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PatrickLapalu

LeCuirassierTome1-Delagloireaudésastre

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©PatrickLapalu,2020

ISBNnumérique:979-10-262-3683-2

Courriel:[email protected]

Internet:www.librinova.com

LeCodedelapropriétéintellectuelleinterditlescopiesoureproductionsdestinéesàuneutilisationcollective.Toutereprésentationoureproductionintégraleoupartiellefaiteparquelqueprocédéquecesoit,sansleconsentementdel’auteuroudesesayantscause,estilliciteetconstitueunecontrefaçonsanctionnéeparlesarticlesL335-2etsuivantsduCodedelapropriétéintellectuelle.

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«CettechargedésespéréefitungrandhonneuraugénéralDoumercetàsescuirassiers.C’estunbienbeaufaitd’armes,et,engénéral,toutel’affairefutglorieusepourlesFrançais,quiétaientennombretrèsinférieurànous.»

LeComtedeLangeron,généralfrançaisauservicedelaRussie,

témoindelachargedescuirassiersàLaBérézina.

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L’auteur tientàrenouvelersavivereconnaissanceàsesamisSylvieVidalet

EricBertrandpourleursaidesqu’ilsontprodiguéespendantl’élaborationdecevolume.

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Pèlerinage—VousêtesàLods,Madame!Commevousmel’avezdemandé.Lecocherouvrelaportedelaberlinepuisaideunepassagèreàdescendreavec

prudence.—Mercibeaucoup,monsieur,dit-elleavecunaccentgermanique.C’estunedameâgée,coifféed’unbonnetornédedentelleetmaintenusparde

larges rubans masquant le cou. Ses cheveux grisonnants, plaqués de part etd’autre du front, sont soigneusement retenus par la coiffe. Sous un châle, elleporteuncorsageetunecrinolinedebellefacture,révélantsonappartenanceàunmilieuaisé.Elle contemple l’étroite place entourée de solides maisons en pierre et

dominée par unemodeste église, dont la façade présente une tour, surmontéed’unclocher,ainsiquedeuxbas-côtéscouronnésdefrontonsarqués.Ladéclivitédelapetiteplacesoulignel’emplacementduvillagesurunflancdecoteauxquienserrentlarivièredelaLoue.Bienquel’onsoitenété,letempsestnuageux,conférantàcelieuunaspect

peuavenant.D’ailleurs,surlaroute, lavoyageuseaeul’occasiondepercevoirdelégersnuagessefaufilantentrelesfalaisesquidominentlavallée.—Dommagequ’ilnefassepasbeau,dit-elleenallemandàsoncompagnon

devoyage,unhommeâgéd’unequarantained’années.Grand et corpulent, il porte un veston et un pantalon à carreaux. Sa figure,

encadréedefavoris,estsurmontéed’unchapeaumelonàcalottebasse.—En effet,Mère. Je pense que vous ne comptez pas y rester longtemps, à

causeducielquiannonceunorage.D’ailleurs, jen’ai jamaisvuunpaysaussisinistre!— On dit que c’est ici que vit une femme-serpent qui inspire l’effroi aux

habitants.—Ah?Commentlesavez-vous?— L’homme que nous allons voir, m’a souvent parlé de son pays et de la

Vouivre,lafemme-serpent.Beaucoupdegenslacraignentici.—Ach!D’accord…Etvoustenezvraimentàlerencontrer?—Monfils, tuconnaismonâgemaisDieum’aaccordé forceet santépour

venir jusqu’ici. J’ai la ferme intention de retrouver celui qui a marqué majeunesseetquiasisouventoccupémapensée.Pour marquer sa détermination, elle frappe le sol de son ombrelle, puis

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s’adresseenfrançaisaucocher:—Monsieur,auriez-vousl’obligeancedenousattendreici?Letempsqueje

fasseletourduvillage?—Commevousvoudrez,madame.Jesuisàvotredisposition.Elleleremercieetsemetàchercherduregardunvillageoisquipuissel’aider

danssaquête.Elleenaviseun,âgé,assissurunbancdepierre,entouréd’uneribambelle d’enfants. Il est coiffé d’un chapeau haut de forme déformé parl’usageethabilléd’uneredingoteuséemaispropre.Malgrésestraitsburinés,sesvêtementsdebourgeoisdévoilentqu’iln’ariend’unpaysan.Autreparticularité,bien qu’il soit assis, une jambe se tient raide, comme sa canne sur laquelles’appuientsesmainsosseuses.Elles’approchedelui,ens’inclinant:—Pardonmonsieur,pourriez-vousmedireoùhabiteBinétruy?Levieuxvillageoissursauteetladévisagedesonregardduretperçant.—Binétruy?faitl’homme.DequelBinétruyparlez-vous,Madame?Ellehésite,impressionnéeparcettequestionabrupte.—Voyez-vous,madame,reprend-ilcommepours’excuser,ilyenabeaucoup

danscevillage.— Je rechercheHeinrich, pardon ! Henry Binétruy. Je crois qu’il s’appelle

mêmeClaudeHenry…—ClaudeHenryBinétruy?Lecuirassier?—Oui,monsieur!Lecuirassier!Soudainementlavieilledameseredresse,l’œilbrillant,unsourireilluminant

sonvisage.Auxyeuxdesonfilssurprisparcettemétamorphose,ellerajeunit.—Lecuirassier,marmonnelevieillard.Unsacrépersonnage!—Est-ilencorelà?Oùest-il?demande-t-elle,pleined’espoir.—Vousavezl’airdebienleconnaître,madame.Aprèsuncourtsilence,ellerépond,songeuse:—Oui,monsieur,jel’aiconnu,ilyalongtemps…silongtemps.—Madame,jesuisnavrédevousapprendre…qu’ilestmort.—Oh!Quelmalheur!Interloquée,ellechancelle.Lefilssaisitlebrasdesamèreetsepenche:—Voulez-vousquejevousramèneàlavoiture,Mère?—Non,monfils.Pasencore.Elles’adresseànouveauauvieillard:—Est-ilenterrédanslecimetièredevotrevillage?—Oui,madame.Parlà!Desacanne,illuidésignelaruelleparoùestpasséelaberline.

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—Ilfautrevenirsursespas?murmurel’Allemande.—C’estcela.LaGabriellevavousymener.—Mercibeaucoupdevotreaide,monsieur…monsieur?—Obert!Àvotreservice,madame!Ilsoulèvesonchapeaupuisappelle laplusgrandefillede labande.Dans le

patoislocal,illuidonnel’ordredeconduirelecoupleverslecimetière.Lafilleacquiesceets’adresseàladameâgée:—Vousvousenvenez

1?M’dame!

Prestement, elle court, accompagnéepar toute lamarmailleet suiviede loinparlavieilledamequimarched’unpasalerte,savigueurretrouvée,etparsonfils.Ilsrepassentparlaruellepuis,arrivésàunelonguerue-appeléelaPlace-,ilsbifurquentàdroitepouremprunterlavoieparlaquellelaberlineestpassée.Àlasortieduvillage,elleremarque lecimetièrequ’ellen’apointaperçuen

arrivant,franchitl’entréeetsedirigeverslafilleentouréedesenfants.—C’estlà!fait-elle,enluimontrantunepierretombale,ornéed’unecroix.Ladames’approchedel’emplacement,émue,puismurmure,lavoixbrisée:—Oh!MeinGott!Surlaplaqueestgravéel’inscription:«ClaudeHenryBinétruy,1789-1857»—Jesuisarrivéetroptard!J’auraistantaimélerevoir!L’émotiondevienttropforte.Ellemetlamaingauche,gantéedenoir,devant

saboucheetfondenlarme,sansretenue.Surpris,lesenfantsn’ontjamaisvuunadultepleureravecautantdeforce,mêmechezunedameâgée.Sonfilslaprenddoucementpourlafaireasseoirsurunbancquifaitfaceàlapierretombale,del’autrecôtédel’allée.Ellepleurelonguement,soncorpssecouédeconvulsions,necessantdesetamponnerlesyeuxavecunmouchoirsortidesonsac.Sitôtcalmée,elleresteprostrée,lesyeuxclos,lesdoigtscroisés.Malgréson

inquiétude,sonfilsgardelesilence.Subitementelleseredresseetrevientverslatombed’unpasvif.Sanspleurercettefois-ci.Elleresteainsi,droite,immobile,lesmainsjointesappuyéessursonombrelle,leregardrivésurl’inscription.Les enfants sont partis. Le ciel s’assombrit, de lointains grondements

résonnent dans le fond de la vallée encaissée, le vent se lève. Troublé, le filss’approched’elle,encoretétaniséedevantlatombedumystérieuxcuirassier.—Mère,ilesttempsderentrer.L’oragevabientôtéclater.—Encoreuninstant,jeteprie.Elle fait lentement un signe de croix, se penche, pose samain sur la pierre

tombaleetlacaresse.Ellemurmuredesproposquelefilsnepeutcomprendre,

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seredressepéniblementàl’aidedesonombrelleetsedirigeverslasortie,sansmotdire.Revenue devant l’église où attendent le cocher et la berline, elle revoit les

enfantsmaisneretrouvepluslevieillard.Iladisparu.— Dommage, se dit-elle. J’aurais aimé me présenter et lui poser des

questions.Elleseretourneverssonfils:—Ilatoutd’unancienmilitaire.Tunetrouvespas?—Encore un soldat deNapoléon. Je diraismêmeque c’était un officier.À

voirlafaçondontilparleàlafille.—Cequejepense,monfils.Elles’inclinedevantlesenfants:—Merciàvoustous!Plus tard, la voiture les mène à Ornans, vers l’hôtel où ils ont loué des

chambres.Legrondementd’orages’amplifie.—Maintenant,Mère,dit le fils,pourriez-vousmedirequi est cethomme?

NousavonsquittéZwickhauetDresde…— Ah ! Dresde ! Quelle folie avons-nous faite là-bas ! fait-elle, les yeux

fermés,avecunpetitrire.—Plaît-il?—Continue,monfils,continue.—Bref,nousavonsquitténotrepayspourvisiterParis,sesmonumentsetses

muséesavecmafemmeetmesenfants.Jenecomprendstoujourspaspourquoivous tenez absolument à venir ici. Dans ce trou perdu et lugubre ! Vous nem’avez jamais expliqué la raison de ce déplacement qui nous a valu bien desembarrasetdesinconforts!—Tuvascomprendre,monfils.Unbrefsilence,ellereprend,undiscretsourireauxlèvres:—Désormais,jemesensapaisée.J’espèrelerejoindrebientôt.—Quevoulez-vousdire?Intrigué,ill’observeavecintensité.Bienquesatêtedodelinesouslescahots

de la route, les traitsde samère sontdétendus, sesyeux ferméset sonsourireénigmatique. Quand elle les ouvre, elle semble irradiée de bonheur. Ellecontempleparlafenêtrelesfalaisesquidéfilent,puisellesortsubitementdesonsacunepetitepochetterectangulaireentissubrodé.Ellel’ouvredélicatementetlatendàsonfils:—Regarde!

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Par l’ouverture, il découvre, étonné, des fleurs desséchées et aplaties, d’unefragilitéextrême.Samèremurmure,sonregardhumide:—Cesontlesfleursqu’ilm’aoffertesàDresde,avantsondépartàlaguerre...

Jelesgardetoujourssurmoi!Lapochette refermée,elle la remetdans sonsac.Elleenextrait ensuiteune

enveloppe en cuir fin, contenant une feuille de papier qu’elle dépliesoigneusement.—Veux-tubienmelalireàhautevoix?Illasaisitetsemetàparcourirlalettre.Ilsursaute:—Maisc’estécritenfrançais!— Bien sûr que c’est en français. Tu connais cette langue, comme je la

connais.Lis, je t’écoute.Cette lettremeresteenmémoiremais jeneme lassepasdelalireetlarelire.Ils’exécute,lentementàcausedelasecoussedelaberlineetaussidesfautes

d’orthographequ’ildoitdéchiffrer.Finalement,illitàhautevoix:—MatrèschèreHilda.Jamaisjen’oublierailesdélicieuxmomentsquenous

avons passés ensemble en cette année. En tant que homme de guerre, j’aiparcourubiendespays, j’aifaitdesgrandeschosesmaisj’aiaussisouffert.Tusaistoutcelamaisjetiensàtedirequej’aiconnudessentimentstrèsfortsquejesuis incapablededécrire.Comme lebonheurd’avoir été simplement avec toi.Soiscertainequelesouvenirdetoimemarqueraàjamais,jusqu’àlafindemesjours.Jeteremercieencoreettoujourspourleréconfortquetum’asapporté.Jet’embrasse.TonHeinrich.L’hommelèvesesyeuxetfixesamère:—Quecelasignifie-t-il?Serait-cel’hommeenterrédanscevillage?Ellesecontentedemurmurer,sonregardperdudansunlointainpassé:— Mon fils, je ne t’ai jamais divulgué, comme à tes frères et sœurs, un

bonheur que j’ai connu dansmon jeune âge. Il a bouleverséma vie. Le rang,l’éducation,lareligionm’ontinterditd’enparleràquiquecesoit.Maintenant,mavie est derrièremoi.Tues l’aîné et, tantque tel, je souhaitepartagermonsecretavectoi.Tuferascequetuvoudras.

Unsilence,ellereprend:—Cethomme,vois-tu,étaitmonpremieramour…