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DROIT DES AFFAIRES ET ENVIRONNEMENT 5 e édition – 2008

PDF Droit Et Affaires Revue 5

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DROIT DES AFFAIRES ET ENVIRONNEMENT

5e édition – 2008

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PRÉSENTATION DE L’ASSOCIATION DROIT & AFFAIRES

L’Association Droit & Affaires (AD&A) répond au désir exprimé par certains praticiens, non seulement de partager leur expérience mais également de tisser des liens durables avec les Universités et leurs étudiants. Ainsi, une association regroupant des étudiants issus de diverses formations en Droit des affaires de l’Université Panthéon-Assas est apparue comme une manière supplémentaire d’établir une continuité entre l’université et la pratique.S’imposer comme une plateforme d’échanges privilégiés entre les étudiants et les praticiens : Telle est l’ambition de l’Association Droit & Affaires. Et afin de renforcer ces liens, l’Association Droit & Affaires propose trois activités :

La Revue Droit & Affaires : Réunissant autour d’un sujet déterminé étudiants, universitaires et praticiens, elle permet à des étudiants de s’impliquer dans des travaux de recherche ou d’assurer une veille juridique. La Revue entend, par ce biais, analyser les derniers faits marquants de la vie des affaires.Les Interventions Mensuelles : Prenant la forme d’un exposé suivi d’un débat entre l’intervenant et l’auditoire, elles permettent aux étudiants de bénéficier du regard de professionnels du droit confirmés sur des thèmes juridiques variés. En outre, elles permettent également aux professionnels de présenter, à des étudiants passionnés et motivés, leurs structures, leurs exigences de recrutement et l’esprit du cabinet. Les Conférences Semestrielles : Réunissant des professionnels reconnus et des universitaires faisant autorité autour d’une problématique juridique d’actualité. Validées dans le cadre de la formation continue des avocats, ces dernières constituent ainsi un cadre d’émulation intellectuelle et un lieu d’échanges interactifs entre professeurs, praticiens et étudiants. L’Association Droit & Affaires tient à adresser ses remerciements aux différents partenaires qui ont contribué à la mise en œuvre de ces projets.

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ÉQUIPE AD&A 2008

BUREAU EXÉCUTIF DE L’ASSOCIATION

P RÉSIDENT

JACQUES NYEMB

S ECRÉTAIRE GÉNÉRAL BENJAMIN MATHIEU

T RÉSORIÈRE

LAURE FOUIN-FORTUNET

ÉQUIPE REVUE

R ÉDACTEUR EN C HEF ADIL SAHBAN

R ÉDACTEURS A DJOINTS SANDRA CLAPAUD

FRANÇOIS FAGOT PERRINE GUYOMARD

JEAN-BAPTISTE DE MAUSSION CLAIRE PIETRANICOJÉRÔME POITOU CÉDRIC SINARINZI

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ÉDITORIAL

Les préoccupations environnementales sont aujourd’hui au cœur de l’actualité normative, que celle-ci procède au niveau national ou international. Et l’ampleur autant que la multiplicité des points d’impact qui caractérisent les rapports entre l’environnement et le droit privé semblent, à notre sens, justifier la démarche qui a été la nôtre.

En effet, le droit de l’environnement, rebelle aux classifications, poursuit des objectifs qui le font échapper aux logiques traditionnelles du Droit. Nous avons donc jugé intéressant de présenter les zones d’interférences entre le droit de l’environnement et les autres disciplines du Droit.

Les exemples sont nombreux : le droit de l’environnement revêt une importance certaine en droit des sociétés, notamment dans les opérations de restructurations, mais aussi une importance croissante en droit civil, en fiscalité, et en droit de la concurrence. Les objectifs poursuivis par le droit de l’environnement étant spécifiques, il peut en résulter une éviction ou une transformation des concepts de Droit.

Nous espérons donc que la Revue Droit & Affaires permettra une meilleure compréhension de ces enjeux, et constituera un outil tant pour les praticiens que pour les universitaires et les étudiants.

Le Comité de rédaction

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SOMMAIRE

INTRODUCTION– PROPOS LIMINAIRES Jacques-Henri Robert

.................................................... 13– RÉFLEXIONS SUR LE PROTOCOLE DE KYOTO Ingrid Barnsley

..................................................... 14

PARTIE 1 – DROIT DES AFFAIRES ET ENVIRONNEMENT

ENVIRONNEMENT ET DROIT DES SOCIÉTÉS– LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES ENTREPRISES : UN IMPÉRATIF ? François

Guy Trébulle ………..................................................... 28

– LA RESPONSABILITÉ ENVIRONNEMENTALEDANS LES GROUPES DE SOCIÉTÉSJean-Yves Ollier……............................................................ ..40

– LES DIFFÉRENTES TECHNIQUES DE SÉCURISATIONDES OPÉRATIONS DE TRANSFERT D’ENTREPRISES, ET

LEURS LIMITESEntretien avec Françoise Labrousse………………....................... 46

– LES FRICHES INDUSTRIELLES Entretien avec Laurence Lanoy.................................................... 60

ENVIRONNEMENT ET DROIT CIVIL– LE PRÉJUDICE ÉCOLOGIQUE Entretien avec Corinne Lepage

.................................................... 67

ENVIRONNEMENT ET DROIT DE LA CONCURRENCE– DROIT DE LA CONCURRENCE ET ENVIRONNEMENT

SONT-ILS COMPATIBLES ?Hugues Calvet ............................................................... 75

– DROIT DE LA CONCURRENCE COMMUNAUTAIREET PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT, ENTRE CONFRONTATION, CONVERGENCE ET CONCILIATIONDamien Gérard ............................................................... 83

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ENVIRONNEMENT ET FISCALITÉ– LES CONTRAINTES JURIDIQUES À LA MISE EN PLACE

D’UNE FISCALITÉ ENVIRONNEMENTALEArnaud de Brosses .................................................... 93

– LE BONUS-MALUS ÉCOLOGIQUE, UN OUTILÀ DOUBLE TRANCHANTNicolas Ferré ……………………......................... 103

CONFÉRENCE DROIT DES AFFAIRES ET ENVIRONNEMENT (Extraits)

– LA RESPONSABILITÉ DES PERSONNES PHYSIQUESET MORALES EN CAS D’INFRACTION AUX OBLIGATIONS ENVIRONNEMENTALESJacques Henri Robert .............................................. 111

– LA PRISE EN COMPTE DU RISQUE ENVIRONNEMENTALDANS LES TRANSACTIONS IMMOBILIÈRES ET COMMERCIALESFrançoise Labrousse ......................................... ……121

– LES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX EN MATIÈREDE FINANCEMENT DE PROJETS ET DE PRIVATISATIONAD&A………................................................. …….125

PARTIE 2 – MÉLANGESACTUALITÉS

– LE DÉPARTEMENT FRANÇAIS, À LA CROISÉE DES RÉFORMES Guillaume Bazin.................................................. …132– ABUS DE DROIT ET FUSION À L’ENVERS Benoît Lureau, Gabriel Di Chiara........................................................................136

– PROJET DE RÉFORME DE LA LOI DE SAUVEGARDEDES ENTREPRISES : INNOVATIONS ET AMÉNAGEMENTSFrançois Fagot ....................................................... ...144

COMPTE RENDU DES INTERVENTIONS MENSUELLES

– RETOUR SUR L’AFFAIRE ARCELOR-MITTAL Pierre Servan-Schreiber .......................................... .155

– LE FINANCEMENT D’ENTREPRISES À FORT POTENTIELDE CROISSANCERenaud Bonnet ........................................................ 161

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CETTE REVUE A ÉTÉ ÉDITÉE EN COLLABORATIONAVEC LE CABINET D’AVOCATS

CLEARY GOTTLIEB STEEN &HAMILTON LLP

SOUS LE PARRAINAGE DE MAÎTRE ARNAUD DE BROSSES.

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INTRODUCTION

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PROPOS LIMINAIRES

Jacques-Henri Robert

Professeur à l’Université Panthéon Assas (Paris II)

En quelques années, la protection de l’environnement est devenue une préoccupation de tous les gouvernements et de tous les citoyens. Plusieurs fois par jour, les téléspectateurs sont invités à adopter de nouveaux comportements « bons pour la planète », et tous les médias pré- disent des catastrophes plus ou moins horribles pour des futurs plus ou moins proches. Le désastre écologique a remplacé, dans le discours public, l’enfer des sermons des prêtres catholiques, et le droit pour l’environnement s’est substitué au droit naturel des temps médiévaux et classiques.

Les entreprises, bon gré mal gré, doivent se plier à la nouvelle discipline, soit par crainte des représailles de leurs consommateurs ou de leurs actionnaires, soit sous la pression de l’autorité publique. C’est de cela qu’il s’agit dans le présent numéro de la Revue. Toutes les branches du droit sont mises à contribution, et non pas seulement la réglementation propre à l’environnement : le Code civil, le Code de commerce et le Code général des impôts reçoivent constamment des dispositions nouvelles tout exprès concoctées pour la protection de l’environne- ment. Même la comptabilité, science aride, apporte sa contribution. C’est tout le droit positif, national, communautaire et international, qui a reçu une transfusion de sang nouveau, ainsi qu’on va le voir à la lecture des textes qui composent cette livraison de la Revue.

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FROM KYOTO TO COPENHAGEN: REFLECTIONS ON THE UN CLIMATE REGIME

Ingrid Barnsley

Energy and Environment Analyst, International Energy Agency (OECD) Adjunct Asst. Professor, Department of Comparative and International Politics, American University of Paris

Few environmental issues have captured international attention so pervasively and persistently as climate change. And with good reason. The Fourth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC) concludes that the “unequivocal” warming of the earth’s climate system “very likely” resulted from the massive increase in greenhouse gases emitted into the atmosphere since the start of industrialisation.1 Moreover, continued emissions at current or higher rates will “very likely” lead to even greater rates of warming, with wide-ranging and serious effects on biodiversity, the natural environment, agricultural productivity and human health, among other consequences. The IPCC anticipates that even if we could collectively reduce global emissions by 50 to 85% below year 2000 levels by 2050, we would still likely see an increase in the global mean temperature of 2.0 to 2.4 degrees Celsius.2

Just as the awareness and nature of this environmental problem is pervasive, so are the measures required to respond to it. Addressing climate change – by reducing our greenhouse gas emissions – requires the alteration of such a great many aspects of human activity, making this arguably the most complex global environmental issue faced in modern times. This complexity derives from the fact that the continued increase in emissions stems from the very way we do business, run our societies and live our

1. IPCC (2007), Climate Change 2007: Synthesis Report: Summary for Policy Makers, <http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar4/syr/ar4_syr_spm.pdf> 2-5. 2. Ibid., 20. This is an increase since pre-industrial times.

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lives. The overwhelming contributor, particularly for the most prevalent greenhouse gas, carbon dioxide, is our fossil fuel use.3 This includes fossil fuel combustion for transportation, and for electricity and heating in the industrial, commercial and residential sectors, fossil fuel extraction and power transmission. Given that the share of fossil fuels in energy use is projected to increase until at least 2030, achieving significant reductions in greenhouse gas emissions will require “immediate policy action and technological transformation on an unprecedented scale”.4 From Kyoto

It was in this context, but with slightly less severe scientific warnings, that state parties to the UN Framework Convention on Climate Change (UNFCCC) agreed to the Kyoto Protocol in December 1997. This seminal international law agreement established differentiated, legally binding emissions targets for developed country (Annex I) parties.5 Each party’s target is based on its recorded level of emissions during a chosen baseline year (mostly 1990) and applies collectively to the six main greenhouse gases. The target must be met between the years 2008 and 2012 (the “first commitment period”), with emissions averaged over the five years.Barely eight months into the Kyoto Protocol’s first commitment period and a range of concerns have been raised about its ability to adequately address the vast environmental problem that is climate change. Chief among these concerns is the fact that the United States – one of the world’s highest per capita and total emitters – remains outside the system, having announced in 2001 that it would not ratify the Kyoto Protocol6. Another central concern relates to the possibility that several Annex I parties will not in fact meet their emissions targets. The Canadian federal government has gone so far as to state as much publicly7, while Greece was recently found in non-compliance with

3. Other contributing factors include changes in land use, agricultural activities and waste management activities.4. IEA/OECD (2007), World Energy Outlook 2007 (Paris : IEA/OECD), 42. 5. The countries of the European Union will meet their target collectively. 6. White House by Ari Fleischer”,

(2001) “Press briefing 28 March <http://www.whitehouse.gov/news/briefings/20010328.html#KyotoTreaty>. 7. Associated Press (26 April 2007), “Canada acknowledges it will not meet Kyoto targets under new climate change plan”, International Herald Tribune <http://www.iht. com/articles/ap/2007/04/27/america/NA-GEN-Canada-Climate-Change.php>.

INTRODUCTION 15

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Protocol guidelines for implementing a national emissions accounting system and for reporting certain national emissions data8.Another set of concerns regarding the environmental effectiveness of the regime relates to the very existence and functioning of the Protocol’s three “flexible mechanisms” – emissions trading, Joint Implementation and the Clean Development Mechanism (CDM). Some observers and even certain parties, such as some Small Island Developing States, consider that such mechanisms simply distract from the urgent need for Annex I parties to bring about absolute and comprehensive reductions in their own emissions. Meanwhile, many others who accept that market-based mechanisms are essential for facilitating cost-effective reductions nonetheless query whether the strict “additionality” requirement of the CDM is creating a perverse incentive for developing countries to avoid reducing their emissions in the absence of external financial support9.A second set of concerns about the Protocol’s functioning relates to its equity. Many questions have been raised about whether some CDM projects are actually contributing to the sustainable development of the host countries and local communities in which they operate – sustainable development being another requirement of all CDM projects. Moreover, a number of non-Annex I parties have questioned whether the CDM – and the Kyoto Protocol and UNFCCC more broadly – are really providing for the technology transfer and capacity building envisaged when each instrument was adopted.Yet in spite of these and other concerns, the world does not seem prepared to wash its hands of the whole business and walk away from the UN climate change regime. Even the US administration, which continues to oppose the Kyoto Protocol, remains actively engaged in negotiations under the Convention, including negotiations about future commitments. Meanwhile, the Nobel Prize-winning and widely respected IPCC last year reached “high agreement” that the “notable

8. As a result, Greece is not yet eligible to participate in the Protocol’s three “flexible mechanisms” in seeking to meet its emissions target. UNFCCC, Enforcement Branch of the Compliance Committee (17 April 2008), Final Decision CC-2001-1-8/ Greece/EB.9. To qualify as a project generating Certified Emissions Reductions under the CDM, a project proponent must show that any emissions reductions are additional to what would have occurred anyway in a business as usual scenario.

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achievements” of the UN climate regime included “the establishment of a global response to climate change, stimulation of an array of national policies, and the creation of an international carbon market and new institutional mechanisms that may provide the foundation for future mitigation efforts”10. It further concluded that enhanced international cooperation, in particular a clear global carbon price signal coupled with induced technological change, could lead to “significant reductions in key sectors”, which could take the world toward the greenhouse gas stabilization scenarios considered necessary to ensure the earth’s protection11.

To Copenhagen With this in mind, and with an awareness that even full implementation of the Kyoto Protocol will not be sufficient to stabilize global greenhouse gases or temperatures, parties launched informal processes to consider further international cooperation in 2005, the very same year the Protocol entered into force12. Somewhat controversially, separate negotiation processes were established for the Convention and for the Protocol, rather than a single, combined process. This was driven by the US’s status outside the Protocol and by the desire of some developing countries to ensure that the Protocol remains focused predominantly on binding commitments for Annex I, as opposed to non-Annex I, parties.Two years later in December 2007, at the UN Climate Change Conference in Bali, parties set themselves a difficult task. At that meeting, they adopted a package of decisions and conclusions, collectively known as the “Bali Road Map”, that establishes a broad timeline and topics for negotiating agreement(s) on future cooperation by December 2009.13 The negotiations are focused on five interrelated topics: a long-term vision for cooperative action (likely an aspirational goal about the amount of

10. IPCC (2007), 18. 11. Ibid., 18.12. UNFCCC (30 March 2006), Decision 1/CP.11 Dialogue on long-term cooperative action to address climate change by enhancing implementation of the Convention (FCCC/CP/ 2005/5/Add.1) ; UNFCCC (30 March 2006), Decision 1/CMP.1: Consideration of commitments for subsequent periods for Parties included in Annex I to the Convention under Article 3, paragraph 9, of the Kyoto Protocol, (FCCC/KP/CMP/2005/8/Add.1). 13. See UNFCCC (14 March 2008), Report of the Conference of the Parties on its thirteenth session, held in Bali from 3 to 15 December 2007, Addendum, Part Two: Action taken by the Conference of the Parties at its thirteenth session, Decision 1/CP.13 (Bali Action Plan

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greenhouse gas mitigation needed), further actions and/or commitments14 to mitigate climate change, increased efforts to adapt to climate change, and technology and financing for mitigation and adaptation in developing countries15.While proposals from think tanks, industry associations and non-government organisations for how to address these and other topics abound, the specifics of what state parties will be prepared to accept remain very unclear only 16 months out from the Copenhagen meeting. Beyond certain parties noting repeatedly what they are not prepared to accept (such as India’s opposition to a binding emissions target for itself), most state parties have been holding their cards close to their chest. It seems very likely that the real nature of any agreement(s) will not become clear until shortly before the gavel is brought down signifying adoption. This pattern of secretiveness and last minute agreement has unfortunately characterised international climate change negotiations from the outset, with some attributing this to the historical lack of trust and enduring disagreement about how to distribute the burden for cumulative emissions increases since the start of western industrialisation.All this is particularly frustrating for private sector actors, especially in developed countries, who are seeking clarity about the nature and duration of any carbon constraints they are likely to face, as well as an enhanced voice at the negotiation table. Their concerns relate to the need for longer- term certainty in making investment decisions and managing risks, particularly in industries with low capital stock turnover. Additionally, some trade-exposed heavy industry sectors in Annex I parties hold real concerns about potential loss of competitiveness if they are faced with strict carbon constraints while the same industries in other parts of the world are not16.

FCCC/CP/2007/6/Add.1) ; UNFCCC (5 February 2008), Report of the Ad Hoc Working Group on Further Commitments for Annex I Parties under the Kyoto Protocol on its

resumed fourth session, held in Bali from 3 to 15 December 2007

(FCCC/KP/AWG/2007/5). 14. The potential difference between these two words has been key during recent negotiations, with “actions” seen by many developing countries to be softer or non- binding, as compared with “commitments”. 15. In fact, these particular provisions relate to negotiations under the UNFCCC; negotiations under the Protocol are more focused on enhancement of the implementation of the Protocol and further strengthening Annex I commitments. 16. The displacement of an industry from a country with a carbon constraint or cost to one without. Related to this is a state party concern with carbon leakage.

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One of the key ideas being considered to address such competitiveness concerns is that known as “sectoral approaches”. A broad term encompassing a range of policy proposals, the common thread is a focus on addressing global emissions sector by sector, rather than on a country by country basis17. This might allow for reduction activities in particular sectors in developing countries that are internationally competitive, such as (possibly) the steel or aluminum sectors. However, key developing countries remain wary of these kinds of approaches, particularly in the absence of clear Annex I commitments to ramp up technology transfer and mitigation financing. As such, it remains unclear if any kind of sectoral approach will be incorporated into the post-2012 framework at all. If competitiveness concerns are not addressed in this or some other manner, it remains possible that unilateral action by some countries or regions might be taken, such as border tax adjustments for imports originating in countries where no carbon constraint has been imposed.At the same time, it is worth noting that the increased attention of both policy makers and the general public to climate change has spawned entirely new industries and opportunities for the private sector. In addition to growth opportunities in the renewable energy, land conservation and even legal sectors,18 the emissions trading market continues to expand. In 2006, the global carbon market – comprising both regulatory trading schemes and voluntary transactions – was worth US$30 billion, three times its value in the previous year19. By 2007, the global market was worth US$60 billion and both the regulatory and voluntary components of the global market look set to

17. See, for example, R Baron, with J Reinaud, M Genasci and C Philibert (2007), “Sectoral Approaches to Greenhouse Gas Mitigation: Exploring Issues for Heavy Industry”, OECD/IEA Information Paper, http://www.iea.org/textbase/papers/ 2007/Sectoral_Approach_Info_WEB.pdf; D Bodansky (2007), “International Sectoral Approaches in a Post-2012 Climate Framework: A Working Paper” (Pew Center on Global Climate Change); C Egenhofer, N Fujiwara and B Stigson (2007), “Testing Global Sectoral Industry Approaches to Address Climate Change : Interim Report of a CEPS Task Force” (Centre for European Policy Studies). 18. See, for example, – (31 March 2008), “Lawyers Ready for Climate Change”, E Financial

News<http://www.efinancialnews.com/homepage/specialfeatures/ 2450196851/content/2450206822>. 19. K Capoor and P Ambrosi for the World Bank (May 2007), State and Trends of the Carbon Market 2007 (World Bank Institute : Washington, D.C.) <http://carbonfinance.org/docs/Carbon_Trends_2007-_FINAL_-_May_2.pdf>.

INTRODUCTION 19

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continue expanding20. Alongside the growth of the carbon market has emerged concerns about the legitimacy of some operations. These concerns relate to the impact of abatement projects on the local environments and communities in which they operate, the verifiability of emissions reductions themselves, and doubt about whether traded emissions reductions are actually “additional” to any business-as-usual reductions that might have otherwise occurred. In response, various independent standards and verification procedures have emerged. In February 2008, for example, the UK government released a draft “Code of Best Practice for Carbon Offsetting”; a voluntary framework for which carbon offset providers will be able to seek accreditation with the government21.

What seems possible? Eighteen months out from Copenhagen, what do we actually

know about the political and legal agreement that is likely to emerge from the December 2009 meeting? Several observations can be made. First, it seems likely that the negotiations under the Protocol will yield quantified emissions limitation or reduction obligations (QELROs) of a legally binding nature for those Annex I parties that are also parties to the Kyoto Protocol. Based on the provisions of the Protocol itself (Article 3.9), this will likely take the form of an amendment to Annex B of the Protocol. Whether the US will become a party to the Protocol and commit itself to a quantified target under this instrument remains highly uncertain. At this point in time, the world awaits the change of President in November 2008 to gain a

20. Point Carbon (2008), Carbon 2008 – Post-2012 is now, Røine, K, E Tvinnereim

and H Hasselknippe (eds.) < http://www.pointcarbon.com/getfile.php/fileelement_ 136000/Carbon_2008_dfgrt.pdf>. Recent developments include the establishment of emissions trading schemes in New Zealand and Switzerland, the linking of the Nor- wegian scheme to the European Union Emissions Trading Scheme, the announcement that national schemes will be developed in Australia and Canada, consideration of developing a scheme in Japan, several bills before the US congress and the development of regional schemes within the US and Canada. 21. At this time, the Code does not apply to offsets generated on the voluntary carbon market. Defra (2008), Draft Code of Best Practice for Carbon Offset Providers: Accreditation Requirements and Procedures <http://www.defra.gov.uk/environment/climatechange/ uk/carbonoffset/pdf/carbon-offset-codepractice.pdf>.

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better sense of just what role the US will play in the Copenhagen meeting and beyond22.Second, it does not seem likely that a revised Kyoto Protocol will provide a basis for QELROs, or even possibly other binding quantitative commitments, for non-Annex I parties, though the list of Annex I parties could be expanded. The Ad Hoc Working Group set up to carry forward negotiations under the Kyoto Protocol specifically has as its mandate consideration of enhanced commitments for Annex I parties. Moreover, several key developing countries appear determined to ensure that Protocol negotiations remain focused on Annex I commitments and on opportunities for technological and financial transfer to non-Annex I parties through the CDM and other mechanisms.On the topic of mechanisms, it also appears very likely that the Protocol’s flexible mechanisms will remain a part of the post-2012 framework. This is one area on which many Annex I and non-Annex I parties agree. What also seems likely though, is that these mechanisms, in particular, the CDM, will undergo reform. Here, greater differences remain between the parties. Should the emphasis on the additionality of Certified Emissions Reductions be weakened and should the CDM’s focus on the sustainable development of the project for the host country be strengthened? Should the mechanism be extended beyond its project, or even programmatic, focus to some kind of sectoral focus? And should the transfer of technology that accompanies a CDM project be more closely monitored?On this latter point, it seems likely that the post-2012 regime will provide for further international collaboration on technology-related matters. With the work programmes of the negotiating groups under both the Convention and the Protocol addressing this issue, developing country parties are determined to see technology, and accountability for Annex I efforts in transferring it, adequately addressed. It still remains unclear however, whether any new funds or institutions will be created, or whether agreement will simply be reached to strengthen existing programmes and activities.Finally, the very question of whether parties will even manage to reach agreement in Copenhagen remains uncertain, with some

22. It has been noted that it may take the new administration some time to appoint high-level staff and establish a clear negotiating position, meaning that we should not expect too much of the new administration too soon.

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commentators already raising the prospect of a bis conference in 2010, akin to what occurred when the sixth Conference of the Parties to the UNFCCC finished without resolution in late 2000. What is clear is that the operational details of any agreement do not need to be finalised at the December 2009 meeting. Broad text governing the key features of the revised regime can be adopted first, with the finer details negotiated at a later point, as was the case with the adoption of the Marrakech Accords under the Kyoto Protocol in late 2001.

Thus the world holds its breath and watches as the state parties make their complex, fractured way toward Copenhagen. Precisely what will emerge remains unknown, arguably even to the negotiators themselves. One can only hope that whatever it is, it leads to a strengthened UN regime that actually addresses this grave and pervasive environmental problem in the manner it clearly requires.

Reference List

_ (31 March 2008), “Lawyers Ready for Climate Change”, E Financial News<http://www.efinancialnews.com/homepage/specialfeatures/ 2450196851/content/2450206822>.

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K Capoor and P Ambrosi for the World Bank (May 2007), State and Trends of the Carbon Market 2007 (World Bank Institute: Washington, D.C.)<http://carbonfinance.org/docs/Carbon_Trends_2007-_FINAL_ -_May_2.pdf>.

Defra (2008), Draft Code of Best Practice for Carbon Offset Providers: Accreditation Requirements and Procedures<http://www.defra.gov.uk/environment/climatechange/uk/carbo- noffset/pdf/carbon-offset-codepractice.pdf>.

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IEA (2007), World Energy Outlook 2007 (Paris: IEA/OECD23). Institutional Investors Group on Climate Change (2008), Investor Statement on Climate Change: Report 2007 <http://www.iigcc.org/docs/PDF/Public/FirstInvestorStatementon- ClimateChangeReport.pdf>.IPCC (2007), Climate Change 2007: Synthesis Report: Summary for Policy Makers,<http://www.ipcc.ch/pdf/assessment-report/ar4/syr/ar4_syr_ spm.pdf> 2-5.KPMG International (2008), Climate Changes Your Business: KPMG’s review of the business risks and economic impacts at sector level, <http://www.kpmg.nl/Docs/Corporate_Site/Publicaties/Climate_ Changes_Your_Business.pdf>.

Point Carbon (2008), Carbon 2008 – Post-2012 is now, Røine, K, E Tvinnereim and H Hasselknippe (eds.) <http://www.pointcarbon.com/getfile.php/fileelement_ 136000/Carbon_2008_dfgrt.pdf>.UNFCCC (30 March 2006), Decision 1/CP.11 Dialogue on long-term cooperative action to address climate change by enhancing implementation of the Convention (FCCC/CP/2005/5/Add.1). UNFCCC (30 March 2006), Decision 1/CMP.1: Consideration of commitments for subsequent periods for Parties included in Annex I to the Convention under Article 3, paragraph 9, of the Kyoto Protocol, (FCCC/KP/CMP/ 2005/8/Add.1).

UNFCCC (5 February 2008), Report of the Ad Hoc Working Group on Further Commitments for Annex I Parties under the Kyoto Protocol on its resumed fourth session, held in Bali from 3 to 15 December 2007 (FCCC/KP/AWG/2007/5).

UNFCCC (14 March 2008), Report of the Conference of the Parties on its thirteenth session, held in Bali from 3 to 15 December 2007, Addendum, Part

23. Energy and Environment Analyst, International Energy Agency (OECD) and Adjunct Asst. Professor, Department of Comparative and International Politics, American University of Paris. The ideas expressed in this article are the author’s own and do not in any way represent the views of the IEA, the OECD or their member states.

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Two: Action taken by the Conference of the Parties at its thirteenth session, Decision 1/CP.13 (Bali Action Plan FCCC/CP/2007/6/Add.1). Enforcement Branch of the Compliance Committee – UNFCCC (17 April 2008), Final Decision CC-2001-1-8/Greece/EB. White House (2001) “Press briefing by Ari Fleischer”, 28 March <http://www.whitehouse.gov/news/briefings/20010328.html#Kyo- toTreaty>.

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PARTIE I DROIT DES AFFAIRESET ENVIRONNEMENT

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ENVIRONNEMENT ET DROIT DES SOCIÉTÉS

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LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES ENTREPRISES : UN IMPÉRATIF ?

François-Guy Trébulle

Professeur à l’Université Paris Descartes (Paris V)

Depuis quelques années la responsabilité sociale des entreprises s’est imposée comme une nouvelle dimension du droit des affaires1. Il n’est plus possible de penser l’entreprise uniquement dans une perspective centrée sur la seule réalisation de bénéfices. Sans que cette dimension soit remise en cause, il apparaît désormais à tous que l’entreprise est au centre de relations qui intègrent également des intérêts traditionnelle- ment sous-estimés, voire ignorés en droit des affaires. Il est, depuis longtemps, admis qu’on ne peut la percevoir dans sa richesse, au-delà du seul contrat de société, qu’en accordant une place particulière aux associés, aux salariés, à divers intérêts dont la représentation institutionnalisée doit être prise en compte. La nouveauté qu’induit le souci de

1. v. outre nos publications Responsabilité Sociale des Entreprises : L’entreprise et l’éthique environnementale : Répertoire Dalloz Sociétés, mars 2003 ; L’environnement en droit des affaires in Aspects actuels du droit des affaires. Mélanges en l’honneur de Yves Guyon, Dalloz, 2003, p. 1035 ; Responsabilité sociale des entreprises et liberté d’expression : Cahiers de l’actualité, Répertoire Dalloz de droit des sociétés 2004-1, 9-19 et Rev. des sociétés 2004, p. 261-281 ; La comptabilisation de l’environnement : Dr. sociétés juill., 2004, Et. no 10, p. 9 ; Responsabilité sociale des entreprises, quelle réalité derrière les mots ? Revue des affaires européennes, Bruylant, 2003-2004/4, p. 563 ; L’entreprise citoyenne ? in Figures de la citoyenneté, dir. E. Desmons, Paris, 2006, L’Harmattan, p.195-239 ; L’information environnementale : quelle place en droit des sociétés ? : Dr. sociétés, 2006, Et., no 14 ; Stakeholders Theory et droit des sociétés : Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 1337, § 282 et 2007, § 1, p. 7 ; et les chroniques Entreprise et développement durable : JCPE 2006.1257, JCPE 2007 et JCPE 2008 (à paraître) ; Ch. Neau-Leduc, « La responsabilité sociale de l’entreprise : quels enjeux juridiques ? », Droit social,no 11, 2006, p. 952 ; P. Kromarek, L’actualité de la responsabilité environnementale de l’entreprise : Environnement no 10, 2006, p. 13 ; S. Avignon, Les Codes de conduite sont-ils devenus des outils du management international ? Le regard du juriste RDAI 2007, no 3, p. 335.

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sa responsabilité sociale correspond à un élargissement des intérêts légitimes identifiés : les diverses collectivités, organisées ou non, dans les- quelles elle inscrit son action ne peuvent plus être ignorées ; plus globalement, tous ceux qui sont influencés par son activité et sont susceptibles d’avoir un impact sur elle doivent être pris en considération. Cette évolution se traduit par l’importance accordée aux préoccupations environnementales. C’est, au demeurant, une approche rendue indispensable par l’évolution du rapport aux risques dont l’entreprise est porteuse et auxquels elle expose autrui. Il s’en déduit le développement d’exigences liées à la façon dont est appréhendé son impact sur l’environnement, qu’il soit naturel ou social et de gouvernance, dans une perspective qui rejoint celle du développement durable.À la question de la finalité, à laquelle une réponse par les bénéfices pouvait paraître satisfaisante, succède une interrogation sur les moyens qui invite à aller plus loin. Au-delà de l’effet de mode, la responsabilité sociale des entreprises (RSE) répond à une injonction : chaque entre- prise doit rendre des comptes sur la manière dont elle mène ses affaires, sur sa préoccupation de diminuer son impact environnemental et de tenir compte de la dimension sociale de son activité. Elle est indissociable de l’analyse en termes de gouvernance, dont elle est le corollaire indissociable.

De ce point de vue, une étape importante a été franchie avec la loi relative aux nouvelles régulations économiques qui a imposé aux sociétés faisant appel public à l’épargne de divulguer des informations sociales et environnementales dans leur rapport de gestion. À la suite du Grenelle de l’environnement, il apparaît désormais nécessaire d’aller au-delà, d’élargir le périmètre des divulgations sociales et environne- mentales. Le regard sur la responsabilité sociale des entreprises doit également tenir compte de l’effectivité d’outils qui, choisis ou imposés, concourent à en structurer la reconnaissance.

I. LE PÉRIMÈTRE DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES ENTREPRISES

Pour ce qui est du périmètre de la responsabilité sociale des entre- prises, il apparaît que le mouvement est double. D’une part, diverses voix se font entendre, en faveur d’une augmentation des exigences

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légales ; d’autre part, les entreprises répercutent ces attentes sur leurs propres partenaires.

A. Un accroissement des catégories d’entreprises directement soumises aux exigences légales

La loi NRE du 15 mai 2001 a réalisé une évolution importante en imposant des divulgations sociales et environnementales aux sociétés faisant appel public à l’épargne. Toutefois, cette étape ne peut être regardée comme un aboutissement. En effet, l’analyse selon laquelle les entreprises doivent rendre des comptes sur la manière dont elles intègrent l’impact de leurs activités en la matière ne peut être circonscrite aux seules sociétés les plus importantes. Tout au contraire, de multiples voix ont souligné que les PME elles-mêmes sont concernées par ces enjeux et que, dans une certaine mesure, plus l’organisation est concentrée, plus le volontarisme en la matière peut être fructueux.Dans la mesure où il est universellement exact que les informations sociales et environnementales sont des informations financières, ou – à tout le moins – des informations sur les risques liés aux activités sociales, on ne peut se satisfaire que seules les sociétés cotées doivent y accorder une importance particulière. L’évolution des exigences comptables a, d’ores et déjà, conduit à une meilleure prise en compte des passifs y correspondant. Mais, au-delà, il est désormais probablement temps de passer à une autre dimension et d’étendre cette obligation.

Une objection naturelle à la généralisation de cette obligation est liée au manque de pertinence de ces données pour un certain nombre de sociétés qui n’ont qu’un impact environnemental et social assez faible. La remarque est fondée mais peut être aisément retournée : si l’impact environnemental d’une société est faible, voire inexistant, la divulgation sera considérablement facilitée. L’inconvénient résultant de la soumission d’entreprises non concernées à l’obligation cède devant le constat selon lequel la généralisation de l’exigence est l’une des conditions de la reconnaissance du fait que les dimensions sociales et environnementales doivent être présentées comme l’est la dimension strictement économique (où l’on retrouve les trois piliers du développement durable).

Il n’en demeure pas moins que ces exigences ont un coût et que celui-ci doit être justifié. Une alternative se présente alors.Il est possible – et l’élargissement serait déjà considérable – de cantonner l’obligation à celles des sociétés qui exploitent des installations

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classées pour la protection de l’environnement, c’est-à-dire qui ont des activités présentant un risque particulier pour l’environnement. Ces sociétés ont, par leur activité propre une « empreinte écologique » spécifique, qu’elles soient soumises à autorisation ou à déclaration. Leur réserver l’élargissement pourrait, en tout état de cause, déjà être regardé comme un progrès. C’est ce qui a été fait, dans une certaine mesure, par la loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques naturels et technologiques.Toutefois, cette évolution apparaîtrait bien timide à l’heure où les travaux du Grenelle de l’environnement ont souligné la nécessité d’accroître la prise en compte de l’impératif environnemental dans des secteurs dans lesquels l’environnement est un enjeu bien qu’il ne soit pas directement menacé par l’activité déployée. L’information est importante non seulement par ce qu’elle dit de l’entreprise, mais aussi par ce que sa production induit : devant communiquer sur cet aspect, les dirigeants de l’entreprise devront s’interroger sur leurs pratiques, les grandes options retenues... et ceci ne peut être dépourvu d’effets.

À la suite des travaux du Grenelle de l’environnement et dans le prolongement des suggestions du rapport Lepage, l’article 43 du projet de loi « Grenelle 1 » prévoit d’initier un élargissement des obligations des entreprises qui reposerait sur la « mise à l’étude » non seulement de mesures d’« inclusion d’informations relatives au développement durable dans les rapports annuels présentés par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance à l’assemblée générale », ce qui existe d’ores et déjà, mais également de mesures plus innovantes. Ainsi est envisagée l’extension «à toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires, le total de bilan ou les effectifs salariés sont supérieurs à certains seuils des obligations d’information environnementale prévues par l’article 116 de la loi no 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques ».

Le projet, poussant un peu plus la logique d’intégration de l’existence des groupes en droit positif, précise que « pour ces entreprises, les informations environnementales et sociales communiquées dans les rapports de gestion incluront les activités de leurs filiales. Cette extension concernerait dans les mêmes conditions, les entreprises dans lesquelles l’État détient, directement ou indirectement, une participation majoritaire ». Il y aurait certainement beaucoup à dire sur ce projet et sur ses formules rédactionnelles surprenantes, mais il est indéniable qu’il illustre la nécessité d’étendre des exigences liées à la RSE, au-delà de la sphère du seul volontariat.

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B. Un élargissement des exigences à d’autres acteurs Devant répondre de la manière dont elles tiennent compte des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance, les entreprises qui souhaitent être cohérentes doivent nécessairement répercuter cette préoccupation sur leurs propres partenaires.Une entreprise qui veut imposer à ses fournisseurs certaines exigences sait parfaitement, et depuis longtemps, formaliser ces exigences dans le contrat l’unissant à eux. Ainsi, nul ne peut prétendre qu’il est impossible d’imposer à un fournisseur d’exclure tel ou tel produit de ses procédures de fabrication. Il est, de même, parfaitement possible de lui imposer des exigences portant sur la qualité du produit fabriqué. La nouveauté induite par la préoccupation croissante en matière de RSE réside dans le fait que les exigences vont désormais également porter sur les modes de production et sur leur impact sur les salariés et l’environnement.S’engageant vis-à-vis de leurs clients, les entreprises vont exiger de leurs partenaires le respect de certains points fondamentaux.Ainsi, il est possible de faire du respect des principes dégagés par l’OIT une composante à part entière des exigences contractuelles : l’entreprise qui tient à s’assurer du respect de ces principes – et qui veut éviter toute dénonciation, économiquement désastreuse – pourra imposer à ses fournisseurs des engagements sur ce point. Nombreuses sont celles qui ont, d’ores et déjà, adopté cette démarche et imposé de telles exigences à l’ensemble de leurs fournisseurs ou sous-traitants2.

Au-delà des relations « classiques » entre les entreprises et leurs partenaires qui peuvent prendre la forme d’une intégration dans les contrats3, – et sur laquelle on reviendra – apparaît une autre dimension,

2. M.-P. Blin Franchomme, Le Droit, le développement durable et l’entreprise éco- citoyenne : la place des accords environnementaux, in Le droit saisi par la morale, dir. J. Krynen, PUSS Toulouse, p. 217.3. Un bon exemple en est donné par l’annonce par PSA, en mars 2007, de sa décision de faire du respect des exigences sociales et environnementales « une valeur essentielle de sa politique d’achats, au même titre que la qualité, les délais et les coûts ». Le groupe a demandé à plusieurs fournisseurs importants de s’engager à respecter un référentiel spécifique. Comme les exigences traditionnelles (notamment de qualité de délai ou de prix), ces exigences sociales et environnementales intègrent le champ contractuel dans

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liée au fait que certaines des entreprises les plus impliquées sont pré- sentes dans de nombreux pays. Face aux disparités de législations sociales, un outil pertinent peut reposer sur la négociation d’accords cadres inter- nationaux, ou mondiaux, qui permettent d’élaborer, au-delà des disparités, un cadre global dans lequel les exigences minimales sont forma- lisées4. Ce mécanisme, qui passe par des négociations avec les différentes organisations syndicales, suppose la mise en place d’une organisation élaborée, reposant notamment sur un comité éthique dont la mission est de coordonner l’action en la matière et, le cas échéant, de traiter, en partenariat avec les organisations de salariés, des cas litigieux ne relevant pas d’une procédure juridictionnelle.

L’acceptation par les syndicats de négociations d’ensemble s’insérant dans la dynamique de la RSE est assez récente et doit être soulignée.

La majeure partie des entreprises les plus importantes a désormais adopté, d’une façon ou d’une autre, une démarche volontaire reposant sur un document négocié, charte ou Code, et intégrant, le plus souvent, les aspects environnementaux et sociaux pertinents5. Apparaissent désormais des « Codes de groupes » qui ont pu être rapprochés de véritables conventions collectives « globales »6.

Le formidable essor de l’investissement socialement responsable (ISR) est une autre illustration de cet élargissement qui ne concerne pas que les salariés et- de plus en plus – les consommateurs, mais touche désormais également les investisseurs. Les principes d’investissement responsable du Global Compact onusien, les principes d’Équateur, le développement de démarches nationales ou de groupe en la matière

les relations avec ces fournisseurs. PSA adhère par ailleurs à une vision de « l’entreprise étendue », impliquant l’application de ces critères par ses fournisseurs vis-à-vis des leurs. 4. I. Daugareilh, La négociation collective internationale, Travail et emploi, 2005, p. 69 ; R.-Cl. Drouin, Les accords-cadres internationaux : enjeux et portée d’une négociation collective transnationale : Montréal, Les cahiers du droit, vol. 47, no 4, déc. 2006, p. 703 ; B. Teyssié, « La négociation collective transnationale d’entreprise ou de groupe », Droit social,no 11, 2005, p. 982. 5. E. Dufourcq et G. Besse, Rapport sur la responsabilité sociale des entreprises, mars 2004 ; p. 24.6. V. I. Graham, Les conventions collectives se mondialisent ; la responsabilité sociale des entreprises : mythes et réalités : Éd. ouvrière no 130, 2003, BIT.

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conduisent à observer que – désormais – les questions environnementales sociales et de gouvernance (ESG) sont devenues centrales.

Ainsi, la Caisse d’épargne a annoncé le 21 juin 2007 sa volonté de donner une « note développement durable » à l’ensemble de ses produits financiers et de réorganiser sa gamme ISR. L’établissement pousse très loin son souci dans la mesure où il intègre dans son modèle d’évaluation l’ensemble du cycle de vie des produits que l’argent placé sert à financer.

Comme le révèlent le Grenelle de l’environnement et les multiples travaux qu’il a suscités, de nouveaux marchés apparaissent et les marchés anciens eux-mêmes doivent impérativement se « verdir ». Au-delà de l’effet d’optique, la signification de ce mouvement peut être trouvée dans l’adhésion, réelle ou forcée, à des valeurs qui ne sont pas uniquement positives pour la société toute entière, mais également pour les entreprises qui doivent séduire les investisseurs. Face à un marché qui n’est pas extrêmement dynamique, le souci d’une intégration des risques extra-financiers peut devenir un avantage d’autant plus net que si la RSE ne dope pas la rentabilité, la majorité des études réalisées sur le sujet indique qu’elle ne lui est absolument pas contraire.

C’est pour accompagner ce mouvement et l’encourager que le Rapport sur la gouvernance écologique de Mme Lepage suggère d’imposer aux OPCVM non pas d’adopter une gestion ISR, mais, à l’instar de ce qui existe en matière de FCPE, de prendre parti sur la prise en compte des considérations ESG. Le pari, en la matière, est simple : devant s’exprimer sur ce point, on peut penser qu’un certain nombre d’acteurs hésiteront à sembler réticents face à une démarche de plus en plus consensuelle. Ici, le levier réglementaire, peut s’avérer un accélérateur à l’adoption de démarches volontaires.

Il est suggéré de modifier l’article L. 214-4 du Code monétaire et financier afin que celui-ci précise que « Le règlement du fonds ou les statuts de la SICAV précisent les considérations sociales, environnementales ou éthiques qui doivent être respectées dans l’achat ou la vente des instruments financiers, ainsi que dans l’exercice des droits qui leur sont attachés. Le rapport annuel rend compte de leur application ».Le Rapport suggère également d’intégrer aux missions de l’association française des établissements de crédit et des entreprises d’investissement

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et du Comité consultatif du secteur financier la promotion du développement durable au sein du secteur financier.

II. L’EFFECTIVITÉ DES OUTILS AU SERVICE DE LA RESPONSABILITÉ SOCIALE DES ENTREPRISES

Si la responsabilité sociale des entreprises n’est pas qu’un mot, une démarche esthétisante et cosmétique, c’est que lorsque l’entreprise s’engage dans cette voie, ce choix a nécessairement une traduction juridique, fait naître des obligations. Au-delà, si l’on admet que la notion formalise des obligations qui ne sont pas uniquement optionnelles, tel le respect des droits fondamentaux, on perçoit aisément qu’elle recouvre un champ relevant bien de la responsabilité, dans son acception la plus classique, lors même qu’il n’y aurait pas eu intégration explicite dans un contrat.

A. Le contrat S’il n’existe pas encore de contentieux mettant en cause des accords

cadres mondiaux, en revanche, la contractualisation des exigences liées à la RSE est désormais une donnée incontournable. Plusieurs exemples attestent de l’efficacité du mécanisme contractuel et de la volonté de sociétés multinationales de se servir pleinement des potentialités qui y sont liées. Celles-ci sont soulignées par la CNUCED7 qui a relevé la portée des normes privées et leur efficacité commerciale. Avec elle, il faut constater combien les acteurs économiques disposent d’un levier pertinent pouvant faire l’objet d’une application rigoureuse et d’un contrôle d’autant plus étroit que l’entreprise est impliquée et sensible à son image de marque.La CNUCED relève tout à la fois le fait que la chaîne des contrôles mise en place par les sociétés multinationales permet une bonne intégration de la vérification fondée sur des critères ESG et le fait qu’il peut en découler une certaine fragilisation de petits fournisseurs qui fonctionnent dans des conditions « normales » au regard de critères locaux mais anormaux par rapport à ceux fixés par le client. L’un des paradoxes

7. Une note d’information COMMERCE, ENVIRONNEMENT ET DÉVELOP- PEMENT (TD/B/COM.1/86).

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de la mondialisation, qui n’en est pas avare, est qu’elle peut induire une élévation d’exigences, de prescriptions, qui suppléent les défaillances de réglementations nationales inadaptées aux standards internationaux. Il apparaît de plus en plus nettement que, pour être supportables, ces exigences doivent toutefois faire l’objet de mesures d’accompagnement destinées à permettre une élévation progressive des standards en cause. Le risque de réputation dans une société globalisée est tel qu’aucun acteur majeur ne peut se satisfaire des seules frontières juridiques : une société ne peut se réfugier derrière les distances et la multiplicité des personnalités interposées pour prétendre légitimement ignorer la violation des droits fondamentaux par ses sous-traitants.Ainsi, en novembre 2006, la société Nike a, dans un premier temps, diffusé la liste de ses fournisseurs. Puis, elle a mis fin à ses relations avec certains qui ne respectaient pas les exigences de la société en termes de conditions de travail. Elle a obtenu de son nouveau contractant pakistanais qu’il s’engage à respecter les exigences sociales qu’elle a posées comme une dimension essentielle du contrat.En 2007, la société GAP, après avoir été dénoncée comme bénéficiant du travail d’enfants chez les sous-traitants de ses fournisseurs,8 a mis en place un label « child labour free » établissant que ses vêtements sont réalisés sans recourir au travail des enfants.

Le 17 juin 2008, une société britannique de vêtements bon marché, Primark, a annoncé sa dénonciation des contrats avec des fournisseurs indiens pour les mêmes raisons9. Des sous-traitants avaient recours au travail des enfants et la société a décidé de mettre un terme aux contrats et de retirer les vêtements fabriqués par ces fournisseurs de l’ensemble de ses magasins. Il est révélateur d’observer qu’étaient en cause des sous-traitants de fournisseurs indiens et que la société a entendu faire respecter ses exigences éthiques tout au long de la chaîne d’approvisionnement. S’il est évident que plus la chaine est longue plus les contrôles sont difficiles, les mécanismes contractuels permettent d’aboutir au résultat recherché.

8. v. D. Mc Dougall, Child sweatshop shame threatens Gap’s ethical image : The Observer, 28 oct. 2007 ; L. Roner, Supply chains – Indian child labour slips through the Gap :http ://www.ethicalcorp.com9. http ://www.independent.co.uk/news/business/news/primark-drops-three- indian-suppliers-for-using-child-workers-848564.html

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Intégrant la RSE dans leurs exigences, les entreprises se considèrent, à juste titre, comme tenues d’une obligation de vigilance et de réactivité : il ne pourrait leur être reproché de ne pas maîtriser ce qui se passe parfois dans des conditions indécelables. Mais, une fois la connaissance des agissements en cause acquise (en l’espèce, ce fut le cas grâce à un reportage télévisé), elle doit nécessairement réagir. Reste à savoir si toutes se dotent des moyens nécessaires à la détection d’éventuels dysfonctionnements. De ce point de vue, les démarches de certification, labellisations, reposant sur le contrôle d’une société tierce se multiplient. La référence, dans les contrats à des Codes renvoyant notamment aux principes dégagés par l’OIT permet non seulement l’éventuelle sanction contractuelle de la violation de ces principes mais devrait tendre à la mise en place progressive de structures manifestant des avancées majeures dans les conditions de travail des fournisseurs implantés dans des pays dont la situation sociale est moins avancée que celle de leurs clients.

Une récente étude sur les rapports de « Corporate Responsibility »10 a souligné que dans l’ensemble une « grande majorité des entreprises étudiées s’est engagée de manière individuelle à faire respecter par ses fournisseurs certains principes en matière de droits sociaux et de droits humains, que ce soient les règles de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ou d’autres standards créés par des entreprises et des ONG, comme la norme américaine SA 8000 ». Inimaginable il y a quelques années, ce constat révèle que non seule- ment les discours mais également les pratiques intègrent réellement une prise en compte d’exigences qui n’apparaissent secondaires qu’à ceux qui pensent encore que la seule responsabilité d’une entreprise est de faire des profits.L’analyse classique reste fondée pour la compréhension de l’objectif poursuivi, qui est bien la réalisation de bénéfices. Elle pèche toutefois par ignorance de la nécessité de s’interroger sur le « comment », sur les voies employées pour réaliser ce profit. La démarche commerciale doit remplir certaines exigences fondamentales dont le mépris peut, au surplus, être à l’origine de la mise en cause de la responsabilité des entre- prises négligentes.

10. Ernst & Young : 5e « Observatoire des rapports de Corporate Responsibility » : http ://www.ey.com/GLOBAL/content.nsf/France/Index_etudes_Dev_durable

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B. La responsabilité Si la responsabilité pour atteinte à l’environnement ou celle liée au

non respect du droit social et des règles d’hygiène et de sécurité est bien balisée – même si ses mécanismes sont encore assez largement sous-estimés – il apparaît de plus en plus nettement que le champ de la RSE est aussi un champ de responsabilité délictuelle potentiellement extrêmement étendu.

Ce constat met à mal une vision promue par la Commission euro- péenne11 qui reste figée sur une vision volontaire de la RSE sans réelle portée juridique. Il est partagé par le parlement européen qui a adopté en mars 2007 une résolution sur le sujet,12et prône une « réglementation de l’UE pour soutenir la RSE et l’évaluation de l’impact de ces initiatives sur l’environnement et les droits humains et sociaux ».Avec le Parlement, il nous semble que « le débat sur la RSE ne saurait être dissocié des questions liées à la responsabilité des entreprises ». Et cette responsabilité n’est pas uniquement éthique ou philosophique mais bien également juridique.À nouveau, les signes viennent d’Outre-Atlantique. Si les plaintes initiées contre Total pour son implication en Birmanie n’ont pas débouché, leur simple existence signe déjà l’entrée dans une nouvelle ère. Ailleurs, d’autres affaires aboutissent à des résultats très différents. Ainsi, la Cour d’appel de l’État de New York, le 12 octobre 200713, a-t-elle admis le bien fondé d’un questionnement sur la complicité de sociétés internationales avec le régime de Pretoria ayant mis en place la politique d’Apartheid. Au-delà des 400 milliards de dollars demandés et des suites que rencontrera la procédure, c’est le principe même d’une possible mise en cause de sociétés commerciales qui doit être retenu. Les États-Unis et l’Afrique du sud contestent la voie judiciaire suivie, mais les juges américains, lorsqu’ils seront appelés à statuer au fond, ne

11. Communication« Mise en œuvre du partenariat pour la croissance et l’emploi : faire de l’Europe un pôle d’excellence en matière de responsabilité sociale des entre- prises » (COM(2006) 136 final) du 22 mars 2006, comp. livre vert (COM(2001) 366) et communication concernant la responsabilité sociale des entreprises : Une contribution des entreprises au développement durable (COM(2002) 347). 12. V. le rapport Howitt « sur la responsabilité sociale des entreprises : un nouveau partenariat » (2006/2133(INI)) du 20 décembre 2006. 13. Khulumani v. Barclay Bank, Ntsebeza v. Daimler Chrysler Corp., 05-2141, 05-2326 : U.S. Court of Appeals for the Second Circuit (New York).

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s’arrêteront peut-être pas aux délicates questions diplomatiques inhérentes à la situation.Dans un cadre moins directement politique (et encore), les sociétés Chiquita, Dole et Dow Chemisas ont dû rendre des comptes sur la manière dont elles ont mené leurs affaires en Colombie et au Nicaragua. La première a finalement transigé pour mettre fin à des poursuites liées au financement de groupes paramilitaires (on lui reprochait une complicité avec ses racketteurs), les autres ont été condamnées en novembre 2007 pour avoir employé ou fabriqué un produit ayant entraîné la stérilité d’un grand nombre d’employés. On se souvient que la Cour suprême des États-Unis avait admis qu’une société pouvait faire l’objet de poursuites si elle prétendait faussement prendre en compte les conditions de travail de ses sous-traitants14 ; avec ces décisions l’étape suivante est franchie.Il faut, en parallèle à ces affaires, tenir compte de la jurisprudence de la CEDH qui intègre, de plus en plus, explicitement les conditions de travail et la protection de l’environnement...

Plus près de nous, l’affaire de l’amiante fournit une très forte illustration de la vocation du droit à se saisir de situations critiques. Si l’amiante a été emblématique, combien sont les produits sur la nocivité desquels les doutes sont permis ? C’est l’objet du Règlement REACH que de tenter de fournir une réponse.

Au-delà, les droits de la concurrence, de la consommation et de la publicité fournissent également des prismes par lesquels la RSE, même dans sa vision la moins contraignante, peut être saisie par le droit. Un économiste l’a parfaitement résumé : « Les firmes pourraient bien se trouver piégées à terme par leur propre discours qui, en les contraignant à mettre leur pratique en adéquation avec leur “com”, deviendrait ainsi autoréalisateur »15.

On voit progressivement se mettre en place des relais participant d’un mouvement qui n’est pas sans rappeler l’émergence du droit social à la fin du XIXe siècle. Chaque âge a ses défis, on retrouve autour de la responsabilité sociale des entreprises l’un des plus stimulants de ceux qui s’offrent au nôtre.

14. Responsabilité sociale des entreprises et liberté d’expression, préc.

15. M. Allouche cité in Des pratiques responsables économiquement pertinentes : Le Monde Économie, 22 janvier 2008.

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LA RESPONSABILITÉ ENVIRONNEMENTALEDANS LES GROUPES DE SOCIÉTÉS

Jean-Yves Ollier

Avocat associé, Cabinet Allen & Overy

Le débat sur la responsabilité des maisons-mères en cas de sinistre environnemental a pris une ampleur particulière à la suite de l’affaire Metaleurop. Cette responsabilité, sur le plan administratif comme sur le plan civil, a récemment donné lieu à diverses recommandations et avant-projets de loi. On examinera ces réflexions au regard des évolutions du droit positif affectant la responsabilité environnementale au sein des groupes de sociétés.

I. LES PRINCIPAUX FONDEMENTS

DE LA RESPONSABILITÉ ENVIRONNEMENTALE

La responsabilité environnementale d’une société peut être engagée sur de multiples fondements :– la responsabilité de l’exploitant d’une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) de mettre en œuvre les remèdes nécessaires en cas d’incident, d’inobservation des prescriptions imposées à l’installation ou de tout autre danger ou inconvénient susceptible de porter atteinte à l’environnement1 et de remettre le site en état au terme de l’exploitation2 ;– la responsabilité du producteur ou du détenteur de déchets d’en assurer l’élimination3, récemment étendue par l’application de la qualification de déchets aux terres polluées4 ;

1. Article L. 512-7 du Code de l’environnement. 2. Article L. 512-17 du Code de l’environnement. 3. Article L. 541-2 du Code de l’environnement.4. CAA Versailles, 10 mai 2007, Commune de Saint-Chéron, à la suite de CJCE C-1/03, 7 septembre 2004, Paul Van de Walle et Texaco Begium SA.

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– la responsabilité pour faute de l’auteur d’un dommage à l’égard des tiers5 ;– la responsabilité du gardien de la chose6 ; – la responsabilité pénale à raison notamment de la pollution des

eaux ou de l’air, des atteintes à la faune et à la flore, de l’abandon de déchets, de la violation des dispositions relatives aux ICPE, de la mise en danger d’autrui, de l’abstention volontaire de combattre un sinistre.

L’adoption du projet de loi sur la responsabilité environnementale, déposé au Sénat le 5 avril 2007, qui transpose la directive 2004/35/CE du 21 avril 2004, élargira la responsabilité sans faute des exploitants d’ICPE, d’activités d’élimination de déchets, d’activités liées à des pro- duits dangereux et d’autres types d’installations définies par décret en Conseil d’État à la prévention et à la réparation des dommages graves à l’environnement.

II. L’AUTONOMIE DE LA PERSONNE MORALE ET L’EXTENSION DE LA RESPONSABILITÉÀ L’ACTIONNAIRE DE LA SOCIÉTÉ RESPONSABLE

L’autonomie de la personne morale fait en principe obstacle à ce que la responsabilité environnementale d’une société puisse être étendue à sa société mère. Il existe toutefois d’importantes exceptions. A. Installations classées

S’agissant de l’exploitation d’une ICPE, l’actionnaire d’un exploitant ne peut être rendu responsable de la mise en œuvre des mesures prescrites par l’administration ou de la remise en état du site, sauf si cet actionnaire peut être regardé comme exploitant de fait ou s’il a repris l’exploitation à la suite de sa filiale7. Il est cependant tenu compte des garanties financières et des capacités financières de l’exploitant :

5. Article 1382 du Code civil. 6. Article 1384 du Code civil.7. CAA Paris, 17 octobre 2003, Fayolle et fils ; Note F.-G. Trébulle, « L’actionnaire d’un exploitant liquidé ne peut pas être destinataire des mesures de remise en état », Rev. Dr. Immob. 2004, p. 431. L’exercice de responsabilités de direction dans la filiale par un salarié de la maison mère, ou le fait que celle-ci ait accepté de réaliser certains travaux, prélèvements et analyses, ne suffit pas à la rendre responsable.

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l’autorisation d’exploiter les ICPE les plus sensibles est soumise à la constitution de garanties financières8. En outre, l’autorisation prend en compte les capacités financières du demandeur9 ; l’autorité administrative peut ainsi être amenée à examiner la structure financière d’un groupe, et par exemple à prendre en compte le capital de la société exploitante au regard de l’importance des risques environnementaux présentés par l’exploitation.

B. Projet de loi sur la responsabilité environnementale Alors que la directive 2004/35/CE pouvait comporter une certaine

ambiguïté sur la notion de contrôle d’une activité professionnelle dans la définition de l’exploitant10, le projet de loi sur la responsabilité environnementale a entendu exclure la responsabilité de l’actionnaire, sauf s’il exerce la direction effective de l’activité11. C. Responsabilité civileÀ l’égard des tiers, la responsabilité de l’auteur d’un dommage environnemental est susceptible d’être étendue dans les cas suivants, qui résultent de règles et de procédures générales applicables à l’extension de la responsabilité des sociétés :– l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif12 (ancienne « action en comblement de passif »), qui permet de rechercher la responsabilité d’une société-mère, dirigeant de fait de sa filiale, au titre des fautes de gestion entraînant une insuffisance d’actif, notamment la

8. Article L. 516-1 du Code de l’environnement. 9. Article L. 512-1 du Code de l’environnement.10. Article 2.6 : « Aux fins de la présente directive, on entend par (...) : “exploitant” : toute personne physique ou morale, privée ou publique, qui exerce ou contrôle une activité professionnelle ou, lorsque la législation nationale le prévoit, qui a reçu par délégation un pouvoir économique important sur le fonctionnement technique, y compris le titulaire d’un permis ou d’une autorisation pour une telle activité, ou la personne faisant enregistrer ou notifiant une telle activité. » 11. Cf. Exposé des motifs du projet de loi relatif à la responsabilité environnementale, Sénat, Session ordinaire de 2006-2007, no 288, p. 5 : « Conformément à l’intention du législateur communautaire, l’exploitant doit être la personne qui pourra utilement et effectivement prendre des mesures de prévention et de réparation. Le contrôle qu’il exerce sur son activité, son affaire ou son entreprise doit s’entendre de leur direction effective. En particulier, la notion de contrôle au sens de cet article ne saurait s’appliquer à l’actionnaire, aux établissements de crédit, aux autorités chargées du contrôle administratif ou à des autorités de tutelle. » 12. Article L. 651-2 du Code de commerce.

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création d’une société sans fonds propres suffisants et la poursuite de l’activité sans prendre de mesures pour y remédier ;– l’action en obligation aux dettes sociales13, notamment lorsque l’activité déficitaire d’une société est poursuivie abusivement, dans un intérêt personnel, et qu’elle ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements de la personne morale ;– l’extension de la procédure collective sur le fondement de la confusion des patrimoines, qui résulte soit de l’imbrication des patri- moines, soit de l’existence de relations financières anormales ;– sur le fondement de la fictivité, le cas échéant en dehors de toute procédure collective, notamment lorsqu’une filiale est dépourvue de toute autonomie décisionnelle ou lorsque la société-mère cherche à créer une société de façade pour porter atteinte aux droits de ses créanciers par exemple pour fuir ses responsabilités environnementales.

Dans l’affaire Metaleurop, la Cour de cassation14 a annulé l’arrêt de la Cour d’appel de Douai15 au motif que celle-ci ne caractérisait pas en quoi les éléments qu’elle avait relevés (une convention de trésorerie et de charges, des échanges de personnel et des avances de fonds) relevaient de relations financières anormales caractérisant une confusion des patri- moines de la société mère avec celui de sa filiale. La Cour de cassation laisse cependant entendre que certains des comportements en cause pouvaient constituer des fautes de gestion propres à créer une insuffisance d’actif dans la filiale.

III. L’INFORMATION SUR L’ENVIRONNEMENT DANS LE RAPPORT DE GESTION CONSOLIDÉ

Le Code de commerce a récemment pris en compte les questions environnementales dans la gouvernance des groupes et leur communication vis- à-vis de leurs actionnaires. En effet, l’article L. 225-100-2, créé par l’ordonnance no 2004-1382 du 20 décembre 2004, intègre les informations relatives à l’environnement parmi celles qui sont susceptibles de figurer dans le rapport consolidé de gestion d’une société établissant des comptes consolidés.

13. Article L. 652-1 du Code de commerce. 14. Cass. com. 19 avril 2005.15. CA Douai 16 décembre 2004.

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IV. LE DÉBAT ACTUEL SUR LA RESPONSABILITÉ DE LA MAISON-MÈRE

Le débat sur la responsabilité de la maison-mère a été relancé dans le cadre du Grenelle de l’environnement, notamment par le discours du Président de la République du 25 octobre 200716.

Le rapport relatif à l’avant projet de réforme du droit des obligations

et du droit de la prescription remis au Garde des Sceaux par la commission Catala en octobre 2005 (dit « avant-projet Catala ») suggérait, sans viser en particulier la responsabilité environnementale, d’étendre la responsabilité extracontractuelle à « celui qui contrôle l’activité économique ou patrimoniale d’un professionnel en situation de dépendance, bien qu’agissant pour son propre compte, lorsque la victime établit que le fait dommageable est en relation avec l’exercice du contrôle. Il en est ainsi notamment des société-mères pour les dommages causés par leurs filiales ou des concédants pour les dommages causés par leurs concessionnaires ». Cette extension ne serait pas spécifique à la responsabilité environnementale.

Le Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable

et de l’Aménagement du territoire aurait présenté en décembre 2007 devant le conseil supérieur des installations classées une proposition relative à la responsabilité des sociétés-mères de l’exploitant d’une ICPE lorsque celui-ci fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Le gouverne- ment envisagerait d’ajouter à l’article L. 514-1 du Code de l’environnement, relatif aux sanctions susceptibles d’être prises contre les exploitants d’ICPE, les dispositions suivantes : « Lorsque l’exploitant est une entreprise appartenant à un groupe (...) et lorsque cet exploitant fait l’objet d’une liquidation judiciaire, l’entreprise dominante du groupe ou l’entreprise exerçant une influence dominante sur les autres entreprises du groupe est tenue de répondre, en lieu et place de l’exploitant défaillant, des obligations... ».

Le rapport de la mission Lepage, remis en février 2008, propose quant à lui de créer dans le Code civil un nouvel article qui rendrait la

16. « Il n’est pas admissible qu’une maison-mère ne soit pas tenue pour responsable des atteintes portées à l’environnement par ses filiales. Il n’est pas acceptable que le principe de la responsabilité limitée devienne le prétexte à une irresponsabilité illimitée. Quand on contrôle une filiale, on doit se sentir responsable des catastrophes écologiques qu’elle peut causer. »

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société-mère responsable des dommages environnementaux ou sanitaires causés par la faute de ses filiales ou des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce en cas de défaillance de ces dernières.

Il est permis de s’interroger sur l’équilibre de ces propositions à l’égard de leur objectif. Le risque lié au cantonnement du passif environnemental d’un groupe dans des sociétés dotées d’actifs insuffisants ou dépourvues d’autonomie décisionnelle paraît encadré (i) d’une part à l’égard de l’État par l’exigence de capacités financières et dans certains cas de garanties au moment de la délivrance de l’autorisation d’exploiter et par la possibilité de mettre en cause la responsabilité de l’exploitant de fait, (ii) d’autre part par les diverses possibilités d’extension à la société mère de la responsabilité de sa filiale à l’égard des tiers dans un tel cas. Sur ce dernier point, on peut se demander sur quel fondement singulariser la responsabilité environnementale, s’agissant de limites qui résultent de règles et de procédures générales applicables à l’extension de la responsabilité des sociétés ?

Une extension plus générale de la responsabilité de l’actionnaire en l’absence de défaillance de la filiale et de confusion des patrimoines et de comportement fautif de la société-mère paraît difficilement justifiable. À cet égard, on peut noter que le groupe de travail de la Cour de cassation sur l’avant-projet Catala, dans son rapport du 15 juin 2007, a exprimé de vives réserves sur l’extension de la responsabilité des filiales aux sociétés-mères, en relevant que la notion de groupe était consacrée en droit français de manière trop marginale pour qu’un système de responsabilité puisse être bâti sur son fondement, et qu’il était à craindre que les sociétés-mères soient tentées par la délocalisation des activités de holding ou par une immixtion croissante dans l’activité de la filiale17.

17. Rapport du groupe de travail de la Cour de cassation sur l’avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, 15 juin 2007, point 79.

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LES DIFFÉRENTES TECHNIQUES DE SÉCURISATION DES OPÉRATIONS DE TRANSFERT D’ENTREPRISE, ET LEURS LIMITES

Entretien avec Maître Françoise Labrousse

Avocat à la Cour, Spécialiste en Droit de l’Environnement, Cabinet Jones Day

I. LES RISQUES DE REMISE EN CAUSE

DE LA CESSION DE DROITS SOCIAUX : L’IMPÉRATIF DE SÉCURITÉ JURIDIQUE

Le cessionnaire peut-il invoquer la garantie des vices cachés en cas de passif environnemental résultant de la cession ? Une jurisprudence semble avoir fermé cette possibilité, quelle en est la portée ? Peut-il invoquer le dol ou l’erreur ?S’agissant de la garantie des vices cachés dans le cadre d’une cession d’actions, cette garantie est très difficile à faire valoir parce que, dès lors que la cession porte sur des actions, il faut démontrer que le vice caché s’applique non pas à un terrain qui serait pollué par exemple, mais que ce vice porte sur les actions elles-mêmes. Ainsi, l’acquéreur qui voudrait invoquer l’existence d’un vice caché devrait démontrer que le passif environnemental est tel que la valeur même des titres cédés a été impactée. Il y a peu ou pas d’exemples pratiques au vu de la difficulté de cette démonstration.Concernant les cessions de droits sociaux, il existe des litiges environnementaux importants conduisant, pour les acquisitions internationales, à des arbitrages relatifs au partage des responsabilités entre le vendeur et l’acquéreur à la suite de la mise en jeu de clauses de garantie environnementale. Nous avons travaillé sur un certain nombre d’arbitrages de ce type et nous avons pu constater que, dans la majorité des cas, les parties transigent avant qu’une sentence ne soit

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émise, sur la

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base des expertises techniques réalisées qui permettent de déterminer l’étendue du passif et les coûts associés. Néanmoins, certains arbitrages ont donné lieu à des sentences qui n’étaient fondées ni sur la garantie des vices cachés ni sur le droit commun des vices du consentement, mais plutôt sur la portée et le contenu des clauses de garantie environnementale. L’acquéreur avait ainsi renoncé à se fonder sur le droit commun, l’impact du passif environnemental sur la valeur des actions cédées étant très difficile à démontrer en pratique.

L’acquéreur peut-il se fonder sur un manquement à une obligation précontractuelle de renseignement du vendeur ?

Oui, c’est la raison pour laquelle dans les cessions d’actions, de nombreux documents relatifs à la situation environnementale de la cible sont généralement annexés (ou la liste de ces documents, généralement ceux qui étaient disponibles en data room), afin de permettre au vendeur de prouver qu’il a rempli son obligation d’information.

Néanmoins, le rôle et la portée des documents annexés sont variables. Parfois, les clauses de l’acte de cession prévoient que les informations sur les risques et passifs environnementaux mentionnées dans les annexes ne constituent pas des exclusions de garantie du vendeur. À l’inverse, les parties peuvent décider que tout ou partie de ces informations libèrent le vendeur de sa garantie, dans la mesure où l’acquéreur a été parfaitement informé de ces risques et passifs, et qu’il en a pris la responsabilité (ce qui a pu se traduire par une réduction du prix). Dans le premier cas, les annexes sont seulement fournies à la demande du vendeur pour prouver qu’il a bien rempli son obligation d’information à l’égard de l’acquéreur.

L’audit environnemental apparaît comme une mesure préalable à toute cession susceptible de générer un passif environnemental. Quels sont l’intérêt et la portée de cet audit ?

L’audit environnemental, comporte en général deux aspects. D’un côté, le vendeur réalise une sorte de pré-audit en interne, pour rassembler les informations qui seront mises à la disposition de l’acquéreur lors de la due diligence environnementale. Ces informations peuvent être difficiles à rassembler et à centraliser en vue d’une cession, notamment dans l’hypothèse où la cible dispose de plusieurs sites dans différents

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pays. Le vendeur doit ainsi faire remonter les informations les plus exhaustives possibles sur la situation environnementale de chaque site.

Il est vrai qu’aujourd’hui les politiques de management environne- mental qui sont de plus en plus systématiquement mises en œuvre par les entreprises peuvent aider dans ce processus. Les obligations s’imposant aux sociétés cotées au titre de la loi NRE, et qui devraient s’étendre à toutes les sociétés, qui obligent les sociétés mères à divulguer des informations sur les risques environnementaux présentés par leurs activités et celles de leurs filiales, se sont traduites par la nécessité de centraliser et de mettre à jour ces informations. Les informations ainsi collectées peuvent être utiles dans le contexte d’une cession, pour permettre au vendeur de remplir son obligation d’information sur les risques et passifs environnementaux.

Il y a donc un travail en amont effectué par le vendeur pour que lui-même puisse disposer de l’information, l’analyser, et dans un second temps, la mettre à la disposition de l’acquéreur.

Ensuite, l’acquéreur évalue les risques et passifs environnementaux de la cible, soit à partir des données fournies par le vendeur, soit à partir d’informations publiques qu’il est susceptible de se procurer lui-même, pour pouvoir ainsi vérifier la fiabilité des informations du vendeur et procéder à des recoupements.

L’audit environnemental présente un volet technique et un volet juridique. Ce dernier est déterminant puisqu’il va permettre à la fois à l’acquéreur et au vendeur d’apprécier le contenu et l’étendue du risque en question, et d’en tirer des conséquences sur le plan de la garantie. L’audit est un outil intéressant car, c’est au vu de ses résultats que vont être déterminées et négociées les clauses relatives à l’environnement dans l’acte de cession.

Grâce à l’audit, le vendeur remplit son obligation d’information en donnant accès à l’acquéreur à un certain nombre de renseignements qui vont lui permettre de faire son propre audit. Le fait qu’un acquéreur ait la possibilité de mener un audit permet ainsi au vendeur de démontrer que l’acquéreur a été correctement informé et qu’il a acquis les actions en connaissance de cause.

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L’audit est-il suffisant pour assurer la sécurisation de la transmission ?

L’audit est un instrument important mais tout va en fait dépendre

de ce que l’on prévoit dans les clauses de garantie contenues dans l’acte de vente. L’intention des parties peut être d’assurer la transmission de passif environnemental à l’acquéreur, mais aussi de laisser tout ou partie du passif environnemental antérieur à la vente à la charge du cédant.La spécificité en matière environnementale est qu’il y a une grande incertitude sur la nature du passif, qui peut être caché et se manifester après l’opération, et sur les coûts y afférant, qui sont souvent difficiles ou impossibles à évaluer avec justesse au moment de la vente. Par rapport aux autres passifs gérés lors d’une cession de droits sociaux, le passif environnemental est souvent traité à part compte tenu de son caractère incertain, avec des incertitudes tant sur le risque que sur ses conséquences (notamment au niveau technique et scientifique), et des mon- tants élevés de mise en conformité, de dépollution ou d’indemnisation qui peuvent en résulter.L’objectif de la garantie environnementale est donc de gérer l’inconnu et de partager le risque entre les parties. L’audit permet d’identifier un certain nombre de problèmes. Toutefois, l’audit n’est jamais exhaustif. Il est donc nécessaire de gérer l’inconnu dans la garantie, en précisant qui, entre le vendeur et l’acquéreur, prendra en charge cet inconnu. Il y a des moyens qui permettent de partager le risque entre le vendeur et l’acquéreur en prévoyant notamment des clauses dégressives relatives au passif environnemental dans l’acte de vente. Ces clauses visent par exemple à prévoir que la première année après la vente, la responsabilité du vendeur pour les passifs non identifiés dans l’audit sera de 80 %, l’année suivante 60 %, etc. Plus le temps passe, plus la responsabilité du vendeur diminue et celle de l’acquéreur augmente, ce qui est logique puisque ce dernier a de plus en plus de chances d’être à l’origine des passifs au fur et à mesure du temps qui passe après son entrée en possession des sites. Ce dispositif permet en outre de limiter les risques pour que l’acquéreur n’aggrave pas volontairement son passif s’il se croit couvert par la garantie du vendeur (dans le cas où l’acquéreur tenterait de faire supporter au vendeur des coûts de remise à niveau des sites qui ne sont pas strictement requis par la réglementation en vigueur au jour de la vente). Ces clauses sont courantes dans les actes de cession, lorsque l’environnement est un enjeu important.

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La garantie environnementale peut être mise en jeu quand le passif n’a pas été divulgué. La non-conformité de l’entreprise cédée aux dispositions législatives et/ou réglementaires peut- elle être qualifiée de passif dissimulé ?

Si le vendeur a déclaré dans l’acte de cession que la société était conforme à la réglementation en vigueur en matière d’environnement au jour du closing, et que si une non-conformité est découverte ultérieurement, la responsabilité du vendeur pourra être engagée si la garantie prévoyait, ce qui est habituel, que le vendeur sera responsable en cas de violation de ses déclarations de conformité.

Le Professeur François-Guy Trébulle estime que ce type de garantie

est de nature à encourager les cessions à l’aveugle. En effet, l’audit environnemental n’a pas un caractère systématique et dans certains cas, il est conseillé de ne pas en faire. Il ne faut pas croire que c’est la solution miracle à tous les problèmes. Dans certains cas, pour diverses raisons, il vaut mieux ne pas faire d’audit parce qu’on sait que cela ne servira à rien, et que les problèmes recherchés ne pourront pas être identifiés. Il en est ainsi, par exemple, pour un site en activité, lorsqu’il y a des pollutions suspectées sous les bâtiments. À supposer que ces pollutions puissent être confirmées, il ne sera pas possible de les évaluer correctement ou de les traiter avant la fermeture du site et la destruction des bâtiments. Les cessions « à l’aveugle » ne sont pas nécessairement au détriment de l’acquéreur lorsque ce dernier est couvert par la garantie du vendeur qui prend la responsabilité des risques et passifs inconnus au moment de la cession.

Concernant les non-conformités à la réglementation en vigueur, il peut sembler facile de vérifier si les installations sont en conformité ou pas avec la réglementation applicable au jour de la vente. Néanmoins, il est difficile de s’en assurer avec certitude, compte tenu de la complexité et technicité des normes environnementales, en évolution constante, et compte tenu des modifications des activités exercées et des processus de production, une certaine flexibilité par rapport aux arrêtés préfectoraux étant rendue nécessaire par les impératifs industriels.

La problématique est plus aiguë en ce qui concerne la pollution du sol (ex : un vendeur qui vend un site sans qu’il ait la moindre idée de l’ampleur

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d’une pollution qui serait sous un site et de ses conséquences au niveau environnemental et sanitaire). En toute hypothèse, un audit environne- mental ne permettrait pas d’évaluer cette pollution, son étendue, les risques qu’elle représente pour l’environnement et les tiers, et les coûts y afférant. L’audit environnemental doit le plus souvent être réalisé sur une période très brève, incompatible avec le temps nécessaire pour évaluer raisonnablement la pollution, même dans l’hypothèse où une approche probabilistique des coûts a été retenue par l’expert technique. Dans ce cas, la question de l’opportunité de réaliser un audit peut se poser.

Quelle est l’étendue de la garantie de passif environnemental ?

La garantie environnementale a l’étendue que lui confèrent les parties. En pratique, la garantie du vendeur est souvent limitée aux réglementations et pratiques en vigueur au jour du closing. Cela signifie que le vendeur ne garantit pas la conformité des installations cédées aux réglementations futures, ce qui serait très risqué. En outre, ce qui est vendu, c’est l’activité telle qu’elle est exercée au jour de la cession, et donc le vendeur ne peut s’engager sur la conformité des activités cédées qu’avec les réglementations en vigueur au jour de cette cession.La garantie porte également sur les sols pollués. Dans ce cas, le vendeur garantit à l’acquéreur pendant un nombre déterminé (ou indéterminé, ce qui est beaucoup plus rare) d’années le remboursement des frais de dépollution, qui seraient rendus nécessaires en vertu des normes environnementales, qui résulteraient d’une demande de l’administration ou de réclamations de tiers.Le montant de la garantie est souvent plafonné, mais est générale- ment plus élevé que pour les autres types de passifs. Comme indiqué ci-dessus, la garantie peut être dégressive et la responsabilité du vendeur peut ainsi diminuer avec le temps.

II. LES RISQUES LIÉS À LA TRANSMISSION UNIVERSELLE DU PATRIMOINE INHÉRENTE AUX FUSIONS-ABSORPTIONS ET APPORTS PARTIELS D’ACTIFS

Dans quelle mesure peut-on considérer que le passif environnemental constitue une « bombe à retardement » en cas de disparition de la société absorbée au profit de la société absorbante ?

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Comment les parties se prémunissent-elles contre un tel risque puisque les obligations environnementales sont transmises par l’effet de la transmission universelle du patrimoine ?

Si, en effet, la société absorbée a un passif environnemental, ce passif

va être transféré de fait à la société absorbante avec l’intégralité de l’actif. Ce passif peut être « une bombe à retardement » si ce risque n’est pas pris en compte au moment de l’opération. Parfois, pour éviter la transmission d’un passif lors d’un apport d’actifs, l’immeuble concerné par ce passif est isolé et transféré à une autre société du groupe (carve out) avant la réalisation de l’opération. Par exemple, si l’on se rend compte qu’il y a des passifs importants associés à une ancienne décharge localisée sur un site, on va isoler la décharge et transmettre les actifs et passifs associés à une autre société, qui en prendra la responsabilité et supportera les coûts environne- mentaux. Cette solution permet de transférer le passif dans une autre société avant l’opération de la fusion absorption ou d’apport partiel d’actif.

L’apporteur, n’étant pas vendeur, est-il soumis à une obligation particulière d’information relative aux obligations environnementales transmises, notamment en l’absence d’audit diligenté par l’acquéreur ?

L’acquéreur a là encore intérêt à se renseigner sur les biens qui lui sont apportés pour voir si des passifs ne sont pas attachés à ces biens. De même, le vendeur est tenu d’une obligation d’information sur les risques et passifs environnementaux.

En outre, quand il y a apport de fonds de commerce, on considère généralement qu’il y a changement d’exploitant au sens de la législation en matière d’installations classées pour la protection de l’environne- ment, à la différence de ce qui se passe en cas de cession d’actions. Des formalités particulières auprès des autorités compétentes doivent donc être effectuées (déclaration ou autorisation selon le cas) pour permettre le changement d’exploitant, et la reprise des responsabilités associées par le bénéficiaire de l’apport.

La réglementation environnementale prévoit-elle une obligation d’information autonome à la charge du cédant ?Dans l’hypothèse d’un apport d’actif impliquant en particulier le transfert de propriété de terrains sur lesquels sont exploitées des

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installations classées, l’obligation d’information spécifique de l’article L. 514-20 du Code de l’environnement pèse sur l’apporteur et doit se retrouver dans l’acte notarié. En outre, il convient d’effectuer les formalités de changement d’exploitant. L’apporteur a intérêt à ce que cette formalité soit effectuée par le bénéficiaire de l’apport, puisque à défaut, l’apporteur reste responsable au niveau administratif des passifs ayant une origine postérieure à l’apport. Cette problématique ne se pose pas en cas de cession d’actions, dès lors que la personne de l’exploitant au sens administratif du terme n’est pas impactée par l’opération.

En cas de fusion absorption, cette formalité est également souvent nécessaire. En revanche, un simple changement de raison sociale après une cession d’actions n’entraîne pas un changement d’exploitant, mais doit simplement être notifié à l’administration compétente (le préfet en général).

Le traité de fusion ou d’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions est-il opposable à l’administration en l’absence de déclaration de changement d’exploitant, comme semble le considérer la Cour administrative d’appel de Lyon dans l’arrêt Rhodia du 6 juillet 2006 ?

Tout d’abord, il faut noter que d’une manière générale, les contrats entre personnes privées ne sont en principe pas opposables à l’administration. C’est une règle de droit administratif.

Par ailleurs, en l’absence de déclaration de changement d’exploitant, l’administration sera en présence d’un exploitant en titre et d’un exploitant de fait. Le juge administratif considère généralement dans ce cas que l’administration a le choix de se retourner soit contre le bénéficiaire de l’apport soit contre l’apporteur. Ce dernier a donc intérêt à ce qu’une déclaration de changement d’exploitant soit faite par le bénéficiaire de l’apport. Dans le traité d’apport, on prévoit alors le plus souvent une obligation pour le bénéficiaire de l’apport de procéder aux formalités de changement d’exploitant, et d’en rendre compte à l’apporteur.

Dans l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 6 juillet 2006, un traité d’apport partiel d’actif avait transféré l’ensemble des biens, droits et éléments de passif constituant les branches de l’activité

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de l’exploitant à l’origine d’une pollution. Le traité ne comportait aucune réserve expresse par laquelle la société exploitant originairement l’activité litigieuse se serait engagée à continuer à assumer tout ou partie du passif résultant de cette activité. La Cour administrative d’appel de Lyon a considéré que ce traité, qui par l’effet de la transmission universelle de tous les droits, biens et obligations dépendant de la branche d’activité apportée, était opposable à l’administration, même en l’absence de déclaration de changement d’exploitant. La Cour a donc estimé que l’ayant-droit du bénéficiaire de l’apport se présentait bien comme le dernier exploitant du site au sens de la législation sur les installations classées, et devait donc être le destinataire des arrêtés préfectoraux prescrivant la remise en état du site.

Étant donné les risques susmentionnés, quels sont les mécanismes permettant de transférer ces risques et obligations environnementales ? En particulier, quel est l’intérêt de procéder à une répartition des passifs environnementaux par la constitution d’une pluralité de filiales qui feront l’objet de plusieurs apports partiels d’actifs ?Tout d’abord, il est parfois difficile, en cas d’installations classées présentes sur un même site industriel, de procéder à une séparation de différentes branches d’activités. En effet, les sites industriels sont souvent complexes, et la répartition des installations et responsabilités y afférentes difficile, lorsqu’il existe des installations communes (par exemple une station d’épuration). Cette question, et en particulier le partage des responsabilités entre plusieurs exploitants sur un même site ou des sites voisins, est souvent traitée dans une convention de site.La séparation est donc possible mais dans ce cas, le bénéficiaire de l’apport a intérêt à vérifier ce qui lui est transféré, c’est-à-dire quelles sont les installations qu’il reprend, le passif attaché à ces installations, et les modalités de gestion et passifs attachés aux installations communes. Ceci implique, pour les installations communes, l’analyse détaillée des clauses de la convention de site.

À l’égard de l’administration, cette convention sur le partage des responsabilités n’est en principe pas opposable. L’administration a en effet comme premier interlocuteur l’exploitant en titre c’est-à-dire celui qui a son nom sur les arrêtés d’exploitation, et s’il y a un changement

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d’exploitant, celui qui a déclaré le changement d’exploitant. Toutefois, l’administration peut également se retourner contre l’exploitant de fait qui est la personne qui a la maîtrise matérielle des installations. Parfois, on a un exploitant en titre qui est différent de l’exploitant de fait. L’administration aura le choix dans ce cas.

Quel type d’exploitant privilégie-t-elle en pratique ?

L’exploitant en titre. Quand ce dernier est défaillant, a disparu ou

est insolvable, l’administration se tourne vers l’exploitant de fait, ou même le propriétaire du terrain supportant l’installation.

Y a-t-il une solidarité au niveau des obligations entre les deux exploitants ?

Non, mais éventuellement un partage de responsabilité entre deux exploitants qui ont contribué à une pollution.

Quid en cas d’insolvabilité de l’exploitant en titre ?

Si l’exploitant en titre n’est pas solvable, elle va se retourner contre l’exploitant de fait, à charge pour les parties de se retourner les unes contre les autres en fonction des clauses contenues dans leurs accords contractuels, tel un traité d’apport.

Par ailleurs, quelle est la portée juridique d’une lettre d’intention faite par une société mère au profit de l’administration contenant un engagement de financement des coûts de traite- ment d’une pollution engendrée par l’activité d’une filiale ? Est- elle de nature, par elle-même, à lui conférer la qualité d’exploitant ?

Si l’administration reçoit une telle lettre d’intention, elle pourra être tentée de demander à la société mère de prendre en charge les coûts de remise en état et si la société mère refuse en disant qu’elle n’est pas l’exploitant, le risque est que la société mère soit considérée comme un exploitant de fait.C’est également le risque lorsque la société mère s’est ingérée de manière substantielle dans la gestion des problèmes de pollution de sa filiale. C’est un point auquel doivent faire attention les sociétés mères car plus elles sont impliquées dans la gestion des problématiques

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environnementales de leurs filiales, plus elles prennent le risque d’être considérées comme exploitant de fait et d’être elles-mêmes tenues directement responsables au titre de la législation des installations classées.

Un tel engagement purement moral peut-il avoir une valeur contraignante et être juridiquement opposable à son auteur dès lors qu’il exprime une volonté non équivoque et délibérée de prendre en charge le passif environnemental ?

La lettre d’intention peut être considérée comme un élément étayant le fait que la société mère se comporte comme un exploitant, parce qu’elle gère directement les affaires de sa filiale et entre en contact direct avec l’administration, créant de ce fait des obligations. Les sociétés n’en sont parfois pas pleinement conscientes et prennent des risques à ce sujet.

Est-il source d’une obligation autonome de la société mère ?

En général, si c’est la filiale qui est l’exploitant en titre, l’administration se retournera contre cette filiale. C’est seulement si la filiale est défaillante, que l’administration poursuivra dans certains cas précis la mère.La jurisprudence administrative est fluctuante sur ce point et répond à des critères qui sont plus « aléatoires » que ceux retenus par le juge en matière civile ou commerciale, pour remonter vers la société mère.Concernant la jurisprudence administrative, les cas dans lesquels le juge reconnaît à l’administration la possibilité d’aller rechercher la res- ponsabilité de la société mère correspondent souvent à des situations particulières. C’est le cas par exemple lorsque la société mère est éga- lement le propriétaire du terrain sur lequel est exploitée l’installation classée à l’origine d’une pollution. Une filiale est créée pour en être l’exploitant mais il s’agit des mêmes dirigeants. Il y a des éléments spé- cifiques qui impliquent des liens très forts entre les deux sociétés et qui justifient dès lors la responsabilité de la société mère.

En dehors de ces situations, quel fondement l’administration peut-elle invoquer pour rechercher directement la responsabilité de la société mère en dehors des liens étroits entretenus avec la filiale qui exploite officiellement l’activité ?L’administration a des possibilités réduites du fait que la société mère et ses filiales ont des personnalités juridiques distinctes. Il lui faut en

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principe démontrer que la société mère est l’exploitant de fait de l’installation, qu’il y a eu ingérence dans la gestion du site, ou confusion des patrimoines.Ce sujet fait l’objet de nombreuses discussions à l’heure actuelle dans le contexte des Grenelles de l’environnement. Nicolas Sarkozy a notamment déclaré qu’il était anormal qu’en matière d’environnement, la société mère ne soit pas responsable de sa filiale. Ce point a été finalement été écarté dans le projet de loi de transposition de la directive sur la responsabilité environnementale, mais doit être à nouveau abordé à la rentrée dans les projets de loi Grenelles.

Quelles seraient les conséquences de l’adoption d’un tel projet de loi ?

Faire tomber l’écran de la personnalité morale en matière environnementale serait un changement « révolutionnaire », qui pourrait inquiéter les investisseurs.

À l’heure actuelle, il existe des cas très restrictifs dans lesquels la responsabilité de la société mère peut être recherchée : l’ingérence, l’exploitation de fait et la confusion des patrimoines.En droit français, la solution qui est discutée aujourd’hui et qui serait peut être plus logique, serait la généralisation des garanties financières. L’obligation de constituer des garanties financières existe déjà pour les installations classées « S » dans la nomenclature ICPE (i.e. ; les installations dites « SEVESO »), les sites de stockage de déchets et les carrières. Ainsi, en cas de risque environnemental et sanitaire important, une garantie financière doit être constituée par l’exploitant, au profit de l’administration.

Sur la base du risque qui est évalué lors de l’instruction de la demande d’autorisation des installations concernées, qui peut constituer un risque d’accident ou des coûts de remise en état pour les carrières et les installations de stockage de déchets, l’exploitant est obligé d’obtenir une garantie financière émanant d’une banque ou d’une société d’assurance. Ainsi, pour pouvoir obtenir son autorisation d’exploiter ou en cas de changement d’exploitant, la société est obligée de constituer une telle garantie, souvent sous la forme d’une garantie à première demande, au profit de l’administration. Si l’exploitant est défaillant ou insolvable, au

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lieu d’aller rechercher la responsabilité de la société mère, l’administration peut faire jouer la garantie, et obtenir directement de la banque ou de la société d’assurance les montants couverts par la garantie, ce qui est plus simple pour l’administration. Souvent ces garanties sont négociées dans les grands groupes par les sociétés mères pour le compte de l’ensemble de leurs filiales.

Ce mécanisme pourrait être étendu et généralisé, au lieu de sup- primer l’écran de la personnalité morale qui pourrait entraîner une insécurité juridique totale pour les sociétés mères. Cette solution permet d’assurer une prévisibilité des risques, de faire des audits plus réguliers et donc, d’assurer une sécurité juridique plus importante sans entraîner de risque de confusion de patrimoines.

À supposer que l’on étende le système des garanties financières, quels types de critères seraient pris en compte pour en fixer le montant ? S’agit-il d’une évaluation prospective immuable ?

Le montant de la garantie financière doit être actualisé en fonction de l’évolution de l’installation classée. Cette garantie est fixée au moment où l’autorisation est délivrée. Pour les installations SEVESO par exemple, une étude de danger est réalisée. Le montant de la garantie est déterminé sur la base des conclusions de cette étude de danger sur les risques liés à l’exploitation et l’étendue des dommages pouvant être causés en cas d’accident.En matière de remise en état, pour les installations de stockage de déchets par exemple, on sait que cela va représenter un coût important pour remettre en état le site, au fur et à mesure de l’exploitation de la décharge. Le montant des garanties financières évolue en fonction des dépenses de remise en état restant à effectuer.Il y a également des circulaires qui précisent, en fonction du type d’installation, comment calculer les garanties financières (par exemple la circulaire no 197-103 du 18 juillet 1997). Le montant des garanties est fixé dans l’arrêté préfectoral d’autorisation. Une négociation est sou- vent menée entre l’administration et l’exploitant en ce qui concerne le montant de la garantie, en raison notamment du coût qui en résulte pour l’exploitant, ou pour sa société-mère.

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Dans le cas où les garanties financières seraient constituées par les sociétés mères, n’y aurait-il pas une remise en cause du principe pollueur-payeur ?Le principe du pollueur-payeur est finalement un principe très Français, qui vient d’être étendu par la directive sur la responsabilité environnementale aux autres pays européens. En pratique, il est rare que ce principe soit directement invoqué en tant que fondement à la responsabilité d’une entreprise.En outre, le principe du pollueur-payeur peut parfois être restrictif, dans le cas où la responsabilité du propriétaire d’un site est recherchée. Dans le cadre des projets de lois Grenelles, la possibilité pour l’administration de mettre en cause directement la responsabilité du propriétaire d’un site classé, en cas de défaillance de l’exploitant, est discutée. La responsabilité du propriétaire serait justifiée par sa qualité de détenteur de la pollution, ou parce qu’il bénéfice, en connaissance de cause, des loyers de location du site supportant l’installation classée.

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LES FRICHES INDUSTRIELLES

Entretien avec Maître Laurence Lanoy Docteur en DroitAvocate au Barreau de Paris, Spécialiste en Droit de l’Environnement

Quelles sont les caractéristiques et les spécificités des friches industrielles ?Par friche industrielle, on entend une activité qui a été exploitée sur un site et sur lequel cette activité a cessé. Le terrain est par conséquent laissé à l’abandon avec des polluants posant des problèmes de dépollution.

Quelles sont les problématiques juridiques majeures soulevées par la prise en compte des friches industrielles en matière de droit des sociétés ?Ces friches industrielles posent des problèmes juridiques majeurs car la dépollution est extrêmement importante. En effet, il existe une obligation de remise en état de ces sites industriels d’origine prétorienne, consacrée par le législateur. En cas de rachat de ces sites industriels, il faudra procéder à leur décontamination. En droit des sociétés, le principe de l’autonomie patrimoniale fait obstacle à la mise en jeu de la responsabilité des actionnaires. Dès lors, la société mère ne peut, en vertu de ce principe, être débiteur de l’obligation de remise en état pour des pollutions causées par l’activité de sa filiale, c’est le cas de l’affaire MetalEurop. En dépit de ce principe, on se rend compte que le juge administratif va chercher à engager la responsabilité de la société mère solvable plutôt qu’une filiale défaillante qui ne pourrait pas assumer les coûts de remise en état des sites. Ainsi, en matière de droit des sociétés, ce sont des problématiques de mise en jeu de la responsabilité qui sont très coûteuses et très lourdes en matière de sites pollués. Néanmoins, les friches industrielles par définition ne comportent pas d’activité ni d’exploitant. Dès lors, les questions relatives à la responsabilité du propriétaire ou du détenteur de déchets vont se poser.

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Qui est débiteur de l’obligation de remise en état de ces sites pollués étant donné qu’il n’y a plus d’exploitant ?

En droit de l’environnement, l’obligation de remise en état pèse sur le dernier exploitant de l’installation classée à la cessation d’activité en vertu de l’article L. 512-17 du Code de l’environnement qui énonce le régime applicable. Il s’agit d’une obligation de police administrative spéciale. La seule qualité de bailleur ou de preneur ne permet pas à l’administration de leur imposer des prescriptions de remise en état. En outre, une convention de garantie de passif ne confère pas au débiteur la qualité d’exploitant en vertu d’une jurisprudence établie.

Dans quelle mesure détermine-t-on le débiteur de l’obligation de remise en état des sites en cas de pluralité d’exploitants successifs exerçant des activités distinctes ?

Dans cette hypothèse, le principe est qu’en cas de succession d’exploitants sur un même site, l’ancien exploitant est tenu des obligations de remise en état se rattachant directement à son exploitation si le nouvel exploitant ne s’est pas substitué régulièrement à lui en vertu de l’arrêt Société des Produits Chimiques rendu par le Conseil d’État en date du 11 avril 1986. Dans le cadre d’opérations de fusions, cette réalité jurisprudentielle doit être nuancée en raison du fait qu’il est très difficile de mettre en jeu la responsabilité des précédents exploitants car il faudra lancer une procédure souvent contentieuse. Par conséquent, on s’attache au principe de la responsabilité du dernier exploitant même en cas d’activités distinctes.

Quel est le rôle des pouvoirs publics (notamment, l’Agence

de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) en cas de défaillance ou d’insolvabilité du dernier exploitant en charge de l’obligation de remise en état ?

La première étape consiste à engager la responsabilité du dernier exploitant. À défaut d’exploitant solvable, la jurisprudence et la doctrine administrative acceptent de mettre en jeu la responsabilité du propriétaire, bien que les textes ne le prévoient pas expressément. Néanmoins, ce dernier est concerné par le contenu de la remise en état dans la mesure où il est consulté. De plus, au titre de la « législation déchets », sa responsabilité peut être engagée en tant que détenteur de déchets. Si

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toutes ces voies d’actions n’aboutissent pas, l’ADEME, après l’autorisation du Ministre chargé de l’Environnement, se chargera de la mise en sécurité du site en vertu des circulaires du 8 février 2007. Ainsi, les pouvoirs publics prennent le relais lorsqu’il faut décontaminer un site.

Quelles sont les méthodes d’évaluation des risques appliquées en l’absence d’archives permettant de donner des renseignements sur les activités exercées antérieurement ?

Ce sont des sondages, des études de sols, des diagnostics historiques qui seront réalisés. Par exemple, on peut effectuer des photos avec une vue aérienne afin de découvrir les activités qui ont été antérieurement exercées sur le site.

Qui a autorité pour définir les objectifs de concentrations résiduelles ? Sur quelles bases règlementaires ? Quel est le rôle du critère de l’usage futur du site dans le cadre de la détermination des objectifs de dépollution ?

Il s’agit d’aspects très techniques. Les circulaires du 8 février 2007 ont modifié la politique habituelle en matière de sites et sols pollués. Il n’existe plus d’ESR (évaluation simplifiée des risques), d’EDR (évaluation détaillée des risques), de VCI (valeur de constat d’impact) ni de VDSS (valeur de définition de sous-sol). Ce sont des méthodes qui étaient assez complexes à mettre en œuvre d’où l’adoption de la nouvelle méthodologie. Celle-ci prévoit, d’une part, une IEM (étude d’impact sur l’état du milieu) qui a pour objectif de s’assurer que l’état des milieux est compatible avec les usages présents et déjà fixés. D’autre part, le plan de gestion est destiné à être utilisé pour des projets de changement d’usage sur des sites pollués ou pour la remise en état en cas de cessation définitive de l’activité. Ce plan de gestion va évaluer de nombreux aspects dont ceux sanitaires, environnementaux, énergétiques et économiques. C’est à l’issue de ce plan de gestion, que vont être définis les techniques et les objectifs de réhabilitation du site.Quant à l’usage futur du site, il s’agit d’un critère qui existait auparavant dans les circulaires mais qui a été repris par l’amendement AZF dans la loi du 30 juillet 2003. En fait, l’obligation de remise en état est d’abord mise en œuvre afin qu’il ne s’y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés par L. 511-1 du Code de l’environnement ainsi qu’en fonction de l’usage futur du site déterminé par l’exploitant conjointement avec le préfet, le maire de la commune et le propriétaire.

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Ce dernier est visé non pas par la remise en état mais seulement par le contenu. À cet égard, il est utile de noter qu’un projet de loi en cours d’élaboration a pour objectif d’engager la responsabilité directe du propriétaire à défaut d’exploitant solvable ou existant.

Quelles sont les conditions d’obtention de la validation administrative des opérations de dépollution ?Il n’y a pas véritablement de quitus en matière de remise en état. L’administration examine et valide le plan de gestion mais il ne s’agit en aucun cas d’un quitus. En effet, le Préfet pourra toujours prescrire des mesures complémentaires par voie d’arrêté s’il y a des pollutions supplémentaires. Le dernier exploitant a une lourde responsabilité d’où l’intérêt de prendre en compte ce genre d’enjeux dans le cadre des fusions-acquisitions en cas de rachat de sites industriels.

Le temps et le coût liés aux impératifs techniques ajoutés à la complexité des procédures administratives en matière de dépollution constituent-ils des obstacles aux opérations d’investissement ?Une opération d’investissement peut avoir pour but de réhabiliter le site afin de l’affecter à un nouvel usage (construction d’un hôpital, d’une école, d’un immeuble etc.). Cependant, il est utile de préciser que les circulaires du 8 février 2007 interdisent d’installer des établissements sensibles sur des sites pollués sauf à démontrer qu’il n’y avait pas d’autre alternative. Mais, la plupart du temps, c’est la même activité qui va être poursuivie. En ce cas, des études de sols vont permettre d’évaluer le passif environnemental qui fera l’objet de négociations dans le cadre des garanties de passif. Dès lors, il ne constitue pas vraiment un obstacle aux investissements ni par la lourdeur, ni par le temps ou le coût des opérations dans la mesure où les parties prévoient la gestion de ce risque sur le plan contractuel. Le véritable obstacle est ailleurs et consiste en une absence de prise en compte de ces questions en cas de fusions-acquisitions, ce qui peut engendrer des risques juridiques et financiers non négligeables.

Quels sont les types de garanties mises en œuvre par les entre- prises afin de se prémunir contre les risques de contamination des sites dans le cadre d’une cession de site ? Existe-t-il une obligation d’information spécifique à la charge du vendeur ?Il y a une obligation d’information renforcée issue de l’article L. 514-20 du code de l’environnement pesant sur le vendeur du terrain

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sur lequel a été exploitée une installation classée soumise à autorisation. Dès lors, a priori, cette obligation n’est prévue que pour les cessions de terrain et non les cessions d’actions. Toutefois, la jurisprudence a étendu cette obligation aux hypothèses de cessions d’actions sur le fondement de la réticence dolosive. En outre, le Grenelle de l’environnement s’oriente vers la consécration de cette extension aux cessions d’actions, prenant ainsi en compte l’importance croissante des transactions commerciales.Par ailleurs, en pratique, la technique appliquée concerne soit une diminution du prix soit une clause de garantie de passif. Étant précisé que la prescription instituée par le Conseil d’État est de 30 ans, ce qui aura une influence sur la négociation de la durée de la garantie. Celle-ci pourra être dégressive. Pour des pollutions cachées ou inexistantes, c’est la garantie de passif qui va s’appliquer. Mais, de manière générale, le niveau de pollution est connu par les parties lors de la conclusion de la vente grâce aux diverses études de sols qui auront été effectuées.

Quelles sont les orientations législatives et règlementaires futures prévues en la matière ?

Une loi d’orientation est prévue pour l’automne 2008 comportant

des propositions visant à étendre les débiteurs de l’obligation de remise en état tels que : le propriétaire ainsi que les tiers. Un projet de loi organise le transfert des friches industrielles aux tiers. Il s’agit d’une prescription prise par le Préfet sur demande d’un tiers afin de mettre en œuvre des mesures de réhabilitation requises lors de la cessation d’activité. Jusque là, ce procédé n’était prévu que dans le cadre des contrats de droit privé. Désormais, l’administration serait partie aussi à cette transaction même si en dernier lieu c’est l’exploitant qui est responsable en cas de défaillance de ce tiers.

En outre, des propositions sont en cours de discussion en matière de responsabilité des sociétés mères du fait de leurs filiales et une extension de l’obligation d’information environnementale prévue initialement par la loi NRE (Nouvelles Régulations Économiques) du 15 mai 2001 qui serait à la charge de toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires, le total de bilan ou les effectifs salariés dépasseraient certains seuils. Dans l’ensemble, on s’oriente donc vers plus de responsabilité de l’exploitant et des sociétés en matière environnementale tant au niveau

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administratif que pénal. À cet égard, sur le plan communautaire, une directive récente relative à la protection de l’environnement par le droit pénal vient d’être adoptée le 21 mai 2008. Par conséquent, nous pouvons remarquer une véritable prise de conscience tant au niveau national qu’au niveau communautaire.

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LE PRÉJUDICE ÉCOLOGIQUE

Entretien avec Corinne Lepage, Avocate associée, Cabinet Huglo Lepage

La doctrine propose une dichotomie entre préjudice écologique et préjudice écologique pur. Au stade de la réparation du dommage, comment dissocier la réparation du préjudice éco- logique pur de celle du préjudice écologique ?Il faut opérer une distinction : d’un coté, vous avez le préjudice écologique, pur ou non. Qu’est-ce que le préjudice écologique ? Il s’agit du préjudice porté au milieu, à la nature elle-même. Cela désigne, par exemple, l’indemnisation de la LPO (Ligue de protection des oiseaux), cette ligue ayant obtenu une indemnisation du préjudice correspondant aux oiseaux morts. À cet égard, je ne parle pas du nettoyage des oiseaux morts, il s’agit donc bien du préjudice écologique.Quand le département du Morbihan obtient une indemnité parce qu’il a été porté atteinte à une réserve naturelle dont il avait la gestion, nous sommes toujours dans le cadre de la réparation du préjudice éco- logique. En revanche, quand les communes obtiennent la réparation de l’atteinte à leur image de marque, du fait du préjudice écologique, il ne s’agit plus d’indemniser le préjudice écologique qui est déjà reconnu et indemnisé, mais de réparer l’atteinte à l’image de marque.

Cette atteinte est, bien entendu, liée au préjudice écologique mais il ne s’agit pas de la réparation du préjudice écologique. Le préjudice éco- logique est le dommage causé à la nature indépendamment de son propriétaire, et ce, indépendamment du préjudice économique qu’il génère.

L’article 1343 de l’avant projet de réforme du droit des obligations et de la prescription vise la réparation du préjudice collectif. Pensez-vous qu’il vise également la réparation du préjudice écologique en tant que préjudice collectif ?

Il y a deux choses à distinguer. D’abord, la possibilité, lorsqu’une collectivité d’individus est concernée par un même préjudice, ou du

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moins par un préjudice comparable, parce que chacun en subit un, de pouvoir se grouper pour demander la réparation d’un préjudice, c’est ce que l’on appelle l’action collective (class-action). Je suis, pour ma part, extrêmement favorable à l’action collective. Du reste, c’est une des propositions du rapport que j’ai remis à Jean-Louis Borloo, à ceci près qu’elle ne relève que du domaine de l’environnement. Cette proposition concerne la possibilité donnée à des victimes de réclamer la réparation de leur préjudice, qui n’est pas nécessairement écologique, qui peut être un préjudice économique, une atteinte à l’image de marque par exemple. À cet égard, des pêcheurs pourront, notamment, demander la réparation de leurs pertes économiques s’il a été porté atteinte à la qualité du poisson de manière durable. Voilà quelle pourrait être une illustration concrète de cette possibilité.

Toutefois, une autre difficulté se pose : que peut-on demander dans ce type d’actions ?

Vous pouvez avoir le préjudice collectif, c’est-à-dire, le préjudice supporté par une collectivité d’individus indifférenciés, voire par tout le monde, préjudice écologique porté, par exemple, au milieu marin. Dès lors que nous sommes dans le domaine public, il n’y a que l’État qui pourrait demander réparation. Or, l’État a beaucoup de préoccupations, et celle-là n’est pas sa préoccupation première. D’où l’intérêt du regroupement sous forme d’associations, dont le but pourrait être de veiller à la bonne conservation du poisson, la qualité de la mer et qui pourront par conséquent demander réparation.Ensuite, la question est ensuite de savoir, dans l’hypothèse où le préjudice est alloué, comment est-il individualisé, ou du moins, comment est-il est attribué, et avec quel contrôle ? En droit français, les sommes allouées au titre de la réparation du dommage ne font pas l’objet d’une affectation déterminée. Dans l’affaire de l’Amoco-Cadiz, les communes ont été indemnisées sans que l’on sache pour autant comment ces sommes ont été affectées.La question, qui est liée à celle du dommage écologique, consiste donc à savoir comment déterminer les conditions de la réparation de ce dommage, et comment définir l’obligation d’affecter au milieu la réparation qui lui revient. Autrement dit, comment fait-on pour s’assurer que la LPO a bien attribué la réparation aux oiseaux ? Pour la LPO, la question ne se pose pas vraiment car son objet social

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consiste en la protection des oiseaux. Toutefois, pour le département du Morbihan, c’est plus difficile à dire. Rien ne prouve a priori qu’il affectera les fonds récoltés à la réparation de la réserve touchée par la pollution.

La notion de préjudice collectif ou écologique soulève donc trois questions : Qui va pouvoir demander sa réparation ? Comment l’évaluer ? Comment assurer le contrôle de l’affectation des fonds issus de la réparation ? Ce sont trois sujets différents.

Concernant la première question relative à la réparation, pensez-vous qu’il soit nécessaire de redéfinir le champ d’application de l’article L.142-2 du Code de l’environnement qui pré- voit la possibilité pour les associations agréées de se constituer partie civile ? Son champ d’application ratione personaedevrait-il être étendu ?Les associations agréées dans le domaine de l’environnement ont, compte tenu du Code de procédure pénale, un léger avantage sur le plan de la constitution de partie civile. Je pense que le texte est équilibré dans la mesure où la possibilité pour les associations agréées de se constituer partie civile n’exclut pas qu’un tiers ayant un intérêt particulier puisse aussi le faire. Je pense qu’il faut tout de même être attentif à la manière dont les fonds vont être utilisés.Le rapport que j’ai remis à Jean-Louis Borloo propose la constitution d’une forme de fonds de garantie et qu’en cas d’allocation de sommes, au titre de la réparation du préjudice écologique, le montant soit alloué à ce fonds.Ce serait également le cas à l’occasion de condamnation à des dom- mages et intérêts punitifs, puisque nous proposons également l’instauration de ce type de dommages et intérêts en cas d’atteintes à l’environnement. Ces dommages et intérêts punitifs iraient donc soit à une association agréée, soit au fonds de garantie, de manière à ce que l’on puisse s’assurer que ce soit le milieu qui en bénéficie et que cela ne constitue pas un enrichissement sans cause.

Concernant maintenant le rôle de la Convention CLC/FIPOL (Convention internationale de 1969 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures/

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Convention internationale portant création d’un Fonds international d’indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de 1971) cette dernière s’oppose en effet à ce que soit recherchée la responsabilité de l’affréteur.Peut-on voir dans les propositions 68 et 74 de la version définitive de votre rapport, la consécration de la jurisprudence ERIKA, à savoir, l’appréciation de la responsabilité non plus au niveau du seul pollueur mais du groupe de sociétés ?

Nous avons en fait eu une double préoccupation. La première était d’essayer de créer un cercle vertueux de responsabilités. Lorsque, dans une chaîne causale, l’un des acteurs peut s’exonérer, vous êtes sûr qu’il va tenter de profiter de cette faille. Et que par conséquent, cet acteur pourra agir impunément. Donc les autres acteurs sont à la fois pénalisés et peu justifiés dans les efforts qu’ils pourraient faire. Le premier principe, est donc de faire en sorte qu’aucun acteur ne puisse se voir exonéré de sa responsabilité a priori. Et cela va évidemment à l’encontre de la solution retenue par la convention CLC.Le deuxième point, concerne la question de la responsabilité Mère- filiale qui est un sujet un peu différent. En effet, nous avons dans ce cas des entités juridiques séparées. Dans le cas de TOTAL, la mère n’a rien avoir avec Savarez ou avec Rina, mais elle a évidemment un lien avec ses filiales. C’est un cas très particulier où une même société revêt trois casquettes : celle d’affréteur, de chargeur, et enfin et surtout de propriétaire de sa cargaison.

Le régime de la responsabilité Mère-filiale n’est pas venu au débat par l’affaire TOTAL, mais par l’affaire Metaleurop. Il s’agissait d’un cas de pollution du sol qui avait eu des conséquences très graves sur la santé publique. Cette usine a continué à fonctionner et la mère a fini par refuser d’effectuer les investissements nécessaires. Cette affaire a bien montré l’importance de la question de la responsabilité de la société mère. L’idée est de dire qu’en cas de défaillance des filiales, c’est la société mère qui doit payer. Et l’idée supplémentaire de la proposition 68 est de dire que pour qu’une société mère sache ce qui se passe dans une filiale, il faut consolider les rapports RSE et développement durable à l’échelle du groupe, de manière à contraindre les mères à s’intéresser à ce qui se passe chez leurs filiales.

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Par conséquent, le dernier alinéa de la proposition d’article 1384-1 ne permet pas à une société mère d’échapper à sa responsabilité en invoquant la défaillance ou l’insolvabilité de sa filiale.

Non. Nous avions plusieurs options. Pour tout vous dire, la première option que nous avions était beaucoup plus exigeante. Nous nous étions dit que les mères devraient dans tous les cas être responsables de leurs filiales. Après discussions, notamment avec le MEDEF, nous avons retenu un dispositif moins sévère, car nous sommes parvenus à la conclusion que l’admission de la responsabilité sans faute des sociétés mères en cas de défaillance de leurs filiales représentait déjà une avancée importante. Nous avons retenu cette version qui est plus souple mais qui constituerait déjà un progrès considérable.

Cette proposition a pu essuyer un certain nombre de critiques, à l’instar de la proposition du projet CATALA. Ces critiques portent notamment sur l’attractivité de notre droit des sociétés. Qu’en pensez-vous au regard de votre proposition en visant à introduire un article 1384-1 au sein du Code civil ?

On ne peut pas en même temps se donner comme objectif de déréglementer, de libéraliser et ne pas en accepter la contrepartie qui est la responsabilité. Le système français, par rapport au système anglo-saxon, est un système plus interventionniste en amont et moins rigoureux en termes de responsabilité en aval, ce qui est logique. Le monde économique ne peut pas prétendre à la fois à l’allègement des contraintes en amont, et ne pas supporter la responsabilité en aval. Une société se doit d’être équilibrée entre les droits de ceux qui entreprennent et le droit de ceux qui peuvent être les victimes de cette entreprise.

Évoquons, en outre, la directive 2004-35 du 21 avril 2004 relative à la responsabilité environnementale. Vous prenez soin de préciser dans votre rapport que la directive ne vise pas les cas de responsabilité civile. Toutefois, la directive adopte une méthode singulière qui consiste à distinguer entre les cas de responsabilité objective et les cas de responsabilité pour faute.Dans votre rapport, vous proposez d’introduire deux nouveaux articles. L’article 1382-1 qui reprend la formule de l’actuel article 1382 du Code civil, à ceci près que le mot autrui est

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remplacé par le mot environnement. Dans un article 1382-2, vous proposez, semble-t-il, une responsabilité fondée davantage sur le risque. Cette proposition constituerait-elle une consécration au civil de la méthode adoptée par la directive ?

La directive de 2004 ne vise la réparation que de certains préjudices environnementaux. Les dispositions que nous proposons sont beaucoup plus générales. Simplement, il fallait qu’elles soient compatibles. Il faut bien voir que la directive responsabilité environnementale ne concerne que le préjudice écologique.

À terme, deux dispositifs ont vocation à se superposer, la convention FIPOL/CLC, la directive 2004-35 sur la responsabilité environnementale, le droit commun issu de l’affaire Erika, et enfin, dans une perspective plus prospective, le droit issu de votre rapport. Comment articuler ces différents dispositifs à l’avenir ?

Il faut bien comprendre que FIPOL ne vise qu’une catégorie de dommages. Ceux qui résultent des accidents de mer par hydrocarbures. De nombreux cas de figures ne sont donc pas envisagés et l’on ne peut tout généraliser à partir du cas Erika. Deuxièmement, il faut retenir, de l’affaire Erika, que ce n’est pas parce que le dispositif CLC/FIPOL existe, qu’il n’y a pas de droit commun.La convention CLC focalise la responsabilité sur le propriétaire du bateau. Il est responsable et limite sa responsabilité en constituant un fond avec un niveau très faible et sa responsabilité ne peut être engagée au-delà de ce fond que s’il a intentionnellement commis l’accident. L’affréteur, le sous-traitant du propriétaire, les prestataires des uns et des autres ne peuvent voir leur responsabilité engagée que s’ils ont volontairement et intentionnellement commis la faute. Cela va encore plus loin que la faute inexcusable. La rédaction n’est pas tout à fait la même s’agissant de l’affréteur et du propriétaire. Donc vous pouvez très bien avoir un régime dérogatoire pour les affréteurs et puis l’application du droit commun pour tous les autres. Il y a, d’une part, le propriétaire, seul visé par la faute inexcusable, et d’autre part, l’affréteur qui n’est pas en cause, et Total SA qui n’est pas visé par la convention CLC. Il me semble que ce sont les enseignements de l’affaire Erika. Nous sommes dans le droit commun.

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L’application des dispositifs de la convention CLC/FIPOL exclut-elle l’application du droit commun de la responsabilité, ou celui-ci reste-t-il applicable en cas de non application des dispositions spéciales ?

Nous allons obtenir une réponse à votre question par un biais un

peu différent. J’ai eu l’idée, lorsque j’ai commencé l’affaire Erika en 1999, d’imaginer que la règlementation déchets était applicable aux pollutions de mers par hydrocarbures. Après tout, la pollution par des hydrocarbures constitue des déchets. Donc j’ai engagé une procédure en France, que j’ai perdue en première instance et en appel, mais la cour de cassation a considéré que les questions soulevées étaient suffisamment intéressantes pour être posées à la CJCE. J’ai donc plaidé au début de cette année autour de trois points. Le premier consistait à savoir si ce qu’il y avait dans le bateau constituait des déchets parce qu’il s’agissait de résidus de fabrication ? Ensuite, la deuxième consistait à savoir si ce qu’il y avait dans la mer constituait des déchets ? Et le troisième consistait à savoir, dans l’hypothèse où cela constituerait des déchets, qui était responsable ?Et Mme Juliane Kokott, avocat général, a rendu ses conclusions au mois de Mars et elle a répondu qu’il s’agissait de déchets Catégorie 2, et que la directive de 75 était applicable à ces déchets. Donc sont responsables : le propriétaire de la cargaison, qui est le produit générateur de déchets, et tous ceux qui ont concouru à ce que le produit se transforme en déchet. Mais la France ayant signé la CLC, les principes d’application de la directive doivent être compatibles avec la CLC donc nous attendons l’arrêt de la cour. Si la cour statue en ce sens, l’affaire va revenir devant la cour de cassation et elle va devoir trancher.

Je crois personnellement que le droit commun est applicable dans la mesure où il est établi que l’on est dans le cas de non exclusion de la responsabilité visée par la CLC. Mais, effectivement, l’affréteur est a priori irresponsable. Et la question posée était donc de savoir si le fait qu’il était pénalement responsable n’établissait pas du même coup sa responsabilité civile. Le tribunal correctionnel n’a pas tranché parce qu’il a considéré que l’affréteur n’était pas responsable.

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ENVIRONNEMENT ET DROITDE LA CONCURRENCE

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DROIT DE LA CONCURRENCE ET ENVIRONNEMENT SONT-ILS COMPATIBLES ?

Hugues Calvet

Avocat associé, Cabinet Bredin Prat

Poser cette question, c’est rappeler d’abord que le droit de la concurrence est inséparable de l’économie de marché. Il vise en effet à garantir le bon fonctionnement de l’économie de marché en sauvegardant le processus concurrentiel. Le droit de la concurrence considère que c’est par des décisions individuelles d’entreprises autonomes et concurrentes entre elles que l’efficacité économique maximale sera atteinte.Or, c’est l’économie de marché elle-même qui a été prise pour cible lorsque la protection de l’environnement s’est imposée dans le débat public.L’analyse est la suivante. Le marché repose sur la recherche exclusive du profit individuel. Il en résulte un gaspillage de ressources limitées. La destruction de l’environnement est le corollaire de la poursuite de la croissance. « Croissance zéro » est le slogan opposé à l’augmentation de la création de richesse que postule l’économie de marché. Dans cette perspective, la protection de l’environnement suppose une « autre » organisation économique reposant d’abord sur des objectifs environne- mentaux définis par la puissance publique.Dans cette approche, le droit de la concurrence est un obstacle à la protection de l’environnement. Pourquoi ? Parce que des décisions individuelles d’entreprises concurrentes s’opposent radicalement aux concertations multiples nécessaires pour préserver l’environnement.Très vite, ce courant hostile à l’économie de marché a suscité l’émergence d’une écologie « économique » ou « libérale ». Ce courant, très influent dans les pays anglo-saxons et chez les économistes, partage le constat des atteintes à l’environnement. Il en tire cependant des conclusions radicalement opposées quant aux causes et aux remèdes.

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Tout d’abord, il observe que les atteintes à l’environnement sont infiniment plus graves dans les pays où l’État administre l’économie que dans ceux où l’économie de marché fonctionne librement. La comparaison des deux Allemagne au moment de la réunification est spectaculaire de ce point de vue. C’est au sein des pays à économie de marché que la mobilisation pour la préservation de l’environnement est la plus forte.En outre, l’intervention de l’État peut avoir des conséquences catas- trophiques. Par exemple, on a constaté qu’en instituant l’assurance gratuite dans les zones inondables, on incite la construction en zone inondable !En réalité, selon le courant de l’écologie économique, c’est par la propriété privée et la responsabilité individuelle que la préservation de l’environnement peut le mieux être assurée.Un bien qui n’est pas privé est un bien qui n’est pas respecté ou entretenu. Les exemples abondent. Ainsi, alors que le régime de l’exercice collectif du droit de chasse en France a conduit à un épuisement du gibier, le régime spécifique en Alsace Moselle a su conserver les ressources cynégétiques. Or, ce régime est fondé sur le principe de la propriété privée, et fait du gibier un patrimoine à gérer, susceptible d’engager la responsabilité du chasseur. Un constat similaire s’impose concernant le régime de la forêt méditerranéenne.Selon ce courant d’écologie libérale, il faut donc privilégier les mécanismes de marché, et la responsabilité individuelle qui en découle. L’intervention publique doit être circonscrite aux seuls phénomènes majeurs pour lesquels l’action publique est strictement indispensable. Ce courant connait un succès certain et donne une place importante aux instruments de marché.Par exemple, c’est de ces conceptions que découlent les marchés de « permis de polluer ». Un tel marché permet de stabiliser puis réduire la pollution en augmentant le coût de production des activités polluantes. Ce mécanisme est décrit par les économistes comme une internalisation des externalités négatives1. C’est ainsi qu’existe un marché des droits à polluer pour le dioxyde de carbone, marché instauré par la

1. C. Crampes, économie, environnement et concurrence, in Ateliers de la concurrence du 6 juillet 2005, Droit de la concurrence et droit de l’environnement, LPA, 15 juin 2006, no119.

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directive 2003/87/CE2. La Communauté a en effet estimé que le recours à un tel instrument de marché était le meilleur moyen d’atteindre les objectifs fixés par le protocole de Kyoto3.Le débat entre écologie « politique » et écologie « libérale » est riche et passionnant, et chacun d’entre nous peut s’y situer en fonction de sa sensibilité idéologique, de son activité économique et de ses fonctions politiques. Ce fond politique et historique étant rappelé, quel est aujourd’hui, en France et en Europe, l’état des lieux du droit positif sur les rapports entre droit de la concurrence et l’environnement ?S’agissant des accords entre entreprises, les autorités de concurrence adoptent ici la démarche suivante : la protection de l’environnement peut constituer une forme de « progrès économique » qui justifie des restrictions de concurrence entre entreprises (I). Mais ces restrictions ne peuvent aboutir ni à évincer des concurrents du marché (II), ni à organiser des ententes sur les prix (III).

I. LA PRISE EN COMPTE DE LA PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT

Vous savez que l’article 81(3) du traité CE et le droit français de la concurrence permettent de justifier des ententes restrictives de concurrence si elles contribuent au progrès économique. Aujourd’hui, il est clair que la défense de l’environnement relève du progrès économique.De très nombreux exemples de décisions européennes ou françaises justifient des accords restrictifs de concurrence pour la défense de l’environnement4.La création d’une entreprise commune entre concurrents permet de réduire les coûts de production et les coûts environnementaux. De plus,

2. Directive 2003/87/CE, JO L 275 du 25.10.2003, p. 32–46, transposée à L. 229-6

Code environnement par l’ordonnance 2004-330 du 15 avril 2004 portant création d’un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre. 3. Livre vert sur les instruments fondés sur le marché en faveur de l’environnement et des objectifs politiques connexes, 28 mars 2007, COM (2007) 140 final ; P. Billet, L’environnement dans la main bien visible du marché, Environnement no 5, mai 2007, alerte 24.4. J.M. Cot, Concurrence et environnement : approche en droit des pratiques anticoncurrentielles et des concentrations, in Ateliers de la concurrence du 6 juillet 2005, Droit de la concurrence et droit de l’environnement, LPA, 15 juin 2006, no 119.

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la collaboration peut être indispensable pour produire une nouvelle technique qui respecte l’environnement.

Je voudrais prendre trois exemples parmi beaucoup. Premièrement, la décision de 1983 Carbon Gas Technologies5. Dans

cette affaire, la Commission européenne a accordé des exemptions pour des restrictions de concurrence dans le secteur de la gazéification du charbon. La Commission a, en effet, relevé que la collaboration entre entreprises permettait de promouvoir la gazéification, procédé beau- coup moins dommageable à l’environnement que la combustion du charbon.Deuxièmement, la décision BBC Brown Boveri6 de 1988. Dans cette affaire, la Commission a exempté des accords de recherche et développement entre concurrents afin de commercialiser et développer des batteries pour véhicules électriques. La Commission a souligné que les véhicules électriques représentaient une alternative infiniment plus satisfaisante du point de vue de l’environnement.Troisième et dernier exemple. Le Conseil de la concurrence français, en 1988, a justifié le regroupement des producteurs de sel de Guérande au nom de la relance d’un secteur en difficulté et de la protection de l’environnement7.Mais la protection de l’environnement n’est pas un chèque en blanc. Le droit de la concurrence est venu poser deux limites : les accords environnementaux ne peuvent conduire à l’éviction de concurrents, et est interdit tout accord sur les prix.

II. LA PROHIBITION DES EFFETS D’ÉVICTION DE CONCURRENTS

Cette question s’est posée lors de l’organisation de systèmes de recyclage ou de récupération des déchets.Dans ce cas, en effet, si le système est fermé aux concurrents, ces derniers peuvent se retrouver exclus du marché. La mise en place d’un

5. Décision de la Commission du 8 décembre 1983 dans une procédure ouverte au titre de l’article 81 du traité CE, affaire IV/29.955, Carbon Gas Technologie. 6. Décision de la Commission du 11 octobre 1988 dans une procédure ouverte au titre de l’article 81 du traité CE, affaire IV/32.368, BBC Brown Boveri. 7. Décision no 88-D-20 du Conseil de la concurrence du 3 mai 1998 relative à des pratiques relevées sur le marché du sel.

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système de recyclage suppose, parfois, de déployer une infrastructure coûteuse8. La création d’un deuxième système parallèle n’est pas toujours économiquement faisable, et peut même entraîner des coûts environnementaux supplémentaires. Par ailleurs, l’imposition de normes environnementales peut créer des effets d’éviction du marché, ainsi qu’illustré par l’affaire belge des machines à laver de 19819. Dans cette affaire, tous les membres d’une association s’engageaient à respecter certaines règles pour préserver l’eau potable. Chaque membre apposait lui-même le certificat de conformité sur ses machines à laver. Les tiers, eux, devaient faire vérifier les machines unes à unes. Cette obligation était en pratique impossible à remplir et les tiers se retrouvaient ainsi exclus du marché. La Commission a donc condamné l’accord.Dans l’affaire de l’eau minérale en Allemagne10 (SPA/GDB), obligation était faite d’organiser un système de récupération-recyclage des bouteilles. Le système GDB était de fait fermé aux entreprises étrangères, lesquelles étaient donc évincées du marché. GDB s’est alors engagé à ouvrir son système, et la Commission a classé la procédure.Dernier exemple, l’élimination des piles usagées en France par un organisme collectif ad hoc11. Le Conseil de la concurrence a souligné qu’il serait impossible économiquement à un nouvel entrant d’organiser lui-même l’élimination. Il doit donc avoir accès à l’organisme à des conditions objectives et non discriminatoires. Le Conseil a insisté sur la nécessité d’une comptabilité analytique pour éviter que les nouveaux entrants subventionnent les fondateurs.

8. Cette problématique a été abordée par la décision de la Commission du 17 septembre 2001 dans une procédure ouverte au titre de l’article 82 du traité CE, affaire COMP D3/34.493, DSD, § 96, 120-121.9. Décision de la Commission du 17 décembre 1981 dans une procédure ouverte au titre de l’article 81 du traité CE, affaire IV/29.955, Navewa-Anseau. Voir aussi, P. Thieffry, Mesures publiques de protection de l’environnement et concurrence, AJDA 2007 p. 170.10. Affaire SPA/GDB Communiqué de presse de la Commission du 30 septembre 1993, no

IP/93/820.11. Avis no 99-A-22 Conseil de la concurrence du 14 décembre 1999 relatif à une demande d’avis du Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie concernant les conditions d’organisation et de financement de la filière d’élimination des accumulateurs usagés.

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III. L’INTERDICTION DES ENTENTES SUR LES PRIX

Fréquemment, les accords en la matière mettent en place des systèmes d’élimination ou de récupération des déchets qui supposent évidemment des coûts supplémentaires. L’imputation de ces coûts supplémentaires aux entreprises polluantes découle de la logique du pollueur-payeur.Mais la question qui se pose souvent est celle de savoir si les entre- prises peuvent décider ensemble de répercuter automatiquement ces coûts sur leurs clients ?

La réponse est un non catégorique. Pour les autorités de concurrence, les coûts environnementaux sont

des coûts de production comme n’importe quel autre coût. En conséquence, les entreprises ne peuvent en aucun cas se mettre d’accord pour appliquer des répercussions automatiques et concertées.Deux observations cependant. Premièrement, chaque entreprise peut évidemment répercuter ses coûts environnementaux sur ses clients dès lors qu’une telle démarche procède d’une décision individuelle. Elle prend alors le risque de perdre ses clients au profit des concurrents qui eux ne répercuteraient pas les coûts environnementaux.

*** Deuxièmement, l’État peut bien sûr, dans le cas d’une taxe, imposer

à tous les opérateurs la répercussion de cette taxe, ainsi qu’il l’a fait pour l’éco-taxe sur les équipements électriques et électroniques12.On le voit, le droit de la concurrence recherche un équilibre entre mécanisme de marché et protection de l’environnement13. Je ne connais pas dans le droit récent d’exemple où le droit de la concurrence aurait

12. Article 8 (3) de la directive 2002/96 du 22 janvier 2003 relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques prévoit la possibilité pour producteurs et distributeurs d’informer les consommateurs finals des coûts de recyclage des équipements électriques et électroniques. Cette possibilité a été mise en œuvre par l’article 17 du décret 2005-829 du 20 juillet 2005 relatif à la composition des équipements électriques et électroniques et à l’élimination des déchets issus de ces équipements. 13. Sur la compatibilité de l’action de l’État avec les règles de concurrence (voir J.M. Cot, op. cit.) concernant notamment la possibilité d’instaurer des droits exclusifs et la qualification de service public, et non d’activité économique, des activités de surveillance et de prévention anti polluantes (arrêt Diego Cali de la CJCE).

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fait échec à des initiatives privées ou publiques opportunes dans ce domaine.Aussi, à titre personnel, il me semble que le droit de la concurrence parvient à concilier de manière souple et satisfaisante les préoccupations du marché et celles de la protection de l’environnement.

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DROIT DE LA CONCURRENCE COMMUNAUTAIRE ET PROTECTION DE L’ENVIRONNEMENT, ENTRE CONFRONTATION, CONVERGENCE ET CONCILIATION

Damien Gerard

Université catholique de Louvain (UCL), Chaire de droit européen

Le droit de la concurrence constitue, avec les libertés de circulation, un pilier du marché intérieur et donc de l’Union européenne dans sa dimension économique. Il contribue à une allocation efficiente des ressources au sein de la collectivité de façon à optimiser le bien-être de l’individu en tant que consommateur. Pour ce faire, il condamne les abus de pouvoir de marché de la part des entreprises, qu’ils se manifestent sous la forme d’accords anticoncurrentiels – c’est l’article 81 du Traité CE (« CE ») – ou sous la forme de pratiques abusives de la part d’entreprises en position dominante – c’est l’article 82 CE. De façon générale, le droit de la concurrence ne s’intéresse pas aux actions des États ; c’est le domaine des libertés de circulation. Ce principe souffre néanmoins de quelques exceptions dont les plus notables sont l’interdiction des aides d’État – Article 87 CE – et l’octroi de droits exclusifs amenant leur bénéficiaire à commettre des abus – Article 86 CE. Ces principes figurent dans le Traité CE depuis l’origine, soit plus d’un demi-siècle. En Europe, leur interprétation témoigne d’une préoccupation pour le maintien d’une concurrence certes « libre », c’est-à-dire « non faussée », mais également « durable »1.

1. Cela se traduit principalement dans le domaine du contrôle des concentrations et

des abus de position dominante. Dans l’affaire Microsoft, par exemple, la Commission a soutenu qu’il existait un risque significatif que la vente liée de Windows et de Windows Media Player menace à l’avenir le maintien d’une structure de concurrence effective sur le marché des lecteurs multimédias. Cette approche a été validée par le

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La protection de l’environnement a fait son entrée dans le Traité CE suite à l’Acte Unique, entré en vigueur en 1987, et a participé au développement de la dimension « sociétale » du droit communautaire, consacrée ensuite par le Traité de Maastricht. La protection de l’environnement constitue aujourd’hui une politique communautaire à part entière et a donné lieu à l’adoption de nombreux instruments de droit dérivé qui ont été largement à la base de l’émergence du droit de l’environnement dans de nombreux États membres2. Par le biais de la « clause d’intégration » figurant à l’article 6 CE, les exigences de la protection de l’environnement doivent également être intégrées dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions menées au niveau communautaire. La protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement sont élevées au rang d’objectifs de l’Union par le Traité de Lisbonne et figurent dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne3.

I. CONFRONTATION

De prime abord, le droit de la concurrence et la protection de l’environnement semblent relever de champs d’application bien distincts. Comme l’a suggéré le Professeur Idot, les termes protection de l’environnement et libre concurrence évoquent même l’idée de confrontation : « protection versus liberté »4. En pratique, peut-on assister à une « collision » entre le droit de la concurrence et la protection de

Tribunal de première instance (cf. arrêt du 17 septembre 2007, Commission/Microsoft,

aff. T-201/04, Rec., 2007, non encore publié). 2. Cf. articles 174 à 176 CE. Pour un aperçu du droit dérivé, qui comprend plus de 200 instruments touchant tant à la pollution atmosphérique qu’à la conservation de la faune et de la flore en passant par la gestion des déchets, voy. http://eur-lex.europa.eu/fr/repert/1510.htm. 3. Cf. article 3 du Traité sur l’Union européenne et article 11 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne qui reproduit l’article 6 CE (« clause d’intégration ») ; article 37 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (J.O.U.E., 2000, p. 364/1) : « Un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable ».4. Cf. L. Idot, « Protection de l’environnement, libre circulation, libre concurrence : bilan de la jurisprudence de la Cour de Justice », exposé effectué dans le cadre de l’atelier « Droit de l’environnement et droit de la concurrence » organisé par la DGCCRF le 6 juillet 2005, disponible sur le site http://www.minefi.gouv.fr

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l’environnement ? Ce n’est pas impossible. En effet, la nature originelle de l’ordre juridique communautaire exclut d’exonérer la protection de l’environnement, en tant qu’activité économique, de l’application du droit de la concurrence5. En outre, des conflits apparaissent de plus en plus souvent au niveau communautaire entre le droit « productif », inspiré par des considérations d’efficience économique, et le droit « redistributif »6.Cependant, conformément à la solution dégagée par la Cour de Justice dans l’affaire Diego Calì, la protection de l’environnement peut échapper à l’application des règles de concurrence dans la mesure où elle relève de l’exercice de prérogatives de puissance publique7. Un certain nombre de pratiques à visées environnementales peuvent également échapper à la qualification concurrentielle dans la mesure où elles n’ont ni pour objet, ni pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Tel est par exemple le cas des accords environnementaux qui ne déterminent pas d’obligation individuelle précise ou n’engagent pas de façon contraignante à la réalisation d’un objectif environnemental, ou à tout le moins laissent une latitude aux parties en présence quant aux moyens disponibles pour atteindre l’objectif visé. En général, dans la mesure où ils n’affectent pas sensiblement la diversité des produits, les quantités produites ou les décisions

5. Cf., à titre d’illustration, la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des régions, « Les accords environnementaux conclus au niveau communautaire dans le cadre du plan d’action “Simplifier et améliorer l’environnement réglementaire” », COM (2002) 412 final : « Les accords environnementaux doivent se conformer aux dispositions du traité CE en matière de marché intérieur et règles de la concurrence, y compris les lignes directrices sur les aides d’État en faveur de l’environnement. Ils devraient donc être conformes à l’article 81 du traité ». 6. Le droit communautaire a été récemment marqué par deux exemples frappants impliquant la liberté d’établissement et la libre prestation de service, d’une part, et la protection des travailleurs, d’autre part, dans les fameuses affaires Viking et Laval (cf. arrêt du 11 décembre 2007, The International Transport Workers’ Federation et The Finnish Seamen’s Union, aff. C-438/05, Rec., 2007, II-non encore publié ; arrêt du 18 décembre 2007, Laval un Partneri, aff. C-341/05, Rec., 2007, II-non encore publié). 7. Arrêt du 18 mars 1997, Diego Calì, aff. C-343/95, Rec., 1997, p. I-1547, points 22-23. La notion d’entreprise est centrale dans la définition du champ d’application du droit de la concurrence. Celle-ci comprend toute entité exerçant une activité économique, indépendamment de son statut juridique et de son mode de financement (voy., notamment, arrêts du 23 avril 1991, Höfner et Elser, aff. C-41/90, Rec., 1991, p. I-1979, point 21 ; arrêt du 16 novembre 1995, Fédération française des sociétés d’assu-

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d’achat, ou n’affectent qu’une faible part du marché en cause, ces accords ne sont pas soumis à l’application de l’article 81 CE8.Néanmoins, des collisions sont possibles, comme l’a démontré l’affaire Der Grüne Punkt concernant le système de recyclage des déchets domestiques en Allemagne9. Dans cette affaire, la Commission s’est montrée intransigeante dans son analyse des pratiques tarifaires de l’opérateur DSD, seule société exploitant un système collectif de collecte des déchets sur l’ensemble du territoire allemand et qualifiée à ce titre de « dominante » en vertu de l’article 82 CE. Au cœur de cette affaire se situe le calcul de la redevance perçue par DSD auprès des fabricants et distributeurs d’emballages faisant appel à ses services et utilisant son logo, le fameux « Grüne Punkt ». La Commission s’est émue du fait que le montant de cette redevance était fonction du nombre d’emballages sur lesquels figurait le logo et non pas de l’utilisation effective du système de collecte mis en place par DSD. Ayant pris le parti des fabricants et distributeurs, la Commission a exclu la possibilité d’un étiquetage sélectif des emballages et en a conclu que le mode de calcul de la redevance donnait lieu à l’imposition de prix et de conditions de transaction inéquitables et avait pour effet de dissuader le développement d’un système concurrent.Même si cette affaire peut faire l’objet de critiques internes au domaine du droit de la concurrence, l’ignorance de l’objectif

rance e.a., aff. C-244/94, Rec., 1995, p. I-4013, point 14, et arrêt du 11 décembre 1997, Job Centre II, aff. C-55/96, Rec., 1997, p. I-7119, point 21). La notion d’activité économique s’entend de toute activité consistant à offrir des biens ou des services sur un marché donné (voy., notamment, arrêts du 16 juin 1987, Commission/Italie, 118/85, Rec., 1987, p. 2599, point 7 et arrêt du 18 juin 1998, Commission/Italie, aff. C-35/96, Rec., 1998, p. I-3851, point 36). En revanche, une activité qui, par sa nature, les règles auxquelles elle est soumise et son objet, est étrangère à la sphère des échanges économiques (voir, en ce sens, arrêt du 17 février 1993, Poucet et Pistre, aff. C-159/91 et C-160/91, Rec., 1993, p. I-637, points 18 et 19, concernant la gestion du service public de la sécurité sociale) ou se rattache à l’exercice de prérogatives de puissance publique (voy., en ce sens, l’arrêt du 19 janvier 1994, SAT Fluggesellschaft, aff. C-364/92, Rec., 1994, p. I-43, point 30, concernant le contrôle et la police de l’espace aérien) échappe à l’application des règles de concurrence du traité. 8. Communication de la Commission – Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 81 du traité CE aux accords de coopération horizontale, J.O.C.E., C 3 du 6 janvier 2001, p. 2, points 184 à 186.9. Déc. Comm. 20 avril 2001, aff. COMP D3/34493 – DSD, J.O.C.E. L 166 du 21 juin 2001, p.1.

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environnemental poursuivi par DSD dans l’appréciation de son comportement est flagrante. Le dialogue entre le respect des règles de concurrence et la protection de l’environnement n’a pas eu lieu, si ce n’est, de façon marginale, devant le Tribunal de première instance10. Or, au regard de l’objectif environnemental, l’on aurait pu espérer que la Commission prenne davantage en compte les contraintes potentielle- ment significatives au calcul d’une redevance basée sur les quantités d’emballages effectivement collectées par DSD, d’autant plus que ce mode de calcul apparaît fort similaire à celui pratiqué par Eco-Emballages en France, tel qu’approuvé par la Commission en 200111. Déboutée par le Tribunal de première instance, DSD a introduit un pourvoi devant la Cour de Justice (aff. C-385/07) dont on peut espérer qu’il témoigne d’une plus grande sensibilité, à tout le moins dans le raisonnement, vis-à-vis de la nature des services en cause.

II. CONVERGENCE

Il n’est pas exclu que les buts poursuivis par le droit de la concurrence

et la protection de l’environnement puissent également converger. Une telle « collusion » dans les objectifs s’observe principalement lorsque la protection de l’environnement contribue à «améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique », pour paraphraser le texte de l’article 81 §3 CE. L’affaire des Machines à Laver est éloquente à cet égard. Le Conseil européen des Constructeurs d’appareils domestiques avait notifié à la Commission, en octobre 1997, un accord conclu entre la plupart de ses membres, représentant 95 % des ventes de machines à laver dans l’UE, en vertu duquel ceux-ci cessaient collectivement de produire et d’importer des appareils ayant le rendement énergétique le plus bas. Cet accord limitait assurément la

10. Arrêt du 24 mai 2007, Der Grüne Punkt – DSD/Commission, aff. T-151/01, Rec., 2007, p. II-1607, points 205 à 212.11. Déc. Comm., 15 juin 2001, aff. COMP/34.950 – Eco-Emballages, J.O.C.E., L 233 du 31 août 2001, p. 37. Il convient de noter cependant que, contrairement à DSD, Eco-Emballages a été constituée directement par les producteurs d’emballages et les cinq filières industrielles impliquées (acier, aluminium, papier-carton, plastique et verre). En outre, Eco-Emballages avait concédé à la Commission la possibilité pour d’autres systèmes collectifs d’utiliser le « point vert » pour désigner les emballages recyclables, moyennant le partage des coûts liés à l’acquisition d’une licence du logo pour la France.

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concurrence, entraînait le boycott de certains producteurs et devait donner lieu à une augmentation du prix des machines à laver. Néanmoins, la Commission a conclu que l’accord satisfaisait aux conditions de l’article 81 §3 CE en mettant l’accent sur : (i) le développement de produits technologiquement plus efficaces ; (ii) les économies d’énergie qui devaient compenser l’augmentation du prix d’achat des appareils ; et (iii) la concurrence vigoureuse sur ce marché par le biais d’autres facteurs tels que le prix, la performance, l’image de marque, etc.12

Par le passé, la Commission européenne (« Commission ») a égale- ment autorisé à plusieurs reprises la constitution d’entreprises communes en s’appuyant sur les objectifs environnementaux poursuivis13. Plus récemment, le Commissaire européen à la concurrence, Nelie Kroes, a également fait part de son souhait d’accompagner ce qu’elle nomme la « nouvelle révolution industrielle des technologies propres », principalement dans le cadre de la politique communautaire en matière d’aides d’État14.

III. CONCILIATION

Le mode privilégié de régulation des relations entre droit de la concurrence et protection de l’environnement est assurément celui de la conciliation. Il trouve son origine dans la fameuse affaire des Huiles Usagées qui a posé le principe suivant : « la liberté du commerce n’est pas à considérer d’une manière absolue mais est assujettie à certaines limites justifiées par les objectifs d’intérêt général poursuivis par la Communauté, dès lors qu’il

12. Communiqué de presse de la Commission européenne IP/00/148 du 11 février

2000 : « La Commission approuve un accord pour améliorer le rendement énergétique des machines à laver ».13. Voy., notamment, Déc. Comm., 23 décembre 1992, aff. IV/33.814 – Ford / Volkswagen, J.O.C.E., L 20 du 28 janvier 1993, p. 14 ; Déc. Comm., 18 mai 1994, aff. IV/33.640 – Exxon / Shell, J.O.C.E., L 144 du 9 juin 1994 p. 20 ; Déc. Comm., 21 décembre 1994, aff. IV/34.252 – Philips/ Osram, J.O.C.E., L 378 du 31 décembre 1994, p. 37 ; Déc. Comm., 14 septembre 1999, aff. IV/36.213 – GEAE / P&W, J.O.C.E., L 58 du 3 mars 2000, p. 56.14. Voy. N. Kroes, « State Aid and climate change – creating the right incentives for business », discours prononcé à l’occasion de la table ronde sur la protection de l’envi- ronnement et le changement climatique organisée par la Commission à Bruxelles le 27 mai 2008.

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n’est pas porté atteinte à la substance de ces droits » 15. Sur cette base, la protection de l’environnement a été reconnue comme une exigence impérative d’intérêt général permettant de justifier une entrave à la libre circulation, pour autant que la restriction en cause soit proportionnelle à l’objectif poursuivi16. Le même principe de proportionnalité, principe « pivot » par excellence, conditionne la conciliation entre la protection de l’environnement et les règles de concurrence.Dans le domaine de l’article 81 CE et des accords horizontaux, en particulier, la Commission reconnaît que les avantages économiques asso- ciés aux accords environnementaux peuvent contrebalancer leurs effets négatifs sur la concurrence. En vertu du principe de proportionnalité tel que décliné à l’article 81 §3 CE, encore faut-il que ces avantages éco- nomiques soient avérés et que la restriction en cause soit indispensable pour produire les avantages escomptés, sans pour autant éliminer la concurrence en termes de différenciation de produits, d’innovation tech- nologique ou d’entrée sur le marché à court ou moyen terme17.Dans l’affaire Assurpol, la Commission a ainsi conclu au caractère indispensable du pool de réassurance créé entre les principales compa- gnies d’assurance françaises afin de « créer la capacité nécessaire à la couverture des risques d’atteintes à l’environnement et pour promouvoir l’amélioration de leur identification et la création d’un savoir-faire technique pour la couverture de ces risques »18. Elle a également souligné que les adhérents conservaient la liberté de fixer en toute autonomie leurs primes commerciales. Dans l’affaire Eco-Emballages, déjà citée, la Commission a conditionné l’approbation des contrats conclus avec les producteurs d’emballages à l’introduction d’une faculté de résiliation annuelle afin que la liberté de choix et d’action des producteurs ne soit pas indûment restreinte et qu’un système concurrent puisse se développer19. Ces affaires démontrent que

15. Arrêt du 7 février 1985, Association de défense des brûleurs d’huiles usagées (ADBHU), aff. 240/93, Rec., p. 531, point 12.16. Cf. notamment l’arrêt du 15 novembre 2005, Commission/Autriche, aff. 320/03, Rec., 2005, p. I-9871.17. Communication de la Commission – Lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 81 du traité CE aux accords de coopération horizontale, J.O.C.E., C 3 du 6 janvier 2001, p. 2, points 192 à 197.18. Déc. Comm., 14 janvier 1992, aff. IV/33.100 – Assurpol, J.O.C.E., L 37 du 14 février 1992, p. 16, point 40.19. Déc. Comm., 15 juin 2001, aff. COMP/34.950 – Eco-Emballages, J.O.C.E., L 233 du 31 août 2001, p. 37, point 73.

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la conciliation entre concurrence et environnement a lieu principale- ment par intégration de la contrainte environnementale au bilan éco- nomique qui demeure la référence ultime, voire unique, de l’analyse concurrentielle.

Lorsque le droit de la concurrence s’intéresse aux pratiques des États, il témoigne naturellement d’une plus grande sensibilité à d’autres consi- dérations que l’efficience des marchés. Le principe de proportionnalité demeure néanmoins d’application. Dans l’affaire Dusseldorp, la Cour de Justice a ainsi condamné, en vertu de l’article 86 CE, l’octroi par les autorités néerlandaises à la société AVR Chemie de l’exclusivité du traitement des déchets dangereux sur l’ensemble du territoire national20. Selon la Cour, cette exclusivité avait pour effet de favoriser une entre- prise nationale et de cloisonner le marché alors qu’il n’était pas démontré qu’une telle exclusivité était indispensable à la viabilité de l’entreprise en cause et, en particulier, de son activité d’incinération de déchets dangereux. En revanche, quelques années plus tard, dans l’affaire de la Commune de Copenhague, la Cour de Justice a considéré que l’octroi d’un droit exclusif sur une partie du territoire national pour des objectifs environnementaux tels que la création de la capacité nécessaire pour le recyclage des déchets de chantier, ne fondait pas en soi un abus de position dominante21. Elle a ensuite considéré que la gestion de certains déchets pouvait constituer un service d’intérêt général, « en particulier lorsque ce service a pour but de faire face à un problème environnemental »22. Enfin, elle a estimé que faisant face à un problème environnemental sérieux – l’enfouissement des déchets de chantier dans le sol – la Commune de Copenhague avait pu légitimement confier une exclusi- vité limitée dans le temps et dans l’espace à trois opérateurs afin d’assurer la rentabilité de leur activité de traitement23.C’est finalement dans le domaine des aides d’État que le droit communautaire de la concurrence affiche le plus clairement l’ambition de contribuer à la protection de l’environnement. Bien que l’article 87 CE condamne les aides d’État qui faussent la concurrence, la

20. Arrêt du 25 juin 1998, Chemische Afvalstoffen Dusseldorp, aff. C-203/96, Rec., p. I-4075, points 53 à 68.21. Arrêt du 23 mai 2000, Københavns Kommune (ou « FFAD »), aff. C-209/98, Rec., p. I-3743, point 68.22. Idem, point 75. 23. Ibidem, points 78-79.

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Commission a revendiqué l’application de la clause d’intégration figurant à l’article 6 CE afin d’édicter des règles particulières pour les aides d’État à la protection de l’environnement. Ces règles détaillées ont été récemment révisées en profondeur24. Fondamentalement, la Commission admet que les aides d’État peuvent contribuer à la protection de l’environnement en créant, à côté des normes obligatoires et autres instruments fiscaux, les incitations nécessaires à l’internalisation des coûts environnementaux associés aux activités industrielles, conformément au principe pollueur-payeur. Cependant, les aides ne peuvent être octroyées que dans la mesure où elles incitent les acteurs économiques, individuellement ou collectivement, à atteindre un niveau de protection de l’environnement supérieur à celui requis par les normes communau- taires ou dans des domaines sortant de leur champ d’application. Les aides doivent également être proportionnées, c’est-à-dire adéquates et indispensables pour atteindre le but visé. En d’autres termes, elles doi- vent offrir aux entreprises les incitations nécessaires à l’exercice d’acti- vités ou à la réalisation d’investissements qu’elles n’entreprendraient pas en l’absence d’aides ou au moyen d’aides moins importantes. Bien que les règles édictées par la Commission soient relativement précises, elles ont permis aux États de redistribuer plus de 14 milliards d’euros en faveur de la protection de l’environnement depuis 2001, avec cependant de grandes disparités entre les États membres25.

***

En commentant l’affaire des Machines à Laver, le Commissaire Montidéclarait à l’époque que « les préoccupations environnementales ne sont en aucune façon contradictoires avec la politique de la concurrence [...] dès lors que les restrictions de la concurrence sont proportionnées et nécessaires pour atteindre les objectifs environnementaux visés, au profit des générations actuelles et

24. Lignes directrices concernant les aides d’Etat à la protection de l’environnement, J.O.C.E., C 82 du 1er avril 2008, p.1.25. Proportionnellement à son PIB, la Suède a par exemple octroyé 12 fois plus d’aides que le Royaume-Uni et 77 fois plus que la France. Cf. N. Kroes, « State Aid and climate change – creating the right incentives for business », discours prononcé à l’occasion de la table ronde sur la protection de l’environnement et le changement climatique organisée par la Commission à Bruxelles le 27 mai 2008.

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futures »26. Ce faisant, il mettait clairement en évidence le rôle central du principe de proportionnalité dans la conciliation des impératifs de concurrence et de protection de l’environnement. À ce titre, même si les pratiques restrictives de concurrence sont jugées à l’aune d’un bilan exclusivement économique et si l’article 6 CE n’est pris en compte qu’indirectement dans la politique communautaire de concurrence, à l’exception du domaine des aides d’État, il fait peu de doute que l’urgence environnementale est – ou à tout le moins devrait être – de nature à influencer la marge d’appréciation dont dispose la Commission et les juridictions communautaires dans l’application du principe de proportionnalité, notamment face à la difficulté de chiffrer les coûts environnementaux. Est-ce suffisant pour prévenir les collisions ? Probablement. D’autant plus qu’efficacité environnementale et efficacité économique vont fondamentalement de paire dans le chef des entre- prises, ce qui fait du droit de la concurrence et de la protection de l’environnement d’improbables complices.

26. Communiqué de presse de la Commission européenne IP/00/148 du 11 février

2000 : « La Commission approuve un accord pour améliorer le rendement énergétique des machines à laver ».

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LES CONTRAINTES JURIDIQUES À LA MISE EN PLACE D’UNE FISCALITÉ ENVIRONNEMENTALE

Arnaud de Brosses

Avocat, Cabinet Cleary Gottlieb Steen & Hamilton

La fiscalité a pour objet le financement des services de l’État et de la protection sociale. Elle est également un outil de mise en place de politiques visant à influencer les comportements des acteurs économiques et parfois la réalisation de caprices des princes qui nous gouvernent1.Prônées par de nombreuses institutions internationales, telles que l’Union européenne, l’OCDE ou encore l’Organisation Mondiale du Commerce (l’« OMC »), les taxes et redevances environnementales font désormais partie des instruments économiques utilisés par les États dans leurs politiques environnementales2.La fiscalité environnementale peut être définie comme la fiscalité pesant sur les produits, services et équipements... ayant un effet sur l’environnement. Elle est une matière très complexe compte tenu notamment de la variété des atteintes à l’environnement (nuisances

1. Le Tsar Pierre le Grand institua au début du XVIIIe siècle l’impôt sur la barbe, créé dans le but de forcer les Russes à s’européaniser en se coupant la barbe. Les barbus étaient obligés de porter une médaille attestant du paiement de cet impôt. 2. La fiscalité environnementale a connu ces dernières années un déclin en Europe où les recettes générées par les taxes environnementales sont passées de 6,5 % du PIB de l’Union européenne en 1999 à 2,9 % du PIB en 2004. La France, avec une part s’élevant à 2,1 % en 2004, est l’un des plus mauvais élèves de l’Union européenne. Ces taxes représentaient en 2004 4,9 % des prélèvements obligatoires en France contre 12 % à Chypre et 7,1 % en moyenne dans l’Union européenne. Environ 80 % des « taxes vertes » proviennent en France de la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers). Les effets combinés de l’augmentation du prix du pétrole, de la recherche d’une protection accrue de l’environnement et de la mise en place des accords de Kyoto devraient entraîner une augmentation de la part des taxes environnementales en France.

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sonores, émissions polluantes affectant la qualité de l’eau, de l’air et des sols...)3

et de la complexité des analyses comportementales, économiques et techniques4.La fiscalité environnementale n’échappe pas à toutes les contraintes auxquelles la fiscalité est soumise : respect des normes issues du bloc de constitutionnalité, des règles communautaires et internationales, notamment celles tirées des accords de l’OMC.

I. LE RESPECT DES PRINCIPES CONSTITUTIONNELSA. Domaine du législateur

Les prélèvements environnementaux relèvent du domaine dulégislateur.

Dans une première étape, le Conseil d’État avait considéré que lesredevances liées à l’eau constituaient « des ressources d’une nature spécifique adaptée au caractère particulier des opérations envisagées »5. Pour la Haute juridiction administrative, les redevances des agences de l’eau avaient un caractère sui generis et ne pouvaient être assimilées ni à un impôt, ni à une taxe parafiscale, ni à une redevance pour service rendu.

3. La fiscalité environnementale comprend de très nombreux prélèvements, notamment les taxes et redevances suivantes : la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, la Taxe sur le stockage des déchets ménagers, la taxe sur le stockage des déchets industriels spéciaux, la taxe sur les huiles usagées, les redevances pour pollution de l’eau d’origine domestique ou non, les redevances pour modernisation des réseaux de collecte sur les rejets d’eaux usées d’origine domestique et les rejets non domestiques, les redevances pour pollution diffuse, les redevances pour prélèvements sur les ressources en eau, les redevances pour stockage d’eau en période d’étiage, les redevances pour obstacles sur les cours d’eau, les redevances pour protection du milieu aquatique, la taxe sur les nuisances sonores aériennes, la taxe sur les cartes grises, la taxe due par les concessionnaires d’autoroutes (La Lettre ADEME & Vous – Stratégie & Études, no 2, 11 mai 2007).4. « L’efficience de l’outil fiscal repose sur la qualité de l’information disponible sur les dommages environnementaux, les comportements et les techniques de production. Son utilisation suppose donc à la fois des études d’impact approfondies, préalables aux décisions, et un suivi attentif de leurs effets pour pouvoir le cas échéant procéder à des ajustements. » Vingt-troisième rapport au Président de la République du Conseil des impôts (2005).5. CE, 21 nov. 1973, « Société des papeteries de Gascogne », Rec. CE 1973, p. 654.

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Cette position a été contestée par le Conseil constitutionnel6 pour qui les redevances ne constituent ni des taxes parafiscales ni des rémunérations pour services rendus. Elles doivent être rangées parmi « les impositions de toutes natures dont l’article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement ». Il a fallu attendre 2006 pour que le rôle du Parlement soit rétabli dans la détermination de l’assiette et des modalités de redevances liées à l’eau7. B. Principe d’égalité devant l’impôtLe parcours chaotique de la TGAP (taxe générale sur les activités polluantes) illustre l’importance du principe d’égalité devant l’impôt.En 2000, le gouvernement avait souhaité étendre la TGAP aux consommations intermédiaires d’énergie, avec l’objectif de renforcer la lutte contre l’effet de serre, et d’inciter à la maîtrise de ces consommations d’énergie8. Au fur et à mesure des débats parlementaires, l’extension de la taxe était devenue de plus en plus complexe mêlant taxation forfaitaire, barème, mécanisme de réduction ainsi que mécanisme d’abattement9.Lors du contrôle de la loi par le Conseil constitutionnel, la Haute Cour a rappelé que « le principe d’égalité ne fait pas obstacle à ce que soient établies des impositions spécifiques ayant pour objet d’inciter les redevables à adopter des comportements conformes à des objectifs d’intérêt général, pourvu que les règles qu’il fixe à cet effet soient justifiées au regard desdits objectifs ».Le Conseil constitutionnel a décidé que les différences de traitement qui résulteraient de l’application de la loi ne sont pas en rapport avec l’objectif que s’est assigné le législateur et que les dispositions en cause sont dès lors contraires au principe d’égalité devant l’impôt. À l’appui de son raisonnement, il s’est notamment fondé sur la circonstance que le texte soumettait à taxation l’électricité alors même que la consommation d’électricité contribue très faiblement au rejet de gaz carbonique.

6. Décision no 82-124 L, 23 juin 1982.

7. Loi no 2006-1772 du 30 déc. 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques. 8. Loi de finances rectificative pour 2000, art. 37.9. Pour un résumé schématique : S. Caudal, « Un nouvel obstacle pour l’écotaxe sur l’énergie », RJ E, 2/2001, p. 215.

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L’histoire mouvementée de la TGAP devant le Conseil constitutionnel ne devait pas s’arrêter là. Lors de l’examen de la loi de finances pour 2003 dont l’article 88 instituait une « taxe annuelle affectée au budget de l’État sur les imprimés publicitaires non adressés et les journaux gratuits lorsque les personnes ou organismes qui mettent à la disposition du public, distribuent ou font distribuer de tels documents, ne s’acquittent pas volontairement d’une contribution remise à un organisme agréé en vue de contribuer ou de pourvoir à l’élimination des déchets ainsi produits », la Haute Cour a censuré le nouveau dispositif sur le fondement du principe d’égalité en ce qu’il prévoyait d’exclure de son champ d’application un grand nombre d’imprimés susceptibles d’accroître le volume des déchets10.

Dès la fin de la même année, la loi de finances rectificative pour 2003 a repris le dispositif précédent en y apportant certaines modifications. Alors que le texte prévoyait d’exonérer de la taxe annuelle les imprimés non sollicités mais nominativement adressés aux particuliers, le Conseil constitutionnel a considéré cette différence de traitement comme injustifiée au regard de l’objectif poursuivi. Contrairement aux censures précédentes, le Conseil constitutionnel a opéré une censure partielle en déclarant contraires à la Constitution les seuls termes « non nominatifs », ce qui a eu pour conséquence d’étendre le champ de la taxe aux imprimés publicitaires non sollicités distribués de façon nominative ou non. La censure du Conseil a eu pour effet une meilleure prise en compte de la protection de l’environnement11. Belle censure de l’activité des groupes de pression, « Tel est pris qui croyait prendre »12.

C. Principe du Pollueur-Payeur La loi constitutionnelle du 1er mars 200513 a adossé la Charte de

l’environnement à la Constitution française. L’article 4 de la Charte prévoit qu’en cas de dommages causés à l’environnement, le responsable doit contribuer à leur réparation, dans les conditions définies par la loi.

10. Décision no 2002-464 DC, 27 décembre 2002.

11. L. Philip, « Les décisions du Conseil constitutionnel relatives aux lois de finances », Dr Fisc. n o

17, 2004, p. 782.12. Le Rat et l’Huître, Les Fables de la Fontaine. 13. Loi constitutionnelle no 2005-205 du 1er mars 2005, JO 2 mars 2005.

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Cet article reprend le principe pollueur-payeur mais n’en précise pas la portée juridique. La formulation retenue par la Charte ne semble pas instituer une obligation de réparation intégrale mais seulement une obligation pour le pollueur de contribuer à la réparation.Il sera intéressant de voir quelle sera la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans ce domaine et le rôle que seront amenés à jouer les prélèvements fiscaux dans la réparation de la pollution.

II. LE RESPECT DES RÈGLES DU DROIT COMMUNAUTAIRE

Outil privilégié par la Commission européenne, les taxes environnementales n’en sont pas moins soumises au respect des règles communautaires. A. Droits de douane ou taxes d’effet équivalent

Aux termes du Traité instituant la Communauté européenne (le «Traité »), toute taxe frappant des produits pour la seule raison qu’ils franchissent une frontière est interdite car elle a un effet équivalant à celui d’un droit de douane14.Un prélèvement frappant les produits des États membres et les pro- duits nationaux selon les mêmes critères peut également constituer une imposition ayant un effet équivalent à des droits de douane, si les recettes sont affectées pour compenser entièrement la charge pesant sur les fabricants nationaux des produits taxés.En matière environnementale, plusieurs exemples tirés de la jurisprudence de la Cour de justice dénotent l’importance de cette interdiction. La Cour de justice a condamné une taxe environnementale sur les gazoducs contenant du gaz méthane installés sur le territoire de Sicile15. La Cour a en effet considéré qu’une telle taxe dont les recettes étaient destinées à financer des initiatives pour la préservation, la défense et l’amélioration de la qualité de l’environnement dans les zones traversées par ces canalisations avaient le caractère d’une taxe d’effet équivalent à un droit de douane à l’exportation ainsi qu’à l’importation. La Cour a rappelé dans cette décision qu’en matière de taxations de nature douanière dans les relations intracommunautaires, les États ont perdu

14. Articles 23 à 27 du Traité instituant la Communauté européenne. 15. CJCE, 21 juin 2007, aff. C-173/05, Commission c/ Italie.

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toute possibilité de légiférer. L’argument de l’État italien qui se fondait sur le but environnemental de la taxe litigieuse était inopérant. B. Aides d’État

La seconde grande limite posée par le Traité susceptible de faire obstacle à l’instauration d’une fiscalité environnementale tient à l’interdiction des aides d’État édictée à l’article 87 du Traité.La Cour de justice a jugé que ni la nature fiscale d’une mesure ni davantage sa finalité sociale, ne sont susceptibles de faire obstacle à la qualification d’aide d’État16.Une disposition fiscale est constitutive d’une aide d’État lorsqu’elle remplit les quatre conditions suivantes : elle procure un avantage à des entreprises, est octroyée par l’État au moyen de ressources de l’État, a une incidence sur la concurrence et les échanges intracommunautaires et est sélective.Si les aides d’État sont en principe interdites par le Traité, certaines d’entre elles peuvent être jugées compatibles avec les dispositions du Traité sur le fondement de l’article 87, paragraphe 3. La Commission a adopté dès 1994 l’encadrement communautaire des aides d’État pour la protection de l’environnement17. Revues en 200118, les lignes directrices ont fait l’objet d’une révision très récente, en janvier 2008, par la Commission19. C. Impositions intérieures constituant une discrimination

Le troisième dispositif important à prendre en compte lors de la mise en place de prélèvements environnementaux est édicté à l’article 90 du Traité qui vise à garantir la neutralité des impositions intérieures en interdisant toute discrimination à l’égard des produits d’autres États membres et la protection des produits nationaux.Plusieurs exemples tirés de la jurisprudence de la Cour de justice montrent l’importance de cette disposition en matière environnementale20.La

16. CJCE, 2 juill. 1974, aff. C-173/73, Italie c/ commission, point 28. 17. JO C 72 du 13 mars 1994, p. 3.18. JO C 037 du 3 fév. 2001, p. 3. 19. Proposition de la Commission européenne sur les objectifs « climat-énergie » à l’horizon 2020 (23 janvier 2008).20. CJCE, 23 octobre 1997, aff. C-375/95, Commission c/ Grèce à propos de la taxe spéciale de consommation due lors de la première opération d’achat ou de l’importation d’une voiture.

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Cour de justice a notamment décidé, dans un arrêt récent21, que l’article 90 s’oppose à une disposition fiscale nationale qui exonère de la taxe frappant le dépôt durable de déchets dans les décharges nationales, les dépôts de déchets provenant de la réhabilitation ou de la sécurisation des sites contaminés situés sur le seul territoire national, mais exclut de l’exonération les dépôts de déchets provenant de la réhabilitation ou de la sécurisation de sites situés dans d’autres États membres de la Communauté européenne. D. Droits d’accises et autres impôts indirects

La fiscalité environnementale susceptible d’être mise en place ne doit pas contrevenir aux règles du droit dérivé qui ont fait l’objet d’une harmonisation. En matière environnementale, il s’agit des droits sur les produits énergétiques : carburants et combustibles tels que le pétrole et l’essence, l’électricité, le gaz naturel, la houille et le coke.L’adoption au niveau communautaire de ces règles et leur transposition en droit interne a conduit la France à instaurer, à compter du 1er juillet 2007, une taxe intérieure de consommation sur les charbons qui visent les houilles, lignites et les cokes. Mais, reflet du cadre flexible laissé par la directive, le système des exonérations mis en place touche 92 % de la consommation totale.Une proposition de directive concernant les Taxes sur les voitures parti- culières22

prévoit l’introduction d’un élément lié aux émissions de CO2 dans la base d’imposition des taxes annuelles de circulation et des taxes d’immatriculation. En France, un tel dispositif vient d’entrer en vigueur. L’article 63 de la loi de finances rectificative pour 2007, codifié à l’article 1011 bis du Code général des impôts, institue un malus applicable aux voitures particulières les plus polluantes, appelé écopastille, lors de la première immatriculation. Ce dispositif pourrait être étendu sur une base annuelle. E. Restrictions quantitatives à l’importation et à l’exportation

de marchandises entre les États membres ou mesures d’effet équivalent

À titre subsidiaire, et sous réserve qu’aucune autre disposition du droit communautaire ou dérivé ne s’applique23, l’interdiction des

21. CJCE, 8 novembre 2007, aff. C-221/06, Stadtgemeinde Frohnleiten. 22. Doc. COM (2005) 261 final, 5 juill. 2005.23. Jurisprudence constante : CJCE, 24 nov. 1993, aff. C-267/91 et C 268/91, Keck et Mithouard ; CJCE, 6 juill. 1995, aff. C-470/93, Mars GmbH.

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mesures d’effet équivalent peut s’appliquer aux taxes et redevances en matière environnementale24.Il s’agit notamment de l’hypothèse dans laquelle un prélèvement est mis sur un produit pour lequel il n’y a pas d’équivalent ou de concurrent national, et où le niveau de ce prélèvement est tel qu’il est apte à entraver la libre circulation des produits.Cependant, la protection de l’environnement peut être reconnue comme une exigence impérative apte à justifier la mesure restrictive, même si elle constitue une entrave à la libre circulation des marchandises, à condition que cette mesure soit non discriminatoire, nécessaire et proportionnée à l’objectif de protection de l’environnement25.

III. RESPECT DES RÈGLES DE L’ORGANISATION MONDIALE DU COMMERCE

A. Les ajustements fiscaux à la frontière Si les États sont libres en principe d’appliquer leur régime fiscal en

fonction des préférences et contraintes nationales, ils demeurent soumis aux règles de l’OMC régissant l’application des taxes et impositions intérieures aux produits faisant l’objet d’échanges internationaux. Les taxes et impositions sont considérées comme ayant des effets sur le commerce international lorsqu’elles sont prélevées sur les produits importés ou remises sur les produits exportés constituant ainsi des ajustements fiscaux à la frontière.Ces règles s’appliquent indépendamment des objectifs en vue des- quels les taxes litigieuses ont été instaurées, l’objet principal de ce dis- positif étant d’éviter que les taxes intérieures soient utilisées à des fins protectionnistes.Un membre de l’OMC ne peut, unilatéralement, imposer l’importation d’un produit en raison de l’incidence sur l’environnement des procédés et méthodes de production utilisés dans le pays exportateur. Ainsi, une taxe intérieure sur les carburants peut être valablement pré- levée sur les carburants importés, mais une taxe sur l’énergie consommée pour produire une tonne d’acier (taxe sur le procédé de production)

24. Articles 28 à 31 du Traité.

25. CJCE, 30 nov. 1983, aff. C-227/82, Van Bennekom.

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ne peut être appliquée à l’acier importé même si elle est perçue sur l’acier d’origine nationale26.

B. Subventions En dehors des règles relatives aux ajustements fiscaux à la frontière,

les impositions et taxes en matière environnementale peuvent égale- ment se voir appliquer les règles issues de l’accord sur les subventions et les mesures compensatoires. Une subvention est constituée par la réunion de deux éléments. L’État doit d’abord intervenir financière- ment : il peut s’agir d’une contribution financière quelle que soit sa forme, y compris un abandon de recettes fiscales. Cette intervention doit ensuite procurer un avantage à son destinataire. Mais l’accord sur les subventions ne s’applique qu’aux subventions dites spécifiques, c’est- à-dire qui profitent « à une entreprise ou à une branche de production ou à un groupe d’entreprises ou de branches de production relevant de la juridiction de l’autorité qui accorde cette subvention ».

*** L’adoption des taxes et redevances environnementales au niveau

communautaire permettrait plus de souplesse dans la définition des normes et plus de cohérence dans leur mise en place au niveau des États de l’Union européenne. Encore faudrait-il, pour parvenir à une vraie politique fiscale environnementale à l’échelon européen, dépasser les égoïsmes nationaux27, ce qui exigerait probablement l’introduction d’une exception à la règle de l’unanimité en matière de fiscalité.

26. B. Teissonnier-Muchielli, « Les écotaxes entre le droit de l’OMC et le droit communautaire », in S. Maljean-Dubois, Droit de l’Organisation mondiale du commerce et protection de l’environnement, Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 255. 27. Les pays membres de l’Union européenne ayant des situations géographiques très différentes peuvent avoir des intérêts économiques divergents, notamment en matière de taxation des transports routiers.

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LE BONUS-MALUS ÉCOLOGIQUE, UN OUTIL À DOUBLE TRANCHANT

Extrait du Mémoire soutenu par Monsieur Nicolas Ferré

dans le cadre du Master 2 de Droit fiscal de l’Université Panthéon-Assas, dirigé par le Professeur Guy Gest

C’est avec grand bruit que la première mesure débattue dans le cadre du « Grenelle de l’environnement », est entrée dans le droit positif. Introduit en toute hâte par un amendement présenté par le Gouverne- ment lors du débat parlementaire sur la loi de finances rectificative pour 2007, ce mécanisme a suscité les commentaires. L’originalité du dispositif explique sûrement cet intérêt. Reste à savoir si les effets concrets seront à la hauteur des espoirs qu’il soulève.

I. LE BONUS-MALUS, UN OUTIL REMARQUÉ POUR SON ORIGINALITÉ

A. La genèse du mécanisme

Le « bonus-malus écologique – Grenelle de l’environnement » (par- fois appelé également « écopastille »), vise à favoriser les modes de « propulsion propre ». Cette volonté n’est pas nouvelle. Il faut ainsi partir du droit positif antérieur pour en comprendre les apports. Il existait déjà une taxe dite « taxe additionnelle de CO2 », ajoutée au prix de base de la carte grise. Ce dispositif a été mis en œuvre au 1er juillet 2006. On retrouve dans ce mécanisme la philosophie du malus. Un barème progressif fixait ainsi le montant de la taxe selon le nombre de grammes de CO2 émis au kilomètre. Le « malus – Grenelle de l’environnement » est cependant beaucoup plus ambitieux. Il diminue ainsi d’un quart la tolérance en matière d’émissions. Par ailleurs, il durcit très nettement le montant de la taxe. L’échelon maximum entraînait par exemple le paiement d’une taxe de 860 euros contre 2 600 euros pour le malus.

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Le renforcement de la taxation des véhicules polluants n’est pas le seul apport du mécanisme de l’écopastille. Conformément aux recommandations des groupes de travail du « Grenelle de l’environnement », le Gouvernement a souhaité un mécanisme à double détente. L’acheteur choisissant d’acquérir un véhicule, dont les émissions en CO2 dépassent les seuils fixés par un barème, devra s’acquitter d’un malus. A contrario, l’acheteur « vertueux » se verra attribuer un bonus, si la voiture acquise est sobre en carbone. Le dispositif du bonus-malus utilise donc les deux mécanismes d’incitation : « la carotte et le bâton ». On peut résumer la philosophie de cette mesure de la façon suivante : si le malus reconnaît qu’émettre du carbone a un coût environnemental (pour la société), le bonus admet que ne pas émettre a un coût financier (pour le consommateur). Le dispositif est donc censé « s’autofinancer », les études préliminaires tablant sur des recettes (malus) de l’ordre de 462 millions d’euros, pour des dépenses (bonus et super-bonus) évaluées à 460 millions d’euros.

B. Un mécanisme au fonctionnement innovant Le malus prend la forme d’une taxe additionnelle sur les certificats

d’immatriculation de véhicules neufs1. Il existe, en réalité, deux barèmes. Cela s’explique pour des raisons pratiques d’estimation des émissions.Pour les véhicules ayant fait l’objet d’une réception communautaire2, l’estimation des émissions ne pose pas de problèmes. En effet, depuis 1998, ces véhicules font l’objet d’une évaluation en CO2. Celle-ci s’est d’ailleurs matérialisée, depuis mai 2006, par une étiquette « consommation et émission de CO2 » apposée sur le véhicule. Ce premier barème fixe plusieurs tranches selon le nombre de grammes de CO2 émis au kilomètre. Il est doublement progressif. D’une part, le montant de la taxe augmente quand le taux d’émission augmente. Il évolue ainsi de 200 euros pour les véhicules au dessus de 160 grammes par kilomètre, à 2 600 euros pour ceux dépassant les 250 grammes.D’autre part, les taux d’émission déclenchant le paiement d’un malus seront diminués de façon progressive de 2008 à 2012. Le but est de

1. Article 1011 bis du Code général des impôts.

2. Selon l’article R321-6 du Code de la route, la réception communautaire, dite réception CE, est destinée à constater qu’un type de véhicule, de système ou d’équipement satisfait aux prescriptions techniques exigées pour sa mise en circulation.

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diminuer progressivement « la tolérance » pour aller vers le minimum d’émissions.Le second barème concerne les autres véhicules pour lesquels il n’existe pas de données sur leurs émissions en CO2. Le montant de la taxe est alors basé sur la puissance fiscale.

Le bonus, quant à lui, a été mis en place par voie réglementaire. Il instaure, également, un barème qui est fonction des émissions. Le mon- tant maximum du bonus est de 5 000 euros pour les véhicules émettant moins de 60 grammes de CO2 par kilomètre. Le montant minimal est fixé à 200 euros, pour les véhicules émettant entre 121 grammes et 130 grammes de CO2.

Le barème prévoit un durcissement de 5 grammes tous les deux ans. Ainsi, en 2012, le bonus ne sera ouvert qu’aux véhicules émettant

moins de 125 grammes de CO2. En effet, il existe deux modalités de versement du bonus.

D’une part, si le concessionnaire a signé une convention (prévue à l’article 8 du décret 2007-1873 du 26 décembre 2007), il imputera directement le bonus sur le prix de vente. Le concessionnaire obtiendra le remboursement de cette avance auprès du fonds d’aide à l’acquisition de véhicules propres, dont la gestion est assurée par le Centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles.Dans le cas contraire, la procédure de droit commun prévoit, d’autre part, que l’acquéreur doit retirer une demande de versement3 qui doit être accompagnée de pièces justificatives prévues dans l’arrêté du 26 décembre 2007. L’ensemble doit alors être transmis au fonds d’aide à l’acquisition de véhicules propres. On notera, par ailleurs, que le décret prévoit un barème spécifique pour les véhicules fonctionnant au gaz de pétrole liquéfié, au gaz naturel ou les véhicules hybrides (combinaison de l’électrique et d’une motorisation à l’essence ou au gazole).

Enfin, pour être complet, on relèvera qu’une aide spécifique de 2 000 euros est prévue, sous certaines conditions, pour effectuer des travaux de transformation d’un véhicule afin que celui-ci fonctionne au gaz de pétrole liquéfié.

3. Demande disponible en préfecture et sur le site www.service-public.fr

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La politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre a également conduit à ressusciter « la prime à la casse ».Apparue en 1994 sous le Gouvernement Balladur et reconduite jusqu’en 1996 par le Gouvernement Juppé pour renouveler le parc automobile français, le concept renaît sous la forme d’un super-bonus.Ce dernier sera versé pourvue que l’acquisition d’un véhicule neuf se double du retrait d’un véhicule de plus de quinze ans. Ce mécanisme est plébiscité par les constructeurs d’automobiles qui considèrent que le renouvellement du parc constitue la principale marge de progrès en termes de réduction des émissions (voir l’interview d’Aurélie Muller, Direction de la Communication au Comité des Constructeurs Français d’Automobiles – CCFA).

II. LE BONUS-MALUS, UN OUTIL MARQUÉ PAR L’INCERTITUDE

A. Un outil à l’efficacité incertaine

Le dispositif du bonus-malus n’est qu’à ses débuts. Il est donc difficiled’en évaluer avec précision les effets sur l’environnement. Les premiers constats montrent, cependant, que les consommateurs semblent davantage sensibilisés à l’impact écologique.Les concessionnaires notent un changement de comportement des acquéreurs potentiels.Leurs premières questions concernent bien souvent le montant du bonus ou du malus4.Cela semble se confirmer dans les chiffres qui montrent que les acheteurs ont réorienté leurs choix vers des modèles plus vertueux.

Ainsi, pour le mois de janvier 2008, les ventes des modèles potentiellement concernés par le malus ont diminué de plus de 50 % par rapport à 2007.À l’inverse, les ventes des modèles pouvant bénéficier du bonus ont augmenté de plus de 40 % (cf. l’interview d’Aurélie Muller). Les constructeurs ne s’y sont pas trompés et jouent sur la fibre écologique. Nombre d’entre eux ont opté pour une signalétique propre afin de

4. Elsa Bembaron, Les automobilistes déjà influencés par l’écopastille, Le Figaro, 28 décembre 2007.

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mettre en valeur leur gamme écologique (Renault « eco2 », « Blue Lion » pour Peugeot, etc.). Il faudra, cependant, attendre des analyses plus complètes pour tirer des conclusions définitives. D’ailleurs, les chiffres relatifs aux mois de février et mars 2008 marquent un léger tassement.

Le concert de louanges doit néanmoins être nuancé. On peut relever quatre points qui font débat :

D’une part, le bonus-malus ne concerne pas tous les modèles mis en vente. Selon les conclusions de Monsieur le Sénateur Philippe Marini, rapporteur du projet de loi de finances rectificative pour 2007 devant le Sénat, 44 % des véhicules neufs immatriculés ne seraient concernés ni par le bonus ni par le malus. Dès lors, le risque est que les constructeurs se contentent d’homologuer des véhicules dans ce créneau du zéro bonus et zéro malus sans engager des efforts de recherche supplémentaire. Il y a donc un risque d’effet de seuil.

D’autre part, le bonus-malus ne concerne que les émissions de gaz à effet de serre. Il en résulte que cet outil n’a pas pour objet de réduire les autres nuisances provoquées par l’automobile. Celles-ci sont pour- tant nombreuses : le rapport Boiteux de 2001 considère, à cet effet, que l’effet de serre ne représente que 13 % des nuisances induites par l’automobile. Il faut y ajouter le bruit (11 %), l’insécurité routière (51 %) et la pollution atmosphérique (25 %).

Dès lors, on constate que le bonus-malus écologique favorise les modèles diesel qui, certes, rejettent moins de CO2 mais dont les émissions de microparticules sont particulièrement dangereuses pour la santé. Le bonus-malus est, parfois, qualifié de « prime au diesel », ce qui contribue à accélérer la diésélisation du parc. Il faudra donc attendre 2009 pour endiguer cette faille. En effet, la norme Euro 5 obligera les constructeurs à doter leurs modèles de pots catalytiques.

Par ailleurs, le bonus-malus ne s’applique qu’aux véhicules neufs. Les véhicules d’occasion ré-immatriculés seront seulement assujettis à la « taxe additionnelle de CO2».Certains n’hésitent pas à qualifier ce palliatif de « désuet » en comparaison avec le mécanisme du bonus-malus. Sachant que les ménages

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conservent en moyenne (moyenne constatée sur l’année 2006) leurs véhicules pendant 8 ans, la limitation aux véhicules neufs réduit forte- ment l’impact du dispositif. Il faut toutefois noter que le super-bonus, c’est-à-dire la « prime à la casse », vise à accélérer ce renouvellement. Là encore, il faut être prudent.

En effet, des études menées par le Ministère de l’Environnement et du Développement Durable montrent que les mécanismes dits « Balladur » et « Juppé » ont provoqué des effets d’aubaine. Une part non négligeable des bénéficiaires de la prime n’a pas anticipé le renouvelle- ment de leurs véhicules. Ils auraient changé de véhicule avec ou sans prime.

Enfin, la question de l’annualisation a été soulevée. En effet, les acquéreurs de véhicules tombant sous le coup du malus ne sont redevables de celui-ci qu’à l’achat et non chaque année. Or, le rapport du groupe de travail du « Grenelle de l’Environnement » sur la lutte contre les changements climatiques recommandait la création d’une écopastille annuelle.Il faut toutefois relever que cette préconisation a reçu un accueil mitigé. Elle cristallisait les craintes en termes de baisse de pouvoir d’achat des ménages.

Au final, on peut se demander si, au lieu de créer un nouvel outil,

il n’aurait pas été préférable de renoncer à l’exonération de taxe différentielle sur les véhicules à moteur (dite « vignette automobile »). Cette exonération a été instaurée en 2000 pour les véhicules des particuliers. La France est en effet l’un des rares pays européens à ne pas avoir de taxe annuelle touchant l’ensemble des véhicules du parc automobile. B. Un outil à l’avenir incertainUn certain nombre de questions concernant le bonus-malus ne sont pas tranchées. Cela constitue un facteur d’incertitude sur le fonctionnement du dispositif.

On pense, en premier lieu, au surcoût que le mécanisme engendre pour les familles nombreuses. En effet, les différences en termes d’émissions de CO2

entre les différents modèles s’expliquent principalement du fait du poids du véhicule. Or, les familles nombreuses sont dans

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l’obligation d’acquérir des modèles spacieux et donc forcément moins sobres en carbone (certains véhicules de ce type émettent plus de 160 g CO2/km).

Cette question a fait l’objet d’âpres échanges lors du débat parlementaire. Ainsi, un amendement no 278 proposait d’exclure du champ du dispositif les véhicules de plus de cinq places. D’autres parlementaires ont proposé des solutions moins radicales telles que, ramener les émissions de CO2 au passager transporté ou prévoir un abattement par enfant. Si ces propositions ont été repoussées, le Gouvernement semble toujours réfléchir à une « ristourne » familiale5.

En second lieu, une autre question a alimenté le débat parlementaire : il s’agit des incitations en faveur des biocarburants. Les parlementaires avaient fait preuve d’imagination dans les solutions envisagées pour favoriser la filière des véhicules fonctionnant avec ces carburants verts. Ils se sont vus opposer une fin de non recevoir. La production de biocarburants étant déjà encouragée par une moindre taxation des combustibles. Le débat n’est cependant pas clos sur les incitations en faveur des biocarburants dans la mesure où beaucoup considèrent qu’ils contribuent à l’augmentation des cours des matières premières agricoles.

Le second facteur d’incertitude concerne la pérennité du dispositif. On peut ainsi regretter que cette mesure soit prise dans le cadre

strictement national. On constate que les différents pays européens ont adopté des mécanismes quasi similaires. Cependant, il existe de grandes disparités des coûts et des systèmes fiscaux. Par exemple, pour bénéficier d’un bonus, un véhicule devra émettre moins de 121 grammes en Autriche et en Suède, moins de 130 grammes en France, et moins de 150 grammes à Chypres et en Suède. On constate des disparités similaires concernant les seuils de déclenchement du malus. Une harmonisation semble indispensable pour inciter les constructeurs à avoir une stratégie ambitieuse de réduction des émissions. La Commission européenne s’efforce ainsi de trouver un dispositif communautaire basé sur des sanctions à l’égard des constructeurs en cas de dépassement des

5. Jean-Francis Pécresse, Écopastille automobile : une ristourne « familiale » à l’étude, les Échos, 14 décembre 2007.

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seuils. Le but est de parvenir à une moyenne de 130 grammes de CO2 par kilomètre. Il ne sera néanmoins pas facile de concilier les intérêts divergents des différents pays européens. L’Allemagne, réputée pour ses grosses berlines, est ainsi montée au créneau face aux propositions de la Commission européenne. Un accord est, quoi qu’il en soit, indispensable pour inverser la tendance. Les émissions de CO2 du transport routier ont augmenté en Europe de 30 % depuis 1990.

*** Le mécanisme du bonus-malus constitue une étape majeure pour

« internaliser »6 les coûts environnementaux et faire face au réchauffe- ment climatique. Le dispositif est pourtant loin d’être parfait et présente un certain nombre de failles. Pour certains, il s’agit de l’esprit même de la mesure qui est discutable. Le secrétaire général de l’OCDE déclare, à ce propos, « qu’il est « inutile de faire un bonus-malus, il suffit de surtaxer les plus polluantes »7. Fiscalité positive ou fiscalité punitive, le débat n’est pas clos.

6. La théorie de « l’internalisation des coûts externes » a été développée par Arthur Cecil Pigou (1877-1959), professeur d’économie politique à l’Université de Cambridge.7. Christian Losson, Questions à Angle Gurria, secrétaire général de l’OCDE, Libé- ration, 17 avril 2008.

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CONFÉRENCE DROIT DES AFFAIRES ET ENVIRONNEMENT (Extraits)

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LA RESPONSABILITÉ DES PERSONNES PHYSIQUES ET MORALES EN CAS D’INFRACTION AUX OBLIGATIONS ENVIRONNEMENTALES

Jacques-Henri Robert Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II)

Un chef d’entreprise qui deviendrait un bon pénaliste abandonnerait tout de suite ses fonctions, effrayé par le risque qu’une infraction se commette dans ses ateliers et bureaux, et qu’elle lui soit imputée. L’accumulation des incriminations qui visent spécifiquement l’activité économique est en effet impressionnante : on les trouve, entre autres, dans les Codes de commerce, de la consommation, du travail, de la santé publique et de l’environnement et c’est cette dernière compilation, due à l’ordonnance no 2000-914 du 18 septembre 2000, qui fait l’objet de la présente conférence.Les condamnations pénales dont elle est le soutien font généralement grand bruit, telles par exemple que celles prononcées contre la société Total à la suite du naufrage de l’Erika (trib. corr. Paris, 16 janv. 2008, JCP G 2008 II 10053, note B. Parance), ou contre la société Peugeot- Citroën, pour pollution de la Seine (Crim. 19 oct. 2004, Dr. pén. 2005, comm. 6). Mais la quantité de ces jugements et arrêts est très faible : l’annuaire statistique de la Justice, publié en 2007, donne, pour l’année 2005, les chiffres suivants : la rubrique « Atteintes à l’environnement » contient 3 610 condamnations correctionnelles (sur un total de 550 841 sentences), et dans les atteintes ainsi sanctionnées, on en compte 2 390 pour violation des règles d’urbanisme, 740 pour délit de chasse et de pêche, ce qui laisse un reste de 480, prudemment présenté sous l’intitulé « Autres ».Ce résultat total contient toute la répression exercée contre la pollution industrielle et agricole, à savoir les infractions contre la réglementation des déchets et des installations classées, et, bien sûr, la pollution des eaux terrestres et maritimes. On ne peut donc pas dire que

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les pollueurs industriels encombrent, pour le moment, les tribunaux correctionnels mais ils ne peuvent que redouter un accroissement des poursuites, le plus souvent diligentées par les associations d’écologistes qui sont très vigilantes.Embryonnaire dans la pratique judiciaire, le droit pénal de l’environnement n’en est pas moins en état de marche, décrit qu’il a été depuis longtemps par la doctrine (D. Guihal « Droit répressif de l’environnement », 3e éd., Economica 2008 ; J.-H. Robert et M. Rèmond- Gouilloud, « Droit pénal de l’environnement », Masson, 1983). Il est donc facile de dire de quelle manière il s’applique aux chefs d’entreprise et aux sociétés, quand ils sont poursuivis. La structure de ses infractions n’est pas identique à celle qui se déduit ordinairement de la lecture du Code pénal (I). Et si ce Code autorise la poursuite cumulée des per- sonnes physiques et des personnes morales, la pratique des parquets tend à accabler cette seconde catégorie de sujets (II).

I. LA STRUCTURE DES INFRACTIONS DU DROIT PÉNAL DE L’ENVIRONNEMENT

Le Code de l’environnement est principalement composé de polices administratives spéciales dont les règlements sont pénalement sanctionnés. Le modèle en est très ancien et se rencontre dans tous les domaines techniques : l’exploitation des forêts, les chemins de fer, le transport aérien, la santé publique, le droit alimentaire et, bien sûr, la chasse et la pêche. Les trois éléments des infractions correspondantes, celui qu’on ne peut plus dire légal, mais seulement textuel, et leurs éléments matériel et moral, présentent certaines caractéristiques

A. L’élément textuel des infractions portant atteinte à l’environnement

Les normes du droit de l’environnement doivent être souples, adaptées à des circonstances géographiques et chronologiques très variables et c’est pourquoi il rassemble des règlements administratifs pénalement sanctionnés : une loi-cadre définit un domaine dans lequel les organes du pouvoir exécutif doivent établir des règlements, et elle les sanctionne par une peine fulminée d’avance contre tous les contrevenants aux règlements futurs publiés dans le domaine considéré. Par exemple, la loi sur les déchets du 15 juillet 1975, devenue le chapitre L.541 du

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Code de l’environnement, habilite le premier ministre à fixer la liste des déchets dangereux et les modalités de leur élimination (art. L.541-22), et elle menace d’une peine d’emprisonnement ceux qui violeraient les décrets faits en conséquence (L.541-46, § I, 6o).Souples, les incriminations du droit de l’environnement sont donc changeantes. Cette caractéristique, bienfaisante pour une adaptation continuelle du droit au milieu physique, est une source de casse-tête, car la solution des conflits de lois pénales dans le temps, régie par des principes constitutionnels, est complexe : certes, on n’applique pas rétroactivement les normes administratives plus sévères, mais les tribunaux, par dérogation à l’article 112-1 alinéa 3 du Code pénal, ne respectent pas la rétroactivité des normes plus douces en cas d’abrogation ou d’adoucissement d’un règlement administratif. En conséquence, le prévenu, pour- suivi pour avoir violé un règlement, n’est pas relaxé quoique le fait qu’on lui reproche soit devenu conforme à la nouvelle réglementation, au moment où, un peu plus tard, il comparait devant le tribunal répressif ; par exemple, est punissable la personne qui a construit sans permis même si, lorsqu’elle est jugée, un permis régularisateur lui a été accordé (Crim. 11 déc. 2007, Dr. pén. 2008, comm. 55).

En revanche, mais cette fois-ci en faveur des prévenus, l’origine réglementaire des incriminations ouvre carrière à l’exception d’illégalité dirigée contre les décrets et arrêtés : l’article 111-5 du Code pénal autorise en effet le prévenu à soutenir l’illégalité de ces textes par tous les moyens qui seraient utiles devant un tribunal administratif (incompétence, vice de forme, violation de la loi, erreur manifeste d’appréciation, défaut de notification etc.), et il arrive que cette exception prospère (par ex., Crim. 26 sept. 2006, Dr. pén. 2006, comm. 153). Il est vrai que le ministère public peut, lui aussi, contester la légalité d’un texte administratif dont le prévenu croit pouvoir tirer une autorisation de la loi ou une cause de non-imputabilité : la chose est arrivée à une société commerciale prévenue qui soutenait, et à juste titre, que le Code de l’environnement avait abrogé la règle imputant aux personnes morales le délit de pollution d’eau ; mais, comme à cette époque, le Code de l’environnement n’était qu’une ordonnance non ratifiée, donc un texte administratif, la Cour de cassation affirma l’illégalité de la disposition considérée et appliqua la loi antérieure et mal transcrite par l’ordonnance, et approuva la condamnation de la société prévenue (Crim. 19 oct. 2004, préc.).

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B. L’élément matériel des infractions portant atteinte à l’environnement

Innombrables, les incriminations administratives, générales ou individuelles, visent une extraordinaire variété de comportements et de situations. Les obligations de faire rivalisent en quantité avec les interdictions ; les normes à respecter sont exprimées tantôt en données chiffrées (la hauteur d’une cheminée, la composition chimique des effluents et leur masse horaire), tantôt en résultats, plus ou moins précis, à atteindre (les insectes ne doivent pas pulluler, aucune odeur infecte ne doit être répandue), tantôt en règles de comportement (effectuer des mesures régulières, organiser un gardiennage).

Il est un type de réglementation très répandu en la matière, et c’est l’obligation de se munir d’une autorisation préalable avant d’entre- prendre une activité donnée. Ce régime engendre, du point de vue pénal, deux infractions caractéristiques : d’une part, l’activité non auto- risée, d’autre part l’activité autorisée mais conduite en violation des conditions de l’autorisation individuelle. La distinction entre ces deux infractions a une grande portée quand, comme en matière d’installations classées, la première est un délit (art. L.514-9 C. env.) et la seconde une contravention (art. R.514-4, 3o). Certaines infractions aux conditions de l’autorisation sont si graves qu’elles modifient les caractéristiques essentielles de l’établissement et font tomber l’exploitant sous le coup des peines correctionnelles. Cela est évidemment vrai quand il change carrément d’activité sur le même lieu (une fonderie se substitue à une tannerie) ou qu’il transporte son établissement d’une commune à l’autre ; mais la Cour de cassation condamne aussi sous la qualification correctionnelle les exploitants qui dépassent les normes simplement quantitatives dans lesquelles l’administration a voulu confiner leur production : il en est ainsi de l’éleveur de porcs qui entasse ses animaux au-delà du maximum à lui imposé (Crim. 11 mars 1998, Dr. pén. 1998, comm. 100) ou de l’industriel qui fabrique plus d’acide que prévu (Crim. 13 avr. 1999, Dr. pén. 1999, comm. 129). Cette jurisprudence sévère, qui traite des dépassements graves comme des défauts d’autorisation, s’explique par le fait que le franchissement de seuils quantitatifs a pour effet des modifications qualitatives dans les nuisances.

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C. L’élément moral des infractions portant atteinte à l’environnement

Avant l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, les délits du droit de l’environnement étaient imputés aux prévenus comme s’il s’agissait de contraventions : les condamnations étaient donc prononcées sans que les tribunaux aient besoin de constater ni l’intention ni même l’imprudence du prévenu ; on disait que c’étaient des « délits matériels ».À l’occasion de l’entrée en vigueur du nouveau Code, le 1er mars 1994, l’article 339 de la loi du 16 décembre 1992 disposa que les délits, auparavant « matériels », deviendraient d’imprudence. En apparence, la Cour alla bien au-delà du vœu de la loi, puisqu’elle décida que la plupart des délits naguère matériels, et notamment ceux du droit de l’environnement, acquéraient un caractère intentionnel et non d’imprudence. C’est en effet à propos de l’exploitation non autorisée d’une installation classée, puis d’une construction sans permis, qu’elle inaugura une nouvelle formule jurisprudentielle qui s’étendit ensuite à d’autres parties du droit pénal technique : « La violation en connaissance de cause d’une prescription légale implique, de la part de son auteur, l’intention coupable exigée par l’article 121-3, alinéa 1er du Code pénal » (Crim. 25 mai et 12 juill. 1994, Bull. crim. no 203, 1re esp. et 280 ; Dr. pén. 1994, comm., no

237 ; Rev. sc. crim. 1995, p. 97 et 343, obs. B. Bouloc ; – 22 janv. 1997, Dr. pén. 1997, comm. 83).

Ce motif un peu obscur a une portée pratique immense : alors que de droit commun, c’est-à-dire pour l’imputation de délits comme le vol ou l’escroquerie, les juges doivent décrire les faits de l’espèce d’où ils déduisent concrètement la mauvaise foi des prévenus, ils en sont dispensés lorsqu’il s’agit des infractions correctionnelles naguère matérielles ; pour celles-ci, l’intention est présumée ce qui, du point de vue pratique, annule presque complètement l’effet du nouveau Code pénal car il est impossible au prévenu de démontrer qu’il n’avait pas conscience d’exploiter une installation classée ou de construire une maison. Et s’il alléguait qu’il s’est trompé sur le droit applicable, par exemple le sens de la nomenclature des installations classées, il serait néanmoins condamné, car une erreur de droit doit, pour devenir une cause d’exonération, être inévitable (art. 122-3 C. pén.). Ces infractions à intention présumée suivent, en tous points, le régime qui était le leur du temps qu’elles étaient qualifiées de matérielles.

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Cependant, tous les délits du droit de l’environnement ne sont pas passés sous ce régime faussement nouveau. Il en est un, et célèbre, qui est devenu une infraction d’imprudence, et c’est la pollution de rivière (art. 432-2 C. env.) : désormais, le tribunal correctionnel qui veut prononcer une condamnation doit décrire le comportement du prévenu, dire en quoi il s’écarte des règles de la prudence qu’observe un homme normalement prudent et diligent, toutes opérations plus difficiles pour le tribunal que la simple affirmation d’une intention présumée. Mais la Cour de cassation, en cela plus sévère que les juridictions du fond, se contente de peu pour caractériser l’imprudence : un maire qui ne fait pas respecter ses propres arrêtés par les usagers d’un réseau d’assainissement est un imprudent coupable pour cela de la pollution de la rivière dans laquelle se déversent les effluents de sa commune (Crim. 18 juill. 1995, Dr. pén. 1995, comm. 285) ; l’exploitant d’un barrage, pourtant réglementairement obligé de le vidanger périodiquement, est un imprudent s’il choisit d’entreprendre l’opération à une période d’étiage, de telle sorte que les boues accumulées ne se dispersent pas bien (Crim. 25 oct. 1995, Bull. crim., no 322 ; Dr. pén. 1996, comm. 66) ;

Mais ces solutions sont antérieures à la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. Elle devrait avoir, sur l’imputation du délit de pollution d’eau, un effet sensible et alléger la responsabilité des prévenus, personnes physiques : cette loi, on le sait, dispose que si une faute d’imprudence a engendré de manière indirecte le dommage, la responsabilité pénale qui en découle est subordonnée à de nouvelles conditions : soit le prévenu « a violé de façon manifestement délibérée une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », soit, s’il n’existe pas de texte applicable, sa faute « caractérisée exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer » (art. 121-3, al. 4 nouveau C. pén.). La Cour de cassation a bien voulu juger que ce texte, écrit principalement pour les homicides et blessures involontaires, s’appliquait aussi au délit de l’article 432-2 du Code de l’environnement (Crim. 15 mai 2001, Bull. crim., no 123 ; Dr. pén. 2001, comm. 117). On peut en être surpris car, selon ce texte, la pollution d’eau n’est réalisée que si les poissons en ont souffert et les poissons ne sont pas « l’autrui » visé par la loi.

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II. LA RÉPARTITION DE LA RESPONSABILITE PÉNALE ENTRE LES PERSONNES MORALES ET LES PERSONNES PHYSIQUES, LEURS DIRIGEANTS

Le dernier alinéa de l’article 121-2 du Code pénal dispose que « la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des per- sonnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ». Par conséquent, et en dépit des affirmations que le Garde des Sceaux présenta, en 1986, lors de la présentation du projet de nouveau Code pénal (Exposé des motifs, JO Sénat, Doc. parl. 1985-1986, no 300, p. 6), la responsabilité des personnes morales n’allège pas, juridiquement, celle de leurs dirigeants. Ceux-ci sont, comme auparavant, exposés à être condamnés pour leurs infractions aux règlements protecteurs de l’environnement s’ils n’ont pas, pour en assurer l’exécution, établi un délégué pourvu de l’autorité, de la compétence et des moyens nécessaires, et ceci, quoique l’acte matériel du délit ou de la contravention soit le fait d’un préposé (Crim. 11 mars 1993, cinq arrêts, Bull. crim., no 112 ; Dr. pén. 1994, comm. 39).

Si, juridiquement, l’institution de la responsabilité des personnes morales n’a pas modifié celle des personnes physiques, il en va tout autrement dans la pratique judiciaire. En effet, les parquets ne sont nullement tenus de poursuivre à la fois ces deux sortes de justiciables quand ils en ont l’occasion, bien que les groupements ne soient pas responsables de leurs infractions propres, mais de celles commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants : un tribunal peut donc condamner une personne morale en constatant la culpabilité de son dirigeant, personne physique, pourtant tenue en dehors des poursuites. C’est précisément ce qui arrive dans le domaine des infractions non intentionnelles ou des infractions à intention présumée ; et c’est aussi dans ce domaine que s’est le mieux développée la responsabilité des personnes morales.

Les condamnations que subissent ces nouveaux justiciables sanctionnent en effet des délits de gravité moyenne et qui se commettent ordinairement dans les entreprises. Dans ce groupe d’infractions, celles qui portent atteinte à l’environnement occupent une place privilégiée. On

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l’avait déjà observé à l’occasion de la statistique, dressée par le Ministère de la Justice, après qu’eut été prononcée la centième condamnation définitive contre une personne morale : on relève que, dans cette centaine, treize sentences punissaient des atteintes à l’environnement, les- quelles ne relevaient pas de la chasse et de la pêche (A. Maron et J.-H. Robert, « Cent personnes morales pénalement condamnées », Dr. pén. 1998, chr. 28), alors que, dans la statistique générale, ce genre de délit occupe, on l’a vu plus haut, une place infinitésimale dans le total de l’activité des tribunaux correctionnels (440 sur plus de 550 000).

Cette application particulièrement importante de la responsabilité des personnes morales en matière de droit de l’environnement avait déjà été notée en législation : c’est cette branche qui, la première, a bénéficié des dispositions spéciales nécessaires à l’application de l’article 121-2 du Code pénal, du temps, antérieur au 31 décembre 2005, où cette responsabilité n’était pas générale : dès la loi du 16 décembre 1992 dite « d’harmonisation » qui a tenté d’accorder l’ensemble de la législation avec le nouveau Code ont été complétés à cette effet, le livre II (ancien) du Code rural relatif à la pollution d’eau, les lois du 15 juillet 1975 relatives aux déchets, du 19 juillet 1976 sur les installations classées, du 3 janvier 1992 sur l’eau (tous ces textes depuis lors intégrés dans le Code de l’environnement), tandis que la plupart des autres domaines, comme ceux du commerce ou de la consommation étaient négligés.Ce mouvement rencontre une grande faveur chez les écologistes militants : à la différence des autres partis politiques qui, sous la pression de l’opinion publique, intègrent la protection de l’environnement dans leurs programmes en la citant à côté d’autres propositions, les Verts entendent placer cette valeur au-dessus de toutes les autres par un bouleversement radical de la société industrielle toute entière. Or, le Code pénal fournit l’outil adéquat à ce projet car les peines prévues par l’article 131-39 contre les personnes morales sont presque toutes mortelles, même quand elles ne consistent pas en la dissolution de la société : il s’agit de l’interdiction professionnelle, de l’interdiction de faire appel public à l’épargne, de l’exclusion des marchés publics, de la fermeture d’établissements toutes mesures qui peuvent être définitives. Si des tribunaux, inspirés par un idéal écologique puissant, voulaient lutter efficacement contre les industries pollueuses, ils auraient les moyens de les détruire purement et simplement, et en peu d’années, par des condamnations répétées contre les grands groupes. C’est pourquoi on a observé, au lendemain de la promulgation du nouveau Code pénal, que les

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juristes spécialisés dans le droit de l’environnement manifestaient un vif enthousiasme à l’égard de la responsabilité pénale des personnes morales, au moment même où les pénalistes traditionnels exprimaient le doute ou l’ironie à l’égard de l’institution nouvelle (Colloque de la Faculté de droit de Limoges, « La responsabilité pénale des personnes morales », 11 mai 1993, Les Petites Affiches 1993, no 120. Comparer le rapport de M. M. Bayle « L’incidence de la réforme en droit de l’environne- ment », op. cit., p. 40 et le « Rapport de synthèse » de M. C. Lombois, p. 48).

Dans la pratique, aucune condamnation mortelle n’a été prononcée contre une personne morale, que ce soit du chef d’atteinte à l’environnement ou d’autres infractions. En revanche, les poursuites contre les pollueurs sont de plus en plus fréquentes et sont dirigées, le plus souvent, contre les personnes morales seules.Cette pratique des parquets a été consacrée par la circulaire que leur a adressée le directeur des affaires criminelles et des grâces pour commenter la généralisation de la responsabilité des personnes morales, par la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 (Circ. du 13 févr. 2006, BOMJ no 101). Si l’infraction est intentionnelle, dit ce commentaire administratif, « la règle devra en principe consister dans l’engagement des pour- suites contre la personne physique auteur ou complice des faits, et contre la personne morale... En revanche, en cas d’infraction non intentionnelle, mais également, en cas d’infractions de nature technique pour laquelle l’intention peut résulter, conformément à la jurisprudence traditionnelle de la Cour de cassation, de la simple inobservation, en connaissance de cause, d’une réglementation particulière, les poursuites contre la seule personne morale devront être privilégiées, et la mise en cause de la personne physique ne devra intervenir que si une faute personnelle est suffisamment établie à son encontre pour justifier une condamnation pénale ». Parmi les « infractions techniques », il faut ranger celles du droit de l’environnement.

Ainsi, en fait sinon en droit, ces contraventions et délits sont naturellement imputés aux personnes morales, selon une application approximative et pénaliste du principe « Pollueur-payeur ».

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LA PRISE EN COMPTE DU RISQUE ENVIRONNEMENTAL DANS LES TRANSACTIONS IMMOBILIÈRES ET COMMERCIALES

Françoise Labrousse

Avocat à la cour, Spécialiste en Droit de l’environnement, Cabinet Jones Day

I.LA SPÉCIFICITÉ DU RISQUE ENVIRONNEMENTAL

Il existe deux grandes catégories de risque : les non-conformités et le passif environnemental.

La non-conformité peut concerner l’activité elle-même, les installations ou le site dont la société est l’exploitant ou le propriétaire. Pour écarter ce risque de non-conformité, il faut vérifier que la société détient l’ensemble des permis et autorisations prescrits par la réglementation en vigueur.

Le passif environnemental se compose de pollutions historiques (sols et eaux souterraines), de déchets et de substances dangereuses, présents sur les sites ou dans les bâtiments. Le passif environnemental concerne les sites dont la société est exploitante ou propriétaire. Ce passif peut également comprendre les sites voisins, les sites externes de stockage ou d’élimination des déchets. Le passif environnemental peut enfin égale- ment concerner un site que la société a cédé avec une garantie de passif.Ce passif environnemental peut avoir plusieurs origines : un incident ou un accident, une demande de mise en conformité par les autorités, la cessation d’activité, une réclamation d’un tiers ou le changement d’usage du site.

Avant de réaliser l’opération, l’entreprise effectue généralement un audit qui va permettre d’évaluer le passif environnemental. Cet audit

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peut être réalisé par le vendeur, l’acquéreur, ou les deux conjointement. L’auteur de l’audit est un élément important, car cela va avoir des conséquences significatives sur le terrain de la responsabilité. En effet, si certains risques ou certaines pollutions n’ont pas été identifiés, celui qui a mené l’audit verra sa responsabilité engagée. C’est la raison pour laquelle il paraît souvent opportun de prévoir une clause de limitation de garantie aux faits non révélés par l’audit.

La détermination du passif environnemental s’avère difficile dans la pratique puisqu’il n’existe pas de définition objective de la pollution. En effet, l’obligation de remise en état s’apprécie à l’aune des risques pour la santé et l’environnement et non pas en fonction de seuils de pollution. L’usage du site sera le critère déterminant. On s’appuiera également sur la situation du site. Ainsi, à titre d’illustration, un site situé à proximité d’une école maternelle ne présente pas le même risque qu’un autre situé en pleine campagne. Par conséquent, on peut avoir des sites très pollués ne présentant aucun risque tandis que d’autres présenteront un grand risque alors même qu’ils sont peu pollués. Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi les garanties environnementales sont préférées à une simple réduction du prix, dès lors que le risque est flou.La procédure consistant à mettre en œuvre une garantie environne- mentale, à fermer le site ou à le remettre en état, est une procédure très complexe. La procédure fait en effet intervenir de nombreux interlocuteurs : l’exploitant, le propriétaire, le maire, le préfet, les voisins, des associations, une multitude d’experts.

La difficulté d’appréciation du risque environnemental tient aussi à aux incertitudes quant à la durée de la garantie. Le préfet peut à tout moment, même après la remise en état, imposer des prescriptions complémentaires. Le procès-verbal de recollement délivré à l’issue de la remise en état n’a donc pas véritablement un effet libératoire. Le conseil d’État est venu préciser la durée de la prescription pour la remise en état dans un arrêt du 8 juillet 2005 Alusuisse-Lonza-France : « Considérant, toutefois, que les principes dont s’inspire l’article 2262 du code civil font obstacle à ce que le préfet impose à l’exploitant, à son ayant-droit ou à la personne qui s’est substituée à lui la charge financière des mesures à prendre au titre de la remise en état d’un site lorsque plus de trente ans se sont écoulés depuis la date à laquelle la cessation d’activité a été portée à la connaissance de l’administration, sauf dans le cas où les dangers ou inconvénients présentés par le site auraient été dissimulés ».

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Par ailleurs, il existe également des règles particulières pour certains types d’opérations. En effet, en cas de cession d’actifs, le Code de l’environnement impose des formalités spécifiques. L’article L.514-20 prévoit par exemple une obligation d’information par écrit du vendeur à l’acquéreur d’un terrain sur lequel a été exploitée une installation classée. L’obligation d’information porte sur les inconvénients ou dommages importants qui résultent de l’exploitation ainsi que sur la manipulation ou le stockage de substances chimiques radioactives. En outre, un diagnostic amiante et un état de la pollution du site doivent être communiqués. Le manquement à cette obligation est très lourdement sanctionné : l’acquéreur peut demander la résolution de la vente, la restitution du prix ou la remise en état aux frais du vendeur.Enfin, une déclaration et une autorisation sont requises pour le changement d’exploitant. En pratique, il existe toujours une incertitude sur l’obtention de l’autorisation, ce qui est susceptible de remettre en cause l’opération.

II. LES DÉCLARATIONS ET GARANTIES ENVIRONNEMENTALESDANS LES TRANSACTIONS IMMOBILIÈRES ET COMMERCIALES

Les « déclarations » ont une importance capitale pour la cession car elles participent largement de l’obligation d’information. C’est pour- quoi, il peut être prudent de définir la portée des déclarations. Il s’agit d’exprimer clairement si elles ont simplement une vocation informative ou s’il s’agit de véritables garanties. Les déclarations portent sur les permis et autorisations (obtention et validité) ainsi que sur la conformité légale des activités et sites cédés. Plus spécifiquement, ces déclarations doivent donner des précisions sur l’état du sol, du sous-sol, des eaux de surface ou souterraine, sur la présence de substances dangereuses ou de déchets nécessitant des travaux de remise en état, sur d’éventuelles actions de remise en état en cours, sur des demandes ou mises en demeure des autorités, sur des réclamations ou plaintes des tiers, ainsi que sur des litiges environnementaux en cours.

Les clauses de garantie sont très fréquentes dans les transactions immobilières ou commerciales. Ces clauses organisent l’indemnisation

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des pertes résultant de la violation d’une déclaration environnementale, d’actions de remise en état. Elles peuvent également indemniser les pertes subies du fait de plaintes ou de réclamations des tiers ou des autorités. Ces clauses sont le plus souvent encadrées dans le temps. De plus, il est courant de poser une limite financière à la garantie.De manière générale l’indemnisation peut être exclue lorsqu’on modifie l’usage du site notamment en cas de cessation d’activité, de vente partielle ou totale, de modification substantielle des activités exercées.Une fois l’opération réalisée, le vendeur, pour se protéger, a intérêt à vérifier quel est l’usage que l’acquéreur fait du site. C’est pourquoi on recourt régulièrement à des clauses pour l’obliger à minimiser le dommage ou l’obliger à entreprendre tous recours pour minimiser son risque.Un autre moyen de limiter sa responsabilité consiste à organiser un partage de responsabilité entre le vendeur et l’acquéreur. On utilise souvent des clauses dégressives dans le temps : la responsabilité du vendeur diminue au fil du temps. Cela permet de partager les coûts et évite la fraude d’un acquéreur mal intentionné qui invoquerait des risques environnementaux fantaisistes.

En principe, ces clauses qui limitent ou encadrent la responsabilité sont valables (Civ. 3e, 19 décembre 2001). Cependant, l’arrêt SCAEL du 16 mars 2005 rendu par la Troisième chambre civile de la Cour de cassation est venu poser une limite : le manquement du vendeur, exploitant d’une installation classée, à son obligation de remise en état peut constituer une faute sur le fondement de l’art. 1382 du Code civil nonobstant les clauses contractuelles de non garantie.

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LES IMPACTS ENVIRONNEMENTAUX EN MATIÈRE DE FINANCEMENT DE PROJETS ET DE PRIVATISATIONSAssociation Droit & Affaires

Les investisseurs sont partagés entre deux logiques. D’une part, une logique économique et financière, et d’autre part une prise en compte du risque environnemental. Ces deux approches sont-elles conciliables ?

En matière de privatisation ou de financement de projets, il faut parvenir à une allocation optimale des risques. La donnée environne- mentale est ici entendue comme un risque qu’il convient de définir. Cependant, la notion même de risque soulève immédiatement des difficultés. En effet, l’environnement, domaine particulièrement sensible, n’est pas considéré comme un risque qu’il faudrait allouer entre les acteurs, mais plutôt comme un risque en tant que tel.

Deux approches de l’environnement se superposent :

– Le droit de l’environnement, qui regroupe l’ensemble des règlestechniques qui ont vocation à diminuer l’impact sur le milieu naturel et à organiser la responsabilité des acteurs (I).– Le droit à l’environnement, qui se focalise sur le rapport de l’homme à la nature dans son aspect général (II). Cette optique transcende largement la simple technique.

I. LE DROIT DE L’ENVIRONNEMENT

Le Code de l’environnement repose sur une conception qui apparente le milieu naturel à l’équilibre. L’opération qui viendrait l’affecter est tenue de le rétablir. Ensuite, une fois le principe général posé, le droit s’adapte aux différentes activités (comme en témoigne le Code minier).

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Pour atténuer l’impact sur l’environnement, le juriste doit d’abord procéder à un audit afin que les acteurs puissent prendre en compte dans leurs évaluations financières la place du risque environnemental.Les projets regroupent trois acteurs principaux : la banque, le gouvernement ou un organe étatique et au centre, la société de projet. Souvent, la prise en charge des obligations environnementales va être assumée par la société de projet. Si celle-ci n’est pas en mesure de supporter ces frais, les sponsors ou, à défaut, les organes étatiques, vont participer à cet effort (un fond de réserve est généralement constitué).

II. LE DROIT À L’ENVIRONNEMENT

Le risque environnemental est envisagé ici sous l’angle de l’éthique. On s’intéresse désormais au projet dans son ensemble et non plus aux impacts particuliers. Comme cette approche globale peut susciter des réactions aux niveaux national et international, on parle alors de « responsabilité écologique ». Il ne s’agit plus d’identifier et de remédier à des risques en interne, bien au contraire. Les acteurs devront en effet défendre le projet vis-à-vis de l’extérieur.

Les premières sonnettes d’alarmes tirées par les scientifiques dans les années 1960 ont largement favorisé cette conception de l’environne- ment. Le paradoxe qui surgit immédiatement est le suivant : les textes législatifs ont une portée domestique et, par conséquent, ne peuvent régler l’impact sur tout l’écosystème. Tout au plus, ils ne peuvent régler que des problèmes ponctuels et localisés. C’est pourquoi la société inter- nationale, et plus particulièrement les ONG, ont mis en place des règles, des chartes ou des communiqués qui ont relayé l’opinion internationale. Cette attention de l’extérieur aux projets ou privatisations internes est tout à fait singulière. Le droit créé par les ONG n’est pas contraignant. Il s’agit d’un droit « mou » (soft law), qui présente peut-être le risque d’être inefficace. Cependant, on constate que malgré ce caractère non contraignant, ce droit « mou » a un impact conséquent sur les opérateurs du marché.

Les projets ou privatisations font appel aux capitaux du secteur privé, lequel n’investit que s’il peut espérer un retour sur investissement. Or si le projet fait l’objet d’une dénonciation par une organisation

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internationale ou une ONG, les investisseurs seront plus frileux. Les « Principes de l’Équateur » sont, pour les investisseurs, un référent indiscutable pour le risque social ou environnemental. Ils sont adoptés par une vingtaine des plus grandes banques (ABN AMRO Bank N.V, Barclays PLC, Citigroup Inc., Crédit Lyonnais, Crédit Suisse Group, Calyon, Royal Bank of Scotland, la Société Générale...).

Les banques appliquent les « principes de l’Équateur » à tous les prêts portant sur des projets d’un montant minimum de 50 millions de dollars, et les souscripteurs doivent apporter la preuve que leurs projets sont responsables sur un plan social et environnemental. Les projets sont également classés selon l’impact sur l’environnement, afin de déterminer l’encadrement à apporter. Les ONG s’appuient très largement sur ces nouvelles règles et disposent de réels moyens de pression. Ainsi, Calyon et ING avaient décidé de financer une industrie de pâte à papier en Uruguay, mais ce projet ayant été dénoncé par de nombreuses organisations, ING a dû se retirer du projet. Une plainte a d’ailleurs été déposée en mai 2006 par neuf organisations non gouvernementales contre Calyon, pour violation des « principes de l’Équateur ». Le projet a dégénéré en un conflit diplomatique majeur entre l’Argentine et l’Uruguay, lesquels s’affrontent aujourd’hui devant la Cour Internationale de Justice. Le conflit a atteint de telles proportions qu’il fait trembler le MERCOSUR. Cet exemple révèle donc que, bien que ces organisations ne disposent pas de moyens de contrainte directs, leurs vœux ne restent pas pieux mais ont un impact réel.

En conclusion, il est intéressant de noter qu’une nouvelle initiative

a vu le jour le 27 avril 2006 à New York, avec le lancement par Kofi Annan des Principes pour l’Investissement Responsable (Principles for Responsible Investment). L’ancien Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies avait alors déclaré que « cette initiative (était) née du constat de plus en plus patent que, si la finance sert de moteur à l’économie mondiale, les décisions d’investissement et les pratiques d’actionnaires ne reflètent pas suffisamment les considérations d’ordre social et environnemental ». Ces principes visent à intégrer les problématiques environnementales, sociale et de gouvernance dans la gestion des portefeuilles d’investissement. Cette démarche a pour effet d’obliger les promoteurs à prendre en compte les exigences environnementales pour optimiser la levée de fonds.

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PARTIE II MÉLANGES

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ACTUALITÉS

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LE DÉPARTEMENT FRANÇAIS, À LA CROISÉE DES RÉFORMES

Guillaume Bazin

Etudiant en Master 2 de Droit Public Approfondi Université Panthéon-Assas (Paris II)

La commission relative à la libération de la croissance a remis son rapport au Président de la République Nicolas Sarkozy le 23 janvier 2008. Sur 316 propositions, il apparaît prioritaire de réformer les collectivités publiques et tout particulièrement les départements. Ceux-ci doivent disparaître dans les dix ans, permettant ainsi de clarifier les compétences et de réduire les coûts de l’administration locale.Mais, si Jacques Attali l’a proposé, le Président de la République, lui, l’a refusé : deux France s’opposent, se complètent et se cherchent. En quête de minceur, l’appareil administratif doit retirer ces couches qui se superposent et le gênent.Au-delà du seul travail de la commission, il faut s’interroger et faire un point sur le département. Il est en France un élément fondateur de notre société. Mais celle-ci évolue et doit reconsidérer la place de cet échelon administratif désormais encombrant.Si la division départementale de la France, a forgé sans conteste l’image de notre République (I), doit-on pour autant la préserver coûte que coûte d’une utile disparition (II) ?

I. LE DÉPARTEMENT, AU CŒUR DU PATRIMOINE JURIDIQUE ET POLITIQUE FRANÇAIS

Par les lois du 26 et 4 mars 1790, l’Assemblée Nationale a organisé la division du royaume en 83 départements. Si le plan Thouret envisageait un simple carroyage du territoire français, c’est finalement une récupération des anciennes intendances qui a prévalu lors de l’élaboration du nouveau projet.

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Napoléon a par la suite coiffé le département d’un préfet, d’un conseil de préfecture – aïeul du tribunal administratif – et d’un conseil général, chargé de gérer les affaires locales sous l’étroit contrôle du pou- voir central. C’est le contrôle du territoire qui a construit le départe- ment : depuis la Révolution, le préfet représente l’État et y applique les décisions qui viennent de Paris.Le nombre de départements varie relativement peu jusqu’au XXe siècle. A l’origine, leur création obéissait à une contrainte géographique : toutes les villes d’un même département devaient se trouver à une journée à cheval du chef lieu. En 1811, la France comptait 130 départements. La loi du 19 mars 1946 a créé les quatre départements d’Outre-mer. Vient ensuite la division des trois départements de la région parisienne en sept nouveaux départements, en plus de la Ville de Paris, par la loi du 10 juillet 1964. La division de la Corse date du 15 mai 1975. La même année, la ville de Paris est supprimée, remplacée par une commune et un département, le 31 décembre. Depuis, 100 départements divisent le territoire, plus Mayotte qui vient compléter l’Outre-mer le 11 juillet 2001.

Depuis le mouvement de décentralisation engagé depuis la loi du 7 janvier 1983, c’est le département qui aura été le principal bénéficiaire du transfert de compétence de l’État, notamment à l’occasion de la loi du 13 août 2004. C’est cette « prise en compte de ces réalités historiques, géographiques et sociologiques qui a permis d’enraciner le département de façon si profonde et si durable dans le paysage administratif français »1. Le Président de la République, Jacques Chirac, avait le 18 octobre 2001 déclaré à Rodez que « le département demeure l’élément irremplaçable de notre organisation administrative ». Son existence, finalement, est « la base de la construction politique et administrative de notre État, marquant la victoire de l’unité et de l’égalité révolutionnaires sur la diversité de l’Ancien Régime »2.Il faut alors comprendre quel est l’enjeu délicat de la suppression des départements : c’est dire adieu à un symbole de la République, à une partie de son histoire, risquant alors d’amputer la société d’un élément de son identité. Mais une France en quête d’assouplissement administratif et d’assainissement de son budget ne peut certainement pas trier

1. Olivier Gohin, Institutions administratives, LGDJ 2006, 5e éd.

2. Jacques Viguier, L’élimination du département pourrait-elle sauver notre belle République ?, AJDA 2008, p. 377.

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sur le volet ses réformes, selon leur seul impact émotionnel. Elle doit faire le choix de la modernité, afin de s’intégrer dans une Europe qui donne sa préférence à la compétitivité économique.

II. LE DÉPARTEMENT, FACE À SON DESTIN

Reconfigurer l’échelon départemental n’est pas nouveau. Déjà, Georges Clemenceau en 1906, dans un discours qu’il prononçait à Draguignan, préconisait d’adapter la carte des collectivités locales en tenant compte de l’évolution des réalités économiques et sociales. Plus tard, Michel Debré proposa en 1947 de créer 47 grands départements. Enfin et plus indirectement, Valéry Giscard d’Estaing avait indiqué qu’« un jour, il faudrait choisir entre la région et le département car il ne saurait y avoir entre l’État et la commune deux collectivités intermédiaires ». C’est une problématique récurrente.Aussi, lorsque Jean-Pierre Raffarin engage « l’acte II de la décentralisation », il commence par esquisser l’idée d’une administration reposant sur le couple État-Région. Le sort du département semble ainsi définitivement réglé : il ne disparaîtra pas, mais il devient une collectivité territoriale de second rang, plutôt spécialisée, encadrée par deux autres collectivités à vocation généraliste : les agglomérations et les pays d’un côté, les régions de l’autre.

Cela aurait pu être fait en 1982, lors du lancement de la décentralisation ; mais si Pierre Mauroy et Gaston Defferre l’avaient volontiers envisagé, François Mitterrand s’y est fortement opposé. On décida donc de laisser les choses en l’état et c’est ainsi que, sans l’avoir vraiment et rationnellement et politiquement conçu, la France s’est retrouvée – la région étant devenue, par la loi du 2 mars 1982, une véritable collectivité territoriale – dotée d’une organisation des pouvoirs publics à cinq niveaux : l’Union européenne, l’État, la région, le département, la commune. Institutions dont, en outre, l’émiettement est pallié par l’existence de près de quinze mille établissements intercommunaux de coopération.Ensuite, trop tard, les transferts de compétences de l’État aux départements s’accélèrent. D’abord en 1983 puis en 1985, et enfin le 1er décembre 1988, avec la prise en charge, par le conseil général, d’une partie de la politique du RMI.Finalement, le bilan se révèle aujourd’hui non seulement maigre pour les régions et les agglomérations, mais surtout plutôt positif pour

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les départements. Ceux-ci ont gagné des compétences supplémentaires (dont certaines, sans doute, comme l’administration du RMI, n’enchantent guère les responsables politiques et administratifs départementaux) ; ils ont pratiquement obtenu, sinon la suppression des pays, du moins leur mise sous tutelle départementale ; et surtout a été évité l’acte majeur, qui aurait bouleversé le paysage institutionnel territorial, à savoir l’affirmation d’une hiérarchie entre collectivités territoriales. Les réformes de l’administration territoriale sont donc dans une impasse.Les propositions faites par le rapport de la Commission présidée par Jacques Attali font l’état de cet encombrement de l’administration. Pour y remédier, elles s’inspirent des modèles européens voisins.D’une part elles rêvent de l’exemple britannique qui, par le bas, supprime les échelons communaux pour les regrouper autour d’agglomérations plus fortes.D’autre part, elles proposent une construction administrative à l’espagnole, afin de passer, par le haut, d’une timide « régionalisation » à un vrai « régionalisme » dans lequel le département n’a plus sa place : il est de taille économique trop petite et souvent disparate.Il faut toutefois veiller à ce que le principe d’égalité, qui fonde notre République, soit respecté. Les inégalités entre zones géographiques sont telles que ces regroupements, envisagés semble-t-il de façon trop globale, risqueraient de mettre à l’écart des territoires plus défavorisés. La réalité qui s’applique aux schémas administratifs et politiques envisagés est très différente selon les cas. Il paraît judicieux et même souhaitable de disposer du niveau départemental dans un certain nombre de régions ou espaces géographiques français comme, par exemple, le Massif central, une partie du Sud-ouest, la Bretagne. En revanche, dans les grandes agglomérations – notamment la région parisienne –, ce niveau administratif et politique pourrait fort bien être supprimé. Les compétences qui lui sont dévolues étant alors affectées soit à la région, soit aux communes. L’idée serait donc de créer, à terme, de grands pôles de compétitivités économiques, réservés dans un premier temps aux zones les plus dynamiques, puis plus tard aux autres, pour être à même d’être le cœur du marché européen.

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ABUS DE DROIT ET FUSION À L’ENVERS

Benoit Lureau Étudiant en Master 2 de Fiscalité Internationale Université Panthéon-Assas (Paris II)

Gabriel Di Chiara

Étudiant en Master 2 de Droit Fiscal Université Panthéon-Assas (Paris II)

L’abus de droit constitue en matière fiscale la frontière entre habileté ou astuce et comportement répréhensible. Dans toute opération de restructuration, l’entreprise est amenée à trouver la voie d’optimisation la plus astucieuse, que ce soit dans le cadre d’une fusion, d’une acquisition ou d’une cession. La volonté de l’entreprise d’optimiser une opération de restructuration ou d’acquisition amène celle-ci à s’interroger sur la frontière entre astuce et abus. Cette différenciation entre l’optimisation licite et l’abus semble tracée par la notion d’abus de droit. Cette question a notamment été soulevée dans le cadre d’opérations dites de « fusions à l’envers ».

Les opérations de fusion bénéficient d’une option entre le régime

de droit commun et un régime « de faveur » qui permet d’éviter les effets pervers liés à une fusion : l’imposition immédiate des résultats, (la) perte des déficits reportables (CGI, art. 209-II), ou l’imposition de(s) plus values latentes de la société cible absorbée (CGI, art. 210 A, 3-b). En l’absence d’agrément ministériel, la fusion au sens classique entraîne la perte des déficits reportables de la cible. Cette perte de déduction est d’autant plus dommageable que les déficits sont indéfiniment reportables en avant depuis le 1er janvier 2004.

Le régime de faveur permet donc de pallier aux conséquences de la fusion relativement à la perte de déficit reportable et permet leur transfert de la société absorbée à la société absorbante (apporteuse). Cet agrément ministériel, dont l’obtention était discrétionnaire avant 2002,

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est désormais de droit à condition que l’opération soit motivée économiquement, que l’activité à l’origine des déficits transférés soit pour- suivie pendant 3 ans au minimum et que l’opération de fusion n’ait pas engendré de changement d’objet social ou d’activité (Instr. 21 août 2002, BOI 13 D-2-02). De plus, le montant des déficits reportables qui était auparavant limité peut maintenant être opéré sans limitation dès lors que l’opération est placée sous le régime de faveur (Instr. 30 déc. 2005, BOI 4 I-1-05).

Les opérations de fusion à l’envers ont pour objet de permettre à la cible d’être la société absorbante de la fusion, et ainsi de conserver ses déficits, et de placer l’actif de la société absorbée en face de ses dettes propres sans avoir à demander le bénéfice du régime de faveur par voie d’agrément. En effet, dès lors qu’on inverse le sens de la fusion, la société déficitaire absorbe la société bénéficiaire qui devient la cible de l’opération et du même coup conserve dans son résultat ses déficits reportables antérieurs.

Il convient donc pour l’entreprise de définir le choix le plus « optimisant » entre une opération de fusion classique bénéficiant de l’agrément, et une fusion à l’envers au regard des conditions d’obtention de l’agrément. Il restait enfin à savoir si les fusions « à l’envers » ne relevaient pas des sanctions relatives à l’abus de droit.

Le Conseil d’État a, dans un arrêt de 1986, jugé à cet effet que dans

le cas d’une de fusion à l’envers, l’abus de droit n’est pas retenu par le juge de l’impôt lorsque l’opération n’a pas un caractère fictif et qu’elle répond à un intérêt économique (CE, 21 mars 1986, no 53002, Sté Auriège, Dr. fisc. 1986, no 31, comm. 1446, RJF 5/86, no 470, concl. O. Fouquet).

En l’espèce, la fusion à l’envers avait été réalisée entre deux filiales d’un même groupe dont l’une était déficitaire avec un chiffre d’affaires qui était 5 fois inférieur à celui de la société absorbée. À la suite de cette fusion, la société absorbante a changé de dénomination et de siège social et modifié la répartition de son capital afin de permettre à l’actionnaire principal de porter sa participation de 44 % à 99 %. L’Administration avait, dans cette affaire, considéré que cette méthode de fusion n’était inspirée que par un objectif exclusivement fiscal relevant ainsi

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de l’abus de droit, et que, par conséquent, l’opération n’était pas régulière du fait du défaut d’identité d’entreprise.

En effet, alors que le régime de faveur des fusions n’aurait permis qu’une imputation des déficits plafonnée et soumise aux conditions d’obtention de l’agrément, le mécanisme de fusion à l’envers permettait de conserver la totalité des déficits antérieurs.

Le Conseil d’État, suivant le Tribunal administratif et les conclusions du commissaire du gouvernement, a considéré quant à lui, qu’en l’espèce, « la fusion (...) n’a pas un caractère fictif et répond à un intérêt économique », et qu’ainsi, la condition d’identité d’entreprise était satis- faite. L’abus de droit n’était donc pas caractérisé, et la société absorbante était fondée à reporter les déficits antérieurs à la fusion sur les bénéfices. La Haute assemblée confirme dans cet arrêt que le choix de la solution la plus favorable fiscalement ne constitue pas un abus de droit, et que d’une manière plus générale les entreprises ont la faculté de choisir quelle société aura la qualité d’absorbante dans le cadre de la fusion, quelque soit la situation déficitaire ou bénéficiaire de celle-ci ou encore sa taille.

Cet arrêt reprend les critères de la définition de l’abus de droit, et considère qu’ils ne sont pas remplis en l’espèce. Le Conseil d’État exige néanmoins un intérêt économique à l’opération. Il semble dès lors que cette fictivité doive être appréciée sous un aspect économique : il ne s’agit pas de la fictivité de la fusion, ni du contrat, mais la fictivité de l’intérêt économique de cette fusion. À cette première exigence, le Conseil d’État rappelle également que l’opération ne doit pas avoir comme seul souci d’éluder l’impôt. Cette exigence d’un intérêt autre qu’exclusivement fiscal ne peut être appréciée que par rapport à l’intérêt économique de l’opération de fusion.

Là encore, l’intérêt économique constitue le nœud de l’analyse du caractère abusif ou non de l’opération au regard des exigences fiscales d’absence de fictivité et de but non exclusivement fiscal.

Au regard de ces conditions posées par la Haute assemblée, il est évident que dans le cadre d’une fusion entre sociétés filiales sur le territoire français, l’abus de droit est difficile à caractériser. En effet, il ne

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peut être relevé du fait de l’absence d’un intérêt économique qui conduirait à la fictivité de l’opération ; hors le cas de changement d’identité de l’entreprise, la fusion ne peut être privée de sa substance ce qui sous-entend que la fusion a toujours un intérêt économique. D’un autre côté, le but non exclusivement fiscal est justifié par ce même intérêt économique.

Alors que cette question semblait ne plus devoir être soulevée, la Cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 juin 2007 (CAA Paris, 18 juin 2007, Sté Décorative Ouest, aff. no 0601941), a fait application du même raisonnement en considérant qu’une fusion- absorption « à l’envers » ayant pour conséquence un transfert important de déficits et d’amortissements réputés différés ne constituait pas un abus de droit au sens de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales (LPF).En l’espèce, la société absorbante se trouvait en situation de déficit et présentait des amortissements réputés différés à hauteur de plus d’un million de francs alors que la société absorbée était en situation de bénéfices.Comme dans l’arrêt Auriège précité, la fusion présentait ainsi l’avantage au plan fiscal de permettre, en vertu de l’article 209 II du Code général des impôts (CGI), un transfert des déficits reportables de l’absorbante sans qu’il soit nécessaire de solliciter un agrément ministériel.L’administration fiscale a, cependant, refusé à la société absorbante le droit au report déficitaire tel que prévu par l’article 209 II du CGI ainsi que celui des amortissements, en se fondant sur la procédure de répression des abus de droit prévue à l’article L. 64 du LPF.L’administration a, en effet, considéré que le sens de cette fusion, qui ne correspondait, selon elle, à aucune réalité économique, permet- tait uniquement au groupe auquel appartenaient ces sociétés d’alléger sa charge fiscale sans demander au préalable l’agrément ministériel qui aurait été nécessaire dans l’hypothèse où la société déficitaire aurait été absorbée.

Suite au rejet du Tribunal administratif de Paris, la Cour administrative d’appel de Paris saisie du litige écarte l’interprétation de l’administration et considère que l’effet fiscal favorable de la fusion « à l’envers » ne saurait être considéré comme exclusif.En effet, la Cour, après avoir apprécié les faits de l’espèce, juge que l’avantage fiscal ainsi retiré par les sociétés ne constitue qu’une conséquence et non un objectif de la restructuration.

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Contrairement à ce qu’affirme l’administration, il existe des justifications économiques et commerciales à cette restructuration intragroupe, celle-ci aboutissant à une rationalisation de l’organisation du groupe d’un point de vue géographique et commercial.Par ailleurs, la Cour rejette l’argument de l’administration tiré de la faiblesse du chiffre d’affaires de la société absorbante en procédant à une analyse prospective du chiffre d’affaires de l’absorbante et de ses perspectives de développement.Cette décision se situe dans la droite lignée de la jurisprudence « Société Auriège » du Conseil d’État selon laquelle la qualification d’abus de droit ne saurait être retenue en raison du seul motif que la société a choisi la situation fiscale la plus favorable parmi plusieurs situations économiquement intéressantes.

Le refus réaffirmé par les juges du fond de sanctionner une fusion dite « à l’envers » sur le fondement de l’abus de droit se justifie par un concept simple. Une fusion ne peut pas, par principe, être privée de substance, elle présente toujours un intérêt économique. De plus, il semble que l’administration fasse une confusion entre le contrat et les modalités d’exécution de celui-ci. En effet, une fusion est susceptible d’être sanctionnée sur le fondement de l’abus de droit en tant qu’elle constitue un contrat. Cependant, le sens de la fusion constitue une modalité d’exécution de ce contrat et n’est pas à ce titre soumis à une sanction sur le fondement de l’abus de droit.

Ce raisonnement appliqué par le Conseil d’État dans l’affaire Auriège est, semble-t-il, celui qui a inspiré la décision de la Cour d’appel administrative de Paris. Pour autant, les récentes évolutions concernant la conception de l’abus de droit posent la question du maintien de la frontière entre le contrat et les modalités d’exécution de celui-ci.En effet, l’étude des arrêts du Conseil d’État du 18 mai 2005 (Sagal) et du 29 décembre 2006 (Bank of Scotland) est de nature à troubler quiconque désirerait opérer une fusion à l’envers.Dans l’arrêt Sagal il s’agissait d’une fraude à la loi caractérisée par le fait qu’il n’y avait pas de substance juridique et économique dans la société holding support du montage. Cependant, et c’est ce point qui est de nature à semer la confusion, il y a eu un investissement qui constitue une opération économique même si celui-ci est effectué vers

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le lieu le moins imposé, le Luxembourg en l’espèce. En réalité, il faut prendre en considération le fait que l’opération dans son ensemble était choisie pour éluder l’impôt. Le choix de la constitution d’une holding n’est pas, contrairement au choix du sens d’une fusion, constitutive d’une modalité d’exécution.De même, dans l’arrêt Bank of Scotland, le montage avait une optique purement fiscale. Cependant, ce montage est aussi le support d’un investissement qui constitue une opération économique et donc à ce titre n’est pas motivé pas un but exclusivement fiscal. Le Conseil d’État s’est attaqué au vecteur choisi alors que la société mère cherchait à obtenir un financement. Ainsi, l’on pourrait penser que ce qui a été sanctionné dans cet arrêt est la façon dont ce financement a été obtenu. Dans cette décision, c’est bien le contrat de cession d’usufruit qui est écarté car la banque ne prenait aucun risque économique vis-à-vis de la filiale française. Ainsi, l’acte juridique a été écarté en tant que contrat. Il s’agissait en réalité d’un contrat de prêt qui n’avait pas la modalité d’une opération économique.

De plus et sans porter atteinte à cette distinction contrat/modalité, il faut remarquer que dans l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris, il s’agissait d’une fusion intra-groupe qui n’entraînait pas de changement de pouvoir à l’issue de la fusion. Il paraît plausible de penser qu’une fusion à l’envers entre des partenaires distincts serait plus choquante et pourrait être remise en cause. Il faudrait pourtant, pour pou- voir opérer cette sanction sur le fondement de l’abus de droit, que l’opération soit dénuée de toute substance c’est-à-dire qu’il n’y ait pas d’intérêt économique à la réaliser et donc pas d’intérêt autre que fiscal à en retirer, ce qui ne semble pas être possible dans le cas d’une fusion, quel qu’en soit le sens, sauf peut être dans le cas d’une fusion rapide financée par une dette. Dans le dernier état de sa doctrine, l’administration a indiqué que les conséquences fiscales d’une fusion rapide doivent être examinées en tenant compte des circonstances propres à chaque opération. Ainsi, pour savoir si une fusion ne constitue pas pour la société cible fusionnée une opération déséquilibrée, l’administration prend en considération un faisceau d’indices, parmi lesquels le délai séparant l’acquisition de la fusion, le niveau de capitalisation de la société holding de reprise, l’importance des dettes d’acquisition, l’exercice ou non par la société acquérante avant la fusion d’une activité autre que la détention des titres de la société acquise (Instr. 3-aout-2000, BOI 4 I-2-00).

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Ainsi, le risque de remise en cause des conséquences fiscales d’une fusion rapide n’est pas systématique mais est d’autant plus élevé que les entreprises concernées entendent tirer parti de l’effet de levier fiscal de l’opération. Toutefois, si on prend en compte l’intérêt économique et financier du schéma mis en œuvre, et si les éléments de faits s’inscrivent dans un contexte visant à assurer la pérennité ou le renforcement de la situation économique des entités concernées, l’intérêt autre que fiscal pourra être aisément démontré, et les déficits pourront être imputés fiscalement.S’agissant de la question de la différence de taille entre les deux sociétés soulevée par l’administration, que ce soit selon un critère fondé sur le chiffre d’affaires ou de nombre de personnel, le Conseil d’État l’écarte en affirmant que la fusion présente à l’évidence un intérêt économique.

Enfin, si tant est que l’abus de droit soit caractérisé, il ne pourra l’être que sur le fondement de la fictivité économique, c’est-à-dire l’abus de droit par fraude à la loi et dès lors se posera la question de la requalification de ce contrat, ce qui est un point non négligeable.Ainsi, partant du principe que le siège de l’abus de droit doit se trouver dans l’opération elle-même et qu’une fusion n’est jamais dépourvue de substance, le seul moyen de sanctionner une fusion à l’envers serait de démontrer le changement d’activité de l’entreprise. Il faut être vigilant avec cette question du changement de l’identité d’entreprise. En effet, il y a eu une série de décisions du Conseil d’État sur le recentrage de l’activité d’entreprise.La société absorbante ou bénéficiaire des apports peut, en principe, déduire de ses résultats postérieurs à la fusion ou à l’apport les déficits qu’elle a elle-même subis antérieurement à cette opération lorsqu’elle n’a pas changé d’objet, ni d’activité (Doc. adm. 4 H-2211).L’absence de changement d’activité constitue ainsi le critère d’appréciation de la condition d’identité d’entreprise, qui subordonne le main- tien du droit au report des déficits de la société absorbante. En effet, le changement d’objet social ou d’activité réelle d’une société emporte cessation d’entreprise, avec pour conséquence essentielle la perte du droit à l’imputation des déficits en instance de report (CGI, art. 221, 5).

Si les risques de contestation du choix du sens de la fusion au regard de l’abus de droit apparaissent limités compte tenu de la jurisprudence examinée ci-avant, il convient dans l’hypothèse où une société déficitaire envisage d’absorber une société bénéficiaire, d’examiner les conséquences que l’opération est susceptible d’entraîner au regard de la nature de son activité.

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L’opération serait en effet dénuée d’intérêt au regard des règles de report déficitaire si elle se traduisait par un changement d’activité de la société absorbante au sens de l’article 221, 5 du CGI. Dans cette hypo- thèse en effet, les déficits subis par la société absorbante antérieurement à l’opération ne pourraient plus être imputés sur ses résultats ultérieurs et seraient définitivement perdus.

Une fusion à l’envers n’a, en général, de sens que dans le cadre d’une restructuration intragroupe. En effet, une telle opération s’opère entre sociétés sœurs ou entre une mère et sa filiale. Cette remise en cause de l’identité de l’entreprise peut avoir plusieurs causes. Il peut s’agir de l’adjonction d’une activité supplémentaire, (CE, 10 juill. 2007, SARL Final), où l’activité initiale était devenue marginale. En l’espèce, il s’agissait du passage d’une activité holding à une activité de commercialisation, mais le Conseil d’État n’a pas sanctionné ce redéploiement d’activité intragroupe en affirmant que l’adjonction d’une activité nouvelle n’est pas forcément générateur d’un changement d’activité. Dans un arrêt encore plus récent (CE, 30 nov. 2007, Marché Actif), le Conseil d’État étudie le cas d’une réduction d’activité. En effet, il s’agissait d’une société qui achète des supermarchés et les revend mais garde les emplacements spécialisés de boucherie charcuterie. L’administration considère qu’il s’agit d’un redéploiement d’activité. La cour administrative d’appel condamne la société mais le Conseil d’État casse cet arrêt au motif qu’il ne suffit pas de tenir compte de la baisse du chiffre d’affaires et de la diminution du nombre d’employés. L’activité s’est restreinte et recentrée, mais l’on garde une partie de l’activité d’origine.Enfin, si l’on devait se placer sur le terrain de l’appréciation du changement d’activité, à quel moment doit-on se placer ? Si le changement se fait un an après l’opération de rachat ou de fusion, cela peut-il constituer un changement d’activité propre à remettre en cause l’imputation des déficits opérée avant le changement d’activité mais après la fusion ? Ou doit- on prendre à l’inverse une photographie à l’instant T de la situation des sociétés ?Concernant la procédure de l’abus de droit, cette question reste en suspens. Pour autant, il semble plausible de penser que la fusion une fois réalisée ne peut être rattachée à un changement d’activité intervenant après celle-ci ; la prise en compte de ce changement ne pouvant jouer que dans le cas ou ledit changement d’activité est intrinsèquement lié à l’opération de fusion.

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PROJET DE RÉFORME DE LA LOI DE SAUVEGARDE DES ENTREPRISES :INNOVATIONS ET AMÉNAGEMENTS

François Fagot

Étudiant en Master 1 de Droit des Affaires Université Panthéon-Assas (Paris II)

La loi de sauvegarde des entreprises est entrée en vigueur le 1er janvier 20061. Un constat s’impose : la procédure de sauvegarde n’a pas eu le rendement attendu. La médiatisation de la demande d’ouverture d’une procédure de sauvegarde par l’entreprise Photo service dès le 4 janvier 2006 cache mal les difficultés d’application de la loi. En 2006-2007, seules 500 procédures de sauvegarde ont été ouvertes tandis que 48000 défaillances d’entreprises survenaient pendant cette même période2.C’est ce revers qui semble avoir justifié la rédaction d’une ordonnance « portant diverses dispositions en faveur des entreprises en difficulté3 », l’habilitation législative étant conférée par la loi pour la modernisation de l’économie. La vocation de la procédure de sauvegarde est inchangée, à savoir : jouer un rôle équivalent à celui la procédure amé- ricaine de reorganization4.

1. Nous remercions Monsieur Pierre Crocq, Professeur à l’Université Panthéon-Assas, pour ses précieuses observations.2. Ministère de la Justice – Répertoire Civil Général. 3. D. 2008 p. 941, M-H. MONSERIE-BON et C. SAINT-ALARY-HOUIN, La loi de sauve- garde des entreprises : nécessité et intérêts d’une réforme annoncée. 4. Cette procédure apparaît aujourd’hui comme le modèle en la matière. En attestent les récentes réformes des procédures collectives en l’Allemagne en Espagne ainsi qu’aux Pays-Bas qui s’inspirent ouvertement duchapter eleven – Études de législation comparée du Sénat no 135, juin 2004.

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Le désintérêt des dirigeants d’entreprise à l’égard de la procédure de sauvegarde s’expliquerait par ses imperfections, parfois ses lacunes, voire même son inadaptation à la vie économique française.Ce constat doit cependant être relativisé, dans la mesure où aucune étude d’impact n’a été réalisée pour mesurer les effets de la procédure de sauvegarde. Le facteur temporel peut suggérer l’inefficience de la loi dans son application : les derniers décrets d’application datent de mars 2007 et si la Cour de cassation a rendu plusieurs avis dès la publication de la loi, le pouvoir prétorien n’a commencé à trancher des difficultés d’application substantielles de la réforme que depuis le 26 juin 20075. Finalement, les praticiens n’ont disposé que d’une année pour appréhender totalement cette procédure judiciaire « originale ». C’est visiblement suffisant pour un législateur qui semble atteint d’une véritable frénésie réformatrice !

Des difficultés relatives à l’application de la loi de sauvegarde des entreprises sont donc apparues. À ce titre, une reprise de la loi doit être accueillie favorablement dans la perspective d’un toilettage rectifiant les imperfections du texte en vigueur6. Les ajustements tels qu’ils sont aujourd’hui envisagés comportent des innovations importantes qui vont au-delà de simples correctifs.

Tous ces points méritent attention. Il faut préciser que le projet d’ordonnance peut évoluer, notamment

en fonction des débats parlementaires et des concertations avec les professionnels consultés par la Chancellerie.Nous soulignons également que l’objet de l’article n’est pas de discuter les choix politiques effectués : nous ne chercherons donc pas à savoir si les ajustements envisagés par le législateur lui permettront d’atteindre les objectifs annoncés ou s’il faut plutôt réformer « un droit du travail applicable à l’entreprise en difficulté »7 ou encore à savoir s’il

5. Cass. com. 26 juin 2007 (2 espèces), D. TRICOT, La cessation des paiements, PA

14 juin 2007 ; JCPE 2007, 1833 (1re espèce) ; D. 2007, 1864 (2nde espèce). 6. En d’autres termes, « non pas de remettre en cause de manière globale l’architecture et les principes fondamentaux de la loi de sauvegarde, mais d’améliorer les mécanismes qu’elle met en place, au regard du retour de la pratique que l’on a à ce jour » ; Projet de réforme de la loi de sauvegarde des entreprises – Contribution de la CCIP, février 2008.7. D. 2008, p. 29, F-X. LUCAS et M. SENECHAL, Fiducie ou Sauvegarde, il faut choisir.

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faut supprimer « ces situations préférentielles8 », « nouvelles places fortes offertes aux créanciers »9 ? Une solution possible aurait consisté à repenser l’organisation de la procédure de sauvegarde et à la confier à des « chambres de la sauvegarde »10. L’ordonnance a pour mission de rectifier les imperfections de la loi de sauvegarde et non pas de modifier en profondeur la procédure. Cette voie originale n’a donc pas été retenue.

I. L’ASSOUPLISSEMENT DU CRITÈRE D’OUVERTURE DE LA PROCÉDURE DE SAUVEGARDE

L’un des obstacles à l’efficacité de la procédure de sauvegarde tient à la rigidité des critères d’ouverture.Le Président de la République Nicolas Sarkozy a insisté, dans la lettre de mission adressée à Christine Lagarde, ministre de l’économie et des finances, pour que la procédure de sauvegarde s’inspire plus encore du Chapter eleven. Nous notons toutefois que la procédure amé- ricaine de reorganization ne s’encombre pas de conditions préalables à son ouverture même si en pratique le juge exerce parfois un contrôle de la légitimité de la demande.

En France, le débiteur demandant l’ouverture d’une procédure de sauvegarde doit démontrer qu’il fait face à « des difficultés, qu’il n’est pas en mesure de surmonter, de nature à le conduire à la cessation des paiements »11. La suppression du critère d’ouverture de la procédure de sauvegarde française n’a pas été suggérée. Plusieurs pistes sont toutefois envisagées afin d’améliorer l’accessibilité de la procédure.La substitution de l’expression actuelle de « difficultés insurmontables » par celle de « difficultés sérieuses » permettrait un travail efficace d’interprétation de la chambre commerciale de la Cour de cassation en

8. La situation des créanciers titulaires d’une fiducie-sûreté, mais aussi ceux munis de gages particuliers ainsi que la primauté reconnue aux salariés. 9. Op. cit.,no 6.10. C. SAINT-ALARY-HOUIN, professeur à l’Université Toulouse I, et J. PICARD, président du Tribunal de commerce de Toulouse. 11. Art. L.620-1 C. com.

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faveur des entreprises demandant l’ouverture d’une procédure de sauvegarde12. Cette hypothèse n’a pas eu la faveur du projet d’ordonnance.

Détacher les difficultés insurmontables de la notion de cessation des paiements peut constituer une autre voie permettant d’améliorer l’accessibilité de la procédure13. Il semble que cette voie est celle qui a été suivie par l’article 5 du projet d’ordonnance qui s’inscrit dans cette démarche : « Il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d’un débiteur mentionné à l’article L.620-2 qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmonter ». En n’inscrivant plus les difficultés insurmontables dans la perspective d’une cessation des paiements, la réforme devrait faciliter un allègement de la charge de la preuve. De plus, certaines juridictions pourraient se montrer moins réticentes à admettre l’ouverture de procédures de sauvegarde14.Nous sommes réservés à l’égard de cet article, qui ne caractérise pas une véritable ouverture des conditions mais semble plutôt envoyer un message incitatif à l’égard des chefs d’entreprise.

II. LE RENFORCEMENT DES DROITS DU DÉBITEUR DANS LE CADREDE LA PROCÉDURE DE SAUVEGARDE

La procédure de faillite présumait au XIXe siècle la mauvaise foi du débiteur et était résolument sanctionnatrice à son égard. La loi de 2005 envisage la procédure de sauvegarde comme une procédure judiciaire autonome dont l’esprit diffère de celui du redressement et de la liquidation judiciaire. La loi de 2005 a généré une confusion entre la procédure de sauvegarde et le redressement judiciaire en de nombreux points en procédant par renvois. En outre, certaines mesures ont dissuadé de nombreux dirigeants de demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde pour l’entreprise.

12. Op. cit.,no 3.

13. D. 2008, p. 340 A. LIENHARD, Sauvegarde des entreprises : bientôt la réforme. 14. Certaines juridictions, à l’instar du Tribunal de Commerce de Paris, préfèrent la conciliation et le mandat ad hoc à la procédure se sauvegarde.

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Il en est ainsi de l’article L.626-4 du Code de commerce permet- tant au tribunal de remplacer un ou plusieurs dirigeants ou de neutraliser leur participation dans le cas où ils contrôleraient le capital social de l’entreprise en prononçant l’incessibilité des droits sociaux. L’abrogation de cet article, très attendue, est envisagée par le projet d’ordonnance15. L’entrepreneur reste maître de son entreprise : il peut disposer de ses droits sociaux et ne peut plus être démis de ses fonctions.

L’extension forcée de la procédure de sauvegarde pour fictivité de la personne morale ou confusion de patrimoines visée à l’article L.621-2 al. 2 suscitait également de vives inquiétudes chez les entrepreneurs. En effet, ces dirigeants ne voulaient pas risquer une extension de la procédure à leur patrimoine alors même que l’initiative d’ouvrir une procédure émanait d’eux. L’article 6 du projet d’ordonnance supprimerait ce second alinéa de l’article L.621-2.

La mission de surveillance serait de droit tandis que la mission d’assistance deviendrait l’exception, elle impliquerait activement le débiteur16. Le projet de réforme prévoit que cette mission, par laquelle un ou des administrateurs sont chargés d’assister le débiteur dans sa gestion, ne serait plus décidée « qu’à la demande du débiteur ou du ministère public17 ». De plus, le débiteur pourrait demander une modification de la mission de l’administrateur18, chose impossible dans la première mou- ture de la procédure de sauvegarde.Dans le même esprit, l’inventaire ne serait plus automatiquement effectué par l’administrateur ou le mandataire judicaire. Il est effectué en principe par le débiteur et certifié par un commissaire aux comptes. S’il est néanmoins réalisé par un administrateur ou un mandataire judiciaire, seul un inventaire est dressé, la prisée prévue à l’article L. 622-6 n’étant pas retenue.

15. Art. 22 du projet d’ordonnance. 16. Art. L. L22-1-II C. com.17. Art. 9-1o du projet d’ordonnance. 18. Art. 9-2o du projet d’ordonnance.

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III. LA QUESTION DE L’ARTICULATION ENTRE LA FIDUCIE ET LES PROCÉDURES COLLECTIVES

« Au pays de la fiducie-sûreté conquérante, on peut redouter que la sauvegarde et le redressement judicaire n’aient plus leur place ». Ainsi MM. Lucas et Sénéchal résument-ils l’antinomie entre la fiducie et le droit des entreprises en difficulté19. La loi du 19 février 200720, introduit la fiducie en droit français sans se prononcer sur l’articulation entre celle-ci et les procédures collectives.

Il en résulte que le titulaire d’une fiducie-sûreté échappe aux dispositions particulières du droit des procédures collectives21. Cette sûreté très efficace est un atout concurrentiel majeur en droit français pour attirer des investisseurs dans un environnement juridique international hautement compétitif22. La continuation de l’activité, objectif des procédures collectives, est hypothéquée par cette sûreté permettant toujours aux créanciers le transfert de la propriété du bien mis en garantie.

Le projet d’ordonnance fait preuve de prudence quant à l’articulation entre fiducie et procédure collective23. En l’état actuel du projet d’ordonnance, la position privilégiée du créancier détenteur d’une fiducie-sûreté n’est pas remise en cause.Certains aménagements sont toutefois envisagés, notamment l’extension des dispositions de l’article L.622-7 al. 3 aux biens transférés à titre de garantie dans un patrimoine fiduciaire24. Applicable au gage ou à la chose légitimement retenue, le débiteur peut payer des créances antérieures afin d’obtenir le retour d’un bien transféré à titre de garantie pour la poursuite de l’activité.

19. Op. cit.,no 6.

20. Revue de Droit des Affaires de l’Université Panthéon-Assas no 4, juin 2007, La Fiducie.21. Exception faite de la fiducie-sûreté conclue à l’occasion de la période suspecte. 22. V. Colloque du 3 avril 2008, Réforme des sûretés réelles, deux ans de pratiques – Association du Master II de DPG de l’Université Panthéon-Assas. 23. « L’avis des personnes consultées est demandé plus généralement sur la question de l’articulation entre fiducie et procédure collective et, en particulier, sur l’effet que peut avoir un plan de continuation sur une fiducie sûreté ». 24. Art. 12-4o du projet d’ordonnance.

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Le régime de la fiducie-sûreté lors de l’application d’un plan de continuation est précisée dans l’article 27-IV du projet d’ordonnance. Le créancier pourrait obtenir la cession des biens du débiteur transférés en fiducie. Cette solution s’appliquerait aussi aux biens dont l’usage ou la jouissance ont été laissés au débiteur.Si le défaut de paiement du débiteur n’est pas établi, le transfert des biens et droits pourrait, « sauf accord du débiteur, être autorisé par le tribunal ».

La question des rapports entre la fiducie-sûreté et les procédures collectives reste ouverte. Une rédaction ambiguë du texte final serait génératrice d’une incertitude juridique, susceptible de décourager les investisseurs sans améliorer les perspectives de redressement des entre- prises en sauvegarde. L’état actuel du projet d’ordonnance consacre la fiducie-sûreté comme la sûreté reine du droit français.

IV. L’AMÉLIORATION DU FONCTIONNEMENT DES COMITÉS DE CRÉANCIERS25

Inspiré des creditors committees américains, le regroupement de créanciers au sein de comités de créanciers pour contribuer au processus de réorganisation de l’entreprise est une innovation majeure de la loi de 2005.Comme cela a pu être révélé lors de l’affaire Eurotunnel, la situation des hedge funds dans les comités de créanciers est incertaine. Il nous semble donc que la position de ces créanciers qui participent à des opérations financières sans appartenir à la catégorie des établissements de crédit devait être clarifiée. Prenant acte du caractère restrictif de la définition actuelle, L’article 26 du projet d’ordonnance regroupe « les établissements de crédit et ceux assimilés » au sein du même comité de créanciers26.

Le second écueil relatif aux comités de créanciers concerne le développement du marché secondaire de la dette27 et la circulation des créances. Ils soulèvent quant à eux la question de la cession de créances

25. Pour une analyse de droit comparé sur ce sujet, V. D. 2008, p. 928, R. DAMMANN et G. PODEUR, Les sûretés-propriétés face au plan de sauvegarde. 26. Art. L.626-30 C. com.27. Le marché secondaire de la dette permet principalement aux entreprises de compenser leur insuffisance en fonds propres.

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par les membres des comités. La place de ces nouveaux créanciers, postérieurs au jugement d’ouverture, appelait des éclaircissements, qui sont suggérés par le deuxième alinéa de l’article 26. Celui-ci permet à tout créancier cessionnaire de « devenir membre de droit du comité des établissements de crédits ». Plus généralement, les cessions de créances des membres du comité des principaux fournisseurs de biens ou de services permettent ou imposent à leur cessionnaire d’en devenir membre selon les mêmes modalités que le premier créancier28.

V. UN ASSOUPLISSEMENT LÉGAL

DE LA DÉFINITION DE LA CESSATION DES PAIEMENTS

Jouant un rôle essentiel dans le droit des entreprises en difficulté, la cessation des paiements est une notion extrêmement précise. C’est un critère déterminant pour l’ouverture d’une procédure de conciliation, de sauvegarde29, de redressement judiciaire et de liquidation judiciaire.L’article 32 du projet d’ordonnance30 prévoit à cet égard une consécration légale d’une jurisprudence31 précisant les critères caractéristiques de la notion. Aux termes de cet article, les réserves de crédit et les moratoires viennent en déduction du passif exigible pour déterminer l’impossibilité du débiteur d’y faire face avec son actif disponible.Cette inscription dans la loi devrait dissiper un doute concernant la délimitation du passif exigible et clore le débat entre les notions à retenir : passif exigible ou passif exigé32.

28. Art. 27 du projet d’ordonnance, « L’obligation ou, le cas échéant, la faculté de faire partie des comités constitue un accessoire de la créance existant au jour du juge- ment d’ouverture de la procédure et se transmet de plein droit à ses titulaires successifs nonobstant toute clause contraire ».29. L’état de cessation des paiements faisant obstacle à l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. Situation confirmée par le projet d’ordonnance. 30. « Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n’est pas en cessation des paiements. » 31. Cass. com. 28 avril 1998 ; A. LAUDE RTD Com. 1999, p. 187. 32. Cass. com. 17 juin 1997.

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VI. LA MISE EN ŒUVRE SYSTÉMATIQUE DE LA PROCÉDURE DE LIQUIDATION JUDICIAIRE SIMPLIFIÉEPOUR LES « TRÈS PETITS » DÉBITEURS33

Une formule accélérée de liquidation judiciaire a été introduite par

la loi de sauvegarde des entreprises34. La liquidation judiciaire simplifiée vise à réduire la durée de la procédure en permettant au juge de décider globalement la vente de gré à gré des biens ou, le cas échéant, aux enchères35. En outre, la vérification des créances est limitée aux seules créances salariales, ce qui favorise leur admission36.La loi du 26 juillet 2005 envisage la liquidation judiciaire simplifiée lorsque l’entreprise en procédure collective remplit certaines conditions cumulatives : le débiteur ne doit pas détenir de biens immobiliers, l’entreprise ne doit pas avoir employé plus de cinq salariés les six mois précédant l’ouverture de la procédure collective et le chiffre d’affaires du débiteur doit être inférieur à 750 000 euros hors taxes37. Le tribunal dispose alors de la faculté d’appliquer la procédure simplifiée de liquidation judiciaire38.Le législateur a souhaité une mise en œuvre étendue de la procédure simplifiée dès l’entrée en vigueur de la loi en 2006. La Cour de cassation s’est prononcée pour une application souple par un avis du 10 juillet 2006 en permettant la mise en œuvre de la liquidation judiciaire simplifiée dès l’ouverture de la procédure39, répondant ainsi aux attentes de la pratique.

Le projet propose pour sa part une mise en œuvre automatique de

la liquidation judiciaire simplifiée pour les « très petits » débiteurs40.Le mécanisme est à double détente : un débiteur ne peut pas faire l’objet

33. F. PEROCHON, La liquidation judiciaire simplifiée, RPC 2006. 191.

34. M. SENECHAL, La liquidation judiciaire simplifiée dans la loi de sauvegarde des entreprises, GP 7-8 septembre 2005.35. Art. L.644-1 s. C. com. 36. Art. L.644-3 C. com.37. 223 D. no 2005-1677 du 28 novembre 2005. 38. Art. L.641-2 C. com.39. Avis C. cass. no 006 0008 du 10 juillet 2006. 40. Art. 33 et 34 du projet d’ordonnance.

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d’une procédure simplifiée s’il ne remplit pas les conditions prévues par l’article 34 de l’ordonnance. Ces conditions correspondent aux trois critères cumulatifs actuellement visés par le décret du 28 novembre 2005.Dès que l’entreprise ne dépasse pas des seuils plus restrictifs que ceux prévus pour l’actuelle procédure simplifiée, « le tribunal ordonne l’application de la procédure simplifiée » au terme de l’article 33. Les seuils rendant la procédure automatique seront fixés par décret en Conseil d’État.Enfin, si le débiteur n’est pas soumis à une application automatique de la procédure simplifiée tout en ne dépassant pas les seuils prévus par l’article 34, le tribunal a la faculté d’ordonner la procédure simplifiée sur le modèle de la procédure en vigueur.

Seuls les très petits débiteurs en procédure collective seront visés par l’article 33 de l’ordonnance, la procédure simplifiée leur sera automatiquement applicable. Les autres débiteurs seront soumis au mécanisme juridique de l’actuel article L.641-2.

VII. UNE EXTENSION DES GARANTS VISÉS EN PROCÉDURE COLLECTIVE

Le projet d’ordonnance envisage de modifier le champ d’application des textes concernant le droit de se prévaloir des dispositions de l’accord constaté ou homologué41, l’article L.622-28 relatif à la suspension du cours des intérêts et des poursuites au cours de la période d’observation en procédure de sauvegarde42 mais aussi à l’occasion d’un redressement judiciaire43, et l’opposabilité des dispositions du plan de sauvegarde par les cautions44. Ces textes visent aujourd’hui la caution personne physique et le codébiteur solidaire, ainsi que le garant à1re demande.Les dispositions prévues par le projet d’ordonnance s’appliquent à « toute personne ayant consenti une sûreté personnelle ». Cette

41. Art. 4 du projet d’ordonnance. 42. Art. 18 du projet d’ordonnance.43. Art. 88 du projet d’ordonnance. 44. Art. 23 du projet d’ordonnance.

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formulation peut créer un nouveau contentieux à l’occasion de l’interprétation de la notion de sûreté personnelle au sens de ces textes45.Les textes visent, en outre, toute personne ayant cédé ou affecté un bien en garantie, donc le cautionnement réel. L’application au cautionnement réel des règles de droit des procédures collectives relatives au cautionnement personnel pose un problème au regard de la jurisprudence récente de la Cour de Cassation46, pourtant consacrée par la réforme du droit des sûretés, du 2 décembre 200547.

Le projet d’ordonnance de réforme de la loi de sauvegarde associe innovation et aménagements du droit positif. Il contribue également à faire changer les mentalités des chefs d’entreprises pour qu’ils n’aient plus peur de se placer sous la protection de la justice. Leur démarche devra être encouragée par les Chambres de Commerce et d’Industrie ainsi que par les Tribunaux de commerce. Une collaboration entre tous ces acteurs est inhérente au succès de la procédure de sauvegarde ainsi rectifiée.Seule la réunion de ces deux éléments permettra, nous semble-t-il, à la procédure de sauvegarde de jouer le rôle qui lui est dévolu en droit des procédures collectives.

45. Pour le porte-fort.

46. Ch. mixte, 2 décembre 2005 ; D. 2006. 729, concl. Sainte-Rose, note Aynès. 47. Art. 2334 du C. civ.

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RETOUR SUR L’AFFAIRE ARCELOR MITTAL

Pierre Servan-Schreiber Avocat associé, Cabinet Skadden, Arps, Slate, Meagher & Flom

La fusion entre Arcelor et Mittal Steel présente des aspects particuliers intéressants : tout d’abord il s’agit de la « mère » des grandes batailles boursières actuelles, en ce sens que toutes les stratégies utilisées aujourd’hui ont été envisagées dans cette affaire. Ensuite, elle a jeté une lumière nouvelle sur le monde de la sidérurgie qui était très peu médiatisé auparavant. Au cœur de la tourmente, se trouvaient deux acteurs majeurs :

– D’un côté, la société Mittal Steel, une entreprise familiale dirigée par un père et son fils, tous deux extrêmement brillants. Le père, Lakshmi Mittal, a constitué un groupe sidérurgique de premier plan en acquérant des aciéries à travers le monde, notamment en Algérie et en République tchèque. En janvier 2006, Mittal produisait tous types d’aciers mais réalisait le gros de son activité en produisant des aciers ordinaires destinés principalement à la construction.

– D’un autre côté, la société Arcelor qui était une entreprise très différente, et plutôt le résultat de l’histoire européenne (qui a commencé avec le CECA en 1956). Elle est le produit de la fusion de trois groupes de taille, Usinor, Arbed et Arceralia, en 2001. À l’époque, c’était une entreprise prospère dont la taille était très proche de celle de Mittal Steel.

L’histoire de la fusion débute en novembre 2005 : Arcelor, qui était très présent en Europe mais faiblement implanté en Amérique du Nord, lance une OPA hostile contre un fabriquant canadien d’acier. Malgré une contre-offre de l’allemand Thyssen Krupp, Arcelor l’emporte fin janvier. C’est pendant ce laps de temps que Lakshmi Mittal, sur les conseils de son fils Aditya, est gagné par l’idée d’une fusion avec Arcelor.

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Il propose un rapprochement amical à Guy Dollé, le patron d’Arcelor, au cours d’un dîner organisé dans sa résidence de Londres. Guy Dollé refuse catégoriquement en soulevant les difficultés d’intégration inhérentes à une telle fusion.Un rendez-vous entre les deux dirigeants destiné à étudier plus en détail cette fusion est demandé par Lakshmi Mittal. Il est prévu pour le 24 janvier 2006 mais est annulé au dernier moment par Guy Dollé qui part célébrer le succès de son OPA au Canada. Lakshmi Mittal convoque alors son banquier et son avocat, Pierre-Yves Chabert du cabinet Cleary Gottlieb à Paris, pour demander une évaluation des chances de succès d’une OPA sur Arcelor. Le seul obstacle envisagé concerne la possibilité de monopole en Amérique du Nord. Mittal contourne le problème en proposant à Thyssen Krupp d’acquérir l’aciériste canadien (qu’il avait perdu au profit d’Arcelor) au cas où Mittal venait à acquérir à Arcelor. Et dès lors, les obstacles à la fusion seraient levés. Thyssen Krupp accepte l’accord.

Mittal lance alors une offre publique d’achat valorisant Arcelor à 18 milliards de dollars. La défense d’Arcelor était assurée par un cabinet d’avocats international et, le jour du dépôt de l’offre, ce cabinet s’est rendu compte d’un conflit d’intérêts qui l’empêchait de conseiller Arcelor au cours de l’offre. Arcelor s’est donc littéralement retrouvé face à une OPA hostile sans avocat. L’entreprise s’est alors immédiate- ment tournée vers le bureau parisien de Skadden Arps (Paris étant la place principale de cotation d’Arcelor) pour coordonner sa riposte à l’offre hostile dont elle faisait l’objet. Skadden Arps a alors adopté une approche originale en faisant travailler une équipe restreinte d’avocats sur l’affaire, en coordination si nécessaire avec des avocats issus d’autres départements ou d’autres bureaux du Cabinet et des professeurs de droit. Au plus fort de la bataille, plus d’une centaine d’avocats étaient mobilisés, dont 15 avocats à temps plein (12 à paris et 3 à Londres).Le cabinet Skadden Arps a dû mettre en place une organisation originale et tous les jours, des conférences téléphoniques étaient prévues avec les directeurs financier et juridique d’Arcelor ainsi que le responsable des relations investisseurs et des financiers de la banque d’investissement Morgan Stanley. Une conférence quotidienne était également prévue avec l’équipe chargée de l’affaire au sein de Skadden Arps, ainsi qu’une conférence hebdomadaire avec les professeurs de droits consultés sur le dossier et les associés des autres bureaux de Skadden Arps. Enfin,

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deux conférences hebdomadaires étaient prévues avec les autres cabinets d’avocats effectuant des missions pour le compte d’Arcelor.Le 29 janvier 2006, le Conseil d’Administration d’Arcelor appelle à rejeter l’offre de Mittal en soulignant l’incompatibilité de valeurs existant entre les deux entreprises.

La défense d’Arcelor a alors pu véritablement commencer. Il convient de rappeler les principes directeurs qui devaient organiser cette défense. Tout d’abord, il ne fallait à aucun prix mettre en place des dispositions qui auraient rendu toute fusion impossible. En effet, cela aurait constitué une entrave aux devoirs des dirigeants envers leurs actionnaires. Ensuite, il convenait de justifier toutes les mesures proposées. Les stratégies recommandées par Skadden Arps ont dès lors eu principalement pour but de gagner du temps, c’est-à-dire faire durer les tractations.L’établissement d’un calendrier de l’OPA est rapidement apparu comme la principale difficulté à laquelle les avocats de Skadden Arps ont été confrontés. La difficulté provenait principalement de la cotation d’Arcelor sur quatre places boursières différentes et Mittal sur deux autres places dont le régime n’était pas encore uniformisé (la directive d’uniformisation est entrée en application au cours de l’offre). Pour faire face aux demandes de leur client, les avocats de Skadden Arps ont établi au bout de quelques jours un calendrier prévisionnel. Ce document synthétique est en pratique extrêmement complexe à réaliser. Il doit en effet comporter les dates principales du processus d’offre publique et intégrer des informations à la fois relatives aux aspects boursiers et de droit des sociétés mais aussi aux questions tenant à la procédure à suivre.

Entre février et mai, Skadden Arps s’est appliqué à complexifier au maximum la procédure pour le plus grand bénéfice d’Arcelor. La principale stratégie de la part de Skadden a consisté à faire jouer les différences de règlementations boursières en cause afin d’essayer d’imposer le régime le plus strict (et donc le plus contraignant et long à mettre en œuvre) à l’ensemble de l’opération.Une autre défense a consisté dans le refus de permettre à l’offrant d’avoir accès aux documents comptables de la cible. Néanmoins, ce refus est sanctionné par les autorités boursières des différents États concernés ; d’où Skadden Arps a alors développé une stratégie nouvelle et extrêmement efficace. En effet, ils ont exigé de la part de Mittal et

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de ses avocats une description détaillée des milliers de documents nécessaires à la fusion. Ils ont également soumis la remise de ces informations à la réalisation d’un audit des comptes d’Arcelor par un cabinet extérieur. Il s’agissait là d’un refus déguisé, tant les délais et les coûts de cet audit étaient prohibitifs. Et, ce n’est qu’au bout de plusieurs semaines que Mittal a obtenu d’une juridiction américaine le droit de passer outre le refus d’Arcelor pour établir un projet prévisionnel de fusion.

Seulement, pour empêcher Mittal de réaliser son montage de financement de la fusion, les avocats d’Arcelor ont également eu recours à une institution originale : la «Stichting » (sorte de trust en droit néerlandais) dans laquelle l’incessibilité des actifs détenus peut être insérée dans les statuts pour une durée déterminée. Ainsi, la filiale canadienne d’Arcelor que Mittal avait prévu de revendre à Thyssen Krupp pour générer les fonds nécessaires au paiement d’Arcelor était devenue incessible. Ce montage permettait également de résoudre les problèmes liés à la réglementation antitrust et rencontrés par Arcelor depuis cette acquisition.

La stratégie de gain de temps menée par Skadden Arps pour le compte d’Arcelor a également permis de rassembler des soutiens en vue d’une contre-offre destinée à empêcher Mittal d’emporter la Société. Il s’agit principalement de trouver des « amis » prêts à entrer au capital d’Arcelor. En effet, une disposition des statuts d’Arcelor lui permettait d’émettre à tout moment 30 % de capital supplémentaire afin de se protéger contre une OPA. Différents offrants se sont manifestés et là encore Skadden Arps a assigné de petites équipes distinctes à l’examen de ces offres. C’est le groupe sidérurgique russe Severstal qui fut choisi comme « chevalier blanc ». Pendant ce temps, Mittal rehausse son offre en faisant passer la valorisation d’Arcelor de 22 à 44 milliards d’euros alors que dans le même temps, l’augmentation du capital avec le concours de Severstal posait également des problèmes de ratification de cette augmentation par les actionnaires d’Arcelor. Et, pour obtenir une telle ratification, Skadden Arps va proposer une solution innovante : au lieu de demander l’approbation des deux tiers de l’actionnariat, les avocats vont soumettre l’augmentation de capital à plus de 50 % de votes négatifs. Il ne s’agit plus de demander une autorisation mais de permettre à l’Assemblée générale de défaire ce qui a été décidé par le Conseil d’Administration. Malgré plu- sieurs critiques, cette solution est passée.

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De son côté, Mittal modifie son business plan pour s’aligner sur les conditions proposées tout en assouplissant ses exigences de Corporate Governance. Ce fût un mouvement habile car il obligeait les directeurs d’Arcelor à accepter étant donné qu’ils venaient d’accepter les mêmes conditions pour Severstal.

Mais, le 20 juin, les différentes bourses européennes sur lesquelles les titres d’Arcelor sont cotés décident de suspendre la cotation d’Arcelor pour une durée indéterminée. C’est une mesure exceptionnelle car elle ne s’assortit en l’occurrence d’aucune menace sur la pérennité de l’activité. Cette suspension, aux conséquences potentiellement dommageables pour les actionnaires, a considérablement accéléré les procédures et, c’est ainsi qu’à l’assemblée générale du 30 juin 2006, les actionnaires d’Arcelor approuvent la proposition de Mittal.

Pour conclure, on doit relever l’extrême importance de l’opération et des montants en jeu. L’apport de la défense menée par Skadden Arps, sur ce point, permis la valorisation d’Arcelor, lors de l’opération.

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LE FINANCEMENT D’ENTREPRISES À FORT POTENTIEL DE CROISSANCE

Renaud Bonnet Avocat associé, Cabinet Jones Day

Les petites et moyennes entreprises, en phase de création ou de développement, et proposant des activités essentiellement tournées vers la technologie (développement de logiciels, internet, biotechnologies...) sont au cœur de l’actualité politique, économique et sociale. En effet, elles constituent l’un des principaux moteurs de l’innovation et créent de nombreux emplois.La technologie a sans doute été le premier moteur de la croissance des États-Unis au cours des 30 dernières années, symbolisée par l’essor continu de la Californie et singulièrement de la Silicon Valley. Elle constitue un enjeu majeur, notamment, pour l’amélioration de la vie en matière de santé et d’équipement. L’exemple de l’entreprise de biotechnologies Cellectis, assistée par le Cabinet Jones Day, lors de son introduction en bourse au début de l’année 2007, en est une illustration. Cette entreprise a développé une technologie capable de « couper-coller » des gènes dans la séquence ADN, avec l’ambition de révolutionner la thérapie génique en apportant notamment une réponse aux maladies mono-géniques.Le soutien de ces technologies et des PME qui les développent est essentiel à la croissance française. Ce soutien passe essentiellement par un financement en capital, et non par un montage de dette, dans la mesure où les banques et les investisseurs en LBO sont réticents à prêter aux PME. En effet, dix ans peuvent s’écouler entre la création d’une entreprise de biotechnologies et le moment où elle commencera a être rentable. L’investissement se fait donc en capital (moyennant la souscription d’actions ou autres valeurs mobilières donnant accès au capital), notamment par le biais des Fonds communs de placement à risque et de fonds communs de placement dans l’innovation.En contrepartie de ce financement à risque, les investisseurs parti- culiers bénéficient de certaines déductions fiscales et les fonds d’investissement spécialisés jouissent d’un statut fiscal aménagé.

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Et, dans le processus de financement de ces jeunes entreprises, l’avocat joue un rôle « passionnant ».

I. LES PRINCIPAUX ACTEURS D’UNE LEVÉE DE FONDS :À LA RECHERCHE D’INVESTISSEURS

Dans ce domaine les acteurs sont multiples. La société de croissance peut être représentée par ses fondateurs, les personnes qui ont créé la société ou bien par des dirigeants entrés dans le capital au bout de quelques temps pour soutenir le développement de l’entreprise.Les investisseurs, qu’il s’agissent de riches individus ou «business angels » ou de fonds spécialisés, ont pour objectif de faire fructifier leur investissement sur un horizon de quatre à six ans en moyenne (d’avantage dans la biotechnologie ou les sciences de la vie) pour réaliser la plus grande plus-value possible. Les fonds de capital- risque sont des professionnels de l’investissement et lèvent régulièrement du capital auprès de particuliers ou d’investisseurs institutionnels, qu’ils investissent ensuite dans des sociétés de croissance.La conciliation des intérêts divergents entre les dirigeants qui cherchent à valoriser au maximum l’actif existant de leur société et conserver le contrôle de la gestion, et les différentes strates d’investisseurs, qui veulent acheter le moins cher possible et encadrer les dirigeants, est une des missions de l’avocat, qui trouve dans ce genre de dossier des problématiques riches lui permettant d’intervenir à toutes les étapes du processus de financement.Le fait que ces dossiers, relativement peu importants au niveau financier (entre deux et quarante millions d’euros en moyenne pour les dossiers traités par le cabinet Jones Day), soient d’une si grande complexité au niveau technique ne manque généralement pas de surprendre les étudiants en droit. Les « petits » dossiers ne sont pas toujours les plus simples !Enfin, lors de grosses opérations, le processus de financement nécessite l’appel à des intermédiaires financiers, comme des banques, qui se chargent de rechercher les investisseurs potentiels.

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II. LES ÉTAPES DU PROCESSUS DE FINANCEMENT

La première étape n’intéresse pas directement l’avocat : les dirigeants cherchent à vendre leurs projets au meilleur prix possible à de potentiels investisseurs.L’investisseur intéressé envoie une lettre d’intention, laquelle est vérifiée attentivement par l’avocat de la société concernée. La valeur ajoutée de l’avocat est ici sa connaissance du marché et son expérience, qui lui per- mettent de juger les apports de l’investisseur et d’assister les dirigeants dans leur compréhension du contenu de la documentation et de ses implications.La signature de la lettre d’intention par les parties est généralement suivie par la réalisation d’un audit (due diligence) pour vérifier, en parti- culier, que la société est bien propriétaire de ses actifs (tout particulièrement de sa technologie)et l’absence de passif lié aux activités passées de la société (tel qu’un procès susceptible d’aboutir à une condamnation à payer des dommages et intérêts).Un exemple fréquent concerne les crédits d’impôt : les sociétés de croissance bénéficient souvent d’un crédit d’impôt-recherche à due concurrence d’une fraction de leurs dépenses de recherche-développe- ment. Malheureusement, lorsque le crédit d’impôt n’est pas géré de façon rigoureuse, ce qui arrive parfois, l’État peut exiger un remboursement.L’étape suivante est la signature des contrats principaux. À ce moment là, les termes de l’investissement sont arrêtés.La convocation des assemblées générales d’actionnaires, assemblées spéciales des actionnaires de catégorie et des masses de titulaires de valeurs mobilières (s’il y a lieu) sont nécessaires à la réalisation de l’opération.Les actions (ou autres valeurs mobilières) sont enfin souscrites et les fonds versés à la société.

III. LES PRINCIPAUX CONTRATS

Nous revenons plus spécifiquement sur les différents contrats afférents aux opérations de financement. A. La lettre d’intention

La lettre d’intention consigne les principes dont les parties sont convenues au terme de négociations qui durent généralement de un à trois mois. Elle représente un enjeu majeur du processus de financement.

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Elle a pour but de fixer les principaux termes de l’investissement projeté et de garantir l’exclusivité à l’investisseur potentiel : pendant le temps nécessaire à la réalisation de l’audit et à la préparation des contrats principaux, la société de croissance s’interdit de discuter d’une prise de participation avec d’autres investisseurs. La société cherchera ici à consentir une durée d’exclusivité la plus courte possible pour garder en éveil l’intérêt d’autres investisseurs, de même qu’à engager l’investisseur signataire le plus possible.La lettre d’intention n’a généralement pas de valeur juridique contraignante sauf en ce qui concerne l’exclusivité et la confidentialité. Néanmoins, la bonne foi dans la négociation doit être respectée sous peine de poursuite pour rupture abusive des pourparlers.La lettre d’intention détermine le prix d’émission des actions, qui représente la valeur du travail que les dirigeants ont accompli avant la levée des fonds. La fixation du prix d’émission a donc un impact décisif sur la répartition du capital après la levée de fonds : si les montants de la levée de fonds et de la valeur attribuée à la société sont identiques, l’investisseur détient la moitié du capital social.

La question de l’intéressement des dirigeants se pose particulièrement lorsque ces derniers sont entrés dans la société après sa création : ces dirigeants ne disposent souvent que de peu de capital et n’ont pas les fonds pour investir dans la société (salaires bas propres aux petites sociétés). L’attribution d’options, BSPCE ou actions gratuites, notamment, permet d’intéresser les dirigeants et salariés non actionnaires à l’opération.

B. Le protocole d’investissement

Le protocole d’investissement ne se réalise que si l’audit n’a pas révélé de problèmes importants. Dans le cas contraire, l’investisseur peut soit se retirer de l’opération, soit renégocier le prix des actions et les clauses de la lettre d’intention à son avantage.Le protocole d’investissement a une valeur juridique contraignante, sous réserve de conditions suspensives objectives.

C. La garantie de passif

La garantie de passif est souvent insérée dans le protocole d’investissement. Dans ce document, l’acheteur demande au vendeur de lui assurer qu’il n’existe pas de problèmes majeurs dans la société et qu’il

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est comptable des inexactitudes des déclarations faites à l’investisseur. Il peut s’agir par exemple d’un litige qui n’aurait pas été révélé.Ce document est âprement négocié par les avocats des deux parties. Les avocats des investisseurs exigent des dirigeants la garantie d’une société en règle sur tous les plans alors que les dirigeants manquent souvent de patrimoine suffisant. L’avocat a ici un rôle majeur auprès du dirigeant. Toute la difficulté de sa démarche consiste à l’alerter sur les risques qu’il encourt tout en le rassurant pour le conduire à révéler les éventuels problèmes que connaît sa société.Un mécanisme d’indemnisation permet d’engager la responsabilité du dirigeant qui a fourni une déclaration erronée ou incomplète. La réparation du préjudice qui en résulte s’effectue parfois en numéraire (à hauteur d’une fraction ou d’un multiple du salaire du dirigeant concerné) ou plus fréquemment en actions de la société détenues par le dirigeant. Ce système de garantie se distingue de celui qui existe aux États-Unis, où c’est la société elle-même qui déclare et rend des comptes aux investisseurs.La solidarité entre les débiteurs dirigeants peut être source de conflit d’intérêts.La négociation porte notamment dans ce contexte sur la fixation d’un seuil de matérialité (par événement et/ou global) en-deçà duquel la responsabilité des dirigeants ne pourra être recherchée, de même que sur le montant maximum de dommages et intérêts auxquels s’exposent les dirigeants ou encore sur la durée de la garantie.

D. Le pacte d’actionnaires

Le pacte d’actionnaires est au cœur de la pratique du financement

des start-up. L’objet de ce document est notamment de répondre aux questions suivantes : Comment le dirigeant et les investisseurs vont-ils cohabiter ? Comment préserver l’intuitu personae ? Comment assurer aux investisseurs la liquidité de leurs titres ?Quels doivent être les engagements des dirigeants afin d’aligner leurs intérêts sur ceux des investisseurs financiers ?La clé du pacte d’actionnaires réside dans l’anticipation de l’avenir afin d’éviter les litiges potentiels.En ce qui concerne la gestion de la société, il faut prévoir l’aménagement des pouvoirs entre les actionnaires. Le choix de la forme de la société est souvent celui de la société anonyme dans la mesure où les

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règles de la société par actions simplifiées sont moins prévisibles et ne sont pas compatibles avec une introduction en bourse.La représentation des actionnaires au sein des organes de gestion de la société peut se faire en distinguant organes de gestion et organes de contrôle. Ce choix dépend de la culture des investisseurs qui peuvent vouloir exercer un contrôle fort ou qui peuvent être au contraire plus frileux et refuser toute responsabilité. Cependant, en cas de litige, le juge examinera s’il y a eu immixtion de fait des investisseurs dans la gestion de la société.Les principales décisions de la société peuvent être soumises à un contrôle renforcé des investisseurs financiers, même s’ils ne détiennent qu’une faible part du capital. La possibilité d’un droit de veto individuel ou collectif et le type de décisions soumises à un contrôle font l’objet de négociations.Le droit d’information des investisseurs est moins polémique. Généralement, les investisseurs exigent qu’il soit mensuel.Concernant le transfert d’actions, plusieurs points essentiels sont soumis à la négociation.Une clause de préemption peut être prévue avec de nombreuses variantes possibles. Un actionnaire voulant céder ses actions doit d’abord les proposer aux autres membres du pacte afin de préserver l’intuitu personae. Selon la formulation de la clause, le vendeur peut proposer aux autres actionnaires le prix qui lui est offert par un tiers ou purger le droit de préemption avant de faire appel le cas échéant à un acquéreur extérieur.Un droit de sortie conjointe totale est généralement prévu afin d’assurer la liquidité de tous en cas de changement de contrôle. Un droit de sortie conjointe proportionnelle au profit des investisseurs peut également être prévu en cas, notamment, de cession d’actions par les fondateurs.Pour éviter qu’un actionnaire refuse la réalisation de l’opération par la sortie en refusant de vendre, le pacte va par ailleurs toujours prévoir une clause de sortie forcée imposant aux minoritaires la cession de leurs actions en cas d’offre pour 100 % du capital acceptée par une majorité qualifiée d’actionnaires (détenant par exemple 90 % des actions).La clause de liquidité permet à l’investisseur de céder plus facilement ses titres à défaut de cession ou d’introduction en bourse de la société avant une certaine date.La clause de répartition préférentielle permet à un investisseur de récupérer sa mise avant les autres actionnaires (singulièrement les dirigeants) en cas de cession de la société. En France, contrairement aux

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États-Unis, un pourcentage minimum du prix de cession, le plus sou- vent égal à la valeur nominale des actions de la société ou à 10 % du capital, est cependant réparti entre tous les vendeurs afin de limiter les risques de nullité de ces mécanismes liés au défaut de prix réel et sérieux.Les engagements des dirigeants, « hommes-clé » de l’opération de financement, sont essentiellement des engagements d’exclusivité, de conservation de leurs titres et de pérennité au sein de la société. Le dirigeant qui quitterait la société doit en outre respecter un engagement de non concurrence et ne pas inciter son équipe à partir avec lui.En cas de violation de ces clauses, le rachat forcé des actions du dirigeant à un prix « punitif » est souvent stipulé.Les discussions à ce sujet portent notamment sur la distinction à faire selon les raisons qui animent le départ du dirigeant. S’il quitte la société en raison d’une maladie, il sera généralement considéré comme un good leaver et sa responsabilité ne sera pas engagée. En revanche, le dirigeant qui est licencié pour faute lourde sera considéré comme un bad leaver.

E. L’intéressement des salariés et des dirigeants

Dans les start-up les salaires sont généralement moins élevés que dans les sociétés établies. C’est la raison pour laquelle les dirigeants à fort potentiel bénéficient d’un intéressement en capital, à l’image des systèmes d’intéressement des salariés qui ont fait le succès de la Silicon Valley. L’intérêt des investisseurs est que les dirigeants tirent aussi un profit de l’opération.L’intéressement immédiat du dirigeant consiste à valoriser la société et donc la participation du dirigeant moyennant l’acquittement par l’investisseur d’une prime d’émission lors de l’entrée au capital de l’investisseur.Un autre moyen consiste dans l’attribution d’instruments spéciale- ment prévus par la loi à cet effet (options, BSPCE et plus récemment actions gratuites).Compte tenu des limites présentées par les outils traditionnels d’intéressement, la pratique a développé d’autres mécanismes d’intéressement, tel que les bons de souscription d’actions (BSA) ou plus récemment les actions de préférence, qui font l’objet de la plus grande attention des autorités fiscales. Tout ce qui est attribué à un salarié ou dirigeant et non prévu par la loi doit en effet l’être au prix de marché sous peine de requalification de la plus-value qui s’ensuivrait en salaire.

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F. La documentation sociale La documentation sociale est un pan non négligeable des opérations

de financement des entreprises à fort potentiel de croissance. Elle comprend entre autres les procès verbaux du conseil d’administration, les résolutions, l’aménagement des statuts, les rapports du commissaire aux comptes et, lorsque des actions de préférence sont émises, du commissaire aux avantages particuliers, les procès verbaux d’assemblées...Les résolutions définissent les termes des actions ou autres valeurs mobilières émises dont le contenu est souvent « cousu main ».Les bons de souscription d’actions dit ratchet souvent attachés aux actions émises par la société et qui protègent les investisseurs contre l’émission ultérieure de nouveaux titres de capital pour un prix inférieur, sont un exemple de protection des investisseurs typiquement négocié dans ce cadre.Les techniques utilisées pour ce type d’opérations de financement sont les mêmes que celles des grosses opérations de fusions acquisitions.En conclusion l’intérêt essentiel des opérations de financement des start-up réside pour lui dans l’interaction avec ses clients et l’opportunité de gérer des problématiques complexes dans leur ensemble.

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