3
Pardonner est un résu ltat approcher la notion du pardon avec raide de la Communication non violente (CNV) Si l'intention de vouloir pardonner nous habite, notamment en tant que chrétien, parce que nous avons conscience de son pouvoir libérateur, elle peut être source de violence s'il n'y a pas. en parallèle véritable reconnaissance de ce qui a été blessé. Pour Marshall Rosenberg, créateur de la Communication non violente (CNV*), cc le pardon ne se décrète pas, c'est le fruit d'un processus d'empathie. Quand chacun s'est senti suffisamment entendu dans sa souffrance et compris dans ses besoins les plus profonds, il n'y a plus rien à pardonner ». L e pardon ne se décrète pas veut dire que nous ne pou- vons pas exiger de nous- même de pardonner, ni de l'autre qu'il ou elle nous pardonne. La CNVnous met en garde vis-à-vis_ de toutes les formes d'exigences il jaut pardonner, tu dois ou je dois pardonner» - qui ne respec- tent pas le rythme et les étapes de la guérison. Nous avons d'abord besoin d'une reconnaissance sin- cère et profonde de la blessure qui a été réveillée en nous. C'est ce que recouvre le terme d'em- pathie: une présence totale à ce que ressent la personne dans le moment présent, et à ce qui est en jeu pour elle (ses besoins, ou aspirations), sans aucune inten- tion de lui faire de remontrances. Par exemple, nous pouvons avoir besoin de partage, de re- connaissance, de confiance, de réalisation, de communion ... * Dénouer les conflits par la Communication non violente, Marshall Rosenberg et Gabriele Seils, Éd. Jouvence. « EN NOUS APPRENANT À RECONNAÎTRE NOS BESOINS ET CEUX D'AUTRUI, LA DÉMARCHE DE LA eNV NOUS OUVRE À D'AUTRES MANIÈRES DE LES SATISFAIRE » Admettre le caractère universel des besoins et avoir conscience que chaque être hu~ain fait de son mieux à chaque instant pour satisfaire des besoins (c'est un des postulats de base de la CNV) contribue à notre capacité d'empathie, de com- passion - sans pour autant chercher à se justifier. En nous apprenant à reconnaître nos besoins et ceux d'autrui, la dé- marche de la CNV nous ouvre à d'autres manières de les satis- faire, parfois moins nuisibles pour autrui et pour nous- mêmes que celles que nous utilisons souvent par réflexe. Quelque chose se transforme en profondeur, naturellement. J'illustrerai ci-après successi- vement l'étape où la souffrance de la personne blessée est re- connue, où le pardon s'accorde naturellement, en conséquence d'un certain cheminement. Par le biais de l'histoire d'un couple, Frédéric et Élisabeth, venus au détour d'un voyage pendant lequel Frédéric a passé

Pardonner est un résultat - Pascale Molho · Pour Marshall Rosenberg, créateur de la Communication non violente (CNV*), cc le pardon ne se décrète pas, c'est le fruit d'un processus

Embed Size (px)

Citation preview

Pardonnerest un résu ltat •

•approcher la notion du pardonavec raide de la Communicationnon violente (CNV)Si l'intention de vouloir pardonner nous habite, notamment en tant que chrétien,parce que nous avons conscience de son pouvoir libérateur, elle peut être sourcede violence s'il n'y a pas. en parallèle véritable reconnaissance de ce qui a été blessé.Pour Marshall Rosenberg, créateur de la Communication non violente (CNV*),cc le pardon ne se décrète pas, c'est le fruit d'un processus d'empathie. Quand chacuns'est senti suffisamment entendu dans sa souffrance et compris dans ses besoinsles plus profonds, il n'y a plus rien à pardonner ».

Le pardon ne se décrète pasveut dire que nous ne pou-vons pas exiger de nous-

même de pardonner, ni de l'autrequ'il ou elle nous pardonne. LaCNVnous met en garde vis-à-vis_de toutes les formes d'exigences- « il jaut pardonner, tu dois ou jedois pardonner» - qui ne respec-tent pas le rythme et les étapes dela guérison. Nous avons d'abordbesoin d'une reconnaissance sin-cère et profonde de la blessurequi a été réveillée en nous. C'estce que recouvre le terme d'em-pathie: une présence totale à ceque ressent la personne dans lemoment présent, et à ce qui esten jeu pour elle (ses besoins, ouaspirations), sans aucune inten-tion de lui faire de remontrances.Par exemple, nous pouvonsavoir besoin de partage, de re-connaissance, de confiance, deréalisation, de communion ...

* Dénouer les conflits par la Communication non violente, Marshall Rosenberg et Gabriele Seils, Éd. Jouvence.

« EN NOUS APPRENANT À RECONNAÎTRE

NOS BESOINS ET CEUX D'AUTRUI,

LA DÉMARCHE DE LA eNVNOUS OUVRE À D'AUTRES MANIÈRES

DE LES SATISFAIRE »Admettre le caractère universeldes besoins et avoir conscienceque chaque être hu~ain fait deson mieux à chaque instantpour satisfaire des besoins(c'est un des postulats de basede la CNV) contribue à notrecapacité d'empathie, de com-passion - sans pour autantchercher à se justifier. En nousapprenant à reconnaître nosbesoins et ceux d'autrui, la dé-marche de la CNV nous ouvre àd'autres manières de les satis-faire, parfois moins nuisibles

pour autrui et pour nous-mêmes que celles que nousutilisons souvent par réflexe.Quelque chose se transformeen profondeur, naturellement.J'illustrerai ci-après successi-vement l'étape où la souffrancede la personne blessée est re-connue, où le pardon s'accordenaturellement, en conséquenced'un certain cheminement.Par le biais de l'histoire d'uncouple, Frédéric et Élisabeth,venus au détour d'un voyagependant lequel Frédéric a passé

d'autres. Depuis, je suis pleinede doutes sur ton amour. Tuveux bien me dire comment tucomprends ce qui a été si durpour moi?»F : « Je comprends que le faitque j'aie passé beaucoup detemps avec les personnes dugroupe, en particulier desfemmes, t'a blessée, car tu t'at-tendais à ce que je reste tout letemps avec toi. Tu te demandessi je t'aime vraiment, c'est ça? »E.: « Oui, j'ai des doutes,j'ai besoin d'être rassurée surl'amour que tu me portes. Nousretrouver était l'intention denotre voyage, t'en souviens-tu?C'était humiliant pour moi quetu sois la plupart du temps avecles autres femmes, j'ai besoind'attention, de sentir que notrerelation est une priorité. »F: « Oui, j'entends que tut'es sentie humiliée, que tuavais besoin de considération,

« L'ÉTAPE OÙ LA SOUFFRANCE DE LA PERSONNE BLESSÉE EST RECONNUE, où LE PARDON S'ACCORDE NATURELLEMENT,

EN CONSÉQUENCE D'UN CERTAIN CHEMiNEMENT. »

beaucoup de temps avec lesautres femmes du groupe, etplaisanté avec elles. Mêmeaprès lui avoir exprimé sondésarroi, elle ne voit pas lecomportement de son compa-gnon changer véritablement etsa jalousie grandit. Je la verraiseule dans un premier tempset les premières séances sontconsacrées à écouter sa colèreet sa tristesse de s'être vuequémander de l'attention. Peuà peu émergent ses besoins departage, confiance, intimité.Elle lui propose ensuite uneséance commune, dont voiciquelques extraits.

L'étape où la blessurevécue est reconnue parune écoute empathiqueLa compréhension intellec-tuelle de la blessure ne suf-fit pas. Un « Je te prie de

m'excuser» est trop superfi-ciel. C'est l'acte d'écouter quiva démontrer notre intentionde nous faire pardonner. Nouspouvons avoir d'abord besoinde nous pardonner à nous-même avant d'être dans cettedisponibilité pour l'autre.Dans le cas de ce couple, Frédé-ric (F), ayant pris la mesure dela souffrance de sa, compagneÉlisabeth (E.), était d'accordpour commencer par l'écouter,avec mon aide. Le cadre avaitété posé: tour à tour, ils se don-neraient un « accusé de récep-tion» (ou reformuleraient cequ'ils avaient compris), pourque chacun se sente compris:E. : « Quand je repense à notrevoyage à Bali, je suis profon-dément ébranlée, car je m'at-tendais à ce que nous passionsla plus grande partie du tempsensemble, pour nous retrouver.Or, tu étais le plus souvent avec

de tact, et aussi de sentir quenotre relation est aussi unepriorité pour moi. »K, émue: « Oui, c'est tout à faitça, et puis je n'arrive pas à tecomprendre ... »F.: « Tu aimerais comprendrece qui s'est passé pour moi? »K : « Oui, d'autant que ce n'estpas la première fois que je tevois ainsi avec d'autres, quandnous sortons ensemble. »F. : « Te sens-tu disponible pourm'écouter à ton tour? »K : « Oui. »(Vient à présent l'étape où F.« fait le deuil» de son compor-tement)F.: «Je suis ému de prendrela mesure de ce que tu as vécupendant ce voyage et que ça a

retrouver, mais on avait dutemps pour nous le soir et lematin dans la chambre. »K: «Si je comprends bien,pour toi, quand nous sommesen voyage, c'est important deprofiter de la présence desautres personnes»F. : « Oui, j'ai besoin de partage.Tu trouves ça bien, les couplesrepliés sur eux? »K : « Tu as à cœur que les per-sonnes seules se sentent in-cluses? »F. : « Oui, et je trouve que nousn'échangeons pas beaucoupquand nous sommes ensemble,j'ai un peu l'impression que tuveux m'accaparer ... »K (après un temps de silencepour accueillir l'émotion susci-

« L'EMPATHIE QUE NOUS OFFRONS

À CELLE OU CELUI QUE NOUS AVONS

BLESSÉ(E) NOUS PERMET DE VOIR

SA RÉALITÉ PROFONDE»

été une humiliation pour toi, etje suis triste de ne pas l'avoircompris pendant le voyage,j'aurais aimé t'épargner cetteépreuve ... »À ce stade, après nousêtre senti(e) profondémentaccueilli( e), nous pouvonstourner notre regard versl'autre, parce que nous avonsenvie de saisir ce qu'il se passepour lui/elle.

Pardonner à autrui,accorder son pardon,survient pendantque l'on se met à l'écoutede ce qu'il s'est passépour l'autre

F.: « Mais j'étais tout excitépendant le voyage! J'aimerencontrer les autres. C'estvrai que l'on y allait pour se

tée par cette parole: « Tu aime-rais que les moments passés en-semble soient nourrissants, pasjuste destinés à me rassurer? »F. : « Oui, plus je captais ton in-sécurité et ta jalousie, plus çam'éloignait de toi! »K (touchée): « C'est vrai que j'aibesoin d'être rassurée, quand jete vois au milieu de toutes cesfemmes. Comment croire queje compte plus qu'elles? Maisje peux comprendre que tu res-sentais de la pression, et que tune voulais pas renoncer à ta li-berté, c'est ça? »F.: « Oui, j'ai très peur deperdre ma liberté ... ))(Silence mutuel)F. : « Etpuis je trouve que l'onne se parlait pas forcément,quand on était assis l'un à côtéde l'autre. ))K: « C'est vrai. Mais mêmeen silence, ça a du sens d'être

assis à côté, pour laisser émer-ger la rencontre entre nous. Tune crois pas? ))F. : « Si, cela me parle. ))

Peu à peu, chacun(e) a prisconscience de ses blessures, dela nécessité d'en prendre soinpour dégager l'autre de la res-ponsabilité de pallier tout. Éli-sabeth a pu travailler sa jalou-sie, son manque de confianceen elle. Frédéric, de son côté,a pu voir son ambiguïté danssa relation aux femmes, sapeur d'être enfermé dans soncouple. J'insiste sur l'impor-tance de s'en donner le tempset les moyens nécessaires. J'aivu trop de couples se sépareraprès des années, parce quel'un(e) qui croyait avoir par-donné l'infidélité de l'autre,par exemple, était resté(e) pro-fondément meurtri(e) dans saconfiance.

Dans le couple, le chemin depardon est chemin de ren-contre. L'empathie que nousoffrons à celle ou celui quenous avons blessé(e) nous per-met de voir sa réalité profonde,par-delà les critiques ou les re-proches qu'il ou elle a pu nousadresser. L'empathie que nousrecevons de celle ou celui àqui nous avons fait mal sans levouloir nous aide à mieux nouscomprendre, sans tomber dansune culpabilité enfermante.Au bout du compte, on se rap-proche de la beauté et de la fra-gilité de chacun(e).

DR PASCALE MOLHO,formatrice certifiée par le

CNVC depuis 1996 et membrede l'Association

pour la Communicationnon violente (ACNV) -

site web: nvc-europe.org