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AVERTISSEMENT Ce document est le fruit d’un long travail approuvé par le jury de soutenance et mis à disposition de l’ensemble de la communauté universitaire élargie. Il est soumis à la propriété intellectuelle de l’auteur : ceci implique une obligation de citation et de référencement lors de l’utilisation de ce document. D’autre part, toute contrefaçon, plagiat, reproduction illicite de ce travail expose à des poursuites pénales. Contact : [email protected] LIENS Code la Propriété Intellectuelle – Articles L. 122-4 et L. 335-1 à L. 335-10 Loi n°92-597 du 1 er juillet 1992, publiée au Journal Officiel du 2 juillet 1992 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg-droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

Partie 1 : L'amélioration nuancée des droits du détenu requérant

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  • AVERTISSEMENT Ce document est le fruit dun long travail approuv par le jury de soutenance et mis disposition de lensemble de la communaut universitaire largie. Il est soumis la proprit intellectuelle de lauteur : ceci implique une obligation de citation et de rfrencement lors de lutilisation de ce document. Dautre part, toute contrefaon, plagiat, reproduction illicite de ce travail expose des poursuites pnales. Contact : [email protected]

    LIENS Code la Proprit Intellectuelle Articles L. 122-4 et L. 335-1 L. 335-10 Loi n92-597 du 1er juillet 1992, publie au Journal Officiel du 2 juillet 1992 http://www.cfcopies.com/V2/leg/leg-droi.php http://www.culture.gouv.fr/culture/infos-pratiques/droits/protection.htm

  • THSE

    En vue de l'obtention du

    DOCTORAT DE LUNIVERSIT DE TOULOUSE

    Dlivr par LUniversit Toulouse 1 Capitole

    Discipline ou spcialit : Droit public

    Prsente et soutenue par Guillaume FAUGRE

    Le 30 janvier 2015

    Titre : Laccs des personnes dtenues aux recours.

    tude de droit administratif.

    JURY

    Mme Delphine COSTA, Professeur lUniversit dAvignon et des Pays de Vaucluse,

    rapporteur

    M. Jean-Marie DELARUE, Premier Contrleur gnral des lieux de privation de

    libert (2008-2014), membre invit

    M. Pierre GA, Professeur lUniversit Toulouse 1 Capitole, prsident du jury

    M. Grgory KALFLCHE, Professeur lUniversit Toulouse 1 Capitole, directeur de

    thse

    M. Frdric ROLIN, Professeur la Facult Jean Monnet (Paris XI), rapporteur

    cole doctorale : Sciences Juridiques et Politiques

    Unit de recherche : Institut Maurice Hauriou

  • 1

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  • 5

    LACCS DES PERSONNES

    DTENUES AUX RECOURS. TUDE

    DE DROIT ADMINISTRATIF.

  • 6

    Luniversit nentend ni approuver ni dsapprouver les opinions particulires du candidat .

  • 7

    REMERCIEMENTS

    Jadresse mes sincres et profonds remerciements monsieur le Professeur Grgory

    Kalflche, directeur de thse, pour mavoir donn la chance de raliser celle-ci sous sa

    direction, pour sa disponibilit, son soutien et la qualit scientifique de son encadrement.

    Mes remerciements vont galement aux membres du jury pour avoir accept de porter une

    lecture attentive et critique sur ce travail.

    Je tiens remercier Monsieur Jean-Marie Delarue, premier Contrleur gnral des lieux de

    privation de libert (2008-2014), dont les brillants travaux ainsi que le stage quil ma

    permis deffectuer au sein du Conseil dtat en 2007, ont contribu au choix du sujet.

    Je remercie galement le personnel de la maison darrt de Toulouse-Seysses et du centre

    de dtention de Muret, et plus particulirement Monsieur Jean-Christophe Le Dantec et

    Monsieur Dominique Alligier, pour laccueil quils mont rserv, en ma qualit dassesseur

    en commission disciplinaire, au sein de leur tablissement ainsi que pour les discussions

    franches et constructives que nous avons eues.

    Je remercie enfin ma famille, mes parents, ma grand-mre, mes frres et leurs compagnes

    ainsi que mes beaux-parents, pour leur soutien indfectible et leur confiance.

    Quant lodie, ma compagne, son soutien na eu dgal que sa patience.

  • 8

  • 9

  • 10

    LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS

    AJ Famille : Actualit juridique de droit de la famille

    AJDA : Actualit juridique du droit administratif

    AJ Pnal : Actualit juridique du droit pnal

    AN : Assemble nationale

    AP : Administration pnitentiaire

    Art : Article

    ASE : Aide sociale lenfance

    Ass. : Assemble du Conseil dtat

    BAJDP : Bulletin action juridique droit pnitentiaire

    BOMJ : Bulletin officiel du ministre de la justice et des liberts

    c/ : Contre

    CAA : Cour administrative dappel

    Cass : Cour de cassation

    CC : Conseil constitutionnel

    CE : Conseil dtat

    CEDH : Cour europenne des droits de lHomme

    Chron : Chronique

    Circ : Circulaire

    CJA : Code de justice administrative

    CGLPL : Contrleur gnral des lieux de privation de libert

    CNCDH : Commission nationale consultative des droits de lHomme

    Coll : Collection

    Comm : Commentaire

    Concl : Conclusions

    CPDH : Combat pour les droits de lHomme

    CPP : Code de procdure pnale

    CPT : Comit europen pour la prvention de la torture

    CREDOF : Centre de recherche et dtudes sur les droits fondamentaux

    DA. : Droit administratif

    DC : Dcision constitutionnelle

    DCRA : Droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations

    DDD : Dfenseur des droits

    DPS : Dtenu particulirement signal

    Dr. Soc. : Droit social

    d : dition

  • 11

    GAJA : Grands arrts de la jurisprudence administrative

    Gaz. Pal. : Gazette du palais

    Gr. Ch. : Grande chambre

    HALDE : Haute autorit de lutte contre les discriminations et pour lgalit

    JCP A : Semaine juridique dition administrations et Collectivits territoriales

    JCP G : Semaine juridique dition gnrale

    JORF : Journal officiel de Rpublique franaise

    LGDJ : Librairie gnrale de droit et de jurisprudence

    LPA : Les Petites affiches

    N : Numro

    Obs : Observation

    OIP : Observatoire international des prisons

    Op. cit : Opere citato

    P : Page

    Prc : Prcit

    PUAM : Presse universitaire de Marseille

    PUF : Presse universitaire de France

    PUG : Presse universitaire de Grenoble

    RA : Revue administrative

    RAJF : Revue de lactualit juridique franaise

    RDP : Revue de droit public

    Rec : Recueil

    Rf : Ordonnance de rfr

    Req : Requte

    RFDA : Revue franaise de droit administratif

    RSC : Revue de sciences criminelle

    RTDH : Revue trimestrielle des droits de lHomme

    RPDP : Revue pnitentiaire et de droit pnal

    RPE : Rgles pnitentiaires europennes

    TA : Tribunal administratif

    TC : Tribunal des conflits

  • 12

    SOMMAIRE

    Partie 1 : Le dsquilibre des droits lors de la phase pr-juridictionnelle

    Titre 1 : Laccs au droit et les voies pralables ouvertes aux personnes dtenues

    Chapitre 1 : Le renforcement de laccs au droit de la personne dtenue

    Chapitre 2 : Des pralables possibles dventuelles actions au fond

    Titre 2 : Les droits du dtenu justiciable en contentieux disciplinaire pnitentiaire

    Chapitre 1 : Lamlioration modre des droits du prvenu disciplinaire lors de la phase

    prparatoire la dcision

    Chapitre 2 : La personne dtenue sanctionne

    Partie 2 : Lefficacit mesure des recours juridictionnels

    Titre 1 : Le recours contre les sanctions disciplinaires

    Chapitre 1 : Le cadre juridique du recours juridictionnel contre les sanctions disciplinaires

    pnitentiaires

    Chapitre 2 : Lvolution ncessaire du recours juridictionnel contre les sanctions disciplinaires

    Titre 2 : Le recours de plein contentieux et les procdures de rfrs urgents

    Chapitre 1 : Le recours de plein contentieux : la responsabilit encadre de ladministration

    pnitentiaire

    Chapitre 2 : Lefficacit strictement conditionne des rfrs urgents

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  • 17

    Introduction

    En prison, tout est fait pour empcher les dtenus de faire valoir leurs droits .

    J.-M. Delarue, Le monde, 11 mars 2014.

    1. On doit se souvenir [] que la capacit de se plaindre de ces personnes

    [dtenues] ou dexercer un recours est ncessairement limite du fait de linsuffisance de moyens, de la

    pauvret dinformations et de la possibilit de mesures de rtorsion . Par consquent, les personnes dtenues

    [] sont bien au nombre des personnes vulnrables dont la protection doit tre activement

    recherche 1. La protection souhaite par le Contrleur gnral des lieux de privation de

    libert peut revtir de multiples aspects, mais le premier doit tre juridique et garantir, en

    droit et en fait, laccs des personnes dtenues aux moyens ncessaires toute contestation

    efficace en dtention. En effet, quoi de mieux que larme du droit2, sous sa forme

    contentieuse, pour combattre, lillgalisme institutionnalis de la prison dcrit par

    M. Foucault, dans son clbre ouvrage Surveiller et punir 3.

    2. La personne dtenue est un justiciable dont les droits se rapprochent

    du droit commun4. Elle possde un statut juridique supposant lexistence dobligations

    mais galement de droits5. Elle bnficie, au moins en thorie, de moyens juridiques

    efficaces pour garantir, en dtention et devant le juge administratif, la protection de ses

    droits tout au long de son parcours contentieux pnitentiaire. Dsormais, le droit au

    respect de la lgalit nest plus contradictoire avec lenfermement6 et suppose que les

    personnes prives de libert bnficient du droit effectif de requrir.

    1 J.- M. Delarue, Rponse du CGLPL au livre vert sur la dtention de la commission europenne, 28 octobre 2011. 2 C. Rostaing, Processus de judiciarisation carcral : le droit en prison, une ressource pour les

    acteurs , Droit et Socit 2007, n 67, p. 577. 3 M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Bibliothque des histoires, d. Gallimard, 1975. 4 M. Guyomar, Limites des mesures dordre intrieur en matire pnitentiaire : dclassement demploi

    et changement daffectation des dtenus , Concl. sur, CE, Ass,, 14 dcembre 2007, M. Planchenault et

    M. Boussouar, RFDA 2008, p. 94 ; V. Infra. Partie 2, Titre 1, chapitre 1. 5 V. Infra. 6 R. Gassin, Remarque sur la sanction du droit pnitentiaire , in, Mlanges en lhonneur de

    P. Couvrat, La sanction du droit, PUF, 2001, p. 455 et s.

  • 18

    3. Toutefois, rendre accessibles les moyens de contestation pr-

    juridictionnels et juridictionnels ne signifie pas pour autant quils soient efficaces en

    pratique. Le contentieux pnitentiaire recle des spcificits exacerbes par le contexte

    dans lequel sont mis en uvre les recours. La confrontation entre les intrts, le plus

    souvent scuritaires7, de ladministration pnitentiaire, et la protection des droits des

    dtenus, contribue rendre difficilement surmontable ce dcalage, que le juge administratif

    ne parvient pas, ou ne souhaite pas8, combler. Celui-ci recherche, avec pragmatisme,

    lquilibre pnitentiaire quil estime ncessaire au respect juste des intrts antagonistes.

    4. Ds lors, il est possible daffirmer qu la mise disposition

    thorique de moyens juridiques de contestation rpond le constat dune pratique peu

    favorable lmergence de droits insusceptibles dtre totalement reconnus, dans leur

    utilit, par la voie prtorienne. Ainsi, cest laune dun examen critique du contentieux

    pnitentiaire conduit dans la perspective dune modernisation 9, que cette tude sera entreprise.

    5. Lopportunit de ltude (I) conduira dabord dlimiter la recherche

    (II), puis formuler la problmatique gnrale (III) de la thse soutenue (IV), dveloppe

    dans un plan en deux parties (V).

    I. Opportunit de ltude

    A. Lintrt historique

    6. La naissance et le dveloppement du contentieux public pnitentiaire

    rsultent de lhistoire de la prison10 dans la mesure o il apparat comme la suite logique de

    7 E. Pchillon, Scurit et droit du service public pnitentiaire, Bibliothque de droit public, tome 204, 1998. 8 Par exemple, propos du contrle de lgalit des sanctions disciplinaires, CE, 20 mai 2011, Igor Letona

    Biteri et OIP, req. n 326084, CE, 4 fvrier 2013, M. Ikemba, req. n 344266. 9 J.-M. Auby, Le contentieux du service public pnitentiaire , RDP 1987, tome 103, p. 547. 10 J.-P. Duroch, P. Pdron, Droit pnitentiaire, Dynasup droit, d. Vuibert, 2011, p. 7 ; H. Hedhili,

    Regard sur lhistoire pnitentiaire franaise et ses institutions depuis le XIXe, RPDP 2011, n 1, p. 31 ;

    H. Hedhili, La discipline pnitentiaire, approche juridique et doctrinale XIXe et XXe sicles, Thse, Toulouse,

    2009.

  • 19

    lentre du droit europen et national en dtention, et du contrle de son respect par le

    juge administratif.

    1) Les origines de la prison

    7. Lobjectif originel de la prison tait de rduquer les personnes

    dtenues, dabord par les chtiments corporels puis par les sanctions infliges lme.

    Lenfermement tait aussi une mesure de maintien de lordre11 par la neutralisation des

    personnes dangereuses12 et leur exclusion de la socit. Les premiers modes de dtention

    sont chercher ltranger13. Ils confirment le rle de la prison en tant que mode

    privilgi de sanction pnale. La prison, pour tre rdemptrice et dissuader de rcidiver,

    doit faire souffrir les dtenus.

    8. Ce nest qu partir des annes 1750, sous linfluence de lglise et de

    la doctrine anglo-saxonne de lhabeas corpus14 que lide de punir pour rhabiliter

    socialement a fait son apparition. Litalien Cesare Beccaria15, prsent comme le

    fondateur du droit pnal moderne, dfinissait dj la peine16 du point de vue de son utilit

    sociale17. Ds lors, lobjectif est denfermer pour punir et de punir pour rinsrer18.

    11 J.-M. Carbasse, Introduction historique au droit pnal, PUF, Coll. droit fondamental, 1990, n 117 ;

    E. Pchillon, Scurit et droit du service public pnitentiaire, Paris, LGDJ, 1998, p. 9. 12 C. Ghica-Lemarchand, Le sens de la peine , in, Les droits de la personne dtenue, d. Dalloz, coll.

    Thmes et Commentaires, Paris, 2013, p. 71. 13 Il sagit principalement de la prison Rasphuis dAmsterdam construite ds 1596 ainsi que la maison de

    force de Gand construite au XVIIe sicle. Cest cette poque que le projet dinstitution carcrale va

    simposer en tant que modle de punition corrective. galement, la prison dHanway construite en

    1775 et la prison Walnut Street de Philadelphie construite en 1779 ; M. Foucault, Surveiller et punir,

    naissance des prisons, prc. p. 126 ; J. Bentham, Le Panoptique, Paris, Belfond, 1977. 14 Etymologiquement : que tu aies ton corps (sous-entendu : ad subjiciendum ), pour le produire devant

    le tribunal. Il sagit dun texte adopt par le parlement anglais en 1679. En vertu de cette loi, toute

    personne emprisonne a le droit dtre prsente un juge pour quil statue sur la validit de

    larrestation. Locutions latines juridiques, Armand Colin, d. Dalloz, 2004 ; V. J. Pradel, Approche

    compare du droit pnitentiaire , RPDP 2005, n 1, p. 11 15 Cesare Beccaria Bonesana, marquis de Gualdrasco et Villareggio, n le 15 mars 1738 Milan o il est

    mort le 28 novembre 1794, il tait juriste, philosophe, conomiste et homme de lettres italien rattach

    au courant des Lumires. Dans Des dlits et des peines , il fonde le droit pnal moderne et se signale

    notamment en dveloppant la toute premire argumentation contre la peine de mort. 16 S. Tzitzis, Humanisme politique, humanitarisme pnal postmoderne , RPDP 2011, n 4, p. 977. 17 C. Beccaria, (1738-1794), Des dlits et des peines, publi secrtement en 1764, coll. Champ Flammarion,

    1979. 18 M. Lorcy, Lvolution des conceptions de la peine privative de libert , CRDF 2004, n 3, p. 11.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/15_marshttp://fr.wikipedia.org/wiki/Mars_(mois)http://fr.wikipedia.org/wiki/1738http://fr.wikipedia.org/wiki/Milanhttp://fr.wikipedia.org/wiki/28_novembrehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Novembrehttp://fr.wikipedia.org/wiki/1794http://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_philosophes_italienshttp://fr.wikipedia.org/wiki/Italiehttp://fr.wikipedia.org/wiki/Si%C3%A8cle_des_Lumi%C3%A8reshttp://fr.wikipedia.org/wiki/Des_d%C3%A9lits_et_des_peineshttp://fr.wikipedia.org/wiki/Peine_de_mort

  • 20

    9. En parallle, des moyens sont mis en place pour parvenir ce nouvel

    objectif. La cration du panoptique de Bentham la fin du XVIIIe sicle permet dsormais

    une surveillance quasi permanente du dtenu19. Lemprisonnement devient ainsi une tape

    vers la rinsertion du prisonnier, facilite par de nouveaux modes de dtention20.

    10. Aprs la rvolution franaise et sous linfluence de la pense des

    philosophes des Lumires, lidologie humaniste a permis lmergence de principes

    fondamentaux. Les principes de libert, dgalit, de proportionnalit et de lgalit des

    peines issus de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen du 26 aot 1789 font

    dsormais partie du socle du droit pnal. La Dclaration proclame larticle 7 la lgalit

    des incriminations21. Larticle 8 affirme le principe de proportionnalit des peines aux

    infractions, ainsi que le principe de non rtroactivit de la loi pnale dfavorable22. Sont

    galement proclams le refus des peines perptuelles ainsi que la rgle selon laquelle la loi

    est la mme pour tous, entranant la rdaction du code pnal de 1791. Considr comme la

    premire vritable rforme en la matire, ce code tablit un rgime des peines influenc

    par les grands principes rvolutionnaires. Il place lenfermement au centre du dispositif

    judiciaire et, tout en conservant la peine de mort et les travaux forcs, gnralise la peine

    privative de libert. La prison devient un lieu de punition et damendement du condamn

    par le travail et lducation. Elle nest plus seulement un moyen dinfliger des tortures mais

    devient une peine part entire.

    19 Il consiste assurer dans les lieux denfermement une surveillance continue et individuelle des

    prisonniers, sans que le surveillant ne soit lui-mme vu par celui quil observe, grce une forme

    circulaire ou semi circulaire de ltablissement ; M. Foucault, Surveiller et punir, naissance des prisons, prc.,

    p. 202. 20 F. Johanns, Prison sans barreaux , Le Monde, Culture et ides, 16 fvrier 2013, p. 4 ; A. Chemin,

    Un horizon entre les barreaux , Le Monde, Culture et ides, 7 juin 2014, p. 4. 21 Nul homme ne peut tre accus, arrt ou dtenu que dans les cas dtermins par la loi et selon les formes quelle a

    prescrites () . 22 La loi ne doit tablir que des peines strictement et videmment ncessaires, et nul ne peut tre puni quen vertu dune

    loi tablie et promulgue antrieurement au dlit, et lgalement applique ; X. Bioy, Droits fondamentaux et liberts

    publiques, d. Montchrestien, coll. Cours, Paris, 2011 ; J.-M. Pontier, Droits fondamentaux et liberts publiques,

    Les fondamentaux, Coll. Hachette suprieur, 2me d., Paris, 2005 ; P.-H. Prlot, Droit des liberts

    fondamentales, Coll. Hachette suprieur, Paris, 2007.

  • 21

    2) La conception moderne de la prison

    11. La conception moderne de la prison va tre institutionnalise23 sous

    la troisime Rpublique24. La loi du 5 juin 187525 fixe les grands principes de la politique

    pnitentiaire en France. De plus, depuis 1795, date de cration de ladministration des

    prisons, celles-ci dpendaient du ministre de lIntrieur. Par dcret du 13 mars 191126,

    elles seront rattaches au ministre de la Justice. Cette nouvelle organisation tmoigne de

    la volont dintgrer de la justice et du droit dans lunivers carcral, mme si linfluence de

    ce remaniement sur le fonctionnement des prisons et les droits des personnes dtenues

    aura des consquences limites. Dsormais, lorganisation judiciaire et le fonctionnement

    de ladministration pnitentiaire sont lis par le droit dans la mesure o ce dernier doit

    sappliquer en prison.

    12. Au milieu du XXe sicle27, la thorie de la dfense sociale nouvelle 28 et

    la rforme pnitentiaire Armor, de 1945, auraient d servir de fondement la construction

    dun droit de la prison prenant en compte lobjectif de rinsertion et lamlioration des

    conditions de dtention des prisonniers29. Larticle premier de la charte pnitentiaire de

    1945 prvoyait, la peine privative de libert a pour objet essentiel lamendement et le reclassement social

    du condamn 30. La rinsertion, but ultime de lincarcration paraissait dj ancre dans

    23 J.-C. Gaven, La rforme pnitentiaire en France : leons du pass, rcits du prsent , in, J.-C.

    Froment, M. Kaluszynski, Ladministration face aux principes de la nouvelle gestion publique, PUG, 2011, p. 13. 24 H. Hedili, Regard sur lhistoire pnitentiaire franaise et ses institutions depuis le XIXe , RPDP

    2011, n 1, p. 39 ; R. Badinter, La prison rpublicaine, d. Fayard, 1992 ; La rforme des prisons sous la IIIe

    Rpublique , RFAP 2001, p. 393. 25 Loi du 5 juin 1875 relative au rgime des prisons dpartementales, JORF du 28 fvrier 1875, p. 206. 26 Le rattachement au ministre de la Justice sest fait par le dcret du 13 mars 1911 portant

    rattachement de la direction de l'administration pnitentiaire et des services qui en dpendent au

    ministre de la Justice, JO du 14 mars 1911, p. 2033 ; V. J. Magnol, Le rattachement des services

    pnitentiaires au ministre de la Justice , RPDP, 1911, p. 513 ; A. Rivire, RPDP, 1911, p. 614 ; Les

    dispositions de ce dcret ont t reprises par l'article 89 de la loi de finances du 13 juillet 1911. 27 C. Faugeron, Les prisons de la Ve Rpublique , in, J.-G. Petit, Histoire des galres, des bagnes et des

    prisons, Privat, 1991. 28 M. Ancel, La dfense sociale nouvelle, Cujas, 3e d., 1980. 29 J. Pinatel, RSC 1946, p. 141 ; J. Pinatel, Trait lmentaire de science pnitentiaire et de dfense sociale,

    imprimerie administrative de Melun, 1950. 30 Assemble Nationale, La France face ses prisons, rapport fait au nom de la commission d'enqute sur

    la situation dans les prisons franaises, tome 1, Les documents de lAssemble Nationale, Paris, 2000,

    p. 6.

  • 22

    lesprit des gouvernants. Dailleurs, la cration du juge dapplication des peines en 195831

    confirme cette tendance. Il sera le symbole de lindividualisation et de lamnagement de

    peines. Lobjectif de rinsertion devait tre soutenu et encadr par des normes juridiques.

    Malheureusement, ceci na pas t suivi deffets.

    3) Les prmices du droit en dtention

    13. Progressivement, les conditions de dtention au sein des

    tablissements pnitentiaires franais vont se durcir, suscitant des critiques. Les contraintes

    de scurit et dordre inhrentes ces tablissements permettent ladministration dluder

    les considrations relatives la protection des liberts fondamentales et la rinsertion.

    14. Lindignit de la dtention va ds 1971 provoquer des meutes

    violentes en prison32. Michel Foucault et le groupe dinformations sur les prisons (GIP),

    cr au dbut des annes 1970, vont tenter dinitier un mouvement de dfense des droits

    des dtenus, confort par les vnements de lpoque. La situation dans les prisons sera

    mise jour lors de la prise dotages du 22 septembre 1970 la maison centrale de

    Clairvaux33. Cet vnement a marqu lhistoire des prisons mais galement celle de la peine

    capitale34. Le double meurtre de Clairvaux va entrainer la dgradation des conditions de

    dtention dans ltablissement, et partout en France, les rgimes dincarcration vont se

    durcir. En novembre 1971 ce sont quatre cents prisonniers de la prison de Poissy qui font

    la grve de la faim et du travail pour protester contre la circulaire Pleven du 10 octobre

    197135 renforant la surveillance individuelle des dtenus. Lanne 1972 sera marque par

    31 Ordonnance n 58-1269, du 23 dcembre 1958 modifiant le code de procdure pnale. 32 Lanne 1971 est marque par de violentes meutes dans plusieurs prisons franaises (Clairvaux,

    Poissy, Lyon, Toul, Nancy) ; P. Artieres, P. Lascoumes, G. Salle, Gouverner, enfermer, La prison un modle

    indpassable, Presse de Sciences Po, 2004, Paris, p. 39. 33 Prise dotages au cours de laquelle Claude Buffet et Roger Bontemps ont tu une infirmire et un

    gardien. 34 Les dtenus Claude Buffet et Roger Bontemps seront condamns mort en juin 1972 et excuts le

    28 novembre de la mme anne, permettant ainsi M. Robert Badinter, avocat au barreau de Paris, de

    livrer sa premire bataille dans la lutte pour l'abolition de la peine de mort ; R. Badinter, Lexcution,

    Fayard, Paris, 1998, 230 p. 35 Du nom du Ministre de la justice de lpoque Ren Pleven.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Fayard_(maison_d%27%C3%A9dition)

  • 23

    de nombreux suicides en prison36. Cette contestation se propagera une quarantaine

    dtablissement37, et stendra jusquen 197438.

    15. Malgr une rpression violente, cet pisode aura permis de grandes

    avances pour les droits des dtenus. Une prise de conscience politique va merger

    concernant ltat des prisons franaises et les conditions de dtention. Les premiers droits

    de la dtention vont tre consacrs39. En 1974, le mariage devient libre en prison, alors que

    la loi du 31 dcembre 197540 instaure le droit de vote par procuration pour les dtenus,

    intgrant ainsi du droit et de la citoyennet au sein dun univers clos, auparavant priv de

    dmocratie41. Cest ainsi que se dessine peu peu un mouvement dhumanisation et de

    libralisation, avec pour objectif douvrir plus largement la prison vers lextrieur et

    dintgrer plus de droit lintrieur42. Ce courant humaniste va tre confort par ce qui

    sera la plus grande avance en matire de protection des droits de lhomme dans larsenal

    rpressif franais du XXe sicle, la suppression de la peine de mort43.

    36 37 prisonniers se donneront la mort cette anne, tablissant, pour lpoque, un triste record.

    LExpress, n 1031, 12-18 avril 1971. 37 Notamment Poissy, Nancy, Lyon, Melun, Fleury-Mrogis, la Sant, Loos-ls-Lille, o les vnements

    furent les plus marquants. 38 P. Artires, La prison en procs. Les mutins de Nancy (1972) , Vingtime Sicle, revue dhistoire

    2001, 2, n 70, p. 60. 39 O. De Schutter, D. Kaminski, Linstitution du droit pnitentiaire. Enjeux de la reconnaissance de droits aux

    dtenus, Coll. La pense juridique, LGDJ, 2002, 320 p. ; J.-C. Froment, Vers une prison de droit ? ,

    RSC 1997, p. 537. 40 Loi n 75-1329 du 31 dcembre 1975 relative au vote par procuration. 41 Cour des comptes, Garde et rinsertion, Rapport public thmatique, 2006. 42 V. Tchen, Les droits fondamentaux du dtenu lpreuve des exigences du service public

    pnitentiaire , RFDA 1997, p. 597. 43 La fin des annes 1970 marque la volont de certains dirigeants politiques de supprimer la peine

    capitale. Sous limpulsion du garde des Sceaux de lpoque Alain Peyrefitte, des dbats parlementaires

    vont tre conduits malgr lhostilit de lopinion publique. A loccasion dun procs retentissant,

    M. Robert Badinter a bnfici dune seconde tribune dans son rquisitoire contre la peine de mort. En

    effet cest lors de la dfense de Patrick Henry que le vritable procs de la peine de mort aura lieu.

    Dans le mme tribunal qu Troyes, et face aux mmes magistrats professionnels quen 1972, il

    convainc les jurs de ne pas condamner Patrick Henry la guillotine. Lors de sa plaidoirie, il dira ceci

    la guillotine ce nest rien dautre que de prendre un homme et le couper, vivant, en deux morceaux , (R. Badinter,

    Labolition, d. Fayard, Paris, 2000, 326 p.). Son client sera reconnu coupable mais il chappera la peine

    de mort. Il sera finalement condamn la rclusion criminelle perptuit. Entre 1977 et 1981, deux

    personnes seront guillotines, ce seront les dernires. Llection de Franois Mitterrand la prsidence

    de la Rpublique en 1981 et la dsignation de M. Robert Badinter au poste de garde des Sceaux vont

    amener le dbat de labolition de la peine capitale sur le terrain moral, politique et juridique. Le 29 aot

    1981 un projet de loi visant labolition gnrale et dfinitive de la peine de mort est dpos

    lAssemble Nationale. Adopte par 369 voix contre 113 lAssemble Nationale, et par 161 voix

    http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/064000049/index.shtmlhttp://fr.wikipedia.org/wiki/Fayard_(maison_d%27%C3%A9dition)

  • 24

    a) Les influences internationales

    16. Certains auteurs44 ont pendant longtemps parl de zone de non-

    droit lorsquils abordaient la matire pnitentiaire. Sil est exact que, lorigine et jusquau

    milieu du XXe sicle, les prisons chappaient un vritable ordre juridique, cette formule

    semble aujourdhui dpasse au regard de lvolution de la matire, dveloppe par le droit

    international.

    17. La Dclaration universelle des droits de lhomme et du citoyen

    (DUDH) des Nations Unies de 1948 prvoit dans son article 5 la prohibition de la torture

    et des traitements inhumains ou dgradants. Toutefois, la premire disposition

    internationale relative aux personnes dtenues est chercher dans le Pacte international

    relatif aux droits civils et politiques45 (PIDCP). Adopt par une rsolution des Nations

    Unies du 15 dcembre 1966, le pacte est entr en vigueur en France le 4 fvrier 198146. Il

    affirme dans son article 10, toute personne prive de sa libert est traite avec humanit et avec le

    respect de la dignit inhrente la personne humaine 47. De plus, ce pacte dicte quelques rgles

    minimales concernant les personnes dtenues. Cependant, son influence reste limite dans

    la mesure o ces dispositions ne sont pas contraignantes. Enfin, la Convention

    europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales (CESDH),

    signe Rome le 4 novembre 1950, et son organe juridictionnel, la Cour europenne des

    droits de l'homme (CEDH), ont galement jou, par la suite, un rle essentiel48.

    contre 126 au Snat, cette loi marque un tournant dcisif dans le mouvement dhumanisation, lent mais

    constant, de larsenal rpressif, opr depuis quelques annes. La loi sera promulgue par le Prsident

    de la Rpublique le 9 octobre et publie au Journal officiel le 10 octobre 1981 ; Loi n 81-908 du

    9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort, JO du 10 octobre 1981, p. 2759 ; N. Truong, La

    dernire excution en France , interview de R. Badinter, Le Monde, octobre 2013, p. 18. 44 V. M. Herzog-Evans, La gestion du comportement du dtenu, Essai de droit pnitentiaire, d. LHarmattan,

    coll. Logiques juridiques, 1998 ; E. Pchillon, Scurit et droit du service public pnitentiaire, LGDJ, 1998. 45 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopt le 16 dcembre 1966, entr en vigueur

    le 23 mars 1976, adhsion de la France par les lois du 25 juin 1980, JO du 4 dcembre 1980. 46 Dcret n81-76 du 29 janvier 1981, JORF du 1er fvrier 1981, p. 398. 47 Art 101 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 48 B. Belda, Les droits de lhomme des personnes prives de libert : Contribution ltude du pouvoir normatif de la

    Cour europenne des droits de lhomme, thse, Montpellier, 2007 ; F. Tulkens, Les droits de lhomme en

    dtention , RSC 2001, p. 881 ; La Convention lie les tats du Conseil de lEurope qui lont ratifie.

    Elle nonce des droits principalement civils et politiques, et met en uvre une procdure de protection

    de ces derniers. Les dispositions de la Convention sont dapplicabilit directe et le principe de

    rciprocit ne joue pas, comme toujours lorsque des droits fondamentaux sont en jeu ; Dcision n 98-

    http://www.senat.fr/evenement/archives/D22/L1981.html

  • 25

    Concernant les personnes prives de libert, elle ne renferme aucune disposition prcise,

    mais prvoit seulement des rgles a minima . Cela na pas empch la Convention davoir

    une influence majeure sur llaboration dun vritable droit carcral en France49, que ce soit

    par le biais de ses arrts de condamnation prononcs par la Cour ou grce aux rgles

    pnitentiaires europennes (RPE)50, adoptes en 1973 par le Conseil de lEurope51. En

    consacrant environ un quart de ses arrts aux dtenus, la Cour est actrice active de cette

    construction. Le juge europen sefforce de faire de la prison un lieu pntr par lexercice

    des liberts fondamentales contribuant ainsi rapprocher le rgime juridique du dtenu

    europen de celui du citoyen libre52.

    18. La France a longtemps t rticente lgard de la Convention

    europenne des droits de lhomme53. Notamment concernant, le droit de recours

    individuel devant la Cour europenne54 qui na t reconnu, au profit des ressortissants

    franais, quen 198155. Dsormais, les droits de la Convention europenne et

    408 DC du 22 janvier 1999, Rec. p. 29 ; Article 55 de la Constitution : Principe qui autorise un tat

    suspendre ou mettre fin lapplication dun trait si lautre partie nexcute pas ses obligations. 49 J.-P. Duroch, P. Pdron, Droit pnitentiaire, Dynasup droit, d. Vuibert, 2011, p. 53. 50 J.-P. Cr, Les nouvelles rgles pnitentiaires europennes. Un pas dcisif vers une approche

    globale des droits des dtenus , RPDP 2006, p. 415. 51 Recommandation R. 87-3, du 12 fvrier 1987, Conseil de lEurope, collection des recommandations,

    rsolutions et dclarations du Comit des ministres sur les droits de lhomme, 1949-1987, p. 161.

    J. Pradel, Les nouvelles rgles pnitentiaires du Conseil de lEurope , RPDP 1988, n 2, p. 218 ; Ces

    rgles ont t modernises en 2006. 52 B. Belda, Les droits de lhomme des personnes prives de libert : Contribution ltude du pouvoir normatif de la

    Cour europenne des droits de lhomme, thse, Montpellier, 2007. 53 La loi na autoris sa ratification quen 1973. Loi n 73-1227 du 31 dcembre 1973 autorisant la

    ratification de la Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts

    fondamentales et de ses protocoles additionnels n1, 3, 4, 5, JO du 3 janvier 1974 p. 67 ; Dcret n 74-

    60 du 3 mai 1974 portant publication de la convention europenne de sauvegarde des droits de

    l'homme et des liberts fondamentales, signe le 4 novembre 1950, de ses protocoles additionnels n 1,

    3, 4 et 5, signs le 20 mars 1952, 6 mai 1963, 16 septembre 1963 et 20 janvier 1966, ainsi que des

    dclarations et rserves qui ont t formules par le Gouvernement de la Rpublique franaise lors de

    la ratification , JO du 4 mai 1974, p. 4750. Cest Alain Poher, alors Prsident de la Rpublique par

    intrim , qui la ratifie le 3 mai 1974 ; Dcret n 74-360 du 3 mai 1974, JO du 4 mai, p. 4750 ; J.-M.

    Pontier, Droit fondamentaux et liberts publiques, Hachette suprieur, 2me dition 2005, p. 21. 54 Article 34 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de lHomme et des liberts

    fondamentales, Requtes individuelles. 55 Dclaration, remise par M. Chandernagor, Ministre dlgu auprs du Ministre des relations

    extrieures, au secrtaire gnral du Conseil de lEurope le 2 octobre 1981, JORF du 14 octobre 198,

    p. 2783.

    http://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?cidTexte=JPDF0301197400000067http://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?cidTexte=JPDF0405197400004750

  • 26

    linterprtation pratique qui en est faite par la Cour europenne sont des outils de

    rfrence pour la protection des droits des dtenus56.

    b) Lentre en prison du droit pnitentiaire rglementaire

    19. Lmergence du droit en prison sest faite il y a une quarantaine

    dannes57. Toutefois, le droit de la prison58 tel que nous le connaissons, aujourdhui, en

    France est rcent59. La priode allant des prmices du droit pnitentiaire sa confirmation,

    marque par lentre en vigueur de la loi pnitentiaire du 24 novembre 2009, sera propice

    la multiplication de dcrets simples, de circulaires, ainsi que de notes et de rglements

    intrieurs manant, eux, directement de ladministration pnitentiaire et applicables au sein

    des tablissements60. Ces instruments rglementaires vont encadrer la situation juridique

    des personnes dtenues61 alors quau terme de larticle 34 de la constitution, La loi fixe les

    rgles concernant : - les droits civiques et les garanties fondamentales accordes aux citoyens pour lexercice

    des liberts publiques ; () ; - la dtermination des crimes et dlits ainsi que les peines qui leurs sont

    applicables ; la procdure pnale ; () . Ainsi en labsence, lpoque, de cadre lgislatif,

    ladministration pnitentiaire a labor son propre droit carcral et continue, certes de

    faon moins flagrante, cette pratique. Il existait bien des lois spcifiques destines rgir

    linstitution pnitentiaire, mais ces dispositions peu nombreuses ntaient pas toujours

    56 A. Gouttenoire, Les droits de lhomme en prison , RPDP 2005, n 1, p. 107. 57 J.-P. Cr, Les droits des dtenus sous la Ve Rpublique : de rels progrs ? , RFAP 2001, n 99,

    p. 417 ; W.-F. Ziwi, Droits du dtenu et droits de la dfense, coll. Franois Maspro, Paris, 1979. 58 M. Herzog-Evans, Le droit en prison , Revue projet 2002, n 269, p. 87. 59 E. Pchillon, Ladministration pnitentiaire. La lente et difficile laboration du droit dun service

    public en mutation , Les cahiers de la fonction publique 2010, p. 5. 60 E. Pchillon, Lintervention attendue du Parlement en matire pnitentiaire : rforme de fond ou

    toilettage lgislatif , RPDP 2000, n 4, p. 493 ; M. Guyomar, Le Conseil dtat prcise les limites qui

    encadrent la dfinition par le pouvoir rglementaire, du rgime disciplinaire des dtenus , Gaz. Pal.,

    2013, n 269, p. 16 ; S. Brondel, Les dispositions rglementaires sur lencellulement individuel en

    maison darrt sont lgales , note sous, CE, 29 mars 2010, req. n 319043, AJDA 2010, p. 700 ;

    M. Herzog-Evans, Isolement carcral : un arrt du Conseil dtat rvolutionnant les sources du droit

    pnitentiaire , Rec. Dalloz 2009, n 2, p. 134. 61 Nous ne contesterons pas systmatiquement la lgalit des circulaires et des rgles quelles

    contiennent. Nous savons toutefois que cet instrument nest pas adapt la matire. Les circulaires

    impratives portent atteinte la lgalit dans la mesure o certaines rgles quelles contiennent

    simposent aux personnes dtenues. Elles peuvent ainsi tre normatives bien que le Ministre ne dispose

    pas dune telle comptence. Ainsi loutil normatif nest pas la hauteur des enjeux fondamentaux de la

    prison et de sa coloration pnale Seule la loi, dont le contenu doit tre prcis par des dcrets

    dapplication, devrait encadrer le droit carcral.

  • 27

    connues des personnes dtenues et, de plus, appliques par ladministration. Les prisons

    sont des lieux ferms au fonctionnement interne dans lesquelles limpratif de scurit

    permet une gestion opaque et secrte de la dtention62. Lintrt gnral carcral, dont la

    protection est privilgie par ladministration, conduisait au rejet quasi-systmatique des

    intrts particuliers des dtenus. Sous prtexte des spcificits de la prison, ladministration

    pouvait y exercer un pouvoir totalement discrtionnaire chappant tout contrle

    juridictionnel et institutionnel, traduit principalement par la mesure dordre intrieur63. Les

    directeurs disposaient dune vritable autonomie normative que les recours en vigueur ne

    permettaient pas de contrler64.

    20. Un tel foisonnement de rgles infra-lgislatives a indniablement

    renforc lineffectivit du droit en prison 65, dans la mesure o le droit pnitentiaire tait

    caractris par une faiblesse des fondements juridiques66. Il est possible de se demander

    comment un droit, cens rgir la socit carcrale , a pu tre dict par un des acteurs de

    cette vie lui-mme ? Le Conseil Constitutionnel a dailleurs dclar non conforme la

    Constitution larticle 728 du code de procdure pnale dans sa rdaction postrieure la

    loi du 22 juin 1987 mais antrieure la loi pnitentiaire de 200967. Larticle prcisait qu

    un dcret dtermine lorganisation et le rgime intrieur des tablissements pnitentiaires , alors quil

    appartient au lgislateur de fixer les rgles concernant les garanties fondamentales accordes aux

    personnes dtenues ; que celles-ci bnficient des droits et liberts constitutionnellement garantis dans les

    limites inhrentes la dtention 68. Cette disposition, socle du pouvoir rglementaire

    pnitentiaire et de son dveloppement en dtention, dont lillgalit a t trop tardivement

    62 J. Foyer, La doctrine de la Ve Rpublique en matire rpression , RPDP 1963, n 2, p. 286. 63 La mesure dordre intrieur matrialise ladage, De minimis non curat praetor , qui signifie que le juge

    ne soccupe pas des choses minimes. H. Roland, L. Boyer, Adage du droit romain, 4me d., Litec, 1999,

    n 83 ; J. Carbonnier, Sociologie juridique. Partie spciale : le procs et le jugement, Paris, Association

    corporative des tudiants en droit, 1961-1962, p. 313 ; V. Infra. Partie 1, Titre 1, Chapitre 1 et Partie 2,

    Titre 1, Chapitre 1. 64 R. Mezghani, La condition juridique du dtenu, Thse, Paris II, 1975. 65 Assemble Nationale, La France face ses prisons , rapport n 2521, prc., p. 137. 66 M. Herzog-Evans, Les particularits du droit pnitentiaire , Les Cahiers de la scurit intrieure, 31,

    1er trimestre 1998, p. 19. 67 CC, 25 avril 2014, n 2014-393 QPC ; La question prioritaire de constitutionnalit a t instaure par

    la rforme constitutionnelle du 23 juillet 2008. Article 61-1 de la Constitution. M. Verpeaux, La question

    prioritaire de constitutionnalit, d. Hachette suprieur, coll. Les fondamentaux, Paris, 2013, 166 p ; X. Bioy,

    W. Mastor, S. Mouton, X. Magnon, Le reflexe constitutionnel, question sur la question prioritaire de

    constitutionnalit, d. Bryulant, 2013, 228 p. 68 M. Lna, Incomptence ngative du lgislateur et droit pnitentiaire , Dalloz actualit 28 avril 2014.

  • 28

    reconnue, dmontre la spcificit du droit en prison69. Le droit pnitentiaire a t organis,

    durant 22 annes, sur le fondement dune norme inconstitutionnelle70.

    21. Ainsi aprs avoir t qualifi de zone de non-droit , due la

    faiblesse voire mme labsence des normes le rgissant, le milieu carcral est apparu

    comme une zone de sous-droit , en rfrence aux dispositions infra-lgislatives le

    concernant71. Des annes 70 au milieu des annes 90, la prison tait bien soumise aux

    rgles de droit. Mais ces rgles, principalement dictes par ladministration, chappaient,

    en fait, tout contrle juridictionnel.

    B. La juridictionnalisation du droit pnitentiaire et la cration dun statut de

    dtenu

    Il ne doit jamais tre permis lautorit administrative de lser illgalement des

    intrts et il doit toujours se trouver un juge de la lgalit de son action 72.

    22. Le milieu des annes 199073 et le dbut des annes 200074 sont

    marqus par la prise en main tardive de lunivers carcral par le juge administratif75. En

    effet, le juge administratif sest dsign comptent pour contrler la lgalit de lactivit

    pnitentiaire en 196076. Les litiges relatifs la nature et aux limites des peines relvent de la

    comptence du juge judiciaire, alors que le juge administratif doit connatre des litiges

    69 A. Deflou, Le droit des dtenus, scurit ou rinsertion ?, coll. Thmes et Commentaires, d. Dalloz, 2010. 70 Les parlementaires nayant pas saisi le Conseil Constitutionnel en son temps, et seule la question

    prioritaire de constitutionnalit ayant permis, tant dannes aprs, la dclaration de non

    constitutionnalit. 71 J.-L. Nadal, Introduction , in, Les droits de la personne dtenue, prc., p. 13. 72 M. Waline, Droit administratif, Paris, 1957, p. 447. 73 J. Boucher, B. Bourgeois-Machureau, Le juge administratif et le dtenu , AJDA 2008, p. 118 ; J.-C.

    Karsenty, Ladministration pnitentiaire des annes 1990 , RPDP 1991, n 34, p. 261. 74 J.-P. Cr, tat actuel de lapplication du droit pnitentiaire , RPDP 2005, n 1, p. 29. 75 M. Guyomar, , Le juge administratif, juge pnitentiaire , in, Terres de droit, mlanges en lhonneur de

    Yves Jgouzo, Dalloz, Paris 2009, p. 471 ; C. Rigambert, Le juge administratif et le milieu carcral ,

    RPDP 2011, n 3, p. 585 : C. Vigouroux, La valeur de la justice en dtention , AJDA 2009, p. 403 ;

    J.-P. Cr, E. Pchillon, Le dtenu et son juge , note sous, CE, 2001, Malbeau, RFDA 2002, p. 598 ;

    M. Giudicelli, Contentieux administratif des dtenus, prc., p. 24. 76 TC, 22 fvrier 1960, Dame Fargeaud dEpied, Rec. Lebon p. 855, AJDA 1960, p. 147, RDP 1960, p. 837 ;

    Il nappartient pas au juge judiciaire de connatre de cette action fonde sur la mconnaissance de la lgislation relative

    au rgime de la peine de travaux forcs qui se situe dans la phase administrative de lexcution de la peine ; TC, 4

    juillet 1983, Caillol, Rec., p. 541, RSC 1984, p. 555.

  • 29

    relatifs au fonctionnement administratif du service pnitentiaire. Toutefois, ce nest qu

    partir de la dcision Marie77 que je juge administratif va assumer la fonction de juge

    pnitentiaire78, alors quil sy tait refus en 1984 dans larrt Caillol79. Ainsi, la

    dtermination de lordre juridictionnel na pas t suivie de la mise en uvre immdiate du

    contrle de lgalit des actes pris par ladministration pnitentiaire.

    23. Le contrle juridictionnel a dans un premier temps donn lieu une

    jurisprudence qui peut tre qualifie de jurisprudence dopportunit. La mise en balance

    des intrts opposs de ladministration pnitentiaire et des personnes dtenues a conduit

    le juge faire voluer au cas par cas le droit, marquant une certaine frilosit de sa part,

    mais aussi peut-tre le souhait de ne rien brusquer. La confrontation de la scurit et des

    droits de lhomme, apprci par le prisme du droit, a entrain un dcalage entre les

    quelques principes affirms par les textes et la pratique.

    24. Progressivement, une jurisprudence plus protectrice des droits va

    merger80, rendue possible en cela grce au contrle constructif et pragmatique opr par

    le juge. Il va alors passer dune logique ultra scuritaire81, une logique scuritaire plus

    raliste, qui sera conjugue une reconnaissance et une protection largie des droits, pas

    seulement fondamentaux82. Il devient alors le contributeur essentiel de llaboration du

    droit pnitentiaire dans la mesure o ses dcisions vont progressivement remplacer le

    pouvoir lgislatif dfaillant. Llaboration dune norme pnitentiaire prtorienne sur

    mesure voit le jour, rendant possible llaboration dun ordre juridique83 pnitentiaire.

    77 CE, Ass., 17 fvrier 1995 Marie, req. n 97754, Rec. Lebon, p. 83. Infra. Partie 2, Titre 1, Chapitre 1. 78 M. Guyomar, Le juge administratif, juge du service public , in, Les droits de la personne dtenue, prc. ;

    H. Belrhli-Bernard, Le juge administratif et le contrle de ladministration pnitentiaire , in, J.-C.

    Froment, M. Kaluszynsky, Ladministration pnitentiaire face aux principes de la nouvelle gestion publique, PUG,

    2011, p. 175-186. 79 V. CE, Ass., 27 janvier 1984, Caillol, n 31985, concl. B. Genevois, Rec. p 28 ; F. Moderne, RFDA

    1984, p. 187 ; LPA, 2 mars 1984, p. 2 ; S. Regourd, Contrle contentieux et administration

    pnitentiaire , Rec. Dalloz 1983, p. 598. 80 M. Guyomar, La progressive conscration dun droit pnitentiaire : lapport des jurisprudences ,

    Les cahiers de la fonction publique 2010, p. 10. 81 E. Pchillon, Scurit et droit du service public pnitentiaire, prc. 82 D. Costa, La juridictionnalisation des mesures de ladministration pnitentiaire , in, Les droits de la

    personne dtenue, prc., p. 281. 83 J. Chevallier, Lordre juridique , in, Le droit au procs, PUF, 1983, p. 7 ; S. Romano, Lordre juridique,

    traduction de L. Franois, P. Gothot, 2e d. Dalloz, coll. Philosophie du droit, Paris, 1975, 174 p.

  • 30

    Toutefois, on saperoit, ds cette poque, que la mesure est biaise84 par le contexte

    carcral dans lequel elle est prise.

    25. Lapproche du juge national va tre influence par le droit europen,

    sous sa forme conventionnelle mais surtout contentieuse, dans la mesure o la Cour va

    jouer un rle normatif prpondrant85. Le droit cr par le juge europen va simposer au

    juge administratif, qui le rceptionne en droit interne86. Ainsi lapproche scuritaire et

    raliste du juge interne va tre adoucie par lapproche du juge europen, plus protectrice

    des droits individuels. Ce dcalage dapprciation peut sexpliquer par le fait que lun, le

    juge administratif, fait face quotidiennement ces questions, alors que lautre, le juge

    europen, une approche plus thorique de la situation franaise. Le juge europen

    applique la Convention avec recul, et dans le temps, alors que le juge administratif est

    directement confront aux exigences scuritaires, souvent urgentes.

    26. En parallle, la commission Canivet87, le rapport de la commission

    denqute de lAssemble Nationale sur la situation dans les prisons franaises88 et le

    rapport du Snat89 mettent au jour les carences et les incohrences du droit pnitentiaire

    franais. Certains iront jusqu dire, sans exagration, que les prisons franaises sont une

    humiliation, une honte pour la Rpublique 90. Le livre de V. Vasseur, Mdecin-chef la prison de la

    Sant, a galement contribu mettre en lumire les questions lies la dtention91, malgr

    le fait que sa publication avait certes marqu les esprits, mais navait pas t suivie

    davances.

    84 Terme emprunt B. Belda. 85 B. Belda, Les droits de lhomme des personnes prives de libert : Contribution ltude du pouvoir normatif de la

    Cour europenne des droits de lhomme, thse, prc ; Le droit europen de la dtention et son influence sur le droit

    national, confrence organise par le Conseil dtat, Paris, 28 mars 2011. 86 S. de La Rosa, La part du droit europen dans la reconnaissance des droits des dtenus , in, Les

    droits de la personne dtenue, prc., p. 57. 87 G. Canivet, Amlioration du contrle extrieur des tablissements pnitentiaires , Rapport au Garde des

    Sceaux, 1999-2000, prc. 88 Assemble Nationale, La France face ses prisons , rapport n 2521, 2000, prc. 89 J.-J. Hyest, G.-P. Cabanel Les conditions de dtention dans les tablissements pnitentiaires en France , tome

    1, Rapport de commission d'enqute n 449, 1999-2000. 90 Snat, Prisons : une humiliation pour la Rpublique , rapport de la commission denqute sur les

    conditions de dtention dans les tablissements pnitentiaires en France, n449, Paris, Les rapports du

    Snat, 2000 ; Le Monde, 14 juillet 2000. 91 V. Vasseur, Mdecin-chef la prison de la sant, d. Le Cherche-midi, Paris, 2000.

  • 31

    27. Le systme pnitentiaire92 nchappe plus lencadrement juridique

    et au contrle du respect de la norme93. La loi du 22 juin 198794 a fait de ladministration

    pnitentiaire un service public exerant des missions. Le juge administratif a franchi les

    portes de la dtention pour laborer le droit carcral. La loi du 12 avril 2000 relative aux

    droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations95 a permis aux dtenus de

    voir leurs relations avec ladministration pnitentiaire se normaliser. La loi prvoit de

    nombreux droits dont celui dtre assist par un conseil au sein mme de la dtention. La

    cration dune autorit administrative indpendante, le Contrleur gnral des lieux de

    privation de libert, a confirm la prise en compte des questions lies la dtention et la

    ncessit de protger les droits fondamentaux des reclus96. Enfin, la loi pnitentiaire du 24

    septembre 200997 est entre en vigueur, posant les bases lgislatives dun droit

    pnitentiaire98, dont la qualit, il est vrai, doit tre nuance99. Ainsi, il devient possible

    dvoquer llaboration dun statut juridique du dtenu100 compos de droits et

    obligations101, et susceptible demprunter plusieurs figures102, celle de la personne humaine,

    92 J.-P. Cr, Le systme pnitentiaire franais , in, J.-P. Cr, C.-E A. Japiass, Les systmes

    pnitentiaires dans le monde, d. Dalloz, coll. Thmes et Commentaires, Paris, 2007, p. 339 et 2011, p. 165. 93 M. Herzog-Evans, Droit commun pour les dtenus , RSC 1995, p. 621. 94 Loi n 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pnitentiaire, JORF du 23 juin 1987, p. 6775. 95 Loi n 2000-321 du 12 avril 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les

    administrations (DCRA), JORF n 88 du 13 avril 2000, p. 5646, texte n 1. 96 Loi n 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrleur gnral des lieux de privation de

    libert, JORF n 253 du 31 octobre 2007, p. 17891 et Dcret n 2008-246 du 12 mars 2008 relatif au

    Contrleur gnral des lieux de privation de libert, JORF n 0062 du 13 mars 2008, texte n 21. Le

    Conseiller dtat Jean-Marie Delarue a t nomm ce poste le 11 juin 2008 en Conseil des ministres. 97 Loi pnitentiaire n 2009-1436 du 24 septembre 2009, JORF n 0273 du 25 novembre 2009,

    p. 20192, texte n 1. 98 C.-M. Simoni, La loi pnitentiaire du 24 novembre 2009 : vers de nouveaux droits pour les

    dtenus , AJDA 2010, p. 494 ; J.-P. Cr, La loi du 24 novembre 2009 : aspects de procdure pnale

    et de droit pnitentiaire , Droit pnal 2010, p. 14. 99 J.-P. Cr, Le nouveau droit pnitentiaire et le respect du droit europen. Esquisse de

    comparaison , AJ Pnal 2009, n 12, p. 476 ; J.-P. Cr, Feu le nouveau droit disciplinaire

    pnitentiaire , AJ Pnal 2011, p. 172. 100 P. Poncela, La responsabilit du service public pnitentiaire lgard de ses usagers dtenus , RSC

    2000, p. 232 ; P. Poncela, Droit de la peine, PUF, coll. Thmis, Paris, 1995, p. 272 ; CNCDH, tude sur les

    droits de lhomme dans la prison, propositions du 11 mars 2004. 101 J.-M. Larralde, Les droits des personnes incarcres : entre punition et rhabilitation , CRDF

    2003, n 2, p. 63 ; M. Guyomar, concl. sur, CE, Ass., 14 dcembre 2007, Boussouar, Planchenault,

    Limites des mesures dordre intrieur en matire pnitentiaire, dclassement demploi et changement

    daffectation des dtenus , RFDA 2008, p. 87. 102 E. Pchillon, Laccs au droit et le droit au recours , CRDF 2004, n 3, p. 49.

  • 32

    du citoyen103, du justiciable et de lusager104 contraint105. La personne dtenue devient

    titulaire de droits106, et destinataire de prestations fournies par le service public107, et

    dispose de voies de droit pour les faire respecter.

    28. La consquence ngative, mais logique, de llaboration de ce statut

    a t de donner naissance un droit de la dtention extrmement complexe. Un droit

    mixte108, administratif et pnal, et aux multiples sources, rglementaires, lgislatives et

    jurisprudentielles. Le droit pnitentiaire devient un patchwork 109 de normes en

    perptuel mouvement, si bien quil est difficile de se lapproprier efficacement afin quil

    devienne arme contentieuse110.

    29. Toutefois, ce constat na pas empch la naissance et le

    dveloppement du contentieux public pnitentiaire, fruit de lexistence dun droit

    pnitentiaire peu respect, de la dtermination dun ordre juridictionnel comptent, et de

    voies de droit pour y accder. Ltude des droits procduraux dans le contentieux carcral

    apparat ainsi comme la suite logique de la reconnaissance de droits aux personnes

    dtenues dans la mesure o les recours administratifs et juridictionnels ne sont quun

    moyen dobtenir in fine la protection effective des droits matriels.

    103 J. Fayard, Le dtenu citoyen , RPDP 1989, n 2, p. 267. 104 S. Boussard, Le service public pnitentiaire, cadre de la reconnaissance de droits de la personne

    dtenue , in, Les droits de la personne dtenue, prc, p. 23 ; J. Chevalier, Figures de lusager , in, Psychologie

    et science administrative, PUF, Paris, 1985, p. 35 105 B. Belda, Les droits de lhomme des personnes prives de libert : Contribution ltude du pouvoir normatif de la

    Cour europenne des droits de lhomme, prc., n 708, p. 659. 106 Les personnes dtenues ne sont en principe prives que de leur libert daller et venir. Toutefois, la

    dtention a pour consquence de limiter lexercice des droits pourtant reconnus Les personnes

    dtenues conservent galement leurs droits civils et politiques moins que la juge pnal nen dcide

    autrement. 107 Loi pnitentiaire du 24 novembre 2009, Chapitre III, Droits et devoirs des personnes dtenues . 108 E. Pechillon, Scurit et droit du service public pnitentiaire , LGDJ 1998, n 18 p. 14 et n 22 p. 17 ;

    B. Starck, H. Roland, L. Boyer, Introduire au droit , Litec, Paris, 1988, n 172 ; P. Roubier, Thorie gnrale

    du droit, Histoire des doctrines juridiques et philosophiques des valeurs sociales, Sirey, 2me d., 1951, n 35, p. 304. 109 J. Chevalier, Prface , in, Les droits de la personne dtenue, Dalloz d., coll. Thmes et Commentaires,

    Paris, 2013, p. 3. 110 S. Slama, N. Ferran, Dfendre en justice la cause des personnes dtenues, prc., p. 9 et s.

  • 33

    C. Lactualit contentieuse de la prison

    30. Lintrt dune telle tude est galement contemporain. En effet,

    lactualit quotidienne voque les questions carcrales, quil sagisse des mauvaises

    conditions de dtention111, attentatoires la dignit des personnes dtenues112, de la

    question de la surpopulation carcrale113 et de lencellulement individuel114, ou de celle des

    fouilles nu. galement, a t voqu la dcision du Conseil constitutionnel de dclarer

    inconstitutionnel larticle 728 du code de procdure pnale115, dont le contenu tait

    pourtant le fondement de lorganisation juridique de la dtention116. Enfin, la loi du 27 mai

    2014117 est venue prciser les conditions dexercice des droits de la dfense des personnes

    111 F. Johanns, A Marseille, la prison de la honte , Le Monde, 7 dcembre 2012 ; F. Johanns,

    Linexorable croissance carcrale , Le Monde, 12 novembre 2014, p. 10. 112 F.-X. Fort, La protection de la dignit de la personne dtenue , AJDA 2010, p. 2249. 113 CEDH, 25 avril 2013, Canali c/ France, req. n 40119/09, Gaz. Pal., 2013, n 143, p. 29 ; N. Hervieu,

    Une condamnation europenne des conditions carcrales en France conjuguer tous les temps ,

    in, Actualits Droits et Liberts , CREDOF, 29 avril 2013 ; H. de Suremain, Surpopulation

    carcrale : Les juridictions nationales au pied du mur , in, Lettres Actualits Droits et Liberts ,

    CREDOF, 7 fvrier 2013 ; M. Lna, Surpopulation carcrale : triste premire pour le pays des droits

    de lhomme , Dalloz actualit 3 mai 2013. 114 Rapport de D. Raimbourg relatif lencellulement individuel, remis au Garde des Sceaux le 2 dcembre

    2014, JCP Procdure pnale, synthse 10, Chancellerie, Confrence de presse, 2 dcembre 2014 ; E. Nol,

    Prison : les recours contre lencellulement individuel collectif se prparent , propos recueillis par

    C. Fleuriot, Dalloz actualit 28 novembre 2014 ; C. Fleuriot, Les dputs votent un moratoire sur

    lencellulement individuel jusque fin 2019 , Dalloz actualit 10 dcembre 2014 ; B. Penaud, La

    surpopulation carcrale nest pas une fatalit , Gaz. Pal. 2014, n 135, p. 5 ; C. Fleuriot, Les remises

    de peines doivent-elles dpendre de la surpopulation carcrale , Dalloz actualit 3 dcembre 2014 ;

    F. Johanns, Pas dencellulement individuel avant 2025 au moins , Le Monde 27 novembre 2014,

    p. 15 ; Y. Gauchard, A Nantes, la prison sannonce dj surpeuple , Le Monde 5 janvier 2012 ;

    F. Johanns, Cellule individuelle : la France menace de plaintes , Le Monde, 14 novembre 2014,

    p. 14 ; E. Senna, Des moyens de combattre le flau de la surpopulation carcrale, Gaz. Pal. 19

    septembre 2012, p. 7 ; E. Alain, Les 76 propositions pour lutter contre la surpopulation carcrale ,

    AJ Pnal 2013, p. 66 ; M. Lna, Avant la fin de son mandat, J.-M. Delarue fait feu de tout bois , AJ

    Pnal 2014, p. 204. 115 CC, 25 avril 2014, n 2014-393 QPC. M. Lna, Incomptence ngative du lgislateur et droit

    pnitentiaire , Dalloz actualit 28 avril 2014. 116 S. Slama, Petit pas supplmentaire sur le plancher des garanties des droits fondamentaux et

    enlisement du statut constitutionnel des personnes dtenues , La revue des droits de lhomme, en ligne,

    Actualits Droits-liberts , 7 mai 2014. 117 Article 11 de la loi n 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE

    du Parlement europen et du Conseil, du 22 mai 2012 relative au droit linformation dans le cadre des

    procdures pnales, JORF n 0123 du 28 mai 2014, p. 8864.

  • 34

    dtenues poursuivies en commission disciplinaire, et dont les modalits pratiques vont

    sans doute tre mise en uvre avec difficult118.

    II. Dlimitation de la recherche et dfinition des termes du sujet

    Il convient prsent de dlimiter ratione materiae (A), et ratione personae (B), le

    champ de ltude.

    A. Le droit pnitentiaire et sa mise en uvre contentieuse

    1) Le droit pnitentiaire

    31. Lacception large du droit pnitentiaire recouvre deux thmes119.

    Dune part la rglementation dans lunivers carcral et dautre part le droit pnal relatif la

    peine. Le premier aspect recouvre les dispositions juridiques permettant aux

    tablissements pnitentiaires et au service public quils grent de fonctionner correctement.

    Ces dispositions encadrent les relations au sein des tablissements, et rgissent la vie

    carcrale. Cette rglementation constitue le droit public pnitentiaire et relve de la

    comptence du juge administratif. Le deuxime aspect concerne lapplication de la peine

    dvolue la comptence du juge dapplication des peines (JAP), et soumise au contrle du

    juge judiciaire. Cet aspect judiciaire du droit pnitentiaire ne sera examin, de faon

    sommaire, qu loccasion de ltude des consquences juridiques des sanctions

    disciplinaires sur la dure de la peine. Cela permettra dexposer les arguments justifiant de

    la transformation juridique des commissions disciplinaires. Cest donc une conception

    troite de la notion de droit pnitentiaire qui sera retenue pour ltude. Celui-ci peut se

    dfinir, selon la professeure Martine Herzog-Evans, comme la discipline juridique qui traite

    de lindividualisation des peines en milieu ferm, du statut et du fonctionnement des tablissements

    118 Quand ladministration pnitentiaire oubli de respecter les droits de la dfense , Lettre

    adresse la garde des Sceaux par des avocats, Dalloz actualit 27 novembre 2014. 119 J. Pradel, Rapport introductif , RPDP 2007, n spcial, p. 7 ; E. Pchillon, Scurit et droit du service

    public pnitentiaire , prc ; S. Plawsky, Droit pnitentiaire, Thse dactylographie, Lille II, 1977.

  • 35

    pnitentiaires, du statut de leurs personnels, des conditions de dtention, des droits et obligation des

    personnes dtenues, du maintien des liens familiaux de ces dernires, du maintien de lordre et de la scurit

    ainsi que du rgime de la contrainte et des sanctions qui sappliquent aux reclus 120. Cest un droit

    pluriel ou mixte 121 dans la mesure o il fait appel la fois au droit public et au droit

    pnal. Le code de procdure pnale est un outil important dencadrement juridique de la

    dtention, particulirement en matire disciplinaire. Mais le droit pnitentiaire se distingue

    du droit de lapplication des peines qui constitue le prolongement du droit pnal et du droit de la peine 122,

    et dont la nature est seulement pnale. Cette distinction peut tre difficile apprhender

    en pratique. Elle semble toutefois dfinitivement fixe, malgr le fait quune partie de la

    doctrine pnaliste remette en cause cette dmarcation afin de justifier le rattachement de la

    discipline pnitentiaire la comptence du juge pnal123. Ce transfert de comptence nest

    pour lheure pas envisag.

    2) Le contentieux public pnitentiaire

    32. Le contentieux pnitentiaire ne peut faire lobjet dune tude dans sa

    totalit dans la mesure o cette tche, quasi infinie, aurait pour consquence un risque de

    catalogage ou de guide de la pratique pnitentiaire, inutile la dmonstration. En outre, le

    contentieux public pnitentiaire est en constante volution, le risque dtre incomplet

    aurait t grand.

    33. La notion de contentieux est propre au droit public124. Elle se

    matrialise en droit pnitentiaire par le parcours du dtenu requrant, de la demande

    initiale faite auprs de ladministration pnitentiaire, jusqu ltape juridictionnelle auprs

    du juge administratif. Ainsi, le contentieux pnitentiaire se compose de deux phases, lune

    pr-juridictionnelle lorsque la demande est adresse ladministration, et lautre

    juridictionnelle lorsque la demande est adresse au juge. Ces deux phases sont distinctes

    mais pas dissociables dans la mesure o la seconde peut constituer, normalement, le

    120 M. Herzog-Evans, Droit Pnitentiaire, 2me d. Dalloz, Dalloz action 2012-2013, n 002.21, p. 7. 121 Terme emprunt E. Pchillon. 122 M. Herzog-Evans, Droit Pnitentiaire, prc. 123 Infra. Partie 2, Titre 1, Chapitre 1. 124 La notion de contentieux recouvre le droit des litiges au sens large. On comprend par l non seulement les litiges

    devant un juge, mais aussi ceux sans juge . G. Kalflche, La notion de contentieux, une spcificit du droit

    public , in, Lidentit du droit public, X. Bioy, Presse de luniversit Toulouse 1 Capitole, Actes de

    colloques n 9, mars 2011, p. 159.

  • 36

    prolongement de la premire. Les termes contentieux public pnitentiaire , ou

    contentieux carcral pourront tre indistinctement employs.

    34. Le contentieux pnitentiaire peut galement se distinguer du point

    de vue de son caractre disciplinaire ou extra-disciplinaire. Les contestations pr-

    juridictionnelles disciplinaires, proches du droit pnal, bnficient dun encadrement

    juridique ancien 125 et, en thorie au moins, efficacement protecteur des droits des

    personnes dtenues. Malheureusement, ce cadre juridique se heurte de nombreux

    obstacles pratiques. En revanche, les contestations dordre non disciplinaire bnficient dun

    cadre juridique plus souple et moins prcis, plus facilement respect, dans sa mise en

    uvre, par ladministration pnitentiaire. Lexistence dun cadre juridique [trop] strict ne

    lincite pas lappliquer, alors quune certaine libert daction peut parfois linciter

    prendre des prcautions non prvues. En outre, le fait que ces phnomnes opposs

    sexpriment dans des domaines distincts, disciplinaire et non disciplinaire, conduit

    accentuer lapprciation du dcalage entre le droit et sa pratique.

    35. Sagissant des recours juridictionnels, les personnes dtenues

    peuvent emprunter les voies classiques de contestation. Dabord, le recours pour excs de

    pouvoir a permis une amlioration des droits des dtenus. Mais lefficacit de ce recours

    est dsormais confronte aux limites du contrle restreint opr par le juge126. Ensuite, la

    nouvelle dfinition de la faute pnitentiaire a largi le champ de rayonnement du recours

    en responsabilit contre ladministration, mme si le pragmatisme du juge tend en limiter

    la porte. Enfin, les conditions strictes des recours en rfr urgents les rendent

    difficilement utilisables en dtention, mais nanmoins capables de prosprer.

    36. La distinction entre ce qui relve de la discipline et ce qui nen relve

    pas peut tre difficile apprhender. Ladministration pnitentiaire ne fait pas

    systmatiquement preuve de rigueur dans le maniement des procdures prvues pour

    chaque matire. Il peut arriver dailleurs quelle sanctionne lindiscipline carcrale par le

    biais des sanctions pnitentiaires occultes ou dguises 127. Dans cette hypothse, elle

    utilise le droit pnitentiaire commun, extra-disciplinaire et donc plus souple, pour

    125 Larrt Marie et le dcret du 2 avril 1996 ont t les premiers a encadrer le droit pnitentiaire, en

    passant par sa forme disciplinaire. Infra. Partie 2, Titre 2, Chapitre 1. 126 CE, 20 mai 2011, Igor Letona Biteri et OIP, req. n 326084, CE, 4 fvrier 2013, M. Ikemba, req.

    n 344266. 127 M. Herzog-Evans, Les sanctions disciplinaires occultes , in, La sanction du droit, Mlanges offert

    P. Couvrat, PUF, 2001, p. 471 et s.

  • 37

    contourner le rgime juridique prvu pour la discipline interne linstitution, par nature

    plus contraignant.

    37. La distinction des rgimes juridiques, disciplinaire ou non disciplinaire,

    implique quils soient galement distingus du point de vue juridictionnel. Le juge

    administratif apprhende diffremment ce qui relve de la discipline carcrale et ce qui

    nen relve pas, sans toutefois les considrer comme opposs. En effet, cela sexplique par

    la rduction des mesures dordre intrieur en dtention128, notion commune aux deux

    phases du contentieux. Cette notion a permis douvrir laccs au recours pour excs de

    pouvoir en matire disciplinaire, puis dlargir les possibilits de contestations de

    nombreuses mesures prises par ladministration pnitentiaire. Ainsi, peuvent tre

    distingues les contestations dordre disciplinaire de celles qui nen relvent pas, toutes les

    deux reposant sur lapprciation de mmes critres, les effets de la mesure sur la situation

    des personnes dtenues.

    38. Au mme titre que lcole ou larme129, la prison est lun des lieux

    privilgi dun ordre intrieur spcifique. Linstitution pnitentiaire doit, pour pouvoir

    fonctionner, bnficier dinstruments adapts son objet, un service public charg de la

    garde et de la rinsertion de personnes prvenues ou condamnes. La mesure dordre

    intrieur130 a t loutil privilgi de son bon fonctionnement . Dsormais, son champ

    de rayonnement se rduit sous la pression prtorienne.

    39. Le contentieux public pnitentiaire ne peut tre tudi sans rfrence

    au droit europen, conventionnel et jurisprudentiel131. Cette rfrence sera pour notre part

    mesure, et limite aux droits procduraux ou aux droits susceptibles dimpacter le

    contentieux national. En effet, les droits issus des articles de la Convention europenne ne

    rayonnent pas lidentique en dtention, notamment lorsque la matire fait lobjet dune

    128 D. Bouju, Le dtenu face aux mesures dordre intrieur , RDP 2005, n 3, p. 597. 129 M. Cohade, Les sanctions disciplinaires au sein des armes, mmoire de Master 2, Universit Montesquieu-

    Bordeaux IV, 2009. 130 M. Hecquard-Thron, De la mesure dordre intrieur , AJDA 1981, p. 235 ; A. Cocatre-Zilgen, La

    nature juridique des mesures dordre intrieur en droit administratif franais , RISA 1958, p. 487 ;

    R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 13me d., Montchrestien, Paris, 2008, n 670, p. 586 ; J.-Y.

    Plouvin, Du possible dclin des mesures dordre intrieur ? , RA 1979, p. 49 ; J. Rivero, Les mesures

    dordre intrieur administratives, Essai sur les caractres juridiques de la vie intrieure des services publics, Sirey 1934. 131 B. Belda, Les droits de lhomme des personnes prives de libert : Contribution ltude du pouvoir normatif de la

    Cour europenne des droits de lhomme, prc.

  • 38

    tude par le prisme contentieux132. Les articles 6 et 13 de la Convention feront lobjet

    dune analyse par le biais de ltude du recours pour excs de pouvoir en matire

    disciplinaire133, alors que les articles 2 et 3 de la Convention seront abords loccasion de

    ltude de la responsabilit de ladministration pnitentiaire. Larticle 8 relatif la vie prive

    et familiale trouve un cho en contentieux dans la mesure o sa prise en compte

    grandissante pourrait tre source de nouvelles perspectives de justiciabilit des actes

    pnitentiaires. Larticle 8 de la Dclaration des droits de lHomme, relatif aux principes

    pnaux, sera particulirement clairant lorsquil sagira de traiter de lvolution du recours

    pour excs de pouvoir disciplinaire et denvisager sa modernisation.

    40. En revanche, seront exclus de la recherche le cadre constitutionnel

    du droit pnitentiaire134, et ltude du droit pnitentiaire en droit compar135, dans la

    mesure o ceux-ci ont une influence relle sur llaboration du droit pnitentiaire, mais

    plus limit sur sa pratique contentieuse.

    41. Ainsi, laccs au recours des dtenus signifie lutilisation possible des

    moyens juridiques de droit public, de laccs au droit en dtention lutilisation des

    recours administratifs puis juridictionnels, en passant par les voies juridiques indirectes

    moins connues. Laccs signifie galement que devra tre dtermine leffectivit de ces

    recours, et leur efficacit, en dautres termes leur capacit prosprer lorsquils sont

    utiliss par les personnes dtenues.

    132 J.-P. Cr, Le contentieux disciplinaire dans les prisons franaises et le droit europen, d., LHarmattan, coll.

    Logiques juridiques, Paris, 2000. 133 Le Conseil Constitutionnel vient de dclarer les dispositions de larticle 721 du code de procdure

    pnale, relatif au retrait de crdits de rduction de peine, conforme la constitution. CC, 11 juillet

    2014, n 2014-408 QPC ; M. Herzog-Evans, Retrait des CRP pour mauvaise conduite :

    imprcision substantielle et violation du procs quitable , AJ Pnal 2014, p. 545. Cette dcision est

    mettre en perspective avec le dbat sur lapplication de larticle 6 de la Convention europenne la

    procdure disciplinaire, dans la mesure o le juge prcise que le retrait ne constitue ni une peine ni une

    sanction ayant le caractre dune punition ; M. Lna, Excution des peines : conventionalit de lappel

    incident rserv au ministre public , note sous, CE, 24 octobre 2014, req. n 368580, Dalloz actualit

    1er dcembre 2014. 134 B. de Lamy, Le cadre constitutionnel du droit pnitentiaire , RSC 2010, p. 217. 135 J.-P. Cr, C.-E A. Japiass, Les systmes pnitentiaires dans le monde, Dalloz, coll. Thmes et

    Commentaires, 2011, 400 p. ; J. Pradel, Approche compare du droit pnitentiaire , RPDP 2005,

    n 1, p. 11 ; M.-A. Beernaert, Manuel de droit pnitentiaire , d. Anthmis, coll. Criminalis, 2007 ;

    M. Nieve, Droit des dtenus : sens et non-sens de la prison, un tat des lieux du droit pnitentiaire en

    Belgique , in, Lette Actualits Droits-Liberts , CREDOF, 26 mars 2013.

  • 39

    3) Les acteurs : personnes dtenues, avocats et observatoire international de

    prisons

    42. Lutilisation que nous ferons des termes dtenus, personnes

    dtenues, personnes incarcres sont synonymes, et doivent sentendre comme la

    personne majeure condamne par la juridiction pnale une peine privative de libert en

    maison darrt ou en tablissement pour peines136. Toutefois, il pourra tre fait

    ponctuellement tat de situations relatives aux mineurs dtenus137 ou aux femmes

    incarcres138. Il sagira alors danalyser une situation contentieuse susceptible dclairer la

    dmonstration, sans quelle ne soit biaise par les diffrences de statut de ces personnes,

    galement prives de libert. Le contentieux des prvenus sera analys lorsquil permettra

    dclairer les perspectives du contentieux pnitentiaire de droit commun , ds lors que

    ce statut nentraine pas de distinction de traitement juridique avec les personnes

    dfinitivement condamnes139. En dautres termes, condamns et prvenus peuvent tre

    confondus lorsque leur statut pnal, diffrent, ne suffit pas les distinguer du point de vue

    du contentieux pnitentiaire. Tel est le cas par exemple de lapplication du droit en

    commission de discipline. En revanche, tel nest pas le cas pour lisolement. Lisolement

    judiciaire ne peut tre prononc qu lencontre des personnes prvenues. En revanche

    lisolement administratif peut tre prononc lencontre des dtenus condamns ou

    prvenus, par ladministration pnitentiaire. En outre, le rle et la place des avocats en

    dtention seront tudis140, particulirement loccasion de la procdure disciplinaire et

    des procdures contradictoires extra-disciplinaires. Enfin, le rle jou par lassociation

    136 Les prvenus sont galement des personnes dtenues. Elles sont en attente de jugement ce qui

    implique quelles soient, sous certains aspects, soumis un rgime spcifique. V. Infra. 137 OIP, Le guide du prisonnier, d. La Dcouverte, Paris, 2012, p. 11. 138 J. Gat, Les femmes dtenues sont-elles des hommes comme les autres , in, Dfendre en justice la

    cause des personnes dtenues, prc., p. 123. 139 H. de Suremain, J. Brard, La gestion des longues peines au rvlateur des luttes juridiques, Champ pnal

    2009. 140 F. Saint-Pierre, S. Cormier, Lavocat face la nouvelle loi pnitentiaire , RPDP 2010, p. 107,

    p. 16 ; M. Herzog-Evans, Lentre des avocats en prison et autres consquences induites par la loi

    n 2000-321 du 12 avril 2000 , Rec. Dalloz 2000, p. 481 ; J.-M. Varaut, Un avocat devant la prison ,

    RPDP 2000, n 2, p. 177 ; J.-L. Nadal, Les droits des personnes dtenues, prc., p. 16.

  • 40

    lObservatoire International des prisons (OIP)141 dont lactivit contentieuse en faveur des

    personnes dtenues est considrable142, sera souligne143.

    III. Thse soutenue et problmatique

    43. La thse soutenue est celle de lamlioration nuance des droits du dtenu

    requrant en contentieux public pnitentiaire. Des volutions importantes sont constates, mais

    celles-ci demeurent inabouties.

    44. La problmatique de la thse ne repose pas sur une seule question

    mais sur un ensemble dinterrogations. Ainsi pour mener bien ltude de laccs des

    personnes dtenues aux recours en droit administratif telle que nous venons de la

    dlimiter, il nous a sembl souhaitable de poser une srie de questions, qui peuvent tre

    nonces et regroupes comme suit.

    45. Les personnes dtenues disposent-elles de moyens juridiques prvus

    par le droit ? Ces moyens sont-ils connus et accessibles ? La procdure administrative

    contentieuse pnitentiaire est-elle respectueuse des droits de la dfense des personnes

    dtenues ? Les personnes dtenues ont-elles accs au recours de droit administratif ? Ces

    recours sont-ils effectifs et efficaces, ou au contraire inutiles voire illusoires ? Peuvent-ils

    utilement prosprer dans le contexte spcifique de la dtention ? Ces moyens juridiques

    sont-ils suffisants pour protger les droits matriels des personnes dtenues ? Les droits

    reconnus sont-ils simplement dclaratoires ou se transforment-ils en vritables droits

    subjectifs ? Des moyens sont-ils mieux appropris que dautres au contexte carcral ?

    Existe-t-il des solutions susceptibles damliorer ces moyens juridiques de contestation ?

    Lassistance dun conseil est-elle simplement prfrable, ncessaire ou vritablement

    indispensable ? Comment se positionne le juge administratif lorsquil doit contrler

    lactivit pnitentiaire ? Existe-t-il des garanties juridictionnelles ? Son examen est-il

    141 OIP, Le guide du prisonnier, d. La Dcouverte, Paris, 2012, 402 p. 142 D. Costa, Retour sur dix ans de jurisprudences suscites par lOIP sur la dfense de la dignit et

    des droits fondamentaux des dtenus , in, Dfendre en justice la cause des personnes dtenues, CNCDH, d.

    La documentation franaise, Paris, 2014, p. 35. 143 H. de Suremain, Gnse de la naissance de la gurilla juridique et premiers combats

    contentieux, in, Dfendre en justice la cause des personnes dtenues, prc. ; Par exemple, OIP, Rapport dactivit

    2013, p. 21.

  • 41

    suffisamment dvelopp pour permettre de rattraper le dcalage entre le droit et le fait ?

    Ladoption dune stratgie contentieuse peut-elle permettre doptimiser le succs des

    demandes ?

    46. La thse soutenue est marque la fois par un constat et une

    proposition dvolution de recours. Ainsi leffectivit thorique des moyens juridiques de

    contestation dont disposent les personnes dtenues, rpond une mise en uvre pratique et

    contentieuse, qui rvle un accs conditionn ces dispositifs lefficacit incertaine. Ces

    outils juridiques de contestation sont insusceptibles pour lheure, dtre totalement rtablis,

    dans leur utilit, par le juge administratif.

    47. Cette thse majoritairement pratique est galement thorique dans la

    mesure o elle vise proposer une transformation du recours pour excs de pouvoir

    disciplinaire, sous langle dune redfinition de loffice du juge administratif.

    IV. Mthode employe

    48. En droit pnitentiaire, ltude des recours se prte aisment au

    dchainement des passions dans la mesure o il a trait directement au droit des dtenus et

    leurs conditions juridiques. Ainsi, ltude effectue servira doutil une analyse neutre et

    objective, ni droit de lhommiste , ni scuritaire. Pour tenter de sen tenir cette

    approche, un constat juridique sera lorigine des dmonstrations afin dviter lcueil des

    ides prconues. Pourront ponctuellement tre analyses les consquences extra-

    juridiques, matrielles, psychologiques ou sociales, ds lors quelles sont susceptibles

    dclairer la dmonstration juridique initiale.

    49. Lanalyse du cadre juridique et pratique du contentieux pnitentiaire

    qui conduit rendre compte dune amlioration mesure des droits du dtenu requrant,

    est fonde sur une triple mthode matrialisant une approche la fois pratique et

    thorique.

    50. En matire pnitentiaire, il y a le paradigme du foss entre le fait et le droit. Il

    sagit dune ide reu dans la mesure o lon a de connaissance ni du fait ni du droit 144. Pour

    144 G. Giudicelli-Delage, M. Masse, Rapport introductif , in, J. Pradel, La condition juridique du dtenu,

    Travaux de linstitut de sciences criminelles de Poitiers, 1994, p. 11.

  • 42

    contredire cette affirmation, la premire mthode employe a t de prendre connaissance

    des spcificits pratique du droit pnitentiaire et de sa mise en uvre contentieuse. Pour

    cela, il nous a t permis de remplir, durant deux annes, la fonction dassesseur extrieur

    en commission disciplinaire pnitentiaire au centre de dtention de Muret, ainsi qu la

    maison darrt de Toulouse-Seysses. Ce faisant, il a t possible de confronter le droit la

    pratique145. Les personnels pnitentiaires, agents et membres de direction, ont cet gard

    t dune aide prcieuse146 pour expliquer les pratiques, fournir des documents ou des

    informations sur la dtention. La rencontre de plusieurs professionnels du droit, avocats et

    juges dapplication des peines, a galement permis dobtenir des informations sur la

    pratique opaque de cette discipline. Ainsi, certains lments ou faits pourront tre affirms

    car tirs de la narration de lexprience personnelle, de choses vues ou sues, quil peut tre

    dlicat de rapporter avec prcision, voire impossible surtout lorsquils sont couverts par le

    secret de la fonction.

    51. La deuxime mthode employe est gnalogique. Pour constater

    lamlioration mesure de laccs au droit, ltude de lhistoire du contentieux pnitentiaire

    a permis de comprendre le cadre juridique du droit positif. Pour cela, la recherche a fait

    une part majoritaire lanalyse de la jurisprudence, eu gard linsuffisance de normes,

    sans bien sr ignorer les dispositions lgales et rglementaires en vigueur. Cest donc une

    approche majoritairement jurisprudentielle qui sera effectue, afin de dmontrer le

    dcalage entre la thorie et la pratique. La jurisprudence constitutionnelle sera aborde

    loccasion de ltude de la garantie des droits fondamentaux des dtenus coloration

    pnale, lorsquil sagira de remettre en cause le recours pour excs de pouvoir disciplinaire

    en vigueur en droit positif.

    52. Enfin, dans le prolongement de ce cheminement, la troisime

    mthode employe sera prospective dans la mesure o le constat damlioration

    145 Nous sommes raliste quant ltendue de nos connaissances sur le sujet dans la mesure o de telles

    fonctions ne peuvent suffire acqurir une expertise complte du contentieux pnitentiaire. En effet, si

    les tablissements pnitentiaires franais fonctionnent sur un modle proche, en fonction de leur

    nature (maison darrt ou tablissement pour peines : centre de dtention et maison centrale), il est

    impossible de dterminer de manire fixe et prcise un modle unique de fonctionnement dans la

    mesure o les particularismes locaux, les politiques pnitentiaires et la personnalit des membres de

    direction varient dun tablissement lautre et dune rgion lautre. Il nen demeure pas moins quen

    ayant eu la chance de remplir cette fonction au sein dune maison darrt, regroupant un quartier pour

    homme et un quartier pour femmes, et au sein dun centre de dtention, il nous a t permis davoir un

    aperu large et vari du fonctionnement des tablissements pnitentiaires franais. 146 Quils trouvent dailleurs ici la marque de mes remerciements les plus sincres.

  • 43

    insuffisante doit faire place des propositions utiles, visant faire voluer ce contentieux

    dans le sens dune amlioration de lefficacit des recours. Cette thse tente donc de

    dmontrer les dfauts du parcours contentieux pnitentiaire, tout en proposant des

    amliorations ponctuelles, et une proposition doctrinale visant renforcer lexamen

    juridictionnel des sanctions. Cette proposition, la frontire entre le recours pour excs de

    pouvoir de droit positif et le recours de plein contentieux objectif, redfinit le contrle et

    les pouvoirs du juge pnitentiaire disciplinaire, dans le but de rendre la contestation des

    sanctions rellement utile, et plus seulement recevable.

    V. Plan de ltude

    53. Le plan de ltude suit le parcours classique possible du dtenu

    requrant, des moyens de recours jusqu lexamen de la requte par le juge administratif. Il

    pourra paratre tonnant de voir ltude des procdures de rfrs urgents en fin de thse.

    Ce choix dcoule de la volont de traiter ensemble ces voies de droit, et non selon leur

    domaine possible de rayonnement. En outre, les rfrs urgents sont souvent associs

    dautres recours ou procdures quil convenait dexpliquer. De plus, les rfrs sont

    gnralement introduits aprs un recours au fond ou une autre procdure147. Enfin, ils sont

    moins connus et moins dvelopps que les recours classiques, que sont le recours pour

    excs de pouvoir et le recours de plein contentieux subjectif.

    Cest un raisonnement en deux temps que sera conduite cette tude :

    1re Partie : Le dsquilibre des droits lors de la phase pr-juridictionnelle.

    2me Partie : Lefficacit mesure des recours juridictionnels.

    147 Il est vrai presque instantanment aprs.

  • 44

    PARTIE 1 :

    LE DSQUILIBRE DES DROITS

    LORS DE LA PHASE

    PR-JURIDICTIONNELLE

  • 45

    54. En tudiant les droits du dtenu requrant, on saperoit que rares

    sont les constats damlioration importants issus de rformes majeures et spcifiques au

    contentieux pnitentiaire. Pourtant, les volutions constantes du contentieux public

    pnitentiaire, impulses par le juge administratif et le juge europen, font dun tel constat,

    illusoire par le pass, une ralit actuelle.

    55. Lamlioration sentend comme le fait de rendre meilleur, de changer en

    mieux, ou encore de rendre plus satisfaisant 148. Ainsi, lamlioration des droits du dtenu

    requrant signifie, selon nous, lvolution positive vers une reconnaissance et une

    protection effectivement mise en uvre des droits dont tout justiciable, y compris la

    personne prive de