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17/03/13 23:43 Paysage sonore : une manière sensorielle de cartographier les lieux — EducTice Page 1 sur 11 http://eductice.ens-lyon.fr/EducTice/recherche/geomatique/actualite…paysage-sonore-une-maniere-sensorielle-de-cartographier-les-lieux/ Paysage sonore : une manière sensorielle de cartographier les lieux « Un art de l’espace. […] Découvrir l’espace, penser l’espace, rêver l’espace, créer l’espace… Une pédagogie nouvelle pour un espace vécu doit prendre en compte ces quatre exigences» Armand Frémont, La région, espace vécu Imaginer prendre le tramway en pleine journée et, au moment de monter dans la rame, vous rendre compte qu’il y a là une classe d’une vingtaine d’enfants de 7 à 8 ans : l’appréhension monte, votre transport risque de ne pas être reposant. Et là, surprise, le silence règne, seuls des jeux de regards et de sourires communiquent: mais qu’ont ces élèves ? Ils sont en train de recueillir des sons et se constituer une palette de captations pour peindre leur ville ensuite ; ils sont passés hors des murs de l’école pour arpenter Roubaix dans toutes ses dimensions : historique, culturelle, institutionnelle, mobile... Ces élèves participent ainsi à la construction de leur apprentissage en géographie sur les espaces urbains, avec le leur en référence. Car comment permettre à des élèves de primaire d’entrer dans la réflexion sur les espaces urbains quand ils n’ont pas encore le vécu nécessaire pour en structurer la complexité? Comment les engager dans une réflexion géographique qui puisse les éveiller à une manière propre de faire avec l’espace ? Voilà l’enjeu qui a initié le projet de paysage sonore que nous avons mené dans une classe de ce1/ce2 de l’école Michelet de Roubaix en 2010/2012. Ce projet a été soutenu par la municipalité de Roubaix, ville d’Art et Histoire, qui l’a financé en tant que projet culturel. Il s’est déroulé en trois temps : 1. d’octobre à février : les captations sonores 2. de février à mars : la composition sonore 3. de mars à juillet : la structuration des connaissances et la représentation cartographique/ restitution du projet Une classe à double niveau, écartelée sur deux cycles implique une difficulté supplémentaire : celle de devoir gérer les apprentissages d’élèves de ce1 qui ne sont pas encore officiellement dans la géographie mais dans la structuration de l’espace familier, et d’élèves de ce2 qui entrent en géographie et doivent structurer des connaissances approfondies sur les espaces urbains. L’entrée par le paysage offre ainsi une ouverture assez large pour intégrer tous les élèves. Pourquoi alors ne pas se contenter d’images, d’un reportage photographique, de lectures documentaires ? Saturés d’images dans leur vie quotidienne, les élèves peuvent avoir du mal à la déconstruire, ne

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Paysage sonore : une manière sensorielle decartographier les lieux« Un art de l’espace.

[…] Découvrir l’espace, penser l’espace, rêver l’espace, créer l’espace… Une pédagogie nouvellepour un espace vécu doit prendre en compte ces quatre exigences»

Armand Frémont, La région, espace vécu

Imaginer prendre le tramway en pleine journée et, au moment de monter dans la rame, vous rendrecompte qu’il y a là une classe d’une vingtaine d’enfants de 7 à 8 ans : l’appréhension monte, votretransport risque de ne pas être reposant. Et là, surprise, le silence règne, seuls des jeux de regards etde sourires communiquent: mais qu’ont ces élèves ?

Ils sont en train de recueillir des sons et se constituer une palette de captations pour peindre leurville ensuite ; ils sont passés hors des murs de l’école pour arpenter Roubaix dans toutes sesdimensions : historique, culturelle, institutionnelle, mobile... Ces élèves participent ainsi à laconstruction de leur apprentissage en géographie sur les espaces urbains, avec le leur en référence.

Car comment permettre à des élèves de primaire d’entrer dans la réflexion sur les espaces urbainsquand ils n’ont pas encore le vécu nécessaire pour en structurer la complexité? Comment les engagerdans une réflexion géographique qui puisse les éveiller à une manière propre de faire avec l’espace ?

Voilà l’enjeu qui a initié le projet de paysage sonore que nous avons mené dans une classe dece1/ce2 de l’école Michelet de Roubaix en 2010/2012. Ce projet a été soutenu par la municipalitéde Roubaix, ville d’Art et Histoire, qui l’a financé en tant que projet culturel. Il s’est déroulé en troistemps :

1. d’octobre à février : les captations sonores

2. de février à mars : la composition sonore

3. de mars à juillet : la structuration des connaissances et la représentation cartographique/restitution du projet

Une classe à double niveau, écartelée sur deux cycles implique une difficultésupplémentaire : celle de devoir gérer les apprentissages d’élèves de ce1 qui ne sont pas encoreofficiellement dans la géographie mais dans la structuration de l’espace familier, et d’élèves de ce2 quientrent en géographie et doivent structurer des connaissances approfondies sur les espaces urbains.L’entrée par le paysage offre ainsi une ouverture assez large pour intégrer tous les élèves. Pourquoialors ne pas se contenter d’images, d’un reportage photographique, de lectures documentaires ?

Saturés d’images dans leur vie quotidienne, les élèves peuvent avoir du mal à la déconstruire, ne

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percevoir que la surface et le choix de l’iconographie par le maître peut parfois trop induire laconstruction des apprentissages. La dimension sonore s’est ainsi dévoilée comme une manièresensorielle différente de s’approprier la ville.

Être à l’écoute des lieux pour construire un paysage a ainsi été une tentative de cartographiesensorielle de la ville de Roubaix où les élèves vivent.

Des sorties à la structuration des connaissances

Le scénario pédagogique est celui d’un jeu de type « chasse aux trésors », qui entraîne rapidement lesélèves. Il s’agit donc d’aller partout dans la ville à la recherche de pépites sonores qui doivent êtrecollectées (phase1) pour les amener à un musicien-magicien qui permet d’en faire un trésor decomposition musicale (phase 2).[1]

Cette collection de captations a mené la classe à pratiquer l’expérience géographique hors des mursde l’école, dans des sorties de différents types :

D’une part, à la lecture de ce tableau, on se rend compte de la pluralité des apprentissages quel’entrée par le son permet de structurer, et de la richesse qui se dégage de la ville, dans toutes sesdimensions.

D’autre part, fort de sorties nombreuses, ce projet a permis de donner sens aux outils de lagéographie. En effet, à chaque sortie, les élèves ont été placés dans leur rôle d’acteurs spatiaux. Toutau long de cette chasse aux trésors, les élèves sont responsabilisés : ils doivent mener leur équipe dansles parcours ou sur les lieux à visiter et le maître, pour eux, ignore le chemin à parcourir. Ils ont àconstruire les déplacements en étudiant le plan, avant comme pendant la sortie.

Enfin, la notion de ville est construite de manière exigeante, représentable par le conceptogrammesuivant[2] qui arrive donc comme un produit de ces diverses sorties, inféré à partir des expériencesde l’espace vécu et nécessaire pour les structurer :

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C’est l’objet du troisième moment du projet que de reprendre et approfondir les connaissances révélées par l’expérience. On déplie ainsi dans des petits problèmes de recherches qui expliquent ceque l’on a observé dans l’espace présent : la structuration de la ville en quartier, l’origine et l’histoiredes industries, la présence du canal, les raisons de l’importance du commerce dans la ville, ledéveloppement des transports, les différents secteurs d’activités économiques, le rôle de la culture, ladiversité humaine et sociale de la ville, la nature en ville…

La mémoire constituée par les traces sonores collectées au fil des sorties a permis de structurer cettenotion complexe de ville comme territoire approprié à l’issue du projet.

Des captations à la composition sonore

Pour effectuer les captations, nous avons organisé la chasse aux trésors autour de différents dispositifs.Au départ équipés de trois enregistreurs numériques et bénéficiant de la présence d’un bon nombrede parents, nous avons établi des équipes d’élèves composées de reporters (chargés de prendre desnotes sur les lieux de captations), de photographes, de preneur de son et assistant son. Ainsi, chaqueélève ayant un rôle, le cadrage de la prise de son par le maître ou le parent chef d’équipe est facilité,pendant que d’autres compétences sont travaillées par les autres.

Toutefois, des problèmes techniques ont été rencontrés avec deux des enregistreurs, ce qui a conduità modifier le dispositif. A chaque sortie, on a dès lors demandé aux élèves de faire la captation à tourde rôle.

Au retour des sorties, les captations ont fait l’objet d’une écoute attentive, de manière à déterminer cequ’est un bon son ou un son pollué, étape primordiale pour faire entendre aux élèves la difficulté dece travail !

Cette expérience de l’écoute réflexive a permis de construire en compréhension l’importance de laconcentration et du respect du travail de captation car au départ, nombres de sons « pollués » pardes bruits parasites, des paroles d’enfants inappropriées ont dû être rejetés ! La responsabilisation dechacun à tout moment du projet s’est donc installée naturellement à partir de là.

En février, la rencontre s’est faite entre la classe et le « musicien-magicien ». Les élèves ont mené leurtravail de composition en demi-classe sur cinq séances (environ 30 min) avec Maxence Ciekawy, avecqui nous avions convenu de travailler sur un logiciel libre et gratuit, Audacity. Chaque séancereprenait une voire deux sorties de captations. Un son a été attribué à chaque enfant, qui sel’approprie en le nommant et choisit librement de le placer à tel ou tel endroit de la séquence (l’écrande l’ordinateur commandé par Maxence Ciekawy était videoprojeté). Avec des élèves si jeunes, iln’était pas concevable d’attribuer un ordinateur en binôme de manière à leur faire composer eux-mêmes leur paysage sonore. Une telle œuvre aurait nécessité davantage de moyens financiers ethumains, et des compétences en TUIC difficiles pour des élèves de ce1/ce2.

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Les élèves écoutaient ensuite la séquence construite et la validaient.

L’ensemble a donc produit deux paysages sonores composés par les élèves, laissés libres dans leurcréation. Maxence Ciekawy a effectué le montage et le mixage en respectant les choix et les décisionsdes élèves dans leur manière de spatialiser leur ville par le son. Les transitions entre chaque séquenceétaient constituées par les captations faites dans les transports (bus, métro, tramway, marche à pied).

De l’expérience à la représentation

Retour sur l’expérience géographique et représentation cartographique

Ces espaces et leurs marqueurs sonores permettent d’en retracer le chemin et de garder dans unemémoire vive la complexité urbaine. Pour illustrer le disque qui a été produit (restitution de leurcréation), on a demandé aux élèves, au terme du projet, de dessiner la carte de leur ville, telle qu’ilsla voyaient maintenant dans leur tête. Cette production a été libre et nous ne sommes nullementintervenus pour contrôler cette image.

On conclut de cette représentation cartographique plusieurs choses :

-certains élèves restent centrés sur un modèle en étoile dont le cœur est l’école, ne situant pas leslieux, dans une cartographie objective, malgré les observations de plans et cartes.

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-d’autres élèves structurent les espaces en les localisant dans des situations qui ne sont pas justes auplan objectif mais qui rendent compte d’une spatialisation décentrée par rapport à l’école et leurquartier remarquable pour des enfants de 7 à 8 ans

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-d’autres encore produisent une image qui se rapproche du plan :

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-d’autres enfin soulignent dans leur représentation la mobilité qui a été la leur durant l’ensemble duprojet, en signalant particulièrement les modes de transports présents dans leur ville[3] :

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Pour des élèves de ce1 et ce2, il semble que cette cartographie révèle des différences d’abstractionnettes, malgré la longue durée du projet et le nombre de sorties effectuées. Toutefois, aussi, ellemontre que la majorité des élèves parvient à une vision de l’espace qui se décentre de leur espace duquotidien, devenant en quelque sorte plus objective et complexe.

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De l’expérience géographique comme moyen d’estime de soi et des autres

Ce projet de paysage sonore a permis aux élèves de développer de manière importante leur capacitéd’écoute d’une part, leur prise de parole d’autre part.

Par la captation sonore, il a été notamment possible de donner la parole aux parents des élèves (voiredes élèves eux-mêmes) issus de l’immigration et de donner ainsi une place pertinente à la géographiehumaine et sociale en classe primaire.

Les différentes langues ainsi enregistrées ont donné lieu ensuite à la recherche sur la diversité desnationalités à Roubaix et les raisons de celles-ci. Donner parole et donner place dans le paysagesonore de Roubaix à ces familles a été un moment important et très valorisant du projet.

En ce sens, la captation des voix a donné une matière à cet espace de la géographie humaine etsociale incluse dans la ville.

Ce que cette expérience géographique a permis, c’est de développer un certain mode d’action sur laville, de manière à montrer qu’un acteur spatial est un être doué d’une capacité de se mouvoir, depouvoir et d’agir, ce qui est formateur pour des élèves de cet âge dans des quartiers réputésdifficiles.[4]

Ainsi, aller chercher les sons dans la ville, sortir du quartier et constater que c’est une chose parfoissimple à faire, pénétrer dans des endroits spécialement ouverts parfois, avec ce goût de l’aventureextraordinaire (le standard de la ville, l’atelier du luthier, la répétition des danseurs du CNN) et enfincréer librement leur composition à partir des pépites sonores de la ville : tout cela a développél’estime et l’intégration de soi comme acteur spatial par la connaissance et l’écoute de l’endroit où vivent les élèves, ce dont témoignent les titres donnés à leur composition :

Maud Verherve, professeure des écoles, Roubaix (59) et doctorante en Géographie.

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[1] Le travail s’est fait en partenariat avec l’association roubaisienne A.R.A. (Autour des RythmesActuels) et l’artiste Maxence Ciekawy. Passé par les Beaux-arts, il a troqué sa palette de couleurspour peindre avec les sons.

[2] Nous reprenons ici le conceptogramme de la ville tel que le présentent André Janson, BernardMalczyk, Xavier Leroux dans Géographie A Vivre-CE2, manuel d’enseignement de la géographie àl’école primaire, édition Accès, 2011.

[3] La dernière représentation est l’image d’une élève qui s’est inspirée d’une carte cadastrale que lesSIG de la ville nous ont offerte.

[4] On pense ici aux expériences d’empowerment qui sont menés dans les villes aux quartiers endifficulté.