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Partis politiques et campagnes électorales à l’heure d’Internet Dossier réalisé par : Elisabeth Lulin Directeur général Paradigmes et caetera [email protected] Achevé de rédiger Décembre 2000

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Partis politiques et campagnes électorales

à l’heure d’Internet

Dossier réalisé par :

Elisabeth LulinDirecteur général Paradigmes et [email protected]

Achevé de rédiger Décembre 2000

Publié dans le Journal de la NetEconomie, n°70, novembre-décembre 2000/janvier 2001

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Résumé

La montée en puissance d’Internet comme outil de communication politique s’est nettement affirmée au cours de l’année 2000 à la faveur des élections présidentielles américaines, législatives canadiennes et municipales britanniques.

Le web offre tout d’abord de nouveaux instruments aux acteurs politiques traditionnels, candidats et partis. Des instruments pour convaincre les électeurs, mais surtout des instruments pour mobiliser les sympathisants. De ces deux fonctions, la plus souvent évoquée est la première, mais ce n’est pas la principale : car en réalité seule la fraction la plus motivée de l’électorat, très minoritaire, prend la peine de visiter des sites web de campagne. L’essentiel réside dans la seconde fonction, la mobilisation des sympathisants, avec un enjeu stratégique consistant à amener chacun un pas plus loin dans son implication vis-à-vis du candidat ou du parti : transformer les militants en leaders, les sympathisants en militants, les bienveillants en sympathisants et les indifférents en bienveillants.

Dans cette perspective, sites web et mailing lists associent plusieurs fonctionnalités : des newsletters, des services d’accès à Internet ou des fonctions de portail pour fidéliser les internautes sympathisants ; vente en ligne de gadgets et téléchargement de fichiers (économiseurs d’écran, logos, …) aux couleurs des candidats pour inciter chacun à afficher ses préférences ; agendas de campagne constamment actualisés afin de promouvoir la campagne off line ; cartes postales électroniques, générateurs automatiques de sites personnels, banques d’adresses e-mail et matériel de campagne en téléchargement pour démultiplier le message officiel ; enfin collecte de fonds en ligne, avec des performances déjà considérables (plus de 20% du total des contributions de campagne collectés on line pour les campagnes les plus engagées sur Internet).

Au-delà de cela, le web politique c’est aussi l’émergence de nouveaux acteurs, autrefois inexistants ou discrets, qui viennent désormais prendre part aux campagnes. Avec comme résultat, une exigence de cohérence, de rigueur et de transparence qui s’impose aux candidats avec infiniment plus de force qu’autrefois.

Ces nouveaux acteurs sont de trois ordres :

- Des portails politiques, sites Internet d’information politique qui offrent généralement aux internautes la possibilité de comparer les positions et arguments des candidats thème par thème, la possibilité de confronter leurs prises de position d’aujourd’hui avec leurs accomplissements d’hier ou encore la possibilité d’entrer en discussion directe avec eux ou avec d’autres électeurs ;

- Des médias on line, ou bien encore des médias traditionnels dont la puissance se trouve renouvelée par une interaction on line avec les électeurs. Ce sont par exemple des sites de débat entre les candidats à une élection, permettant un échange approfondi des arguments et réfutations des divers camps, ou bien des chaînes de télévision qui alimentent le débat entre les candidats par des questions directes des internautes.

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- Des cyberactivistes, militants d’une cause, qui trouvent dans Internet un moyen de se faire entendre bien plus fortement que par le passé.

Muni de nouveaux outils, confrontés à de nouveaux acteurs, partis et candidats ont été amenés à développer de nouvelles stratégies de campagne. La première novation à cet égard, liée à la réactivité d’Internet, est la pratique des flash campaigns, campagnes éclair saisissant l’occasion d’un événement pour mobiliser les électeurs, en attaque ou en contre-attaque. La deuxième novation, liée au caractère de réseau du média Internet, c’est l’importance désormais cruciale du « marketing viral » comme moyen de diffusion des messages de campagne ; avec, comme corollaire, des déploiements d’énergie considérables pour collecter des adresses e-mail qualifiées. Enfin la troisième grande novation, ce sont les organisations de campagne virtuelles, c’est-à-dire la capacité des équipes de campagne à susciter des initiatives bénévoles et à mettre à leur disposition du matériel téléchargeable pour démultiplier localement l’effort de campagne.

Les équipes de campagne ont dû aussi apprendre, souvent à leurs dépens, à gérer des risques liés au web, jusque là inconnus : l’usurpation d’adresse ou cybersquatting, le piratage de sites et de messageries, le harcèlement virtuel (spamming), ou encore la parodie, la contestation et la diffamation, qui prennent facilement plus d’ampleur sur Internet que dans le monde réel.

A tel point que la conception et la gestion des campagnes sur le web sont devenues des spécialités à part entière, avec des stratèges ad hoc dans les équipes des candidats et une myriade de services professionnels qui se sont développés au cours des derniers mois.

Quelles sont les conséquences de tout cela sur la vie politique ? S’agissant des élections stricto sensu, on a encore peu de recul pour juger d’un éventuel effet Internet : ce qui semble ressortir de l’expérience des récentes campagnes américaines, c’est qu’Internet a fait la différence dans les scrutins très serrés, avec des challengers qui ont été en mesure de l’emporter, contre toute attente, sur les sortants grâce à leur stratégie de communication sur le web.

Mais l’impact majeur est certainement à rechercher en dehors des élections, dans l’effet report que tout cet effort d’interactivité, de transparence, de réactivité et de personnalisation aura, après les campagnes, sur le fonctionnement des partis politiques et sur les relations des citoyens avec les élus. On en voit déjà les prémisses dans un certain nombre de pays et c’est ici que réside le véritable enjeu de l’Internet politique.

Enfin dernière remarque, la régulation traditionnelle de la communication politique et des campagnes électorales, conçue dans un tout autre contexte, s’applique assez mal au web. Et l’on voit actuellement les différents Etats hésiter entre deux pratiques : essayer, envers et contre tout, d’appliquer les anciennes régulations au nouveau médium, quitte à en étouffer l’émergence ; ou bien laisser se développer des pratiques que l’on espère favorables à un renouveau de la démocratie, mais dans une zone de non-droit entre les anciennes régulations, que l’on n’applique pas car elles ne conviennent pas, et des nouvelles régulations qui restent à inventer. Trois domaines sont principalement en cause : l’évaluation et le plafonnement des dépenses de campagne ; la convergence des médias ; et la protection des données personnelles.

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Sommaire

Introduction

I – De nouveaux instruments pour les acteurs politiques traditionnels

1.1. A quoi sert l’Internet des partis et des candidats ?

a) Ce à quoi ne sert pas l’Internet partisan

b) Convaincre les électeurs

c) Activer les sympathisants

1.2. Que trouve-t-on sur un site web de campagne ?

1.3. Les particularités de la communication politique on line

a) La désintermédiation : un accès direct aux électeurs

b) La réactivité : coller à l’événement

c) L’interactivité : de nouvelles relations entre les candidats et les électeurs

d) La personnalisation : conviction et fidélisation

II - L’émergence de nouveaux acteurs politiques

2.1. Les portails politiques

2.2. La conjonction du web et des médias traditionnels

2.3. Le cyberactivisme politique

III - De nouvelles stratégies de campagne

3.1. Trois tournants stratégiques majeurs

a) Les flash campaigns

b) Le marketing viral

c) Les organisations de campagne virtuelles

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3.2. Faire face aux risques du web

a) L’usurpation d’adresse (cybersquatting)

b) Le piratage de sites et de messageries

c) Le harcèlement virtuel (spamming)

d) Parodie, contestation, diffamation

3.3. L’exigence d’un nouveau professionnalisme

IV - Les conséquences sur la vie politique

4.1. Internet peut-il faire gagner une élection ?

4.2. Un enjeu fort pour l’existence et la vie des partis

a) Une opportunité d’émergence pour les petites formations

b) Une autre gestion pour les grands partis : plus transparente, plus participative

4.3. La transformation des relations entre citoyens et élus

V - Une régulation encore balbutiante

5.1. L’évaluation et le plafonnement des dépenses de campagne

a) La valorisation des initiatives autonomes

b) La valeur des liens hypertextes

c) L’évaluation de la logistique décentralisée

5.2. Convergence des médias et régulation de la communication politique sur Internet

a) Le statut de la presse

b) La convergence de la télévision et du web

5.3. La régulation de l’usage des fichiers d’adresses électroniques

a) L’utilisation des fichiers institutionnels

b) La protection des données personnelles

Conclusion

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Introduction

L’émergence d’Internet comme outil de communication politique ne date pas d’aujourd’hui. Dès 1994, Dianne Feinstein, sénateur démocrate de Californie, fit campagne sur le web. Lors de l’élection présidentielle de 1996 aux Etats-Unis, Bill Clinton et Bob Dole avaient ajouté cet outil à leur panoplie de campagne et, selon les enquêtes réalisées à l’issue de la campagne, 12% des électeurs s’étaient informés via Internet sur cette élection. En septembre 1998 en Allemagne, durant la campagne en vue des élections législatives, le chancelier Kohl s’était prêté durant deux heures à l’exercice d’un « chat » par Internet sur le site de la CDU.

Cependant, c’est seulement au cours des derniers mois, et notamment au cours des élections de l’année 2000 (présidentielles américaines, législatives canadiennes, municipales britanniques), que l’Internet politique a pris une vraie sophistication et une vraie portée stratégique.

Deux facteurs concourent à cela :

- L’augmentation des taux de pénétration d’Internet dans la population, non seulement en termes de taux d’équipement des ménages, mais en termes d’utilisation effective d’Internet dans la vie de tous les jours pour les achats, les loisirs, les transactions bancaires ou boursières, …

- L’essoufflement des médias de communication politique traditionnels : les meetings de campagne sont coûteux, en frais d’organisation comme en temps des candidats, et attirent de moins en moins de gens ; la télévision reste un instrument majeur mais le développement des chaînes câblées ou par satellite entraîne un morcellement des audiences, si bien que ce média perd peu à peu son caractère de média de masse ; aux Etats-Unis, où les candidats achètent du temps d’antenne publicitaire, s’ajoute à cela le prix de plus en plus astronomique des plans média.

Quelle est aujourd’hui la place d’Internet dans une stratégie de campagne ? Elle n’est sans doute pas encore le facteur essentiel, et dépend en tout état de cause de l’art avec lequel les candidats savent utiliser les nouveaux instruments à leur disposition. Citons cependant trois anecdotes, pour montrer son potentiel :

- Jesse Ventura, ancien lutteur de catch élu gouverneur du Minnesota en 1998, dit devoir sa victoire à Internet. La campagne Ventura a été la première à faire une utilisation stratégique du web comme outil d’organisation des militants et sympathisants. L’aspect le plus marquant à cet égard restera la création d’une liste de diffusion de 3.000 adresses électroniques, baptisée JesseNet, qui permit au candidat, dans les derniers jours de la campagne, l’accomplissement spectaculaire d’un road show de 72 heures à travers l’ensemble de l’Etat du Minnesota, s’arrêtant localement pour des réunions de proximité suscitées et organisées par les adhérents locaux de JesseNet.

- La collecte de dons et contributions de campagne sur Internet a vraiment décollé cette année. Voici quelques chiffres significatifs à cet égard. En 1996, le candidat républicain à l’élection présidentielle, Bob Dole, collecta seulement 0,2% de ses

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financements via Internet. En 1998, les contributions on line représentaient 2% du total des fonds collectés. Cette année les campagnes les plus efficaces ont collecté environ 20% de leurs recettes en ligne, dont notamment 6 millions de dollars pour John McCain, candidat malheureux à la primaire républicaine, ou encore 2,5 millions de dollars pour Rick Lazio, adversaire d’Hillary Clinton à New York. Les experts prévoient pour le prochain cycle d’élection présidentielle, en 2004, une collecte de fonds via Internet de l’ordre de 170 millions de dollars, soit 12% du montant total qui devrait être collecté à cette occasion.

- Aux termes d’une étude publiée en janvier 2000 par E-ThePeople.com, Internet serait un instrument majeur de conviction des électeurs. Selon l’enquête, 26% des ménages voteraient plus probablement pour un élu qui leur enverrait des nouvelles importantes par e-mail et 29% apprécieraient de recevoir de tels bulletins d’information.

On peut encore citer d’autres chiffres, tirés de l’expérience de la récente campagne électorale américaine, pour montrer à la fois l’importance réelle prise par Internet dans la formation de l’opinion des électeurs, mais aussi l’ampleur du chemin restant à parcourir pour une généralisation de cet outil :

- D’un côté les chiffres de trafic sur les sites politiques sont très substantiels. Entre le 1er juillet et le 28 octobre, le site officiel d’Al Gore avait comptabilisé 55,5 millions de pages vues, celui de George W. Bush 33,9 millions, celui de Ralph Nader 7,5 millions et celui de Pat Buchanan 3,2 millions. D’autre part, les sites d’information générale et d’information politique ont connu une nette progression de leur fréquentation au moment des principaux événements de la campagne, par exemple durant la semaine de la convention démocrate :

Semaine du 13 août Semaine du 20 août (convention démocrate)

Evolution

C-span.org 40.000 106.000 +165%

Voter.com 58.000 117.000 +102%

Speakout.com 21.000 32.000 +52%

Washingtonpost.com 868.000 1.276.000 +48%

Drudgereport.com 400.000 593.000 +47%

Msnbc.com 3.826.000 4.202.000 +10%

(Nombre de visiteurs uniques sur les sites mentionnés)

- D’un autre côté, la proportion de candidats « dot not » demeure élevée. Voici par exemple les résultats d’une étude publiée en août dernier par NetElection.org à propos de la campagne pour l’élection législative et sénatoriale américaine de novembre 2000, concomitante à l’élection présidentielle : 20% des candidats au sénat et 49% des candidats à la Chambre des représentants, soit au total 46% des candidats n’avaient pas de site Internet. Ceci dit, il est aussi intéressant de relever, dans la même étude, que l’utilisation de l’Internet est beaucoup plus massive d’une part chez les « challengers » (57% des challengers avaient un site web contre seulement 48% des candidats sortants), d’autre part dans les campagnes très disputées (78% des candidats participant à un scrutin très contesté avaient un site web, contre 50% seulement des candidats participant à des scrutins qui semblaient joués d’avance).

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Ce que suggère l’ensemble de ces remarques et de ces chiffres, et qui justifie la présente étude, c’est que, s’il ne s’est pas encore passé suffisamment de choses dans l’Internet politique pour peser massivement sur l’issue des élections et le contenu des débats, les prémices sont cependant suffisamment substantielles pour permettre un certain nombre d’observations et d’anticipations.

Celles-ci sont regroupées ici en cinq chapitres. On verra en premier lieu les nouveaux moyens d’action qu’Internet donne aux acteurs politiques traditionnels, partis et candidats. Ensuite on s’intéressera aux nouveaux acteurs politiques dont Internet favorise l’émergence : portails politiques, cyberactivistes, candidats virtuels et cette nouvelle forme de médias issue de l’alliance de la presse et d’Internet. On montrera, en troisième lieu, les nouvelles stratégies de campagne qui résultent de ce contexte désormais changé. Enfin on analysera d’une part les conséquences de tout ceci sur la vie politique, d’autre part les incertitudes qui demeurent dans la régulation de l’Internet politique et dont la solution dictera largement l’avenir de la communication politique sur le web.

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I – De nouveaux instruments pour les acteurs politiques traditionnels

L’émergence d’Internet dans la vie politique, ce sont d’abord des candidats et des partis qui, de plus en plus nombreux, ouvrent un site Internet. Au début, de simples sites vitrines, qui ne sont guère plus qu’une brochure d’information électronique, puis petit à petit des sites plus riches, devenant de vrais supports de communication interactive et d’action.

A quoi sert l’Internet des partis et des candidats ?

Au mieux de leurs réalisations actuelles, les sites Internet d’un parti politique ou d’une organisation de campagne servent à deux choses : convaincre les électeurs et activer les sympathisants. Mais avant de revenir en détail sur ces deux dimensions, il est sans doute utile de s’attarder un instant, a contrario, sur ce à quoi ne sert pas l’Internet pour un parti politique 

Ce à quoi ne sert pas l’Internet partisan

Premièrement le site Internet d’un parti ou d’une campagne ne s’adresse pas à Monsieur Tout-le-monde. On estime que seuls les 10 à 15% de l’électorat qui sont le plus engagés sont susceptibles de visiter un site partisan. Ces proportions sont à prendre avec prudence : elles sont citées pour les Etats-Unis, où le taux de pénétration de l’Internet est sensiblement plus élevé qu’en France (59% des adultes américains seraient connectés à l’Internet). Ce qu’il faut en retenir, ce n’est pas le chiffre brut, mais l’idée que l’Internet politique s’adresse à une petite minorité qui est à la fois connectée à Internet (donc, statistiquement, plus éduquée, plus jeune, plus aisée, plus active économiquement que la moyenne) et plus engagée politiquement.

Ce n’est donc pas un média de masse, mais un média élitiste ; pas un média de première information, mais un média pour apporter des faits et arguments supplémentaires à un public déjà instruit et sensibilisé.

Au demeurant, s’agissant de la France, le « Baromètre Politique des Internautes », lancé par l’institut de sondage Taylor Nelson Sofrès, apporte quelques éléments intéressants sur la typologie politique des internautes. Notamment : 63% des internautes déclarent s’intéresser à la politique, contre 38% seulement des Français ; 23% se déclarent « de droite » contre 16% des Français, avec en outre une proportion élevée se déclarant aux extrêmes (15% d’extrême gauche et 8% d’extrême droite).

Voir http://www.sofres.com/etudes/pol/18052000_internautes.htm

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Deuxièmement, une stratégie de campagne par Internet, aussi brillante soit-elle, ne peut prétendre transformer un électeur hostile ou même seulement indifférent en un fervent partisan. Elle aura remplie sa mission si elle amène chacun un pas plus loin dans son sentiment ou son engagement vis-à-vis du parti : transformer les militants en leaders/organisateurs, les sympathisants en militants, les bienveillants en sympathisants et les indifférents en bienveillants.

En réalité, c’est sur ce schéma que sont construites les stratégies de campagne les plus abouties. Ce qui fait parfois dire, en un résumé lapidaire, que l’objectif principal d’un site web de campagne est de collecter des adresses électroniques, car c’est ensuite par la messagerie que passe l’essentiel du travail de conviction ou d’activation des internautes. Ce qui explique aussi que, bien souvent, la stratégie de campagne par Internet d’un parti ou d’un candidat ne passe pas par un site unique, mais par une famille de sites, chacun visant plus spécifiquement tel ou tel segment de public, entre autres selon le degré d’engagement vis-à-vis du parti ou du candidat.

Pour prendre un exemple simple, à l’occasion de la récente élection présidentielle américaine, la campagne démocrate s’est appuyée sur trois sites majeurs : le site du candidat www.AlGore2000.com, visant à convaincre le public le plus large de voter pour Al Gore ; le portail démocrate www.democrats.com, qui s’adressait spécifiquement aux sympathisants démocrates, dans un esprit moins de conviction que de fidélisation par création d’un sentiment communautaire ; enfin le site de la convention démocrate www.Dems2000.com, destiné davantage aux militants et servant autant à communiquer qu’à organiser un événement principal (la convention) et des événements dérivés.

Convaincre les électeurs

Convaincre les électeurs et activer les sympathisants ou militants. Tels sont donc, pour simplifier, les deux objectifs dominants des campagnes politiques par Internet.

La conviction, tout d’abord, passe par un ensemble d’outils ou de fonctionnalités qui jouent sur plusieurs registres : l’argumentation et l’émotion, l’explication détaillée et la synthèse percutante. On trouve ainsi sur les sites :

- L’expression des positions et propositions du parti ou du candidat sur les principaux sujets du débat public. Pour bien faire, cette expression s’appuie sur un large éventail de matériaux : « issue briefs » qui résument en quelques points les principaux éléments d’analyse et d’argumentation ; extraits de discours ou articles du candidat ou du parti, déclinant le thème sous différents angles ; documents de référence émanant de sources tierces (universitaires, journalistes, chercheurs) qui viennent donner une légitimité intellectuelle aux positions partisanes. Ces matériaux peuvent être des textes, mais aussi des séquences audio ou vidéo de diverses natures (enregistrement d’interventions publiques du candidat, spots publicitaires, …). Ils sont généralement classés par thème, avec une possibilité de recherche par indexation ou par mot-clé en texte intégral.

- Le témoignage des soutiens extérieurs dont bénéficient les positions du parti. Ce peut être : le renvoi vers des sites « amis » d’associations ou de personnalités défendant la même cause ; une revue de presse reflétant le bon accueil reçu par les positions exprimées ; les résultats de sondages ou d’enquêtes auprès du public.

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Parfois c’est simplement la « méthode Coué », visant à créer la conviction des tiers par l’affichage de sa propre confiance. Ainsi par exemple pouvait-on voir sur la page d’accueil du site de George W. Bush un compte à rebours indiquant le nombre de secondes restant à courir avant « la fin de l’ère Clinton-Gore ». Ce à quoi répondait, sur le site d’Al Gore, un chronomètre indiquant depuis combien de temps George W. Bush « évitait » un débat avec Al Gore.

- Le témoignage des accomplissements passés du parti ou du candidat, qui viennent donner de la crédibilité aux propos d’aujourd’hui. Ce sont généralement des « voting records » retraçant, sur chacun des sujets en débat, les votes exprimés par le candidat au cours de ses mandats passés ou les votes émis par les représentants du parti durant la législature précédente. Ou bien encore la liste des amendements ou propositions de loi initiés par le candidat ou par le parti, dans les années récentes, sur les thèmes évoqués (« our achievements »).

- La réfutation des positions adverses, avec souvent une tonalité offensive, appuyée sur un bêtisier ou des extraits vidéo prenant en défaut le candidat adverse. Ainsi, par exemple, sur le site de campagne d’Al Gore, on pouvait voir une rubrique renvoyant sur un site intitulé www.bushinsecurity.com imputant à George W. Bush l’intention de démanteler le système de sécurité sociale américain. De l’autre bord, la page d’accueil du Republican National Committee www.rnc.org, affichait une rubrique intitulée « The Gore Files » qui se proposait de dénoncer les « mensonges » du candidat Gore. Ceci dit, les attaques les plus virulentes contre l’adversaire, qui ne sont généralement pas des plus délicates, sont souvent reléguées sur un site séparé afin de préserver la dignité du site principal (cf. ci-dessous Parodie, contestation et diffamation).

- La possibilité de poser des questions, de débattre, d’obtenir des explications supplémentaires. Cette interactivité est, bien sûr, la grande nouveauté du web par rapport aux médias traditionnels. Elle prend la forme de rubriques FAQ (questions fréquemment posées), de forums de discussion et de boîte aux lettres. Voir par exemple l’Interactive Town Hall du site d’Al Gore, qui dit avoir reçu plus de 250.000 questions ou commentaires depuis son lancement en avril 2000 et où l’on peut voir, thème par thème, les questions posées par les internautes et les réponses d’Al Gore : www.algore.com/townhall/

Ce n’est cependant pas sur les sites partisans qu’ont lieu les discussions les plus vives et les plus ouvertes. A vrai dire, la gestion de forums de discussion sur ce genre de sites est même l’une des questions les plus épineuses que les stratèges des campagnes virtuelles aient à résoudre, car elle réserve aux partis et candidats deux types de chausse-trappes : soit ils modèrent les débats et, ce faisant, sélectionnent les contributions effectivement postées, auquel cas ils donnent prise à une accusation de censure ; soit ils ne sélectionnent pas les messages, auquel cas ils s’exposent à toutes sortes de désagréments, les plus communs étant d’une part des messages hostiles à leur cause, d’autre part des messages sans intérêt, encombrant pour rien de forum et en dégradant la dynamique, enfin les messages parasites, totalement hors du sujet (voir le cas de la campagne de Jesse Ventura en 1998, où une contribution comportant un lien vers un site pornographique fut envoyée sur le forum).

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Activer les sympathisants

La deuxième fonction majeure de l’Internet, dans une stratégie de campagne, c’est d’inciter les internautes à agir en faveur du candidat ou du parti. Comme on l’a vu plus haut, on n’attend pas de tous une implication des plus actives, mais le principe général est toujours le même : emmener chacun un degré plus loin qu’il n’aurait été sans Internet. Afficher sa sympathie pour le candidat plutôt que de la garder pour soi ; relayer activement le message de la campagne ; verser une contribution financière ; devenir un pivot local de l’organisation ; … A cette fin, les sites de campagne accueillent généralement le visiteur par une rubrique, bien visible sur la première page, qui décline les possibilités d’action en faveur de la campagne sous des titres comme : « Get involved » ou bien « Les dix choses que vous pouvez faire aujourd’hui pour soutenir notre campagne ».

Voir par exemple http://www.algore2000.com/getinvolved/index.html

D’une manière générale, la stratégie d’implication des internautes dans la campagne comporte les dimensions suivantes :

– Fidéliser les sympathisants. Pour cela, deux outils principaux : d’une part inviter les internautes à enregistrer leurs coordonnées pour s’abonner à une mailing list, d’autre part les inciter à faire du site concerné leur page d’accueil Internet par défaut. Sur ce dernier point, on a même vu les deux principaux partis américains, Républicains et Démocrates, se transformer à l’occasion de la récente campagne présidentielle en fournisseurs d’accès Internet, avec l’idée, ce faisant, d’une part de créer du trafic sur leurs sites afin de mieux diffuser leur message, d’autre part de collecter des fond supplémentaires. Voir par exemple, côté républicain, www.GOPnet.com, qui propose un accès illimité au web pour un abonnement mensuel de 19,95$.

– Les inciter à afficher leurs couleurs. Cette dimension des campagnes est traditionnellement très développée aux Etats-Unis, moins en France. Elle consiste à ce que les sympathisants d’un candidat ou d’un parti arborent des badges, casquettes T-shirts, pin’s témoignant de leurs préférences. On voit aussi des autocollants sur les voitures, des affiches aux fenêtres des maisons ou encore des pancartes dans les jardins. La déclinaison électronique de tout cela est désormais présente : tapis de souris et économiseurs d’écran par exemple. En conséquence, les sites de campagne américains proposent généralement une boutique en ligne ou une rubrique Paraphernalia, où l’on peut se procurer tous les gadgets possibles et imaginables. Voir par exemple les trois sites franchisés de la campagne d’Al Gore : www.goregear.com, www.goregoods.com et www.gorealltheway.com

– Promouvoir la campagne off line. A cette fin, les messages électroniques envoyés régulièrement par l’organisation de campagne aux destinataires des mailing lists préviennent les sympathisants, jour après jour, des événements à venir et les invitent à y participer. En outre les sites affichent normalement l’agenda des événements de la campagne (réunions publiques, interventions du candidat à la radio ou à la télévision, …) afin d’une part d’inciter les internautes à se joindre à ces moments forts de la campagne réelle, d’autre part de soutenir leur motivation en leur donnant un sentiment de dynamisme et de mouvement. Parmi les gadgets high-tech de la dernière campagne américaine, on a vu à ce titre l’intégration sur les sites d’agendas numériques pouvant être téléchargés et synchronisés sur les PalmPilots des internautes.

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Démultiplier le message de la campagne. Un large éventail de possibilités est proposé aux internautes afin que chacun, selon le degré d’implication qu’il veut avoir vis-à-vis de la campagne, puisse apporter un concours. Exemples : envoyer une carte postale électronique de la campagne à des amis ou connaissances ; communiquer les adresses électroniques de tiers, afin que ceux-ci puissent être inscrits sur la liste de diffusion ou sollicités pour des dons ; télécharger du matériel de campagne (tracts, affiches) pour impression et distribution autour de soi. On peut même créer sa propre page Internet en soutien au candidat de son choix grâce à des générateurs de site en ligne.

Voir par exemple http://www.algore2000.com/byoc/byoc.html

Pour les plus internautes les plus engagés, les campagnes proposent un rôle d’organisation plus important. Ce furent par exemple, durant la récente campagne américaine, les e-precinct leaders du Democrat National Committee : les militants étaient invités à s’inscrire et à prendre la responsabilité d’orchestrer la diffusion du message démocrate auprès d’une communauté d’internautes avec qui ils sont en relation régulière. Autrement dit, c’est un mode de démultiplication de la campagne officielle qui prend acte du fonctionnement de la société en réseau et de l’insertion de chacun dans de multiples mailles de ce réseau.

Voir www.democrats.org/action/eleader

Contributions en ligne. La montée en puissance des contributions de campagne en ligne est réellement une nouveauté de la campagne présidentielle américaine de l’an 2000. Auparavant, les sites se limitaient à proposer aux internautes d’enregistrer des promesses de dons (« contribution pledges ») donnant lieu à un règlement effectif off line. Depuis lors, les progrès de la sécurisation des solutions de paiement en ligne et l’acclimatation des internautes à cette pratique avec l’essor du commerce électronique ont créé des conditions favorables et les partis se sont engouffrés dans la brèche. Selon l’étude déjà mentionnée d’E-ThePeople.com, publiée en janvier 2000, 2% des ménages américains avaient fait, sur les douze derniers mois, une contribution de campagne via le web, mais 6% avaient l’intention d’en faire une à l’avenir et cette proportion montait à 11% pour les ménages dont les revenus sont supérieurs à 50.000 dollars. On voit le potentiel fabuleux que cela représente, sachant en outre que :

o D’après l’expérience américaine, le montant moyen des contributions en ligne est supérieur au montant moyen des contributions issues du marketing direct classique. En d’autres termes les internautes sont plus généreux que la moyenne vis-à-vis des partis.

o Deuxièmement, le coût de collecte des contributions en ligne est infiniment moindre que celui des autres contributions, donc le rendement par dollar collecté bien meilleur. Selon Campaign Solutions, société de fundraising politique en ligne, le coût de collecte des contributions en ligne est seulement de 10 à 15 cents par dollar collecté contre 40 à 50 cents par dollar pour les campagnes de marketing direct sur des listes de contributeurs ayant déjà donné pour des campagnes politiques, 60 à 70 cents par dollar pour des campagnes de marketing téléphonique et 90 cents par dollar pour des campagnes de marketing direct sur des listes de prospects n’ayant jamais contribué.

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o Enfin plus de 50% des donateurs qui ont fait une contribution de campagne par Internet se sont avérés être des nouveaux venus, donnant pour la première fois. D’où des perspectives intéressantes pour une fidélisation ultérieure.

Que trouve-t-on sur un site web de campagne ?

On résume ici en deux grilles synthétiques les éléments qui viennent d’être évoqués.

Tout d’abord le tableau suivant, issu d’une étude menée par Netelection.org, montre les fonctionnalités comparées des sites web des quatre principaux candidats à l’élection présidentielle américaine, c’est-à-dire à ce qui s’est fait de plus complet et de plus sophistiqué, jusqu’à présent, en matière de site de campagne (base de comparaison au 12 octobre 2000).

Gore Bush Nader Buchanan

Spots publicitaires de campagne Oui Oui

Nouvelles de la campagne Oui Oui Oui Oui

Discours des candidats Oui Oui

Questions/commentaires du public Oui Oui

Information sur les donateurs de la campagne

Oui

Mailing list Oui Oui Oui Oui

Dialogue interactif Oui

Rubrique pour les enfants Oui Oui

Contenu régionalisé Oui Oui Oui Oui

Liens vers la presse Oui Oui

Contributions en ligne Oui Oui Oui Oui

Boutique en ligne Oui Oui Oui

Argumentaires thématiques Oui Oui Oui Oui

Politique de protection des données personnelles

Oui Oui

Moteur de recherche Oui Oui Oui Oui

Contenu en espagnol Oui Oui

Enrôlement de bénévoles Oui Oui Oui Oui

Information concernant l’inscription sur les registres électoraux

Oui

Informations sur les épouses des candidats Oui Oui

Pour plus de détail et des liens hypertextes vers les pages ad hoc des sites des candidats, voir http://netelection.org/features/

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Une autre approche, présentée dans le tableau ci-dessous, consiste à recenser les fonctionnalités recherchées par les internautes, c’est-à-dire grosso modo ce que l’on peut considérer comme étant le cœur d’un site web de campagne. L’enquête dont sont issus ces chiffres a été réalisée aux Etats-Unis entre novembre 1999 et février 2000 par les sociétés e-advocates et Juno Services ; elle a été adressée à un million d’internautes et a reçu plus de 155.000 réponses.

Question : Quelles fonctionnalités voudriez-vous que l’Internet offre aux électeurs ?

Comparer les positions des candidats 79%

Savoir qui sont les candidats 74%

Envoyer des messages aux candidats 73%

S’inscrire sur les registres électoraux 42%

Participer à des discussions en temps réel (live chats) 26%

Participer à une campagne 13%

Faire un don à une campagne 7%

Au demeurant, on peut se reporter aux sources suivantes pour une revue des réalisations des principaux partis français :

- « Les sites des organisations politiques au banc d’essai », Le Monde 13 avril 2000, Raphaëlle Bacqué,

- « Transfert teste les partis politiques » , Transfert.net, 17 mars 2000, Nicolas Grandjean, sur http://www.transfert.net/fr/cyber_societe/article.cfm?idx_art=167&idx_rub=87

Les particularités de la communication politique on line

La panoplie d’instruments et de fonctionnalités qui vient d’être évoquée donne aux partis et aux organisations de campagne les moyens de communiquer avec leurs électeurs, sympathisants et militants d’une manière assez différente de celle que permettaient les outils traditionnels.

La désintermédiation : un accès direct aux électeurs

Les outils Internet permettent tout d’abord aux partis politiques d’exprimer leurs positions sans contingentement et sans le filtre des média :

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- Sans contingentement car la diffusion de l’information politique sur Internet est peu coûteuse et, pour l’instant, peu réglementée (par opposition à la régulation des temps d’antenne pour les campagnes radio et télé et aux coûts logistiques des tracts, mailings et campagnes d’affichage).

- Sans le filtre des média, à la différence des reprises presse, qui constituaient jusqu’alors l’essentiel de la communication de campagne et soumettaient les candidats et partis à l’analyse critique, éventuellement aux simplifications ou aux distorsions des organes de presse.

Cette faculté de communication désintermédiée est utile pour la présentation générale des positions du parti. Elle l’est surtout en contre-attaque, pour rectifier des imputations erronées ou répondre à des mises en cause. En voici un exemple : au cours de la primaire républicaine, John McCain, adversaire de George W. Bush, fut soupçonné par la presse d’avoir cherché à faire pression sur la Federal Communications Commission au profit d’une entreprise de télécommunications qui était l’un des principaux mécènes de sa campagne. Afin de mettre un terme à ces rumeurs, l’équipe McCain a affiché sur le site web du candidat la copie de la lettre que John McCain avait en effet adressé à la FCC et a adressé un message d’explication aux 43.000 abonnés de sa liste de diffusion.

La réactivité : coller à l’événement

Parce qu’il implique peu de délais logistiques, à la différence de la production audiovisuelle ou de l’impression et de la distribution de papier, le web offre le moyen d’une communication quasi-instantanée.

L’illustration la plus marquante de cette capacité de réaction immédiate a été donnée, pendant la campagne présidentielle américaine, par le site www.debatefacts.com ouvert par l’organisation de campagne républicaine pour accompagner la diffusion du débat télévisé entre George W. Bush et Al Gore le 3 octobre dernier. Au fur et à mesure que le candidat Gore parlait à la télévision, l’équipe de campagne de Bush diffusait ses objections et réfutations en temps réel sur le site Internet créé à cette fin.

Ceci dit, le caractère très réactif de l’Internet peut être à double tranchant pour les candidats et les partis : il leur est facile de se discréditer dès lors qu’ils n’arrivent pas à assurer une actualisation suffisamment rapide au gré des internautes. Un indicateur sur ce point : selon une étude du Canadian Information Office, alors que 87% des citoyens espèrent une réponse à un courrier dans un délai de deux semaines, 90% espèrent une réponse à un e-mail dans un délai de quatre heures. On voit ce que suppose, en termes de back office, un délai de réponse aussi court.

L’interactivité : de nouvelles relations entre les candidats et les électeurs

L’interactivité peut prendre plusieurs formes : messagerie, forums et chats avec le candidat ou ses principaux seconds. Deux modalités méritent une mention particulière, en raison de leur fort potentiel stratégique pour les campagnes :

D’une part les sondages en ligne. La plupart des sites de campagne affichent sur leur page d’accueil un sondage simple, dont les questions sont régulièrement actualisées. Les candidats disposent ainsi d’un retour d’expérience continu sur la pertinence de

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leur message de campagne, qu’ils peuvent donc ajuster en temps réel. Typiquement, les internautes qui visitent les sites sont interrogés sur la hiérarchie de leurs sujets de préoccupation, sur les propositions du candidat qui recueillent le plus d’approbation, …

D’autre part les appels à contribution. Les sympathisants sont invités à envoyer des témoignages sur leurs raisons de voter pour le candidat choisi ou contre son adversaire, ou encore des photographies ou des enregistrements audio ou vidéo d’événements de campagne locaux. Les meilleures contributions sont ensuite affichées sur le site, ce qui permet de faire d’une pierre deux coups : motiver les militants en créant une émulation pour l’envoi des meilleures contributions et montrer aux visiteurs l’existence d’un réel écho de la campagne officielle sur le terrain.

La personnalisation : conviction et fidélisation

Dernier trait distinctif de la communication politique par Internet : la personnalisation. Et celle-ci doit s’entendre en deux sens : d’une part au sens d’un dialogue personnel (ou supposé tel) des internautes avec le candidat, notamment à travers les chats et les messages d’encouragement ou de remerciement adressés par les organisations de campagne à leurs militants ; d’autre part au sens de l’identification des centres d’intérêt des citoyens-électeurs, et de la capacité des partis à communiquer vis-à-vis d’eux précisément sur ces thèmes-là. A cet égard, les destinataires des listes de diffusion sont généralement invités à déclarer, lors de leur enregistrement, le code postal de leur résidence, leurs centres d’intérêt et éventuellement quelques caractéristiques personnelles ou socio-professionnelles. Les messages qui leur sont adressés sont dès lors ciblés sur les thématiques qui les intéressent, les événements de campagne de leur région, … Cette deuxième forme de personnalisation ne manque d’ailleurs pas de susciter quelques inquiétudes quant à la protection des données personnelles relatives aux internautes.

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II – L’émergence de nouveaux acteurs politiques

Internet offre aux partis politiques de nouveaux instruments pour convaincre les électeurs, recruter des sympathisants et collecter des fonds, soit. Mais le web permet également la montée en puissance de nouveaux acteurs, qui transforment sensiblement le contexte dans lequel opèrent les partis. Ces derniers trouvent ainsi face à eux une opinion mieux informée, mieux outillée pour faire entendre sa voix, donc plus exigeante et plus critique.

Les portails politiques

L’une des grandes nouveautés de l’Internet appliqué aux campagnes électorales, ce sont les portails politiques, sites dédiés à l’information des citoyens sur les candidats, leurs propositions, les enjeux des divers scrutins, …

La naissance des premiers portails politiques remonte à 1996. Il faut cependant attendre 1998 pour trouver des réalisations vraiment abouties, notamment à l’occasion des législatives allemandes avec tout un éventail de sites, du plus sérieux au plus ludique, jouant cette fonction de centrale d’information. Ainsi :

www.wahlatlas.de, créé par la Fondation Friedrich-Ebert, proche du SPD, qui rendait accessible en ligne les résultats de toutes les élections législatives allemandes depuis 1953 circonscription par circonscription, puis présentait l’ensemble des candidats à l’élection 1998.

www.wahlkampf98.de, le plus drôle et le plus fréquenté (40.000 pages vues par jour), comportant à la fois une information politique très complète (programmes des partis, présentation des candidats, analyse des situations locales, liens vers les sites de campagne, forums de discussion, débats en ligne avec des personnalités politiques, revue de presse, …) et une rubrique intitulée « Fun » comportant un jeu vidéo (Jürgen Mölleman, président du FDP, essayant d’attraper les électeurs !), des dessins humoristiques, un message téléphonique à télécharger pour se faire réveiller, le jour de l’élection, par la voix d’Helmut Kohl, et même un logiciel intitulé « Phrasendrescher » permettant aux internautes de composer automatiquement des discours de campagne à partir de coupés-collés des vrais programmes de campagne des différents partis, simplement en indiquant les thèmes à traiter et la tonalité d’ensemble souhaitée.

www.wahlstreet.de, une bourse fictive où l’on pouvait spéculer sur la cote des candidats en achetant ou revendant des actions CDU/CSU, SPD, FDP, PDS et Bündnis90/Grünen. Le modèle mathématique sous-jacent avait été développé par l’Université de Vienne et devait avoir une bonne valeur prédictive sur l’issue de l’élection. Et de fait les cotations finales de cette place de marché virtuelle se sont avérées remarquablement proches des résultats réels de l’élection :

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Résultats réels du scrutin Cours des actions sur WahlStreet

SPD 40,9 39,0

CDU/CSU 35,2 36,4

Bündnis90/Grünen 6,7 7,6

FDP 6,2 5,9

PDS 5,1 5,0

En 2000, à l’occasion de la campagne présidentielle américaine, les portails se sont multipliés dans des proportions inédites jusque là avec notamment : www.grassrooots.com, www.voter.com, www.politics.com, www.voxcap.com, www.speakout.com, www.e-thepeople.com, www.vote.com, www.govote.com

Les fonctionnalités des portails se sont enrichies et présentent maintenant un profil assez stabilisé, comportant principalement : une analyse des principaux enjeux de l’élection ; la présentation des positions des candidats sur les principaux sujets ; des données sur le financement des campagnes ; une revue de presse et des liens vers les principaux média ; des liens vers les sites des candidats, des partis et des principaux groupes d’intérêt ; des forums de discussion ; des sondages en ligne ; la possibilité, pour les internautes, de personnaliser le portail selon leurs centres d’intérêt ; un moteur de recherche ; …

Pour une analyse plus détaillée des principaux portails politiques de la campagne américaine, voir www.netelection.org/features/portals

Tous ces portails introduisent dans le jeu des campagnes électorales deux novations majeures : d’une part un banc d’essai comparatif permanent entre les propositions des candidats, qui oblige les uns et les autres à un effort de clarification et de précision dont ils pouvaient naguère se dispenser ; d’autre part la mise en réseau des citoyens et l’organisation de discussions entre eux sur les sujets tenant à l’élection, ce qui n’existait qu’à petite échelle entre voisins, amis ou collègues de bureau.

La question de savoir si ces portails demeureront actifs et viables en dehors de la période électorale est encore très incertaine. Tout dépend, en réalité, de deux facteurs : d’une part la raison d’être du portail, parfois étroitement liée à une élection, parfois au contraire inscrite dans un projet plus pérenne d’éducation civique ; d’autre part le mode de financement du portail, parfois par mécénat, parfois par des recettes commerciales.

Ainsi par exemple, un site comme California Voter Foundation www.cvf.org existe sans discontinuer depuis 1996 : son financement, issu du mécénat, est stable ; son propos ne se limite pas à informer les citoyens au moment des élections, mais vise plus généralement à améliorer la qualité du débat démocratique en Californie. En revanche, le grand portail allemand des législatives 1998 www.wahlkampf98.de s’est éteint au lendemain de l’élection : son objet avait disparu et son financement, via la commercialisation de bannières publicitaires, se tarissait dès lors qu’il n’y avait plus de trafic sur le site. Au demeurant, il est intéressant de noter que ce financement par la publicité n’était pas celui qu’avaient initialement prévu les créateurs du site : ils imaginaient un financement par cotisation des partis et des candidats, en contrepartie de l’hébergement de pages de présentation de leurs programmes et de l’organisation de débats en ligne avec les internautes.

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Pour autant que l’on puisse en juger, la plupart des portails politiques à but lucratif nés à l’occasion de la présidentielle américaine envisagent de survivre en commercialisant des produits ou services dérivés du savoir-faire qu’ils ont acquis à la faveur de la campagne. Ainsi, Speakout.com a déposé un brevet sur un système de sondage d’opinion en temps réel dénommé « Ntercept Dial Poll » qui permet aux internautes de donner leur sentiment sur un événement au fur et à mesure de son déroulement. L’entreprise avait utilisé ce dispositif sur son site pour la première fois lors de la retransmission en direct du discours de George W. Bush lors de sa nomination à la candidature républicaine pour l’élection présidentielle, afin de tester les réactions des internautes sur les propositions formulées en matière de fiscalité et d’éducation. Autre exemple : Grassroots.com veut devenir un prestataire de services de gestion de campagnes d’opinion par Internet (e-lobbying notamment).

La même question du positionnement et de la pérennité des portails politiques se pose aussi hors des Etats-Unis. En France, l’année 2000 a vu fleurir plusieurs initiatives concurrentes en vue des municipales de 2001 :

- des portails généralistes comme www.quielire.com, lancé par un élu lyonnais et qui propose à tous les candidats aux municipales, quelle que soit leur étiquette politique de créer et héberger pour eux une page personnelle moyennant un abonnement forfaitaire de 96 francs pour le durée de la campagne ; www.politique.org qui propose gratuitement aux candidats de tous bords une page personnelle avec nom de domaine et adresse e-mail et semble espérer une rentabilité économique via un service de fourniture de sites Internet de campagne clefs en main ; www.candidat.e-com qui, à la différence des deux portails précédents, n’héberge pas de pages de présentation des candidats, mais référence les sites existants et offre un bouquet de liens vers eux ; ou encore www.francepolitique.com et www.lafranceélectorale.com

- des portails localisés comme www.mairiedeparis.com qui présente l’ensemble des candidats officiellement déclarés à l’élection municipale parisienne, avec forums de discussion thématiques et la promesse de « chats » en ligne avec les candidats, ou encore www.cannes2001.com ou www.index-normandie.net

Ce foisonnement d’initiatives témoigne à la fois du potentiel assigné à l’Internet politique et des incertitudes sur les modèles économiques et politiques qui s’avèreront gagnants.

Dans ce contexte, certaines voix commencent d’ailleurs à suggérer que les portails politiques devraient faire partie de l’offre de service public financée par l’Etat au titre de l’investissement dans la démocratie. D’aucuns assimilent en effet les portails politiques aux panneaux d’affichage municipaux qui sont, pour les candidats et partis sans autres moyens de se faire connaître, l’instrument d’une exposition minimale au public.

La conjonction du web et des médias traditionnels

La conjonction du web et des médias traditionnels a donné naissance à un nouvel exercice de communication pour les hommes politiques et leurs équipes de campagne : les débats en ligne, avec des questions directement posées par les internautes, parfois filtrées ou mises en perspectives par un modérateur.

Le principe est le même que celui des émissions de radio interactives, avec toutefois des différences significatives : le fait que les internautes peuvent se parler entre eux, ce flux de

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communication horizontal s’ajoutant à la communication verticale entre internautes et candidats ; le fait que l’échange d’arguments peut se poursuivre au-delà des limites de temps d’une émission, et par suite l’impossibilité pour les candidats d’éluder des explications un peu complexes ; la possibilité d’intervention immédiate ou différée d’un grand nombre d’experts, interdisant aux candidats les déclarations approximatives ou les querelles sur la validité de chiffres qui peuvent être vérifiés à loisir. Autrement dit, un exercice beaucoup plus exigeant en termes de cohérence et de rigueur des propos tenus.

Le meilleur exemple à cet égard vient de la récente campagne présidentielle américaine, avec le rolling presidential cyberdebate organisé par Web White and Blue. Il s’agissait d’un débat en ligne d’une part entre les équipes de campagne républicaine et démocrate, d’autre part entre ces équipes et les internautes, débat poursuivi pendant les cinq semaines précédant le vote du 7 novembre. Les échanges comprenaient deux éléments principaux : premièrement un « message du jour » de la part de chaque camp, message auquel le camp adverse s’empressait, bien sûr, d’apporter une contradiction ; deuxièmement une « question du jour », choisie parmi les questions envoyées par les internautes. Les contributions des diverses parties étaient postées sur le site à raison d’une mise à jour toutes les demi-heures. Le débat était retransmis intégralement sur les sites des dix-sept partenaires de l’organisation, comprenant tous les plus grands sites du réseau américain (America Online, Excite, CNN, USAToday, …), soit 85% de l’audience du web aux Etats-Unis.

Voir www.webwhiteblue.org

Dans le même esprit, la Commission on Presidential Debates, organisatrice des grands débats télévisés de la campagne américaine, a ouvert un site Internet où les internautes étaient invités, en amont des débats, à exprimer les questions qu’ils espéraient voir aborder et où, en aval des débats, ils pouvaient trouver des commentaires sur le déroulement des débats, en discuter entre eux et avec des experts, voter sur les divers sujets évoqués par les candidats, …

Voir www.debates.org

Le cyberactivisme politique

Les activistes, militants d’une cause politique quelle qu’elle soit, ont toujours fait partie du paysage des campagnes électorales, mais ils ne disposaient jusqu’à présent que d’un pouvoir modeste de se faire entendre. Le web a changé cela et donne à tous ces groupements une vraie capacité d’expression vis-à-vis du public et de nuisance vis-à-vis des candidats.

Les exemples à ce titre sont innombrables. On se contente ici d’en présenter un, dont la stratégie Internet a été jugée particulièrement réussie dans la campagne présidentielle américaine. Il s’agit d’une association écologiste, la League of Conservation, et de son site www.VoteEnvironment.org. Ce site comporte notamment :

- Une rubrique « Ask the candidates » qui liste et explique dix questions que les internautes sont invités à poser aux candidats. Ces dix questions traitent de : la propreté de l’eau, la propreté de l’air, l’extension des zones urbanisées, la protection des ressources naturelles, la protection des espèces en danger, l’introduction de

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normes environnementales dans les accords commerciaux internationaux, la politique des transports, l’exploitation pétrolière en Alaska, l’application effective des normes environnementales par les propriétaires fonciers, le réchauffement de la planète.

- Une rubrique « Take the pledge » qui invite les internautes, en enregistrant leur nom et leurs coordonnées, à faire une double promesse : d’une part interroger effectivement les candidats sur les questions environnementales évoquées, d’autre part « voter environnement », c’est-à-dire promettre de se décider sur ce critère (mais aucun candidat n’est nommé à ce titre).

Au-delà de l’activisme inspiré par une cause, on a vu aussi émerger sur le web une offre de service purement instrumentale, mettant simplement à disposition des internautes des outils pour prendre la parole et à s’adresser aux hommes politiques. Le meilleur exemple à cet égard est www.talktogov.com dont l’offre de services consiste à : informer les citoyens sur les projets de loi en préparation et les conséquences que ceux-ci peuvent avoir sur leur vie quotidienne ; leur permettre d’adresser des messages électroniques aux parlementaires concernés ou au président de la république, grâce à des formulaires déjà prêts et une sélection des adresses pertinentes.

Une dernière forme de l’activisme politique sur Internet, agissant par l’humour, est la création de candidats virtuels, c’est-à-dire de candidats qui n’existent que par leur représentation en images animées et par leur site web, lequel expose analyses et propositions sur les différents thèmes du débat électoral. On a vu deux candidats de ce type prendre part à la campagne présidentielle américaine : Duke, le héros d’une célèbre bande dessinée américaine (voir www.duke2000.com) et surtout Jackie Strike (voir www.jackiestrike.com).

Ces candidats virtuels ont à peu près le même impact politique que les émissions télévisées de satire politique ou, pour prendre une référence française, la candidature Coluche en 1981. Ils offrent un exutoire à toute une partie de la population qui ne se reconnaît pas dans les candidats réels et peuvent forcer ces derniers à prendre position sur des sujets qu’ils auraient voulu éluder.

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III – De nouvelles stratégies de campagne

De nouveaux moyens pour les acteurs traditionnels des campagnes électorales, de nouveaux acteurs qui montent en puissance à la faveur du déploiement de l’Internet. L’arrivée du web dans la communication politique ouvre la voie à des stratégies de campagne assez différentes de ce que l’on connaissait jusque là.

Trois tournants stratégiques majeurs

Les flash campaigns

Les campagnes de communication politique par Internet bénéficient de l’extraordinaire réactivité du web. Et l’on a vu, à ce chef, se développer la pratique des flash campaigns, c’est-à-dire des campagnes éclair, saisissant l’opportunité d’un événement pour mobiliser les électeurs/citoyens.

Le grand début des flash campaigns date de septembre 1998. On était alors en plein cœur de l’affaire Lewinski, avec la publication du rapport de Kenneth Starr et la campagne républicaine en faveur de l’impeachment de Bill Clinton. Ecoeurés par ce grand déballage, deux entrepreneurs de la Silicon Valley, Joan Blades et Wes Boyd, décidèrent de fonder MoveOn.org, une organisation de protestation par Internet qui se proposait de donner la parole aux citoyens de base pour dénoncer le décalage entre les jeux politiciens et les préoccupations du pays réel.

Le site www.moveon.org fut ouvert le 22 septembre, appelant à clore l’affaire Lewinski et à stopper la procédure d’impeachment. Une semaine plus tard, 100.000 internautes avaient déjà signé la pétition proposée ; le nombre des pétitionnaires atteignit ensuite 200.000 le 8 octobre, puis 450.000 début décembre. Dès le 1er octobre, 80.000 pétitionnaires étaient mobilisés pour téléphoner à leur député et lui envoyer leur pétition par télécopie ou messagerie électronique. La campagne se poursuivit sans relâche en novembre, attaquant tour à tour la Chambre des représentants, la commission d’enquête (judiciary committee) et le Sénat. Début décembre, MoveOn, ayant identifié les parlementaires hésitants, dont le vote était susceptible de faire la différence dans la procédure d’impeachment, invita le public à s’adresser à eux. Résultat : plus d’un million de lettres leur furent envoyées.

Le 19 décembre, après que le vote eut lieu à la Chambre des représentants, MoveOn lança une nouvelle « campagne dans la campagne » intitulée « We will remember », qui stigmatisait les Représentants ayant voté pour l’impeachment et invitait les internautes à s’engager contre eux par des promesses de contribution aux campagnes de leurs adversaires. Les contributions pouvaient être financières (de 25 à 1.000 dollars, pour un nombre de campagnes pouvant aller jusqu’à 20) ou en nature (heures de bénévolat au profit des

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organisations de campagne). Dès le lendemain, MoveOn avait collecté plus de 5 millions de dollars de dons ; le 5 janvier, soit deux semaines après le lancement de la campagne, la barre des 10 millions de dollars était dépassée.

Avec cette première historique, le concept de flash campaign était né. Il est devenu depuis lors une arme tout à fait particulière dans l’arsenal des campagnes par Internet, avec des applications très variées, en attaque ou en contre-attaque.

En voici un exemple humoristique récent. Le célèbre acteur Alec Baldwin ayant déclaré qu’il émigrerait hors des Etats-Unis si George W. Bush gagnait l’élection présidentielle, la campagne républicaine a riposté par l’ironie en lançant un sondage on line sur le site de Dick Armey, président du groupe parlementaire républicain à la Chambre des Représentants, sur le thème : « Quelles célébrités aimeriez vous voir quitter les Etats-Unis en cas de victoire de George W. Bush ? »

Plus sérieusement, les avatars du décompte des bulletins de vote en Floride ont ouvert la voix à une multitude de flash campaigns, d’un bord comme de l’autre, pour d’une part collecter des fonds afin de financer les services des avocats embauchés par les deux camps pour faire valoir leur argumentation juridique, d’autre part collecter des pétitions afin de faire pression sur les autorités électorales de l’Etat de Floride.

Voir par exemple www.AlGoreLost.org qui invitait les électeurs républicains à protester contre le nouveau comptage manuel des bulletins et à signer une pétition demandant à Clay Roberts, directeur de la division des élections du gouvernement de Floride, d’arrêter les opérations. En quelques jours, le site avait collecté 74.000 signatures.

Le marketing viral

Deuxième grande novation stratégique des campagnes par Internet : le web permet de mobiliser les énergies de sympathisants qui, dans une organisation plus traditionnelle, ne voudraient pas ou ne pourraient pas apporter une contribution active à la campagne soit par manque de temps, soit par réticence à s’engager de manière formalisée dans une équipe.

Ces personnes, dès lors qu’elles sont bien disposées à l’égard de la campagne et même si elles ne sont pas militantes, peuvent être sollicitées comme des relais dans des actions de « marketing viral ». Avec deux modalités principales :

- La rediffusion de messages. Typiquement, selon un principe de pyramide, l’organisation de campagne diffuse des messages aux abonnés d’une mailing list de premier rang, en demandant aux destinataires de répercuter le message à cinq ou dix personnes de leur entourage.

- L’enrichissement du fichier d’adresses e-mail. Typiquement, l’organisation de campagne demande à ses fidèles de désigner cinq ou dix personnes de leur entourage à qui elle pourra s’adresser, de leur part, pour diffuser un message, solliciter des dons ou toute autre action spécifiée.

De l’avis de l’ensemble des professionnels qui ont eu à travailler dans des campagnes de communication politique par Internet, les listes de diffusion et leur relais par marketing viral sont de loin l’outil le plus efficace qu’ils aient eu à leur disposition. D’où l’importance cruciale de l’acquisition des adresses électroniques, qui constituent ici la ressource stratégique.

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La campagne électorale en vue de l’élection présidentielle américaine a donné lieu, sur ce terrain, à des efforts acharnés des deux principaux camps. L’équipe républicaine s’est signalée par l’affichage d’un objectif extrêmement ambitieux de deux millions d’adresses, avec des messages comme celui-ci :

From : [email protected]

Subject : Will You Be The Difference ?

The year is 1960. JFK wins the election because he receives1 more vote per precinct in Illinois (8,858 votes)3 more votes per precinct in Missouri (9,880 votes)3 more votes per precinct in New Jersey (22,091 votes)Without those 40,829 votes, the election goes to Nixon.

YOUR VOTE DOES MATTER.

Experts say this will be the CLOSEST election since 1960. We agree.

What can YOU do about it? Join the Bush E-Train !(1) Forward this e-mail to your friends and colleagues(2) Then click on the link below and enter your e-mailhttp://www.georgewbush.com/bn.asp?PageMode=FrontPageSignUp

OUR GOAL :2,000,000 e-mail addresses to SPREAD THE WORD and GET OUT THE VOTE.

Be part of history, get on the Bush E-Train and join what will become one of the LARGEST GRASSROOTS MOVEMENTS EVER.

MAKE THE DIFFERENCE and receive the e-mail on Nov. 8 that says “PRESIDENT-ELECT GEORGE W. BUSH THANKS YOU.”

Le parrainage de sympathisants déjà inscrits est un moyen privilégié d’acquérir de nouvelles adresses électroniques : d’une part parce que la caution des sympathisants permet de toucher des gens déjà sensibilisés ; d’autre part parce que le pouvoir de démultiplication de la pyramide est potentiellement très puissant ; enfin parce que le coût d’acquisition des adresses, par cette méthode, est quasiment nul. Ceci dit, ce n’est pas la seule tactique, et deux autres ont été abondamment employées :

- Les bannières publicitaires. Judicieusement placées sur des sites supposés s’adresser à un public favorable aux vues de tel ou tel camp, ces bannières invitent l’internaute à cliquer sur elles pour soit le diriger vers le site officiel de la campagne, soit enregistrer son adresse e-mail en vue de l’intégrer à une liste de diffusion. Toutes les astuces sont bonnes pour faire en sorte que ces bannières retiennent l’attention. L’une des bannières plus réussies à cet égard fut celle de la campagne républicaine qui s’adressait aux internautes en leur proposant de calculer l’allégement d’impôt dont ils bénéficieraient au titre des propositions fiscales de George W. Bush, si celui-ci était élu.

- L’achat de listes de diffusion. Cette méthode n’est généralement pas recommandée par les professionnels, qui redoutent l’effet retour d’une diffusion massive de messages politiques non sollicités. Ceci dit, elle a tout de même été copieusement employée, et fait notamment l’objet des services d’une société spécialisée, Aristotle, qui commercialise des listes d’adresses e-mail d’électeurs et contributeurs de campagnes.

Voir www.aristotle.com

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Les organisations de campagne virtuelles

Le troisième enjeu stratégique de l’introduction d’Internet dans les campagnes électorales, c’est la possibilité de revoir complètement l’organisation des équipes de campagne, en ouvrant la voie à des collaborations extérieures sur mesure, à la constitution de groupes de projet autonomes, à la délégation de responsabilités à des bénévoles engagés.

Le site Internet d’une campagne peut ainsi aisément se transformer en extranet ou « virtual campaign office », où les internautes sont invités à apporter diverses contributions : ajouter des adresses électroniques de sympathisants à l’annuaire des destinataires de la mailing list ; apporter des informations ou arguments à un débat ; construire leur propre site web de soutien à la campagne ; télécharger, personnaliser et imprimer des tracts ou des affichettes de campagne ; …

Voici, par exemple, le genre de messages envoyés aux sympathisants pour les inciter à agir dans l’organisation de campagne :

Subject : Print Your McCain 2000 Flier !

Spread the word about John McCain from your computer !

John McCain needs your help ! Please take a moment today to click on the following link to print your flier for John McCain. Once you have customised the flier for your state, please pass it out to 20 people.

The goal for the McCain Interactive Team is to distribute 2 million fliers on Friday. But we cannot do this without your help today !

Click here to print your McCain 2000 flier.

http://www.mccaininteractive.com/us/materials.htm

Cet exemple donne une parfaite illustration des techniques de mobilisation par Internet : demander aux sympathisants l’accomplissement d’une tâche simple (imprimer et distribuer un tract) ; personnaliser le matériel de campagne (le modèle de tract national, disponible sur Internet, peut être adapté pour chaque Etat) ; organiser une diffusion virale (chacun doit diffuser le tract auprès de 20 personnes de son entourage) ; motiver les participants à l’opération par l’affichage d’un objectif quantifiable, permettant ultérieurement des relances en fonction des progrès accomplis par rapport à l’objectif (2 millions de tracts distribués d’ici vendredi, le message initial ayant été diffusé un mardi)

Faire face aux risques du web

Communiquer ou agir via Internet permet aux partis de développer de nouvelles stratégies, mais cela les expose aussi à des risques nouveaux, inhérents au web : d’une part des risques issus des diverses modalités de la délinquance sur Internet (usurpation d’adresse, détournement des sites, création d’encombrements rendant le serveur inaccessible au public

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pendant une durée plus ou moins longue, …) ; d’autre part des risques tenant à la nature des échanges sur le web, toujours réactifs, souvent polémiques.

Ces risques sont d’autant plus difficiles à maîtriser qu’ils peuvent émaner d’individus ou de groupes aux motivations variées : les uns seront mus par de la pure malveillance ; d’autres voudront se faire remarquer par un « exploit » politique ou technique ; d’autres encore se proposeront d’exercer une pression politique, visant à influer sur les prises de position des partis ; d’autres enfin agiront par appât du gain et monnaieront la cessation de leurs interventions.

L’usurpation d’adresse (cybersquatting)

L’exemple désormais le plus célèbre de cybersquatting est celui de George W. Bush, victime d’un internaute qui, ayant légalement acheté le nom de domaine www.gwbush.com et n’ayant pas réussi à le revendre à l’organisation de campagne républicaine, laquelle ne voulait pas dépenser pour cela les 350.000 dollars qu’il réclamait, a monté un site parodique anti-Bush.

En France, les grandes manoeuvres ont commencé autour des noms de domaine évoquant les principaux candidats aux municipales de 2001 ou aux présidentielles de 2002. Déjà, en avril dernier, Edouard Balladur, éphémère candidat à la municipale de Paris, avait eu l’imprudence d’annoncer la création d’un site emancipez-paris.com avant d’avoir effectivement réservé le nom de domaine. Résultat : le patron d’une webagency parisienne avait immédiatement déposé le nom, puis l’avait rétrocédé au candidat dont il avait ensuite réalisé le site, s’assurant au passage une belle publicité.

A Paris toujours, Jean-Dominique Giuliani, conseiller municipal UDF du VIème arrondissement et membre de l’équipe de campagne de Philippe Seguin, s’est mis en devoir de récupérer tous les noms de domaine déjà déposés qui utilisaient le nom de Philippe Seguin et de réserver ceux qui étaient encore disponibles : il a ainsi repris possession de philippe-seguin.com, philippe-seguin.net, philippeseguin.com, … et a acheté philippeseguin.org, philippeseguin.net, seguin2001.org, seguin2001.net. Résistent encore, pour l’instant, des étudiants lyonnais possesseurs de seguin2001.com, ainsi que le nom de domaine seguin.com, déposé par l’hébergeur américain MailBank, qui l’utilise - comme d’autres patronymes - pour proposer aux internautes des adresses électroniques personnalisées : soit comme URL pour un site « prénom.nom.com » soit comme adresse e-mail « pré[email protected] ».

De même, les noms de domaine des futurs présidentiables ont fait l’objet de multiples dépôts. Xavier Schallebaum, ancien webmestre du site de l’Elysée, a déposé quasiment toutes les déclinaisons du nom de Jacques Chirac pour les rétrocéder ensuite au directeur de cabinet du Président de la République. Sauf un : Chirac2002.com, qui appartient à Olivier Monnot, rédacteur en chef du site gay.com, lequel n’a apparemment pas l’intention de s’en défaire.

La spéculation sur les noms de domaine liés au nom patronymique de candidats aux élections est devenue un tel souci pour les hommes politiques américains que l’on a récemment vu l’un d’entre eux, le sénateur du Michigan Spencer Abraham, présenter une proposition de loi sur ce sujet. Cette proposition vise à interdire le dépôt de noms de domaine incluant le nom patronymique de titulaires de mandats électifs ou de candidats déclarés et même de candidats potentiels à des élections, ainsi que l’utilisation de tels noms de domaine

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d’une manière qui perturbe le processus électoral ou affecte la capacité du public à accéder à une information exacte et fiable concernant ces personnes.

Voir www.senatorabraham.org/domain-names

Le piratage de sites et de messageries

Les modalités de piratage possibles sont aussi variées que l’imagination des pirates. Pour en donner quelques exemples :

- L’espionnage du courrier électronique. Cette mésaventure est arrivée à Francesc Quetglas, membre du gouvernement régional des Baléares, président de la commission régionale d’urbanisme et l’un des responsables du parti socialiste local. A la suite d’une anomalie dans le fonctionnement de sa messagerie, M. Quetglas s’est aperçu que, de février 1998 à juillet 1999, tous les messages électroniques qu’il recevait étaient redirigés en copie vers les boîtes aux lettres de ses adversaires, fidèles de Jaume Matas, président de la région et membre du parti populaire.

- Le filtrage des messageries. L’incident a cette fois été dénoncé au Pérou, à l’occasion de la campagne présidentielle de mars 2000, très contestée, qui a vu la réélection, suivie de la démission, du Président Fujimori. Les partisans du parti d’opposition Liberdad y Desarrollo se sont plaints d’un sabotage des serveurs de messagerie des grands fournisseurs d’accès qui, selon eux, auraient été manipulés afin de ne pas acheminer les messages contenant certains mots, et notamment le nom du parti « Liberdad y Desarrollo ». Il est difficile de vérifier l’exactitude de cette allégation, mais la manœuvre dénoncée est techniquement possible et cette seule possibilité ouvre un motif de soupçon sur l’équité des campagnes par Internet dès lors que le parti au pouvoir est susceptible d’exercer une influence sur le fonctionnement du réseau.

- Le détournement de pages. Deux exemples à ce titre. Tout d’abord la mésaventure de Pierre Lano, élu belge du Parti libéral flamand et candidat aux prochaines élections municipales à Courtrai : M. Lano avait installé une webcam dans son appartement, et les prises de vues de cette caméra étaient retransmises sur sa page web, hébergée par le Parti libéral flamand ; sauf qu’un jour le lien vers la webcam a été piraté par un plaisantin et remplacé par un lien vers un site pornographique américain. Autre exemple : le 7 novembre, pendant plusieurs heures, juste avant le commencement du scrutin présidentiel américain, la page d’accueil de l’un des principaux sites de la campagne républicaine www.gop.org a fait l’objet d’un piratage en règle : le texte habituel était remplacé par un message disant que George W. Bush « ferait un excellent président pour ces Etats [du Sud] où les gens sont plus bigots qu’honnêtes, préfèrent la haine à la tolérance, la peur à l’amour », appelait à voter pour Al Gore et redirigeait l’internaute vers le site de campagne de ce dernier.

Le harcèlement virtuel (spamming)

En ouvrant sur leurs sites des boîtes aux lettres, des forums de discussion ou des « chats », les partis s’exposent au risque du spamming, c’est-à-dire au risque de se voir submerger de

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messages par des individus ou des groupes de pression qui chercheront, par la masse de leurs interventions, soit à perturber la communication normale du parti concerné, soit à influer sur ses prises de position.

Le spamming est l’équivalent, dans le monde de la communication politique par Internet, des pétitions, des manifestations de rue ou des piquets de grève empêchant l’accès à un site ou une réunion publique. Il est assez facile à organiser ; on peut même dire que l’instrument pour ce faire participe de la panoplie de base de toutes les associations qui défendent leur cause un tant soit peu activement sur le web. Il suffit en effet d’afficher sur le site de l’association un modèle d’e-mail auquel les visiteurs n’ont qu’à ajouter leur adresse et signature, puis cliquer pour l’envoyer au(x) destinataire(s) prescrits par l’association. Plus il y a de trafic sur le site, plus nombreux sont les internautes qui enverront ainsi un message au destinataire que l’association se propose de harceler. On a vu ci-dessus, par exemple, les cas de www.VoteEnvironment.org et de www.MoveOn.org.

Au-delà des initiatives militantes coordonnées par des associations ou des groupes de pression, il y a aussi tous les sites qui, pour des raisons diverses, invitent les citoyens à entrer en contact avec leurs élus ou leurs candidats. On a également vu ci-dessus, à cet égard, le cas de www.talktogov.com.

Au final, un candidat, un élu ou un parti peut très bien se trouver confronté à une masse de courrier électronique ou de contributions sur son forum qu’il n’avait pas anticipée et/ou ne sait pas comment gérer. A titre indicatif, l’adresse électronique du président des Etats-Unis [email protected] reçoit jusqu’à 5.000 messages par semaine.

Dans le cadre d’une campagne électorale, où l’on cherche à séduire les électeurs, ne pas répondre, ou répondre par un message automatique qui manifeste clairement que le courrier adressé n’a pas été lu, est tout à fait contre-productif et peut avoir des effets ravageurs. C’est pourquoi, au-delà des initiatives politiques qui peuvent être prises pour canaliser le flux des messages (et notamment pour désamorcer un spamming organisé), des efforts importants ont été déployés au cours des derniers mois, par les organisations de campagne et par des prestataires de services informatiques, pour inventer des solutions techniques et organisationnelles de gestion des messageries.

Le résultat, ce sont généralement des logiciels de gestion du courrier entrant fondés sur une analyse linguistique du texte des messages. Le logiciel va ainsi classer automatiquement les messages entrant, le plus souvent selon leur thème et selon leur tonalité (positive ou négative). L’intérêt est double : d’une part produire une statistique thématique des messages reçus, permettant au destinataire de suivre l’évolution des préoccupations ou des souhaits de ses correspondants ; d’autre part, en rédigeant des modèles de réponses selon la typologie des messages reçus, organiser une réponse qui soit certes automatique mais quand même suffisamment ciblée et personnalisée pour satisfaire les correspondants. C’est par exemple le système « Smart Mail Plus » de TellThemNow.

Parodie, contestation, diffamation

Qu’ils soient à l’initiative d’individus isolés ou à celle des organisations de campagne elles-mêmes, les sites parodiques ou contestataires font pleinement partie du paysage de la communication politique sur Internet. C’est une grande nouveauté par rapport à la communication traditionnelle, où la création et la diffusion de l’information étaient trop coûteuses pour permettre une floraison de ce genre de foyers de contre-campagne.

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Les sites parodiques ont à la fois un aspect ludique et un aspect politique, visant à souligner par l’humour les défauts de l’adversaire. Les sites contestataires ont l’humour en moins ; leur vocation est de faire campagne contre un candidat. La différence entre les deux catégories n’est pas absolument tranchée et l’on glisse insensiblement de l’une à l’autre.

La récente campagne présidentielle américaine regorge d’exemples à ce titre : voir, par exemple, du côté anti-Bush les sites : www.IknowWhatYouDidInTexas.com, www.MillionairesForBush.com ou encore www.Bush-Cheney.net; et du côté des anti-Gore, les sites : www.GoreWillSayAnything.com, www.GoreReinventionConvention.com ou www.GoreLine.com.

La contestation à l’encontre d’un candidat peut prendre la forme d’un site, mais elle peut aussi s’appuyer sur la messagerie. Le marketing viral peut, de ce point de vue, fonctionner sur le mode négatif comme sur le mode positif.

La récente campagne électorale américaine fournit un exemple intéressant sur ce point. Le candidat à la primaire démocrate pour le poste de sénateur de l’Etat du Minnesota, Mike Ciresi, a fait l’objet d’une campagne d’e-mails négatifs non signés. Les recherches effectuées par le parquet ont montré que les messages avaient été envoyés à partir du compte d’accès personnel à Internet d’une certaine Christine Gunhus, directeur politique de l’équipe de campagne de l’adversaire de Mike Ciresi, le sénateur sortant Rod Grams. D’où un litige sur le point de savoir s’il fallait considérer cette campagne comme une initiative personnelle de Mme Gunhus, auquel cas les messages étaient licites, ou bien comme une initiative officielle de la campagne républicaine, auquel cas ils étaient illicites car, afin de prévenir les attaques politiques anonymes, la loi du Minnesota prévoit que l’ensemble des messages de campagne doivent être signés du nom du candidat ou du parti qui les initie.

En tout état de cause, la frontière est ténue entre la liberté d’expression, qui autorise chacun à exprimer son opinion, fût-elle critique, à l’égard d’un candidat, et la diffamation. La différence réside principalement dans le point de savoir si les faits qui sont allégués à l’encontre d’un candidat peuvent être démontrés. Selon que l’on se trouve dans l’un ou l’autre cas, la réplique d’une action judiciaire sera possible ou non.

En termes purement politiques cependant, le mal risque d’être fait avant que le litige soit tranché. C’est pourquoi, il est hautement souhaitable d’agir préventivement et, à cet égard, la recommandation unanime des stratèges de campagne est, sur Internet plus encore que dans la vie réelle : 1) assurer une veille permanente sur le web pour détecter le plus tôt possible les signes d’une attaque (sites Internet hostiles, listes de diffusion, forums de discussion, …) ; 2) combattre l’information négative (ou la désinformation) par un surcroît de transparence et de précision dans l’information délivrée par la campagne.

L’exigence d’un nouveau professionnalisme

La nouveauté et la subtilité des stratégies de campagne par Internet sont telles que la campagne présidentielle américaine 2000 a vu exploser une offre de services professionnels sur ce point.

Tout d’abord, les équipes de campagne des principaux candidats se sont adjoint des spécialistes, stratèges de leur campagne Internet. Le plus réputé d’entre eux, dont les accomplissements ont été unanimement considérés comme exemplaires, est Max Fose, qui à

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28 ans a été l’artisan des succès de John McCain, perdant honorable de la primaire républicaine. Comme lui, les principaux concepteurs des campagnes on line des élections présidentielle, législative ou sénatoriale 2000 se distinguent par leur jeune âge et leur capacité à apporter un regard neuf sur les stratégies de leurs candidats. Ce sont notamment : Mike Connell, 36 ans, auprès de George W. Bush ; Chris Casey, 34 ans, auprès d’Hillary Clinton pour la sénatoriale de New York ; Rob Arena, 26 ans, auprès du Republican National Committee ; Ben Green, 33 ans, auprès d’Al Gore. Avec eux, c’est clairement une nouvelle génération et une autre manière de faire de la politique qui arrivent sur le devant de la scène.

A l’extérieur des équipes de campagne, on a vu se constituer une offre de service très complète, avec principalement trois types d’acteurs :

- Des sociétés de conseil en stratégie de communication politique sur Internet. Aux Etats-Unis, à en juger par les réalisations de la récente campagne, les principales sont Politics Online (www.politicsonline.com), mindshare (www.mindshare.net), Campaign Solutions (www.e-campaignsolutions.com), e-advocates (www.e-advocates.com), VirtualSprockets (www.spacely.com) et Wired Strategies (www.wiredstrategies.com). En Alleamgne, une société s’est affirmée comme un acteur important dès la campagne 1998, au service du SPD : c’est Wisywyg (www.wisywyg.de).

- Des sociétés apportant des services spécialisés : par exemple eContributor pour la collecte de fonds on line (www.econtributor.com) ou encore Aristotle pour l’acquisition de fichiers d’adresses électroniques (www.aristotle.com).

- Enfin des sociétés offrant un service standardisé clé-en-main pour une somme modique. Par exemple, Campaign Zone (www.campaignzone.com) propose des web packages à partir de 375 dollars pour la mise en place et 175 dollars par mois pour l’hébergement et la maintenance. A ce prix, le candidat peut avoir un site avec page d’accueil, revue des principaux arguments de campagne, présentation du candidat, sondage en ligne, coordonnées pour entrer en contact et maintenance mensuelle comportant statistiques de fréquentation du site, mise à jour des pages et support technique. Pour 25 dollars de plus par mois, il peut bénéficier d’une newsletter électronique ; encore 5 dollars par mois et on ajoute un formulaire en ligne pour enregistrer les bénévoles ou les promesses de dons ; enfin encore 5 dollars mensuels de plus, et son site intégrera un bureau de presse virtuel, avec diffusion de communiqués.

Avec cette offre de services standardisés, la communication politique sur Internet entre d’ores et déjà dans une ère d’industrialisation et de diffusion de masse. Elle n’en est encore pourtant qu’à ses débuts et l’on voit parallèlement un effort considérable de la recherche universitaire en sciences politiques pour disséquer les moindres faits et gestes on line des candidats et des partis afin d’en évaluer les effets. En réalité, la pratique est à ce jour plutôt en avance sur la théorie.

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IV – Les conséquences sur la vie politique

L’émergence d’Internet comme outil de communication politique et d’organisation des militants est un phénomène encore récent, et il est trop tôt pour en mesurer toutes conséquences à moyen terme. Cependant, l’observation des premières expériences en ce domaine et le parallèle avec les mutations induites par l’e-business dans la gestion des entreprises ou leurs relations avec leurs clients suggèrent d’ores et déjà un certain nombre de pistes.

Internet peut-il faire gagner une élection ?

Voici la question la plus fréquemment posée, … et c’est bien sûr une question sans substance, car une victoire électorale ne saurait dépendre du seul emploi de tel ou tel instrument, ni même de telle ou telle stratégie de communication.

Ce que l’on peut dire tout de même, c’est que, dans le récent cycle électoral américain, le premier à faire un usage vraiment massif du web, Internet semble avoir fait la différence dans les scrutins les plus serrés. Une étude conjointe de Juno et e-advocates, publiée le 20 novembre, donne sur ce point les éléments suivants : sur l’ensemble des élections aux postes de sénateur ou de representative qui ont eu lieu le 7 novembre, il y a huit cas où, le scrutin étant très disputé, c’est un challenger qui l’a emporté sur le sortant. Dans six de ces huit cas, le challenger finalement vainqueur se distinguait par une stratégie Internet nettement supérieure à celle de son adversaire. Ces chiffres sont d’autant plus significatifs que, dans sept des huit cas évoqués, le challenger avait levé moins d’argent que son adversaire, pourtant perdant, pour financer sa campagne. Cette configuration où le moins fortuné l’emporte est tout à fait exceptionnelle aux Etats-Unis (à titre indicatif, seuls 7% des vainqueurs du récent cycle électoral, tous scrutins confondus, avaient moins d’argent que leur adversaire).

Pour voir l’étude complète : www.e-advocates.com/survey

En réalité, les campagnes par Internet ne s’adressent certes qu’à un petit segment de l’électorat : les jeunes d’une part, car la moyenne d’âge des internautes est sensiblement inférieure à celle de l’ensemble des électeurs ; les électeurs motivés d’autre part, qui seuls prennent la peine de réellement rechercher l’information ou participer à des débats. Dans les deux cas cependant, l’enjeu est fort : chez les jeunes car leur participation est traditionnellement faible et son accroissement est un facteur fort de renouveau de la démocratie ; chez les citoyens motivés aussi, car ils ont un rôle d’entraînement sur leur environnement proche.

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Un enjeu fort pour l’existence et la vie des partis

Au-delà de son influence directe sur le résultat des élections, à la faveur des efforts de campagne, Internet est sans doute également appelé à influer sur la vie politique à travers ses effets sur l’existence et sur la vie des partis.

Une opportunité d’émergence pour les petites formations

Internet offre une opportunité majeure aux petites organisations qui n’ont ni les moyens d’une présence géographique étendue, ni l’accès à une couverture presse satisfaisante. Via le web, et pourvu qu’ils aient un message articulé à délivrer, les petits partis ont une vraie chance d’exister et de se faire entendre. A tout le moins, ils ne souffrent pas sur ce plan d’un fort handicap de départ par rapport aux grands partis.

A titre d’exemple, en Allemagne, on peut voir une minuscule formation, le parti écologique démocratique (Ökologisch-Demokratische Partei), arborer un site Internet qui rivalise aisément avec celui des grands partis (SPD, CDU et FDP).

Voir www.oedp.de

S’il aide les petits partis, Internet peut-il aller jusqu’à permettre la création de « partis virtuels », c’est-à-dire de partis dont la formation et l’animation se feraient entièrement ou principalement par le web ? On a vu récemment plusieurs tentatives en ce sens, réussies ou non :

- Aux Etats-Unis Jesse Ventura, gouverneur du Minnesota, initialement élu du Reform Party, annonça le 11 février 2000 sa décision de quitter cette formation et de regrouper ses supporters sous le nom d’Independence Party. Il tente depuis lors de susciter l’émergence de partis affiliés dans d’autres Etats des Etats-Unis : cette tentative repose largement sur Internet avec un appel aux sympathisants des divers Etats à s’inscrire en ligne (« Sign up as a Friend of Jesse Ventura »), de manière à mettre en contact les personnes d’une même région pour qu’elles organisent localement un embryon de parti. Voir www.jesseventura.org

- En Allemagne, après une tentative avortée de créer via le web le « demokratische europäische partei für telekommunikation », un nouvel essai est encours au titre du Föderalistische Partei Deutschlands. Il est difficile à ce stade d’avoir des informations sur l’existence réelle du parti, le nombre de ses adhérents et le poids qu’il représente, mais son site existe bel et bien, avec professions de foi, appel aux adhésions, initiatives récentes, … Voir www.foedpd.de

Une autre gestion pour les grands partis : plus transparente, plus participative

Pour tirer pleinement profit d’Internet en période de campagne électorale, les partis sont ou seront contraints d’adopter des pratiques auxquelles ils n’étaient généralement pas habitués, avec notamment deux dimensions majeures : l’accessibilité de l’information et interactivité de la communication.

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Pourront-ils ensuite revenir en arrière ? Pourront-ils, une fois la campagne terminée, reprendre le pli d’un fonctionnement opaque et centralisé ? C’est peu probable, sauf à accepter l’idée de démotiver et de laisser partir les militants et sympathisants qu’ils avaient su associer à la campagne. On voit dès lors s’esquisser la perspective d’une nouvelle gouvernance des partis : plus transparente vis-à-vis du public extérieur, plus participative à l’intérieur.

Au chapitre de la transparence, le site www.GOP.gov fournit un bon exemple. Lancé en juin 2000, il est destiné à rendre compte de l’activité du groupe parlementaire républicain au Congrès. Plus des trois-quarts des représentants républicains y participaient dès son lancement. Le site affiche notamment la position du parti sur les divers sujets du débat public, les « voting records » des parlementaires et leurs diverses initiatives. Surtout, les internautes peuvent personnaliser leur navigation en vue de suivre les travaux d’un élu particulier ou bien les travaux de l’ensemble du groupe sur un sujet particulier.

Au chapitre du fonctionnement interne et de la participation, l’expérience du SPD allemand mérite une mention particulière. Dès 1995, alors que s’étaient manifestés au sein du parti un certain nombre de militants passionnés par les nouvelles technologies, l’un d’entre eux, Jörg Tauss, député au Bundestag, prit l’initiative de transformer ce réseau en un groupe de travail qui se donnait pour mission de réfléchir à l’impact politique, économique et social des technologies de la communication et s’obligeait à n’exister que via Internet. Ainsi naquit le « virtueller Ortsverein ». L’histoire des cinq premières années d’existence de ce groupe est riche d’enseignements, notamment sur trois points :

- Une grande difficulté à se faire reconnaître par les structures du parti et par ses membres les plus traditionnels, tant la conception classique de la politique demeure attachée à une appartenance territoriale.

La difficulté fut d’abord juridique. Le groupe s’était baptisé « virtueller Ortsverein » par analogie avec les « lokale Ortsvereine », qui constituent les composantes de base du parti. Afin de ne pas rester un simple cercle de discussion sans existence institutionnelle, il sollicita une reconnaissance officielle par les instances du parti. Mais les statuts du parti ne permirent pas une reconnaissance à l’égal des « Ortsvereine », faute d’ancrage géographique, et le groupe dut se contenter d’une étiquette de « Arbeitskreis beim Parteivorstand », c’est-à-dire « groupe de travail près la direction du parti », qui ne l’autorise ni à présenter des motions au congrès du parti ni à y envoyer des délégués.

A cette difficulté purement juridique s’ajoutait le scepticisme, voire l’ironie des membres du parti dont la culture politique est plus traditionnelle. Plusieurs d’entre eux y voient un gadget et ont publiquement fait connaître leur sentiment. Cf. par exemple cette déclaration d’un membre de la centrale du parti : « Ich halte so eine interaktive Parteiorganisation für lächerlich. Eine Partei sollte den Bürgern immer eine regionale oder lokale Anbindung geben. Man braucht einfach das gemeinsame Sprechen an einem Tisch »1.

- Un fonctionnement qui se voulait très ouvert et participatif, qui a connu des excès et qu’il a fallu réorganiser plus strictement que ne l’imaginaient ses créateurs.

Une anecdote, tout d’abord, pour en témoigner : deux parlementaires ont été, un moment, membres du « virtueller Ortsverein », Reinhard Weis et Manfred Hampel. L’un

1 « Je considère cette organisation interactive comme ridicule. Un parti devrait toujours donner aux citoyens un ancrage régional ou local. On a tout simplement besoin de parler ensemble autour d’une table. »

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et l’autre ont, après peu de temps, quitté le groupe car ils ne pouvaient plus faire face à la masse de courrier électronique (plusieurs centaines de messages par semaine) qu’ils recevaient de ses membres.

De manière plus générale, conforme à la culture du web, le groupe a fonctionné d’emblée par des discussions très ouvertes via des forums et des listes de diffusion. Ce mode de fonctionnement a rapidement rencontré trois problèmes. D’abord un problème quantitatif. Au fur et à mesure que le groupe a grossi, l’abondance des messages est devenue ingérable, poussant même certains à se retirer pour préserver un usage normal de leur messagerie. Il a fallu tout simplement arrêter les discussions générales, devant l’encombrement des boîtes aux lettres.

Ensuite s’est produit un incident qui remettait en cause la conduite même des débats. Une fraction d’ultra-gauche de la ligue des jeunes socialistes de Rhénanie-Westphalie s’est mise à accaparer la discussion par ses querelles et arguments internes, au point de décourager la participation des autres membres. Au demeurant, indépendamment des cas extrêmes, il est vite apparu que la discussion ne parvenait pas à prendre forme sans un certain nombre d’éléments traditionnels des débats réels : ordres du jour, assignation des temps de parole, …

Enfin, sur le plan qualitatif, les responsables du « virtueller Ortsverein » ont dû constater avec déception que le forum ouvert ne permettait pas de traiter la complexité de la plupart des débats politiques : d’abord parce que les contributions étaient de portée très inégale, n’autorisant pas un échange équilibré ; ensuite parce que, en l’absence d’un mécanisme de production de consensus ou de compromis, chacun en venait à se contenter d’exprimer son opinion, sans prendre la peine de s’intéresser aux autres contributions ni a fortiori de les discuter ou d’y répondre. Selon les termes du porte-parole du « virtueller Ortsverein » : « Am Anfang haben wir noch gedacht, es wäre wie eine Parlamentssitzung: 600 Leute hören zu, während einer redet. Die Praxis hat dann gezeigt, da es eher wie auf einem arabischen Basar zugeht, wo jeder rumschreit und keiner den anderen versteht.2 »

Finalement, le rêve d’un fonctionnement démocratique idéal a dû revenir à plus de réalisme. Le « virtueller Ortsverein » a renoncé aux discussions générales et ouvertes, remplacé le forum initial par des forums thématiques plus ciblés et mandaté des modérateurs qui contrôlent la mise en ligne des messages dans chacun des forums.

- En dépit de ces déconvenues, l’Internet est bien un vecteur de participation à la politique d’un public inhabituel. Parmi les 745 membres du « virtueller Ortsverein », 17% ne sont pas militants du parti : autrement dit, cette formule permet d’impliquer des sympathisants qui ne seraient pas disposés à s’affilier aux structures établies. Une cinquantaine des membres du groupe vivent à l’étranger, apportant au débat l’expérience d’un contexte différent. Enfin, les participants du « virtueller Ortsverein » sont sensiblement plus jeunes que les membres habituels du parti : leur moyenne d’âge est de 37 ans, avec 29% de membres de moins de 30 ans (contre 6% seulement pour l’ensemble du parti).

Ce point n’a pas échappé aux autres formations politiques qui, parties avec retard, surveillent maintenant avec intérêt l’expérience du « virtueller Ortsverein ». L’on a vu notamment le secrétaire général du FDP, Guido Westerwelle, évoquer le projet d’un

2 « Au début, nous avions pensé que ce serait comme une séance du parlement : 600 personnes écoutent pendant que l’une parle. La pratique a montré que cela se passe plutôt comme dans un bazar arabe, où chacun crie à la cantonade et personne ne comprend ce que dit l’autre. »

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Intranet du parti libéral, avec deux annonces fortes : d’une part la promesse d’une aide financière du parti à ses membres pour l’acquisition d’un modem ; d’autre part, à moyen terme, l’ouverture de groupes de travail virtuels et l’organisation de votes à distance sur les orientations du parti.

Voir www.vov.de

La transformation des relations entre citoyens et élus

La vie politique ne s’arrête pas à la fin des campagnes électorales, de même que la démocratie ne se limite pas à des scrutins périodiques. C’est pourquoi l’utilisation d’Internet dans les campagnes électorales, aux fins de gagner les élections, risque fort de déborder le projet de ses initiateurs et d’avoir des effets bien plus structurels sur le fonctionnement des démocraties représentatives.

De fait, le citoyen courtisé durant les campagnes, recevant de la part des candidats une attention bienveillante, une écoute attestée par l’interactivité de ses échanges avec eux sur leurs sites, ne comprendrait pas que ceux-ci, une fois élus, deviennent inaccessibles : que les règles du jeu changent du jour au lendemain ; que l’écoute, la personnalisation, et l’interactivité laissent la place au fonctionnement unilatéral traditionnel de l’administration.

C’est pourquoi, parmi bien d’autres facteurs jouant dans le même sens, l’émergence d’Internet dans les campagnes électorales et, plus largement, dans la vie des partis politiques contribuera inévitablement à l’évolution de l’Etat et des collectivités territoriales vers une démocratie plus participative.

Les premières manifestations en sont d’ores et déjà visibles dans plusieurs pays. On ne se lancera pas ici dans leur description complète, qui mérite un rapport ad hoc. Disons simplement que, dans la plupart des Etats, ce sont les assemblées parlementaires qui s’engagent le plus, avec une grande transparence de l’information, des forums de discussion voire, comme au Parlement écossais, une procédure de pétition on line. L’autre source majeure des initiatives de démocratie participative vient des collectivités territoriales, avec des conseils municipaux interactifs, des enquêtes publiques et toutes sortes de consultations en ligne.

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V – Une régulation encore balbutiante

La montée en puissance d’Internet comme média de communication politique et outil d’organisation des campagnes électorales pose en des termes nouveaux un certain nombre de questions traditionnelles de régulation de la communication politique.

En réalité, tout l’édifice de régulation traditionnel est pris à revers par Internet car il est bâti sur des principes que le web remet fondamentalement en question. Il suppose, par exemple, que les médias de la communication politique d’une part sont relativement peu nombreux, en sorte que l’on puisse les identifier et les vérifier un par un, en sorte aussi que l’on puisse tenter de gérer des équilibres entre eux. Rien de tel sur le web : les « émetteurs » de l’information sont innombrables et le seul équilibre que l’on puisse envisager est d’encourager leur prolifération, en espérant qu’ainsi la diversité des opinions trouve à s’exprimer.

La régulation traditionnelle suppose aussi que les médias font l’objet d’un contrôle centralisé : les journaux, stations de radio et chaînes de télévision ont un propriétaire et un rédacteur en chef ou directeur d’antenne, lesquels assument, chacun pour leur part, la responsabilité de ce qui se diffuse à travers leur canal. Ce principe s’applique difficilement au web. La responsabilité des hébergeurs eu égard aux propos échangés sur les forums qu’ils abritent, par exemple, relève plus de la fiction juridique que d’un vrai pouvoir de contrôle.

Il en résulte, jusqu’à présent, une grande hésitation des régulateurs entre deux options : d’une part appliquer à Internet les régulations existantes, notamment celles qui ont été conçues pour la diffusion audio-visuelle ; d’autre part laisser prospérer le discours politique sur le web, mais en naviguant à vue, sans cadre juridique réellement cohérent.

L’évaluation et le plafonnement des dépenses de campagne

L’un des domaines où ces hésitations sont flagrantes est celui de l’évaluation des dépenses de campagne.

Les dépenses de campagnes effectuées par les candidats à une élection sont, dans la plupart des pays, soigneusement contrôlées et, le cas échéant, soumises à un plafonnement. Pour que ces contrôles et les règles d’usage qui les accompagnent soient effectifs, il faut bien sûr que les dépenses de campagne puissent être identifiées et comptabilisées de la manière la plus fiable et exhaustive possible. Ce que l’on a vu jusqu’à présent des campagnes électorales via Internet pose, à cet égard, plusieurs problèmes.

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La valorisation des initiatives autonomes

Le propre du web, c’est que n’importe qui ou presque peut facilement créer un site, lequel sera potentiellement vu par des millions de personnes. Au cas d’espèce, n’importe quel citoyen peut avoir l’idée de créer un site affichant ses préférences pour un parti ou pour un candidat et ainsi faire campagne en sa faveur, et ceci sans que cette initiative ne réponde à une demande du candidat, souvent sans autorisation de sa part, voire à son insu.

La valeur d’un tel site, qui contribue indéniablement à la campagne du candidat, doit-elle être incluse dans ses comptes ?

Il existe sur ce point un début de doctrine aux Etats-Unis, la Federal Election Commission ayant eu à connaître d’un cas de ce genre. En 1998, un certain Leo Smith avait, de sa propre initiative, bâti un site qui soutenait la candidature au Congrès d’une candidate démocrate nommée Charlotte Koskoff. La FEC a jugé (Advisory Opinion 1998-22) :

- Que ce site était bien « une chose de valeur » (something of value) ;

- Que si la création de ce site était totalement indépendante de la volonté de Mme Koskoff, alors elle serait qualifiée de « dépense indépendante » (independent expenditure) et, en tant que telle, devrait faire l’objet de formalités de déclaration par M. Smith auprès de la FEC dès lors que le montant dépensé excédait 250 dollars par an ;

- Que si au contraire la création de ce site était associée à la campagne officielle de Mme Koskoff, alors elle devrait être déclarée au titre des comptes de campagne comme « contribution en nature » (in_kind contribution), sachant toutefois que les contributions individuelles sont limitées à 1.000 dollars par campagne.

Cette position a été extrêmement critiquée en raison de ses effets très malthusiens. Elle aboutit de fait à restreindre très fortement l’expression de soutiens indépendants puisque la barre des 250 dollars annuels est vite franchie et que les formalités déclaratives auxquelles il faut se soumettre lorsque l’on dépasse ce seuil sont d’une lourdeur rédhibitoire. Elle conduit aussi, logiquement, les candidats à dissuader leurs supporters de s’exprimer afin de ne pas risquer l’inclusion de leurs dépenses dans les comptes officiels de la campagne.

Si bien qu’à l’automne 1999 la FEC semble avoir amorcé un retour en arrière, en exonérant du régime qui vient d’être décrit les sites web créés par des bénévoles (volunteers) dûment répertoriés des équipes de campagne. Manifestement toutefois, la règle du jeu n’est pas encore stabilisée.

La valeur des liens hypertextes

Le même genre de débat s’applique aux liens hypertextes orientant les internautes vers le site d’un parti ou d’un candidat. Un tel lien constitue bien une aide pour le parti ou le candidat bénéficiaire puisqu’il permet, en principe, de créer du trafic supplémentaire sur le site de destination. On peut donc considérer qu’il s’apparente, en termes de fonctionnalités, à une bannière publicitaire.

Sur ce point aussi, la Federal Election Commission s’est déjà prononcée, d’abord dans un sens très restrictif puis, revenant quelque peu sur ses pas, d’une manière plus libérale. Le premier avis date de 1998. Un certain M. Dal La Manga, président d’une société nommée

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Tweezerman et candidat au Congrès, avait posté au bas de la page d’accueil du site de sa société un lien vers un site tiers, destiné à lever des fonds pour sa campagne. La FEC, saisie de l’affaire, jugea que ce lien était « une chose de valeur » et devait comme tel être intégré dans les comptes de campagne.

Même déluge de critiques que précédemment sur cette jurisprudence au motif : que les liens hypertextes sont le mode essentiel de navigation sur le web, et qu’un lien n’est pas forcément le signe d’un soutien. La FEC fit là encore machine arrière en 1999 (Advisory Opinion 1999-17) : elle considère désormais que des liens vers le site d’un candidat ne constituent pas une contribution devant être déclarée au titre des dépenses de campagne dès lors que l’entité qui établit le lien ne réclame pas de rémunération aux autres bénéficiaires de liens comparables. Au demeurant, les liens émanant de sites de presse échappent également au régime des « contributions de valeur ».

On notera d’ailleurs que cette problématique de la valeur des liens Internet et de leur inclusion ou non dans les comptes de campagne a d’ores et déjà émergé en France. En juin dernier, un site web avait été ouvert pour promouvoir une exposition d’art contemporain. L’une des œuvres figurant sur le site représentait Jean-Marc Ayrault, le maire de Nantes. Le titre de l’oeuvre, « Votez pour moi », avait été transformé en lien hypertexte vers le site de la mairie de Nantes. Sur ce, le directeur de la communication de la mairie de Nantes a demandé au responsable du site de bien vouloir supprimer ce lien, de peur qu’il ne puisse être considéré comme participant indirectement à la valorisation de M. Ayrault, futur candidat aux municipales de 2001.

L’évaluation de la logistique décentralisée

Un autre aspect des choses, qui n’a pas donné lieu à jurisprudence pour l’instant, est celui de l’inclusion dans les comptes de campagne des prestations logistiques décentralisées autorisées par Internet.

Le mieux est d’illustrer cette question par un cas d’école. On a vu ci-dessus l’exemple de la campagne Internet de John McCain, avec un message à ses sympathisants assignant un objectif de distribution de deux millions de tracts en une semaine. Si une entreprise avait imprimé ces deux millions de tracts, la dépense correspondante aurait été – en droit  - incluse dans les comptes de campagne : soit parce qu’elle aurait été rémunérée, soit parce qu’elle aurait été réintégrée dans les comptes comme prestation en nature. En revanche, si 20.000 internautes impriment chacun 100 tracts téléchargés sur le site web de la campagne, la dépense devient insaisissable.

Sans doute en va-t-il de même de l’aide en nature apportée par les bénévoles de l’organisation d’un parti, qui n’est aujourd’hui pas quantifiée et a fortiori pas intégrée dans les comptes de campagne. Mais ce qui change, ce sont d’une part les proportions, car l’aide logistique potentiellement décentralisée par le biais du web est susceptible d’aller bien au-delà de ce que l’on connaissait auparavant ; d’autre part le fait que, pour le présent et le proche avenir du moins, la plupart des internautes se branchent sur Internet en utilisant leur poste et leur accès professionnels. Cela veut dire deux choses :

- la prestation logistique effectuée par des internautes qui impriment des tracts (dans l’exemple retenu) est en réalité majoritairement aux frais des entreprises ;

- on peut même dire qu’elle est, au moins par défaut, sous le contrôle des entreprises. En effet, on a vu aux Etats-Unis des entreprises encourager leurs employés à faire

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des dons de campagne à des candidats, les dons étant compensés par des primes équivalentes ; on a vu aussi des entreprises mettre en place des filtres, permettant de sélectionner les sites auxquels les employés pourraient se connecter via leur accès Internet professionnel. L’entreprise, selon sa politique d’accès à Internet pour ses employés, peut donc encourager, ne pas interdire ou interdire la participation de ses salariés à des efforts de campagne virtuels.

Ces questions n’ont pas encore été posées. Elles le seront sans doute un jour, sauf à ce que l’accès à Internet bascule rapidement vers un usage majoritairement domestique.

Convergence des médias et régulation de la communication politique sur Internet

Au-delà des aspects financiers, la communication politique fait l’objet d’autres régulations, sur le contenu de ce qui peut être dit, sur l’équilibrage de l’information entre les partis, etc. Deux points s’avèrent particulièrement délicats eu égard à l’Internet.

Le statut de la presse

La presse, qu’elle soit écrite ou audiovisuelle, bénéficie dans la plupart des pays d’un statut particulier en matière de régulation de la communication politique. Au titre de la liberté de l’information, elle jouit souvent d’une latitude plus grande que d’autres supports. Le problème, c’est que sur Internet il est parfois difficile de faire la distinction entre sites de presse et autres sites, les uns et les autres accomplissant une même mission de diffusion d’information.

Cela a pu donner lieu, aux Etats-Unis, à des jurisprudences étranges. Ainsi du contraste entre les avis rendus au titre des deux affaires suivantes. Première affaire (Advisory Opinion 1996-2) : en 1996, le fournisseur d’accès CompuServe conçut l’idée d’offrir gratuitement des sites web et des comptes d’accès à Internet à tous les candidats au cycle d’élections fédérales concomitant à l’élection présidentielle, quelle que soit leur appartenance politique. Cette pratique n’était pas exceptionnelle puisque l’entreprise fournissait déjà largement des accès gratuits à des journalistes, des écoles et à toutes sortes d’associations. Cependant, la FEC jugea que ces mises à disposition gratuites s’apparentaient à des contributions de campagnes, lesquelles sont interdites aux Etats-Unis lorsqu’elles émanent d’entreprises (seules les donations de personnes physiques sont autorisées). Cette décision était d’autant plus frappante que la commission avait permis, peu de temps auparavant, à une chaîne de télévision câblée d’offrir du temps d’antenne gratuit aux candidats : autorisation accordée au motif que la chaîne de télévision relevait du régime spécial des médias d’information.

La deuxième affaire marquante à cet égard date également de 1996 (Advisory Opinion 1996-16). La société de diffusion d’information financière Bloomberg avait demandé l’avis de la FEC sur son projet de conduire sur son site web des forums de discussion avec les candidats ; les forums seraient modérés par des journalistes, puis retransmis sur Bloomberg Television. La FEC donna son accord à Bloomberg et justifia cette position en disant que les affaires Bloomberg et CompuServe différaient dans la mesure où, chez Bloomerg, « means of presentation [are to be] controlled by a press entity ».

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La convergence de la télévision et du web

En raison du caractère de masse de ce média, la communication politique à la télévision fait l’objet de contrôles plus stricts qu’ailleurs, notamment, en France, en matière de mesure des temps de parole accordés aux diverses parties à un scrutin. La convergence déjà fortement engagée entre la télévision et l’Internet amène inévitablement à s’interroger sur le maintien de règles inchangées.

Concrètement la convergence, dans l’univers de la communication politique, peut prendre plusieurs formes :

- La webTV. Encore anecdotique dans la plupart des pays en l’absence d’un accès généralisé à l’Internet large bande, la webTV politique a vu sa première expression en Corée du Sud, en vue des élections générales du 13 avril dernier. Dans l’espoir de toucher les électeurs les plus jeunes, le Millenium Democratic Party a ouvert une webTV interactive, diffusant 24h/24 avec, en guise d’animatrice vedette, un personnage virtuel nommée Minju (dont le nom signifie « Démocratie » en coréen).

- L’affichage de séquences vidéo en téléchargement sur les sites web (technologie pull). Voir par exemple, aux Etats-Unis, l’initiative du parti républicain qui, ayant créé une chaîne câblée pour les besoins de la campagne, baptisée GOPTV, en propose des extraits en téléchargement sur le site du Republican National Congress

Voir www.rnc.org/videos/

- La diffusion de vidéo par messagerie (technologie push). La pratique la plus notable a été celle de Steve Forbes, candidat malheureux à la primaire républicaine, avec la diffusion par e-mail de « webmercials » ou « e-commercials », en l’espèce un film de 30 secondes où l’on voit et entend le candidat expliquer ses propositions de réforme fiscale.

Voir www.ecommercial.com/demo/function.asp?FunctionID=7&demoID=37

- La télévision numérique interactive, dont on n’a pas encore vu d’application en grandeur nature, mais qui se prépare manifestement pour demain.

Face à ces nouveaux développements, les régulateurs ont une double question à trancher : d’une part la régulation traditionnelle de la communication politique audiovisuelle, qui s’applique à la diffusion par voie hertzienne, par câble et par satellite, peut-elle/doit-elle rester inchangée ? D’autre part la communication audiovisuelle via Internet relève-t-elle d’une régulation différente et si oui laquelle ?

La régulation de l’usage des fichiers d’adresses électroniques

Dernier point sur lequel la régulation, encore mal établie, sera d’une importance cruciale  : l’utilisation des fichiers d’adresses électroniques.

On a vu que, parmi les diverses fonctionnalités du web, la plus puissante en termes d’efficacité politique est la messagerie, tout spécialement avec des mailing lists amplifiées

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par une diffusion virale des messages. D’où l’enjeu de l’acquisition des listes d’adresses électroniques et des conditions de leur utilisation. En cette matière également, l’on voit poindre deux sujets spécialement sensibles :

L’utilisation des fichiers institutionnels

Au fur et à mesure que les collectivités publiques développeront l’usage du « web citoyen », c’est-à-dire encourageront les citoyens à interagir avec elles via Internet (forums de discussion, télé-procédures, consultations on line, …), elles vont inévitablement développer, pour peu qu’elles soient un peu organisées, des bases d’adresses électroniques très finement qualifiées. Chaque adresse pourra en effet être assortie d’informations retraçant, selon les transactions de l’internaute avec la collectivité concernée, ses domaines d’intérêt, sa situation personnelle, familiale ou professionnelle, …

Ces fichiers pourront-ils être utilisés par un élu dans le cadre d’une campagne pour sa réélection ?

Si tel est le cas, cela constituera un avantage énorme donné au candidat sortant, par rapport à ses rivaux, pour piloter sa campagne « virtuelle ». Si tel ne doit pas être le cas, alors reste à préciser comment l’on entend faire effectivement respecter cette interdiction : concrètement, comment faire en sorte qu’un maire, candidat à sa propre succession, ne puisse utiliser le fichier des internautes qui ont été en relation avec sa commune durant son mandat ? Imagine-t-on le secrétaire de mairie, choisi par le maire et dont la carrière dépend largement de sa réélection, s’opposer à la transmission d’un tel fichier ?

Ou bien alors, partant du constat qu’il sera difficile, dans la pratique, d’interdire l’utilisation du fichier par le candidat sortant, faut-il édicter la règle inverse : c’est-à-dire que le fichier, loin d’être confidentiel, soit communiqué à toutes les parties à l’élection ? Ou encore faut-il laisser aux internautes le soin de décider s’ils acceptent que leur adresse soit incluse dans les fichiers de la commune et donc potentiellement utilisée, par la suite, à des fins électorales : à défaut de leur acceptation explicite, la commune serait tenue de ne pas archiver leur adresse ?

Au demeurant, au-delà des fichiers institutionnels stricto sensu (c’est-à-dire les fichiers d’internautes qui se sont adressés à la collectivité publique en tant que personne morale), quel sort fait-on aux fichiers qui seraient constitués par un élu au titre d’un mandat institutionnel, mais sur son nom propre ? Par exemple, si un maire affiche une messagerie à son nom propre sur le site de sa commune, les messages (et adresses) collectés par ce biais seront-ils considérés propriété de la commune ou du maire intuitu personae ?

Ces questions ne sont, pour l’instant, absolument pas réglées. On voit seulement émerger, parmi les spécialistes de sciences politiques, des débats de plus en plus pressants à leur sujet, avec le souci qu’Internet, qui est par ailleurs plutôt un outil de renouveau de la vie politique, ne vienne pas par cet aspect précis de son utilisation renforcer l’avantage des incumbents sur les challengers des combats électoraux.

La protection des données personnelles

L’autre question majeure posée par l’utilisation des fichiers d’adresses électroniques est celle du fichage des opinions politiques.

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Très clairement, si les internautes ont la moindre crainte que l’adresse qu’ils communiquent à un site web de campagne puisse être utilisée à des fins autres que la seule gestion de la mailing list à laquelle ils s’abonnent, être communiquée voire revendue à des tiers, leur réaction immédiate sera de ne pas s’abonner. Ce qui ruine d’emblée toute perspective d’une vraie campagne par Internet.

Aux Etats-Unis, où les questions de protection des données personnelles sont considérées de manière plus libérale qu’en Europe, la réponse apportée à cette préoccupation est généralement l’affichage d’une « privacy policy » sur les sites, à l’initiative de leurs éditeurs. Les déclarations de « privacy policy » comportent généralement : d’une part des engagements sur les conditions d’usage et de non-communication des informations personnelles enregistrées par les internautes (noms, adresses, numéros de téléphone, réponses à des sondages, …) ; d’autre part une information très précise sur les éléments collectés automatiquement par le site et leur utilisation (cookies ; « tags » ou marqueurs pour gérer les votes en ligne en évitant notamment qu’un même internaute vote plusieurs fois  ; statistiques sur les connexions ou « logs »).

Voir par exemple http://www.rnc.org/2000/privacy

En Europe, il est possible que les régulateurs souhaitent promouvoir une approche plus stricte et d’ordre public, plutôt que de laisser la déontologie à l’initiative des éditeurs de sites : soit un renversement de la charge de la preuve (les adresses personnelles, par exemple, seraient réputées non communicables, sauf acceptation expresse des internautes), soit même une interdiction frappant la cession de fichiers d’adresses constitués sur des sites politiques.

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Conclusion

L’émergence d’Internet comme outil de communication politique, consacrée par les campagnes électorales du récent cycle d’élections américaines, est manifestement un phénomène que l’on verra à l’œuvre en France à la faveur des prochaines échéances municipales, en 2001, ou législatives et présidentielle, en 2002.

Il y a là un effet de mode, c’est évident, mais il serait dommage que ce ne soit que cela. Car bien sûr la technologie ne suffira pas, à elle seule, à redonner du souffle à la vie politique ; pour autant, dans un climat où les uns et les autres cherchent manifestement à sortir d’un certain désenchantement du débat politique, à ressusciter un certain engagement citoyen, la technologie offre des outils de renouveau considérables : des outils pour une information plus précise et plus transparente ; des outils pour un débat plus ouvert au sein des partis d’une part et entre les élus et les citoyens d’autre part ; des outils pour une démocratie plus participative.

La balle est maintenant dans le camp des candidats et de leurs partis, qui prendront ou non l’initiative, et des autorités de régulation, qui créeront ou non un cadre favorable. Les mois qui viennent nous en diront plus à cet égard.

Le grand rendez-vous sera ensuite en 2004 où l’élection au Parlement européen, qui se déroulera simultanément dans tous les Etats membres de l’Union, donnera une occasion unique de mesurer de manière comparative le degré de maturité atteint par chaque pays dans l’utilisation politique du web.

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