsrationnelles

del’automobiletellequ’onlaconçoit

enEuropecentrale

Musique

LesRollingStonesrepartententournéeenAmériqueduNordLesRolling Stones ont annoncé,mercredi 3avril, unemini-tournéedansneuf villes d’AmériqueduNord. Sur son site Internet, le groupe, qui afêté ses 50 ans en 2012, a indiquéque la tournée «50andCounting»démarrerait à LosAngeles, à unedate qui reste à définir. Ils seront ensui-te, débutmai, dans les villes californiennesd’Oaklandet San José, avantundétourpar LasVegas (Nevada) et un retour enCalifornie, à Anaheim.Ils passeront ensuite sur la côteAtlantique, avec unedate auCanada(Toronto), avant de rejoindreChicago, Bostonet Philadelphie. Le grou-pe a aussi préciséqu’il jouerait àHydePark, à Londres, le 6juillet, prèsdequarante-quatre ans après s’y êtreproduit pour la dernière fois. EnGrande-Bretagne, les Stones se produiront aussi, pour la première fois,au Ffestival Glastonbury, le 29juin. – (AFP.) p (PHOTO: DON EMMERT/AFP)

Partenariat

Echangesculturelsfranco-indiensUnprogrammed’échangesculturels entre l’Inde et la Francepour lapériode2013-2015devait être signé, jeudi 4avril, entre lesdeuxministresdelaculture,AurélieFilippettietChandreshKumari,envisiteàParis.Etceconformémentàl’accorddecoopérationculturelle,scientifiqueettechni-que signé en 1966 entre les deux «partenaires [qui] reconnaissent le rôleessentiel jouépar le réseaudesAlliancesfrançaises». Côtéfrançais,prioritéseraitdonnéeàladansecontemporaine,auxartsvisuels,audesignetàl’ar-tisanat d’art. Des productions conjointes sont envisagées en danse, théâ-tre,musique.Unpartenariat estnouéavec le Louvrepourunparcoursdeformation enmuséologieet sur un projet d’exposition de ses collectionsen Inde avec, en retour, l’expositionà Paris du travail des artistes indienscontemporains sur lesœuvres françaises qui feront le voyage. «L’accordcadre signé est en cours de mise en œuvre. La ministre devrait passer dutemps au Louvre», se réjouit Hervé Barbaret, administrateur général del’établissementpublic. p Florence Evin

Edition

100000BDoffertespendant48heuresHuit éditeurs debandedessinée (Bamboo,Casterman,Dargaud,Dupuis, Fluide glacial, GrandAngle, Jungle et Le Lombard) se sont asso-ciéspour lancer, vendredi5 et samedi6avril, l’opération«48HBD». Pen-dantdeux jours, huit titres – des premiers albumsde série comme«LeTueur», de JacamonetMatz – seront offerts en librairie, «sans aucunecontrepartieni obligationd’achat». La liste des 900 librairiespartici-pantes et des titres proposés est disponible sur 48HBD.com.«Il s’agit decréerun événement grandpublic, autour de la BD, comparableà la fêtede lamusique», expliqueMoïseKessous, patrondu label Jungle. L’initia-tive s’inspiredu FreeComicBookDayaméricain. Si le succès est au ren-dez-vous, l’opération sera reconduite en 2014 et d’autres éditeurs telsqueGlénat, Delcourt ouSoleil pourraient soutenir l’initiative. p

Internet

LaSacemconclutunnouveaucontratavecYouTubeLaSacemetYouTubeontconcluunnouveaucontratde trois anspermet-tantauxauteurs, compositeurset éditeursdemusiqued’être rémunéréspour ladiffusionde leursœuvressur le site, ontannoncé,mercredi3avril, lesdeuxsociétésdansuncommuniqué.Unprécédent contratentre la Sacemet legéantde l’Internet, signéenseptembre2010,était arri-véàéchéance le 1er janvier. Lenouveaucontratporte sur l’utilisationdurépertoiredesmembresde la Sacemainsiquesur le répertoiredit anglo-américaind’UniversalMusicPublishing International (UMPI). L’accord,dont les termessont confidentiels, couvre 127pays, à l’exceptiondesEtats-Unis,. En janvier, alorsque lenouveaucontratétait ennégociation,You-TubeFranceavaitdécidédeneplusdiffuserdepublicitéavec lesvidéos-clipsdisponibles sur sonsite, privant les ayantsdroitde rémunérationdirecte.Cettediffusionaété rétablie finmarsparYouTubeFrance. p

EnchèresMadonna vend une toile de Fernand Légerau profit de la scolarisation des fillesUne toile dupeintre français FernandLéger,Trois femmesà la table rou-ge, appartenantà la chanteuse américaineMadonna, seramise auxenchères, le 7mai, chez Sotheby’s àNewYork, pour financer l’éducationdes filles dans certainspays, a annoncé,mercredi 3avril, lamaisond’en-chères. L’œuvredupeintre cubiste est estimée entre 5 et 7millions dedollars (entre 3,80 et 5,45millions d’euros), et le produit de sa vente serareversé à la FondationRayof Light quiœuvrepour que les filles aientaccès à l’éducationenAfghanistanet au Pakistannotamment, a préciséla chanteusedansun communiqué. – (AFP.)

La SkodaOctavia est disponible à partir 17850euros, tarif comparable à ceux d’une RenaultMégane, d’une Peugeot 308 ou d’une Citroën C4. DR

MoteursPasfolichonnesàconduiremaisappréciéesdesamateursdevoituresraisonnables, lesmodèlesduconstructeur tchèquesontunexemplederéussite

Skoda, lerigorismequipaie

NominationJoséManuel Gonçalvèsreconduit à la tête duCentQuatreLe conseil d’administrationduCentQuatre, lieu culturel ouvert enocto-bre2008dans les anciennesPompes funèbresdeParis, dans le 19e arron-dissement, a reconduit à sa tête, pour trois ans, JoséManuelGonçalvès,51 ans, qui dirigeait l’établissementdepuis 2010. «Soucieuxde faire dia-loguer les sphères de l’art et de l’entreprise, l’établissement, sous l’impul-sionde sondirecteur, amis en place unprogrammeambitieuxd’actionsentre les entrepreneurs, les créateurs et les chercheurs quiœuvrent à lapromotionde l’“innovationpar la création et à la créationpar l’innova-tion”», salue le conseil d’administrationdansun communiqué,publiémardi 2avril.

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Page 26: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

26 0123Vendredi 5 avril 2013carnet

AU CARNET DU «MONDE»

Naissance

Anne MORVAN et Philippe CRIGNON,ses parents,Octave,

son grand frère,

ont la joie d’annoncer la naissance de

Daphné,le 2 février 2013, à Paris.

9, rue Arthur-Groussier,75010 Paris.

Décès

Mme Nicole Bringuier, née Jacquier,son épouse,

Odile et Philippe Villar,Marie-Françoise et Philippe Davezies,Anne-Marie Bringuier

et Maryse Dardaillon,Pierre-Paul et Laurence Bringuier,

ses enfants,Emmanuel, Samira, François, Cécile,

Emilie, Jean,Laurent, Sylvie, Isabelle, Marion,Nicolas, Dominique,Jeanne, Luc, Antonin, Lucile,

ses petits-enfants et arrière-petits-enfants,font part du décès dudocteur Robert BRINGUIER,

survenu le 30 mars 2013,dans sa quatre-vingt-quatorzième année.

La cérémonie religieuse aura lieule vendredi 5 avril, à 10 heures, en l’églisede Chaponost (Rhône), suivie del’inhumation au cimetière de Chaponost.

Mme Anne-Marie Cavène,son épouse,

Sophie et Mathilde,ses filles,

Bruno et Matthieu,ses gendres,ont la douleur de faire part du décès de

Jacques CAVÈNE,survenu le 30 mars 2013, à Paris,à l’âge de soixante-quatorze ans.

Une messe sera célébrée le 5 avril,à 14 heures, en l’église Saint-Joseph-des-Epinettes, Paris 17e.

7 bis, rue Lacaille,75017 Paris.

Juliette DARLE,poète,

est décédée le 16 mars 2013, à Paris.Un hommage lui a été rendu le samedi

23 mars, en la salle municipale de Méasnes(Creuse).

De la part deAndré,

son époux,Françoise,

sa fille,Coralie et Clélia,

ses petites-filles,Sa famille,Ses amis.D’une première rencontre avec Pablo

Picasso devait naître un livre avec poèmesde Juliette Darle et cinq dessins de l’artiste.Puis, parurent les entretiens de JulietteDarle avec Fernand Léger, (récemmentrepubliés dans un livre en Suisse), avecAlberto Giacometti, avec le peintreCorneille...

Parus aux éditions Seghers, les poèmesde Juliette Darle sont remarqués,notamment par Blaise Cendrars, PaulEluard, Edmond Jabès au Caire...

Louis Aragon écrit plusieurs textes pourprésenter la jeune poète.

Auteure d’une trentaine de livres et duManifeste pour un vibrato majeur, JulietteDarle aura, non sans originalité nipuissance, réintroduit l’heptasyllabe dansle vers français.

Avec André Darle, elle dirige unmagazine, anime de nombreux festivalsde poésie (par exemple « Poètes enSologne », pendant vingt-cinq ans,à Aubigny-sur-Nère) et réalise avecAlain Bosquet la première importanteexposition de poésie dans le métro,à Paris.

Dans la vie littéraire, il faut noter encorequ’elle préside chaque année la remise duPrix Tristan Tzara, prix fondé par AndréDarle et qui fit apparaître, entre autres,Michel Houellebecq, en 1992.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Olivier Corpet,directeur de l’Institut Mémoiresde l’édition contemporaine

Et l’ensemble du personnelde l’IMEC,ont la tristesse de faire part du décès de

Denise DAUPLÉ,née EPSTEIN,

survenu le 1er avril 2013.Denise Epstein et sa sœur

Elisabeth GILLE,(1937-1996),

avaient veillé sur l’œuvre de leur mère,Irène NÉMIROVSKY,

morte en déportation.L’IMEC, à qui ont été confiées les

archives de l’écrivain, s’associe à ladouleur de sa famille et de ses proches.

Denise EPSTEIN DAUPLÉnous a quittés le lundi 1er avril 2013.

Sa famille aurait tant aimé que ce soitune mauvaise blague... Il nous faudra doncapprendre à vivre sans elle.

Les obsèques auront lieu le vendredi5 avril, à 9 h 30, au crématorium dePamiers (Ariège).

Ni fleurs ni couronnes, simplementun caillou symbolique, c’était sa volonté.

Une deuxième cérémonie aura lieuà Paris par la suite.

Les Éditions DenoëlEt les Éditions Gallimard,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Denise EPSTEIN,survenu le lundi 1er avril 2013.

Elles s’associent à la douleur desa famille et de ses proches.

Mme Marguerite Gaudin-Morgan,son épouse

Et toute sa famille,

ont la douleur de faire part du décès de

M. André GAUDIN,

survenu la nuit du 29 mars 2013,dans sa quatre-vingt-huitième année.

La cérémonie religieuse sera célébréele lundi 8 avril, à 14 h 45, en l’églisedu Saint-Esprit, à Paris 12e.

Ni fleurs ni couronnes.

51, boulevard Soult,75012 Paris.

Mme Geneviève Gauthier,son épouse,

Amélie, Lucile, Clément et Etienne,ses enfants,leurs conjoints et leurs enfants,

font part du décès de

M. Philippe GAUTHIER,ancien professeur de l’EPHE

et membre de l’AIBL,

survenu le 29 mars 2013,dans sa soixante-dix-huitième année.

Une cérémonie religieuse aura lieule 5 avril, à 15 h15, en l’église Saint-Thaurin d’Evreux (Eure).

Ni fleurs ni couronnes.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Le président de l’Ecole pratiquedes hautes études,

Le doyen de la Section des scienceshistoriques et philologiques,

Les directeurs d’études et maîtresde conférences,

Les étudiants et auditeurs,

ont la tristesse d’annoncer le décès de

Philippe GAUTHIER,membre de l’Institut,

ancien titulaire de la direction d’études« Epigraphie et institutions grecques »,

survenu le 29 mars 2013,dans sa soixante-dix-huitième année.

Ils s’associent à la douleur dela famille.

Nous avons la douleur d’annoncerla mort de

Michel GOLDSTEIN,né le 19 juin 1919,

résistant de 1941 à 1944,ancien des maquis de l’Ain,médaillé de la Résistance.

Il fut un mari aimant. Nous l’aimionsinfiniment.

Nathalie et Claudine Goldstein,ses filles.

Vous pouvez associer à son souvenircelui de son épouse,

Madeleine,

de son frère,

Léon

et de sa sœur,

Fania FÉNELON.

France Walbaum,son épouse,SofiWalbaum,Patrick et Kaki Walbaum,Virginie et Pierre Guelman

ses enfants et leurs conjoints,Agathe, Anouk, Emma, Timothée,

Baptiste, Anouchka et Vassili,ses petits-enfants,

ont la tristesse d’annoncer le décès de

Gilbert WALBAUM,le 2 avril 2013.

La cérémonie religieuse aura lieuau temple d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), 4, rue Villars, le samedi6 avril, à 10 h 30.

Ni fleurs ni couronnes.

Stéphane Guignier,Antoine et Cherifa Guignier,Jean Guignier,

ses enfants

Ainsi que toute la famille,

ont la douleur de faire part du décès de

M. Robert GUIGNIER,survenu le 29 mars 2013,à l’âge de quatre-vingts ans.

Les obsèques seront cé lébréesle vendredi 5 avril, à 15 heures, en l’églisede Montfort l’Amaury (Yvelines).

L’inhumation aura lieu au cimetièrede la commune.

Cet avis tient lieu de faire-part.

Stéphane Guignier,69, avenue du Maine,75014 Paris.

Antoine et Cherifa Guignier,34 ter, rue de Dunkerque,75010 Paris.

Jeanne Maraval,son épouse,

Françoise Villiermetet Leonardo Fasciana,

Marie-Hélène et Michel Hédin,ses filles et leurs conjoints,

Caroline, Marc, Mathilde, Raphaël,Matthieu et Flavien,ses petits-enfants,

ont la grande tristesse de faire partdu décès de

Paul MARAVAL,chevalier de la Légion d’honneur,

officier dans l’ordre national du Mérite,

survenu le 1er avril 2013, à Paris,à l’âge de quatre-vingt-quatorze ans.

La cérémonie religieuse sera célébréele samedi 6 avril, à 9 heures, en l’églisede Saint-Salvy, commune de Lisle-sur-Tarn (Tarn), suivie de l’inhumation dansle caveau de famille, où il reposera auprèsde sa fille,

Anne MARAVAL,

disparue tragiquement,le 26 novembre 1972.

Une messe à sa mémoire sera célébréele mardi 9 avril, à 10 h 30, en l’égliseSaint-Lambert de Vaugirard, à Paris 15e.

52, rue Cambronne,75015 Paris.

Bernard MASSON,professeur émérite des Universités,

ancien directeurdu Pavillon Deutsch de la Meurthe,

Cité universitaire de Paris,

s’est éteint le 2 avril 2013.

Il avait quatre-vingt-huit ans.

Micheline Masson-Bussière,son épouse,

Maria Mateo,son auxiliaire de vie,

Ses cinq enfants,Ses douze petits-enfants,

leurs conjoints,Les familles Bussière et Masson,Ses amis,

s’unissent dans l’amour de Bernardqui leur a tant donné.

Une messe sera célébrée le jeudi11 avril, à 11 h 30, en l’église Notre-Dame-du-Travail, Paris 14e.

L’inhumation aura lieu le samedi13 avril, à 11 heures, au cimetière de Saint-Claude (Jura).

10, place de Séoul,75014 Paris.

André Sallé,son filset sa belle-fille, Isabelle,

Françoise Bouvatier,Claude Pétrequin,

ses sœurset leur famille,

Frédéric Mialetet Hélène Mialet-Wintroub,ses beaux-enfantset leur famille,

Caroline, Guillaume, Matthieu, Claire,ses petits-enfants,

ont la tristesse de faire part du décès de

Annie MIALET,survenu le 30 mars 2013,à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.

Les obsèques auront lieu le vendredi5 avril, à 10 h 30, au Temple duLuxembourg, 58, rue Madame, Paris 6e.

[email protected]

Mme Martine Martin, née Orsini,sa sœur,

M. Georges Martin,son beau-frère,

Mmes Maryline et Isabelle Orsini,ses filles,

Axel, Aurélie et Olivier,ses petits-enfants,

Les familles Tourteau, Torre,parents et alliés,

ont la douleur de faire part du décès de

M. Charles ORSINI,chevalier de la Légion d’honneur,

survenu le 29 mars 2013,dans sa centième année.

La cérémonie religieuse aura lieuvendredi 5 avril, à 11 heures, en l’église deCarticasi (Haute-Corse).

Cet avis tient lieu de faire-part et deremerciements.

Dominique et Yves Manach,Olivier et Marie-Laure Peyrat,

ses enfants,Ses petits-enfantsEt toute la famille,

ont l’immense tristesse de faire partdu décès de

Marie-Madeleine PEYRAT,née VINCENT,

survenu le 3 avril 2013,à l’âge de quatre-vingts ans.

La cérémonie religieuse sera célébréele lundi 8 avril, à 10 heures, en la paroisseNotre-Dame des Pauvres d’Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine),27, boulevard Galliéni.

L’inhumation aura lieu au cimetière deSaint-Sulpice-les-Feuilles (Haute-Vienne),à 16 h 30.

Talant (Côte-d’Or).

Jean-Paul Rey-Coquais,son époux,

Cyrille et Katrin Rey-Coquais,Monique et Bernard Salzmann,Odile et Pascal Malotti,

ses enfants,Jeanne-Solène, Côme, Delphine,

Paul, Adrian,ses petits-enfants,

Yvette Juvin,sa sœur,

ont la tristesse de faire part du rappelà Dieu, le 30 mars 2013, de

May REY-COQUAIS,née JUVIN.

La messe de funérailles sera célébréeen l’église Saint-Pothin, à Lyon (Rhône),le vendredi 5 avril, à 10 h 30.

L’inhumation aura lieu à 14 heures,dans l’intimité.

Le président de l’université Panthéon-Assas,

Ses collègues,L’ensemble du personnel,

ont la tristesse de faire part du décès deDenis TALLON,professeur émérite

de l’université Panthéon-Assas.Ils s’associent à la douleur de sa famille

et de ses proches, auxquels ils présententleurs plus sincères condoléances.

Docteur en droit, agrégé de droit privé,Denis Tallon a été doyen de la Facultéde droit de Nancy, avant d’être nomméà l’université Panthéon-Assas où il a dirigél’Institut de droit comparé. Spécialistemondialement reconnu de droit comparé,notamment du droit des contrats,il a eu une part déterminante à l’élaborationdes « Principes européens du droitdes contrats ».

La cérémonie religieuse aura lieule vendredi 5 avril, à 14 heures, en l’égliseSaint-Albert-le-Grand, 122, rue de laGlacière, Paris 13e.

Les condoléances peuvent ê t reenvoyées au 8, boulevard Jourdan,75014 Paris.

Anniversaires de décès

Le 5 avril 1987,Philippe AYDALOT

nous quittait.Une pensée est demandée à ceux

qui l’ont connu et aimé.Laïli,

son épouse,Marion,

sa fille.

Il y a trois ans, le 5 avril 2010,Josephte HIDALGO-PESSEY

s’en est allée.Elle est toujours présente en nos cœurs

et nos pensées.Alex, Rudolph et Pierre.

« Il n’y a pas d’autre mortque l’absence d’amour. »

René Barjavel.

Colloques

Colloque du Collège des Études juivesde l’Alliance israélite universelle« La quête d’égalité et la justice »avec Isabelle Cohen de Castelbajac,Janine Elkouby, Rivon Krygier,

Shmuel Trigano, Michaël Wygoda,Jean-Pierre Winter.

Dimanche 14 avril 2013,de 10 h 30 à 18 heures,

accueil à partir de 10 heures.Auditorium

du Centre Alliance Edmond-J.-Safra,6 bis, rue Michel-Ange, Paris 16e(métro Michel-Ange Auteuil).

Inscription sur place - (PAF.) : 20 €.(demandeurs d’emploi 15 € ;

étudiants 5 €).Pour en savoir plus : www.aiu.org

L’Europe ! Et demain ?Avec des intervenants prestigieux :

Miguel Angel Martínez,Elisabeth Morin-Chartier,

Jean-Marie Cavada,Ghaleb Bencheickh,

Axel Krause, Monique Castillo,Alexandre Adler, Bernard Guetta,Anne-Pascale Vitale, Zheng Ruolin,Antoine Sfeir et Patricia Allemonière.

Samedi 6 avril 2013,de 9 h 30 à 12 h 30 :

« L’Europe : état des lieux »,de 14 h 30 à 17 heures :« Quel message de paix

pour le reste du monde ? ».Entrée libre et gratuite.

Palais Brongniart,28, place de la Bourse, Paris 2e.

Métro : Bourse ou Grands Boulevards.www.gldf.orgwww.glff.orgwww.gltso.org

Conférences

Cycle de conférences débatsRendez-vous de crise

Les nouvelles inégalitésle lundi 8 avril 2013,

de 19 heures à 21 heures,avec Christian Baudelot,François Bourguignon

et Bénédicte Zimmermann.EHESS, 105, boulevard Raspail, Paris 6e.

Entrée libredans la limite des places disponibles.

Programme et inscription :http://www.ehess.fr/le-travail-dans-tous-

ses-etats

Institut d’études de l’Islamet des sociétés du monde musulman

(IISMM-EHESS)et le Collège de France :

conférence publique, le 9 avril 2013,18 heures - 20 heures,

Hassan Rachik,« Usage politique de l’islamet sécularisation au Maroc ».

EHESS-amphithéâtre,105, boulevard Raspail, Paris 6e.

Contact : 01 53 63 56 02.Entrée libre.

Débat

L’Institut Pierre-Mendès-Franceorganise le lundi 8 avril 2013,

à 17 heures, à la mairiedu 3e arrondissement de Paris,

2, rue Eugène-Spuller,une rencontre débat avec Jacques Julliard

et Pascal Perrineauà propos du livre de J. Julliard

Les gauches françaises.Inscription au 01 44 27 18 80ou [email protected]

Etudiants en lettres et sciences humaines,participez à la 7e éditionde l’Opération Phénix.

Venez nombreux au Forum Phénix,mardi 9 avril 2013,

entre 10 heures et 18 heuresà la Cité internationaleuniversitaire de Paris,

17, boulevard Jourdan, Paris 14e.

Vous pourrez découvrirl’opération Phénix,

les emplois qu’elle propose,échanger avec de grandes entrepriseset rencontrer votre futur employeur.

Communication diverse

Deux associations recherchent mécènes,désireux de s’investir dans des projets

à forte valeur humaniste.Pas sérieux, s’abstenir.Envoyer courriel à :

[email protected]

Forums

France Culture Forum :l’année vue par... l’histoire

samedi 6 avril 2013,de 9 h 30 à 18 h 45,

Grand amphithéâtre de La Sorbonneà Paris.

5 tables-rondes exceptionnelles animéespar l’équipe de La Fabrique de l’histoireavec notamment Jean-Noël Jeanneney,Patrick Boucheron, Fabrice d’Almeida,Claude Gauvard, Nicolas Offenstadt,Jean Rouaud, Annette Wieviorka

et Michel Winock.Entrée libre sur inscription à

[email protected] 01 56 40 37 53.

Programme détaillé sur franceculture.fr

En partenariat avecLe Nouvel Observateur

et l’université Paris Sorbonne

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Page 27: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

0123 est édité par la Société éditrice du «Monde » SADurée de la société : 99 ans à compter du 15décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).Rédaction 80, boulevardAuguste-Blanqui, 75707Paris Cedex 13Tél. : 01-57-28-20-00Abonnements par téléphone : deFrance 32-89 (0,34¤TTC/min) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 Tarif 1 an :Francemétropolitaine : 399¤Courrier des lecteurs:par télécopie : 01-57-28-21-74; Par courrier électronique: [email protected]édiateur:[email protected]: site d’information:www.lemonde.fr ; Finances : http://finance.lemonde.fr ; Emploi : www.talents.fr/Immobilier: http ://immo.lemonde.frDocumentation:http ://archives.lemonde.frCollection: LeMonde surCD-ROM :CEDROM-SNI01-44-82-66-40LeMondesurmicrofilms : 03-88-04-28-60

E t toi, tu faisquoià tonbureau?» Je travaille, ai-jeréponduàmonfils.«Etre sur

Internet toute la journée, c’est tra-vailler…mouais», a-t-il ironisé,unbrinprovocateur, lui quinepeututiliserordinateuret consolesdejeuqu’aucompte-gouttes.

Etquitteà enfoncer le couteaudans laplaie, l’éditeurdesolutionsdeproxyet de filtrageOlfeoestbien loindemesprouessesquoti-diennes. Selon les résultatsdesonétudesur la«réalitéde l’utilisationd’Internetaubureau», unemployéapasséuneheure trente-septpar jourà surfer sur Internetdepuisson lieude travail en2012(huitminutesdeplusqu’en2011),dontcinquante-septminutes àdesfinspersonnelles.Misesboutàbout, celles-ci représentent5,7semainesdecongésenplusparan, soit l’équivalentd’unepertedeproductivitéde 13,6%pour l’entre-prise (bit. ly/SDlXoe).

«C’est legenrede statistiquesquimetencolère», estime Jean-PierreGauffredans sachronique«Il étaitunemauvaise foi» sur France Info,car«quandonmultipliepar lenombrede joursde travail, entenant comptede la semainedes35heureset desRTT, çanous faitquatreheuresquarante-cinqparsemaineà se commanderdessushis en ligne, à chercherunappart surSe Loger, àacheterunepoussette surLeBonCoin etàmet-tre en ligne surFacebooksaderniè-re soiréed’anniversaire».

Selon le classement publié surBlogdumoderateur.com, les trio detêtedes vingt sites lesplus visités aubureau sont Facebook, YouTube etWikipédia, leBonCoin est à la6epla-ce, eBayà la 16e etAmazonà la 19e.

L’usagepersonneld’Internetaubureaus’accroîtmêmed’annéeenannée, en raisonnotamment«d’uneactualitépolitique, sportiveetde faits divers riche», les tran-cheshoraires lespluspropices àcette activité se situantentre12heures et 15heureset àpartir de17heures.Mais «rappelonsaussiqu’endehorsdeshorairesde tra-vail, les employés consultentdeplus enplus leurs e-mailsprofes-sionnelsdepuis leur domicile,répondentàdes coupsde fils declients et rapportentdesdossiersàlamaison», relativise le siteModesrh. com.

«L’utilisationà titrepersonneld’Internetnedoit pas se faireau-delàd’undélai raisonnable, rap-pelle le site Juritravail. com, et lessites consultésavoirun contenucontraireà l’ordrepublic et auxbonnesmœurs, selon la CNIL.»Enfin,«l’arrêtNikona consacréundroit àunevieprivée sur les lieux etpendant les tempsprofessionnels»,soulignentLesCahiersduDRH(«L’Internet aubureau: interdireouencadrer?», bit. ly/10vBTI6).

Je vois déjà seprofiler les grossabotsdemonfils: «Maman, onpeutdonc surferdepuis sondomici-le sansaucunecontrainte.Aprèstout,moi, je n’ai pasdebureau…Vapouruneheure trente-septparjour?» p

[email protected]

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New DelhiNew YorkPékinPretoriaRabatRio deJaneiroSéoulSingapourSydneyTéhéranTokyoTunisWashingtonWellingtonOutremerCayenneFort-de-Fr.NouméaPapeetePte-à-PitreSt-Denis

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Poitiers

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Samedi

Vendredi 5 avril05.04.2013

65 km/h

80 km/h

25 km/h

55 km/h

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Irène53

Buenos Aires retour de larges éclaircies sur capitale argentine

En Europe12h TU

Une dépression restera positionnée sur laFrance. Elle occasionnera des retours d'estpluvio-neigeux sur le quart Nord-Ouest dupays, avec notamment de la neige qui semêlera souvent aux gouttes de la Bretagneà la Normandie, avec localement unecouche au sol ! Un ciel d'averses seraégalement présent de l'Aquitaine auxAlpes, et il pleuvra dans le Centre. Plus auNord et à l'Est, c'est en revanche un tempsplus sec et lumineux qui s'imposera.

Coeff. demaréeLeverCoucher

LeverCoucher

Neige dans le Nord-Ouest !

Aujourd’hui

C’est tout Net ! | chroniqueparMarlèneDuretz

Internetsouscontrainte

Horizontalement Verticalement

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

Solution du n° 13 - 080HorizontalementI. Avant-coureur. II. Boléros. Elée.III. Sil. Isabelle. IV.Otages. Ilien.V. Lutines. Sp.VI.Ur. Tt. Oh. SPA.VII. Tête. Iceberg.VIII. Ite. Usina.OE. IX.Otton. Arrêté.X.Neutralistes.

Verticalement1. Absolution. 2. Voiturette.3. Allât. Têtu. 4.Ne. Gîte. Ot.5. Trient. UNR. 6. Cosse. Is. 7.Osa.Social. 8. Bi. Henri. 9. Réels. Bars.10. Ellipse. Et. 11.Uélé. Prote.12. Réengagées.

Philippe Dupuis

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 1 12

1.Descendre trop et trop vite.2. Fais preuve de passion. Prière.3. Possessif. Impose crainteet silence. 4. Couvre-chef. Surla table au petit déjeuner.5. Structure universitaire. On lesretrouve chez le géant qui aère.6. Prennent des hauteurs.Paresseux. 7.Met le cruciverbisteen rogne. Maman de Zeus.8. Réaction allergique. Garde lesbandes. 9. Personnel. Augmentaide volume. 10.Des plumes pour leplume. Négation. 11.Héros de laguerre de Troie. Cran de laceinture. 12. Approcheraient desdoigts.

I.Un début souvent peu précis.II. Tout tournera autour d’elle sielle est solide. En réalité. III. Alliezbeaucoup trop vite. Ouverturematinale. IV. S’éloigne de la vérité.Se retrouvera sur les rayons deslibrairies.V. Ile de France. Fin pourRobespierre et pour les homards.VI. Service dû au suzerain.Absorbera.VII. Peintre italienvenu à Fontainebleau. L’argon.VIII.N’atteint pas lamoyenne.Forme d’avoir. Roule en piste.IX. Passa à autre chose. Friandised’hier, très agréable aujourd’hui.X. Arriveraient à un très bonrésultat.

météo& jeux écrans

Jeudi4avrilTF1

20.50 Section de recherches.Série. Belle àmourir. Far Ouest (S7, 11 et 12/16,inédit)U ; Ciel de plomb (saison 4, 8/14).23.40 Les Experts : Miami.Série. Plus dure sera la chute. Œil pour œil(saison 1, 1 et 14/24, 95min)V.

FRANCE2

20.45 Envoyé spécial.Magazine. Drogues de synthèse : la nouvellemenace ; Les Héritiers de Columbine...22.15 Complément d’enquête.Où sont les hommes ? Magazine présentépar Benoît Duquesne23.15Grand public (95min).

FRANCE3

20.45 Seul au mondepp

Film Robert Zemeckis. Avec Tom Hanks,Helen Hunt, Chris Noth (Etats-Unis, 2000).23.10Grand Soir3.0.20 L’Ombre d’un doute.Le Louvre, palais du pouvoir (110min).

CANAL+

20.55 Scandal.Série. Solidarité féminine. Ruptures(S1, 3 et 4/7, inédit). Avec Michael CassidyU.22.20Nurse Jackie.Série. Bienvenue en enfer. Ça va mieux ?(S4, 1 et 2/10, inédit). Avec Edie FalcoU.23.15 The Office.Série. L’Inauguration. Dernier jour en Floride(saison 8, 17 et 18/24, inédit, 45min).

FRANCE5

20.40 La Grande Librairie.Magazine. Invités : Joann Sfar, Michèle Lesbre,François Lelord, Denis Grozdanovitch.21.40 Santorin et le mythede l’Atlantide. Documentaire.22.30 C dans l’air. Magazine.23.40 Entrée libre. Magazine (20min).

ARTE

20.50 Real Humans.Série (saison 1, 1 et 2/10, inédit).22.50 Secrets de longévité.23.45 Jemarcherai jusqu’à lamer.Documentaire (55min).

M6

20.50 Body of Proof.Série. Partie de chasse. L’Enfant perdu.Le Ressuscité. Fashion victime. Portrait defamille (S2, ép. 2 à 4 et 6 et 7/20, audiovision)U.1.00 66minutes. Magazine (75min).

Sudokun˚13-081 Solutiondun˚13-080Vendredi5avrilTF1

20.50Qui veut gagner desmillions?Spécial Sidaction. Jeu.23.15 Vendredi,tout est permis avec Arthur (110min).

FRANCE2

20.45 Les Petits Meurtresd’Agatha Christie.Meurtre au champagne. Téléfilm. Eric Woreth.Avec Samuel Labarthe (France, audiovision).22.15 Ce soir (ou jamais !).0.15 Taratata. Dance floor (80min).

FRANCE3

20.45 Thalassa.La Mer dans tous ses états : Pêcheurs de l’extrême.23.30Météo, Soir3.0.05 La Case de l’oncle Doc.La Paix du Golfe. Documentaire (2012, 50min).

CANAL+

20.55Men in Black IIIpFilm Barry Sonnenfeld. Avec Will Smith, TommyLee Jones, Josh Brolin (EU, 2012, Audio.)U.22.40 Chroniclepp

Film Josh Trank. Avec Dane DeHaan, AlexRussell, Michael B. Jordan (EU, 2012)V.0.00 Lock outFilm James Mather et Stephen St Leger. AvecGuy Pearce, Maggie Grace (Fr., 2012, 95min)V.

FRANCE5

20.40Onn’est pas que des cobayes!Magazine. Un passager peut-il poser un avionde ligne ? Nos cobayes en 1913...21.30 Empreintes.Françoise Barré-Sinoussi, un prix pour la vie.22.30 C dans l’air. Magazine.23.40 Entrée libre.Spécial Sidaction. Magazine (20min).

ARTE

20.50 Vent d’ouest.Téléfilm. Robert Thalheim. Avec FriederikeBecht, Luise Heyer (All. - Hongr., 2011).22.20 Vivre en positif. Documentaire.23.15Main basse sur une île.Téléfilm. Antoine Santana. Avec FrançoisBerléand, Alexandre Steigner (Fr., 2010, 80min).

M6

20.50NCIS : Los Angeles.Série. Le Projet Sinclair [1 et 2/2] (S4, épisodes5 et 6, inédit)U ; Sacrifice. Le Loup solitaire(S3, 5 et 6/24)U. Avec Chris O’Donnell.0.05 Sons of Anarchy. Série.Le Règne de la violence (S5, 1/13, 45min)W.

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DifficileCompletez toute lagrille avec des chiffresallant de 1 a 9.Chaque chiffre ne doitetre utilise qu’uneseule fois par ligne,par colonne et parcarre de neuf cases.

Lesjeux

Loto

La reproduction de tout article est interdite sans l’accord de l’administration. Commission paritairedes publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN0395-2037

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Imprimerie du « Monde »12, rue Maurice-Gunsbourg,

94852 Ivry cedex

Toulouse(Occitane Imprimerie)

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80, bd Auguste-Blanqui,75707 PARIS CEDEX 13Tél : 01-57-28-39-00Fax : 01-57-28-39-26

Président : Louis DreyfusDirectrice générale :Corinne Mrejen

270123Vendredi 5 avril 2013

Page 28: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

Société éditrice du«Monde»SAPrésidentdudirectoire, directeur de la publication Louis DreyfusDirectricedu«Monde»,membredudirectoire, directrice des rédactionsNatalie NougayrèdeSecrétaire générale dugroupe Catherine JolyDirecteursadjointsdes rédactionsSergeMichel, Didier PourqueryDirecteurséditoriauxGérardCourtois, Alain Frachon,Sylvie KauffmannRédacteursenchefEric Béziat, Sandrine Blanchard, LucBronner, Alexis Delcambre,Jean-Baptiste Jacquin, JérômeFenoglio,Marie-Pierre Lannelongue («MLemagazine duMonde»)FrançoiseTovoChefd’édition ChristianMassolDirecteurartistiqueAris PapathéodorouMédiateurPascalGalinierSecrétairegénéralede la rédactionChristine LagetDirecteurdudéveloppement éditorial FranckNouchiConseil de surveillancePierre Bergé, président. Gilles vanKote, vice-président

Unbronzesansâme,descœursdepierreLettred’AfriqueSébastienHervieu

L es premiersmois, Sizakele Simelanerefusait de remettreunpieddanscet endroit de la ville. Apercevoir la

silhouettede cette statue, voir sa fille,debout sur ce socle, regardant au loin, lesyeuxperdusdans l’horizon, lui faisaittropmal. Elle n’avait jamais eu le droit dese recueillir sur une tombe, et voilà qu’onlui érigeait unbronze sans âme.

Ces«gensdugouvernement»voulaient«honorer», en 2009, lamémoiredesafille,Nokuthula,mais ilsn’avaient riencomprisà ladouleurd’unemère.Devait-elle encore leur redireque, chaquesoiravantdes’endormir, sadernièrepenséecontinued’allerà sonenfantperdu?Quedepuis troisdécennies, à l’aube, auzénith,aucrépuscule,unequestionn’ade cessede lahanter: qu’est-elledevenue?Coincéeentredeuxrubansdebitumedans le cen-tredeBethal,unevilleprovinciale situéeà

deuxheuresde routeà l’estde Johannes-burg, la sculptureauxpiedsnus tientdanssamaindroiteunepaired’espadrilles.«Jerentreà lamaisonacheterdes chaussurespourmacérémoniede remisedediplô-me.»Ce furent lesderniersmotsde sa fillerapportésà Sizakele.

Nokuthulaétait alorsà l’universitéduSwaziland, cepetitpays jouxtant l’AfriqueduSud, etvenaitd’yachever ses étudesensciencessociales.C’était en 1983. Elle avait23ans.Depuis, Sizakelene l’a jamais revue.

Elle connaissait sonautrevie. A l’adoles-cencedéjà, la jeune fillepestait souventcontreces règles, ces loisqui rejetaient lesNoirs.Alors, dès ses 19ans,Nokuthulas’étaitmiseau servicede la lutte, avaitrejoint les rangs clandestinsduFerde lan-cede lanation,UmkhontoweSizwe, labranchemilitaireduCongrèsnationalafri-cain (ANC).Cene futpasellequiplaçaen

1980les explosifssur la raffineriedepétro-ledeSasol àSecunda, àune trentainedekilomètresdeBethal.Mais c’est ellequis’arrangeapour fairecacherdans lesalen-tours ces«terroristes», commelesquali-fiait le gouvernementde l’apartheid.

Samère savait que lapolice la traquait.Sa fillepensait à l’exil.«Je t’appellerai,m’avait-elledit,alors après sadisparition,j’aiattenducecoupde téléphone.»Envain.

En 1988, elle se rend jusqu’auBotswana,paysvoisin. En 1992, elle se rendà Johan-nesburg,ausiègede l’organisationde libé-ration.Achaquefois, des cadresde l’ANCluipromettentdemenerdes recherches.Elle laisse sonnuméro.Elle attend.Onnela rappellepas.

Aprèsavoir luunarticledans le journal,c’est finalementunpoliciernoirqui sepré-senteà saporteaumomentoù l’AfriqueduSudcélèbre sespremièresélectionsdémocratiques,en 1994. Il se souvientdeNokuthula.C’était le8septembre1983.Lorsdecetteopérationà laquelle il partici-pe, elle est enlevéeà Johannesburg,puisconduitedansune ferme.Elley sera tortu-réependantplusieurssemaines.A-t-elleété tuée? Sansdoute.Qu’estdevenu lecorps? Ilne saitpas.

Commequatredes sept autrespoliciersimpliqués, il obtiendra l’amnistieaprèsavoir confessépubliquementsoncrimeauprèsde la commissionVérité etRéconci-liation (1996-1998).Mais lesdemandesdestroisautres sont rejetées. Ilsn’enontpasditassezalorsqu’ils connaissentprobable-ment le sort réservéàNokuthula.

Il estprévudans les textesque la jus-ticeprenne le relais.Quecespolicierssoientpoursuivis, et éventuellementcondamnés.Mais jusqu’àaujourd’hui,aucuneavancée. En janvier, la sœurdeNokhutuza,ThembiNkadimeng, aunenouvelle fois relancé leparquet sud-afri-cain. Sans succès.«Unenquêteurm’amêmeproposédenégocier directementavec les trois suspectspourqu’ils révèlentle lieuoù se trouve le corpsdema sœurenéchanged’unengagementdenotrepart ànepas les poursuivre.» La famille refuse.«Nous leur avonsdéjà offert l’opportunitéd’être sincères, pourquoidevrions-nousencore fairedes efforts alors qu’ils conti-nuentànous faire souffrir?»

A lami-mars, les corps supposésdedeuxmilitants anti-apartheid, disparusen 1988, ont été exhumésau cimetière deSoweto. L’opérationa été fortementmédiatisée car les familles accusent l’ex-femmedeNelsonMandela,WinnieMadi-kizela-Mandela, d’être responsablede

leurmort. La grandemajoritédes 350dos-siers qui ont été transmis à la justice sud-africainen’ont toutefois à ce jour jamaisété traités.

LacommissionVérité etRéconciliationavait aussipermisà 16500Sud-Africains,reconnuscommevictimes,de recevoirchacunenviron3000eurosau titredecompensation.Mais ils sontplusde85000àavoir rejoint l’associationKhulu-manipourdemander réparation.«A l’épo-que, laplupartde cesgensn’ontpas euaccèsà laCommission,mais ils sontaussimeurtrisdans leur chair, rappelle la respon-sable,Marjorie Jobson.Nousenvoyonsencoreet encoredesdemandesaugouver-nement, l’ANCn’ena cure.»

Commentexpliquerce travail inache-vé?«Il yaunmanqueévidentdevolontépolitique, estimePiersPigou,unancienenquêteurde laCommission.L’ex-prési-dentThaboMbeki étaithostile à cette idéedeNelsonMandela, car elle criminalisaitaussi les violationsdesdroitsde l’hommepar l’ANCcommises sous l’apartheid, etaujourd’hui, JacobZuma jugequec’estuneaffaireclose.»

Ceserait doncde l’histoireancienne.Allez ledireà SizakeleSimelane.«Justeavantdedécéder,monmaripleurait car iln’a jamais sucequ’étaitdevenuenotrefille. J’ai 72ans, j’aimerais tellementmourirenpaix.»Dans la rue, elle aussi a lesyeuxqui seperdentdans levide.«Sans la vérité,cette statuen’aaucunsenspourmoi.» p

[email protected]

I l y ades joursoù laviene res-semblepasàunfilmdeWoodyAllen– jeveuxparlerdes films

«roses»de l’Américain, en repre-nant la classificationcoloréequ’ap-pliquait JeanAnouilhà soncatalo-guedepièces– et le seulmoyendefairepasser cettepotionamèrequ’est la sinistre comédiehumai-neest justementde regarderunecomédiedugrandnévrosénew-yorkais. (Nous sommestousdesnévrosésnew-yorkais.)

Cela tombebien: à l’issuede laterrible journéedu3avril, entredéclarationstonitruantes, appels àladémissionet chahutmonstreàl’Assembléenationaleausujet ducas JérômeCahuzac, lehasardheu-reuxdesprogrammationsfaisaitqu’Arteproposait l’undes récentsfilmsdeWoodyAllen,WhateverWorks («Tantqueçamarche»,2009).Ce long-métrage,dont letitre sembleunéchoàceluide lacomédiemusicaleAnythingGoes(1934),deColePorter, estunopusmineurprobablement.MaisunopusmineurdeWoodyAllensedégustecommelepetitmillésimed’ungrandcru.

BorisYellnikoff, le personnageque joue le comédienLarryDavid– l’auteuretproducteurde lafameusesitcomaméricaine«Sein-feld»et le personnagecentrald’unesériehilarantede la chaîneàpéageaméricaineHBO,«CurbyourEnthusiasm»–, estunrancide lavie, qui a àpeuprès tout raté,sonmariage, sonprixNobel etmêmesonsuicidepuisque, sau-tantpar la fenêtre, il atterrit sur lacanopéequiprotège l’entréedeson immeubleduLowerEast SidedeManhattanet s’en tire avecunejambeboiteuse.

Eructantavecune joyeusehainesesméprispour labassessedel’âmehumaine, l’avidité et la cor-ruptiondespoliticiens,Boris entre-tient samisanthropieenne fré-

quentantque lapoignéed’amisqu’il tolèreouenrestant chez lui àfaireouàécouterde lamusiqueclassique. Jusqu’au jouroùunejeunefugueusevenuedesaprovin-ce l’abordeenbasdechez lui, luidemanderefugeet finitpardeve-nir sa femme.

WhateverWorksestunesortedeThéorème (PierPaoloPasolini,1968) inversé: lesvisiteurs sonttransformésune fois le seuil del’appartementdeBoris franchi: lajeunesotte sedécille et s’éprendbientôtd’ungarçondesonâge etsesparents, venusà sa recherche,se réinventent: lamère,bigoteetcoincée, libèresespulsionsartisti-ques, changede looket s’installeavecdeuxhommes tandisquesonpèrese rendcomptequecequ’ilcroyaitêtrede l’impuissance

sexuellen’était que le résultatdesondésir réprimépour leshom-mes.

Boris lui-mêmefinitpar tom-ber, ausens littéral, sur labonnepersonnepuisque, tentantunsecondsuicide, il voit sa chuteamortiepar la femmesur laquelleil atterrit enbasdeson immeubleetqu’il épousera, sortantenfindesahautainesolitude.Un tourdepasse-passeavec grosses ficellesapparentesethappyendingdeconventioncommelesaimeet lesmitonneavecgourmandiseWoo-dyAllen.

EnpleineaffaireCahuzac,Arteosera-t-elleprogrammerEscrocsmaispas trop (2000), autredélicemineurdugrandcinéaste? p

UnopusmineurdeWoodyAllen

sedégustecommelepetitmillésimed’ungrandcru

Depuistroisdécennies,àl’aube,auzénith,au

crépuscule,unequestionnecessedehanterSizakeleSimelane:qu’estdevenuesafille,Nokuthula,disparueen1983,à l’âgede23ans?

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C’estàvoir… | chroniqueécranspar RenaudMachart

Tantqueçamarche

pTirage duMondedaté jeudi 4 avril 2013 : 322 641 exemplaires. 2

28 0123Vendredi 5 avril 2013

Page 29: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

Leplaisirdel’hypertexte

p r i è r e d ’ i n s é r e rBarbey, l’électriqueSes romans,bien sûr, en témoignent.Mais savivecorrespondanceavecsongrandamiTrébutien,quivientdeparaître, leprouve: JulesBarbeyd’Aurevillyest l’électron librede la littérature françaiseduXIXesiècle

Jean Birnbaum

CécileGuilbert

Marre de vous ennuyer,de trouver tout blêmeet décoloré à force depatauger dans la crise?Marre de la mollesse,de la tiédeur, du man-

que général d’enthousiasmeoù ne surna-gent plus que les rabâchages d’arrivismeset la voracité ploutocratique? Voici, avecla parutionconjointedesRomansde JulesBarbey d’Aurevilly dans la collection«Quarto» et de ses Lettres à Trébutien,2500 pages emportées de désirs, de pas-sions,derêves,desensations.Hérisséesdeliberté et de panache. Un grand bol d’air.Dequoi vous requinquerd’ici l’été.

«Versons de l’eau-de-vie sur ce siècled’eau sucrée», demandait Flaubert. Bar-bey d’Aurevilly (1808-1879) l’a devancé:«Je n’écris jamais qu’inflammatoirement,comme les tissus s’enflamment pour reje-ter les échardes qui nous sont entrées dansla chair.»De ce tempérament de bretteurréfractaire hors du commun, toutel’œuvre – romans, nouvelles, articles, let-tres – porte le sceau écarlate. Bonne nou-velle : si la France pouvait compter Vol-taire, Sade, Flaubert et Céline parmi sesplusgéniauxépistoliers, il fautdésormaisélargir le podium à l’auteur des Diaboli-ques. Exceptionnelles par leur style, leurdensité, le fourmillement d’informationssursoninspirationetsesméthodesdetra-vail,sesambitionsetsesdésillusions, l’his-toire et les mœurs du XIXesiècle, ses 389lettres à Guillaume-Stanislas Trébutien(1800-1870) dessinent à la fois un formi-dable autoportrait et l’histoire d’une sin-gulière amitié.

Barbey est né à Saint-Sauveur-le-Vi-comteetTrébutienàFresney-le-Puceux.Aleur manière, ces noms disent tout. Carriende communapriori entre le premier,nobliau monté à l’assaut de Paris pours’enivrer en dandy de femmes, d’alcool,d’opium, de fêtes, et le célibataire provin-cial issu d’un milieu modeste qui tientcabinet de lecture à Caen tout en vivantavecsamère, catholiqueaustèreà la santéprécairequi serabibliothécaireàvie.Maisvoilà, si leurs tempéramentset leurs ryth-mesdivergent, leurpassionpartagéepourla littératureet laNormandiesouderaleuramitié de trente ans.

D’autant que s’ils se rencontrent en1830 quand Barbey n’est encore rien, ildeviendrapeuàpeuquelqu’unavec l’aidede son aîné. Car premier lecteur, éditeurminutieuxdeseslivresrefusésàParis,cor-recteur d’épreuves expert en «lynxeries»,mais aussi copiste de ses manuscrits,archivistedesaproductionjournalistiqueet documentaliste,Trébutien lui est indis-pensable: «Vous êtes mon fourrageur defaits, mon érudit attitré.» En effet, bienquel’écrivainrevienneplusieursfoisdansson pays natal pour le transfigurer dansdes romans hantés par les transgressionsérotiques qu’inspire le diable, Trébutienlui a permis de se documenter à distanceen vue d’écrireUne Vieille Maîtresse, L’En-sorcelée, Le ChevalierDes Touches.

Signant très vite «votre ami pour lavie» ou «un ami comme vous n’en avezpas deux», il est peu dire que Barbey al’amitié exigeante et toujourspressée. Luiintimant toutes sortes d’ordres à l’impé-

ratif («écrivez et envoyez immediatly»,«répondez vite et long», « imprimez»), ill’aimesincèrementmaisl’exploite, le louetoujours mais le harcèle – de demandes,de questions, de services. Sesmanières desefairepardonnerdeviennentalorssavou-reuses.Commes’ils étaientmariéspour lemeilleur et pour le pire, Barbey leur fai-santd’ailleurs incarnerla femmeàtourderôle dans leur drôle de couple. Ainsi : «Jevous demande pardon de mes éternelles

demandes, mais n’avez-vous pas prischarge d’âme enm’aimant?»Mais aussi :«Vous êtes pour moi un oreiller de satinrose orné de dentelles sur lequel j’endorstousmes scrupules,maissur lequel (jevousle jure)monamitié nedormira jamais.»

Pour le reste, ces causeries monologi-ques, écrites «à la volée sans relire» etmenées «avec la rapidité de la foudre», serévèlent étincelantes, venues en droiteligne d’un art de la conversation né auXVIIIesiècle dont Barbey adorait la viva-

cité et le staccato nerveux. « Je vous écriscomme on se précipite du haut d’unetour», avoue-t-il à Trébutien. Et s’il avaitété le grand écrivain de la vitesse bienavantPaulMorand?

Parmi cent exemples, le morceau debravoure de la folle cavalcade suicidairede Néel de Néhou ayant enivré ses pur-sangdansUnprêtremarié :«Il avaitpris lefouet et il en cinglait les bêtes électrisées,dont les pieds étaient huit éclairs (…). Ceuxqui le virent emporté ainsi à travers toutdirentquecen’étaitplus làunevoiture,deschevaux,unhomme,mais une trombe, untourbillon,unefoudrequirayonnaitenzig-zags meurtriers à travers l’espace, sifflantet embrasé.» «Il a un talent d’enragémaisje ne veux pas qu’il foute le feu dans maboutique», avait argué François Buloz,patrondeLaRevuedesdeuxmondes,pourluirefusersescolonnesqueBarbeycompa-rait, il est vrai, à«un champdenavets». Lefeu ou les navets? Le choix est vite fait :relisezBarbey.p

8aLe feuilletonEric ChevillardremercieGrégoireDelacourt

6aHistoired’un livreTaches de soleil,ou d’ombre,de PhilippeJaccottet

aGrande traverséeApprentissages de la déchéanceLa littérature et le SDF:deux romans et un recueilde chroniques.Entretien avec le sociologue SergePaugam à propos de Des pauvresà la bibliothèque

4aLittératureMark Greene,Umberto Eco

10aRencontreKent Andersonaffronteses démons

Sous le titre LaGrande Etrangère,les éditions de l’EHESS font paraîtreplusieurs interventions inédites queMichel Foucault consacra à la littérature(«Audiographic», 224p., 9,80¤). Il faudrarevenir sur ce précieux volume,maiscitons dèsmaintenant une conférenceprononcée à Bruxelles en 1964, où lephilosophe résumed’un trait l’histoiredes relations entre le livre commesupportmatériel et la littérature commeliberté. Temps 1 : la littérature se passetrès bien du livre, y compris plusieurssiècles après son invention technique.Temps 2: le livre, qui ne fut longtemps«qu’une occasionmatérielle de fairepasser du langage»,devient le lieumêmede la littérature. Depuis lors, trancheFoucault, «dans la littérature il n’y aqu’un sujet qui parle, un seul parle, et c’estle livre (…), cette chose dans laquelle Sadea été, vous le savez, enfermé, et danslaquelle nous autres, nous sommes aussienfermés».

Près d’un demi-siècle plus tard,on en est toujours là. Voyez La Conditionnumérique, essai cosigné parJean-François Fogel et Bruno Patino(Grasset). Si nous avons décidé d’enpublier les bonnes feuilles (lire page5),cen’est pas seulement parce qu’il éclaired’une belle lumière lesmutationsvertigineuses que nous vivons tous.C’est aussi parce que cette réflexion surl’univers d’Internet, les auteurs ont tenuà l’inscrire dans lemondedu livre.D’abord en choisissant d’en publier un,alors qu’ils auraient pu opter pour uneautre forme. Ensuite en donnant àchaque chapitre le titre d’uneœuvrecélèbre : «Vie et destin», «L’écumedes jours» ou encore «Lesmots et leschoses» – et revoilà Foucault.

Bienplus, Fogel et Patino abordentpresque chaque question à l’horizond’une référence savante ou littéraire :sous leur plume,VladimirNabokovenvoie des tweets, David Lodge théorisele blog, RolandBarthes est le roi duréseau. Comme si notre cyberespace nepouvait livrer sa vérité qu’au sein del’espace livresque, là où le triompheducoden’entamepas le plaisir du texte, oùla démultiplication frénétique desformes intensifie lamémoire longue,l’hypersouveraineté de l’écrit.p

2 3

7aEssaisComment fairede l’histoireaujourd’hui?Quinze jeuneshistoriens ontrépondu

9aBandedessinéeLastman :avènement dufranco-manga

5aBonnesfeuillesLa Conditionnumérique,de Jean-FrançoisFogel etBruno Patino

Ces causeries écrites«à la volée sans relire»etmenées «avec larapidité de la foudre»se révèlent étincelantes

Romans,de JulesBarbeyd’Aurevilly,édité par Judith Lyon-Caen,Gallimard, «Quarto», 1216p., 25¤.

Lettres àTrébutien. 1832-1858,de JulesBarbeyd’Aurevilly,édité parPhilippeBerthier,Bartillat, 1318 p., 39 ¤.

Jules Barbeyd’Aurevilly, vers 1870.

ADOC-PHOTOS

Cahier du «Monde »N˚ 21216 datéVendredi 5 avril 2013 - Ne peut être vendu séparément

Page 30: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

Florence Bouchy

Parler des pauvres quand on nel’est pas, se mettre dans lapeau d’un SDF pour lesbesoins d’un roman, maisécrirebienau chaud, conforta-blement installéà sonbureau:

représenter littérairement les vagabondset lesnécessiteuxposeà l’écrivainun tantsoit peu exigeant des problèmes d’ordreéthiquequidéterminentseschoixesthéti-ques. Comment parler de la misère sansverserdansunmisérabilismeoùnese tra-hirait que la condescendancede l’écrivainheureusement épargné par ces souffran-ces? Comment, à l’inverse, éviter de fairedes figures de la pauvreté le simple pré-texte à des évocations pittoresques, enhéroïsantouenjolivantàboncompte leurmodede vie?

C’est sans doute pour contourner l’unet l’autre écueils que Pascal Bruckner faitle choix, dans La Maison des anges, d’unefiction d’allure cynique : son héroséprouveune telle répulsionpour la saletédespauvresqu’ildécidedelestuermétho-diquement et d’en nettoyer la société,quitte, pour cela, à infiltrer les organisa-

tions humanitaires. L’auteur s’en expli-qued’ailleurs à la findu roman, en convo-quant le souvenir à la source du texte,lequel lui a permis de comprendrequ’avec « le clochard, la compassion n’estjamais loin de la violence, la charité de lahaine».

Aucun cynisme en revanche dans lepremier roman de Vincent Pieri. C’est endotant son personnage de SDF d’une luci-dité critique qu’il échappe au misérabi-lismecompassionnel.StationRomesepré-sente comme le journal tenu par unancienconcertistequ’unévénementtrau-matiquea faitbasculerdans lesmargesdela société.

Sonpasséet le goûtpour l’écriturequ’ilengarde, seul rempartcontre la folieguet-tant constamment l’homme à la rue, luiconfèrent une capacité analytique qui luipermet d’évoquer sans faux-semblantslesdifficultés, les souffrancessubies,maisaussi une certaine forme de choix, uneliberté entrevuedans l’errance.

Acôtédecesfictions,lesportraitsdeclo-chards de Robert Giraud, d’abord publiésdanslapresseen1956,avecdes titresaussipittoresques que «L’Amiral, prince despilons» ou «Pépé le voleur de chiens», etrassemblés aujourd’hui dans le recueil LePeupledesberges,pourraientlaissercrain-dre une approche sensationnaliste. Maisleparcours singulierdeRobertGiraud lui-mêmemotive et légitime sonprojet.

Le journaliste a en effet, de 1947 à 1950,«partagé l’existence des gueux». OlivierBailly, lepréfacier, rappellequ’à cetteépo-que, au chômage, récemment divorcé,

Giraud s’est laissé dériver avec les men-diantsdeParis,partageant leurquotidien,apprenant les règlesdecettesociétéparal-lèle,mêmes’il n’a «jamais été clochardauvrai sensdumot,parcequ’(il a) toujourseuun domicile». «La “cloche”, en argot, c’estle ciel, rappelait souvent le journaliste.Sont clochards tous ceux qui n’ont que leciel pour toit.» SelonOlivier Bailly, il cher-che en fait, dans ces textes, à s’acquitterd’une dette à l’égard de ceux qui lui ontmontré «cette image inversée de ce que lasociété veut donner à voir».

Il peut ainsi décrire avec précision cequ’ilnomme« les“classiques”de lamendi-cité» et accorder toute son admiration à«Cloclo», l’un de ces «hommes qui ontréussiàfairedel’artdemendierunemaniè-re de chef-d’œuvre». Son éloge est tempé-réparlaconnaissancequ’ilaaussidelaréa-lité des files d’attente dans les soupespopulaires, «chapelet humain que la mi-

sère égrène», où «se retrouvent tous lesvisages de la détresse», et qui constituent«une terrible leçond’humilitépour les lau-dateurs de ce siècle de progrès». Il peut demême évoquer presque avec gourman-dise la gouaille et l’art du récit de bien desmarginaux. Il sait d’expérience que«rêveurs, mythomanes, illuminés, s’ils nele sont pas, les clochards le deviennent. (…)Ils se racontent d’interminables histoires,toujourslesmêmes,qu’ils finissentparcroi-re et souvent à faire croire». Si « le mi-séreuxa toujours été lemeilleur gobeur demerveilleux», c’est que « celui-ci faitoublier tant de souffrances».

Des clochards des années 1950, le SDFde Station Rome garde bien des traits,mêmesi son rapport au langage le sépare,croit-il, des autres indigents. «Je mendie,admet-il, j’attends un métro que je neprends jamais, je cours après les endroitschauffés et gratuits, je fais la queuedevant

des églises ou dans desmaisons d’associa-tions pour gagner un cassoulet chaud.Comme eux. Mais je ne partage par leursschémas de pensée, je ne parle pas avecleursmots.»

De ce postulat de départ, qui permetsansdouteleromanmaisrisqueraitd’éloi-gnerartificiellementlepersonnagedel’ex-périenceréelledelarue,VincentPieriréus-sità faireunressortde lavéritédesonévo-cation.Plusleromanprogresse,plusle lec-teur prend conscience que, quelles quepuissent être la force structurante du lan-gage et les ressources culturelles initialesduSDF,c’esttoujourslaprécaritédel’exis-tence et lamarginalisation concomitantequi l’emportent et constituent le piège leplus terrible.

Qu’il soit plus cultivé que d’autres n’ychange rien: si, comme bien des pauvres,il se rendàlabibliothèqueduCentreGeor-ges-Pompidou (lire l’interview de Serge

Polar: le SDFdu boisdeVincennesLe cadavred’un SDF a été signalé dans lemétroparisien. La descriptionde ses agresseurs est plu-tôt floue et l’identité de la victime inconnue. Pourle capitaineMehrlicht et ses lieutenants, l’enquê-te s’annoncedifficile. Le témoignaged’un cafetierla fait cependant avancer à grandspas.L’hommeétait un journaliste réputé, lauréat duprixAlbert-Londrespourune série de reportagessur la pauvreté en Ile-de-Francedans lesquels ilincriminait les servicespublics. Pendant sixmois,il s’était fait passerpourunSDF afin d’infiltrerdesbidonvilles du 19e arrondissementet de la Sei-ne-Saint-Denis.Avant de disparaître, il donnaitdes cours d’alphabétisationaubois deVincennes.Enmargede la ville, Nicolas Lebel a imaginéunterritoiredivisé en villages, celui desNomades,des Indigènes, des Lapins (SDF salariés), qui fontdu troc entre eux, se rendent des services et ver-sentunedîmeàunpseudo-gouverneurpourassu-rer leur sécurité.Misant davantage sur l’humourde ses personnagesque sur le réalismede sonintrigue, ce plaisantpolar rendunhommageappuyéà Eugène Sue, l’auteur desMystèresde Paris, et àMichel Audiard, le dialoguistedesTontons flingueurs.pMacha SéryaL’Heure des fous,deNicolas Lebel,Marabooks, 384p., 19,90 ¤.

Grande traversée

Réalité des files d’attentedans les soupes populaires,« chapelet humainque lamisère égrène »

Commentla littératurepeut-ellerendrecomptedelaconditiondeSDFsansverserdanslepathos?Trois livresyréussissentenjouantdelaproximité,del’empathieou,aucontraire,delahaine

Apprentissagesdeladéchéance

CHRISTOPHE

EXTRAIT DE «SEMANTIC

2 0123Vendredi 5 avril 2013

CHRISTOPHE

SEMANTIC

Page 31: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

StationRomedeVincentPieri,Mercurede France, 240p., 18,50¤.Raphaël est un ancienpianistedevenuSDF. Il tient son journal, pournepasdevenir fou et garder la preuvede ce qu’ilvit auquotidien.Un jour, sur le quai de lastationRome, à Paris, il croiseune jeunefemmeressemblant à la violoncellistequ’il a connueet aimée avant de devenirclochard. Ecrasé sous toutes les diffi-cultésde la vie dans la rue, il semblenetenir que grâce à la perspectivederevoir cette femme.

LePeupledesbergesdeRobertGiraud,LeDilettante, 128p., 12 ¤(en librairie le 10avril).En 1956, RobertGiraudpublie dansQui?Détectiveune série deneuf articlesregroupés sous le titre «La vie secrète desclochards». Ces textes sont republiésaujourd’hui, et préfacésparOlivier Bailly.Onydécouvreunegalerie de person-nagesmisérables, hirsutesmais aussiinventifs, la face sombrede Paris, que lasociétéurbaine s’efforce de reléguerdans sesmargespournepas la voir.

Paugamci-dessous),c’est parcequ’elle est,dit-il, «un de nos repaires favoris, (…) c’estnous, les cloches, qui en faisons l’ouver-ture». On peut «s’affaler dans un des fau-teuils moelleux du premier étage et dor-mir. Enfin dormir». C’est aussi «un des

rares endroits dans Paris, à peu près pro-pre, où l’onpeut chierderrièreunverrouetau chaud». Et l’écriture ne l’empêcherapasde croire auxhistoires qu’il se racontepour atténuer ses souffrances. Peut-êtremêmeleconduira-t-elleàunefolieencoreplusdéfinitive.

C’est le poids insurmontable de cemodedevie que lehéros de LaMaisondesanges ne comprend pas. Lui ne voit que« le laisser-aller des épaves urbaines» et« la maladie des débris humains quitenaient à peine debout et faisaient corpsavec leurs déchets », dérogeant à « lapudeur que l’on se doit à soi-même et auxautres ». Plutôt qu’un véritable tableaudes pauvres et des mendiants d’aujour-d’hui, Pascal Bruckner brosse un portraitglaçant de la bonne conscience et du re-foulé de nos sociétés contemporaines àleur égard.

«On ne pardonne pas à celui quis’abaisse, écrit-il, de vous abaisser enmême temps, de vous tirer vers la fange.Dans sa perdition, il suscite en nous unesorte d’horreur sacrée puisqu’une mincefrontière sépare la vie courante de l’abjec-tion.» Le romanà la tonalité cynique tientfinalementde la fable. Et cen’estquedans

cette perspective que l’on peut lire sansgêne le retournement final où le hérosfinit par trouver ces pauvres «beaux. Ilsétaient ses frères en vulnérabilité: une col-lection de bonnes bouilles, malgré leurssales gueules. Des princes, oui, et sublimesdans leur dénuement. Ils manifestaientune persévérance magnifique dans ladésintégration».

Avecces évocationsdeshommesetdesfemmes qui, comme le dit Robert Giraud,«paient d’une incommensurable misèreune liberté toute relative», les écrivainsinterrogent ainsi la relationde la société àsesmarges et à son envers, «cette indiffé-rence feinte, écrit Vincent Pieri, ce coupd’œil rapide, en coin, avant d’accélérer lepas, cette peur de regarder (le clochard)dans les yeux, comme un des (siens)». Etréussissent tous les trois, en luimontrantses pauvres, à forcer la société à observersonpropre reflet. p

Extraits

Propos recueillis parJulie Clarini

Curieuse demieux connaî-tre la catégorie des usa-gers les plus pauvres, ladirection de la Bibliothè-

que publique d’information (BPI)du Centre Georges-Pompidou(Paris) a commandé une enquêteà l’équipederecherchesur les iné-galitéssocialesquedirige le socio-logueSergePaugam.De leurs lon-guesheuresd’observationetd’en-tretiens, Serge Paugam et CamilaGiorgettionttiréunlivre,Despau-vres à la bibliothèque. Découvertedes nombreux usages possiblesd’une bibliothèque, de l’accès àInternetpourretrouverdu travailaux radiateurs pour se réchauf-fer, en passant par la dégustationd’un repas de Noël dans uncadre…prestigieux.

La pauvreté est une conditionque, la plupart du temps, ons’efforce de cacher. Commentavez-vous rencontré les person-nes que vous avez interrogées?

D’abord, quand on se promènedans l’enceintede cette bibliothè-que, on est frappé par les cas lesplus extrêmes, ceux qui rentrentavec des sacs en plastique conte-nant toutes leurs affaires ou ceuxqui ont des vêtements élimés,sales, etc. On les remarque aussi-tôt. C’est la pauvreté des margi-naux de Paris, des sans-abri. Maisladifficultéétaiteneffetderecon-naître ceux qui ne se distinguentpas : les chômeurs, par exemple,lesétudiantstrèspauvres, lesallo-cataires duRSA (revenude solida-rité active)… Notre idée a été denousfondredans la communauté

desusagers et de rester là à voir cequi se passe. Les bibliothécaires,qui connaissent certains usagers,nousontdonnédespistes. Et puisc’est de l’observation très fine :une façon de se tenir, de s’ha-biller,des regardsdans levide,dessomnolences, des détails quijurent un peu. Comme cette fem-

me extrêmementsoignée, tirée àquatre épingles,maisquiseprome-nait en chaussonsdans la bibliothè-que : voilà le typede petites chosesqui pouvait attirernotre attention !Parfois aussi ils’agissait de per-sonnes qui veu-lent absolumentarriver en costu-

me, qui adoptent un style VRP.Cettenécessitéd’afficherun«sta-tut» est souvent un indice.

Lors de vos précédentstravaux, vous avez discernétrois phases dans le processusde «disqualification sociale»qui touche les pauvres :d’abord la fragilité (chômage,«déclassement»), puis ladépendance (auxminimasociaux, notamment), enfin larupture des liens sociaux. Lespersonnesproches de cettedernière catégorie viennentà la bibliothèquepour survivre.Qu’y font les autres?

Les personnes confrontées à la«fragilité»veulentconjurer leursdifficultés ; elles viennent pourretrouver un emploi et mobili-sent toutes les ressources de laBPI : l’espace d’autoformation, lapresse, les ressources Internet.Très souvent, elles adoptent leshoraires des salariés, quittent lelieu vers 17h30-18heures. Elles

évitent le contact avec ceux quisonten trèsgrandedifficulté,par-ce qu’être assimilé à ces person-nes, que la société juge indésira-bles, peut représenter à leursyeux un véritable danger. Elles seconfient aussi très peu : elles neveulent pas que leur situationobjectivepuisseêtreconnue.L’es-pace qu’elles affectionnent estcelui de l’autoformation: seulesdans des box, face à leur volontéde s’en sortir.

Les personnes proches de ladépendance, au contraire,recherchentde la compagnie…

Oui, ces personnes sont pau-vres depuis si longtemps qu'ellesacceptent leur condition d'assistécommeunpis-aller.Découragées,elles n'espèrent plus une inser-tion sur le marché de l'emploi.Ellesviennent trouverà s'occuperet apprécient les rencontres. Pourcertains, en particulier les retrai-tés, c'est une seconde maison, ilest possible d'y apporter sonrepas et de le prendre à la caféta-ria, d'y regarder la télé. Ils ont leurpetit emploi du temps quotidien,régulier. On a recueilli aussi detrèsbelleshistoires,ycomprisdeshistoires d’amour. Certaines per-sonnes se retrouvent, notam-ment dans le coin des télés dumonde, comme au bistrot ou à lapétanque. D’autres trouvent là lesupportdeleursrêves,ellessepro-pulsent dans des projets souventchimériques, d’études ou deroman : la bibliothèque est lemoyen de jouer un rôle dans unmonde un peu fantasmé. On ycroise cette population d’artistesou d’intellectuels que Paris attireetquirencontrentdegrossesdiffi-cultés. On croise aussi d’anciensétudiants, au RSA, qui ont ratéleurs études: la bibliothèque leurpermet de rester dans ce mondeintellectuel.

Cette pauvreté «cultivée» vousa-t-elle étonné ?

Oui, j’avoue que j’ai été un peusurpris par ces érudits qui viventd’un revenu minimum. Ils pas-sent leur temps à se cultiver et ensavent beaucoup plus que voussur certains sujets. Ainsi ce «pro-fesseur» – il se présente commeun ancien prof de fac – qui vienttous les jours, qui tient salon etqui fait les poubelles de la biblio-thèque. Ce phénomène est sansdoute plus prononcé à Paris etdans cette bibliothèque. Mais ilrévèle aussi un visage actuel de lapauvreté : les longuesétudesn’enprotègent pas entièrement.

La sociabilité, disait le sociolo-gueGeorg Simmel, c’est faire«comme si tous étaient égaux».Mais pourquoi, au fond, tout lemonde accepte-t-il de jouer cejeu à la BPI?

Je croisque,pourbeaucoup, lesétudiants y compris, c’est unmoyende vivre et de travailler auquotidien dans une ambianceouverteet démocratique.A la BPI,onn’est pas forcément tenuàunepure rigueur intellectuelle, onpeut aller se détendre à l’espacemusique ou vers les télés. Unbrillant universitaire ne comptepas plus qu’un chômeur en fin dedroits. On peut parler en ce sensd’un apprentissage de la citoyen-neté. Il y a aussi une catégoried’étudiants de banlieue pour quic’est une promotion de venirdans ce temple de la culture, sansprendre le risque de se retrouveravec des gens d’un milieu supé-rieur susceptibles d’imposer desnormes dévalorisantes pour eux.

Mais attention, il y a aussi desfrictions, des énervements, desexaspérations. Ce n’est pas unmonde idéal mais, malgré tout,c’est un horizon démocratiquepossible.p

SergePaugam:«Alabibliothèque,deséruditsquiviventd’unrevenuminimum»LaBPI,dans leCentrePompidou,àParis,accueille, enplusdesétudiantsetchercheursquiytravaillent,denombreuxpauvres.Quisont-ils?Qu’yfont-ils?L’équipedusociologueSergePaugamaenquêtésurplace

LaMaisondesangesdePascalBruckner,Grasset, 320p., 22 ¤.Jeuneagent immobilier, Antoninmanque la vente d’unbien de luxeparcequ’unSDF éméché effraie les éventuelsacquéreurs.Dès lors, le jeunehommenevoit plusque lamisèrehumaine autourde lui. Au lieud’en être ému, il en estprofondémentdégoûté et décide de tuerunmaximumde sans-abri. Il se faitembaucherà laMaisondes anges, uneassociationd’aidehumanitaire, pourapprocher ses proies.

Grande traversée

e n t r e t i e n

«Il n’en avait pas voulu aupremierclochard, il y a cinqmois, de lui avoirfait rater sa ventemais d’avoir oublié lesbornesde la décence. Comme les avaitoubliées celui qui se soulageait dans lemétro. Le premierne s’était pas res-pecté, perdant dumême coup le droitau respect des autres. Il neméritait paslamort, certes, Antonin s’en voulaitterriblement,mais à tout lemoins unebonne correctionde lamaréchaussée.Ces deux individusn’étaient que lesymptômed’un délabrementgénéral.Antonindécouvrait lamisère dumondeavec stupéfaction. Il ne l’avait jamaisvue, il ne voyait plus qu’elle. Une autreville émergeait, pouilleuse, loin de lacapitalepoudrée, ripolinéequ’on ven-dait aux touristes. Paris n’était pas unefête, Paris était une fiente.»

LaMaisondes Anges, pages79-80

«Il faudrait que j’ailleme laver unpeudans les toilettes. Tous les autres doiventêtre passésmaintenant. Etrange endroitque les chiottes deBeaubourg: unhommeépuisé, encrassé par sanuit, ins-talle sonbout de savon et son rasoir surun lavabo. A ses côtés, un étudiantmalréveillé s’asperge la figureavant decommencer sa longue journéed’étude.Ils ne se regardentpas. Qu’y a-t-il decommunentre eux? Rien. Si ce n’est leschiottes. Beaubourg est un des raresendroits dans Paris, à peuprès propre,où l’on peut chier derrière un verrou etau chaud. C’est peut-être dans cettecellule, face à lamerdequotidienne quenousdevons expulser de notre corps,quenous nous ressemblons le plus.Pauvres étudiants, contraints departa-ger l’odeur denos tripesmalades.»

StationRome, pages91-92

«Dans la cloche, on commencepar bri-coler : brocanter, biffiner, faire des cor-vées, et puis on glisse lentement,maissûrement, à lamendicité. Questiond’en-traînement, d’exemple. En effet, pourboire, le clochardn’est reçu que danscertains établissements spécialisés dansce genre de clientèle. Là, il retrouve lesloqueteux fortunés, ceuxqui “se défen-dent”. Ce sont lesmendiants.On esttenté, et on devient torpilleur à son tour,membrede la grande confrérie desmen-diants écumeurs de Paris. (…) Lemen-diant fait de la psychologie sans lesavoir, par une successionde chocs, ilobligeun client, presque toujours pressédepasser, àmettre lamain auporte-monnaie.Du reste, la techniqueaévolué, elle s’est adaptée aumondemoderne.»

Le Peupledes berges, pages39-40

Des pauvresà labibliothèque.EnquêteauCentrePompidou,de SergePaugametCamilaGiorgetti,PUF, «Le liensocial»,208p., 22 ¤.

Des hommes et des femmesqui« paient d’uneincommensurable misèreune liberté toute relative »

CHRISTOPHE BEAUREGARD,

SEMANTIC TRAMPS»

30123Vendredi 5 avril 2013

Page 32: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

Remonter la penteVousaimez leTourde France?Moinonplus. Celan’a aucuneimportance–bienqu’il soit beaucoupquestionde cyclismedans cepremier romanbourréd’énergie et d’unesingulièrefinesse.Amateurdemusique, l’auteur a su créer la sienne,légère et profonde. Elevépar sa grand-mère, Jean-Baptisteestungosse commeunautre, à ceci prèsque sonpère estmort en fai-sant l’amour (etun fils) à sa future épouse, et que cettedernière,poisse suprême,n’a pas survécuà l’accouchement.Comment

grandir? Enpédalant, bien sûr, à contre-courantdumalheurhérité. Roman initiatique,méditationsur lafamille,Làoù leursmains se tiennent est aussi lepor-trait aciduléd’uneFrancemoyennequi aime laBreta-gneet leshortensias, ces «fleursde vieille», Facebooket la psychanalyse.Humourcaustique, sensdu sus-pense,GrégoryNicolas réussit,malgréquelquesmaladressesen finde course, unpremier tourpro-metteur.Maillot jaune! pCatherine SimonaLà où leursmains se tiennent, deGrégoryNicolas,Rue des Promenades, 236p., 14¤.

L’ardenteCatalaneMaria-MercèMarçal futmilitante féministe, violemmentanti-franquiste; romancière, traductricedeColette, Yourcenar,Akhmatova, TsvetaïevaouLeonor Fini, qu’elle offrit aux lec-teurs catalans; auteurde vers quenombrede ses compatriotesont chantés. C’est ce versant de l’œuvred’une créatrice singu-lière, emportéeà 45anspar un cancer en 1998, que cette brèvemaispoignante anthologie explore.De ses textes engagés («jerends grâce auhasardde ces trois dons: être née femme, de bas-

se classe, de nationopprimée. Et de ce troubleazurd’être trois fois rebelle») àRao del cos, ce cri paruà titreposthumeen 2000 («Mourir : peut-êtreseulement/perdre formes et contours/ se défaire,être/ aspiréedu dedans/de l’utérus vivant,/matricede dieu/mère: dénaître.»), la voix ardente traque lasensationet joueduvertige. «L’Escalier sombre/dudésir/ n’a pas de rampe.»p Philippe-JeanCatinchiaTrois fois rebelle, deMaria-MercèMarçal,traduit du catalan par Annie Bats, édition bilingue,BrunoDoucey, «Soleil noir», 112p., 14,50 ¤.

Elogedu jardinier«Rondede chevauxde bronze sur la courbede l’eau. / La famillede LeNôtre,/ jardiniers de père en fils depuis la Chute,/ couronnad’ombres croisées / une fontaine… »Cole Swensen, née en 1955 àSanFrancisco, consacreàAndré LeNôtre (1613-1700) le derniervolumed’une trilogie, après Si richeheure et L’Agede verre, tour-néevers la culture française.DeVersailles àVaux-le-Vicomte,revisitant les «jardinsà la française» crééspar celui qu’ellenom-meaffectueusement«le nôtre» (ours), elle s’interroge– dans sesvers aux cadences subtiles –- sur l’inventiondupaysage, et surnotre façonde regarder lemonde. pMoniquePetillonaLe nôtre (Ours. Poems on theGardens of Andre LeNôtre),de Cole Swensen, traduit de l’anglais (Etats-Unis) parMaïtreyi et NicolasPesquès , Corti, «Série américaine», 120p., 17¤.

Rock’n’roll suicide1983. Futureor no future?Pour le jeune groupe rock lyonnaisqui, slogandes SexPistols en tête, a choisi commenomdescèneLes Futuristes, le dilemmeest entier.Guillaume, chan-teur et compositeur, son frère Julien,guitar hero approximatif,Jo à la basse et Romain, éphémèrebatteur, vomissent les «âne-ries»de Téléphone, comme ils refusent de se compromettre enassurant la premièrepartie de Supertramp… Intransigeancequivaut suicidequand l’époque se faitmolle, que les illusionsde1981 fontplace à la rigueur, que les rockeurs enchaînent lesdésastres. Récit de la faillite d’une esthétiquequi se pare d’éthi-que, ce romanvif et tendrement cruel confirme le talent d’unécrivainà la nostalgie amusée. p Ph.-J.C.aLeTournant de la rigueur,deMilan Dargent, LeDilettante, 192p., 16¤.

Sans oublier

en partenariat avec

Marc Voinchet et la Rédaction6h30-9h du lundi au vendredi

Retrouvez la chronique de Jean Birnbaum

chaque jeudi à 8h50

franceculture.fr

LES MATINS

Didier Pourquery

Dans un bon roman, on lesait, ilya lamécaniqueetil y a l’âme. Les figuresderhétoriqueet les détours

de l’inconscient. Ce n’est pas lamoindredesqualitésdecesConfes-sions d’un jeune romancierque dedécrire,dedémonteretde fouiller,en parallèle, ces deuxmoteurs dela fiction. Tant il est vrai qu’unroman reposant uniquement surle savoir-faire sans âme, s’il peutparfoisréaliserdesrecordsdeven-tes (on le voit chaque jour), n’ap-portepasaulecteurcequifaitvrai-ment voyager son imaginaire,lâcher les amarres de son propreinconscient.

Umberto Eco, professeur desémiotique, savant à la curiositélarge, a publié son premier romanà 48ans. Il raconte comment pourse lancer il s’appuya sur ses

connaissances historiques afin decréer des personnages, des situa-tions, des lieux…et comment il lesrendit vivants.

C’est lagrandeaffairedece livrequi rassemble plusieurs textes etconférencesprononcéesauxEtats-Unis: qu’est-ce qu’un personnagede fiction? En quoi peut-il se révé-lerplus«réel»quedespersonnali-tés ayant vraiment vécu (et lesOPhE, les «objets physiquementexistants», selon Eco)? Qu’est-cequ’un lieu imaginaire? Commentle cherche-t-on sur une carte?

L’auteur de ces lignes se sou-vient du soin maniaque aveclequel il retraçait, adolescent, lespérégrinations de Sherlock Hol-mes sur des vieilles cartes de Lon-dres. Eco raconte ainsi les change-ments de domicile des héros deRex Stout et comment ses propreslecteurs, après avoir lu et reluLeNom de la rose, lui écrivirentpour lui signaler l’adresse du li-brairedeBuenosAires, lasituationgéographiquedumonastère, etc.

Par quel miracle le lieu décritdansun romanprend-il toutes ses

dimensions?Commentnotreima-ginaire, conduit par celui del’auteur, en vient-il à se mouvoirsans obstacles dans les couloirs,lescoursetlesdouvesd’unmonas-tère fortifié qui n’existepas?

Talent de pédagogueUmberto Eco est un excellent

professeur d’humanités. Il saitcomme personne prendre desperspectivessémiotiquesouonto-logiques et rendre les propos lesplusardusaccessibleset plaisants.Il utilise toutes les ficelles de lapédagogie (anecdotes, raccourcis,humour…) pour nous amener àréfléchir sur de surprenantsobjets. La liste, par exemple. Ecoest intarissable quand il s’agit desonder lesmystères des énuméra-tions. Son talent de pédagogues’épanouit dans ce chapitre diffi-cile ; il parvient à nous fasciner enmettanten regard toutes sortesdeséries demots et d’idées.

De même, en introduisant lesconcepts de « lecteur modèle» etde«lecteurempirique»,nousfait-il saisir toute lamagiede l’écriture

romanesqueentraind’opérer.Quiécrit ? Pour quel lecteur ? Com-ment? Pour répondre à ces ques-tionspassionnantes,UmbertoEcomanie en virtuose les recherchesles plus pointues, tout en appor-tant son témoignaged’«écrivant»sans faussepudeurni cuistrerie.

De-ci de-là, dans cet ouvrage àl’érudition aimable et jamaislourde, le romancier Umberto Econous donne des éléments pourcomprendre comment certainesidéesd’intrigues,delieux,destruc-tures lui sont venues, dictées pardes réminiscences, des lectures dejeunesse,deséclairsdesonincons-cient.C’estdanscetexercicedesin-cérité absolue que le professeurEco se révèle un «jeune» roman-cier. Sa fraîcheur, un peu désin-volte par moments, est une desplusbelles surprises de ce livre.p

FlorentGeorgesco

Lorsque,plus jeune, il avait assezd’illusions pour défendre ce enquoi il croyait (et, simplement,encore assez de fraîcheur pourcroire en quelque chose), PierreOrangel s’était fendu d’un petit

livre,LeMalentendulittéraire,danslequel,convaincu «que la littérature était en voiede disparition, qu’elle n’était plus qu’unsimulacre», il bataillait contre cet efface-ment.Vaincombat,bientôtabandonnéauprofit du détachement, du cynisme bien-veillant, avec une inévitable teinte deregrets. Puis, la vieillesse s’est approchée,et le simulacre a imposé sa loi sur sa vie,comme sur une carrière d’éditeur depuislongtempsdénuéede sens.

Félicia Lascaux, qui fut son auteurvedette avant de le trahir, ne connaît pasencore cette amertume. Elle est jeune,belle, célèbre, la vie s’agiteautourd’elle. EtMark Greene est un romancier trop fin,d’une lucidité psychologique et socialetrop exacte pour sombrer dans le clichédu conquérant méprisant le monde qu’ilconquiert.Féliciaaimelemondeet raffolede la domination qu’elle exerce sur lui.Maisellenepeuts’empêcherderêveràceschoses qui occupèrent l’esprit d’Orangel,d’entretenir ces idées vagues autour de lalittérature,cetteaspirationà lapuretéqueni l’unni l’autre ne savent plus nommer.

Sauf à lui donner le nomd’un homme,de ceMarcWilliams qui polarise l’ensem-ble du roman. Marc a été l’auteur du pre-mier,l’amantdelaseconde.Depuis, iladis-paru,maisilestrestédansleurespritcom-me le signe d’une intransigeance, d’unefoi dans la littérature dont ils n’auraientpeut-être plus idée s’ils n’avaient connucet étrangegarçon. Et c’est à lui qu’ilspen-sentdurantcettesoiréedeprintemps, l’unà Paris, l’autre à Brooklyn, de même qu’ilpense à eux, convergencemystérieuse detrois solitaires éloignés, souvenirs émer-geant dans la nuit, et qui se rejoignentsans le savoir.

Mark Greene leur fait raconter à toustrois non seulement leur histoire com-mune,touràtour,dansunechaînedenos-talgie et de lambeaux d’espoir qui donneau Ciel antérieur le rythmemélancoliqueet vivace d’une fugue. Mais il trace à tra-vers leurs récits, avec l’élégance de ne pass’appesantir, comme une esquisse del’état présent de nos sociétés – le tracé, enpointillé, d’undésastre en cours.

Chacund’eux,enréalité,acesséd’atten-dre. Ou plutôt, quand ils retrouvent unélan, le monde les dément aussitôt, ren-voie leur brève vision d’un ailleurs à l’évi-dence du désert qui les entoure. AinsiMarcWilliamsqui, après que PierreOran-gel lui a refuséunmanuscritdans lequel ildénonçaitavecviolencelesmensongesdumilieu littéraire, a soudain renoncé àpublierquoiquece fûtet s’estévanoui, lit-téralement, dans la nature. DirectionClermont-Ferrandd’abord, saMJC,unate-lier d’écriture, une poignée de «condam-nés d’avance (…) englués dans une souf-france insipide» que la littérature, objetvidedefascination,doitsauverdel’ennui;puis,un campingabandonnéduForezoù,entraînant sa petite troupe, il essaie d’in-venter avec elle, des mois durant, unemanièrede faire renaître, par la radicalité,la forcede déflagrationde la littérature.

C’est dans ce camping qu’on l’a décou-vert au début du récit, entouré de bidonsd’essence. L’aventure a mal tourné, sesémules, exaltés par sa rage de dépasse-

ment, l’ont prise au pied de la lettre et,ayant commis un sabotage sur une ligneélectrique,ont lancélapoliceà leurstrous-ses. Il s’apprêteàmettre le feuaucampingà nouveau abandonné, incarnation déso-lée de son échec à former une commu-nauté. Il est seul et n’a jamais cessé del’être. Comme, à Paris et New York, PierreOrangel et Félicia Lascaux sont seuls.

Le mal que chacun d’eux affronte nepeut pas davantage être nommé quel’idéal lointain qu’ils caressent par inter-mittence. La grande habileté de MarkGreene est d’en faire unemenace diffusequi traverse le livre, rongeant ses person-nages, ses décors, et jusqu’à son récitémietté. Pure absence, tourment sansconsolation, il ne trouve de réponse quedans le regard ensemble pénétrant et iro-nique d’un écrivain qui confirme, aprèsdeux romans prometteurs et un remar-quablerecueildenouvelles(LesPlaisirsdif-ficiles,Seuil, 2009), qu’il possède, lui, cettevitalité, cette force créatrice dont ildépeint le reflux.

Romanportépar l’angoissed’unepertedu sensde toute chose, et d’abordde la lit-térature, Le Ciel antérieur n’a sans douterien d’autre à lui opposer que son propreaccomplissement.C’estdéjàbeaucoup.Et,qui sait? cela suffit peut-être.p

UmbertoEco,mécanicienduromanesqueErudit, savoureux,unrecueildetextesdel’écrivainetsavant italien

Littérature Critiques

Une chaîne denostalgie et delambeauxd’espoir donne auroman le rythmemélancoliqueet vivace d’une fugue

Le Ciel antérieur,deMarkGreene,Seuil, 300p., 19¤.

Confessionsd’un jeuneromancier (Confessionsof aYoungNovelist),d’UmbertoEco,traduit de l’anglais par F. Rosso,Grasset, 240p., 17 ¤.

Troispersonnagessedébattentavecleurangoissedelapageetdelavieblanches.MarkGreeneconfirmesontalentironiqueetpénétrant

Lesdésillusionsdangereuses

HERMANCE TRIAY/OPALE

4 0123Vendredi 5 avril 2013

Page 33: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

Jean-FrançoisFogeletBrunoPatinoanalysentl’impactd’Internetsurnotrerapportauréeletàlavie.Extraits

LaConditionnumérique

La conditionhumaine.La connexion permanente

Il serait bon d’avoir un peu demodestie numérique. Malgrél’abondance des écrans quinous entourent, malgré ces

téléphones portables si souventtenus enmain, malgré les ordina-teurs, les consoles, les télévisions,les tablettes et les liseuses, Homosapiens n’est pas devenu Homonumericus. Laparole, lesgestes, lesmimiquesrestentd’usagecourantdansleséchangesauseindessocié-tés humaines. Nous ne vivons pasencore au sein d’une pure sociétéde communication numérique etnous ne sommes pas non plus lesexpérimentateurs d’un nouvelâge de l’information. Mais noussommes entrés, de plein gré, dansune époque neuve, et qui ne nouslaisse aucun répit : le temps de laconnexionpermanente.

Toujours à portée d’unmessageoud’un accès, nous nous trouvonsà la fois en alerte et prêts à partirsurlesréseauxnumériques.Dispo-nibles à toute heure. Notre viechange trop vite pour que l’ondémêle ce qui appartient à la tech-nologie de ce qui relève des com-portementsdanscettefaçonneuved’être aumonde.Mais chacunper-çoit, à portéedudoigtposésurunesouris ou un écran tactile, cetteconnexion qui perdure et façonnenotre quotidien. La différencedevient si ténue entre présent etfutur qu’aucune machine ou logi-ciel ne résume notre condition.Toute innovation finit d’ailleurspar être dépassée; le seul élémentdurable, c’est la connexion. Unlogin ajouté aumot de passe pouravoir accès à un réseau: voilà leléger bagage que chacun est sûrd’emmenerdemainavec soi.

(…)Internet n’évolue pas selon le

plan secret de quelques éditeursouproducteursdetechnologiequifixent sondevenir. Sa transforma-tion brutale résulte des nouveauxusages de millions de personnesque la généralisation de laconnexion téléphonique 3Gaffranchit de toute obligation, ycompris celle de se trouver face àun ordinateur sédentaire. Danscette affaire, le changementdépendmoins de l’apparition destechnologies que de l’activité desinternautes. Et cette activité ins-talle un usage social frénétiquedes nouvelles offres numériques.Il s’agit d’un mouvement d’uneampleur historique, semblable àlamigrationdemassed’unepopu-lation vers unnouveau continent,enl’occurrencelenumérique.Septans après le lancement de You-Tube, l’équivalentde trois joursdevidéos sontmises en ligne chaqueminute sur la plate-forme. Six ansaprès le lancement de Twitter,trois cent quarante millions detweets sont émis chaque jour, etplusdeneuf centsmillionsdeper-sonnes possèdent un compte surFacebook. Cinq ans après l’an-nonce de la création des applica-tions (le premiermagasin viendraen faitprèsd’unanplus tard), plusde soixante-cinqmilliards sont encirculation sur des téléphones etdes tablettes.

Iln’estdéfinitivementpluspos-sible de considérer Internet com-meunmédia; il se trouvemêmeàl’exactantipodedecequicaractéri-sait les médias, la diffusion d’uncontenuà partir d’une source uni-que: atelier d’impression, émet-teur de radio ou de télévision. SurInternet, tout récepteur est un dif-fuseur potentiel et le devient aisé-ment grâce aux réseaux sociauxoù les actions massives de parta-ges,derecommandationsl’empor-tent –et de loin– sur les échangestraditionnels de messages entredeux personnes. Quand on a desmilliers ou même seulement descentaines d’amis sur un réseausocial, on ne parle pas à chacund’eux, on se connecte. Et l’objet dela connexion c’est d’abord de seconnecter à d’autres internauteset non les publications de quel-quesmédias, entreprises ou insti-tutions.

Laviralité sociale, visant à fairecirculer des contenus – texte,image, vidéo, son, application,etc. – à la façon dont un viruscontamine une population, est ladynamiqued’Internet. Lemouve-mentestune formequi l’emportesur le fond. On pense à la confi-dence du peintre Henri Matisse,« je ne peins pas les choses ; je nepeins que leurs rapports », envoyantque l’essentielde l’activitén’est pas tant de produire descontenus que d’amener des amisou l’audience vers cesmêmes contenus enréponse à unmessage.

pages9-16

L’AncienRégimeet la Révolution.Le pouvoir et le réseau

Ala question, qui élire ouqui chasser du pouvoir?tout sur Internet, qu’ils’agisse d’un acte indivi-

duel ou du fonctionnement d’unalgorithme,saitdonnerunerépon-se claire à un moment donné. Al’autre question, quelle politiquearrêterfaceàunproblème?, ilexis-te pour toute réponse une suite decontenus, de commentaires, demessages dont la lecture estd’autant plus inintelligible qu’ellene cesse de se modifier. Un seulhommepolitiqueexprimeunpro-pos qui paraît construit sur leréseau, c’est le logiciel agrégateurdecontenus,mais cette agrégationchange tout le temps et chacun enprend connaissance de façon dis-tincte dans un contexte bâti pardesalgorithmesenfonctiondesonprofil personnel.

Le réseau en fait trop, il abordetropdechoses, il citetropdepointsde vue, il se met trop vite à jourpour intervenir dans la vie politi-que de façon apaisée et aboutie. Asa façon, il est le couronnementdela thèse proposée dans les années1960 par le politologue RobertDahl.Qui gouverne? demandait letitredesonouvrageleplusfameux[Armand Colin, 1971]. Sa réponse,tirée de l’analyse d’une commu-nautéauxresponsablesdémocrati-quement élus, tient dans unmot:

polyarchie, le gouvernement parplusieurs. L’aboutissement del’idéal démocratique suppose ledroit pour tous de participer à ladésignation des autorités et aussile droitdeparticiperà tous lespro-cessus de décision. Dans la prolifé-ration de ses contenus, dans le faitque l’onpeut intervenir après cha-que propos et pour commentertoute décision, Internet est l’outilde lapolyarchie. (…)

Le jeudémocratiquea toutd’unjeu vidéo dans lesmoments d’em-ballement du réseau. Tweets,retweets et bataille de hashtags.Lesréactionsimmédiatesdesinter-nautescroyantreleverdesécartsetdes excès des responsables politi-ques s’inscrivent dans un flux quitient autant de l’électricité que dudébat.Laparticipationàunmouve-mentd’opinionest si facile –il suf-fit le plus souvent de taper sur unbouton– que le niveau demotiva-tion demandé est très faible, maisl’impact reste d’une portée rela-tive: lesmouvements collectifs nedurent pas assez pour se structu-rer. Le réseau est un territoire pro-preà l’expressionde la révolte,pasà la constructionde la révolution.

Pour une foule, le piremal, c’estle trop grand nombre. C’est le cassurleréseau,oùlarévolutionnumé-rique mobilise trop d’internautes,trop vite pour bâtir un processuspolitique influent et durable face àl’ancienrégimedesmilitantsetélec-teurs se lançant à inter-valles réguliers vers lesélectionsdumonderéel.

pages170-172

Lesmots et les choses.L’information

Deux décennies d’Inter-net couplées à l’explo-sion du Web ont pluschangé le texte que des

millénaires d’écriture. Il estméconnaissable et reste pourtantle plus fort porteur de sens de lacommunication humaine. Exciséde son support papier, lardé demédiasvisuelsou sonores, encagédans un fichier, l’univers numéri-que le voit à la foisbrisé et enrichi,copié et collé. L’apparition duSMS, en 1992, et dumicrobloggingtel que Twitter, une quinzained’années plus tard, le confrontedésormais à une évolution incer-taine. D’un côté, surgit la libéra-tion du carcan du fichier avec unesituation alternative pour letexte : devenir message dans unflux. De l’autre, émerge le vertigede l’ultra-court, de la brièvetéimposée, voire de l’appauvrisse-ment. Le SMS obéit certes à uneécriturecomplexequiinclutpicto-grammes, logogrammes, acrony-mes, omissions, abréviations,rédaction phonétique et erreursd’orthographe délibérées. Maisuser de tout cela pour demander«koi29?»àunamifaitcourirleris-que de s’en tenir à une poésie derébus dans les mots du quotidienquand se devine la possibilité desdensités insoupçonnées.

La littérature a longtemps ré-véré comme un tour de force leconteultra-court.Pour leshispani-sants, rien ne surpasse Le Dino-saure,duGuatémaltèqueAugustoMonterroso,dont le textecomplets’énonce ainsi : «Quand jeme suisréveillé, le dinosaure était toujourslà.» Les anglicistes préfèrent Toc,toc, la création de Fredric Brown:« Le dernier homme vivant surTerre était assis dans unepièce. Uncoup fut frappé à la porte…» Qui-conque regarde défiler les 140signes maximum de ses tweetsdevine que cette veine ramasséepeut trouver sa part de grâce. Letweet est au texte ce que le haïkuest à la poésie : une expressiontrop succincte pour vous satis-faire pleinement mais qui rendtoutes les autres trop bavardes.

Est-ce pour cela que les inter-nautes s’attachent sans cessedavantageauxflux,qu’ilsaccumu-lent les messages dans un textenonpas longmais sans fin? Aprèsles blogs qui, les premiers, ontjoué l’idée d’un texte ininterrom-pu, les réseauxsociaux, lesmessa-ges, les « live»des sites d’informa-tion affermissent l’idée qu’untexterespireà l’étroit lorsqu’ils’af-fiche seul, dépourvu de liens surun écran. La vie numérique paraîtse défier de toute offre rappelantle dépouillement du texte sur lapage du livre de papier alors quel’hypertexte est accessible enligne, à tous, à toutmoment.

(…)L’auteurest leplus touchédans

cetteaffaire. Littéralement, il n’estchez lui nulle part. Que ce soit surla page d’un site ou d’un blog, ousur le flux d’un réseau social, sonexpression côtoie commentaireset contenus venus d’ailleurs. Sondevoir d’auteur est d’accueillir cesautres internautes qui commen-tentou lui envoientdesmessages,et également de placer des lienspointant vers leurs pages sur leréseau. Dans une régression éton-nante, l’hypertexte le plus cou-rant, disons lapageFaceBookd’uninternauteousoncompteTwitter,recrée l’ambiguïtédesmanuscritsdu premier Moyen Age où ildemeure souvent impossibleaujourd’hui de différencier ce quirelèveducopiste, reproduisantunsavoir et des commentairesqu’il alusetqui lui semblentdignesd’in-térêt, et ce qui relève de l’auteurlui-même créant avec sa plume.(…) Le nom de l’auteur était sou-vent omis, l’auteur étant, de fait,celui qui compilait cequi lui semblait digned’intérêt.

pages105-109

La Conditionnumérique,de Jean-FrançoisFogelet BrunoPatino,Grasset, «Essai»,216p., 18 ¤.

Lireaussil’éditorialde JeanBirnbaumenpremièrepage

STÉPHANE KIEHL

Bonnes feuilles 50123Vendredi 5 avril 2013

Page 34: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

CarnetspassésautamisdutempsLepoètePhilippeJaccottet,87ans,arelusesnotes–undemi-siècled’écrits –unedernièrefois .«Tachesdesoleil,oud’ombre»enrassemblelespépites

Quandlesauteursdepolarsbroientdunoir

Amitiés,admirations,méditations

Tachesde soleil, oud’ombre,dePhilippe Jaccottet,LeBruit du temps, 206p., 22¤.

C’est d’actualité

LESORSSURANNÉSde la vaste sallederéceptionde l’hôtel de ville de Lyonn’avaient sansdoutepas enregistréunsilenceaussi impressionnantdepuis long-temps.C’était le deuxièmejourde la9eédi-tiondeQuaisdupolar, le rendez-vousdésormais incontournablede toutes les lit-tératurespolicièresqui, du 29mars au1eravril, a rassemblé60000personnesetvu25000milles livresvendus. Ledébats’intitulait: «Entre les tranchesdevies etlaviedesquartiers: les faits divers». Il ron-ronnait gentiment lorsquePetrosMarka-ris, unécrivaingrec, à qui venait d’êtredécerné leprix Le Pointdupolar euro-péenpour son romanLiquidationsà lagrecque (Seuil), a pris laparole.

«Autrefois, Athènes était une ville nor-male et bruyante, qui ressemblait à unenfer le jourmais àunparadis la nuit.Avec la crise, c’est fini, le paradis a disparu.Aujourd’hui, lamajorité des gens n’osentpas sortir la nuit. Les quartiers sont deschampsdebataille entre immigrés, poli-ciers et néonazis. Il y a des quartiersentiers, commeàAgios Panteleimonas, où

personnene vaplus, qu’il s’agisse des insti-tutionsgouvernementalesoude l’Eglise,pourproposer de l’aide. Il n’y a plus que lesnéonazisde l’Aubedorée qui sont pré-sents. Ils ont remplacé la police, chassentles immigrés et aident les chômeurs, lesvieux.Nous leur avons laissé tout lechamp libre pour agir. C’est une énormeerreur.Durant la RépubliquedeWeimar,dans les années 1930 enAllemagne, c’étaitexactement lamêmeméthode. Ce sontdesnazis, et ils savent comment faire.Nousavons besoinde trouverun systèmedans lequel ils n’aurontaucun champlibrepour leur action.Vous devez toutoccuperavant eux.Ou vous êtes perdus.Car ils sont organisés, ils savent commentse battre, ils savent comment intimider lesgens, donc ils savent utiliser tout cela… Laréalité est devenuebien pire que toute fic-tion.Quedoit faire un écrivain?Quelle estla bonne façonpour exprimer cette réa-lité? Peut-on se contenter de la distancedu témoin? Faut-il encore forcer plus letrait? Je ne sais pas…» Le silencequi asuivi était éloquent.Onatteignait au

cœurdes débats qui, pendantquatrejours, ont agité les soixante-dix écrivainsvenusdumonde entier à Lyon. Commentcontinuer à parler d’unmondequi vamal lorsqu’on racontedéjà sa face som-bre, ses excès, ses névroses, ses turpitu-des?Aller encoreplus loindans la vio-lence? Commentdésormais écrire?

Pince-sans-rireLe lendemainmatin, dansun sous-sol

de l’Opérade Lyon, plein à craquer,DonnaLeon, la plus vénitiennedesAméri-caines, a elle aussi fait part de son inquié-tude. «AVenise, il n’y a plus d’argent. 30%des jeunes sont au chômage: ils envisa-gent departir à l’étranger parcequ’il n’y aplus d’avenir en Italie. La fête est finie ! Lesgens sont déprimés, la violencemonte etmêmemoi, je réfléchis aux rues que je vaisemprunterpour rentrer chezmoi le soir.Lamorosité est totale: tout lemondeacompris que la perspective d’une viemeilleure s’éloignait…»Avec l’humourtrèspince-sans-rire qui caractérise cettefemmeénergiquesous son casquede che-

veuxgris, elle a décrit la stupéfactionàl’écouted’une conversationentre deuxdamesplutôt chics dansune trattoriaàcôté de chez elle. La première expliquaitqu’elle rêvait de se rendre à Rome, auParlement, pour y déposerunebombe etmettre fin à toute cette comédie. La se-conde renchérissait: le nouveaupape lui-même, dans sa première allocution,n’avait-il pas dit : «Finita la comedia!»,tout comme le populiste BepeGrillo?EtDonna Leond’ajouter: «Voilà la voxpopuli en Italie, aujourd’hui!»Dès lors,commentécrire la nouvelle enquêted’unêtre aussi paisible et heureuxque le com-missaireBrunetti, le héros récurrentdeDonnaLeon, aumomentoùune sociétéentière sombredans lemarasme?«Onnepeut pasmettre du cheval dansles lasagnes», a commenté,mi-figuemi-raisin,uneDonna Leonvégétarienneconvaincue…

Le SuédoisHenningMankell, auteur àsuccèsdes aventuresde l’inspecteurdia-bétiqueWallander, a expliqué, lors d’uneautre conférence très émouvante, que,

certes, écrire des polars est unebonnefaçondeparler de la sociétédans laquelleonvit et surtout de ses contradictions.Mais que l’engagementpersonnel peutêtreune autre façonde témoigner. Et deciter la Francedu siècledes Lumières,Diderot et Voltaire, ou encoreBalzac, sonécrivainpréféré. «Votre pays est en lutteavec sapropre identité : il faut se battrepour retrouver cet esprit des Lumières quevous êtes en train deperdre.»

Unromancier français comme Jean-HuguesOppel, sorte de fils spirituel deJean-PatrickManchette, a dit penser, luiaussi, quedésormais la réalité va plusloinque la fiction.Du coup, se contenter,mêmesi c’est pratique, de décrire lescrimesd’unpsychopathene fait pasvraiment avancer le Schmilblick. Il ad’ailleurs émis l’idéede rédiger unwestern financier…

Résolumentnoir, l’air du temps?Qua-tre jours durant, les auteursdepolars ontmontréqu’ils savaient le capter. Avant dele broyer et d’en faire lamatière de leursprochains livres…p YannPlougastel

LIREPhilippe Jaccot-tet, c’est accepter dele suivre sur un che-min couleur de terre– qu’il relise La Senteétroite dubout dumonde,dupoètejaponaisBashô, ouqu’il écoute leVoyaged’hiver,deSchubert. Si, dans

les pages inédites de Taches de soleil, oud’ombre, il fait place auxproches, auxamis, en évoquant des rencontres, cen’est jamais en «chroniqueur» ni en«archiviste». Puisé dans lesmêmes car-nets que les trois volumesde La Semai-

son, ce recueil deNotes sauvegardéesendiffère, parce qu’il procèded’unregard rétrospectif.Mais la «texture»de l’œuvre est bien lamême: il s’agit, iciet là, de «prononcer juste». D’atteindre,par-delà la prose, «ce corps sensiblequ’est toujoursunpoème».

Les sensations fraîches liées aupay-sage sont présentes, par touches: lechantdu loriot, d’une tranquillitéétrange, des fleurs vues à la find’unemarche. La tonalité dominante est l’ad-mirationpour les grandesœuvres, inlas-sablement relues: Leopardi et Senan-cour,Hölderlin etMandelstam,RoudetUngaretti. Et pour les «concentrés desilence»de la peinturedeMorandi.

Parmi lesmerveillesqu’offrent cesinédits, uneméditationmagnifique surunephrasede l’Apocalypse («Ecris àl’angede l’église de Laodicée») : «Cettephrasem’avait donc touchéà la façond’unair demusiquequi nous hante sansqu’on sachebienpourquoi, ou commecertains vers, certaines phrases: ainsi,plus tard, celle de Chateaubriand citéeparArlanddans LaConsolationduvoya-geur : “On croyait entendre cet oiseausansnomqui console le voyageurdansle vallon duCachemire”.»pM.Pn

Extrait

LaProvencechère au poète.

ZIR/SIGNATURES

Histoired’un livre

(1962) «Le loriot s’éloigneàmesure que jem’avance sous les chênes– commedans les ancienscontes; un seul instant,je l’aperçois commeuneplante qui vole et chante.Les chemins sont sus-pendus entre les champset la forêt commedesgaleries (et je repense àcelles qui conduisent àdes grottes sacrées, je nesais où enChine).

D’un côté j’ai le ciel, àmagauche le ciel, la ruesur les lointains, l’ouvert ;àmadroite il y a lamai-sond’arbres, lamaisond’yeuses, avec ses fenêtreset ses habitants, lesoiseauxpareils à deslampes.Onmarche ainsientre le secret et l’aveu,la retraite d’ombre et lerisque, et c’est cettedoublepossessionquiest belle.»

Tachesde soleil,

oud’ombre, page45

Monique Petillon

Longtemps, Philippe Jac-cottet s’est refusé à par-ler de ses proches dansses livres. La publica-tion de Taches de soleil,oud’ombre,pagesdecar-

nets inéditesdecegrandpoètedis-cret, soucieux d’effacement et dejustesse, est un événement. Com-me les trois volumes de notes deLaSemaison (Gallimard), cesNotessauvegardées 1952-2005 (son dis-cret sous-titre) mêlent promena-des, méditations poétiques, récitsde rêves. Mais, évoquant désor-mais plus librement souvenirs,voyages, rencontres, anecdotes,elles font davantage de place àl’amitié et à l’émotion.

Ce livre paraît avant l’éditionprochaine de «La Pléiade», prépa-réepar le Centre de recherches surles lettres romandes (Universitéde Lausanne), sous la direction deJosé-Flore Tappy, qui regrouperales œuvresmajeures – un volumepour lequel Philippe Jaccottet aproposé une architecture chrono-logique. Aumoment de classer lesarchives, que faire de ces trentecahiersmanuscrits?

«J’ai envisagé, raconte-t-il, deles détruire, sachant très bien que,même si je formulais des interdic-tions, elles ne seraient pas respec-téesparunmaniaquequi voudraitqu’une édition posthume fût com-plète. Et c’est pourquoi, en prévi-sion de cet autodafé, que peut-êtreje ne pourrai pas accomplir parcequec’estdifficile de se séparerdecequi vous a accompagné toute unevie, j’airelutoutescesnotesetcopiécelles qui me semblaient avoir ététrop sévèrement écartées des volu-mesprécédents.

J’ai l’exemple de Gustave Roud(poète et photographe suisse,1897-1976) : jemesuisoccupédesescarnets inédits après sa mort. Iln’avait donné aucune indication.J’ai décidé de faire une publicationen supprimantquelques textes, j’aiété très sévèrement critiqué.Moi, jeconnaissais bien Gustave Rouddepuis ma jeunesse et je savaisqu’il était extrêmement pudique

sur savieprivée. Les fanatiquesonteu le dessus. On dispose d’une édi-tion en deux volumes avec descommentaires. Bon, très bien.Maisil n’est pas question que cela arrivepourmoi.»

C’est à la fin de son séjour àParis (de 1946 à 1952) que PhilippeJaccottet, tout en donnant deschroniques de poésie à La NRF, acommencé à tenir des carnets.« Jeune poète, en Suisse, j’auraistrouvé inacceptable d’écrire desnotes. Il y a pourtant des voyagesen Italie dont j’aurais aimé garderquelques traces. C’est à Paris quej’ai découvert les qualités de laprose, et commencé à noter desdétails. A cette époque, j’auraisrêvé d’être Tchekhov – quem’avaitfait découvrir mon colocataireGeorges Borgeaud (écrivain,1914-1998). »

«Garder un contact»La plupart des notes suivantes

ont été écrites à Grignan, où lepoèteetsonépouseAnne-Mariesesont installés en 1953, pour écrireet pour peindre. «Les premièresannées, reprend Philippe Jaccot-tet, je passais une grande partie dela journéeà traduireMusil. Lanoteétait un moyen de garder uncontact avec le monde poétique, jene m’en suis jamais défait. J’aitrouvé dans Littré ce beau mot de“semaison” qui m’a paru convenirà cet ensemble de choses vues, cho-ses lues, choses rêvées. Il y avait làdes espèces de graines qui pou-vaient s’épanouir en poèmes.»

Plus orienté vers la prose,Taches de soleil, ou d’ombre n’estcertespasun journal intime.Mais,ajoute-t-il, «c’est un volume plusprivé, concernant ma famille, desvisitesàdesamis. J’aigardédes élé-ments plus anecdotiques, que jen’auraispas laissépasserdansmestextes précédents. Il y a même desportraits de personnages de Gri-gnanquim’avaienttouché.Cesontdes notes que j’écrivais pour LaFeuilled’avisde laBéroche, le petitjournal de mon beau-père, quiétait imprimeur.»

Lamort de son beau-père, cellede sa mère, qui ont inspiré lesrecueils Leçons (Payot, 1969) etChants d’en bas (Payot, 1974), sontévoquées dans des pages admira-blesetglaçantes.Cesnotes, dont larelecture a été douloureuse,n’auraient sans doute pu êtrepubliées plus tôt. On croise aussi,fugacement, lesenfants,alors toutjeunes, du poète: sa petite fille de5ansobservantunfennecou,dansunpoème, son fils Antoine Jaccot-tet qui, devenu éditeur, accueilleaujourd’huicevolumedanslamai-sonqu’ila fondéeen2008,LeBruitdu temps.

Même liberté désormais pourmentionner des amis poètes, rap-peler des rencontres. Des visitespour revoirHenriThomaset Fran-cis Ponge. Un passage chez RenéChar, aux Busclats, avec le poèteestonien Ivar Ivask.UnerencontreavecMichelLeiris, lorsdel’enterre-ment de la mère de sa cousine,AnnetteGiacometti.«Il faisaitpar-

tiedecegroupequ’elleavaitdécou-vert avec émerveillement lorsqueAlberto Giacometti l’avait enlevéedeGenève et emmenéeà Paris.»

Parmi ses contemporains, il citeYvesBonnefoy(néen1923),aunom-bre de ceux pour lesquels il a « leplus d’admiration et d’affection».Et, surtout, «à cause de sa fidélitéinébranlable à l’essentiel», Andrédu Bouchet (1924-2001), à qui il aconsacréun«tombeau»,Truinasle21avril 2001 (LaDogana2004).

Les notes inédites de Taches desoleil, ou d’ombre retracent le par-cours d’une vie, mêlant deuils etallégresse, instants de doute oudeplénitude.

Philippe Jaccottet a choisi de leclore par un épilogue harmo-nieux, où se répondent le jardinsous les étoiles, la musique deBach et la peinture de Poussin. «Ilme plaît qu’il s’achève ainsi sur lafigure dansante de Flore et si loindenos débâcles.»p

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A chacun sa CommuneL’historienbritanniqueRobert Tombsa comparé laCommunede Paris à un carrefouroù se croiseraientle boulevardde la République, la rueduSocialisme,le cheminduFéminisme…Dans ce sillage, Eric Four-nier proposeun essai sur lesmémoires conflictuel-les de la Commune: spectre communiste, fantômeversaillais, sphinx libertaire… Ilmontre comment lesouvenirde l’insurrectiona resurgi à chaque crisepolitique, par exemple aumomentde l’affaireDreyfus, du6février 1934oudeMai 68. Il exhibeaussi les batailles dont cettemémoire fait encorel’objet denos jours, non seulementà gauchemaisaussi du côtédes droites «identitaires». Adossé àunebonnemaîtrise de l’historiographie, ce livreconstitueune synthèse stimulante sur les usages dupassé et les anachronismesmilitants qui n’en finis-sentpas de relancer lamémoirede la Commune.Sansque ces réappropriations fassent toujoursgrandcas, conclut Fournier, de l’expérimentationdémocratiquequi demeure le vrai apport des fédé-rés ànotre consciencepolitique.p Jean BirnbaumaLa Communen’est pasmorte.Les usages politiques dupassé de 1871 ànos jours,d’Eric Fournier, Libertalia, 192p., 13 €.

MaFrance àmoiQu’attendredecettenouvelle«histoirepersonnellede laFrance» lancéepar lesPUF, etdont lesdeuxpre-miersvolumesviennentdeparaître, sous laplumedeBrunoDumézilet celledeClaudeGauvard?Pasvraimentunpositionnementhistoriographiqueouméthodologiquequi seraitpropreauxauteurs: lesdeuxouvrages intègrent lesacquis récentsde larechercheenhistoireduMoyenAge,mais les fon-dentdemanièreclassiquedans lemouledemanuelsd’initiation.Une libertédeton,plutôt:nourrisdejugementspersonnelsetd’uneécriture faisant lapartbelleà l’oralitéet auxparallèlesqui sont lequotidien

de l’enseignant, ces livres rompentavecl’écriture lisseetneutrepropreaugenre.Mêmes’ilsn’évitentpas tou-jours lesambiguïtésd’unehistoiredesoriginesnationales, ilsdonnerontaulecteur le sentimentd’unrécit vivantquigarde l’empreintede sonorigine,l’enseignement.pEtienneAnheimaDes Gaulois aux Carolingiens (du Ier auIXesiècle), de BrunoDumézil, PUF, «Unehistoire personnelle de la France», 232p., 14 ¤.

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PAYSANdePARIS

Le8–23 avril 2013

Le chantier de la religionDansune collectionqui invite des chercheurs ensciences sociales àmanier la réflexivité,GuillaumeCuchet livre son cheminementpersonnel d’histo-rien spécialistede la religion. Il en ressort un courtet stimulant autoportrait d’un chercheur, né en1973, qui voit son sujet, le catholicisme, se recompo-ser, voire se décomposer, sous ses yeux, tandis quela discipline elle-même– qui connutun renouveauexceptionneldans les années 1960-1970–donnetous les signes de l’affaiblissement institutionnel.Guidépar les travauxdeMarcelGauchet et deMichel de Certeau,GuillaumeCuchet pose le déclinde la religion, et notamment la grande rupture desannées 1965-1980, comme le chantierprioritaire,l’interrogationde fond, qui innerve etmotive sontravail d’historien.p J.Cl.aFaire de l’histoire religieuse dansune sociétésortie de la religion, deGuillaume Cuchet,Publications de la Sorbonne, « Itinéraires», 238p., 18 ¤.

Sans oublier

Julie Clarini

C’est l’une des tendanceslourdes de l’histoiredepuis une génération,l’une de ses forcesmême:

une propension à l’auto-analyse,uneconscienceaiguëde la respon-sabilitéquelemétierengage,pous-sant lesuns et les autres à se regar-deragir,écrire,chercher.Etinterve-nir dans le débat public.

On a vu les historiens extrême-ment sollicités par la controversesur l’identité nationale, les unsacceptant de donner du contenuàcette idée, les autres s’efforçant dedémontrer son inanité dans forcearticles et tribunes. Avec LesOrigi-nes de la France, Sylvain Venayre,

spécialistedel’imaginaireduvoya-ge, s’interroge: pourquoi nous, leshistoriens? Pourquoi, alors quenotre magistère semblait révolu,c’est naturellement vers nous quelespolitiques et lesmédias se sonttournés pour saisir« l’identité fran-çaise » ? Pourquoiattend-t-on de nouscette révélation, etdepuis quand?

La convocation estd’autant plus éton-nante qu’elle ne cor-respond plus à au-cune actualité de larecherche. Le mondeacadémique a évacué la questiondes origines nationales depuisLucien Febvre et Marc Bloch, dèsles années 1930 ; le mystère del’identité est remisé au placard,réservé à des spéculations qu’onne s’autorise que dans la presse,

voireàdesessaisde findecarrière.Alors, absurde, le réflexe des jour-nalistes et des politiques? Loin delà. Car la question des origines abeletbienétécentraledansl’émer-gence de l’histoire comme disci-

pline universitairetout au long duXIXesiècle. Et même:rien ne permettait dedire qu’elle allait dis-paraître des préoccu-pations légitimes dessavants tant elle amobilisé les plusgrands esprits du siè-cle. C’est l’enseigne-ment de l’enquête

aussipassionnantequ’éruditequepropose SylvainVenayre.

Histoire et quête des originessont liées depuis les travaux del’écoledite«libérale»quiapparaîtau lendemainde lachutedeNapo-léon: pour défendre la légitimité

des principes issus de la Révo-lution s’imposait l’écriture, nonplus d’une histoire de France, quilégitime la monarchie avec seshauts faits et ses conquêtes, maisd’une histoire de la nation fran-çaise, du peuple tout entier. AinsiAugustin Thierry (1795-1856)retourne-t-il, affirme SylvainVenayre, «au profit des roturiers,le réflexe nobiliaire consistant àlégitimerlesprivilègesparlagénéa-logie.(…) L’histoire des originesnationales pouvait désormaiss’écrire comme le récit de la réu-nion des différentes branches quiavaient formé, progressivement, letronc de la famille française.»

Ce souci du grand récit originelrestera constant, nourri par lesuns,débattupar lesautres, jusqu’àcequeLucienFebvreetMarcBlochy mettent un terme. Et L’Identitéde la France, de Fernand Braudel(Arthaud, 1986)? Un livre ambigu

qui frôle la régressionhistoriogra-phique, répond Venayre au termede son enquête.

Auplus près des textes, dont levolume propose une anthologie,

l’auteur suit ainsi les méandresde l’obsession des origines etlivre chemin faisant une bellehistoire des historiens.p

JulieClarini

Il y a presque vingt ans, unlivre collectif intitulé Passésrecomposés, dirigé par JeanBoutier et Dominique Julia(Autrement, 1995), faisait lebilan des interrogations

néesauseindeladisciplinehistori-que dans les deux décennies quisuivirentlaparutiondestroisvolu-mes de Faire de l’histoire (Galli-mard, 1974). Pour les auteurs, deuxévolutions majeures avaientébranlé les certitudes de l’ouvragedirigé par Jacques Le Goff et PierreNora. D’une part, les historienss’étaient éloignés des approchesquidévoilaientlesstructuresobjec-tives, les déterminationsnon sues,pourprivilégierd’autresperspecti-ves, attentives au rôle des acteurs,à leurs stratégies explicites et àleur rationalité propre. D’autrepart, lecteursdePaul RicœuroudeMichel de Certeau, ils avaient prisconscience de la difficile articu-lation entre l’histoire commeconnaissancescientifique,quisup-pose preuves et contrôles spécifi-ques, et l’histoire comme écriture,

qui mobilise des figures rhétori-ques et les formules narrativesqu’ellepartageavec la fiction.

Dans A quoi pensent les histo-riens?, qui dresse un nouvel étatdes lieux historiens, ce «tournantpragmatique»etcette«consciencenarrative» sont tenus pour desacquis.Pourconnaître lespréoccu-pations des historiens aujour-d’hui, quinze d’entre eux ont étéréunis, huit hommes et sept fem-mes, nés entre la fin des années1960etcelledesannées1970,majo-ritairement spécialistesdesXIXe etXXesiècles. Ce qui retient d’abordl’attention est le fait que les nom-breuxtravauxcitésdanslescontri-butions sont quasi uniquementdes livres et des articles publiés en

français ou en anglais. Cette dou-ble hégémonie n’est battue enbrèchequepouraccueillirlamicro-histoire italienne et, plus discrète-ment, l’histoireallemandeduquo-tidien. Toutes les autres historio-graphies, même proches et nova-trices,commel’espagnoleoulapor-tugaise,semblentnepasexister.Leparadoxe serait donc qu’en untemps où l’histoire se veut plus« globale », plus sensible auxcontacts, relations, connexionsentre différentes parties dumonde, l’horizon intellectuel deshistoriens se réduise souvent àdeux traditions: la leur et celle dumondeanglophone.

Parmi les défis que doit releverlapratiquedel’histoireencedébutde siècle, certains sont extérieursau champ académique. Il en vaainsi de l’entrée dans lemondedunumérique et de la « crise » del’édition qui l’accompagne, quifondent les réticences à publierdes ouvrages (livres collectifs,monographies, traductions) quil’auraient été sans grande diffi-culté il y a vingt ou trente ans. Lamultiplication des usages sociauxde l’histoire, devenue loisir collec-tif, les politiques et les exigencesmémorielles ou encore les rôlesnouveaux des historiens commetémoinsdevant les tribunauxsontégalement des contraintes nou-velles, bien inventoriées par Nico-

las Offenstadt. D’autres défis sontsituésdanslechampintellectueletscientifique.

Le premier est l’appropriationdesobjetshistoriquesparlesscien-ces cognitives et les neurosciencesqui, comme le souligne Joan Scottcitée par Delphine Gardey, propo-sentdes«registresexplicatifsextra-sociaux». Ce « tournant biologi-que», qui rapporte aux circuitscérébraux des constantes univer-selles(structureslinguistiques,for-mules esthétiques, régimes émo-tionnels,etc.),estunemanièrenou-velle d’énoncer la tension entreparentésmorphologiquesettrans-missions historiques. C’est là unequestion essentielle posée par ledésenclavement du monde qui, àpartir du XVesiècle, fait entrer encontact des cultures qui jusque-làs’ignoraient. Pour en rendrecompte adéquatement, RomainBertrand suggère la notion de«polygénisme écologique et cultu-rel».Ellepourraitpermettred’iden-tifier les pratiques ou les langagescommuns produits par descontraintes similaires sans pourautantsupposerl’existenced’inva-riants anthropologiques.

Un second défi, qui tourne àl’obsession, est le rapport que leshistoriens entretiennent aujour-d’hui avec la « littérature». Fas-cinés par les pouvoirs de connais-sance des textes littéraires, cer-

tainshistorienssesontlancésdansdes expérimentations narratives,sur lesquelles plane la grandeombre de Carlo Ginzburg – parexemple, l’inventionde situationsque n’atteste aucun document oula présence de l’historien lui-même dans la réalité dont il écritl’histoire. Mais rappelons queGinzburg ne sépare pas cetteliberté inventive de l’écritured’une réflexion aiguë sur les cri-tères de preuve, qui assurent lerégimedeconnaissancespécifiquede l’histoire.

Sous la plumedeshistoriensduXXIesiècle, l’histoire est devenueplus hardie, plus «insouciante»,comme le veut Christophe Gran-ger. C’est tant mieux. Toutefoisdemeure la nécessité de penser ladiscipline dans sa double identité.Toujours, elle est écrite à partir depositions, de traditions, de préfé-rences singulières. Mais toujoursaussi, lorsqu’elle se veut scientifi-que, elle est soumise aux règles deproduction et de validation dusavoir qui s’imposent à ceux etcellesqui lapratiquent.p

Critiques Histoire

PenchéssurleberceaudelanationDansunessai stimulant,SylvainVenayreenquêtesur l’obsessiondesoriginesdelaFrancechez leshistoriens

Certains sont fascinéspar les pouvoirsde connaissance destextes littéraires

LesOriginesde la France.Quandleshistoriensracontaientlanation,de SylvainVenayre,Seuil, «L’Univershistorique»,448p., 25 ¤.

Quinzejeuneschercheurs,telsDelphineGardeyetRomainBertrand,dressentlalistedespassionnantsdéfisqueleurdisciplinedoitreleveraujourd’hui

Hardishistoriens!

Aquoi pensent leshistoriens? Faire del’histoireauXXIesiècle,sous la directiondeChristopheGranger,Autrement, «L’atelierd’histoire», 314p., 23¤.

TEUNHOCKS

Roger Chartierhistorien,professeurauCollègede France

70123Vendredi 5 avril 2013

Page 36: Paradis Fiscaux 5 4 2013 Le Monde

UnebellebaladeenMontaigne a6-7avril: Fêtedulivred’AutunPour sa 16e édition, avecpour thème les «Chemins…», la Fête(Saône-et-Loire) reçoit plus de 100auteurs, parmi lesquels laromancièreNoëlle Châtelet et l’historienPascal Blanchard.lireenpaysautunois.fr

aDu11au14avril:Littérature&journalismeàMetzLeparrainde cette 26e édition, AminMaalouf, évoquera sonœuvreet dévoilera sa bibliothèque idéale. Jean Echenoz, Jean-PaulKauffmann, Linda Lê,OlivierRolin, ClaudeLanzmann, Lau-rentBinet,Mathias Enard, PierrePachet, YannickHaenel sontquelques-unsdes auteurs invités. Côté journalistes sont atten-dus EdithBouvier,MémonaHintermann,Antoine Sfeir, RobertSolé, AnneNivat, Patrick de Saint-Exupéry. Parmi les événe-mentsmarquants,une conférencedonnéepar ClaudioMagriset undébat sur le travail entre l’écrivain FrançoisBon, l’ancienouvrierAntonioPennacchi et le syndicalisteEdouardMartin.www.litteratureetjournalisme.com

a11-12avril: jeuneshérosàMontreuilLe colloqueannuel de l’Ecole du livre de jeunessedeMontreuil(Seine-Saint-Denis)portera sur «L’étoffedes héros». Commentleshéros influencent-ils notre relationaumonde? Leur figureévolue-t-elle en fonctiondes progrès techniques et des change-ments desmentalités?Quelsmiroirs symboliquesde la sociétéproposent-ils aux lecteurs? L’identificationà ces archétypesidéalisés aide-t-elle les enfants à grandir? Parmi les interve-nants figurent les romanciersAgnèsDesartheet TimothéedeFombelle ainsi que la philosopheCynthia Fleury.Réservation obligatoire. www.slpj.fr

Il AIMEVRAIMENTLESMELONS,mais pas du tout faire l’amourdebout…Montaigne l’a dit à tousses amis, terme synonymede lec-teurs attentifs. Ils connaissent cesdétailsuniquementparce qu’unjour, il y a quatre bons siècles, il adécidéde les consignerpar écrit,commetout ce qui lui passait àl’esprit d’heure enheure. Car cethommefluctuant, nonchalant,rarementpesant, parfois vrai-ment lent, a inventé, bienplusqu’un livre à nul autre pareil, uneattitudenouvelle: se raconterparlemenu – sansnégliger divaga-tions subjectives, variations infini-tésimales, contradictions assu-mées –pourmieuxparler à cha-cun, auplus près, de sa proprehumanité. Tel est donc sonétrangemiracle : neparler quedesoi, dans sesmoindres singula-rités,mais donnerpar làmême, àtoutun chacun, une impressionprofonde, et combien troublante,d’intime familiarité.

«Commentdonc sait-il celademoi?», finissentpar sedire ceuxqui s’aventurentdans lesEssais,alorsqu’ils se trouvent séparésdeleurauteurpar les ans, les langueset les coutumes.Ce choc, SarahBakewell l’a éprouvé.Un jour,Sarah, anciennebibliothécaire,devenuecritique littéraire etauteurdebiographies remar-quées, a rencontréMichel.Ouplu-tôt lesMontaigne.Car elle adécou-vertqu’il était plusieurs.Depuis,ellene les aplusquittés, cherchantà comprendrecomment ils sontapparuset dequellemanière ils sedébrouillentpourvivre. La seulequestionde cegentilhommeplu-riel est eneffet de savoir,heureparheure, commentmener lavie laplus satisfaisantequ’il soithumai-nementpossibled’atteindre.

«Asauts et à gambades»J’avoue: enouvrant le volume,

j’étaisplutôtméfiant. Trèsvite, jemesuis sentideplusenplus

«éjoui», commeditMichel. CarSarahBakewell réussit, avecbeau-coupd’élégance,unvrai tourdeforce.Elle tressehabilement troisfils: les élémentsd’unebiographiedeMontaigne, les facettesde sasagessedevivre, les innombrableslecturesdont il a fait l’objet, depuisses contemporains jusqu’auxnôtres.Onrencontredoncaussibien, au fil des chapitres, lesmaxi-mesgravées sur lespoutresduchâ-teaud’Eyquem, la tendressedeVir-giniaWoolfpour lephilosophe, lesrègles fondatricesd’uneexistencesereineendépitdesviolentesdou-leursurinairesprovoquéespar lamaladiede lapierre. Encore faut-ilpréciserque le tout, bienquesavammentconstruit, sepaie leluxed’avoir l’air d’avancer«àsauts etàgambades», commeuneinsoucianteet allègrepromenade.

Onaura compris que le livres’adresse à tous, ceuxqui connais-sent bienMontaignecommeceuxqui veulent le découvrir,mais sur-

tout qu’il a autant de charmequede finesse et de savoir. Bien sûr,onpeut toujours chipoter, jugerpar exemple que sont sous-repré-sentés les aspects proprementmétaphysiquesde la penséedeMontaigne,notamment cetteontologieparadoxale et disconti-nuiste, qui lui fait dire, dans l’Apo-logiede RaymondSebon : «Finale-ment, il n’est aucune constanteexistence, ni denotre être, ni decelui des objets.»Mais ce ne seraitquepinaillages et jeuxd’humeur.Mieuxvaut fêter cette rareté: unlivre intelligent et populaire, quiressemble àMontaigne, à forcedel’aimer.p

FrançoisMorelcomédien

Portraitavecaccordéon

Figures libres

A titre particulier

d’Eric Chevillard

Agenda

L’ETOILE ET LAVIEILLE raconte les répétitionsd’un spectacleréunissantune starpopulairehabillée sur scènepar JeanPaulGaultier et unmetteur en scène dugenre théâtre public, intel-lectuel, cultivé, cérébral, gauchisant et en l’occurrencebarbubreton. L’associationn’a riendenaturel. Elle ressembleplutôtà un romande science-fictiondans lequel onverrait PierreBoulezpartir en croisière avecAndréVerchuren,Aperghisjouer à la belotte avec EdouardDuleu, PhilipGlass fricoter avecAnnieCordyet l’Ircam tomberdans les bras de lamusette.Le chocdes cultures, ça s’appelle.

La rencontre a à voir avec le hasardmais surtout la grâce.Demêmeque Paul Claudel a la révélationde l’existencedeDieuprèsdudeuxièmepilier deNotre-Dame, à droite, du côtéde la sacristie, le narrateur a la révélationde l’existenced’Odettequi, idéale,merveilleuse, irréelle, lui apparaît à Lyon,commedansun rêve éveillé, à la table d’unebrasserie de la rivegauchede la Saône.

Aussitôtqu’elle surgit, dès les premièrespagesde L’Etoile etla Vieille, on reconnaît cetteOdette-là. Star de l’accordéon,popu, chevelure rouge. Pas besoindevous faire undessin.Onsedit qu’onva en apprendrede belles, de salées, de gratinées,voire de sévères. Et peut-êtremêmedes pas piquéesdeshan-netons.On imaginedéjàune sorte d’autofictionunpeu sulfu-reuse. Ainsi qu’uneMarcela Iacubparlantde son cochonsublime,Michel Rostainva-t-il évoquer sa pintademagnifi-que? Va-t-il nous faire le coupde la paonneadmirable?

Je préfère vousprévenir: on se trompe, on se fourvoie, onn’yest pas du tout. D’ailleurs, page59, l’auteur lâche lemorceau:«CetteOdette ressembleà biendes égards à la grandeYvetteHorner avec qui j’ai préparéun spectacle en 2002. Et cemetteuren scène ades traits communsavecmoi. (…)Mais il y a dans celivre tropde différencespour le prendre commeun récit ouuntémoignage. (…) Les fictions d’ici sont très loin de rendre comptedenos répétitions.»

AffreusementséduisanteOnaurait tort d’ironiser, de semoquer. L’Etoile et la Vieille

traceunportrait bouleversantd’une grandeartiste qui vient dechoperune salemaladie dont, paraît-il, on peutmourir et quis’appelle la vieillesse. La vieille dameest capricieuse, égocentri-que, autoritaire. Elle est aussi drôle, généreuse, rayonnante.Elle estmerveilleusement insupportable. Elle est affreusementséduisante. Tout tourne autourd’elle. C’est une étoile.

«Quandune étoile se dégrade, elle émet dans le désordre,avec parmomentsdes silences et à d’autres de très violentesémissionsd’énergie. (…)Odette est cette étoile-là, somptueuse,incandescente, imprévisible.»Michel Rostain raconteprécisé-ment cette étoile qui clignotedansun ciel sombre etmenaçant.

C’est déchirant commeunevalse à trois temps.On auraitbien envie de riremais onnepeut pas. Ce qui se joue, c’est legoûtdu théâtre, l’amour dupublic, le désir de se surpasser, desolliciter lemiracle, l’envie chaque soir d’atteindre, oui, préci-sément«l’inaccessible étoile».

Dansdes rôles secondairesmais bien tenus, on trouveuneJoséphine, cantatrice, aimante et attentive, uneDanièle, fée desloges, servantemodeste et indispensabledu théâtre.

Il y a aussi unpetit garçon fasciné, comme toutun chacun,par l’étoile.«Il aimerait soudain que leur fils soit aussi avec euxpour valser.» Et tout d’un coup surgit une tristesse inconsolée.

L’Etoile et la Vieillen’est pas seulementunbel hommageadressé àune grandeartiste.

C’est une lettre d’amour.p

DeuxpastèquesetunnavetLe feuilleton

La première chose qu’onregarde,deGrégoireDelacourt,Grasset, 250p., 17¤.

Roger-Pol Droit

Merci à Perle pour sonsoutien moral et soncakeauxolives.Merciàmes huit arrière-grands-parents sanslesquels ce livre n’exis-

teraitpas.MerciàNinettepourses recher-ches en bibliothèque, son sourire de Jo-conde, et de bien vouloir me rendre monécharpe bleue. Merci à ma femme Pat etaux garçons pour leur patience quand lebuffle piaffe dans la chambre d’écriture.MerciaumontTurluronque jevois demafenêtre et qui veille àme garderma place.Merci à la muse qui se reconnaîtra (Pat, ilfautqu’on separle).Merci à Jacques,Mou-rad, Liu etOlsönpour les relectures…Et çan’en finit plus, le romancier, en achevantson livre, se croit aujourd’hui tenu deremercier le monde entier qui s’est orga-nisé si obligeamment depuis le premierjour pour rendre celui-ci possible.

Ainsi fait, par exemple, Grégoire Dela-court, et c’est la dernière chose qu’on litdans La Première Chose qu’on regarde, sonnouveau roman: «REMERCIEMENTS infi-nisàKarinaHocineetClaireSilve.Vousêtesmes ailes et le vent favorable. A Emma-nuelle Allibert et Laurence Barrère, quisavent toucher les cœurs pour faire ouvrirles yeux (…). Aux journalistes et librairesquiont fait prendre à La Liste de mes enviesune route d’étoiles (…)» Il y a bien encore àsuivre l’achevéd’imprimer,mais le lecteurest déjà sur le flanc, et ce serait gâcher uneballe.Carlamièvrelitaniequenousvenonsde lire constitue un parfait échantillon dustyle de Grégoire Delacourt. Il faut croirequel’onattrapeeneffetbonnombredelec-teurs avec ce sirop, ces minauderies, cettepoésie pour chansonnettes. Ceux-ci sontégalement remerciés pour leurs lettres,«des petits soleils les jours gris, des bouéeslesjoursdetempête».Toutleromanaffecteainsicetteconnivenceaveclabravelectriceou le chic type qui en tournent les pages,blessés par la vie certainement, mais quigardent foi en ellemalgré tout etn’ont pasperduespoirdans les lendemains.

GrégoireDelacourt est publicitaire et ilnousvendsonhistoirecommeilnousven-draitungeldouche:émotionsfeintes,éro-tismeflouté,humourvénal.Avousdégoû-ter de l’amour et des larmes. On ne sait sitant de vulgarité relève du cynismemar-chand ou d’une adhésion candide à cettereprésentation du monde figée dans leponcif sentimental.

Fascinationpour lacélébrité, les starsdecinéma, la Terre promise d’Hollywood,l’auteur surfe spécieusement sur le succèsdes tabloïds tout en prétendant leur oppo-ser«unrêvedeviesimple,d’apparenceingé-nue, mais qui contient souvent une clé dubonheur». C’estVoicipour lesnuls sansunrondquenoussommes,irrémédiablementprisonniers d’une existence mesquinequ’il ne tiendrait cependant qu’à nous de

réenchanter: « Il eut alors un sentimentconfus selon lequel des mots qu’il connais-sait, emperlés d’une certaine manière,étaient capables de modifier la perceptiondumonde. Saluer la grâce ordinaire. Enno-blir la simplicité.» Mais hélas, emperlésainsi, lesmots deGrégoire Delacourt noussemblent surtout dégrader la belle ambi-tiondu romanpopulaire, lequel ne sauraitêtre cette soupe fade avec de vrais mor-ceaux de Céline Dion dedans, entrelardésde quelques vers de Jean Follain pour fairebonnemesureetparceque toutsevaut.

Donc, on sonne un jour à la porte d’Ar-thurDreyfuss, jeunemécanicien d’un vil-lagedelaSomme,présentementen«mar-cel blanc et caleçon Schtroumpfs». Ilouvre : «Devant lui se tenait ScarlettJohansson.» D’Arthur Dreyfuss, à cet ins-tant, le lecteur sait déjà qu’« il aimait lesgrosseins».Danslesdeuxpagesquiprécè-dent, nous avons eu droit aux comparai-sons d’usage : «pastèques », « demi-melons» et «drupes». En filant cette déli-cate métaphore potagère, le publicitaireobéitvraisemblablementà l’injonctiondel’Institut national de prévention et d’édu-cation pour la santé (Inpes) selon laquelle

toute réclame pour des nourritures lour-des et indigestes doit être accompagnéede la recommandation de manger aumoins cinq fruits et légumes chaque jour.Nous savons aussi qu’Arthur ressemble àRyanGosling «enmieux» et son patron àGene Hackman. Ah, tous ces films quenousnousfaisonspourembellirunpeulatriste réalité !

De même Scarlett n’est pas Scarlett,mais son plantureux sosie rose et blond,plus prosaïquement nommée JeanineFoucamprez, lasse d’exciter la concupis-cence des hommes et bien décidée à«enfin tomber du côté du bonheur». Elle ajeté son dévolu sur Arthur, duquel elles’est éprise au premier regard et, très vite,il va lui aussi l’aimer, au-delà des appa-renceset sous lapulpe,pour«ses faillesdeporcelaine». Très amoureux, ils iront jus-qu’à faire l’emplette «de deux bols sur les-quels étaient peints à lamain Elle et Lui (etils se regardèrent en rougissant, émus etémouvants, et se tinrent par la main jus-qu’au rayon des fromages)». Ils appren-nentà se connaître. Elle lui confiequ’«elleaime bien la pâte d’amandes et la bûcheglacée à Noël. Qu’(elle) pique toujours lespetits nains de plastique, surtout celui quitient la scie». Lui pense «au visage d’AliceSapritch» pour ne pas jouir trop vite.L’amour gît dans les détails, et la littéra-turedans le fossé.p

Chroniques

Commentvivre? Une vie deMontaigne enunequestionet vingt tentatives deréponse (How to Live),de SarahBakewell,traduit de l’anglais parPierre-EmmanuelDauzat,AlbinMichel, 496p., 23,50¤.

Emotions feintes,érotisme flouté, humourvénal. A vous dégoûterde l’amour et des larmes

JEAN-FRANÇOIS MARTIN

L’Etoile et laVieille,deMichelRostain,Kero, 224p., 17¤.

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Des lucarnes sur l’artComment intéresserà l’art les pluspetits?Avec celivre imaginéparMarieSellier, les éditionsNathanpourraientbienavoir réussi leur coup.A chaque fois,un texte court, des lucarnes circulairesdonnantdesaperçusde lapage suivante–dontune, toujours rou-ge–, et ce leitmotiv:«Dansquellepeinture, dansquel-le histoire?Mystère,mystère! Allonsvoir !»Lapagetournée, le tableausedécouvre. Les enfantspourront

ainsi se familiariseravecdesœuvresdeChagall,Matisse,Picasso,Kandinsky,Klee…Bienvu!p Emilie Grangeraya10 tableaux etun ballon rouge,deMarie Sellier,Nathan, 45 p., 14,90 ¤. Dès 5 ans.

Cédric Pietralunga

Notre modèle? Star Wars, deGeorge Lucas. Comme lui,on veut développer un uni-vers et le décliner en BD, enjeu vidéo, en produits déri-vés, pourquoi pas un film

d’animation…» Petit génie de la bandedessinée tricolore, BastienVivès a placé labarre très haut pour Lastman,un«mangaeuropéen» dont le premier tome vient deparaître.

La trame de l’histoire est pourtant sim-ple : un jeune garçon, dans un monde etune époque indéfinis, souhaite participerà une série de combats organisés dans saville.Mais il est si chétif, toujours dans lesjupes de sa mère, que personne ne veutfaire équipe avec lui. Jusqu’à ce que sur-gisseunmastardquepersonneneconnaîtetquileprendsoussonailepourletournoiqui s’annonce.

«On voulait retrouver ce qu’on aimaitlire quand on avait 12 ans, cette BD d’aven-tures jouissive, sans prétention, divertis-sante mais pas débile», explique l’auteurde 29ans, précocement couronné d’unprix au Festival d’Angoulême en 2009pour Le Goût du chlore (KSTR, 2008), unalbum quasiment sans dialogues, dont lafinesseavait impressionné.Maispasques-tiondesebornerà48pages,«celanecollaitpas à l’ampleurde l’histoire». Ce sera doncdes albums de 180 planches en noir etblanc, avec couverture souple. Le deuxiè-me tome sortira en juin, le troisième enoctobre. Et ainsi de suite. «J’ai écrit la tra-medes sixpremiers,mais onaimerait allerau moins jusqu’à douze tomes», raconteBastienVivès,réputépoursavitessed’écri-ture et de dessin. Ses détracteurs criti-quent d’ailleurs sa façon de copier-col-lercertainesde ses cases.

Travail d’équipeDidier Borg, qui suit le jeune auteur

chez Casterman (éditeur belge, dont KSTRestunlabel)depuissesdébuts,aconsentiàceprojet d’envergureà conditionqu’il res-pecte lemêmerythmedeparutionque lesmangas japonais ou les comics améri-cains,sanssacrifierà laqualité.«Lemangaà la françaisen’a jamaismarché,parcequepersonnen’yajamaismislesmoyens,expli-que-t-il. Pour cela, il faut travailler à plu-sieurs dans un atelier comme les manga-kas.» Yves Balak et Michaël Sanlaville,deuxauteursqueBastienVivèsa connusàl’école des Gobelins (Paris), ont donc étéappelésenrenfort. Lepremiers’occupedustory-boardetdudécoupagedesplanches,le second se partage le dessin avec Bastien

Vivès. Objectif : exécuter un chapitre, soitvingt planches par semaine; un rythmequi, jadis, n’effrayait pas Uderzo ou Jijé,mais auquel la jeune génération n’est pashabituée. «C’est un travail collectif quiexige qu’on mette son ego de côté, recon-naît Yves Balak, qui travaille aussi pour lecinéma.Pourl’instant,çamarche:enunande travail, on ne s’est pas pris le bec une

seulefois !»S’ilssedisent«obsé-désparlacohérenceetlacrédibi-lité de (leurs) personnages»,comme l’assureMichaël Sanla-ville, ce premier tome n’évitepourtant aucun cliché dugenre: le combattant-solitaire-

venu-de-nulle-part, la mère-sexy-mais-qui-a-du-caractère, le jeune-disciple-moqué-par-ses-camarades…

«C’est voulu, assume Bastien Vivès.Onfaitunepromesseau lecteur, cellede lireunshônen (manga ciblant les jeunes adoscomme la série « One Piece » ou«Naruto»). Après, c’est à nous d’introduiredespetitsdécalages,dedonnerdelaprofon-deur au récit. Cela se verra plus nettementdans lesprochains tomes, oùontraiteradurapportmère-fils, de la notion d’apprentis-sage…»Malgré cette réserve, le récit se litd’une traite au point qu’on se surprend àattendre la suite. «L’album a été conçupour qu’on ait un rebondissement toutesles vingt pages», reconnaît Yves Balak. Laprépublication gratuite de Lastman sur lesite Delitoon, en dix épisodes, imposaitpareils cliffhangers.

Lastmanest unpari éditorial, financier,autant qu’un défi personnel pour BastienVivès. Jusqu’ici connu pour des albumsplutôt cérébraux (Polina, Dans mes

yeux,etc.), le filsde Jean-MarieVivès,déco-rateur star du cinéma (AlainResnais, Jean-Pierre Jeunet), veutmanifestement casserson image. En 2011, il avait choqué enpubliantunalbumporno, LesMelonsde lacolère (Les Requins marteaux), où il étaitquestion d’inceste et de viol collectif.«Mais c’est justement ce que j’aime chezBastien,défendDidier Borg, son éditeur. Iln’est jamais là où on l’attend, alors qu’ilpourrait se contenter de faire un Polina 2.C’est quelqu’unqui bouscule les codes.»p

Aller au charbonAprèsPapa,Houêtu? (Seuil, 2005), le duoMalone-Bravi proposede (re)découvrir quelques idiotismesde la langue française. Ainsi, à la question: «MamanHoutuva?», voici quelquespossibles réponses: «Aucharbon», «Avaler des couleuvres», «Péter un fusi-ble», «Rattraper le tempsperdu»…A la fin, épuisée,la bonnemèredemandera tout demême: «Et toi, tuvas où?», avec force bisous et de câlins.p E.G.aMamanHoutuva?,de VincentMalone et Soledad Bravi,Seuil jeunesse, «L’ours qui pète», 52 p., 10 ¤. Dès 4 ans.

Le petit Chinois et le loupC’est l’histoired’unpetit berger appelé Yang. Chaquejour, il emmènepaître son troupeau, là-haut, danslesmontagnesdeChine.Mais voilà le loup revenu:«Si tu le rencontres, lui dit samère, appelle à l’aide, etles villageois viendront te porter secours.» Il décidedevérifier en criant à l’aide et, de fait, les villageoisaccourent. Ravi de sa farce, il recommence chaquejour.Mais que sepassera-t-il face à l’animal?p E.G.aVoilà le loup!,deGuillaumeOlive etHe Zhihong(illustrations), ChanOK, 24p., 13,25 ¤. Dès 5 ans.

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David Gemmell (1948-2006) est, depuis peu,salué comme l’un desmeilleurs ambas-

sadeurs à travers le monde del’heroic fantasy.Cecourantfantas-tique, usuellement associé à lafigure de Robert E. Howard(1906-1936), le père de Conan leBarbare,sedistinguedurestedelafantasy par le charisme accentuéde ses personnages et le lyrismede ses récits. Batailles épiques,héros solitaire et quête homéri-que sont les motifs principauxd’une littérature peu avare enémotionsbrutes.

La réédition en un volume desdeux premiers tomes de la saga«Rigante» permet d’apprécier cequi apparaît aujourd’hui commel’une des plus grandes réussitesromanesques de ce genre, et

l’œuvre majeure d’un auteur bri-tannique finalement peu connuhors des cercles d’initiés. Situédansununiversceltico-antique,cecycle raconte la guerre inégale quiopposa lesRigantesaux légionsdeRoc. De ce choc naît une légende.Celle de Connavar, jeune orphelinméprisé des siens en raison de lalâcheté de son père au combat,mais qui finira par devenir le roiDémone-Lame, héros et symbolede ralliement face à l’envahisseur.

Aarmes égalesDes vallées encaissées des

Highlands jusqu’aux arènesensanglantéesdeRoc, l’odysséedecet homme l’emmènera, à l’imaged’Attila ou de Vercingétorix, aucœur de l’empire, afin d’y accom-plir sa destinée, d’y apprendre unnouvel «art de la guerre» et des’enserviraufinalpouraffronteràarmeségalesunadversaireaupara-vant invincible.

Courage, sacrifice de soi, dépas-sement des clivages sociaux,

quêtedupère et de la rédemption,l’aventure de Connavar est aussicelle d’une culture tentant de pré-server son intégrité. La paix parl’assimilation ou la liberté par laguerre? Une question éternellequi renvoie à l’histoirede l’Europeet à la conquête des terres celtespar les armées romaines. Un chocdes civilisationsdont la littératurebritannique se fait encore aujour-d’hui l’écho (en témoignent lecycle «La Reine celte», de MandaScott, Livre de poche, ou L’Aigle dela 9e légion, de Rosemary Sutcliff,Folio junior).

Par la force de son écriture et letalent de sa narration, David Gemse hisse tout simplement au rangdesgrandsconteursceltesetnordi-quesdupassé.pNicolas Lefort

«Lastman»atoutd’unmangajaponais, saufsescréateurs,desartistesfrançaismenésparBastienVivès.Unpari,et ledébutd’unelonguesérie

Lepremierdesfranco-mangasEnfance

b a n d e d e s s i n é e

Rigante. L’Intégrale,volumeI (Sword in the Storm–Midnight Falcon),deDavidGemmell,traduit de l’anglais parAlainNévant, Bragelonne, 758p., 25 ¤.

Mélangedesgenres

Lastman, tomeI,deBastienVivès,YvesBalaketMichaël Sanlaville,KSTR, 204p., 12,50¤.

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KentAnderson

Macha Séry

Aquoi s’attendait-on aujuste? Peut-être à un corpu-lentgaillardà laJohnWayne,versionBéretsverts.Certaine-ment pas à ce petit homme,santiagscéladon,yeuxbleus

perçants dans un visage que les émotionsfont chavirer à chaque instant. Sur la cou-verture de Pas de saison pour l’enfer, où ilraconte des bribes de «sa petite existencede série B hantée par la terreur», c’est lui,Kent Anderson, en 1969. Musculeux,moustachu, regard sévère, l’imagemêmedu toughguy,dudur. Il a 24 ans, en paraîtdix de plus. Il porte un treillis et un fusild’assaut.Deuxtraitsdepeinturenoirebar-rentses joues.«Jevoudrais retournerdansle passé, prendre soin de lui, l’étreindrecommeunpère»,dit l’écrivain,encontem-plant ce cliché pris à Mai Loc devant lebaraquementducampA-101,établipar lesForces spéciales en territoire vietcong.

Enfant chétif, adolescent taiseux, KentAnderson a passé sa jeunesse dans leslivres. Il a appris très tôt à ne pas se fairehumilieretàchasser lapeur.«Jedéteste, jedéteste avoir peur, répète-t-il aujourd’hui.Je déteste ça. Je ne supporte pas cette émo-tion. Jepréfèremourir.»LeVietnamfutunaccident. Le choix de la jeunesse et de l’ar-rogance. «Je n’avais aucune idée de ce quiallait m’arriver, de ce que la guerre fait devous, quelle que soit votre personnalité.»Sergentdans l’élite de l’armée américaineaprèsdeuxanspassésdanslamarinemar-chande, il était responsable d’une cellulede renseignements. Il étudiait des photo-graphies aériennes, parcourait des trans-criptions téléphoniques, écoutait desinterceptions radio. Puis il planifiait desmissions d’infiltration en territoire enne-mi. Le soir, il s’abreuvait d’alcool. Dans lajournée, il ingurgitait des gélules demétamphétamine obligeamment four-niespar l’armée.C’était le «pop-corn»desForces spéciales, une drogue qui, dans lajungle, aiguise les sens et tient éveillé.

Danslebunkeroùil logeait,KentAnder-sonécoutaitdurockàplein tube, insultaitNixon, pestait contre cette saloperie deguerre, lisait des poèmes de Yeats, feuille-tait Village Voice, l’hebdo «alternatif»new-yorkais, que l’ancien étudiant rece-vait à sonnomparhélico.AuVietnam,sescamarades le jugeaient cinglémais le res-pectaient. « Lorsque vous venez d’unmilieu sans culture, la réputation de cou-rageetdemachoest la seulequi compte. Ilsse fichent que vous soyez bizarre.» En per-mission à Da Nang, un seul de sa sectionsuffisait à effrayer une cinquantaine desoldats de base. «Nous avions notre petitbéret bien vissé sur la tête, des lunettes de

soleil, des armes exotiques. J’étais le pluspetit, mais tous s’écartaient sur mon pas-sage. C’est un sentiment incroyable, com-me si vous étiezDieu.»

IlétaitconvaincudecreverauVietnam.«Je me sentais libre. Qu’est-ce qu’on pou-vait me faire ? J’étais déjà mort ! » A laveillée, ils avaient inventé une nouvelleforme de roulette russe. Ils se passaientunegrenadedégoupilléedemainenmainavant que l’un d’eux ne la jetât in extre-mis. «Nous étions tous des tueurs.» Pas deConvention de Genève. Pas de quartier nide prisonniers. Pas de viol ni de torture,non plus, tient-il à préciser. Combiend’hommes a-t-il tué ou fait tuer en orien-tant des tirs d’artillerie? Combien d’hom-mes agonisants, démembrés, dans lesdeuxcamps,a-t-ilvus?Lecomptes’estper-du. De son unité, seuls deux ont survécu,lui et un pote qui, à force de se bourrerd’antalgiques pour soulager ses blessuresdeguerre, a fini dealer de cocaïne…

Ason retour,peuontvouluentendre lavéritéqu’il servait sans fard.On le toisait àla dérobée. «J’avais l’impression d’être unmonstre.Je l’étais. Jenepensaisjamaisreve-nir. Or j’avais commis l’erreur de revenir.»Entendez:envie.DelaguerreduVietnam,Kent Anderson n’est jamais tout à fait re-venu, en vérité. Elle continue à l’habiter, àle ronger. «J’ai passé lamoitié dema vie àécrirelà-dessusaussihonnêtementetsubti-lement que possible, afin d’obliger les gensàregarder. J’ignoraisquecpareille foliepûtexister.»Romanleplusnoiret leplus justesur la guerre du Vietnam, son premierlivre, Sympathy for the Devil, est un préci-pité de folie, un condensé d’ironie maca-bre et d’atroce lucidité. Kent Anderson y

dit l’horreurmais aussi l’insouciance et lapuissanceéprouvées là-bas.

Ce récit de guerre dépourvu de senti-mentalité et de patriotisme, a été d’abordrefuséparplusieurséditeurs. L’und’euxarépondu: «Je préfère quemes héros soientun peu plus héroïques. » Plus tard, unerevue littéraire a même qualifié le livrede «moralement répugnant». « J’étaisfurieux, raconte Anderson. Vous savez ceque ça m’a coûté d’y aller, de survivre, etd’écrire tout ça?»

Après la guerre, personne n’a voulunon plus l’embaucher. Les vétérans du

Vietnamn’avaient pas bonnepresse. Din-gue, Anderson l’était assurément. Aupoint de garder autour du cou une bous-solede survie aucas où il seperdrait, de seterrerdansunebicoqueàMondecino(Cali-fornie) de peur de zigouiller quelqu’unpour une bousculade ou un mot de tra-vers. Toujours saoul, continûment enrage, incontrôlable,«condamnéàl’enfer»,dit-il. Il passait son temps à contemplerson357Magnumouàobserver le fluxet lereflux de la marée, au pied d’une falaise.Après trois ansde chômage, le seul boulotqu’il a trouvé a été celui de flic, un job parlequel il s’est désintoxiqué de la violence.De ses neuf années à patrouiller dans lesrues de Portland puis d’Oakland, dans lesghettos peuplés de camés, de prostituées,de trafiquants en tout genre et de crimi-nels, il a tiréen1987NightDogs.Unromanmagistral, d’inspiration autobiographi-que, où il remet en scène son double, lesergent Hanson, justicier solitaire qui af-frontedesbandesetcompatitaveclesdés-hérités. «L’écriture est aussi puissante quelematériau,disait sonmeilleurami, l’écri-vain James Crumley (1939-2008), les per-sonnagessontpeintsdemanièreaussiécla-tante que les plus beauxgraffitis, les dialo-gues sont aussi percutants qu’une briquequ’on lance dans une vitrine, et la proseaussi précise et aiguisée qu’un cutter quitrancheune gorge.»

Après avoir quitté la police puis se-condé le réalisateur et scénariste John

Milius à Hollywood, Kent Anderson aenseigné la littérature à l’université del’Idaho. Il adorait ses étudiants, frayaitpeu avec les enseignants. Pas la mêmeculture ni lamême conception des règlesacadémiques. «Chaque semestre, j’insti-tuais le Jour de la poésie. J’en lisais à hautevoix, parfois en chialant. Peum’importait.Je leur disais d’enmémoriser pour les gar-der sur eux commeunsecret,unearme,unsachet demorphine, unpeud’espoir.»

A la cinquantaine, les chevaux l’ontapaisé,entoutcas l’ontempêchédesesui-cider par honte ou désespoir. «Vous nepouvezpas leurbotter le cul. Aveceuxvousdevez être calme. Si vous adoucissez votreregard, le corps suit.» L’apprentissage futrude. Dents cassées, côtes brisées, pou-monperforé…Ilapersévéré.Perchésurunarbre, il les a observésdenuit à la jumelle,puis s’est coulé dans leur ombre. «Nouséchangions nos souffles. Je m’allongeaisdans l’herbe. Ilsm’entouraient. Ilsauraientpu me piétiner. C’était un risque stupide.Mais c’était si paisible, les étoiles, les che-vaux…J’étais incroyablementvulnérable.»Un temps de réflexion. Kent Andersonpoursuit: «C’est la première fois que j’em-ploiecemot:vulnérable.» Ilenestpresqueétonné.C’estqu’ilsequalifieabusivementde«White trash»,minablepetitBlanc. «Jesimplifie, c’est si exténuant de racontertout ça…», soupire-t-il une fois encore,vidé par ses émotions. Bien plus sensiblequ’il ne le donne à voir, il cèle son empa-thie pour les parias et les marginaux.Depuis 1999, il a arrêté de boire, tirant untraitsurdesannéesdepicoleetdedéfonceoù il traînait le sentimentd’être encavale,de fuir quelque chose sans savoir quoi. Iln’est pas dupe. Ce sentiment, il le portetoujours en lui.

Aujourd’hui, il écrit beaucoup, publiepeu.Dans sonbureaudeSantaFe, auNou-veau-Mexique,KentAndersongardequel-ques vestiges de sa plongée au cœur desténèbres: son blason des Forces spéciales,ses insignes de parachutiste, sa médailleBronze Star, la photo du lieutenant nord-vietnamienqu’il a tuéà la grenadeetdontil a fait les poches. Ils cohabitent avec lecrâne d’un loup chassé etmangé enMon-golie. KentAndersonn’oublie rien.p

SesannéesdeguerreduVietnaml’ontmarquéàjamais. Ilabeaucoupragé,beaucoupbu,beaucoupécrit,avantdetrouverlapaix.Deséclatsdecetteviesontréunisdans«Pasdesaisonpourl’enfer»

Grenaderegoupillée

«DansmonA-Camp, bordel, personnene croyait à une victoire de l’Amérique.Cette putain de saloperie de guerre,on l’avait déjà perdue. En temps voulu,on finirait par l’admettre, ou bienpardécréter qu’on avait gagné, et par setirer d’ici. Notre camppossédait sa pro-pre “zoned’opérations”, unpetit fief surlequel on régnait commedes seigneursde guerre.Onmenait notre proprepetiteguerre, la seule dont onavait quel-que chose à foutre. C’était “absurde”,c’est vrai. Nos garsmouraient “pourrien”. Et puis quoi? Onétait des pros,c’était un jeu génial,mieuxque de dis-

puter le Super Bowl. Onavait plus oumoins carte blanche et toute putaindepuissancede feuà disposition.

Un jour, des années après la guerre,jeme suis aperçuque l’idée deme ren-drenem’avait jamais, n’aurait jamaispum’effleurer l’esprit. Je ne sais pas àquoi l’attribuer: à l’entraînement, à l’en-doctrinement, à la fierté d’appartenirauxForces spéciales, à la peur de ce quiarriverait si je venais à être capturé?Oubienà la folie qui régnait là-bas dansce royaumede lamort et dumal?»

Pasde saison pour l’enfer, pages 140-141

Rencontre

Pasde saison pour l’enfer(Liquor,Guns&Ammo),deKentAnderson,traduit de l’anglais (Etats-Unis)parNathalie Bru, 13eNote, 330p., 23 ¤.

Extrait

Il passait son tempsà contempler son357Magnumouà observer le flux etle reflux de lamarée

L’Amériquedespaumés

Parcours

SERGE PICARD/AGENCE VU

POUR «LE MONDE»

AL’ISSUEd’un combat de coqs,auNouveau-Mexique,KentAndersonest attablé àunbar.Quelques individus croisés plustôt le saluent, portantundoigtà leur chapeau.«Lemonde etles gens qui l’habitentm’étonne-ront toujours, passantde la bar-barie à la tendresse enquelquesheures àpeine.»

Et cela, KentAndersonpos-sède, avec une acuité sanspareil,le talent pour le dire. Dire l’Améri-quedes paumés et des racistes(«des cols bleus qui avaient trimédur et qui, faute d’obtenir leurpart du rêve américain, cher-chaientdes boucs émissaires, juifsounoirs, à qui faire porter la res-ponsabilité de leurs problèmes») ;dire la noirceurde la guerre, lesquelques instants de grâcequiont éclairci son existencehantéepar le Vietnamet ses années d’er-ranceoù il s’adonna à tous lesexcès.«Je n’ai rien d’unebrute nid’undur à cuire.Mais c’est commetout le reste, c’est par la pratiquequ’on s’améliore.»

Traductionde récits parusauxEtats-Unis augmentésd’unevingtained’inédits,Pas de saisonpour l’enfer se présente commeunecompilationde textesdediffé-rentesépoques. Le lecteurpassed’une corrida àun rassemble-mentdeHell’sAngels, d’unbivouacdans leNevadaà la visionde cadavresdécouverts lors d’uneopérationde combat, d’unechasse au loupenMongolie auxchutes inexploitéesde ses deuxromanscultes Sympathy for theDevil etChiens de la nuit. Lesbri-besd’un journal tenuen 1997 lors-queKentAnderson tenait le ranchd’unamidans l’Idahovoisinentavec les souvenirs de son séjour àHollywoodau coursduquel ilécrivit des scripts debikers.

En toutes circonstances, la pro-sed’Anderson, aussi nerveusequeprécise, témoigned’unedistanceet d’une sincérité rares.pM.S.

1945KentAndersonnaît enCarolineduNord.

1967Il part pour leVietnamau seindes Forces spéciales.

1975-1984Il est policierà Portland (Oregon)puisàOakland (Californie).

1987Sympathy for theDevil(Gallimard, 1993)

1990Il est professeurde littérature à l’universitédeBoise (Idaho).

1996NightDogs (Chiens de lanuit,Calmann-Lévy, 1998).

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